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Les interf rons
J.A. GASTAUT*
I. INTRODUCTION
En 1957, Isaacs et Lindenmann ont mis en ~vidence une substance prot6ique qu'ils ont appel~e interferon (IFN). Ce terme rut choisi pour ~voquer les ph~nom~nes d'interf~rence virale qu'ils avaient observes. Ces ph~nom~nes permettent ~ un organisme infect~ par un virus de devenir r~sistant vis-A-vis d'un autre virus.
En r6alit~, le caract~re h~t~rog~ne de I'IFN a ~t~ rapidement d~montr~: il s'agit d'un syst~me repr~sent~ par plusieurs molecules. De la m~me fa?on, il a ~t~ reconnu que les IFNs ne poss~daient pas qu'une activit~ antivirale. Ils ont aussi un effet antiprolif~ratif et un effet d ' immunomodulat ion qui leur confO- rent un pouvoir antitumoral. Malgr~ les progr~s apport~s par certains travaux r~cents, les m~canismes d'action biochimique induits par les IFNs restent incompl~tement ~lucid~s.
Les essais th~rapeutiques chez I 'homme entrepris d~s les ann~es 1965-1970 se sont r~ellement d~velopp~s darts les ann~es 1980 grace & I'utilisation d'IFN alpha (IFN~) pratique- ment put produit en grande quantit~ par clonage du g~ne de I'IFN(~ chez Escherichia coli.
II. LA NATURE DES INTERFI~RONS Les IFNs sont des polypeptides sp~cifiques d'esp~ce s~cr~-
t~s par les cellules eucaryotes de tous les vertebras.
L'interf&ron alpha II existe plus de 20 sous-types d'IFN(~ form,s de 165 & 166
acides amines (aa). IIs sont cod~s par des g~nes situ6s sur le chromosome 9 et sont synth6tis~s par des lymphocytes B, T, non B non T ou par des monocytes/macrophages stimulus par un antigone, un virus, une cellule tumorale ou ~trang~re.
L'interf~ron b~ta
II existe 2 sous-types d'interf~ron bOta (IFNI~) fo rm,s de 166 aa. IIs sont cod~s par des g~nes situOs sur le chromosome 9 et sont synth~tis~s par les fibroblastes stimulus par un virus ou un antigone. II existe une homologie de s6quences entre les IFN(~ et 15 pour les nucl~otides et les aa.
L'interf&ron gamma
Constitu~ de 146 aa, I'interf~ron gamma (IFNy) est cod~ par des g~nes situ~s sur le chromosome 12. II est synth~tis~ par des cellules tueuses (,< natural killer ~ ou NK) et par les lympho- cytes T stimulus par des antig~nes T d~pendants ou par de I'interleukine 2 (IL2). II n'existe pratiquement pas d'homologie entre les IFNc~ et l~ d'une part et d'IFNy d'autre part.
III. MODE D'ACTION DES INTERFI~RONS
Les IFNs se fixent sur les cellules cibles au niveau de r~cep- teurs membranaires sp~cifiques de chaque famille d'IFN. It existe un r~cepteur ayant une haute affinit~ pour les IFN~ et et 2 types de r~cepteurs pour I'IFNy,
* Institut J. Paoli-I. Calmettes, Marseille.
L'essentiel du syst~me IFN est induit par diff6rents stimuli qui entra?nent la transcription des g~nes des IFNs en acides ribonu- cl6iques messagers (ARNm) et la traduction de ces ARNm en prot6ines. De nombreux inducteurs de la production d'IFN sont connus : les virus, les antig~nes pr6sent6s par les macrophages aux lymphocytes T, les ARN double brin, les mitog~nes .... La s6cr6tion d'IFN est transitoire et sa r6gutation est mal connue.
Les m~canismes d'action sont complexes. L'IFN peut induire, ou au contraire inhiber, la synth~se de prot~ines. II peut provo- quer la synth~se de la 2'-5' oligo-ad~hylate synth~tase (2"-5"AS), enzyme qui va contribuer ~ inhiber la synth~se d'acide d6soxyribonucl~ique (ADN) et, par cons6quent, la croissance et la division cellulaire. L'IFN induit aussi la synth~se d'une pro- t~ine-kinase (PK) qui conduit ~ I'inhibition des syntheses prot~i- ques.
IV. EFFETS BIOLOGIQUES DES INTERFERONS
Effet antiviral : DL3 aux IFN(x et ~ cet effet antiviral appara~ rapidement, est tr~s puissant et agit sur pratiquement tous les virus de fa?on non sp~cifique.
Effet antitumoral: II existe un effet antiprolif~ratif, dose- d6pendant et rapidement r6versible, qui porte essentiellement sur les cellules au repos (en phase GO) en retardant leur passage dans le cycle cellulaire (en phase G 1). Les IFNs agissent aussi en inhibant la diff6renciation des cellules tumorales. L'effet antitumoral agit de fa?on complexe selon diff6rents m~canismes. Les IFNc( et ~ ont une activit~ cytostatique alors que I'IFNy a une action cytotoxique.
