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Séquence I / Invectives poétiques à la Renaissance Textes complémentaires : La querelle entre Ronsard et les réformés (1562-1563) Les extraits sont cités d’après La polémique protestante contre Ronsard, éd. Jacques Pineaux, 2 tomes, Paris, STFM, 1973. 1) Anonyme, « A l’honneur de Pierre de Ronsard. Epigramme », huitain liminaire, Palinodies de Pierre de Ronsard, Gentilhomme vendomoys, Sur ses discours des miseres de ce temps, s.l., s. n., 1563 (éd. Pineaux, t. I, p. 4). L’ensemble de l’ouvrage paraît sans nom d’auteurs. Ronsard suppose que le pamphlet principal est l’œuvre d’Antoine de la Roche-Chandieu. Dans cette épigramme liminaire, comme dans l’ensemble de l’ouvrage qui reprend un texte de Ronsard en n’opérant que de menues modifications pour le retourner en texte favorable à la Réforme, l’auteur suppose Ronsard converti à la nouvelle religion (ce qui n’est bien sûr pas le cas). 1 Ronsard qui fut naguere un Poëte menteur, Fait ores a rechanter sa lire bien sonante, Plus ne veut estre veu un avare flateur, 4 Contrechantant ses vers de voix bien [acordante. Ce qu’il avoit chanté fut d’une ambition D’Atheisme poussé, et raison caphardée b : Mais son esprit gentil, de droitte affection 8 Commence à renoncer sa prestrise fardée. NOTES / a. désormais. b. qui ressemble à celle d’un cafard, pleine d’hypocrisie. 2) « I.D.N. à Messire Pierre de Ronsard », épître liminaire en prose, in A. Zamariel (alias Antoine de la Roche-Chandieu) et B. de Mont-Dieu (alias Bernard de Montméja), Responce aux calomnies contenues au discours et Suyte du Discours sur les Miseres de ce temps, Faits par Messire Pierre Ronsard, jadis Poëte, et maintenant Prebstre, Orléans, Eloi Gibier, 1563 (éd. Pineaux t. I, p. 32). Ce I.D.N. qui n’est identifié que par ses initiales dans l’ouvrage, est peut-être Jean de Novilier (ou : de Noviliat), prédicant du prince de Condé. Messire a Pierre, Quand Theodore de Besze aura le vouloir et le loisir de te respondre, il t’apprendra à mieux parler, ou à te taire. Cependant, […] tu monstres par signes tresevidens que tu es fort malade de la teste, et […] si tu mourois tost, la France perdroit une partie de son passetemps […]. NOTE : a. « Messire » était le titre donné aux prêtres. Lorsqu’il était suivi d’un prénom, il désignait souvent un évêque. Cette désignation est donc insultante, sous la plume d’un réformé. La suite de ce texte file la métaphore présentant Ronsard comme malade en prescrivant au poète « trois pillules », à savoir la lecture des trois pamphlets contenus dans l’ouvrage. Ronsard, dans sa Responce dont nous étudierons un extrait, renverra l’attaque en miroir : ce sont les réformés qui doivent être soignés, et Ronsard leur a concocté une potion propre à les guérir. 3) Anonyme, « Des qualitez de Ronsard. Sonet », sonnet post-liminaire, dans le même ouvrage que la pièce précédente, (éd. Pineaux, t. I, p. 97). 1 Ronsard, oyant chanter de toutes pars A qui mieux mieux, maints Poëtes en France, Les appeloit (rempli d’outrecuidance a ) Imitateurs des grenouilles de Mars b . 5 Mais ses écrits par ce Royaume epars, Qu’il ne feit onc, qu’en faveur de sa pance c , Chantent de luy tout ce que d’eux il pense, En le navrant de ses propres brocards d . 9 Il est Grenouille : et je di d’avantage, Que d’un corbeau apprenant le ramage, Il va tousjours croüassant, murmurant. 12 Ainsi jadis luy-mesme soulant e estre Tel quel Poëte, il est devenu Prestre, Et n’est jamais allé qu’en empirant. NOTES / a. orgueil, prétention excessive. b. voir l’extrait des textes de Ronsard dans le document « Ronsard et la délicate définition de la Pléiade », dernière page, l’extrait de l’Elegie à C. de Choiseul, 1556 dans laquelle Ronsard compare les poètes qui ne font pas partie de sa « bande » à des « grenouilles de Mars ». c. Ce n’est pas par conviction que Ronsard écrit contre la Réforme, mais parce que sa « pance » (c’est-à-dire son ventre) est remplie par la libéralité de la reine Catherine, en contre- partie de son soutien. Ronsard est ici accusé de se vendre à celui (en l’occurrence, celle) qui peut le nourrir. d. Les écrits de Ronsard se retournent contre lui et le navrent (c’est-à-dire le blessent) avec ses propres brocards (c’est-à-dire ses propres piques). e. il était ordinairement (ce verbe qui est sorti de l’usage moderne – et qui ne doit pas être confondu avec « saoûler » ! – indique une habitude). 4) Albert Babinot (pièce non signée), « Au Lecteur », quatrain liminaire, in André de Riveaudeau (attribué à), Remonstrance à la Royne mere du roy sur le discours de Pierre de Ronsard des miseres de ce temps, Lyon, Françoys Le Clerc, 1563, (éd. Pineaux, t. I, p. 103) 1 Contre les vers menteurs d’un poëtastre vieux, D’un prestre papisticq’, d’un irreligieux, Ly icy les escris d’un zelateur a chrestien, 4 D’un Poëte excellent, et d’un historien. NOTE : a. partisan zélé, dévoué. 5) Anonyme, Remonstrance à Pierre de Ronsard, diffusion manuscrite, c. 1563-1564 (éd. Pineaux, t. I, p. 191, v.749-750) : Ronsard « Vomyt un fiel puant et villaines ordures / Cuittes dans ses poulmons empoisonnez d’injures ». 6) Replique à Ronsard, « Advertissement aux lecteurs » (Pineaux II, p. 231, v. 1-12) 1 Vous me direz, Amis, qui ce titre lisez, Que c’est dommage à moy, que les jours tant prisez a J’employe à ce labeur, et ne vaut un tel homme Que pour luy je despende une si chere somme. 5 Je cognoy bien de vray que point il ne le vaut, Et que son œuvre mesme est plus qu’il ne luy faut Pour le rendre cognu autre qu’il ne fait croire, A savoir mesdisant, inepte, et plein de gloire, Athée, ambitieux, detracteur faux et vain, 10 Ayant tout le courage enflé d’amer levain. Mais peu d’heure j’employe, et gueres ne me greve D’essayer le guairir, ou faire tant qu’il creve. NOTE : a. priser quelque chose, c’est l’apprécier. On pourrait paraphraser ici de la façon suivante : « jours si précieux » (trop précieux pour être consacrés à « un tel homme »).

