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Tous droits réservés © Études internationales, 2002 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 6 juil. 2020 07:39 Études internationales Les défis pour le Canada en matière d’aide publique au développement Jean-Sébastien Rioux Les défis de la politique étrangère du Canada depuis le 11 septembre 2001 Volume 33, numéro 4, décembre 2002 URI : https://id.erudit.org/iderudit/006663ar DOI : https://doi.org/10.7202/006663ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) IQHEI ISSN 1703-7891 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Rioux, J.-S. (2002). Les défis pour le Canada en matière d’aide publique au développement. Études internationales, 33 (4), 723–743. https://doi.org/10.7202/006663ar Résumé de l'article Lors du sommet des pays du G8 à Kananaskis en juin 2002, le Canada a fait figure de leader international en chapeautant le Plan d’action pour l’Afrique. Dans cet article, nous examinons le programme canadien d’aide publique au développement international (apd) durant les années 1990 pour évaluer plusieurs hypothèses sur les allocations d’apd. Nous découvrons, entre autres choses, que le Canada envoie plus d’aide aux pays membres du Commonwealth ; que le contenu de la couverture médiatique des récipiendaires d’aide peut avoir une influence significative sur les flux d’aide ; et que le Canada, contrairement à ce qu’il prône dans son discours officiel, ne privilégie pas pour autant les pays démocratiques où se pratique la « bonne gouvernance ». Ces résultats nous incitent à réfléchir sur l’avenir du programme d’aide au développement dans le cadre de « l’après 11 septembre ». Pour que le programme d’aide canadien fonctionne mieux, nous suggérons quelques pistes dans la conclusion.

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Tous droits réservés © Études internationales, 2002 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

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Document généré le 6 juil. 2020 07:39

Études internationales

Les défis pour le Canada en matière d’aide publique audéveloppementJean-Sébastien Rioux

Les défis de la politique étrangère du Canada depuis le 11 septembre2001Volume 33, numéro 4, décembre 2002

URI : https://id.erudit.org/iderudit/006663arDOI : https://doi.org/10.7202/006663ar

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Éditeur(s)IQHEI

ISSN1703-7891 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleRioux, J.-S. (2002). Les défis pour le Canada en matière d’aide publique audéveloppement. Études internationales, 33 (4), 723–743.https://doi.org/10.7202/006663ar

Résumé de l'articleLors du sommet des pays du G8 à Kananaskis en juin 2002, le Canada a faitfigure de leader international en chapeautant le Plan d’action pour l’Afrique.Dans cet article, nous examinons le programme canadien d’aide publique audéveloppement international (apd) durant les années 1990 pour évaluerplusieurs hypothèses sur les allocations d’apd. Nous découvrons, entre autreschoses, que le Canada envoie plus d’aide aux pays membres duCommonwealth ; que le contenu de la couverture médiatique desrécipiendaires d’aide peut avoir une influence significative sur les flux d’aide ;et que le Canada, contrairement à ce qu’il prône dans son discours officiel, neprivilégie pas pour autant les pays démocratiques où se pratique la « bonnegouvernance ». Ces résultats nous incitent à réfléchir sur l’avenir duprogramme d’aide au développement dans le cadre de « l’après 11septembre ». Pour que le programme d’aide canadien fonctionne mieux, noussuggérons quelques pistes dans la conclusion.

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Les défis pour le Canadaen matière d’aide publique

au développement

Jean-Sébastien RIOUX*

RÉSUMÉ : Lors du sommet des pays du G8 à Kananaskis en juin 2002, le Canada a faitfigure de leader international en chapeautant le Plan d’action pour l’Afrique. Dans cetarticle, nous examinons le programme canadien d’aide publique au développementinternational (APD) durant les années 1990 pour évaluer plusieurs hypothèses sur lesallocations d’APD. Nous découvrons, entre autres choses, que le Canada envoie plusd’aide aux pays membres du Commonwealth ; que le contenu de la couverture médiatiquedes récipiendaires d’aide peut avoir une influence significative sur les flux d’aide ; et quele Canada, contrairement à ce qu’il prône dans son discours officiel, ne privilégie paspour autant les pays démocratiques où se pratique la « bonne gouvernance ». Cesrésultats nous incitent à réfléchir sur l’avenir du programme d’aide au développementdans le cadre de « l’après 11 septembre ». Pour que le programme d’aide canadienfonctionne mieux, nous suggérons quelques pistes dans la conclusion.

ABSTRACT : During the June 2002 G8 summit in Kananaskis, Canada displayed itsinternational leadership with the announcement of the Africa Action Plan. In thispaper, we analyse Canada’s Official Development Assistance (ODA) programme duringthe 1990s to evaluate several hypotheses about how ODA is disbursed. Some facts thatare uncovered are that Commonwealth members receive more aid ; that media coverageand the content of media coverage of aid recipients affect aid levels ; and the surprisingresult that, contrary to its announced policy, Canada does not seem to favour democraticstates that would be more likely to practice « good governance ». These results lead usto speculate about the future of Canada’s ODA programme in light of the post 9-11international transformations. We conclude with some general policy suggestions toimprove Canada’s ODA programme.

Dans l’optique de ce numéro thématique consacré aux défis de la politi-que étrangère du Canada depuis le 11 septembre 2001, nous souhaitonsexaminer l’état du programme canadien d’aide publique au développement(APD) depuis la fin de la guerre froide pour spéculer sur son avenir. Plusparticulièrement, nous mettrons l’accent sur l’influence de certains facteursexogènes sur les différents niveaux d’aide extérieure fournie par le Canada etleurs effets probables dans un avenir rapproché, notamment à la lumière du

* Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sécurité internationale de l’Institut québécois deshautes études internationales et professeur au Département de science politique de l’UniversitéLaval. L’auteur aimerait remercier le programme des Chaires de recherche du Canada pour sacontribution importante à l’ensemble de sa recherche, ainsi que ses auxiliaires de recherche,notamment Anne Kröning, Philippe Lafortune et Jean-Christophe Boucher pour leur aide. La genèsede ce projet est issue d’une série de travaux écrits pas encore publiés, en collaboration avec DouglasA. Van Belle et David M. Potter sur « L’influence des médias sur la politique d’attribution de l’aideextérieure ».

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plan pour le développement africain entrepris par le gouvernement de JeanChrétien et de la « sécurisation » de la politique internationale. Pour ce faire,nous procéderons en deux temps. D’abord, nous considérerons quelquesfacteurs qui ont déterminé les niveaux d’aide publique au développement(APD) aux pays en voie de développement durant la période de 1991 à 1998.Ceci dit, nous n’entendons pas analyser ici les raisons pour lesquelles lesbudgets d’aide extérieure ont été réduits – l’apogée et le périgée de l’APD1 –dans les années 1990 ou, encore, explorer le rôle accru des ONG et autresacteurs de la société civile dans l’ère du « nouveau partenariat ». Nous nousconcentrerons à décrire la distribution statistique de l’APD canadienne depuisle début des années 1990 afin de discerner les éléments récurrents qui pourraientnous éclairer sur les tendances futures.

Ensuite, suivant les conclusions de la première analyse et de façon pure-ment spéculative, nous formulerons quelques hypothèses quant aux récentesinitiatives canadiennes en Afrique et, plus spécifiquement, sur le Nouveaupartenariat économique pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Ce planambitieux a été un point névralgique des négociations lors de la rencontre du G8

à Kananaskis en juin 2002. Or, après une décennie de réduction de l’APD, legouvernement Chrétien a promis un montant additionnel de 500 millions dedollars qui serait distribué, en grande partie, sur le continent africain. Plusieursquestions semblent être pertinentes en regard de cette « nouvelle » politique et,conséquemment, déterminent dans une large mesure les prochains défis de lapolitique étrangère canadienne pour les quelques années à venir. Par exem-ple,considérant les objectifs statués par le programme d’aide extérieure du Canada,comment les événements politiques en Afrique affecteront-ils cet engagement ?Est-ce que ce nouvel intérêt pour l’Afrique redressera le problème endémiquede la politique de l’APD canadienne, souvent décrite comme étant « très large,mais sans profondeur » (a mile wide [but] an inch thick2) ? Ces quelques interro-gations et certaines autres seront discutées dans la section finale de ce texte.

I – Problématique

En règle générale, les Canadiens se perçoivent avec fierté et droiture surla scène internationale; parfois avec raison mais souvent, en appréciant laréalité, à la grande mystification des politologues. En effet, dans une étuderelativement récente, 86 % des Canadiens recensés croyaient que l’opinioninternationale envers le Canada était, soit « très » (44 %) ou « raisonnablement »(42 %) positive3. De l’avis des répondants, ces résultats sont attribuables à

1. David R. MORRISON, Aid and Ebb Tide : A History of CIDA and Canadian Development Assistance,Waterloo, ON, Wilfrid Laurier University Press et l’Institut Nord-Sud, 1998.