Effet sur le syst~me immunitaire: Les IFNs sont des m~diateurs du syst~me immunitaire. Les IFN(x, 15 et y peuvent augmenter I 'expression des antig~nes (Ag) du complexe majeur d'histocompatibi l i t6 (CMH) de classe I e t de la 132 microglobu- line ainsi que celle des Ag du CMH de classe II en ce qui concerne I'IFNc~. Les IFNs augmentent aussi I'expression des r~cepteurs Fc des lymphocytes et des macrophages. L'IFNy repr6sente I'essentiel du facteur activant les macrophages ou - macrophage activating factor >~ (MAF).
V. MECANISMES DE RI~SISTANCE VIS-A-VIS DES INTERFI~RONS
II peut exister des anticorps (Ac) naturels et des Ac acquis qui apparaissent chez certains malades trait~s par IFN. Parfois, une diminution du nombre des r6cepteurs & I'IFN peut survenir a¼ cours de traitements par IFN. ~
VI. APPLICATIONS THI~RAPEUTIQUES
A. Les infections virales choniques Des essais th~rapeutiques ont ~t~ faits et se poursuivent
pour d~finir la place de I'IFN dans le traitement des h(~patites chroniques actives ~ virus B, A, C ou 4. Des r~sultats int~res- sants ont ~t~ obtenus. Le papilloma virus humain (~ human papilloma virus ~ ou HPV) peut 6tre responsable de condylo- mes acumin(~s ou v(~g(~tations v6n(~riennes, de verrues ou de papillomatoses laryng~es. L'IFNa peut ~tre efficace en traitement intral~sionnel (condylomes) ou syst~matique (papil-
La Revue de M6decine Interne S 92 Suppl6ment au Num6ro 3
Iomatose laryng~e). L'IFN a ~t6 ~galement propos~ dans le traitement de certaines infections ~ cytom~galovirus (CMV) chez des receveurs de greffe ou, surtout, en association avec la Zidovudine ou AZT, dans I'infection ~ virus de I'immunod~fi- cience humaine ou VIH.
B. Les affections malignes :
a) Les h~mopathies La leuc&mie -~ tricholeucocytes r~pond remarquablement I'IFN~ qui est d~sormais consid6r~ comme le traitement de
premiere intention de cette'h~mopathie. I1 dolt ~tre poursuivi pendant au moins 1 an et permet d'obtenir une correction de la cytop~nie et une r~duction (ou une disparition) des tricholeu- cocytes circulants dans la grande majorit~ des cas (environ 90 %). Parall~lement, la spl~nom~galie disparatt, ainsi que les complications infectieuses. La r6ponse m~dullaire ~tant varia- ble au douzi~me mois, le traitement peut ~tre poursuivi pen-/ dant 6 mois ou plus.
La leuc&mie my~loi'de chronique (LMC), essentiellement pendant la phase chronique, peut ~tre trait~e par chimioth~ra- pie et/ou IFNc~ avec de boris resultats. Une r6mission h~mato- Iogique (partielle ou complete) est obtenue, selon les ~tudes, dans 60 & 80 % des cas, accompagn~e d'une r~ponse cytog~- n~tique (r~duction ou disparition du chromosome Philadelphie dans la moelle osseuse) qui intervient dans environ la moiti6 des cas des r~ponses completes h~matologiques. La r6ponse est habituellement obtenue en 14 semaines environ.
Autres h~mopathies
Le my&lome mult iple peut b~n~ficier d'un traitement par I'IFN(x. Les r6ponses Sont plus fr~quentes (50 & 80 %) dans les my~lomes peu ~volutifs et /ou en premiere phase th~rapeuti- que qu'au cours des rechutes (15 ~ 26%). Cependant les r~ponses ~ la chimioth~rapie pouvant atteindre 60 & 80 % des cas en traitement initial et seulement 5 & 15 % des cas Iors des rechutes ; c'est, au moins pour I'instant, essentiellement dans ces derni~res indications que I'adjonction d'lFNc~ para~ profita- ble. II est vraisemblable que I'IFN soit appel~ & occuper une place de choix dans le traitement d'entretien du my~lome multiple.
Les lymphomes malins non hodgkiniens (LMNH) de fai- ble grade de malignit~ r6pondent dans environ 50 % des cas
I'IFN~ associ~ ~ diverses chimioth~rapies. La place exacte de I'IFN dans le traitement des LMNH de faible grade de malignit~ reste cependant & ~tre pr~cis~e. Aucun r~sultat concluant n'a ~t~ obtenu & ce jour dans les LMNH agressifs. L'IFN~ peut ~tre administr6 par voie parent~rale ou intral~sionnelle dans les lymphomes cutan&s & cellules T (LCCT : mycosis fongo'i'de et syndrome de S~zary). Des r~ponses objectives ont ~t~ obte- nues dans 45 % des cas.
