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© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2008 DOI: 10.1163/157005808X364616 Arabica 55 (2008) 583-604 www.brill.nl/arab Méthodes et débats Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles perspectives pour la classification géo-sociologique Mohamed Embarki Praxiling UMR 5267 CNRS-Montpellier III Résumé La classification géographique et/ou sociologique des dialectes arabes modernes s’appuie, entre autres, sur certaines unités phonologiques qui, confrontées à une comparaison très minutieuse, ne s’avèrent pas fortement discriminantes. Les mêmes unités se retrouvent dans les parlers de plusieurs régions et variétés sociologiques à la fois en synchronie et en diachronie. Ont été revi- sitées plusieurs unités consonantiques et vocaliques dans diverses variétés linguistiques arabes (protoarabe, dialectes arabes anciens, arabe classique, arabe moyen, arabe moderne et dialectes arabes modernes). Devant cette extrême variabilité, la présente étude discute d’une part les élé- ments qui permettent de déceler dans les unités phonologiques celles produites par des dévelop- pements parallèles vs celles qui sont le fruit des mécanismes de diffusion vs celles issues d’un processus d’héritage. L’hypothèse défendue dans cette étude est que certaines unités phonologi- ques, considérées comme discriminantes, sont le résultat soit d’un long héritage passé de l’arabe ancien aux dialectes arabes modernes, soit d’un processus de diffusion ample qui s’était déve- loppé à une époque très lointaine. D’autre part, elle verse dans le champ de la dialectologie arabe, à des fins de classification, des indices acoustiques fins dépendant de deux phénomènes différents, la coarticulation et la prosodie. Mots-clés Arabe classique et moderne, dialectes anciens et modernes, classification géo-sociologique, pho- nétisme arabe, héritage, diffusion, innovation, coarticulation, prosodie. Introduction Les nombreux volumes de grammaire et de lexicographie de la période classi- que témoignent de l’intérêt certain qu’avaient accordé les grammairiens anciens à la langue arabe. L’examen attentif des mêmes sources traduit un intérêt implicite pour les dialectes arabes, lequel intérêt est ambivalent car balançant entre sublimation et rejet. En témoigne l’approche méthodologi- que qu’ils avaient majoritairement adoptée dans leur entreprise de standardi- sation de la langue arabe. En effet, trois critères opératoires prévalaient pour

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Arabica 55 (2008) 583-604 wwwbrillnlarab

Meacutethodes et deacutebats

Les dialectes arabes modernes eacutetat et nouvelles perspectives pour la classification geacuteo-sociologique

Mohamed EmbarkiPraxiling UMR 5267 CNRS-Montpellier III

ReacutesumeacuteLa classification geacuteographique etou sociologique des dialectes arabes modernes srsquoappuie entre autres sur certaines uniteacutes phonologiques qui confronteacutees agrave une comparaison tregraves minutieuse ne srsquoavegraverent pas fortement discriminantes Les mecircmes uniteacutes se retrouvent dans les parlers de plusieurs reacutegions et varieacuteteacutes sociologiques agrave la fois en synchronie et en diachronie Ont eacuteteacute revi-siteacutees plusieurs uniteacutes consonantiques et vocaliques dans diverses varieacuteteacutes linguistiques arabes (protoarabe dialectes arabes anciens arabe classique arabe moyen arabe moderne et dialectes arabes modernes) Devant cette extrecircme variabiliteacute la preacutesente eacutetude discute drsquoune part les eacuteleacute-ments qui permettent de deacuteceler dans les uniteacutes phonologiques celles produites par des deacutevelop-pements parallegraveles vs celles qui sont le fruit des meacutecanismes de diffusion vs celles issues drsquoun processus drsquoheacuteritage Lrsquohypothegravese deacutefendue dans cette eacutetude est que certaines uniteacutes phonologi-ques consideacutereacutees comme discriminantes sont le reacutesultat soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteve-loppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Drsquoautre part elle verse dans le champ de la dialectologie arabe agrave des fins de classification des indices acoustiques fins deacutependant de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation et la prosodie

Mots-cleacutesArabe classique et moderne dialectes anciens et modernes classification geacuteo-sociologique pho-neacutetisme arabe heacuteritage diffusion innovation coarticulation prosodie

Introduction

Les nombreux volumes de grammaire et de lexicographie de la peacuteriode classi-que teacutemoignent de lrsquointeacuterecirct certain qursquoavaient accordeacute les grammairiens anciens agrave la langue arabe Lrsquoexamen attentif des mecircmes sources traduit un inteacuterecirct implicite pour les dialectes arabes lequel inteacuterecirct est ambivalent car balanccedilant entre sublimation et rejet En teacutemoigne lrsquoapproche meacutethodologi-que qursquoils avaient majoritairement adopteacutee dans leur entreprise de standardi-sation de la langue arabe En effet trois critegraveres opeacuteratoires preacutevalaient pour

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lrsquoeacutevaluation des traits linguistiques 1) arabe eacuteloquent agrave imiter 2) acceptable mais ne peut servir de modegravele et 3) incorrect agrave eacuteviter et agrave condamner Leur conception de ce que doit ecirctre al-ʿarabiyya srsquoest traduite par lrsquoeacuteleacutevation au rang de modegravele des caracteacuteristiques linguistiques dialectales preacutesentes dans la koinegrave poeacutetique preacute-islamique une certaine toleacuterance agrave lrsquoeacutegard de traits pro-prement beacutedouins et un rejet quasi systeacutematique de traits citadins1

La formidable effervescence de cette eacutepoque a focaliseacute lrsquointeacuterecirct sur les seuls traits linguistiques de la fushā les dialectes arabes anciens ne retenaient plus lrsquoattention des chercheurs Pendant plus drsquoun milleacutenaire ces dialectes eacutetaient retombeacutes dans lrsquooubli et il a fallu attendre la fin du XIXe et le deacutebut du XXe siegravecle pour assister dans la fouleacutee de la grammaire compareacutee du seacutemitique agrave des eacutetudes de dialectologie arabe Durant le milleacutenaire qui seacutepare les deux mouvements ndash celui des grammairiens anciens et celui de la dialectologie moderne ndash lrsquoespace geacuteographique arabophone srsquoest largement eacutetendu

Avec la profonde mutation deacutemographique et sociale qursquoont connue les pays arabes au cours du XXe siegravecle ont eacuteclos drsquoimportants centres urbains zones par excellence de contacts de langues Ces grands centres ont exerceacute une influence non neacutegligeable sur lrsquoeacutemergence de nouvelles koinegraves2

Lrsquoobjectif central de cette eacutetude est drsquoamener dans le champ de la dialecto-logie arabe et dans lrsquoentreprise de classification des dialectes arabes modernes des objets linguistiques non encore exploreacutes car trop speacutecifiques ou confineacutes aux eacutetudes phoneacutetiques expeacuterimentales Pour ce faire une revue bibliographi-que des principales caracteacuteristiques phonologiques de plusieurs formes et varieacuteteacutes linguistiques arabes sera effectueacutee en commenccedilant par la forme reconstitueacutee le protoarabe les dialectes arabes anciens3 lrsquoarabe classique lrsquoarabe moyen lrsquoarabe moderne et les dialectes arabes modernes La revue bibliographique permettra drsquoeacuteclairer les meacutecanismes de transmission drsquoin-fluence et drsquoeacutevolution qui sous-tendent les traits phonologiques entre les dif-feacuterentes formes arabes Toutefois il est agrave preacuteciser que notre compeacutetence dans le domaine de la linguistique historique est faible Lrsquoeacutelucidation des meacutecanis-mes susmentionneacutes sera limiteacutee au domaine phonologique en eacutetudiant la

1 Voir FC Corriente laquo From old Arabic to classical Arabic through the pre-Islamic koine some notes on the native grammarians raquo Journal of Semitic Studies XXI (1976) p 63

2 C Miller E Al Wer D Caubet et J Watson (eacuteds) Arabic in the City Issues in Dialect Contact and Language Variation Londres Routledge (laquo Arabic Linguistic Series raquo) 2007

3 La deacutefinition de lsquodialectes anciensrsquo peut srsquoaveacuterer controverseacutee je renvoie ici au travail de C Rabin Ancient West-Arabian Londres Taylorrsquos Foreign Press 1951 agrave la deacutefinition de J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford Oxford University Press 2006 p 4 et 11-12 et agrave la note 1 p 4 ougrave Owens discute la deacutefinition qursquoen donne MC MacDonald laquo Reflections on the linguistic map of Pre-Islamic Arabia raquo Arabian Archaeology and Epigraphy XI (2000) pp 28-79

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question des liens existant entre les dialectes arabes anciens et lrsquoarabe classi-que entre lrsquoarabe classique et les dialectes modernes entre les dialectes arabes anciens et modernes Cette question constitue la probleacutematique centrale du travail drsquoOwens4 cependant la perspective et les objectifs en sont relativement diffeacuterents La perspective drsquoOwens prend comme point de deacutepart la diversiteacute des dialectes arabes modernes en vue de la compreacutehension du fonctionne-ment de formes drsquoarabe plus anciennes via un systegraveme complexe de laquo lois raquo essentiellement morphologiques Le recours aux formes reconstruites bien qursquooccasionnel dans notre cas est leacutegitimeacute par le besoin drsquoexpliquer la diver-siteacute actuelle des dialectes modernes et la comprendre

1 Lrsquoeacutevolution du phoneacutetisme arabe

Les recherches sur les protolangues peuvent donner un eacuteclairage inteacuteressant facilitant notre compreacutehension de lrsquoeacutevolution des dialectes arabes modernes La classification des langues afroasiatiques au cours du XXe siegravecle teacutemoigne du rocircle fondamental joueacute par les eacuteleacutements linguistiques de niveau phonolo-gique morphologique ou lexical dans lrsquoarchitecture de ce phylum5 La classi-fication des langues seacutemitiques est faite eacutegalement sur des bases linguistiques similaires Il se deacutegage de certaines eacutetudes que lrsquoarabe tient une place particu-liegravere dans le phylum seacutemitique en raison du maintien drsquoun nombre impor-tant de consonnes dentales agrave tel point que certains chercheurs affirment que lrsquoarabe est la forme la plus archaiumlque qui pourrait nous rapprocher du proto-seacutemitique6 Or drsquoapregraves Corriente7 le phoneacutetisme de lrsquoarabe a beaucoup eacutevo-lueacute Cette eacutevolution serait masqueacutee par une tendance relative dans les eacutetudes linguistiques et dialectologiques arabes agrave attribuer aux graphegravemes arabes des valeurs phoneacutetiques absolues et immuables Toutefois lrsquoutilisation des graphegrave-mes dans les descriptions phoneacutetiques ne preacutesente pas que des inconveacutenients

4 J Owens ibid5 Voir C Ehret laquo Reconstructing Proto-Afroasiatic (Proto-Afrasian) Vowels Tone Consonants

and Vocabulary raquo Linguistics 126 (1995) JH Greenberg Studies in African linguistic classification New Haven Compass 1955 H Fleming laquo Omotic as branch of Afroasiatic raquo Studies in African Linguistics supp V (1974) pp 81-94 R Hetzron laquo The limits of Cushitic raquo Sprache und Geschichte in Afrika II (1980) pp 7-126 M Cohen laquo Les langues chamito-seacutemitiques raquo Les langues du monde par un groupe de linguistes sous la direction drsquoAntoine Meillet et Marcel Cohen Paris Champion 1924 pp 81-151 hors-texte planche 2 B CF Voegelin et FM Voegelin Classification and index of the worldrsquos languages New York Elsevier 1977

6 Pour une synthegravese voir K Petraacuteček laquo Le systegraveme de lrsquoarabe dans une perspective diachronique raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 162-177

7 FC Corriente ibid pp 76

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elle rend possible la comparaison drsquoau moins deux eacutetats de la langue lrsquoarabe classique8 et lrsquoarabe moderne Une appreacuteciation attentive des descriptions pho-neacutetiques de quatre consonnes par les grammairiens anciens etou par des lin-guistes contemporains nous montre que le passage de lrsquoarabe classique agrave lrsquoarabe moderne nrsquoest pas une stricte iteacuteration de systegraveme phonologique

Deux des quatre consonnes qui nous inteacuteressent partagent plusieurs proprieacuteteacutes sensori-motrices (articulatoires et acoustiques) il srsquoagit des sibilantes sīn ( س) et šīn ( ش) Les descriptions de ces deux consonnes par les grammairiens anciens (cf al-Halīl9 (m 786) auteur de Kitāb al-lsquoAyn Sībawayhi10 (m 793) dans al-Kitāb al-Rāzī11 (m 934) dans Kitāb al-Zīna fī l-kalimāt al-islāmiyya l-lsquoarabiyya al-Azharī (895-980) dans Tahdīb al-luga al-Sīrāfī (893-979) dans Šarh al-Kitāb Ibn Ginnī (m 1002) dans al-Hasārsquois Avicenne (m 1037) dans Risāla) ne correspondent pas aux s et š que nous connaissons en arabe moderne mais plutocirct agrave š et ś Lrsquohypothegravese drsquoune articulation plus posteacute-rieure de ces deux consonnes jaillit clairement de la comparaison de vocables de plusieurs langues seacutemitiques (Beeston12 Fraenkel13 Cantineau14 Faber15 Cowan16

8 Voir la deacutefinition de ce terme par J Owens A Linguistic History of Arabic 2006 p 5 et pp 85-101

9 Voir A Roman laquo Les zones drsquoarticulation de la koinegrave arabe drsquoapregraves lrsquoenseignement drsquoal-Halīl raquo Arabica XXIV1 (1977) pp 58-65

-wa-min wasat al-lisān baynahu wa-bayna wasat al-hanak al-alsquolā mahrag al-gīm wa-l (ش ) 10šīn wa-l-yārsquo (laquo du milieu de la langue entre celle-ci et le milieu du palais est la place drsquoarticulation de gīm šīn et yārsquo raquo)

wa-mimmā bayna taraf al-lisān wa-fuwayqa al-tanāyā mahrag al-zāy wa-l-sīn wa-l-sād (س )(laquo de la pointe de la langue et un peu au-dessus des incisives se trouve le point drsquoarticulation de zāy sīn et sād raquo)

11 G Vajda laquo Les lettres et les sons de la langue arabe drsquoapregraves Abū Hatim al-Rāzī raquo Arabica VIII2 (1960) pp 113-130

12 Voir AFL Beeston laquo Arabian sibilants raquo JSS VII (1962) pp 222-233 A Murtonen laquo The Semitic sibilants raquo JSS XI (1966) pp 135-150

13 S Fraenkel Die aramaumlischen Fremdwoumlrter im Arabischen Leyde Hildesheim 1886 (reacuteimp 1962)

14 J Cantineau dans Le dialecte arabe de Palmyre Beyrouth Institut franccedilais de Damas 1934 constate en effet que face au s du protoseacutemitique [mšgdrsquomsgdrsquo] du nabateacuteen correspond [masgid] de lrsquoarabe moderne face agrave š du protoseacutemitique [nfšrsquonfsrsquo] du nabateacuteen correspond [nafs] de lrsquoarabe moderne face agrave ś du protoseacutemitique [šrfywsrfyw] du nabateacuteen correspond [šaraf] de lrsquoarabe moderne

15 A Faber laquo Semitic sibilants in an Afro-asiatic context raquo JSS XXIX (1984) pp 189-22416 Le mot salām a comme eacutequivalent en heacutebreu šalōm accadien šalāmu syriaque

šəlāmā eacutethiopien salām protoseacutemitique šalām le mot lisān a comme eacutequivalent en heacutebreu lāšōn accadien lišānu syriaque leššānā eacutethiopien lesān et protoarabe lisān le mot nās a comme eacutequivalent en heacutebreu lsquoenōš arameacuteen nāšā protoarabe nās dans W Cowan laquo Arabic evidence for proto-Semitic awa and o raquo Language XXXVI1 (1960) pp 60-62

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McDonald17 Murtonen18) ou de processus drsquoemprunt agrave lrsquoarabe par les langues latines (Latham19)

Agrave lrsquoinstar de ( س) et de ( ش) un troisiegraveme graphegraveme peut teacutemoigner de lrsquoeacutevolution du systegraveme phonologique de lrsquoarabe Lrsquoactuel dād ( ض) de lrsquoarabe moderne avait sans aucun doute un ancecirctre protoarabe lateacuteral20 transcrit d Si lrsquoeacutevolution de son articulation en arabe moderne et dans les dialectes ara-bes modernes beacutedouins et urbains ne fait aucun doute le chemin emprunteacute par cette eacutevolution ne fait cependant pas lrsquounanimiteacute parmi les chercheurs (cf Corriente21 Al Wer22) Le quatriegraveme graphegraveme pouvant soutenir lrsquoeacutevolu-tion du phoneacutetisme arabe est gīm ( ج) qui est post-alveacuteolaire g en arabe moderne Chez les grammairiens anciens cette consonne est reacuteunie avec la sibilante šīn (ش) et la lateacuterale dād (ض) dans un groupe qui vient juste apregraves qāf (ق) et kāf (ك) Gīm ( ج) correspond donc par la description qursquoen donne Sībawayhi agrave une articulation meacutedio voire post-palatale et aurait connu selon toute vraisemblance lrsquoeacutevolution suivante ggtɟgtg23

Ce que les graphegravemes permettent pour les consonnes ils ne le permettent pas de maniegravere indiscutable pour les voyelles La raison principale est le carac-tegravere consonantique de lrsquoabeacuteceacutedaire arabe Neacuteanmoins une des pistes a eacuteteacute exploreacutee par quelques chercheurs notamment par Cowan24 et Rabin25 Les deux auteurs ont exploreacute une voie nouvelle en dialectologie en comparant les dialectes non pas agrave lrsquoarabe classique mais agrave une forme plus ancienne comme le protoarabe et le protoseacutemitique Srsquoappuyant sur des correspondances entre les dialectes arabes drsquoAsie centrale et lrsquoarabe classique Cowan constate que lagrave ougrave les dialectes asiatiques ont un ō comme dans les mots [golsquoōn] [kitōb] [ramōd] [mōt] [salō] et [rsquoasō] lrsquoarabe classique oppose la voyelle ā Lrsquohypo-thegravese soutenue ici est que le protoarabe avait le phonegraveme ō deacuteriveacute lui-mecircme

17 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46

18 A Murtonen ibid p 14019 JD Latham laquo Arabic into Medieval Latin raquo JSS XVII (1972) pp 30-67 20 Voir J Cantineau Eacutetude de linguistique arabe Paris Klincksieck 1960 FC Corriente

laquo ldquoD-Lrdquo doublets in classical Arabic as evidence of the process of de-lateralisation of ldquodadrdquo and development of its standard reflex raquo JSS XXIII (1978) pp 50-55 CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language XXXV4 (1959) pp 616-630

21 FC Corriente ibid22 E Al Wer laquo Variability reproduced A variationist view of the [eth][d] opposition in

modern Arabic dialects raquo K Versteegh M Haak et R de Jong (eacuteds) Approaches to Arabic Dialectology Amsterdam Brill Academic Publishers 2003 pp 21-31

23 Voir MV McDonald ibid24 Voir W Cowan ibid CH Toy laquo The Semitic vowel a raquo The American Journal of Philology

II8 (1881) pp 446-45725 C Rabin Ancient West-Arabian

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drsquoun phonegraveme similaire en protoseacutemitique et partant un systegraveme vocalique dans les deux protolangues plus dense que ce qui est preacutesenteacute habituellement ie trois voyelles bregraveves i u a26 et trois correspondantes longues ī ū ā Cette hypothegravese est drsquoautant plus plausible que le travail fait anteacuterieurement par Rabin sur lrsquoAncient west-Arabian cite les deux derniers lexegravemes ([salō] et [rsquoasō]) Lrsquoorigine arameacuteenne ne doit pas ecirctre neacutegligeacutee des sources bibliographi-ques penchent pour une influence du ō arameacuteen sur lrsquoarabe syrien ā gt ō27

La densiteacute du systegraveme vocalique du protoarabe est deacutefendue dans le travail susmentionneacute de Rabin qui a reconstruit le phonegraveme ē Ces eacuteleacutements per-mettent agrave Cowan comme agrave Rabin drsquoaffirmer que le systegraveme vocalique du seacutemitique primitif comme celui du protoarabe eacutetait composeacute non pas de six voyelles mais de huit trois bregraveves i u a et cinq longues ī ū ē ō ā Des points de vue aussi bien qualitatif (timbres vocaliques) que quantitatif (leur nombre) le systegraveme vocalique du protoseacutemitique serait plus proche de celui des dialectes arabes modernes drsquoOrient que du systegraveme vocalique de lrsquoarabe classi-que28 La thegravese drsquoun systegraveme vocalique plus dense en protoseacutemitique est deacutefen-due eacutegalement par Ehret qui montre que le proto-afroasiatique posseacutedait cinq timbres vocaliques enrichis par des oppositions de quantiteacute Les cinq timbres se seraient contracteacutes dans certaines branches du phylum comme le proto-berbegravere le proto-eacutegyptien et le protoseacutemitique29 Des indices tireacutes de transcription de noms montrent que les diphtongues du protoseacutemitique ay et aw ont eacutevo-lueacute dans les langues de la branche seacutemitique occidentale respectivement en ē et ō et ce agrave une eacutepoque plutocirct ancienne environ 700 ans avant notre egravere30

2 La typologie des dialectes arabes modernes

Corriente indique que les traiteacutes de grammaire arabe des premiers siegravecles contiennent des exemples freacutequents drsquoalternation allomorphique releveacutes dans les dialectes anciens mais neacuteanmoins bannis de lrsquoarabe classique traits qui font leur apparition dans les dialectes arabes modernes preuve de leur conti-nuelle existence31 LrsquoArabie preacute-islamique connaissait vraisemblablement plu-sieurs chaicircnons voire familles de langues agrave la fois indeacutependants de lrsquoarabe et

26 J Owens (ibid pp 51-67) discute longuement le contraste fonctionnel en arabe ancien entre les deux voyelles bregraveves i vs u

27 W Arnold et P Behnstedt Arabisch-Armaumlische Sprachbeziehungen in Qalamun (Syrien) Wiesbaden Harrassowitz 1992 pp 65-7

28 W Cowan ibid p 6229 Voir C Ehret ibid30 Voir W Cowan ibid p 61 I Young laquo The diphtongue ldquoayrdquo in Edomite raquo JSS

XXXVII1 (1992) p 2731 FC Corriente 1976 ibid p 85

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partageant quelques traits linguistiques phonologiques et morphologiques La subsistance de ces traits phonologiques et morphologiques anciens dans cer-tains parlers arabiques modernes (cf Beeston32) serait un discriminant inteacuteres-sant agrave explorer dans la classification desdits parlers Le cas exposeacute par Ingham33 drsquoĀl Murra et de ʿAjman deux tribus de lrsquoest et du sud de lrsquoArabie vivant actuellement sur des territoires voisins permet de montrer qursquoune origine geacuteographique commune est souvent refleacuteteacutee dans un dialecte uniforme Ainsi les similariteacutes linguistiques entre ces deux dialectes beacutedouins ne peuvent pas srsquoexpliquer par leur localisation actuelle mais par leur origine geacuteographique commune en lrsquooccurrence le sud-ouest de lrsquoArabie de la reacutegion de Najran aux frontiegraveres nord du Yeacutemen Quelque localiseacute qursquoil soit lrsquoexemple preacutesenteacute par Ingham soulegraveve neacuteanmoins des questions eacutepineuses en dialectologie arabe devant lrsquoextrecircme variabiliteacute des uniteacutes phonologiques dans les dialectes modernes sur quelles bases deacuteceler lrsquoheacuteritage vs la diffusion vs lrsquoinnovation Comment distinguer dans les uniteacutes phonologiques celles produites par des deacuteveloppements parallegraveles vs celles qui sont le fruit des meacutecanismes de diffu-sion vs celles issues drsquoun processus drsquoheacuteritage

La typologie qui recueille lrsquoadheacutesion de plusieurs chercheurs classe les par-lers arabes modernes en cinq grandes aires dialectales de lrsquoEst agrave lrsquoOuest 1) les dialectes de la peacuteninsule arabique 2) les dialectes meacutesopotamiens 3) les dialectes levantins 4) les dialectes eacutegyptiens et 5) les dialectes maghreacute-bins34 Cette classification recouvre au niveau de chaque reacutegion un ensemble de subdivisions lesquelles supportent agrave leur tour une foule de divisions agrave lrsquoeacutechelle locale On ne peut deacutenier au deacutecoupage de Versteegh la coheacuterence geacuteographique manifeste Cependant un certain nombre de traits phonologi-ques comme de leur variation semblent transcender les frontiegraveres reacutegionales et eacutechapper de fait agrave cette entreprise de typologie Une question subsidiaire se pose alors quelle place dans le travail de classification doit-on accorder agrave ce triple processus ie heacuteritage vs diffusion vs innovation

La classification en aires geacuteographiques est relativement reacutecente par rapport agrave drsquoautres classifications comme la classification sociologique En effet lin-guistes et autres observateurs de lrsquoaire arabophone ont montreacute depuis long-temps que la plus petite localiteacute comme la reacutegion la plus eacutetendue sont traverseacutees par une division entre ʿarab (nomades) vs hadar (seacutedentaires) Le terme hadar correspond agrave une population seacutedentaire de type citadin ou villa-geois quant agrave ʿarab il englobe des populations nomades et semi-nomades Ce qui porte le nombre drsquoentiteacutes dialectales agrave trois 1) parlers beacutedouins

32 AFL Beeston laquo Languages of the pre-islamic Arabia raquo Arabica XXVIII (1981) pp 178-18633 B Ingham laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo

Bulletin of the School of Oriental and African Studies 492 (1986) pp 271-29134 K Versteegh The Arabic language Eacutedimbourg Edinburgh University Press 1997

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nomades 2) parlers beacutedouins seacutedentaires et 3) parlers citadins Drsquoautres dis-tinctions sociologiques pertinentes nrsquoont pas eacuteteacute retenues ici comme la divi-sion citadin vs urbain vs rural35 Car le but nrsquoest pas drsquoecirctre exhaustif sur les modegraveles mais de permettre au lecteur de comprendre que diffeacuterents types de divisions se croisent Par exemple agrave la diffeacuterence de la division en aires geacuteo-graphiques le deacutecoupage sociologique (en deux en trois ou en quatre cateacutego-ries) offre lrsquoavantage de la transversaliteacute Aussi les traits linguistiques ne sont-ils plus consideacutereacutes comme coextensifs aux frontiegraveres reacutegionales mais plutocirct comme appartenant agrave une koinegrave dont les limites geacuteographiques eacutepou-sent celles de lrsquoaire arabophone Cohen36 srsquoeacutetait deacutejagrave poseacute la question de lrsquoexis-tence drsquoune koinegrave citadine unificatrice qursquoil voit non comme un point de deacutepart ndash en raison des multiples contre-exemples ndash mais plutocirct comme un aboutissement ie les parlers citadins novateurs qursquoils sont convergeraient tous vers un parler standard aux proprieacuteteacutes linguistiques communes agrave toutes les grandes citeacutes du Monde arabe Lrsquoeacutemergence de zones urbaines srsquoaccompa-gne de formes linguistiques aux origines diverses citadines urbaines beacutedoui-nes seacutedentaires ou nomades37 Leacutegitimeacutees par des prestiges drsquoordre diffeacuterent ces zones urbaines deacuteveloppent des dynamiques linguistiques caracteacuteriseacutees par lrsquohomogeacuteneacuteisationdiffeacuterenciation et des processus de standardisation Degraves lors il est permis de srsquointerroger sur la reacutesistance drsquoun trait phonologique ndash qursquoil soit beacutedouin seacutedentaire beacutedouin nomade ou citadin ndash agrave la force centri-fuge des centres urbains par le biais des processus qursquoils mobilisent comme lrsquoaccommodation linguistique et le nivellement dialectal et de la forte pres-sion du caractegravere prestigieux de leur parler local38 Si de telles variations sont

35 L Messaoudi laquo Le parler ancien de Rabat face agrave lrsquourbanisation linguistique raquo dans A Youssi F Benjelloun M Dahbi et Z Iraqui-Sinaceur (eacuteds) Aspects of the Dialects of Arabic Today Proceedings of the 4th Conference of AIDA Marrakech April 1-4 2000 Rabat Amapatril 2002 pp 223-233

36 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 197037 Cf lrsquoouvrage collectif dirigeacute C Miller E Al Wer D Caubet et J Watson Arabic in the

City ougrave plusieurs zones linguistiques sont repreacutesenteacutees38 Plusieurs titres ont eacuteteacute consacreacutes au prestige affecteacute agrave une varieacuteteacute de langue comme nous

ne pouvons les citer tous nous donnerons ici quelques sources qui nous paraissent inteacuteressantes sur cette question voir (1) lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) le travail comparatif reacutealiseacute par H Abdel Jawad laquo Cross-dialectal variation in Arabic Competing prestigious forms raquo Language in Society XVI (1987) pp 356-368 qui compare trois centres urbains dans trois pays diffeacuterents dont Bagdad en srsquoappuyant sur les reacutesultats de Blanc (3) C Holes laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 qui srsquoest inteacuteresseacute eacutegalement agrave trois centres urbains mais pour des raisons totalement diffeacuterentes de celles drsquoAbdel Jawad Il a choisi Manama (Bahreiumln) pour lrsquoopposition entre Sunnites beacutedouins et les Bahārna shiites locaux Amman (Jordanie) pour lrsquoopposition entre citadins et ceux dont les origines sont paysannes Bagdad pour les divisions entre musulmans chreacutetiens et juifs lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par MH Amara et B Spolsky laquo The construction of identity in a divided Palestinian village Sociolinguistic evidence raquo dans Language and identity in the Middle

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concevables agrave des points tregraves distants geacuteographiquement comme Sanaa Amman Le Caire ou Casablanca au particularisme sociologique indeacuteniable la classification geacuteographique et sociologique reposant essentiellement sur des uniteacutes phonologiques permeacuteables au contexte devient extrecircmement deacutelicate

Tenant compte de ces eacuteleacutements il nrsquoest pas aiseacute de constater la fragiliteacute de certains aspects phonologiques consideacutereacutes comme suffisamment saillants et caracteacuteristiques drsquoune localiteacute drsquoun pays ou drsquoune reacutegion que ce soit au niveau geacuteographique ou sociologique La lecture attentive drsquoenviron une cen-taine de contributions sur les dialectes arabes nous a permis de focaliser notre attention sur la reacutealisation de quatre phonegravemes consonantiques (trois inter-dentales t d d lrsquoocclusive uvulaire sourde q) et sur la structuration du sys-tegraveme vocalique Les descriptions articulatoires freacutequentes de ces phonegravemes nous ont permis de dresser le tableau ci-dessous (tableau ndeg 1)