2. Jean-Philippe THÉRIEN et Carolyn LLOYD, « Development Assistance on the Brink », ThirdWorld Quarterly, vol. 21, no 1, 2000, pp. 21-38.

3. INSIGHT CANADA RESEARCH, L’opinion publique canadienne sur la politique étrangère canadienne, lapolitique de défense et l’aide au développement, étude réalisée pour le ministère des Affairesétrangères et du Commerce international, le ministère de la Défense nationale et l’Agencecanadienne pour le développement international, 1995, p. 2.

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deux aspects positifs de la politique étrangère canadienne : c’est-à-dire laparticipation aux missions de maintien de la paix (39 %) et une aide étrangèregénéreuse (13 %)4. Concernant les domaines de la sécurité et de la défense, 80% avaient une attitude positive face aux forces militaires (30 % avaient uneattitude « très » et 50 % « raisonnablement » positive) et 84 % affirmaient quele Canada avait besoin d’une organisation de défense nationale5. Indubitable-ment, ces résultats font fi de la réalité. Durant la même période où fut réaliséce sondage, le budget canadien alloué à la défense déclinait de 25 % et leseffectifs de 30 % tandis que le tempo opérationnel de nos engagementsmilitaires augmentaient significativement6. En outre, le Canada se retrouvepresque au 30e rang des pays contribuant aux opérations de « casques bleus »selon la liste du Département des opérations de maintien de la paix7.

Toutefois, les conclusions du sondage les plus notables concernentplutôt la question des dépenses canadiennes en matière d’aide publique audéveloppement (APD). Toujours en vertu de l’étude mentionnée précédemment,82 % des répondants estimaient qu’il était important de fournir une aide auxpopulations des pays défavorisés et 74 % jugeaient que les sommes accordéesà l’aide extérieure devaient demeurer les mêmes (51 %) ou augmenter (23%)8. Dans un écho similaire et plus récent, David Black et Rebecca Tiessenrapportaient que le Conseil canadien pour la coopération internationale avaitpublié les résultats du sondage Earnescliffe mai 2000, démontrant que : « 66 %des Canadiens pensaient que le gouvernement dépense ‘un montant juste’ ou‘pas assez’ sur l’aide publique au développement, et ce pourcentage augmentaità 73 % lorsque les répondants se faisaient dire le montant réel des dépenses enmatière d’aide9 ». Autrement dit, la majorité des Canadiens entérinent cetteidée selon laquelle nous sommes des acteurs importants et généreux sur lascène internationale, comme le confirme d’ailleurs Evan Potter dans sonarticle10. Cependant, si nous considérons objectivement l’état de notreparticipation actuelle aux efforts internationaux, il apparaît évident que notreperception ne coïncide malheureusement pas avec la réalité.

4. Ibid. 5. Ibid., p.3. 6. SÉNAT DU CANADA, L’état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense,

Comité sénatorial permanent de la défense et de la sécurité, http://www.parl.gc.ca/37/1/parlbus /commbus/senate/com-F/defe-f/rep05feb02-l.htm, 2002.

7. À ceci, le gouvernement canadien répond habituellement que ce chiffre est trompeurpuisqu’il laisse pour compte les opérations en Bosnie et en Afghanistan auxquelles le Canadaenvoie plus de 2 500 soldats. Or, étant donné que ces opérations ne sont pas sous le couvertd’un mandat onusien, elles ne sont pas incluses dans cette liste.

8. INSIGHT CANADA RESEARCH, op. cit., 1995, p. 4. 9. David BLACK et Rebecca TIESSEN , « Canadian Aid Policy : Parameters, Pressures and Partners ».

Manuscrit non publié, Département de science politique et d’étude du développementinternational, Université Dalhousie, 2001. Traduction libre de l’auteur.

10. Voir Evan H. POTTER, « Le Canada et le monde : continuité et changement dans l’opinionpublique sur l’aide, le commerce et la sécurité internationale, 1993-2002 », dans ce numérospécial.

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Notre ambition ici n’est pas de traiter des divers aspects associés à ladéfense et la sécurité. De plus, comme nous l’avons indiqué dans notreintroduction, nous n’essayerons pas de comprendre les raisons pour lesquellesles APD canadiennes ont périclité depuis la fin de la guerre froide. Plutôt, nouschercherons à examiner certains facteurs qui influencent les dépenses cana-diennes en matière d’aide internationale. Par conséquent, cet article tentera deposer un regard lucide et impartial sur la réalité des dépenses canadiennesallouées à l’aide extérieure et, par extension, de spéculer sur les tendances etles défis futurs.

II – Analyse des influences sur la politique canadienned’aide extérieure11

L’aide extérieure a généralement été étudiée dans le contexte de trois desprincipaux paradigmes adoptés en relations internationales; c’est-à-dire, enfonction des prémisses établies par les théories réalistes, globalistes etpluralistes12. Ces trois conceptions peuvent également être comprises à titrede motifs de politique étrangère qui stimulent les États à octroyer l’aide, nouspermettant ainsi de distinguer entre les motivations d’ordre stratégique,économique et humanitaire. Malgré le fait que les analyses empiriques portantsur l’aide étrangère ont démontré de façon routinière l’efficacité d’un modèlemulticausal où ces trois approches sont combinées afin d’expliquer l’allocationd’aide, la distinction entre elles apparaît utile dans le but de discriminer lesintérêts dominants de politique internationale qui maintiennent les flux d’aide.

Selon la perspective du paradigme réaliste, les relations internationalessont guidées par les intérêts géostratégiques des États. Ainsi, l’assistanceétrangère est perçue comme étant « inséparable des problèmes de pouvoir13 ».On prévoit que les programmes d’aide facilitent les intérêts stratégiques desÉtats donneurs et l’aide octroyée est considérée comme minimalement associéeau développement économique ou, si nous discernons un certain effet, commeétant significative dans la mesure où elle favorise le prestige, la sécuritépolitico-militaire et la position économique des donneurs. Pour l’analyse del’aide au développement, cette approche conduit à l’expectative qu’un plus

11. Une partie de la section qui suit est empruntée de : Jean-Sébastien RIOUX, Douglas A. VAN

BELLE et David M. POTTER, « The Media as a Determinant of Foreign Aid : A ComparativeStudy », dans Nelson MICHAUD et Luc BERNIER (dir.), The Administration of Foreign Policy : ARenewed Challenge, à paraître, University of Toronto Press.

12. Cette division tripartie de la littérature théorique est développée par Paul R. VIOTTI et MarkV. KAUPPI, International Relations Theory : Realism, Pluralism, Globalism, and Beyond, 3e éd.,Needham Heights, MA, Allyn and Bacon, 1999. Les auteurs admettent qu’une multitude depositions différentes sont présentes dans la littérature, mais celles développées par lesauteurs incorporent probablement la majorité des courants académiques dans le domainedes relations internationales.

13. George LISKA, The New Statecraft : Foreign Aid in American Foreign Policy, Chicago, Universityof Chicago Press, 1960, p. 15.

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grand degré d’aide sera attribué aux récipiendaires stratégiquement importantspour le donneur. Cet argument est fréquemment allégué pour expliquer leniveau disproportionné d’aide alloué par les États-Unis à Israël et à l’Égypte14.En outre, certaines variables indiquant les motifs stratégiques, comme leniveau de militarisation et les rapports en raison des alliances, trouvent unappui solide dans les analyses générales sur l’aide15.

Dans l’optique de la théorie globaliste, l’aide étrangère est évaluée enfonction des présuppositions néo-marxistes au sujet du rôle insidieux de larichesse économique. Les ambitions qui sous-tendent l’aide internationalesont considérées comme reflétant le flux transnational des capitaux servant àpréserver ou accroître la disparité mondiale entre les riches et les pauvres. Enl’occurrence, l’aide étrangère n’est pas allouée afin de favoriser le récipiendaireou pour réaliser des objectifs étatiques, mais plutôt pour faciliter l’exploitationéconomique par l’élite des pays industrialisés. À ce sujet, Robert E. Woodpense qu’une étude systémique représente un point de départ utile en vued’analyser la distribution de l’aide extérieure16. Les États noyaux, en réponseaux intérêts de leurs élites financiers, utilisent leurs programmes d’aide dansle but d’exercer une influence coercitive sur la stratégie de développement desÉtats périphériques. Ainsi, ils favorisent la création d’une économie d’exporta-tion qui empêche les pays en voie de développement de constituer de « vraisstratégies intérieures et autarciques17 » et encourage la dépendance économiquedes récipiendaires envers les donneurs.