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Séquence I / Invectives poétiques à la Renaissance Textes complémentaires : La querelle entre Ronsard et les réformés (1562-1563)

Les extraits sont cités d’après La polémique protestante contre Ronsard, éd. Jacques Pineaux, 2 tomes, Paris, STFM, 1973.

1) Anonyme, « A l’honneur de Pierre de Ronsard. Epigramme », huitain liminaire, Palinodies de Pierre de Ronsard, Gentilhomme vendomoys, Sur ses discours des miseres de ce temps, s.l., s. n., 1563 (éd. Pineaux, t. I, p. 4).

L’ensemble de l’ouvrage paraît sans nom d’auteurs. Ronsard suppose que le pamphlet principal est l’œuvre d’Antoine de la Roche-Chandieu. Dans cette épigramme liminaire, comme dans l’ensemble de l’ouvrage qui reprend un texte de Ronsard en n’opérant que de menues modifications pour le retourner en texte favorable à la Réforme, l’auteur suppose Ronsard converti à la nouvelle religion (ce qui n’est bien sûr pas le cas).

1 Ronsard qui fut naguere un Poëte menteur, Fait oresa rechanter sa lire bien sonante, Plus ne veut estre veu un avare flateur,

4 Contrechantant ses vers de voix bien [acordante.

Ce qu’il avoit chanté fut d’une ambition D’Atheisme poussé, et raison caphardéeb :

Mais son esprit gentil, de droitte affection 8 Commence à renoncer sa prestrise fardée.

NOTES / a. désormais. b. qui ressemble à celle d’un cafard, pleine d’hypocrisie.

2) « I.D.N. à Messire Pierre de Ronsard », épître liminaire en prose, in A. Zamariel (alias Antoine de la Roche-Chandieu) et B. de Mont-Dieu (alias Bernard de Montméja), Responce aux calomnies contenues au discours et Suyte du Discours sur les Miseres de ce temps, Faits par Messire Pierre Ronsard, jadis Poëte, et maintenant Prebstre, Orléans, Eloi Gibier, 1563 (éd. Pineaux t. I, p. 32).

Ce I.D.N. qui n’est identifié que par ses initiales dans l’ouvrage, est peut-être Jean de Novilier (ou : de Noviliat), prédicant du prince de Condé.