Certaines valeurs phoneacutetiques bien documenteacutees sont forceacutement man-quantes dans notre synthegravese car le tableau que nous preacutesentons nrsquoa pas voca-tion agrave ecirctre exhaustif En effet et comme toute entreprise de synthegravese vouloir tenir compte en prioriteacute des tendances les plus marqueacutees et les plus repreacutesen-tatives risque en minorant voire en eacutecrasant des diffeacuterences locales tregraves nettes de meacutecontenter fatalement tous les speacutecialistes de toutes les varieacuteteacutes drsquoarabe

Pour une meilleure lecture des proprieacuteteacutes articulatoires des quatre conson-nes et du systegraveme vocalique la preacutesentation des sources bibliographiques utiliseacutees respectera le deacutecoupage geacuteographique en cinq grandes aires geacuteogra-phiques de Versteegh 1) parlers de la peacuteninsule Arabique39 2) parlers meacutesopotamiens40 3) parlers levantins41 4) parlers eacutegyptiens42 5) parlers

East and North Africa dir Y Suleiman Richmond Surrey Curzon 1996 pp 81-99 qui comparent des donneacutees linguistiques dans un village palestinien diviseacute en deux parties en 1948 et reacuteunifieacute en 1967 le travail drsquoE Al Wer laquo Education as a speaker variable raquo dans Language contact and language conflict in Arabic Variations on a sociolinguistic theme dir A Rouchdy Londres RoutledgeCurzon 2002 pp 41-53 qui compare les reacutealisations du phonegraveme tārsquo en fonction du degreacute drsquoinstruction des femmes issues de la ville de Sult (Jordanie)

39 (1) AFL Beeston ibid (2) AA Brockette laquo The spoken Arabic of Khābūra raquo JSS 1985 (3) RL Cleveland laquo A classification for the Arabic dialects of Jordan raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 171 (1963) pp 56-63 (4) C Holes laquo Patterns of communal language variation in Bahrain raquo Language in Society XII (1983) pp 433-457 id laquo Towards a dialect geography of Oman raquo BSOAS 523 (1989) pp 446-462 id laquo Kashkasha with fronting and affrication of the selar stops revisited A Contribution to the historical philology of the pensinsular Arabic dialects raquo dans A Kaye (eacuted) Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau Wiesbaden Harrassowitz 1991 652-678 id laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 (5) B Ingham laquo Some characteristics of Meccan speech raquo BSOAS 343 (1971) pp 533-553 id laquo Regional and social factors in the dialect geography of southern Iraq and Khuzistan raquo BSOAS 391 (1976) pp 62-82 id North East Arabian dialects Londres KPI 1982 id laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo BSOAS 492 (1986) pp 271-291 (6) TM Johnstone

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40 41 42

laquo Some characteristics of the Dōsiri dialect of Arabic as spoken in Kuwait raquo BSOAS 242 (1961) p id laquo The affrication of laquo kaf raquo and laquo gaf raquo in the Arabic dialects of the Arabian Peninsula raquo JSS VIII (1963) pp 210-226 id Eastern Arabian dialects studies Londres Oxford University Press 1967 (7) Chaim Rabin Ancient West-Arabian

40 (1) H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) B Ingham laquo Urban and rural Arabic in Khuzistan raquo BSOAS 362 (1973) pp 271-291 id 1976 (3) O Jastrow laquo The qəltu Arabic dialects of Mesopotamian Arabic raquo dans J Aguadeacute F Corriente et M Marugaacuten (eacuteds) Actas del Congreso Internacional sobre Interferencias Linguumliacutesticas Arabo-Romanes y Parallelos Extra-Ibeacutericos Zaragoza Navarro et Navarro 1994 pp 119-123 (4) TM Johnstone 1963 et 1967 (5) J Lecerf laquo Addenda sur le dialecte arabe musulman de Bagdad raquo Arabica XIV (1967) pp 5-13 (6) G Oussani laquo The Arabic dialect of Baghdad raquo Journal of the American Oriental Society XXII (1901) pp 97-114

41 (1) J-P Angoujard laquo Marqueur du feacuteminin et systegraveme vocalique dans lrsquoarabe de Damas raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 345-357 (2) M Barbot Eacutevolution de lrsquoarabe contemporain bibliographie drsquoarabe moderne et du levant vol I Introduction au parler de Damas vol II Les sons du parler de Damas Paris Maisonneuve 1981 (3) G Bohas laquo Sonoriteacute et structure syllabique dans le parler de Damas raquo Arabica XXXIII (1986) pp 199-215 (4) J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre id laquo Eacutetudes sur quelques parlers de nomades arabes drsquoOrient raquo Annales des lrsquoInstitut drsquoEacutetudes Orientales (Universiteacute drsquoAlger) 2 (1936) pp 1-118 et 3 (1937) pp 119-237 id Les parlers arabes du Hōrān Notions geacuteneacuterales grammaire Paris Klincksieck 1946 (5) RL Cleveland 1963 id laquo Notes on an Arabic dialect of southern Palestine raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 185 (1967) pp 43-57 (6) C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua XXXXIX (1979) pp 153-168 (7) M Piamenta laquo Jerusalem Arabic lexicon raquo Arabica XXVI (1979) XXVI pp 229-266 (8) J Rosenhouse laquo An analysis of major tendencies in the development of the Bedouin dialects of the north of Israel raquo BSOAS 451 (1982) pp 14-38 id laquo Towards a classification of Bedouin dialects in Israel raquo BSOAS 473 (1984) pp 508-522

42 (1) H Birkeland Growth and Structure of the Egyptian Arabic Dialect Oslo Jacob Dybwad 1952 (2) WB Bishai laquo Nature and extent of Coptic phonological influence on Egyptian

Tableau ndeg 1 reacutealisations de lrsquoocclusive uvulaire q des interdentales fricati-ves t d d et organisation du systegraveme vocalique en fonction des divisions

geacuteo-sociologiques (selon la litteacuterature)

Division geacuteographique sociologique

Arabique Meacutesopotamien Levantin Eacutegyptien Maghreacutebin

beacutedouins nomades

ǵ-ǧ t d d ī ūē ō ā i u a

ǧ t d d ī ū ē ō ā i u a

k t d d ī ū ē ō ā i u a

g s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

beacutedouins seacutedentaires

ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

g t d d ī ū ē ō ā i u a

ḳ-g t d d ī ū ē ō ā i u a

k s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

citadins ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

q t d ḍ ī ū ē ō ā i u a

ʔ t-s d-z ḍ-ẓ ī ū ē ō ā i u a

rsquo s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

q t d d ī ū ā i u a ǝ

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 2: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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lrsquoeacutevaluation des traits linguistiques 1) arabe eacuteloquent agrave imiter 2) acceptable mais ne peut servir de modegravele et 3) incorrect agrave eacuteviter et agrave condamner Leur conception de ce que doit ecirctre al-ʿarabiyya srsquoest traduite par lrsquoeacuteleacutevation au rang de modegravele des caracteacuteristiques linguistiques dialectales preacutesentes dans la koinegrave poeacutetique preacute-islamique une certaine toleacuterance agrave lrsquoeacutegard de traits pro-prement beacutedouins et un rejet quasi systeacutematique de traits citadins1

La formidable effervescence de cette eacutepoque a focaliseacute lrsquointeacuterecirct sur les seuls traits linguistiques de la fushā les dialectes arabes anciens ne retenaient plus lrsquoattention des chercheurs Pendant plus drsquoun milleacutenaire ces dialectes eacutetaient retombeacutes dans lrsquooubli et il a fallu attendre la fin du XIXe et le deacutebut du XXe siegravecle pour assister dans la fouleacutee de la grammaire compareacutee du seacutemitique agrave des eacutetudes de dialectologie arabe Durant le milleacutenaire qui seacutepare les deux mouvements ndash celui des grammairiens anciens et celui de la dialectologie moderne ndash lrsquoespace geacuteographique arabophone srsquoest largement eacutetendu

Avec la profonde mutation deacutemographique et sociale qursquoont connue les pays arabes au cours du XXe siegravecle ont eacuteclos drsquoimportants centres urbains zones par excellence de contacts de langues Ces grands centres ont exerceacute une influence non neacutegligeable sur lrsquoeacutemergence de nouvelles koinegraves2

Lrsquoobjectif central de cette eacutetude est drsquoamener dans le champ de la dialecto-logie arabe et dans lrsquoentreprise de classification des dialectes arabes modernes des objets linguistiques non encore exploreacutes car trop speacutecifiques ou confineacutes aux eacutetudes phoneacutetiques expeacuterimentales Pour ce faire une revue bibliographi-que des principales caracteacuteristiques phonologiques de plusieurs formes et varieacuteteacutes linguistiques arabes sera effectueacutee en commenccedilant par la forme reconstitueacutee le protoarabe les dialectes arabes anciens3 lrsquoarabe classique lrsquoarabe moyen lrsquoarabe moderne et les dialectes arabes modernes La revue bibliographique permettra drsquoeacuteclairer les meacutecanismes de transmission drsquoin-fluence et drsquoeacutevolution qui sous-tendent les traits phonologiques entre les dif-feacuterentes formes arabes Toutefois il est agrave preacuteciser que notre compeacutetence dans le domaine de la linguistique historique est faible Lrsquoeacutelucidation des meacutecanis-mes susmentionneacutes sera limiteacutee au domaine phonologique en eacutetudiant la

1 Voir FC Corriente laquo From old Arabic to classical Arabic through the pre-Islamic koine some notes on the native grammarians raquo Journal of Semitic Studies XXI (1976) p 63

2 C Miller E Al Wer D Caubet et J Watson (eacuteds) Arabic in the City Issues in Dialect Contact and Language Variation Londres Routledge (laquo Arabic Linguistic Series raquo) 2007

3 La deacutefinition de lsquodialectes anciensrsquo peut srsquoaveacuterer controverseacutee je renvoie ici au travail de C Rabin Ancient West-Arabian Londres Taylorrsquos Foreign Press 1951 agrave la deacutefinition de J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford Oxford University Press 2006 p 4 et 11-12 et agrave la note 1 p 4 ougrave Owens discute la deacutefinition qursquoen donne MC MacDonald laquo Reflections on the linguistic map of Pre-Islamic Arabia raquo Arabian Archaeology and Epigraphy XI (2000) pp 28-79

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question des liens existant entre les dialectes arabes anciens et lrsquoarabe classi-que entre lrsquoarabe classique et les dialectes modernes entre les dialectes arabes anciens et modernes Cette question constitue la probleacutematique centrale du travail drsquoOwens4 cependant la perspective et les objectifs en sont relativement diffeacuterents La perspective drsquoOwens prend comme point de deacutepart la diversiteacute des dialectes arabes modernes en vue de la compreacutehension du fonctionne-ment de formes drsquoarabe plus anciennes via un systegraveme complexe de laquo lois raquo essentiellement morphologiques Le recours aux formes reconstruites bien qursquooccasionnel dans notre cas est leacutegitimeacute par le besoin drsquoexpliquer la diver-siteacute actuelle des dialectes modernes et la comprendre

1 Lrsquoeacutevolution du phoneacutetisme arabe

Les recherches sur les protolangues peuvent donner un eacuteclairage inteacuteressant facilitant notre compreacutehension de lrsquoeacutevolution des dialectes arabes modernes La classification des langues afroasiatiques au cours du XXe siegravecle teacutemoigne du rocircle fondamental joueacute par les eacuteleacutements linguistiques de niveau phonolo-gique morphologique ou lexical dans lrsquoarchitecture de ce phylum5 La classi-fication des langues seacutemitiques est faite eacutegalement sur des bases linguistiques similaires Il se deacutegage de certaines eacutetudes que lrsquoarabe tient une place particu-liegravere dans le phylum seacutemitique en raison du maintien drsquoun nombre impor-tant de consonnes dentales agrave tel point que certains chercheurs affirment que lrsquoarabe est la forme la plus archaiumlque qui pourrait nous rapprocher du proto-seacutemitique6 Or drsquoapregraves Corriente7 le phoneacutetisme de lrsquoarabe a beaucoup eacutevo-lueacute Cette eacutevolution serait masqueacutee par une tendance relative dans les eacutetudes linguistiques et dialectologiques arabes agrave attribuer aux graphegravemes arabes des valeurs phoneacutetiques absolues et immuables Toutefois lrsquoutilisation des graphegrave-mes dans les descriptions phoneacutetiques ne preacutesente pas que des inconveacutenients

4 J Owens ibid5 Voir C Ehret laquo Reconstructing Proto-Afroasiatic (Proto-Afrasian) Vowels Tone Consonants

and Vocabulary raquo Linguistics 126 (1995) JH Greenberg Studies in African linguistic classification New Haven Compass 1955 H Fleming laquo Omotic as branch of Afroasiatic raquo Studies in African Linguistics supp V (1974) pp 81-94 R Hetzron laquo The limits of Cushitic raquo Sprache und Geschichte in Afrika II (1980) pp 7-126 M Cohen laquo Les langues chamito-seacutemitiques raquo Les langues du monde par un groupe de linguistes sous la direction drsquoAntoine Meillet et Marcel Cohen Paris Champion 1924 pp 81-151 hors-texte planche 2 B CF Voegelin et FM Voegelin Classification and index of the worldrsquos languages New York Elsevier 1977

6 Pour une synthegravese voir K Petraacuteček laquo Le systegraveme de lrsquoarabe dans une perspective diachronique raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 162-177

7 FC Corriente ibid pp 76

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elle rend possible la comparaison drsquoau moins deux eacutetats de la langue lrsquoarabe classique8 et lrsquoarabe moderne Une appreacuteciation attentive des descriptions pho-neacutetiques de quatre consonnes par les grammairiens anciens etou par des lin-guistes contemporains nous montre que le passage de lrsquoarabe classique agrave lrsquoarabe moderne nrsquoest pas une stricte iteacuteration de systegraveme phonologique

Deux des quatre consonnes qui nous inteacuteressent partagent plusieurs proprieacuteteacutes sensori-motrices (articulatoires et acoustiques) il srsquoagit des sibilantes sīn ( س) et šīn ( ش) Les descriptions de ces deux consonnes par les grammairiens anciens (cf al-Halīl9 (m 786) auteur de Kitāb al-lsquoAyn Sībawayhi10 (m 793) dans al-Kitāb al-Rāzī11 (m 934) dans Kitāb al-Zīna fī l-kalimāt al-islāmiyya l-lsquoarabiyya al-Azharī (895-980) dans Tahdīb al-luga al-Sīrāfī (893-979) dans Šarh al-Kitāb Ibn Ginnī (m 1002) dans al-Hasārsquois Avicenne (m 1037) dans Risāla) ne correspondent pas aux s et š que nous connaissons en arabe moderne mais plutocirct agrave š et ś Lrsquohypothegravese drsquoune articulation plus posteacute-rieure de ces deux consonnes jaillit clairement de la comparaison de vocables de plusieurs langues seacutemitiques (Beeston12 Fraenkel13 Cantineau14 Faber15 Cowan16

8 Voir la deacutefinition de ce terme par J Owens A Linguistic History of Arabic 2006 p 5 et pp 85-101

9 Voir A Roman laquo Les zones drsquoarticulation de la koinegrave arabe drsquoapregraves lrsquoenseignement drsquoal-Halīl raquo Arabica XXIV1 (1977) pp 58-65

-wa-min wasat al-lisān baynahu wa-bayna wasat al-hanak al-alsquolā mahrag al-gīm wa-l (ش ) 10šīn wa-l-yārsquo (laquo du milieu de la langue entre celle-ci et le milieu du palais est la place drsquoarticulation de gīm šīn et yārsquo raquo)

wa-mimmā bayna taraf al-lisān wa-fuwayqa al-tanāyā mahrag al-zāy wa-l-sīn wa-l-sād (س )(laquo de la pointe de la langue et un peu au-dessus des incisives se trouve le point drsquoarticulation de zāy sīn et sād raquo)

11 G Vajda laquo Les lettres et les sons de la langue arabe drsquoapregraves Abū Hatim al-Rāzī raquo Arabica VIII2 (1960) pp 113-130

12 Voir AFL Beeston laquo Arabian sibilants raquo JSS VII (1962) pp 222-233 A Murtonen laquo The Semitic sibilants raquo JSS XI (1966) pp 135-150

13 S Fraenkel Die aramaumlischen Fremdwoumlrter im Arabischen Leyde Hildesheim 1886 (reacuteimp 1962)

14 J Cantineau dans Le dialecte arabe de Palmyre Beyrouth Institut franccedilais de Damas 1934 constate en effet que face au s du protoseacutemitique [mšgdrsquomsgdrsquo] du nabateacuteen correspond [masgid] de lrsquoarabe moderne face agrave š du protoseacutemitique [nfšrsquonfsrsquo] du nabateacuteen correspond [nafs] de lrsquoarabe moderne face agrave ś du protoseacutemitique [šrfywsrfyw] du nabateacuteen correspond [šaraf] de lrsquoarabe moderne

15 A Faber laquo Semitic sibilants in an Afro-asiatic context raquo JSS XXIX (1984) pp 189-22416 Le mot salām a comme eacutequivalent en heacutebreu šalōm accadien šalāmu syriaque

šəlāmā eacutethiopien salām protoseacutemitique šalām le mot lisān a comme eacutequivalent en heacutebreu lāšōn accadien lišānu syriaque leššānā eacutethiopien lesān et protoarabe lisān le mot nās a comme eacutequivalent en heacutebreu lsquoenōš arameacuteen nāšā protoarabe nās dans W Cowan laquo Arabic evidence for proto-Semitic awa and o raquo Language XXXVI1 (1960) pp 60-62

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McDonald17 Murtonen18) ou de processus drsquoemprunt agrave lrsquoarabe par les langues latines (Latham19)

Agrave lrsquoinstar de ( س) et de ( ش) un troisiegraveme graphegraveme peut teacutemoigner de lrsquoeacutevolution du systegraveme phonologique de lrsquoarabe Lrsquoactuel dād ( ض) de lrsquoarabe moderne avait sans aucun doute un ancecirctre protoarabe lateacuteral20 transcrit d Si lrsquoeacutevolution de son articulation en arabe moderne et dans les dialectes ara-bes modernes beacutedouins et urbains ne fait aucun doute le chemin emprunteacute par cette eacutevolution ne fait cependant pas lrsquounanimiteacute parmi les chercheurs (cf Corriente21 Al Wer22) Le quatriegraveme graphegraveme pouvant soutenir lrsquoeacutevolu-tion du phoneacutetisme arabe est gīm ( ج) qui est post-alveacuteolaire g en arabe moderne Chez les grammairiens anciens cette consonne est reacuteunie avec la sibilante šīn (ش) et la lateacuterale dād (ض) dans un groupe qui vient juste apregraves qāf (ق) et kāf (ك) Gīm ( ج) correspond donc par la description qursquoen donne Sībawayhi agrave une articulation meacutedio voire post-palatale et aurait connu selon toute vraisemblance lrsquoeacutevolution suivante ggtɟgtg23

Ce que les graphegravemes permettent pour les consonnes ils ne le permettent pas de maniegravere indiscutable pour les voyelles La raison principale est le carac-tegravere consonantique de lrsquoabeacuteceacutedaire arabe Neacuteanmoins une des pistes a eacuteteacute exploreacutee par quelques chercheurs notamment par Cowan24 et Rabin25 Les deux auteurs ont exploreacute une voie nouvelle en dialectologie en comparant les dialectes non pas agrave lrsquoarabe classique mais agrave une forme plus ancienne comme le protoarabe et le protoseacutemitique Srsquoappuyant sur des correspondances entre les dialectes arabes drsquoAsie centrale et lrsquoarabe classique Cowan constate que lagrave ougrave les dialectes asiatiques ont un ō comme dans les mots [golsquoōn] [kitōb] [ramōd] [mōt] [salō] et [rsquoasō] lrsquoarabe classique oppose la voyelle ā Lrsquohypo-thegravese soutenue ici est que le protoarabe avait le phonegraveme ō deacuteriveacute lui-mecircme

17 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46

18 A Murtonen ibid p 14019 JD Latham laquo Arabic into Medieval Latin raquo JSS XVII (1972) pp 30-67 20 Voir J Cantineau Eacutetude de linguistique arabe Paris Klincksieck 1960 FC Corriente

laquo ldquoD-Lrdquo doublets in classical Arabic as evidence of the process of de-lateralisation of ldquodadrdquo and development of its standard reflex raquo JSS XXIII (1978) pp 50-55 CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language XXXV4 (1959) pp 616-630

21 FC Corriente ibid22 E Al Wer laquo Variability reproduced A variationist view of the [eth][d] opposition in

modern Arabic dialects raquo K Versteegh M Haak et R de Jong (eacuteds) Approaches to Arabic Dialectology Amsterdam Brill Academic Publishers 2003 pp 21-31

23 Voir MV McDonald ibid24 Voir W Cowan ibid CH Toy laquo The Semitic vowel a raquo The American Journal of Philology

II8 (1881) pp 446-45725 C Rabin Ancient West-Arabian

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drsquoun phonegraveme similaire en protoseacutemitique et partant un systegraveme vocalique dans les deux protolangues plus dense que ce qui est preacutesenteacute habituellement ie trois voyelles bregraveves i u a26 et trois correspondantes longues ī ū ā Cette hypothegravese est drsquoautant plus plausible que le travail fait anteacuterieurement par Rabin sur lrsquoAncient west-Arabian cite les deux derniers lexegravemes ([salō] et [rsquoasō]) Lrsquoorigine arameacuteenne ne doit pas ecirctre neacutegligeacutee des sources bibliographi-ques penchent pour une influence du ō arameacuteen sur lrsquoarabe syrien ā gt ō27

La densiteacute du systegraveme vocalique du protoarabe est deacutefendue dans le travail susmentionneacute de Rabin qui a reconstruit le phonegraveme ē Ces eacuteleacutements per-mettent agrave Cowan comme agrave Rabin drsquoaffirmer que le systegraveme vocalique du seacutemitique primitif comme celui du protoarabe eacutetait composeacute non pas de six voyelles mais de huit trois bregraveves i u a et cinq longues ī ū ē ō ā Des points de vue aussi bien qualitatif (timbres vocaliques) que quantitatif (leur nombre) le systegraveme vocalique du protoseacutemitique serait plus proche de celui des dialectes arabes modernes drsquoOrient que du systegraveme vocalique de lrsquoarabe classi-que28 La thegravese drsquoun systegraveme vocalique plus dense en protoseacutemitique est deacutefen-due eacutegalement par Ehret qui montre que le proto-afroasiatique posseacutedait cinq timbres vocaliques enrichis par des oppositions de quantiteacute Les cinq timbres se seraient contracteacutes dans certaines branches du phylum comme le proto-berbegravere le proto-eacutegyptien et le protoseacutemitique29 Des indices tireacutes de transcription de noms montrent que les diphtongues du protoseacutemitique ay et aw ont eacutevo-lueacute dans les langues de la branche seacutemitique occidentale respectivement en ē et ō et ce agrave une eacutepoque plutocirct ancienne environ 700 ans avant notre egravere30

2 La typologie des dialectes arabes modernes

Corriente indique que les traiteacutes de grammaire arabe des premiers siegravecles contiennent des exemples freacutequents drsquoalternation allomorphique releveacutes dans les dialectes anciens mais neacuteanmoins bannis de lrsquoarabe classique traits qui font leur apparition dans les dialectes arabes modernes preuve de leur conti-nuelle existence31 LrsquoArabie preacute-islamique connaissait vraisemblablement plu-sieurs chaicircnons voire familles de langues agrave la fois indeacutependants de lrsquoarabe et

26 J Owens (ibid pp 51-67) discute longuement le contraste fonctionnel en arabe ancien entre les deux voyelles bregraveves i vs u

27 W Arnold et P Behnstedt Arabisch-Armaumlische Sprachbeziehungen in Qalamun (Syrien) Wiesbaden Harrassowitz 1992 pp 65-7

28 W Cowan ibid p 6229 Voir C Ehret ibid30 Voir W Cowan ibid p 61 I Young laquo The diphtongue ldquoayrdquo in Edomite raquo JSS

XXXVII1 (1992) p 2731 FC Corriente 1976 ibid p 85

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partageant quelques traits linguistiques phonologiques et morphologiques La subsistance de ces traits phonologiques et morphologiques anciens dans cer-tains parlers arabiques modernes (cf Beeston32) serait un discriminant inteacuteres-sant agrave explorer dans la classification desdits parlers Le cas exposeacute par Ingham33 drsquoĀl Murra et de ʿAjman deux tribus de lrsquoest et du sud de lrsquoArabie vivant actuellement sur des territoires voisins permet de montrer qursquoune origine geacuteographique commune est souvent refleacuteteacutee dans un dialecte uniforme Ainsi les similariteacutes linguistiques entre ces deux dialectes beacutedouins ne peuvent pas srsquoexpliquer par leur localisation actuelle mais par leur origine geacuteographique commune en lrsquooccurrence le sud-ouest de lrsquoArabie de la reacutegion de Najran aux frontiegraveres nord du Yeacutemen Quelque localiseacute qursquoil soit lrsquoexemple preacutesenteacute par Ingham soulegraveve neacuteanmoins des questions eacutepineuses en dialectologie arabe devant lrsquoextrecircme variabiliteacute des uniteacutes phonologiques dans les dialectes modernes sur quelles bases deacuteceler lrsquoheacuteritage vs la diffusion vs lrsquoinnovation Comment distinguer dans les uniteacutes phonologiques celles produites par des deacuteveloppements parallegraveles vs celles qui sont le fruit des meacutecanismes de diffu-sion vs celles issues drsquoun processus drsquoheacuteritage

La typologie qui recueille lrsquoadheacutesion de plusieurs chercheurs classe les par-lers arabes modernes en cinq grandes aires dialectales de lrsquoEst agrave lrsquoOuest 1) les dialectes de la peacuteninsule arabique 2) les dialectes meacutesopotamiens 3) les dialectes levantins 4) les dialectes eacutegyptiens et 5) les dialectes maghreacute-bins34 Cette classification recouvre au niveau de chaque reacutegion un ensemble de subdivisions lesquelles supportent agrave leur tour une foule de divisions agrave lrsquoeacutechelle locale On ne peut deacutenier au deacutecoupage de Versteegh la coheacuterence geacuteographique manifeste Cependant un certain nombre de traits phonologi-ques comme de leur variation semblent transcender les frontiegraveres reacutegionales et eacutechapper de fait agrave cette entreprise de typologie Une question subsidiaire se pose alors quelle place dans le travail de classification doit-on accorder agrave ce triple processus ie heacuteritage vs diffusion vs innovation

La classification en aires geacuteographiques est relativement reacutecente par rapport agrave drsquoautres classifications comme la classification sociologique En effet lin-guistes et autres observateurs de lrsquoaire arabophone ont montreacute depuis long-temps que la plus petite localiteacute comme la reacutegion la plus eacutetendue sont traverseacutees par une division entre ʿarab (nomades) vs hadar (seacutedentaires) Le terme hadar correspond agrave une population seacutedentaire de type citadin ou villa-geois quant agrave ʿarab il englobe des populations nomades et semi-nomades Ce qui porte le nombre drsquoentiteacutes dialectales agrave trois 1) parlers beacutedouins

32 AFL Beeston laquo Languages of the pre-islamic Arabia raquo Arabica XXVIII (1981) pp 178-18633 B Ingham laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo

Bulletin of the School of Oriental and African Studies 492 (1986) pp 271-29134 K Versteegh The Arabic language Eacutedimbourg Edinburgh University Press 1997

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nomades 2) parlers beacutedouins seacutedentaires et 3) parlers citadins Drsquoautres dis-tinctions sociologiques pertinentes nrsquoont pas eacuteteacute retenues ici comme la divi-sion citadin vs urbain vs rural35 Car le but nrsquoest pas drsquoecirctre exhaustif sur les modegraveles mais de permettre au lecteur de comprendre que diffeacuterents types de divisions se croisent Par exemple agrave la diffeacuterence de la division en aires geacuteo-graphiques le deacutecoupage sociologique (en deux en trois ou en quatre cateacutego-ries) offre lrsquoavantage de la transversaliteacute Aussi les traits linguistiques ne sont-ils plus consideacutereacutes comme coextensifs aux frontiegraveres reacutegionales mais plutocirct comme appartenant agrave une koinegrave dont les limites geacuteographiques eacutepou-sent celles de lrsquoaire arabophone Cohen36 srsquoeacutetait deacutejagrave poseacute la question de lrsquoexis-tence drsquoune koinegrave citadine unificatrice qursquoil voit non comme un point de deacutepart ndash en raison des multiples contre-exemples ndash mais plutocirct comme un aboutissement ie les parlers citadins novateurs qursquoils sont convergeraient tous vers un parler standard aux proprieacuteteacutes linguistiques communes agrave toutes les grandes citeacutes du Monde arabe Lrsquoeacutemergence de zones urbaines srsquoaccompa-gne de formes linguistiques aux origines diverses citadines urbaines beacutedoui-nes seacutedentaires ou nomades37 Leacutegitimeacutees par des prestiges drsquoordre diffeacuterent ces zones urbaines deacuteveloppent des dynamiques linguistiques caracteacuteriseacutees par lrsquohomogeacuteneacuteisationdiffeacuterenciation et des processus de standardisation Degraves lors il est permis de srsquointerroger sur la reacutesistance drsquoun trait phonologique ndash qursquoil soit beacutedouin seacutedentaire beacutedouin nomade ou citadin ndash agrave la force centri-fuge des centres urbains par le biais des processus qursquoils mobilisent comme lrsquoaccommodation linguistique et le nivellement dialectal et de la forte pres-sion du caractegravere prestigieux de leur parler local38 Si de telles variations sont

35 L Messaoudi laquo Le parler ancien de Rabat face agrave lrsquourbanisation linguistique raquo dans A Youssi F Benjelloun M Dahbi et Z Iraqui-Sinaceur (eacuteds) Aspects of the Dialects of Arabic Today Proceedings of the 4th Conference of AIDA Marrakech April 1-4 2000 Rabat Amapatril 2002 pp 223-233

36 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 197037 Cf lrsquoouvrage collectif dirigeacute C Miller E Al Wer D Caubet et J Watson Arabic in the

