Les Jeux de Mots en Classe de FLE

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Au lieu d’étudier les jeux de mots comme un piège linguistique à redouter, le travailprésent veut les approcher d’une façon plus positive. L’intégration des jeux de motsdans l’enseignement des langues pourrait notamment contribuer à l’apprentissage deslangues et nous aider à décoder d’autres énoncés ambigus. Il ressort aussi deplusieurs études que les jeux langagiers permettent de révéler les principes et lesmécanismes de la langue. Ainsi, ils pourraient constituer une plus-value importantepour l’enseignement des langues.

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  • HOGESCHOOL ANTWERPEN

    HOGER INSTITUUT VOOR VERTALERS EN TOLKEN

    Les jeux de mots en classe de franais

    langue trangre :

    de la thorie la pratique

    Greet Van Dommelen

    Licentiaatsverhandeling ingediend ter verkrijging

    van de graad van

    LICENTIAAT VERTALER

    Promotor : Prof. dr. K. Lievois Academiejaar : 2006-2007

  • Remerciements

    Arrive au terme de ce travail, je voudrais remercier tous ceux et celles qui ont

    contribu de prs ou de loin llaboration de ce mmoire.

    Tout dabord, je tiens remercier plus particulirement la directrice de mon mmoire,

    la professeur Lievois, pour sa relecture attentive, ses conseils et son accompagnement

    au cours des diffrentes tapes de mon mmoire.

    Je dois aussi un grand merci mes parents pour leurs conseils et leurs commentaires

    pertinents et pour avoir tenu lil sur les dates de retour des diffrentes bibliothques.

    Je voudrais aussi remercier trs spcialement Hlne, pour mavoir aid dchiffrer

    certains jeux de mots et pour avoir rpondu mes questions avec toujours autant

    denthousiasme et damabilit.

    Mes remerciements vont galement Philippe Geluck, Yak Rivais et Magali Le Huche

    pour leur aimable autorisation de reproduire de leurs images dans la partie pratique.

    Je tiens enfin remercier mon entourage, ma famille et mes amis, pour leur soutien

    et encouragement tout au long de ce travail.

  • Table des matires

    1. Introduction ......................................................................................... 6

    Partie A Les jeux de mots dans la thorie...................................................... 8

    2. Dfinition et typologie des jeux de mots ................................................... 9 1 Polysmie........................................................................................... 11 2 Homonymie ........................................................................................ 12 3 Paronymie.......................................................................................... 14 4 tymologie populaire ........................................................................... 14 5 Mots-valises ....................................................................................... 15 6 Parasynonymie ................................................................................... 16

    3. Arguments pour lintgration des jeux de mots en classe de langue ............ 19 Un phnomne omniprsent ....................................................................... 19 Un esprit typiquement franais? .................................................................. 20 Motivation et bonne ambiance .................................................................... 21 Une crativit renforce............................................................................. 22 Les connaissances linguistiques impliques................................................... 23 lments de la culture franaise.................................................................. 28 La dimension mtalinguistique des jeux de mots ........................................... 29 conomie en mots, richesse en contenu ....................................................... 31 La grande varit de jeux de mots .............................................................. 32

    4. Problmes et objections ....................................................................... 33 Un cart par rapport la norme.................................................................. 33 Un exercice pour les niveaux avancs uniquement ? ...................................... 34 Une situation de communication inauthentique.............................................. 35 Labsence des jeux de mots dans les manuels scolaires .................................. 36

    Partie B Les jeux de mots dans la pratique.................................................. 37

    5. Conseils gnraux ............................................................................... 38

    6. Exercices............................................................................................ 45 1. Exercice gnral : un amalgame de jeux de mots .................................. 45 2. Jeux de mots et BD........................................................................... 46 3. Jeux de mots dans la publicit ............................................................ 49 4. Sketchs humoristiques ...................................................................... 52 5. Les jeux de mots et le thtre ............................................................ 54 6. Jeux de mots et chansons .................................................................. 56

  • 7. Mots croiss et jeux de mots .............................................................. 59 8. Perles et coquilles ............................................................................. 60 9. Mots-valises..................................................................................... 61 10. Allographes alphabtiques ou lpellation des mots ................................ 69 11. Les adverbes quivoques ................................................................... 71 12. Le jeu des faire-part.......................................................................... 72 13. Jouer avec lhomonymie : sries de jeux de mots reposant sur un mme phonme ................................................................................................. 74 14. Exploiter les jeux de mots involontaires ............................................... 75

    7. Exploiter les jeux de mots pour introduire un thme linguistique ................ 77

    8. Matriel utile ...................................................................................... 81

    9. Conclusion.......................................................................................... 86

    10. Bibliographie....................................................................................... 88

    ANNEXES ...................................................................................................... 95

  • 6

    1. Introduction Les jeux de mots souffrent parfois dune mauvaise rputation. Pour les traducteurs,

    ils constituent un exemple classique des problmes de traduction et parfois ils sont

    mme qualifis dintraduisibles. Plus gnralement, les locuteurs dune langue

    trangre se mfient souvent des jeux de mots. Les doubles sens et ambiguts

    parfois trs subtils passent souvent inaperus des apprenants dune langue trangre.

    Ainsi, il leur chappe parfois une partie de la conversation ou ils ne sont pas toujours

    capables de comprendre lhumour de leurs interlocuteurs.

    Mme dans notre langue maternelle, nous ne faisons pas toujours attention aux jeux

    de mots. Lambigut est souvent mal vue dans lenseignement o lon nous apprend

    nous exprimer dune faon claire et univoque.

    Au lieu dtudier les jeux de mots comme un pige linguistique redouter, le travail

    prsent veut les approcher dune faon plus positive. Lintgration des jeux de mots

    dans lenseignement des langues pourrait notamment contribuer lapprentissage des

    langues et nous aider dcoder dautres noncs ambigus. Il ressort aussi de

    plusieurs tudes que les jeux langagiers permettent de rvler les principes et les

    mcanismes de la langue. Ainsi, ils pourraient constituer une plus-value importante

    pour lenseignement des langues.

    Nanmoins, ces conclusions positives ne paraissent gure se traduire vers

    lenseignement lui-mme. Une explication possible rside selon nous dans le manque

    dexemples concrets dexercices. Cest pourquoi ce travail veut approcher les jeux

    langagiers dune faon plus pratique. Il vise plus spcifiquement les jeux de mots,

    puisque de tous les jeux langagiers, ce sont prcisment les jeux de mots qui sont les

    moins employs des fins didactiques.

    Notre travail est subdivis en deux parties. La premire tudie les jeux de mots de

    faon plus thorique. Dabord, la notion du jeu de mots sera dfinie et dcrite laide

    dune typologie. Ensuite, il sagira de prsenter des arguments en faveur de

    lintgration des jeux de mots dans lenseignement du franais langue trangre

    (FLE). Finalement, la partie thorique se penche aussi sur les principaux problmes et

    objections qui peuvent tre avancs et pour lesquels on essaiera dapporter des

    solutions ou des arguments contraires.

    Dans la deuxime partie, qui est plus pratique et plus volumineuse, lenseignant

    trouvera dabord quelques conseils gnraux qui devraient lui permettre dlaborer les

    exercices avec succs. Ces conseils sont suivis dun aperu de plusieurs exercices

  • 7

    concrets autour des jeux de mots, couvrant des domaines et des niveaux de difficult

    divers. La partie pratique dmontre aussi laide de quelques exemples concrets

    comment les jeux de mots peuvent sinscrire dans lenseignement de la langue et de

    la culture franaises. Dans lespoir de faciliter davantage encore la prparation des

    exercices, nous avons recueilli dans un dernier chapitre quelques informations et

    sources supplmentaires pour prparer des exercices autour des jeux de mots.

    En fournissant quelques outils pratiques, nous esprons pouvoir convaincre les

    enseignants intgrer davantage les jeux de mots dans leurs cours de langue. Si

    jusquici les recueils de jeux de langue ont prt peu dattention aux jeux de mots et

    que leur absence est encore plus frappante dans les manuels scolaires, nous esprons

    offrir une premire rponse ce manque dexercices concrets.

    Ce travail vise spcifiquement lintgration des jeux de mots dans lenseignement du

    FLE, nanmoins plusieurs conclusions sappliquent sans doute aussi lenseignement

    des autres langues.

  • 8

    PARTIE A LES JEUX DE MOTS DANS LA THEORIE

  • 9

    2. Dfinition et typologie des jeux de mots Si les linguistes narrivent pas sentendre sur le contenu exact de la notion du jeu de

    mots, ils sont quand mme daccord pour dire que le jeu de mots est une notion trs

    difficile dfinir. Ainsi, Aimard (1975, p.75) affirme qu Il nest gure de dfinition

    qui convienne au jeu de mots . Il est bien des manires de jouer avec un

    mot : le jeu peut porter sur les sons, la forme, le sens, sur sa place dans lnonc, il

    peut tre pure fantaisie ou non (). Vittoz Canuto (1983, p.23) est du mme avis :

    Les jeux de mots, terme plein dambigut et dimprcision, ne constituent pas une

    srie finie, ce qui faciliterait leur tude, il sagit dlments dun code particulier dont

    la classification pose toute une srie de problmes.

    Le but de ce chapitre nest donc certainement pas de dfinir ou de dcrire le jeu de

    mots de faon exhaustive, mais de spcifier le contenu que reoit cette notion dans ce

    travail. Les dfinitions existantes sont en gnral assez vagues et parfois mme

    contradictoires. Citons, par exemple, la dfinition du Nouveau Petit Robert (identique

    celle du Dictionnaire culturel en langue franaise1) :

    Allusion plaisante fonde sur lquivoque de mots qui ont une

    ressemblance phontique mais contrastent par le sens. (2000, p.1374)

    Comme cette dfinition reste assez vague, on peut y donner une interprtation tout

    fait personnelle. Pourtant, la plupart des dfinitions trouves dans les dictionnaires

    donnent une description similaire. En raison de lobjectif didactique de ce travail, la

    notion du jeu de mots sera traite dun point de vue plus pratique et plus concret. Ce

    chapitre dveloppera dabord quelques caractristiques importantes des jeux de mots.

    Ensuite, la typologie de Duchek (1970) sera prise comme point de dpart pour

    dlimiter le contenu du terme jeu de mots dans ce travail. Pour terminer, ce chapitre

    abordera quelques autres difficults concernant la thorie du jeu de mots.

