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« Les Joies de l’Administration » de Patrick Mermaz – Copyright France – 21/03/2012 Page 1

Ce texte est offert gracieusement à la lecture.

Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir

l'autorisation de la SACD : www.sacd.fr

14 personnages

3 figurants

90 minutes

LES JOIES DE L’ADMINISTRATION

de

Patrick Mermaz

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Présentation de la pièce A la mairie de Savapas-sur-Pichon, les méandres de l’administration n’ont rien d’imaginaires. Entre

crises de nerfs et crises de rire, le ridicule rejoint vite la réalité. A moins qu’il ne s’agisse du contraire.

Et réciproquement bien sûr… Pour plus de renseignements, allez au guichet n° 13, prenez la porte 25,

dirigez-vous vers le bureau n° 758 et demandez madame Chombier qui se fera un plaisir de vous dire

comment vous passer de ce que vous n’avez pas besoin…

Liste des personnages Mademoiselle SIDONIE, stagiaire au standard.

Simone MOULINEUX, employée de mairie,

responsable de l’état-civil.

Georgette CHOTARD, employée de mairie,

secrétaire de Mme Chombier, déléguée

syndicale.

Marie-Paule CHOMBIER, adjointe au maire

et chef de bureau de la mairie.

Hélène CRUCHON, employée de mairie et

responsable de la caisse des écoles.

Albert CHAVAGNOU, responsable de la

maintenance technique, informatique.

Mr LAGOUTTE, paysan SDF et SNF dans

l’attente d’un permis de construire.

Mme GRAZOTIN, employée au service

nettoyage à la mairie.

Melle FAUSSART, employée à la médecine du

travail.

Mr GOULOUMATA, marabout-exorciste.

Mme MARTINOT, mère de famille.

Marceline PROUST, fabricante de madeleines

GUS, livreur de pizzas

Géraldine JEUSSAIPA, amoureuse.

Trois touristes

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SCENE 1

Melle SIDONIE / Mme MOULINEUX / Mme CRUCHON / Mr CHAVAGNOU / Mme

GAZOTIN

Dans le hall d’accueil de la petite mairie de Savapas-sur-Pichon, trois employées de mairie attendent

derrière leur guichet l’arrivée de leurs concitoyens. Madame Moulineux lit tranquillement son

magazine et madame Cruchon enceinte, tricote une layette pendant que Mademoiselle Sidonie, la

stagiaire, range méticuleusement et avec maniaquerie le bureau où se trouve le standard. De son côté,

monsieur Chavagnou, caché derrière les guichets, tente de démonter un ordinateur avec un tournevis.

Devant le guichet, un long couloir fléché au sol indique le sens à prendre en cas de file d’attente.

De l’autre côté de la pièce, une petite table basse, des magazines et trois chaises.

Sur un des murs, on peut y lire sur un panneau : À compter du 1er septembre, les guichets seront

ouverts avant la fermeture.

Melle SIDONIE (décrochant brusquement) : La mairie bonjour ! (Elle raccroche doucement le

combiné puis subitement le décroche à nouveau avec ton différent du précédent) La mairie bonjour !

(Elle raccroche doucement le combiné puis subitement le décroche à nouveau avec ton différent des

deux précédents) La mairie bonjour ! (Elle raccroche doucement le combiné puis subitement le

décroche à nouveau) Mairie de Savapas-sur-Pichon, que puis-je pour vous ? (Elle raccroche

doucement le combiné puis subitement le décroche à nouveau) Bonjour, mairie de Savapas-sur-Pichon.

Sidonie à votre service, puis-je vous renseigner ? (Elle raccroche doucement le combiné puis

subitement le décroche à nouveau) Vous êtes bien à la mairie de Savapas-sur-Pichon ne quittez pas,

vous êtes bien à la mairie de Savapas-sur-Pichon ne quittez pas…

Durant le petit manège de mademoiselle Sidonie, madame Moulineux et madame Cruchon se

regardent d’un air entendu.

Mme MOULINEUX (distraitement derrière son journal, sur un ton calme) : Dites donc ma petite

Sidonie, je n’ai que trois ramettes d’A4 et deux ramettes d’A3 dans mon tiroir. Vous ne pourriez pas

m’en chercher une de chaque dans la réserve, vous seriez bien gentille. J’ai peur d’en manquer.

Melle SIDONIE (se levant précipitamment) : Mais madame Moulineux, s’il n’y’a personne au

standard, ça va faire mauvaise impression.

Mme MOULINEUX (très patiente) : Ne vous inquiétez pas, je m’en occupe, j’ai l’habitude.

Mademoiselle Sidonie sort en courant.

Mme CRUCHON : Elle est gentille cette petite.

Mme MOULINEUX : Très gentille… Elle a juste un petit problème.

Mme CRUCHON : Ah bon lequel ?

Mme MOULINEUX : Elle a deux cerveaux.

Mme CRUCHON (surprise) : Non !

Mme MOULINEUX : Si, si deux cerveaux… En fait, le premier elle l’a perdu et l'autre il est parti à sa

recherche.

Mme CRUCHON (sincèrement triste) : Oh ! La pauvre petite… C’est quand même bien ce que fait la

mairie pour les travailleurs handicapés.

Monsieur Chavagnou vient de faire riper son tournevis. Il se redresse en se secouant le doigt.

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Mr CHAVAGNOU (hurlant de colère) : Saloperie de saloperie de merde !!!

Mme CRUCHON (se mettant la main sur le ventre) : Monsieur Chavagnou !! Pas devant les enfants

enfin !

Mme MOULINEUX : Vous savez ce que j’aime chez vous monsieur Chavagnou, c’est la qualité de

votre conversation.

Mr CHAVAGNOU : Jamais foutu d’avoir le bon tournevis dans cette mairie !... (Jetant le tournevis

dans sa caisse à outils) Et puis merde hein, vous vous débrouillerez avec cette antiquité… Moi, je ne

pourrai rien faire pour vous, tant qu’on ne me fournira pas du matériel de professionnel.

Mme MOULINEUX : Mais enfin monsieur Chavagnou, comment voulez-vous que je tape le courrier

de la mairie s’il me manque le R, le V et le M ?... C’est ridicule !... Ecoutez ça (prenant une lettre et la

lisant) : Ché onsieur, je e pérét de ous etouner ce couier, ka il nous anque …

Mme CRUCHON : C’est marrant, on dirait que vous parlez comme les africaines… (Regard noir de

madame Moulineux) Je voulais dire que ça vous donne un petit côté exotique… (Deuxième regard noir

de madame Moulineux) Vous avez raison madame Moulineux, c’est ridicule.

Mr CHAVAGNOU : Aux grands maux, les grands remèdes.

Monsieur Chavagnou sort un gros marteau de sa caisse à outils et retourne à son ordinateur. On

entend les coups de marteau rageurs raisonner dans la mairie.

Mme CRUCHON : Je ne voudrais pas paraitre présomptueuse, mais êtes-vous bien certain que c’est

le meilleur moyen de réparer cet ordinateur ?

Monsieur Chavagnou, haletant comme fou, donne de violents coups de talons et de pieds sur

l’ordinateur comme s’il voulait achever une bête malade. Madame Moulineux et madame Cruchon se

regardent inquiètes.

Mr CHAVAGNOU (essoufflé) : Voilà ! Au moins celui-là n’embêtera plus personne.

Ayant fini de se défouler, monsieur Chavagnou prend un journal et va s’asseoir.

