1
5 9 novembre 2006 Les grandes affaires criminelles du XXe siècle dans le Pays de Dinan Le crime odieux du «démon des clochers» Le 25 juillet 1944, le corps de la petite Paulette Bérest, 13 ans, est retrouvé pendu à une poutre, dans les combles de l’église Saint-Sauveur. Son meurtrier, surnommé «le démon des clochers», est arrêté un mois plus tard alors qu’il parade, maquillé en résistant, dans les rues de Dinan, tout juste libérée. P lus de soixante ans après les faits, l’histoire fait enco- re froid dans le dos. Parce-que c’était une enfant, parce-que les circonstances de son assassinat sont effroyables, le meurtre de Paulette Bérest restera comme l’affaire criminel- le la plus tragique du XXe siècle dans le Pays de Dinan. La plus médiatisée aussi même si la libération de Dinan et la fièvre de la délivrance qui s’en est suivie ont relégué un temps dans l’om- bre, ce tragique fait-divers. L’histoire se noue le 24 juillet 1944. Comme chaque après- midi, Paulette Bérest quitte le domicile de sa grand-mère, rue de la Lainerie, pour rendre visite à son père, hospitalisé au jardin Anglais. L’aînée des enfants, âgée de 13 ans, est chargée d’a- cheter le journal dans un bureau de tabac, situé sur son chemin. Le carillon de l’église sonne les quatre heures. Des témoins aperçoivent l’adolescente traver- ser la place Saint-Sauveur et passer devant le porche de l’é- glise. Puis, plus rien. Un témoignage capital Paulette Bérest ne regagnera jamais l’hôpital, ni le domicile familial. Sa disparition est signa- lée au commissariat en fin d’a- près-midi. Les voisins sont aler- tés, des commerçants interro- gés. La Kommandantur délivre un laissez-passer afin de pour- suivre les recherches après le couvre-feu. En vain. L’espoir de retrouver Paulette Bérest s’amenuise au fil des heures. La nuit a été infruc- tueuse. Sa disparition est d’au- tant plus étrange qu’elle est une enfant «vive, débrouillarde et d’une conduite exemplaire». À 13 ans, elle paraît plus que son âge. Pour la famille et les autori- tés, il ne peut s’agir d’une fugue, ni d’un accident qui ne serait pas passé inaperçu en plein après-midi, au cœur du centre- ville. Les agents de sûreté, qui participent aux recherches, recueillent deux jours plus tard un témoignage qui va s’avérer capital. Une jeune Dinannaise, employée à l’hôpital civil, leur explique avoir été abordée par un homme devant le porche de l’église. «Il m’a demandé de le suivre dans le clocher pour l’ai- der à descendre une malle contenant du linge destiné au Secours national. J’ai refusé de l’accompagner, prétextant que j’étais dans l’obligation de rejoin- dre mon service». Les faits se sont passés quelques minutes avant que Paulette Bérest sorte du magasin de presse. Pour les enquêteurs, cette histoire paraît troublante. Il s’agit désormais d’explorer l’église. Mais l’escalier qui conduit au clocher est fermé à clé. Et la clé en question a dispa- ru. Surprenant quand on sait que les Allemands ont exigé qu’elle demeure en permanence sur la porte. Et pour cause : le clocher de l’église, en dominant la vallée de la Rance, constitue un observatoire d’intérêt militai- re. Quelques hommes forcent donc la porte et s’introduisent dans les combles. Là, ils aper- çoivent une frêle silhouette se balançant au bout d’une corde, attachée à une poutre. Il s’agit de Paulette Bérest. L’adolescente a été assassinée dans l’église où, un an plus tôt, elle était venue s’agenouiller en robe de communiante. La clé retrouvée chez un imprimeur Aussitôt, un rapprochement s’impose : la jeune victime a t’el- le, elle aussi, été abordée par ce mystérieux inconnu qui rôdait dans le quartier Saint-Sauveur le jour du crime ? Cette piste est d’emblée privilégiée par les enquêteurs. Et elle ne va pas tar- der à se vérifier. Le témoin capi- tal de cette sordide affaire -la jeune Dinannaise employée à l’hôpital civil- explique que l’homme qui l’a importunée n’est pas tout à fait inconnu. Il réside dans la région et s’appellerait René. Un nouveau pas va être franchi, quelques jours plus tard, avec