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Mot et synthème Author(s): Jeanne Martinet Source: La Linguistique, Vol. 36, Fasc. 1/2, Les introuvables d'André Martinet (2000), pp. 425- 434 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30249335 . Accessed: 15/06/2014 19:33 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.29.185.109 on Sun, 15 Jun 2014 19:33:46 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les introuvables d'André Martinet || Mot et synthème

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Mot et synthèmeAuthor(s): Jeanne MartinetSource: La Linguistique, Vol. 36, Fasc. 1/2, Les introuvables d'André Martinet (2000), pp. 425-434Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30249335 .

Accessed: 15/06/2014 19:33

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MOT ET SYNTHEME*

Andri Martinet s'est attachi a digager l'uniti significative minimale, dinongant l'impricision du concept de mot et la multiplicite des emplois du terme morphime. Il opire avec le mon'me, qui ne coinzcide pas nicessairement avec un segment isolable de l'inonci, mais corres- pond a' un choix du locuteur. Sur la base de critires syntaxiques, on identfife deux types de grou- pement de monimes : le syntagme, formi de deux ou plus de deux monimes qui sont entre eux dans des rapports plus intimes que ceux qui les relient au reste de l'inonci; le synthime, qui correspond a un choix unique du locuteur, qu'il s'agisse d'un composi ou d'un dirivi, et qui s'intigre donc a' une classe de monimes. Les monimes sont dits libres dans le syntagme, conjoints dans le synthime. La synthimatique est l'itude de la production des synthimes.

par Jeanne MARTINET

EPHE, 4e section

On ne s'&tonnera guere de trouver une ref6rence au mot dans le titre de l'hommage A un savant qui a si brillamment defendu ce concept que la pratique structuraliste tendait a 6carter au profit de l'unit& significative minima. Il est vrai que l'auteur de ces lignes a activement participxc a l'effort collectif tendant a pousser l'analyse des enonces au-dela du mot, et qu'on pourrait vouloir deceler, dans cette ref6rence, une intention pol6mique. Cette intention n'existe pas. L'histoire recente de la linguistique nous montre que des traitements qui pouvaient sembler diam&- tralement opposes, ne refletaient en fait que des optiques diff6- rentes, des fagons particulieres d'envisager et d'aborder des pro- blames, l'accent &tant mis ici sur l'6nonce, la sur le paradigme, les problemes semantiques eitant chez l'un temporairement passes sous silence, chez l'autre, au contraire, placeis des l'abord au

* Texte publie dans Lingua, 21, 1968, p. 294-302. Reproduit dans Studies in Functional Syntax, Etudes de syntaxe fonctionnelle, Miinchen, Wilhelm Fink Verlag, 1975, p. 196-204.

La Linguistique, vol. 36, fasc. 1-2/2000

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426 Morphologie/ syntaxe/ synthematique

centre des preoccupations, sans qu'au fond, il y ait nulle part de contradiction dans les reisultats obtenus de part et d'autre. Pour Anton Reichling, le mot, comme unite de sens, s'impose avec une telle force que lui apparaissent necessairement marginales des dif- ficultes d'identification qui, pour des esprits plus formalistes ou

qui, chronologiquement, placent l'etude de la forme avant celle du sens, se presentent au centre mime du problkme. Les deux

points de vue sont justifies. Chacun, selon son temperament et sa formation, poursuit sa recherche, et c'est ainsi que se trouvent finalement 6clairies toutes les faces de l'objet.

Ceci ne veut, certes, pas dire qu'il faille imperturbablement poursuivre son chemin sur la mame voie, sans egard A

l'experience acquise en cours de route. Avant d'adopter le moneme comme l'unit6 fondamentale de l'articulation de l'nonc6 en signes, on a longuement flirt6 avec la notion du mot comme une unite linguistiquement ponctuelle. Ceci implique, d'une part, que l'analyse du signifiant en phonemes successifs est oubli&e une fois qu'est assuree l'identification du mot, d'autre

part, que la successivite des 6l6ments significatifs d'une forme comme donne-r-ons est consid6r6e comme non pertinente, comme determinee par la servitude que represente la linearit6 de la

