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Programme EPR «Évaluation et Prise en compte des Risques naturels et technologiques» Actes du Colloque « Risques naturels et technologiques » L’apport de la recherche aux décideurs publics Lyon - 10 octobre 2007

Actes du Colloque - risknat.org · Lyon - 10 octobre 2007 . Responsable du programme EPR : Sylvie Charron, MEDAD, D4E, SRP Organisation du colloque ... Imprimé et façonné au Cemagref

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Programme EPR

«Évaluation et Prise en compte des Risques naturels et technologiques»

Actes du Colloque

« Risques naturels et technologiques » L’apport de la recherche aux décideurs publics

Lyon - 10 octobre 2007

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Responsable du programme EPR : Sylvie Charron, MEDAD, D4E, SRP

Organisation du colloque

Jacques Joly, Cemagref, Coordinateur du programme EPR

Catherine Ambroise-Rendu, Cemagref

Laura Belloni, Cemagref

Gérard Brugnot, AFPCN / Cemagref

Yves Confesson, Cemagref, Délégué Régional Rhône-Alpes

Yves Delacretaz, Communauté Urbaine de Lyon, Chargé de mission prévention des risques

Sandrine Descotes-Genon, Conseil Régional Rhône-Alpes, Chargée de mission prévention des risques

Philippe Huet, AFPCN

Sandra Magnin, Cemagref

La rédaction des actes a été réalisée à partir de la retranscription, par UBIQUS, des interventions et des débats. Actes du colloque «Risques naturels et technologiques – L'apport de la recherche aux décideurs publics», organisé par le Cemagref et l'AFPCN, avec le concours du Grand Lyon et de la Région Rhône-Alpes. – Lyon, 10 octobre 2007. Secrétariat éditorial : Cemagref. Préparation et suivi de l'édition : Laura Belloni (Cemagref). Imprimé et façonné au Cemagref. Dépôt légal : 1er trimestre 2008. Tous droits réservés. ISBN n° 978- 2-853-62-672-5

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Sommaire

Ouverture du colloque • Michel Reppelin, Vice-président du Grand Lyon, chargé de

l'environnement 5 • Jacques Joly, Cemagref, Coordinateur programme EPR 7

Première séance

Une meilleure évaluation des risques • Les effondrements : Claire Arnal 13 • Les transports de matières dangereuses : Philippe Blancher 19

Les inondations du Rhône

• Histoire du Rhône – Le plan Rhône : Bernard Picon 35 • L'approche suisse pour l'aménagement du Rhône :

Jean-Pierre Jordan 41 • Les aménagements de la zone de Miribel-Jonage :

Jean-Paul Bravard, Claire Combe 47

Deuxième séance Les enseignements tirés des catastrophes

• Le retour d'expérience : Jean-Luc Wybo 61 • Le rôle des associations de victimes : Geneviève Decrop 69

Les avancées des politiques locales en matière de r isques

• L'exemple du Grand Lyon et de Lyon : Pierre Lareal 81 • Les actions du Conseil Régional Rhône-Alpes : Michèle Eybalin 87

Table ronde

«Quelle recherche pour la décision publique dans no s territoires » 93

• Michèle Eybalin, Conseil Régional Rhône-Alpes • Claude Gilbert, CNRS • Philippe Huet, AFPCN • Thierry Klinger, Cemagref • Pierre Lareal, Adjoint au maire de Lyon • Bernard Le Risbe, Mairie de Jarrie • Bernard Picon, DESMID • Philippe Sionneau, DIREN Rhône-Alpes

Clôture du colloque

• Eric Vindimian, MEDAD, D4E 117

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Ouverture du colloque Michel REPPELIN , Vice-président du Grand Lyon, chargé de l’environnement

Je suis très heureux de vous accueillir dans cette salle du Conseil de communauté où se prennent de grandes décisions, en général financières. Le sujet du jour tombe en pleine actualité, puisque nous aurons un secrétaire d’Etat cet après-midi à Lyon, sur le problème des PCB et je pense que vous pourrez tirer des conclusions très pertinentes en fin de journée.

Le titre de votre colloque, « L’apport de la recherche aux décideurs publics », est particulièrement signifiant pour nous, décideurs publics et collectivités, puisqu'il s'agit de savoir comment disposer d'indications pertinentes, transparentes venant de la recherche ou du monde scientifique, pour que les collectivités les transposent dans leurs documents d’urbanisme, dans les PLU, comment ces données pertinentes pourront nous aider à bâtir des plans d’actions, que ce soit dans le cadre de l'agenda 21 ou dans une communauté de communes comme la nôtre. Je rappelle que la communauté urbaine de Lyon, le Grand Lyon, fédère 57 communes de toutes tailles, avec des maires qui sont confrontés aux risques globaux, technologiques, glissements de terrain, inondations sous toutes les formes. Le rôle de notre collectivité est à la fois d’être un peu le porteur, l’interface entre le monde des experts, le monde scientifique et les habitants, les maires étant souvent "les derniers remparts" de la proximité. Nous avons donc un rôle primordial à jouer dans ce domaine et ce colloque est pour nous très important.

Je pourrais dire que nous avons, au Grand Lyon, une longue histoire sur ce sujet puisque nous avons déjà des relations suivies avec un certain nombre d’universités, d’organismes, etc. Je donnerai simplement quelques exemples pour vous montrer que l’on peut travailler, en tant que collectivités, dans tous les domaines et dans tous les compartiments de l’environnement et des risques majeurs ou des risques chroniques.

Déjà dans le domaine de l’eau, nous sommes, en ce moment, en plein dans l'élaboration de notre PPRI du Grand Lyon, découpé en quatre secteurs. Nous avons travaillé avec le Service Navigation en termes de modélisations, de casiers inondables, de façon à traduire ces données dans nos documents d’urbanisme. Nous travaillons beaucoup aussi sur le ruissellement pluvial, thème particulièrement important dans nos zones urbaines, afin de limiter dans le futur l'imperméabilisation et ainsi être plus pertinent en matière d'environnement. Pour cela, nous travaillons avec l’OTHU, avec le CEMAGREF, avec le BRGM sur l’étude des nappes phréatiques, l’étude en dynamique, l’étude en statique, etc. Et puis, nous travaillons aussi avec la ZABR sur la qualité de l’eau et Dieu sait qu’on en parle beaucoup en ce moment. Nous étudions particulièrement la vallée de la Saône pour voir quelle est la contribution de la communauté urbaine à la dégradation de la qualité de l’eau dans ce secteur.

Concernant l’air, nous sommes actuellement en pleine enquête publique sur le « plan de protection de l’atmosphère ». Là aussi, nous avons besoin de recherche et d’apport scientifique sur la qualité de l’air. En effet on tente de dépasser l’aspect

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réglementaire et l’air des petits oiseaux pour aller vers l’approche santé de notre plan de protection de l’atmosphère. Pour cela, nous avons travaillé des modélisations avec l’Ecole Centrale, de façon à voir quelle était l’exposition des populations aux polluants de l’agglomération; de même, avec l’Ecole des Mines de Douai, nous avons expérimenté des systèmes plus fiables de prélèvement d’air. Donc, vous voyez que nous travaillons dans beaucoup de domaines environnementaux. Je passerai sur les mouvements de terrain, sur lesquels nous coopérons avec l’INSA.

Le dernier domaine qui nous concerne fortement, c’est le soutien à la recherche dans le cadre des pôles de compétitivités, très importants dans l’agglomération lyonnaise, et notamment sur la chimie avec Axelera. Nous soutenons financièrement ce pôle « chimie-environnement» à vocation mondiale, notamment sur des actions, des projets pertinents à travers le CNRS, et d'autres organismes de recherche. Je crois qu’il y a quelque chose de capital, c’est l’interface que peuvent jouer les collectivités entre le monde scientifique et les habitants. L’apport doit bien entendu être scientifique, mais il y a besoin d’un décodage parce qu’on ne parle pas aux habitants en picogrammes, ou en éléments de ce type. C’est tout un art de communiquer, et c’est là où il faut nous aider, nous, collectivités, à traduire les choses qui sont compliquées, qui sont prospectives, pour les mettre d’une façon « digeste » à la portée des habitants. Et ceux qui doivent expliquer, ce sont les maires parce qu’ils ont la responsabilité des risques sur leur territoire. On fait des enquêtes depuis 1990 pour savoir qui est crédible pour apporter l'information. On a constaté que toute personne prise indépendamment ne l’était pas, et que c’est vraiment l’aspect collectif qui donne la transparence et la crédibilité de l’action. Je trouve très important de travailler dans ces structures multipartites où tous les intérêts, qui peuvent être contradictoires, sont représentés, entre l’Etat, les industriels, les collectivités, les associations et les experts. Je crois beaucoup à ces systèmes; ils ont fait leurs preuves à travers les S3PI, et à travers d’autres structures du même type. Ce sont des choses qui marchent, qui aboutissent à une information transparente.

Mon dernier point, c’est de mettre en évidence le rôle des grandes collectivités, des communautés de communes qui ont plus de moyens humains et financiers que les communes moins importantes; elles peuvent contribuer à expliquer des choses très compliquées, pour donner de l’information sur les risques pour les maires qui doivent faire leur DICRIM, dossier d’information communale sur les risques majeurs, et leur plan communal de sauvegarde (PCS). Cela veut dire qu’il y a tout un système qui se déroule, qui se met en place à partir de données scientifiques, qu’il faut analyser, qu’il faut mettre en musique, qu’il faut expliquer, qu’il faut vulgariser. Et là, il y a un énorme travail. Sur le Grand Lyon, nous travaillons ainsi avec l’Université Lyon 3 à travers les ateliers « risques », pour essayer de donner des éléments aux maires. Nous sommes un peu les chefs d’orchestre, les catalyseurs de cette affaire.

Voilà. Je voulais simplement planter un petit bout du décor et dire qu’il faut bien avoir en tête que les techniciens, les scientifiques amènent des éléments parfois complexes, et que, de l’autre côté, il y a les habitants qui ont besoin de notions d’acceptabilité pour vivre avec leur industrie, pour conserver leur bien-être, etc. Nous, élus, nous sommes à l’interface de ces deux mondes et nous devons travailler et prendre d’un côté pour redistribuer de l’autre. Voilà ce que je voulais

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dire. Je vous souhaite une bonne journée de créativité, d’échanges. Je crois que c’est dans de telles réunions qu’on fait avancer les choses. Je me réjouis de voir qu’il y a des industriels, des universitaires, des collectivités, des représentants de la société civile, des experts qui sont présents dans cette salle. Je vous souhaite de prendre de bonnes décisions, et je ne doute pas qu'il en sera ainsi. Bonne journée à tous.

Jacques JOLY, Cemagref, Coordinateur du programme EPR

Permettez-moi tout d'abord de remercier Michel REPPELIN pour ses chaleureux propos de bienvenue et à travers lui, la communauté urbaine de Lyon, qui nous accueille aujourd'hui dans cette magnifique salle du Conseil, si propice, dans sa conception, aux échanges et aux débats.

Je voudrais prendre quelques minutes pour essayer de resituer ce colloque dans l'approche du Ministère de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables (MEDAD), sur le domaine des risques naturels et technologiques.

Tout d'abord, le constat largement partagé que nos sociétés modernes refusent de plus en plus le risque, mais que l'homme reste au centre du sujet. C'est bien entendu le cas des risques technologiques, mais c'est aussi valable pour les risques naturels, où la responsabilité humaine est presque systématiquement recherchée pour une prévention insuffisante, une gestion de crise calamiteuse ou des leçons mal tirées des catastrophes précédentes. La densification des populations et des activités économiques, la complexification des réseaux et des organisations fragilisent les systèmes et augmentent d'autant les enjeux et donc la vulnérabilité.

Les politiques publiques de gestion des risques, dans leur définition comme dans leur mise en œuvre, doivent désormais prendre en compte ce que l'on désigne souvent d'une formule que, pour ma part, je n'aime pas trop, mais qui est maintenant couramment employée, celle du «jeu d'acteurs sur la scène du risque».

Encore faut-il en comprendre les mécanismes, les règles, pour que l'information, la discussion, voire la négociation, aboutissent à une meilleure décision publique, que chacun pourrait s'approprier en toute connaissance de cause.

Il était donc logique que le ministère de l'environnement et de l'écologie, en charge des politiques publiques de gestion des risques, lançât un vaste programme de recherche qui en focalise l'approche sur la dimension sociale et psychologique.

C'était l'objectif du programme EPR, Evaluation et Prise en compte des Risques naturels et technologiques, qui s'est déroulé de 1999 à 2005, et qui présentait deux grandes caractéristiques. La première, c'était d'être un programme de recherche finalisée, sous la houlette conjuguée d'un Conseil Scientifique, garant de la pertinence et de la qualité des travaux, et d'un Comité d'Orientation, rassemblant les principaux décideurs publics, déterminés à travers des demandes opérationnelles, à identifier une vraie problématique de recherche au-delà de l'approche classique étude/expertise. La deuxième caractéristique, c'était d'associer et d'intéresser durablement la communauté scientifique des Sciences Humaines et sociales à la problématique des risques.

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Trente actions de recherche ont ainsi été initiées, dont vous trouverez l'intégralité des rapports sur le site du MEDAD.

Un colloque de clôture du programme a eu lieu en juin 2005 et vous disposez des actes de ce colloque dans la valisette qui vous a été remise.

Bien entendu, tous les sujets n'ont pas été traités de la même manière. Les risques technologiques ont été finalement assez peu abordés et l'approche économique est restée embryonnaire; mais sur la formulation du risque, l'appropriation des outils de gestion du risque, l'intégration de la société civile et une meilleure utilisation du retour d'expérience, des avancées significatives ont été enregistrées; cinq ou six rapports peuvent être considérés comme débouchant assez directement sur des outils ou des méthodes opérationnels et deux travaux ont fait l'objet de publications sous forme de livres.

Mais cet effort doit être consolidé, pérennisé, pour produire pleinement tous ses fruits. Eric VINDIMIAN vous dira ce soir, en clôture, comment le MEDAD prolonge cette action au travers d'autres programmes.

Au cours du colloque de juin 2005, une forte demande s'était manifestée pour décentraliser les échanges entre chercheurs et décideurs dans le domaine des risques. Le MEDAD nous a ainsi demandé, à l'AFPCN (Association Française pour la Prévention des Catastrophes Naturelles) et au Cemagref, d'organiser une rencontre de ce type et c'est donc dans ce cadre que nous nous retrouvons aujourd'hui à Lyon.

A cette occasion, je tiens particulièrement à remercier le Grand Lyon et la Région Rhône Alpes qui se sont étroitement associés à nous pour l'élaboration du programme et l'organisation de ce colloque.

La séance du matin sera animée par Gérard BRUGNOT, Délégué aux risques naturels du Cemagref. Cette séance traitera d'un certain nombre de risques, particulièrement sensibles dans cette région, les inondations du Rhône, le transport de matières dangereuses et les effondrements.

La séance de l'après-midi sera animée par Philippe HUET, Directeur des opérations à l'AFPCN. Cette séance traitera des enseignements tirés des catastrophes et des avancées des politiques locales en matière de risques. Pour terminer, une table ronde, animée par Claude COSTECHAREYRE, rassemblera des chercheurs et des décideurs pour approfondir le dialogue et la collaboration dans une approche de gestion des risques de plus en plus territorialisée.

Je voudrais vous signaler que quelques participants prévus à cette table ronde sont conduits à prendre part cet après-midi à l'installation de la Commission sur les rejets de PCB dans le Rhône, ce qui est bien sûr un peu dommageable pour le colloque mais plutôt encourageant pour l'instauration du dialogue sur un sujet particulièrement sensible.

Enfin, je me réjouis de l'affluence à ce colloque qui a suscité beaucoup d'intérêt; nous avons malheureusement dû refuser quelques inscriptions et nous nous en excusons auprès de tous ceux qui ne pourront pas y assister.

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Je me réjouis aussi de la qualité et de la composition de l'assistance qui rassemble à la fois des décideurs de l'administration - et je salue ici la présence de Xavier DE FURST, Préfet délégué à la sécurité de la Région Sud-Est - des responsables des collectivités territoriales, mais aussi des prescripteurs, des médiateurs, des conseilleurs, des acteurs du débat public qui à un titre ou à un autre, jouent un rôle dans le processus complexe de prise de décision individuelle ou collective en matière de risques.

Tous les éléments sont donc réunis pour des débats et des échanges fructueux, et je vous souhaite donc à tous un excellent colloque.

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Première séance

Animateur :

Gérard Brugnot, Cemagref, Délégué aux Risques Naturels

Une meilleure évaluation des risques

Intervenants :

Claire Arnal, BRGM

Philippe Blancher, ASCONIT Consultants

Les inondations du Rhône

Intervenants :

Bernard Picon, DESMID

Jean-Pierre Jordan, OFEV

Jean-Paul Bravard, Claire Combe, Université Lyon 2

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Gérard BRUGNOT

La première séance est donc ouverte. Un point très important : les questions seront posées à l’issue des deux premières communications. Ensuite, il y aura un nouvel échange avec la salle à partir des trois communications suivantes qui, comme vous l’avez remarqué, portent sur le même sujet, le Rhône.

La première communication sera faite par Claire Arnal. L’idée de la recherche qu'elle a conduite était d’établir une échelle de dommages qui dépasse le simple niveau d’une évaluation économique. Je voudrais juste dire que le temps imparti ne lui permettra peut-être pas de rendre compte du très important travail bibliographique qu’elle a réalisé avec son équipe, et qui a analysé les très nombreuses tentatives de création d’échelle de risques intégrés, au niveau français et international. Vous le trouverez dans le petit livre vert, et d'une manière encore plus détaillée, sur le site dont a parlé tout à l'heure Jacques Joly.

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Une meilleure évaluation des risques

Les effondrements

Claire ARNAL BRGM 117 avenue de Luminy, BP 168, 13 276 Marseille Cedex 09 Tél : 04 91 17 22 93 [email protected] Je voudrais répondre à Monsieur le Vice-président du Grand Lyon qui a fait, je pense, une intervention à laquelle nous sommes très sensibles et à laquelle répond l’étude que nous avons menée. C'est-à-dire que, pour nous qui sommes particulièrement versés dans l’aléa puisque nous travaillons beaucoup, au BRGM, sur les aléas géologiques, une de nos grosses difficultés est d’essayer de faire comprendre aux gens d'un territoire, quand on présente une cartographie ou une évaluation, quelle analyse il est possible d’en faire. Nous avons donc cherché à développer, ces dernières années, et pas seulement au BRGM, un outil qu’on appelle celui du scénario, c'est-à-dire que nous présentons une carte d’aléas mais aussi une évaluation des dommages que pourrait produire cet aléa dans la zone étudiée. La grosse difficulté, est de savoir comment exprimer ces dommages. Chacun sait qu’il y a des morts, des blessés ou des maisons endommagées, qu’il y a éventuellement des routes coupées.

Mais, finalement, quelles en sont les conséquences et quel en est l’impact, soit au niveau de la commune à laquelle on s’adresse, soit au niveau de la région ? Comment, finalement, faire prendre en compte ce problème ? C’est là une difficulté. Une autre est de donner les éléments aux décideurs locaux pour intégrer ces dommages ou ce risque de dommages dans une politique plus générale, c'est-à-dire de les quantifier relativement à autre chose. Enfin, et plutôt à l’adresse d’un public de gestionnaires des risques, comment comparer ce que peut être le risque inondation avec celui d’effondrement de cavités souterraines ?

C’était pour répondre à ces différentes questions, et sans prétendre y avoir répondu complètement, que nous avons cherché à créer cette échelle de dommages, en l’appliquant aux cavités souterraines, car c’est notre champ de compétences. Cette échelle a pour objet l’évaluation des dommages observés ou prévisibles, elle constitue un moyen de comparer les conséquences de différents événements. L’analyse propre à chacun des acteurs, qui ont des préoccupations diverses, peut ainsi être effectuée sur des bases communes relativement objectives.

C’est donc dans ce cadre que je vous présente l’évaluation des dommages à travers la constitution d’une échelle telle que nous avons pu la faire il y a déjà trois ans maintenant, étant entendu que nous avons essayé, depuis, de l’appliquer à des cas pratiques.

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Dans le domaine des risques, d’importants travaux concernent les phénomènes et l’aléa, mais la caractérisation des dommages n’est pas encore un fait acquis pour tous. Je n’ai pas suivi la bibliographie depuis trois ans de façon aussi attentive que je l’avais faite quand j’ai mené ma recherche, mais je crois qu’il n'existe pas encore un outil qui permette de les décrire très précisément. C’est ce qui fait l’intérêt de notre travail.

Ce que nous cherchions à faire, c'était de développer un outil qui permettait d’exprimer la complexité des dommages dus à un événement, afin de pouvoir comparer les conséquences de différents événements et d’analyser ces conséquences en termes qui ne soient pas seulement mécaniques, physiques mais également fonctionnels voire économiques, politiques ou environnementaux.

A qui était destinée cette échelle ? Essentiellement aux responsables de la gestion des risques, beaucoup plus qu’à des gens chargés de l’évaluation de l’aléa. Il fallait qu’elle soit utilisable pendant la crise, lors de la réhabilitation, c'est-à-dire à travers un retour d’expérience, ou dans l’aménagement, a priori. Ce travail a été réalisé dans le cadre d’EPR avec l’INERIS, le LAEGO, qui est un organisme de recherche de l’Ecole des Mines qui se situe en Lorraine, et le laboratoire de psychologie de Metz ainsi que Deschanels consultants. L’analyse a été développée essentiellement à partir des événements qui s’étaient passés en Lorraine sur les effondrements de cavités de mines de fer.

Il a fallu, comme le groupe de recherche était multidisciplinaire, établir des consensus sur des définitions et des concepts. Je n’apprendrai rien à personne ici en disant que le vocabulaire du risque est, malgré tout, assez divers. Du risque industriel au risque naturel, nous n’avons pas les mêmes approches. Nous avons aussi caractérisé les cavités, les événements et les dommages qui leur sont liés. Voulant créer une échelle, il nous a fallu aussi recenser et analyser les travaux existants sur ce thème afin de construire à partir des résultats déjà obtenus.

Nous sommes donc allés chercher tous les types d'échelles qui existaient, nous en avons fait une typologie faisant apparaître cinq types différents. Les plus simples, ce sont les échelles qui concernent les phénomènes ou les événements. Vous en connaissez tous une : c’est l’échelle de Beaufort. Vous avez un vent qui souffle de force 1 à 10 (selon la vitesse du vent). Ce type d’échelle ne nous intéressait pas, car nous ne cherchions pas à décrire un phénomène.

Le deuxième type d’échelle correspond aux échelles événements-dommages, plus modernes, telles que celle de Météo France qui indique un niveau d’évènement en relation avec des dommages possibles (des chutes d’objet en cas de vent violent par exemple), et qui propose une conduite à tenir. Les échelles cycloniques sont un peu du même type.

On trouve ensuite les échelles qui permettent d’évaluer un évènement à partir des dommages qu’il a engendrés. Les échelles sismiques en sont un bon exemple. L’intérêt de ces échelles est qu’elles décrivent les dommages de façon assez standardisée. Elles fournissent des indications du type : votre maison, qui est construite en moellons, est fissurée ; votre maison, qui est construite en moellons, est détruite ; l’intensité de l’évènement est de tel niveau. Nous avons utilisé ces échelles dans le cadre de notre étude. Nous les appelons les échelles typologiques de dommages.

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Lorsque nous avons effectué notre recherche, il n’existait qu’une échelle de dommages globale (c'est-à-dire décrivant un événement avec plusieurs conséquences) celle du MEDAD. Celle-ci utilise deux paramètres, le nombre de morts et les coûts. Sortie à peu près en même temps que notre étude, l’échelle des dommages liés aux risques industriels est très complète, car elle décrit également des dommages à l’environnement et des dommages sociaux.

Ayant fait l’inventaire de ces échelles, nous avons utilisé ce qu’elles pouvaient nous apporter pour décrire la nôtre. Les outils existants ont été réutilisés pour l’évaluation des dommages physiques, mais les outils manquaient pour la description et l’évaluation des dommages fonctionnels, des impacts économiques, sociaux ou politiques. Nous n’avons pas identifié de méthode validée pour décrire ces dommages autres que physiques.

La question a été de savoir comment découper les dommages ou les conséquences d’un événement sur le plan méthodologique. Nous sommes tous tombés d’accord sur le fait qu’il y a d’abord des dommages physiques, humains ou matériels.

Il y a également des dommages aux milieux qui font partie des dommages physiques. Vous pouvez avoir une pollution de nappe, des pollutions de l’eau, etc.

Derrière ces dommages physiques il peut y avoir, mais ce n’est pas systématique, des dommages fonctionnels. Ainsi, lorsque votre maison a été physiquement endommagée, vous avez des dommages à la fonction habitat ; lorsque votre route est coupée ou endommagée, vous avez des dommages à la fonction transport, approvisionnement, communication, etc. Pourquoi n’avez-vous pas toujours de dommages fonctionnels ? Parce que si deux routes conduisent en un seul point, et que seulement l’une des deux est endommagée, le dommage à la fonction « desserte d’une zone » n’existe pas (on peut cependant constater éventuellement une altération de cette fonction, liée à des embouteillages ou à un allongement du temps de trajet).

Le troisième niveau de dommages correspond aux impacts, que les gestionnaires du territoire connaissent en général particulièrement bien. C'est-à-dire que ce sont les conséquences qui sont exprimées selon les trois paramètres du développement durable : environnemental, économique et social. Je ne suis pas sûre qu’il ne faille pas en rajouter d’autres, comme des impacts politiques, qui sont peut-être dans le champ du social ou économique – je laisserai les spécialistes en juger-. Mais je pense que, quelque part, l’impact politique est une chose importante, et il y en a peut-être d’autres qu’il faudrait savoir exprimer.

Pour traduire tous les types de dommage identifiés ci-dessus, nous avons choisi quatre niveaux d’évaluation. Pourquoi quatre ? Afin de ne pas permettre à l’évaluateur d’exprimer un avis « moyen » en choisissant le milieu de l’échelle.

Les dommages faisant l’objet de l’évaluation ont été classifiés ainsi :

• dommages humains ;

• dommages aux biens et aux milieux, exprimés financièrement parce que cela correspond à une réalité d’évaluation pour les assurances et qu’il s’agit d’un chiffre dont on peut disposer ;

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• les dommages fonctionnels, économiques, sociaux, environnementaux et politiques.

L’idée était de ne pas résumer en un chiffre ou en une valeur ou en une évaluation les conséquences d’un événement, mais de le décrire suivant cette présentation-là, de façon à avoir une sorte de profil de l’événement, sachant que l’on peut avoir des choses qui sont très graves sur le plan environnemental mais pas nécessairement sur le plan humain. Et je ne pense pas qu’il faille dire que ce sont des événements graves. Il faut commencer par dire qu’ils sont graves sur un plan ou sur un autre, quitte à dire ensuite : « On les traite avec un même niveau de priorité. ». Mais, au moins, vos interlocuteurs savent pourquoi ils vont s’en préoccuper.

Nous avons testé notre échelle sur des cas concrets dont je vous présente quelques photos à titre d’illustration.

Sur les images de dommages physiques liés à des cavités souterraines, vous observez l’endommagement d’une route, d’une maison, d’un quartier.

L’évaluation des dommages physiques aux personnes et aux milieux a été faite suivant la typologie déjà mise en œuvre dans le domaine sismique, c’est à dire que l’on distingue ce qui est endommagement de la structure et ce qui est endommagement des éléments non structurels d’un bâti. Par analogie avec la notion de structurel et de non structurel, on a retenu pour l’homme, la notion de vital ou de non vital et, pour ce qui concerne les milieux, la notion d’irréversibilité et de réversibilité.

Voici un exemple de dommages aux personnes, avec des dommages qui vont de 1 à 4. Pour le niveau 1, les organes vitaux ne sont pas atteints et il y a des blessures superficielles légères. Pour le niveau 4, les organes vitaux sont touchés de manière irréversible.

Evénement Préjudices humainsPréjudices aux biensPréjudices aux milieux

Types de dommages1

2

3

4

Aucun à négligeable Légers

Légers Modérés à significatifs

Modérés à significatifs Lourds

Très lourds à totaux Totaux

VitauxStructurels

Irréversibles

Non vitauxNon structurels

RéversiblesNiveau

Ce qu’il faut noter dans cet exemple, c’est le principe d’utilisation de l’échelle, étant entendu qu’il sera peut-être intéressant de définir de façon plus précise les dommages pour chaque type de bien. Mais ce sont des échelles qui existent quasiment déjà, au moins dans le domaine du bâti.

Concernant les dommages fonctionnels, je vous présente quelques coupures de presse dans lesquelles on voit bien déjà qu’il y a interprétation. Pour les dommages fonctionnels, on ne trouve pas de description objective et surtout standard de ce type de dommage.

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Ici, on étudie le problème de la Lorraine, qui était particulièrement important, et où il y avait, d’une part, des effondrements en grande masse qui entraînaient des problèmes de logements extrêmement graves et, d’autre part, des problèmes de pollution des eaux.

Pour l’évaluation des dommages fonctionnels, nous avons retenu trois critères. C’est important parce que c’est relativement novateur. Nous avons retenu, ce qui est très classique, l’intensité du dysfonctionnement. Ceci par analogie avec les dommages physiques, c'est-à-dire que le fonctionnement peut être caractérisé, d'altéré à détruit. Nous avons retenu la durée, ce qui est tout à fait classique aussi. Et nous avons également retenu l’importance fonctionnelle ou stratégique, c'est-à-dire que nous avons dit que le fait de couper une autoroute pour un temps donné était peut-être plus grave que le fait de couper une route vicinale pour le même temps, alors qu’elle est endommagée de la même manière. L’intérêt de cette méthode est que cela permet d’avoir éventuellement recours à des évaluations qualitatives. Cela permet de dire si le dommage est de niveau local, régional, national ou plus et de décrire avec des mots simples - puisque l’idée était de mettre autour de la table des gens qui ont des préoccupations de niveaux différents - l’importance d’un événement possible ou avéré.

Quelques indicateurs de l’importance stratégique; cela peut être le nombre de personnes concernées, le périmètre géographique affecté, la représentativité des usagers ou des usages (par exemple, la route qui coupe l’arrivée à la décharge de Marseille ou la route qui coupe l’arrivée à la décharge d’une petite ville, ce n’est pas forcément la même chose), les mesures palliatives (c'est-à-dire est-ce qu’il existe d’autres moyens d’arriver à ce point ou d’autres moyens de desservir un lieu ou de permettre aux gens de rester chez eux).

Les impacts économiques vont suivre, dans leur évaluation, la même démarche. Nous appelons cela des impacts et pas des dommages, car il est assez évident que les conséquences économiques d’un événement peuvent être catastrophiques et parfaitement négatives en un lieu, mais parfaitement positives en un autre lieu. De la même manière, on évalue l’impact économique, social, etc. suivant trois critères : l’intensité de l’impact, sa durée et son importance, qu’on n’appellera pas ici socio-fonctionnelle, mais économique.

Pour illustrer ce qui a été fait, je vous présente un cas qui est celui des affaissements d’Auboué, ville minière affectée par des effondrements d’anciennes mines de fer. Cela a été un événement catastrophique au point que le code minier en a été modifié. C’est dire qu’il s’agit d’un évènement important. Il est intéressant de voir comment un événement qui, financièrement est lourd mais pas considérable, a pris, au niveau national, une importance extrêmement significative. Celle-ci est liée en particulier à la problématique de la déprise minière et à la responsabilité financière des différents acteurs. L’analyse des dommages liés à l’évènement permet sinon d’identifier ce problème directement, du moins de s’interroger et de le faire émerger. C’est tout l’intérêt de cette échelle de dommages de permettre une anticipation dans la gestion de l’évènement.

Dans la diapo suivante, je vous livre simplement les résultats de l’évaluation de l’évènement. Nous avons fabriqué une grille dans laquelle vous trouvez, sur la partie de gauche, la liste des éléments évalués (les personnes, les biens, les ressources), les fonctions (logement, transport, éducation, etc.). Vous trouvez, au

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centre, la description de ces dommages. Les personnes, c’est le nombre de personnes affectées avec leur niveau d’affectation. Vous trouvez, dans les biens, le nombre de maisons touchées avec la description de leur niveau de dommage et leur évaluation financière. Dans les fonctions, vous trouvez le nombre de bâtiments qu’il n’est plus possible d’utiliser. Pour le niveau de dommage de la fonction, on a indiqué que le dommage de la fonction logement était de niveau 3, c'est-à-dire qu’il avait une importance de niveau quasiment national. L’impact économique n’est que de niveau 2, c'est-à-dire que c’est un niveau départemental à régional. Par contre, les conséquences sociales des problèmes liés au logement sont bien montées à un niveau national, et les conséquences politiques également.

Nous arrivons ainsi, en fait, à dresser une liste de ce qui s’est passé et à évaluer globalement quels en sont les impacts, ce qui permet de construire un document qui correspond a une évaluation simplifiée. Ce profil contribue à se rendre compte que les dommages fonctionnels sont significatifs à une échelle nationale ou suprarégionale. Les éléments en orange permettent de voir qu’en termes de dommages aux biens, de dommages fonctionnels, d’impacts sociaux et d’impacts politiques, c’est un événement extrêmement significatif, ce qui n’est pas forcément le cas d’autres événements.

Gérard BRUGNOT

Je remercie Claire Arnal. Je ne vais pas être long pour présenter Philippe Blancher. La recherche qui va vous être présentée s’est poursuivie au-delà du programme EPR. Bien sûr, ce n’est pas forcément toujours le cas, mais là, c’est vraiment le cas. Même si cette recherche avait une dimension plus globale, il est clair que la gestion des TMD en région lyonnaise a constitué l'exemple de référence au niveau français, voire européen. Un petit élément d’information : il n’a pas été facile de rendre compte des éléments les plus récents de cette recherche. En revanche, ils seront, à la demande de Philippe Blancher, intégrés dans les actes.

Autre point que je voulais signaler : vous pouvez aussi, bien sûr, prendre contact directement avec les chercheurs. C’est un peu le sens de cette journée qui est aussi une mise en relation entre décideurs et chercheurs. Vous pouvez aussi prendre contact avec les intervenants sur des points très particuliers qui ne peuvent pas être abordés, bien sûr, dans des communications aussi courtes.

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Les transports de matières dangereuses

Philippe BLANCHER

ASCONIT Consultants Parc Scientifique Tony Garnier - 6-8 Espace Henry Vallée 69366 Lyon Cedex 07 Tél.: 0 4 72 82 35 57 [email protected]

De fait, précisons le propos de Gérard Brugnot : la recherche EPR est terminée depuis mars 2003, mais s’est poursuivie dans le cadre d’une recherche-action pour le compte du PREDIT (Programme national de recherche et d'innovation dans les transports terrestres), qui s’est terminée en février de cette année. J’en parlerai dans mon exposé. Le document de synthèse de cette deuxième recherche n’a pas été mis dans le dossier, mais il pourra être joint aux actes.

La recherche que je vais vous présenter porte sur la pertinence et la faisabilité d’une politique de gestion de risques de transports de matières dangereuses dans des agglomérations à forte concentration industrielle, à l’image de l’agglomération lyonnaise. C’est une recherche que j’ai réalisée dans mon emploi précédent, au sein d’un institut de recherche qui s’appelle Economie et Humanisme, en collaboration avec Bénédicte Vallet. Actuellement, je suis dans un bureau d’études en environnement, ASCONIT, basé à Lyon.

L’origine de cette recherche est la suivante. Nous avions pu observer que, dans le cadre de la mise en place des politiques de gestion des risques majeurs au cours des années quatre-vingts, il y avait eu des réflexions et des travaux importants sur la gestion du risque TMD. Ces travaux ont abouti, en 1987, à la création de la Mission des transports de matières dangereuses.

Suite à des études pionnières, en particulier sur les agglomérations de Lyon et Grenoble et en Seine-Maritime, ainsi qu’au rapport parlementaire du député Carton (1989), la Mission des Transports de Matières Dangereuses a élaboré, en 1991, une Stratégie pour traiter du risque du transport des matières dangereuses au niveau des régions, des départements et des communes.

A la fin des années quatre-vingt dix-début 2000, au moment où nous avons rédigé cette proposition, nous pouvions faire le constat que cette politique avait été mise en œuvre de façon très limitée. L’objectif de la recherche a donc été d’essayer d’analyser cette situation de façon approfondie et d’en comprendre les raisons.

Pour cela, nous avons utilisé, principalement, des outils d’analyse des politiques publiques : la notion de référentiel d’une politique publique, c'est-à-dire les notions structurantes, les normes à la base de la construction du problème de risque et à la base de la construction des solutions à ce problème de risque. Autre outil d’analyse, les réflexions sur les conditions de mise sur agenda, c'est-à-dire de mise à l’ordre du jour d’une problématique. Peuvent jouer : le « flux » des problèmes, un accident industriel par exemple ; le « flux » des solutions, les solutions sont tout autant à la recherche des problèmes que l’inverse, pensons à la recherche

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d’application pour un produit ou un service. On le voit bien sur les problèmes de TMD. Le développement de méthodes d’évaluation des risques, la mise en place de secrétariats permanents pour la prévention des pollutions industrielles sont des solutions qui «se sont saisies» du problème des TMD.