City ougrave plusieurs zones linguistiques sont repreacutesenteacutees38 Plusieurs titres ont eacuteteacute consacreacutes au prestige affecteacute agrave une varieacuteteacute de langue comme nous

ne pouvons les citer tous nous donnerons ici quelques sources qui nous paraissent inteacuteressantes sur cette question voir (1) lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) le travail comparatif reacutealiseacute par H Abdel Jawad laquo Cross-dialectal variation in Arabic Competing prestigious forms raquo Language in Society XVI (1987) pp 356-368 qui compare trois centres urbains dans trois pays diffeacuterents dont Bagdad en srsquoappuyant sur les reacutesultats de Blanc (3) C Holes laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 qui srsquoest inteacuteresseacute eacutegalement agrave trois centres urbains mais pour des raisons totalement diffeacuterentes de celles drsquoAbdel Jawad Il a choisi Manama (Bahreiumln) pour lrsquoopposition entre Sunnites beacutedouins et les Bahārna shiites locaux Amman (Jordanie) pour lrsquoopposition entre citadins et ceux dont les origines sont paysannes Bagdad pour les divisions entre musulmans chreacutetiens et juifs lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par MH Amara et B Spolsky laquo The construction of identity in a divided Palestinian village Sociolinguistic evidence raquo dans Language and identity in the Middle

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concevables agrave des points tregraves distants geacuteographiquement comme Sanaa Amman Le Caire ou Casablanca au particularisme sociologique indeacuteniable la classification geacuteographique et sociologique reposant essentiellement sur des uniteacutes phonologiques permeacuteables au contexte devient extrecircmement deacutelicate

Tenant compte de ces eacuteleacutements il nrsquoest pas aiseacute de constater la fragiliteacute de certains aspects phonologiques consideacutereacutes comme suffisamment saillants et caracteacuteristiques drsquoune localiteacute drsquoun pays ou drsquoune reacutegion que ce soit au niveau geacuteographique ou sociologique La lecture attentive drsquoenviron une cen-taine de contributions sur les dialectes arabes nous a permis de focaliser notre attention sur la reacutealisation de quatre phonegravemes consonantiques (trois inter-dentales t d d lrsquoocclusive uvulaire sourde q) et sur la structuration du sys-tegraveme vocalique Les descriptions articulatoires freacutequentes de ces phonegravemes nous ont permis de dresser le tableau ci-dessous (tableau ndeg 1)

Certaines valeurs phoneacutetiques bien documenteacutees sont forceacutement man-quantes dans notre synthegravese car le tableau que nous preacutesentons nrsquoa pas voca-tion agrave ecirctre exhaustif En effet et comme toute entreprise de synthegravese vouloir tenir compte en prioriteacute des tendances les plus marqueacutees et les plus repreacutesen-tatives risque en minorant voire en eacutecrasant des diffeacuterences locales tregraves nettes de meacutecontenter fatalement tous les speacutecialistes de toutes les varieacuteteacutes drsquoarabe

Pour une meilleure lecture des proprieacuteteacutes articulatoires des quatre conson-nes et du systegraveme vocalique la preacutesentation des sources bibliographiques utiliseacutees respectera le deacutecoupage geacuteographique en cinq grandes aires geacuteogra-phiques de Versteegh 1) parlers de la peacuteninsule Arabique39 2) parlers meacutesopotamiens40 3) parlers levantins41 4) parlers eacutegyptiens42 5) parlers

East and North Africa dir Y Suleiman Richmond Surrey Curzon 1996 pp 81-99 qui comparent des donneacutees linguistiques dans un village palestinien diviseacute en deux parties en 1948 et reacuteunifieacute en 1967 le travail drsquoE Al Wer laquo Education as a speaker variable raquo dans Language contact and language conflict in Arabic Variations on a sociolinguistic theme dir A Rouchdy Londres RoutledgeCurzon 2002 pp 41-53 qui compare les reacutealisations du phonegraveme tārsquo en fonction du degreacute drsquoinstruction des femmes issues de la ville de Sult (Jordanie)

39 (1) AFL Beeston ibid (2) AA Brockette laquo The spoken Arabic of Khābūra raquo JSS 1985 (3) RL Cleveland laquo A classification for the Arabic dialects of Jordan raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 171 (1963) pp 56-63 (4) C Holes laquo Patterns of communal language variation in Bahrain raquo Language in Society XII (1983) pp 433-457 id laquo Towards a dialect geography of Oman raquo BSOAS 523 (1989) pp 446-462 id laquo Kashkasha with fronting and affrication of the selar stops revisited A Contribution to the historical philology of the pensinsular Arabic dialects raquo dans A Kaye (eacuted) Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau Wiesbaden Harrassowitz 1991 652-678 id laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 (5) B Ingham laquo Some characteristics of Meccan speech raquo BSOAS 343 (1971) pp 533-553 id laquo Regional and social factors in the dialect geography of southern Iraq and Khuzistan raquo BSOAS 391 (1976) pp 62-82 id North East Arabian dialects Londres KPI 1982 id laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo BSOAS 492 (1986) pp 271-291 (6) TM Johnstone

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40 41 42

laquo Some characteristics of the Dōsiri dialect of Arabic as spoken in Kuwait raquo BSOAS 242 (1961) p id laquo The affrication of laquo kaf raquo and laquo gaf raquo in the Arabic dialects of the Arabian Peninsula raquo JSS VIII (1963) pp 210-226 id Eastern Arabian dialects studies Londres Oxford University Press 1967 (7) Chaim Rabin Ancient West-Arabian

40 (1) H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) B Ingham laquo Urban and rural Arabic in Khuzistan raquo BSOAS 362 (1973) pp 271-291 id 1976 (3) O Jastrow laquo The qəltu Arabic dialects of Mesopotamian Arabic raquo dans J Aguadeacute F Corriente et M Marugaacuten (eacuteds) Actas del Congreso Internacional sobre Interferencias Linguumliacutesticas Arabo-Romanes y Parallelos Extra-Ibeacutericos Zaragoza Navarro et Navarro 1994 pp 119-123 (4) TM Johnstone 1963 et 1967 (5) J Lecerf laquo Addenda sur le dialecte arabe musulman de Bagdad raquo Arabica XIV (1967) pp 5-13 (6) G Oussani laquo The Arabic dialect of Baghdad raquo Journal of the American Oriental Society XXII (1901) pp 97-114

41 (1) J-P Angoujard laquo Marqueur du feacuteminin et systegraveme vocalique dans lrsquoarabe de Damas raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 345-357 (2) M Barbot Eacutevolution de lrsquoarabe contemporain bibliographie drsquoarabe moderne et du levant vol I Introduction au parler de Damas vol II Les sons du parler de Damas Paris Maisonneuve 1981 (3) G Bohas laquo Sonoriteacute et structure syllabique dans le parler de Damas raquo Arabica XXXIII (1986) pp 199-215 (4) J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre id laquo Eacutetudes sur quelques parlers de nomades arabes drsquoOrient raquo Annales des lrsquoInstitut drsquoEacutetudes Orientales (Universiteacute drsquoAlger) 2 (1936) pp 1-118 et 3 (1937) pp 119-237 id Les parlers arabes du Hōrān Notions geacuteneacuterales grammaire Paris Klincksieck 1946 (5) RL Cleveland 1963 id laquo Notes on an Arabic dialect of southern Palestine raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 185 (1967) pp 43-57 (6) C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua XXXXIX (1979) pp 153-168 (7) M Piamenta laquo Jerusalem Arabic lexicon raquo Arabica XXVI (1979) XXVI pp 229-266 (8) J Rosenhouse laquo An analysis of major tendencies in the development of the Bedouin dialects of the north of Israel raquo BSOAS 451 (1982) pp 14-38 id laquo Towards a classification of Bedouin dialects in Israel raquo BSOAS 473 (1984) pp 508-522

42 (1) H Birkeland Growth and Structure of the Egyptian Arabic Dialect Oslo Jacob Dybwad 1952 (2) WB Bishai laquo Nature and extent of Coptic phonological influence on Egyptian

Tableau ndeg 1 reacutealisations de lrsquoocclusive uvulaire q des interdentales fricati-ves t d d et organisation du systegraveme vocalique en fonction des divisions

geacuteo-sociologiques (selon la litteacuterature)

Division geacuteographique sociologique

Arabique Meacutesopotamien Levantin Eacutegyptien Maghreacutebin

beacutedouins nomades

ǵ-ǧ t d d ī ūē ō ā i u a

ǧ t d d ī ū ē ō ā i u a

k t d d ī ū ē ō ā i u a

g s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

beacutedouins seacutedentaires

ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

g t d d ī ū ē ō ā i u a

ḳ-g t d d ī ū ē ō ā i u a

k s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

citadins ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

q t d ḍ ī ū ē ō ā i u a

ʔ t-s d-z ḍ-ẓ ī ū ē ō ā i u a

rsquo s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

q t d d ī ū ā i u a ǝ

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

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question des liens existant entre les dialectes arabes anciens et lrsquoarabe classi-que entre lrsquoarabe classique et les dialectes modernes entre les dialectes arabes anciens et modernes Cette question constitue la probleacutematique centrale du travail drsquoOwens4 cependant la perspective et les objectifs en sont relativement diffeacuterents La perspective drsquoOwens prend comme point de deacutepart la diversiteacute des dialectes arabes modernes en vue de la compreacutehension du fonctionne-ment de formes drsquoarabe plus anciennes via un systegraveme complexe de laquo lois raquo essentiellement morphologiques Le recours aux formes reconstruites bien qursquooccasionnel dans notre cas est leacutegitimeacute par le besoin drsquoexpliquer la diver-siteacute actuelle des dialectes modernes et la comprendre

1 Lrsquoeacutevolution du phoneacutetisme arabe

Les recherches sur les protolangues peuvent donner un eacuteclairage inteacuteressant facilitant notre compreacutehension de lrsquoeacutevolution des dialectes arabes modernes La classification des langues afroasiatiques au cours du XXe siegravecle teacutemoigne du rocircle fondamental joueacute par les eacuteleacutements linguistiques de niveau phonolo-gique morphologique ou lexical dans lrsquoarchitecture de ce phylum5 La classi-fication des langues seacutemitiques est faite eacutegalement sur des bases linguistiques similaires Il se deacutegage de certaines eacutetudes que lrsquoarabe tient une place particu-liegravere dans le phylum seacutemitique en raison du maintien drsquoun nombre impor-tant de consonnes dentales agrave tel point que certains chercheurs affirment que lrsquoarabe est la forme la plus archaiumlque qui pourrait nous rapprocher du proto-seacutemitique6 Or drsquoapregraves Corriente7 le phoneacutetisme de lrsquoarabe a beaucoup eacutevo-lueacute Cette eacutevolution serait masqueacutee par une tendance relative dans les eacutetudes linguistiques et dialectologiques arabes agrave attribuer aux graphegravemes arabes des valeurs phoneacutetiques absolues et immuables Toutefois lrsquoutilisation des graphegrave-mes dans les descriptions phoneacutetiques ne preacutesente pas que des inconveacutenients

4 J Owens ibid5 Voir C Ehret laquo Reconstructing Proto-Afroasiatic (Proto-Afrasian) Vowels Tone Consonants

and Vocabulary raquo Linguistics 126 (1995) JH Greenberg Studies in African linguistic classification New Haven Compass 1955 H Fleming laquo Omotic as branch of Afroasiatic raquo Studies in African Linguistics supp V (1974) pp 81-94 R Hetzron laquo The limits of Cushitic raquo Sprache und Geschichte in Afrika II (1980) pp 7-126 M Cohen laquo Les langues chamito-seacutemitiques raquo Les langues du monde par un groupe de linguistes sous la direction drsquoAntoine Meillet et Marcel Cohen Paris Champion 1924 pp 81-151 hors-texte planche 2 B CF Voegelin et FM Voegelin Classification and index of the worldrsquos languages New York Elsevier 1977

6 Pour une synthegravese voir K Petraacuteček laquo Le systegraveme de lrsquoarabe dans une perspective diachronique raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 162-177

7 FC Corriente ibid pp 76

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elle rend possible la comparaison drsquoau moins deux eacutetats de la langue lrsquoarabe classique8 et lrsquoarabe moderne Une appreacuteciation attentive des descriptions pho-neacutetiques de quatre consonnes par les grammairiens anciens etou par des lin-guistes contemporains nous montre que le passage de lrsquoarabe classique agrave lrsquoarabe moderne nrsquoest pas une stricte iteacuteration de systegraveme phonologique

Deux des quatre consonnes qui nous inteacuteressent partagent plusieurs proprieacuteteacutes sensori-motrices (articulatoires et acoustiques) il srsquoagit des sibilantes sīn ( س) et šīn ( ش) Les descriptions de ces deux consonnes par les grammairiens anciens (cf al-Halīl9 (m 786) auteur de Kitāb al-lsquoAyn Sībawayhi10 (m 793) dans al-Kitāb al-Rāzī11 (m 934) dans Kitāb al-Zīna fī l-kalimāt al-islāmiyya l-lsquoarabiyya al-Azharī (895-980) dans Tahdīb al-luga al-Sīrāfī (893-979) dans Šarh al-Kitāb Ibn Ginnī (m 1002) dans al-Hasārsquois Avicenne (m 1037) dans Risāla) ne correspondent pas aux s et š que nous connaissons en arabe moderne mais plutocirct agrave š et ś Lrsquohypothegravese drsquoune articulation plus posteacute-rieure de ces deux consonnes jaillit clairement de la comparaison de vocables de plusieurs langues seacutemitiques (Beeston12 Fraenkel13 Cantineau14 Faber15 Cowan16

8 Voir la deacutefinition de ce terme par J Owens A Linguistic History of Arabic 2006 p 5 et pp 85-101

9 Voir A Roman laquo Les zones drsquoarticulation de la koinegrave arabe drsquoapregraves lrsquoenseignement drsquoal-Halīl raquo Arabica XXIV1 (1977) pp 58-65

-wa-min wasat al-lisān baynahu wa-bayna wasat al-hanak al-alsquolā mahrag al-gīm wa-l (ش ) 10šīn wa-l-yārsquo (laquo du milieu de la langue entre celle-ci et le milieu du palais est la place drsquoarticulation de gīm šīn et yārsquo raquo)

wa-mimmā bayna taraf al-lisān wa-fuwayqa al-tanāyā mahrag al-zāy wa-l-sīn wa-l-sād (س )(laquo de la pointe de la langue et un peu au-dessus des incisives se trouve le point drsquoarticulation de zāy sīn et sād raquo)

11 G Vajda laquo Les lettres et les sons de la langue arabe drsquoapregraves Abū Hatim al-Rāzī raquo Arabica VIII2 (1960) pp 113-130

12 Voir AFL Beeston laquo Arabian sibilants raquo JSS VII (1962) pp 222-233 A Murtonen laquo The Semitic sibilants raquo JSS XI (1966) pp 135-150

13 S Fraenkel Die aramaumlischen Fremdwoumlrter im Arabischen Leyde Hildesheim 1886 (reacuteimp 1962)

14 J Cantineau dans Le dialecte arabe de Palmyre Beyrouth Institut franccedilais de Damas 1934 constate en effet que face au s du protoseacutemitique [mšgdrsquomsgdrsquo] du nabateacuteen correspond [masgid] de lrsquoarabe moderne face agrave š du protoseacutemitique [nfšrsquonfsrsquo] du nabateacuteen correspond [nafs] de lrsquoarabe moderne face agrave ś du protoseacutemitique [šrfywsrfyw] du nabateacuteen correspond [šaraf] de lrsquoarabe moderne

15 A Faber laquo Semitic sibilants in an Afro-asiatic context raquo JSS XXIX (1984) pp 189-22416 Le mot salām a comme eacutequivalent en heacutebreu šalōm accadien šalāmu syriaque

šəlāmā eacutethiopien salām protoseacutemitique šalām le mot lisān a comme eacutequivalent en heacutebreu lāšōn accadien lišānu syriaque leššānā eacutethiopien lesān et protoarabe lisān le mot nās a comme eacutequivalent en heacutebreu lsquoenōš arameacuteen nāšā protoarabe nās dans W Cowan laquo Arabic evidence for proto-Semitic awa and o raquo Language XXXVI1 (1960) pp 60-62

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McDonald17 Murtonen18) ou de processus drsquoemprunt agrave lrsquoarabe par les langues latines (Latham19)

Agrave lrsquoinstar de ( س) et de ( ش) un troisiegraveme graphegraveme peut teacutemoigner de lrsquoeacutevolution du systegraveme phonologique de lrsquoarabe Lrsquoactuel dād ( ض) de lrsquoarabe moderne avait sans aucun doute un ancecirctre protoarabe lateacuteral20 transcrit d Si lrsquoeacutevolution de son articulation en arabe moderne et dans les dialectes ara-bes modernes beacutedouins et urbains ne fait aucun doute le chemin emprunteacute par cette eacutevolution ne fait cependant pas lrsquounanimiteacute parmi les chercheurs (cf Corriente21 Al Wer22) Le quatriegraveme graphegraveme pouvant soutenir lrsquoeacutevolu-tion du phoneacutetisme arabe est gīm ( ج) qui est post-alveacuteolaire g en arabe moderne Chez les grammairiens anciens cette consonne est reacuteunie avec la sibilante šīn (ش) et la lateacuterale dād (ض) dans un groupe qui vient juste apregraves qāf (ق) et kāf (ك) Gīm ( ج) correspond donc par la description qursquoen donne Sībawayhi agrave une articulation meacutedio voire post-palatale et aurait connu selon toute vraisemblance lrsquoeacutevolution suivante ggtɟgtg23

Ce que les graphegravemes permettent pour les consonnes ils ne le permettent pas de maniegravere indiscutable pour les voyelles La raison principale est le carac-tegravere consonantique de lrsquoabeacuteceacutedaire arabe Neacuteanmoins une des pistes a eacuteteacute exploreacutee par quelques chercheurs notamment par Cowan24 et Rabin25 Les deux auteurs ont exploreacute une voie nouvelle en dialectologie en comparant les dialectes non pas agrave lrsquoarabe classique mais agrave une forme plus ancienne comme le protoarabe et le protoseacutemitique Srsquoappuyant sur des correspondances entre les dialectes arabes drsquoAsie centrale et lrsquoarabe classique Cowan constate que lagrave ougrave les dialectes asiatiques ont un ō comme dans les mots [golsquoōn] [kitōb] [ramōd] [mōt] [salō] et [rsquoasō] lrsquoarabe classique oppose la voyelle ā Lrsquohypo-thegravese soutenue ici est que le protoarabe avait le phonegraveme ō deacuteriveacute lui-mecircme

17 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46

18 A Murtonen ibid p 14019 JD Latham laquo Arabic into Medieval Latin raquo JSS XVII (1972) pp 30-67 20 Voir J Cantineau Eacutetude de linguistique arabe Paris Klincksieck 1960 FC Corriente

laquo ldquoD-Lrdquo doublets in classical Arabic as evidence of the process of de-lateralisation of ldquodadrdquo and development of its standard reflex raquo JSS XXIII (1978) pp 50-55 CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language XXXV4 (1959) pp 616-630

21 FC Corriente ibid22 E Al Wer laquo Variability reproduced A variationist view of the [eth][d] opposition in

modern Arabic dialects raquo K Versteegh M Haak et R de Jong (eacuteds) Approaches to Arabic Dialectology Amsterdam Brill Academic Publishers 2003 pp 21-31

23 Voir MV McDonald ibid24 Voir W Cowan ibid CH Toy laquo The Semitic vowel a raquo The American Journal of Philology

II8 (1881) pp 446-45725 C Rabin Ancient West-Arabian

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drsquoun phonegraveme similaire en protoseacutemitique et partant un systegraveme vocalique dans les deux protolangues plus dense que ce qui est preacutesenteacute habituellement ie trois voyelles bregraveves i u a26 et trois correspondantes longues ī ū ā Cette hypothegravese est drsquoautant plus plausible que le travail fait anteacuterieurement par Rabin sur lrsquoAncient west-Arabian cite les deux derniers lexegravemes ([salō] et [rsquoasō]) Lrsquoorigine arameacuteenne ne doit pas ecirctre neacutegligeacutee des sources bibliographi-ques penchent pour une influence du ō arameacuteen sur lrsquoarabe syrien ā gt ō27

La densiteacute du systegraveme vocalique du protoarabe est deacutefendue dans le travail susmentionneacute de Rabin qui a reconstruit le phonegraveme ē Ces eacuteleacutements per-mettent agrave Cowan comme agrave Rabin drsquoaffirmer que le systegraveme vocalique du seacutemitique primitif comme celui du protoarabe eacutetait composeacute non pas de six voyelles mais de huit trois bregraveves i u a et cinq longues ī ū ē ō ā Des points de vue aussi bien qualitatif (timbres vocaliques) que quantitatif (leur nombre) le systegraveme vocalique du protoseacutemitique serait plus proche de celui des dialectes arabes modernes drsquoOrient que du systegraveme vocalique de lrsquoarabe classi-que28 La thegravese drsquoun systegraveme vocalique plus dense en protoseacutemitique est deacutefen-due eacutegalement par Ehret qui montre que le proto-afroasiatique posseacutedait cinq timbres vocaliques enrichis par des oppositions de quantiteacute Les cinq timbres se seraient contracteacutes dans certaines branches du phylum comme le proto-berbegravere le proto-eacutegyptien et le protoseacutemitique29 Des indices tireacutes de transcription de noms montrent que les diphtongues du protoseacutemitique ay et aw ont eacutevo-lueacute dans les langues de la branche seacutemitique occidentale respectivement en ē et ō et ce agrave une eacutepoque plutocirct ancienne environ 700 ans avant notre egravere30

2 La typologie des dialectes arabes modernes

Corriente indique que les traiteacutes de grammaire arabe des premiers siegravecles contiennent des exemples freacutequents drsquoalternation allomorphique releveacutes dans les dialectes anciens mais neacuteanmoins bannis de lrsquoarabe classique traits qui font leur apparition dans les dialectes arabes modernes preuve de leur conti-nuelle existence31 LrsquoArabie preacute-islamique connaissait vraisemblablement plu-sieurs chaicircnons voire familles de langues agrave la fois indeacutependants de lrsquoarabe et

26 J Owens (ibid pp 51-67) discute longuement le contraste fonctionnel en arabe ancien entre les deux voyelles bregraveves i vs u

27 W Arnold et P Behnstedt Arabisch-Armaumlische Sprachbeziehungen in Qalamun (Syrien) Wiesbaden Harrassowitz 1992 pp 65-7

28 W Cowan ibid p 6229 Voir C Ehret ibid30 Voir W Cowan ibid p 61 I Young laquo The diphtongue ldquoayrdquo in Edomite raquo JSS

XXXVII1 (1992) p 2731 FC Corriente 1976 ibid p 85

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partageant quelques traits linguistiques phonologiques et morphologiques La subsistance de ces traits phonologiques et morphologiques anciens dans cer-tains parlers arabiques modernes (cf Beeston32) serait un discriminant inteacuteres-sant agrave explorer dans la classification desdits parlers Le cas exposeacute par Ingham33 drsquoĀl Murra et de ʿAjman deux tribus de lrsquoest et du sud de lrsquoArabie vivant actuellement sur des territoires voisins permet de montrer qursquoune origine geacuteographique commune est souvent refleacuteteacutee dans un dialecte uniforme Ainsi les similariteacutes linguistiques entre ces deux dialectes beacutedouins ne peuvent pas srsquoexpliquer par leur localisation actuelle mais par leur origine geacuteographique commune en lrsquooccurrence le sud-ouest de lrsquoArabie de la reacutegion de Najran aux frontiegraveres nord du Yeacutemen Quelque localiseacute qursquoil soit lrsquoexemple preacutesenteacute par Ingham soulegraveve neacuteanmoins des questions eacutepineuses en dialectologie arabe devant lrsquoextrecircme variabiliteacute des uniteacutes phonologiques dans les dialectes modernes sur quelles bases deacuteceler lrsquoheacuteritage vs la diffusion vs lrsquoinnovation Comment distinguer dans les uniteacutes phonologiques celles produites par des deacuteveloppements parallegraveles vs celles qui sont le fruit des meacutecanismes de diffu-sion vs celles issues drsquoun processus drsquoheacuteritage

La typologie qui recueille lrsquoadheacutesion de plusieurs chercheurs classe les par-lers arabes modernes en cinq grandes aires dialectales de lrsquoEst agrave lrsquoOuest 1) les dialectes de la peacuteninsule arabique 2) les dialectes meacutesopotamiens 3) les dialectes levantins 4) les dialectes eacutegyptiens et 5) les dialectes maghreacute-bins34 Cette classification recouvre au niveau de chaque reacutegion un ensemble de subdivisions lesquelles supportent agrave leur tour une foule de divisions agrave lrsquoeacutechelle locale On ne peut deacutenier au deacutecoupage de Versteegh la coheacuterence geacuteographique manifeste Cependant un certain nombre de traits phonologi-ques comme de leur variation semblent transcender les frontiegraveres reacutegionales et eacutechapper de fait agrave cette entreprise de typologie Une question subsidiaire se pose alors quelle place dans le travail de classification doit-on accorder agrave ce triple processus ie heacuteritage vs diffusion vs innovation

La classification en aires geacuteographiques est relativement reacutecente par rapport agrave drsquoautres classifications comme la classification sociologique En effet lin-guistes et autres observateurs de lrsquoaire arabophone ont montreacute depuis long-temps que la plus petite localiteacute comme la reacutegion la plus eacutetendue sont traverseacutees par une division entre ʿarab (nomades) vs hadar (seacutedentaires) Le terme hadar correspond agrave une population seacutedentaire de type citadin ou villa-geois quant agrave ʿarab il englobe des populations nomades et semi-nomades Ce qui porte le nombre drsquoentiteacutes dialectales agrave trois 1) parlers beacutedouins

32 AFL Beeston laquo Languages of the pre-islamic Arabia raquo Arabica XXVIII (1981) pp 178-18633 B Ingham laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo

Bulletin of the School of Oriental and African Studies 492 (1986) pp 271-29134 K Versteegh The Arabic language Eacutedimbourg Edinburgh University Press 1997

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nomades 2) parlers beacutedouins seacutedentaires et 3) parlers citadins Drsquoautres dis-tinctions sociologiques pertinentes nrsquoont pas eacuteteacute retenues ici comme la divi-sion citadin vs urbain vs rural35 Car le but nrsquoest pas drsquoecirctre exhaustif sur les modegraveles mais de permettre au lecteur de comprendre que diffeacuterents types de divisions se croisent Par exemple agrave la diffeacuterence de la division en aires geacuteo-graphiques le deacutecoupage sociologique (en deux en trois ou en quatre cateacutego-ries) offre lrsquoavantage de la transversaliteacute Aussi les traits linguistiques ne sont-ils plus consideacutereacutes comme coextensifs aux frontiegraveres reacutegionales mais plutocirct comme appartenant agrave une koinegrave dont les limites geacuteographiques eacutepou-sent celles de lrsquoaire arabophone Cohen36 srsquoeacutetait deacutejagrave poseacute la question de lrsquoexis-tence drsquoune koinegrave citadine unificatrice qursquoil voit non comme un point de deacutepart ndash en raison des multiples contre-exemples ndash mais plutocirct comme un aboutissement ie les parlers citadins novateurs qursquoils sont convergeraient tous vers un parler standard aux proprieacuteteacutes linguistiques communes agrave toutes les grandes citeacutes du Monde arabe Lrsquoeacutemergence de zones urbaines srsquoaccompa-gne de formes linguistiques aux origines diverses citadines urbaines beacutedoui-nes seacutedentaires ou nomades37 Leacutegitimeacutees par des prestiges drsquoordre diffeacuterent ces zones urbaines deacuteveloppent des dynamiques linguistiques caracteacuteriseacutees par lrsquohomogeacuteneacuteisationdiffeacuterenciation et des processus de standardisation Degraves lors il est permis de srsquointerroger sur la reacutesistance drsquoun trait phonologique ndash qursquoil soit beacutedouin seacutedentaire beacutedouin nomade ou citadin ndash agrave la force centri-fuge des centres urbains par le biais des processus qursquoils mobilisent comme lrsquoaccommodation linguistique et le nivellement dialectal et de la forte pres-sion du caractegravere prestigieux de leur parler local38 Si de telles variations sont

35 L Messaoudi laquo Le parler ancien de Rabat face agrave lrsquourbanisation linguistique raquo dans A Youssi F Benjelloun M Dahbi et Z Iraqui-Sinaceur (eacuteds) Aspects of the Dialects of Arabic Today Proceedings of the 4th Conference of AIDA Marrakech April 1-4 2000 Rabat Amapatril 2002 pp 223-233

36 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 197037 Cf lrsquoouvrage collectif dirigeacute C Miller E Al Wer D Caubet et J Watson Arabic in the

City ougrave plusieurs zones linguistiques sont repreacutesenteacutees38 Plusieurs titres ont eacuteteacute consacreacutes au prestige affecteacute agrave une varieacuteteacute de langue comme nous

ne pouvons les citer tous nous donnerons ici quelques sources qui nous paraissent inteacuteressantes sur cette question voir (1) lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) le travail comparatif reacutealiseacute par H Abdel Jawad laquo Cross-dialectal variation in Arabic Competing prestigious forms raquo Language in Society XVI (1987) pp 356-368 qui compare trois centres urbains dans trois pays diffeacuterents dont Bagdad en srsquoappuyant sur les reacutesultats de Blanc (3) C Holes laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 qui srsquoest inteacuteresseacute eacutegalement agrave trois centres urbains mais pour des raisons totalement diffeacuterentes de celles drsquoAbdel Jawad Il a choisi Manama (Bahreiumln) pour lrsquoopposition entre Sunnites beacutedouins et les Bahārna shiites locaux Amman (Jordanie) pour lrsquoopposition entre citadins et ceux dont les origines sont paysannes Bagdad pour les divisions entre musulmans chreacutetiens et juifs lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par MH Amara et B Spolsky laquo The construction of identity in a divided Palestinian village Sociolinguistic evidence raquo dans Language and identity in the Middle

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concevables agrave des points tregraves distants geacuteographiquement comme Sanaa Amman Le Caire ou Casablanca au particularisme sociologique indeacuteniable la classification geacuteographique et sociologique reposant essentiellement sur des uniteacutes phonologiques permeacuteables au contexte devient extrecircmement deacutelicate