parole: donnerons serait une unitei significative combinant les traits << donner xc, <<futur> et <<pl. 1 tout comme l'unit6 distinctive /b/ du franCais combine les traits << bilabial >>, <<sonore> et << oral >>. Dans cette optique, des subjonctifs frangais comme aille /aj/,fasse /fas/ ou sache /sa/, oui l'on ne saurait attribuer un seg- ment particulier au radical verbal et un autre a la marque du

subjonctif, ne seraient plus des entorses A la structure normale des einonces, mais des formes parfaitement normales de la realisa- tion du mot, des formes refletant, en quelque sorte, l'unit6 de ce mot plus fidelement qu'un complexe analysable comme donnerons

qui n'aurait, sur les formes synthetiques, que l'avantage de pou- voir etre fabriqu6 par l'enfant une fois qu'il a acquis le talent

d'operer par analogie. Cette conception ponctuelle du mot s'inspirait, bien entendu,

de l'expirience de l'analyse phonologique ofi l'impossibilit6 de

pratiquer la commutation ou quelque autre circonstance obligeait souvent A considerer comme phoneme unique ce qui &tait physi- quement une succession d'1~1ments diff6rents : l'd16ment intervo-

calique de l'esp. mucho /mutfo/, par exemple, comporte incontes-

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Mot et synthhne 427

tablement une occlusion suivie d'une friction, et il suffit, pour s'en convaincre, de reproduire un enregistrement mecanique A

l'envers; mais l'impossibilit6 de commuter chacun des '61ments du complexe impose a l'analyste une interpretation monophon&- matique comme elle impose au locuteur castillan le sentiment de l'unite' de /tf/. I1 est vrai que cette interpretation est, en phono- logie, plut6t l'exception que la regle, alors qu'en l'&tendant au mot, elle devient la norme pour certaines categories. D'autre

part, les justifications qu'on invoque pour les phonemes n'existent

guere pour les mots: les 616ments successifs de donnerons sont ais&- ment commutables (/d6n-r-6/ /d6n-i-5/, /d6n-r-e/, etc.); si

l'analyse d'aille /aj/ est formellement impossible ou arbitraire

(/a-/ = <<aller xc, /-j/ = << subjonctif~>) personne n'hesitera A y retrouver, semantiquement, deux e1ements distincts, et l'on rap- prochera ce cas de celui otu, en phonologie, un [d] parfaitement homogene se voit interpr&te comme une succession /an/. Mais rien de tout ceci ne pourrait nous empecher d'adopter une

conception ponctuelle du mot si celle-ci nous permettait de dega- ger une definition scientifique de ce terme qui nous ferait retrou- ver, dans tous les 6nonces de toute langue, les mots de l'usage courant.

Si, finalement, cette conception du mot a 6te 6cartee, c'est que, pricisement, elle n'aboutissait pas A faire coincider les resul- tats d'une analyse synchronique serieuse avec la segmentation impos&e par la tradition: si nous consentons A considerer, comme un point de la chaine, donnerons, oui la segmentation ne fait pourtant aucune difficult6, c'est pour avoir le droit de le faire

li oui cette segmentation est ddlicate ou impossible; or, dans le cas d'avons couru, oui l'on peut rattacher le trait de sens <<pl. IxcxcA avons et <<courir >> A couru, <<passe >> n'est pas precisement locali- sable, et nous voudrions pouvoir dire : avons couru est un seul mot. Malheureusement, aussi bien la flexion et l'orthographe que le critere de la seiparabilit6 (... avons tous couru) s'y opposent formelle- ment. Il n'y avait donc pas la une fagon de sauver, sur le plan de la linguistique geneirale, le concept de mot comme l'unit6 en ter- mes de laquelle on peut analyser integralement tout 6nonc6i de toute langue connue ou imaginable.