la découverte de la clé de la porte du clocher dans une voiture d’enfant appartenant à un imprimeur de Dinan. Or, le propriétaire du jouet se souvient avoir accueilli un certain René Le Louarn le soir du drame, pour lui imprimer des cartes de visite. Il se pavane dans une voiture de luxe Les charges s’accumulent contre le suspect mais l’actualité va bientôt reléguer dans l’ombre ce qu’on appelle alors «la tragé- die du clocher de St-Sauveur». Nous sommes en août 44 et les Alliés s’apprêtent à libérer Dinan. Les Allemands battent en retraite. Les drapeaux tricolores fleurissent sur les balcons. Partout, la fête bat son plein. L’opinion publique se désinté- resse de ce crime. Les semaines passent mais un événement va bientôt relancer l’affaire du «démon des clochers». Le 31 août, une hôtelière de la cité médiévale remarque un homme vêtu d’un uniforme de lieutenant F.F.I, se pavanant dans les rues de Dinan, au volant d’une luxueuse voiture réquisitionnée. Ce résistant ressemble étrange- ment à René Le Louarn, soup- çonné du meurtre de Paulette Bérest. La police est alertée. Ses papiers vérifiés. Le soi-disant lieutenant n’apprécie pas d’être interpellé et le fait savoir aux for- ces de l’ordre en les prenant de haut et en exhibant un certificat de baptême au nom de De Massie, officier aviateur, évadé d’Allemagne. La supercherie ne prend pas car le prêtre de l’égli- se St-Sauveur se souvient avoir délivré une copie de ce certificat le jour… de la disparition de Paulette Bérest. Les papiers d’i- dentité sont faux. Le Louarn et De Massie ne forment qu’un seul et même personnage. Un criminel protégé par les Allemands En se penchant sur le passé du suspect, les policiers décou- vrent des antécédents qui ne plaident pas en sa faveur. Le 3 mai 1933, à 14 ans, il tente d’é- trangler un jeune camarade qui ne se plie pas à ses volontés. Le 17 avril 1940, dans les Ardennes, il s’en prend à une jeune serveuse avant d’être mis en fuite par l’arrivée de deux offi- ciers. Le 29 juin 1940, une jeune fille de Saint-Dizier (Haute- Marne) disparaît mystérieuse- ment. Son cadavre est décou- vert un mois plus tard, pendu à la fenêtre d’une chambre, jadis occupée par René Le Louarn. Inculpé d’assassinat, il bénéficie étrangement d’un non-lieu après que les Allemands se soient emparés du dossier et aient refusé de le communiquer. Le 12 juillet 1940, il est condamné à six mois de prison après avoir tenté d’étrangler deux vendeuses de Wassy, toujours en Haute Marne. Quelques années plus tard, on retrouve sa trace à Angers, à Chartres ou encore à Rennes où il est l’auteur, sous une fausse identité, de nombreuses escro- queries et où il a réussi, à chaque fois, à s’évader de pri- son. C’est d’ailleurs le bombar- dement de la prison de Rennes qui lui permet à nouveau de s’enfuir au début de l’été 1944. Six jours avant son arrestation, il fait à nouveau parler de lui à Bécherel où il tire sur une jeune fille à l’aide d’un revolver. La balle rate de peu sa cible… qui venait de lui faire visiter le clo- cher de l’église de la commune. À Montfort, il tentera également d’entraîner dans le clocher de l’église une adolescente de 13 ans mais échouera dans sa ten- tative. Condamné à mort René Le Louarn est présenté devant les Assises de Saint- Brieuc le 27 juillet 1948. Tout au long de l’audience qui dure deux jours, l’accusé clame haut et fort son innocence, affirmant «être victime des circonstances» et que, faute de témoin visuel, «aucune preuve de culpabilité ne peut être apportée contre lui». Les jurés ne l’entendent pas de la même oreille. Et les psychiat- res le jugent responsable de ces actes. La Cour d’Assises condamne finalement Le Louarn à la peine capitale pour meurtre et attentats à la pudeur avec vio- lences sur une mineure de moins de 15 ans. Il sera guilloti- né le 15 février 1949, au lever du jour, dans la cour intérieure de la Maison d’arrêt de St-Brieuc. Samuel SAUNEUF Le meurtre de Paulette Bérest et l’annonce du procès de son assassin, René le Louarn, font la couverture des médias nationaux.