    Lide du double sens est un des lments-cls dans les tudes concernant les jeux de

    mots. Selon Henry (2003) les jeux de mots impliquent toujours un ddoublement

    du sens . Fuchs (1996) parle dun cumul de significations .

    Cependant, les opinions divergent fort sur la faon dont ce double sens est cr. Ce

    travail partira dune interprtation assez large de la notion du jeu de mots pour que

    certains procds qui paraissent intressants dun point de vue didactique ne soient

    pas exclus. Nanmoins, il existe des dfinitions beaucoup plus larges encore, incluant

    1 Larticle Jeu dans le Dictionnaire culturel en langue franaise, tome II, 2005, p.2178.

  • 10

    aussi les jeux avec les mots ou les divertissements verbaux (terme de Guiraud

    (1976)), tels que les mots croiss, le jeu du pendu, les anagrammes, etc.2 Ces jeux

    avec les mots ne seront pas traits ici, mme sils reoivent parfois erronment le nom

    de jeux de mots (et donc de jeux sur les mots).

    Un autre aspect souvent mentionn dans les analyses des jeux de mots est

    lambigut. Newfield et Lafford (1991) la considrent comme une caractristique

    centrale du jeu de mots. Chez Chiaro (1992) lambigut joue galement un rle

    central. Elle distingue deux types dambigut prsents dans le jeu de mots, qui

    constituent, selon elle, deux conditions ncessaires pour parler dun jeu de mots :

    savoir lambigut de la forme et lambigut du contexte. Dans le travail prsent,

    ambigut est interprt dans un sens assez large : le fait dvoquer un deuxime

    terme (par exemple dans les cas de paronymie et de parasynonymie) donne aussi lieu

    un certain ddoublement de sens, quoique moins fort. Non seulement il faut une

    ambigut de la forme, mais galement du contexte. Le rle du contexte est

    primordial pour le fonctionnement du jeu de mots. Comme lindiquent Newfield et

    Lafford (1991, p.87), les jeux de mots sont trs sensibles au contexte ( context-

    sensitive ). Les deux auteurs opposent les jeux de mots lemploi normal de la

    langue o lambigut de la forme est leve par le contexte qui en gnral ne permet

    quune seule interprtation ou du moins la rend plus probable par rapport aux autres

    interprtations. Dans le cas des jeux de mots, cest prcisment le contexte qui cre

    cette ambigut en permettant plusieurs interprtations dun seul terme ou dune seule

    unit.

    Pourtant, dans Les ambiguts du franais, Fuchs (1996) va lencontre de lide de

    lambigut des jeux de mots. Selon elle, il ne sagit pas dambigut, mais dun cumul

    de sens, puisque les deux significations doivent tre entendues ensemble et non pas

    de faon exclusive (Ibid., p.22). Cette mme ide est aussi avance par Vande

    Kopple (1995). Nanmoins, la grande majorit des thoriciens emploient le terme d

    ambigut en parlant des jeux de mots et cet emploi semble plutt universel

    (Cekaite et Aronsson (2005) ; Lucas (2005) ; van Mulken et al. (2005) ; Bucaria

    (2004) ; OMara (2004) ; Ritchie (2004) ; Binsted et al. (2003) ; Cook (2000) ;

    Dienhart (1999) ; Attardo (1994) ; Chiaro (1992) ; Newfield et Lafford (1991) ;

    Spector (1990) ; Guiraud (1976)).

    Aprs avoir indiqu quelques caractristiques importantes, une typologie aidera

    concrtiser la notion du jeu de mots telle quelle est employe dans ce travail. La

    2 Pour plus dinformations concernant les autres jeux langagiers et les divertissements verbaux,

    voir e.a. Car et Debyser (1987), Landroit (2004), Bailly (2004), Laval et Leguay (2004).

  • 11

    typologie employe ici est en grande partie base sur celle de Duchek (1970). Cet

    auteur interprte les jeux de mots dans un sens assez large, ce qui permet de traiter

    plusieurs procds qui semblent intressants des fins pdagogiques. Cependant, la

    typologie prsente ici scarte sur quelques points de celle de Duchek. Ainsi, il

    mlange dans sa typologie des catgories descriptives concernant le lexique ou la

    forme et des catgories qui rfrent des faits psychologiques. Cest une critique

    quon retrouve galement chez Attardo (1994, p.114). Plusieurs procds mentionns

    par Duchek sont en ralit des changements inconscients qui font souvent partie de

    lvolution tymologique des mots. Il sagit parfois de jeux de mots lexicaliss, qui ne

    sont donc plus reconnus comme tels par les locuteurs daujourdhui. Lexpression faire

    chou blanc serait par exemple le rsultat dun jeu de mots lexicalis sur faire un coup

    blanc, cest--dire toucher la partie blanche de la cible au lieu du centre noir

    (Duchek, p.112). Le travail prsent exclura donc ces jeux de mots lexicaliss. Il

    sagira au contraire de crations individuelles (conscients ou inconscients) qui sont

    considres comme jeux de mots par dautres locuteurs et non pas dun emploi

    collectif et inconscient. Strictement parlant, la catgorie dtymologie populaire ne

    concerne pas les jeux de mots, mais les jeux de mots qui y sont prsents sont faits

    leur exemple. Mme si en gnral les jeux de mots sont censs tre intentionnels, ce

    travail emploiera parfois des jeux de mots involontaires. Nanmoins, contrairement

    aux exemples de Duchek, il ne sagit pas dune volution au bout dune longue

    priode de temps, mais dun phnomne qui est toujours considr comme un jeu de

    mots par les autres locuteurs et dont lemploi nest pas gnralis. tant donn

    quune grande partie des exemples de Duchek ne sont en fait pas des jeux de mots

    proprement dits, bon nombre des exemples employs dans cette typologie ont t

    emprunts dautres auteurs.

    1 Polysmie Les jeux de mots de cette catgorie jouent sur le double sens dune des units. On

    parle ici dunits, car il nexiste pas uniquement des mots polysmiques, mais

    galement des units composes de plusieurs mots. Dans les jeux de mots jouant sur

    la polysmie, il sagit souvent dun sens littral et dun sens figur.

    Ltudiant doit quitter son lit pour suivre son cours tandis que la rivire suit

    son cours sans quitter son lit. (Duchek, 1970, p.109)

    Qui prte rire nest jamais sr dtre rembours. (Bailly3, 2006, p.20)

    3 Pour des raisons pratiques les noms des auteurs des jeux de mots cits par Bailly ont t

    supprims, ainsi que les entres sous lesquelles Bailly a class les jeux de mots de son recueil.

  • 12

    Jentends bien que je pourrais devenir sourd, je sens bien que je pourrais

    perdre lodorat, mais je ne me vois pas aveugle. (Ibid., p.20)

    Grammairien cherche auxiliaire. tudie toutes propositions. (Ibid., p.56)

    Mes parents, malgr le bruit de la rue, sentendaient bien. (Ibid., p.75)

    Quel est le comble du succs pour un professeur de gographie ?

    Voir une rivire suivre son cours. (Deregnaucourt, 1980, p.47)

    2 Homonymie Lhomonymie comprend aussi bien lhomophonie (mme prononciation) que

    lhomographie (mme orthographe).

    Homophonie Il ny a que Maille qui maille. (Jarkova, 2006, p.82-83)

    Les amis me manquent la pelle. (lappel) (Bailly, 2006, p.15)

    Je mditerai Tu mditeras. (mditeras) (Ibid., p.41)

    Avec ma femme on se partage les tches mais cest elle qui les nettoie.

    (taches) (Ibid., p.51)

    Il tait maire et pre de famille. (mre) (Ibid., p.67)

    Si haut quon monte, on finit toujours par des cendres. (descendre) (Ibid.,

    p.71)

    Homographie Je vis ces vis sur la table. (Duchek, 1970, p.109)

    Les poules du couvent couvent. (Ibid. ; Landroit, 2004, p.116)

    Homonymie parfaite

    Lhomonymie parfaite, cest--dire des mots ou des units qui sont la fois

    homophones et homographes (p.ex. joue (verbe conjugu substantif)), diffre de la

    polysmie. Dans la polysmie, il sagit dun mot ayant plusieurs sens, mais dont les

    deux emplois sont drivs dune mme tymologie. Les homonymes par contre ont

    une tymologie diffrente et sont donc des mots tout fait distincts.

    En quoi un coiffeur et un peintre ressemblent-ils ? Ils peignent tous les

    deux. (peigner peindre) (Duchek, 1970, p.108)

    La devinette suivante joue aussi en grande partie sur lhomonymie parfaite de suis

    (tre ou suivre) :

  • 13

    Je ne suis pas ce que je suis, car si jtais ce que je suis, je ne serais pas

    ce que je suis. Qui suis-je ? (Rponse : lombre)

    tant donn que lhomonymie parfaite est plutt rare, cest surtout lhomophonie qui

    se prte le plus aux jeux de mots.

    Allographes alphabtiques4

    Les jeux sur lhomophonie nutilisent pas uniquement les mots, mais se servent aussi

    de la dnomination des lettres de lalphabet. Ainsi, on peut insrer quelques lettres

    dans une phrase ou une histoire :

    Dans sa fureur alcoolique, le misrable fabricant de lettres denseignes

    frappa sa femme avec N, lui fendit le crne coup de H et la prcipita dans

    lO. (haine, hache, eau) (Bailly, 2006, p.49)

    Il est aussi possible dcrire des phrases entires toutes en lettres, dont

    A G L A R I T (ge, elle a hrit) est un des exemples les plus connus.

    Ces phrases, quil faut lire en prononant chaque lettre comme en rcitant lalphabet,

    sont appeles des phrases allographes ou allogrammes. Landroit (2004) et Colignon

    (1979) parlent d alphabet parlant . Parfois, on combine les lettres aussi avec des

    chiffres. Certains auteurs parlent dans ce cas dallographes mathmatiques ou

    numriques (Didier, s.d.).

    G K C D K 7 (Jai cass des cassettes) (Rivais, 1992, p.171)

    7 1 9 K C (Cest un uf cass) (Landroit, 2004, p.22)

    La dnomination de Rivais (1992) pour les allographes alphabtiques phrases

    abcdaires peut prter confusion, puisquun autre jeu langagier porte dj ce

    nom. Lcriture abcdaire consiste crire une phrase ou un texte o les lettres

    initiales des mots suivent lordre alphabtique. Un exemple de Colignon (1979,

    p.11) :

    bbord, chacun dut enfiler frileusement gabardines, houseaux,

    impermables, jupons, knickerbockers : la mer Noire, ondoyante, projetait

    quasi rageusement ses terribles, ululantes, vagues wagnriennes.