On s'est donc rabattu sur l'unite' significative minima conque, non comme un segment de l'6nonc6 dou6 de sens et non susceptible d'etre analysei en segments plus petits de

mrme

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428 Morphologie/ syntaxe/ synthimatique

type, mais comme un effet de sens correspondant a une modifi- cation formelle de l'6nonc6, modification ne s'identifiant pas necessairement avec l'apparition d'un segment determine (unite xc subjonctif> dans aille), mais pouvant aussi se realiser de fagon discontinue (unit << pluriel >> dans les petits animaux /leptizanimo/ en face du singulier dans le petit animal /lptitanimal/). C'est

pourquoi on a retenu, pour designer cette unite, le terme de moneme, de pri~f6rence a morpheme, dont l'&tymologie et

l'emploi chez la plupart des <<structuralistes>> mettaient trop l'accent sur la forme. La conception de l'unit6 significative que recouvre moneme reclamait un terme pour designer les seg- ments inanalysables reconnus comme les signifiants indivis de deux ou de plus de deux monemes, tel aille /aj/ identifie comme le signifiant des monemes <aller> et <subjonctif>>. C'est amalgame qui a 6t6 retenu. On notera que le concept d'amalgame est disponible non seulement pour les cas oui la

segmentation ne pourrait etre qu'arbitraire (/aj/ congu comme

/a-/+/-j/), mais 6galement la ou l'on se refuse a la segmenta- tion pour simplifier la presentation : on a interet, en gen6ral, A voir dans l'anglais sang- /sxee/ un amalgame des mondmes xc chanter> et <preterit>>, encore qu'une analyse formelle en

/s...rq/ et /...ae.../ reste possible. Il s'en faut, certes, que les concepts de moneme et

d'amalgame offrent, dans tous les cas, la possibilite d'une analyse impeccable, excluant toute hesitation et tout remords, et l'on pourrait, en face de certaines difficultes, faire valoir que, puisque les nouvelles notions ne permettent pas de trancher dans tous les cas, il n'6tait pas justifi6 d'&carter celle de mot. Sans doute, l'emploi de celle-ci presentait-il 6galement de s6rieux inconv&- nients, mais il permettait au moins de faire l'economie de deux nouveaux concepts.

Une des objections qu'on a vite presenteie contre la notion

d'amalgame est que, si l'on se refuse A identifier necessairement un moneme avec un segment particulier du discours, comme on le fait effectivement quand on dit que le latin dominorum est un

amalgame des signifiants des trois monemes <<maitre >>, gini- tif et << pluriel >>, on est amende A voir, dans jument, un amal-

game des mondmes 0 cheval>> et << femelle xc, ce qui, de proche en proche, aboutira A entremaler, voire A confondre analyse en monemes et analyse simantique. Repondre, comme on a pu le

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Mot et syntheme 429

faire, qu'il s'agissait, dans un cas, d'xcl6ments grammaticaux s'amalgamant A un element lexical, dans l'autre d'un fait de

lexique, c'&tait entrevoir la solution, mais faire intervenir la dis- tinction entre le grammatical et le lexical A un stade de l'analyse ou elle ne s'imposait pas ntcessairement. Mais c'&tait, surtout, laisser dans l'ombre la distinction fondamentale entre deux types d'association de monemes: d'une part, celle qui resulte de la construction syntagmatique de l'6nonc6 qui suppose necessaire- ment une serie de choix distincts faits au moment meme oi l'on

parle, pour communiquer telle experience et non telle autre, choix de <<maitre >>, gnitif>>, <<pluriel>> dans dominorum paral- ldles aux choix de <<sur >>, << dfini >>, <<banc>> dans sur le banc; d'autre part, la combinaison de deux ou de plus de deux uniteis significatives minima en une nouvelle unitei qui fera l'objet d'un choix unique au cours de la construction syntagmatique de l'nonc6, soit, par exemple, indisirable, de in- + disirable (ce der- nier, a son tour, de disir(er) + -able), qui s'emploie dans les

mimes conditions syntaxiques que des monemes uniques comme mauvais ou comme truand.