Dernier « flux », celui des politiques : quels sont les événements, au niveau national ou local, qui font qu’à un moment donné, on va se préoccuper de façon forte d’un problème. Si l’on s’est beaucoup occupé des TMD sur l’agglomération lyonnaise, les facteurs politiques ont joué un rôle important, comme on le verra.

Dernière notion, celle de « propriétaire du risque ». Ce risque, ou cette dimension du risque, a-t-il ou non une institution, un organisme qui se l’approprie, en fait son affaire, ou est-il « orphelin ». On a pu montrer que, au niveau local, le risque TMD était généralement orphelin, et que, lorsqu’il a été traité, c’est bien parce qu’un « propriétaire » s’en était emparé de façon volontaire.

J’en viens à l’analyse qui ressort de notre travail mené pour EPR. Si l’on regarde l’accidentologie, on peut considérer que les accidents de transport de matières dangereuses sont une goutte d’eau dans les accidents de la circulation, puisque les TMD représentent 5 % du trafic de marchandises par la route, 1,5 % des accidents corporels de poids-lourds et 8 ‰ des accidents de la circulation routière. En 1997, une année noire, il y a eu 35 tués liés aux transports de matières dangereuses. Ce qu’il faut ajouter, c’est que, parmi tous ces accidents qui sont recensés, il n’y en a qu’un tiers qui implique les matières dangereuses. Donc, si l’on compare à l’accidentologie routière – mais ce n’est peut-être pas la bonne échelle -, c’est un problème mineur. Si on comparait l’accidentologie dans les TMD à celle dans l’industrie, l’évaluation serait moins favorable. Ce qui fait que c’est un problème dont il faut se préoccuper, c’est que c’est un risque majeur avec un potentiel catastrophique important.

Le dernier accident de très grande ampleur, c’est Los Alfaques avec 216 morts, en 1978. L’accident de train Mississauga-Toronto, en 1979, a impliqué plusieurs wagons dont un rempli de chlore, et s’est traduit par l’évacuation de 240 000 personnes menacées par la rupture du wagon de chlore. En France, il y a eu un certain nombre d’accidents, faisant plus de 10 morts. Il faut souligner que les accidents de transport de matières dangereuses, en particulier par fer ou par voie d’eau, causent des dégâts importants pour l’environnement. La commune de Chavanay dans la Loire en a fait la dure expérience en 1990.

Maintenant, regardons comment est géré le risque TMD. La première réglementation française est ancienne et date de la fin du XIXe siècle. Un « Règlement TMD » a été adopté en 1946, et revu de façon importante plus récemment. Mais, cette politique publique est encadrée fortement dans des logiques transnationales. Le niveau européen a très vite joué un rôle important : dès les années cinquante, sous l’égide de l’ONU afin de faciliter les échanges entre l’est et l’ouest ; et, à partir des années 1980-1990, avec la prise en compte accrue du risque technologique majeur, l’acte unique européen et le renforcement du libre échange en Europe. Les réglementations des pays de l’Union ont été harmonisées sur la base de l’extension aux transports intérieurs des règlements ONU, qui, jusque là, ne touchaient que les échanges entre pays.

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Par ailleurs, cette réglementation est très sectorielle. Elle se traduit par des prescriptions extrêmement détaillées et complexes visant avant tout la fiabilité du transport : des limites de vitesse, des règles de conception et d’équipement des véhicules, les conditions d’emballage, la formation et l’habilitation des conducteurs, le management de la sécurité au sein des entreprises de transports, la relation chargeur-transporteur… Sur la base de ces politiques sectorielles à un niveau national et transnational, la logique est de limiter au maximum les interdictions d’un mode ou les interdictions d’itinéraires, avec des dérogations qui peuvent exister mais qui sont limitées dans le temps et dans l’espace.

Je voudrais souligner une chose. Quand je parle d’une politique locale ou régionale des transports de matières dangereuses, je ne parle pas de l’application de ces réglementations nationales et internationales. Je parle de la conception au niveau local ou régional d’une approche spécifique des TMD, prenant en compte les caractéristiques du territoire concerné, et prise en charge par les acteurs locaux, en particulier les collectivités territoriales.

A travers la recherche EPR, nous avons pu vérifier le fait que la Stratégie pour traiter du risque du transport des matières dangereuses au niveau des régions, des départements et des communes n’avait connu qu’une application très limitée. Elle s’était traduite par une action significative et continue sur un seul site, l’agglomération lyonnaise, grâce à l’action du groupe TMD du SPIRAL (Secrétariat Permanent pour la Prévention des Pollutions Industrielles et des Risques dans l’Agglomération Lyonnaise), bien représenté dans cette réunion. Et ceci, du fait d’une forte implication du Grand Lyon, au niveau politique et au niveau des techniciens, de la DRE et de la DRIRE et de l’ensemble des professionnels. Par contre, des actions ponctuelles avaient été menées dans quelques agglomérations comme Strasbourg, Toulouse, ou en PACA, mais sans suite. De plus, nous avons analysé l’incapacité à enclencher une démarche sur Dunkerque, alors que c’est un site très innovant dans la gestion des risques industriels, en général.

J’en viens au facteur explicatif de cette situation mis en avant par la recherche.

A notre sens, la gestion des risques TMD au niveau des territoires a été prise entre deux référentiels, deux logiques :

• La logique de la libre circulation des marchandises qui, comme je l’ai précisé, amène à ce qu’on limite au maximum les interdictions de circuler. Sa traduction en termes de gestion des risques, c’est la fiabilité du transport. C'est-à-dire qu’il faut qu’il n’y ait pas d’accident qui survienne, qu’il faut que, d’une certaine manière, le territoire disparaisse avec ses spécificités, n’ait pas d’influence pour que les véhicules puissent circuler.

• A l’opposé de ce référentiel, il y a le référentiel de la prise en compte des risques majeurs qui postule, au contraire, que, quel que soit le niveau de fiabilité, il va être pris en défaut. Il oblige à modéliser l’accident, même de faible probabilité, à évaluer son impact et à chercher à le réduire. De ce fait, le territoire réapparaît et les acteurs du territoire réapparaissent. Mais ce référentiel n’est pas le référentiel majeur et a plus de mal à s’imposer.

Cette dissymétrie dans les deux approches, les difficultés d’une action locale et le fait que le risque TMD n’a pas au niveau local de propriétaire désigné, sauf lorsque,

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comme à Lyon, une collectivité s’en saisi, rendent difficile une politique locale et régionale de gestion du risque TMD.

Lorsque la recherche EPR s’est terminée, nous avons eu la possibilité de poursuivre nos travaux avec un financement du Groupe « Nouvelles connaissances pour la sécurité » du PREDIT, programme de recherche du ministère des Transports et du ministère de la Recherche. Le comité scientifique de ce groupe était présidé par Claude Gilbert, un chercheur sensible aux TMD et présent à cette réunion.

Il s’est agi de produire un état des lieux de la gestion concertée des TMD au niveau régional et local, et de voir quelles réponses apporter aux différents problèmes. Nous avons bénéficié, si l’on peut dire, des suites de la catastrophe de Toulouse. En effet, ce problème n’était pratiquement plus abordé au niveau local, et il est redevenu d’actualité dans un certain nombre d’agglomérations. Ceci s’est traduit par de nouvelles initiatives que nous avons pu intégrer dans notre démarche.

Dans cette recherche, qui est vraiment la suite directe de la recherche EPR, nous avons fonctionné en ateliers. Ont été invités à y participer des personnes et organismes impliqués dans des démarches locales, ainsi que des organismes nationaux associés à ces démarches. En concertation avec un groupe de travail, nous avons mené des investigations complémentaires. Les réunions regroupaient entre 20 et 40 personnes, toutes impliquées sur cette question.

Ont été associés des organismes de recherche, des consultants, des collectivités, des administrations de l’Etat et aussi des associations spécialisées, comme l’Institut des Risques Majeurs de Grenoble, représenté dans ce Colloque, qui a beaucoup apporté à la réflexion, en particulier sur la gestion de crise. Cinq régions ont été impliquées : Rhône-Alpes et PACA, très fortement ; la Picardie et le Nord-Pas-de-Calais à travers des organismes scientifiques et techniques (CETE Nord Picardie) ; la Baie de Seine ; l’Ile-de-France, avec, en particulier, la Mission des matières dangereuses et la DRE.

Le résultat, c’est un document de 67 pages qui définit, sur 8 thèmes, la problématique, les démarches et méthodes qui ont pu être développées, et les enseignements qu’on peut en tirer en termes de préconisations. Dans une deuxième partie, 19 fiches, qui peuvent aller jusqu’à une douzaine de pages, présentent les démarches et méthodes considérées comme des références sur les différents thèmes. Ces thèmes sont : la connaissance et l’évaluation des flux, l’évaluation du risque, les choix d’itinéraires, la prise en compte des TMD dans l’aménagement et la gestion des territoires, la préparation et la gestion des accidents, l’information et, plus globalement, les modalités de mise en place de démarches au niveau d’un territoire.

Je vais développer quelques points, dans les cinq minutes qui me restent, pour illustrer ce travail.

La première difficulté, quand on veut traiter les TMD, c’est la connaissance et l’évaluation des flux. Nous avons donc développé un certain nombre d’enseignements qui, pris comme ça, peuvent paraître des évidences, mais qui, en pratique, ne le sont pas tant que ça, et peuvent mettre en évidence des erreurs dans lesquelles tombent les collectivités qui veulent traiter cette question.

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La première, c’est d’ajuster les objectifs et les moyens à l’usage et aux actions que l’on pense pouvoir mettre en œuvre. Beaucoup de collectivités, faute d’informations sur les flux ou parce qu’elles se sont engagées dans des études extrêmement lourdes, n’agissent pas. Au bout du compte, ces dernières ont des études très complètes, mais très peu de conclusions pratiques qui se déduisent de ces études.

L’autre point, c’est d’enquêter à la bonne échelle, auprès des bons interlocuteurs avec des techniques adaptées. Les flux de matières dangereuses au niveau d’un territoire ne sont pas tous structurés par des logiques à l’échelle de ce territoire. Certains le sont à des échelles régionales (la distribution de carburants), d’autres internationales (l’approvisionnement en matières premières chimiques). Il est donc souhaitable que les enquêtes soient menées à l’échelle où les flux se structurent. Aussi, le groupe de travail a insisté sur le fait que les approches locales doivent pouvoir se développer sur la base d’un ensemble de données produites à un niveau national et régional.

Ensuite, on peut utiliser des techniques d’enquête classiques dans les transports en général, comme l’enquête dite cordon aux entrées d’une agglomération, et des techniques plus spécifiques aux matières dangereuses, avec, pour celles-ci, une question importante, le recensement des interdictions de circuler. Dans un certaines d’agglomérations, il y a des tas d’interdictions et personne ne les connaît bien. Cela pose de nombreux problèmes pour les transporteurs.

Des efforts importants sur la connaissance et l’information sont réalisés en PACA, avec différentes composantes : un travail du CETE pour synthétiser l’information ; une initiative du représentant de la zone de défense pour faire en sorte qu’il y ait échanges d’informations entre ceux qui s’intéressent à la prévention et ceux qui s’intéressent à la gestion des crises ; le travail d’une association, le Cyprès, qui, à travers son site Internet, met à disposition des collectivités, des transporteurs et, plus généralement, du public, l’information produite.

Pour l’évaluation des risques, c’est la même chose : il est nécessaire de choisir les méthodes adaptées aux objectifs et aux moyens, parce qu’il y a des méthodes extrêmement lourdes qui permettent de bien modéliser le risque, mais qui demandent des moyens qui peuvent se révéler disproportionnés. Il est très important, dans le cadre d’une démarche territoriale, de concevoir ces outils comme une aide à la réflexion collective et à la décision. Ces outils doivent permettre aux acteurs locaux d’échanger, de décider ensemble, ce qui permet de recueillir l’information la plus pertinente et d’avoir la meilleure appropriation de cette information. Toutefois, il est nécessaire de concilier l’adaptation au contexte local et un souci d’harmonisation des méthodes et des résultats au niveau national.

Une grande part du travail réalisé sur l’agglomération lyonnaise dans le groupe TMD du SPIRAL s'est faite à travers des échanges entre les acteurs, les professionnels, pour analyser ensemble les problèmes et trouver ensemble les solutions, parfois sur des bases de connaissances des flux et du risque relativement limitées. Le savoir pratique des acteurs a dominé.

Après, on a des approches multicritères qui débouchent sur des déterminations d’indices de risque, telles que la méthode ARAMIS. Au niveau de la recherche, l’Université de Caen Basse-Normandie a présenté des méthodes d’analyse spatiale

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qu’elle applique, aujourd'hui, au risque des installations fixes, mais qui pourraient être adaptées au transport de matières dangereuses.

Après, il y a les méthodes d’analyse quantitative des risques, les approches probabilistes. Mentionnons, en particulier, la méthode EQR (évaluation quantitative des risques), développée par l’INERIS et utilisée dans le cadre de la réglementation sur les tunnels. Une étude réalisée sur le boulevard urbain sud à Lyon par l’IPSN relève du même type d’approche; elle avait été complétée par l’identification de cibles stratégiques, d’éléments importants pour le fonctionnement du territoire, comme les hôpitaux ou les services d’eau.

Mentionnons enfin une étude très intéressante, conduite en région Ile-de-France. En petite couronne de Paris, il y a une pression importante des collectivités qui accueillent des dépôts d’hydrocarbures pour que ceux-ci soient fermés. L’étude avait pour objectif de montrer quel était l’effet de la fermeture de ces dépôts en termes de sécurité d’approvisionnement, de flux TMD et de risque résultant.

Enfin, il y a l’approche GLOBAL, en cours de développement par l’INERIS. Elle a pour but d’avoir une évaluation homogène des risques sur toute la chaîne logistique, et ainsi de pouvoir comparer les options pour éviter qu’il y ait un phénomène, déjà constaté, de report du risque des installations fixes vers le transport de matières dangereuses , la réglementation sur les installations fixes étant plus sévère. Sur le transport de matières dangereuses, ce n’est pas qu’elle ne soit pas sévère, mais il y a des aspects qui sont moins bien pris en compte.

Pour l’élaboration du plan de circulation (détermination d’itinéraires pour le contournement de l’agglomération et pour la desserte interne), mentionnons le travail réalisé sur l’agglomération lyonnaise, au cours duquel ont été impliqués :

• Les chauffeurs qui ont une expérience précieuse des itinéraires pour lesquels la conduite est contraignante et/ou périlleuse, et ceux pour lesquels elle est plus adaptée.

• Mais aussi les services de police qui vont appliquer les interdictions, et qui étaient là pour vérifier que ces interdictions pourraient être appliquées ;

• Les services de secours qui vont intervenir sur les accidents, etc.

Concernant, la prise en compte des TMD dans l’aménagement et la gestion des territoires, l’étude menée sur la Loire par la DDE avec l’Ecole des Mines de Saint-Etienne est très intéressante, en espérant qu’elle aura des suites. Elle avait pour objectif, dans un délai relativement court - un stage de six mois -, de pouvoir évaluer globalement le risque sur les infrastructures routières du département.

Concernant la gestion de crise, des dispositions spécifiques ORSEC concernant les TMD doivent être prises au niveau départemental, mais il est important que le risque TMD soit aussi abordé dans les plans communaux de sauvegarde (PCS). Au niveau communal, le PCS est un moment fort pour intégrer les TMD, mais c’est aberrant de demander à une commune de connaître son risque, d’aller chercher à connaitre les flux. Si c’est une commune qui est au bord d’une autoroute et qui n’a pas d’industrie - elle est simplement traversée -, il lui faudrait faire un effort considérable pour connaître le risque. Donc, une des préconisations de notre travail, c’est que c’est au niveau du département qu’il faut produire et mettre en

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forme la connaissance, pour qu’ensuite les communes puissent construire leur PCS, ou réfléchir sur leur aménagement du territoire en ayant ces données sur le risque TMD.

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Echanges avec la salle

Gérard BRUGNOT

Je déclare ouverte la première séance de questions. Je vous demande, à la fois pour l’enregistrement et par courtoisie pour les autres participants, de vous nommer avant de poser votre question. Vous pouvez poser des questions soit sur l'un des deux exposés, soit sur les deux.

Xavier DE FÜRST, Préfet du Rhône, délégué à la sécurité et à la défense

Je voulais poser une question concernant les transports de matières dangereuses, ou plus exactement deux questions. Vous avez fait une approche assez normative du problème en comparant le nombre d’accidents TMD par rapport au nombre d’accidents, les règles qui sont mises en place, etc. Je vous en remercie parce que c’est un point important pour nous, décideurs de terrain, de connaître la nature du risque.

D’une part, votre approche est essentiellement routière. Est-ce qu’il est envisagé de faire le même travail sur les approches ferroviaires, ce qui pose un problème majeur ? En effet, vous savez que le problème est double : d’une part, dans la composition des trains, la compatibilité de deux wagons qui se suivent et, d’autre part, dans le stationnement des trains sur les gares de triage. Pour Lyon, nous avons la gare de triage de Sibelin juste en face de Feyzin, avec une cinquantaine de voies parallèles et une gestion extrêmement difficile des trains qui stationnent côte à côte, avec des produits qui peuvent être incompatibles.

Ensuite, nous avons aussi des transports de matières dangereuses qui, si j’ose dire, ne sont pas labellisées ou ne sont pas signalisées. Je pense notamment à tous ces camions de moyen tonnage qui transportent de la «quincaillerie», dans lesquels nous avons tous les ingrédients pour faire une catastrophe, mais en quantité un peu réduite. C'est-à-dire qu’il n’y a pas de classification pour ces camions, qu’ils ne sont même pas classés en « transport de matières dangereuses » et qu’ils circulent absolument normalement. Or, pour nous, il est certes important de connaître les règles qui sont des règles de prévention ou de prévision, mais lorsque l’incident ou l’accident se produit, il est indispensable d’en connaître le plus rapidement possible les conséquences et, si possible, les possibilités d’action des moyens de secours. Parce que, dans certains cas, nos moyens de secours ne pourraient pas agir. Notamment dans des tunnels ou des lieux de ce type, certains produits empêchent les moyens d’action. Donc, je voulais savoir si vous aviez l’intention, ou si quelqu’un avait l’intention, de poursuivre la réflexion que vous avez entamée - dont, une fois encore, je vous remercie - vers ce domaine qui est plus pragmatique, peut-être, mais qui, pour nous, est extrêmement important.

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Philippe BLANCHER

Je crois que le côté normatif est peut-être accru par le caractère très limité et très contraint de la présentation en une vingtaine de transparents, parce que, par ailleurs, le travail comporte un certain nombre d’aspects beaucoup plus descriptifs des phénomènes.

Concernant le transport ferroviaire, il était inclus dans le projet initial. En pratique, on a eu du mal à bien le traiter. Il est traité en partie, mais moins systématiquement que le routier. Mais il y a quand même un certain nombre de choses, dans notre travail, qui concernent le fer. Par ailleurs, j’ai eu l’occasion d’être dans le jury d'un travail de fin d'étude (TFE) réalisé à l'Ecole Nationale des Travaux Publics de l'Etat (ENTPE) très récemment, au mois de juin; il portait spécifiquement sur le fer, et comprenait la problématique de la gare de Sibelin. De fait, le fer peut réduire le risque, mais il y a des situations liées au fer qui sont délicates en matière de risque. C’est donc quelque chose de tout à fait important.

Pour les transports qui ne sont pas labellisés « matières dangereuses », qui ne rentrent donc pas dans la réglementation, c’est un vrai problème, et en particulier tout ce qui est transports diffus. Simplement, on peut constater que, dans les lieux où il y a eu une réflexion qui s’est mise en place sur les transports entrant dans la réglementation, comme à Lyon, la structure qui porte cette démarche (SPPPI ou autre) s’intéresse aussi à cette question. Elle est la mieux placée pour réfléchir de façon pragmatique et précise, sur les territoires concernés et sur les choses qui pourraient être faites par rapport à cette question.

Plus généralement, par rapport aux suites de la démarche, comme vous l’avez vu, la Mission des transports de matières dangereuses a été associée. La dernière réunion du groupe de travail s’est faite au ministère. Il y a une demande très forte des acteurs qui ont participé à cette démarche pour que la mission pérennise la réflexion qui a été menée de façon expérimentale dans cette recherche-action. Je tiens les rapports complets à la disposition de tout le monde.

Yves LE BARS, Vice-président de l’AFPCN

Je voudrais poser une première question sur les risques naturels et l’évaluation des dommages. Je vois bien, en particulier dans les conclusions du texte, le pourquoi de cette approche, mais, en même temps, je me demande si l’on peut avoir un outil général qui puisse s’adapter à toutes les situations. S’agit-il, au final, d’orienter le choix de l’Etat sur le lancement de la procédure de catastrophe naturelle ? On voit que c’est important pour une société de nommer les choses, c’est biblique. D’une certaine manière, cela facilite le fonctionnement social et l’échange. Malgré tout, je trouve que l'objectif de cette grille mériterait d’être caractérisé de manière un peu plus forte. Je m’interroge aussi sur la question de savoir s’il ne faudrait pas introduire la répercussion médiatique. Pour moi, il y a trois niveaux de catastrophe. Il y a la catastrophe CNN, la catastrophe TF1 et la catastrophe France 3. Et il y a le quatrième niveau où aucun de ceux-là ne se déplacent. Ça, c’est une première question à Claire Arnal.

L’autre question porte sur les transports de matières dangereuses. Pourquoi n’avez-vous pas pris en compte, jamais cité, jamais évoqué, la question du transport des matières radioactives ? Je fais là référence à une de mes

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responsabilités antérieures. Il y a trois hypothèses. La première, c’est : «introduire le radioactif dans une étude, Ouh la la !! On va avoir Greenpeace… ». Il y en a une deuxième : « Non, c’est interdit. Tout ça, c’est du secret défense, on n’en parle pas », ou alors on suppose que c’est du secret défense, on suppose que c’est interdit et donc, on n’en parle pas. Et puis, il y a la troisième, qui n’est pas la moins réaliste, c’est que vous pouvez considérer que c’est beaucoup moins dangereux de transporter des matières nucléaires, radioactives que de transporter du chlore. Donc, il vaut mieux ne pas trop mélanger les sujets. Les matières radioactives sont très contrôlées par rapport aux matières industrielles. Il ne faut surtout pas créer de confusion, il ne faudrait pas mélanger les mesures appliquées aux unes et aux autres.

Claire ARNAL

On va le faire dans l’ordre de la présentation. D'abord la question de savoir si le fait de valider est encore plus biblique, plus universel. L’idée était justement de ne pas décrire les choses pour Pierre, Paul, Jacques, à une échelle qui soit celle de l’industriel ou celle de la commune ou celle de la Région ou celle de l’Etat, mais c’était, au contraire, de disposer de moyens de description qui s’appliquaient aux uns comme aux autres, sachant qu’après, chacun voit à l’aune de ses préoccupations. Je reprends un exemple. Quand on dit que le dommage fonctionnel est à l’échelle communale, cela veut implicitement dire qu’on ne va peut-être pas s’en préoccuper à un niveau central mais que, au niveau du Conseil Général ou au niveau de la commune, il va falloir prendre les choses en main. C’est une évaluation « robuste ». Rien n’empêche d’aller plus loin dans le détail. Mais l’idée, c’était d’avoir les moyens d’inscrire un événement relativement par rapport à d’autres.

Pour ce qui concerne le médiatique, vous mettez le doigt sur ce qui a été une discussion assez longue chez nous, et sur laquelle nous avons tranché, mais tout est ouvert. L’idée, c’était que le médiatique n’est pas un dommage, mais que le médiatique est un indicateur de dommage. On n’a pas beaucoup travaillé sur les indicateurs parce que je pense que cela nécessiterait beaucoup de retours d’expérience, beaucoup d’analyses. Mais je pense que le fait que ce soit relayé par TF1, France 3 ou je ne sais pas qui, montre quand même qu’il s’agit d’un événement pas forcément économique, mais éventuellement social, d’où le côté représentativité des acteurs, on y revient. Dit autrement, quand c’est le Président du Conseil Régional qui est affecté, ce n’est pas forcément la même chose que quand c'est la ménagère de plus de 50 ans. Nous, nous avons tranché en disant que c’était des indicateurs. Mais cela peut être rediscuté.

Philippe BLANCHER

Concernant le nucléaire, de fait, la question s’est posée. Il faut distinguer dans le nucléaire ce qui concerne la défense et la filière énergétique, et c'est sur ces matières que porte votre question. Et puis, il y a les matières nucléaires utilisées par les laboratoires et autres, qui rentrent complètement dans la démarche présentée.

Pour ce qui concerne la filière énergétique et la défense, ce n’est pas parce qu’il y a un moindre danger ou par peur de Greenpeace, que nous n’avons pas abordé

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cette question. Mais il nous a semblé, dès le départ, que la gestion de ces matières ne relevait pas du tout du même type d’approche, dans la mesure où la gestion des convois est relativement centralisée, encadrée, gérée par les pouvoirs publics, et où on n’est pas du tout dans la même situation que quand on est sur les autres matières. Il nous a semblé qu’en incluant de façon systématique la question du nucléaire, on rentrait dans une autre logique, qu’on complexifiait notre démarche. Donc, on ne l’a pas traitée de façon systématique. Ce qui n’empêche que la problématique du nucléaire est revenue à différentes occasions.

Par exemple, les services de secours, s’ils s’organisent, prendront en compte les matières nucléaires. D’autre part, une des raisons avancée pour expliquer qu’il y avait eu des difficultés à mener une démarche sur Dunkerque, c’est qu'à Dunkerque, on a la centrale de Gravelines et des chargements qui partent vers Sellafield en Angleterre. Donc, il y avait une opposition entre les représentants écologiques qui souhaitaient que l’approche des TMD intègre aussi les matières nucléaires, et les représentants de l’Etat, qui souhaitaient que la démarche ne traite pas de cette question. C’est à notre sens un des éléments, mais pas le seul.

Paul LOUIS, ANCMRTM

Je représente l’association nationale des communes pour la maîtrise du risque technologique majeur. Mon intervention vise plutôt à vous donner une information sur un risque qui concerne le transport des matières dangereuses par canalisation enterrée, dont on parle relativement peu, pour ne pas dire pas du tout. Notre association tiendra, dans le cadre du Congrès des maires à Paris, une conférence-débat sur ce sujet avec des représentants du ministère de l’Industrie, des Finances, un avocat, des représentants des grands groupes tels que Total et GDF, les canalisateurs de France et la FNTP. Cette conférence-débat se tiendra le mardi 20 novembre de 8 heures 30 et 12 heures.

Un intervenant, non identifié

Je voudrais intervenir en réponse à ce qu’a dit Monsieur le Préfet. Je suis Président des élus pour la politique de transport dans la vallée du Rhône. Nous avons réfléchi pendant pratiquement cinq ans avant le grand débat public sur la politique des transports et nous avons ressenti vraiment une insuffisance globale de l’administration, mais aussi des technologues, sur ces sujets. Je voudrais quand même dire que j’ai entendu des choses qui m’ont assez surpris sur la sectorisation géographique de la prise en compte des conséquences des risques. Il se trouve que je suis un ancien chef de service de la DATAR et que je ne suis pas simplement maire. Je dois dire que je suis stupéfait que l’on fasse une analyse probabiliste alors que, face à beaucoup de dangers, il faut faire des analyses déterministes. Je ne sais pas si, autour de la table, dans cette salle, beaucoup se sont posé la question de savoir si c’est le débat majeur en termes d’évaluation des risques.

Ensuite, je suis très surpris que l’on oppose les plans de risques dans les agglomérations et dans les zones rurales. Pourquoi ? Je suis maire d’une commune assez importante de la vallée du Rhône, dans la Drôme, et nous avons, en période de pointe, quasiment autant d’habitants que dans la ville de Villeurbanne. Sur un rayon de 10 kilomètres sur la Nationale 7, nous avons à faire

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face à des dangers véhiculés par une dizaine de vecteurs tels que le pipe-line qu’évoquait mon prédécesseur, mais aussi les lignes à haute tension. J’étais membre du Conseil d'administration d’EDF et, un jour, on s’est posé la question du terrorisme. Un pylône d’angle de 400 000 volts avec une petite charge ou un camion qui tombe dessus, la ligne se couche sur l’autoroute A7. Je vais faire le scénario catastrophe maximum : vous avez un camion de chlore qui est suivi par un camion qui transporte des déchets radioactifs… Mais pourquoi pas ? Cela existe ! Vous plaisantez, mais enfin ! J’ai connu l’enquête sur Tchernobyl de près et dans les détails. On rigole avant, on dit : « Ce type-là, il est un peu farfelu. », et puis, après, tous nos grands politiques nous disent : « Heureusement qu’on avait les frontières pour nous protéger du nuage… ».

Placés dans une zone géographique où l’on a connu l’accident ferroviaire de la Voulte, et plus récemment l’accident sur l’autoroute à Livron, je peux vous dire que nous, élus, sommes soumis à une réelle pression et que la réponse qui consiste à dire que quand le problème est communal ou que l’incident est cantonal, cela doit faire l’objet d’un plan départemental, cela nous hérisse le poil. Pourquoi ? Parce que nous n’avons ni les moyens en termes de prévention, ni les moyens en mobilisation de personnel, ni les moyens financiers et que cette affaire est au minimum une affaire d’Etat. Et je dirais que lorsqu’on est entre Valence et Orange, là où il peut y avoir en pointe, sur l’autoroute, jusqu’à 300-350 000 personnes par jour, vous voyez ce qu’un incident peut donner.

Donc, je dis à Monsieur le Préfet qu’il ne faut pas regarder simplement les grandes agglomérations, et tous les vecteurs de transport pris séparément, mais il faut voir comment ils se conjuguent. Et je crois – je le dis de mémoire et je termine par cela – que c’est jusqu’à 300 ou 400 convois de matières dangereuses qui passent tous les jours entre la Nationale 7 et l’autoroute A7. Et quand vous êtes dans des goulets d’étranglement, lorsque les contreforts du Massif Central viennent «retrouver» ceux des Préalpes, on est face à de tels problèmes que la population locale et la population de passage ont droit à des mesures de prévention, à des égards et à des investissements plus importants que ce qui est fait aujourd'hui.

Gérard BRUGNOT

Cette communication sera, bien sûr, enregistrée, mais je ne pense pas qu’il y ait de réponse possible.

Philippe BLANCHER

Je pense que la question est liée à une incompréhension de ce qui a été présenté. Sur le déterminisme et le probabilisme, il n’y a pas de proposition normative pour l’un ou pour l’autre. Il faut lire les documents. Concernant les échelles d’action, on ne dit pas du tout qu’il ne faut rien faire sur les communes rurales. On dit à quel niveau doit s’organiser quel type d’action. Par exemple, sur la collecte et l’organisation de l’information sur les flux, on insiste sur le niveau régional. Pour le plan communal de sauvegarde, on insiste sur une démarche départementale qui vient en appui des maires au niveau communal. Et si l’on met en valeur les grandes agglomérations urbaines ayant une industrie importante, c’est parce qu’on pense que, dans ces agglomérations, les élus feront l’effort de s’engager dans une démarche de ce type-là. On ne peut pas demander à toutes les communes de

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France, quels que soient leur taille, le tissu industriel et les flux de circulation, de mener complètement ce type de réflexion. Mais on insiste sur le fait qu’un PDU (Plan de Déplacements Urbains) peut être le moment de se poser ces questions. Donc, il n’y a pas d’opposition.

Robert MERIAUDEAU, Maire de Brégnier-Cordon (Ain)

La moitié de ma commune est submersible par les crues. J’ai appris avec plaisir de la bouche de Monsieur Blancher que j’étais propriétaire d’un risque. C’est au nom de la propriété de ce risque que je m’adresse à Madame Arnal. Avez-vous pris en compte de manière positive les dommages qui pourraient survenir dans ma commune, puisque ces dommages-là protègent le Grand Lyon d’autres dommages ? 100 000 mètres cubes d’écrêtement de la crue du Rhône lors d’une grosse crue rien que pour le territoire de ma commune. Je ne demande pas des réponses à Monsieur le Préfet, mais je souhaite relancer une idée que j’ai déjà lancée à plusieurs reprises. Comment voulez-vous qu’un maire soit un saint laïque, un ayatollah de l’application de la loi – dites-le comme vous voudrez – pour protéger la plaine inondable contre les remblaiements abusifs ? Si sa commune n’y a pas le moindre intérêt, elle doit, depuis 1858, rester submersible. Nous le faisons, mais il faut beaucoup de sainteté pour faire appliquer cette loi. Si l’Etat, benoitement, augmentait un peu la dotation globale de fonctionnement des communes submersibles, je pense que les maires seraient un peu plus enclins à la sainteté.

Gérard BRUGNOT

Vous faites la transition parfaite pour le sujet qui suit. Sauf si, vraiment, Claire Arnal veut absolument s’exprimer, je propose qu’on aborde les trois communications relatives au Rhône. Ensuite, on reprendra vos questions.

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Gérard BRUGNOT

La communication de Bernard Picon inaugure une série de trois exposés sur le Rhône. La question s'est posée de savoir si l’on allait de l’amont vers l’aval ou de l’aval vers l’amont. Finalement, c'est un système assez hybride qui a été retenu. Nous allons débuter par une présentation un peu générale correspondant à une action du programme « évaluation et prise en compte des risques », qui sera complétée par deux autres communications, l’une, de Jean-Pierre Jordan, portant sur le Rhône amont et l'autre, de Jean-Paul Bravard, portant sur la zone de Miribel-Jonage.

Un point important avant de laisser la parole à Bernard Picon. Celui-ci va, en réalité, faire deux communications. Une première qui rend compte de son travail dans le programme EPR, dont vous avez le résumé, et qui, étant l'une des deux communications nominées à l’issue du programme, a fait l'objet d'un livre. Ensuite, il lui a été demandé de faire part de son expérience personnelle de scientifique au contact avec les décideurs, en tant que Président du Conseil scientifique du plan Rhône.

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Les inondations du Rhône aval et le Plan Rhône

Histoire du Rhône – Le plan Rhône

Bernard PICON

UMR 6012 ESPACE Equipe DESMID 1 rue Parmentier, 13 200 Arles Tél : 04 90 93 86 66 [email protected]

Dans ce cadre particulier des inondations du Rhône aval, où la recherche est amenée à essayer d’aider à la décision, je voudrais souligner qu’au fond, ce cas n’a d’intérêt que dans sa généralisation possible. On évoque souvent les catastrophes sur le plan technique ou sur le plan du fonctionnement de la nature, mais Il y a aussi, dans le passé, parfois récent, qui précède une catastrophe, des explications et des causes sociales, économiques voire même idéologiques et symboliques qui méritent analyse et qui sont pourtant négligées.

Je pense que les décideurs ont à réactualiser périodiquement les normes de gestion, par exemple celles concernant le problème des inondations, normes de gestion très souvent héritées du passé, et qui ne sont jamais revisitées tant qu’une nouvelle catastrophe ne se produit pas. C’est malheureusement suite à des catastrophes que l’on réactualise des normes pour les rendre plus performantes. Effectivement, il y a des périodes de retour qui sont si longues qu’on «oublie le risque», selon le terme consacré. On néglige alors de réactualiser les règles de gestion, de réactualiser les regards symboliques portés sur les lieux, d’adapter les réglementations au changement social contemporain.

On lit souvent que toute catastrophe déclenche une crise. Dans ce programme EPR, j’ai essayé de démontrer qu’il y a, avant la catastrophe, une crise latente et non révélée justement faute de catastrophe. Et c’est cette crise latente et non révélée, parfois longue, qui devient un facteur aggravant du risque, lequel risque se traduit évidemment par une catastrophe qui débouche sur ce que j’appelle la crise révélée. Il y a donc toujours, avant une crise, avant la catastrophe qu’elle engendre, ce que j’appelle une crise latente, mais invisible. Examinons de quoi elle se nourrit.

La carte du delta du Rhône montre les digues « insubmersibles » du Rhône et la digue à la mer édifiées en 1869 et 1859. Cette carte révèle, en fait, les causes profondes des catastrophes de 1993-1994 puis de 2003. Napoléon III, après l’inondation de 1856, avait écrit, à propos de la gestion des fleuves, dans sa célèbre lettre de Plombières, que des digues supposées insubmersibles provoqueraient des catastrophes considérables le jour où elles rompraient. Napoléon III pensait qu’il fallait faire des déversoirs en amont des villes, ainsi que des barrages en amont, dans les montagnes, de façon à ce que le flux arrive

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lentement. Il ne croyait pas aux digues insubmersibles. Or, en 1869, on fait quand même des digues insubmersibles en Camargue. Pourquoi ? Parce qu’on rentre dans le conflit habituel entre la rationalité scientifique et la rentabilité économique. En 1869 en effet, la Camargue est en train de devenir une sorte de colonie agricole hexagonale, c'est-à-dire que de très gros investissements, sur la base de très grandes propriétés, sont en train de développer une agriculture sur un mode industriel. Il était hors de question que ces investissements économiques soient remis en cause tous les dix ans par une possible inondation. Donc, la puissance économique locale finit par imposer ses vues sous forme de digues insubmersibles. Cette victoire de la puissance économique sur les politiques publiques est déjà un facteur aggravant du risque et on va vivre 150 ans avec ce système associé à des normes de gestion censitaires: toute personne payant plus de 50 francs or d’impôt foncier avait droit à une voix dans la gestion des digues et autant de voix qu’il payait 50 francs or, et ceux qui ne payaient pas 50 francs or n'avaient aucune voix dans la gestion des digues. Le système de la grande propriété protège l’ensemble du delta, système jugé normal à l’époque, où les seuls investissements sont agricoles sur la base de la grande propriété.