Mme CRUCHON (regardant ce qu’il reste de l’ordinateur) : Je dois dire que personnellement, je

trouve un petit peu dommage de détériorer du matériel comme ça. Ça aurait pu servir à Emmaüs…

Mais dans cet état là, ça m’étonnerait qu’ils en veuillent.

Mr CHAVAGNOU (désagréable) : Ils n’ont qu’à s’en servir comme Lego pour les gosses.

Mme MOULINEUX : Et je tape mes lettres comment maintenant ?

Mr CHAVAGNOU : J’aurais bien une idée mais je ne suis pas sûr que vous vouliez l’entendre.

Mme MOULINEUX (choquée) : Oh !

Madame Grazotin entre en poussant un chariot contenant son matériel d’entretien.

Mme MOULINEUX : Ah madame Grazotin ! Vous tombez bien.

Mme GRAZOTIN : Ouais comme d’habitude ! Qu’est-ce que vous m’avez encore fait comme

saletés ?

Mme MOULINEUX (montrant les restes de l’ordinateur) : Venez voir par ici. Vous pourriez nous

débarrasser de ceci ?

Mme GRAZOTIN (à monsieur Chavagnou) : Vous avez le contrat de maintenance de l’ordinateur ?

Mr CHAVAGNOU : Ben non !

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Mme GRAZOTIN : Alors, vous le trouvez et vous me remplirez ensuite une demande de mise au

rebut du matériel municipal que vous enverrez au sous-sol au service nettoyage. Ensuite, je reviendrais

et je nettoierais votre porcherie. Bonne journée.

Madame Grazotin ressort. Melle Sidonie revient en courant avec les deux ramettes. Elle les pose

bruyamment sur la table de madame Moulineux et retourne s’asseoir rapidement derrière son bureau.

Melle SIDONIE (inquiète) : Le téléphone n’a pas sonné au moins ?

Mme MOULINEUX (calmement) : Si si, au moins une dizaine de fois.

Melle SIDONIE (effrayée) : Mon dieu ! Et moi qui n’étais pas à mon poste ! Que va dire monsieur le

maire s’il apprend que…

Mme MOULINEUX (très patiente) : Mais je plaisante !!... Melle Sidonie, vous êtes la stagiaire la

plus stressée que j’ai jamais eu à former. Il faut apprendre à vous détendre un petit peu, voyons… Une

vraie pile à combustible. Tenez, c’est vous qu’on devrait utiliser comme source d’énergie renouvelable

pour remplacer le nucléaire… Vous êtes hyper-radio-active… Mettez-vous à ma place mon petit. Si

vous continuez à m’épuiser comme ça, il va falloir que je me mette en arrêt maladie pendant au moins

deux semaines. Vous devez bien comprendre qu’on ne peut pas en arriver à de telles extrémités…

Mme CRUCHON : D’autant plus que deux semaines, c’est très vite passé… Et en plus ce n’est pas la

bonne saison pour aller en Guadeloupe… heu je veux dire pour se soigner.

Mme MOULINEUX : Et puis pensez un peu à l’état dans lequel se trouve madame Cruchon, enfin…

Elle doit partir en congés maternité à la fin de la semaine. Vous ne voulez quand même pas qu’elle

nous ponde deux prématurés dans l’accueil parce que vous ne savez pas vous détendre… Enfin quoi !...

Le standard sonne.

Melle SIDONIE (décrochant brusquement et sur un ton bougon) : Bonjour, mairie de Savapas-sur-

Pichon. Sidonie à votre service, puis-je vous renseigner ?... Ne quittez pas, je vous la passe… C’est

pour vous, madame Cruchon.

Le poste de madame Cruchon sonne.

Mme CRUCHON : Caisse des écoles bonjour… Oui bonjour madame… Non madame, votre nom de

famille doit obligatoirement commencer par les 2 chiffres du département… Oui madame, vous devez

joindre une photocopie de vos enfants… Tout à fait madame, vous pouvez payer en plusieurs fois à

condition de tout régler d'un coup… Au revoir madame.

SCENE 2

Melle SIDONIE / Mme MOULINEUX / Mme CHOTARD / Mme CRUCHON / Mr

CHAVAGNOU / Mme GRAZOTIN

Madame Chotard, une autre employée de la mairie, entre. Elle porte aux pieds une paire de moon

boots et tiens à la main une essoreuse à salade avec de la salade dedans. Les deux fonctionnaires

sortent leur parapluie et l’ouvre pour se protéger des gouttes d’eau. Monsieur Chavagnou commence

à préparer des pancartes pour une manifestation à venir.

Mme CHOTARD (égouttant sa salade) : Tu n’aurais pas l’heure, Albert ?

Mr CHAVAGNOU : Non, moi j’ai un tournevis qui ne me sert à rien ! Si tu veux, je te le file. Comme

ça, tu pourras te curer les ongles avec.

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Mme CHOTARD : Et ben, ce n’est pas l’amabilité qui va t’étouffer ce matin toi… Et vous madame

Moulineux, vous avez l’heure ?

Mme MOULINEUX (regardant sa montre) : Moins le quart ...

Mr CHAVAGNOU (recevant des gouttes de salade égouttée) : Merde, on a des fuites dans le

plafond ! J’ai senti des gouttes d’eau.

Mme CRUCHON : Excusez-moi si je m’occupe de ce qui ne me regarde pas madame Chotard, mais il

me semble avoir vu des salades toutes faites dans certains commerces. Entre nous, vous devriez y jeter

un coup d’œil. On ne sait jamais, des fois que vous y trouviez votre bonheur.

Mme CHOTARD : Figurez-vous que les salades du commerce me donnent des boutons. Et il n’y a

pas que les salades qui me filent des boutons, si vous voyez ce que je veux dire !

Melle SIDONIE : Moi, j’aime bien aller dans le bureau de madame Potard.

Mme CHOTARD : Chotard, pas Potard !

Melle SIDONIE : Excusez-moi madame Motard… Votre bureau me rappelle le potager de ma grand-

mère quand j’étais petite. Surtout quand je suis a côté de la poubelle à compost. Il y a une petite odeur

de pourri comme quand la fosse septique de mon grand-père débordait.

Mme MOULINEUX : Et la plante carnivore que vous a offert monsieur le maire, elle pousse bien.

Mme CHOTARD : M’en parlez pas de cette saleté ! Elle n’est pas carnivore, elle est cannibale. Ça

vous bouffe tout ce qui passe à proximité. (Montrant un pansement sur sa main) Vous voyez ça, c’est

une morsure qu’elle m’a faite il y a deux jours. Chaque fois que je rentre dans mon bureau, j’ai peur de

me faire agresser.

Mr CHAVAGNOU : Moi, je serais à ta place, je la ferais piquer.

Mme CRUCHON : Ne soyez pas cruel comme ça.

Mme CHOTARD : Ça ne va pas la tête, je ne vais pas jeter un cadeau du maire.

Mme MOULINEUX : Vous avez bien un placard vide dans votre bureau ?

Mme CHOTARD : Bien sûr que j’ai des placards vides, je n’ai même que ça des placards vides.

Mme MOULINEUX : Vous n’avez qu’à y mettre votre plante carnivore, comme ça elle ne vous

embêtera plus.

Mme CHOTARD : Ça se voit que vous ne la connaissez pas. D’après ce que j’ai lu, c’est la saison des

amours chez les plantes carnivores et elles sont extrêmement agressives. En plus, elle fait bien ses deux

mètres de haut maintenant.