La notion d'amalgame n'a d'application qu'en syntagma- tique, 1a oiu deux choix necessairement distincts, celui du pluriel dominorum au lieu du singulier domini et celui du genitif dominorum au lieu de l'accusatif dominos entrainent conjointement l'emploi d'une forme inanalysable. Elle n'est pas de mise lorsque tout

indique qu'un segment du discours, jument par exemple, a 6tei choisi comme tel au lieu de cheval ou au lieu de mule ou d'dnesse. Le segment dnesse que tout locuteur semblerait pouvoir analyser en dn(e) + -esse, est, bien entendu, un des moddles qui pourrait faire consid6rer jument comme un amalgame; mais, contraire- ment A l'aquivalent semantique ane femelle, dnesse represente un choix unique, exactement comme jument. L'avantage d'dnesse sur jument est son caractere << motiv >> qui peut faciliter l'appren- tissage du terme par l'enfant. Mais, une fois dnesse integr6 au vocabulaire, tout se passe comme s'il s'agissait d'un moneme

unique. En d'autres termes, on pourrait parler parfaitement le

franCais sans avoir jamais perCu ou senti le caractere complexe de ce terme. Pour un &tranger qui apprend le franCais, beaucoup s'analyse de toute evidence en beau et coup, alors que 50 millions de FranCais vivent et meurent sans avoir jamais soupponn6 dans ce segment une trace de motivation.

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430 Morphologie/syntaxe/synthimatique

Nous avons propose' de reserver le terme de syntagme aux combinaisons de monemes resultant de choix distincts, qu'il s'agisse d'amalgames, comme dans dominorum, de mots analysa- bles comme donnerons ou de combinaisons plus laches comme sur le banc, ou les trois monemes composants sont separables (sur tout le petit banc). Pour designer les combinaisons de monemes qui font, dans le discours, l'objet d'un choix unique, nous avons pro- pose le terme de synthhnme. La syntagmatique est naturellement

l'etude de la formation des syntagmes. La synthematique est celle de la production des synthemes, c'est-A-dire qu'elle designe ce

qu'on appelle en allemand Wortbildungslehre, en marquant mieux, toutefois, qu'il ne s'agit pas de la constitution du mot tout entier, desinences comprises, mais simplement de ce qu'on connait sous le nom de radical. Il est utile de pouvoir distinguer entre les monemes constitutifs des syntagmes (/d6n-, -r-, 6/ dans donnerons, /syr la ba/ dans sur le banc, <<maitre xc, gnitif> et <<plurielxc dans dominorum) et les monemes qu'on peut deigager par l'analyse des synthemes (dne et -esse dans dnesse et, si l'on veut, beau et coup dans beaucoup). On d6signera les premiers comme des monnmes libres, et les seconds comme des monnmes conjoints. On est pleine- ment conscient du caractere provocateur de l'6pithete de << libre >>

appliquee aux trois constituants de l'amalgame dominorum, il n'y a evidemment aucun rapport entre free, dans la traduction anglaise

free moneme, et free dans l'expression bloomfieldienne free form : le moneme correspond toujours A quelque difftrence formelle, mais sa nature vraie est independante des accidents de cette forme ; la liberti~ du moneme se manifeste par le fait qu'il correspond a un choix distinct, quelles que soient les variations formelles de ce choix.

La notion de choix A laquelle nous avons eu recours jusqu'ici n'a 6t6 utilis'e qu'" titre explicatif et ne saurait, bien entendu, servir comme critere de la distinction entre les deux types d'asso- ciation de monemes. Le seul crit re valable nous parait ktre celui du comportement syntaxique du complexe considrei : d'une part, nous avons des complexes qui se comportent, en ce qui concerne leur combinabilite syntaxique, en tous points comme des mon&- mes uniques, c'est-A-dire qu'ils entrent dans les memes combinai-