Par ailleurs, la première digue édifiée après l’inondation catastrophique de 1856, ce n’est pas la digue du Rhône, c’est la digue à la mer. On peut trouver bizarre de faire une digue à la mer quand c’est le fleuve qui déborde. En voila la raison : les terres de Camargue souffrent d’un mal important qui est la salinité des sols (nappes phréatiques salées, déficit hydrique, salinisation des sols de surface) et c’est pour cela qu’il a fallu mettre, à cette époque-là, un immense système d’irrigation par pompage des eaux douces du Rhône et de drainage, (que j’ai qualifié de système socio-hydraulique) pour mettre en valeur ce delta. Un ingénieur des ponts et chaussées, monsieur de Gabriac pensait que si la Camargue était salée, c’était parce que la mer la recouvrait régulièrement et qu’il suffisait donc de faire une digue à la mer pour éviter ces entrées maritimes. Il pensait que l’inondation de 1856 était une chance formidable. Elle avait dessalé les sols et une digue à la mer devait les protéger. C’était encore une mauvaise bonne solution puisque l’eau de la mer pénètre par le sous-sol et que ce sont les nappes qui, par évaporation, salinisent les sols. Mais on venait de fabriquer une forteresse agricole dans le delta du Rhône, et les normes de gestion étaient confiées à la grande propriété.

Le troisième facteur aggravant du risque apparait avec la carte du « Parc naturel régional de Camargue », qui ne montre que l’intérieur de l’île de Camargue. Or, la Camargue, sur le plan géomorphologique et hydraulique, c’est aussi la rive droite et la rive gauche du Grand Rhône et la rive droite et la rive gauche du Petit Rhône. On ne montre sur cette carte que les digues de la rive gauche du Petit Rhône et de la rive droite du Grand Rhône. Pourquoi ? Parce que, au fur et à mesure qu’on colonise cette Camargue, il se passe un mouvement, très important sur le plan symbolique, celui de la désignation de la seule île de Camargue comme espace naturel emblématique, qualifié de « dernier espace naturel intact de toute la côte méditerranéenne française. » On oublie donc qu’elle est plus vaste, et qu’elle est complètement colonisée par l’agriculture et l’industrie salinière. En réalité, depuis son endiguement général, elle doit ses caractéristiques de plus grande zone humide d’Europe aux 400 millions de mètres cubes d’eau douce pompés au Rhône chaque année pour y développer l’agriculture. On a bloqué l’inondation naturelle

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mais on en fabrique une, artificielle, pour compenser le manque d’inondation naturelle. Cette inondation contrôlée produit, dans les zones d’écoulement, des milieux humides socialement qualifiés de naturels avec leur cortège d’oiseaux spectaculaires. Du coup, est véhiculée l’idée que le Camargue est un espace naturel. Ce regard social porté sur la Camargue va alors influencer très largement les politiques publiques. Et les politique publiques vont gérer définitivement la Camargue non pas comme un polder agricole et salinier à risque, mais comme un espace naturel menacé par tout un tas de choses très désagréables d’origine humaine comme le tourisme de masse, l’urbanisation ou l’industrialisation.

Quand survient l’inondation de 1993-1994, les règles de gestion datent de 1883 et n’ont pas été revisitées; pourtant le monde a changé, la Camargue est devenue autre chose qu’un espace agricole. Il y a des activités de tourisme, de loisirs, de protection de la nature, des zones résidentielles, mais on fonctionne toujours sur le schéma initial. Le risque naturel est oublié. On est dans la nature, la nature est bonne et belle et on ne risque rien. Quelques petits lotissements ont été imprudemment installés dans les dépressions. Et alors que les menaces qui planaient sur cet isolat naturel étaient sans nul doute humaines, c’est l’eau du Rhône qui pénètre la Camargue. Les digues rompent parce qu’elles sont mal entretenues, on les a oubliées. On les a oubliées tout simplement parce que, faute d'avoir revisité les règlements anciens, les cotisations rentraient mal. Le système censitaire du XIXe siècle ne marchait plus et rien ne l’avait remplacé. Deuxièmement, dans cet éden naturel socialement construit, la plupart des gens considéraient les digues comme de bucoliques petits promontoires donnant sur le Rhône.

Ces inondations ont participé d’un basculement mental d’une grande importance à propos de la Camargue; de milieu naturel menacé par l’homme, elle est passée au statut de milieu humain menacé de risques naturels.

Ces inondations sont aussi à l’origine d’un mouvement social : une demande très forte de la population locale pour qu’un syndicat mixte gère les digues à la place des grands propriétaires. Dans un premier temps, on est encore un petit peu inféodé au regard symbolique sur les lieux. Le domaine de compétence du syndicat mixte de gestion des digues, (SYMADREM, créé en 1999), porte sur les berges et les quais du Rhône après l’embranchement du Petit Rhône, puis toute la rive gauche du petit Rhône, Le fleuve n’a toujours qu’une rive ! La rive importante est du côté de l’espace « naturel » et du Parc naturel régional !

Sur le plan gestionnaire, ces inondations de 1993-1994 ont amené plusieurs réponses : avec la demande d’un syndicat mixte, on passe, pour la gestion des digues du Rhône, du pouvoir foncier aux pouvoirs publics locaux et le mouvement fait tache d’huile : aujourd'hui, les ASA, les associations syndicales autorisées pour l’irrigation et le drainage se sont regroupées dans un syndicat mixte. Et le Parc naturel régional de Camargue qui, lui aussi, était géré par la grande propriété sous forme d’une fondation privée, va aussi être géré par un syndicat mixte en 2007 après diverses péripéties juridiques.

Ces ruptures de digue sont donc aussi la rupture d’un système social et d’un système de pouvoir tout entier. Et ce système social, après la catastrophe, va se recomposer. Tout cela aurait peut-être pu être évité si l’on avait pris soin d’adapter ce dispositif de gestion au changement social.

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L’inondation de 2003 est très intéressante parce que, comme un fait exprès, l’eau du fleuve contourne très précisément l’île de Camargue qui avait été survalorisée jusqu’à présent en tant que Parc naturel régional. L’eau s’en va dans toute la Camargue gardoise, qui est moins emblématisée, et va envahir les quartiers nord d’Arles et les marais des Baux où elle inonde 6 000 personnes. C'est la preuve que le SYMADREM a bien fait son travail. Les digues n’ont pas cassé dans le périmètre que l’on a affecté au SYMADREM, mais l’inondation s’est désintéressée du découpage symbolique du territoire.

Sur le plan social, il y a prise de conscience de la nécessité d’une gestion globale. Les sinistrés créent une « confédération des riverains du Rhône et de ses affluents » et ne s’enferment plus dans l’association très localiste des Camarguais. Déjà, les riverains ont conscience qu’un fleuve se gère sur l’ensemble de son bassin. En janvier 2004, l’Etat, de son coté, élabore une « stratégie globale de prévention des inondations du Rhône et de ses affluents ». Les politiques publiques vont dans le même sens que les revendications sociales, et les régions organisent des états généraux du fleuve Rhône. Il aura donc fallu deux catastrophes pour réviser la gestion des inondations dans le sens d’une plus grande transversalité et d’une plus grande globalité.

Enfin, en juillet 2005, l’Etat décide la mise en place du « plan Rhône ». « Le plan Rhône » c’est l’idée que le Rhône ne peut pas être géré seulement comme un tuyau dangereux qui peut déborder et poser des problèmes aux populations. Le plan Rhône, c’est l’idée de concilier la prévention des inondations avec la gestion patrimoniale, avec la qualité des eaux et l’écologie des milieux, avec les transports, l’énergie et le tourisme. Il y a donc six volets au plan Rhône. Il a été validé sous forme d’un contrat de plan interrégional en juin 2007. Dans le premier programme 2007-2013, 600 millions d'euros vont ainsi être engagés.

Gérard Brugnot m’a demandé de parler de ce plan Rhône. C’est un peu difficile pour moi d’être en même temps président du Conseil scientifique du plan de prévention des inondations du Rhône et des affluents et d’apporter une réflexion à chaud alors qu’il démarre à peine. Le dispositif est très complexe et, dans ce plan Rhône, je suis un peu comme Fabrice del Dongo à la bataille de Waterloo, je vois des cavaliers qui passent à droite et à gauche, mais je ne comprends pas très bien où ils vont ni ce qu’ils font. Et puis, quand on est dans le Conseil scientifique inondations, on nous saisit de quelques questions sur lesquelles nous travaillons très précisément, mais c’est plus difficile d’avoir une vue d’ensemble. Donc, je me contenterai de porter un petit regard critique sur ce qui fait débat, sur ce que j’entends dire de-ci de-là.

Il semble qu’il y ait parfois une petite distorsion entre le discours officiel et la réalité des actes sur le terrain. La priorité consiste à ne pas accroître la vulnérabilité, or nombreux sont ceux qui constatent que ce qui est engagé actuellement dans le cadre du plan inondations, porte surtout sur la lutte contre l’aléa à l’aval du Rhône. Mais il faut bien commencer par l’urgence.

La deuxième question qui agite beaucoup de débats dans le plan Rhône, c’est la question des ZEC, les fameuses zones d’expansion des crues. Il y a une très forte demande des collectivités locales pour qu’il y ait un statut particulier pour les zones d’expansion des crues. Effectivement, il y a des communes dont le développement serait bloqué parce qu’on fait des ZEC et qui demandent des compensations.

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Visiblement, l’Etat ne veut pas trop entendre parler de statut particulier alors que les collectivités locales y insistent beaucoup. Dorénavant, il y a un groupe de travail sur cette question des zones d’expansion des crues. On en saura plus quand cette démarche aura abouti. On confond très souvent, par ailleurs, les zones d’expansion des crues, qui sont les zones inondables, avec les zones que l’on qualifie de « sur-inondation volontaire ». Ces zones de sur-inondation volontaire, que l’on sur creuse pour amener l’eau et soulager des digues, ont déjà un statut juridique. C'est-à-dire que les gens qui sont à l'intérieur peuvent demander à la collectivité publique qui a décidé de réaliser cette zone de sur-inondation volontaire d’être aidés sur le plan financier. Soit par la commune, soit par la région, soit par l’Etat. Par contre, les zones inondables n’ont pas de statut juridique et se pose la question de savoir ce qu’est une zone inondable. On en a débattu en groupe de travail pendant toute une demi-journée sans conclure. Derrière une digue, est-ce qu’une zone est toujours inondable ? Oui, elle est inondable puisque c’est l’inondation même qui a sédimenté le sol et qu’une digue peut toujours casser. Là, il y a un vrai débat qui se pose partout et des élus s’interrogent : « Pourquoi faire des digues puisqu’on ne peut pas se mettre derrière ? ». Ils ont la sensation que l’Etat a deux missions : une mission de grands travaux (faire des digues) et la mission de sécuriser les biens et les personnes (en ne s’installant pas derrière).

Dans le sud du bassin, quand on parle de ZEC, on entend beaucoup d’élus nous répondre : « Vous vitrifiez les territoires. ». Par contre, on entend les gens de la Bourgogne et de la Franche-Comté affirmer que ces ZEC sont des atouts parce qu’on en tire des avantages économiques et environnementaux très intéressants, (gestion paysagère, écotourisme, activités de loisirs, etc.) Le développement ne passe pas seulement par l’urbanisation et l’industrialisation, un développement environnemental peut même devenir une ressource pour les communes, les services rendus par les zones humides en sont un exemple.

Dernière réflexion : nous avons eu, au dernier comité de pilotage du plan Rhône, la présentation des six axes (inondation, patrimoine, qualité des eaux, transports, énergie, tourisme) par les responsables qui ont à les mettre en œuvre. J’ai été surpris, comme les scientifiques qui étaient là, de constater que chaque axe a développé sa propre logique sans jamais évoquer les autres axes, alors qu’on est censé faire en sorte que la gestion patrimoniale de la qualité des eaux, des transports et des inondations se fasse dans la conciliation et la cohérence. Je crois que c’est un vrai problème de culture qui dépasse le plan Rhône. Je crois que nous sommes dans une société qui a hérité de segmentations administratives et culturelles difficiles à effacer.

Il n’y a d’ailleurs pas que les gestionnaires qui soient confrontés à ces barrières, la science aussi est écartelée : les sciences de la nature s’occupent de la nature et les sciences sociales s’occupent de la société. Le seul problème, c’est que quand surgit la question environnementale, qui est la question du rapport Homme-Nature, et que cela donne des milieux qui ne sont ni naturels ni sociaux, on peut parler de phénomènes socio-naturels qui militent d’eux-mêmes pour l’interdisciplinarité. C’est pour cela que l’inondation n’est plus un risque naturel mais un risque socio-naturel. Bien entendu, la précipitation qui va provoquer l’inondation est naturelle mais, par contre, la digue qui casse est un outil technique fait par l’homme, qui provoque aussi l’inondation. Ce sont à la fois les sociétés et la nature qui font les inondations. On est bien dans des risques socio-naturels. Pour le moment, nous héritons du

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découpage des sciences et nous restons dans ce découpage pour essayer de réunifier les choses. Souvent, j’utilise l’image suivante : on tente de recoudre un tissu avec les ciseaux qui ont servi à le couper. Notre appareillage intellectuel et administratif hérité de la modernité n’est pas encore suffisamment transformé, réformé, pour prendre en compte la question transversale qui est celle par exemple de la gestion du bassin du Rhône.

Gérard BRUGNOT

Après avoir entendu Bernard Picon, je me réjouis vraiment de ce que le Comité d'organisation lui ait demandé de faire part de son expérience de Président du Conseil Scientifique du Plan Rhône.

Je vais présenter rapidement Jean-Pierre Jordan. Il appartient à l’Office fédéral de l’environnement à Berne, et il va nous présenter les aménagements amont du Rhône en Suisse. Ensuite, l’ensemble des trois communications va pouvoir donner lieu, je l’imagine, à beaucoup de questions que je vous encourage à stocker pour l’instant.

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L’approche de l’aménagement du Rhône en Suisse

Jean-Pierre JORDAN

Office fédéral de l’environnement, Section risques liés à l'eau 3003 Berne Suisse [email protected]

J’ai le plaisir de faire un survol du projet de troisième correction du Rhône. C’est le projet de protection contre les crues le plus important actuellement en Suisse. Sa réalisation va durer plusieurs décennies et les coûts estimés actuellement sont de l’ordre de plus de 1 milliard d’euros.

Un petit rappel géographique. La troisième correction du Rhône porte sur le tracé entier du Rhône, depuis sa source jusqu’au lac Léman. C’est depuis Brigue que le Rhône est fortement endigué, surtout sur 110 kilomètres, où le Rhône traverse une plaine relativement étroite, fortement urbanisée avec plusieurs industries. On a également deux infrastructures d’importance nationale : l’autoroute et la ligne de chemin de fer du Simplon.

Mon intervention va, tout d'abord, faire un bilan de la situation actuelle du point de vue des déficits. On verra quels sont les enjeux, quelles sont les solutions qui sont déjà esquissées, quelle est la démarche générale d’élaboration du projet. Nous nous focaliserons ensuite sur une mesure qui est déjà bien avancée dans la région de Viège. Et, puisque c’est le thème du séminaire, nous décrirons quelques recherches qui ont servi à l’élaboration de ce projet.

Tout d'abord, la situation, sur la carte de Napoléon, du Rhône avant la première correction, puisque la troisième correction a été précédée de deux corrections. La première correction a eu lieu entre 1860 et 1890. Elle a consisté, d’une part, à rectifier le lit pour améliorer le transit non seulement de l’eau mais également des matériaux solides et, d’autre part, à endiguer le Rhône pratiquement sur toute la longueur, dans ce qui est quasiment l’emprise actuelle du Rhône. Ces digues ont été protégées par des épis.

La deuxième correction du Rhône a été réalisée entre 1930 et 1960. Elle a suivi des inondations des années trente et quarante, avec la constatation que le lit se rehaussait du fait du transport solide. Cette deuxième correction du Rhône a consisté à rehausser les digues et à combler l’espace entre les épis pour faciliter ce transport solide. Suite à la réalisation des ouvrages hydroélectriques et à la suppression des apports en matériau solide, le Rhône a plutôt tendance, aujourd'hui, à s’inciser. Dans cette simulation, apparaissent en bleu les zones inondables, de la capitale du canton du Valais, de Sion. Les zones en bleu foncé sont les zones qui sont menacées par des inondations supérieures à 2 mètres. Le Rhône, effectivement, coule à des hauteurs qui dépassent de 3 à 4 mètres le niveau de la plaine. Le danger est double : d’une part, un déficit de capacité hydraulique, d’autre part, un risque de rupture. Une analyse géotechnique des

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digues a montré que pratiquement plus de la moitié d'entre elles pouvait être qualifiées d’instables.

Une grande partie de la plaine est menacée par les inondations. Cela représente environ 140 kilomètres carrés. Une estimation du potentiel actuel de dommages s'établit à environ 2,5 milliards d’euros et, à saturation des zones à bâtir, à environ 5 milliards d’euros. A cela, il faut ajouter les dommages industriels, soit 3 à 4 milliards d’euros. En tout, cela fait 6 à 9 milliards d’euros de dommages potentiels dans la plaine du Rhône en amont.

Le déficit de sécurité n’est pas le seul. Deux cartes montrent bien l’évolution de la plaine. Les deux corrections ont provoqué la disparition de la plupart des milieux naturels. Il n’en reste que quelques vestiges. D’autre part, l’entretien, qui est assez sévère sur le lit majeur, a aussi un impact important sur les milieux naturels.

Outre les problèmes environnementaux, on a également un potentiel de développement des aspects sociaux et économique sur le Rhône tels que l’agriculture, la production hydroélectrique ou le tourisme et les loisirs.

Donc, l’objectif du projet de troisième correction du Rhône est triple : d’une part, la sécurité et, d’autre part, la reconstitution des fonctions environnementales et socio-économiques.

Il est prévu d’augmenter la sécurité du Rhône sur toute la plaine. Mais, conformément à la stratégie actuelle, il est important également de gérer les crues supérieures à la crue de dimensionnement - ici, ce sera essentiellement une crue centennale -, grâce à des déversements et des corridors d’évacuation des crues et en optimisant également la rétention dans certaines zones qui sont peu habitées afin d’éviter une aggravation du risque vers l’aval.

Au niveau des aménagements directement sur le Rhône, on a plusieurs solutions : relever les digues, approfondir le lit ou élargir. C’est cette dernière solution qui est préconisée là où c’est possible, dans les zones rurales, puisque seul ce type de solution est en mesure d’offrir une gestion appropriée du risque résiduel, en termes de dépassement de la capacité du Rhône, et permet aussi de résoudre les problèmes de refoulement dans les canaux ou dans les affluents. Dans cet espace, qu’on a évalué à 80 % plus grand que l’emprise actuelle, on peut également associer des objectifs environnementaux avec, par exemple, le développement d’une morphologie du lit en bancs alternés, voire des objectifs socio-économiques. Donc, c’est un espace qui est utile pour tous les objectifs.

Cette troisième correction du Rhône va prendre plusieurs décennies. C’est important de se baser sur une gestion intégrale des risques, en prenant d’autres mesures, notamment préparer les interventions d’urgence en cas de catastrophe à l’aide d’une bonne connaissance des aléas, d’un modèle de prévision météorologique et également d’un système de gestion des barrages. On le verra, les grands barrages hydroélectriques situés dans les affluents permettent de réduire de manière significative les crues.

Pour le reste, à l’exception des travaux d’entretien et de remise en état suite aux crues, le projet de troisième correction du Rhône se déroule à deux vitesses :

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• des travaux sur des secteurs prioritaires – on n’attend pas d’avoir une conception générale pour commencer à établir des projets - sur quatre secteurs (Viège, Sierre, Sion et Fully) ;

• l’établissement de ce qu’on appelle le plan d’aménagement : c’est un projet général, un avant-projet qui devrait déterminer les variantes sur tout le cours du Rhône à l’échelle du 1/10 000e.

Ce plan d’aménagement est basé sur une démarche participative :

• à l’échelle interne de l’administration, avec la constitution de différents comités, notamment un conseil de pilotage qui rassemble tous les responsables de service des différents domaines concernés et, comme partenaires, les associations faîtières ou des groupements d’intérêt national,

• au niveau local, régional, la constitution de ce qu’on appelle des comités régionaux de pilotage qui regroupent des responsables communaux et des associations d’intérêt régional.

Six comités régionaux de pilotage ont été créés, dont l’un en aval qui rassemble des communes des cantons du Valais et de Vaud. Ces comités régionaux de pilotage sont également chargés de finaliser un concept de développement de la plaine. On sait que ce projet, qui va marquer durablement l’image de cette plaine, doit être coordonné avec d’autres projets, à l’étude ou envisagés par les communes.

Focalisons-nous maintenant sur un projet déjà bien avancé, puisqu’il y a eu des enquêtes l’année passée et que les travaux devraient commencer à la fin de l’année prochaine. C’est la mesure prioritaire de Viège. C’est un tronçon de 8 kilomètres du Rhône, qui traverse la ville de Viège avec une importante industrie chimique, la Lonza.

La carte met en évidence les aléas d’inondation, dus notamment à la rupture de digues ou à un déficit de capacité. Dans ces zones de danger, on a estimé le potentiel dommages à 1 et 2 milliards d’euros, uniquement pour l’industrie, sans compter les risques chimiques de pollution, et environ 300 millions d'euros pour la ville de Viège.

Quelles sont les mesures qui ont été adoptées? Tout d'abord, il y a un élargissement en amont. L’idée est de pouvoir y faire transiter une crue extrême millennale. Il est effectivement impossible de gérer la crue extrême par un corridor d’évacuation à travers le verrou que représente l’industrie chimique. Cet élargissement permet aussi d'en faire bénéficier les petits villages qui, sans cela, ne seraient protégés que contre les crues centennales. A travers l’industrie de la Lonza, comme on ne peut pas élargir, on a prévu d’approfondir le lit et d’augmenter la section en supprimant une partie du lit majeur. L’augmentation de la capacité est d’environ 5 %. Plus en aval, au niveau de l’embouchure de la Viège, il est prévu un nouvel élargissement qui permet également de gérer le transport solide par des prélèvements localisés. Plus en aval, hors du périmètre de projet, on a les infrastructures qui longent le Rhône. Il n’est pas possible d’évacuer une crue extrême. Cette crue extrême, au-delà de la crue centennale, est alors gérée en rive gauche à l’aide d’un déversoir dans la plaine de Rarogne.

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Ce projet a été estimé à environ 45 millions d'euros, uniquement pour les interventions au niveau du Rhône, avec des achats de terrains (26 hectares) pour environ 5 millions d'euros. On en a profité aussi pour y adjoindre le projet de contournement routier de Viège qui était en attente depuis de nombreuses années. L’élargissement du Rhône provoque également le déplacement d’une ligne à haute tension qui sera maintenant probablement enterrée à cause de l'opposition des milieux environnementaux. Ce ne sera plus 5 millions mais probablement 10 millions d'euros de dépenses. Un gazoduc doit être déplacé aux frais du propriétaire. Et 5 millions d'euros sont prévus pour compenser les pertes de surfaces agricoles par des améliorations foncières, c'est-à-dire des remembrements, des projets de desserte et des améliorations de drainage ou d’irrigation. 65 millions d'euros sont prévus pour les 8 kilomètres du projet.

Venons-en maintenant à quelques projets de recherche. Pour cette troisième correction du Rhône, les maîtres d’ouvrage sont les cantons de Valais et de Vaud; ils sont accompagnés par une équipe d’environ 12 personnes, par des groupements de bureaux d’ingénieurs. Cela ne suffit cependant pas à mener à bien cette opération. C’est pourquoi la confédération encourage fortement le développement de connaissances nouvelles dans ce domaine. Je ne m’arrêterai pas sur ces différents projets qui sont développés dans le cadre d’une opération qui s’appelle Rhône -Thur, mais je m’attacherai à décrire quelques projets spécifiques qui ont plus directement servi à l’établissement du projet de troisième correction du Rhône.

D’abord, pour les aspects hydrologiques, l'analyse statistique des observations des crues à la station de Sion met très bien en évidence l’effet des barrages puisqu’on a une diminution significative de l’ordre de 20 à 30 % des crues fréquentes, effet qui ne peut cependant pas être pris en compte pour les crues rares puisque, souvent, on ne peut pas tenir compte des capacités de rétention, notamment en automne. L’estimation des débits de pointe a été faite avant barrage, avec également la prise en compte du fait que, lors de ces deux dernières décennies, nous avions trois crues importantes très rapprochées : la crue centennale en 1987, 1993 et 2000. Donc, nous nous dirigeons vers des choix de débit de dimensionnement qui sont plutôt conservatifs, tant pour la crue centennale que pour la crue extrême. Il est alors très important, puisque cela a un effet sur les emprises essentielles, de pouvoir justifier ce choix de débit. C’est pour cela que, assez tôt, une étude a été confiée à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne pour examiner d’un peu plus près l'hydrologie du système. L’EPFL a mis au point un modèle de simulation basé sur la génération stochastique de situations métrologiques, d’un modèle hydrologique. Le calage des résultats permet la simulation d’environ une cinquantaine de séries de débit de 40 ans chacune, et permet ainsi d’augmenter l’échantillonnage et d’analyser les résultats. Il permet aussi de gonfler l’échantillonnage de crues, essentiel pour traiter des problèmes de gestion des crues excédentaires ou pour aborder les aspects de transport solide.

Pour le projet de Vièze, nous avons également mis au point un modèle physique sur le tronçon aval d’environ 2,5 kilomètres à l’échelle de 1/50e, ce qui représente un modèle d’environ 50 mètres de long, qui a été construit à proximité du site. Ce modèle a permis de vérifier certaines hypothèses de calcul et a permis également d’optimiser certains ouvrages. Ce modèle a également servi à convaincre à la fois les autorités et la population du bien-fondé des mesures.

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Le système de déversement par des digues submersible ou des déversoirs est essentiel pour bien gérer les crues. Certains aspects ont ainsi été étudiés dans le cadre d’un projet de recherche sur les digues submersibles, notamment l’effet d’augmentation du déversement. En effet, lorsqu’on a une perte du débit par déversement, on a une réduction de la capacité de charriage, d’où une élévation du lit moyen par atterrissement et donc une élévation du niveau d’eau. Ce phénomène a été étudié dans le cadre d’un modèle physique, où l’on a montré qu’on pouvait avoir des réductions de section de l’ordre de 30 % et également des érosions plus prononcées sur la rive opposée au déversoir.

Les résultats de ce modèle ont servi de base pour le calage d’un modèle mathématique et pourront constituer des bases de dimensionnement des futurs ouvrages.

J’ai parlé de la prévision. Nous avons également mis au point, avec les écoles polytechniques, un modèle de prévision de crues basé sur une description très détaillée du système, notamment de toute la gestion des grands barrages. Ce système, couplé avec un outil d’aide à la décision, permet à la fois de faire une prévision des débits à 72 heures et de donner des consignes aux barrages pour faire des vidanges préventives et conserver une certaine capacité de rétention. Donc, les résultats sont utilisés par les autorités pour déclencher des interventions d’urgence ou des ordres de police enjoignant des vidanges préventives.

Dernière recherche que je voulais souligner pour les aspects environnementaux. Vous ne savez peut-être pas que, au niveau suisse, nous avons une directive qui demande qu’un espace minimum soit réservé pour les cours d’eau de façon à remplir les fonctions environnementales. Un certain abaque a été développé pour définir cette distance. Cet abaque est valable uniquement pour les cours d’eau de petite et moyenne tailles, et on n’avait pas une telle relation pour des grands cours d’eau tels que le Rhône. Un outil prédictif a été développé pour définir quel pouvait être cet espace minimum de façon à obtenir le développement d’une végétation et d’une faune adaptée.

Comme vous le voyez, les projets d'aménagement du Rhône touchent de très nombreux intérêts - notamment, si l’on pense aux élargissements -, par exemple l’agriculture. Donc, il s’agit surtout d’avoir des bases très solides auxquelles on peut se fier, et de pouvoir communiquer, comme cela a été mentionné au début, sur ces bases, de manière convaincante. Et dans cet objectif, je pense que l’apport de la recherche est vraiment indispensable et qu'il le sera toujours. Nous sommes, je pense, sur la bonne voie, bien que le chemin soit encore long et semé d’obstacles.

Gérard BRUGNOT

Merci, Jean-Pierre Jordan, pour cet éclairage culturel et technique. Je ne sais pas si l’on sera amené à parler du contraste entre votre communication et la précédente, mais je crois qu'il y aurait matière à discussion.

Maintenant, nous allons terminer cette matinée par une présentation de Jean-Paul Bravard et Claire Combe de l’Université Lyon 2, qui vont nous parler des aménagements de la zone de Miribel-Jonage dans une approche qui sera «plus lyonnaise»

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Les aménagements de la zone de Miribel-Jonage

Jean-Paul BRAVARD

Université Lyon 2, Institut de Recherches géographiques (UMR 5600 EVS) & Zone Atelier Bassin du Rhône 5, avenue Pierre Mendès-France, 69676 BRON cedex [email protected] [email protected]

Nous allons faire, avec Claire Combe de l'Université Lyon 2, une présentation à deux voix et réfléchir sur les notions d’aléa et de vulnérabilité dans un contexte que l’on pourrait appeler géodynamique.

La crue de 1856 est l’événement fondateur de la protection dans la vallée du Rhône. On sait qu’à Lyon, ville la plus touchée, les dégâts ont été considérables. Et c’est depuis ces dégâts, surtout en rive gauche du Rhône, qu’un nouveau système de quais et de digues a été mis en place et que la loi de 1858 mentionnée tout à l'heure a posé le principe de l’intangibilité du lit majeur, c'est-à-dire le principe de non-endiguement à l’amont des grandes villes, bien respecté à l’amont de Lyon, fort mal respecté à l’amont des villes de l’aval, ce dont découle une partie des problèmes d’aujourd'hui.

Concernant la dynamique des crues, de manière générale, à l’amont de Lyon, les aspects naturels combinent des facteurs aggravants que sont évidemment le relief, et la très forte pente du fleuve. Il y a également quelque chose dont je vais reparler, qui est l’exhaussement, par des apports sédimentaires considérables, du lit alluvial, très élargi à l’époque moderne et contemporaine. En revanche, de l’autre côté, on a des facteurs favorables évidents, la présence des grands lacs, de grandes plaines alluviales inondables et chose importante, le principe de non-concordance des crues du Rhône qui arrivent tardivement grâce à ce ralentissement naturel, par rapport aux crues de l’Ain. Les deux crues ont les mêmes valeurs, l’essentiel est qu’elles ne soient pas en concordance.

Quels ont été les changements enregistrés depuis le milieu du XIXe siècle ? Balayons-les rapidement :

• le reboisement des bassins versants et la transmission des précipitations; la question est de savoir ce qu’il en est;

• la rugosité des plaines par boisement naturel ou artificiel;

• la question de l’alluvionnement des marges fluviales; ce sont des changements importants qui, localement, sont positifs et, ailleurs, négatifs ;

• les questions de l’imperméabilisation du bassin versant, susceptible d’aggraver les choses ;

• l’enfoncement des affluents dû à des abus d’extraction qui ont accéléré très probablement les pics de crues – cela n’a cependant jamais été prouvé- ;

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• des effets locaux et cumulatifs produits par les aménagements réalisés depuis 150 ans dans le lit majeur; ces aménagements, sont une véritable question ;

• la question de la gestion des hauts bassins suisses, qui a forcément des impacts sur le Rhône à l’aval.

L’étude globale Rhône a été publiée. Elle décompose le lit majeur en casiers qui ont fait l’objet de modélisations. Si l’on prend la région lyonnaise et si l’on se focalise sur le secteur de Miribel-Jonage, on voit qu’on a trois types de crues : les crues moyennes en bleu, les crues fortes en vert et les crues très fortes en jaune. On voit que, dans le secteur qui est à l’aval de Jons, on a des surfaces inondables, pour les crues très fortes, qui sont relativement importantes. Il y a des espaces qui peuvent être inondés pour ces débits extrêmes, beaucoup plus importants en valeur relative que ce n’est le cas à l’amont de Jons, où presque tout le fond de la plaine est inondé pour les crues moyennes et bien entendu également pour les fortes crues.

Ce caractère hétérogène de l’inondabilité nous a amenés à développer un certain nombre de points. Le premier– et je voudrais remercier la DIREN qui nous a confié ce travail -, c’est de se demander si, dans le cadre du plan Rhône, on peut concevoir un atlas des unités de la plaine alluviale du Rhône et voir quelle est l’implication des ces unités en termes de gestion de risques. Nous avons fait cela à plusieurs universités dans le cadre de la zone atelier bassin du Rhône - il y avait Aix-en-Provence et Paris-Diderot -, avec le concours d’étudiants, c'est-à-dire un très gros travail sur 500 kilomètres. L’autre aspect des choses sera présenté par Claire Combe.

Dans la légende traditionnelle concernant l’hydro-géomorphologie appliquée à la mise en œuvre de PPRI, on distingue le lit mineur (L1), qui est tout le temps occupé par les eaux, le lit moyen (L2), qui est occupé en haut débit lors des crues moyennes, et un lit majeur (L3), un espace exhaussé par les alluvions issus du débordement, qui est moins facilement inondé, puisqu'il l'est pour les crues fortes ou exceptionnelles (la terrasse n’est pas noyée). C’est le principe des trois unités.

Dans la vallée du Rhône, la complexité est telle que nous avons mobilisé les connaissances que nous avions sur les paléoenvironnements, et nous avons conçu une nouvelle légende faite pour un SIG. C’est une légende bâtie sur des éléments génétiques et chronologiques. Que s’est-il passé dans la plaine du Rhône depuis 10 000 ans ? On a l’association, dans certains tronçons du Rhône, d’un lit mineur, unique, et d’une plaine alluviale. Cette plaine alluviale est façonnée par la migration du chenal qui laisse des alluvions sur le côté. Suivant le temps laissé à ces alluvions pour se déposer (500 ans, 1 000 ans, 5 000 ans), la plaine est plus ou moins haute et, par conséquent, le risque est plus ou moins fort lors d’un débordement. On peut aussi avoir l’association de lits en tresse typiques des Alpes et du Rhône dans la région de Chautagne et de Lavours, avec par exemple, sur les côtés, en contrebas, deux marais. Lorsque la crue se produit, les marais sont noyés pendant plusieurs semaines. Donc, c’est un risque tout à fait particulier. Le principe a été de sectoriser ces unités de fonctionnement dans l’espace. Si l’on peut intégrer le temps, sur 10 000 ans, on peut entrer dans les détails: la deuxième colonne de légende montre les principes de la construction et de l’exhaussement. Et nous avons fait ce travail sur 500 kilomètres.

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Un exemple : celui de la région lyonnaise. C’est déjà un peu plus simple. On va dire que, globalement, il y a trois couleurs, dont la couleur rouge que je n’ai pas présentée. La couleur bleue, c’est le lit du Rhône vers 1850, date à laquelle on construit la carte, lit du Rhône qui est façonné par les crues. C’est ce qu’on appelle les brotteaux, dans la région lyonnaise. Les brotteaux sont parfois très étendus, mais très rétrécis à la traversée de la ville où il y a des digues, et ils ont été rétrécis à l’aval de Lyon déjà vers 1860 par des digues insubmersibles pour concentrer l’eau autant que faire se peut pour la navigation. Donc, voilà un espace très important parce que cet espace est celui qui, dans le reste de la vallée du Rhône, est géré par la Compagnie nationale du Rhône. C’est un espace qui est l’objet d’un exhaussement par les apports sédimentaires liés aux crues et, par conséquent, d’une modification des conditions d’inondation. C’est un espace clé. A l’amont de Lyon, c’est la zone de Miribel-Jonage, dont on parlera de la gestion tout à l'heure.

La couleur jaune et la couleur orange, ce sont des plaines construites depuis 10 000 ans, plus ou moins inondables, en tout cas inondables au XIXe siècle, sur lesquelles on a construit et où l’on est sûr qu’une inondation va revenir, mais plus ou moins fréquemment. Ces zones sont de très gros enjeux pour les plaines du Rhône car elles n'ont pas été endiguées comme à Lyon. On voit ici la digue rouge qui enserre Villeurbanne et qui protège cet espace.