En regard de l’analyse empirique de l’aide, cette approche nous incite àpenser que l’allocation est disproportionnellement dirigée vers les partenairescommerciaux qu’exploitent économiquement les donneurs d’aide. Nouspouvons également anticiper une association significative entre l’aide et ledéveloppement industriel d’une part, et la production de matières premièresdes pays en voie de développement d’autre part. Précisément, les variablesreflétant les échanges commerciaux entre les récipiendaires et les donneurssont utilisées dans les analyses des dépenses et des engagements d’aidebilatérale18. Toutefois, les niveaux de corrélation entre les États récipiendaireset leurs niveaux d’exportation, d’importation et de l’ensemble de leurs activitéséconomiques varient considérablement d’une étude à l’autre. Nous percevonsconséquemment une grande variation dans les résultats de ces études etaucune conclusion définitive ne semble être possible en ce qui a trait à l’aideéconomique transnationale.

14. A.F.K. ORGANSKI, The $36 Billion Bargain : Strategy and Politics in US Assistance to Israel, NewYork, Columbia University Press, 1990.

15. Voir, par exemple, James MEERNIK, Eric L. KRUEGER et Steven C. POE, « Testing Models of US

Foreign Policy : Foreign Aid During and After the Cold War », The Journal of Politics, vol. 60,1998, pp. 63-85.

16. Robert E. WOOD, From Marshall Plan to Debt Crisis : Foreign Aid and Development Choices inthe World Economy, Berkeley, CA, University of California Press, 1986, p. 5.

17. Ibid., p. 314.18. James MEERNIK, Eric L. KRUEGER et Steven C. POE, loc. cit., 1998.

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Finalement, le paradigme pluraliste conteste les suppositions et lespréceptes des théories réalistes et néo-marxistes en proposant une vision pluspositive des raisons qui motivent les individus et des acteurs étatiques às’investir dans le processus d’attribution d’aide étrangère. Selon les tenants dupluralisme, l’aide est principalement encouragée par souci humanitaire enversles populations défavorisées des États récipiendaires. Les intérêts des donneursne sont pas absents, mais ils semblent secondaires en comparaison despréoccupations humanitaires transnationales. Ces quelques éléments ont permisde remettre en cause la pensée dominante selon laquelle l’aide étrangère sertexclusivement de véhicule à la promotion des intérêts égoïstes des donneursen faisant abstraction des besoins de développement des populations réci-piendaires19. Les valeurs qui sont affiliées au bien-être social et aux besoinshumanitaires des populations récipiendaires fournissent une justification auxpolitiques d’aide. En outre, les variables reflétant la richesse ou les besoins desÉtats sont utilisées dans la majorité des modèles des processus décisionnelsd’allocation de l’aide étrangère, les indicateurs du niveau de besoin étant le PNB

ou le PIB par habitant20. Les mesures représentant la richesse totale des paysrécipiendaires ainsi que leurs besoins, tel le PNB par habitant, ont constammentdémontré une corrélation claire et substantielle avec le niveau d’aide, tandisque d’autres mesures des besoins humanitaires, comme l’espérance de vie oula consommation de calories n’ont pas produit les corrélations escomptées.

Une description de l’aide publique au développement international (APD)canadienne suivant l’une ou les approches mentionnées ci-haut nous permetde formuler trois observations. Premièrement, en dépit du fait que lesconsidérations stratégiques (selon la conception réaliste) ont encouragé lespolitiques américaine, britannique et française d’allocation d’aide – ce quin’est guère surprenant en regard de leur statut de grande puissance et l’étenduemondiale de leurs intérêts – il est difficile d’attribuer ces mêmes motivationsau Canada21. Un modèle empirique de l’APD canadienne, fondé à partir desprémisses réalistes, ne produirait vraisemblablement aucun résultat significatif.

Deuxièmement, une observation similaire peut être établie sous l’éclairagede l’approche globaliste. Le commerce canadien étant presque exclusivementconcentré aux États-Unis – environ 85 % – il est utopique d’affirmer que les 15 %subsistants seraient dirigés essentiellement à maintenir une balance de paiementasymétrique avec les pays en voie de développement, d’autant plus qu’unelarge proportion de ces 15 % est dirigée vers le Japon et l’Europe de l’Ouest.De fait, la part du commerce international canadien allant aux pays en voie dedéveloppement ne représente qu’environ 0,1 % – un dixième de 1 % – del’enveloppe globale du commerce canadien22. Conséquemment, nous ne

19. Alain NOËL et Jean-Philippe THÉRIEN, « From Domestic to International Justice : The WelfareState and Foreign Aid », International Organization, vol. 49, 1995, pp. 523-553.

20. J. MEERNIK, E.L. KRUEGER et S.C. POE, op. cit., 1998.21. Selon J.-S. RIOUX, D.A. VAN BELLE et D.M. POTTER, op. cit.22. INDUSTRIE CANADA, Monthly Trade Bulletin, vol. 3, no 8, octobre 2001, p. 7, disponible en

format électronique : http: //strategis.ic.gc.ca/pics/ra/mtboct01_e.pdf.

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pourrons probablement pas soutenir de façon pragmatique la thèse selonlaquelle la politique d’APD canadienne aurait pour objectif de maintenir larelation d’exploitation et de dépendance économique et de part de marchédans les États « périphériques » en voie de développement.

Finalement, il est notable de constater que les dépenses canadiennes enterme d’APD ont suivi une pente décroissante depuis la fin de la guerre froide.Effectivement, les dépenses en aide extérieure ont atteint récemment unsommet en 1986-1987, reflétant environ 0,5 % du PNB, pour ensuite péricliter,représentant maintenant environ 0,3 % du PNB23. Ceci, malgré le fait quel’Agence canadienne de développement international (ACDI) publia en 1987 un« livre blanc » au sujet des engagements du Canada en aide internationale,intitulé Partageons notre avenir : l’assistance canadienne au développementinternational, stipulant que : « l’objectif du gouvernement est d’augmentergraduellement le ratio APD/PNB, débutant en 1991-1992, à 0,6 % en 1995 et à0,7 % en 200024 ». Il faut garder à l’esprit que la cible visée par l’ONU est de 0,7% du PNB pour les pays riches.

En somme, nos contributions financières en APD déclinent, mais, entermes de « présence internationale », l’ACDI et certaines autres agences dugouvernement canadien sont actives dans la majeure partie du globe. Selon lesite internet de l’ACDI, ce dernier « appuie des projets dans plus de 150 paysautour du globe ». Si l’ONU compte exactement 191 membres et que nousnégligeons les 27 pays les plus riches de l’OCDE25 alors, géographiquement, ladistribution des APD canadiennes se répartit approximativement selon la figure 1.

23. En 1997-1998, les dépenses nettes en ODA sont de 1,95 billion de dollars. Voir GeraldSCHMITZ, Aid to Developing Countries, Gouvernement du Canada, 79-16e Branche de rechercheparlementaire, 1997. Format électronique : http://dsp-psd.pwgsc.gc.ca/dsp-psd/Pilot/LoPBdP/CIR/7916-e.htm.

24. ACDI/CIDA, Partageons notre avenir : L’assistance canadienne au développement international,Ottawa, Gouvernement du Canada, 1987.

25. L’OCDE contient 30 membres (incluant l’Union européenne) et le Canada fournit de l’aide audéveloppement à seulement trois de ceux-ci, soit la Corée, le Mexique et la Turquie.

Figure 1Figure 1Figure 1Figure 1Figure 1

Distribution géographique de l’aide au développement internationalDistribution géographique de l’aide au développement internationalDistribution géographique de l’aide au développement internationalDistribution géographique de l’aide au développement internationalDistribution géographique de l’aide au développement internationaldu Canada en 1995-1996du Canada en 1995-1996du Canada en 1995-1996du Canada en 1995-1996du Canada en 1995-1996

Source : Gerald SCHMITZ, Aid to Developing Countries, Government of Canada, 79-16e

Parliamentary Research Branch, 1997, http://dsp-psd.pwgsc.gc.ca/dsp-psd/Pilot/LoPBdP/CIR/

7916-e.htm

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III – Analyse empirique de l’aide étrangère canadiennedepuis 1991 : variables, données et méthode

Dans le cadre de cette section, nous cherchons à cerner une seuleproblématique : à qui la Couronne octroie l’APD et quels sont les facteursexogènes qui influencent ce choix ? Quelques hypothèses peuvent être vérifiéeslorsque nous évaluons l’impact de certains facteurs endogènes et exogènes àl’attribution des APD canadiennes. Ainsi, notre variable dépendante se définitcomme étant le niveau d’aide publique au développement accordée aux pays envoie de développement durant la période post-guerre froide.