    Xavier, yachtman zl.

    4 Cette sous-catgorie nest pas mentionne par Duchek, bien quil en donne quelques

    exemples dans la catgorie des homonymes.

  • 14

    Cet exercice dcriture contrainte ne sera pas trait ici, puisquil ne fait pas partie de

    la typologie employe.

    3 Paronymie Dans le jeu de mots base de paronymie, un lment est remplac par un autre qui

    lui est proche phontiquement. On trouvera galement les termes parhomophone

    (Aimard, 1975) et quasi homonyme (Vittoz Canuto, 1983, p.50). De Foucault

    (1988, p.40) qualifie cette homophonie approximative de subhomophonique .

    Pour certains jeux sur la paronymie, on a cr un terme propre, comme l-peu-prs,

    o le double sens est cr par un lger dplacement d'un ou deux phonmes dans

    un mot ou une expression courante 5 (Bardel, 2001). P.ex. : Marie en Toilette (Marie

    Antoinette), une grosse lagune combler (lacune).

    Qui trop embrasse manque le train. (mal treint) (Bailly, 2006, p.21)

    Une gifle : autant en emporte le vlan ! (vent) (Ibid., p.55)

    Le peintre continue. Crote que crote. (cote que cote) (Ibid., p.76)

    La parole est dargent, mais le silence endort (est dor) (Ibid., p.88)

    Lhomme descend du songe. (singe) (Ibid., p.89)

    Observons cependant que Newfield et Lafford (1991, p.80) parlent dans le cas de

    paronymie de jeux de mots imparfaits ( imperfect puns ), tant donn quil ny a

    pas vraiment dambigut proprement parler. Pourtant, le jeu de mots fonctionne

    toujours : grce la similitude phonologique et le contexte, lautre terme est voqu.

    4 tymologie populaire Par tymologie populaire, on entend le rapprochement de mots sur la base dun lien

    formel ou smantique, soit un lien rel, soit un lien suppos ou ressenti par erreur.

    Ltymologie populaire est un phnomne qui est cens tre inconscient. Lide quil

    existe un lien tymologique entre deux mots est le rsultat du fait que les mots

    provenant dun mme radical prsentent en gnral une ressemblance formelle et

    smantique. Les jeux de mots abusent parfois de cette ide en crant consciemment

    5 Un phonme est la plus petite unit de langage parl, dont la fonction est de constituer les

    signifiants et de les distinguer entre eux. (Le Nouveau Petit Robert, 2000, p.1864)

  • 15

    de fausses tymologies. On constate quelles sont souvent cres partir de la fausse

    dcomposition des mots en smantmes6 et en morphmes7.

    Exil (ex-le) ancienne le disparue la suite dun phnomne dorigine

    volcanique. Les survivants la catastrophe (exils) ressentent une

    poignante nostalgie de leur patrie perdue. Par extension : le perdue, dont

    la recherche est lorigine dune oeuvre monumentale ( la recherche de

    lle perdue). (Bertoletti, 1990, p.56)

    Sabotage action davancer avec des sabots, dune dmarche lourde et

    mal assure, en se dandinant (Ibid., p.56)

    Empire : Royaume o tout va encore plus mal quailleurs. (Bailly, 2006,

    p.43)

    Kidnapper : recouvrir ses viandes ou ses gteaux dune couche de chair

    enfantine. (Finkielkraut, 2006, p.67)

    5 Mots-valises8 Le mot-valise est une fusion de deux (ou plusieurs) mots crant un nouveau mot qui

    est une espce de nologisme. Souvent, il y a une homophonie partielle entre les

    mots amalgams, mais ce nest pas obligatoire.

    spormidable (sport + formidable) (Jarkova, 2006, p.82)

    restauroute (restaurant + route) (Ibid., p.82)

    francofolie (francophonie + folie) (Ibid., p.82)

    confipote (confiture + compote) (Ibid., p.82)

    Le photocopillage tue le livre (photocopie + pillage) (Ibid., p.83)

    crdisponible (crdit + disponible) (Ibid., p.82)

    Parfois, le mot-valise cr est lui-mme un paronyme ou un homophone dun mot

    existant:

    6 Un smantme est un lment du mot qui est le support de sa signification considr en

    tant que reprsentation autonome . (Le Nouveau Petit Robert, 2000, p.2316) 7 Un morphme est la plus petite unit significative dun mot. (Ibid., p.1617) 8 Le terme employ par Duchek (contamination) a t remplac ici par mots-valises, un terme

    beaucoup plus courant. Le terme contamination est dailleurs surtout employ pour une

    certaine catgorie derreurs qui sont condamnes par les puristes. Contrairement aux mots-

    valises, la contamination est avant tout un procd inconscient avec, en plus, une connotation

    assez ngative.

  • 16

    Raffarindum (rfrendum) (Sullet-Nylander, 2005, p.126)

    bidingue (bilingue) (Finkielkraut, 2006, p.27)

    marat-thon (marathon) (Crhange, 2004, p.70)

    Certains auteurs emploient la dnomination mot-valise uniquement pour les

    amalgames dont les mots constitutifs ont une syllabe en commun qui permet de faire

    le lien, savoir la dernire syllabe du premier mot et la premire du deuxime

    (parfois aussi plusieurs syllabes). Rivais (1992) appelle les autres mots-valises des

    mots contracts . Certains mots-valises sont maintenant parfaitement lexicaliss

    et ne sont plus toujours reconnus comme tels.

    franglais (franais + anglais)

    courriel (courrier + lectronique)

    Assez souvent les procds de mot-valise et dtymologie populaire sont combins.

    Certains mots peuvent donc tres classs dans les deux catgories en mme temps :

    Absenthisme : Doctrine religieuse qui affirme que Dieu existe, mais quil

    nest pas l en ce moment. (absentisme + thisme) (Crhange, 2004,

    p.14)

    Dil : regard embu de mlancolie. (deuil + il) (Finkielkraut, 2006, p.38)

    Spaghetto : quartier rserv aux mangeurs de nouilles. (spaghetti (ou le

    singulier italien spaghetto) + ghetto) (Ibid., p.104)

    Dune part, il sagit dune fausse tymologie partir de loral et dautre part, on peut

    considrer ces exemples aussi comme des mots-valises.

    6 Parasynonymie9 Les units ne se ressemblent pas phontiquement, mais il y a une proximit

    smantique, mme si elle est parfois trs approximative. Les jeux de mots de cette

    catgorie font souvent appel au bagage culturel du dcodeur. Ils peuvent faire

    allusion aux titres de films, de romans, etc. Sullet-Nylander (2005) parle de

    figements culturels . Les expressions figes et les proverbes ( figements

    lexiques chez Sullet-Nylander) se prtent galement trs bien ce genre de jeux de

    mots.

    Larme de dmission massive. (Sullet-Nylander, 2005, p.127)

    9 Cette catgorie, qui est absente dans la typologie de Duchek, a t emprunte la typologie

    de Sullet-Nylander (2005).

  • 17

    Fuir. Prendre son courage deux pieds. (Bailly, 2006, p.53)

    Les jeux de mots qui jouent sur la parasynonymie pourraient galement tre

    considrs comme des jeux de mots imparfaits (par analogie Newfield et Lafford,

    voir paronymie), ntant pas non plus ambigus strictement parlant.

    Dans sa typologie, Duchek distingue encore quelques autres catgories de jeux de

    mots, comme par exemple lantonymie, mais elles nont pas t pas reprises dans

    cette typologie. Dans ce travail, lantonymie nest pas considre comme un jeu de

    mots, bien que dans beaucoup de jeux de mots, on emploie aussi lantonymie.

    Nanmoins, selon notre typologie, lantonymie lui seul ne fait pas un jeu de mots.

    Pour parler dun jeu de mots, il faut galement la prsence dun des procds repris

    dans cette typologie, comme dans les exemples suivants :

    Nos tablissements radioactifs sont passifs.

    Souvent les ides noires nous font passer des nuits blanches.

    Ces exemples (qui sont dailleurs cits par Duchek lui-mme, p.110) ne sont pas

    uniquement construits laide de lantonymie, mais jouent aussi sur le double sens

    dune ou plusieurs units.

    Les trois premires catgories (polysmie, homonymie et paronymie) se trouvent

    aussi dans plusieurs autres typologies (Sullet-Nylander (2005); Vittoz Canuto (1983)).

    Les quatre autres catgories de Duchek sont moins gnralement employes.

    Nanmoins, beaucoup dexemples de jeux de mots cits par les autres auteurs

    peuvent tre classs sous ces catgories.

    Non seulement il existe beaucoup de typologies diffrentes, la terminologie est aussi

    loin dtre uniforme. En franais, il y a par exemple le terme calembour qui pose des

    problmes quand on essaie de dfinir le jeu de mots. Langlais, ne disposant que dun

    seul terme (pun) est sur ce plan plus clair. Le mot pun a une acception bien

    dtermine qui correspond plus au moins celle des jeux sur les mots ( lexception

    des mots-valises). Le mot compos jeu de mots permet plusieurs interprtations. Ce

    terme ne prcise pas sil sagit de jeux sur les mots ou jeux avec les mots (voir

    supra). Aussi trouvera-t-on le terme employ dans les deux acceptions.

    Selon le Dictionnaire culturel en langue franaise (2005, p.1188), le terme calembour

    () na pas dquivalent dans les langues proches : langlais pun, lallemand

    Wortspiel, litalien gioco di parole englobent tout le territoire du jeu de mots () .

    Si le terme calembour est souvent employ comme synonyme du jeu de mots,

    beaucoup de linguistes (Chiaro (1992), Colignon (1979), Guiraud (1976) e.a.)

  • 18

    trouvent que cet emploi du terme calembour est incorrect. Ils estiment que le jeu de

    mots a un sens plus large et que le calembour nest quun type de jeu de mots.

    Toutefois, on omet en gnral de spcifier la diffrence exacte entre le jeu de mots et

    le calembour. Bailly (2004, p.14) dfinit le calembour comme suit : un jeu de mots

    fond sur des homonymes et utilisant la polysmie . Il prcise que le calembour

    repose sur la diffrence de sens entre des mots ou des groupes de mots qui se

    prononcent de la mme faon . Selon Bailly, le terme calembour correspond donc

    uniquement aux catgories de polysmie et dhomonymie. tant donn que la

    typologie employe dans ce travail est plus large et quil nexiste pas assez

    duniformit dans lemploi du terme calembour, nous emploierons dans ce travail

    uniquement le terme jeu de mots ( lexception des citations littrales).