Enfin, le dernier espace, en rouge, ce sont les territoires de plaine alluviale construits par le Rhône, mais il y a longtemps. C’est quasiment, dans le plan, du jaune et de l’orange. Seulement, c’est inondé pour les crues exceptionnelles. Parfois, ça ne l’est plus en 1860 ; parfois, c’est redevenu inondable aujourd'hui. Ce sont des zones de marge de plaines alluviales extrêmement sensibles. Et les modifications subies par le système de la bande bleue, les aménagements hydrauliques réalisés depuis 150 ans ou les obstacles mis à l’écoulement dans la zone jaune et orange, vont modifier les hauteurs d’eau et vont avoir un impact direct sur les zones marginales rouges qui vont être plus ou moins inondées. Donc, on est là dans des zones potentiellement conflictuelles, et elles font partie, évidemment, des enjeux de la vallée du Rhône. Je passe la parole à Claire Combe.

Claire COMBE, Université Lyon2

Sur la base des héritages morphologiques qui viennent d’être expliqués, je vais vous présenter quelques résultats issus de mon travail de thèse que j’ai mené à l’Université Lyon 2 sous la direction de Jean-Paul Bravard. Je profite de cette occasion pour remercier la Région Rhône-Alpes qui a financé ce travail au titre du programme Emergence 2002.

La démarche part du constat de la complexité du risque en milieu urbain et périurbain, complexité qui a déjà été évoquée à plusieurs reprises depuis le début de la matinée. Elle s’intéresse à l’analyse des interactions entre l’urbanisation et les deux composantes principales du risque, l’aléa et la vulnérabilité, composantes prises en tant que sous-systèmes complexes à l’interface nature-société qui évoluent dans le temps et dans l’espace. La méthode est basée sur l’analyse de cartes qui sont prises en tant qu’outils d’analyse des interactions et de leur évolution. Elles ont été réalisées au moyen d’un SIG géohistorique développé dans le cadre du programme de recherche de la Zone Atelier Bassin du Rhône (ZABR),

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dont le Y lyonnais est d’ailleurs un des sites pilotes. Les cartes obtenues permettent, on va le voir, de territorialiser le risque.

Avant aménagement, la plaine de Miribel-Jonage était une zone de tressage soumise à la mobilité du fleuve. Le Rhône est fixé dans la deuxième moitié du XIXe siècle par les canaux de Miribel au nord et de Jonage au sud, construits respectivement pour les besoins de la navigation et pour la production hydroélectrique. Les deux aménagements sont conformes à l’exigence de la loi de 1858 : les digues du canal de Miribel sont submersibles tandis que le canal de Jonage est construit au pied du relief des Balmes viennoises et ne fait donc pas obstacle à l’écoulement des eaux. Cependant, si l’on compare les cartes des grandes inondations depuis 150 ans, on constate une évolution importante du champ d’inondation. La superficie inondée par la crue de 1856 dans le secteur de Miribel-Jonage correspond à une crue environ cent-cinquantennale. C'est la plus forte crue historique du Rhône et elle délimite le champ d’inondation moderne avant aménagement.

La deuxième cartographie dont on dispose est celle de la crue de 1928, d’une période de retour d’environ 100 ans. Remarquons, à l’aval, l’effet de l’endiguement de Lyon au niveau de Villeurbanne qui n’est plus inondé. Enfin, on dispose du périmètre théoriquement inondable pour un débit équivalent dans la situation actuelle, issu d’une modélisation qui a été réalisée par la CNR. Si l’on compare ces trois cartes, on voit nettement que l’aléa a connu une évolution dissymétrique entre 1856 et aujourd'hui. Il a plus que doublé en rive droite du canal de Miribel dans la partie amont : les terrains figurés en bleu foncé sur la carte, largement inondables aujourd'hui, étaient à l'abri des eaux autrefois, du moins au milieu du XIXe siècle. Par contre, on observe une forte contraction du champ d’inondation en rive gauche. Plusieurs études ont d’ailleurs prouvé que la capacité d’écrêtement de l’île de Miribel-Jonage a nettement diminué.

La photo de l’inondation de 1957 dans la plaine avant aménagements montre que les canaux sont construits mais ce sont à peu près les seuls aménagements qu’on trouve. La vue est prise de l’amont. Au premier plan, il y a la rive gauche. Au fond à droite, on voit le village de Thil qui, pour l’essentiel, reste à l’abri des eaux. Les modèles récents montrent qu’au lieu des 300 mètres cubes par seconde qui avaient été stockés pendant cette crue trentennale en 1957, seulement 80 mètres cubes, soit presque quatre fois moins, seraient aujourd'hui écrêtés pour un débit identique.

Il y a donc un paradoxe entre le principe initial de gestion de 1958, réaffirmé en 1972 par le Plan des Surfaces Submersibles du Haut-Rhône, et la réalité contemporaine, puisque la capacité d’écrêtement de la plaine a nettement diminué.

Quels sont les facteurs d’explication de cette évolution ? Du fait des héritages morphologiques dont Jean-Paul Bravard a parlé précédemment, l’hydrosystème, dans la plaine de Miribel-Jonage, est très réactif et va s’ajuster aux perturbations induites par les actions humaines. En conséquence, l’enveloppe physique de la crue se modifie par effet d’impact et entraîne, à débit constant, à crue égale, une évolution de la géométrie du champ d’inondation.

Une première aggravation du risque est enregistrée 15 ans à peine après les premiers aménagements du secteur. Pour endiguer le canal de Miribel, on a

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recoupé certains méandres du bras principal du fleuve, ce qui a provoqué un basculement du fond du lit. Le chenal s'incise à l’amont de Miribel et s'exhausse dans la partie aval, ce qui cause une aggravation des hauteurs d’eau à Vaulx-en-Velin. Pour soulager le débit qui transite dans le canal, on crée une brèche en rive gauche, au droit du village de Thil, mais cela ne suffit pas à enrayer la tendance. C’est pour cette raison que l’Etat a autorisé la construction de la digue en terre de Vaulx-en-Velin, ce qui est la seule dérogation à la loi de 1858 faite dans ce secteur. Il faudra un siècle pour que le fond du lit se stabilise.

A partir des années soixante, la plaine qui était restée peu occupée jusqu’alors, du fait même de l’importance de la contrainte fluviale, va accueillir de nouvelles fonctions liées à l’essor de l’agglomération lyonnaise. Les aménagements qui se multiplient sont la cause de nouvelles perturbations qui ont entraîné une nouvelle aggravation du risque. La plaine accueille ainsi les puits de captage de Crépieux-Charmy ; elle est traversée par plusieurs infrastructures autoroutières et ferroviaires ; on réalise des extractions massives dans le canal et dans la plaine ; enfin, on crée une zone de loisirs de 3 000 hectares en rive gauche du canal de Miribel qui correspond au parc de Miribel. A l’origine, le projet devait être reconverti en un complexe tertiaire dit du Lac d’Argent, qui bénéficiait du prestige de l’environnement aquatique.

On assiste au cours des Trente Glorieuses à une évolution du mode de gestion des inondations, identifiable également au sud de Lyon dans le Couloir de la Chimie et dans le Val de Saône à la même période. Selon les concepteurs de l’époque, il était possible de remblayer une partie de la plaine pour mettre hors d’eau les constructions, à condition de compenser cette réduction du champ d’inondation par un approfondissement du reste de la plaine, notamment en recalibrant le lit mineur. L’idée à Miribel-Jonage était que les remblais ceintureraient un lac réservoir à niveau variable qui permettrait de stocker une partie du débit de crue. Cette mesure compensatoire a été associée, par la suite, au projet de recalibrage du canal de Miribel dans le cadre de l’aménagement de la voie d’eau. L’ensemble devait garantir la non-aggravation des crues à l’aval et permettre de réduire le risque dans Lyon, en y abaissant le niveau des crues de 50 cm.

C’est sur ces bases que l’aménagement du secteur commence en 1970. Alors que la construction des remblais est bien avancée, la récession économique liée aux chocs pétroliers impose de revoir le projet à la baisse. La superficie de la retenue est réduite de moitié et son exutoire n’est plus contrôlé par un barrage mobile, mais est au contraire fermé par un seuil fixe, ce qui fait que le niveau des lacs reste constant. On ne pourra pas réduire le risque à Lyon, mais il s’agit de ne pas l’aggraver. Or l’étude hydraulique du nouveau projet prouve que la capacité d’écrêtement de l’île a diminué. Progressivement, on va oublier la nécessité de compenser l’emprise des aménagements et rien ne sera fait sur ce point. L’aggravation du risque est matérialisée par les crues du début des années 80 – les crues de 1981, 1982 et 1983 – qui ne sont que des crues quinquennales, mais qui ont quand même fortement touché les villages de Niévroz et Thil. Les communes se plaignent d’une aggravation des inondations. Elles mettent en cause non pas les remblais de la rive gauche mais l’engravement du canal de Miribel, et demandent que celui-ci soit dragué. Or l’engravement n’a jamais été démontré. Au contraire, on sait maintenant que la charge sédimentaire, qui provient de l’Ain, est en voie de tarissement. Il est bien plus probable que l’aggravation du risque soit

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due aux aménagements de la rive gauche. Pourtant, les pouvoirs publics vont accéder à la demande des communes sinistrées et, à partir de 1985, on lance des extractions massives dans le canal de Miribel.

En définitive, les actions humaines qui ont été réalisées sont la cause d’impacts cumulés qui ont provoqué la modification de l’enveloppe physique de la crue. Aujourd'hui, 350 hectares de plans d’eau, sur les 1 200 initialement prévus, ont finalement été réalisés. Les remblais que vous avez en orange sur la carte empiètent sur le champ d’expansion des crues et constituent des obstacles à l’écoulement des eaux de débordement. Les extractions dans le canal de Miribel ont provoqué son incision -jusqu’à 4 mètres par endroits- ce qui a chenalisé les crues comme l’indiquent les flèches rouges, et causé la déconnexion de la partie amont de l’île représentée en turquoise sur la carte. Ce secteur va s’auto-exhausser et va voir sa capacité d’écrêtement diminuer. L’ensemble de ces perturbations contribuent très probablement au report de l’onde de crue sur la rive droite, matérialisé par des flèches violettes sur la carte. L’augmentation des vitesses favoriserait le débordement en rive droite à partir des points bas.

En résumé, l’enveloppe physique de la crue s’est modifiée du fait des actions humaines. Les crues sont chenalisées. Le volume stocké en rive gauche a diminué, il est stocké moins longtemps, et l’onde de crue est apparemment reportée sur la rive droite.

Depuis le début des années quatre-vingt dix, on a pris acte du dysfonctionnement du système hydraulique et on s’est orienté vers une gestion globale du système. Mais cette gestion est compliquée par un certain nombre de constats, notamment le fait qu’il y a un problème de compatibilité des usages et des différentes fonctions dévolues à la plaine. En particulier, à l’heure actuelle, c’est l’alimentation en eau potable, qui de fait est prioritaire, ce qui n’est pas forcément compatible avec la question de l’écrêtement des crues.

Pour conclure, insistons sur l’importance du temps et de l’espace pour étudier les interactions entre le risque et l’urbanisation et saisir la problématique du risque et de sa gestion dans toute sa complexité. Cette approche géographique permet une analyse globale, territorialisée, des phénomènes, enrichie par la prise en compte des héritages géomorphologiques, du rôle des politiques antérieures de gestion et des interactions complexes entre l’hydrosystème et la société. Cette démarche complète celle de l’ingénieur, qui gère généralement le risque sur des chenaux considérés comme stables. Elle peut aider à la gestion du risque d’inondation en participant à l’effort collectif de culture du risque dont on connaît l’enjeu aujourd'hui, en permettant également de tenir compte des dynamiques naturelles et sociétales héritées du passé qui jouent encore un rôle essentiel, comme on vient de la voir, dans la configuration du risque actuel et à venir. Je vous remercie.

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Echanges avec la salle

Gérard BRUGNOT

Sans tarder, je lance la discussion sur le module Rhône.

Anne-Laure SOLEILHAVOUP, DIREN Rhône-Alpes

Je souhaitais moduler quelque peu les propos de Bernard Picon sur le plan Rhône, en tant que responsable de son volet inondation. J’ai bien entendu la critique sur la complexité. Lorsqu’il s’est agi de créer une stratégie sur la prévention des inondations, et plus globalement sur la prise en compte du fleuve dans toutes ses composantes, il a fallu imaginer aussi des systèmes de gouvernance, des groupes techniques, des groupes d’échange, des comités de concertation, etc. Quand je vois l'exemple présenté par notre collègue du Valais, je crois comprendre qu’il y avait une complexité à peu près similaire, car il faut bien associer le local et avoir une coordination de bassin. Donc, j'entends bien que c’est difficile et complexe, mais on essaie de communiquer le plus possible pour donner des éléments de compréhension.

Des actions transversales, en fait, il en existe. C’est vrai qu’un exercice de comité de pilotage qui est, je le rappelle, une instance qui réunit une centaine de personnes, est difficile pour exposer des choses, puisque ce sont souvent des instances où l’on va faire passer un certain nombre de messages. En termes d’exemples sur la transversalité, je ne vais vous en donner que deux. C’est, par exemple, la réduction de vulnérabilité qui est prise en charge par le volet inondation, mais qui s’appuie aussi sur les réseaux d’énergie; c’est donc bien une action transversale (volet énergie et volet inondation). Autre exemple d’action transversale : l’expérimentation d’une remobilisation des marges alluviales du Rhône. C’est un sujet qui tient à cœur à la fois à la CNR et à Jean-Paul Bravard, notamment; il est traité dans le cadre du volet inondation, mais a aussi des retombées très bénéfiques pour le volet qualité, ressources et biodiversité.

Ensuite, vous avez parlé du poids financier des opérations sur les digues. Il est vrai que des crédits seront alloués de manière à faire face aux réparations pour les dégâts de 2003. Je tiens cependant à dire qu’il n’y a plus ce qu’on constatait auparavant, c'est-à-dire cette sorte d’échelle de perroquet où les digues, d’un côté et de l’autre du Rhône, augmentaient au fur et à mesure. Mais, en aucune manière, les travaux qui ont lieu ne remettent en cause le fait de chercher à aménager des déversoirs. Vous le savez, on étudie la possibilité d’aménager des déversoirs aussi bien en amont d’Arles, pour rester sur le territoire de Monsieur Picon, que dans l’île de la Camargue. Donc, si, effectivement, Napoléon III avait mis tout ça dans sa lettre à Plombières, le fait est que la population locale entend ce type de principe plus difficilement. Mais, pour l’instant, c’est bien l’axe que prône l’ensemble des partenaires du plan Rhône, les régions et l’Etat.

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Enfin, je voulais vous donner quelques exemples où l’on ne met pas de l’argent que dans des digues. Notamment, l’exposé de Monsieur Bravard a mentionné le fait qu'on réalisait également des travaux en matière de connaissances, comme la classification des zones inondables. Je pense aussi à la base de données topographiques qui va bénéficier à la totalité des porteurs de projets potentiels du Léman à la mer, ou au film de témoignages qui va être présenté prochainement par l’Etat et par Denis Cœur sur la partie sud.

Voilà. Je tenais à préciser tout ça avant qu’il y ait un débat.

Gérard BRUGNOT

Merci. Effectivement, je pense que cela ne demande pas de réponse en tant que telle. Est-ce qu’il y a des questions ?

Roger GIRMA, Syndicat des communes riveraines du canal de Miribel, ancien maire de Thyl

Nous avons constaté, dans notre commune, depuis la fin des années 70, que pour des crues de débits de plus en plus faibles, l’inondation était de plus en plus forte dans les villages. Nous pensons que ce qui s’est produit pour une large part, c’est un oubli de l’histoire. On a oublié des tas de documents. Par exemple, quand le parc de Miribel-Jonage s’est créé, il était effectivement prévu un lac de retenue de plus de 1000 hectares. Progressivement, on l’a oublié. On a ensuite engagé toute une série de grands travaux qui ont enserré toute cette zone (autoroute, contournement de TGV, deuxième liaison autoroutière, projet de contournement fret ferroviaire), tout cela pratiquement au même endroit. Il faut savoir que l’autoroute mange 8 hectares au kilomètre de zone d’expansion des crues.

On accumule tout cela au nord de Lyon sans qu’aucune étude sérieuse n’ait été faite avant de lancer tous ces ouvrages d’art. Une étude, qui vient d’être menée par le BCOM, montre que la commune de Thyl, pour des crues inférieures aux quinquennales, peut être inondée. Il y a un projet pour essayer de mettre ce village hors d’inondation, en tout cas pour les crues trentennales.

Pour ma part, j’étais maire lorsqu’il y a eu les travaux de creusement du canal. Pourquoi ces travaux ? Nous avions demandé que la brèche qui permettait l’invasion des îles soit retravaillée car, depuis de nombreuses années, rien n’avait été fait. Petit à petit, les dépôts de limons s’étaient accumulés, et la rugosité était telle que l’eau ne passait plus. Donc, ne pouvant rien obtenir, il y avait un marchand de gravière sur notre commune qui avait obtenu de creuser au niveau du canal. On n’a pas creusé que là. On a aussi creusé pour faire les travaux du viaduc de Sermenaz. C'est-à-dire qu’en fait, c’est tout un secteur qui a fait l'objet d'actions qui ont pu effectivement avoir des effets aggravants.

François GIANNOCCARO, Institut des Risques Majeurs

Ma question s’adresse à Jean-Pierre Jordan. Il est intéressant de voir, dans votre pyramide qui modélise un peu votre réflexion, que vous avez un pavé, que, sans doute beaucoup ont regardé, sur le rôle écrêteur des barrages de retenue et le système fonctionnel que vous avez affiché. Il est vrai qu’en France, le rôle écrêteur

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des barrages de retenue est flou, voire inexistant. La question se pose souvent pour le volet économique qu’il y a lieu de développer avec les exploitants des barrages. Qu’en est-il de cette réflexion ? Qu’y a-t-il derrière ? Est-ce que vous pourriez nous éclairer au-delà du système fonctionnel, sur la démarche que vous avez dû engager avec les exploitants pour pouvoir faire apparaître une telle réflexion avec une logique de fonctionnement ?

Jean-Pierre JORDAN

Merci pour cette question. Tout d'abord, j’aimerais revenir sur le fait que les effets des barrages ne sont pas pris en compte dans l’aménagement même du Rhône. On sait que c’est un gain, mais il ne pourra jamais être garanti à 100 %. L’effet est estimé à environ 20-30 %, mais on sait qu’il peut toujours y avoir des dysfonctionnements. Même si l’on se repose sur un modèle, il peut y avoir des erreurs de prévision, des erreurs de gestion. Mais c’est quand même un effet qui doit être pris en compte, surtout aujourd'hui, parce que les barrages peuvent, pour les crues d’ordre centennal, qui sont proches de la capacité actuelle, sauver la situation, comme cela a été le cas en 1987, 1993 ou 2000, où l’on a eu la chance d’avoir des barrages qui n’étaient pas remplis. L’idée, c’est de vraiment renforcer cette action préventive.

Il y a eu de nombreux contacts avec les sociétés hydroélectriques. C’est encore en voie de négociation. Une chose qui parle en faveur de cette gestion de la part des sociétés hydroélectriques, c’est qu’elles ont également intérêt, pour leur image, à favoriser cet objectif multiple de gestion des crues. D’autre part, il y a aussi un système de dédommagement qui est prévu, sur la base d’une perte du potentiel hydroélectrique. Mais si cette gestion est basée sur un modèle, le but est d’avoir un barrage plein à la fin de la crue. C’est la théorie. En pratique, il pourrait n'y avoir aucun dédommagement puisque tout ce qui a été turbiné à titre préventif a généré dans le même temps une recette.

Je citerai aussi une autre action qui a été entreprise il y a quelques années, qui a été de surélever le déversoir du barrage Mattmark. Les coûts de génie civil étaient de l’ordre de 100 000 euros, donc très faibles. Mais, comme on a réservé une tranche d’environ 2,5 millions de mètres cubes dans le barrage, on a payé 4 millions d'euros pour pouvoir utiliser et réserver de manière constante cette tranche pour le laminage; pas uniquement pour le Rhône, mais aussi pour la gestion des crues sur la Viège.

Gérard BRUGNOT

On arrive à l’heure de clôture, avec une dernière question.

Michèle DUPRE, sociologue, MODYS

Je travaille sur les risques industriels majeurs dans le secteur de la chimie. Je voulais juste souligner un contraste entre deux interventions, portant sur la question de l’utilité des outils. On a eu l’intervention de Monsieur Jordan qui nous a montré le réaménagement de 8 kilomètres du Rhône et l’apport de la recherche à travers des outils mathématiques, mais aussi à travers des manuels de démarche participative – qu’il n’a pas commentés, d’ailleurs – et à travers un modèle, autour

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duquel on a pu rediscuter les modèles mathématiques-, mais qui permettait aussi de discuter avec la population et d’augmenter l’acceptabilité des choses, tout au moins de lever les controverses.

Par opposition, l’intervention de Claire Arnal, tout à l'heure, nous présentait une échelle extrêmement intéressante et innovante, en prenant notamment en compte des éléments de nature économique et sociale, la question de son utilité. Elle nous a dit que c’était quelque chose d’universaliste qui devait avoir une portée relative pour donner l’importance d’un événement. Bien qu’elle ait souligné, par ailleurs, qu’il y avait des intérêts divergents, elle ne nous a pas dit se saisir de cet outil-là comme un moment où, justement, il y a des controverses. On a parlé de la question des médias. Vous nous avez dit que vous les utilisiez - essentiellement les grands médias - comme un indicateur de l’importance de l’événement. Ce que vous nous avez montré dans votre exposé, c'est que chacun des points étaient à la fois des outils et des extraits de la presse locale. Et qu’est-ce que nous montrait la presse locale ? C’était l’importance de l’événement, certes, mais surtout qu’il y avait des intérêts extrêmement divers. On voyait des analyses de l’événement particulièrement controversées. On ne voit pas comment cet outil pouvait servir. Pourtant, la question que Monsieur Le Bars a posée tout à l'heure allait bien dans ce sens pour, justement, analyser les controverses et faire avancer un peu les choses. Il me semble que ce contraste vaut la peine d'être examiné, - justement, dans cette enceinte où il y a beaucoup de décideurs publics -, et il convient de se poser la question de l’utilité de l'outil. Là, peut-être qu’on a à réfléchir un petit peu, y compris aux modes culturels et aux modes administrativo-politiques.

Gérard BRUGNOT

Je pense que c’est plus une proposition, et que ce sont des choses qui vont être reprises cet après-midi, dans les propositions de prolongement de ce colloque. Par respect pour ceux qui ont préparé l’intendance, je suis obligé de clore cette matinée. Merci à tous les intervenants.

Jacques JOLY

Je m’associe à Gérard Brugnot pour remercier tous les intervenants et tous ceux qui ont participé au débat. Je vous propose de nous retrouver à 14h15 pour la suite du colloque. J'invite les participants de la table-ronde à se regrouper autour de l'animateur Claude Costechareyre pour préparer leurs interventions.

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Deuxième séance

Animateur :

Philippe Huet, AFPCN

Les enseignements tirés des catastrophes

Intervenants :

Jean-Luc Wybo, Armines

Geneviève Decrop, consultante

Les avancées des politiques locales en matière de r isques

Intervenants :

Pierre Laréal, Adjoint au maire de Lyon

Michèle Eybalin, Conseil Régional Rhône-Alpes

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Les enseignements tirés des catastrophes

Philippe HUET, AFPCN, directeur des opérations

Je suis donc Philippe Huet, l’un des responsables de l’Association française de prévention des catastrophes naturelles. Mon vice-président délégué est Yves Le Bars, qui est intervenu ce matin. Cette association vous accueille aujourd'hui avec la Communauté urbaine de Lyon, la Région Rhône-Alpes et le Cemagref - qui est d’ailleurs notre partenaire au sein de l’AFPCN – et elle a pour but de promouvoir toutes les politiques publiques, ou les initiatives privées d’ailleurs, de prévention des risques naturels et technologiques associés. Vous avez, dans vos dossiers, une excellente plaquette avec des recommandations de publications, et vous avez, à l'accueil, pour ceux que ça intéresse, des bulletins d’adhésion.

Notre réunion d’aujourd’hui correspond à plusieurs actualités dans le domaine des risques. Tout le monde ignore que c’est aujourd’hui, 10 octobre, la Journée internationale de prévention des risques naturels. La ministre devait faire publier quelque chose, mais je n’ai encore rien vu. C’est aussi la Semaine de la sécurité civile. Monsieur le Préfet de Fürst me disait ce matin qu’il y a des actions de sensibilisation dans les écoles de la région. Voilà au moins deux motifs de parler des risques naturels et technologiques associés. C’est aussi la Fête de la science. Donc, une raison de plus d’avoir un dialogue entre responsables opérationnels et scientifiques. Et puis juste un petit mot : c’est aussi le Grenelle de l’Environnement. A ce sujet, je vous encourage à lire les synthèses des rapports sur le site qui lui est dédié – certains d’entre vous l’ont peut-être fait – voire à lire l’ensemble des rapports, au total à peu près mille pages, mais cela se lit facilement. Et vous verrez que dans cet exercice, la place de la prévention des risques naturels est assez faible. Malgré nos efforts, modestes, car nous sommes une petite association, il est clair qu’il y a encore un fossé, ou une ignorance, entre associations en charge de l’environnement et associations qui militent dans le domaine des risques. Et il y a là une vraie question : la nature calme sait aussi se déchaîner, et ne vouloir s’intéresser qu’à la nature calme, c’est se réserver des surprises quand la nature se déchaîne. Il y a actuellement, comme vous le savez, des réunions régionales sur le Grenelle; si vous y êtes inscrits ou si vous avez des messages à faire passer, vous pouvez aller voir sur notre site afpcn.org, et vous y trouverez des argumentaires sur la prise en compte des risques naturels dans le développement durable. A ce sujet, d’ailleurs, les exposés de ce matin, en particulier les derniers sur le Rhône, ont été tout à fait éclairants.

Notre après-midi va être consacré à une approche assez transversale de ces questions, puisque nous aurons d'abord les interventions de deux scientifiques.

En premier, Jean-Luc Wybo qui est maître de recherche à l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris et bien connu dans les milieux des risques et au-delà, en particulier pour ses travaux sur les entreprises, les organisations publiques et les retours d’expérience, dont il va nous parler.

Et puis nous aurons une deuxième intervention, dans la foulée, de Geneviève Decrop, qui est une sociologue indépendante et qui a beaucoup travaillé dans le

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domaine des risques. Je peux témoigner que c’est une scientifique qui est proche des responsables opérationnels, qui n’hésite pas à les accompagner dans les expertises avant décision, et qui nous parlera d’un acteur peu présent, alors qu’il l’est dans la tête de tout le monde, les associations de victimes.

Nous aurons ensuite un premier débat. Puis, Monsieur Lareal, qui est professeur honoraire des universités, géotechnicien, adjoint au maire de Lyon, mais aussi conseiller communautaire, chargé des universités et de la recherche, nous dira ce qui est réalisé au titre de ces collectivités territoriales, et comment il envisage les liens chercheurs-opérationnels. Enfin, Madame Eybalin, dont je salue la présence et, qui est présidente de la Commission risques et environnement du Conseil régional Rhône-Alpes, nous dira ce que le Conseil régional fait dans le domaine des risques et quelles sont les perspectives d'action. Nous aurons alors un deuxième débat avant de céder la place à la table ronde.

Avant de passer la parole à Jean-Luc Wybo, je voudrais dire deux mots sur les prochains rendez-vous de l’AFPCN, après avoir beaucoup remercié le préfet Klinger et Jacques Joly du Cemagref ainsi que le ministère de l’Écologie, Eric Vindimian et Sylvie Charron, d’avoir permis de monter cette journée. Les prochains rendez-vous que vous propose l’AFPCN sont les 14 et 15 novembre à Météo France à Toulouse, sur le thème de la prévision, de la vigilance et de l’alerte : comment rendre cohérents les dispositifs de l’Etat, les dispositifs des collectivités de toutes tailles, qui se multiplient et les dispositifs des associations ou des professionnels qui existent. Vous y êtes, bien sûr, tout à fait les bienvenus.

Et puis il y a une autre manifestation qui n’est pas encore totalement calée. J’en dis un mot si Madame Eybalin m’y autorise, parce que cela se passera dans la région. A Divonne-les-Bains, les 5 et 6 décembre, nous organisons une réunion à dimension européenne avec des Allemands, des Italiens, des Suisses, et des Français bien sûr, sur le thème du lien prévention-secours; j'en profite pour saluer la présence d'un certain nombre de responsables de SDIS. Il s'agit de réfléchir sur un point capital : comment faire travailler ensemble les pompiers, les ingénieurs, les architectes, en un mot les responsables de la prévention et les responsables de l’intervention.

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Le retour d’expérience

Jean-Luc WYBO

ARMINES ENSMP Sophia Antipolis BP 207 06904 Sophia Antipolis Cedex [email protected]

Je vais vous parler de retour d’expérience. Le travail que je vais vous présenter a été initié dans le cadre du programme EPR qui, comme on vous l’a déjà dit, s’est terminé en 2003, ce qui fait quatre ans, et qui, depuis, a été repris dans un certain nombre d’applications et a notamment donné lieu à un guide méthodologique, aujourd’hui distribué par la sécurité civile à toutes les préfectures.

La première chose dont je voudrais vous entretenir, c’est où se situe le retour d’expérience dans la maîtrise des risques. Mon opinion, ma version des choses, c’est que la maîtrise des risques doit être vue comme une boucle de progrès qui associe quatre processus principaux. On essaie d’anticiper à l’avance les situations et les scénarios qui peuvent se dérouler. Ensuite, il y a une phase de vigilance, c’est-à-dire qu’une fois que l’on sait et qu’on a fait approprier par la population et les différents acteurs quels étaient ces risques, quelles étaient leurs sources et quelles étaient leurs conséquences, on peut organiser une vigilance, qui est le thème, d’ailleurs, dont vient de parler Philippe Huet pour la prochaine réunion à Météo France.

Ensuite, à partir du moment où ce processus de vigilance est en place, lorsque des situations se déroulent, lorsqu’il y a une inondation, lorsqu’il y a une fuite dans une usine chimique ou autre chose, on va essayer de gérer ce problème. Au départ, on va essayer de le faire sous forme de gestion opérationnelle, c’est-à-dire d’appliquer des procédures, des plans d’intervention, etc. Et, éventuellement, ceci peut déboucher sur une crise qui, pour moi, est la déstabilisation de l’organisation. Je parle de gestion opérationnelle, j’essaie d’être positif, c’est-à-dire qu’a priori, on ne sort pas de ce cadre, c’est-à-dire que les procédures, les plans d’intervention, etc. qu’on a mis au point sont efficaces et qu’on arrive donc à garder le contrôle de la situation. Malgré tout, chaque expérience est intéressante et on se pose donc la question de savoir quelles sont les leçons qu’on peut tirer après une gestion opérationnelle. Mais on peut également se poser la question de savoir quelles sont les leçons qu’on peut tirer lorsqu’on fait des exercices de simulation - je vous montrerai, à la fin de l'exposé, un grand exercice réalisé à la demande du préfet de Lyon et du SIDPC l’an dernier sur Lyon -, et quels sont également les enseignements qu'on peut tirer à partir des retours d’expérience sur des accidents ou des crises qui ont eu lieu ailleurs. C’est un aspect qu’il ne faut pas négliger: par exemple, après Katrina, à partir de ce qu’on peut lire dans les rapports - les Américains, les Anglais, un certain nombre de pays étant relativement ouverts et distribuant assez facilement les rapports de ce genre de crise - il faut simplement se poser la question « à la lumière de ces événements, si cela arrivait dans un pays comme le nôtre, est-ce qu’on serait capable de mieux le gérer ? » Par exemple, EDF fait cela systématiquement : chaque fois qu’il y a une rupture brutale

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du courant électrique –blackout-, ils se posent la question de savoir si les mêmes circonstances pourraient amener les mêmes conséquences. Donc, le retour d’expérience, c’est finalement de tirer des enseignements à la fois des faits réels, de la gestion opérationnelle et éventuellement des crises, des exercices de simulation, mais c’est aussi de tirer éventuellement des expériences, des leçons de ce qui est arrivé, hélas, à d’autres organisations.

La deuxième chose que je voulais vous dire, qui est importante, c’est que le retour d’expérience est souvent vu comme quelque chose de négatif. J’ai vu beaucoup de réunions de retour d’expérience, de « débriefings » comme on dit souvent, dans lesquels chacun vient un peu sur la réserve, en essayant de ne pas forcément trop parler des choses qui n’ont pas bien marché. Ce qu’il faut voir, c’est que les crises, les accidents et les exercices apportent aussi énormément d'enseignements sur les forces du système. Autrement dit, si l’on peut effectivement identifier un plan qu’il faut améliorer, une ressource qu’il faut adapter, une formation qu’il faut mettre en place, on peut aussi voir ce qui a marché. Et il est extrêmement intéressant de comprendre, par cette analyse, que par exemple, une barrière de prévention, un dispositif qu’on avait mis en place, technique ou organisationnel, a bien fonctionné, parce qu’il faut s’en servir pour valoriser les gens qui l'ont pris en charge, valoriser les acteurs qui ont émergé, qui ont fait quelque chose de positif en permettant de sauver la situation.

Il y a de nombreux modes d’organisation ad hoc - je vais vous montrer ce qui a été fait lorsqu’on a analysé la crise de l’Erika - qui se révèlent tout à fait adaptés. C’est-à-dire qu’il y a un plan au départ et, pendant la crise, finalement, le plan est plus ou moins applicable, et vous avez des gens, des groupes, des services qui se mettent ensemble et qui se disent : « On va essayer d’inventer une nouvelle solution ». Le problème, c’est que, souvent, une fois que la crise est finie, on oublie les solutions qu’on a inventées, on dit : « Voilà, on a fait notre travail, tout s’est bien passé. Ce n’est donc pas la peine de le garder en mémoire. ». Chaque personne se rappelle ce qu’elle a fait, mais la collectivité n’a pas appris. Donc, il est très important, quand on fait du retour d’expérience, de travailler aussi bien sur les faiblesses que sur les forces.

En gros, il y a quatre conditions principales pour que tout cela puisse marcher :

• Dissocier le récit de la sanction. J’ai fait pas mal de travail avec le procureur de Lyon sur la signification du retour d’expérience pour un procureur. Et, finalement, ce n’est pas aussi difficile que cela d’arriver à concilier le retour d’expérience pour progresser et l’analyse juridique ou judiciaire qu’il y a nécessairement après une catastrophe pour établir les responsabilités.

• Rechercher les connaissances et les savoirs de chacun. Avec un retour d’expérience qui est fait uniquement avec les chefs de services, en général, vous n’apprendrez pas vraiment la vérité sur ce qui s’est passé. Donc, il faut être capable de faire parler tous les niveaux de hiérarchie pour arriver à voir quel ont été à la fois «le pourquoi des décisions des responsables» et en même temps «le comment des actions des gens qui étaient sur le terrain». Et c’est ce mélange du pourquoi et du comment qui constitue vraiment un retour d’expérience efficace.

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• Partager les leçons une fois qu’on les a tirées. C’est-à-dire que les leçons tirées d’un accident sur un site industriel ont toutes les chances d’être valables aussi sur un autre site industriel de même type. Il y a toutes les chances qu’une préfecture, qui n’a jamais vécu ce type de risque, puisse tirer parti de l’expérience d’une autre préfecture. C’est pour cela que la DDSC a souhaité mettre en place une méthodologie commune. Les retours d’expérience qui seront faits en suivant cette méthodologie, du coup, seront forcément beaucoup plus faciles à partager entre préfets et entre services, puisqu’ils auront été établis sur le même modèle.

• Faire circuler cette information.

Comment peut-on favoriser l’apprentissage ? Premièrement, je pense que c’est en regroupant les expériences individuelles. En tant qu’individu, chaque fois qu’on vit une situation difficile, on apprend des choses, on n’a pas forcément envie d’en parler et on ne va peut-être pas aller jusqu’au bout des choses. Si on arrive à mettre ensemble les gens qui ont vécu le même événement suivant différents points de vue, on en tire en général des leçons beaucoup plus profitables. Cela veut dire aussi mettre en place un processus d’échange et de dialogue qui transcende la hiérarchie et les organismes, ce qui n’est pas forcément si facile à mettre en place.

Ensuite, le deuxième élément du retour d’expérience qui est important, c’est que, lorsqu’on a vécu une situation dramatique, que l’on soit maire, sous-préfet, gendarme, pompier ou autre, finalement, on a, quelque part, besoin d’en parler. On a besoin de trouver un endroit où l'on va pouvoir échanger- les psychologues seraient beaucoup mieux armés que moi pour en parler -, parce que cela permet, en quelque sorte, de décompresser, d’extérioriser quelque chose plutôt que de le garder en soi pendant des années.

Et la troisième chose qui aide aussi les acteurs, c’est de valoriser l’expérience de tous, c’est-à-dire que si une personne, quel que soit son niveau, a fait quelque chose d’intéressant, on doit la valoriser, la gratifier, et rendre hommage au travail qu’elle a fait. A partir du moment où on prend l’habitude de se parler, et surtout de se parler de choses qui ont à la fois réussi et dans lesquelles on a eu des difficultés, cela renforce le dialogue et la cohésion. Donc, pour moi, le retour d’expérience fournit des traces du comportement du système de maîtrise des risques. Et, finalement, cela permet à l’accident ou la crise, au lieu d’être vécu comme quelque chose de négatif, de devenir une opportunité de réflexion, de progrès et d’apprentissage. C’est l’objectif des méthodes que nous avons eues l’occasion de développer.

