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Les Exilés de l’anse à Mouille-Cul L’étonnante histoire de Laurent Chouinard et Claire Gagnon

Gaston Deschênes

L E S C A H I E R S D U S E P T E N T R I O NExtrait de la publication

Extrait de la publication

LES EXILÉS DE L’ANSE À MOUILLE-CUL


Du même auteur, au Septentrion

L’Année des Anglais. La Côte-du-Sud à l’heure de la conquête, 1988, 192 p.

La Côte-du-Sud, cette inconnue, 1991, 84 p.

Les Origines littéraires de la Côte-du-Sud, 1996, 125 p.

Les Voyageurs d’autrefois sur la Côte-du-Sud, 2001, 350 p.

Gaston Deschênes

LES EXILÉS DE L’ANSE À MOUILLE-CUL

L’étonnante histoire de Laurent Chouinard et Claire Gagnon

S E P T E N T R I O N

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Cet événement a eu lieu douze ans avant ma naissance ;

j’ai été quasi bercé avec cette histoire. J’ai même connu le célébrant de ce mariage.

Les habitants, avec l’esprit satirique de leurs ancêtres qui leur fait aussitôt trouver l’épithète la plus mordante, l’avaient nommé le « pape » ;

c’était en effet les attributionsdu chef de l’Église catholique,

dont il s’était emparé, puisqu’il avait fait un acte que ni prêtre,

ni évêque même pouvaient accomplir. Lorsqu’il passait dans les chemins,

les habitants disaient : « Voilà le pape qui passe » ; s’il approchait d’une maison on disait :

« Voici le pape qui arrive : préparons-nous à lui demander des indulgences ! »

Philippe Aubert de Gaspé, Mémoires



AVANT-PROPOS

L’ aurait pu sortir de l’imagination d’un romancier. Elle

est pourtant authentique et ses deux « héros » ont vraiment vécu pendant une partie de leur errance à proximité de l’anse à Mouille-Cul dans ce qui est aujourd’hui le parc du Bic.

On m’a suggéré d’en faire un roman histo-rique, mais l’histoire et la fiction ne se mélangent pas sans risques. Un roman peut s’appuyer sur des faits historiques sans altérer sa qualité d’œuvre littéraire (il s’en trouvera même meilleur…) mais un ouvrage d’histoire perd toute crédibilité s’il contient des éléments de fiction qui ne sont pas précisément définis comme tels.

Philippe Aubert de Gaspé a essayé de contour- ner le problème en multipliant les « explications » pour donner les fondements historiques de certains passages des Anciens Canadiens mais son ouvrage demeure une œuvre d’imagination dont on ne peut utiliser les éléments comme faits historiques, sauf ceux qui sont expliqués dans les annotations.


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Ici, tout repose sur une documentation sûre. L’histoire est étonnante : un vrai roman qui débute à Saint-Jean-Port-Joli en janvier 1774.


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Chapitre 1

LE PAS FATAL

L , le curé de L’Islet apprend qu’un événement extraordinaire est survenu

la veille à Saint-Jean-Port-Joli. Dans cette paroisse qui a sa chapelle depuis 1737 mais pas encore de curé résident, un homme et une femme ont « célébré » un simulacre de mariage dans une rési-dence privée en présence de quelques parents et amis1.

1. Gérard Ouellet a raconté cet événement dans Ma paroisse, Saint-Jean Port-Joly (Québec, Les Éditions des Piliers, 1946, p. 51-58). L.-Philippe Bonneau en a repris l’essentiel, 40 ans plus tard, dans la biographie de Pierre-Laurent Bédard (Un curé et son temps, La Pocatière, Société historique de la Côte-du-Sud, 1984, p. 103-106). Dans son ouvrage Mariage et famille au temps de Papineau (Sainte-Foy, PUL, 1993), Serge Gagnon résume toute l’histoire de ce couple aux pages 219-220. Enfin, Luce Jean-Haffner s’y est intéressée sous l’angle généalogique dans Les Chouinard, histoire et dictionnaire généa-logique (Québec, 1993, p. 362-363).