    Aprs cette bauche de la notion du jeu de mots, il faut faire remarquer que pour les

    applications concrtes dans lenseignement, la problmatique lie la dfinition et la

    terminologie nest pas essentielle. Il suffit davoir une ide gnrale de ce que sont

    les jeux de mots, pour pouvoir les utiliser en classe.

    tant donn que le jeu de mots est une notion tellement vaste, linterprtation dans ce

    travail ne couvrira certainement pas tous les jeux de mots existants. La notion a t

    dlimite ici en vue dune application plus pratique et il y aura sans doute plusieurs

    jeux de mots qui nentrent pas dans la typologie prsente ci-dessus. Nanmoins,

    nous esprons que cette tude pourra galement attirer lattention sur lintrt

    didactique des autres jeux de mots et des jeux langagiers en gnral.

  • 19

    3. Arguments pour lintgration des jeux de mots en classe de langue

    Un phnomne omniprsent

    Contrairement ce quon pense gnralement, les jeux de mots ne sont pas du tout

    un phnomne marginal. Il est encore moins vrai quil sagit dun usage de la langue

    rserv aux virtuoses du langage ou aux amateurs des acrobaties littraires 10.

    Le jeu de mots apparat frquemment dans la langue de tous les jours.

    Dans son livre Si vous avez votre jeu de mots dire, Vittoz Canuto (1983) nous

    signale quil existe une certaine mode du jeu de mots. Mme si ce livre date dj de

    1983, le jeu de mots nest toujours pas dmod. Bien au contraire, il parat prendre

    de plus en plus de place dans tous les domaines de la socit. Dans la publicit

    surtout, on peut remarquer un emploi parfois excessif de jeux de mots (van Mulken et

    al. (2005) ; Bailly (2004) ; Quillard (2001), Cook (2000) ; Mrowa-Hopkins (2000) ;

    Detambel (1998) ; Tanaka (1992) ; Besse (1990, 1989) ; Crystal (1990) ; Monnot

    (1988) ; Vande Berg (1987) ; Vittoz Canuto (1983); Deregnaucourt (1980)). Le

    phnomne nest certainement pas limit la publicit francophone. Lide que le jeu

    de mots peut attirer lattention du consommateur et crer une attitude positive par

    rapport au produit vant, semble devenir une conviction de plus en plus universelle

    dans le monde de la publicit.

    La publicit nest certainement pas le seul domaine o les jeux de mots abondent.

    Vittoz Canuto (1983) analyse dans son ouvrage aussi les jeux de mots dans la presse.

    Les journaux recourent parfois au procd du jeu de mots pour attirer lattention des

    lecteurs, notamment dans leurs titres (Sullet-Nylander (2005) ; Bailly (2004) ;

    Bucaria (2004) ; Detambel (1998) ; Vittoz Canuto (1983) ; Crystal (1990) ; Redfern

    (1996) ; Barnab (1989)). Selon Vittoz Canuto (1983, p.29) et Druetta (2007), le jeu

    de mots tablit une relation de connivence entre metteur et rcepteur. Le jeu de

    mots permettrait de faire un clin dil au lecteur.

    La publicit et la presse sont deux domaines qui se dirigent en gnral vers un public

    assez large et htrogne. Ceci dit, le jeu de mots apparat galement dans dautres

    domaines. Calbris (1982), Besse (1990) et Henry (2003) mentionnent entre autres

    les titres de livres ou de films, les programmes de radio ou de tl, les chansons, les

    bandes dessines, les dessins humoristiques et les enseignes de magasins, cabarets et

    restaurants. Le jeu de mots napparat donc certainement pas que dans la littrature,

    10 Expressions empruntes Colignon, auteur du Guide pratique des jeux littraires (1979), p.5.

  • 20

    mais pourrait en principe sadresser tout le monde. Et pourquoi pas aux apprenants

    de la langue ?

    Un esprit typiquement franais?

    Les jeux de mots sont parfois considrs comme un phnomne typiquement franais.

    Surtout les francophones eux-mmes sont parfois davis que la langue franaise se

    prte plus que les autres aux jeux sur la langue. Dans son Guide pratique des jeux

    littraires, Colignon nhsite pas attribuer aux Franais un talent hors du commun

    pour les jeux sur les mots :

    Le calembour reflte bien la multitude de mots homophones,

    homographes, de paronymes, etc., qui peuplent la langue franaise ; et,

    pour une fois, soyons chauvins, le calembour traduit bien une certaine

    vivacit desprit, un don pour la repartie, du peuple franais. (1979,

    p.23)

    Barnab associe les jeux de mots galement la langue franaise quand il propose de

    les employer en classe de franais langue trangre afin de familiariser les lves

    avec cet esprit trs franais qui aime jouer avec les calembours et les finesses

    de la langue (1989, p.VII).

    Pareillement, Quillard (2001) a constat dans son tude de la traduction des annonces

    publicitaires que souvent les traducteurs nhsitent pas introduire des jeux de mots

    dans la traduction franaise, mme si la publicit originale anglaise nest pas ludique.

    En plus, Druetta (2007) et Bailly (2004) font observer galement que certaines

    caractristiques de la langue franaise facilitent la cration des jeux de mots. Ainsi,

    Bailly affirme que : () les homophones sont plus nombreux en franais que dans

    les autres langues nes des transformations du latin. Les dformations phontiques,

    les glissements, les distorsions, les ambiguts sont lgion : il est donc assez facile

    dans notre langue de glisser un mot la place dun autre (2004, p.31).

    Nanmoins, il faut nuancer lide que les jeux de mots seraient typiquement franais.

    Vittoz Canuto remarque que, quoique le franais soit une langue qui se prte trs bien

    aux jeux de mots, la distribution des traits phontiques, prosodiques,

    morphologiques et syntaxiques qui crent lambigut sont prsents dans toutes les

    langues. Chaque langue joue sa manire sur les mots do la quasi impossibilit de

    traduire le jeu de mots dune langue dans lautre (1983, p.33).

    Dans son travail sur lhumour, Chiaro suggre mme que les jeux sur les mots

    seraient plus frquents dans la culture anglaise quailleurs :

  • 21

    It would indeed appear that all natural languages contain ambiguities

    which can be deliberately exploited to create verbal duplicity, yet, as has

    been suggested in this book, word play may well be more pervasive in

    Britain than elsewhere. () What is more, in British society, verbal play

    tends to be ubiquitous. It seems to be acceptable to play with words in a

    myriad of situations in which it would be considered out of place in many

    other cultures. (1992, p.122)

    Chiaro (1992) et Bucaria (2004) commentent aussi plusieurs caractristiques de la

    langue anglaise qui facilitent la cration de jeux de mots.

    La langue franaise na donc certainement pas le monopole des jeux de mots, mais

    cela ne contredit pas lintrt des exercices dans la classe de FLE. Bien au contraire,

    luniversalit du phnomne des jeux de mots aidera certainement les apprenants au

    moment de dcouvrir ce mme phnomne dans une langue trangre.

    Motivation et bonne ambiance

    Comme mentionn plus haut, le procd du jeu de mots est un moyen populaire parmi

    les publicitaires et les journalistes pour attirer lattention et pour crer une image

    positive du produit ou du journal. Selon Vittoz Canuto (2003, p.29), dcoder un jeu

    de mots donne un sentiment de satisfaction qui touche linconscient. Le moment du

    dclic provoqu dans linconscient du rcepteur peut tre exploit par la publicit ou la

    presse pour faire passer un message ou pour obtenir une attitude favorable par

    rapport au produit. Mme si les jeux de mots demandent un plus grand effort du

    rcepteur, leur prsence dans les annonces publicitaires est souvent fort apprcie.

    Aprs avoir dchiffr le jeu de mots, le rcepteur se voit rcompens par la

    satisfaction intellectuelle et ressent parfois mme une certaine fiert (Druetta (2007) ;

    van Mulken (2005) ; Tanaka (1992) ; Vittoz Canuto (1983)).

    Le plaisir prouv par le rcepteur dun jeu de mots, pourrait aussi servir de stimulant

    pour les lves dans la classe de franais langue trangre. Non seulement les jeux

    de mots peuvent donner une certaine satisfaction la personne qui sait les dchiffrer,

    ils sont aussi associs lhumour. Beaucoup de jeux de mots sont humoristiques et

    par consquent, on les rencontre souvent dans les histoires drles et les sketchs

    humoristiques. Lenoble (1996) et Chiaro (1992) mentionnent quelques avantages lis

    lemploi des documents humoristiques en classe. Premirement, il sagit de

    documents authentiques. Deuximement, lintroduction de lhumour dans la classe de

    franais permettrait de rompre la monotonie et de dgager une ambiance de dtente.

    Dans leur tude, Cekaite et Aronsson (2005) apportent galement des arguments

  • 22

    pour une approche plus ludique de lenseignement des langues trangres. Les jeux

    sur la langue pourraient motiver les apprenants et faciliter lapprentissage de la langue

    trangre. Galisson apporte sans doute le plus grand nombre darguments. Selon lui,

    lhumour peut piquer la curiosit, veiller lintrt, modifier lattitude du sujet vis--

    vis de lobjet dtude, permettre un effort soutenu, activer la concentration mentale,

    recharger lnergie disponible pour conduire terme louvrage engag. (2002,

    p.123)

    Cependant tous les jeux de mots ne font pas ncessairement rire. Henry (2003) parle

    plutt de divertissement ou de distraction. Selon elle, les jeux de mots ne sont pas

    toujours humoristiques, mais plutt spirituels. Tout jeu de mots donnerait une

    jouissance intellectuelle. Redfern affirme mme que les jeux de mots peuvent tre

    trs srieux :

    () punning can be gravely serious. It can indeed, like black humour,

    make us laugh on the other side of our faces. Puns, then, do not

    necessarily or invariably amuse, though the best usually tickle the brain, or

    the fancy, while performing their serious business. (1996, p.196)

    Dire que tout jeu de mots fait rire serait donc une exagration, mais on peut quand

    mme supposer quil nous donne un certain plaisir.

    Nanmoins, ce nest pas uniquement par leur caractre amusant ou humoristique que

    les jeux de mots peuvent motiver les apprenants. Comme son nom lindique lui-

    mme, le jeu de mots est toujours un jeu. Tout jeu de mots est en fait une espce de

    devinette qui demande tre rsolue par son rcepteur. Pour comprendre le jeu de

    mots, il faut comprendre sur quoi il joue. Il ressort de plusieurs tudes que les

    apprenants accueillent souvent favorablement les activits qui demandent de rsoudre

    un problme. Le dfi lanc par les jeux de mots pourrait motiver les apprenants et les

    rendre plus rceptifs ce quon enseigne indirectement sur la langue par ces activits

    plus ludiques.