Tenant compte de ces eacuteleacutements il nrsquoest pas aiseacute de constater la fragiliteacute de certains aspects phonologiques consideacutereacutes comme suffisamment saillants et caracteacuteristiques drsquoune localiteacute drsquoun pays ou drsquoune reacutegion que ce soit au niveau geacuteographique ou sociologique La lecture attentive drsquoenviron une cen-taine de contributions sur les dialectes arabes nous a permis de focaliser notre attention sur la reacutealisation de quatre phonegravemes consonantiques (trois inter-dentales t d d lrsquoocclusive uvulaire sourde q) et sur la structuration du sys-tegraveme vocalique Les descriptions articulatoires freacutequentes de ces phonegravemes nous ont permis de dresser le tableau ci-dessous (tableau ndeg 1)

Certaines valeurs phoneacutetiques bien documenteacutees sont forceacutement man-quantes dans notre synthegravese car le tableau que nous preacutesentons nrsquoa pas voca-tion agrave ecirctre exhaustif En effet et comme toute entreprise de synthegravese vouloir tenir compte en prioriteacute des tendances les plus marqueacutees et les plus repreacutesen-tatives risque en minorant voire en eacutecrasant des diffeacuterences locales tregraves nettes de meacutecontenter fatalement tous les speacutecialistes de toutes les varieacuteteacutes drsquoarabe

Pour une meilleure lecture des proprieacuteteacutes articulatoires des quatre conson-nes et du systegraveme vocalique la preacutesentation des sources bibliographiques utiliseacutees respectera le deacutecoupage geacuteographique en cinq grandes aires geacuteogra-phiques de Versteegh 1) parlers de la peacuteninsule Arabique39 2) parlers meacutesopotamiens40 3) parlers levantins41 4) parlers eacutegyptiens42 5) parlers

East and North Africa dir Y Suleiman Richmond Surrey Curzon 1996 pp 81-99 qui comparent des donneacutees linguistiques dans un village palestinien diviseacute en deux parties en 1948 et reacuteunifieacute en 1967 le travail drsquoE Al Wer laquo Education as a speaker variable raquo dans Language contact and language conflict in Arabic Variations on a sociolinguistic theme dir A Rouchdy Londres RoutledgeCurzon 2002 pp 41-53 qui compare les reacutealisations du phonegraveme tārsquo en fonction du degreacute drsquoinstruction des femmes issues de la ville de Sult (Jordanie)

39 (1) AFL Beeston ibid (2) AA Brockette laquo The spoken Arabic of Khābūra raquo JSS 1985 (3) RL Cleveland laquo A classification for the Arabic dialects of Jordan raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 171 (1963) pp 56-63 (4) C Holes laquo Patterns of communal language variation in Bahrain raquo Language in Society XII (1983) pp 433-457 id laquo Towards a dialect geography of Oman raquo BSOAS 523 (1989) pp 446-462 id laquo Kashkasha with fronting and affrication of the selar stops revisited A Contribution to the historical philology of the pensinsular Arabic dialects raquo dans A Kaye (eacuted) Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau Wiesbaden Harrassowitz 1991 652-678 id laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 (5) B Ingham laquo Some characteristics of Meccan speech raquo BSOAS 343 (1971) pp 533-553 id laquo Regional and social factors in the dialect geography of southern Iraq and Khuzistan raquo BSOAS 391 (1976) pp 62-82 id North East Arabian dialects Londres KPI 1982 id laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo BSOAS 492 (1986) pp 271-291 (6) TM Johnstone

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40 41 42

laquo Some characteristics of the Dōsiri dialect of Arabic as spoken in Kuwait raquo BSOAS 242 (1961) p id laquo The affrication of laquo kaf raquo and laquo gaf raquo in the Arabic dialects of the Arabian Peninsula raquo JSS VIII (1963) pp 210-226 id Eastern Arabian dialects studies Londres Oxford University Press 1967 (7) Chaim Rabin Ancient West-Arabian

40 (1) H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) B Ingham laquo Urban and rural Arabic in Khuzistan raquo BSOAS 362 (1973) pp 271-291 id 1976 (3) O Jastrow laquo The qəltu Arabic dialects of Mesopotamian Arabic raquo dans J Aguadeacute F Corriente et M Marugaacuten (eacuteds) Actas del Congreso Internacional sobre Interferencias Linguumliacutesticas Arabo-Romanes y Parallelos Extra-Ibeacutericos Zaragoza Navarro et Navarro 1994 pp 119-123 (4) TM Johnstone 1963 et 1967 (5) J Lecerf laquo Addenda sur le dialecte arabe musulman de Bagdad raquo Arabica XIV (1967) pp 5-13 (6) G Oussani laquo The Arabic dialect of Baghdad raquo Journal of the American Oriental Society XXII (1901) pp 97-114

41 (1) J-P Angoujard laquo Marqueur du feacuteminin et systegraveme vocalique dans lrsquoarabe de Damas raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 345-357 (2) M Barbot Eacutevolution de lrsquoarabe contemporain bibliographie drsquoarabe moderne et du levant vol I Introduction au parler de Damas vol II Les sons du parler de Damas Paris Maisonneuve 1981 (3) G Bohas laquo Sonoriteacute et structure syllabique dans le parler de Damas raquo Arabica XXXIII (1986) pp 199-215 (4) J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre id laquo Eacutetudes sur quelques parlers de nomades arabes drsquoOrient raquo Annales des lrsquoInstitut drsquoEacutetudes Orientales (Universiteacute drsquoAlger) 2 (1936) pp 1-118 et 3 (1937) pp 119-237 id Les parlers arabes du Hōrān Notions geacuteneacuterales grammaire Paris Klincksieck 1946 (5) RL Cleveland 1963 id laquo Notes on an Arabic dialect of southern Palestine raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 185 (1967) pp 43-57 (6) C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua XXXXIX (1979) pp 153-168 (7) M Piamenta laquo Jerusalem Arabic lexicon raquo Arabica XXVI (1979) XXVI pp 229-266 (8) J Rosenhouse laquo An analysis of major tendencies in the development of the Bedouin dialects of the north of Israel raquo BSOAS 451 (1982) pp 14-38 id laquo Towards a classification of Bedouin dialects in Israel raquo BSOAS 473 (1984) pp 508-522

42 (1) H Birkeland Growth and Structure of the Egyptian Arabic Dialect Oslo Jacob Dybwad 1952 (2) WB Bishai laquo Nature and extent of Coptic phonological influence on Egyptian

Tableau ndeg 1 reacutealisations de lrsquoocclusive uvulaire q des interdentales fricati-ves t d d et organisation du systegraveme vocalique en fonction des divisions

geacuteo-sociologiques (selon la litteacuterature)

Division geacuteographique sociologique

Arabique Meacutesopotamien Levantin Eacutegyptien Maghreacutebin

beacutedouins nomades

ǵ-ǧ t d d ī ūē ō ā i u a

ǧ t d d ī ū ē ō ā i u a

k t d d ī ū ē ō ā i u a

g s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

beacutedouins seacutedentaires

ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

g t d d ī ū ē ō ā i u a

ḳ-g t d d ī ū ē ō ā i u a

k s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

citadins ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

q t d ḍ ī ū ē ō ā i u a

ʔ t-s d-z ḍ-ẓ ī ū ē ō ā i u a

rsquo s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

q t d d ī ū ā i u a ǝ

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 4: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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elle rend possible la comparaison drsquoau moins deux eacutetats de la langue lrsquoarabe classique8 et lrsquoarabe moderne Une appreacuteciation attentive des descriptions pho-neacutetiques de quatre consonnes par les grammairiens anciens etou par des lin-guistes contemporains nous montre que le passage de lrsquoarabe classique agrave lrsquoarabe moderne nrsquoest pas une stricte iteacuteration de systegraveme phonologique

Deux des quatre consonnes qui nous inteacuteressent partagent plusieurs proprieacuteteacutes sensori-motrices (articulatoires et acoustiques) il srsquoagit des sibilantes sīn ( س) et šīn ( ش) Les descriptions de ces deux consonnes par les grammairiens anciens (cf al-Halīl9 (m 786) auteur de Kitāb al-lsquoAyn Sībawayhi10 (m 793) dans al-Kitāb al-Rāzī11 (m 934) dans Kitāb al-Zīna fī l-kalimāt al-islāmiyya l-lsquoarabiyya al-Azharī (895-980) dans Tahdīb al-luga al-Sīrāfī (893-979) dans Šarh al-Kitāb Ibn Ginnī (m 1002) dans al-Hasārsquois Avicenne (m 1037) dans Risāla) ne correspondent pas aux s et š que nous connaissons en arabe moderne mais plutocirct agrave š et ś Lrsquohypothegravese drsquoune articulation plus posteacute-rieure de ces deux consonnes jaillit clairement de la comparaison de vocables de plusieurs langues seacutemitiques (Beeston12 Fraenkel13 Cantineau14 Faber15 Cowan16

8 Voir la deacutefinition de ce terme par J Owens A Linguistic History of Arabic 2006 p 5 et pp 85-101

9 Voir A Roman laquo Les zones drsquoarticulation de la koinegrave arabe drsquoapregraves lrsquoenseignement drsquoal-Halīl raquo Arabica XXIV1 (1977) pp 58-65

-wa-min wasat al-lisān baynahu wa-bayna wasat al-hanak al-alsquolā mahrag al-gīm wa-l (ش ) 10šīn wa-l-yārsquo (laquo du milieu de la langue entre celle-ci et le milieu du palais est la place drsquoarticulation de gīm šīn et yārsquo raquo)

wa-mimmā bayna taraf al-lisān wa-fuwayqa al-tanāyā mahrag al-zāy wa-l-sīn wa-l-sād (س )(laquo de la pointe de la langue et un peu au-dessus des incisives se trouve le point drsquoarticulation de zāy sīn et sād raquo)

11 G Vajda laquo Les lettres et les sons de la langue arabe drsquoapregraves Abū Hatim al-Rāzī raquo Arabica VIII2 (1960) pp 113-130

12 Voir AFL Beeston laquo Arabian sibilants raquo JSS VII (1962) pp 222-233 A Murtonen laquo The Semitic sibilants raquo JSS XI (1966) pp 135-150

13 S Fraenkel Die aramaumlischen Fremdwoumlrter im Arabischen Leyde Hildesheim 1886 (reacuteimp 1962)

14 J Cantineau dans Le dialecte arabe de Palmyre Beyrouth Institut franccedilais de Damas 1934 constate en effet que face au s du protoseacutemitique [mšgdrsquomsgdrsquo] du nabateacuteen correspond [masgid] de lrsquoarabe moderne face agrave š du protoseacutemitique [nfšrsquonfsrsquo] du nabateacuteen correspond [nafs] de lrsquoarabe moderne face agrave ś du protoseacutemitique [šrfywsrfyw] du nabateacuteen correspond [šaraf] de lrsquoarabe moderne

15 A Faber laquo Semitic sibilants in an Afro-asiatic context raquo JSS XXIX (1984) pp 189-22416 Le mot salām a comme eacutequivalent en heacutebreu šalōm accadien šalāmu syriaque

šəlāmā eacutethiopien salām protoseacutemitique šalām le mot lisān a comme eacutequivalent en heacutebreu lāšōn accadien lišānu syriaque leššānā eacutethiopien lesān et protoarabe lisān le mot nās a comme eacutequivalent en heacutebreu lsquoenōš arameacuteen nāšā protoarabe nās dans W Cowan laquo Arabic evidence for proto-Semitic awa and o raquo Language XXXVI1 (1960) pp 60-62

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McDonald17 Murtonen18) ou de processus drsquoemprunt agrave lrsquoarabe par les langues latines (Latham19)

Agrave lrsquoinstar de ( س) et de ( ش) un troisiegraveme graphegraveme peut teacutemoigner de lrsquoeacutevolution du systegraveme phonologique de lrsquoarabe Lrsquoactuel dād ( ض) de lrsquoarabe moderne avait sans aucun doute un ancecirctre protoarabe lateacuteral20 transcrit d Si lrsquoeacutevolution de son articulation en arabe moderne et dans les dialectes ara-bes modernes beacutedouins et urbains ne fait aucun doute le chemin emprunteacute par cette eacutevolution ne fait cependant pas lrsquounanimiteacute parmi les chercheurs (cf Corriente21 Al Wer22) Le quatriegraveme graphegraveme pouvant soutenir lrsquoeacutevolu-tion du phoneacutetisme arabe est gīm ( ج) qui est post-alveacuteolaire g en arabe moderne Chez les grammairiens anciens cette consonne est reacuteunie avec la sibilante šīn (ش) et la lateacuterale dād (ض) dans un groupe qui vient juste apregraves qāf (ق) et kāf (ك) Gīm ( ج) correspond donc par la description qursquoen donne Sībawayhi agrave une articulation meacutedio voire post-palatale et aurait connu selon toute vraisemblance lrsquoeacutevolution suivante ggtɟgtg23

Ce que les graphegravemes permettent pour les consonnes ils ne le permettent pas de maniegravere indiscutable pour les voyelles La raison principale est le carac-tegravere consonantique de lrsquoabeacuteceacutedaire arabe Neacuteanmoins une des pistes a eacuteteacute exploreacutee par quelques chercheurs notamment par Cowan24 et Rabin25 Les deux auteurs ont exploreacute une voie nouvelle en dialectologie en comparant les dialectes non pas agrave lrsquoarabe classique mais agrave une forme plus ancienne comme le protoarabe et le protoseacutemitique Srsquoappuyant sur des correspondances entre les dialectes arabes drsquoAsie centrale et lrsquoarabe classique Cowan constate que lagrave ougrave les dialectes asiatiques ont un ō comme dans les mots [golsquoōn] [kitōb] [ramōd] [mōt] [salō] et [rsquoasō] lrsquoarabe classique oppose la voyelle ā Lrsquohypo-thegravese soutenue ici est que le protoarabe avait le phonegraveme ō deacuteriveacute lui-mecircme

17 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46

18 A Murtonen ibid p 14019 JD Latham laquo Arabic into Medieval Latin raquo JSS XVII (1972) pp 30-67 20 Voir J Cantineau Eacutetude de linguistique arabe Paris Klincksieck 1960 FC Corriente

laquo ldquoD-Lrdquo doublets in classical Arabic as evidence of the process of de-lateralisation of ldquodadrdquo and development of its standard reflex raquo JSS XXIII (1978) pp 50-55 CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language XXXV4 (1959) pp 616-630

21 FC Corriente ibid22 E Al Wer laquo Variability reproduced A variationist view of the [eth][d] opposition in

modern Arabic dialects raquo K Versteegh M Haak et R de Jong (eacuteds) Approaches to Arabic Dialectology Amsterdam Brill Academic Publishers 2003 pp 21-31

23 Voir MV McDonald ibid24 Voir W Cowan ibid CH Toy laquo The Semitic vowel a raquo The American Journal of Philology

II8 (1881) pp 446-45725 C Rabin Ancient West-Arabian

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drsquoun phonegraveme similaire en protoseacutemitique et partant un systegraveme vocalique dans les deux protolangues plus dense que ce qui est preacutesenteacute habituellement ie trois voyelles bregraveves i u a26 et trois correspondantes longues ī ū ā Cette hypothegravese est drsquoautant plus plausible que le travail fait anteacuterieurement par Rabin sur lrsquoAncient west-Arabian cite les deux derniers lexegravemes ([salō] et [rsquoasō]) Lrsquoorigine arameacuteenne ne doit pas ecirctre neacutegligeacutee des sources bibliographi-ques penchent pour une influence du ō arameacuteen sur lrsquoarabe syrien ā gt ō27

La densiteacute du systegraveme vocalique du protoarabe est deacutefendue dans le travail susmentionneacute de Rabin qui a reconstruit le phonegraveme ē Ces eacuteleacutements per-mettent agrave Cowan comme agrave Rabin drsquoaffirmer que le systegraveme vocalique du seacutemitique primitif comme celui du protoarabe eacutetait composeacute non pas de six voyelles mais de huit trois bregraveves i u a et cinq longues ī ū ē ō ā Des points de vue aussi bien qualitatif (timbres vocaliques) que quantitatif (leur nombre) le systegraveme vocalique du protoseacutemitique serait plus proche de celui des dialectes arabes modernes drsquoOrient que du systegraveme vocalique de lrsquoarabe classi-que28 La thegravese drsquoun systegraveme vocalique plus dense en protoseacutemitique est deacutefen-due eacutegalement par Ehret qui montre que le proto-afroasiatique posseacutedait cinq timbres vocaliques enrichis par des oppositions de quantiteacute Les cinq timbres se seraient contracteacutes dans certaines branches du phylum comme le proto-berbegravere le proto-eacutegyptien et le protoseacutemitique29 Des indices tireacutes de transcription de noms montrent que les diphtongues du protoseacutemitique ay et aw ont eacutevo-lueacute dans les langues de la branche seacutemitique occidentale respectivement en ē et ō et ce agrave une eacutepoque plutocirct ancienne environ 700 ans avant notre egravere30

2 La typologie des dialectes arabes modernes

Corriente indique que les traiteacutes de grammaire arabe des premiers siegravecles contiennent des exemples freacutequents drsquoalternation allomorphique releveacutes dans les dialectes anciens mais neacuteanmoins bannis de lrsquoarabe classique traits qui font leur apparition dans les dialectes arabes modernes preuve de leur conti-nuelle existence31 LrsquoArabie preacute-islamique connaissait vraisemblablement plu-sieurs chaicircnons voire familles de langues agrave la fois indeacutependants de lrsquoarabe et

26 J Owens (ibid pp 51-67) discute longuement le contraste fonctionnel en arabe ancien entre les deux voyelles bregraveves i vs u

27 W Arnold et P Behnstedt Arabisch-Armaumlische Sprachbeziehungen in Qalamun (Syrien) Wiesbaden Harrassowitz 1992 pp 65-7

28 W Cowan ibid p 6229 Voir C Ehret ibid30 Voir W Cowan ibid p 61 I Young laquo The diphtongue ldquoayrdquo in Edomite raquo JSS

XXXVII1 (1992) p 2731 FC Corriente 1976 ibid p 85

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partageant quelques traits linguistiques phonologiques et morphologiques La subsistance de ces traits phonologiques et morphologiques anciens dans cer-tains parlers arabiques modernes (cf Beeston32) serait un discriminant inteacuteres-sant agrave explorer dans la classification desdits parlers Le cas exposeacute par Ingham33 drsquoĀl Murra et de ʿAjman deux tribus de lrsquoest et du sud de lrsquoArabie vivant actuellement sur des territoires voisins permet de montrer qursquoune origine geacuteographique commune est souvent refleacuteteacutee dans un dialecte uniforme Ainsi les similariteacutes linguistiques entre ces deux dialectes beacutedouins ne peuvent pas srsquoexpliquer par leur localisation actuelle mais par leur origine geacuteographique commune en lrsquooccurrence le sud-ouest de lrsquoArabie de la reacutegion de Najran aux frontiegraveres nord du Yeacutemen Quelque localiseacute qursquoil soit lrsquoexemple preacutesenteacute par Ingham soulegraveve neacuteanmoins des questions eacutepineuses en dialectologie arabe devant lrsquoextrecircme variabiliteacute des uniteacutes phonologiques dans les dialectes modernes sur quelles bases deacuteceler lrsquoheacuteritage vs la diffusion vs lrsquoinnovation Comment distinguer dans les uniteacutes phonologiques celles produites par des deacuteveloppements parallegraveles vs celles qui sont le fruit des meacutecanismes de diffu-sion vs celles issues drsquoun processus drsquoheacuteritage

La typologie qui recueille lrsquoadheacutesion de plusieurs chercheurs classe les par-lers arabes modernes en cinq grandes aires dialectales de lrsquoEst agrave lrsquoOuest 1) les dialectes de la peacuteninsule arabique 2) les dialectes meacutesopotamiens 3) les dialectes levantins 4) les dialectes eacutegyptiens et 5) les dialectes maghreacute-bins34 Cette classification recouvre au niveau de chaque reacutegion un ensemble de subdivisions lesquelles supportent agrave leur tour une foule de divisions agrave lrsquoeacutechelle locale On ne peut deacutenier au deacutecoupage de Versteegh la coheacuterence geacuteographique manifeste Cependant un certain nombre de traits phonologi-ques comme de leur variation semblent transcender les frontiegraveres reacutegionales et eacutechapper de fait agrave cette entreprise de typologie Une question subsidiaire se pose alors quelle place dans le travail de classification doit-on accorder agrave ce triple processus ie heacuteritage vs diffusion vs innovation

La classification en aires geacuteographiques est relativement reacutecente par rapport agrave drsquoautres classifications comme la classification sociologique En effet lin-guistes et autres observateurs de lrsquoaire arabophone ont montreacute depuis long-temps que la plus petite localiteacute comme la reacutegion la plus eacutetendue sont traverseacutees par une division entre ʿarab (nomades) vs hadar (seacutedentaires) Le terme hadar correspond agrave une population seacutedentaire de type citadin ou villa-geois quant agrave ʿarab il englobe des populations nomades et semi-nomades Ce qui porte le nombre drsquoentiteacutes dialectales agrave trois 1) parlers beacutedouins

32 AFL Beeston laquo Languages of the pre-islamic Arabia raquo Arabica XXVIII (1981) pp 178-18633 B Ingham laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo

Bulletin of the School of Oriental and African Studies 492 (1986) pp 271-29134 K Versteegh The Arabic language Eacutedimbourg Edinburgh University Press 1997

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nomades 2) parlers beacutedouins seacutedentaires et 3) parlers citadins Drsquoautres dis-tinctions sociologiques pertinentes nrsquoont pas eacuteteacute retenues ici comme la divi-sion citadin vs urbain vs rural35 Car le but nrsquoest pas drsquoecirctre exhaustif sur les modegraveles mais de permettre au lecteur de comprendre que diffeacuterents types de divisions se croisent Par exemple agrave la diffeacuterence de la division en aires geacuteo-graphiques le deacutecoupage sociologique (en deux en trois ou en quatre cateacutego-ries) offre lrsquoavantage de la transversaliteacute Aussi les traits linguistiques ne sont-ils plus consideacutereacutes comme coextensifs aux frontiegraveres reacutegionales mais plutocirct comme appartenant agrave une koinegrave dont les limites geacuteographiques eacutepou-sent celles de lrsquoaire arabophone Cohen36 srsquoeacutetait deacutejagrave poseacute la question de lrsquoexis-tence drsquoune koinegrave citadine unificatrice qursquoil voit non comme un point de deacutepart ndash en raison des multiples contre-exemples ndash mais plutocirct comme un aboutissement ie les parlers citadins novateurs qursquoils sont convergeraient tous vers un parler standard aux proprieacuteteacutes linguistiques communes agrave toutes les grandes citeacutes du Monde arabe Lrsquoeacutemergence de zones urbaines srsquoaccompa-gne de formes linguistiques aux origines diverses citadines urbaines beacutedoui-nes seacutedentaires ou nomades37 Leacutegitimeacutees par des prestiges drsquoordre diffeacuterent ces zones urbaines deacuteveloppent des dynamiques linguistiques caracteacuteriseacutees par lrsquohomogeacuteneacuteisationdiffeacuterenciation et des processus de standardisation Degraves lors il est permis de srsquointerroger sur la reacutesistance drsquoun trait phonologique ndash qursquoil soit beacutedouin seacutedentaire beacutedouin nomade ou citadin ndash agrave la force centri-fuge des centres urbains par le biais des processus qursquoils mobilisent comme lrsquoaccommodation linguistique et le nivellement dialectal et de la forte pres-sion du caractegravere prestigieux de leur parler local38 Si de telles variations sont

35 L Messaoudi laquo Le parler ancien de Rabat face agrave lrsquourbanisation linguistique raquo dans A Youssi F Benjelloun M Dahbi et Z Iraqui-Sinaceur (eacuteds) Aspects of the Dialects of Arabic Today Proceedings of the 4th Conference of AIDA Marrakech April 1-4 2000 Rabat Amapatril 2002 pp 223-233

36 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 197037 Cf lrsquoouvrage collectif dirigeacute C Miller E Al Wer D Caubet et J Watson Arabic in the

City ougrave plusieurs zones linguistiques sont repreacutesenteacutees38 Plusieurs titres ont eacuteteacute consacreacutes au prestige affecteacute agrave une varieacuteteacute de langue comme nous

ne pouvons les citer tous nous donnerons ici quelques sources qui nous paraissent inteacuteressantes sur cette question voir (1) lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) le travail comparatif reacutealiseacute par H Abdel Jawad laquo Cross-dialectal variation in Arabic Competing prestigious forms raquo Language in Society XVI (1987) pp 356-368 qui compare trois centres urbains dans trois pays diffeacuterents dont Bagdad en srsquoappuyant sur les reacutesultats de Blanc (3) C Holes laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 qui srsquoest inteacuteresseacute eacutegalement agrave trois centres urbains mais pour des raisons totalement diffeacuterentes de celles drsquoAbdel Jawad Il a choisi Manama (Bahreiumln) pour lrsquoopposition entre Sunnites beacutedouins et les Bahārna shiites locaux Amman (Jordanie) pour lrsquoopposition entre citadins et ceux dont les origines sont paysannes Bagdad pour les divisions entre musulmans chreacutetiens et juifs lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par MH Amara et B Spolsky laquo The construction of identity in a divided Palestinian village Sociolinguistic evidence raquo dans Language and identity in the Middle

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concevables agrave des points tregraves distants geacuteographiquement comme Sanaa Amman Le Caire ou Casablanca au particularisme sociologique indeacuteniable la classification geacuteographique et sociologique reposant essentiellement sur des uniteacutes phonologiques permeacuteables au contexte devient extrecircmement deacutelicate

Tenant compte de ces eacuteleacutements il nrsquoest pas aiseacute de constater la fragiliteacute de certains aspects phonologiques consideacutereacutes comme suffisamment saillants et caracteacuteristiques drsquoune localiteacute drsquoun pays ou drsquoune reacutegion que ce soit au niveau geacuteographique ou sociologique La lecture attentive drsquoenviron une cen-taine de contributions sur les dialectes arabes nous a permis de focaliser notre attention sur la reacutealisation de quatre phonegravemes consonantiques (trois inter-dentales t d d lrsquoocclusive uvulaire sourde q) et sur la structuration du sys-tegraveme vocalique Les descriptions articulatoires freacutequentes de ces phonegravemes nous ont permis de dresser le tableau ci-dessous (tableau ndeg 1)

Certaines valeurs phoneacutetiques bien documenteacutees sont forceacutement man-quantes dans notre synthegravese car le tableau que nous preacutesentons nrsquoa pas voca-tion agrave ecirctre exhaustif En effet et comme toute entreprise de synthegravese vouloir tenir compte en prioriteacute des tendances les plus marqueacutees et les plus repreacutesen-tatives risque en minorant voire en eacutecrasant des diffeacuterences locales tregraves nettes de meacutecontenter fatalement tous les speacutecialistes de toutes les varieacuteteacutes drsquoarabe

Pour une meilleure lecture des proprieacuteteacutes articulatoires des quatre conson-nes et du systegraveme vocalique la preacutesentation des sources bibliographiques utiliseacutees respectera le deacutecoupage geacuteographique en cinq grandes aires geacuteogra-phiques de Versteegh 1) parlers de la peacuteninsule Arabique39 2) parlers meacutesopotamiens40 3) parlers levantins41 4) parlers eacutegyptiens42 5) parlers

East and North Africa dir Y Suleiman Richmond Surrey Curzon 1996 pp 81-99 qui comparent des donneacutees linguistiques dans un village palestinien diviseacute en deux parties en 1948 et reacuteunifieacute en 1967 le travail drsquoE Al Wer laquo Education as a speaker variable raquo dans Language contact and language conflict in Arabic Variations on a sociolinguistic theme dir A Rouchdy Londres RoutledgeCurzon 2002 pp 41-53 qui compare les reacutealisations du phonegraveme tārsquo en fonction du degreacute drsquoinstruction des femmes issues de la ville de Sult (Jordanie)

39 (1) AFL Beeston ibid (2) AA Brockette laquo The spoken Arabic of Khābūra raquo JSS 1985 (3) RL Cleveland laquo A classification for the Arabic dialects of Jordan raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 171 (1963) pp 56-63 (4) C Holes laquo Patterns of communal language variation in Bahrain raquo Language in Society XII (1983) pp 433-457 id laquo Towards a dialect geography of Oman raquo BSOAS 523 (1989) pp 446-462 id laquo Kashkasha with fronting and affrication of the selar stops revisited A Contribution to the historical philology of the pensinsular Arabic dialects raquo dans A Kaye (eacuted) Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau Wiesbaden Harrassowitz 1991 652-678 id laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 (5) B Ingham laquo Some characteristics of Meccan speech raquo BSOAS 343 (1971) pp 533-553 id laquo Regional and social factors in the dialect geography of southern Iraq and Khuzistan raquo BSOAS 391 (1976) pp 62-82 id North East Arabian dialects Londres KPI 1982 id laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo BSOAS 492 (1986) pp 271-291 (6) TM Johnstone

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40 41 42

laquo Some characteristics of the Dōsiri dialect of Arabic as spoken in Kuwait raquo BSOAS 242 (1961) p id laquo The affrication of laquo kaf raquo and laquo gaf raquo in the Arabic dialects of the Arabian Peninsula raquo JSS VIII (1963) pp 210-226 id Eastern Arabian dialects studies Londres Oxford University Press 1967 (7) Chaim Rabin Ancient West-Arabian

40 (1) H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) B Ingham laquo Urban and rural Arabic in Khuzistan raquo BSOAS 362 (1973) pp 271-291 id 1976 (3) O Jastrow laquo The qəltu Arabic dialects of Mesopotamian Arabic raquo dans J Aguadeacute F Corriente et M Marugaacuten (eacuteds) Actas del Congreso Internacional sobre Interferencias Linguumliacutesticas Arabo-Romanes y Parallelos Extra-Ibeacutericos Zaragoza Navarro et Navarro 1994 pp 119-123 (4) TM Johnstone 1963 et 1967 (5) J Lecerf laquo Addenda sur le dialecte arabe musulman de Bagdad raquo Arabica XIV (1967) pp 5-13 (6) G Oussani laquo The Arabic dialect of Baghdad raquo Journal of the American Oriental Society XXII (1901) pp 97-114