Mr CHAVAGNOU : Si tu veux, on demandera aux gars de la police municipale de nous filer un coup

de main pour ta chasse au fauve. Ils ont des flash-balls qui ne leur servent à rien, ça pourrait les

amuser.

Mme CRUCHON : Je vous le dis tout de suite, vous ferez ça sans moi. Je ne supporterais pas de voir

une plante se faire maltraiter.

Melle SIDONIE : Moi c’est pareil, déjà que je tourne de l’œil à la vue d’un pot de fleur cassé.

Mme CHOTARD : Non, je vous remercie, mais c’est un combat que je dois mener seule.

Melle SIDONIE : Vous savez ce que j’admire chez vous ? C’est votre force de caractère.

Mme CHOTARD : Il en faut ma petite Sidonie pour survivre dans l’administration, il en faut

beaucoup.

Mr CHAVAGNOU (lisant son journal) : Qu’est-ce qu’ils sont cons ces journalistes, ils écrivent

« tragique accident d’avion ». Evidemment qu’il est tragique, ils ne vont pas écrire super-chouette-

accident d’avion.

Mme CRUCHON (riant presque de son mot d’esprit) : Remarquez entre nous monsieur Chavagnou,

pour une fois ça serait original.

Mr CHAVAGNOU : C’est un peu comme quand y écrivent qu’il y a eu des violences raciales aux

Etats-Unis ... Le jour où on verra de la non-violence raciste, là je veux qu’on m’appelle !...

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Mme CHOTARD (à Mme Moulineux) : Qu’est-ce qui mettent pour moi dans l’horoscope de votre

magazine réactionnaire ?... Sagittaire ?

Mme MOULINEUX (lisant) : « Votre travail vous passionne et vous débordez d’activité ».

Mme CHOTARD : Y sont malades ou quoi ?

Madame Grazotin entre en poussant son matériel d’entretien.

Mme GRAZOTIN : Monsieur Chavagnou, j’aurai besoin d’une machette ?

Mr CHAVAGNOU : Qui c’est que vous voulez tuer avec ça ?

Mme GRAZOTIN : Personne, c’est pour rentrer dans le bureau de madame Chotard. Chaque fois que

j’y vais pour vider ces corbeilles à papiers, j’ai l’impression de partir en expédition au fin fond de

l’Amazonie.

Mme CHOTARD : Qu’est-ce que j’y peux si j’ai la main verte.

Mme GRAZOTIN : Eh bien heureusement que c’est que la main !... Tenez, vous savez ce que vous

allez faire pour m’alléger un peu le travail ?

Mme CHOTARD : Je ne sais pas, le faire à votre place.

Mme GRAZOTIN : Je n’en demande pas tant, ça pourrait vous fatiguer… Non, mettez-moi

simplement vos corbeilles devant votre porte.

Mme CHOTARD : J’ai bien peur que le remède soit pire que la maladie.

Mme GRAZOTIN : Pourquoi donc ?

Mme CHOTARD : Dans le bureau à côté du mien, il y a monsieur Malicorne et c’est un malade de

football. Dès qu’il voit quelque chose dans laquelle il peut donner un coup de pied, il nous refait la

finale de la coupe du monde 98.

Mme GRAZOTIN : Bon ben tant pis. Je vais devoir appliquer mon droit de retrait.

Mme CHOTARD : Pour ma corbeille à papier ?

Mme GRAZOTIN : Vous avez déjà vu ces films dans lequel on retrouve 20 ans après le squelette

desséché de l’aventurier qui s’est égaré dans la forêt ?... Eh bien, je n’ai pas envie de finir comme lui !

Mme CHOTARD : Laissez tomber, je m’en occuperai moi-même.

Mme GRAZOTIN : Mais c’est qu’elle veut me retirer le pain de la bouche, celle-là !

Mme CHOTARD : Ecoutez madame Grazotin, on ne va pas se prendre la tête toute la journée pour

décider de l’avenir de mes corbeilles à papiers quand même !

Mme GRAZOTIN : Je vais en parler à mes supérieurs hiérarchiques et je reviendrais vous voir.

Mme CHOTARD : C’est ça.

Mme GRAZOTIN : Au fait, les œufs dans le bureau de madame Chombier, j’en fais quoi ?

Mme CRUCHON : Voyez ça avec monsieur Lagoutte.

Mme GRAZOTIN : Et où on peut le trouver ce monsieur Lagoutte ?

Mme CRUCHON : Vous pourrez le voir dès qu’il aura fini d’hiberner.

Mme MOULINEUX : Vous voyez la tente-igloo qui est dans la cafétéria ?

Mme GRAZOTIN : Vous voulez sans doute parler de cet endroit infernal au bout de ce couloir où

plus aucun personnel d’entretien ne veut plus jamais mettre les pieds.

Mme MOULINEUX : Ça doit être ça.

Mme CRUCHON : C’est là qu’il habite.

Mme GRAZOTIN : Vous savez que la semaine dernière, j’ai essayé d’y passer l’aspirateur…

Mme CHOTARD : Non sans blague, vous avez retrouvé le mode d’emploi ?

Mme GRAZOTIN : …Eh bien, quand j’ai ouvert la porte, ça a fait un tel boucan que j’ai cru que

j’avais déclenché une alarme.

Mr CHAVAGNOU : Ça, ça m’étonnerait qu’il y ait une alarme dans la cafét.

Mme GRAZOTIN : Pourquoi ? Je ne suis pas plus bête qu’une autre, je sais ce que je dis.

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Mr CHAVAGNOU : L’alarme, je n’ai même pas encore eu le temps de la déballer.

Mme CHOTARD : Mais ce n’est pas cette fameuse alarme ultra-moderne que tu as reçu il y a trois

ans ?

Mr CHAVAGNOU : Si pourquoi ?

Mme CHOTARD : Non pour rien.

Melle SIDONIE : Je sais ce qui a provoqué un tel tintamarre.

Mme GRAZOTIN : Et c’est quoi ?

Melle SIDONIE : Les oies.

Mme MOULINEUX : Comment ?

Melle SIDONIE : Les oies de monsieur Lagoutte. Il s’en sert comme alarme et comme réveil.

Mme GRAZOTIN : Une mairie de fous, je travaille dans une mairie de fous.

Mme MOULINEUX : Cette cafétéria est sans doute le seul endroit au monde où on risque sa vie en

allant prendre un café.

Melle SIDONIE : M’en parlez pas, figurez-vous qu’hier…

Mr CHAVAGNOU : Vous avez travaillé hier ? Mais ce n’était pas un jour férié.

Mme MOULINEUX : Pas du tout.

Mr CHAVAGNOU : C’est pour ça que mon téléphone n’arrêtait pas de sonner… Bon, ce n’est pas

grave, continuez.

Melle SIDONIE : J’entre discrètement dans la cafétéria, je me dirige vers la machine à café et quand

j’introduis ma pièce, vous savez ce qui m’arrive ?

Mme CRUCHON : Non.

Melle SIDONIE : Je sens qu’on me pince les fesses.

Mme CHOTARD : C’était monsieur Malicorne. !

Melle SIDONIE : Mais non, c’étaient ces foutous oies qui commençaient à m’encercler et à me pincer.

Je n’ai dû ma vie qu’en abandonnant mon gobelet à ces emplumés.

Mme MOULINEUX : Quelle aventure !... Bon en attendant les œufs, vous n’avez qu’à les laisser ici,

on les lui donnera.

Mme GRAZOTIN : Ouais, c’est ça ! Vous vous en ferez une omelette, oui.

Mme CHOTARD : Vous les lui donnerez vous-même, voilà !