Mesurer les dépenses d’aide extérieure n’est pas aussi aisé qu’il puissesembler à première vue. En ce qui concerne le Canada, plusieurs agencesgouvernementales participent activement dans l’allocation d’aide extérieure :l’Agence canadienne de développement international, l’ACDI, est le principalorganisme de distribution, administrant environ les deux tiers de l’APD

canadienne. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international(MAECI) gère certains projets – notamment en ce qui a trait aux droits de lapersonne et aux programmes en Europe de l’Est – et le ministère des Financesdu Canada demeure également un acteur actif au sein des programmescanadiens d’aide, responsable généralement pour la participation canadienneaux institutions financières internationales, tels la Banque mondiale, le Fondsmonétaire international, etc.26. Les chercheurs intéressés à compiler les donnéesconcernant les APD s’avèrent toujours surpris par les différents résultats rapportéspar l’ACDI, Statistique Canada et le Comité pour l’aide au développement (CAD)de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE).Les données recueillies aux fins de cette étude proviennent de l’OCDE qui,théoriquement, est la meilleure source disponible puisqu’elle publie les donnéesque les différents gouvernements compilent selon des règles uniformes27.

Les variables indépendantes délimitées dans le cadre de cette analyse ontpour objectif principal d’explorer certains facteurs influant sur les niveauxd’APD à travers un continuum temporel. Ces relations causales peuvent êtreattribuables à des caractéristiques intrinsèques aux pays récipiendaires eux-mêmes. Ainsi, nous avons défini trois hypothèses qui évaluent commentcertaines caractéristiques des États récipiendaires peuvent agir positivement –ou négativement – sur le niveau d’APD octroyé par le gouvernement canadien.Une quatrième hypothèse se concentre sur l’impact de la couverture médiatiqueinternationale comme mécanisme qui relie les caractéristiques des Étatsrécipiendaires aux choix décisionnels des États donneurs.

La première série de facteurs est tirée de l’approche pluraliste, mentionnéeprécédemment, suggérant que l’APD soit dirigée vers les plus démunis. Cette

26. AGENCE CANADIENNE DE DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL, Rapport statistique sur l’aide publique audéveloppement, Ottawa, 1996.

27. ORGANISATION POUR LA COOPÉRATION ET LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, Comité pour l’aide audéveloppement, Distribution of Financial Flows to Aid Recipients, disponible sur le siteélectronique de l’OCDE : www.sourceoecd.org.

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« motivation humanitaire » s’avère logique et aisément compréhensible etnous permet de proposer une première hypothèse : considérant les limitesbudgétaires des enveloppes allouées à l’aide extérieure, la population cana-dienne, par le biais du gouvernement, transférera l’argent aux États les plusnécessiteux; inversement, plus l’État récipiendaire est riche, moins les dépensesen APD seront importantes. Afin de vérifier cette thèse, nous avons rassembléles données sur le PNB par habitant – mesure généralement utilisée pourestimer la richesse nationale – suivant la nouvelle version 6,0 du Penn WorldTables qui couvrent la majorité des pays entre 1950-199828.

Une seconde série de facteurs pouvant affecter le niveau d’APD canadienneest, théoriquement, la présence de liens internationaux entre le Canada et lesautres États. Par exemple, les analyses sur les dépenses d’APD de la Francedémontrent que l’attribution d’aide extérieure est majoritairement dirigée versses anciennes colonies africaines29. En outre, l’aide extérieure américaine etbritannique est également distribuée en fonction de certaines considérationsgéostratégiques comme les alliances30. Conséquemment, la question pertinenteest de savoir quels sont les liens qu’entretiennent le Canada, étant donné qu’iln’a jamais possédé de colonies ; qu’est-ce qui influence la répartition de l’aideextérieure ? Est-il plausible que la politique étrangère canadienne soit dominéepar des considérations de sécurité nationale, de la même façon qu’ellescommandent l’aide américaine au Moyen-Orient ou l’aide japonaise en Asie parexemple ? Certaines études récentes, notamment celle de Jean-Philippe Thérien,démontrent que la concession d’APD canadienne suit la logique de laparticipation canadienne à certaines organisations internationales comme leCommonwealth et la Francophonie31. Ainsi, nous avons considéré l’influencede deux variables indépendantes afin de confirmer l’hypothèse selon laquelle,toutes choses étant égales par ailleurs, le Canada est plus enclin à fournir uneaide aux pays qui sont membres du Commonwealth et/ou de la Francophonie.

Un troisième facteur associé à la nature intrinsèque des États récipiendairesqui pourrait influencer le niveau d’aide canadienne est le degré de « bonnegouvernance » de ceux-ci. En effet, l’un des piliers de la politique étrangèrecanadienne est la « projection des valeurs canadiennes » à l’extérieur,notamment « […] notre attachement pour la tolérance ; à la démocratie, àl’équité et aux droits de la personne […] » tel que l’affirme le « livre blanc »

28. Alan HESTON, Robert SUMMERS et Bettina ATEN, Penn World Table Version 6.0, Center forInternational Comparisons at the University of Pennsylvania (CICUP), décembre 2001, versionélectronique : http://webhost.bridgew.edu/baten.

29. Jean-Sébastien RIOUX et Douglas A. VAN BELLE, « The Influence of Le Monde Coverage onFrench Foreign Aid Allocations », texte présenté à la rencontre annuelle de l’Associationcanadienne de science politique, Québec, mai 2001.

30. Douglas A. VAN BELLE, Jean-Sébastien RIOUX et David POTTER, « A Comparative Analysis of theNews Media’s Influence on British, French, Japanese and US Development Aid Bureaucra-cies », texte présenté à la rencontre annuelle de l’Association américaine de science politique,San Francisco, septembre 2001.

31. Jean-Philippe THÉRIEN, « Le Canada et le régime international de l’aide », Études internationales,vol. 20 , 1989, pp. 311-340.

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sur la politique étrangère canadienne, intitulé Le Canada dans le monde32. Unetelle position est, sans contredit, moralement légitime et peut être logiquementvalide puisque la bonne performance des gouvernements des États récipien-daires augmente la probabilité que les taxes des contribuables canadienssoient administrées judicieusement. Inversement, plus le gouvernement del’État récipiendaire est autoritaire, plus grande est la probabilité que l’aideinternationale envoyée par les contribuables canadiens ne soit pas utilisée defaçon judicieuse.

Afin d’évaluer cette proposition, nous avons opérationnalisé la « bonnegouvernance » en utilisant l’index des libertés politiques (Political Freedom Index)de l’organisme Freedom House qui publie annuellement une estimation de laliberté politique et assigne à chaque État l’une des trois catégories (« libre »,« partiellement libre » et « non libre ») basées sur une combinaison de 24éléments de droits politiques et de liberté civile33. Cette organisation est bienconnue et les données présentées par la Freedom House sont fort employéesau sein des analyses empiriques. L’hypothèse particulière que nous proposonsici peut se définir comme suit : plus grande est le niveau de liberté politique(c’est-à-dire, « démocratie » ou « bonne gouvernance ») plus grande seraitl’attribution d’APD puisque cette valeur constitue l’une des parties intégrales dela politique étrangère canadienne.

Finalement, le dernier facteur que nous désirons évaluer tente deconsidérer la pertinence d’une association entre certaines caractéristiquesexogènes (il faut entendre ici extérieures au Canada) et le processus décisionnelcanadien qui distribue l’aide extérieure. Manifestement, les ambassades,consulats et missions canadiennes à l’étranger sont l’une des sources primairesà partir desquelles Ottawa oriente ses choix en allocation d’aide. Cependant,la population générale n’a pas accès à ces rapports et documents et nousdevons donc considérer une autre source pouvant lier les événementsinternationaux à la politique intérieure – le public, les législateurs, les ONG etles membres de la « société civile » – ayant une influence périphérique sur lesdécideurs bureaucratiques : les médias de l’information nous semblent êtreune option appropriée.

Nous avons démontré, dans des analyses précédentes, une relationpositive entre les couvertures médiatiques et ses effets sur la bureaucratieresponsable de l’aide extérieure34. L’argument soutenant l’affiliation des médiasde l’information et de la « réaction bureaucratique » se fonde sur la contributionempirique et conceptuelle du modèle de « principal-agent ». Dans sa forme la

32. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL, Le Canada dans le monde,Ottawa, Gouvernement du Canada, ACDI, 1995, p. 9.

33. FREEDOM HOUSE, Annual Survey of Freedom Country Scores, 1972-73 to 1999-00, donnéesdisponibles électroniquement : http://freedomhouse.org/ratings/index.htm. Pour une discus-sion de la méthodologie, voir la section méthodologique : http://freedomhouse.org/research/freeworld/2000/methodology.htm.