1. Andr& Martinet, Syntagme et synthbme, dans La Linguistique, Paris, PUF, 2, 1967, p. 1-14.

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Mot et synthhne 431

sons que les monemes d'une classe donnee et qu'aucun des ele- ments qui les composent n'est susceptible de recevoir une determination particulii~re : ce sont des synthemes; d'autre part, nous trouvons des concatenations dont chaque element implique une restriction quant a la combinabilitei de l'ensemble : ce sont des syntagmes. Soit le syntheme chaise-longue, il peut entrer dans toutes les combinaisons dans lesquelles apparait le moneme

simple chaise y compris la combinaison avec l'adjectif longue: une

longue chaise-longue comme une longue chaise, d'autre part, on ne

peut ajouter une determination particuliere A chaise ou A longue sans detruire le syntheme : une chaise plus longue n'est plus une

chaise-longue. Soit, maintenant, le syntagme donnerons; I'adjonction de l'6l6ment /-r-/ dlimine la possibilit6 d'ajouter au complexe une autre determination temporelle; de meme /-6/ exclut toute autre marque de personne; on ne peut donc pas dire que donne- rons entre dans toutes les combinaisons oiu peut figurer donne.

Th0oriquement au moins, la distinction entre syntheme et

syntagme est parfaitement nette. En pratique, on hesitera parfois a se prononcer. A premiere vue, le complexe jeune fille apparait comme un syntheme : on ne dira pas une plus jeune fille, mais une

jeune flle plus jeune ; on entendra toutefois une toutejeunefille oui toute determine jeune A l'exclusion de fille. En fait, il existe, dans ce cas, un critere qui permet de distinguerjeunefille syntagme dejeunefille syntheime : en frangais traditionnel2, l'article indefini pluriel sera de devant l'6pithete et des devant le substantif; de jeunes filles sont

arrivees comporte donc un adjectifjeunes, donc un syntagme jeunes filles; des jeunes flles sont arrivees presente le synth me, c'est-A-dire un substantif compose devant lequel des est normal, comme devant tout substantif.

Pour interpreter correctement ce qui est dit ci-dessus de la combinabilit6 syntaxique, il faut savoir faire abstraction des com-

plexites morphologiques: si l'on devait, comme on le fait trop souvent, considerer chaque segment isolable de l'6nonc6 ou du texte 6crit, comme un element syntaxiquement valable, nous ne

pourrions voir, dans jeune fille, un synth me puisque, dans jeunes filles chacun des '~lments du complexe semble recevoir une

2. Andre Martinet, Syntagme et syntheme, dans La Linguistique, Paris, PUF, 2, 1967, p. 1-14. La distinction entre les deux constructions semble fort atteinte dans la langue parlee des jeunes g6n6rations de Parisiens. Elle reste tris naturelle chez l'auteur de ces lignes.

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432 Morphologie/syntaxe/synthematique

determination distincte. On pourrait vouloir faire fi de la graphie et declarer que la question ne se pose pas puisqu'on prononce /3cenfij/ aussi bien au pluriel qu'au singulier. Mais l'6chap- patoire ne vaudrait pas pour bonhomme /b6n6m/; bonshommes

/b6z6m/ ofi le pluriel entraine une modification caracteris&e de la prononciation. Ce qu'il faut ne pas oublier, c'est que, dans des

jeunesfilles ou dans des bonshommes, il n'y a chaque fois qu'un seul moneme de pluriel; on ne peut pas 6crirefilles avec un s sans que jeunes en prenne un aussi, on ne peut pas employer l'article /de/ sans que le /-6n-/ de bonhomme devienne le /-6z/ de bonshommes. En d'autres termes, et pour reprendre une formule employee plus haut, on ne saurait ajouter une ditermination particuliere a un seul des 'lements du syntheme.

L'existence de la possibilit6 de distinguer strictement, dans bien des langues, entre des 'eliments de derivation qui servent a former des synthemes, et des determinants grammaticaux qui sont souvent des desinences, ne doit pas faire croire que cette distinction soit absolument generale. En basque, par exemple, l'd1 ment -ko d'etxeko sera conqu comme une desinence de geni- tif, si l'ensemble est compris comme <<de maison >, mais comme un suffixe de derivation s'il s'agit de designer <<un domestique >>. Cette indistinction formelle ne veut toutefois pas dire que la dis- tinction entre syntheme et syntagme ne puisse s'6tablir dans un contexte particulier. Il n'est cependant pas exclu qu'il puisse etre difficile, dans certains cas, de savoir si l'on a affaire A un fait de derivation ou de grammaire: en latin, la diff6rence entre un