Mme GRAZOTIN : Je n’ai pas que ça à faire figurez-vous. Je travaille moi !

Mme CHOTARD : Et merde !!

Mme CRUCHON : La vulgarité est le premier pas vers la violence, madame Chotard.

SCENE 3

Melle SIDONIE / Mme MOULINEUX / Mme CHOTARD / Mme CHOMBIER / Mme CRUCHON / Mr CHAVAGNOU / Mr LAGOUTTE

De l’autre côté de la pièce, on voit entrer monsieur Lagoutte en caleçon, chaussettes et marcel. Il

porte sur l’épaule une serviette et tient à la main une trousse de toilette. Il passe en sifflotant sous les

regards en coin des employés.

Mme GRAZOTIN : Quand les fauves sont lâchés, il ne vaut mieux pas trainer dans le coin. Si on a

besoin de moi, je suis au bunker.

Madame Grazotin sort précipitamment.

Mme MOULINEUX : Au fait, est-ce que quelqu’un pourrait demander à monsieur Lagoutte de ne pas

mettre ses caleçons à sécher dans le couloir de la cafétéria ?

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Mme CRUCHON : Vu le calvaire qu’ils vivent lui et sa femme, je trouve que ça serait déplacé de

notre part de lui faire remarquer qu’il n’est pas chez lui. Moi je dis ça, mais je ne dis rien.

Mr CHAVAGNOU (lançant une boulette de papier journal) : Vous n’avez qu’à lui envoyer une lettre

anonyme.

Mme MOULINEUX : Vous ne croyez pas que j’ai déjà assez de travail comme ça, s’il faut en plus

que je fasse des heures supplémentaires. Il n’y a pas marqué concierge.

Madame Chombier, la chef de bureau de la mairie, entre trempée.

TOUS : Bonjour, madame Chombier !!!

Mme CHOMBIER (s’égouttant) : Mais quel temps épouvantable ! Des orages comme ça c’est pas

pensable !

Madame Chombier sort poser ses affaires, suivie par mademoiselle Sidonie.

Mme CHOTARD : A quelle heure il a dit qu’il se pointait le maire ?

Mme MOULINEUX : Vers midi et demi.

Mme CHOTARD : Et là, il est quelle heure ?

Mme MOULINEUX : Mais pourquoi vous ne vous achetez pas une montre plutôt que de demander

l’heure toutes les dix secondes ? !

Mme CHOTARD : J’peux pas, avec la sueur, ça me fait des champignons sous le bracelet.

Mr CHAVAGNOU : Et alors, c’est bien les champignons ! Chaque fois que tu regardes l’heure tu as

l’impression d’être en forêt !

Monsieur Chavagnou sort. Madame Cruchon sort ensuite pour aller aux toilettes.

Mme CHOTARD : Pff ... alors cette heure ?

Mme MOULINEUX : Moins dix ...

Madame Chombier revient avec des dossiers et mademoiselle Sidonie.

Mme CHOMBIER : Au fait Sidonie, vous n’avez pas oublié de mettre le mousseux au frais… pour la

réception du maire ?

Melle SIDONIE : Non, tout est prêt, le mousseux, les amuse-gueules, les cacahuètes, les toasts au

saumon ...

Madame Cruchon revient.

Mme CHOMBIER (à Sidonie) : Bien, portez-moi ce dossier au bureau 28 s’il-vous-plaît.

Mademoiselle Sidonie sort en courant. Madame Moulineux fait remarquer discrètement à madame

Chombier les moon boots de madame Chotard.

Mme CHOMBIER : Dites-moi Georgette, vous ne pouviez pas mettre autre chose que des moon

boots pour venir travailler ?

Mme CHOTARD : J’aurais bien voulu, mais je n’arrive pas à les enlever.

Mme CRUCHON : Et pourquoi vous avez mis des moon boots, il ne neige pas ?

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Mme CHOTARD : On n’a pas de bottes à la maison, qu’est-ce que vous voulez que j’vous dise ? Vu

le temps qu’il fait je n’allais pas venir en espadrilles.

Mme CHOMBIER : Non, mais entre les moon boots et les espadrilles, y’a une marge.

Mme CHOTARD : Puisque j’vous dis que j’peux pas les enlever ! C’est ceux de ma gosse, et elle fait

deux pointures de moins que moi.

Mademoiselle Sidonie et Monsieur Chavagnou reviennent.

Mme CHOMBIER : Ça me fait une belle jambe vos histoires ! Vous faites comme vous voulez

Georgette, mais on ne peut pas vraiment dire que ça vous met en valeur… Monsieur Chavagnou, à

vous. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous avez coincé une chaussette dans le lecteur cd de mon

ordinateur ?

Mr CHAVAGNOU : Parce que le processeur périphérique que je vous ai installé n’est pas en interface

positive avec le module complémentaire compatible avec la nappe interne qui relie le support USB à la

carte graphique… D’où la chaussette.

Mme CHOMBIER : Et ben voilà, quand on m’explique, je comprends… Mais, juste un détail, est-ce

que la chaussette doit obligatoirement sentir mauvais ?

Mr CHAVAGNOU : Vous m’avez dit : monsieur Chavagnou, il faut me réparer mon ordinateur de

toute urgence. J’en ai besoin dans 15 minutes. Comme je ne suis pas Oudini, j’ai fait avec les moyens

du bord… Mais de toutes manières, dans cette mairie, personne n’est jamais content de rien…

Mme CHOTARD : Estimez-vous heureuse madame Chombier, vous auriez pu vous retrouver avec un

slip dans votre PC.

Madame Chombier sort.

Mr CHAVAGNOU : Très drôle. Si vous avez besoin de moi, je suis aux toilettes.

Mme MOULINEUX : On est content de le savoir…

Mme CRUCHON : Vous n’y restez pas trois heures comme la semaine dernière, d’accord ?

Mr CHAVAGNOU : Dites donc madame Cruchon, je vous ferai remarquer que si j’y suis resté trois

heures comme vous dites, c’est à cause de vous.

Mme CRUCHON : Vous ne comprendrez jamais ce que peuvent vivre et ressentir les femmes dans

mon état.

Mr CHAVAGNOU : Surement ! Mais en tout cas, je sais ce que ça fait d’avoir l’air con avec une

poignée de porte cassée dans la main quand on est enfermé dans les WC.

Mme CRUCHON : J’étais pressée, j’étais pressée, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ! Quand

on est enceinte, on ne connait plus sa force.

Monsieur Chavagnou sort et madame Chombier revient.

SCENE 4

Melle SIDONIE / Mme MOULINEUX / Mme CHOTARD / Mme CHOMBIER / Mme

CRUCHON / Mme GRAZOTIN

Mme CHOMBIER : Bon, moi j’ai un problème avec la réponse du maire concernant l’affaire de la

famille Martin. J’aimerais avoir votre avis. Georgette, passez-moi la lettre des Martin qui se trouve

dans le dossier « catastrophe climatique ».

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« Les Joies de l’Administration » de Patrick Mermaz – Copyright France – 21/03/2012 Page 11

Madame Chotard cherche une lettre sur un des bureaux. Après l’avoir trouvée, elle la tend à Madame

Chombier.

Mme CHOMBIER : Lisez-la s’il-vous-plaît.