34. Voir J.-S. RIOUX et D.A. VAN BELLE, 2001 et D.A. VAN BELLE, J.-S. RIOUX et D. POTTER, op. cit.,2001.

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plus simplifiée, la réaction aux médias de l’information est un raffinementmodeste de la théorie de principal-agent, stipulant que les médias pourvoientune référence commune aux principaux (les élus) et aux agents (bureaucrates)afin de juger les besoins et les exigences provenant de l’arène de la politiqueintérieure. Les bureaucrates et les bureaucraties accordent une attentionparticulière aux médias de l’information puisqu’ils sont conscients qu’à défautde répondre aux requêtes de l’électorat, ils s’attireront les critiques intérieures,principalement par le biais des médias, légitimant ainsi un contrôle accru etnon désiré de la part des élus. Les élus, suite à une insatisfaction publiquesuffisante, trouveront politiquement justifiable d’engager la machine gouver-nementale dans un processus de supervision. La bureaucratie ne pourra paséchapper à ces procédures sans subir des dommages politiques importantsqui affecteront nécessairement sa position dans la compétition incessante desressources limitées de l’État35.

Ceci dit, nous opérationnalisons et mesurons les effets de la couverturemédiatique sur les niveaux d’aide publique au développement internationalen considérant l’importance de la couverture internationale des États récipien-daires dans le Globe and Mail. Autrement dit, en considérant seulementl’intérêt médiatique des pays étrangers dans le Globe and Mail, nous pouvonsévaluer sommairement l’hypothèse selon laquelle plus grande est la couverturemédiatique des États, plus grande est l’importance de cet État pour lesdécideurs politiques. À cette fin, nous avons consulté l’index sur CD-ROM duquotidien Globe and Mail pour les années 1991 à 1998 (inclusivement) afin derecenser le nombre total de reportages sur chaque État récipiendaire, enexcluant les nouvelles sportives ainsi que les spéciaux touristiques.

Inexorablement, un pays pouvant faire la une pour les « mauvaises »raisons, nous avons donc raffiné nos mesures par une forme simple d’analysede contenu dans le but de nuancer les effets de la couverture médiatique sur leniveau d’APD. Ainsi, les résultats préliminaires ont été divisés en quatrecatégories exclusives pour représenter la gamme des contenus médiatiques :troubles internes ; reportage négatif ; besoin humanitaire et la catégorie rési-duelle « neutre ». La première de ces catégories, soit les « troubles internes »,fut opérationnalisée en fonction des reportages dont l’accent étaient mis surles grèves massives, les émeutes et les activités insurrectionnelles. Cettedernière variable nous apparaît particulièrement pertinente en relation avecnotre modèle. En effet, certaines études sur l’aide étrangère américaine ont

35. Probablement plus significatif encore est que le processus de supervision puisse menacer lasituation des leaders bureaucratiques. Une bureaucratie qui fait constamment la manchettepour son inefficience et sa piètre performance dans le service public pourrait voir ses direc-teurs et ses cadres supérieurs remplacés. Les dirigeants de ces bureaucraties pourraient tenterde détourner l’attention du public en s’adonnant à un « nettoyage bureaucratique » ;remaniant ainsi le personnel de gestion des niveaux inférieurs de l’agence ou au contraire,leur imputant tout simplement le blâme. Une telle menace sur la position individuelle desagents à tous les niveaux de la bureaucratie constitue une relation, à tout le moins conceptuel,entre la destinée de l’entité globale et celle des individus qui formulent les choix en son nom.

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démontré que Washington est généralement prompt à accorder une aide auxgouvernements favorables à ses intérêts et où les activités insurrectionnellessont significatives36.

La seconde catégorie, soit « reportage négatif », tient compte des articlesdépeignant les gouvernements étrangers comme étant antidémocratiques, parexemple, l’arrestation de journalistes ou de dirigeants de l’opposition, lafermeture de journaux ou encore l’annulation des élections. Cette variabledevrait théoriquement être affiliée au pilier de la politique extérieure canadienneselon laquelle Ottawa entend favoriser les valeurs démocratiques à l’étranger.Ainsi, hypothétiquement, plus la couverture médiatique s’avère négative,moins le Canada devrait dépenser en matière d’APD pour ce pays dans lamesure où celui-ci ne coïncide pas avec les « valeurs canadiennes ». La troi-sième catégorie, c’est-à-dire le « besoin humanitaire », correspond aux reporta-ges sur les désastres naturels et les urgences humanitaires. Simplement, plusle nombre de reportages associés aux besoins humanitaires d’un État particulierest important, plus le Canada sera enclin à pourvoir celui-ci en APD. La der-nière catégorie a pour objet de rassembler les reportages à vocation neutre ;elle est ainsi un ensemble résiduel.

Le choix de mesurer ces variables à partir des articles du Globe and Mailest étayé par deux facteurs. D’une part, les données étaient relativement facilesà rassembler. D’autre part, le Globe and Mail est considéré comme l’un desseuls hebdomadaires réellement « national » disponible au Canada. Ce choixest fondé à partir des études longitudinales importantes des ProfesseursBurton, Soderlund et Keenleyside établissant que, durant la période 1991 à1998, le Globe and Mail est habituellement estimé comme produisant lesmeilleures couvertures des événements internationaux37. De plus, la liaisoncausale qui sous-tend notre analyse stipule que les dirigeants et bureaucratescanadiens sont influencés par la présence de certaines questions internationalesdans les médias. Or, l’étude de Denis Stairs atteste que les dirigeants d’Ottawalisent en fait le Globe and Mail38. Ceci étant dit, nous sommes parfaitementconscients que seul un examen comparatif détaillé et une analyse de contenudes plus importants médias anglophones et francophones (par exemple, LaPresse), incluant aussi la CBC et le réseau télévisé de Radio-Canada, pourraientpermettre de formuler des conclusions définitives en ce qui a trait aux

36. Douglas VAN BELLE et Steven W. HOOK, « Greasing the Squeaky Wheel : Media Coverage andUS Foreign Aid », International Interactions, vol. 26, 2000, pp. 321-346.

37. Il est notoire de constater que le National Post, très respecté pour ses articles internationaux,ne fut fondé qu’en 1998. Voir B.E. BURTON, T.A. KEENLEYSIDE et W.C. SODERLUND, « The Pressand Foreign Policy : a Reexamination Ten Years On », Canadian Foreign Policy, vol. 3, no 2,1995, pp. 51-69.

38. Denis STAIRS , « The Press and Foreign Policy in Canada », International Journal, vol. 31, no 2,1976, pp. 223-243. Les cadres seniors avanceront que les décideurs lisent généralement uncondensé médiatique compilé par le personnel junior – aux États-Unis la plupart utilisent leEarly Bird. Néanmoins, ces condensés proviennent du Globe and Mail, du Associated Press etdu National Post.

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similarités et aux distinctions dans les types de couvertures médiatiques surles récipiendaires d’aide étrangère.

Nonobstant cette observation, le modèle général étudié ici peut êtreformalisé de la façon suivante :

APD canadienne = ƒ (ß1 Richesse nationale + ß2, 3 Membre d’uneorganisation internationale + ß4, 5 Liberté politique + ß6, 7, 8, 9Couverture médiatique) + ∈

IV – Analyse des données

Notre première évaluation de la seconde hypothèse, c’est-à-dire que leCanada répond, en quelque sorte, à ses obligations comme membre d’uneorganisation internationale en fournissant de l’aide publique au développementinternational, prend la forme d’un simple tableau descriptif. Le tableau 1 nousprésente une liste des États membres du Commonwealth ou de la Francophonie,et compare l’APD que ces États reçoivent aux États non-membres du Common-wealth ou de la Francophonie.

Tableau 1Tableau 1Tableau 1Tableau 1Tableau 1

Comparaison de l’aide canadienne au développement internationalComparaison de l’aide canadienne au développement internationalComparaison de l’aide canadienne au développement internationalComparaison de l’aide canadienne au développement internationalComparaison de l’aide canadienne au développement international1991-1998 (en millions $)1991-1998 (en millions $)1991-1998 (en millions $)1991-1998 (en millions $)1991-1998 (en millions $)

Il est intéressant de remarquer que les pays membres du Commonwealthont reçu, entre 1991 et 1998, en moyenne 1,21 million de dollars de plus que lesÉtats de la Francophonie et 2,27 millions de dollars de plus que les États qui nefont pas partie de l’une ou l’autre de ces organisations. En seconde place, lesmembres de la Francophonie ont obtenu 1,06 million de dollars de plus enmoyenne, entre 1991-1998, que les États qui ne sont pas membres de cesorganisations. Nous constatons en outre que cette tendance semble s’éclipserau fil des années 1990 ; en effet, à partir de 1998 aucune différence statistiquen’apparaît justifier la disparité dans l’allocation d’aide étrangère basée sur laparticipation à ces organisations internationales. Ainsi, certains récipiendairesimportants, comme la Chine et l’Indonésie, ne sont pas membres du Common-wealth ou de la Francophonie. Incidemment, les dix plus importantesenveloppes d’aide étrangère pour la période à l’étude, sont représentées dansle tableau 2.