present linquo et un parfait liqui est un fait de grammaire ; mais on peut supposer que l'infixe -n- a 6te, A plus ancienne 6poque, un ~1Cment permettant de former, A partir de monemes de valeur ponctuelle, un certain type de deriv6 susceptible de rece- voir les memes elements de flexion que le simple; en grec clas- sique, les themes pino-, pio- << boire >, qui sont consideres comme faisant partie de la conjugaison du meme verbe, presentent encore, au passe, la mime flexion: e-pino-n, e-pio-n, etc. Cela laisse penser qu'au cours du processus de l'&tablissement d'une conjugaison indo-europeenne, il y a eu des cas o0i il aurait 6t6 difficile de se prononcer sur le statut de l'infixe -n- et le carac- tere de syntheme ou de syntagme de pino-. L'existence probable de cas limites ne saurait, en tout cas, tre une objection A l'ta- blissement d'une distinction appelee A rendre des services dans

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Mot et synthhnme 433

une multitude de cas et qui reflete une distinction fondamentale

pour l'appreciation correcte des structures linguistiques les plus diverses.

Si l'opposition entre syntheme et syntagme est, au moins en

principe, d'une grande nettet6, on ne saurait en dire autant de celle qu'on peut poser entre syntheme et moneme unique. S'il est vrai qu'on peut parler parfaitement le frangais sans avoir jamais pris conscience du caracteire << motiv>> d'dnesse, ceci veut dire

que le fonctionnement synchronique de la langue ne reclame pas qu'on distingue entre syntheme et moneme unique. De ce point de vue, la distinction qui s'imposerait serait celle entre monemes

uniques et synthemes traditionnels d'une part, et d'autre part, les combinaisons de monemes conjoints que tout sujet peut realiser au moment meme oii il parle et qu'illustre l'indicorable saussurien3. Mais on sait combien il est difficile de faire le depart entre com-

poses et derives traditionnels et creations personnelles: si je devais employer dicouvrable, je ne pourrais dire si je fabrique le

syntheme ou si je reproduis un complexe que j'ai entendu ante- rieurement. II semble impossible de tracer une frontiere nette entre affixes productifs et non productifs. L'&tude de la dyna- mique de la composition et de la derivation est, bien entendu, un

important chapitre de la description d'une langue, et le syntheme nouvellement cree est assez souvent compris a partir du sens des monemes conjoints; mais si le produit n'est pas ephimere, il

pourra jouer d'autant mieux son r1le que s'attenuera le sentiment de son caractere motive : lorsqu'on entend parler d'un indisirable, on fait aussi bien de ne pas pousser l'analyse jusqu'a disir(er). Il est d'ailleurs vraisemblable que la plupart des FranCais ont appris le terme par rfi6rence aux contextes dans lesquels ils l'ont lu ou entendu plut6t que par une analyse qui n'aurait pu que les induire en erreur.

Une des vertus du concept de syntheme est qu'il permet de ne pas se prononcer, ce qui est le plus souvent fort ddlicat, sur le caractere traditionnel ou neologique d'un segment du discours pergu comme la combinaison de monemes conjoints. LA ouf le sentiment de la possibilitet d'une analyse est assez vague et oii l'on

hisitera entre syntheme et moneme, on devra resolument

3. Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique ginirale, Paris, Payot, 1967 (1" 6d. 1916), p. 173.

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434 Morphologie/syntaxe/synthhnmatique

employer ce dernier, puisque, dans l'usage qu'on fait de la

langue, tout se passe, dans ce cas, comme s'il s'agissait bien d'une unite minima. Puisqu'en syntaxe, les synthemes ont, par definition, le mime comportement que les monemes, rien n'empechera, dans ce chapitre, de les passer sous silence: < moneme >, dans ce cas, voudra dire < moneme et syntheme >. C'est naturellement dans le chapitre de la synthematique qu'il conviendra d'en 6tudier les types et les processus d'apparition sans oublier jamais de bien marquer ce qui les distingue des syn- tagmes.

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