Mme CHOTARD : « Monsieur le Maire,

Suite à la terrible tempête de décembre dernier, nous ne faisons qu’accumuler les malheurs. Un arbre

s’est écroulé sur notre maison qui est désormais totalement éventrée et inhabitable. Un autre s’est

abattu sur nos deux voitures désormais irréparables… Le gymnase où nous sommes réfugiés depuis

une semaine va bientôt fermer et nous n’avons nulle part où aller. Les experts de l’assurance ne sont

pas encore passés pour estimer les dégâts et nous attendons de votre part une aide qui nous permettra

de nous reloger provisoirement. Nous signalons à votre attention que l’hôtel Formule 1 de Saint-

Chapaton, à 65 km de chez nous, dispose encore de quelques chambres et nous sommes prêts à en

partager une avec ma femme et nos 4 enfants le temps qu’il faudra. Merci de nous répondre le plus

rapidement possible directement au gymnase Roger Marcel, le planton nous fera suivre le courrier.

Vous êtes notre seul espoir.

Très respectueusement, »

L’émotion est à son paroxysme.

Mme CRUCHON (émue) : Y’en a qu’ont pas de chance quand même…

Mme CHOTARD : Hé oui.

Melle SIDONIE : Les pauvres, je n’aimerais pas être à leur place…

Mme MOULINEUX : Moi, j’ai confiance. Connaissant monsieur le maire, je suis sûre qu’il a trouvé

une solution.

Mme CHOMBIER : Eh bien, vous n’allez pas être déçus. Voici la réponse du maire :

« Cher Monsieur Martin,

Et pourquoi pas le George V ou le Hilton tant que vous y êtes ? Non mais franchement. Et ça veut sa

chambre à l’hôtel et tout et tout. Avec le petit déjeuner inclus je suppose ? Vous croyez que parce que

je suis maire je roule sur l’or ? Moi j’habite dans un studio et j’ai une seule bagnole alors me faites pas

pleurer avec vos gémissements déplacés. C’est pas la mairie de Paris ici. J’ai pas un appartement de

fonction avec domestiques et compagnie ; c’est moi qui fais les courses et la bouffe et je dois aller

chercher moi-même mes gosses à l’école alors cessez de tout ramener à votre petite personne.

Allez, je fais un geste, je vous donne l’adresse d’un camping à Saint-Michalon et je vous fais 10% sur

l’emplacement, si vous promettez de voter pour moi aux prochaines élections.

Très cordialement,

Théodore Duraton, maire de Savapas-sur-Pichon »

Alors qu’en pensez-vous ?

Tous le monde se regarde dubitatif.

Mme CHOMBIER : Madame Moulineux ?

Mme MOULINEUX : C’est sûr que dit comme ça…

Mme CHOMBIER : Madame Cruchon ?

Mme CRUCHON : C’est vrai qu’il a son franc parler…

Mme CHOMBIER : Mademoiselle Sidonie ?

Melle SIDONIE : Il est certain que monsieur le maire ne tourne pas autour du pot…

Mme CHOMBIER : Madame Chotard ?

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« Les Joies de l’Administration » de Patrick Mermaz – Copyright France – 21/03/2012 Page 12

Mme CHOTARD (contrariée) : C’est franc, c’est rustique comme approche… On ne peut pas

vraiment dire qu’il mâche ses mots. (Pour elle) Salop !

Mme CHOMBIER : Comment ?

Mme CHOTARD (contrariée) : Non, rien… C’est juste que c’est un peu brut de décoffrage.

Mme CHOMBIER : Vous ne trouvez pas que ça manque un tantinet de compassion ?

TOUTES : Ah non, pas du tout !

Mme CHOMBIER : Ah bon ! Eh bien, mettez-moi cette lettre au courrier…

Melle Sidonie se précipite sur la lettre, l’arrache des mains de madame Chombier et sort en courant.

Mme CHOMBIER : Mais doucement enfin !

Madame Grazotin entre avec son chariot contenant du matériel d’entretien.

Mme GRAZOTIN : Madame Chombier, je peux vous parler en particulier.

Mme CHOMBIER : Je vous écoute madame Grazotin. Qu’est-ce que vous allez m’annoncer

aujourd’hui : que monsieur le maire est un extra-terrestre ?

Mme GRAZOTIN : Non, monsieur le maire n’est pas un extra-terrestre, mais un vampire et j’en ai la

preuve… Mais ce n’est pas pour ça que je viens vous voir. Je me demande si certaines personnes ici ne

pratiqueraient pas de la sorcellerie ou du vaudou.

Mme CHOMBIER : Qu’est-ce que vous allez encore imaginer.

Mme GRAZOTIN : J’ai surpris quelques conversations comme quoi il pourrait y avoir aujourd’hui,

ici dans la mairie, quelques sacrifices rituels.

Mme CHOMBIER : Des sacrifices rituels ? Qui fait ça ?... De qui s’agit-il ?

Mme GRAZOTIN : Je ne sais pas, je n’ai pas pu voir leur visage.

Mme CHOMBIER : Et vous n’avez pas reconnu les voix.

Mme GRAZOTIN : Il m’a semblé entendre madame Cruchon et madame Moulineux… Mais je

n’accuse personne, bien au contraire.

Mme CHOMBIER : Bien au contraire ?... Et entre nous, qu’est-ce qu’elles projetaient de faire ?

Mme GRAZOTIN : Je pense qu’elles veulent vous envouter.

Mme CHOMBIER : Tient donc ! Et dans quel but ?

Mme GRAZOTIN : C’est évident : pour que vous soyez leur esclave.

Mme CHOMBIER : Mais bien sûr, comment n’y ai-je pas pensé toute seule.

Mme GRAZOTIN : Vous comptez faire quelque chose ?

Mme CHOMBIER : Vous avez raison madame Grazotin, l’affaire est grave. Je vais prendre des

mesures d’urgence.

Mme GRAZOTIN : Vous ferrez bien.

Mme CHOMBIER : Merci de m’avoir prévenu. Et vous savez ce que vous allez faire ?... Retournez

au sous-sol, enfermez-vous et attendez que je fasse signe.

Mme GRAZOTIN : Très bien madame Chombier. Bonne chance.

Madame Grazotin sort en se méfiant.

Mme GRAZOTIN (à mesdames Moulineux et Cruchon) : Sorcières !

Mme MOULINEUX : Oui, merci, vous aussi !

Mme CHOMBIER : Je crois qu’il va falloir sérieusement s’occuper du cas de madame Grazotin. Je

vais appeler Mademoiselle Faussart de la médecine du travail pour voir ce qu’elle en pense.

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SCENE 5

Melle SIDONIE / Mme MOULINEUX / Mme CHOTARD / Mme CHOMBIER / Mme

CRUCHON / Mr LAGOUTTE

Monsieur Lagoutte revient de sa toilette en sifflotant.

Mme CHOMBIER : Ah monsieur Lagoutte, vous tombez bien.

Mr LAGOUTTE : Bien le bonjour madame Chombier. Comment allez-vous ce matin ? Vous avez

une mine superbe.

Mme CHOMBIER : Oui, bonjour, bonjour… Puis-je vous demander un service ?

Mr LAGOUTTE : Vos désirs sont des ordres, charmante demoiselle.

Mme CHOMBIER : Etait-il vraiment obligatoire d’installer votre poulailler dans mon bureau ?... J’ai

bien conscience de la situation dans laquelle vous vous trouvez et nous la déplorons tous ici, mais… la

fiente de canard, monsieur Lagoutte, a un effet dévastateur sur mes tailleurs…

Retour de mademoiselle Sidonie.