41 (1) J-P Angoujard laquo Marqueur du feacuteminin et systegraveme vocalique dans lrsquoarabe de Damas raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 345-357 (2) M Barbot Eacutevolution de lrsquoarabe contemporain bibliographie drsquoarabe moderne et du levant vol I Introduction au parler de Damas vol II Les sons du parler de Damas Paris Maisonneuve 1981 (3) G Bohas laquo Sonoriteacute et structure syllabique dans le parler de Damas raquo Arabica XXXIII (1986) pp 199-215 (4) J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre id laquo Eacutetudes sur quelques parlers de nomades arabes drsquoOrient raquo Annales des lrsquoInstitut drsquoEacutetudes Orientales (Universiteacute drsquoAlger) 2 (1936) pp 1-118 et 3 (1937) pp 119-237 id Les parlers arabes du Hōrān Notions geacuteneacuterales grammaire Paris Klincksieck 1946 (5) RL Cleveland 1963 id laquo Notes on an Arabic dialect of southern Palestine raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 185 (1967) pp 43-57 (6) C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua XXXXIX (1979) pp 153-168 (7) M Piamenta laquo Jerusalem Arabic lexicon raquo Arabica XXVI (1979) XXVI pp 229-266 (8) J Rosenhouse laquo An analysis of major tendencies in the development of the Bedouin dialects of the north of Israel raquo BSOAS 451 (1982) pp 14-38 id laquo Towards a classification of Bedouin dialects in Israel raquo BSOAS 473 (1984) pp 508-522

42 (1) H Birkeland Growth and Structure of the Egyptian Arabic Dialect Oslo Jacob Dybwad 1952 (2) WB Bishai laquo Nature and extent of Coptic phonological influence on Egyptian

Tableau ndeg 1 reacutealisations de lrsquoocclusive uvulaire q des interdentales fricati-ves t d d et organisation du systegraveme vocalique en fonction des divisions

geacuteo-sociologiques (selon la litteacuterature)

Division geacuteographique sociologique

Arabique Meacutesopotamien Levantin Eacutegyptien Maghreacutebin

beacutedouins nomades

ǵ-ǧ t d d ī ūē ō ā i u a

ǧ t d d ī ū ē ō ā i u a

k t d d ī ū ē ō ā i u a

g s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

beacutedouins seacutedentaires

ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

g t d d ī ū ē ō ā i u a

ḳ-g t d d ī ū ē ō ā i u a

k s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

citadins ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

q t d ḍ ī ū ē ō ā i u a

ʔ t-s d-z ḍ-ẓ ī ū ē ō ā i u a

rsquo s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

q t d d ī ū ā i u a ǝ

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 5: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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McDonald17 Murtonen18) ou de processus drsquoemprunt agrave lrsquoarabe par les langues latines (Latham19)

Agrave lrsquoinstar de ( س) et de ( ش) un troisiegraveme graphegraveme peut teacutemoigner de lrsquoeacutevolution du systegraveme phonologique de lrsquoarabe Lrsquoactuel dād ( ض) de lrsquoarabe moderne avait sans aucun doute un ancecirctre protoarabe lateacuteral20 transcrit d Si lrsquoeacutevolution de son articulation en arabe moderne et dans les dialectes ara-bes modernes beacutedouins et urbains ne fait aucun doute le chemin emprunteacute par cette eacutevolution ne fait cependant pas lrsquounanimiteacute parmi les chercheurs (cf Corriente21 Al Wer22) Le quatriegraveme graphegraveme pouvant soutenir lrsquoeacutevolu-tion du phoneacutetisme arabe est gīm ( ج) qui est post-alveacuteolaire g en arabe moderne Chez les grammairiens anciens cette consonne est reacuteunie avec la sibilante šīn (ش) et la lateacuterale dād (ض) dans un groupe qui vient juste apregraves qāf (ق) et kāf (ك) Gīm ( ج) correspond donc par la description qursquoen donne Sībawayhi agrave une articulation meacutedio voire post-palatale et aurait connu selon toute vraisemblance lrsquoeacutevolution suivante ggtɟgtg23

Ce que les graphegravemes permettent pour les consonnes ils ne le permettent pas de maniegravere indiscutable pour les voyelles La raison principale est le carac-tegravere consonantique de lrsquoabeacuteceacutedaire arabe Neacuteanmoins une des pistes a eacuteteacute exploreacutee par quelques chercheurs notamment par Cowan24 et Rabin25 Les deux auteurs ont exploreacute une voie nouvelle en dialectologie en comparant les dialectes non pas agrave lrsquoarabe classique mais agrave une forme plus ancienne comme le protoarabe et le protoseacutemitique Srsquoappuyant sur des correspondances entre les dialectes arabes drsquoAsie centrale et lrsquoarabe classique Cowan constate que lagrave ougrave les dialectes asiatiques ont un ō comme dans les mots [golsquoōn] [kitōb] [ramōd] [mōt] [salō] et [rsquoasō] lrsquoarabe classique oppose la voyelle ā Lrsquohypo-thegravese soutenue ici est que le protoarabe avait le phonegraveme ō deacuteriveacute lui-mecircme

17 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46

18 A Murtonen ibid p 14019 JD Latham laquo Arabic into Medieval Latin raquo JSS XVII (1972) pp 30-67 20 Voir J Cantineau Eacutetude de linguistique arabe Paris Klincksieck 1960 FC Corriente

laquo ldquoD-Lrdquo doublets in classical Arabic as evidence of the process of de-lateralisation of ldquodadrdquo and development of its standard reflex raquo JSS XXIII (1978) pp 50-55 CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language XXXV4 (1959) pp 616-630

21 FC Corriente ibid22 E Al Wer laquo Variability reproduced A variationist view of the [eth][d] opposition in

modern Arabic dialects raquo K Versteegh M Haak et R de Jong (eacuteds) Approaches to Arabic Dialectology Amsterdam Brill Academic Publishers 2003 pp 21-31

23 Voir MV McDonald ibid24 Voir W Cowan ibid CH Toy laquo The Semitic vowel a raquo The American Journal of Philology

II8 (1881) pp 446-45725 C Rabin Ancient West-Arabian

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drsquoun phonegraveme similaire en protoseacutemitique et partant un systegraveme vocalique dans les deux protolangues plus dense que ce qui est preacutesenteacute habituellement ie trois voyelles bregraveves i u a26 et trois correspondantes longues ī ū ā Cette hypothegravese est drsquoautant plus plausible que le travail fait anteacuterieurement par Rabin sur lrsquoAncient west-Arabian cite les deux derniers lexegravemes ([salō] et [rsquoasō]) Lrsquoorigine arameacuteenne ne doit pas ecirctre neacutegligeacutee des sources bibliographi-ques penchent pour une influence du ō arameacuteen sur lrsquoarabe syrien ā gt ō27

La densiteacute du systegraveme vocalique du protoarabe est deacutefendue dans le travail susmentionneacute de Rabin qui a reconstruit le phonegraveme ē Ces eacuteleacutements per-mettent agrave Cowan comme agrave Rabin drsquoaffirmer que le systegraveme vocalique du seacutemitique primitif comme celui du protoarabe eacutetait composeacute non pas de six voyelles mais de huit trois bregraveves i u a et cinq longues ī ū ē ō ā Des points de vue aussi bien qualitatif (timbres vocaliques) que quantitatif (leur nombre) le systegraveme vocalique du protoseacutemitique serait plus proche de celui des dialectes arabes modernes drsquoOrient que du systegraveme vocalique de lrsquoarabe classi-que28 La thegravese drsquoun systegraveme vocalique plus dense en protoseacutemitique est deacutefen-due eacutegalement par Ehret qui montre que le proto-afroasiatique posseacutedait cinq timbres vocaliques enrichis par des oppositions de quantiteacute Les cinq timbres se seraient contracteacutes dans certaines branches du phylum comme le proto-berbegravere le proto-eacutegyptien et le protoseacutemitique29 Des indices tireacutes de transcription de noms montrent que les diphtongues du protoseacutemitique ay et aw ont eacutevo-lueacute dans les langues de la branche seacutemitique occidentale respectivement en ē et ō et ce agrave une eacutepoque plutocirct ancienne environ 700 ans avant notre egravere30

2 La typologie des dialectes arabes modernes

Corriente indique que les traiteacutes de grammaire arabe des premiers siegravecles contiennent des exemples freacutequents drsquoalternation allomorphique releveacutes dans les dialectes anciens mais neacuteanmoins bannis de lrsquoarabe classique traits qui font leur apparition dans les dialectes arabes modernes preuve de leur conti-nuelle existence31 LrsquoArabie preacute-islamique connaissait vraisemblablement plu-sieurs chaicircnons voire familles de langues agrave la fois indeacutependants de lrsquoarabe et

26 J Owens (ibid pp 51-67) discute longuement le contraste fonctionnel en arabe ancien entre les deux voyelles bregraveves i vs u

27 W Arnold et P Behnstedt Arabisch-Armaumlische Sprachbeziehungen in Qalamun (Syrien) Wiesbaden Harrassowitz 1992 pp 65-7

28 W Cowan ibid p 6229 Voir C Ehret ibid30 Voir W Cowan ibid p 61 I Young laquo The diphtongue ldquoayrdquo in Edomite raquo JSS

XXXVII1 (1992) p 2731 FC Corriente 1976 ibid p 85

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partageant quelques traits linguistiques phonologiques et morphologiques La subsistance de ces traits phonologiques et morphologiques anciens dans cer-tains parlers arabiques modernes (cf Beeston32) serait un discriminant inteacuteres-sant agrave explorer dans la classification desdits parlers Le cas exposeacute par Ingham33 drsquoĀl Murra et de ʿAjman deux tribus de lrsquoest et du sud de lrsquoArabie vivant actuellement sur des territoires voisins permet de montrer qursquoune origine geacuteographique commune est souvent refleacuteteacutee dans un dialecte uniforme Ainsi les similariteacutes linguistiques entre ces deux dialectes beacutedouins ne peuvent pas srsquoexpliquer par leur localisation actuelle mais par leur origine geacuteographique commune en lrsquooccurrence le sud-ouest de lrsquoArabie de la reacutegion de Najran aux frontiegraveres nord du Yeacutemen Quelque localiseacute qursquoil soit lrsquoexemple preacutesenteacute par Ingham soulegraveve neacuteanmoins des questions eacutepineuses en dialectologie arabe devant lrsquoextrecircme variabiliteacute des uniteacutes phonologiques dans les dialectes modernes sur quelles bases deacuteceler lrsquoheacuteritage vs la diffusion vs lrsquoinnovation Comment distinguer dans les uniteacutes phonologiques celles produites par des deacuteveloppements parallegraveles vs celles qui sont le fruit des meacutecanismes de diffu-sion vs celles issues drsquoun processus drsquoheacuteritage

La typologie qui recueille lrsquoadheacutesion de plusieurs chercheurs classe les par-lers arabes modernes en cinq grandes aires dialectales de lrsquoEst agrave lrsquoOuest 1) les dialectes de la peacuteninsule arabique 2) les dialectes meacutesopotamiens 3) les dialectes levantins 4) les dialectes eacutegyptiens et 5) les dialectes maghreacute-bins34 Cette classification recouvre au niveau de chaque reacutegion un ensemble de subdivisions lesquelles supportent agrave leur tour une foule de divisions agrave lrsquoeacutechelle locale On ne peut deacutenier au deacutecoupage de Versteegh la coheacuterence geacuteographique manifeste Cependant un certain nombre de traits phonologi-ques comme de leur variation semblent transcender les frontiegraveres reacutegionales et eacutechapper de fait agrave cette entreprise de typologie Une question subsidiaire se pose alors quelle place dans le travail de classification doit-on accorder agrave ce triple processus ie heacuteritage vs diffusion vs innovation

La classification en aires geacuteographiques est relativement reacutecente par rapport agrave drsquoautres classifications comme la classification sociologique En effet lin-guistes et autres observateurs de lrsquoaire arabophone ont montreacute depuis long-temps que la plus petite localiteacute comme la reacutegion la plus eacutetendue sont traverseacutees par une division entre ʿarab (nomades) vs hadar (seacutedentaires) Le terme hadar correspond agrave une population seacutedentaire de type citadin ou villa-geois quant agrave ʿarab il englobe des populations nomades et semi-nomades Ce qui porte le nombre drsquoentiteacutes dialectales agrave trois 1) parlers beacutedouins

32 AFL Beeston laquo Languages of the pre-islamic Arabia raquo Arabica XXVIII (1981) pp 178-18633 B Ingham laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo

Bulletin of the School of Oriental and African Studies 492 (1986) pp 271-29134 K Versteegh The Arabic language Eacutedimbourg Edinburgh University Press 1997

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nomades 2) parlers beacutedouins seacutedentaires et 3) parlers citadins Drsquoautres dis-tinctions sociologiques pertinentes nrsquoont pas eacuteteacute retenues ici comme la divi-sion citadin vs urbain vs rural35 Car le but nrsquoest pas drsquoecirctre exhaustif sur les modegraveles mais de permettre au lecteur de comprendre que diffeacuterents types de divisions se croisent Par exemple agrave la diffeacuterence de la division en aires geacuteo-graphiques le deacutecoupage sociologique (en deux en trois ou en quatre cateacutego-ries) offre lrsquoavantage de la transversaliteacute Aussi les traits linguistiques ne sont-ils plus consideacutereacutes comme coextensifs aux frontiegraveres reacutegionales mais plutocirct comme appartenant agrave une koinegrave dont les limites geacuteographiques eacutepou-sent celles de lrsquoaire arabophone Cohen36 srsquoeacutetait deacutejagrave poseacute la question de lrsquoexis-tence drsquoune koinegrave citadine unificatrice qursquoil voit non comme un point de deacutepart ndash en raison des multiples contre-exemples ndash mais plutocirct comme un aboutissement ie les parlers citadins novateurs qursquoils sont convergeraient tous vers un parler standard aux proprieacuteteacutes linguistiques communes agrave toutes les grandes citeacutes du Monde arabe Lrsquoeacutemergence de zones urbaines srsquoaccompa-gne de formes linguistiques aux origines diverses citadines urbaines beacutedoui-nes seacutedentaires ou nomades37 Leacutegitimeacutees par des prestiges drsquoordre diffeacuterent ces zones urbaines deacuteveloppent des dynamiques linguistiques caracteacuteriseacutees par lrsquohomogeacuteneacuteisationdiffeacuterenciation et des processus de standardisation Degraves lors il est permis de srsquointerroger sur la reacutesistance drsquoun trait phonologique ndash qursquoil soit beacutedouin seacutedentaire beacutedouin nomade ou citadin ndash agrave la force centri-fuge des centres urbains par le biais des processus qursquoils mobilisent comme lrsquoaccommodation linguistique et le nivellement dialectal et de la forte pres-sion du caractegravere prestigieux de leur parler local38 Si de telles variations sont

35 L Messaoudi laquo Le parler ancien de Rabat face agrave lrsquourbanisation linguistique raquo dans A Youssi F Benjelloun M Dahbi et Z Iraqui-Sinaceur (eacuteds) Aspects of the Dialects of Arabic Today Proceedings of the 4th Conference of AIDA Marrakech April 1-4 2000 Rabat Amapatril 2002 pp 223-233

36 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 197037 Cf lrsquoouvrage collectif dirigeacute C Miller E Al Wer D Caubet et J Watson Arabic in the

City ougrave plusieurs zones linguistiques sont repreacutesenteacutees38 Plusieurs titres ont eacuteteacute consacreacutes au prestige affecteacute agrave une varieacuteteacute de langue comme nous

ne pouvons les citer tous nous donnerons ici quelques sources qui nous paraissent inteacuteressantes sur cette question voir (1) lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) le travail comparatif reacutealiseacute par H Abdel Jawad laquo Cross-dialectal variation in Arabic Competing prestigious forms raquo Language in Society XVI (1987) pp 356-368 qui compare trois centres urbains dans trois pays diffeacuterents dont Bagdad en srsquoappuyant sur les reacutesultats de Blanc (3) C Holes laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 qui srsquoest inteacuteresseacute eacutegalement agrave trois centres urbains mais pour des raisons totalement diffeacuterentes de celles drsquoAbdel Jawad Il a choisi Manama (Bahreiumln) pour lrsquoopposition entre Sunnites beacutedouins et les Bahārna shiites locaux Amman (Jordanie) pour lrsquoopposition entre citadins et ceux dont les origines sont paysannes Bagdad pour les divisions entre musulmans chreacutetiens et juifs lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par MH Amara et B Spolsky laquo The construction of identity in a divided Palestinian village Sociolinguistic evidence raquo dans Language and identity in the Middle

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concevables agrave des points tregraves distants geacuteographiquement comme Sanaa Amman Le Caire ou Casablanca au particularisme sociologique indeacuteniable la classification geacuteographique et sociologique reposant essentiellement sur des uniteacutes phonologiques permeacuteables au contexte devient extrecircmement deacutelicate

Tenant compte de ces eacuteleacutements il nrsquoest pas aiseacute de constater la fragiliteacute de certains aspects phonologiques consideacutereacutes comme suffisamment saillants et caracteacuteristiques drsquoune localiteacute drsquoun pays ou drsquoune reacutegion que ce soit au niveau geacuteographique ou sociologique La lecture attentive drsquoenviron une cen-taine de contributions sur les dialectes arabes nous a permis de focaliser notre attention sur la reacutealisation de quatre phonegravemes consonantiques (trois inter-dentales t d d lrsquoocclusive uvulaire sourde q) et sur la structuration du sys-tegraveme vocalique Les descriptions articulatoires freacutequentes de ces phonegravemes nous ont permis de dresser le tableau ci-dessous (tableau ndeg 1)

Certaines valeurs phoneacutetiques bien documenteacutees sont forceacutement man-quantes dans notre synthegravese car le tableau que nous preacutesentons nrsquoa pas voca-tion agrave ecirctre exhaustif En effet et comme toute entreprise de synthegravese vouloir tenir compte en prioriteacute des tendances les plus marqueacutees et les plus repreacutesen-tatives risque en minorant voire en eacutecrasant des diffeacuterences locales tregraves nettes de meacutecontenter fatalement tous les speacutecialistes de toutes les varieacuteteacutes drsquoarabe

Pour une meilleure lecture des proprieacuteteacutes articulatoires des quatre conson-nes et du systegraveme vocalique la preacutesentation des sources bibliographiques utiliseacutees respectera le deacutecoupage geacuteographique en cinq grandes aires geacuteogra-phiques de Versteegh 1) parlers de la peacuteninsule Arabique39 2) parlers meacutesopotamiens40 3) parlers levantins41 4) parlers eacutegyptiens42 5) parlers

East and North Africa dir Y Suleiman Richmond Surrey Curzon 1996 pp 81-99 qui comparent des donneacutees linguistiques dans un village palestinien diviseacute en deux parties en 1948 et reacuteunifieacute en 1967 le travail drsquoE Al Wer laquo Education as a speaker variable raquo dans Language contact and language conflict in Arabic Variations on a sociolinguistic theme dir A Rouchdy Londres RoutledgeCurzon 2002 pp 41-53 qui compare les reacutealisations du phonegraveme tārsquo en fonction du degreacute drsquoinstruction des femmes issues de la ville de Sult (Jordanie)

39 (1) AFL Beeston ibid (2) AA Brockette laquo The spoken Arabic of Khābūra raquo JSS 1985 (3) RL Cleveland laquo A classification for the Arabic dialects of Jordan raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 171 (1963) pp 56-63 (4) C Holes laquo Patterns of communal language variation in Bahrain raquo Language in Society XII (1983) pp 433-457 id laquo Towards a dialect geography of Oman raquo BSOAS 523 (1989) pp 446-462 id laquo Kashkasha with fronting and affrication of the selar stops revisited A Contribution to the historical philology of the pensinsular Arabic dialects raquo dans A Kaye (eacuted) Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau Wiesbaden Harrassowitz 1991 652-678 id laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 (5) B Ingham laquo Some characteristics of Meccan speech raquo BSOAS 343 (1971) pp 533-553 id laquo Regional and social factors in the dialect geography of southern Iraq and Khuzistan raquo BSOAS 391 (1976) pp 62-82 id North East Arabian dialects Londres KPI 1982 id laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo BSOAS 492 (1986) pp 271-291 (6) TM Johnstone

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40 41 42

laquo Some characteristics of the Dōsiri dialect of Arabic as spoken in Kuwait raquo BSOAS 242 (1961) p id laquo The affrication of laquo kaf raquo and laquo gaf raquo in the Arabic dialects of the Arabian Peninsula raquo JSS VIII (1963) pp 210-226 id Eastern Arabian dialects studies Londres Oxford University Press 1967 (7) Chaim Rabin Ancient West-Arabian

40 (1) H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) B Ingham laquo Urban and rural Arabic in Khuzistan raquo BSOAS 362 (1973) pp 271-291 id 1976 (3) O Jastrow laquo The qəltu Arabic dialects of Mesopotamian Arabic raquo dans J Aguadeacute F Corriente et M Marugaacuten (eacuteds) Actas del Congreso Internacional sobre Interferencias Linguumliacutesticas Arabo-Romanes y Parallelos Extra-Ibeacutericos Zaragoza Navarro et Navarro 1994 pp 119-123 (4) TM Johnstone 1963 et 1967 (5) J Lecerf laquo Addenda sur le dialecte arabe musulman de Bagdad raquo Arabica XIV (1967) pp 5-13 (6) G Oussani laquo The Arabic dialect of Baghdad raquo Journal of the American Oriental Society XXII (1901) pp 97-114

41 (1) J-P Angoujard laquo Marqueur du feacuteminin et systegraveme vocalique dans lrsquoarabe de Damas raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 345-357 (2) M Barbot Eacutevolution de lrsquoarabe contemporain bibliographie drsquoarabe moderne et du levant vol I Introduction au parler de Damas vol II Les sons du parler de Damas Paris Maisonneuve 1981 (3) G Bohas laquo Sonoriteacute et structure syllabique dans le parler de Damas raquo Arabica XXXIII (1986) pp 199-215 (4) J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre id laquo Eacutetudes sur quelques parlers de nomades arabes drsquoOrient raquo Annales des lrsquoInstitut drsquoEacutetudes Orientales (Universiteacute drsquoAlger) 2 (1936) pp 1-118 et 3 (1937) pp 119-237 id Les parlers arabes du Hōrān Notions geacuteneacuterales grammaire Paris Klincksieck 1946 (5) RL Cleveland 1963 id laquo Notes on an Arabic dialect of southern Palestine raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 185 (1967) pp 43-57 (6) C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua XXXXIX (1979) pp 153-168 (7) M Piamenta laquo Jerusalem Arabic lexicon raquo Arabica XXVI (1979) XXVI pp 229-266 (8) J Rosenhouse laquo An analysis of major tendencies in the development of the Bedouin dialects of the north of Israel raquo BSOAS 451 (1982) pp 14-38 id laquo Towards a classification of Bedouin dialects in Israel raquo BSOAS 473 (1984) pp 508-522

42 (1) H Birkeland Growth and Structure of the Egyptian Arabic Dialect Oslo Jacob Dybwad 1952 (2) WB Bishai laquo Nature and extent of Coptic phonological influence on Egyptian

Tableau ndeg 1 reacutealisations de lrsquoocclusive uvulaire q des interdentales fricati-ves t d d et organisation du systegraveme vocalique en fonction des divisions

geacuteo-sociologiques (selon la litteacuterature)

Division geacuteographique sociologique

Arabique Meacutesopotamien Levantin Eacutegyptien Maghreacutebin

beacutedouins nomades

ǵ-ǧ t d d ī ūē ō ā i u a

ǧ t d d ī ū ē ō ā i u a

k t d d ī ū ē ō ā i u a

g s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

beacutedouins seacutedentaires

ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

g t d d ī ū ē ō ā i u a

ḳ-g t d d ī ū ē ō ā i u a

k s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

citadins ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

q t d ḍ ī ū ē ō ā i u a

ʔ t-s d-z ḍ-ẓ ī ū ē ō ā i u a

rsquo s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

q t d d ī ū ā i u a ǝ

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 6: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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drsquoun phonegraveme similaire en protoseacutemitique et partant un systegraveme vocalique dans les deux protolangues plus dense que ce qui est preacutesenteacute habituellement ie trois voyelles bregraveves i u a26 et trois correspondantes longues ī ū ā Cette hypothegravese est drsquoautant plus plausible que le travail fait anteacuterieurement par Rabin sur lrsquoAncient west-Arabian cite les deux derniers lexegravemes ([salō] et [rsquoasō]) Lrsquoorigine arameacuteenne ne doit pas ecirctre neacutegligeacutee des sources bibliographi-ques penchent pour une influence du ō arameacuteen sur lrsquoarabe syrien ā gt ō27

La densiteacute du systegraveme vocalique du protoarabe est deacutefendue dans le travail susmentionneacute de Rabin qui a reconstruit le phonegraveme ē Ces eacuteleacutements per-mettent agrave Cowan comme agrave Rabin drsquoaffirmer que le systegraveme vocalique du seacutemitique primitif comme celui du protoarabe eacutetait composeacute non pas de six voyelles mais de huit trois bregraveves i u a et cinq longues ī ū ē ō ā Des points de vue aussi bien qualitatif (timbres vocaliques) que quantitatif (leur nombre) le systegraveme vocalique du protoseacutemitique serait plus proche de celui des dialectes arabes modernes drsquoOrient que du systegraveme vocalique de lrsquoarabe classi-que28 La thegravese drsquoun systegraveme vocalique plus dense en protoseacutemitique est deacutefen-due eacutegalement par Ehret qui montre que le proto-afroasiatique posseacutedait cinq timbres vocaliques enrichis par des oppositions de quantiteacute Les cinq timbres se seraient contracteacutes dans certaines branches du phylum comme le proto-berbegravere le proto-eacutegyptien et le protoseacutemitique29 Des indices tireacutes de transcription de noms montrent que les diphtongues du protoseacutemitique ay et aw ont eacutevo-lueacute dans les langues de la branche seacutemitique occidentale respectivement en ē et ō et ce agrave une eacutepoque plutocirct ancienne environ 700 ans avant notre egravere30

2 La typologie des dialectes arabes modernes

Corriente indique que les traiteacutes de grammaire arabe des premiers siegravecles contiennent des exemples freacutequents drsquoalternation allomorphique releveacutes dans les dialectes anciens mais neacuteanmoins bannis de lrsquoarabe classique traits qui font leur apparition dans les dialectes arabes modernes preuve de leur conti-nuelle existence31 LrsquoArabie preacute-islamique connaissait vraisemblablement plu-sieurs chaicircnons voire familles de langues agrave la fois indeacutependants de lrsquoarabe et

26 J Owens (ibid pp 51-67) discute longuement le contraste fonctionnel en arabe ancien entre les deux voyelles bregraveves i vs u

27 W Arnold et P Behnstedt Arabisch-Armaumlische Sprachbeziehungen in Qalamun (Syrien) Wiesbaden Harrassowitz 1992 pp 65-7

28 W Cowan ibid p 6229 Voir C Ehret ibid30 Voir W Cowan ibid p 61 I Young laquo The diphtongue ldquoayrdquo in Edomite raquo JSS

XXXVII1 (1992) p 2731 FC Corriente 1976 ibid p 85

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partageant quelques traits linguistiques phonologiques et morphologiques La subsistance de ces traits phonologiques et morphologiques anciens dans cer-tains parlers arabiques modernes (cf Beeston32) serait un discriminant inteacuteres-sant agrave explorer dans la classification desdits parlers Le cas exposeacute par Ingham33 drsquoĀl Murra et de ʿAjman deux tribus de lrsquoest et du sud de lrsquoArabie vivant actuellement sur des territoires voisins permet de montrer qursquoune origine geacuteographique commune est souvent refleacuteteacutee dans un dialecte uniforme Ainsi les similariteacutes linguistiques entre ces deux dialectes beacutedouins ne peuvent pas srsquoexpliquer par leur localisation actuelle mais par leur origine geacuteographique commune en lrsquooccurrence le sud-ouest de lrsquoArabie de la reacutegion de Najran aux frontiegraveres nord du Yeacutemen Quelque localiseacute qursquoil soit lrsquoexemple preacutesenteacute par Ingham soulegraveve neacuteanmoins des questions eacutepineuses en dialectologie arabe devant lrsquoextrecircme variabiliteacute des uniteacutes phonologiques dans les dialectes modernes sur quelles bases deacuteceler lrsquoheacuteritage vs la diffusion vs lrsquoinnovation Comment distinguer dans les uniteacutes phonologiques celles produites par des deacuteveloppements parallegraveles vs celles qui sont le fruit des meacutecanismes de diffu-sion vs celles issues drsquoun processus drsquoheacuteritage

La typologie qui recueille lrsquoadheacutesion de plusieurs chercheurs classe les par-lers arabes modernes en cinq grandes aires dialectales de lrsquoEst agrave lrsquoOuest 1) les dialectes de la peacuteninsule arabique 2) les dialectes meacutesopotamiens 3) les dialectes levantins 4) les dialectes eacutegyptiens et 5) les dialectes maghreacute-bins34 Cette classification recouvre au niveau de chaque reacutegion un ensemble de subdivisions lesquelles supportent agrave leur tour une foule de divisions agrave lrsquoeacutechelle locale On ne peut deacutenier au deacutecoupage de Versteegh la coheacuterence geacuteographique manifeste Cependant un certain nombre de traits phonologi-ques comme de leur variation semblent transcender les frontiegraveres reacutegionales et eacutechapper de fait agrave cette entreprise de typologie Une question subsidiaire se pose alors quelle place dans le travail de classification doit-on accorder agrave ce triple processus ie heacuteritage vs diffusion vs innovation

La classification en aires geacuteographiques est relativement reacutecente par rapport agrave drsquoautres classifications comme la classification sociologique En effet lin-guistes et autres observateurs de lrsquoaire arabophone ont montreacute depuis long-temps que la plus petite localiteacute comme la reacutegion la plus eacutetendue sont traverseacutees par une division entre ʿarab (nomades) vs hadar (seacutedentaires) Le terme hadar correspond agrave une population seacutedentaire de type citadin ou villa-geois quant agrave ʿarab il englobe des populations nomades et semi-nomades Ce qui porte le nombre drsquoentiteacutes dialectales agrave trois 1) parlers beacutedouins

32 AFL Beeston laquo Languages of the pre-islamic Arabia raquo Arabica XXVIII (1981) pp 178-18633 B Ingham laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo

Bulletin of the School of Oriental and African Studies 492 (1986) pp 271-29134 K Versteegh The Arabic language Eacutedimbourg Edinburgh University Press 1997

