8
«Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil vient l’obscu beauté n’apppa sont illuminés comme des brillent tant mais, quand rité, leur raît que s’ils de l’intérieur. » ÉLISABETH KÜBLER-ROSS, PSYCHIATRE ET PSYCHOTHÉRAPEUTE

«Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil mais, quand · ou Saint-Jean d’Acre, Partir pour la croisade ou le vol des hérons. Aujourd’hui, les seigneurs auprès des châtelaines,

  • Upload
    lethuan

  • View
    214

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: «Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil mais, quand · ou Saint-Jean d’Acre, Partir pour la croisade ou le vol des hérons. Aujourd’hui, les seigneurs auprès des châtelaines,

133132

«Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil

vient l’obscu beauté n’apppa sont illuminés

comme des brillent tant mais, quand rité, leur raît que s’ils de l’intérieur. »

ÉLISABETH KÜBLER-ROSS, PSYCHIATRE ET PSYCHOTHÉRAPEUTE

Page 2: «Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil mais, quand · ou Saint-Jean d’Acre, Partir pour la croisade ou le vol des hérons. Aujourd’hui, les seigneurs auprès des châtelaines,

134

w

« Quelle que soit l’enveloppe sculptée et brodée d’une cathédrale, on retrouve toujours dessous, au moins à l’état de germe et de rudiment, la basilique romaine. Elle se développe éternellement sur le sol selon la même loi. Ce sont imperturbablement deux nefs qui s’entrecoupent en croix, et dont l’extrémité supérieure arrondie en abside forme le chœur ; ce sont toujours des bas-côtés, pour les processions intérieures, pour les chapelles, de promenoirs latéraux où la nef principale se dégorge par les entrecolonnements. Cela posé, le nombre des chapelles, des portails, des clochers, des aiguilles, se modifie à l’infini suivant la fantaisie du siècle, du peuple, de l’art. Le service du culte une fois pourvu et assuré, l’architecture fait ce que bon lui semble. Statues, vitraux, rosaces, arabesques, dentelures, chapiteaux, bas-reliefs, elle combine toutes ces imaginations selon le logarithme qui lui convient. De là la prodigieuse variété extérieure de ces édifices au fond desquels réside tant d’ordre et d’unité. »VICTOR HUGO, « NOTRE-DAME DE PARIS », 1831.

Cette verrière a vu dames et hauts baronsÉtincelants d’azur, d’or, de flammeet de nacre,Incliner, sous la dextre augustequi consacre,L’orgueil de leurs cimiers et de leurs chaperons ;

Lorsqu’ils allaient, au bruit du corou des clairons,Ayant le glaive au poing, le gerfaut ou le sacre,Vers la plaine ou le bois, Byzanceou Saint-Jean d’Acre,Partir pour la croisade ou le voldes hérons.

Aujourd’hui, les seigneurs auprès des châtelaines,Avec le lévrier à leurs longues poulaines,S’allongent aux carreaux de marbre blanc et noir ;

Ils gisent là sans voix, sans geste et sans ouïe,Et de leurs yeux de pierre ils regardent sans voirLa rose du vitrail toujours épanouie.

JOSÉ-MARIA DE HEREDIA, « VITRAIL », IN « LES TROPHÉES », 115, 1893.

« Pendant ce temps, des nuées passaient et la pluie fouettait les vitraux ; puis le soleil reparaissait pâle et oblique pour être éteint peu de minutes après par une nouvelle averse. Grâce à ces effets inattendus de la lumière, la blanche et proprette cathédrale de Fribourg paraissait encore plus riante que de coutume… »GEORGE SAND , « LETTRES D’UN VOYAGEUR »,1837.

L'ALCHIMIE SECRÈTE DES VITRAUX

135

Page 3: «Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil mais, quand · ou Saint-Jean d’Acre, Partir pour la croisade ou le vol des hérons. Aujourd’hui, les seigneurs auprès des châtelaines,

137

w

« Il est certain que les secrets de coloration nous furent connus à l’époque gothique dont l’architecture fut conçue pour mettre les vitraux en valeur. Comment nos verriers acquirent-ils cette maîtrise ? Cela reste mystérieux. Elle nous sera peut-être connue lorsque l’histoire de l’alchimie médiévale aura été très sérieusement approfondie. »JACQUES VAN LENNEP, « ALCHIMIE », CRÉDIT COMMUNAL DE BELGIQUE/DERVY-LIVRES, 1985.