Mr LAGOUTTE : Ne vous en faites pas, c’est aujourd’hui que je dois les saigner… Vous savez, c’est

l’époque idéale pour faire le confit… Ne vous inquiétez pas, je vous en mettrai un pot de côté.

Mme CHOMBIER : Comment ! Vous avez l’intention de faire ça dans mon bureau ?

Mr LAGOUTTE : C’est trois fois rien, je vous assure… Un petit coup de couteau et hop…

décapité… En plus, c’est rigolo, vous verrez, il y en a même qui continuent de courir quand on leur a

retiré la tête.

Mme CRUCHON : Quel horreur !

Mr LAGOUTTE : Tenez une fois, vous allez rire, j’ai même couru pendant dix minutes après un

canard sans tête. C’est que ça a la vie dure ces bêtes-là ! Et y courrait et y mettait du sang partout… On

a du refaire toute la tapisserie de notre chambre après ça. On avait l’impression que j’avais massacré

toute ma famille, tellement il y avait de sang sur les murs. Qu’est-ce qu’on a rigolé avec ma femme…

Un vrai film d’horreur.

Pendant l’exposé de monsieur Lagoutte, madame Chombier et mademoiselle Sidonie manquent

défaillir, madame Cruchon quant à elle vomit dans la corbeille. Madame Moulineux, au bord de

l’évanouissement, sort de son sac à main une petite bouteille d’alcool fort et boit cul sec. Seule

madame Chotard continue de secouer sa salade comme si de rien n’était. Après avoir vomi, madame

Cruchon prend son sac à main et en sort un mouchoir pour s’essuyer la bouche.

Mme CHOTARD : Comme quoi, la nature est vachement bien faite. Même sans tête, il y en a qui

continuent de marcher. Ça fait rêver… Dans le même genre d’idée, j’ai vécu une expérience similaire

avec ma belle-mère, elle coupait du bois avec une tronçonneuse et…

Madame Cruchon revomit dans sa corbeille.

Mme CHOMBIER : Bien Georgette, ce n’est pas que vos anecdotes familiales ne nous intéressent pas

mais il va falloir songer à se remettre au travail.

Mme CHOTARD : Ah ça, ça ne va pas être possible.

Mme CHOMBIER : Et pourquoi ça ?

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Mme CHOTARD : Non, c’est une blague du syndicat… pour se remettre au travail, faut qu’on ait

commencé et comme on n’avait pas encore commencé… (Silence pesant) Enfin voilà quoi ! C’était

pour détendre l’atmosphère…

Mme CHOMBIER : Atmosphère ! Atmosphère ! On n’est pas au cinéma ici !... Allez, tout le monde

se met au boulot et que ça saute !

Madame Cruchon prend sa corbeille et sort en faisant la grimace. Madame Chotard retourne à son

bureau. Mademoiselle Sidonie se fait craquer les doigts et fait de la gymnastique avec ses mains.

Madame Moulineux fait semblant de ranger des papiers.

SCENE 6 Melle SIDONIE / Mme MOULINEUX / Mme CHOMBIER / Mr LAGOUTTE

Mme CHOMBIER : Monsieur Lagoutte, j’ai un petit problème avec votre état civil. Vous êtes bien né

de père hollandais et de mère sud-africaine ?

Monsieur Lagoutte sort puis revient avec un tablier qu’il commence à mettre.

Mr LAGOUTTE : C’est tout à fait exact. Papa était chercheur de diamants et maman tapinait dans un

bordel de Soweto. C’est là qu’ils se sont rencontrés et…

Mme CHOMBIER : Bref… Ensuite vos parents ont décidé de rentrer aux Pays-Bas pour que vous

puissiez naitre dans un hôpital d’Amsterdam… Je ne me trompe pas ?

Mr LAGOUTTE : Absolument pas.

Monsieur Lagoutte sort puis revient avec un hachoir à main.

Mme CHOMBIER : C’est à partir de ce moment que votre histoire s’embrouille. Comment êtes-vous

devenu français ?

Mr LAGOUTTE : Je ne suis pas que français, je suis fran-gnol-tugais, j’ai la triple nationalité :

français, espagnol et portugais.

Monsieur Lagoutte sort puis revient avec un seau.

Mme CHOMBIER : Et tout ça avec un père hollandais et une mère sud-africaine ? Pouvez-vous me

dire comment cela est possible ?

Mr LAGOUTTE : Je vous explique. Je suis né dans l’avion qui emmenait mes parents en Hollande,

mais cet avion a fait escale en France.

Monsieur Lagoutte sort puis revient avec une paire de bottes qu’il enfile.

Mme CHOMBIER : Donc vous êtes français point final.

Mr LAGOUTTE : Ma mère a commencé à accoucher dans l’avion. Mes pieds sont sortis au dessus du

Portugal, mon bassin au dessus de l’Espagne et ma tête au dessus de la France. Selon les lois de ces

trois pays, je suis tri-national.

Mme CHOMBIER : Et c’est pour cela que vous avez deux titres de séjour.

Mr LAGOUTTE : Un pour mes pieds et un pour mon derrière.

Mme CHOMBIER : Voilà qui est plus clair maintenant.

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Mr LAGOUTTE : Alors, pour mon permis de construire, vous en êtes où ? J’aimerais bien pouvoir

reconstruire ma ferme.

Mme CHOMBIER : J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c’est que le fonctionnaire

qui doit traiter votre dossier de permis de construire n’a pas encore été engagé. Avec le non

renouvellement des fonctionnaires qui partent en retraite, il vous faudra encore attendre quelques

semaines, mais nous avons bon espoir. La bonne, c’est que monsieur le maire est d’accord pour que

votre femme et vous, vous restiez encore un peu ici avec nous en attendant mieux… Au fait, pour ce

week-end, vous avez quelque chose de prévu ?... Non, je vous dis ça parce que comme actuellement il

y a 862 personnes qui attendent après vous pour avoir un permis de construire, je pense qu’il serait

judicieux de ne pas laisser passer votre tour, si vous voyez ce que je veux dire.

Mr LAGOUTTE : Je vous remercie pour le conseil. Ça tombe bien, ce week-end avec ma femme on

avait songé se faire un petit remake de notre mariage.

Mme CHOMBIER : Ah vous m’en direz tant !

Mr LAGOUTTE : Une cérémonie très intime avec la famille et quelques amis triés sur le volet. Pas

plus de 500 personnes. On s’est dit, puisqu’on est sur place et qu’on a tout sous la main, autant en

profiter.

Mme CHOMBIER : Bien sûr, puisque vous êtes sur place. Et le maire est au courant ?

Mr LAGOUTTE : Je comptais un peu sur vous pour lui annoncer la nouvelle… Puisque vous faites

partie des invités.

Mme CHOMBIER : Moi, je fais partie des invités !?

Mr LAGOUTTE : Vous n’avez pas reçu notre faire-part ?

Mme CHOMBIER : Non.

Mr LAGOUTTE : Alors là, c’est surprenant ! Enfin du moment qu’on s’est croisés, c’est du pareil au

même.

Mme CHOMBIER : C'est-à-dire que ce week-end… (Regardant vers l’entrée) Bon, voilà du monde.

Je vous propose d’en reparler ultérieurement.

Mr LAGOUTTE : Pas de problème. De toutes manières, c’est l’heure de sortir les vaches. J’en

profite. Comme le parking de la mairie n’est pas encore ouvert au public.

Mme CHOMBIER : Les vaches !... Oui, ça aussi, il faudra que nous en reparlions.

Tous le monde fait semblant de se remettre au travail. Madame Chombier et monsieur Lagoutte

sortent.