Les grandes affaires criminelles du XXe siècle dans …2014/07/05  · la vallée de la Rance, constitue un observatoire d’intérêt militai-re. Quelques hommes forcent donc la

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

5

9 novembre 2006

Les grandes affaires criminelles du XXe siècle dans le Pays de Dinan

Le crime odieux du «démon des clochers»Le 25 juillet 1944, le corps de la petite Paulette Bérest, 13 ans, est retrouvé pendu à une poutre, dans lescombles de l’église Saint-Sauveur. Son meurtrier, surnommé «le démon des clochers», est arrêté un moisplus tard alors qu’il parade, maquillé en résistant, dans les rues de Dinan, tout juste libérée.

Plus de soixante ansaprès les faits,l’histoire fait enco-re froid dans ledos. Parce-quec’était une enfant,

parce-que les circonstances deson assassinat sont effroyables,le meurtre de Paulette Bérestrestera comme l’affaire criminel-le la plus tragique du XXe siècledans le Pays de Dinan. La plusmédiatisée aussi même si lalibération de Dinan et la fièvre dela délivrance qui s’en est suivieont relégué un temps dans l’om-bre, ce tragique fait-divers.

L’histoire se noue le 24 juillet1944. Comme chaque après-midi, Paulette Bérest quitte ledomicile de sa grand-mère, ruede la Lainerie, pour rendre visiteà son père, hospitalisé au jardinAnglais. L’aînée des enfants,âgée de 13 ans, est chargée d’a-cheter le journal dans un bureaude tabac, situé sur son chemin.Le carillon de l’église sonne lesquatre heures. Des témoinsaperçoivent l’adolescente traver-ser la place Saint-Sauveur etpasser devant le porche de l’é-glise. Puis, plus rien.

Un témoignagecapital

Paulette Bérest ne regagnerajamais l’hôpital, ni le domicilefamilial. Sa disparition est signa-lée au commissariat en fin d’a-

près-midi. Les voisins sont aler-tés, des commerçants interro-gés. La Kommandantur délivreun laissez-passer afin de pour-suivre les recherches après lecouvre-feu.

En vain. L’espoir de retrouverPaulette Bérest s’amenuise au fildes heures. La nuit a été infruc-tueuse. Sa disparition est d’au-tant plus étrange qu’elle est uneenfant «vive, débrouillarde etd’une conduite exemplaire». À13 ans, elle paraît plus que sonâge. Pour la famille et les autori-tés, il ne peut s’agir d’une fugue,ni d’un accident qui ne seraitpas passé inaperçu en pleinaprès-midi, au cœur du centre-ville.

Les agents de sûreté, quiparticipent aux recherches,recueillent deux jours plus tardun témoignage qui va s’avérercapital. Une jeune Dinannaise,employée à l’hôpital civil, leurexplique avoir été abordée parun homme devant le porche del’église. «Il m’a demandé de lesuivre dans le clocher pour l’ai-der à descendre une mallecontenant du linge destiné auSecours national. J’ai refusé del’accompagner, prétextant quej’étais dans l’obligation de rejoin-dre mon service». Les faits sesont passés quelques minutesavant que Paulette Bérest sortedu magasin de presse. Pour lesenquêteurs, cette histoire paraîttroublante.

Il s’agit désormais d’explorer

l’église. Mais l’escalier quiconduit au clocher est fermé àclé. Et la clé en question a dispa-ru. Surprenant quand on saitque les Allemands ont exigéqu’elle demeure en permanencesur la porte. Et pour cause : leclocher de l’église, en dominantla vallée de la Rance, constitueun observatoire d’intérêt militai-re. Quelques hommes forcentdonc la porte et s’introduisentdans les combles. Là, ils aper-çoivent une frêle silhouette sebalançant au bout d’une corde,attachée à une poutre. Il s’agitde Paulette Bérest.L’adolescente a été assassinéedans l’église où, un an plus tôt,elle était venue s’agenouiller enrobe de communiante.

La clé retrouvéechez

un imprimeur

Aussitôt, un rapprochements’impose : la jeune victime a t’el-le, elle aussi, été abordée par cemystérieux inconnu qui rôdaitdans le quartier Saint-Sauveur lejour du crime ? Cette piste estd’emblée privilégiée par lesenquêteurs. Et elle ne va pas tar-der à se vérifier. Le témoin capi-tal de cette sordide affaire -lajeune Dinannaise employée àl’hôpital civil- explique quel’homme qui l’a importunée n’estpas tout à fait inconnu. Il résidedans la région et s’appelleraitRené. Un nouveau pas va êtrefranchi, quelques jours plustard, avec la découverte de laclé de la porte du clocher dansune voiture d’enfant appartenantà un imprimeur de Dinan. Or, lepropriétaire du jouet se souvientavoir accueilli un certain RenéLe Louarn le soir du drame, pourlui imprimer des cartes de visite.