APD brute par État APD brute pourles membres duCommonwealth

APD brute pour lesÉtats non C et F

APD brute pourles membres dela Francophonie

1991-1998 5,4 $ 6,8 $ 5,6 $ 4,6 $1991 7,5 $ 9,7 $ 6,8 $ 6,2 $1998 4,2 $ 4,1 $ 3,9 $ 4,2 $

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Les résultats de l’analyse statistique complète sont exposés dans letableau 3. Ce modèle reproduit les résultats d’une analyse de sériechronologique qui évalue le modèle général présenté à la page précédente.Celui-ci apparaît être correctement spécifié en vertu des tests diagnostiquesemployés et l’analyse fut corrigée en fonction du processus AR-1 utilisant undiagnostic standard pour l’autocorrélation des résiduels. Le graphique de lafonction de la corrélation autorégressive partielle (FCAP) est illustré à la figure2, qui devrait consolider la conclusion selon laquelle notre estimation estexacte.

ConstantConstantConstantConstantConstant 9,3642 1,6444 0,0000***

Richesse (Richesse (Richesse (Richesse (Richesse (PNBPNBPNBPNBPNB par habitant) par habitant) par habitant) par habitant) par habitant) - 0,0008 0,0002 0,0000***

Membres du CommonwealthMembres du CommonwealthMembres du CommonwealthMembres du CommonwealthMembres du Commonwealth 4,2495 1,2542 0,0007***

Membres de la FrancophonieMembres de la FrancophonieMembres de la FrancophonieMembres de la FrancophonieMembres de la Francophonie 1,0791 1,2983 0,4051

Liberté politiqueLiberté politiqueLiberté politiqueLiberté politiqueLiberté politique - 2,3675 1,4035 0,0921*

Liberté politique partielleLiberté politique partielleLiberté politique partielleLiberté politique partielleLiberté politique partielle 0,3824 1,0558 0,7173

The Globe and MailThe Globe and MailThe Globe and MailThe Globe and MailThe Globe and Mail (total) (total) (total) (total) (total) 0,0215 0,0050 0,00002***

Troubles internesTroubles internesTroubles internesTroubles internesTroubles internes - 0,9441 0,0558 0,0914*

Reportage négatifReportage négatifReportage négatifReportage négatifReportage négatif 0,0168 0,0268 0,5304

Besoin humanitaireBesoin humanitaireBesoin humanitaireBesoin humanitaireBesoin humanitaire 0,1463 0,0574 0,0110**

Variables affectant l’Variables affectant l’Variables affectant l’Variables affectant l’Variables affectant l’APDAPDAPDAPDAPD

canadienne nettecanadienne nettecanadienne nettecanadienne nettecanadienne nette39

CoefficientCoefficientCoefficientCoefficientCoefficient Degré deDegré deDegré deDegré deDegré designificationsignificationsignificationsignificationsignification*

Erreur standard Erreur standard Erreur standard Erreur standard Erreur standard

RésiduelsRésiduelsRésiduelsRésiduelsRésiduels 798Degrés de libertéDegrés de libertéDegrés de libertéDegrés de libertéDegrés de liberté 787Terme d’erreurTerme d’erreurTerme d’erreurTerme d’erreurTerme d’erreur 7,4714Log vraisemblanceLog vraisemblanceLog vraisemblanceLog vraisemblanceLog vraisemblance -2753,342RhoRhoRhoRhoRho 0,7195432Statistique de Durbin-WatsonStatistique de Durbin-WatsonStatistique de Durbin-WatsonStatistique de Durbin-WatsonStatistique de Durbin-Watson 2,1020334

Note : Les chiffres sont en millions $ US

* p < 0,1

** p < 0,05

*** p < 0,01

Tableau 3Tableau 3Tableau 3Tableau 3Tableau 3

Série chronologique de l’aide canadienneSérie chronologique de l’aide canadienneSérie chronologique de l’aide canadienneSérie chronologique de l’aide canadienneSérie chronologique de l’aide canadienneau développement international, 1991-1998au développement international, 1991-1998au développement international, 1991-1998au développement international, 1991-1998au développement international, 1991-1998

Montant en millions Année Récipiendaire

114,0 $ 1996 Égypte108,9 $ 1992 Bangladesh

94,6 $ 1991 Bangladesh73,4 $ 1997 Bangladesh69,6 $ 1993 Chine68,6 $ 1994 Chine63,2 $ 1995 Égypte62,4 $ 1992 Chine53,7 $ 1995 Chine53,7 $ 1994 Bangladesh

Tableau 2Tableau 2Tableau 2Tableau 2Tableau 2

Les dix plus grandes enveloppes d’aide canadienneLes dix plus grandes enveloppes d’aide canadienneLes dix plus grandes enveloppes d’aide canadienneLes dix plus grandes enveloppes d’aide canadienneLes dix plus grandes enveloppes d’aide canadienneet les pays récipiendaires, 1991-1998et les pays récipiendaires, 1991-1998et les pays récipiendaires, 1991-1998et les pays récipiendaires, 1991-1998et les pays récipiendaires, 1991-1998

39. La variable de contrôle pour les années n’est pas rapportée. Les coefficients sont tous dans ladirection escomptée (négative) et significatifs au niveau p < 0.05.

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Les coefficients rapportés par le tableau 3 représentent les effets marginauxde chacune des variables sur le niveau d’APD canadiennes. Étant donné quel’OCDE compile ses données en millions de dollars US, c’est de cette façon qu’ilfaut lire les coefficients. Il est immédiatement manifeste que tous les coefficientsne vont pas dans la direction espérée. De surcroît, trois ne sont pas significatifsstatistiquement, même au niveau du p < 0,1. Toutefois, certains résultatsnotables nous permettent de considérer quelques aspects théoriques de notrediscussion précédente et pourraient avoir un impact sur la direction future dela politique d’aide étrangère canadienne.

La première hypothèse est clairement étayée par nos résultats : nousdénotons une relation négative (telle que prédite) statistiquement significativeentre la richesse nationale et les niveaux d’aide publique au développementinternational. Afin de fournir une idée de la portée de cette relation, nouspouvons affirmer que l’augmentation de mille dollars du PNB par habitantd’une nation récipiendaire équivaut à une diminution de 800 000 $ en termesd’APD. Nous n’avons pas procédé à un test de non linéarité, donc nous nesavons pas encore si certaines limites peuvent s’appliquer. Le cas échéant, ilserait intéressant d’explorer cette possibilité au sein d’analyses futures de ceprojet. Peu importe, nous pouvons énoncer avec assurance que plus fortunéest un pays, moins d’APD canadienne il recevra, et vice versa.

La deuxième série d’hypothèses stipulait qu’en vertu de la participationet des engagements canadiens aux organisations internationales, les membresdu Commonwealth et de la Francophonie devraient bénéficier d’un niveauplus élevé d’APD canadienne. Il est intéressant de constater que cette hypothèseest significative pour les membres du Commonwealth (toutes choses étantégales par ailleurs, ceux-ci obtiennent 4,25 millions de dollars de plus que lesÉtats non membres) mais non pour les participants à la Francophonie puisque,en dépit d’un coefficient positif, les résultats ne sont pas significatifs. Endéfinitive, il est rentable de joindre le Commonwealth !

Notre troisième série d’hypothèses s’attardait aux effets de la « bonnegouvernance » sur les niveaux d’APD canadienne. Ici, les résultats sontsurprenants et contraires à la direction prédite. Puisque la valeur par défaututilisée dans l’analyse statistique était la variable « politiquement non libre »,

Figure 2Figure 2Figure 2Figure 2Figure 2

Coefficient d’autocorrélation partiel du modèleCoefficient d’autocorrélation partiel du modèleCoefficient d’autocorrélation partiel du modèleCoefficient d’autocorrélation partiel du modèleCoefficient d’autocorrélation partiel du modèle

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le coefficient négatif sur la valeur « politiquement libre » est grandementétonnante. Nous avons vérifié par deux fois les entrées de données et aucuneerreur ne semble fausser les résultats : par conséquent, pour une raisoninconnue, le Canada alloue moins d’APD aux États libres politiquement qu’auxnations aux prises avec des gouvernements autoritaires. Une explicationplausible, mais purement spéculative à ce stade de notre recherche, serait quela majorité de l’aide extérieure, soit 80 %, est dirigée vers l’Afrique et l’Asie(voir figure 1), continents dont une large proportion des États joignent lescatégories « partiellement libre » et « non libre ». En outre, suivant le tableau2 représentant les dix plus importantes enveloppes d’aide étrangère pour lapériode à l’étude : le Bangladesh a toujours été évalué comme un État « par-tiellement libre », tandis que la Chine et l’Égypte sont demeurées des pays «non libres ». En dernière analyse, malgré le fait que l’un des piliers de la poli-tique étrangère canadienne demeure, en théorie, la promotion des droits del’homme et de la démocratie, cette ambition ne se reflète pas dans une analysestatistique des États qui reçoivent, en pratique, les APD canadiennes. De plus,la Chine apparaît quatre fois dans la liste des dix récipiendaires recueillant leplus d’aide, alors qu’elle est considérée comme l’un des douze régimes les plusrépressifs selon l’organisme Freedom House40.