SCENE 7

Melle SIDONIE / Mme MOULINEUX / Mme CHOTARD / Mme CHOMBIER / JEFF / Mr

CHAVAGNOU

Le standard sonne. Mademoiselle Sidonie décroche.

Melle SIDONIE : Mairie de Savapas-sur-Pichon bonjour !... Ne quittez pas… C’est pour vous.

Mme CHOTARD (Après avoir décroché) : Oui bonjour madame… attendez, je prends votre

dossier…. (Elle cherche le dossier et le trouve) Alors, oui… Voilà, vous devez me préciser si le sexe

de votre conjoint est aussi de nationalité française… (Notant) Attention madame, le chômage, même

non rémunéré, est une source de revenus… Si, si c’est comme ça… Vous m’avez rempli la colonne B,

vous ne pouvez pas… Pourquoi ?... Mais madame, la colonne B est réservée aux utilisateurs de la

colonne C... Alors ensuite… Oui… Le nombre de vos employeurs ne peut pas être supérieur à 800…

C’est matériellement impossible… Ça vous ferait 54 employeurs par an… Autrement, votre dossier

indique 57 enfants à charge. Vous n’avez pas fait une erreur dans la virgule ?... C’est bien ce que je

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pensais… Je crois que tout est bon à par ça… Ah non attendez, vous me mettez ici la mention « peut-

être »… vous devez bien comprendre que ce « peut-être » ne peut pas être considéré comme une

réponse à la question " oui ou non "…. Ah si, il y a ça encore… Vous devez me renvoyer les

formulaires signés… Non madame, votre signature ne doit pas être tapée à la machine… C’est ça… Au

revoir madame… (Elle raccroche) Ah ! Les gens je te jure…

Melle SIDONIE (lisant une fiche) : Dites-moi madame Lotard…

Mme CHOTARD : Chotard, je vous l’ai déjà dit, mademoiselle Sidonie, Cho-tard.

Melle SIDONIE : Excusez-moi, j’ai un léger problème de compréhension avec les consignes de

sécurité.

Mme CHOTARD : Je vous écoute.

Melle SIDONIE (lisant une fiche) : C’est marqué : en cas d’incendie, surtout ne pas paniquer et écrire

au maire qui prendra les mesures nécessaires.

Mme CHOTARD : Et alors ?

Melle SIDONIE : Si le maire n’est pas là, qu’est-ce qu’on fait ?

Mme CHOTARD : Et les adjoints au maire, ils servent à quoi à votre avis ?...

Retour de madame Cruchon avec sa corbeille à papier.

Melle SIDONIE : Ça va mieux, madame Cruchon ?

Mme CRUCHON : Je suis désolée de vous avoir offert ce spectacle. J’ai horreur de me laisser aller en

public. J’espère que vous n’allez pas imaginer que ?…

Mme CHOTARD : Allons, allons madame Cruchon, on est entre nous. Si on ne peut même plus

vomir entre collègues, ou va-t-on ?

Mme CRUCHON : Oui, mais quand même, devant la petite.

Melle SIDONIE : Ne vous gênez pas pour moi. Je suis là pour apprendre.

SCENE 8

Melle SIDONIE / Mme CHOMBIER / Mme CHOTARD / Melle FAUSSART / Mr

GOULOUMATA / Mme CRUCHON / Mr CHAVAGNOU / Mme GRAZOTIN

Mademoiselle Faussart de la médecine du travail entre accompagnée de monsieur Gouloumata en

costume typique africain.

Mme CHOTARD : Tiens ! Mademoiselle Faussart. Comment allez-vous ? Ça fait longtemps qu’on ne

vous a pas vu à la mairie.

Mlle FAUSSART : Oui, j’étais en congés.

Mme CRUCHON : Vous êtes allée en Afrique ?

Mlle FAUSSART : Non, pourquoi me dite-vous ça ?

Mme CRUCHON : A cause de votre nouveau fiancé.

Mlle FAUSSART : J’ai l’impression qu’il n’y a pas que moi qui devrait prendre des congés. Je vous

présente monsieur Gouloumata. Il m’accompagne pour l’affaire qui nous amène. Madame Chombier

m’a appelée car il semble que vous ayez quelques problèmes avec votre responsable de l’entretient.

Mme CRUCHON : Mademoiselle Sidonie, vous pouvez prévenir madame Chombier que

mademoiselle Faussart est ici.

Melle SIDONIE : Madame Chombier ? Votre rendez-vous est arrivé… (À mademoiselle Faussart)

Elle arrive.

Madame Chombier entre.

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Mme CHOMBIER : Bonjour mademoiselle Faussart, merci d’être venue si vite… Tient ! Vous êtes

allée en Afrique ?

Mlle FAUSSART : Non, je ne suis pas allée en Afrique… Monsieur Gouloumata est là pour résoudre

votre problème. C’est un marabout très réputé dans son pays.

Mme CHOMBIER : Un marabout ?... La médecine du travail fait appel à des marabouts africains

pour régler les problèmes psychologiques des gens maintenant ?

Mlle FAUSSART : Vous savez bien que la Sécurité Sociale veut faire des économies.

Mme CHOMBIER : Et les marabouts vont l’aider à combler son déficit ?

Mlle FAUSSART : Pour l’instant, c’est purement expérimental.

Mme CHOMBIER : Bien. Bonjour monsieur Gouloumata. Je suis madame Chombier, la responsable

du personnel. Mademoiselle Faussart vous a mis au courant je crois ?

Mr GOULOUMATA : Il y a présentement des ondes négatives dans cette mairie.

Mlle FAUSSART : Pourriez-vous être plus précis.

Mr GOULOUMATA : Toutes les énergies positives et productives sont bloquées à l’entrée de ce

bâtiment.

Mme CHOTARD : Ça, on le savait que personne ne bossait dans cette mairie.

Mlle FAUSSART : Et qu’est-ce qui bloquent ces énergies à votre avis ?

Mr GOULOUMATA : Des pensées…

Mme CHOTARD : Y’a des gens qui pensent ici ?

Mme CRUCHON : Taisez-vous un peu !

Mr GOULOUMATA : Certaines personnes ici sont passées du côté obscure de la force.

Mme CHOTARD : Au secours ! Dark Vador est dans la mairie !

Mme CHOMBIER : Sortez madame Chotard !

Mme CHOTARD : Vous avez raison. Je préfère m’en aller que d’entendre des conneries pareilles.

Madame Chotard sort.

Mlle FAUSSART : Continuez… Qu’entendez-vous par côté obscure de la force ?

Mr GOULOUMATA : Des gens mal intentionnés ont décidé ici de faire du ce service public ouvert à

tous, un service privée… de tout.

Mlle FAUSSART : Oh quelle horreur !

Mme CRUCHON : Des anarchistes !?

Melle SIDONIE : Des terroristes !?

Mr GOULOUMATA : Non, il s’agit de personnes ayant un rapport avec l’eau.

Mme CRUCHON : Monsieur Chavagnou !

Mme CHOMBIER : Et pourquoi monsieur Chavagnou ? Quel rapport avec l’eau ?

Mme CRUCHON : C’est le seul à boire du pastis dans cette mairie.

Mr GOULOUMATA : Non, c’est une femme.

Mme CHOMBIER : Madame Grazotin. En en revient toujours à elle.

Mlle FAUSSART : Pouvez-vous faire venir madame Grazotin ?

Mme CHOMBIER : Est-ce qu’elle a un poste fixe où on peut la joindre ?