    Une crativit renforce

    Que les jeux de mots puissent stimuler la crativit est une ide qui est avance par

    de nombreux auteurs (Bell (2005) ; Defays (2003, p.270) ; Cook (2000) ; Corbellari

    (2000) ; Bertoletti (1990) ; Crystal (1990) ; Vande Berg (1987) ; Vittoz Canuto

    (1983)). Cela ne vaut pas uniquement pour les exercices de production, il semble

    admis que lanalyse des crations des autres peut galement augmenter la crativit

    des tudiants.

  • 23

    Mme si de nos jours la crativit est de plus en plus apprcie, lenseignement lui-

    mme fait selon Crystal peu defforts pour encourager les apprenants utiliser la

    langue dune faon plus crative :

    There ought to be a greater willingness to persuade students to

    experiment, to balance on the edge of language, and success in this

    domain should be seen as a positive sign of fluency. (1990, p.23)

    Si lon veut stimuler la crativit, il est aussi important de crer des conditions

    favorables. Car et Debyser (1981) en numrent quelques-unes. La crativit est

    par exemple stimule par les mthodes plus actives, le travail en petits groupes ou le

    travail individualis. Il est aussi important davoir un climat permissif, dtendu et

    coopratif. Par contre, la crativit est freine par une pdagogie de simple

    transmission de connaissances et des activits rptitives ou imitatives, ainsi que par

    la comptition.

    Les connaissances linguistiques impliques

    Latout principal des jeux de mots pour lenseignement des langues est sans doute le

    fait quils permettent de travailler plusieurs aspects de la langue. En jouant sur la

    langue, les jeux de mots rvlent les principes et les mcanismes de la langue. Ainsi,

    Calvet affirme que () tous les jeux de mots constituent ou peuvent constituer une

    initiation la langue, puisque violer un code (ici pour rire ou faire rire), cest faire la

    preuve de la connaissance de ce code. (1980, p.30). Que la manipulation et parfois

    mme la transgression des rgles et des principes de la langue soit une preuve de sa

    matrise est aussi avanc par dautres auteurs (Bell (2005) ; Defays (2003, pp.269-

    270) ; Cook (2000) ; Chiaro (1992) ; Crystal (1990) ; Colignon (1979)). Cependant,

    les jeux de mots ne sont pas uniquement destins ceux qui matrisent dj la

    langue, ils peuvent aussi contribuer lapprentissage de cette langue. Les jeux de

    mots peuvent illustrer les rgles et les mcanismes de la langue, puisque leur jeu les

    met en valeur.

    Les comptences linguistiques qui peuvent tre travailles et tudies laide de jeux

    de mots sont trs diverses. Elles sont prsentes ici sparment, mais il est vident

    que dans la plupart de cas, plusieurs comptences sont impliques la fois.

    Grammaire et syntaxe

    Plusieurs didacticiens et linguistes (OMara (2004) ; Calvet (1980) ; Vande Berg

    (1987) ; Crystal (1990) ; Cekaite et Aronsson (2005)) signalent que les jeux de mots

    sont intressants pour tudier certains points grammaticaux. Cependant, la plupart

    dentre eux nentrent pas dans les dtails. Il est difficile de gnraliser lintrt

  • 24

    grammatical des jeux de mots, puisquil diffre beaucoup dun jeu de mots lautre et

    quil est indpendant du type de jeu de mots. Il vaut donc mieux prendre quelques

    exemples concrets pour dmontrer que les jeux de mots demandent certaines

    connaissances grammaticales. Bucaria (2004) analyse par exemple quelques cas

    dambigut de classe. Il sagit dun type dambigut syntaxique o une mme partie

    de la phrase peut tre analyse diffremment au niveau grammatical. Selon

    linterprtation choisie, il faut restructurer la phrase. En anglais, lambigut de classe

    est parfois homophonique et homographique la fois. En franais, cette ambigut est

    plus frquente loral, mais rarement homographique, voici quelques exemples:

    La Fontaine tait un homme affable. (Bailly, 2006, p.48)

    Dans cette phrase, lambigut syntaxique de la partie affable/ fables permet les

    deux analyses suivants : prposition + substantif ou adjectif .

    La mort est un manque de savoir vivre. (Ibid., p.71)

    La partie savoir vivre/savoir-vivre peut tre analyse comme verbe (auxiliaire) +

    verbe (principal) ou substantif .

    Les petits pois sont verts, les petits poissons rouges. (Ibid., p.78)

    Dans ce troisime exemple, lhomophonie permet de dcouper la chane sonore pois

    sont/poissons de deux faons diffrentes : substantif + verbe ou substantif

    uniquement .

    Lambigut de classe grammaticale nest quun des nombreux exemples o la

    grammaire et la syntaxe jouent un rle important dans le jeu de mots. Il est vident

    que les jeux de mots demandent aussi certaines connaissances concernant la

    structure dans la phrase ou une comprhension de la morphologie de la langue

    franaise (par ex. reconnatre un verbe, un substantif, un adjectif reconnatre la

    personne (verbes), le genre (substantifs)), etc.

    Il est impossible dnumrer toutes les connaissances grammaticales et syntaxiques

    impliques dans les jeux de mots. Comme dj dit, cela dpend en grande partie du

    jeu de mots en question. Les parties thoriques suivantes et les exercices rvleront

    encore plusieurs aspects grammaticaux impliqus.

    Lexique

    Les jeux de mots sont un moyen excellent pour rafrachir et renforcer la connaissance

    des expressions idiomatiques. De nombreux jeux de mots jouent sur les proverbes et

    les expressions figes. Appartenant aux connaissances gnrales du locuteur natif,

  • 25

    ces expressions sont trs prises des rdacteurs publicitaires. De plus, Vande Berg

    (1987), Doering (1993), Redfern (1996) e.a. signalent la frquence importante des

    expressions idiomatiques dans la publicit. Visant un public en gnral assez grand,

    les publicitaires choisissent dans la plupart des cas les expressions les plus courantes

    et les plus largement rpandues, ce qui en classe de langue est un atout important.

    Sullet-Nylander (2005, p.117) parle dans ce contexte de dfigements (par

    analogie aux figements linguistiques). Il sagit de jeux de mots bass sur une

    expression, locution ou phrase fige. Vande Berg (1987) et Binsted et al. (2003)

    ajoutent que les jeux de mots pourraient servir de moyen mnmotechnique, tant

    donn quils placent les mots et les expressions dans un contexte concret.

    Bell (2005) arrive une conclusion similaire dans son tude. Elle a constat que les

    jeux sur la langue favorisent une assimilation plus profonde des lments lexicaux, ce

    qui facilite leur mmorisation. Par consquent, elle y voit un moyen excellent pour

    lacquisition de vocabulaire.

    Phontique

    Certains jeux de mots sont aussi trs intressants dun point de vue phontique. Bien

    des jeux de mots jouent sur les homophones ou les paronymes et demandent donc

    certaines connaissances concernant la prononciation de la langue franaise. Pour

    comprendre des jeux de mots pareils, il est important de savoir associer lorthographe

    dun mot la bonne prononciation et, inversement, savoir lier les sons aux mots qui

    leur correspondent. Dans les jeux de mots crits, lorthographe aide souvent rvler

    le double sens cach. Le franais est une langue haute frquence dhomonymie11,

    mais parmi ces homonymes, il y en a trs peu qui sont galement homographes. Par

    ailleurs, la langue franaise connat aussi le phnomne inverse : il existe de

    nombreux cas dhomographie htrophone12 : des parties de mots ou des mots entiers

    scrivent de la mme faon, mais se prononcent diffremment (p.ex. : reporter :

    substantif et verbe).

    Il est vident que les phnomnes dhomophonie et dhomographie sont une source

    importante de confusion chez les apprenants de la langue franaise. Parmi les fautes

    dorthographe, les erreurs dues lhomophonie constituent dailleurs une catgorie

    11 Dans le dictionnaire des procds littraires Gradus, on lit Environ mille mots franais ont

    deux, trois, quatre... homonymes (...). La graphie, habituellement, permet de les distinguer. .

    (Dupriez, 1980, p.233) 12 Phnomne dont on abuse dans des phrases comme Les poules du couvent couvent.

    Cette caractristique est cependant beaucoup plus frquente pour les parties de mots, p.ex. :

    chef clef, fille - ville.

  • 26

    importante. Dautre part, lhomographie htrophone est lorigine de nombreuses

    erreurs de prononciation. Ainsi, on constate que dans lapprentissage du franais,

    lorthographe et la prononciation vont souvent de pair.

    Cest prcisment cette source de confusion lhomonymie qui est exploite dans

    une grande partie des jeux de mots. Selon Templeton (2003), contrairement ce

    quon pense souvent, le fait denseigner les homophones en mme temps aide les

    apprenants les distinguer. Elle dit quil est important dinsister sur la diffrence de

    signification. Elle voit dans les jeux de mots un moyen intressant dillustrer ces

    diffrences : The verbal art form of puns depends mightely on homophones,

    homographs, and homonyms. Such wordplay develops students sensitivity to and

    enjoyment of words. (p.63). Binsted et al. (2003) croient galement que les jeux de

    mots peuvent diminuer la confusion engendre par lhomonymie.

    Les jeux de mots jouant sur les sons nous incitent rflchir sur la prononciation des

    mots qui donne souvent une piste qui peut mener la comprhension. Par

    consquent, travailler en classe laide de quelques jeux de mots sonores, pourrait

    attirer lattention des lves sur la prononciation correcte des mots et faire remarquer

    le grand nombre dhomophones et paronymes existant.

    Dans le cas des paronymes, il est important de souligner quil ne sagit pas dune

    homophonie parfaite. Dventuels jeux de mots involontaires ou non russis des

    lves pourraient galement servir dexemples pour attirer lattention sur la bonne

    prononciation.