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Les acteurs

Né en France en 1729 et ordonné prêtre à Québec en 1753, Jacques Hingan dessert « Saint-Jean de Port-Joly » depuis 1767 ; il connaît bien sa petite population et les personnes impliquées dans le scandale qui vient d’éclater.

Le personnage dont le portrait se trouve à la sacristie de l’église de L’Islet et qu’on présente comme l’abbé Jacques Hingan serait en fait le père Frézal Tardieu, prêtre de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie (picpucien) né en France le 18 novembre 1814 et tué lors de l’insurrection de la Commune de Paris en 1871. On trouve le portrait du père Tardieu dans l’album de photographies de prêtres conservé aux archives de l’Hôpital général de Québec (information obtenue de Jean-Daniel Thériault).(Source : L’église de L’Islet, 1768-1968)

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Le « marié » vient d’avoir 31 ans et s’appelle Laurent Chouinard. Né le 13 janvier 1743 du mariage de François Chouinard et de Marguerite Rochefort, il a été baptisé à L’Islet2 le lendemain. On sait peu de chose de ses activités, son nom ne figure pas dans les actes d’état civil comme parrain ou témoin et il se serait adonné très tôt à la navi-gation ou à la pêche dans le bas du fleuve.

Son « épouse », Marie-Claire Gagnon, est veuve depuis huit mois. Née le 2 octobre 1740, fille de Joseph Gagnon et de Marie-Claire Fournier, elle a été baptisée le lendemain à L’Islet. Orpheline et prise en tutelle par son oncle Joseph-Marie Gaulin, de Saint-Jean-Port-Joli, Marie-Claire Gagnon a épousé, le 14 juillet 1760, « Romain Duval Dupont Lo », fils de « François Dupont Lo dit Duval » et de dame Élisabeth Goupil3. De ce couple établi à Saint-Jean-Port-Joli naissent au moins quatre enfants dont trois ont vécu jusqu’à l’âge adulte et se sont mariés :

2. Dans les actes concernant deux enfants précédents – 1738 et 1741 –, le lieu de résidence des parents est L’Islet mais, lors du baptême de la dernière de la famille, en 1749, le couple réside à Saint-Jean.3. Contrat Noël Dupont, 13 juillet 1760. Le grand-père de Romain, François Duval, premier de sa lignée au Canada, était le fils de Guillaume Duval, seigneur du Ponthaut. Le nom de ce domaine est devenu, sous les formes les plus diverses (Dupontls, Dupols, etc.), le surnom de plusieurs descen-dants.

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Population de Saint-Jean du Sud selon le recensement de 1762

Mons. Gaspé, seign.Guille Fournier,

capne.Louis Fournier, lieutAugustin Duval, ens.Joseph Carron, maj.Augustin FournierJoseph-Marie GaullinFrançois FournierFrançois LabéNoël BlanchetteJoseph FortinJoseph DutrembléJulien BurgotFrançois DuvalRomain DuvalAugustin DevinLouis Fournier filsFranc.-Pierre JeanVve Jean MartinPierre JeanJoseph-Pierre JeanAntoine La TerreurLouis ChouinardJoseph ArbourVve DonstourIgnace Vaillancourt

Jean LeclercJean BélangerÉtienne CarronPre Chouinard

de la Rive.Barthélemy DubéJoseph DurandPierre CarronJean CarronVve Louis CarronPierre CouturierPierre Chouinard fils

de la RivièreBaptiste LeclercGeorges LeblancBarthélemy BélangéPierre ChouinardLouis BourgetPierre BaquetFranc. MorinCharles LabéJulien ChouinardJean ChouinardCharles ChouinardAntoine St-PierreAndré MorinJean Vaillancourt


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Louis GuilletJoseph ChartierGabriel Chouinard

Joseph LuretFranc. Hobuc

Les 56 « feux » (Forges) de Saint-Jean-Port-Joli abritent 55 hommes, 57 femmes, 22 jeunes hommes (plus de 15 ans), 92 garçons (moins de 15 ans), 131 filles et jeunes filles, 7 domestiques adultes (plus de 15 ans), 4 jeunes domestiques (moins de 15 ans), 1 domestique féminin et 10 étrangers, pour un total de 379 habitants. (Source : RAPQ, 1925-1926, p. 17-18)

introuvable, qui épousera Jean Gagnon en 1782 ;

le 26, qui épousera Marie-Élisabeth Bernier en 1792 ;

1772, qui épousera Jean-Baptiste Fonjamy dit Vadeboncoeur en 1789.