Finalement, les résultats de la variable de la couverture médiatiques’avèrent également intéressants. Le premier coefficient, soit la couverturetotale du Globe and Mail, est dans la direction escomptée et très significativestatistiquement. Sommairement, à partir de l’amplitude du coefficient (0,0215),nous pouvons affirmer que, toutes choses étant égales par ailleurs, chaquereportage apparaissant dans le Globe and Mail est en corrélation approximativeavec une augmentation de 21 500 $ US de l’aide étrangère ; il faut toutefoisgarder à l’esprit que c’est une interprétation hâtive. Les autres variablesreprésentant le contenu de la couverture médiatique sont également à considérer.La variable « trouble interne » est associée négativement à l’APD et est significativeau niveau p < 0,1. Ainsi, il semble patent que le Canada demeure réticent àinvestir dans les pays où les régimes sont instables ; chaque reportagedépeignant une situation de « trouble interne » équivaut à une diminution del’aide de près de 1 million de dollars41. Quant aux reportages mettant l’accentsur les besoins humanitaires des récipiendaires, ils sont, tel qu’escompté, enrelation positive avec l’allocation supplémentaire d’APD, les résultats étantstatistiquement significatifs au niveau p < 0,5. En définitive, il nous apparaîtprobant que la couverture médiatique, en soi et divisée en fonction d’une

40. FREEDOM HOUSE, The World’s Most Repressive Regimes, 2002, disponible en format électronique :http://www.freedomhouse.org/research/mrr2002.pdf.

41. En somme, tout reportage « neutre » augmente l’attribution d’aide de 21 500 $, tandis qu’unseul article sur les troubles internes fait diminuer l’aide de 1 million de dollars. Afin defournir au lecteur un exemple des données, nous avons choisi aléatoirement un cas particulier.En 1998, nous comptons 15 reportages concernant la Guyane (1 trouble interne, 1 négatif,0 besoin humanitaire et 13 neutres) ; le pays est membre du Commonwealth, est librepolitiquement et a un PIB par habitant de 3,342 $. Durant la même année, la Guyane a reçu3,09 millions de dollars en ADP.

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analyse de contenu, influence les niveaux d’APD. Les désastres humanitairesencouragent l’octroi d’aide canadienne tandis que les troubles politiquessemblent la réduire.

V – Discussion des résultats relativement aux perspectives futures

Il nous semble approprié de considérer les résultats de notre analyseempirique sous l’éclairage des tendances actuelles, surtout en vertu de lanouvelle réalité internationale suivant les événements du 11 septembre 2001.Par exemple, tel que discuté dans d’autres articles de ce numéro spécial42, laréponse canadienne aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 a étéessentiellement de nature bilatérale et à forte teneur « sécuritaire ». Aussi,quoique le budget fédéral de décembre 2001 accroisse manifestement lesdépenses gouvernementales dans de multiples domaines, incluant l’aideétrangère, il ne semble pourtant pas y avoir beaucoup de valeur ajoutée à cettemesure. Pareillement, l’augmentation des dépenses de l’ordre de 1,14 milliardde dollars en matière de défense est attribuable, en grande partie, au financementde l’Opération Apollo, la contribution canadienne aux opérations en Afghanistan.

Un défi notable pour la politique étrangère canadienne est le dévoilement,en juin 2002, du « plan d’action pour l’Afrique » du G8 afin d’épauler lenouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (initialement appeléla Nouvelle initiative pour l’Afrique), connu sous l’acronyme anglais NEPAD. Leplan du NEPAD fut originellement articulé séparément par trois présidentsafricains – Abdoulayé Wade du Sénégal, Olusegun Obasanjo du Nigeria etThabo Mbeki de l’Afrique du Sud – à l’intérieur de documents faisant appel àune nouvelle relation entre les pays donateurs et les États africains. Aufondement de ces plans étaient l’articulation de la notion, jusqu’à présenttaboue, que l’aide traditionnelle n’aidait guère l’Afrique. Conséquemment, unnouveau paradigme, basé principalement sur les investissements privés et surune plus grande intervention dans certains domaines comme le capital social,la santé et l’éducation, s’avérait impératif pour l’avenir de ce continent43. Cesdifférents plans furent présentés à l’intérieur de divers forums au tournant dumillénaire et à la rencontre du Forum économique mondial en 2001. Lesprésidents africains, ainsi que les architectes de ces plans furent ensuiteinvités à exposer ceux-ci à la rencontre 2001 du G7/G8 à Gênes. La présentationfut un tel succès que les pays membres du G8 sollicitèrent l’Organisation pourl’unité africaine afin que celle-ci propose une « stratégie africaine pour ledéveloppement » à laquelle les pays riches pourraient participer. Ce projet futréalisé en juillet 2001 au sommet de l’OUA à Lusaka, où les 53 pays africains se

42. Voir les textes de Andrew F. COOPER et Stéphane ROUSSEL dans ce numéro.43. Les « documents fondateurs » du NPDA comprennent, habituellement, le Plan Omega (préparé

par le Sénégal) et le Millennium Partnership for the African Recovery (originalement ébauchépar le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Algérie). Ces documents, ainsi que des informationssupplémentaires sur le NPDA sont disponibles électroniquement : http://www.nepad.org/about.htm.

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sont entendus sur une politique commune et ont formellement proposé unnouveau partenariat pour le développement africain. À travers le NPDA, lespays industrialisés sont invités à « entrer dans un partenariat basé sur desobligations et des intérêts mutuels44 ». Selon le MAECI, « les objectifs qui sous-tendent le Plan d’Action n’est ni de procurer une infusion massive desinvestissements ni de rediriger les projets du NEPAD de façon générale. Le butest de construire un nouveau partenariat qui devrait débloquer de plusgrandes ressources des secteurs privé et public45 ».

En réponse à l’initiative africaine et à la suggestion du Canada, unprocessus de sherpa débuta afin de préparer la réaction formelle du G7/G8

dont les prémisses ont été dévoilées en juin 2002 au somment de Kananaskis.Le Plan d’action pour l’Afrique – une initiative canadienne – s’avère ainsi laréponse du G8 au NEPAD et élabore les débuts d’un travail concerté entre lespays industrialisés et des partenaires africains dans le but de mettre un termeà la marginalisation économique de l’Afrique, principalement en promettantune augmentation de l’investissement en fonction de la réalisation des objectifsque les États africains se sont eux-mêmes prescrits46.

Le processus du NEPAD est sans précédent puisque, comme il a déjà étémentionné, il est approuvé par les 53 États membres de l’Organisation del’unité africaine (renommée l’Union africaine), et prévoit la participation desÉtats africains à la gestion commune de l’APD allouée par les pays industrialisés.Conduite par un Comité de contrôle où siègent les cinq « États fondateurs »(Algérie, Égypte, Nigeria, Sénégal et l’Afrique du Sud) et un Comité de miseen application composé des représentants de quinze pays47, le NPDA doitassurer à l’Afrique la gestion des éléments essentiels d’un développementdurable pour le continent, à savoir :

• la paix et la sécurité (incluant la prévention des conflits) ;

• une meilleure gouvernance (incluant la supervision des pairs et desactions contre la corruption) ;

• encourager la croissance économique et l’investissement privé (incluantle financement pour le développement) ;

• éducation/connaissance et santé (incluant les technologies de l’informa-tion et de la communication).

44. Ibid.45. Ibid.46. Nouveau partenariat pour le développement africain (2002), « About NEPAD », informations

disponibles en format électronique : http://www.nepad.org/AboutNepad.asp. Voir également :« NEPAD/G8 Africa Action Plan/APR Process Backgrounder », Ottawa, Sommet du G8, Ministèredes Affaires étrangères et du Commerce international.

47. Au Sommet de l’Union africaine en juillet 2002 à Durban, on proposa d’élargir ce Comité demise en application à 20 membres.