    Dans le domaine de la phontique, la prononciation des virelangues (calque de

    langlais tongue-twister) est un exercice classique. Ces phrases difficiles prononcer

    ne sont pas uniquement destines aux apprenants dune langue trangre, mais

    galement aux locuteurs natifs. Les virelangues ont souvent un caractre ludique,

    mais Calvet remarque quils ont au-del de leur fonction ludique un rle ducatif et

    correctif (p.28, 1980). Certains virelangues contiennent galement des jeux de

    mots, ce qui mne souvent une certaine difficult de comprhension orale (p.ex. :

    Les vers verts levrent le verre vert vers le ver vert.13). Quand la difficult de

    comprhension prime sur la difficult de prononciation et quon cherche surtout

    troubler le rcepteur, on parle aussi de trompe-oreilles. La mme confusion est

    exploite dans de nombreux sketches humoristiques. Pensons par exemple aux

    13 Un exemple de la 1st International Collection of Tongue Twisters de Michael Reck (2007),

    une mine de virelangues (175 exemples pour la langue franaise).

  • 27

    sketches de Raymond Devos, dont beaucoup de textes sont construits autour de

    lhomophonie.

    Or, il faut reconnatre que les virelangues et les trompe-oreilles sont parfois trs

    difficiles, voire incomprhensibles. Les phrases deviennent vite trop recherches ou

    artificielles, et perdent ainsi toute utilit dans un contexte ducatif. Nanmoins, on

    trouvera toujours bon nombre de phrases intressantes. Cest lenseignant doprer

    une slection svre visant avant tout le but ducatif.

    Concernant la dimension phontique des jeux de mots, il reste encore une autre

    remarque importante faire. Lenseignant devra galement tre conscient du fait

    quil nexiste pas une seule prononciation du franais, mais quil peut y avoir parfois

    certaines variantes. En premier lieu, on pense videmment aux accents rgionaux,

    qui eux aussi font parfois lobjet de jeux de mots, comme dans les exemples suivants,

    cits par Druetta (2007) :

    Bon je vous laiche , comme disent les auvergnats.

    Homonymie entre lche et laisse , prononc avec un accent auvergnat.

    Comme disent les alsaciens : les six cognes sont de retour .

    Homonymie avec les cigognes sont de retour , prononc par un alsacien.

    En utilisant les jeux de mots en classe, il peut donc tre important de faire attention

    aux prononciations dviantes, qui ne sont bien sr pas leur place dans

    lenseignement de la langue franaise et sans doute incomprhensibles pour des

    apprenants. Nanmoins, mme dans le langage standard, il existe une certaine

    variation dans la prononciation. Pensons par exemple aux diffrences entre les

    francophones franais et belges. Il est donc possible que certains jeux de mots ne

    soient pas ressentis comme jeux sur les mots par tous les locuteurs du franais.

    Orthographe

    Comme signal plus haut, lenseignement de lorthographe est souvent li la

    prononciation. Certaines remarques qui ont t fait dans la partie prcdente

    sappliqueront donc galement cette partie-ci.

    Lorthographe et la prononciation du franais sont parfois trs loignes lune de

    lautre. Cet cart, donnant lieu entre autres de nombreux homophones et

    homographes, permet de crer beaucoup de jeux de mots sans trop de difficults. Si

    cet cart est favorable la cration des jeux de mots, il constitue galement un des

    grands problmes dans lapprentissage du franais. Mme les locuteurs natifs se

  • 28

    laissent parfois induire en erreur. Selon Templeton (2005) et Binsted et al. (2003),

    lemploi des jeux de mots dans lenseignement des langues pourrait aider mieux

    distinguer les homonymes (voir supra).

    Pourtant, il est vrai que les inventeurs des jeux de mots ne respectent pas toujours

    lorthographe officielle, mais adaptent souvent la graphie des mots leur propre got.

    Surtout les publicitaires pchent parfois contre lorthographe afin de mettre plus en

    valeur le jeu sur les mots. Tout comme lorthographe alternative du langage SMS, les

    fautes dans la publicit ont dj proccup nombre denseignants et de linguistes, qui

    craignent que bientt les jeunes ne sachent plus crire correctement.

    Nanmoins, les ventuels manquements aux rgles dorthographe ne devraient pas

    retenir les enseignants demployer les annonces publicitaires en classe. Dabord, il

    faut remarquer quil existe galement de nombreux jeux de mots o lon na pas

    touch lorthographe. Ensuite, les erreurs dorthographe pourraient tre utilises

    dans un but ducatif. Ces fautes sont rarement gratuites, elles ont souvent une

    fonction particulire dans le jeu de mots lui-mme. En attirant lattention sur

    lorthographe, ces erreurs pourraient mme servir de moyen mnmotechnique.

    lments de la culture franaise

    Si les jeux de mots jouent en premier lieu sur la langue, il est indniable que de

    nombreux jeux de mots font galement appel aux connaissances culturelles du

    rcepteur. Sullet-Nylander appelle ces connaissances des figements culturels ,

    savoir des noncs mmoriss par les sujets dune mme communaut

    linguistique. (2005, p.118). Elle mentionne entre autres les allusions faites aux

    livres, films, chansons ou pomes qui sont connus de nombreux francophones.

    Certaines personnes sont davis que le phnomne des jeux de mots est lui-mme

    typiquement franais (voir supra) et que par consquent, lutilisation des jeux de mots

    en classe de langue constituerait dj en soi une initiation un lment typique de la

    culture franaise. Lide que lhumour vhicule galement la culture dune socit est

    avance souvent, entre autres par Besse (1989). Ainsi, les jeux de mots dun

    Raymond Devos ou ceux quon trouve dans les BD dAstrix vhiculent souvent un

    aspect de la culture franaise. On pourrait mme affirmer que les comptines,

    proverbes et expressions idiomatiques sur lesquels les jeux de mots jouent

    frquemment, sont galement des chantillons de la culture franaise.

  • 29

    La dimension mtalinguistique des jeux de mots

    Dans les parties prcdentes, il a dj t mentionn que la comprhension des jeux

    de mots va gnralement de pair avec une certaine rflexion sur la langue elle-mme.

    Cest ce quon appelle en gnral une rflexion mtalinguistique14. Dans leur tude,

    Cekaite et Aronsson (2005) font galement remarquer ce lien troit entre les jeux sur

    la langue et la mtalangue. Elles insistent sur le fait que la mtalangue ne sutilise

    pas uniquement au moment denseigner les langues, mais quelle est galement

    prsente dans les noncs humoristiques, qui, selon elles, supposent toujours une

    certaine conscience langagire. Cest aussi lavis dAttardo (1994) qui affirme que le

    dcodage des jeux de mots demande une certaine conscience mtalinguistique.

    Pour la cration dun jeu de mots, la langue est manipule afin de donner lieu une

    certaine ambigut. Une mme phrase peut tre interprte de deux faons ou, en

    cas de paronymie ou parasynonymie, voquer dautres associations. En analysant des

    jeux de mots en classe de franais langue trangre, les lves seraient incits

    rflchir sur les mcanismes de la langue qui sont la base de cette ambigut. Une

    rflexion sur le fonctionnement de la langue un niveau plus abstrait (cest--dire

    mtalinguistique) est donc certainement utile.

    Pendanx (2001, p.152) parle dans ce contexte de prise de conscience langagire ,

    un terme quelle propose comme traduction de langlais language awareness. Elle

    plaide en faveur de lemploi en classe de langue dactivits de dcouverte,

    dobservation et de rflexion qui devraient favoriser cette prise de conscience

    langagire. Parmi les activits quelle propose, figurent entre autres les jeux de mots.

    Que les jeux sur les mots puissent contribuer au dveloppement de la conscience

    langagire est galement argument dans les tudes de Bell (2005) et Lucas (2005),

    qui ont tudi linfluence des jeux verbaux sur lacquisition dune langue seconde. Les

    auteurs ont constat que les jeux sur les mots peuvent attirer lattention des tudiants

    sur les relations existantes entre formes linguistiques et sens et sur les faons

    diffrentes dont sens et forme peuvent tre utiliss dans la langue. Ainsi, elles

    arrivent la conclusion que les discussions explicites sur la forme linguistique peuvent

    tre un moyen dapprentissage trs efficace.

    Un autre auteur qui apprcie les jeux de mots pour leur effet stimulant sur la prise de

    conscience de la langue et de ses systmes et procds, est Vande Kopple (1995). Il

    14 Le Nouveau Petit Robert dfinit le mtalangage comme suit : [le] langage (naturel ou

    formalis) qui sert dcrire la langue naturelle . Il donne aussi lexemple suivant : Les

    dictionnaires et les grammaires sont des ouvrages mtalinguistiques . (2000, p.1565)

  • 30

    estime que lincorporation des jeux de mots dans les cours de langue favorisera la

    sensibilit des apprenants aux diffrents aspects de la langue et aux possibilits et

    conventions propres cette langue. Les jeux de mots seraient un stimulus pour

    dvelopper une rflexion critique (critical thinking) et une rflexion dun ordre plus

    lev (higher-order reasoning). Selon Vande Kopple, les jeux de mots demandent une

    rflexion sur deux niveaux en mme temps et il souligne limportance de dvelopper

    cette comptence.

    Spector (1990) demande aussi de stimuler la rflexion mtalinguistique chez les

    tudiants. Dans son article, elle parle des difficults quprouvent les jeunes peu

    dous pour les langues quand ils sont confronts un langage plus sophistiqu. Elle a

    tudi en particulier lhumour linguistique, mais elle mentionne aussi dautres formes

    de langage qui ne sont pas ncessairement humoristiques, comme les expressions

    figures et idiomatiques, les demandes indirectes, les mots ayant plusieurs

    significations et le langage abstrait. Les tudiants peu dous pour les langues ont

    tendance interprter ces expressions de faon littrale. Spector fait remarquer que

    ce type de langage est pourtant loin dtre exceptionnel. Mme dans lenseignement,

    le langage figur ou ambigu apparat frquemment et comme le suggre lauteur, cela

    pourrait donc influencer les chances de russite des tudiants. De plus, Spector attire

    lattention sur le rle important que ce langage joue au niveau social. Ne pas disposer

    des comptences linguistiques ncessaires permettant de comprendre ce genre

    dnoncs, peut mener des problmes de communication. Entre adolescents,

    lhumour linguistique et dautres types de langage plus sophistiqu ont une influence

    importante sur lacceptation dans un groupe. Ainsi, les jeunes moins dous au niveau

    linguistique, risquent dtre rejets par leur groupe.

    Nanmoins, Spector estime quil est possible de dvelopper et daffiner les

    comptences des jeunes moins dous pour les langues. Quand on leur apprend les

    stratgies cognitives ncessaires, beaucoup dentre eux seront capables de les

    appliquer correctement. Spector rfre galement plusieurs tudes qui dmontrent

    quil est possible denseigner les mthodes et les stratgies ncessaires pour observer

    et analyser la langue de faon mtalinguistique.