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nomades 2) parlers beacutedouins seacutedentaires et 3) parlers citadins Drsquoautres dis-tinctions sociologiques pertinentes nrsquoont pas eacuteteacute retenues ici comme la divi-sion citadin vs urbain vs rural35 Car le but nrsquoest pas drsquoecirctre exhaustif sur les modegraveles mais de permettre au lecteur de comprendre que diffeacuterents types de divisions se croisent Par exemple agrave la diffeacuterence de la division en aires geacuteo-graphiques le deacutecoupage sociologique (en deux en trois ou en quatre cateacutego-ries) offre lrsquoavantage de la transversaliteacute Aussi les traits linguistiques ne sont-ils plus consideacutereacutes comme coextensifs aux frontiegraveres reacutegionales mais plutocirct comme appartenant agrave une koinegrave dont les limites geacuteographiques eacutepou-sent celles de lrsquoaire arabophone Cohen36 srsquoeacutetait deacutejagrave poseacute la question de lrsquoexis-tence drsquoune koinegrave citadine unificatrice qursquoil voit non comme un point de deacutepart ndash en raison des multiples contre-exemples ndash mais plutocirct comme un aboutissement ie les parlers citadins novateurs qursquoils sont convergeraient tous vers un parler standard aux proprieacuteteacutes linguistiques communes agrave toutes les grandes citeacutes du Monde arabe Lrsquoeacutemergence de zones urbaines srsquoaccompa-gne de formes linguistiques aux origines diverses citadines urbaines beacutedoui-nes seacutedentaires ou nomades37 Leacutegitimeacutees par des prestiges drsquoordre diffeacuterent ces zones urbaines deacuteveloppent des dynamiques linguistiques caracteacuteriseacutees par lrsquohomogeacuteneacuteisationdiffeacuterenciation et des processus de standardisation Degraves lors il est permis de srsquointerroger sur la reacutesistance drsquoun trait phonologique ndash qursquoil soit beacutedouin seacutedentaire beacutedouin nomade ou citadin ndash agrave la force centri-fuge des centres urbains par le biais des processus qursquoils mobilisent comme lrsquoaccommodation linguistique et le nivellement dialectal et de la forte pres-sion du caractegravere prestigieux de leur parler local38 Si de telles variations sont

35 L Messaoudi laquo Le parler ancien de Rabat face agrave lrsquourbanisation linguistique raquo dans A Youssi F Benjelloun M Dahbi et Z Iraqui-Sinaceur (eacuteds) Aspects of the Dialects of Arabic Today Proceedings of the 4th Conference of AIDA Marrakech April 1-4 2000 Rabat Amapatril 2002 pp 223-233

36 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 197037 Cf lrsquoouvrage collectif dirigeacute C Miller E Al Wer D Caubet et J Watson Arabic in the

City ougrave plusieurs zones linguistiques sont repreacutesenteacutees38 Plusieurs titres ont eacuteteacute consacreacutes au prestige affecteacute agrave une varieacuteteacute de langue comme nous

ne pouvons les citer tous nous donnerons ici quelques sources qui nous paraissent inteacuteressantes sur cette question voir (1) lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) le travail comparatif reacutealiseacute par H Abdel Jawad laquo Cross-dialectal variation in Arabic Competing prestigious forms raquo Language in Society XVI (1987) pp 356-368 qui compare trois centres urbains dans trois pays diffeacuterents dont Bagdad en srsquoappuyant sur les reacutesultats de Blanc (3) C Holes laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 qui srsquoest inteacuteresseacute eacutegalement agrave trois centres urbains mais pour des raisons totalement diffeacuterentes de celles drsquoAbdel Jawad Il a choisi Manama (Bahreiumln) pour lrsquoopposition entre Sunnites beacutedouins et les Bahārna shiites locaux Amman (Jordanie) pour lrsquoopposition entre citadins et ceux dont les origines sont paysannes Bagdad pour les divisions entre musulmans chreacutetiens et juifs lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par MH Amara et B Spolsky laquo The construction of identity in a divided Palestinian village Sociolinguistic evidence raquo dans Language and identity in the Middle

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concevables agrave des points tregraves distants geacuteographiquement comme Sanaa Amman Le Caire ou Casablanca au particularisme sociologique indeacuteniable la classification geacuteographique et sociologique reposant essentiellement sur des uniteacutes phonologiques permeacuteables au contexte devient extrecircmement deacutelicate

Tenant compte de ces eacuteleacutements il nrsquoest pas aiseacute de constater la fragiliteacute de certains aspects phonologiques consideacutereacutes comme suffisamment saillants et caracteacuteristiques drsquoune localiteacute drsquoun pays ou drsquoune reacutegion que ce soit au niveau geacuteographique ou sociologique La lecture attentive drsquoenviron une cen-taine de contributions sur les dialectes arabes nous a permis de focaliser notre attention sur la reacutealisation de quatre phonegravemes consonantiques (trois inter-dentales t d d lrsquoocclusive uvulaire sourde q) et sur la structuration du sys-tegraveme vocalique Les descriptions articulatoires freacutequentes de ces phonegravemes nous ont permis de dresser le tableau ci-dessous (tableau ndeg 1)

Certaines valeurs phoneacutetiques bien documenteacutees sont forceacutement man-quantes dans notre synthegravese car le tableau que nous preacutesentons nrsquoa pas voca-tion agrave ecirctre exhaustif En effet et comme toute entreprise de synthegravese vouloir tenir compte en prioriteacute des tendances les plus marqueacutees et les plus repreacutesen-tatives risque en minorant voire en eacutecrasant des diffeacuterences locales tregraves nettes de meacutecontenter fatalement tous les speacutecialistes de toutes les varieacuteteacutes drsquoarabe

Pour une meilleure lecture des proprieacuteteacutes articulatoires des quatre conson-nes et du systegraveme vocalique la preacutesentation des sources bibliographiques utiliseacutees respectera le deacutecoupage geacuteographique en cinq grandes aires geacuteogra-phiques de Versteegh 1) parlers de la peacuteninsule Arabique39 2) parlers meacutesopotamiens40 3) parlers levantins41 4) parlers eacutegyptiens42 5) parlers

East and North Africa dir Y Suleiman Richmond Surrey Curzon 1996 pp 81-99 qui comparent des donneacutees linguistiques dans un village palestinien diviseacute en deux parties en 1948 et reacuteunifieacute en 1967 le travail drsquoE Al Wer laquo Education as a speaker variable raquo dans Language contact and language conflict in Arabic Variations on a sociolinguistic theme dir A Rouchdy Londres RoutledgeCurzon 2002 pp 41-53 qui compare les reacutealisations du phonegraveme tārsquo en fonction du degreacute drsquoinstruction des femmes issues de la ville de Sult (Jordanie)

39 (1) AFL Beeston ibid (2) AA Brockette laquo The spoken Arabic of Khābūra raquo JSS 1985 (3) RL Cleveland laquo A classification for the Arabic dialects of Jordan raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 171 (1963) pp 56-63 (4) C Holes laquo Patterns of communal language variation in Bahrain raquo Language in Society XII (1983) pp 433-457 id laquo Towards a dialect geography of Oman raquo BSOAS 523 (1989) pp 446-462 id laquo Kashkasha with fronting and affrication of the selar stops revisited A Contribution to the historical philology of the pensinsular Arabic dialects raquo dans A Kaye (eacuted) Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau Wiesbaden Harrassowitz 1991 652-678 id laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 (5) B Ingham laquo Some characteristics of Meccan speech raquo BSOAS 343 (1971) pp 533-553 id laquo Regional and social factors in the dialect geography of southern Iraq and Khuzistan raquo BSOAS 391 (1976) pp 62-82 id North East Arabian dialects Londres KPI 1982 id laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo BSOAS 492 (1986) pp 271-291 (6) TM Johnstone

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40 41 42

laquo Some characteristics of the Dōsiri dialect of Arabic as spoken in Kuwait raquo BSOAS 242 (1961) p id laquo The affrication of laquo kaf raquo and laquo gaf raquo in the Arabic dialects of the Arabian Peninsula raquo JSS VIII (1963) pp 210-226 id Eastern Arabian dialects studies Londres Oxford University Press 1967 (7) Chaim Rabin Ancient West-Arabian

40 (1) H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) B Ingham laquo Urban and rural Arabic in Khuzistan raquo BSOAS 362 (1973) pp 271-291 id 1976 (3) O Jastrow laquo The qəltu Arabic dialects of Mesopotamian Arabic raquo dans J Aguadeacute F Corriente et M Marugaacuten (eacuteds) Actas del Congreso Internacional sobre Interferencias Linguumliacutesticas Arabo-Romanes y Parallelos Extra-Ibeacutericos Zaragoza Navarro et Navarro 1994 pp 119-123 (4) TM Johnstone 1963 et 1967 (5) J Lecerf laquo Addenda sur le dialecte arabe musulman de Bagdad raquo Arabica XIV (1967) pp 5-13 (6) G Oussani laquo The Arabic dialect of Baghdad raquo Journal of the American Oriental Society XXII (1901) pp 97-114

41 (1) J-P Angoujard laquo Marqueur du feacuteminin et systegraveme vocalique dans lrsquoarabe de Damas raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 345-357 (2) M Barbot Eacutevolution de lrsquoarabe contemporain bibliographie drsquoarabe moderne et du levant vol I Introduction au parler de Damas vol II Les sons du parler de Damas Paris Maisonneuve 1981 (3) G Bohas laquo Sonoriteacute et structure syllabique dans le parler de Damas raquo Arabica XXXIII (1986) pp 199-215 (4) J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre id laquo Eacutetudes sur quelques parlers de nomades arabes drsquoOrient raquo Annales des lrsquoInstitut drsquoEacutetudes Orientales (Universiteacute drsquoAlger) 2 (1936) pp 1-118 et 3 (1937) pp 119-237 id Les parlers arabes du Hōrān Notions geacuteneacuterales grammaire Paris Klincksieck 1946 (5) RL Cleveland 1963 id laquo Notes on an Arabic dialect of southern Palestine raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 185 (1967) pp 43-57 (6) C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua XXXXIX (1979) pp 153-168 (7) M Piamenta laquo Jerusalem Arabic lexicon raquo Arabica XXVI (1979) XXVI pp 229-266 (8) J Rosenhouse laquo An analysis of major tendencies in the development of the Bedouin dialects of the north of Israel raquo BSOAS 451 (1982) pp 14-38 id laquo Towards a classification of Bedouin dialects in Israel raquo BSOAS 473 (1984) pp 508-522

42 (1) H Birkeland Growth and Structure of the Egyptian Arabic Dialect Oslo Jacob Dybwad 1952 (2) WB Bishai laquo Nature and extent of Coptic phonological influence on Egyptian

Tableau ndeg 1 reacutealisations de lrsquoocclusive uvulaire q des interdentales fricati-ves t d d et organisation du systegraveme vocalique en fonction des divisions

geacuteo-sociologiques (selon la litteacuterature)

Division geacuteographique sociologique

Arabique Meacutesopotamien Levantin Eacutegyptien Maghreacutebin

beacutedouins nomades

ǵ-ǧ t d d ī ūē ō ā i u a

ǧ t d d ī ū ē ō ā i u a

k t d d ī ū ē ō ā i u a

g s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

beacutedouins seacutedentaires

ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

g t d d ī ū ē ō ā i u a

ḳ-g t d d ī ū ē ō ā i u a

k s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

citadins ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

q t d ḍ ī ū ē ō ā i u a

ʔ t-s d-z ḍ-ẓ ī ū ē ō ā i u a

rsquo s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

q t d d ī ū ā i u a ǝ

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 7: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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partageant quelques traits linguistiques phonologiques et morphologiques La subsistance de ces traits phonologiques et morphologiques anciens dans cer-tains parlers arabiques modernes (cf Beeston32) serait un discriminant inteacuteres-sant agrave explorer dans la classification desdits parlers Le cas exposeacute par Ingham33 drsquoĀl Murra et de ʿAjman deux tribus de lrsquoest et du sud de lrsquoArabie vivant actuellement sur des territoires voisins permet de montrer qursquoune origine geacuteographique commune est souvent refleacuteteacutee dans un dialecte uniforme Ainsi les similariteacutes linguistiques entre ces deux dialectes beacutedouins ne peuvent pas srsquoexpliquer par leur localisation actuelle mais par leur origine geacuteographique commune en lrsquooccurrence le sud-ouest de lrsquoArabie de la reacutegion de Najran aux frontiegraveres nord du Yeacutemen Quelque localiseacute qursquoil soit lrsquoexemple preacutesenteacute par Ingham soulegraveve neacuteanmoins des questions eacutepineuses en dialectologie arabe devant lrsquoextrecircme variabiliteacute des uniteacutes phonologiques dans les dialectes modernes sur quelles bases deacuteceler lrsquoheacuteritage vs la diffusion vs lrsquoinnovation Comment distinguer dans les uniteacutes phonologiques celles produites par des deacuteveloppements parallegraveles vs celles qui sont le fruit des meacutecanismes de diffu-sion vs celles issues drsquoun processus drsquoheacuteritage

La typologie qui recueille lrsquoadheacutesion de plusieurs chercheurs classe les par-lers arabes modernes en cinq grandes aires dialectales de lrsquoEst agrave lrsquoOuest 1) les dialectes de la peacuteninsule arabique 2) les dialectes meacutesopotamiens 3) les dialectes levantins 4) les dialectes eacutegyptiens et 5) les dialectes maghreacute-bins34 Cette classification recouvre au niveau de chaque reacutegion un ensemble de subdivisions lesquelles supportent agrave leur tour une foule de divisions agrave lrsquoeacutechelle locale On ne peut deacutenier au deacutecoupage de Versteegh la coheacuterence geacuteographique manifeste Cependant un certain nombre de traits phonologi-ques comme de leur variation semblent transcender les frontiegraveres reacutegionales et eacutechapper de fait agrave cette entreprise de typologie Une question subsidiaire se pose alors quelle place dans le travail de classification doit-on accorder agrave ce triple processus ie heacuteritage vs diffusion vs innovation

La classification en aires geacuteographiques est relativement reacutecente par rapport agrave drsquoautres classifications comme la classification sociologique En effet lin-guistes et autres observateurs de lrsquoaire arabophone ont montreacute depuis long-temps que la plus petite localiteacute comme la reacutegion la plus eacutetendue sont traverseacutees par une division entre ʿarab (nomades) vs hadar (seacutedentaires) Le terme hadar correspond agrave une population seacutedentaire de type citadin ou villa-geois quant agrave ʿarab il englobe des populations nomades et semi-nomades Ce qui porte le nombre drsquoentiteacutes dialectales agrave trois 1) parlers beacutedouins

32 AFL Beeston laquo Languages of the pre-islamic Arabia raquo Arabica XXVIII (1981) pp 178-18633 B Ingham laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo

Bulletin of the School of Oriental and African Studies 492 (1986) pp 271-29134 K Versteegh The Arabic language Eacutedimbourg Edinburgh University Press 1997

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nomades 2) parlers beacutedouins seacutedentaires et 3) parlers citadins Drsquoautres dis-tinctions sociologiques pertinentes nrsquoont pas eacuteteacute retenues ici comme la divi-sion citadin vs urbain vs rural35 Car le but nrsquoest pas drsquoecirctre exhaustif sur les modegraveles mais de permettre au lecteur de comprendre que diffeacuterents types de divisions se croisent Par exemple agrave la diffeacuterence de la division en aires geacuteo-graphiques le deacutecoupage sociologique (en deux en trois ou en quatre cateacutego-ries) offre lrsquoavantage de la transversaliteacute Aussi les traits linguistiques ne sont-ils plus consideacutereacutes comme coextensifs aux frontiegraveres reacutegionales mais plutocirct comme appartenant agrave une koinegrave dont les limites geacuteographiques eacutepou-sent celles de lrsquoaire arabophone Cohen36 srsquoeacutetait deacutejagrave poseacute la question de lrsquoexis-tence drsquoune koinegrave citadine unificatrice qursquoil voit non comme un point de deacutepart ndash en raison des multiples contre-exemples ndash mais plutocirct comme un aboutissement ie les parlers citadins novateurs qursquoils sont convergeraient tous vers un parler standard aux proprieacuteteacutes linguistiques communes agrave toutes les grandes citeacutes du Monde arabe Lrsquoeacutemergence de zones urbaines srsquoaccompa-gne de formes linguistiques aux origines diverses citadines urbaines beacutedoui-nes seacutedentaires ou nomades37 Leacutegitimeacutees par des prestiges drsquoordre diffeacuterent ces zones urbaines deacuteveloppent des dynamiques linguistiques caracteacuteriseacutees par lrsquohomogeacuteneacuteisationdiffeacuterenciation et des processus de standardisation Degraves lors il est permis de srsquointerroger sur la reacutesistance drsquoun trait phonologique ndash qursquoil soit beacutedouin seacutedentaire beacutedouin nomade ou citadin ndash agrave la force centri-fuge des centres urbains par le biais des processus qursquoils mobilisent comme lrsquoaccommodation linguistique et le nivellement dialectal et de la forte pres-sion du caractegravere prestigieux de leur parler local38 Si de telles variations sont

35 L Messaoudi laquo Le parler ancien de Rabat face agrave lrsquourbanisation linguistique raquo dans A Youssi F Benjelloun M Dahbi et Z Iraqui-Sinaceur (eacuteds) Aspects of the Dialects of Arabic Today Proceedings of the 4th Conference of AIDA Marrakech April 1-4 2000 Rabat Amapatril 2002 pp 223-233

36 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 197037 Cf lrsquoouvrage collectif dirigeacute C Miller E Al Wer D Caubet et J Watson Arabic in the

City ougrave plusieurs zones linguistiques sont repreacutesenteacutees38 Plusieurs titres ont eacuteteacute consacreacutes au prestige affecteacute agrave une varieacuteteacute de langue comme nous

ne pouvons les citer tous nous donnerons ici quelques sources qui nous paraissent inteacuteressantes sur cette question voir (1) lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) le travail comparatif reacutealiseacute par H Abdel Jawad laquo Cross-dialectal variation in Arabic Competing prestigious forms raquo Language in Society XVI (1987) pp 356-368 qui compare trois centres urbains dans trois pays diffeacuterents dont Bagdad en srsquoappuyant sur les reacutesultats de Blanc (3) C Holes laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 qui srsquoest inteacuteresseacute eacutegalement agrave trois centres urbains mais pour des raisons totalement diffeacuterentes de celles drsquoAbdel Jawad Il a choisi Manama (Bahreiumln) pour lrsquoopposition entre Sunnites beacutedouins et les Bahārna shiites locaux Amman (Jordanie) pour lrsquoopposition entre citadins et ceux dont les origines sont paysannes Bagdad pour les divisions entre musulmans chreacutetiens et juifs lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par MH Amara et B Spolsky laquo The construction of identity in a divided Palestinian village Sociolinguistic evidence raquo dans Language and identity in the Middle

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concevables agrave des points tregraves distants geacuteographiquement comme Sanaa Amman Le Caire ou Casablanca au particularisme sociologique indeacuteniable la classification geacuteographique et sociologique reposant essentiellement sur des uniteacutes phonologiques permeacuteables au contexte devient extrecircmement deacutelicate

Tenant compte de ces eacuteleacutements il nrsquoest pas aiseacute de constater la fragiliteacute de certains aspects phonologiques consideacutereacutes comme suffisamment saillants et caracteacuteristiques drsquoune localiteacute drsquoun pays ou drsquoune reacutegion que ce soit au niveau geacuteographique ou sociologique La lecture attentive drsquoenviron une cen-taine de contributions sur les dialectes arabes nous a permis de focaliser notre attention sur la reacutealisation de quatre phonegravemes consonantiques (trois inter-dentales t d d lrsquoocclusive uvulaire sourde q) et sur la structuration du sys-tegraveme vocalique Les descriptions articulatoires freacutequentes de ces phonegravemes nous ont permis de dresser le tableau ci-dessous (tableau ndeg 1)

Certaines valeurs phoneacutetiques bien documenteacutees sont forceacutement man-quantes dans notre synthegravese car le tableau que nous preacutesentons nrsquoa pas voca-tion agrave ecirctre exhaustif En effet et comme toute entreprise de synthegravese vouloir tenir compte en prioriteacute des tendances les plus marqueacutees et les plus repreacutesen-tatives risque en minorant voire en eacutecrasant des diffeacuterences locales tregraves nettes de meacutecontenter fatalement tous les speacutecialistes de toutes les varieacuteteacutes drsquoarabe

Pour une meilleure lecture des proprieacuteteacutes articulatoires des quatre conson-nes et du systegraveme vocalique la preacutesentation des sources bibliographiques utiliseacutees respectera le deacutecoupage geacuteographique en cinq grandes aires geacuteogra-phiques de Versteegh 1) parlers de la peacuteninsule Arabique39 2) parlers meacutesopotamiens40 3) parlers levantins41 4) parlers eacutegyptiens42 5) parlers

East and North Africa dir Y Suleiman Richmond Surrey Curzon 1996 pp 81-99 qui comparent des donneacutees linguistiques dans un village palestinien diviseacute en deux parties en 1948 et reacuteunifieacute en 1967 le travail drsquoE Al Wer laquo Education as a speaker variable raquo dans Language contact and language conflict in Arabic Variations on a sociolinguistic theme dir A Rouchdy Londres RoutledgeCurzon 2002 pp 41-53 qui compare les reacutealisations du phonegraveme tārsquo en fonction du degreacute drsquoinstruction des femmes issues de la ville de Sult (Jordanie)

39 (1) AFL Beeston ibid (2) AA Brockette laquo The spoken Arabic of Khābūra raquo JSS 1985 (3) RL Cleveland laquo A classification for the Arabic dialects of Jordan raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 171 (1963) pp 56-63 (4) C Holes laquo Patterns of communal language variation in Bahrain raquo Language in Society XII (1983) pp 433-457 id laquo Towards a dialect geography of Oman raquo BSOAS 523 (1989) pp 446-462 id laquo Kashkasha with fronting and affrication of the selar stops revisited A Contribution to the historical philology of the pensinsular Arabic dialects raquo dans A Kaye (eacuted) Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau Wiesbaden Harrassowitz 1991 652-678 id laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 (5) B Ingham laquo Some characteristics of Meccan speech raquo BSOAS 343 (1971) pp 533-553 id laquo Regional and social factors in the dialect geography of southern Iraq and Khuzistan raquo BSOAS 391 (1976) pp 62-82 id North East Arabian dialects Londres KPI 1982 id laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo BSOAS 492 (1986) pp 271-291 (6) TM Johnstone

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40 41 42

laquo Some characteristics of the Dōsiri dialect of Arabic as spoken in Kuwait raquo BSOAS 242 (1961) p id laquo The affrication of laquo kaf raquo and laquo gaf raquo in the Arabic dialects of the Arabian Peninsula raquo JSS VIII (1963) pp 210-226 id Eastern Arabian dialects studies Londres Oxford University Press 1967 (7) Chaim Rabin Ancient West-Arabian

40 (1) H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) B Ingham laquo Urban and rural Arabic in Khuzistan raquo BSOAS 362 (1973) pp 271-291 id 1976 (3) O Jastrow laquo The qəltu Arabic dialects of Mesopotamian Arabic raquo dans J Aguadeacute F Corriente et M Marugaacuten (eacuteds) Actas del Congreso Internacional sobre Interferencias Linguumliacutesticas Arabo-Romanes y Parallelos Extra-Ibeacutericos Zaragoza Navarro et Navarro 1994 pp 119-123 (4) TM Johnstone 1963 et 1967 (5) J Lecerf laquo Addenda sur le dialecte arabe musulman de Bagdad raquo Arabica XIV (1967) pp 5-13 (6) G Oussani laquo The Arabic dialect of Baghdad raquo Journal of the American Oriental Society XXII (1901) pp 97-114

41 (1) J-P Angoujard laquo Marqueur du feacuteminin et systegraveme vocalique dans lrsquoarabe de Damas raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 345-357 (2) M Barbot Eacutevolution de lrsquoarabe contemporain bibliographie drsquoarabe moderne et du levant vol I Introduction au parler de Damas vol II Les sons du parler de Damas Paris Maisonneuve 1981 (3) G Bohas laquo Sonoriteacute et structure syllabique dans le parler de Damas raquo Arabica XXXIII (1986) pp 199-215 (4) J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre id laquo Eacutetudes sur quelques parlers de nomades arabes drsquoOrient raquo Annales des lrsquoInstitut drsquoEacutetudes Orientales (Universiteacute drsquoAlger) 2 (1936) pp 1-118 et 3 (1937) pp 119-237 id Les parlers arabes du Hōrān Notions geacuteneacuterales grammaire Paris Klincksieck 1946 (5) RL Cleveland 1963 id laquo Notes on an Arabic dialect of southern Palestine raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 185 (1967) pp 43-57 (6) C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua XXXXIX (1979) pp 153-168 (7) M Piamenta laquo Jerusalem Arabic lexicon raquo Arabica XXVI (1979) XXVI pp 229-266 (8) J Rosenhouse laquo An analysis of major tendencies in the development of the Bedouin dialects of the north of Israel raquo BSOAS 451 (1982) pp 14-38 id laquo Towards a classification of Bedouin dialects in Israel raquo BSOAS 473 (1984) pp 508-522

42 (1) H Birkeland Growth and Structure of the Egyptian Arabic Dialect Oslo Jacob Dybwad 1952 (2) WB Bishai laquo Nature and extent of Coptic phonological influence on Egyptian

Tableau ndeg 1 reacutealisations de lrsquoocclusive uvulaire q des interdentales fricati-ves t d d et organisation du systegraveme vocalique en fonction des divisions

geacuteo-sociologiques (selon la litteacuterature)

Division geacuteographique sociologique

Arabique Meacutesopotamien Levantin Eacutegyptien Maghreacutebin

beacutedouins nomades

ǵ-ǧ t d d ī ūē ō ā i u a

ǧ t d d ī ū ē ō ā i u a

k t d d ī ū ē ō ā i u a

g s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

beacutedouins seacutedentaires

ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

g t d d ī ū ē ō ā i u a

ḳ-g t d d ī ū ē ō ā i u a

k s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

citadins ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

q t d ḍ ī ū ē ō ā i u a

ʔ t-s d-z ḍ-ẓ ī ū ē ō ā i u a

rsquo s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

q t d d ī ū ā i u a ǝ

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 8: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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nomades 2) parlers beacutedouins seacutedentaires et 3) parlers citadins Drsquoautres dis-tinctions sociologiques pertinentes nrsquoont pas eacuteteacute retenues ici comme la divi-sion citadin vs urbain vs rural35 Car le but nrsquoest pas drsquoecirctre exhaustif sur les modegraveles mais de permettre au lecteur de comprendre que diffeacuterents types de divisions se croisent Par exemple agrave la diffeacuterence de la division en aires geacuteo-graphiques le deacutecoupage sociologique (en deux en trois ou en quatre cateacutego-ries) offre lrsquoavantage de la transversaliteacute Aussi les traits linguistiques ne sont-ils plus consideacutereacutes comme coextensifs aux frontiegraveres reacutegionales mais plutocirct comme appartenant agrave une koinegrave dont les limites geacuteographiques eacutepou-sent celles de lrsquoaire arabophone Cohen36 srsquoeacutetait deacutejagrave poseacute la question de lrsquoexis-tence drsquoune koinegrave citadine unificatrice qursquoil voit non comme un point de deacutepart ndash en raison des multiples contre-exemples ndash mais plutocirct comme un aboutissement ie les parlers citadins novateurs qursquoils sont convergeraient tous vers un parler standard aux proprieacuteteacutes linguistiques communes agrave toutes les grandes citeacutes du Monde arabe Lrsquoeacutemergence de zones urbaines srsquoaccompa-gne de formes linguistiques aux origines diverses citadines urbaines beacutedoui-nes seacutedentaires ou nomades37 Leacutegitimeacutees par des prestiges drsquoordre diffeacuterent ces zones urbaines deacuteveloppent des dynamiques linguistiques caracteacuteriseacutees par lrsquohomogeacuteneacuteisationdiffeacuterenciation et des processus de standardisation Degraves lors il est permis de srsquointerroger sur la reacutesistance drsquoun trait phonologique ndash qursquoil soit beacutedouin seacutedentaire beacutedouin nomade ou citadin ndash agrave la force centri-fuge des centres urbains par le biais des processus qursquoils mobilisent comme lrsquoaccommodation linguistique et le nivellement dialectal et de la forte pres-sion du caractegravere prestigieux de leur parler local38 Si de telles variations sont

35 L Messaoudi laquo Le parler ancien de Rabat face agrave lrsquourbanisation linguistique raquo dans A Youssi F Benjelloun M Dahbi et Z Iraqui-Sinaceur (eacuteds) Aspects of the Dialects of Arabic Today Proceedings of the 4th Conference of AIDA Marrakech April 1-4 2000 Rabat Amapatril 2002 pp 223-233

36 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 197037 Cf lrsquoouvrage collectif dirigeacute C Miller E Al Wer D Caubet et J Watson Arabic in the

City ougrave plusieurs zones linguistiques sont repreacutesenteacutees38 Plusieurs titres ont eacuteteacute consacreacutes au prestige affecteacute agrave une varieacuteteacute de langue comme nous

ne pouvons les citer tous nous donnerons ici quelques sources qui nous paraissent inteacuteressantes sur cette question voir (1) lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) le travail comparatif reacutealiseacute par H Abdel Jawad laquo Cross-dialectal variation in Arabic Competing prestigious forms raquo Language in Society XVI (1987) pp 356-368 qui compare trois centres urbains dans trois pays diffeacuterents dont Bagdad en srsquoappuyant sur les reacutesultats de Blanc (3) C Holes laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 qui srsquoest inteacuteresseacute eacutegalement agrave trois centres urbains mais pour des raisons totalement diffeacuterentes de celles drsquoAbdel Jawad Il a choisi Manama (Bahreiumln) pour lrsquoopposition entre Sunnites beacutedouins et les Bahārna shiites locaux Amman (Jordanie) pour lrsquoopposition entre citadins et ceux dont les origines sont paysannes Bagdad pour les divisions entre musulmans chreacutetiens et juifs lrsquoenquecircte minutieuse reacutealiseacutee par MH Amara et B Spolsky laquo The construction of identity in a divided Palestinian village Sociolinguistic evidence raquo dans Language and identity in the Middle

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concevables agrave des points tregraves distants geacuteographiquement comme Sanaa Amman Le Caire ou Casablanca au particularisme sociologique indeacuteniable la classification geacuteographique et sociologique reposant essentiellement sur des uniteacutes phonologiques permeacuteables au contexte devient extrecircmement deacutelicate