« Je ne comprends pas l’abandon du vitrail qui s’éveillait et s’endormait avec le jour […]. L’art a préféré la lumière, mais le vitrail animé par le matin, effacé par le soir faisait pénétrer la Création dans l’église du fidèle. »ANDRÉ MALRAUX, « LAZARE. LE MIROIR DES LIMBES », GALLIMARD, 1974.

« Aux lueurs colorées que laissent filtrer les vitraux, toute cette magnificence de ce conte oriental chatoie, miroite, étincelle dans la pénombre. »PIERRE LOTI, « JÉRUSALEM »,1894.

P. 134 ET SUIVANTES

Cathédrale de ChartresDurant deux ans, du matin jusqu'au coucher du soleil, le photographe polonais Eustachy Kossakowski a photographié la progression de la lumière dans la cathédrale de Chartres. Près de 1000 clichés de taches de couleur façonnées par la lumière ont été réalisés ainsi, en tournant le dos aux vitraux. Les plus belles images ont été rassemblées dans l’ouvrage Lumières de Chartres, de Anne Prache et Claudine Lautier (Lattès, 1991)

136

Page 4: «Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil mais, quand · ou Saint-Jean d’Acre, Partir pour la croisade ou le vol des hérons. Aujourd’hui, les seigneurs auprès des châtelaines,

138

« Capricieux, rusé, pactisant avec les insaisissables fluctuations de l’heure, de la clarté et des saisons pour s'échapper sans cesse, le vitrail est la forme la plus sauvage de l’art, la plus imprévisible. Le vitrail n’est que folie, métamorphose, floraison illusoire, jeu d’algues échevelées dans une rivière de lumière. Dans le domaine du verre et de la transparence, celui qui se croit dompteur est dompté. »BERNARD TIRTIAUX, « LE PASSEUR DE LUMIÈRE »,DENOËL, 1993.

« Colorer la lumière par le moyen du vitrail, faire ainsi de chaque baie comme un écrin de gemmes leur [les prélats, dans le nordde la Gaule, à l’époque où s’achevait la construction de Conques] semblait parfaire l’ouvrage, manifester avec plusde force encore que l’intérieur du lieu de prière est l’espace intermédiaire, inter-cesseur, où s’accomplit la transmutation du matériel en immatériel. »GEORGES DUBY, PRÉFACE DE «CONQUES, LES VITRAUX DE SOULAGES», CH. HECK ET P. SOULAGES, LE SEUIL, 1994.

Aux vitraux diaprés des sombres basiliques,Les flammes du couchant s'éteignent tour à tour ;D'un âge qui n’est plus précieuses reliques,Leurs dômes dans l’azur tracent un noir contour ;

Et la lune paraît, de ses rayons obliquesArgentant à demi l’aiguille de la tourEt les derniers rameaux des pins mélancoliquesDont l’ombre se balance et s'étend alentour.

Alors les vibrements de la cloche qui tinteD’un monde aérien semblent la voix éteinteQui, par le vent portée, en ce monde parvient ;

Et le poète, assis près des flots, sur la grève,Écoute ces accents fugitifs comme un rêve,Lève les yeux au ciel et, triste, se souvient.THÉOPHILE GAUTIER, « SONNET », IN « ALBERTUS »,1833.

L'ALCHIMIE SECRÈTE DES VITRAUX

139

Page 5: «Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil mais, quand · ou Saint-Jean d’Acre, Partir pour la croisade ou le vol des hérons. Aujourd’hui, les seigneurs auprès des châtelaines,

141

140

Un soir de flamme et d’or hante la basilique,Ravivant les émaux ternis et les couleursAncestrales de l’édifice catholique.

Et soudain – cuivre, azur, pourpre chère de douleurs –Le vitrail que nul art terrestre ne profaneJette sur le parvis d’incandescentes fleurs.

Car l’ensoleillement du coucher diaphane,Dans l’ogive où s’exalte un merveilleux concept,Intègre des lueurs d’ambre et de cymophane.