Evidemment, la première chose que nous disent les industriels, les pouvoirs publics, c’est : « vous les chercheurs, vous êtes bien gentils, mais vous ne vous rendez pas compte, ça demande une ressource incroyable, il faut mobiliser des gens pendant des jours. On n’a pas les ressources, ils n’ont pas le temps, etc. ». Donc, à la demande de la DDSC, nous avons réfléchi sur ce que j’appelle le potentiel d’apprentissage. Le potentiel d’apprentissage, ça veut dire quoi ? Ça veut dire identifier si un événement est porteur de plus ou moins d’apprentissage, et donc si « ça vaut le coup » de faire du retour d’expérience plus ou moins poussé dessus. En gros, on peut définir ce potentiel d’apprentissage comme le degré de perturbation de l’organisation. L’organisation est perturbée soit parce que c’est

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grave, soit parce que c’est nouveau, c’est-à-dire qu’elle ne s’y attendait vraiment pas. Donc, finalement, si on a ces deux facteurs, si on a à la fois quelque chose qui est relativement grave et qui n'a jamais été vécu auparavant, il est évident que sur ces événements-là, on va apprendre beaucoup. Autrement dit, on distingue trois niveaux de retour d’expérience.

• Au premier niveau (faible gravité, fréquent), il n’y a pas grand-chose à apprendre, sinon pour les statistiques (par exemple, une petit inondation qui arrive chaque année).

• Au niveau moyen (gravité moyenne, assez nouveau), c’est un accident qu’on a relativement bien géré avec les procédures, donc qui était à peu près connu. Mais il peut être intéressant de se demander ce qui serait passé, par exemple, si telle ou telle mesure de prévention ou de protection n’avait pas fonctionné, si les ressources étaient arrivées dix minutes plus tard.

• Au troisième niveau, ce sont les accidents qui sont à la fois nouveaux et graves. Là, il est évident qu’il faut faire une analyse plus profonde. Nous nous sommes donc posé la question de savoir ce qu’il fallait analyser.

Pour simplifier, il y a trois choses à analyser. Premièrement, la dynamique, qui est importante, surtout pour un décideur. On reproche souvent à un préfet, à un chef d’entreprise : « Monsieur le directeur, Monsieur le préfet, avec toutes les informations que vous aviez, vous auriez pu prendre une autre décision. ». Mais, très souvent, le responsable, dans le contexte du moment où il a eu à prendre cette décision, n’avait pas ces informations. Donc, il est extrêmement important de recontextualiser la décision, c’est-à-dire d’analyser la véritable dynamique de la situation, la succession des faits qui se sont passés, des actions qui ont été prises, et comment les gens avaient, au fur et à mesure, l’information. Et cette recontextualisation, d’une part, dédramatise, parce qu’on n’est plus forcément responsable, on peut répondre : « A ce moment-là, je n’avais pas toutes les informations et j’ai bien dû prendre une décision. ». D’autre part, elle aide à tirer des enseignements, par exemple : « Si j’avais eu telle information à tel moment, j’aurais pu prendre une décision plus efficace. ». Et enfin, elle doit, en général, être associée à un plan d’action C’est-à-dire que c’est bien joli d’avoir fait du retour d’expérience, d’avoir vu qu’il y a des choses qui ont marché et des choses qui n’ont pas marché. Mais s’il y a des procédures à changer, s’il y a des formations à mettre en place, s’il y a des équipements à acheter, des capteurs ou je ne sais quoi, il faut que, dans le retour d’expérience, il y ait un paragraphe qui dise : « Nous avons décidé d’investir dans telle voie et de s'assurer, ensuite, que les investissements ont bien été réalisés. ».

Quelles sont les étapes de la méthode Rex de niveau 3, celle dont je parlerai, les deux autres étant relativement simples ? La première, c’est la collecte des données (tout document, fax, photo, vidéo, etc.) et ce qui a pu éventuellement être collecté par les journalistes qui sont présents souvent plus vite que certaines autres personnes. Ce peut être aussi la main courante ou des enregistrements de capteurs. A partir de là, on reconstitue l’enchaînement des événements, ce qui permet de recontextualiser. On va ainsi identifier quelles sont les personnes qui ont vraiment participé à cette gestion. Suivant les cas, pour une petite inondation ou un petit accident, cela peut aller jusqu’à 6 ou 7 personnes. Pour un cas comme l’Erika,

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que je vais vous présenter après, on a interviewé une trentaine de personnes. Donc, ce n’est ni 2 ni 200, c’est quelque part entre les deux. À partir de là, on recueille le récit, généralement de manière anonyme, ce qui fait que la personne peut raconter librement ce qu’elle pense, quel que soit son statut, c’est-à-dire qu’on coupe la relation « qui a dit quoi ». Et en particulier, on pose à chaque personne des questions sur les alternatives, c’est-à-dire qu’on leur demande si on aurait pu faire autrement, si cela aurait pu être mieux, si cela aurait pu être pire, si elle-même aurait pu agir autrement, etc… Cela permet de faire apparaître ce que, dans notre domaine, on appelle la connaissance tacite, c’est-à-dire la connaissance qui n’est normalement pas verbalisée. Quand on remet les gens dans l’action, en leur faisant raconter leur propre histoire et qu’on leur demande si on aurait pu faire autrement, ils sont dans une situation favorable pour que cette connaissance puisse sortir.

Ensuite, on sort une synthèse de tout ça, c’est-à-dire qu’on formalise sous forme d’une série chronologique de cycles de décisions, et cela donne une image globale de la succession des événements et des décisions. A partir de là, on utilise ce document, qu’on distribue à tous les intervenants, et on fait ce qu’on appelle la réunion miroir. Pourquoi miroir ? Parce qu’on projette cette image globale aux acteurs en leur disant : « Est-ce que c’est bien comme ça que vous avez vécu l'évènement ? », tout en sachant qu’on leur projette l’histoire complète et que chacun a amené une pièce du puzzle. Cela permet de valider que ce qu’on a trouvé est bien vrai, cela permet de créer des opportunités de dialogue entre les uns et les autres, notamment sur les problèmes de pourquoi et de comment, et cela permet de tirer des enseignements.

Que peut-on en tirer comme connaissance ? Je crois que si l’on veut motiver des élus, si l’on veut motiver des personnes de l’administration, si l’on veut motiver des industriels, il faut plutôt être carotte que bâton, il faut leur expliquer ce qu’ils vont en tirer. Donc, un retour d’expérience est censé vous amener cinq points principaux en termes de compréhension. D’abord, cela va vous permettre de comprendre les origines réelles des situations, les causes et, en même temps, ce qui aurait permis de les éviter, les conséquences et ce qui aurait permis de les réduire. Deuxièmement cela va vous permettre de reconstituer la dynamique et, comme je disais tout à l’heure, de recontextualiser. Troisièmement, cela va vous permettre d’identifier les facteurs qui ont contribué à créer éventuellement une situation de crise ou qui ont contribué à rendre les choses difficiles, par exemple, une difficulté de communication, de coordination. Une chose également que je vais vous présenter sur l’Erika : cela permet aussi de voir les boucles de contrôle, c’est-à-dire dans quelle mesure des gens ont été capables de rattraper la situation et ont permis à l’organisation d’en garder le contrôle. Enfin - je ne détaillerai pas les vulnérabilités, puisqu’on fait actuellement une étude pour le ministère de l’Intérieur là-dessus -, cela permet d’identifier, dans l’organisation, où sont les fragilités, mais aussi où sont les forces.

Sur le cas de l’Erika, qui était le cas emblématique et qu’on a traité dans le cadre du programme EPR, je voudrais vous montrer le réseau d’acteurs qui a réellement participé à la gestion de crise - parce que là, il s’agissait vraiment d’une crise - sur Belle-Ile. Il y avait beaucoup d’acteurs, cela représentait des milliers de personnes. Au départ, il y avait le plan Polmar, qui prévoyait tous les acteurs «habituels» : les maires, les pompiers locaux, la DDSC, le préfet, la DDE locale et éventuellement

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l’armée. Et vous voyez qu’il s’est rajouté un certain nombre d’autres acteurs, «les sénateurs», par exemple. Je vous rassure, il n’y a pas trois sénateurs à Belle-Ile. Ce sont des retraités qui avaient une vie assez tranquille, qui donc étaient appelés «sénateurs», et qui ont résolu le principal problème à l'origine de la crise à Belle-Ile. La crise à Belle-Ile n’a pas été créée par le fuel de l’Erika, elle a été créée, dès le lendemain matin, par les 600 bénévoles qui débarquaient de chaque ferry en disant : « Je viens sauver la Bretagne. ». Autant vous êtes capable d’organiser des pompiers, des militaires, vous êtes capable d’embaucher des gens, autant, quand vous vous retrouvez avec 600 Français, Européens qui arrivent et qui disent : « Je veux une pelle, je veux un râteau et je veux aider. », ça a l’air de rien, mais il faut les lister, les nourrir, les loger, les former, les protéger, etc. De la même manière, la DDE locale n’avait pas beaucoup de personnel et a donc pris des gens en CDD, a organisé des chantiers. Mais, rapidement, ce n’était pas suffisant pour faire face à l’ampleur des tâches. Donc, il a fallu embaucher des chefs de chantiers en CDD qui, eux-mêmes, ont encadré des personnes sur le terrain.

Et enfin - et c’était la première fois que cela arrivait dans une crise de cette nature - l’entreprise, dont la responsabilité – si je me rappelle bien, le procès n’étant toujours pas terminé – n’était pas officiellement engagée à l’époque, a mis en œuvre des moyens assez considérables, notamment pour aller nettoyer des parties de falaises qui n’étaient pas faciles à traiter, et ce pour montrer qu’elle faisait quelque chose face à la détresse des populations et des élus.

Donc, si l’on regarde au niveau des boucles de contrôle, on se rend compte qu’on avait effectivement un centre opérationnel départemental en préfecture, qu’on avait des PC avancés, notamment un à Belle-Ile, qui étaient en relation étroite avec les maires. Et vous aviez ces fameux retraités qui se sont chargés de l’accueil de plusieurs centaines de personnes, parce qu’ils ont aussi géré l’accueil de l’armée, des chefs de chantiers etc. qui n’étaient pas prévus au départ, et qui ont constitué deux boucles de contrôle supplémentaires. Et tout ce petit monde, avec les entreprises, est arrivé à nettoyer les zones polluées et a été capable de gérer les opérations de manière extrêmement efficace, puisque quatre mois après cette crise – qui était quand même dramatique – les zones polluées étaient redevenues propres, les plages étaient à nouveau accessibles aux baigneurs et la pêche était rouverte. Donc, je n’ai pas dit que l’Erika était une crise bien gérée, j’ai dit que les acteurs ont bien géré la crise qu’ils avaient à gérer.

Si l’on regarde l'évolution de la situation dans le temps –c’est aussi ce qu’on tire du retour d’expérience –, on voit que, finalement, le naufrage de l’Erika était censé amener les nappes plutôt en Vendée. Donc, au niveau de Belle-Ile, c’était une situation difficile pour leurs collègues, mais ils se sentaient moyennement concernés. Et puis, finalement, quand ils ont vu arriver des oiseaux mazoutés sur les plages, ils se sont dits que ça ne devait pas être très loin. Les nappes arrivent et, là-dessus, débarquent les volontaires. Tout cela a créé une situation chaotique qu’il a bien fallu gérer. Et évidemment, les bénévoles n’étaient absolument pas prévus dans le plan Polmar. Au départ, il y a eu l’organisation d’urgence qui s’est bâtie sur les plans existants, qui, petit à petit a été adaptée par les acteurs locaux et, grâce à cela, on a professionnalisé les chantiers. Comme disait le préfet du Morbihan à l’époque : « à partir du moment où les actions sont gérées par des professionnels avec des contrats, on est sorti de la crise ». Et je pense que c’était une excellente définition.

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Un autre exemple de l’extension de cette méthode est un cas qui nous concerne ici à Lyon; à la demande du préfet de région, nous avons fait, en février 2006, avec mes élèves de master, des doctorants, etc., l’instrumentation d’un exercice attentat - je vous ai juste mis quelques photos - parce que c’était un exercice qui a mobilisé environ 1 600 personnes. Nous avons placé une trentaine d’observateurs, sur trois sites : le site du métro, un site sur un tramway et un site qui était sur la place des Terreaux. L’ensemble des observateurs examinait le comportement des différents acteurs en temps réel. Donc, c’est une forme de retour d’expérience en temps réel pendant un exercice, mais qui a permis de mettre en évidence des choses extrêmement intéressantes. Nous avions notamment organisé le fait que les officiers de police judiciaire puissent travailler en même temps que les pompiers, comme dans une vraie situation de ce type. Cela a permis de voir les difficultés et les choses qui marchaient bien, en termes de «comment conserver les traces», puisqu’il était question d’un attentat et, en même temps, «comment secourir les blessés», qui étaient très bien simulés par des figurants de la Croix Rouge. Voilà quelques exemples de ce qui a été fait.

Pour finir, je crois que le retour d’expérience est un excellent outil pour progresser dans une organisation Cela permet de comprendre les événements, de comprendre les actions qui ont été réalisées, d’identifier les forces et en particulier les capacités d’adaptation, ce que nous appelons la résilience, et les capacités d’innovation, lorsque les plans ne sont vraiment plus utilisables, c’est ce qu’on appelle la robustesse. Cela permet aussi d’identifier les faiblesses, donc les plans, les ressources, les hommes, les facteurs qui ont contribué à la perte de contrôle et à la vulnérabilité. Et surtout, ce qu’il faut retenir, c’est que cela permet de tirer des leçons et d’améliorer l’anticipation.

Philippe HUET

Merci Jean-Luc Wybo, et je passe immédiatement la parole à Geneviève Decrop.

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Le rôle des associations de victimes

Geneviève DECROP

Consultante Chemin du lavoir 69 690 Bessenay [email protected]

Site internet http://genevieve-decrop.123.fr

Je vais parler d’une recherche que j’ai terminée en 2002, et je vais en parler en quelque sorte sans filet, car depuis cette date, j’ai quitté le champ des risques. Si j’ai accepté d’y revenir malgré tout aujourd’hui, c’est pour deux raisons: d’une part, parce qu’il m’a semblé – et je parle sous le contrôle des responsables de programmes – qu’il n’y a pas eu de suite à cette recherche. C’est donc une recherche qui est un peu sans descendance. Elle était déjà un peu orpheline parce que c’est un sujet qui n’était pas non plus très étudié à l’époque, alors que c’est quelque chose de tout à fait important. J’ai travaillé près d’une vingtaine d’années dans le champ des risques, et l’acteur victime était justement le grand acteur en creux, celui qui plombe la scène mais qu’on ne se risque jamais à interroger. J’ai accepté avec plaisir de revenir, aussi, pour une autre raison : c’est que je me suis attachée, pour faire cette recherche, à suivre une fédération d’associations de victimes de catastrophes, qui s’appelle la Fenvac, qui regroupe une quarantaine d’associations qui s’étaient créées après une catastrophe. Et parmi ce portefeuille – excusez-moi le terme – de catastrophes, certaines et non des moindres, intéressent notre région : l’accident du Drac et celui du tunnel du Mont-Blanc. Ce sont vraiment des événements qui ont marqué la scène publique en France.

Ces associations – il faut bien les distinguer des associations d’aide aux victimes, avec lesquelles elles entretiennent des relations un peu difficiles –, regroupent des victimes et des parents de victimes d’accidents collectifs. Selon leur définition, l’accident collectif ou la catastrophe met en jeu des victimes simultanées et plurielles, et met en cause une pluralité d’acteurs, voire d’institutions. Elles existent depuis la fin des années quatre-vingt et elles ont pris un essor important dans la première moitié des années quatre-vingt dix, la Fenvac s'étant créée en 1992-1993. Elles ont fait beaucoup parler d’elles, et notamment lors des procès ou des affaires dont je vous ai parlé, mais elles ont été très peu étudiées. En tout cas, dans une mesure inversement proportionnelle aux passions qu’elles suscitent. Sur les victimes, on a dit tout et son contraire : elles suscitent à la fois beaucoup d’émotion, de compassion et, en même temps, une grande suspicion, beaucoup de réticences.

Contrastant avec ce bruit médiatique, on sait très peu ce qu’elles font. En particulier, un de leurs premiers objets, quand elles se constituent, c’est la prévention. C’est-à-dire qu’elles se proposent d’intervenir sur la scène de la prévention, non pas d’une manière discursive, en faisant des déclarations, mais réellement en s’investissant dans les tours de table de la prévention, sur les scènes locales de risques, comme on a pu les appeler dans une autre recherche. Voilà quelque chose de surprenant, et qui vaut d’aller y regarder de près.

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Je vais essayer d’aborder leur action et leur histoire en deux points :

• comment rentrent- elles sur la scène de la prévention?

• et puis un sujet un peu délicat, qui soulève beaucoup de débats : la question de la responsabilité mise en jeu dans les procès et la culture de la précaution.

D'abord, l’inclusion des associations de victimes dans la prévention. C’est en quelque sorte l’acteur oublié et qu’on ne peut oublier, en ce sens que son ombre pèse lourdement sur les autorités responsables. Par définition, c’est le grand absent des cercles de la prévention. L’espace de la prévention s’est ouvert progressivement au cours des trente dernières années, à des acteurs autres que l’Etat en discussion avec lui-même (en quelque sorte, l’Etat et les ingénieurs discutant et arrêtant un risque et prenant des mesures). Petit à petit, sont apparus d’autres acteurs dont au premier chef les élus, mais également d’autres acteurs de l’économie, des associations, des chercheurs ou des cabinets qui ne sont pas nécessairement des chercheurs publics.

Les victimes sont les dernières venues. Evidemment elles ne pouvaient intervenir que sous la forme d’associations constituées et pour cela il faut attendre la décennie 1980. Et quand elles vont s’imposer sur la scène de la prévention – au cours des années 1990 - elles vont occuper la place redoutable que la figure de la victime occupait en creux auparavant. L’ombre de la victime planait alors sur la scène de la prévention comme la figure de l’échec, de l’erreur, de la mort. La victime de la catastrophe, c’est justement ce qui met les acteurs devant leurs défaillances. Et ça, personne n’aime le voir en face. On a beaucoup de compassion pour la victime, on s’occupe éventuellement de réparer les dommages qu’elle a subis, mais on préfère qu’elle reste muette et passive.

Or, à partir du début des années quatre-vingt dix, les associations de victimes se constituent et entendent prendre la parole et agir. Elles font une espèce de mutation, d’un rôle passif et muet à un rôle actif, qui, si on essaie de se représenter les choses, est extrêmement difficile. Elles se réinstaurent en tant qu’acteur. Et elles arrivent dans ces cercles de prévention, qui sont des espaces techniques, où, même si la scène s’est ouverte, il règne quand même un certain «entre soi» entre fonctionnaires, élus et techniciens, avec un langage commun relativement bien établi.

Quand elles y viennent, elles le font sur la base d’une « compétence » absolument unique, mais pas évidente à accepter : celle de ceux qui ont traversé et vécu une catastrophe. Contrairement aux apparences, à une lecture un peu rapide de la scène, elles ne le font pas en vertu d’une légitimité qui tomberait du ciel mais sur la base d’un très important travail : travail de relecture de ce qui est arrivé, de compréhension en profondeur des événements et travail collectif et individuel sur la perte et les émotions, d’ordre psychique. Pour se référer un petit peu à ce que disait tout à l’heure Jean-Luc Wybo, elles font ce travail de retour d’expérience pour leur propre compte en tant que victimes, en remontant dans le passé avant la catastrophe, en essayant de comprendre l’enchaînement de ce qui s’est produit, en faisant une relecture du temps de la catastrophe et puis en travaillant sur l’après, en exerçant une vigilance sur la prise en compte des enseignements tirés de la catastrophe passée pour prévenir celle à venir.

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Je voudrais citer l’affaire du Drac, en décembre 1995. Vous vous rappelez sans doute qu’à l’origine, il y a des lâchers d’eau depuis le barrage EDF de Saint-Georges-de-Commiers tandis qu’à l’aval, toute une classe d’une école primaire grenobloise se promenait dans le lit, à la recherche des castors. Six enfants et l’animatrice de la classe verte (embauchée par la Ville de Grenoble) ont été emportés et sont morts noyés. L’association Drac 1995, Enfance et prévention, s’est créée très vite après l’accident, et s’est mobilisée en vue du procès correctionnel, dont la première instance s’est tenue en 1997. A partir du procès pénal, elle a fait quelque chose qui a été très peu perçue en dehors du cercle étroit des acteurs concernés : dès la fin du procès en appel (1998), avant même que le verdict ne soit rendu, l’association Drac 1995 et EDF, les deux figures emblématiques du procès, prennent langue par delà l’adversité, - et Dieu sait si ces procès peuvent être violents ! – pour se dire : « maintenant, on travaille ensemble pour faire en sorte que ça ne se reproduise plus. » Il s’agissait des figures emblématiques d’un procès dans lequel il y avait beaucoup de prévenus venant d'institutions importantes : La Ville de Grenoble, l’Education Nationale, l’Enseignement privé. Alors que ces personnes, mises en cause en tant que personnes physiques et/ou morales se préparent à se pourvoir en cassation, les agents d’EDF, les plus lourdement chargés (et condamnés), renoncent à la cassation (poussés par leur entreprise, qui a pris totalement en charge leur défense) et décident (plus exactement EDF décide !) de collaborer avec leur adversaire dans la perspective de la prévention ! Je ne sais pas si on mesure la révolution que ça signifie et la portée morale et politique de l’événement. Il faut dire – et sans doute, était-ce une condition de cette coopération – que l’affaire du Drac a été un véritable séisme pour l’électricien national, un authentique traumatisme.

J’ai enquêté quelques années après et je peux témoigner, que tant du côté d’EDF, d’un certain nombre d’acteurs publics que du côté de l’association de victimes, la plus-value de ce travail en commun a été considérable. Travail tellement riche que le préfet de l’Isère de l’époque, ne voulant peut-être pas être en reste, a également invité l’association de victimes à participer à la réflexion sur la sécurisation des rivières en aval des barrages, sur les plans de secours, etc. Pendant un certain nombre d’années – peut-être que ça continue encore, je ne sais pas –, Drac 1995 venait régulièrement en préfecture rencontrer les acteurs de la sécurité et ont participé à un travail dont tout le monde s’est félicité. On en a peu parlé et il me paraît important de le mettre en évidence.

Je cite le Drac, mais il s’est passé la même chose, quoique d'une manière plus heurtée, plus conflictuelle, avec la SNCF après l’accident de la gare de Lyon de 1988. Ce fut la première association de victimes de catastrophe créée, qui a été à l’origine de la Fenvac, par le truchement de son très actif président, Jacques Bresson. Il y a eu, pendant des années et encore maintenant, un travail de dialogue, pas très facile, mais assez fructueux avec la SNCF. Il en est de même pour l’association des victimes du tunnel du Mont-blanc : l’association des victimes du tunnel du Mont-blanc, même avant les procès, a toujours parlé avec des responsables de la sécurité routière et du tunnel en vue de la prévention. Même si ces démarches sont encore minoritaires et encore souvent balbutiantes, il y a vraiment là quelque chose de fort et qui sera de plus en plus indispensable à l’avenir.

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Pour ce qui est de leur expertise, je reprends les mots des acteurs eux-mêmes. C’est un haut responsable d’EDF qui proposait, pour qualifier l’expertise d’association : « Ils sont notre tiers informé. » Les associations font, dans une invisibilité à peu près totale, un très important travail de traduction – de décodage et de réencodage pour reprendre encore une expression d’un responsable d’EDF – entre les victimes individuelles, entre celles-ci et leurs partenaires externes, avec les médias, de mise en langage de l’épreuve de la catastrophe. Cette mise en langage commun de l’épreuve de la catastrophe est très importante, tant du côté des services, des systèmes socio-techniques que du côté des organisations de secours, car le vécu de la catastrophe - je ne peux pas rentrer dans les détails - est quelque chose de très « diffracté » sur la scène, réputé incommunicable et qui divise.

Que font-elles sur le plan de la prévention ? Elles sont passées de l’épreuve à la vigilance. En paraphrasant l’expression de ce grand philosophe tchèque, Ian Patocka, « la solidarité des ébranlés» (à propos de l’expérience du front), on peut parler de la «vigilance des ébranlés». Ce n’est pas tout à fait la même vigilance dont parlait Jean-Luc Wybo tout à l’heure.

Cette vigilance part d’ailleurs, non de l’épreuve elle-même, mais de ce travail de décodage de l’événement, de ce qui s’est fait. C'est un travail de bénédictin ! Les associations font un investissement absolument considérable et bénévole (les moyens de la Fenvac sont dérisoires et sans aucune mesure avec ceux dont bénéficient les associations d’aide aux victimes (Inavem).

Ce qu’elles « décodent » - je crois que c’est tout à fait important de le souligner- ce qu’elles découvrent, c’est que tous autant que nous sommes, nous sommes avant la catastrophe les usagers quelque peu somnambuliques de grands systèmes techniques, de méga-machines, qui prennent en charge les aspects vitaux de notre vie quotidienne, nos besoins fondamentaux et à qui nous faisons une confiance aveugle ou très peu éclairée. Derrière ces machines, nous percevons des acteurs, qui parmi toutes les figures de ce monde, sont les plus insoupçonnables : une Ville, une grande entreprise publique, l’école, l’Education nationale. Au moment de la catastrophe, tout s’effondre et c’est la trahison ! Il faut aux associations de victimes dépasser le sentiment écrasant de trahison, pour explorer cette vérité, jusqu’ici réservée aux sociologues, aux ergonomes, à savoir que le monde n’est pas si sûr et que les procédures ne marchent jamais comme sur le papier. Elles confirment après Charles Perrow, que le régime normal de fonctionnement de nos institutions, c’est la panne. « Normal accident », disait Charles Perrow. Tout fonctionne dans l’à peu près. Bien sûr, par rapport à Charles Perrow, elles y ajoutent une certaine indignation. Mais tout cela, dûment travaillé, font qu’elles passent du mode somnambulique à celui d’une « défiance constructive » qui est à mon sens le seul mode possible d'exister (sur le plan moral et politique) dans notre monde postmoderne : des gens qui portent sur le monde un regard distancié, critique, mais qui souhaitent apporter leur contribution à la reconstruction d’un monde commun.

Je ne m’étends pas plus sur ces points et je passe à la question du droit : responsabilité et précaution. On ne peut oublier que tout ce travail de décodage, de relecture, les associations de victimes le font au travers d’un procès, pénal, la plupart du temps. Est-ce que le procès pénal est une étape obligée ? Là, il y a un

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débat qui a beaucoup opposé les juristes, des sociologues et les autres … Le problème, c’est que le pénal est la seule procédure qui permette une recherche de la vérité, alors que le civil ne parle que de réparation, c’est-à-dire que la vérité est seconde par rapport à la question des dommages et de l’indemnisation. Dans le procès pénal, l’instruction, toute la période de l’instruction est un moment capital pour les associations de victimes, parce que c’est le moment où elles auront accès aux pièces et aux sources et pourront rentrer dans l’événement. Du point de vue des juristes, c’est une cote mal taillée, parce que ces affaires se traitent (en correctionnelle, bien évidemment), sur une catégorie de délits qu’on appelle « non intentionnels » et que c’est un objet pour le moins bizarre dans le droit pénal. Peut-être faudrait-il trouver autre chose, inventer une autre procédure, mais cette catégorie de délits a été utilisée au début des années 1990 pour traiter de questions réelles, pertinentes au regard de l’état du monde (mise en danger délibéré d’autrui, homicide involontaire), et pour lesquelles on a créé de nouvelles possibilités d’incrimination, de nouveaux régimes de responsabilités : par exemple la responsabilité pénale des personnes morales, qui est une innovation malheureusement sous-utilisée ou le principe de précaution. On ne peut simplement éluder la question et renvoyer purement et simplement ces affaires à la juridiction civile, comme s’il s’agissait d’affaires purement privées.

On a beaucoup dit que les associations de victimes allaient au pénal parce qu’elles avaient besoin de se venger, qu’elles s’en servaient comme d’une scène thérapeutique pour leur travail de deuil, etc. Je ne rentre pas dans le débat. On a dit beaucoup de sottises. Tout ceci est en réalité très secondaire par rapport à l’objectif premier des associations. Je ne parle pas des victimes individuelles mais bien des associations, qui travaillent, d’ailleurs, avec les victimes individuelles au dépassement de la problématique de la vengeance. Le premier lieu « thérapeutique » n’est pas le procès, mais les associations elles-mêmes, dans leur colloque interne.

Je terminerai avec quelques questions ouvertes, que je ne peux malheureusement qu’effleurer.

Est-ce que le « risque pénal » - c’est à dire la terreur pour les acteurs d’être impliqués dans un procès – pourrait envahir, parasiter les organisations professionnelles, au point qu’ils ne s’investissent plus dans la prévention, mais seraient tentés de se replier, de s’abstenir d’agir (qui implique de s’exposer), ou d’agir démesurément ? La prévention demande des démarches ouvertes, une communication active qui peut toujours, après coup, se retourner contre vous. Bref le principe de précaution pourrait se traduire en principe de parapluie et là évidemment, ce serait un grave effet pervers de toute cette aventure que je viens de vous résumer.

Dans le cas du Drac, pour ce qui concerne ce procès, il y a eu quatre procédures. Il y a eu une procédure en première instance, une procédure en appel, la cassation, parce qu’entre temps on a voté la loi du 11 juillet 2000 du sénateur Fauchon destiné à verrouiller l’accès à la chaîne de responsabilités et le procès a donc été rejugé à Lyon en 2002. Finalement, au bout du bout, le seul acteur qui a été véritablement condamné, c’est EDF au travers de ses trois agents. C’est le seul qui a pris à bras le corps la question de la sécurité. Tous les autres acteurs se sont mobilisés pour ne pas être mouillés - si je puis me permettre ce mauvais jeu de

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mots - ou puisqu’ils l’ont été de toute façon, pour être mis hors de cause, blanchis. Tandis qu’ils consacraient toute leur énergie à cette cause, ils n’en consacraient aucune à l’examen de leurs responsabilités (je ne dis pas culpabilités !) dans l’affaire. Il m’a été très difficile de les approcher lors de l’enquête, mais le peu que j’ai pu entrevoir d’eux m’a laissée deviner l’ampleur du malaise non élaboré, non symbolisé, du non dit, qui continuait, des années après, à les travailler souterrainement. Voilà un beau sujet de recherche pour l’avenir : les cadavres dans les placards des organisations.

Par rapport à la question du risque zéro, on a souvent reproché aux associations de victimes de ne pas être tolérantes au risque, de ne pas l’accepter, de croire au « risque zéro ». C’est un faux débat, je le dis avec force. Le risque n’existe pas en soi. Il y a des risques que l’on choisit et qu'on accepte de prendre parce qu’on a des gains, et il y a des risques que l’on subit, où les gains sont noyés dans l’épaisseur du social, mais où les pertes sont concentrées sur quelques personnes, qui sont les victimes, justement. Cela donne des statistiques pudiques et hypocrites. Quand on parle de risque acceptable, cela veut dire qu’on accepte tacitement, au-delà d’un certain niveau de sécurité, un taux de victimes potentielles, qui un jour deviennent des personnes réelles. A ce moment-là, la victime statistique du risque se rebiffe. Il est sans doute impossible socialement de faire autrement, et les éternels optimistes du progrès diront qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. Mais un jour, comme le disait Hannah Arendt, « les œufs se rebiffent » - indépendamment de leurs convictions d’antan sur le progrès, d’ailleurs ! – et on ne peut que l’accepter comme un fait social inévitable (et peut-être un autre type de progrès aussi important dans son registre que le progrès technique). L’avantage de cette révolte, c’est qu’elle crée une tension, un rapport de force favorable à la sécurité, dont tout le monde bénéficie en fin de compte. Avec de surcroît, cette avancée morale que personne ne peut plus, virtuellement, s’extraire, s’exonérer à l’avance de ce risque statistique : les associations de victimes sont là pour empêcher qu’on en oublie l’inconfortable vérité.

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Echange avec la salle

Pierre DEMONCHY, coprésident de la l’Union Nationale des Associations de Lutte contre les Inondations, France-Inondations UNALCI

Je voudrais remercier d’abord les organisateurs, dont l’AFPCN, de leur aimable invitation. Nous sommes très heureux d’avoir été associés à cette journée. Je voudrais remercier Madame Decrop de son étude particulièrement bien fournie et que nous apprécions beaucoup. Je voudrais recommander à tous les décideurs de ne jamais oublier les victimes. N’allez pas les voir ni le jour, ni le lendemain de la catastrophe, c’est impossible. Je crois que, humainement, tout le monde le comprend bien. N’hésitez pas à les revoir avec un peu de recul, associez-les et favorisez leur regroupement en associations. Comme Madame a bien fait la distinction entre les victimes et puis leurs associations, je crois que, dans les associations, il y a des éléments modérateurs, fédérateurs, qui font que le dialogue est possible; en tout cas, les associations n’ont qu’un seul but : aller dans le sens de l’amélioration de la situation et, surtout, que les vies ne soient plus en danger. C’est vraiment l’essentiel de leurs objectifs. Bien sûr, il y a les éléments matériels, mais beaucoup ont peur pour leur vie quand ils ne la perdent pas, et c’est l’entourage qui reste. Merci encore, Madame, de votre étude, elle est très fournie, et merci d’avoir fait cet effort de revenir en arrière. Je crois que cela pourrait être très bien actualisé.

Philippe HUET

Merci beaucoup. Est-ce qu’il y a d’autres interventions ?

Commandant Guillaume DEFUDES, SDIS de l’Ardèche

Je suis ancien chef de centre d’Arles. C’est plus en ce sens que j’interviens aujourd’hui. En effet, j’ai, malgré moi, fait récemment l’objet de l’actualité avec l'incendie d'une maternité, puisque j’ai été inculpé pour homicide involontaire sur la base de la loi Fauchon. Donc, je voulais poser une question à Monsieur Wybo. Est-ce qu’il a fait un retour d’expérience sur l’utilisation des retours d’expérience par la justice ? Parce que là, c’était un petit peu le cas, sur la base des convictions d’un expert. On ne va pas refaire aujourd’hui le débat des experts judiciaires et de leurs qualités, mais j’aimerais savoir si ce retour d’expérience ne peut pas être nuisible à l’ensemble des acteurs. Parce qu’une fois qu’un expert judiciaire a l’intime conviction qu’une erreur a été faite, on a vu combien il était difficile non pas de prouver qu’une erreur a été faite - parce que les sapeurs pompiers ne sont pas au-dessus de la justice, et on l’a tous très bien compris - mais de prouver que nous n’avions pas fait d’erreur d’ordre tactique et d'expliquer le fameux contexte, dont Monsieur Wybo a parlé, car la justice fonctionne en aveugle dans ce domaine-là. Parce qu’il est très difficile, cinq ou dix ans après, de se remettre dans ce contexte de choix tactique. Là, l’issue a été favorable en ce qui nous concerne, mais il a quand même fallu que trois experts sapeurs-pompiers auprès des tribunaux

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interviennent pour convaincre la justice. Donc, je ne sais pas quelle aurait été la décision du tribunal sans l’intervention de ces trois experts.

Philippe HUET

Merci mon commandant. Cette question est très lourde.

Jean-Luc WYBO

J’ai effectivement beaucoup discuté avec le procureur de Lyon sur ce sujet-là et avec d’autres experts. De son point de vue de procureur, il dit qu’un retour d’expérience qui est mandaté - par exemple, par une administration, comme le fait de temps en temps le Conseil général du GREF ou des instances analogues -, si ce n’est pas un document contradictoire, n’a pas de valeur du point de vue juridique. Ce qui veut dire qu’un retour d’expérience qui aurait été fait sur une mission n’est pas forcément un document qui va pouvoir être utilisé. Et, à mon avis, c’est là le point sur lequel il faut insister. Personnellement, mon intime conviction, c’est que s’il y a eu erreur, s’il y a eu faute, de toute façon, on le saura, et, à mon avis, elle risque de sortir dans des conditions beaucoup plus défavorables. On dit « faute avouée est à moitié pardonnée », et je pense que la justice est très sensible à cela. En tant que chercheur, je pense qu’il faut aller voir le procureur ou le juge en charge de l’affaire, et qu’il faut dire que nous – cela peut être le SDIS, le préfet – souhaitons faire un retour d’expérience de manière à comprendre et de manière à éviter que ce genre d’incident ne se reproduise, donc revenir sur les aspects positifs sur lesquels j’insistais tout à l'heure. Il faut dire : « Monsieur le juge, Monsieur le procureur, dans quelles conditions devons-nous faire ce travail ? » Et à partir du moment où vous ferez ce travail, vous ferez un travail d’investigation qui sera forcément contradictoire. Cela veut dire que vous pourrez vous justifier au travers de ce document, justement en recontextualisant, et vous éviterez le biais que j’ai souvent vu, qui est l’expert judiciaire désigné, ayant lui-même son idée en tête et qui, quelque part, va la mettre dans son rapport. Et après, vous aurez énormément de mal à revenir en arrière. Alors que si vous êtes proactifs, en disant : « On souhaite faire un retour pour notre service parce qu’on veut comprendre», vous serez, à mon avis, dans une situation beaucoup plus favorable pour être capable de justifier vos actes et de faire la différence entre l’erreur et la faute.