Messirea Pierre, Quand Theodore de Besze aura le vouloir et le loisir de te respondre, il t’apprendra à mieux parler, ou à te taire. Cependant, […] tu monstres par signes tresevidens que tu es fort malade de la teste, et […] si tu mourois tost, la France perdroit une partie de son passetemps […].

NOTE : a. « Messire » était le titre donné aux prêtres. Lorsqu’il était suivi d’un prénom, il désignait souvent un évêque. Cette désignation est donc insultante, sous la plume d’un réformé.

La suite de ce texte file la métaphore présentant Ronsard comme malade en prescrivant au poète « trois pillules », à savoir la lecture des trois pamphlets contenus dans l’ouvrage. Ronsard, dans sa Responce dont nous étudierons un extrait, renverra l’attaque en miroir : ce sont les réformés qui doivent être soignés, et Ronsard leur a concocté une potion propre à les guérir.

3) Anonyme, « Des qualitez de Ronsard. Sonet », sonnet post-liminaire, dans le même ouvrage que la pièce précédente, (éd. Pineaux, t. I, p. 97). 1 Ronsard, oyant chanter de toutes pars

A qui mieux mieux, maints Poëtes en France, Les appeloit (rempli d’outrecuidancea) Imitateurs des grenouilles de Marsb.

5 Mais ses écrits par ce Royaume epars, Qu’il ne feit onc, qu’en faveur de sa pancec, Chantent de luy tout ce que d’eux il pense, En le navrant de ses propres brocardsd.

9 Il est Grenouille : et je di d’avantage, Que d’un corbeau apprenant le ramage, Il va tousjours croüassant, murmurant.

12 Ainsi jadis luy-mesme soulante estre Tel quel Poëte, il est devenu Prestre, Et n’est jamais allé qu’en empirant.

NOTES / a. orgueil, prétention excessive. b. voir l’extrait des textes de Ronsard dans le document « Ronsard et la délicate définition de la Pléiade », dernière page, l’extrait de l’Elegie à C. de Choiseul, 1556 dans laquelle Ronsard compare les poètes qui ne font pas partie de sa « bande » à des « grenouilles de Mars ». c. Ce n’est pas par conviction que Ronsard écrit contre la Réforme, mais parce que sa « pance » (c’est-à-dire son ventre) est remplie par la libéralité de la reine Catherine, en contre-partie de son soutien. Ronsard est ici accusé de se vendre à celui (en l’occurrence, celle) qui peut le nourrir. d. Les écrits de Ronsard se retournent contre lui et le navrent (c’est-à-dire le blessent) avec ses propres brocards (c’est-à-dire ses propres piques). e. il était ordinairement (ce verbe qui est sorti de l’usage moderne – et qui ne doit pas être confondu avec « saoûler » ! – indique une habitude).

4) Albert Babinot (pièce non signée), « Au Lecteur », quatrain liminaire, in André de Riveaudeau (attribué à), Remonstrance à la Royne mere du roy sur le discours de Pierre de Ronsard des miseres de ce temps, Lyon, Françoys Le Clerc, 1563, (éd. Pineaux, t. I, p. 103) 1 Contre les vers menteurs d’un poëtastre vieux,

D’un prestre papisticq’, d’un irreligieux, Ly icy les escris d’un zelateura chrestien,

4 D’un Poëte excellent, et d’un historien.

NOTE : a. partisan zélé, dévoué.

5) Anonyme, Remonstrance à Pierre de Ronsard, diffusion manuscrite, c. 1563-1564 (éd. Pineaux, t. I, p. 191, v.749-750) : Ronsard « Vomyt un fiel puant et villaines ordures / Cuittes dans ses poulmons empoisonnez d’injures ». 6) Replique à Ronsard, « Advertissement aux lecteurs » (Pineaux II, p. 231, v. 1-12) 1 Vous me direz, Amis, qui ce titre lisez,

Que c’est dommage à moy, que les jours tant priseza J’employe à ce labeur, et ne vaut un tel homme Que pour luy je despende une si chere somme.

5 Je cognoy bien de vray que point il ne le vaut, Et que son œuvre mesme est plus qu’il ne luy faut

Pour le rendre cognu autre qu’il ne fait croire, A savoir mesdisant, inepte, et plein de gloire, Athée, ambitieux, detracteur faux et vain,

10 Ayant tout le courage enflé d’amer levain. Mais peu d’heure j’employe, et gueres ne me greve D’essayer le guairir, ou faire tant qu’il creve.

NOTE : a. priser quelque chose, c’est l’apprécier. On pourrait paraphraser ici de la façon suivante : « jours si précieux » (trop précieux pour être consacrés à « un tel homme »).