Les douze Apôtres, les cinq Prophètes, les septSages, appuyés sur les Vertus cardinales,Se profilaient en la rosace du transept.

Améthystes ! Béryls ! Sardoines ! VirginalesÉmeraudes au front chenu des ConfesseursMontrant le Livre où sont inscrites leurs annales. LAURENT TAILHADE, «VITRAIL » (EXTRAIT), « VITRAUX », 1894.

« Béranger de Noyon est saisi par la lumière qui chante et qui donne vie à la pierre. Il goûte les épanchements de couleurs qui font chatoyer les murs et irisent les boiseries. Il boit à cette source intarissable et magique. Il découvre que le vitrail doit couronner les élans souverains de la pierre, qu’il en est l’onction, l’indispensable auréole, le verrou de la charge, l’aboutissement de l'œuvre. »BERNARD TIRTIAUX, « LE PASSEUR DE LUMIÈRE », DENOËL, 1993.

Quand la lumière dortQue fais-tu vitrail ?

J’étoile les ailes ouvertesDes papillonsJ’égrène les étincellesDes paupières

Je berce la main qui soudeLes songes de demainJ’apaise la peine des yeuxAvant qu’ils cisèlent

Que fais-tu verrierQuand la lumière dort ?

J’attends le silence de l'aubeLa bordure du matinJe veille la braiseQui fond le plomb comme l'eau

Je signe tremblant mon nomÀ l'encre de soieJe sens le soleil qui traverseLa couleur du cœur.GILLES BOURDEAU (ORDRE DES FRÈRES MINEURS), « VITRAIL », 2006.

ARTS SUBLIMES

Page 6: «Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil mais, quand · ou Saint-Jean d’Acre, Partir pour la croisade ou le vol des hérons. Aujourd’hui, les seigneurs auprès des châtelaines,

143142

L'ALCHIMIE SECRÈTE DES VITRAUX

Fascinants ou inspirants, propres à provoquer l’émerveillement ou la transcendance, les vitraux de nos cathédrales posent « un problème chimique et technique dont nous ne connaissons pas la réponse historique », disait le chimiste Pierre Piganiol. Pourtant, certains de ces mystères sont révélés par la tradition alchimique médiévale. Patrick Burensteinas nous en donne quelques clés…

PAR PATRICK BURENSTEINAS

CI-CONTREGrotte Sainte Marie-Madeleine, La Sainte-Baume.« Le repas de Béthanie » (détail)

Page 7: «Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil mais, quand · ou Saint-Jean d’Acre, Partir pour la croisade ou le vol des hérons. Aujourd’hui, les seigneurs auprès des châtelaines,

145144

Les cathédrales sont des temples de lumière, éclairés de scènes faites en vitrail. Mais les vitraux ne sont pas uniquement décoratifs : au-delà de leurs messages, ils portent en eux une

essence alchimique, soit par nature, soit par le procédé de fabrication, qui consistait à ajou-ter du métal pour colorer le verre ou le rendre transparent. De l’argent pour le bleu. Ou le rouge, fait d’or.

Les méthodes de fabrication du vitrail ont varié avec le temps et les époques. Au début, le verre était fondu au creuset, puis coulé sur une plaque. En refroidissant, il avait tendance à se briser. Ce qui explique pourquoi les vitraux étaient faits avec des petits morceaux de ce verre. Une autre méthode consistait à prendre une portion de verre fondu avec une perche et de la déposer sur une plaque de marbre, grossière et plus épaisse au milieu, donnant au verre la forme d’une lentille. Une fois mis en place, il suffisait que le soleil frappe le vi-trail pour qu’un effet loupe se produise, ce qui pouvait incendier l’église. Cet inconvénient a disparut par la suite. Le verre, soufflé dans un cylindre, était découpé encore chaud, dans la longueur, pour obtenir une plaque régulière.

Les alchimistes savent fabriquer les vitraux suivant deux procédés qui leur permettent d’y

inclure des propriétés remarquables. Le pre-mier consiste à incorporer des poudres mé-talliques à l’intérieur des morceaux de verre. Elles agissent comme des petits miroirs. En traversant le vitrail, la lumière subit une mo-dification de sa longueur d’onde. Elle jaillit alors dans l’édifice avec les vertus des métaux employés.