Et la deuxième chose, qui est très importante aussi, c’est la mise à disposition des pièces. C’est-à-dire que si c’est uniquement une histoire d’organisation, une histoire de décision, de communication, etc., ça va, parce que vous vous en rappelez. Mais s’il y a un élément technique, un élément mécanique, qui a fait l'objet d'une défaillance ou qui peut être une cause d’une partie de l'enchainement des évènements, il faut savoir qu’un juge peut très bien mettre sous scellés la plupart des preuves - c’est le problème qu’on a eu avec les accidents d’avions -, preuves qui peuvent rester pendant un an dans un placard. Et à ce moment-là, cela rend complètement impossible le retour d’expérience. Il faut donc avoir une démarche proactive et dire dès le départ : « Monsieur le juge, Monsieur le procureur, on souhaite faire un retour d’expérience, on souhaite avoir accès aux pièces ou avoir une copie des pièces et faire notre travail. Et nous vous remettrons une copie de ce rapport lorsqu’il sera fait, de manière à ce qu’il puisse être

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contradictoire. ». Je pense que c’est la meilleure tactique. Et je dirais même qu’on a poussé le bouchon un peu plus loin, justement, avec le préfet de région dans l’exemple que j’ai montré sur la simulation d’attentat : on a proposé au procureur et à ses services de participer à l’exercice, c’est-à-dire, quelque part, de se préparer, dès les exercices de simulation dans lesquels il n’y a absolument pas d'enjeu, à travailler ensemble avec les services de l'Etat, de manière à ce que chacun comprenne finalement le pourquoi du comment de l’action de l’autre, que le préfet comprenne l’intérêt pour un procureur et ce que signifie l’enquête judiciaire, et que le procureur comprenne ce que signifie, pour un préfet, le retour d’expérience sur une simulation. Et à partir du moment où les deux mondes se connaissent, se comprennent, je pense que vous aurez beaucoup moins de risque de tomber dans ce type de situation.

Philippe HUET Je souscris complètement.

Patrick POQUET, directeur de service de protection civile à la préfecture du Rhône

Sur l’exercice multi-site attentat, on a associé le procureur. C’était bien normal, s’agissant d’un thème intéressant, évidemment, la police judiciaire. Au-delà de cela, je voulais signaler qu’il est important pour nous, lorsqu’on déclenche un plan de secours, d’informer systématiquement le procureur. J’ai aussi l’expérience d’un PPI qui a été déclenché dans le département où le procureur a été associé dès le début à la gestion de crise. Je pense que c’est un élément tout à fait important pour que l’autorité judiciaire sache comment a été gérée la crise.

Yves LE BARS, AFPCN

J’ai envie de faire maintenant une petite remarque, qui est une question aux deux orateurs. Ce qui a été dit, en particulier l’idée qu’on est dans une boucle de progrès, ne remet-il pas en cause, d’une certaine manière, le titre même de notre colloque : l’apport de la recherche aux décideurs publics. Ce titre ne porte-t-il pas en lui des incompréhensions vis-à-vis de la justice, des associations ou d’autres acteurs ? Et après ce qui vient de nous être dit, ne faudrait-il pas appeler notre affaire « l’apport de la recherche aux boucles de progrès », c’est-à-dire aux acteurs et aux processus d’élaboration, dans lesquels il y a la justice, les pompiers, les associations, ceux qui ont été victimes antérieurement et ceux qui craignent d’être victimes dans le futur. Et peut-être même faudrait-il ajouter que la recherche gagne en pertinence et en qualité à s’impliquer dans ces boucles de progrès. Et donc la reconnaissance de ces boucles de progrès, la formulation des processus, à travers lesquels se préparent les décisions, n’est-ce pas la prochaine étape, après ce qu’on vient d’entendre ?

Philippe HUET

Merci. Y a-t-il d’autres questions sur les perspectives ? Non ? Je passe la parole à Jean-Luc Wybo.

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Jean-Luc WYBO

Je suis complètement d’accord avec vous, mais je pense que le titre était bien choisi. Je travaille beaucoup avec les préfectures, avec les sapeurs-pompiers, avec des maires, avec des industriels. Pour moi, le décideur public, c’est l’ensemble de tous ces acteurs, ce n’est pas uniquement le préfet ou le ministre. Je pense que la plupart des chercheurs qui sont aujourd’hui rassemblés ici travaillent comme ça. Nous sommes des chercheurs de terrain. Cela veut dire que tout ce que nous faisons, que toutes les théories et tous les modèles que nous élaborons le sont toujours à partir de l’observation en insertion dans le véritable réseau d'acteurs qui a travaillé. C’est en travaillant avec des préfets sur trois départements l’année dernière que j’ai mis au point une méthode d’évaluation de la vulnérabilité. Ce n’est pas moi, chercheur, qui vais dire à un préfet comment il peut définir sa vulnérabilité. J’attends qu’il m’explique comment il se sent vulnérable, j’attends qu’un sapeur-pompier me dise comment il gère ses affaires, de manière à ce que je puisse voir dans quelle mesure on peut améliorer le processus de vigilance ou d’anticipation. Notre rôle, ce n’est pas d’arriver en donneur de leçon. Notre rôle, c’est d’aider les décideurs publics à prendre du recul sur leurs propres actions, parce que, souvent, ils sont absorbés par le quotidien et ils n’ont pas le temps, ils n’ont pas forcément la tournure d’esprit. Notre rôle, c’est de les aider, de leur tenir la main en disant : « On a regardé votre organisation de l’extérieur, à différents niveaux de hiérarchie, et finalement, on pense que ça fonctionne comme ça et on pense que tel exemple, qui a été pris dans telle commune, n’est pas mal. Est-ce qu’on pourrait travailler dessus pour voir si ça pourrait devenir la règle ? ».

Et finalement, tout le travail qui a été fait pour l’Erika a été d’écouter les gens et ensuite, avec nos outils, nos modèles, de reformuler tout ça, de faire un effet de miroir et de dire : « Est-ce qu’on a bien compris ? ». Et à partir du moment où l’on fait ce travail d’accompagnement du décideur, que ce soit un ingénieur, un préfet un ministre ou quelqu'un d'autre, ça marche. Mais, il faut aussi qu’en face, le décideur en ait envie. Il faut aussi que le décideur ne prenne pas le chercheur pour ce «personnage en blouse blanche» qui a trouvé la lessive miracle et qui passe dans un spot publicitaire juste après le journal télévisé.

Philippe HUET

Je vais arrêter la discussion parce qu’on anticipe sur la table ronde et tu pourras intervenir de nouveau à ce moment là.

Je vous propose de terminer cette séquence. Je voudrais adresser un grand merci à Geneviève Decrop qui a exposé un sujet difficile qui inquiète en son for intérieur chacun de ceux qui ont à prendre des décisions, souligner le courage d’EDF et des associations de victimes, en particulier dans l'opération dont vous nous avez fait part. Et puis une dernière question sur le rôle du sociologue, au-delà de la lecture de la situation, que vous faites remarquablement : que pouvez-vous faire pour accompagner celui qui, après, doit prendre des décisions ? Je ne vous demande pas la réponse maintenant.

Quant aux précautions à prendre en matière de retour d’expérience, pour en avoir pratiqué un certain nombre au temps de ma jeunesse avec mon vieux complice, Xavier Martin, de l’inspection de l’environnement, présent à ce colloque, je souscris

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tout à fait à ce qu’a dit Jean-Luc Wybo. La première démarche, c’est d’aller voir le procureur ; la deuxième démarche, c’est le contradictoire ; la troisième démarche, c’est faire relire le travail par un juriste. Et là, on doit une fière chandelle aux collaborateurs du préfet Klinger à l’Inspection générale de l’administration. On peut dire beaucoup de choses, sans trahir la vérité, mais de façon adaptée. En gros, les juges parlent aux juges, ou un juriste parle à un juriste. Pour notre part, nous faisions toujours relire nos rapports par un juriste. Je crois qu’il y a d’ailleurs un membre du Tribunal administratif dans la salle, en tout cas inscrit. Non? On parle toujours de la justice en l’absence des juges !

La deuxième séquence porte sur le point de vue des élus. Nous allons d’abord entendre le professeur Lareal au titre du Grand Lyon.

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Les avancées des politiques locales en matière de risques

L’exemple du Grand Lyon et de Lyon

Pierre LAREAL

Adjoint au maire de Lyon, chargé des universités et de la recherche, conseiller communautaire 1, place de la Comédie 69000 Lyon

Permettez-moi tout d'abord de saluer l'ensemble de l'assistance et plus particulièrement Monsieur le préfet délégué à la sécurité du département du Rhône, ainsi que mes collègues élus, la présidente de la commission Environnement du Conseil régional et un certain nombre de collègues, élus des communes ou des villes de l’agglomération, que j’ai croisés.

Il se trouve qu’il y a à peine deux semaines, j’organisais, dans les mêmes locaux, dans la même configuration, un forum à l’initiative du Grand Lyon et de la Ville de Lyon, sur la thématique « métiers des villes et recherche scientifique : quel partenariat dans le Grand Lyon et la Ville de Lyon ? », forum auquel ont participé d'une part les présidents ou vice-présidents recherche des universités et grandes écoles du site de Lyon, ainsi que leurs directeurs de laboratoire ou représentants des laboratoires de recherche, et, d’autre part, les services, aussi bien du Grand Lyon que de la Ville de Lyon, intéressés par cette thématique. Nous avions recensé une centaine de partenariats existants entre ces divers services de collectivités locales de base et des équipes de recherche du site de Lyon, dans les domaines aussi divers que l’aménagement urbain, les transports, les déplacements, l’ingénierie urbaine, l’éducation, la culture, l’environnement. Ces partenariats traduisent en fait la capacité de plus en plus marquée des services de nos grandes collectivités à faire preuve d’imagination et d’innovation, et de le faire en collaborant avec des chercheurs universitaires ou des grands organismes de recherche. La problématique des services est bien sûr de pouvoir développer une meilleure capacité d’analyse des problèmes auxquels ils sont confrontés, d’avoir aussi des solutions techniques, - mais ce ne sont pas des solutions techniques opérationnelles qui sont demandées aux chercheurs -. La problématique des chercheurs, qui apportent leur expertise et leurs réflexions, est d’intégrer, dans leur propre programme de recherche, cet apport lié à la vie de tous les jours, sachant que les uns et les autres, finalement, nous avons des missions de service public. En tout cas, pour les élus, elles sont de travailler au service de la population.

Quand j’ai été sollicité pour intervenir dans votre colloque, vous avez compris que j’étais a priori extrêmement sensible au thème « l’apport de la recherche aux décideurs publics ». Ce thème rencontre aussi l’adhésion de plus en plus de cadres de l’administration, aussi bien techniques qu’administratifs. Nous essayons de plus en plus de convaincre nos collègues élus, que ce type de partenariat, non

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seulement contribue à l’amélioration des connaissances pour les chercheurs, mais finalement, apporte aussi aux services des capacités accrues d’innovation. Pour ne rien vous cacher, c’est forcément toujours nos collègues élus qu’il est plus difficile de convaincre, puisque chacun est sollicité par les problèmes et les besoins locaux. D’autre part, je m’étais aperçu que les efforts des ingénieurs ou des cadres des services, qui jouaient le jeu d’un partenariat avec l’université et la recherche, n’étaient pas forcément reconnus ou valorisés au sein propre de leur hiérarchie. L’initiative que nous avons prise était aussi destinée à provoquer cette valorisation.

Dans une première partie de mon intervention, j’aimerais me concentrer sur un exemple particulier de partenariat collectivités locales/équipes de recherche, dans un domaine qui relève des risques naturels sur la thématique des mouvements de terrains sur Lyon. Et puis, dans une deuxième partie, je vous ferai part plus succinctement des thèmes de recherche et développement en cours ou en projet au sein des services du Grand Lyon, dans le domaine plus particulier des risques naturels et technologiques.

Je vais utiliser, dans ma première partie, un support visuel qui a été présenté il y a à peine deux semaines par deux partenaires : la Ville de Lyon avec sa direction prévention et sécurité et son service construction et balmes, dont le directeur est Georges Pasini, ingénieur en chef à la Ville et qui est dans cette salle ; le partenaire universitaire est le laboratoire de génie civil et environnement de l’INSA de Lyon, une des grandes écoles de l’agglomération, avec son équipe interaction sol-structure et son maître de conférences Louis VINET.

Nous sommes, sur le site de la ville de Lyon, dans un contexte historique un peu particulier, puisque tous ceux qui s’intéressent aux mouvements de terrains, aux glissements de terrains, savent que, au début des années trente, et en 1930 en particulier, il y a eu un énorme glissement de terrain sur les balmes de la colline de Fourvière - à Lyon, les pentes sont appelées balmes -. Cet accident géotechnique a, à l’époque, provoqué plus de 40 morts, dont plus de 50 % ont affecté les services de secours, des pompiers qui, étant intervenus à la suite d’un deuxième glissement, sont décédés. Quelques années après, un nouveau glissement s'est produit sur, cette fois-ci, les balmes de la colline de la Croix-Rousse dans la commune de Caluire. Ce glissement, là aussi, a occasionné un certain nombre de victimes. Et, plus récemment, bien que ce soit il y a 30 ans, en 1977, il y a eu de nouveau un glissement de terrain sur la commune de Lyon, sur la balme de la colline de la Croix-Rousse qui, lui, a occasionné trois morts, suite à l’effondrement d’un immeuble fouetté par une masse de terre venue le détruire.

Dès les années trente, la Ville de Lyon avait, à la suite des premières catastrophes, constitué une commission d’experts dans laquelle les représentants de l’université étaient en nombre conséquent. A l’époque, c’étaient surtout des géologues, puisque la mécanique des sols et la géotechnique n’étaient pas encore bien dans les mœurs. Cette commission a donné des avis, notamment lorsqu’il y avait besoin de délivrer des permis de construire sur les pentes des collines lyonnaises. C’est à partir de 1977, à la suite de la dernière catastrophe du cours d’Herbouville dont je vous ai parlé, qu’il a été de nouveau pris un arrêté du maire constituant une commission dite des balmes, appelée à donner un avis avant que le maire ne délivre et signe un permis de construire. C’est donc dans ce contexte que se situe

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le partenariat entre la direction prévention et sécurité de la Ville de Lyon et un laboratoire de recherche universitaire.

Quelles sont les caractéristiques du projet ?

• Participer à l’aide à la décision dans la gestion des zones sensibles, à la caractérisation de l’aléa des mouvements de terrains, lors d’accidents ou de découverte d’ouvrages souterrains, sachant que les collines lyonnaises sont truffées de galeries plus ou moins anciennes, dont la vocation était d’alimenter en eau les propriétés qui existaient avant qu’on utilise le terrain à bâtir.

• Améliorer la connaissance géologique locale et donc étudier ponctuellement les risques d’instabilité. Ce qui fait que le service prévention et sécurité de la Ville de Lyon a été amené non seulement à se préoccuper des risques d’instabilité sur les versants des collines lyonnaises, mais aussi dans la plaine lyonnaise à l’occasion des nombreuses fouilles qui se sont développées depuis une quinzaine d’années pour la construction du métro, de parkings, etc. Et périodiquement, à l’occasion de la réalisation de ces fouilles, il y a des sinistres et donc nécessité d’évacuer les habitants des habitations avoisinantes et, en tout état de cause, de commander les études d’expertise nécessaires au maire pour décider s’il autorisera ou non à réoccuper les bâtiments voisins.

La collaboration qui s’est instaurée entre la Ville et un organisme universitaire n’est donc pas ponctuelle, elle s’inscrit dans la durée. Et le budget de cette convention s’inscrit dans une convention quinquennale de recherche et de développement. Nous ne sommes donc pas dans une logique de bureau d’études dont la finalité est de préconiser.

Comment s’organise le partenariat ? Il y a, d’une part, du côté de l’université, de l’INSA en particulier, des travaux de laboratoire et, d’autre part, des réunions périodiques avec les services de la Ville.

Ensuite, quels sont les éléments de motivation pour les uns et pour les autres ?

• Valider des concepts scientifiques ;

• Améliorer des capacités d’expertise et, quand il le faut, donner des avis sur des sites très précis, faire appel à des experts professionnels qui assistent habituellement les constructeurs.

Les conditions de fonctionnement doivent permettre d’assurer la pérennité des engagements des politiques publiques et des thématiques scientifiques dans ce contexte.

Pour le laboratoire universitaire, ce partenariat a contribué à mobiliser des enseignants-chercheurs dans le cadre de leur programme de recherche, des doctorants et, à l’occasion de travaux de fin d’étude, des étudiants. Pour la Ville de Lyon, le service spécialisé a pu, grâce à cette collaboration, mettre en application un système d’information géographique pour localiser l’ensemble des sinistres et pour participer à l’élaboration d’une carte de risques géotechniques sur la commune. Ceci est donc pris en charge, bien sûr, sur le budget communal. Le système d’information géographique est ainsi mis à jour quotidiennement dès qu’un

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sinistre est signalé, avec possibilité, ensuite, de se référer à des archives qui serviront aussi bien aux services de la Ville qu’à des experts extérieurs ou à des constructeurs qui viennent solliciter la Ville avant d’envisager un projet de construction et de déposer un permis de construire.

Quelles ont été les productions scientifiques ? Au moins deux ou trois thèses, la rédaction d’ouvrages sur la géologie lyonnaise et la géologie de l’agglomération au niveau de la communauté urbaine, la participation à des congrès par des communications de scientifiques, ainsi que des travaux d’étudiants de dernière année. De même, les scientifiques ont permis d’introduire de l’instrumentation sur certains sites à l’occasion de certains sinistres pour avoir un suivi et donc avoir un rôle dans la prévention de sinistres futurs.

Quelles sont les retombées au niveau opérationnel?

• L'élaboration d’une cartographie du risque sur les pentes des balmes lyonnaises. Si vous connaissez Lyon, elles sont très urbanisées, et dès que vous avez décision de construction, création de fouille, vous risquez de tomber sur une galerie ancienne ou bien de tomber sur un niveau d’écoulement des eaux, de rompre finalement l’équilibre initial et d’être ainsi une cause de risque potentiel.

• La création d’un système d’information géographique.

• Une expertise accrue des ingénieurs et techniciens du service par rapport aux risques naturels, par rapport aux risques liés à la construction lorsqu’il s’agit de fouilles, et éventuellement avoir des idées sur de nouvelles techniques constructives.

En perspective, l’intérêt commun, aussi bien pour la cité que pour son partenaire universitaire et scientifique, c’est de constituer un corpus de connaissances disponible pour la collectivité, de valider éventuellement des technologies nouvelles dans le domaine de la connaissance du sous-sol. Par exemple, je me souviens - parce que j’étais un peu dans le coup il y a déjà un grand nombre d’années - des techniques de prospection géophysique pour détecter des cavités souterraines, qui semblaient être une importante perspective d’avenir. Il s’avère qu’en milieu très urbanisé, on ne peut pas les exploiter. Donc, cela permet aussi, lorsque les bureaux privés proposent des technologies, d’avoir aussi une réponse. La troisième perspective, c’est élaborer des synthèses géologiques et géotechniques permettant le choix de techniques de construction et de confortement dans les zones sensibles.

Ce que je voudrais dire, pour terminer sur ce point, c’est qu’il n’est pas dans le rôle du maire et de ses représentants, et donc de ses services, de réaliser des études géotechniques pour les constructeurs, chacun garde ses responsabilités. Mais il a une fonction essentielle qui est de vérifier, avant de délivrer le permis de construire, que les professionnels, que les promoteurs ont bien financé – puisque, finalement, ça se passe à ce niveau-là – un minimum d’études géotechniques que les experts, réunis au sein de la Commission des balmes, vont apprécier. Chacun garde donc ses responsabilités. La carte de risques des mouvements de terrains obligent, dans certaines zones, à ce que le projet passe devant la commission d’experts.

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Dans ma deuxième partie, qui va être plus courte et plus synthétique, je voudrais vous lister un certain nombre de partenariats et de thématiques, sur lesquels les services du Grand Lyon travaillent actuellement ou qui sont en projet avec des laboratoires universitaires. Voici une première liste de projets en cours ou qui se termineront prochainement.

• Plan de protection de l’atmosphère : une coopération avec l’Ecole Centrale de Lyon, avec la COPARLY, qui est une association lyonnaise qui réunit à la fois des experts, des universitaires et des services des collectivités locales concernant la pollution atmosphérique. Ce sont des partenariats sous forme de conventions.

• Connaissances hydrogéologiques du sous-sol de l’agglomération lyonnaise.

• Création d’un réseau de surveillance du niveau de la nappe. C'est un partenariat avec le BRGM, là aussi, sous forme de convention.

• Constitution d’un réseau d’alerte à la pollution biologique de la nappe. Là, c’est un partenariat avec notamment la faculté de pharmacie, sous forme de convention

• Evaluation des risques pour la logistique et le transport des produits dangereux. Là, le partenaire est, bien sûr, l’INERIS, sous forme de convention.

• Conséquences spatiotemporelles des événements météorologiques. Là, c’est la Direction de l’eau du Grand Lyon, en partenariat avec les laboratoires climatologie et risques et environnement de l’Université Lyon 3, sous forme de convention, en utilisant les possibilités des bourses CIFRE. Les chercheurs savent combien ils apprécient - quand ils arrivent à trouver un partenaire soit public, soit privé, qui accepte de financer les conventions CIFRE - cette procédure permettant à des jeunes doctorants de développer leurs travaux de recherche dans des conditions matérielles raisonnables.

Quelques projets pour les années à venir :

• Analyse de la vulnérabilité et protection des sites pour un aménagement des territoires le long des itinéraires à risque de transport routier de marchandises dangereuses en milieu urbain. Là, c’est aussi le laboratoire climatologie et risques de l’université Lyon 3, une société (LIGERON) et un partenariat avec une bourse CIFRE.

• Alerte aux populations concernées d’accidents de mouvements de sols. Là aussi, c’est une réflexion avec un laboratoire universitaire des universités Lyon 2 et Lyon 3, sous forme de convention.

• Toujours dans le domaine du risque : localisation, analyse et traitement des îlots de chaleur en milieu urbain (partenariat avec ces mêmes laboratoires).

• On revient un petit peu à la géotechnique : traitement des cavités souterraines susceptibles d’effondrement, partenariat avec le ministère de

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l’Equipement, avec le laboratoire central des Ponts et Chaussées et, je pense, le CETE, sous forme de convention.

• Effets sur les biens de la surinondation due à la rupture du barrage de Vouglans, ce qui pourrait arriver si ce barrage, en amont de Lyon, était amené à céder : c’est une convention du Grand Lyon – je ne sais pas si elle est déjà signée – avec le Cemagref.

Je vous ai raconté tout cela pour vous indiquer combien il me semblait extrêmement important que les motivations sur le partenariat collectivités territoriales/recherche viennent des deux côtés. J’enjoins - et c’est ce que nous avons fait lors de ce forum il y a deux semaines - les collègues universitaires et scientifiques de démarcher, c’est-à-dire de se faire connaître auprès des services en venant les voir, en disant : « Voilà quelles sont mes thématiques de recherche. J’ai l’impression que ça pourrait rencontrer un intérêt chez vous. ». Il ne faut pas avoir peur de faire ces démarches. Et, bien sûr, d’un autre côté, les services - souvent, d’ailleurs, à l’occasion d’accueil de stagiaires de fin d’année - arrivent à connaître les capacités des équipes de recherche et progressivement à nouer des partenariats.

Philippe HUET Merci beaucoup Monsieur le professeur. C’est parfaitement clair, c’est un bel exemple «d’interpénétration», si je puis dire entre collectivités et recherche. Je vous propose, Madame la présidente de la Commission Environnement du Conseil Régional, d’enchaîner. On ne rattrapera pas le retard d'un quart d’heure, que j'assume, mais le président de la table ronde a bien voulu accepter le décalage.

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Les actions de la Région Rhône-Alpes

Michèle EYBALIN

Présidente commission environnement et prévention des risques Conseil régional Rhône-Alpes 78, route de Paris BP 19 69751 Charbonnières les Bains Cedex

Nous n’allons pas rattraper le quart d’heure, mais je vais essayer d’être brève. Je souhaite, bien sur excuser la vice présidente, Hélène Blanchard, qui n’a pu être parmi nous aujourd’hui. Pour ma part, conseillère régionale drômoise, département « sensible » sur les questions relatives aux risques, je préside au Conseil régional la commission environnement et prévention des risques, puisque ce sont effectivement des thématiques qui ont été accolées. Je voudrais présenter aussi Sandrine Descotes-Genon qui, dans les services, a pour l’instant la rude tâche de travailler et d’impulser cette politique prévention des risques avec les élus; c’est une politique qui, pour nous, est nouvelle – elle n’a pas encore une année - et l’équipe technique est donc en cours de constitution. Ce que je souhaitais dire, c’est que nous avons abordé ces questions de prévention et de gestion des risques par les questions environnementales. Nous avons fait un constat - qui est le constat que je ne vous referai pas ici, puisque vous êtes tous des gens au fait de ces questions– que, bien évidemment, dans cette région Rhône-Alpes, plus de 90 % des 2 800 communes sont exposées au moins à un type de risque majeur, que les risques technologiques sont très présents, entre les établissements classés Seveso, le parc électronucléaire important, les réseaux de canalisation, l’héritage minier, les grands barrages, etc. Il y a, en plus, un développement économique qui génère un étalement urbain, un étalement également des zones d’activités, qui se traduit par une pression sur les ressources et, d’autre part, par une augmentation des enjeux qui sont exposés.

J’en viens à la gestion des risques par la Région. Nous avions auparavant une approche sectorielle, ancienne, avec des interventions surtout post-catastrophes récurrentes. Nous travaillions ainsi à la fois sur des réponses partielles, c’est-à-dire dans le cadre des contrats de rivières, sur les risques liés aux inondations, mais aussi à une échelle localisée, même si c’était des bassins versants, dans le cadre de politiques spécifiques, notamment en restauration de terrains de montagne. Donc, protection pour les risques en montagne, mais toujours au détriment d’une approche globale et cohérente dans la prise en compte du risque. Et nous intervenions également dans le cadre d’interventions post-catastrophes, c’est-à-dire au coup par coup, sans réflexion préalable, toujours en urgence, avec toutes les difficultés et quelquefois les effets pervers que cela peut inclure.

En février 2005, la Région a pris une délibération sur la mise en place d’un «écorégion», c’est-à-dire la mise en place d’un travail global transversal sur les questions environnementales, de développement durable, etc. dans toutes les politiques régionales, avec notamment la mise en place d’une véritable politique de gestion des risques qui allie la prévention et la solidarité.

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J’aimerais insister sur ces notions-là, parce que nous intervenons maintenant dans le cadre d’une complémentarité, d’une cohérence. Pourquoi une complémentarité ? Tout simplement parce que la Région ne se substitue pas aux compétences qui existent déjà en matière de risque et qui sont importantes, notamment si on parle de l’Etat, si on parle des élus communaux, si on parle des industriels, qui sont les principaux acteurs. Mais la Région essaie effectivement de compléter cette approche et de prendre des compétences, en jouant un petit peu à la marge et en tentant de rendre ces interventions cohérentes.

Je parlerai également de transversalité – je crois que vous en avez déjà parlé ce matin –, parce que nous sommes «rentrés par l’environnement». Je ne vais pas reprendre ce que vous disiez tout à l’heure, Monsieur Huet, sur la nature calme et la nature déchaînée, je crois que l’environnement va bien au-delà de la nature. Mais nous travaillons sur les questions environnementales, c’est-à-dire à la fois sur les questions relatives à la gestion des déchets, sur l’éducation et la formation de l’environnement, sur les milieux aquatiques, les patrimoines naturels, la qualité de l’air, qui est une de nos compétences (plan régional sur la qualité de l’air), mais aussi sur les questions d’emplois liés à l’environnement, les questions de management de l’environnement, c’est-à-dire la prise en compte de l’environnement dans les entreprises, les questions relatives à la santé et l’environnement. Et nous avons donc continué en travaillant effectivement sur une politique de prévention et de gestion des risques. Pour nous, cette approche-là est importante. Bien évidemment, nous travaillons avec les autres directions (les directions de la recherche), nous essayons de travailler avec les directions de la formation pour inclure cette problématique-là dans les thématiques de formation. Voilà, pour essayer de vous expliquer cette transversalité-là.

Pour nous, l’approche préventive est importante, parce que la prévention est importante. La prévention ne veut pas dire la méconnaissance du risque, mais la prévention veut bien dire prendre effectivement connaissance de tous les éléments pour que, ensuite, les décideurs politiques puissent intervenir de façon globale et efficiente à partir de cette connaissance et des enseignements que tous les acteurs du risque peuvent nous apporter.

Trois chapitres importants. Le premier est de développer une véritable culture du risque en soutenant ou en engageant des actions de niveau régional, qu’il s’agisse d’actions de sensibilisation/éducation des publics, d’actions de mutualisation en diffusant des connaissances, d’actions de formation des décideurs, prescripteurs et intervenants en matière de gestion du risque. Nous avons mis en place, pour ce faire, des conventions et je vous en citerai quelques unes. Dans la mesure où nous avons une politique qui est nouvelle, nous n’avons pas encore vraiment eu le temps de la structurer entièrement, notamment au niveau de la recherche, et nous faisons plutôt appel aux partenaires extérieurs pour essayer de nous aider à mettre en place des projets, à travailler sur des thématiques. Dans ce cadre de sensibilisation/éducation, nous pouvons citer la convention pluriannuelle d’objectifs que nous avons avec l’Institut des risques majeurs (IRMa), qui travaille sur la réalisation d’outils méthodologiques à destination des élus, qui travaille également sur des actions de sensibilisation auprès des scolaires, et en appui à la communauté scolaire, sur la réalisation des plans particuliers de mise en sûreté. Nous avons fait une première session dans le nord de la Drôme, dans la Vallée du Rhône, au lycée hôtelier de Tain-l’Hermitage en partenariat avec le rectorat et toute

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l’équipe de direction, l’équipe éducative du lycée, les infirmières, les agents…sur la mise en place de ces actions-là. L’IRMa travaille également sur des actions de formation professionnelle (magistrats, notaires, etc.). C’est donc, pour nous, quelque chose qui est important de la même manière que, toujours dans le cadre de cette convention avec l’IRMa, des actions sont mises en œuvre pour valoriser la mémoire des risques à partir de livres, de photos, etc. C’est donc toujours dans le cadre de ces problématiques : informer, former et prévenir. Nous avons également des actions de mutualisation et de diffusion des connaissances avec le Cemagref sur les barrages d’altitude. Voilà, c’était le premier axe.

Le deuxième axe, c’est la prise en compte du risque dans l’aménagement du territoire. C’est bien évidemment très important, parce que nous avons à la fois besoin de nous doter d’outils méthodologiques et de connaissances - et je crois que là, le monde de la recherche est particulièrement pertinent, en tout cas particulièrement précieux pour les collectivités - mais nous avons également besoin de gérer l’existant. Et de la même manière que le Grand Lyon travaille avec les associations de surveillance de la qualité de l’air, nous avons également une convention pluriannuelle d’objectifs que nous avons passée avec les ASQA (associations de surveillance pour la qualité de l’air) et qui s’inscrit dans cet objectif d’acquisition des connaissances et d’aide à la décision. Pour nous, elle a un autre intérêt, c’est qu’elle s’inscrit également dans le cadre de l’exercice de la compétence régionale de planification, c’est-à-dire le plan régional sur la qualité de l’air.

On peut également citer la convention pluriannuelle d’objectifs que nous avons passée avec la CRIIRAD, qui travaille sur la radioactivité, et qui vise à soutenir la réalisation d’études, la diffusion de connaissances, et plus particulièrement la mise en place d’un réseau régional de balises mesurant la contamination radionucléaire de l’air. Et là, toujours en lien, pour nous, avec le plan régional sur la qualité de l’air.

Bien évidemment, le préventif n’est pas suffisant, les situations à risques existent. Ce qui justifie aussi un soutien de la Région à des grands projets, comme les Ruines de Séchilienne, soutien contractualisé dans le cadre du contrat de projet, c’est-à-dire le nouveau contrat de plan Etat-Région, ou le volet inondation du plan Rhône. Dans le contrat de projets, l’intervention de l’Etat sur les risques se limite au plan Rhône et aux territoires de montagne, avec une exception sur les Ruines de la Séchilienne.

Ce que je peux dire aussi, c’est que les situations à risque, pour nous, sont également prises en compte dans le cadre des politiques sectorielles. On a parlé tout à l’heure des contrats de rivières. Mais dans le cadre d’une délibération que nous avons revisitée sur la gestion et l’amélioration des milieux aquatiques, nous avons un paragraphe important qui s’intitule « participer à la prévention et à la gestion des inondations en contribuant à favoriser le maintien, la restauration et la fonctionnalité des milieux ». C’est, pour nous, un axe important de cette politique de gestion des milieux aquatiques. Je pense que c’est aussi du préventif, même si cela se situe sur un autre plan. Nous avons pris cette délibération en bousculant un peu la tradition, c’est-à-dire que, maintenant, nous finançons et nous demandons que les projets, que les usages soient en compatibilité avec la ressource en eau, alors qu’avant, ce n’était pas tout à fait ça. Voilà donc les avancées dans ces politiques et dans la prospective sur la protection des ressources.

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Le retour d’expérience est aussi important. Nous travaillons avec l’association Rivière Rhône-Alpes pour mieux identifier les mesures à mettre en œuvre pour une gestion plus efficace des épisodes post-crues et pour mieux gérer l’urgence, en élaborant des outils, des recommandations. C’est un travail qui est en cours et qui prend tout son sens dans le cadre des politiques territoriales.

Le troisième axe est de faire de la région Rhône-Alpes un pôle d’excellence en matière de prévention des risques. Nous essayons de travailler à la prise en compte du risque dans la formation professionnelle. Et pourquoi ne pas essayer de travailler - puisque les Régions ont maintenant la compétence de l’apprentissage – par exemple avec des CFA, notamment ceux du métier du bâtiment, et essayer de travailler également sur la formation continue. Je crois qu’il y a des choses à faire sur lesquelles nous pouvons être compétents et, en tout cas, que nous pouvons mettre en place. Il faut également favoriser l’innovation et l’expérimentation. Là, je ne sais pas si j’ai le temps de dire deux mots sur un cluster, qui est le cluster 6, le cluster environnement, qui regroupe à la fois les thématiques liées aux déchets, à l’eau et aux milieux aquatiques, à la biodiversité, aux risques naturels et industriels, à la santé et l’environnement, qui est piloté par le Cemagref, avec de nombreux acteurs présents aujourd'hui, et dont le positionnement se fait autour de quatre questions de société que sont les risques aigus, la qualité des milieux, la santé et l’environnement, la dépollution et la production propre. On pourra en reparler si vous le souhaitez, mais c’était simplement pour l’évoquer, parce que je crois que c’est quelque chose d’important.

Nous avons aussi des projets phares dans le cadre d’une coopération interrégionale et de mise en réseau d’acteurs de la gestion du risque et de la diffusion des expériences. Par exemple, le projet PRINAT, qui est un projet de coopération avec le Val d’Aoste, le Piémont et le Valais, et qui vise la mise en réseau des gestionnaires de risque en montagne. Nous avons un autre projet, qui est le projet ClimChAlp, projet à l’échelle de l’espace alpin sur l’impact du changement climatique sur les risques naturels, avec des thématiques de recherche diverses, et dans lequel il se passe aussi beaucoup de choses intéressantes et riches d’enseignement. Concernant un sujet aussi sensible que le changement climatique, je pense qu’on a vraiment besoin des chercheurs.

Nous nous appuyons également sur le Pôle grenoblois des risques naturels (PGRN), qui est aussi un acteur structurant de la recherche dans ce domaine. On pourrait aussi citer Envirhonalp. En fait, il y a quand même beaucoup d’acteurs avec lesquels nous travaillons dans ce cadre de la prévention et de la gestion des risques et du croisement avec le milieu de la recherche.

Nous avons maintenant cette intervention post-catastrophe en solidarité avec les territoires, et notamment avec les départements; nous cherchons à répondre plus rapidement en cas d’événement grave et de façon plus coordonnée avec les financeurs habituellement mobilisés et avec les entreprises (hors champ agricole ) dans le cadre de la mise en place d’un fonds de secours et d’indemnisation., avec des principes d’intervention qui sont des montants d’enveloppes attribuées en solidarité.

Ma conclusion sera brève. C’est une politique qui est pour nous en cours d'élaboration et de mise en place, et qui s’appuie sur une mise en réseau d’équipes, d’associations, de chercheurs et d’organismes avec lesquels nous

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travaillons, et qui ne demande qu’à se structurer, qu’à s’étoffer et qui, dans le cadre des politiques régionales, travaille sur la transversalité. Nous travaillons aussi sur la santé-environnement, sur le management de l’environnement, sur les risques dans l’entreprise, où nous finançons les petites PME, comme par exemple, les imprimeurs, les gestionnaires de pressing, pour acquérir des appareils moins toxiques, etc. Donc pour nous, c’est une politique qui est vraiment transversale.