Tenant compte de ces eacuteleacutements il nrsquoest pas aiseacute de constater la fragiliteacute de certains aspects phonologiques consideacutereacutes comme suffisamment saillants et caracteacuteristiques drsquoune localiteacute drsquoun pays ou drsquoune reacutegion que ce soit au niveau geacuteographique ou sociologique La lecture attentive drsquoenviron une cen-taine de contributions sur les dialectes arabes nous a permis de focaliser notre attention sur la reacutealisation de quatre phonegravemes consonantiques (trois inter-dentales t d d lrsquoocclusive uvulaire sourde q) et sur la structuration du sys-tegraveme vocalique Les descriptions articulatoires freacutequentes de ces phonegravemes nous ont permis de dresser le tableau ci-dessous (tableau ndeg 1)

Certaines valeurs phoneacutetiques bien documenteacutees sont forceacutement man-quantes dans notre synthegravese car le tableau que nous preacutesentons nrsquoa pas voca-tion agrave ecirctre exhaustif En effet et comme toute entreprise de synthegravese vouloir tenir compte en prioriteacute des tendances les plus marqueacutees et les plus repreacutesen-tatives risque en minorant voire en eacutecrasant des diffeacuterences locales tregraves nettes de meacutecontenter fatalement tous les speacutecialistes de toutes les varieacuteteacutes drsquoarabe

Pour une meilleure lecture des proprieacuteteacutes articulatoires des quatre conson-nes et du systegraveme vocalique la preacutesentation des sources bibliographiques utiliseacutees respectera le deacutecoupage geacuteographique en cinq grandes aires geacuteogra-phiques de Versteegh 1) parlers de la peacuteninsule Arabique39 2) parlers meacutesopotamiens40 3) parlers levantins41 4) parlers eacutegyptiens42 5) parlers

East and North Africa dir Y Suleiman Richmond Surrey Curzon 1996 pp 81-99 qui comparent des donneacutees linguistiques dans un village palestinien diviseacute en deux parties en 1948 et reacuteunifieacute en 1967 le travail drsquoE Al Wer laquo Education as a speaker variable raquo dans Language contact and language conflict in Arabic Variations on a sociolinguistic theme dir A Rouchdy Londres RoutledgeCurzon 2002 pp 41-53 qui compare les reacutealisations du phonegraveme tārsquo en fonction du degreacute drsquoinstruction des femmes issues de la ville de Sult (Jordanie)

39 (1) AFL Beeston ibid (2) AA Brockette laquo The spoken Arabic of Khābūra raquo JSS 1985 (3) RL Cleveland laquo A classification for the Arabic dialects of Jordan raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 171 (1963) pp 56-63 (4) C Holes laquo Patterns of communal language variation in Bahrain raquo Language in Society XII (1983) pp 433-457 id laquo Towards a dialect geography of Oman raquo BSOAS 523 (1989) pp 446-462 id laquo Kashkasha with fronting and affrication of the selar stops revisited A Contribution to the historical philology of the pensinsular Arabic dialects raquo dans A Kaye (eacuted) Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau Wiesbaden Harrassowitz 1991 652-678 id laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 (5) B Ingham laquo Some characteristics of Meccan speech raquo BSOAS 343 (1971) pp 533-553 id laquo Regional and social factors in the dialect geography of southern Iraq and Khuzistan raquo BSOAS 391 (1976) pp 62-82 id North East Arabian dialects Londres KPI 1982 id laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo BSOAS 492 (1986) pp 271-291 (6) TM Johnstone

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40 41 42

laquo Some characteristics of the Dōsiri dialect of Arabic as spoken in Kuwait raquo BSOAS 242 (1961) p id laquo The affrication of laquo kaf raquo and laquo gaf raquo in the Arabic dialects of the Arabian Peninsula raquo JSS VIII (1963) pp 210-226 id Eastern Arabian dialects studies Londres Oxford University Press 1967 (7) Chaim Rabin Ancient West-Arabian

40 (1) H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) B Ingham laquo Urban and rural Arabic in Khuzistan raquo BSOAS 362 (1973) pp 271-291 id 1976 (3) O Jastrow laquo The qəltu Arabic dialects of Mesopotamian Arabic raquo dans J Aguadeacute F Corriente et M Marugaacuten (eacuteds) Actas del Congreso Internacional sobre Interferencias Linguumliacutesticas Arabo-Romanes y Parallelos Extra-Ibeacutericos Zaragoza Navarro et Navarro 1994 pp 119-123 (4) TM Johnstone 1963 et 1967 (5) J Lecerf laquo Addenda sur le dialecte arabe musulman de Bagdad raquo Arabica XIV (1967) pp 5-13 (6) G Oussani laquo The Arabic dialect of Baghdad raquo Journal of the American Oriental Society XXII (1901) pp 97-114

41 (1) J-P Angoujard laquo Marqueur du feacuteminin et systegraveme vocalique dans lrsquoarabe de Damas raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 345-357 (2) M Barbot Eacutevolution de lrsquoarabe contemporain bibliographie drsquoarabe moderne et du levant vol I Introduction au parler de Damas vol II Les sons du parler de Damas Paris Maisonneuve 1981 (3) G Bohas laquo Sonoriteacute et structure syllabique dans le parler de Damas raquo Arabica XXXIII (1986) pp 199-215 (4) J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre id laquo Eacutetudes sur quelques parlers de nomades arabes drsquoOrient raquo Annales des lrsquoInstitut drsquoEacutetudes Orientales (Universiteacute drsquoAlger) 2 (1936) pp 1-118 et 3 (1937) pp 119-237 id Les parlers arabes du Hōrān Notions geacuteneacuterales grammaire Paris Klincksieck 1946 (5) RL Cleveland 1963 id laquo Notes on an Arabic dialect of southern Palestine raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 185 (1967) pp 43-57 (6) C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua XXXXIX (1979) pp 153-168 (7) M Piamenta laquo Jerusalem Arabic lexicon raquo Arabica XXVI (1979) XXVI pp 229-266 (8) J Rosenhouse laquo An analysis of major tendencies in the development of the Bedouin dialects of the north of Israel raquo BSOAS 451 (1982) pp 14-38 id laquo Towards a classification of Bedouin dialects in Israel raquo BSOAS 473 (1984) pp 508-522

42 (1) H Birkeland Growth and Structure of the Egyptian Arabic Dialect Oslo Jacob Dybwad 1952 (2) WB Bishai laquo Nature and extent of Coptic phonological influence on Egyptian

Tableau ndeg 1 reacutealisations de lrsquoocclusive uvulaire q des interdentales fricati-ves t d d et organisation du systegraveme vocalique en fonction des divisions

geacuteo-sociologiques (selon la litteacuterature)

Division geacuteographique sociologique

Arabique Meacutesopotamien Levantin Eacutegyptien Maghreacutebin

beacutedouins nomades

ǵ-ǧ t d d ī ūē ō ā i u a

ǧ t d d ī ū ē ō ā i u a

k t d d ī ū ē ō ā i u a

g s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

beacutedouins seacutedentaires

ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

g t d d ī ū ē ō ā i u a

ḳ-g t d d ī ū ē ō ā i u a

k s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

citadins ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

q t d ḍ ī ū ē ō ā i u a

ʔ t-s d-z ḍ-ẓ ī ū ē ō ā i u a

rsquo s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

q t d d ī ū ā i u a ǝ

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

604 M Embarki Arabica 55 (2008) 583-604

les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 9: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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concevables agrave des points tregraves distants geacuteographiquement comme Sanaa Amman Le Caire ou Casablanca au particularisme sociologique indeacuteniable la classification geacuteographique et sociologique reposant essentiellement sur des uniteacutes phonologiques permeacuteables au contexte devient extrecircmement deacutelicate

Tenant compte de ces eacuteleacutements il nrsquoest pas aiseacute de constater la fragiliteacute de certains aspects phonologiques consideacutereacutes comme suffisamment saillants et caracteacuteristiques drsquoune localiteacute drsquoun pays ou drsquoune reacutegion que ce soit au niveau geacuteographique ou sociologique La lecture attentive drsquoenviron une cen-taine de contributions sur les dialectes arabes nous a permis de focaliser notre attention sur la reacutealisation de quatre phonegravemes consonantiques (trois inter-dentales t d d lrsquoocclusive uvulaire sourde q) et sur la structuration du sys-tegraveme vocalique Les descriptions articulatoires freacutequentes de ces phonegravemes nous ont permis de dresser le tableau ci-dessous (tableau ndeg 1)

Certaines valeurs phoneacutetiques bien documenteacutees sont forceacutement man-quantes dans notre synthegravese car le tableau que nous preacutesentons nrsquoa pas voca-tion agrave ecirctre exhaustif En effet et comme toute entreprise de synthegravese vouloir tenir compte en prioriteacute des tendances les plus marqueacutees et les plus repreacutesen-tatives risque en minorant voire en eacutecrasant des diffeacuterences locales tregraves nettes de meacutecontenter fatalement tous les speacutecialistes de toutes les varieacuteteacutes drsquoarabe

Pour une meilleure lecture des proprieacuteteacutes articulatoires des quatre conson-nes et du systegraveme vocalique la preacutesentation des sources bibliographiques utiliseacutees respectera le deacutecoupage geacuteographique en cinq grandes aires geacuteogra-phiques de Versteegh 1) parlers de la peacuteninsule Arabique39 2) parlers meacutesopotamiens40 3) parlers levantins41 4) parlers eacutegyptiens42 5) parlers

East and North Africa dir Y Suleiman Richmond Surrey Curzon 1996 pp 81-99 qui comparent des donneacutees linguistiques dans un village palestinien diviseacute en deux parties en 1948 et reacuteunifieacute en 1967 le travail drsquoE Al Wer laquo Education as a speaker variable raquo dans Language contact and language conflict in Arabic Variations on a sociolinguistic theme dir A Rouchdy Londres RoutledgeCurzon 2002 pp 41-53 qui compare les reacutealisations du phonegraveme tārsquo en fonction du degreacute drsquoinstruction des femmes issues de la ville de Sult (Jordanie)

39 (1) AFL Beeston ibid (2) AA Brockette laquo The spoken Arabic of Khābūra raquo JSS 1985 (3) RL Cleveland laquo A classification for the Arabic dialects of Jordan raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 171 (1963) pp 56-63 (4) C Holes laquo Patterns of communal language variation in Bahrain raquo Language in Society XII (1983) pp 433-457 id laquo Towards a dialect geography of Oman raquo BSOAS 523 (1989) pp 446-462 id laquo Kashkasha with fronting and affrication of the selar stops revisited A Contribution to the historical philology of the pensinsular Arabic dialects raquo dans A Kaye (eacuted) Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau Wiesbaden Harrassowitz 1991 652-678 id laquo Community dialect and urbanization in the Arabic-speaking Middle-East raquo BSOAS 582 (1995) pp 270-287 (5) B Ingham laquo Some characteristics of Meccan speech raquo BSOAS 343 (1971) pp 533-553 id laquo Regional and social factors in the dialect geography of southern Iraq and Khuzistan raquo BSOAS 391 (1976) pp 62-82 id North East Arabian dialects Londres KPI 1982 id laquo Notes on the dialect of the Al Murra of eastern and southern Arabia raquo BSOAS 492 (1986) pp 271-291 (6) TM Johnstone

592 M Embarki Arabica 55 (2008) 583-604

40 41 42

laquo Some characteristics of the Dōsiri dialect of Arabic as spoken in Kuwait raquo BSOAS 242 (1961) p id laquo The affrication of laquo kaf raquo and laquo gaf raquo in the Arabic dialects of the Arabian Peninsula raquo JSS VIII (1963) pp 210-226 id Eastern Arabian dialects studies Londres Oxford University Press 1967 (7) Chaim Rabin Ancient West-Arabian

40 (1) H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) B Ingham laquo Urban and rural Arabic in Khuzistan raquo BSOAS 362 (1973) pp 271-291 id 1976 (3) O Jastrow laquo The qəltu Arabic dialects of Mesopotamian Arabic raquo dans J Aguadeacute F Corriente et M Marugaacuten (eacuteds) Actas del Congreso Internacional sobre Interferencias Linguumliacutesticas Arabo-Romanes y Parallelos Extra-Ibeacutericos Zaragoza Navarro et Navarro 1994 pp 119-123 (4) TM Johnstone 1963 et 1967 (5) J Lecerf laquo Addenda sur le dialecte arabe musulman de Bagdad raquo Arabica XIV (1967) pp 5-13 (6) G Oussani laquo The Arabic dialect of Baghdad raquo Journal of the American Oriental Society XXII (1901) pp 97-114

41 (1) J-P Angoujard laquo Marqueur du feacuteminin et systegraveme vocalique dans lrsquoarabe de Damas raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 345-357 (2) M Barbot Eacutevolution de lrsquoarabe contemporain bibliographie drsquoarabe moderne et du levant vol I Introduction au parler de Damas vol II Les sons du parler de Damas Paris Maisonneuve 1981 (3) G Bohas laquo Sonoriteacute et structure syllabique dans le parler de Damas raquo Arabica XXXIII (1986) pp 199-215 (4) J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre id laquo Eacutetudes sur quelques parlers de nomades arabes drsquoOrient raquo Annales des lrsquoInstitut drsquoEacutetudes Orientales (Universiteacute drsquoAlger) 2 (1936) pp 1-118 et 3 (1937) pp 119-237 id Les parlers arabes du Hōrān Notions geacuteneacuterales grammaire Paris Klincksieck 1946 (5) RL Cleveland 1963 id laquo Notes on an Arabic dialect of southern Palestine raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 185 (1967) pp 43-57 (6) C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua XXXXIX (1979) pp 153-168 (7) M Piamenta laquo Jerusalem Arabic lexicon raquo Arabica XXVI (1979) XXVI pp 229-266 (8) J Rosenhouse laquo An analysis of major tendencies in the development of the Bedouin dialects of the north of Israel raquo BSOAS 451 (1982) pp 14-38 id laquo Towards a classification of Bedouin dialects in Israel raquo BSOAS 473 (1984) pp 508-522

42 (1) H Birkeland Growth and Structure of the Egyptian Arabic Dialect Oslo Jacob Dybwad 1952 (2) WB Bishai laquo Nature and extent of Coptic phonological influence on Egyptian

Tableau ndeg 1 reacutealisations de lrsquoocclusive uvulaire q des interdentales fricati-ves t d d et organisation du systegraveme vocalique en fonction des divisions

geacuteo-sociologiques (selon la litteacuterature)

Division geacuteographique sociologique

Arabique Meacutesopotamien Levantin Eacutegyptien Maghreacutebin

beacutedouins nomades

ǵ-ǧ t d d ī ūē ō ā i u a

ǧ t d d ī ū ē ō ā i u a

k t d d ī ū ē ō ā i u a

g s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

beacutedouins seacutedentaires

ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

g t d d ī ū ē ō ā i u a

ḳ-g t d d ī ū ē ō ā i u a

k s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

citadins ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

q t d ḍ ī ū ē ō ā i u a

ʔ t-s d-z ḍ-ẓ ī ū ē ō ā i u a

rsquo s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

q t d d ī ū ā i u a ǝ

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 10: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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40 41 42

laquo Some characteristics of the Dōsiri dialect of Arabic as spoken in Kuwait raquo BSOAS 242 (1961) p id laquo The affrication of laquo kaf raquo and laquo gaf raquo in the Arabic dialects of the Arabian Peninsula raquo JSS VIII (1963) pp 210-226 id Eastern Arabian dialects studies Londres Oxford University Press 1967 (7) Chaim Rabin Ancient West-Arabian

40 (1) H Blanc Communal dialects in Baghdad Cambridge MA Harvard University Press 1964 (2) B Ingham laquo Urban and rural Arabic in Khuzistan raquo BSOAS 362 (1973) pp 271-291 id 1976 (3) O Jastrow laquo The qəltu Arabic dialects of Mesopotamian Arabic raquo dans J Aguadeacute F Corriente et M Marugaacuten (eacuteds) Actas del Congreso Internacional sobre Interferencias Linguumliacutesticas Arabo-Romanes y Parallelos Extra-Ibeacutericos Zaragoza Navarro et Navarro 1994 pp 119-123 (4) TM Johnstone 1963 et 1967 (5) J Lecerf laquo Addenda sur le dialecte arabe musulman de Bagdad raquo Arabica XIV (1967) pp 5-13 (6) G Oussani laquo The Arabic dialect of Baghdad raquo Journal of the American Oriental Society XXII (1901) pp 97-114

41 (1) J-P Angoujard laquo Marqueur du feacuteminin et systegraveme vocalique dans lrsquoarabe de Damas raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 345-357 (2) M Barbot Eacutevolution de lrsquoarabe contemporain bibliographie drsquoarabe moderne et du levant vol I Introduction au parler de Damas vol II Les sons du parler de Damas Paris Maisonneuve 1981 (3) G Bohas laquo Sonoriteacute et structure syllabique dans le parler de Damas raquo Arabica XXXIII (1986) pp 199-215 (4) J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre id laquo Eacutetudes sur quelques parlers de nomades arabes drsquoOrient raquo Annales des lrsquoInstitut drsquoEacutetudes Orientales (Universiteacute drsquoAlger) 2 (1936) pp 1-118 et 3 (1937) pp 119-237 id Les parlers arabes du Hōrān Notions geacuteneacuterales grammaire Paris Klincksieck 1946 (5) RL Cleveland 1963 id laquo Notes on an Arabic dialect of southern Palestine raquo Bulletin of the American Schools of Oriental Research 185 (1967) pp 43-57 (6) C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua XXXXIX (1979) pp 153-168 (7) M Piamenta laquo Jerusalem Arabic lexicon raquo Arabica XXVI (1979) XXVI pp 229-266 (8) J Rosenhouse laquo An analysis of major tendencies in the development of the Bedouin dialects of the north of Israel raquo BSOAS 451 (1982) pp 14-38 id laquo Towards a classification of Bedouin dialects in Israel raquo BSOAS 473 (1984) pp 508-522

42 (1) H Birkeland Growth and Structure of the Egyptian Arabic Dialect Oslo Jacob Dybwad 1952 (2) WB Bishai laquo Nature and extent of Coptic phonological influence on Egyptian

Tableau ndeg 1 reacutealisations de lrsquoocclusive uvulaire q des interdentales fricati-ves t d d et organisation du systegraveme vocalique en fonction des divisions

geacuteo-sociologiques (selon la litteacuterature)

Division geacuteographique sociologique

Arabique Meacutesopotamien Levantin Eacutegyptien Maghreacutebin

beacutedouins nomades

ǵ-ǧ t d d ī ūē ō ā i u a

ǧ t d d ī ū ē ō ā i u a

k t d d ī ū ē ō ā i u a

g s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

beacutedouins seacutedentaires

ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

g t d d ī ū ē ō ā i u a

ḳ-g t d d ī ū ē ō ā i u a

k s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

g t d d ī ū ā i u a ǝ

citadins ǧ-g t d d ī ūē ō ā i u a

q t d ḍ ī ū ē ō ā i u a

ʔ t-s d-z ḍ-ẓ ī ū ē ō ā i u a

rsquo s z ẓ ī ū ē ō ā i u e o a

q t d d ī ū ā i u a ǝ

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

602 M Embarki Arabica 55 (2008) 583-604

comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 11: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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maghreacutebins43 doubleacute agrave chaque fois par la division sociologique (parlers beacutedouins nomades parlers beacutedouins seacutedentaires et parlers citadins)

Comme le montre le tableau ndeg 1 une telle synthegravese srsquoavegravere faiblement pertinente pour distinguer les parlers reacutegionaux et sociologiques Elle autorise neacuteanmoins plusieurs observations agrave propos des uniteacutes phonologiques qursquoil nrsquoest pas inutile de reacutesumer

Hormis les dialectes maghreacutebins qui preacutesentent un systegraveme vocalique com-poseacute de trois voyelles longues les autres groupes dialectaux preacutesentent un sys-tegraveme composeacute de cinq voyelles longues

Les consonnes interdentales et lrsquouvulaire nrsquoapparaissent pas sous la mecircme forme phoneacutetique dans les dialectes arabes modernes

Les diffeacuterences geacuteographiques et sociologiques ne sont pas tregraves marqueacutees La creacuteation de nouvelles uniteacutes ou la fusion de classes diffeacuterentes de pho-

negravemes se font toujours de maniegravere coheacuterente

Arabic raquo JSS VI (1961) pp 175-182 (3) AA Khalafallah A descriptive grammar of Saʿidi Egyptian colloquial Arabic La Haye Mouton (laquo Janua Linguarum Series Practica raquo XXXII) 1969 (4) SJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 (5) W Lehn laquo Emphasis in Cairo Arabic raquo Language XXXIX1 (1963) pp 29-39 (6) J Owens A Linguistic History of Arabic Oxford OUP 2006 (7) N Tomiche laquo Le parler arabe du Caire raquo Recherches Meacutediterraneacuteennes III (1964) (8) M Woidich laquo Cairo Arabic and the Egyptian dialects raquo AIDA 1 (1994) pp 493-507 (9) WH Worrell laquo The consonants Z and Z in Egyptian colloquial Arabic raquo JAOS XXXIV (1915) pp 278-281

43 (1) H Jill Bergeacute laquo Mutations vocaliques dans les dialectes hispano-arabes raquo Arabica XXVIII2-3 (1981) pp 362-368 (2) D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe La Haye-Paris Mouton 1970 (3) M Ennaji laquo Language contact Arabization policy and education in Morocco raquo dans Language Contact and Language Conflict in Arabic pp 70-88 (4) M Gibson laquo Dialect levelling in Tunisian Arabic towards a new spoken standard raquo dans ibid pp 24-40 (5) J GrandrsquoHenry Le parler arabe de Cherchell (Algeacuterie) Louvain Institut Orientaliste de lrsquoUniversiteacute Catholique de Louvain 1972 id laquo Le parler arabe de la Saoura (Sud-ouest algeacuterien) raquo Arabica XXVI3 (1979) pp 213-228 (6) ZS Harris laquo The phonemes of Moroccan Arabic raquo JAOS 624 (1942) pp 309-318 (7) Ibn Haldūn Kitāb al-ʿIbar wa-dīwān al-mubtadaʾ wa-l-habar fī ayyām al-ʿarab wa-l-ʿajam wa-l-barbar (Livre des exemples instructifs et recueil drsquoorigines et de reacutecits concernant lrsquohistoire des Arabes des peuples eacutetrangers et des Berbegraveres) vol 3 Histoire des berbegraveres et des dynasties musulmanes de lrsquoAfrique septentrionale traduit de lrsquoarabe par W Mac-Guckin de Slane Alger Berti Editions 2003 (8) S Lechheb laquo Structure syllabique et repreacutesentation phonologique dans le parler arabe de Mila raquo Arabica XXXIII (1986) pp 325-351 E (9) Eacute Leacutevi-Provenccedilal Textes arabes de lrsquoOuargha Dialecte des Jbala (Maroc septentrional) Paris Ernest Leroux 1922 (10) P Marccedilais Le parler arabe de Djidjelli (Nord Constantinois Algeacuterie) Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient 1952 id Parlers arabes du Fezzacircn textes traductions et eacuteleacutements de morphologie rassembleacutes et preacutesenteacutes par D Caubet A Martin et L Denooz Liegravege Bibliothegraveque de la Faculteacute de Philosophie et Lettres de lrsquoUniversiteacute de Liegravege (fasc CCLXXXI) 2001 (11) W Marccedilais Le dialecte arabe parleacute agrave Tlemcen Grammaire textes et glossaire Paris Ernest Leroux 1902 (12) J Owens laquo The syllable as prosody A re-analysis of syllabification in eastern Libyan Arabic raquo BSOAS 432 (1980) pp 277-287

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 12: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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Il appert drsquoapregraves le tableau syntheacutetique que le systegraveme vocalique est enrichi de timbres intermeacutediaires en Orient tandis qursquoau Maghreb celui-ci nrsquoest composeacute que des trois voyelles cardinales plus le schwa Sur la foi de lrsquoinven-taire vocalique une distinction geacuteographique est possible dialectes arabes orientaux vs occidentaux Deux hypothegraveses peuvent ecirctre preacutesenteacutees pour expliquer cette diffeacuterence a) compte tenu des traits universels qui preacutesident agrave la composition des systegravemes vocaliques on peut supposer que les dialectes orientaux soient agrave un stade drsquoeacutevolution plus avanceacute que les dialectes maghreacute-bins b) lrsquoinfluence du substrat est eacuteclatante dans les deux grandes reacutegions le substrat seacutemitique en Orient et berbegravere en Occident Epousant ici lrsquohypo-thegravese deacutefendue par Cowan Rabin et Young44 nous pensons que les voyelles longues ē et ō des dialectes arabes modernes de lrsquoOrient ne relegravevent pas drsquoun processus drsquoinnovation Consideacuterant lrsquoeacutetendue geacuteographique des dialec-tes en question (du sud de lrsquoArabie jusqursquoagrave lrsquoest libyen) il est difficile de sou-tenir lrsquoideacutee drsquoun processus drsquoinnovation qui se deacuteveloppe parallegravelement et de maniegravere uniforme dans des points geacuteographiques tregraves distants Aussi si lrsquoon tient compte de lrsquoisolement geacuteographique de certains dialectes et de lrsquoimpos-sibiliteacute drsquoecirctre influenceacutes par des dialectes voisins les uniteacutes phonologiques recenseacutees dans ce type de dialectes sont le reacutesultat soit de lrsquoheacuteritage soit drsquoun processus de diffusion ancien Les voyelles ē et ō sont attesteacutees aussi bien dans les dialectes ouverts sur lrsquoexteacuterieur que dans les dialectes isoleacutes geacuteogra-phiquement Par conseacutequent nous pensons que ces deux voyelles ne peuvent pas ecirctre le fruit drsquoun processus drsquoinnovation parallegravele elles existent dans les dialectes modernes car provenant de varieacuteteacutes plus anciennes

Lrsquoexistence des deux voyelles ē et ō dans le systegraveme vocalique des dia-lectes arabes anciens de la peacuteninsule arabique eacutetant admise le processus explicatif demeure cependant plus hypotheacutetique Si lrsquoinnovation paraicirct peu vraisemblable lrsquohypothegravese de lrsquoheacuteritage nrsquoest pas pour autant la seule possible Lrsquoexistence des voyelles ē et ō dans les dialectes anciens et dans plusieurs aires geacuteographiques actuellement peut ecirctre expliqueacutee eacutegalement par le proces-sus de diffusion Lrsquoeacutetat linguistique qui permettrait agrave des traits anciens de se reacutepandre aussi amplement est discuteacute par Owens il srsquoagit de lrsquoarabe lsquopreacute-diasporiquersquo45 En tout eacutetat de cause que ce soit le processus drsquoheacuteritage ou de diffusion les deux voyelles ont persisteacute sans discontinuiteacute dans les dialectes arabes des deux eacutepoques ancienne et moderne Par conseacutequent lrsquohypothegravese

44 Voir W Cowan op cit C Rabin 1951 et I Young op cit agrave propos du systegraveme vocalique du protoseacutemitique

45 J Owens 2006 chapitre 5 deacuteveloppe longuement un eacutetat avant diffusion qursquoil nomme lsquoPre-diasporic Arabicrsquo

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 13: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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selon laquelle les dialectes arabes modernes seraient issus de lrsquoarabe classique46 devient peu vraisemblable Aussi lrsquoabsence de ces voyelles dans les dialectes du Maghreb devient-elle plus explicable ce nrsquoest pas tant le stade drsquoeacutevolution qui est diffeacuterent mais la varieacuteteacute drsquoarabe qui srsquoeacutetait reacutepandue dans cette reacutegion et le reacuteseau de relations qursquoelle a entretenu avec le substrat local en lrsquooccur-rence le berbegravere Dans les dialectes maghreacutebins on relegraveve un pheacutenomegravene similaire avec le schwa qui atteste lrsquoinfluence ancienne du substrat linguisti-que berbegravere On lrsquoobserve aussi bien dans les parlers musulmans que dans les parlers juifs marocains algeacuteriens et tunisiens47

Lrsquohypothegravese de lrsquoinfluence du substrat ne concerne pas que les voyelles intermeacutediaires longues et le schwa elle concerne aussi les consonnes Lrsquoexa-men attentif de la reacuteflexion des consonnes interdentales t d d et de lrsquouvu-laire q dans les dialectes modernes peut ecirctre expliqueacutee par deux processus diffeacuterents mais neacuteanmoins connexes Le premier processus est celui de lrsquoin-fluence du substrat linguistique accadien arabe ancien arameacuteen copte et berbegravere Drsquoune part quand celui-ci posseacutedait en lrsquoeacutetat ces consonnes ndash crsquoest le cas de lrsquoarabe ancien ndash celles-ci apparaissent sans modification dans les dialec-tes modernes Crsquoest le cas pour les consonnes interdentales dans les dialectes beacutedouins nomades arabique meacutesopotamien et maghreacutebin des dialectes beacutedouins seacutedentaires arabique et meacutesopotamien et du dialecte citadin arabi-que Crsquoest aussi le cas pour la consonne uvulaire dans les dialectes citadins meacutesopotamien et maghreacutebin Drsquoautre part quand le substrat agrave lrsquoeacutepoque ougrave il eacutetait pratiqueacute autorisait des variantes desdites consonnes ou ne les posseacutedait pas les consonnes interdentales fusionnaient avec les classes consonantiques les plus proches et lrsquouvulaire apparaissait sous drsquoautres formes phoneacutetiques48 Le second processus non eacutetranger au premier est celui de la transmission directe des traits dialectaux anciens aux dialectes modernes A lrsquoinstar des voyelles intermeacutediaires longues les consonnes interdentales et lrsquoocclusive uvulaire sont

46 Voir en particulier CA Ferguson laquo The Arabic koine raquo Language 354 (1959) pp 616-630

47 Voir W Leslau laquo Hebrew elements in the Judeo-Arabic dialect of Fez raquo The Jewish Quarterly Review XXXVI1 (1947) pp 61-78 J Heath From code-switching to borrowing Foreign and diglossic mixing in Moroccan Arabic Londres-New York Kegan Paul International 1989 et W Marccedilais 1912