    Dans ce sens, lanalyse des jeux de mots en classe de langue pourrait contribuer au

    dveloppement dune telle conscience langagire, qui non seulement est utile au

    niveau des cours de langues, mais galement, comme la signal Spector, un niveau

    plus large, dans la communication de tous les jours.

    En plus damliorer la comprhension du langage des autres, le fait dtre conscient de

    la possible ambigut des mots et des phrases, pourrait aussi aider mieux contrler

  • 31

    la faon dont nos noncs sont interprts par les autres. Si lon connat les

    mcanismes qui peuvent rendre une phrase ambigu ou la doter dun double sens, on

    prvoira aussi plus facilement une ventuelle deuxime interprtation de ses propres

    mots. De cette faon, les apprenants pourraient mieux viter des jeux de mots

    involontaires ou dautres doubles sens malencontreux quand ils prennent eux-mmes

    la parole.

    Dans certains jeux de mots, il est mme trs clair quils demandent une rflexion

    mtalinguistique. Ainsi, Dienhart (1999) donne des exemples de jeux de mots o la

    mtalangue est explicitement prsente. Pour comprendre ces jeux, il ne faut pas se

    concentrer sur le sens des mots, mais il faut les regarder comme sil sagissait dobjets

    au lieu de mots. Un exemple de Colignon (1979, p.36-37) par analogie lexemple

    anglais de Dienhart :

    Par moi tout finit, tout commence ;

    Par moi la terre a pris naissance ;

    Si je nexistais pas enfin

    Un moment naurait pas de fin.

    Je ne suis pas dans une lieue,

    Et je fais, moi tout seul, la moiti de ltat

    Je ne suis pourtant que la queue

    Dun rat.

    (Rponse : la lettre t)

    conomie en mots, richesse en contenu

    Le caractre concis des jeux de mots est souvent lorigine de leur ambigut. En

    gnral, les jeux de mots sont trs conomes en mots. Ils vitent le superflu et

    cherchent suggrer beaucoup avec peu de mots. Dans cette optique, il nest pas

    tonnant que les jeux de mots apparaissent souvent dans les slogans publicitaires.

    Cette utilisation surintensive15 du langage a aussi des avantages en classe de

    langue. Le fait que les jeux de mots sont en gnral assez courts signifie que leur

    lecture prendra beaucoup moins de temps que celle dun texte littraire. Leur brivet

    devrait permettre lenseignant de les enchsser facilement dans son cours.

    Plusieurs auteurs expliquent dailleurs que les exercices partir de jeux de mots

    peuvent tre de courte dure (Vande Kopple (1995) ; Monnot (1988)).

    15 Expression dHenry (2003, p.23).

  • 32

    En mme temps, sur le plan du contenu les jeux de mots sont particulirement riches.

    Redfern dcrit ces deux caractristiques - conomie et richesse en termes

    conomiques :

    For the budget-conscious, it is most obviously a device of economy: a

    double helping for the price of one word or phrase. Equally, it is an excuse

    for expenditure of mental effort. It is a buried treasure waiting in

    languages to be unearthed by vigilant prospectors. (1996, p.188)

    Cette richesse sur le plan du contenu les rend particulirement intressant analyser

    en classe de langue. Selon le jeu de mots choisi, on pourra dvelopper certains

    aspects de la grammaire, du lexique, de la phontique, de lorthographe, etc.

    Monnot le formule ainsi : (...) ce message est porteur de deux significations voulues,

    ce qui, du point de vue de lacquisition linguistique, double le rendement. Dune

    pierre, deux coups. (1988, p.60)

    La grande varit de jeux de mots

    Quil existe une grande varit de jeux de mots est un important avantage didactique.

    On trouve les jeux de mots dans des documents trs divers : dans la littrature, la

    publicit, la presse, les chansons, les sketchs humoristiques, les histoires drles, les

    devinettes, les BD, etc. Le jeu de mots nest pas un phnomne li un certain

    groupe social. Il est produit et apprci par des locuteurs de tout ge et de toute

    classe. Cette grande varit devrait faciliter lintgration des jeux de mots en classe

    de FLE. Le professeur nest donc pas limit au domaine littraire, mais pourra trouver

    maintes occasions pour aborder le thme des jeux de mots dans sa classe. Cette

    abondance devrait aussi faciliter le rassemblement de matriel utile permettant

    denchaner sur dautres matires traites en classe.

  • 33

    4. Problmes et objections

    Un cart par rapport la norme

    Vittoz Canuto (1983) le signale plusieurs reprises : la force du jeu de mots se trouve

    dans le fait quil sagit dun cart par rapport la norme, une anomalie qui nous

    surprend et attire notre attention. Nest-il pas didactiquement dangereux demployer

    une langue qui sloigne de la norme et ne respecte pas les rgles quon cherche

    prcisment enseigner aux apprenants ?

    La description du jeu de mots par Guiraud (1976) risquerait galement deffrayer

    certains enseignants. Hors contexte, ses propos assez forts semblent plaider contre

    lutilisation des jeux de mots en classe. Dcrit comme une dysfonction du langage

    qui viole les rgles lmentaires de lidiome , le jeu de mots parat un danger pour

    lapprenant de langue. En lisant que ce procd consiste dans la destruction du

    langage () tous les niveaux , on pourrait mme craindre une influence ngative

    sur le langage de tout locuteur, y compris le locuteur natif. Il faut cependant lire ces

    citations dans leur contexte originel et on pourra constater que Guiraud ne cherche

    pas critiquer le procd du jeu de mots.

    Certes, les jeux de mots consistent en gnral dans un cart par rapport la norme,

    mais en mme temps ils sont loin dtre exceptionnels. Comme il a dj t

    mentionn, au cours des dernires annes, le jeu de mots a russi occuper une

    place importante dans plusieurs domaines de la vie et cette volution ne semble pas

    sinverser. En plus, de nombreuses tudes ont rvl que les enfants ont dj trs tt

    tendance jouer avec la langue. Dj un age trs jeune, ils crent spontanment

    de simples jeux de mots. Dans Les jeux de mots de lenfant, Aimard (1975) a

    rassembl plusieurs jeux de mots crs par des enfants. Rcemment, de plus en plus

    dtudes confirment limportance de ces jeux verbaux enfantins pour le

    dveloppement des comptences linguistiques (OMara (2004) ; Cook (2000)).

    Exclure le jeu de mots du domaine de lapprentissage cre donc peut-tre une

    situation de communication peu authentique. Cette ide est galement avance par

    Crystal (1990), pour qui le jeu de mots est une forme de linguistic strangeness .

    Pourtant, il dmontre que les emplois anormaux de la langue sont bien plus frquents

    quon ne pense. Cest pourquoi il soutient que lenseignement des langues trangres

    devrait galement prendre en compte la langue hors de son emploi classique ou

    strotyp. Selon Crystal (Ibid.) et Cook (2000) les manuels et le matriel employs

    en classe de langue ne prtent gure dattention la langue non conventionnelle, dite

  • 34

    anormale, comme par exemple la crativit lexicale. Ils estiment quon devrait

    encourager les tudiants exprimenter avec la langue. Au lieu de condamner tout

    cart de la norme, le fait de rompre les rgles linguistiques devrait tre considre

    comme un signe dune bonne matrise de la langue. Cest aussi lavis de plusieurs

    autres auteurs (Bell (2005) ; Defays (2003, pp.269-270) ; Cook (2000) ; Chiaro

    (1992) ; Calvet (1980) ; Colignon (1979)).

    Mme si la plupart des linguistes et didacticiens sont davis que le jeu de mots est un

    cart par rapport la norme, Ritchie (2004) affirme que la majorit des jeux de mots

    sont bien forms au niveau grammatical et lexical. Mme les jeux de mots qui

    emploient des mots ou des phrases inexistants respectent dans une large mesure les

    rgles et les conventions de la langue en question, comme par exemple les structures

    morphologiques et syntaxiques fondamentales. La libert des jeux de mots par

    rapport la norme est donc assez limite.

    Nanmoins, mme les jeux de mots qui contiennent des fautes dorthographe ou qui

    violent certaines rgles de la grammaire franaise ne devraient pas effrayer les

    enseignants. Comme il a t dmontr dans le chapitre prcdent, ces carts de la

    norme peuvent tre trs instructifs et ont souvent une fonction particulire dans le jeu

    de mots (voir supra). Lenseignant ne doit donc pas viter ces jeux de mots plus

    libres, condition quil signale clairement tous les carts et erreurs ventuels.

    Un exercice pour les niveaux avancs uniquement ?

    Beaucoup de linguistes sont davis que les jeux de mots ne sont pas destins aux

    dbutants dune langue trangre. Ainsi, Car et Debyser (1987, p.29) disent que

    le jeu mots avec ses allusions, ses glissements de sens et ses codages subtiles

    implique un niveau de comptence lexicographique et culturelle qui nest pas la

    porte des dbutants . Cette mme ide est avance par Calvet (1980, p.29): ()

    le jeu de mots implique une certaine aisance dans la langue, et sa pratique est peut-

    tre ce qui vient en dernier dans lapprentissage dune langue trangre () . Kosch

    (1980, p.55) conseille aussi de ne pas utiliser les jeux de mots dans une classe de

    grands dbutants.

    Certes, il faut avoir dj certaines connaissances de la langue avant de pouvoir

    comprendre les jeux de mots, mais il existe une grande varit de jeux de mots de

    diffrents niveaux de difficult. Cest aux enseignants de slectionner les jeux de

    mots qui conviennent au niveau du groupe. Besse (1989) insiste galement sur le fait

    quil faut tenir compte des connaissances des apprenants ; linformation sur laquelle

    joue le jeu de mots doit dj tre connue. Il rappelle que le calembour (comme les

  • 35

    autres jeux de mots) prsuppose que linterlocuteur est apte le saisir

    immdiatement ou laide dune rapide prcision (Ibid., p.39). Il rfute aussi les

    prjugs de certains linguistes en disant quil serait intressant de commencer

    relativement tt dans lapprentissage dune langue avec des exercices de

    comprhension et mme de production de calembours.