Philippe HUET

Merci beaucoup Madame. Je vous propose Madame, Monsieur le professeur, comme vous participez à la table ronde, de répondre dans ce cadre aux questions qui vous seront posées. Je rends tout de suite la main au président de la table ronde. Encore une fois, merci à tous pour vos interventions.

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Table ronde

« Quelle recherche pour la décision publique dans n os territoires »

Animateur :

Claude COSTECHAREYRE, Niagara Innovation

Intervenants :

Michèle EYBALIN, Région Rhône-Alpes

Claude GILBERT, CNRS, Président du conseil scientifique du programme EPR

Philippe HUET, AFPCN, Président du comité d’orientation du programme EPR

Thierry KLINGER, Préfet, chef de l'Inspection Générale de l'Administration, Président du Cemagref

Pierre LAREAL, Adjoint au maire de Lyon

Bernard LE RISBE, Mairie de Jarrie

Bernard PICON, DESMID

Philippe SIONNEAU, DIREN Rhône-Alpes

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Claude COSTECHAREYRE

Mesdames, Messieurs, mon nom est Claude Costechareyre. Je ne suis pas un professionnel de la gestion du risque, mais simplement animateur journaliste. Nous allons essayer, pendant l’heure qui nous reste, d’aller un petit peu plus loin sur la question qui nous est posée. Vous avez pu constater qu’il y avait énormément de richesse dans les exposés qui nous ont été présentés ce matin, dans les retours d’expérience et ce qu’on en fait. Je vous rappelle le titre du colloque : « Quelle recherche pour les décisions publiques dans nos territoires ? ». Nous allons essayer d'en débattre, si vous le voulez bien, en deux temps, avec l’idée suivante : quelles pourraient être les attentes des décideurs et comment y répondre ? On a vu que chacun travaillait activement dans son domaine, mais peut-être y-a-t'il des logiques de décloisonnement, des logiques de mutualisation. Et puis, nous pourrons peut-être aussi nous demander quels sont les prolongements opérationnels à donner à ces travaux.

Je vais vous présenter très rapidement les invités qui nous ont rejoints. Madame Eybalin, Présidente de la Commission Environnement du Conseil Régional Rhône-Alpes. Bernard Picon, directeur de recherche à l’université de Méditerranée. Claude Gilbert, vous êtes directeur de recherche au CNRS et vous avez été le président du conseil scientifique du programme EPR. Monsieur Pierre Lareal, adjoint au maire de Lyon. Philippe Huet, on vous connaît maintenant parfaitement bien. Monsieur Klinger, vous êtes préfet et président du Cemagref, je le rappelle. Philippe Sionneau, vous représentez le DIREN Rhône-Alpes. Bernard Le Risbe, vous êtes maire de Jarrie dans l'Isère.

Je vous propose donc un travail en deux temps. D’abord, nous allons écouter ce qu'ont à nous dire les décideurs autour de cette table. Peut-être pourriez-vous aller un peu plus dans le détail : qu'attendez-vous de la recherche, comment peut-elle mieux vous aider, plus qualitativement peut-être, dans la prise de décision, qui reste souvent un exercice très solitaire et où, un moment donné, il faut trancher. Et puis, nous essaierons de voir quels prolongements on peut donner à tout cela.

Monsieur le préfet, vous me permettez de commencer par vous. Vous me disiez une chose qui m’a semblé tout à fait intéressante, et qui pourrait peut-être nous permettre de cadrer un peu notre réflexion; on parle beaucoup de cette idée de l’intérêt général, mais je crois que c’est un concept qui a un petit peu évolué dans la tête des décideurs. Pouvez-vous nous en dire quelques mots très brièvement, si vous voulez bien ?

Thierry KLINGER

Oui, je crois que lorsqu’on se demande, au fond, pourquoi le décideur public va chercher les scientifiques, c’est parce qu’il ne se débrouille plus tout seul. Il y a eu une époque où aussi bien les maires, comme Monsieur le maire qui est à côté de moi, que les préfets ou d’autres décideurs étaient portés par le droit : soit c’était écrit dans la loi, soit la jurisprudence du conseil d’Etat l’avait établi. On agissait au nom de l’intérêt général. Et à partir de ce moment-là, tout le monde se mettait, peut-être pas au garde-à-vous, mais enfin, la décision était prise et elle était respectée. Pour le maire, il agissait dans le cadre du code d’administration

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communale d’autrefois, il garantissait la tranquillité, la sécurité, la salubrité, tout était dit.

Claude COSTECHAREYRE

Vous dites qu’aujourd’hui ça ne marche plus comme ça.

Thierry KLINGER

Premièrement, aujourd’hui, il y a une contestation qui, elle, fait appel à la science. Alors, est-ce que c’est de la science ou de la pseudoscience, ou simplement de la peur devant la complexité du monde ? C’est selon les moments, il faudrait évaluer. Parce qu’il y a souvent des paniques à partir d'informations qui, scientifiquement, ne sont pas forcément fondées. Mais toujours est-il qu’il y a «la science, la peur et vous», c’était le titre d’un ouvrage que j’ai failli écrire et que je n’ai pas terminé, mais cela reste toujours d’actualité. Et donc, première chose, le décideur a besoin, si je puis dire, d’être conforté dans les décisions qu’il va prendre, en disant : « Il faudra quand même que je sache si, vis-à-vis de la science, je suis au clair. ». L’intérêt général, lui, ne suffit plus.

L’autre point, qui a été un petit peu évoqué dans l’une des discussions précédentes, en particulier par le commandant de pompiers qui a eu à faire face à un juge, c’est la judiciarisation et la «pénalisation» de la société. Finalement, qu’est-ce qui est l’élément souvent discriminant lorsque l’on a à faire face à des catastrophes et à leur jugement ? C’est l’invocation par les uns et les autres de la science et des techniques. Aujourd’hui, la première des choses, c’est que le décideur, parce qu’il sait que sa légitimité au nom de l’intérêt général n’est plus suffisante, cherche à rebâtir un cadre de décisions en toute honnêteté, en essayant de trouver des fondements scientifiques à sa décision. Il fallait le dire au début, parce que le scientifique, quand on l’appelle, ce n’est pas pour qu’il nous dise simplement ce qu’il a envie de faire comme sujet de thèse. J’ai une fille qui a fait une thèse sur un humaniste très intéressant du début du XVIe siècle, cela n'a pas un intérêt opérationnel évident. J’y pense chaque fois que je circule entre Lyon et Grenoble. Il y a un très beau panneau : lac de Paladru. Elle me rappelle Agnès Jaoui dans le film «On connait la chanson» d'Alain Resnais qui proclamait dans le salon de ses parents: «Je fais ma thèse sur les chevaliers de l’An 1000 au bord du lac de Paladru et ça n’intéresse personne». Donc, même si c'est décevant, les logiques des chercheurs et des décideurs ne sont pas les mêmes: les décideurs ne s’intéressent le plus souvent à une recherche que parce qu’ils en ont besoin.

Claude COSTECHAREYRE

Monsieur le maire de Jarrie, si j’ai bien compris, l’intérêt général ne suffit plus. Comment est-ce que ça se passe pour votre commune ? Pouvez-vous nous dire deux mots sur Jarrie ? On est dans une zone à risques naturels, je crois?

Bernard LE RISBE

Nous sommes effectivement dans une zone à risques naturels et technologiques. Je dirais qu’il n’y a pas beaucoup de risques que nous n’ayons pas, en fait. Jarrie, c’est 4 000 habitants. Je n’en suis que le maire-adjoint, le maire étant Madame Le

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Gloan, conseillère générale. Je suis conseiller communautaire également. Jarrie, c’est plusieurs sites Seveso seuil haut avec servitudes, c’est le confluent du Drac et de la Romanche avec les problèmes d’inondation qui peuvent en découler. C’est aussi sept barrages en amont de la commune dont quatre font partie de ce qu’on appelle les grands barrages. Et je ne parlerai pas d'un sujet d’une ampleur exceptionnelle évoqué tout à l'heure par Madame Eybalin : les Ruines de Séchilienne qui sont, à vol d’oiseau, à 8 kilomètres de chez nous.

Claude COSTECHAREYRE

Donc, toutes les conditions sont réunies.

Bernard LE RISBE

Voilà.

Claude COSTECHAREYRE

Quelles pourraient être précisément vos attentes par rapport aux décideurs, Monsieur le maire-adjoint ?

Bernard LE RISBE

Au niveau communal, nous sommes déjà des décideurs. Par contre, il y a des tas de sujets qui dépassent l’envergure d’une collectivité de 4 000 habitants. L’exemple typique, c’est la Séchilienne, traitée à un niveau plus élevé dans nombre de commissions. Ce sont des sujets qui sont portés par la région et le département. On fait partie d’une des commissions dont l’animateur est Monsieur le préfet de l’Isère. Aux commissions assistent quasiment tous les services de l’Etat, des chercheurs, parce que c’est un aléa, pour lequel on est incapable, à cet instant, de dire quel en sera l'effet et à quelle époque ça se produira. Et puis, à côté de ça, il y a des structures qui travaillent sur les inondations potentielles du Drac et de la Romanche; chez nous, c'est le SYMBHI, Syndicat Mixte des Bassins Hydrauliques de l’Isère. Là, c’est la même chose. Je dirais qu’à la limite, il pourrait y avoir conjugaison de risques naturels et technologiques, puisque s'il y a inondation, fatalement, les installations industrielles seront noyées avec un risque industriel potentiellement important, généré par une quantité de produits qui pourraient s'avérer délicats et dangereux. C’est un sujet d’importance.

Claude COSTECHAREYRE

Donc là, l’idée est de travailler en transversalité.

Bernard LE RISBE

On travaille complètement en transversalité, mais on travaille aussi en transversalité totale avec les industriels, c’est-à-dire qu’ils ont davantage besoin de chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens que nous au niveau communal.

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Claude COSTECHAREYRE

Vous me disiez que vous rencontriez plus facilement des bureaux d’études, des responsables d’entreprises mais assez peu de chercheurs. Est-ce que cela veut dire qu’il faudrait qu’on accentue ces rencontres ?

Bernard LE RISBE

Cela pourrait effectivement se faire, peut-être pas au niveau de la commune, mais au niveau d’une structure plus importante, comme la structure intercommunale, voire l’ensemble des communes du bassin versant de la Romanche.

Claude COSTECHAREYRE

Donc logique intercommunale. Je vais vous donner la parole, Monsieur Lareal. Vous avez déjà évoqué un peu toutes les logiques de partenariats qui sont mis en œuvre dans le cadre du Grand Lyon, et vous dites qu’on pourrait peut-être aller plus loin. Cela pourrait peut-être correspondre à la demande de Monsieur le maire-adjoint.

Pierre LAREAL

Je crois que les professionnels de la recherche et les universitaires commencent à bien pratiquer la transversalité et la réponse à des appels d’offres nationaux ou européens ou internationaux en équipe, avec plusieurs laboratoires en est un exemple. Du côté des cités, des villes, je pense qu’on pourrait faire un peu mieux avec dans un premier temps, des échanges d’expériences entre collectivités sur des thématiques et des faits divers, en l’occurrence sur les risques. On voit bien, même si tout le monde n’a pas de risques naturels, que les risques technologiques et les risques liés aux inondations sont communs. Donc, un partenariat et une collaboration permettant à des cités d’initier des idées de recherche, qui pourraient être reprises par les organismes nationaux et européens, avec des cofinancements bien entendu, seraient, je pense, dans une bonne logique pour les années à venir. De la même façon, comme partout, dans nos propres collectivités, au Grand Lyon, à la Ville aussi, il y a des difficultés à faire travailler ensemble des services, parce qu’ils sont «le nez dans le guidon». Donc, il faut qu’il y ait des initiateurs. Ces initiatives peuvent être encouragées par le financement, par la promotion.

Claude COSTECHAREYRE

En même temps, vous ajouteriez un peu de complexité en disant que ça pourrait être aussi des échelons territoriaux, parce que là, vous parlez au titre du Grand Lyon, …

Pierre LAREAL

Justement, je rends grâce à la Région. Madame Eybalin a parlé des clusters de recherche; elle a indiqué qu’il y a un cluster environnement qui recouvre beaucoup de choses, et qui est effectivement un lieu où se retrouvent à la fois des partenaires de la recherche scientifique universitaire, des organismes publics et privés. Et la région, par des financements ad hoc, peut inciter à des partenariats. Je

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ne sais si nos collectivités territoriales, communes ou communautés de communes, sont bien représentées dans ces clusters, mais c’est quelque chose qu’on pourrait développer.

Claude COSTECHAREYRE

Donc, l’appel est lancé. Madame Eybalin, cela me permet de vous passer tout de suite la parole. Vous avez évoqué beaucoup de dispositifs, un positionnement régional qui est en développement. Mais quelle est la place du chercheur, que pourrait-elle être demain dans les dispositifs que vous mettez en œuvre ?

Michèle EYBALIN

Monsieur le préfet a dit que les élus ne peuvent plus décider tous seuls. Je dirais heureusement, car ce n’est pas parce qu’on a une fonction d’élu à un moment donné de sa vie, que la science nous tombe sur la tête. Heureusement qu’on ne peut pas décider tout seul. Et c’est là où les élus ont besoin de partenariat, des chercheurs, des associations qui font de l’observation de proximité, et de tout un panel d’acteurs sur le terrain. Et en tout cas, les chercheurs sont importants pour aider les collectivités à prendre des décisions, en particulier des décisions relatives aux questions d’aménagement du territoire. On a parlé de réflexions et d’actions sur l’urbanisme - et c’est fondamental -, de décisions concernant le quotidien de la vie des gens. Je crois que la sociologue nous a parlé de tout le travail de fond qu’elle a fait sur les victimes. Il est important que tout cela remonte et qu’on puisse l’appréhender. Je dirais aussi que les chercheurs sont là, -et heureusement qu’ils sont là- pour nous aider à anticiper. On a parlé de peurs un peu virtuelles, de changement climatique. On a vraiment besoin des chercheurs pour anticiper sur ce qui va se passer dans le futur.

J’ai participé à l’inauguration, dans la Drôme, des Fêtes de la science. Il y avait un travail sur la planète terre : le climat, la biodiversité et, une exposition intéressante, qui s’appelle les fils d’Ariane, sur les différentes planètes. Je crois que c’est passionnant, pour anticiper et préparer le futur.

Claude COSTECHAREYRE

Est-ce qu’il y a une place pour les chercheurs dans les fêtes de la science. Parce qu’effectivement, ce sont des manifestations qui ont vocation à vulgariser. Comment rendre plus proche, plus compréhensible, la question scientifique, de votre point de vue ?

Michèle EYBALIN

Je pense que ces manifestations sont préparées en étroite collaboration avec les chercheurs. En tout cas, les expositions ne peuvent pas être réalisées sans eux, en particulier pour tout le matériel pédagogique et les matériaux de fond. Ce que je voulais dire aussi, c’est que la Région a des conventions avec huit centres de culture scientifique, technique et industrielle, un par département. Ils ont des rôles différents mais leur travail de vulgarisation et d’accès à la science est important dans le public. Ce sont ces organismes-là qui portent aussi, avec des équipes de recherches, ce type de manifestation.

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Claude COSTECHAREYRE

La logique de l’information et de la communication qui vient d'être évoquée est une dimension relativement importante. Monsieur Sionneau, vous êtes chef de service risques naturels à la DIREN Rhône-Alpes, je le redis parce que vous remplacez Monsieur De Guillebon, retenu par la réunion sur les PCB. On pourrait poser la question des experts, et je crois que, par rapport aux différents types «d’experts» – on parle d’associations, on parle de chercheurs, on parle de techniciens –, vous avez un sentiment, dirons-nous, nuancé.

Philippe SIONNEAU

Ce n’est pas un sentiment nuancé, c’est surtout de savoir, pour répondre à la question, ce que je n’attendrai pas de la recherche. Je vais dire aussi ce que j’en attends. On constate que, depuis quelques années, dans les appels d’offres de recherche, on demande aux chercheurs de s’associer avec des décideurs potentiellement intéressés par les actions de recherche. Cela a déjà au moins eu l’avantage de rapprocher les chercheurs et les décideurs et de leur apprendre à se connaître. Mais du coup, les décideurs, on le sait, sont «les pieds dans la boue», dans le très court terme. Et, je pense qu’il ne faut pas attendre des chercheurs des réponses immédiates. Ce ne sont pas des bureaux d’études, et il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté par rapport aux attentes. Pour toutes les réponses immédiates, nous disposons de bureaux d’études qui sont très compétents, qui ont tout un tas d’outils, de savoirs, de méthodes, de modèles, d’abaques, de certitudes. Tout ça, on le reprend à notre compte quand on valide leurs études. Mais c’est aussi, souvent, plein d’incertitudes dans le domaine des risques naturels. Et je pense que le domaine de la recherche est justement de travailler sur ces zones d’incertitude, d'abord par rapport à ce qui existe, pour pouvoir avancer. Monsieur le préfet parlait tout à l’heure d’améliorer la connaissance par rapport à la judiciarisation, et je pense que tout ça en fait partie.

Après, il y a pas mal de zones sur lesquelles il y a à initier des réflexions un peu nouvelles. Toute la journée, nous avons entendu des exposés par rapport à cette approche. Je pense que les thèmes peuvent provenir des décideurs eux-mêmes, qui ont des demandes à faire émerger, entre autres par rapport à l'évolution des recherches scientifiques, quelle que soit la science à laquelle on fait appel. On développe aussi beaucoup le côté historique. Cela a déjà été exposé aujourd’hui et ça sera encore le cas dans le cadre du plan Rhône, à Beaucaire début novembre.

Monsieur Picon parlait de morcellisation des thématiques, et c’est vrai que si je suis associé, je n’ai pas la vision globale, même si je prône cette vision globale de prise en compte du risque, mais je ne suis pas le décideur de tous les thèmes. Et dans ces cas-là, il faut aussi que les chercheurs soient force de proposition par rapport à des choses dont nous ne verrons pas forcément l’application immédiate. Mais derrière, cela veut dire aussi qu’il faut que les financeurs prennent un risque sur le fait qu’il n’y ait pas une opérationnalité immédiate.

Claude COSTECHAREYRE

Oui, c’est ça, que les chercheurs nous aident à aller sur des terrains sur lesquels nous n’irions pas spontanément, parce qu’il y a des enjeux d’usage.

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Philippe SIONNEAU

Cela doit aller dans les deux sens, je pense.

Claude COSTECHAREYRE

Il faut aller effectivement dans les deux sens. Je vais me tourner vers vous, Philippe Huet, parce que vous avez été aussi président du Comité d’orientation du programme EPR, ce n’est quand même pas neutre. Un travail important a été fourni. Sur ce qui vient d’être évoqué, quelle est votre réaction et comment pourrait-on aller plus et mieux vers les souhaits de décideurs ?

Philippe HUET

Au sein du programme d’EPR, nous avons travaillé en tandem pendant quelques années, entre le Comité d’orientation et le Comité scientifique dont je profite à nouveau pour remercier le président, Claude Gilbert. Dans ce Comité d’orientation, il y avait effectivement un certain nombre de décideurs qui y ont pris beaucoup d’intérêt, qui ont pris le temps de lire les rapports, qui ont pris le temps de discuter, qui ont pris le temps d'aboutir à des consensus, et je pense que tout ça a été fort utile.

Ce que je voudrais dire, c’est que quand on a des charges opérationnelles, être accompagné par des chercheurs et utiliser leur capacité à lire les situations, à mettre des mots sur les choses, à reformuler les questions est capital. On m’a souvent dit : « Mais la question que tu poses, ce n’est pas la bonne. La bonne, c’est celle-là. ». Alors, on discute, on arrive à préciser, à construire des concepts. Je pense qu’aujourd’hui la décision publique ne peut pas se passer de cet outil.

Je voudrais en donner deux témoignages. Au sein de l’association dont je m’occupe actuellement, l'AFPCN, nous avons trois axes : un axe scientifique - dans lequel il y a le Cemagref -, un axe territorial, dans lequel l’IRMA veut bien nous aider, c’est grâce à eux qu’on a pu monter cette affaire de prévention-secours - et puis un axe international. Et s’il en manque un, ça ne marche pas. En particulier, si les scientifiques se retirent sous leur tente, c'est un peu comme une voiture qui roulerait en roue libre.

Le deuxième témoignage que je voudrais donner concerne mon travail d’ingénieur d’Etat. Il y a bien longtemps, quand on allait sur le terrain, dans des situations difficiles, conflictuelles, après des crises, où malheureusement, il y avait souvent des morts, il y régnait ambiance extrêmement lourde, renforcée par les implications pénales. Grâce au Cemagref, grâce à des gens comme Gérard Brugnot, on a pu mettre en place, à côté de nous, un groupe d’appui d’une trentaine de scientifiques de toutes disciplines, à qui on pouvait poser nos questions. On disait : « Voilà ce qu’on nous dit sur le terrain, voilà ce que disent les maires, voila ce que disent les victimes, voilà ce que disent les commerçants, etc. ». Ils reformulaient ça et nous disaient : « Sur tel type de question, voilà l’état de l’art, voilà ce qu’on sait aujourd’hui. Deuxièmement, voilà les questions en débat, voilà ce sur quoi se querelle la communauté scientifique et, troisièmement, voilà les voies de progrès. ». Ce type de travail, je crois, a été tout à fait fécond.

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Je voudrais terminer en demandant comment pérenniser toute cette approche. Le problème, c’est que les occasions créent les rencontres, puis des réseaux se font et se défont. Alors, vous allez me dire que c’est la vie. Mais je me demande si ce n’est pas une responsabilité des institutionnels de l’Etat et des collectivités, et très largement des collectivités. Et l'on rejoint la notion de territoires, périmètre pertinent pour créer ces forums réguliers où les scientifiques et le monde social peuvent se rencontrer et échanger.

Je voudrais, pour finir, dire deux choses. Premièrement, il y a des lacunes, en particulier une lacune très lourde dans nos domaines des risques : l’économie. Nous n'avons pas réussi à intéresser les économistes – ça commence à venir – à nos affaires. Je pense qu’il y a beaucoup de débats dans le domaine des risques, y compris dans le domaine de la responsabilité, qui seraient tranchés plus facilement si l’on avait des outils économiques (coûts, avantages, etc.).

Enfin, je rendrai hommage aux chercheurs, ceux qui acceptent de venir sur le terrain avec nous, mais hélas pas tous. On m’a répondu : « Je ne peux pas venir, j’ai un colloque au Japon... », même trois mois avant. Alors, ça peut arriver. Bien sûr, c’est essentiel d’aller au Japon…

Claude COSTECHAREYRE

Et puis d’aller dans des colloques.

Philippe HUET

Les chercheurs sont évalués en fonction des communications. Chacun son métier, j'en conviens. Ceci étant dit, quand les demandeurs, les décideurs ont besoin d’un appui, je pense que c’est un devoir moral des chercheurs de chercher tous les moyens de les accompagner.

Claude COSTECHAREYRE

Je vous propose, avant que Claude Gilbert n'intervienne, que nous recueillions le sentiment de la salle sur ce qui vient d'être évoqué.

Un intervenant, non identifié

Ce que j’identifie dans les messages, c’est qu’il y a des questions de fond à lever. Aujourd’hui, les chercheurs et leurs thématiques de recherche sont reconnus et valorisés par rapport à des publications, des communications. Et le réseautage - puisque le forum, c’est du réseautage - n’est pas reconnu, parce que c’est un moyen et pas une finalité, auquel cas on pose une première question de fond : la reconnaissance, dans le cadre de l'évaluation, de référentiels prenant en compte l'action de ces chercheurs qui se rapprocheraient de la communauté des décideurs. La communauté de décideurs, ça veut dire aussi, dans une logique de réseautage - c’est toujours un outil - de pouvoir étudier des mécanismes ou des passerelles qui permettraient aux décideurs d’avoir des interlocuteurs privilégiés, scientifiques et chercheurs, qui pourraient, au-delà des demandes, préciser les besoins par rapport à des contextes de territoires. C’est une première chose. Et inversement, les chercheurs identifieraient des thèmes de recherche. Au-delà, il

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faut que les décideurs soient intéressés. Quelque part, il faudrait des courtiers du savoir, de la même façon qu'il y a des courtiers en assurance. Il faudrait cibler ça par rapport aux décideurs et aux chercheurs, et avoir des plateformes qui permettent, par différents moyens (forums électroniques, rencontres), de faire émerger pour l'ensemble des acteurs et de la communauté scientifique, des thématiques fortes.

Le troisième élément - et là, je m’adresse aux décideurs -, c’est qu’aujourd’hui, dans les modes de fonctionnement de la collectivité, les subventions ont un caractère annuel. Donc, que se passe-t-il pour le chercheur qui a une logique temporelle de recherche à cinq ans minimum et qui se retrouve à devoir saucissonner un programme sans avoir l’assurance, d’une année à l’autre, de pouvoir en assurer la continuité ?

Claude COSTECHAREYRE

Des logiques de passage donc. Monsieur, je vous en prie.

Tchen NGUYEN , directeur des ateliers de recherche A-Risk

Je suis directeur des ateliers A-Risk, évoqués par Michel Reppelin ce matin, et qu'on peut qualifier d'instance de transversalité et d’interface. Je trouve, et cette manifestation en est bien l’expression, que nous vivons une période passionnante pour la gestion des risques. Je résumerai cette période par trois mutations et trois défis.

Le premier défi, c’est que par rapport aux décideurs, on constate - et là, nous sommes à la fois chercheurs et outil de formation à Lyon 3 - l’émergence de nouveaux métiers de gestionnaire des risques chez les décideurs et au sein des collectivités. Ce n’est pas le simple décalque aux collectivités des gestionnaires des risques en matière d’assurances ou industriels, comme on l’a connu par le passé. Il s'agit réellement d’un nouveau métier. Et d’ailleurs, nous formons nous-mêmes des gestionnaires des risques, et 80 % de notre dernière promotion a été engagée sur ce profil.

Le deuxième grand défi, c’est qu’au sein de ces collectivités et chez les décideurs, il y a de nouvelles pratiques en termes de gestion des risques. Il ne s’agit pas de créer des nouveaux services. Et je crois qu’on l'a vu, aussi bien à travers le témoignage de Madame Eybalin que celui de Monsieur Lareal, on est amené à tâtonner, c’est normal. Quand on invente des nouvelles pratiques, on ne se permet pas de décalquer ce que faisait le service technique ou le service environnement. A nouveau métier, nouvelle pratique. Et l’une des choses que nous préconisons, c’est un binôme élu/technicien pour mener à bien les projets. Les bons projets des gestions des risques sont menés de cette façon.

Et troisième défi, je crois qu’on assiste à l’émergence d’une nouvelle science, la cyndinique et c’est un domaine de réflexion passionnant. Je crois que c’est la conjonction entre ces trois types de mutation qui donne un contenu réel à -l'expression a été beaucoup entendue - la territorialisation. Parce que la territorialisation, ce n’est pas simplement regarder ce qui se passe à l’intérieur d’un périmètre, c’est regarder tous les processus qui concernent un territoire aussi bien

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sur le plan humain que physique. Je rejoins les remarques de mes collègues concernant la géographie humaine et physique.

Il me semble que l’approche nouvelle de gestion des risques par rapport à ce triple défi, c’est l’approche que propose A-Risk. Je rappelle que, dans le prolongement de ce qu’a dit Michel Reppelin, nous sommes issus de l’Université Lyon 3, du CNRS, de l’IRMA, ici représenté, du CERTU et du CNFPT. Il y a différentes dimensions mais il faut avoir une approche globale des risques. Je le dis par rapport à cette séquence très importante qui porte sur les risques naturels, mais je crois qu’il faut également avoir cette approche globale, transversale sur le plan scientifique systémique. Et je crois que c’est à ce prix-là - trouver ces convergences entre les différentes approches - que nous donnerons un réel contenu à une vision territoriale, qui ne soit pas simplement une vision «pratico-pratique».

Claude COSTECHAREYRE

C’est un domaine dans lequel il faut qu’on essaie d’avancer. Monsieur, je vous en prie.

Bernard CHOCAT , professeur à l’INSA de Lyon et co-animateur scientifique du cluster environnement

Je pense qu’il faut quand même être conscient des difficultés réelles qu’on peut rencontrer sur le terrain. Lorsqu’on parle de développer de la recherche pour aider les décideurs à décider, en particulier en matière de risques, on a, en quelque sorte, à co-construire des questions de recherche qui seront utiles à court, moyen ou à long terme - les temps ne sont pas forcément les mêmes - mais qui visent d'abord à être utiles. Il faut bien voir que, pour ça, il faut être capable de mettre autour d’une même table des chercheurs de disciplines extrêmement différentes. Donc, il y a une grande question de pluridisciplinarité qu’on ne sait pas très bien gérer dans le monde académique français. On doit également mettre autour de la table des décideurs qui sont également extrêmement multiples - on l’a vu dans les exposés-. Donc, tout ça fait un grand nombre de personnes, avec la difficulté qu'aucun n’est effectivement représentatif ou n’a la capacité de représenter les autres. Et je suis tout à fait d’accord avec Philippe Huet pour dire qu’il faut de la continuité, qu’il faut que les chercheurs acceptent de venir discuter avec les décideurs et qu’il faut que les décideurs acceptent de venir discuter avec les scientifiques.

Et je voudrais juste en profiter pour lancer un appel. Je prends au mot Pierre Lareal qui veut s’intéresser au cluster environnement, ainsi que Madame Eybalin. Le lundi 22 octobre matin, à Grenoble, nous organisons une réunion conjointe du cluster environnement et du réseau Environalp sur la question des risques. Les chercheurs seront présents et les utilisateurs potentiels de la recherche seront également les bienvenus.

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Claude COSTECHAREYRE

On a entendu, ce matin, l’importance de fabriquer une culture commune, et cela prend du temps. Merci, Monsieur, de compléter nos agendas. Je vais donner la parole à Madame.

Béatrice JANIAUD , Conseil Régional Rhône-Alpes

Je suis conseillère régionale et je fais partie de la Commission recherche-enseignement supérieur. Une partie des choses que je voulais dire viennent d’être évoquées par Monsieur Chocat, et je partage tout à fait son opinion.

Claude COSTECHAREYRE

C’est bien que ce soit redit par un décideur.

Béatrice JANIAUD

Je suis aussi universitaire de formation, c’est à ce titre que j'assiste à ce colloque. Effectivement, il y a le problème de l’interdisciplinarité, qui est quelque chose de difficile au niveau des scientifiques et, il y a aussi des problèmes de langage, pour informer les décideurs. Donc, je redirai, comme Madame Eybalin, de ne pas surestimer le niveau de connaissances des décideurs publics par rapport à l’état des connaissances. Il ne s'agit pas non plus que le chercheur ou l’expert décide à la place du politique, ce qui est parfois un travers que l’on peut avoir en France. Et j’irai peut-être un peu plus loin par rapport à ce que vous disiez : la Région Rhône-Alpes a mis en place une contractualisation pour éviter aux chercheurs d’avoir à refaire les projets tous les ans.

Je voulais ainsi insister sur le rôle des chercheurs pour aider les décideurs publics à décider. Mais il y a également, comme l’a dit l'intervenante sociologue, le rôle des associations qui peut être très important, même si ce n’est pas encore valorisé dans l’évaluation des chercheurs, et qui peut amener des recherches intéressantes et conduire à de nouvelles voies de recherche. Donc, en plus des chercheurs et des décideurs publics, il faut aller aussi vers la société civile, vers les associations. Dans le cluster environnement, des associations environnementales font partie du comité de pilotage. Il y a également d’autres clusters de recherche, dans la région Rhône-Alpes, où les associations sont plus ou moins associées.

Claude COSTECHAREYRE

Merci Madame. Monsieur, je vous passe la parole.

Patrick TOURASSE , chargé de mission à la coordination de l’eau à EDF

Je voulais juste évoquer une composante supplémentaire dans la relation entre les décideurs et les scientifiques, qu’on n’a pas évoquée jusque là, mais qui me paraît tout à fait importante, y compris par rapport à la notion d’interdisciplinarité dont on a parlé. Ce sont les conseils scientifiques qui sont adossés à nombre de structures de décision aujourd’hui, qui apportent un éclairage transverse et avec lesquels les

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collectivités et les acteurs économiques doivent apprendre à travailler, notamment en amont, sur les sujets qui les intéressent.

Claude COSTECHAREYRE

Tout à fait. Monsieur Claude Gilbert, je vous en prie.

Claude GILBERT

Beaucoup de choses ont été dites. On peut peut-être tenter d’éclaircir certains thèmes du débat, dans la mesure où je crois qu'on doit vraiment admettre qu’il faut distinguer une fonction recherche et une fonction expertise. Il faut en effet ne pas se tromper. Les recherches ont une logique, c’est une logique académique, c’est une logique d’excellence. L’excellence est de plus en plus renforcée, de multiples façons, par la façon dont on sélectionne les chercheurs, dont on évalue leurs travaux, la façon dont on les finance. Il y a maintenant des financements qui ont beaucoup changé avec l’ANR (Agence Nationale pour la Recherche). Il ne faut pas attendre de la fonction de recherche autre chose que de la production d’une connaissance incertaine, pas du tout stabilisée, qui fait des ouvertures, qui fait des hypothèses, qui travaille, qui vérifie, etc. Par essence, la fonction recherche, c’est cela, ça ne peut pas être autre chose et ça va être de plus en plus cela au niveau international.

Ensuite, il y a une fonction expertise. L’expertise, c’est assez différent, c’est-à-dire que ce sont des savoirs qui sont stabilisés, et qui d’ailleurs n’appartiennent pas uniquement à la recherche, mais qui appartiennent également au monde professionnel, au monde associatif. Ce sont des savoirs stabilisés, mais un expert fait dire à la science plus qu’elle ne peut. C’est véritablement de l’aide à la décision et l'expertise a cette fonction. Si l’on distingue bien ces fonctions, ça ne veut pas dire qu’on ne retrouve pas les chercheurs en fonction d’expertise. Lorsqu’ils sont en fonction d’expertise, les règles du jeu sont très différentes, et ils prennent les problèmes comme les amènent les décideurs, sans oublier qu’ils sont chercheurs, mais ils peuvent éventuellement les reformuler. Au fond, ils prennent les problèmes comme les prennent les décideurs, et ils essaient, avec la science telle qu’elle est, de trouver des solutions aux problèmes tels qu’ils les posent. C’est un premier usage des chercheurs.

Mais les décideurs peuvent aussi avoir un autre usage des chercheurs, en tant que chercheurs véritablement. La réponse de ces derniers est alors : « Vous posez les problèmes de cette façon et vous avez des biais épouvantables, mais on peut les poser autrement. ». Je prends par exemple une des contributions du programme EPR, - mais pas uniquement du programme EPR -, à la recherche autour des risques naturels. C’est quelque chose d’assez simple, finalement. C’est de dire : « Lorsque vous parlez de risques, vous confondez généralement risques et aléas. Quand vous évoquez la vulnérabilité, c’est un concept que vous réduisez très largement à une notion de dommage. ». Or, si l’on réfléchit bien aujourd’hui, le risque - définition canonique, croisement entre aléa et vulnérabilité - est beaucoup plus l’expression de la vulnérabilité à l’occasion d’un certain nombre d’aléas, beaucoup plus que les aléas qui «tombent» sur quelque chose. Regardez le changement que ça induit, c’est fantastique. Si l’on travaillait dans cette perspective - et les chercheurs disent « pourquoi pas ? », il y a deux ou trois chercheurs qui

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travaillent dans ces perspectives, qui font des propositions -, on travaillerait sur Lyon, mais pas du tout à partir des aléas, on irait voir ce qui est vulnérable dans la ville de Lyon, ce qui la fait tenir, ce qui est important. Et simplement une fois qu’on a travaillé sur les vulnérabilités, à ce moment-là, on se demanderait quels sont les aléas, les croisements d’aléas qui peuvent remettre tout ça en cause. Vous imaginez la révolution ? Ça change tout, ça change même la façon de concevoir la façon de faire la recherche, ça casse complètement le cloisonnement disciplinaire.

Claude COSTECHAREYRE

C’est un véritable enjeu pour l’avenir. Comment pourrait-on se mettre à travailler dans cet esprit ? Est-ce qu’il y a quelques chercheurs sur cette approche ? Est-ce qu’on n’est pas un peu dans une révolution culturelle ? Cela implique que les chercheurs sortent, comme on dit, de leur tour d’ivoire, et que les décideurs acceptent de changer certains paradigmes, non ?