Un quatrième, André, baptisé à Saint-Jean-Port-Joli le 8 janvier 1771, était probablement mort (même si l’on ne trouve pas d’acte de sépul-ture) quand Romain Duval décède le 4 mai 1773, laissant une jeune veuve et trois enfants mineurs.


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Acte de sépulture de Romain Duval

« L’an mil sept cent soixante treize le six de may pour nous ptre Curé de St Jean de Port Joly a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse Romain Duval mort d’avant hier agé d’environ trente huit ans. ont assisté a la sepulture nombre d’habitants du lieu a St Jean les jours et an que dessus. J. Hingan ptre »

Les enfants mineurs de Romain Duval

L’identité des trois enfants est clairement établie dans l’acte notarié qui confirme le partage de la succession de Romain Duval le 25 novembre 1782. Le notaire Louis Cazes procède alors au tirage au sort des trois parties d’une terre de quatorze perches bornée au sud-ouest à la terre de « la mère ded. Mineurs et au nord-est à la terre de l’église ». Trois billets portant les noms de Marie-Claire, Joseph et Théotiste « Polleau dit Duval » sont « bien roulé[s] et bien brouillé[s] » dans un bonnet après quoi le notaire appelle « un petit garçon pour les tirer et le premier billet est échu a dame marie Claire Polleau » qui venait d’épouser Jean Gagnon le 28 octobre précé-dent.


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Romain Duval était agriculteur et les docu-ments qui découlent habituellement d’un décès auraient pu révéler l’état des biens de la succes-sion. La seigneurie du Port-Joli est alors desservie par un notaire, Noël Dupont, qui, à cette époque, « malade et décrépit », tombe en enfance et demeure hors d’état de travailler4. Son état se reflète-t-il dans ses actes de la fin de 1773 ? Il ne reste que les deux premières pages de l’inventaire des biens réalisé chez la veuve Duval le 15 novembre 1773 « a la requette du sr Joseph Gagnion oncle charnel desdits mineurs de feu Romain Duponlo Duval ses neveux demeurant en la seigneurie du Port Joly et en présence de François Duponlo Duval oncle charnel desdits mineurs […] élu subrogé tuteur ». Du procès-verbal de la vente des biens meubles réalisée le 29 novembre suivant, il ne reste que trois pages où l’on apprend que la veuve Duval a acheté une cuve et « un vieux cheval ».

L’acte de partage de la terre de Romain Duval, rédigé le 17 novembre, est aussi incomplet. Le tirage au sort, effectué au moyen de billets « degalle grandeur bien plié et mis dans un bonnet et après bien brouillé ensemble », accorde la moitié sud-ouest à la veuve et l’autre moitié aux enfants mineurs.

4. Joseph-Edmond Roy, Histoire du notariat au Canada, tome 1, Lévis, 1899, p. 182.


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Extrait du procès-verbal de l’encan des biens meubles de Romain Duval

« L’an mil sept cent soixante et treize le vingt neufvieme jour du mois de novembre avant midy a la requette du sr Joseph Gagnion tuteur des enfants mineurs issu du mariage de feu Romain Duponlo Duval et de dame Marie Clair Gagnion demeurante en la seigneurie du Port Joly auquel lieux le notaire soussigné sest exprais transporté ou étant a été par nous dit notaire vacqué a la vente des biens meubles délaissés par Romain Duponlo Duval lesquelles dits effets exposé a lanquant pour estre ajugée au plus offrant et dernier encherisseur […] »