Le second procédé est la réalisation de vi-traux exclusivement composés de métal. Dans ce cas, la silice n’est pas employée. La concep-tion des vitraux alchimiques à partir d’anti-moine, par exemple, ne nécessite que le métal, un creuset, du feu et, surtout, du savoir-faire. Les alchimistes sont capables de rendre le mé-tal transparent de telle manière qu’il ne fasse plus résistance au passage de la lumière. On ne rajoute rien, on ne retire rien. On transmute. Tous les métaux peuvent être vitrifiés.

Des métaux transparentsLes vitraux métalliques ainsi réalisés ont cer-taines particularités physiques. Superposées, les couleurs ne se mélangent pas, ce qui, d’un point de vue optique, est impossible. Les morceaux se brisent comme tout verre nor-mal, mais si on les entrechoque, ils sonnent comme du métal, comme des pièces de mon-naie. Toutes les couleurs peuvent être obtenues de cette manière. La teinte dépendra du métal utilisé et du temps de cuisson.

Les alchimistes utilisaient leur art pour ob-tenir des couleurs et des matériaux inédits. Le secret de la fabrication du bleu de Chartres, au XIIe siècle, ne nous est pas parvenu. Un violet et un bleu unique ont été créés par les alchi-mistes chinois pour satisfaire l’empereur Qin

CI-CONTRE ET PAGE SUIVANTE

Église Sainte-Onenne, Tréhorenteuc. Grand vitrail de l’apparition du Saint-Graal (détail)

L'ALCHIMIE SECRÈTE DES VITRAUX

Page 8: «Les gens sont vitraux.Ils qu’il fait soleil mais, quand · ou Saint-Jean d’Acre, Partir pour la croisade ou le vol des hérons. Aujourd’hui, les seigneurs auprès des châtelaines,

147

Shi Huang, fondateur de la dynastie Qin. La couleur violette des soldats d’argile enterrés avec le premier empereur de la dynastie Qin est aussi connue sous le nom de violet Han.

La fabrication de cette couleur est extrê-mement difficile. Redécouverte de manière fortuite par des chercheurs travaillant sur les supraconducteurs, elle n’existe pas dans la na-ture. Sa formule est complexe et sa fabrication dangereuse. La Chine compte d’importants gisements de ce minerai. Non seulement les al-chimistes obtenaient ce violet particulier, mais ils étaient aussi capables de produire un bleu unique : le bleu Han. Pour fabriquer ces cou-leurs, ils transmutaient les métaux et les ren-daient transparents. De même que les Chinois ont vitrifié du baryum, que l'on réduisait en-suite en poudre pour en faire de la peinture, les alchimistes occidentaux ont fait des verres colorés sans le moindre grain de silice. Juste du métal et du savoir-faire.

Pourquoi le bleu et le rouge des vitraux de Chartres font-ils partie des couleurs exception-nelles mondialement reconnues ? Observons-les avec attention. En nous approchant au plus près, nous découvrons que ce sont de toutes petites baguettes rouges et bleues. En nous éloignant, nous percevons la lumière passant à travers le bleu, fait d’argent, se croiser avec la lumière traversant le rouge, fait d’or. Le rouge et le bleu se mêlent : le violet apparaît. Cette couleur symbolise une étape à franchir dans la quête de l’initié : c’est la maîtrise de la peur pour obtenir la spiritualité. Dernière couleur visible du spectre de notre monde, serait-elle la première d'un autre ?

L'AUTEURAuteur, conférencier et formateur, Patrick Burensteinas s’est très jeune intéressé à l’alchimie car cette science traditionnelle « est un moyen pour l'Homme de retrouver sa place, de renouer le dialogue avec la nature et avec lui-même », dit-il. Connu pour son enthousiasme communicatif et son talent de vulgarisateur,il a publié plusieurs livres sur l’alchimie, dontDe la Matière à la Lumière (Le Mercure Dauphinois, 2009).

Extrait et adapté de Chartres, Cathédrale alchimique et maçonnique, Patrick Burensteinas, Éditions Trajectoire, 2012.

ARTS SUBLIMES