Les syndromes my~loprolif~ratifs chroniques (SMC) en dehors de le LMC ont fait ~galement I'objet d'essais th~rapeu- tiques, C'est le cas des thrombocyt&mies essentielles ou de divers SMC s'acompagnant d'une thrombocytose au cours desquels une r~ponse objective peut ~tre obtenue dans 71 100 % des cas. Les essais restent tr~s pr~liminaires au cours de la my&lof ibrose primitive avec m~taplasie my~lo'i'de ou spl(~nom~galie my~loi'de et il est encore trop tSt pour dOfinir la place que peut occuper I'IFN dans cette h~mopathie.
D'autres h~mopathies font actuellement I'objet d'essais th~- rapeutiques, telle que la leuc~mie lympho'~'de chronique.
b) Les affections malignes non h~matologiques Les m&lanomes malins diss~min~s sont d'un pronostic
particuli~rement mauvais (survie m~diane de 4 ~ 6 mois) et les divers essais th~rapeutiques par mono ou polychimioth~rapie
sont rest~s d~cevants. C'est dans ces conditions qu'ont ~t~ propos6s des traitements par IFNc( qui ont permis d'obtenir une r~gression tumorale dans 15 & 20 % des cas. G~n6ralement propos~ en traitement de seconde ligne, I'IFN~ pourrait b~n6fi- cier d'une combinaison avec d'autres th~rapeutiques tel!e que I'lL2.
Le sarcome de Kaposi (SK) associ~ au syndrome d'im- munod~f ic ience acquise (SIDA) est fr6quent (au moins 30 % des cas de SIDA) et son traitement, au moins dans les formes diss6min~es, est rendu difficile par I'existence m£~me du d6ficit immunitaire. S'il peut ~tre trait~ par chimioth6rapie, il peut I'Otre 6galement par I'IFN(x (seul ou en combinaison avec chimioth6rapie ou Zidovudine). Administr~ ~ des posotogies diverses (le plus souvent depuis 10× 10 ~ jusqu'~ 50× 106 UI/m2/j) et selon des schemas th~rapeutiques diff~rents (injec- tions quotidiennes ou cures s~quentielles), il permet d'obtenir de 30 ~ 60 % de r6ponses objectives (r~ponses completes + reponses partielles). L'efficacit6 est d'autant plus nette et le r6sultat stable et prolong6 que le d~ficit immunitaire est peu profond et qu'il n'existe ni Iocalisation visc6rale ni infection opportuniste.
Le cancer du rein (m6tastatique) ne b6n6ficie que modes- tement des traitements par IFN (IFNc( ou y ou combinaison des deux). Le taux de r6ponse se situe le plus souvent autour de 15 °k (8 ~ 26 %).
Les tumeurs carcino'i'des font aussi I'objet d'essais th~ra- peutiques. Avec I'IFN(x, des taux de r~ponse de 50 % ont pu ~tre obtenus. Des ~tudes compl~mentaires sont n~cessaires pour juger de la place que peut tenir I'IFN dans le traitement de ces tumeurs.
L'IFN peut donner des r~sultats int~ressants dans le cancer superficiel de la vessie en administration intra-v~sicale et comme traitement adjuvant du cancer de rovaire en adminis- tration intra-p~riton~ale.
D'autres tumeurs malignes font actuellement I'objet d'es- sais th~rapeutiques (carcinomes baso-cellulaires,...) ou de ten- tatives th~rapeutiques ponctuelles (h~mangio-endoth~liomes juveniles,...).
c) Les parasitoses La leishmaniose visc&rale (Lv) peut b~n~ficier d'un traite-
ment par I'IFNc(, comme ceci a ~t~ dOmontr6 dans des ~tudes men6es au Br~sil. Son int~r~t est en cours d'~valuation au cours des LV survenant chez des patients infect~s par le VIH.
d) Pathologies diverses
Des essais th~rapeutiques sont en cours dans des maladies diverses, telles que le purpura thrombop~nique idiopathique, la lymphad~nopathie angio-immunoblastique ou le lupus ~ryth~- mateux diss~min~.
VII. LES EFFETS SECONDAIRES DES TRAITEMENTS PAR INTERFI~RON
• Les therapeutiques par IFN sont responsables d'effets ind6si- rabies dont la fr6quence varie avec les posologies administr6es. Un syndrome pseudo-grippal est tr~s frequent, des troubles digestifs (naus6es, vomissements) peuvent apparaTtre chez 25
40 % des malades, ainsi que des manifestations neurologi- ques (environ 30 % des cas) et cardiovasculaires (environ 10 % des cas).
CONCLUSION Les IFNs repr6sentent un traitement qui est encore largement
en cours d'6valuation. A c e jour, i'lFNc~ est, de loin, le plus utilis~ des IFNs. II est vraisemblable que pour la plupart des indications I'avenir r~side dens une combinaison de I'IFN et d'autres modalit6s th~rapeutiques.
1990 - Tome X l Bulletin de la SNFMI N ° 23 S 93