Claude GILBERT

On n’y est pas. Je vais vous donner un exemple. Il suffit de prendre un numéro de la revue très intéressante Pour la Science, consacré aux risques naturels. Vous avez 98 % des textes sur les aléas et 2 % des textes sur la vulnérabilité. Cela vous donne un indicateur de la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Ce n’est pas simplement une question de prise de conscience, c’est une question de rapport de force. D’ailleurs, sur les questions interdisciplinaires, le rapport de force est compliqué à propos des risques. Qui sont les prescripteurs des recherches en sciences dures et pour les sciences humaines et sociales ? Les prescripteurs, c’est largement les sciences dures elles-mêmes et les décideurs qui se reconnaissent un peu plus facilement dans les sciences dures que dans les sciences humaines et sociales. Et ça, c’est une petite difficulté.

Je vais vous donner un exemple. En quoi consistent finalement 95 % des commandes qui sont passées par les décideurs et par nos collègues des sciences dures ? Racontez-nous la perception des risques, dites-nous comment on pourrait les rendre acceptables: c’est ça la commande. Et nous, nous disons : « C’est intéressant, mais il y a beaucoup de biais. ». Finalement, quand vous dites perception des risques, vous supposez une irrationalité de la population et, on a énormément de cas au niveau international où l’irrationalité des experts et des décideurs est tout aussi grande. Quand vous nous dites « Rendez les choses acceptables. », nous, nous disons « Oui, mais parfois, elles ne sont pas acceptables. ». Et pourquoi nous réduire à un rôle d’ingénieur social. Nous ne sommes pas forcément là pour ça. Finalement, on est un peu coincés dans ces commandes un peu impératives qui nous sont passées.

Claude COSTECHAREYRE

Bernard Picon, une réaction ?

Bernard PICON

Je voudrais reprendre ce qui vient d’être dit, mais d’une autre façon, peut-être, en repartant de l’intervention de Monsieur le préfet. Cela m’a bien intéressé parce qu’il

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a commencé son intervention en disant : « le scientifique quand on l’appelle ». Ça me renvoie à deux questions. La première, c’est que le scientifique, ce n’est pas monolithique. Il n’y a pas un scientifique ou des chercheurs indifférenciés. Deuxièmement, il y a beaucoup de chercheurs ou de scientifiques qui travaillent sans qu’on les appelle. Nous venons d’avoir un prix Nobel de physique, c’est quelqu'un qui a fait des recherches fondamentales. Personne ne l’a appelé pour les faire. Il n’empêche que j’ai appris à la télévision que tout ce qu’il a fait a eu une importance considérable sur les disques durs de nos ordinateurs.

Claude COSTECHAREYRE

Absolument.

Bernard PICON

Donc, on n’a pas besoin d’être appelé pour faire des choses applicables et très intéressantes. Les physiciens qui travaillent sur terre-océan-atmosphère ne travaillent pas en principe sur les risques naturels. Il n’empêche que ce sont eux qui ont soulevé la question du réchauffement planétaire sans le chercher a priori.

On parlait à l’instant des représentations sociales. On nous demande beaucoup de travailler sur les représentations sociales du risque. Les psychosociologues qui ont fait des recherches fondamentales, ont fait des avancées importantes sur les représentations sociales sans être intégrés à des équipes de recherche environnementale. Il n’empêche que les progrès qu’ils ont faits sont aujourd’hui applicables aux représentations des risques naturels. Donc, quand on parle de la recherche ou des scientifiques, il faut distinguer l’amont, la recherche fondamentale et ses applications. Ça se mélange, bien sûr.

Il y a aussi les lanceurs d’alerte. Je pense que beaucoup de scientifiques sont des lanceurs d’alerte dans nos pays. Qui saurait que la planète se réchauffe ou que la mer monte s’il n’y avait pas des scientifiques pour le leur dire ? Les lanceurs d’alerte sont des chercheurs fondamentaux qui, un jour, se disent : « Ouh là là, ça risque de poser un problème social. ». A ce moment-là, ils alertent la société. La société va faire appel à beaucoup de disciplines et là, on est dans l’aval. Dans l’aval, il y a les économistes. Par exemple, sur le réchauffement planétaire, ce sont quand même les économistes qui nous ont dit qu’on pouvait peut-être régler le problème en créant un marché des permis d’émission de gaz à effet de serre. On peut être contre, ou être pour, mais il n’empêche que c’est, parmi d’autres, une solution en aval apportée par des économistes.

Il y a le problème des politiques publiques. Les sciences politiques vous disent : « Régler la question des émissions de gaz à effet de serre, c’est un problème politique, et on fait de la recherche là-dessus. ». Les sociologues- ça a été dit aussi par Claude Gilbert - focalisent leurs recherches sur les concertations. On parlait tout à l’heure de l’intérêt général. L’intérêt général, autrefois, c’était l’Etat. Et le reste, ce n’était que des intérêts particuliers. Aujourd’hui, c'est différent, avec les lois Barnier prônant la concertation, on reconnaît que l’intérêt général, ce n’est plus seulement l’Etat contre les intérêts particuliers, il peut aussi être porté par les associations, les citoyens, les conférences de consensus, etc… et cela intéresse les sociologues. Enfin - et cette dernière question est très importante, à mon avis -,

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quand on se plaint qu’il n’y a pas assez de chercheurs sur les questions des risques naturels ou environnementaux, c’est aussi parce que c'est un objet de recherche interdisciplinaire, on vient de le dire. Il est à l’interface des sciences de l’homme et de la société, des sciences de la nature, des sciences de la vie, des sciences de l’univers. Et la recherche en est encore à s’organiser par rapport à ce nouvel objet. On ne sait pas faire avec ça. Comme je le disais ce matin, vous avez les sciences naturelles pour s’occuper de la nature, les sciences de l’homme qui s’occupent de l’homme, les sciences de l’univers qui s’occupent de l’univers. Mais, au fond, quand on a des objets qui sont à la charnière de tous ces domaines, on manque encore d’une organisation scientifique apte à les prendre en compte.

Donc, simplement, je dirais que la recherche n’est pas monolithique. Il y a de l’amont, il y a des applications, il y a de l’aval et il y a de la recherche conceptuelle pour essayer de s’en tirer avec cette question environnementale.

Claude COSTECHAREYRE

Est-ce qu’il y a un chantier sur lequel on pourrait poursuivre les travaux qui ont été présentés ? Si vous aviez une priorité, si, demain, le groupe décide de continuer à travailler, sur quoi, selon vous, doit-il travailler prioritairement ?

Bernard PICON

Moi, je travaillerais sur la question épistémologique.

Claude COSTECHAREYRE

C’est-à-dire ?

Bernard PICON

Quel est notre objet de recherche et comment nous organiser scientifiquement et épistémologiquement pour le traiter.

Claude COSTECHAREYRE,

D’accord. Beaucoup de travaux nous ont été présentés aujourd’hui. Madame Eybalin, si demain on devait continuer ensemble, sur quel champ devrait-on travailler, selon vous, les décideurs ?

Michèle EYBALIN

Je ne sais pas si je suis capable de dire sur quel champ il faudrait travailler, mais ce que je peux peut-être dire, c’est qu’en tout cas il faudrait qu’on bascule complètement.

Claude COSTECHAREYRE

C’est-à-dire ?

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Michèle EYBALIN

C’est comme lorsqu'on parle du développement durable. Il ne faut pas faire mieux, il faut faire différemment. Là, je pense qu’il faut aussi faire différemment. J'ai été intéressée par la distinction entre recherche et expertise, et notamment le basculement entre les aléas et la vulnérabilité. Et effectivement, les collectivités publiques, y compris le législateur, raisonnent toujours dans une logique d’aléa. Si l’on veut effectivement travailler différemment, il faut basculer ça aussi, de la même manière qu’il faut basculer nos indicateurs économiques. On a dit qu’il n’y a pas assez d’économie. Mais, rappelez-vous que tout ce qui est catastrophe naturelle ou technologique figure en positif dans le PIB. Donc, on a aussi à travailler sur nos indicateurs et il y a des gens qui travaillent là-dessus. (cf les travaux de Patrick Viveret)Nous sommes à un moment où si nous voulons avancer, nous devons basculer nos modes de raisonnement. Mais après, je ne sais pas trop comment.

Claude COSTECHAREYRE

D’accord. On ouvre la discussion pendant un petit moment, puis je demanderai à Monsieur le préfet de tirer quelques éléments et enfin, Monsieur Vindimian conclura. Monsieur Wybo.

Jean-Luc WYBO , Armines / ENSMP Sophia Antipolis

Pour reprendre ce qu’a dit Claude Gilbert, je pense que le concept sur lequel il faudrait travailler, c’est le concept d’interface à trois niveaux. D’abord, en tant que « vieux » chercheur, je fais souvent des actions d’expertise pour les pouvoirs publics ou pour des sociétés privées, parce que j’ai, derrière moi, du recul et parce que je n’ai plus rien à prouver scientifiquement. Je pense qu’un chercheur qui a quelque chose à prouver scientifiquement, qui doit monter sa carrière, va réfléchir plutôt à écrire une publication qu’à passer du temps avec un maire ou un industriel. Donc, d’abord, il faut des hommes d’interface. Il y en a, nous sommes un certain nombre ici dans la salle. Je crois qu’aussi bien Bernard Picon, Claude Gilbert ou d’autres ou moi-même, savons être des «hommes d’interface».

Deuxièmement, il faut créer des lieux d’interface. Ce peut être des études de cas, nous l’avons beaucoup fait sur les retours d’expérience : un préfet nous demande de venir réfléchir avec lui sur ce qui s’est passé, ça crée une interface. Cela nous amène au deuxième concept, qui est le concept de légitimité, c’est-à-dire que, tout d’un coup, dans cette arène-là, avec un pompier, un DDE, un DDA, etc., on va être légitime. On va être là pour prendre du recul, pour les aider à comprendre, etc. Donc, il faut créer des lieux d’interface, parce que c’est là qu’on va pouvoir faire avancer les problèmes, et reformuler les questions, comme disait Philippe Huet tout à l’heure.

Et puis après, il faut des moyens d’interface, c’est-à-dire qu’il faut créer des guichets. Avec quelques autres participants au programme environnement, il y a quelques années, on mettait ensemble un certain nombre de scientifiques, de décideurs, et on mettait en place un budget Or, aujourd’hui, je me retrouve face à ce problème - et je me suis déjà retrouvé plusieurs fois dans cette situation - : une collectivité nous dit : « Monsieur le chercheur, j’aimerais beaucoup travailler avec vous. Je vais passer un appel d’offres et il faut que vous répondiez à mon appel

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d’offres. ». Moi, je ne sais pas répondre à un appel d’offres et je ne veux plus répondre à un appel d’offres. À partir du moment où on ne créera pas un guichet d’interface, on ne fera pas avancer le problème. Concernant le cluster environnement, il se trouve que je fais partie du conseil scientifique et que donc, je connais un peu. C’est un bon objet d’interface, parce que ça permet de créer un lieu, un moyen, une pérennité. C’est vrai que le chercheur a besoin de quatre ou cinq ans, il a besoin de lancer deux ou trois thèses sur un sujet pour arriver à faire avancer le bouchon. Mais nous ne pouvons pas créer des interfaces comme ça.

Claude COSTECHAREYRE

C’est le rôle du décideur.

Jean-Luc WYBO

Je pense que c’est le rôle du décideur. Le mieux, c’est de partir d’un exemple, d’un problème qui se pose et de dire : « Autour de ça, j’ai envie de créer un lieu, un moment, un temps, un budget, pour travailler sur cette interface. ». Et à ce moment-là, le chercheur le trouvera. Je voulais juste revenir un petit peu sur la vulnérabilité.

Claude COSTECHAREYRE

Rapidement, si vous voulez bien.

Jean-Luc WYBO

Il se trouve que je suis chargé par le ministère de l’Intérieur de faire un guide méthodologique sur l’analyse de la vulnérabilité. Je peux vous dire que la manière dont on approche le problème va dans le sens indiqué par Claude Gilbert, c’est-à-dire qu’on ne part pas du tout de l’aléa. On part de deux choses. On part de ce qui est menacé, que ce soit l’homme, l’image de l’organisation, l’environnement, etc., mais surtout, on part de la capacité d’action, c’est-à-dire quelles sont nos capacités d’action pour ne pas être vulnérable. En résumé, on dit que : si un rocher peut vous tomber dessus, vous êtes vulnérables ; s’il y a quelqu’un en dessous du rocher, vous êtes vulnérable ; si vous n’avez aucune action pour être capable d’empêcher le rocher de tomber et d’empêcher que la personne soit en dessous, vous êtes aussi vulnérable. Et finalement, la vulnérabilité, c’est le croisement de ces trois conditions. Donc là aussi, je reviens sur le mot d’interface. Quand on aborde un problème de ce type, on dit : « Monsieur le directeur, vous me posez cette question de vulnérabilité. Moi, je vais vous la poser en termes d’interface entre plusieurs choses ». Et l’interface, c’est aussi une manière de traiter de la pluridisciplinarité de manière propre.

Claude COSTECHAREYRE

Merci. Monsieur, je vous en prie.

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Sébastien FERRA , DDAF du Rhône

Je suis responsable du service environnement à DDAF du Rhône et nous travaillons beaucoup avec nos collègues de la DDE sur la problématique risque. Il y a quelque chose que je n’ai pas entendu aujourd’hui dans le débat. J’ai bien noté ce que disait Philippe Huet sur les manques en termes d’approche économique et sociale dans la prise en compte du risque. On a beaucoup parlé de l’évaluation du risque ou de la menace qu’il représente, mais aujourd’hui, lorsque l'on est amené à décider et à imposer des prescriptions, on n'évalue jamais ce que les prescriptions entraînent comme coûts, et je pense que la recherche pourrait porter là-dessus. On sait facilement chiffrer les coûts des protections que l'on va mettre en place, les coûts que les entreprises subissent déjà ou que les collectivités supportent pour répondre à des normes de protection. En revanche, on évalue difficilement le coût de ce qu’on interdit, le coût d’un développement économique que l’on freine, le coût d’un développement de ville que finalement on inhibe à cause d’un plan de prévention des risques et le coût social que ceci induit. Et quand on fait une évaluation du coût du risque et de la vulnérabilité de l’événement qui va détruire un certain nombre de richesses, on n’a pas d’éléments, aujourd’hui, pour chiffrer ce qu’on va interdire de faire, d’un point de vue social, économique, mais aussi d’un point de vue politique. Aujourd’hui, on travaille beaucoup sur l’aval du risque, mais on ne travaille pas sur les mesures de prévention et ce qu’elles coûtent indirectement.

Claude COSTECHAREYRE

Très bien, merci. Rapidement, un commentaire, Claude Gilbert. Puis je demande à Monsieur Klinger de tirer quelques éléments.

Claude GILBERT

Un commentaire rapide pour aller complètement dans votre sens. Il y a une sorte de convention de discours qui s’est fortement instaurée à propos du risque, c’est-à-dire que lorsqu’il est question de risques qui mettent en péril une collectivité, une société, on ne compte pas. C’est faux, on compte toujours. C’est-à-dire que quelles que soient les menaces qui pèsent sur une société, il y a beaucoup d’impératifs qui sont pris en compte. C’est quelque chose qu’on a beaucoup de mal – et pourtant, ça a été un petit peu indiqué ce matin par le premier intervenant – à admettre, que, finalement la définition d’un problème comme un risque fait l’objet d’une négociation. C’est une négociation entre de multiples contraintes. Et réintégrer, comme vous le proposez, l’ensemble de ces contraintes dans un calcul économique, dont on ne dispose pas actuellement, serait le simple bon sens, mais ça nous fait terriblement défaut.

Claude COSTECHAREYRE

Monsieur le préfet, quelques mots sur tout ce que nous avons entendu.

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Thierry KLINGER

Je voudrais faire deux observations. Premièrement, je voudrais revenir - parce que je me sentais un peu frustré sur cette affaire, on n’en a peut-être pas assez parlé - sur le risque et son coût. Je crois que ce qui restera quand même un travail de décideur, avec finalement une responsabilité qui est véritablement politique, c’est de tirer des conséquences, en matière de gestion, d’une analyse bénéfique-risque. Le risque peut être défini, on peut l’éclaircir à travers la connaissance scientifique, les bénéfices peuvent aussi faire l’objet d’analyses scientifiques, mais finalement, après avoir mis tout en balance, il faut que quelqu’un se lance et décide. Et ça, c’est vraiment le rôle d’un gestionnaire de risques, qui peut se faire éclairer par des scientifiques, mais qui en prend finalement plein la figure quand il choisit. Je crois qu’on n’est absolument pas mûrs pour affronter souvent les termes du choix.

Je vais prendre deux ou trois exemples qui sortent un peu du risque naturel, qui sont plus prêts du risque technologique ou autre, mais qui montrent jusqu’où cela peut conduire. Il y a deux ou trois ans, l'Afrique de l'ouest a connu une nouvelle grande invasion de criquets. On en est arrivé au point, dans certains pays dont la Mauritanie, de se demander si on tuait les criquets, sachant que, pour les tuer, il fallait utiliser des produits qui sont des insecticides puissants - le criquet est quelqu’un de «bien musclé» - et donc potentiellement dangereux en cas d'ingestion par l'homme: lorsque les criquets tombent morts, les populations locales les mangent après les avoir grillés. Alors, finalement, est-ce qu’on préfère le risque d’avoir les quelques cultures qui restent totalement dévastées par les criquets, ou est-ce qu’on prend le risque que, peut-être, les molécules restantes d’insecticide troublent la santé des Mauritaniens qui les mangent ? Voilà le genre de question qu’on n’aime pas se poser.

Autre débat, qui n’est pas du tout tranché au niveau international : les mycotoxines, qui sont des toxines générées dans un certain nombre de céréales ou de plantes à graines, comme le café. Est-ce que nous, pays du Nord, allons imposer aux Africains un taux infime de mycotoxines pour nous protéger d’un risque qui est existant, mais qu’on a beaucoup de mal à quantifier, au point que l’on va, selon les années, faire détruire entre 20 et 40 % de la production de café dans le pays qui le produit ? Si on privilégie ce choix extrême, on est à peu près sûr de déclencher une guerre civile à 20 000 morts par famine et pauvreté, pour éventuellement éviter huit ou dix cancers par million d’habitants dans un pays du Nord. Voilà le genre de phénomène et de choix où on est vraiment dans le balbutiement de la réflexion. Et je tenais quand même à ce qu’on se pose ce genre de questions.

Finalement, le décideur reste quand même un peu isolé, avec un élément qui concerne plutôt les sciences dites dures par rapport aux sciences humaines : on a un peu tendance à ne pas savoir, au fond, quelle est notre échelle de risque. Est-ce que notre échelle de risque est la précision sans cesse accrue de nos appareils de mesure ou est-ce qu’elle repose sur une conviction réelle ? Je constate quand même que les normes sont passées du milligramme au nanogramme, au picogramme, au fur et à mesure de l’amélioration des appareils de mesure et de quantification. Et donc, qui va dire à un moment donné : « On cesse la bagarre et on accepte un certain risque. » ? Ce n’est plus une décision purement scientifique, cela devient une décision de bénéfice-risque et donc une décision politique.

C’était la première réflexion que je voulais faire au terme de ce débat.

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La deuxième, c’est de dire aussi que lorsqu’on parle des risques, il y a la phase d’étude des risques, la phase de crise et l’après-crise. On en a parlé plusieurs fois. Je crois que les attentes des décideurs vis-à-vis des scientifiques sont imminentes avant la crise. Il y a vraiment besoin d’être éclairé par la connaissance scientifique. Je rappelais à midi, dans une petite discussion, la petite phrase de Pierre Dac : « Rien ne sert de penser, il faut réfléchir avant. ». C’est avant que ça se passe. Si on aborde la crise et que c’est à ce moment-là qu’on découvre la nature des problèmes, on est «grillé» bien avant l’heure.

Il y a ensuite l’après-crise, mais pendant la crise, là, il ne faut pas non plus demander au scientifique ce qu’il ne sait pas faire. Le scientifique est un peu dans une situation qui n’est pas très éloignée, dans certains cas, de celle du procureur. J’ai passé une nuit avec une prise d’otages et le GIPN, avec le procureur à mes côtés. Le procureur était comme un scientifique, il était très intéressé par la crise et il était très intéressé de pouvoir ensuite en tirer les conclusions, y compris celles, éventuellement, de déclarer que vous vous étiez comporté bêtement. Mais, pendant la crise, il n'est pas intervenu. En pleine crise, il est assez rare que le scientifique, face à de très beaux objets de recherche, soit capable de vous faire une préconisation claire et nette qui soit un élément de décision. Je rappelle souvent cette phrase à laquelle, hélas, le décideur est souvent soumis en période de crise, et qui est tirée de Un taxi pour Tobrouk. Vous avez Charles Aznavour et Maurice Biraud qui, en plein désert, intellectualisent sous leur guitoune et Lino Ventura qui, à la fin, en a marre, prend sa musette, et énonce ce commentaire fantastique d’Audiard : « Un con qui marche avance plus que deux intellectuels assis. ».

En période de crise aiguë, la décision ne peut pas s’appuyer que sur le conseil scientifique. Par contre, après la crise, vient le temps de la réorientation et du recadrage de la réflexion en suscitant, pour les chercheurs, de nouveaux sujets de recherche, de nouveaux éclairages, de façon extrêmement vaste et interdisciplinaire. Et là, il est certain que je ne peux que souscrire à tout ce qui a été dit sur l’interdisciplinarité et sur tout ce qu'elle peut apporter.

Je crois qu’il ne faut pas avoir trop peur de ces débats entre recherche, expertise et travail d’actualité. Le Conseil d'Administration du Cemagref a adopté une charte de l’expertise qui, je crois, pose bien les problèmes. L'intervenant qui a posé la question est parti, mais si on a fait cette charte de l’expertise, c’est en partie aussi pour «décoincer» nos personnels et permettre une reconnaissance, au moment de l’évaluation, de la qualité de ce travail dans les évaluations globales. Je crois qu'il est très important que le chercheur qui se consacre en partie à l’expertise - occasionnellement, ce n’est pas une tâche à plein temps - sache que cette activité est également prise en compte dans son évaluation en tant que chercheur. Mais l’expertise - je crois qu’il faut être très clair - n’est pas un travail de recherche scientifique classique. Ce n’est pas marcher sur les platebandes des bureaux d’études et de ceux qui sont capables d'offrir une prestation privée, mais c’est effectivement essayer d’apporter un éclairage sur des situations complexes où l’état des sciences n’est pas suffisamment clair pour que n’importe quelle société puisse apporter la réponse. Il y a une interrogation, il y a un état de connaissance qui n’est pas stabilisé. A partir de cet état de connaissance, on se pose des questions et on essaie d’aider à formuler le problème de façon scientifique. Je crois qu’il est très important pour les organismes de recherche d’aider à formuler la

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question et à apporter ces éclairages sur des thèmes difficiles à appréhender par les décideurs.

Claude COSTECHAREYRE

Très bien, merci. Monsieur Vindimian, vous nous disiez ce matin que vous étiez un petit peu le commanditaire de cette journée, à laquelle vous avez intégralement assisté. Quelles conclusions en retenez-vous et que peut-on en tirer pour l'avenir ?

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Clôture du colloque Eric VINDIMIAN, MEDAD, Direction des études économiques et de l’évaluation environnementale, Chef du service de la recherche et de la prospective

Il est difficile de conclure après Thierry Klinger qui a déjà dit beaucoup de choses sur le sujet. Je vais essayer quand même de m’y livrer. Ma première impression est que le technocrate ne peut plus décider seul. C'est une idée qui a beaucoup bouleversé nos grands corps techniques de l’Etat. Pendant longtemps, l’ingénieur était compétent sur l’ensemble de son sujet. Aujourd’hui, il est nécessaire de s’entourer d’experts, de chercheurs, etc. Les qualités de l’ingénieur tiennent maintenant à la capacité d’intégrer des disciplines différentes, des informations qui viennent de sources diverses pour, ensuite, aider le décideur, ce qui est, à mon avis, très précieux.

J’ai beaucoup apprécié la qualité de ce colloque, la diversité des points de vue, l’absence de langue de bois. J’y vois la preuve de l’existence d’une communauté de gestionnaires et de scientifiques qui est adulte. Je n’oublie pas que cette rencontre n'a pu se réaliser que grâce à un certain nombre d’acteurs. Jacques Joly du Cemagref a dépensé pas mal d’énergie, ainsi que Sylvie Charron, responsable des programmes de recherche sur les risques dans mon service. Je remercie également l’AFPCN et le Cemagref pour leur implication dans l’organisation de la journée. Ces échanges n'ont pu exister aussi que parce que des chercheurs et des gestionnaires ont fait vivre ce programme. Un président de conseil scientifique, c’est précieux. Sinon, on ne fait pas de science, sinon, on se contente de répondre à des questions sans approfondir les sujets. La table ronde a bien éclairé la différence entre développer des recherches et répondre à des questions, il était important que cela soit dit.

Je remercie également les scientifiques du Conseil scientifique et les gestionnaires du Comité d’orientation qui ont fait vivre ce programme. Ce colloque n’aurait pas existé si nous n'avions pas eu de résultats à proposer. Je remercie aussi Claude Gilbert et Philippe Huet, respectivement président du conseil scientifique et président du Comité d’orientation du Programme EPR. Merci également aux collectivités territoriales qui nous accueillent.

En général, quand on conclut un programme, on organise un colloque de restitution. Dans le cas présent, le colloque de restitution a conclu qu’il fallait en faire un autre, en région, en y associant davantage les gestionnaires. Le pari est gagné et c’est avec plaisir que nous sommes venus, ici à Lyon, rencontrer tous ceux qui sont présents aujourd'hui. Cela aussi c’est à mon avis, très important; aujourd’hui le technocrate ne peut plus décider seul à Paris.

Certains enjeux évoqués dans ce colloque m’ont semblé assez forts pour la recherche. Je ne serai certainement pas exhaustif. La notion de vulnérabilité a tenu une place importante dans ce colloque, elle est effectivement capitale. Vous avez évoqué les victimes, on ne mesure pas la notion de victime. Compter les morts ne suffit pas. Il est nécessaire de travailler sur une notion de vulnérabilité qui est parfois complètement oubliée. Certes, dans le domaine des risques d’inondation, la

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vulnérabilité est bien présente, ce n’est pas le cas du domaine des risques chroniques, que je connais bien. Par exemple, quand vous examinez les réactions des différentes parties prenantes concernant les risques liés aux pesticides, le discours dominant est celui de la suppression des molécules les plus dangereuses. C’est en soi stupide : ce sont des molécules qui sont faites pour tuer. Si vous supprimez les plus dangereuses, ça n’a aucun sens, parce qu’elles ne sont plus efficaces. Il faut bien tenir compte du risque, c’est-à-dire qu’il faut éviter que les molécules les plus dangereuses ne se retrouvent là où elles n’ont pas à être : dans l’environnement et au contact de l’homme. Nous sommes bien face à un problème de risque, avec toutes les nuances de l'approche danger, risque, aléa, vulnérabilité, etc. Donc, il faut étudier le risque dans son ensemble, sur toutes ses composantes, sans oublier l’acceptation du risque qui est une des clés du problème.

On peut d'ailleurs citer d’autres exemples. Le dossier des OGM est assez éclairant du fait que, pour l’instant, on n’arrive pas vraiment à trouver de risque avéré, mais la population n’en veut pas. Bien entendu, vous entendrez souvent le monde technocratique se plaindre de la soi-disant irrationalité populaire. Le public aurait peur de la génétique, peur qu’on touche au vivant, etc. Je ne suis pas sûr que les diabétiques qui prennent de l’insuline obtenue par le génie génétique le fassent malgré la peur irrationnelle de la manipulation du génome. Ils la prennent parce que ça leur est utile et que ça les fait vivre. Le problème des OGM, c’est qu’il n’y a pas de bénéfice pour la société. Pourquoi voulez-vous que le public accepte de manger quelque chose qui ne lui apporte rien ? Il s’oppose et il a raison; il n’a pas besoin qu’on évalue le risque afin de lui prouver qu'il est extrêmement faible. Puisque ça ne leur apporte rien, les gens disent non, et je crois qu’ils sont finalement très rationnels !

Il faut également innover dans la gestion globale. C’est compliqué parce que la science est plutôt organisée par disciplines. Un scientifique performant est de plus en plus «pointu» quand il va se focaliser sur son sujet. La gestion globale, c'est le contraire de la focalisation, c’est un grand angle. Donc, il faut arriver à trouver des solutions, et je pense que ce programme en a trouvé quelques-unes, mais il faut continuer à aborder les problèmes un peu globalement. L’avantage de partir des questions de politiques publiques comme nous le faisons dans les programmes du MEDAD, c’est que cela refocalise sur les questions plutôt que sur les disciplines. Ainsi des chercheurs de disciplines différentes vont-ils travailler ensemble sans se poser la question « Qu’est-ce que ma discipline peut apporter ? » mais plutôt « Qu’est-ce que moi, je peux apporter ? ». C’est vrai pour les décideurs aussi et, bien entendu, pour toutes les parties prenantes elles-mêmes très diverses, qu'il faut donc associer.

Concernant les enjeux forts, les problèmes de territoires, ce point a été beaucoup évoqué pendant le colloque. Le risque, en fait, est géré sur un territoire. Ce n’est pas forcément le bassin versant quand c’est le domaine de l’eau, ce n’est pas forcément le département quand c’est un risque technologique, ça peut être à la frontière. Un territoire n’est pas administratif, n’est pas forcément physique, il s’agit d’un ensemble de personnes qui sont concernées par le même problème. Les géographes avancent sur ces sujets-là. Nous, de plus en plus, au ministère de l'écologie, nous abordons des problèmes de territoires, plus que des problèmes de nature ou des problèmes physiques. C’est un point qui doit continuer à être approfondi dans nos programmes sur les risques.

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Sur ces territoires, il faut que la science puisse être expliquée, il y a un problème de pédagogie. Il faut aussi expliquer qu’il existe des controverses scientifiques. Souvent j’entends dire : « Il faut que les scientifiques nous disent la vérité. ». Non, il n’y a pas de vérité scientifique. Si vous mettez trois scientifiques dans une salle, ils ne seront pas d’accord, et c’est normal. La science avance par réfutation, vérification permanente. On fait une hypothèse et on essaie de la vérifier, et l’hypothèse, souvent, remet en cause ce qui avait déjà été arrêté. Cette situation existe dans toutes les sciences, quelles qu’elles soient. Sur un territoire, il faut aussi essayer de comprendre à quelle échelle on travaille et, c’est encore une fois un vrai problème dans le domaine du risque.

Il convient également d’aborder le lien entre l’environnement et les risques. En fait, j’ai l’impression que, dans le domaine du risque, nous sommes très «anthropocentrés». La victime est humaine et l’environnement est oublié. Il est mis de côté parce que les échelles de temps ne sont pas les mêmes. Les problèmes sur la biodiversité, du climat, sont des problèmes qui se passent à des échelles de plusieurs générations, alors que le camion-citerne qui explose, c’est tout de suite. D’ailleurs, les risques ne sont pas acceptés de la même manière selon leur nature. Le risque lié à l’eau, par exemple, est très mal accepté en France. Un mort à cause de l’eau qui ne serait pas potable provoquerait un drame dans la population. 3 000 morts par an à cause de la pollution de l’air, c’est quelque chose qui, finalement, passe assez bien. Cela me surprend toujours !

Parfois, nous avons quand même de bonnes nouvelles. Par exemple, quand les écologues nous disent : « J’aimerais bien que le fleuve divague un peu, parce que cela consolide des frayères, un grand nombre d’espèces habitent dans le lit majeur, espèces qui ont un certain intérêt pour les écosystèmes et pour la biodiversité». Les produits chimiques qui éventuellement ruissellent vers le fleuve pourront être captés et ne pas se diluer directement dans le milieu. En même temps, ce sont aussi des zones de ralentissement des crues, des zones de stockage de l’eau en cas de crues. Ainsi, dans certains cas, il existe des synergies entre environnement et prévention des risques pour les humains, c’est cela la bonne nouvelle.

La notion de la responsabilité et celle de la justice me semblent être les grandes absentes de nos débats. Nous avons beaucoup de mal à recruter les juristes dans nos recherches et c’est dommage. Nous avons tous, en tant que scientifiques, été confrontés au problème de l’expertise judiciaire, dans des conditions parfois un peu étranges. Il s’agit d’un vrai problème - on le voit bien dans le retour d’expérience -; la nécessité de transparence, pour comprendre à partir des faits, se heurte à l'irresponsabilité, voire au sentiment de culpabilité des acteurs. L’autojustification ne fait pas avancer le retour d’expérience. Comment arriver à sortir de la culpabilité et fabriquer de l’information ? Il s’agit, à mon avis, là aussi, d’un champ de recherche que nous devons explorer.

Nous avons traité d’économie en toute fin de débat. Il s’agit effectivement, d’un enjeu très fort. Il faut savoir que les instruments économiques vont se développer. De plus en plus, on pénalisera au lieu d'interdire. En France, nous n’avons pas du tout l’habitude de cette approche. Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé et vice-versa. On peut rêver à la situation où par exemple on aura le droit d’utiliser son 4x4, et ce au détriment de la santé des autres, mais le prix en sera si élevé que chacun préférera son vélo. C’est vers cela qu’il faut aller.

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Il faut également développer l’analyse coût-bénéfice: quand on met de l’argent sur la protection vis-à-vis d’un risque, on ne le met pas ailleurs. Ce n’est pas complètement élastique, il faut faire des priorités, même dans le domaine du risque, même avec des victimes, malheureusement.

Le lien chercheurs-décideurs, largement discuté lors de la table ronde est aussi un enjeu pour la recherche. Je pense qu’on a vraiment besoin de faire ce partage d’informations. Ce qui a marché dans ce programme, c’est qu’il y a eu un bon dialogue entre les chercheurs et les décideurs. Il ne faut pas non plus trop simplifier. J’ai entendu dire : « Finalement, l’analyse probabiliste, ce n’est pas ça qu’il faut faire». Les probabilités font peur, je l’ai souvent constaté dans le domaine du risque. Je me rappelle même de journalistes me disant qu’il était trop compliqué de parler de risque et de danger. Dans le cadre des risques sanitaires liés au naufrage de l’Erika, l’Ineris avait écrit : « Le danger est fort mais le risque est faible. » Un journal avait titré exactement l’inverse : « Le risque est fort mais le danger est faible. ». Serait-il vraiment trop compliqué de parler de danger et de risque, pourtant le lecteur moyen de l’Equipe entend parler tous les jours de sports dangereux faits par des personnes qui sont des vrais professionnels parce qu’ils savent évaluer les risques. Les Français comprennent très bien ce qu’est la différence entre le danger et le risque. N’hésitons donc pas à parler d’enjeux complexes sans trop de complexes !

Les groupes du Grenelle de l’environnement ont demandé à ce qu’on travaille sur les problèmes de risques sanitaires différés suite à un accident. Souvent, quand la presse n’en parle plus, on a l’impression que le problème est réglé, mais pour les victimes, c’est loin d’être le cas. Le Comité de la prévention et de la précaution va bientôt sortir un rapport sur le sujet du retour d’expérience des catastrophes. Il est aussi question d’information du public. Voilà encore des sujets pour nos programmes.

Que va-t-on donner comme suite à ces travaux sur les risques au sein du Service de la Recherche ? En fait, il y avait deux programmes : le programme RIO (Risque Inondation) et le programme EPR que vous connaissez. Ils se poursuivent via le programme RDT qui signifie : Risque-Décision-Territoire. Nous travaillons également dans le domaine du risque au niveau européen, avec notamment l’ERA-NET CRUE. Les ERA-NET, ce sont des programmes européens où plusieurs Etats-membres se mettent ensemble pour financer les recherches. Nous avons déjà financé un appel à projet de recherche sur des mesures non structurelles de lutte contre les inondations. Nous sommes présents au sein d’autres ERA-NET : SKEP (Scientific Knowledge for Environmental Protection). Nous y abordons les risques liés aux nouvelles technologies. L’ERA-NET CIRCLE s’intéresse aux impacts du changement climatique. Vous voyez que nous sommes en train de mettre la notion de risque au niveau européen, tout en y intégrant l'environnement.

Nous avons également des programmes sur les risques chroniques, sur la qualité de l’air. Nous avions un colloque la semaine dernière, avec des résultats tout à fait intéressants, qui confirment, par exemple, qu’il faut aller plus loin que ce que l’Europe veut faire dans le domaine des particules. Nous pilotons un programme sur les pesticides, un programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens, un programme sur les tempêtes - c’est aussi un risque que nous avons connu en France-. Notre portefeuille comporte des programmes dans le

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domaine de la gestion environnementale (Eau et Territoires) que nous conduisons avec le Cemagref, le CNRS, et avec les Québécois. Signalons également un programme sur les politiques territoires de développement durable, un programme Concertation-Décision-Environnement, un programme de gestion et impact du changement climatique. Gérer un changement climatique, c’est aussi, souvent gérer des risques, à travers des événements aléatoires qui deviennent plus ou moins fréquents. Les organismes du MEDAD qui travaillent dans le domaine du risque voient, cette année, leur budget renforcé. Nous avons enfin une convention avec l’AFPCN.

En matière de recherche sur les risques, vous constaterez donc que le Ministère de l’Ecologie a une ambition renforcée. Je vous remercie de votre attention. Je pense que cette journée vous a apporté, à tous, des éléments forts de réflexion et l'envie de nouer des contacts et des collaborations fructueux.