Il se pavane dansune voiture de luxeLes charges s’accumulent

contre le suspect mais l’actualitéva bientôt reléguer dans l’ombrece qu’on appelle alors «la tragé-die du clocher de St-Sauveur».Nous sommes en août 44 et lesAlliés s’apprêtent à libérerDinan. Les Allemands battent enretraite. Les drapeaux tricoloresfleurissent sur les balcons.Partout, la fête bat son plein.

L’opinion publique se désinté-resse de ce crime. Les semainespassent mais un événement vabientôt relancer l’affaire du«démon des clochers». Le 31août, une hôtelière de la citémédiévale remarque un hommevêtu d’un uniforme de lieutenantF.F.I, se pavanant dans les ruesde Dinan, au volant d’uneluxueuse voiture réquisitionnée.Ce résistant ressemble étrange-ment à René Le Louarn, soup-çonné du meurtre de PauletteBérest. La police est alertée. Sespapiers vérifiés. Le soi-disantlieutenant n’apprécie pas d’êtreinterpellé et le fait savoir aux for-ces de l’ordre en les prenant dehaut et en exhibant un certificatde baptême au nom de DeMassie, officier aviateur, évadéd’Allemagne. La supercherie ne

prend pas car le prêtre de l’égli-se St-Sauveur se souvient avoirdélivré une copie de ce certificatle jour… de la disparition dePaulette Bérest. Les papiers d’i-dentité sont faux. Le Louarn etDe Massie ne forment qu’unseul et même personnage.

Un criminel protégépar les AllemandsEn se penchant sur le passé

du suspect, les policiers décou-vrent des antécédents qui neplaident pas en sa faveur. Le 3mai 1933, à 14 ans, il tente d’é-trangler un jeune camarade quine se plie pas à ses volontés. Le17 avril 1940, dans lesArdennes, il s’en prend à unejeune serveuse avant d’être mis

en fuite par l’arrivée de deux offi-ciers. Le 29 juin 1940, une jeunefille de Saint-Dizier (Haute-Marne) disparaît mystérieuse-ment. Son cadavre est décou-vert un mois plus tard, pendu àla fenêtre d’une chambre, jadisoccupée par René Le Louarn.Inculpé d’assassinat, il bénéficieétrangement d’un non-lieu aprèsque les Allemands se soientemparés du dossier et aientrefusé de le communiquer. Le 12juillet 1940, il est condamné à sixmois de prison après avoir tentéd’étrangler deux vendeuses deWassy, toujours en HauteMarne.

Quelques années plus tard,on retrouve sa trace à Angers, àChartres ou encore à Rennes oùil est l’auteur, sous une fausseidentité, de nombreuses escro-queries et où il a réussi, àchaque fois, à s’évader de pri-son. C’est d’ailleurs le bombar-dement de la prison de Rennesqui lui permet à nouveau des’enfuir au début de l’été 1944.Six jours avant son arrestation, ilfait à nouveau parler de lui àBécherel où il tire sur une jeunefille à l’aide d’un revolver. Laballe rate de peu sa cible… quivenait de lui faire visiter le clo-cher de l’église de la commune.À Montfort, il tentera égalementd’entraîner dans le clocher del’église une adolescente de 13ans mais échouera dans sa ten-tative.

Condamné à mort

René Le Louarn est présentédevant les Assises de Saint-Brieuc le 27 juillet 1948. Tout aulong de l’audience qui duredeux jours, l’accusé clame hautet fort son innocence, affirmant«être victime des circonstances»et que, faute de témoin visuel,«aucune preuve de culpabiliténe peut être apportée contre lui».Les jurés ne l’entendent pas dela même oreille. Et les psychiat-res le jugent responsable de cesactes. La Cour d’Assisescondamne finalement Le Louarnà la peine capitale pour meurtreet attentats à la pudeur avec vio-lences sur une mineure demoins de 15 ans. Il sera guilloti-né le 15 février 1949, au lever dujour, dans la cour intérieure de laMaison d’arrêt de St-Brieuc.

Samuel SAUNEUF

Le meurtre de Paulette Bérest et l’annonce du procès de son assassin, René leLouarn, font la couverture des médias nationaux.