    Il est vrai que la grande majorit des exercices autour des jeux de mots demandent

    des connaissances dj assez avances. Lemploi des jeux de mots dans les niveaux

    lmentaires de lenseignement des langues trangres na pas encore fait lobjet de

    beaucoup dtudes et devrait peut-tre studier davantage. Cekaite et Aronsson

    (2005) ont tudi lemploi des jeux de mots chez de jeunes enfants en langue

    trangre, mais dans leur tude, il sagit dune production spontane, et non pas dun

    exercice faisant partie du cours en question. Il se peut que les exercices explicites et

    lancs par les enseignants soient effectivement peu utiles pour les niveaux

    lmentaires dans lenseignement dune langue trangre. Cependant, la production

    spontane par les apprenants eux-mmes doit certainement tre encourage et peut

    faire lobjet dune explication ou dun commentaire supplmentaire par lenseignant.

    Dans ltude de Ceikaite et Aronsson, on peut trouver quelques exemples

    dinterventions pertinents par les enseignants.

    Une situation de communication inauthentique

    Utiliser le jeu de mots en classe implique aussi un certain risque, car il dpend dans

    une large mesure de la participation du rcepteur. Cest le rcepteur qui par son

    dcodage permet lmetteur de passer son message.

    Lenoble attire lattention sur le fait que les apprenants dune langue trangre se

    trouvent dans une situation de communication qui nest pas authentique : (...)

    llve nest pas un locuteur natif, il ne possde donc pas forcment les connaissances

    et rfrences linguistiques et culturelles ncessaires au dcodage (...) (1996, p.68).

    Chiaro (1992) souligne que pour que le partage fonctionne, le jeu de mots doit jouer

    sur des connaissances qui sont partages par metteur et rcepteur. On retrouve

    cette mme ide aussi chez Besse (1989, p.80) : La difficult pdagogique est alors

    de faire en sorte que le matre nait pas les expliquer, parce que lexplication dtruit

    presque toujours le plaisir quon peut y prendre () .

    Lenseignant aura donc un rle primordial dans la slection des jeux de mots et la

    prparation des exercices autour des jeux de mots. Non seulement il nexiste gure

    dexercices tout faits ou de manuels pour ce genre dexercices, il sera aussi essentiel

    de crer un exercice sur mesure du groupe en question.

  • 36

    Nanmoins, ces difficults ne sont pas insurmontables. La ncessit de tenir compte

    des connaissances et comptences des lves, vaut galement pour la prparation de

    tout autre exercice. Dautre part, le grand choix des jeux de mots devrait faciliter la

    composition dun exercice.

    Labsence des jeux de mots dans les manuels scolaires

    On ne trouve gure dexemples de jeux de mots ou dexercices autour des jeux de

    mots dans les manuels scolaires. Les quelques fiches pratiques quon trouve dans les

    revues de didactique des langues proposent des exercices autour de la publicit. Une

    explication rside donc peut-tre dans le fait que la publicit est vite dmode

    (Doering (1993, p.420)). Pourtant, il existe aussi de nombreux jeux de mots

    intemporels. La raison principale de cette absence est probablement le fait que les

    jeux de mots demandent de leurs rcepteurs des connaissances spcifiques que les

    auteurs des manuels peuvent difficilement estimer lavance. Ces connaissances qui

    sont censes tre partages par le rcepteur sont sans doute le facteur le plus

    problmatique pour les auteurs des manuels. Le bagage linguistique et culturel dont

    disposent les lves diffre beaucoup dun institut lautre, dune classe lautre,

    voire mme dun lve lautre. Par consquent, cest avant tout lenseignant lui-

    mme qui est le mieux plac pour slectionner les jeux de mots qui conviennent au

    groupe dtudiants en question. Comme dj mentionn, il est trs important que les

    apprenants soient capables de saisir le jeu de mots, au moins partiellement, sans que

    lenseignant ne doive le leur expliquer. Comme laffirme Besse (1990, p.80): Le

    calembour expliqu nen est plus un . Nanmoins, le fait quon doit souvent

    rassembler soi-mme le matriel, ne devrait pas effrayer les enseignants. De

    nombreux auteurs nous signalent que les jeux de mots utiles aux cours de FLE sont

    trs faciles trouver (Monnot (1988) ; Calvet (1980)).

  • 37

    PARTIE B LES JEUX DE MOTS DANS LA PRATIQUE

  • 38

    5. Conseils gnraux Avant de passer aux exercices mmes, ce chapitre donnera quelques conseils

    gnraux qui devraient aider lenseignant utiliser les exercices avec succs. Il faut

    observer que le matriel lui seul nest pas suffisant. La faon dont on emploie ce

    matriel et dont on organise son cours est du moins aussi importante.

    Une explication ncessaire

    On dit parfois quexpliquer lhumour, cest le dtruire. Cependant, quand on travaille

    en classe laide de jeux de mots, lenseignant devra toujours expliquer le jeu sur les

    mots afin de sassurer que chacun la compris. Mme si certains jeux de mots peuvent

    paratre clairs ou que les apprenants semblent avoir compris le jeu de mots, un

    claircissement explicite est indispensable. Il est vrai que la raction des lves

    permet souvent de deviner sils ont compris le jeu de mots ou pas. Cest aussi lide

    de Lamy (1979, p.57) qui affirme que Lorsque lauditoire sen amuse, cest que

    lanomalie a t perue ; il nest donc pas ncessaire dinsister. Cependant, OMara

    (2004) signale que le rire nest pas un bon moyen pour mesurer la comprhension.

    Quand quelquun est conscient quil sagit dun texte humoristique, il peut se sentir

    oblig de rire. Le rire ne dmontre pas ncessairement la comprhension de

    lhumour, mais parfois seulement la conscience quon sattend au rire.

    Si le rire peut donc tre simul, OMara fait observer que certaines personnes rient

    peine quand ils entendent une histoire drle, mme sils lont comprise et apprcie.

    Lapprciation de lhumour diffre dailleurs de personne personne. Il se peut donc

    que les apprenants aient compris un jeu de mots, mais ne le trouvent pas trs russi.

    OMara affirme aussi que lapprciation nimplique pas forcment que lon a compris ou

    reconnu lhumour. Certaines personnes semblent apprcier une histoire drle ou un

    jeu de mots sans lavoir compris.

    De plus, dans le contexte de lenseignement, le risque de faux rires semble encore

    plus grand. OMara fait remarquer que des enfants se sentiront particulirement

    obligs de rire quand une personne dautorit leur dit quil sagit de documents

    humoristiques.

    Lexplication systmatique parat donc indispensable. Cela ne signifie pas quon risque

    dennuyer les apprenants qui ont dj compris le jeu de mots. Une bonne explication

    ne doit pas tre longue et une brve rptition est sans doute intressante pour tous

    les apprenants. Certains apprenants croient peut-tre avoir compris le jeu de mots,

    mais ne le comprennent en ralit que partiellement. De ce point de vue, une

  • 39

    explication pourrait parfois mme augmenter lapprciation de lhumour au lieu de le

    dtruire. Ce nest dailleurs pas toujours lenseignant qui doit expliquer le jeu de

    mots. Il serait intressant de faire expliquer le jeu de mots par les apprenants eux-

    mmes. Cest une bonne manire de contrler sils lont compris effectivement.

    De toute faon, dans le cadre de lenseignement, lire ou couter des jeux de mots

    sans commentaires supplmentaires semble un exercice peu instructif. Lanalyse

    explicite dun jeu de mots pourrait contribuer la comprhension dautres jeux de

    mots. Cest prcisment le manque de stratgies danalyse qui entrave la

    comprhension chez les apprenants moins dous. Comme Spector (1990) laffirme, il

    est possible denseigner certaines stratgies et damliorer ainsi la comptence des

    apprenants. Elle a constat que le langage ambigu, abstrait ou figuratif constitue un

    obstacle important pour de nombreux adolescents et non seulement pour les

    apprenants moins dous. Cest pourquoi elle insiste sur la ncessit de dvelopper

    davantage ces comptences et de stimuler la conscience mtalinguistique, puisquelles

    sont la cl principale la comprhension des jeux de mots (et des autres noncs

    ambigus, figuratifs ou abstraits).

    La ncessit dune participation active

    Sil faut toujours expliquer ou commenter le jeu de mots, les apprenants doivent

    dabord avoir loccasion de trouver la solution par eux-mmes. Comme il a dj t

    signal, la difficult de lexercice doit correspondre au niveau des apprenants. Ils

    doivent tre capables de comprendre les jeux de mots au moins partiellement par

    eux-mmes. Il faut en tout cas viter que lexercice aboutisse un monologue du

    professeur. Les exercices laide de jeux de mots devraient plutt augmenter la

    participation des apprenants et les encourager chercher la solution.

    Beaucoup de didacticiens estiment quil faut donner aux apprenants un rle plus

    important et plus actif en cours de langue (Lucas (2005) ; Sullivan (2000) ; Swain

    (2000)). Une telle approche donnerait de meilleurs rsultats quun enseignement o

    toute initiative est rserve au professeur. Cest dans cette optique que de plus en

    plus de didacticiens prconisent linteraction et le dialogue de collaboration entre

    tudiants, en particulier pour lenseignement des langues trangres (Sullivan

    (2000) ; Swain (2000)). Cette mthode consiste faire travailler les tudiants

    ensemble et les faire rsoudre ensemble un certain problme ou une certaine tche.

    En partageant leurs ides et leurs connaissances et en discutant le problme

    ensemble, ils arrivent trs souvent une meilleure comprhension. Le fait de devoir

    verbaliser et reformuler ses ides ou ses connaissances pour les autres naide pas

    uniquement clarifier les choses pour ses interlocuteurs, mais aussi pour soi-mme.

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    Dans ce sens, la production et lapprentissage dune langue trangre peuvent avoir

    lieu en mme temps (Swain (2000)).

    Nanmoins, lenseignant joue toujours un rle trs important, mme sil se tient un

    peu plus lcart pendant le dialogue. Il doit guider et encourager les apprenants

    pendant leurs dialogues et veiller ce quils ne sloignent pas trop de lexercice. Il

    est vident que les dialogues entre apprenants seront suivis dun commentaire gnral

    en classe qui reprend et complte les conclusions principales. Ce genre de dialogue

    construit en collaboration semploie en particulier pour discuter et analyser les jeux de

    mots (Lucas (2005)).

    Humour sans drision

    Si lamusement et le rire sont des ractions tout fait dsirables, le rire aux dpens

    dun apprenant est inacceptable et doit tre vit tout prix. Pourtant, cela ne veut

    pas dire quon ne peut pas utiliser les jeux de mots involontaires des apprenants. Il

    est vrai que les erreurs dapprenants sont des exemples plus dlicats et quil faudra

    les utiliser avec tact et prcaution. Lamy (1979, p.57) affirme juste titre qu il

    serait maladroit damuser systmatiquement une classe aux dpens de ceux qui ont le