48 Voir H Birkeland op cit J Cantineau Le dialecte arabe de Palmyre A Faber op cit SE Fox laquo The relationships of the eastern neo-Aramaic dialects raquo JAOS 1142 (1994) pp 154-162 EE Knudsen laquo Cases of free variants in the Akkadian q phoneme raquo Journal of Cuneiform Studies XIII3 (1961) pp 84-90 MV McDonald laquo The order and phonetic value of Arabic sibilants in the abjad raquo JSS XIX (1974) pp 36-46 C Taine-Cheikh laquo Deux macro-discriminants de la dialectologie arabe (la reacutealisation du qacircf et des interdentales) raquo Mateacuteriaux Arabes et Sudarabiques 9 (1999) pp 11-50

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 14: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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reacutealiseacutees dans les dialectes modernes sous des formes autrefois recenseacutees par les grammairiens anciens

Il est indeacuteniable que les traits phonologiques embleacutematiques de la classifi-cation dialectale ne produisent pas de distinctions nettes ni horizontales entre les diffeacuterentes reacutegions ni verticales entre les varieacuteteacutes sociologiques Peu de diffeacuterences eacutemergent au sein de la mecircme zone dialectale et le marquage reacutegional est peu eacutevident Par conseacutequent aucune koinegrave sociologique ne sem-ble traverser la totaliteacute de lrsquoaire arabophone ni citadine ni beacutedouine nomade ou villageoise soit-elle Lrsquoobservation de Cohen agrave propos de la koinegrave citadine qui serait un aboutissement suite agrave un processus drsquoinnovation enclencheacute dans diverses citeacutes49 ne semble pas se confirmer sous la forme de synthegravese que nous avons adopteacutee

Ce que lrsquoon deacutecrit drsquoune part dans la litteacuterature comme innovation essen-tiellement agrave propos des voyelles intermeacutediaires et du schwa et drsquoautre part comme la fusion de classes diffeacuterentes de phonegravemes se fait toujours de maniegravere coheacuterente Les voyelles intermeacutediaires apparaissent systeacutematiquement par paire une ou deux voyelles anteacuterieures ē ou e parallegravelement avec une ou deux voyelles posteacuterieures ō ou o avec une parfaite symeacutetrie lrsquoune supposant lrsquoautre Aucun systegraveme reacutegional nrsquoautorise lrsquoapparition drsquoune seule voyelle intermeacutediaire et quand crsquoest le cas comme pour la zone maghreacutebine il srsquoagit obligatoirement de la voyelle centrale ǝ qui nrsquoimplique pas lrsquoexis-tence drsquoune autre voyelle de mecircme aperture anteacuterieure ou posteacuterieure La fusion des interdentales avec les dentales ou les alveacuteolaires concerne unifor-meacutement toute la seacuterie aucun groupe de dialectes nrsquoaccepte le panachage entre deux classes dentales et alveacuteolaires pour remplacer les interdentales

3 Nouvelles perspectives pour la typologie dialectale

Si les distinctions sur la foi des eacuteleacutements phonologiques ci-dessus ne sont pas nettes cela ne peut aucunement conduire agrave reacutefuter en bloc toute entreprise de classification Il suffit de voyager agrave travers cet espace linguistique arabo-phone drsquoobserver des situations de discours diverses ou drsquoeacutecouter les radios et de regarder les teacuteleacutevisions nationales pour se rendre agrave lrsquoeacutevidence des parti-culariteacutes phoneacutetiques reacutegionales qui traversent les dialectes arabes Ces parti-culariteacutes influencent la production en arabe moderne Dans une situation de discours tregraves formelle (lecture en arabe moderne) des locuteurs arabophones de diverses origines dialectales remplacent les fricatives interdentales par celles

49 D Cohen Eacutetudes de linguistique seacutemitique et arabe

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 15: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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qui sont disponibles dans leur dialecte reacutegional50 Outre les diffeacuterences drsquoex-pression en arabe moderne les productions dialectales sont naturellement discrimineacutees au niveau perceptif par des sujets arabophones51

Srsquoils concourent incontestablement agrave une certaine typologie geacuteographique et sociologique les phonegravemes examineacutes ci-dessus ne sont eacutevidemment pas les seuls agrave ecirctre mobiliseacutes Etant donneacute la diffeacuterence de densiteacute des systegravemes voca-liques les uns avec sept voyelles drsquoautres avec dix et entre les deux une majo-riteacute avec un systegraveme composeacute de huit voyelles lrsquoespace articulatoire et acoustique est diffeacuterent en fonction du dialecte maternel52 Le travail meneacute par Al-Tamimi53 montre que lrsquoespace acoustique et perceptif est plus centra-liseacute en arabe marocain compareacute agrave lrsquoarabe jordanien Des eacutetudes plus nom-breuses comparant ce double espace dans plusieurs zones dialectales sont encore neacutecessaires

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute plus haut il existe dans les eacutetudes lin-guistiques et dialectologiques arabes une reacuteelle tendance agrave la centration sur les consonnes laquelle tendance conduit agrave une totale omission de la syllabe et des enchaicircnements syllabiques54 Marccedilais attirait lrsquoattention sur la syllabe comme siegravege privileacutegieacute de la variation interdialectale La litteacuterature consacreacutee aux dialectes arabes laisse apparaicirctre une variabiliteacute des structures syllabiques comme en teacutemoignent les nombreux travaux sur les diffeacuterences qəltu vs gələt dialects55 ou sur le gahawa syndrome Ces diffeacuterences se reacuteduisent agrave la base agrave des schegravemes syllabiques preacutefeacuterentiels diffeacuterents Or comme les donneacutees ne portent pas directement sur les bases syllabiques le lecteur peine agrave voir que les structures syllabiques non seulement elles sont diffeacuterentes drsquoune zone dialectale agrave lrsquoautre mais elles sont surtout le fondement mecircme de toute

50 N Sabhi laquo La variabiliteacute dialectale arabe peut-elle ecirctre un moyen de reconnaissance de lrsquoorigine geacuteographique Les fricatives interdentales outils drsquoidentification raquo Revue Parole II (1997) pp 161-181

51 M Barkat-Defradas I Vasilescu et F Pellegrino dans laquo Strateacutegies perceptuelles et identification automatique des langues application au continuum dialectal arabophone raquo Revue Parole XXVXXVI (2003) pp 1-44 ont montreacute que des locuteurs provenant de six pays arabes diffeacuterents [Maroc Algeacuterie Tunisie Eacutegypte Liban et Syrie] identifiaient correctement des eacutechantillons de parole appartenant agrave leur reacutegion le taux de reconnaissance eacutetant proche de 98

52 J Al-Tamimi laquo Analyse dynamique de la reacuteduction vocalique en contexte CV agrave partir des pentes formantiques en arabe dialectal et en franccedilais raquo dans Actes des XXVIe Journeacutees drsquoEacutetude sur la Parole Dinard 2006 pp 357-360 M Barkat laquo Deacutetermination drsquoindices acoustiques robustes pour lrsquoidentification automatique des parlers arabes raquo Langues et Linguistique VII (2001) pp 47-75

53 J Al-Tamimi Indices dynamiques et perception des voyelles Eacutetude translinguistique en arabe dialectal et en franccedilais thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 2007

54 TF Mitchell laquo Prominence and syllabication in Arabic raquo BSOAS 232 (1960) p 37055 H Blanc 1964

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 16: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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distinction linguistique Il est donc neacutecessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de srsquoappuyer sur les structures syllabiques privileacutegieacutees de chaque groupe dialectal et sur le contraste qursquoelles produisent entre les diffeacuterentes reacutegions Hamdi a montreacute que le poids de la syllabe eacutetait diffeacuterent entre les dialectes arabes en fonction drsquoune part du nombre de consonnes impliqueacutees et drsquoautre part de la quantiteacute de la voyelle qui en est le noyau Le Maroc par exemple se distingue par une forte propension agrave preacutesen-ter des syllabes lourdes avec des voyelles bregraveves le Liban a une nette preacutefeacute-rence pour les syllabes leacutegegraveres et ouvertes avec des voyelles longues la Tunisie preacutesente une tendance intermeacutediaire56

La structure syllabique est intimement lieacutee agrave drsquoautres aspects phoneacutetiques et linguistiques comme le rythme et le deacutebit de parole Nous avons montreacute que des diffeacuterences de deacutebit de parole apparaissent agrave lrsquoeacutechelle locale ie au sein de la mecircme ville entre locuteurs issus de diffeacuterents quartiers En effet des distinctions en fonction du lieu drsquohabitat (quartier ancien du centre vs quar-tier nouveau peacuteripheacuterique) jaillissent au niveau de lrsquoagencement temporel des segments phoneacutetiques57 Hamdi et al ont montreacute des diffeacuterences entre les proportions que repreacutesentent la dureacutee de la voyelle au sein de la syllabe (inter-valle vocalique) diffeacuterences qui sont variables entre les reacutegions Ainsi les intervalles vocaliques sont plus reacuteduits dans les dialectes maghreacutebins que dans les dialectes du Proche et Moyen-Orient (Maroc et Algeacuterie 33 Tunisie 35 Eacutegypte 37 Liban 42 Jordanie 41)58 Reprenant les mecircmes reacutesultats Hamdi sans rejeter la possible distinction entre Maghreb vs Orient qui eacutemerge en comparant ces deux extrema preacutecise qursquoune zone intermeacute-diaire composeacutee de la Tunisie et de lrsquoEacutegypte permettrait de pencher plutocirct pour un continuum entre les diffeacuterents dialectes59

La litteacuterature montre que des indices acoustiques plus fins supportent lrsquoagencement syllabique Sussmann et al ont montreacute que la structure syllabi-que CV (C=consonne V=voyelle) acquise en langue maternelle srsquoaccompa-gne drsquoun habitus langagier propre agrave la langue et partant avec une relation speacutecifique entre ces deux eacuteleacutements composant la syllabe (pheacutenomegravenes de coarticulation)60 Embarki et al ont examineacute la production en arabe moderne

56 R Hamdi La variation rythmique dans les dialectes arabes thegravese de Doctorat drsquouniversiteacute en co-tutelle Universiteacute Lumiegravere Lyon 2-Universiteacute 7 Novembre Carthage (Tunisie) 2007

57 M Embarki laquo Variation and Changes in the Phonetics and Prosody of Ksar el Kebir raquo dans Arabic in the City pp 213-229

58 R Hamdi M Barkat-Defradas et F Pellegrino laquo De la caracteacuterisation linguistique agrave lrsquoidentification automatique des dialectes arabes raquo Actes de Workshop MIDL Carreacute des sciences Paris 29-30 novembre 2004

59 R Hamdi 200760 HM Sussman K Hoemeke et H McCaffrey laquo Locus equations as an index of

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

602 M Embarki Arabica 55 (2008) 583-604

comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 17: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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et en arabe dialectal de seize locuteurs repreacutesentant quatre des cinq groupes de dialectes (les dialectes eacutegyptiens nrsquoont pas eacuteteacute repreacutesenteacutes) Les reacutesultats ont montreacute que le passage de la consonne agrave la voyelle dans le contexte consonan-tique pharyngaliseacute vs non pharyngaliseacute en arabe moderne srsquoaccompagnait de coefficients de coarticulation (eacutequation de locus) qui ne permettaient pas lrsquoeacutemergence des quatre groupes de dialectes Les locuteurs arabiques meacutesopo-tamiens et levantins preacutesentaient des eacutequations de locus convergentes les-quelles sont distinctes de celles des locuteurs maghreacutebins La mise en eacutevidence de deux zones distinctes Orient vs Occident demeurait insensible au change-ment de langue arabe moderne vs arabe dialectal61 La typologie dialectale doit prendre en consideacuteration les indices acoustiques fins de la coarticulation car ils sont probablement plus pertinents au niveau perceptif que nrsquoimporte quel autre trait linguistique dans la distinction geacuteographique et sociologique

Plusieurs travaux montrent que le contraste phonologique de quantiteacute vocalique bien que maintenu nrsquoest pas reacutealiseacute uniformeacutement dans les dialec-tes arabes modernes En effet le contraste voyelle longuevoyelle bregraveve dimi-nue en allant de lrsquoest vers lrsquoouest de lrsquoaire arabophone ie les locuteurs du Moyen-Orient reacutealisent les voyelles longues sensiblement plus longues que leurs correspondantes bregraveves tandis que les locuteurs du Maghreb reacutealisent des voyelles longues avec une dureacutee agrave peine supeacuterieure agrave celle de leurs corres-pondantes bregraveves Cette particulariteacute phoneacutetique apparaicirct aussi bien dans les eacutetudes qui ont porteacute sur les dialectes que dans celles qui se sont inteacuteresseacutees agrave lrsquoarabe moderne62 Lrsquoeacutetude de Jomaa montre agrave la fois la possible distinction entre Orient vs Occident quand on compare deux pays eacuteloigneacutes et lrsquoexistence drsquoun continuum quand on compare des zones proches

Nous avons examineacute dans plusieurs travaux la question de la quantiteacute voca-lique en arabe marocain63 et nous avons montreacute que le parler arabe de Ksar el Keacutebir (nord-ouest du Maroc) ne preacutesentait pas drsquoopposition de dureacutee quand la voyelle basse a est impliqueacutee dans des lexegravemes bisyllabiques issus de

coarticulation and place of articulation distinctions in children raquo Journal of Speech and Hearing Research XXXV (1992) pp 397-420

61 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS 2007 pp 141-146

62 Pour une synthegravese voir M Jomaa laquo Lrsquoopposition de dureacutee vocalique en arabe essai de typologie raquo Actes des XX egravemes JEP Trigastel 1994 p 395-400 RF Port S Al-Ani et S Maeda laquo Temporal compensation and universal phonetics raquo Phonetica 37 (1980) pp 235-252

63 M Embarki laquo Les deux niveaux de motivation de la variation phoneacutetique en situation de contact de langues raquo dans Langues et contacts de langues dans lrsquoaire meacutediterraneacuteenne pratiques repreacutesentations gestions dir H Boyer Paris LrsquoHarmattan 2004 pp 183-196 M Embarki et C Guilleminot laquo The Moving boundaries of the first-acquired varietyrsquos phonological features evidence from productionperception of Moroccan Arabicrsquos vowels raquo Proceedings of 15th ICPhS 2003 pp 639-642

600 M Embarki Arabica 55 (2008) 583-604

lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

M Embarki Arabica 55 (2008) 583-604 603

La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

604 M Embarki Arabica 55 (2008) 583-604

les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

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lrsquoarabe ancien lesquels preacutesentent encore en arabe moderne une opposition de quantiteacute (ā long dans la premiegravere syllabe vs a bref dans la seconde) Dans son eacutetude de lrsquoarabe eacutegyptien Birkeland srsquointerrogeait sur le rocircle pho-neacutemique joueacute par la quantiteacute vocalique Comme il ne recensait que tregraves peu de paires minimales ī vs ē et ū vs ō et une fonction plus active de lrsquoac-cent dans lrsquoindication du contraste il preacutedisait le remplacement en arabe eacutegyptien de lrsquoopposition de quantiteacute par le contraste accentuel Remplace-ment somme toute assez logique car le trait de quantiteacute est deacutecrit en phono-logie comme un trait primitif que les langues abandonnent au fil de leur eacutevolution Il serait inteacuteressant de reacutealiser des eacutetudes contrastives plus appro-fondies agrave la fois geacuteographiques et sociologiques sur la question de lrsquoopposi-tion de quantiteacute drsquoeacutelaborer ensuite un bilan plus preacutecis des diffeacuterences et de le correacuteler enfin aux donneacutees sur lrsquoespace articulatoire et acoustique mis en eacutevidence pour chaque groupe de dialectes

Les diffeacuterences reacutegionales sont exprimeacutees par des indices de dureacutee ne deacutependant pas uniquement de lrsquoopposition de voyelles longue vs bregraveve La lit-teacuterature phoneacutetique montre que le contraste consonantique de voisement par exemple dans les seacutequences syllabiques as vs az se traduit par des effets temporels inversement proportionnels sur la voyelle et sur la consonne64 En contexte consonantique non voiseacute (s) la dureacutee de la consonne est longue mais celle de la voyelle (a) est abreacutegeacutee tandis qursquoen contexte consonantique voiseacute (z) la dureacutee de la consonne est abreacutegeacutee mais celle de la voyelle est allongeacutee Lrsquohypothegravese soutenue par Guilleminot et al est que si les diffeacuterences reacutegionales entre les locuteurs arabophones sont perceptibles agrave lrsquooreille cel-les-ci peuvent entre autres se manifester dans le contraste de voisement65 Lrsquoanalyse de la production en arabe moderne de 16 sujets arabophones (koweiumltiens jordaniens marocains et yeacutemeacutenites) montre que les effets du voi-sement tout en agissant globalement sur la dureacutee de la voyelle devant le contraste consonantique (obstruentes voiseacutee vs non voiseacutee) se manifestaient de maniegravere variable selon lrsquoorigine dialectale du sujet En effet deux zones dialectales eacutemergent une zone composeacutee des locuteurs koweiumltiens jordaniens et marocains qui se distingue de la zone yeacutemeacutenite

Rares sont les eacutetudes qui prennent en compte dans la classification reacutegio-nale les paramegravetres prosodiques Blau a montreacute que lrsquoaccentuation en arabe au deacutepart oxytonique est devenue paroxytonique sous lrsquoinfluence du parler

64 F Mitleb laquo Voicing effect on vowel duration is not an absolute universal raquo Journal of Phonetics 12 (1984) pp 23-27

65 Ch Guilleminot M Yeou S Al Maqtari et M Embarki laquo Le voisement en arabe moderne un indice de classement dialectal raquo Rencontre internationale Typologie des parlers arabes traits meacutethodes et modegraveles de classification 14-15 mai 2007

M Embarki Arabica 55 (2008) 583-604 601

maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 19: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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maghreacutebin qui abandonnait progressivement la clarification deacutesinentielle Avec la geacuteneacuteralisation de la chute des syllabes finales lrsquoaccent un temps oxy-tonique a une deuxiegraveme fois glisseacute vers la peacutenultiegraveme dans les dialectes syro-libanais66 Compte tenu de la diversiteacute des regravegles accentuelles il est eacutevident que lrsquoaccent produit des diffeacuterences notables entre les diverses reacutegions67 Ces diffeacuterences accentuelles qui affectent toute lrsquoarchitecture linguistique sem-blent ecirctre lieacutees au substrat linguistique Lrsquoinfluence aurait commenceacute degraves les premiers siegravecles de contact entre la varieacuteteacute drsquoarabe et le substrat local Cer-tains travaux montrent par exemple que les muwaššahāt de la poeacutesie arabo-andalouse sont influenceacutees par la meacutetrique romane ie avec un rythme accentuel (stress-timed) et non quantitatif comme en arabe classique Srsquoap-puyant sur les muwaššahāt drsquoIbn Bassām (m 1147) et drsquoIbn Sanāʾ al-Mulk (m 1211-2) Semah montre toutefois que celles-ci sont caracteacuteriseacutees par le rythme syllabique (syllable-timed) et non accentuel (stress-timed)68 Le pro-cessus de spirantisation deacutecrit plus haut est correacuteleacute selon Corriente agrave la nature de lrsquoaccent Il se produit avec un accent fort caracteacuteristique des dialectes maghreacutebins par opposition aux dialectes orientaux ougrave il ne se produit pas agrave cause du caractegravere leacuteger de lrsquoaccent Ce dernier exemple drsquoimplication de lrsquoac-cent dans des opeacuterations visant le niveau segmental teacutemoigne de la neacutecessiteacute de mener des eacutetudes plus amples sur cette question afin drsquoaffiner davantage la division dialectale et de mettre en eacutevidence les influences globales et locales qursquoont subies les dialectes reacutegionaux Lrsquoapport de lrsquoaccent a eacuteteacute souligneacute dans drsquoautres eacutetudes notamment celle de Bergeacute qui ouvre une voie originale pour lrsquoobservation des changements vocaliques intervenus dans les dialectes arabes de lrsquoEspagne musulmane Lrsquoauteur constate que le remplacement de lrsquoopposi-tion de quantiteacute vocalique par lrsquoopposition accentuelle srsquoopegravere sous certaines conditions En srsquoappuyant sur des documents espagnols et des textes arabes du Moyen-Age elle a observeacute dans lrsquoeacutetymologie des toponymes les mutations vocaliques et lrsquoapparition de nouvelles uniteacutes dans les dialectes hispano-arabes

66 J Blau laquo Middle and old Arabic for the history of stress in Arabic raquo BSOAS 353 (1972) pp 476-484

67 Voir B Ingham 1971 pour le parler de la Mecque pour les parlers eacutegyptiens voir H Birkeland op cit WF Edgerton laquo Stress vowel quantity and syllabic division in Egyptian raquo Journal of Near Eastern Studies VI (1947) pp 1-17 SSJ Kussaim laquo Lrsquoaccent de mot dans lrsquoarabe du Caire raquo Arabica XV (1968) pp 289-315 TF Mitchell An introduction to Egyptian colloquial Arabic Oxford 1956 id 1960 et N Tomiche op cit voir pour les parlers palestiniens IM Abu-Salim laquo Vowel shortening in Palestinian Arabic A metrical perspective Lingua 68 (1986) pp 223-240 et C Douglas Johnson laquo Opaque stress in Palestinian raquo Lingua 49 (1979) pp 153-168 pour les parlers maghreacutebins voir J GrandrsquoHenry 1979 ZS Harris op cit Ph Marccedilais 1952 W Marccedilais 1902 et J Owens op cit

68 D Semah laquo Quantity and syllabic parity in the Hispano-Arabic muwwaššah raquo Arabica XXXI (1984) pp 80-107

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

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comme dans a ou ā agrave ȩ ou ȩ agrave e ou ē agrave i (al-wādī l-kabīr gt Gua-dalquivir) ī agrave e (al-madīq gt Almadeque laquo lrsquoespace eacutetroit raquo) ū agrave o (sūq gt ccediloq gt zoco laquo marcheacute) u agrave ǫ en syllabe atone (al-munāda gt lsquoalmonedarsquo laquo enchegravere raquo)69

Une autre direction de recherche qui serait certainement tregraves feacuteconde pour la typologie dialectale concerne lrsquoapport des aspects meacutelodiques Yeou et al ont montreacute que le pheacutenomegravene de focalisation (insistance) se manifestait en arabe dialectal par des indices exploitables70 La monteacutee meacutelodique (appeleacutee alignement Fo dans la litteacuterature) dans des mots de deux syllabes [CVCVC] comme [salīm] compareacutee agrave celle drsquoun mot de mecircme structure phoneacutetique mais de trois syllabes [CVCVCV] comme [salīma] preacutesentait des diffeacuterences reacutegionales importantes Les cinq locuteurs de chaque pays [Maroc Koweiumlt et Yeacutemen] se distinguaient les uns des autres par la synchronisation des pics de Fo avec la syllabe focaliseacutee En contexte syllabique CV [lī] le pic de Fo inter-vient dans le domaine de la syllabe accentueacutee pour les locuteurs koweiumltiens et yeacutemeacutenites et apregraves la syllabe accentueacutee pour les locuteurs marocains ie sur la syllabe [ma] En contexte CVC [līm] le pic de Fo intervient plus tocirct chez les locuteurs koweiumltiens que chez les locuteurs yeacutemeacutenites et marocains

4 Discussion

La compeacutetence intuitive ou naiumlve que possegravede chaque arabophone dans la discrimination correcte de discours produits par des locuteurs issus de la mecircme reacutegion geacuteographique que lui repose indeacuteniablement sur des phonegravemes et la variation autour de ces phonegravemes Nous avons vu par exemple que qua-tre des cinq reacutegions geacuteographiques (arabique meacutesopotamienne levantine et eacutegyptienne) actualisent un systegraveme vocalique comportant en plus des trois voyelles cardinales longues ī ū ā deux voyelles intermeacutediaires longues ē et ō Nous avons consideacutereacute cette diffeacuterence non pas comme une innovation qui se serait deacuteveloppeacutee parallegravelement dans les quatre reacutegions mais la reacutesul-tante soit drsquoun long heacuteritage passeacute de lrsquoarabe ancien aux dialectes arabes modernes soit drsquoun processus de diffusion ample qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute agrave une eacutepoque tregraves lointaine Plusieurs sources bibliographiques incontestables nous ont permis de voir que ces voyelles existaient bien dans les dialectes anciens Les donneacutees historiques viennent en quelque sorte eacuteclairer notre compreacutehen-sion des aspects phonologiques observeacutes en synchronie

69 H Jill Bergeacute op cit70 M Yeou M Embarki et S Al Maqtari laquo Contrastive focus and Fo patterns in three Arabic

dialects raquo Nouveaux Cahiers de Linguistique Franccedilaise 28 (2007) pp 317-326

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

Page 21: Les dialectes arabes modernes : état et nouvelles …mapage.noos.fr/masdar/M.Embarki-DialectesArabes.pdf · ancien aux dialectes arabes modernes, soit d un processus de diusion ample

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La compeacutetence intuitive ou naiumlve repose eacutegalement comme lrsquoont montreacute les eacutetudes citeacutees plus haut sur des indices acoustiques fins Ces indices deacutepen-dent de deux pheacutenomegravenes diffeacuterents la coarticulation (lrsquoinfluence et la conta-mination que se livrent des sons appartenant agrave la mecircme seacutequence sonore non seulement au niveau articulatoire et acoustique mais aussi au niveau cogni-tif ) et la prosodie

Outre les distinctions reacutegionales qursquoelle offre la coarticulation pourrait constituer la base drsquoun modegravele explicatif agrave lrsquoeacutevolution des quatre consonnes exposeacutee dans la section ndeg 1 ie sīn (س) šīn (ش) gīm ( ج) et dād (ض) Ces consonnes sont toutes passeacutees drsquoune articulation palatale selon les grammai-riens anciens agrave une articulation dentale ou alveacuteolaire que nous leur connais-sons en arabe moderne Cette eacutevolution est drsquoautant plus instructive qursquooutre le fait que la nouvelle structuration du systegraveme a concerneacute principalement les consonnes palatales le changement drsquoarticulation srsquoest fait constamment vers lrsquoavant et jamais vers lrsquoarriegravere de la caviteacute Cette eacutevolution serait donc motiveacutee par la recherche drsquoun meilleur controcircle articulatoire Au-delagrave du simple chan-gement de lieu drsquoarticulation en passant vers une articulation dentale ou alveacuteolaire ces consonnes remontent toutes drsquoune articulation dorsale (avec le dos de la langue) moins controcircleacutee agrave une articulation apicale (avec la pointe de la langue) plus controcircleacutee La recherche de cibles articulatoires mieux controcircleacutees nrsquoest pas non plus une fin en soi mais un moyen pour reacutesister drsquoavantage aux pheacutenomegravenes drsquoassimilation Il serait donc utile drsquoexaminer le rocircle qursquoont joueacute dans cette eacutevolution les voyelles de lrsquoarabe classique i u a qui elles nrsquoont pas eacutevolueacute La recherche drsquoun maximum de reacutesistance coarti-culatoire pour les consonnes irait de pair peut-ecirctre serait-elle la reacutesultante de la preacuteservation drsquoun systegraveme vocalique tregraves appauvri mais neacutecessairement compliant Ce qui est deacutejagrave le cas en arabe moderne chaque voyelle est entou-reacutee de plusieurs allophones Cette hypothegravese expliquerait en partie les diffeacute-rences actuelles existant entre drsquoune part lrsquoarabe moderne et drsquoautre part certaines langues seacutemitiques comme lrsquoheacutebreu Lrsquoarabe moderne a anteacuterioriseacute ses consonnes palatales mais il a maintenu un systegraveme vocalique ancien Parallegravelement lrsquoheacutebreu a maintenu ses consonnes palatales mais il a boule-verseacute son systegraveme vocalique en introduisant des voyelles intermeacutediaires bregraveves et longues71

Lrsquohypothegravese de lrsquoinnovation consonantique par le biais de lrsquoanteacuteriorisation et du maintien drsquoun systegraveme vocalique primitif vs maintien du consonantisme et innovation vocalique pourrait moyennant quelques ajustements expliquer

71 A Roman laquo De la langue arabe comme un modegravele geacuteneacuteral de la formation des langues seacutemitiques et de leur eacutevolution raquo Arabica XXVIII (1981) pp 127-161

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146

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les reacutesultats de lrsquoeacutetude sur la coarticulation pharyngale En effet Embarki et al72 ont montreacute que les eacutequations de locus des consonnes pharyngaliseacutees sont plus eacuteleveacutees pour les locuteurs maghreacutebins compareacutees agrave celles des autres reacutegions orientales Les diffeacuterences de coarticulation entre les deux zones dia-lectales reflegravetent au niveau articulatoire deux degreacutes de pharyngalisation des consonnes sād (ص) dād rsquo (ض) tārsquo (ط) et zārsquo (ظ) plus leacutegegravere au Maghreb et plus forte en Orient Or les diffeacuterences dans le degreacute de pharyngalisation sont en partie fonction de la surface de deacuteploiement du dos de la langue moins deacuteployeacute dans la pharyngalisation leacutegegravere vs plus deacuteployeacute dans la pharyn-galisation forte Srsquoagissant parallegravelement de systegravemes vocaliques diffeacuterant par leur nombre drsquouniteacutes ndash plus reacuteduit au Maghreb vs plus riche en Orient ndash on peut se demander si la pharyngalisation leacutegegravere nrsquoest pas contrainte par la preacute-servation drsquoun systegraveme vocalique appauvri

Les divers aspects pris en consideacuteration dans cette eacutetude ne se laissent pas facilement appreacutehender par le deacutecoupage en aires geacuteographiques homogegravenes La prosodie dans ses multiples composants (meacutelodie accent rythme deacutebit de parole) les timbres vocaliques et leur quantiteacute la coarticulation livrent leur extrecircme variabiliteacute drsquoune reacutegion du Monde arabe agrave lrsquoautre drsquoun pays agrave lrsquoautre et drsquoune localiteacute agrave lrsquoautre A nous chercheurs de savoir explorer cette variabiliteacute lui donner sens lui trouver les contours geacuteographiques adeacutequats disseacutequer les ingreacutedients sociologiques qui la motivent Qursquoon se rassure aussi La variabiliteacute comme objet de recherche mecircme nrsquoest concevable que parce qursquoil existe au preacutealable un fond linguistique stable et partageacute par les diffeacuterentes varieacuteteacutes arabes Sur ce point heureusement tous les chercheurs sont drsquoaccord

72 M Embarki M Yeou Ch Guilleminot et S Al Maqtari laquo An acoustic study of coarticulation in Modern Standard Arabic and Dialectal Arabic pharyngealized vs non-pharyngealized articulation raquo Proceedings of 16th ICPhS pp 141-146