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Les États africains ont eux-mêmes énoncé les priorités et les objectifs deleur développement, tandis que le G8 a garanti un appui financier et uneatténuation de leur dette afin d’atteindre ces buts. Le premier ministre Chrétiendoit se voir reconnaître le mérite d’avoir maintenu le développement africainsur l’agenda du G8, ceci dans la foulée du 11 septembre qui légitimait unerecrudescence et une prépondérance des questions associées à la sécurité. Onse souviendra, de plus, que seulement deux jours avant la rencontre du G8, lesévénements se bousculèrent au Moyen-Orient et le président Bush proposa unplan pour la constitution d’un État palestinien qui, manifestement, polarisa laréflexion internationale.

Un facteur qui nous apparaît primordial dans la viabilité et la directiondu NEPAD, dans lequel le Canada a investi beaucoup de capital politique, est lapleine participation des États-Unis à ce projet. Après consultation de diversessources, nous croyons que l’administration Bush n’accorde pas une grandeimportance aux problématiques liées au développement économique, politiqueet social de l’Afrique pour de multiples raisons. Premièrement, la politiqueétrangère américaine est particulièrement préoccupée par le terrorismeinternational, l’extrémisme islamique et la campagne militaire en Afghanistanet dans d’autres pays associés au terrorisme et/ou aux « États voyous » commel’Iraq. Deuxièmement, plusieurs autres priorités accaparent déjà la politiqueaméricaine sur la scène internationale, incluant la crise israélo-palestienne, lesrelations avec la Russie, la question de l’élargissement de l’OTAN, la Chine etl’Orient en général. Finalement, Washington croit probablement que l’Afriqueest, en grande partie, « ingouvernable ». Les récents événements au Zimbabwe,la piètre histoire de gouvernance de certains pays africains comme le Kenya, leMalawi et le Libéria ainsi que les guerres civiles incessantes au Soudan et enRépublique démocratique du Congo semblent confirmer l’interprétation selonlaquelle la région demeure une zone de désastre pour la politique étrangère.La crise électorale au Zimbabwe découragea particulièrement les États-Unis.Effectivement, les actions de Mugabe, la timidité généralisée des membres duCommonwealth et l’attitude surprenante de plusieurs dirigeants africains(notamment Mbeki de l’Afrique du Sud) qui semblaient entériner la prise depouvoir de Mugabe ont démontré à l’administration Bush que la question debonne gouvernance, devant être l’un des fers de lance du NEPAD et soutenuepar un « mécanisme de révision des pairs », sera une farce.

De surcroît, lors du Somment de l’Union africaine à Durban, la décisiond’élargir la composition du Comité d’exécution afin d’inclure la Libye et leKenya, deux États reconnus comme les moins démocratiques de l’Afrique et lapremière étant un ennemi de longue date des États-Unis, permet de considéreravec scepticisme la capacité du Comité de mise en application d’améliorer lagouvernance en Afrique48.

48. Rachel L. SWARNS, « African Leaders Drop Old Group for One that Has Power », The NewYork Times, 8 juillet 2002, http://www.nytimes.com/2002/07/09/international/africa/09AFRI.html?ex=1027220583&en=942b7655fc9c0154.

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Le second facteur important est la conclusion empirique associée auxdépenses d’APD canadiennes dans les années 1991-1998. Si le Canada a assuréà travers le NEPAD d’octroyer une aide additionnelle aux États démontrant unprogrès en matière de gouvernance, de transparence, d’éducation des femmeset d’entreprises privées, comment celui-ci pourra-t-il balancer ce vœu pieuxen regard de sa tendance naturelle à ignorer ces questions et à plutôt allouerson aide étrangère aux membres du Commonwealth ou à quelques Étatsimportants telles la Chine et l’Égypte ?

Conclusion

Le premier ministre Chrétien, lors du budget de décembre 2001, aaugmenté les dépenses en termes d’aide publique au développement (principa-lement pour l’Afrique) de l’ordre de 500 millions de dollars canadiens et apromis une croissance des APD de 8 % par année, de façon cumulative, jusqu’àce que le Canada ait doublé les montants alloués à l’APD. Néanmoins, si laparticipation canadienne au NEPAD veut éviter la même destinée que « l’Agendapour la sécurité humaine » de l’ère Axworthy, trois défis majeurs, dont deuxsont endogènes, devront être considérés dans les prochaines années.

En premier lieu, de façon exogène et suivant la discussion précédente, leCanada doit s’assurer que le Plan d’Action pour l’Afrique du G8, le NEPAD et lesbuts du millénaire des Nations Unies demeurent sur l’agenda de la communautéinternationale, et que les espoirs d’un développement social et économique àlong terme puissent être liés avec les objectifs généraux de la sécuritéinternationale49. Inexorablement, cette proposition sera difficile à accomplir àla lumière des réalités de la politique américaine : le Président américain doitrépondre à des prérogatives internes et chaque prochaine année en est uned’élection. Conséquemment, sous ces conditions, la pensée longitudinale deces questions ne s’est jamais intégrée parfaitement à la politique étrangère desÉtats-Unis. En outre, les intérêts américains sont immédiats et pratiques :l’élimination du réseau d’Al-Qaëda et la sécurisation de ses frontières.Naturellement, les chances de succès du NEPAD sans un appui politique etfinancier provenant de Washington demeurent inquiétantes. En somme, pourle Canada, le défi sera de maintenir tangibles ces divers projets sous l’optiquede facteurs qui échappent à son contrôle; cependant, étant donné que les deuxprochains sommets du G8 seront tenus, respectivement, en France et auRoyaume-Uni, deux pays qui appuient fortement le processus du NEPAD, ildemeurera probablement à l’ordre du jour.

En deuxième lieu, intrinsèquement lié à l’établissement de la politiqueétrangère canadienne, il faudra éviter l’éparpillement de l’aide au développementainsi que l’absence d’un ordre du jour clair et précis de la politique de l’aide

49. Le premier ministre Jean Chrétien démontre une profonde volonté de poursuivre cet agenda,en liant expressément ces questions lors de son allocution à l’Assemblé genérale de l’ONU ;voir Raymond Giroux, « Chrétien persiste et signe : De la lutte à la pauvreté dépend aussinotre sécurité, plaide-t-il devant l’ONU », Le Soleil, 17 septembre 2002, p. A-1.

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canadienne. En effet, pendant la seconde moitié de l’année 2002, le ministèrede la Défense nationale, le MAECI et l’ACDI ont eu pour mandat de réviser leurspolitiques. La Défense espère, contrairement à 1994-1995, que les initiativesétrangères et de sécurité seront coordonnées. En ce qui a trait à l’ACDI, celle-cidéveloppe ses objectifs suivant les rapports de l’ONU et de l’OCDE sur les besoinsen développement – une visite du site internet de l’ACDI confirme cetteconstatation. De plus, les tensions fréquentes entre le MAECI et l’ACDI devrontêtre mieux gérées : tandis que le MAECI est intéressé par les intérêts et laposition canadienne dans le monde, l’ACDI est une agence dont le mandat estd’aider les populations en coopération avec les ONG et les organisationsinternationales sans pour autant se soucier nécessairement de l’agenda personneldu ministre aux Affaires étrangères.

En dernier lieu, également associé à la constitution particulière del’administration publique canadienne, il faudra gérer les trois agendas compé-titifs sur la façon dont l’aide extérieure est distribuée en regard de l’engagementde doubler les dépenses d’aide publique au développement international pourles huit prochaines années. Le Canada a la possibilité d’avancer trois typesd’impulsions différentes et parfois en conflit dans la conduite des affairesinternationales, plus particulièrement en ce qui a trait à l’assistance extérieure.D’abord, le Canada fait preuve d’une impulsion multilatérale dans la mesureoù elle finance des projets de développement à travers les différents forumsmultilatéraux. Manifestement, cette méthode est privilégiée par les pays envoie de développement pour la raison évidente que ce type d’aide n’est pascontraignant. Ensuite, il y a une impulsion bilatérale, étant la plus désirablepolitiquement aux yeux du Canada puisqu’elle peut être, à travers l’ACDI,présente dans « plus de 150 pays mondialement » et ainsi exposer le drapeaucanadien un peu partout. Enfin, une approche « troisième partenaire » oùl’aide est allouée à des ONG et des organisations de la société civile qui sont surle terrain et peuvent donc être plus efficaces.

Quoique l’ambition ultime du Canada soit d’être apprécié de tous et, cefaisant, de participer à toutes ces méthodes, le risque est grand que leprogramme canadien d’aide publique au développement demeure tropéparpillé, a mile wide and an inch thick, paraphrasant les termes de Thérien etLloyd50. Cet écueil n’est guère inédit, mais il nous apparaît clairement quecertains choix devront être faits en fonction des défis présentés ci-haut afin d’ypallier.

50. Jean-Philippe THÉRIEN et Carolyn LLOYD, op. cit.