La terre de Romain Duval

« […] une concession de deux arpens et une perche sur demie lieux de profondeur et sept perches sur trente-six arpens de profondeur le tout de front sur la profondeur susdittes prenant sa devanture au fleuve St. Laurent la ditte conces sion en sa totallité bornée par le nord est au sr François Duponlo Duval fils et par le sud ouest aux héritiers de feu sr François Robichaux et de defunte Marie Bélisle le Borgne scyse et cytué en la seigneurie du Port Joly. »


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Partage de la terre de Romain Duval (17 novembre 1773)

(Voisins au sud-ouest : héritiers de François Robichaud et Marie Leborgne)

Partie de la veuve de Romain Duval

(14 perches de front sur profondeur variable)

Vingt-huit perches de front sur le fleuve

Partie des enfants du couple Duval-Gagnon

(14 perches sur 42 arpents)

(Voisins au nord-est : François Duponlo Duval)

Le scandale

Le curé Hingan est sûrement stupéfait d’ap-prendre que ces deux paroissiens se sont mariés tous seuls mais il connaît bien le couple en ques-tion et leur situation :

Le prétendu mary a été plusieurs fois trouver Monseigneur et m’a même sollicité d’écrire à Sa Grandeur pour le pouvoir marier ce que j’ay fait sans rien obtenir. Samedy dernier il me vint deman der d’écrire les bans. Il était seul. Je le ren-voyai5. »

5. AESAP, Lettre de Hingan à monseigneur Briand, 20 janvier 1774 (copie au presbytère de Saint-Jean-Port-Joli).


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Laurent Chouinard est à peine sorti du pres-bytère que deux paroissiens s’y présentent pour appuyer sa demande. Julien Chouinard, son oncle, et Louis Fournier, un ami, annoncent au curé que la veuve est enceinte d’environ trois mois. « Je leur répondy que c’était a eux d’en gémir comme a moy, que je ne pouvois quy faire », rapporte le curé qui ne précise pas le motif de son refus. Après avoir relaté comment il a éconduit les deux derniers visiteurs, il ajoute cependant en latin, comme sur le ton de la confidence : « Agitur de impedimento criminis de quo iam scripsi ad DDniem [Il s’agit de l’empêchement de crime, au sujet duquel j’ai déjà écrit à monseigneur] », sans plus d’explications sur ce sujet dont il aurait parlé à monseigneur Briand auparavant6.

C’est Joseph Gagnon qui vient apprendre au curé Hingan les conséquences de ces vaines démarches. Ce « Mr et cette dame [ont alors pré-paré] un festin pour quelques habitants du lieu scavoir Jean Legouille et Claire Auclair, sa femme, Louis Fournier et Magdelaine Jean, sa femme, Joachim Jean ; Joseph Peltier et Reine Chouinard, sa femme, et Germain Dutremble ». En présence

6. Vérification faite dans le dossier de correspondance de Saint-Jean-Port-Joli et aux archives des diocèses de Québec et de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, aucune lettre antérieure de l’abbé Hingan n’a pu être retrouvée. L’aurait-on fait dis-paraître ? On verra plus loin que l’abbé Plessis a fait des recherches en 1797 et n’a rien trouvé lui non plus.

21Sylvain F

Stratèges, diplomates et espionsLa politique étrangère franco-indienne

22E.-Martin M et Jean-Philippe W

Sortir de la « Grande noirceur »L’horizon « personnaliste » de la Révolution tranquille

23Danielle D et Émilien D

Calepin d’espoir

24Jean-Paul L

La Vision cosmique de Benjamin Franklin

25Marc C

Mensonges et vérités dans les Souvenirs de Félix Poutré

26André T

Le Monde de la Justice

27Aurélien B

DollardSes compagnons et ses alliés

28Rémi T

Stanislas TougasUn des plus grands cœurs du 22e Bataillon


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Documents

Les Exilés de l'ansa à Mouille-Cul. L'étonnante de Laurent ...… · Les acteurs Né en France en 1729 et ordonné prêtre à Québec en 1753, Jacques Hingan dessert « S aint-Jean