Melle SIDONIE : Je n’ai rien sur ma liste.

Mme CHOMBIER : Monsieur Chavagnou !

Monsieur Chavagnou entre.

Mr CHAVAGNOU : Oui madame.

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Mme CHOMBIER : Comment fait-on pour joindre madame Grazotin ?

Mr CHAVAGNOU : Vous lui passez un coup de fil.

Mme CHOMBIER : Personne ne trouve son poste.

Mr CHAVAGNOU : Mademoiselle Sidonie, regardez sous le standard.

Melle SIDONIE : Je ne vois rien à part une boite de conserve.

Mr CHAVAGNOU : C’est ça, sortez-la.

Mademoiselle Sidonie sort une boite de conserve vide à laquelle est relié un fil de nylon qui part dans

les couloirs de la mairie.

Mr CHAVAGNOU : On n’a jamais réussi à relier le sous-sol avec le standard, alors on utilise les

bonnes vieilles méthodes.

Melle SIDONIE : Et ça fonctionne ?

Mr CHAVAGNOU : Ecoutez, vous allez voir… Allo, il y a quelqu’un au sous-sol ?... Oui, madame

Grazotin, c’est monsieur Chavagnou… Vous pouvez venir, il y a madame Chombier qui vous

demande… (Il repose sa boite) Elle arrive.

Mlle FAUSSART : Je pense que nous allons devoir aborder ce problème avec tact et modération…

Est-ce que madame Grazotin est sujet à des actes de violences ?

Mme CHOMBIER : Pas à ma connaissance, pourquoi ?

Mlle FAUSSART : Il ne faut prendre aucun risque. Heureusement, monsieur Gouloumata est non

seulement marabout, mais il est aussi ceinture noire de karaté.

Melle SIDONIE : Je crois que la voilà… Il me semble entendre son chariot.

On entend d’abord le bruit des roulettes du chariot de madame Grazotin qui couinent, puis cette

dernière entrer.

Mme GRAZOTIN : Vous m’avez appelez madame Chombier ?

Mme CHOMBIER : Oui, venez par ici. Je vous présente mademoiselle Faussart et monsieur

Gouloumata.

Mme GRAZOTIN : Enfin, ce n’est pas trop tôt ! Vous vous décidez enfin à venir chasser la vermine

dans cette mairie.

Mlle FAUSSART : Je crois qu’il y a un malentendu.

Mme GRAZOTIN : Vous ne venez pas pour les rats ?

Mlle FAUSSART : Non, nous venons pour vous voir et discuter un peu ensemble de vos soucis.

Mme GRAZOTIN : Je n’ai aucun souci.

Mlle FAUSSART : Rassurez-vous, nous sommes ici pour vous aider.

Mme GRAZOTIN : Vous voulez faire le ménage avec moi ?

Mlle FAUSSART : Nous sommes venus vous voir pour régler vos petits problèmes relationnels avec

vos collègues et monsieur Gouloumata va vous aider à chasser toutes ces idées noires qui trottent dans

votre tête.

Mme GRAZOTIN : Ca y est, j’ai compris, vous voulez vous débarrasser de moi !

Mme CHOMBIER : Mais pas du tout !

Qu’est-ce que vous allez imaginer.

Mr CHAVAGNOU : Vous êtes, comme qui dirait, de la famille.

Mme CRUCHON : Tous ici, nous vous tenons en très haute estime.

Mlle FAUSSART : Vous allez gentiment vous laisser faire par monsieur Gouloumata et après tout ira

beaucoup mieux.

Mme GRAZOTIN : Et si je refuse ?

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Mme CHOMBIER (À monsieur Chavagnou et mademoiselle Sidonie) : Tenez-la !

Monsieur Chavagnou et mademoiselle Sidonie se précipitent sur madame Grazotin, la maintiennent

fermement et l’assoie sur une chaise.

Mr GOULOUMATA (Faisant des gestes incantatoires avec ses mains) : Regardez-moi bien dans les

yeux, vous êtes maintenant en mon pouvoir.

Mme GRAZOTIN : Vous avez les mains sales.

Mr GOULOUMATA : Quoi !?... (Regardant ses mains) Mais non, je n’ai pas les mains sales. Je les ai

lavées avant de venir… (Faisant des gestes incantatoires avec ses mains) Vous êtes maintenant en

mon pouvoir…

Mme GRAZOTIN : Vous utilisez quoi comme savon ?

Mr GOULOUMATA : Du savon de Marseille pourquoi ?

Mme GRAZOTIN : Je me méfie un peu du savon de Marseille, il dessèche un peu la peau.

Mr GOULOUMATA : Vous êtes sûre ?

Mlle FAUSSART : Excusez-moi, monsieur Gouloumata, mais nous pourrions peut-être en revenir à

notre problème.

Mr GOULOUMATA : C’est vrai, nous nous égarons. (Faisant des gestes incantatoires avec ses

mains) Regardez-moi bien dans les yeux, vous êtes maintenant en mon pouvoir… Qui que tu sois

démon, sort de ce corps et retourne à jamais dans les limbes…

Mme GRAZOTIN : C’est quoi des limbes ?

Mr GOULOUMATA : Ecoutez, si vous m’interrompez toutes les deux minutes, je n’y arriverai

jamais… sort de ce corps et retourne à jamais dans les limbes. Oh grand dieu de la sagesse ! Redonne à

cette femme l’équilibre mental et la sérénité qui lui font défaut. (De nouveau des grands gestes) Et

voilà, c’est fait !

Mlle FAUSSART : Bravo monsieur Gouloumata. Démonstration très impressionnante.

Melle SIDONIE : On se serait cru dans l’Exorciste.

Mr GOULOUMATA : Merci, merci.

Mme GRAZOTIN : Bon, vous avez fini vos bêtises ? Je peux retourner à mes serpillères ?

Mme CHOMBIER : Ça va madame Grazotin ? Vous vous sentez comment ?

Mme GRAZOTIN : Comme quelqu’un qui a du boulot et qu’on enquiquine. Au fait, madame

Chombier vous avez bien noté les gousses d’ail dans ma liste de produits d’entretien à acheter… C’est

pour mettre dans le bureau de monsieur le maire pour l’affaire dont je vous parlais tout à l’heure…

Bon, eh bien, si vous avez besoin de moi, je suis dans mon trou… Au fait, vous ne perdez rien pour

attendre, je me vengerai de cet affront.

Madame Grazotin repart avec son chariot grinçant.

Mme CHOMBIER : Le changement n’est pas très visible.

Mr GOULOUMATA : Il faut attendre que les effets incantatoires se propagent dans tout le corps.

Mme CHOMBIER : Et ça prend combien de temps en général ?

Mr GOULOUMATA : Entre cinq et dix ans.

Mme CHOMBIER : Eh bien, il ne faut pas être pressé.

Mlle FAUSSART : J’en conviens, la médecine douce n’a pas d’effets visibles immédiats. Mais mieux

vaut prendre son temps que de pratiquer un traitement de choc qui pourrait avoir des conséquences

dévastatrices sur l’état mental de madame Grazotin.

Mme CHOMBIER : Si vous le dite. Après tout c’est vous la spécialiste… Bon, je ne vais pas vous

retenir plus longtemps. Merci d’être passé et à tout à l’heure pour ce que vous savez.

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Mlle FAUSSART : Ne vous inquiétez pas, je serais là.

Mademoiselle Faussart et monsieur Gouloumata repartent.

Mme CHOMBIER : Eh bien, le trou de la sécu a encore de beaux jours devant lui.

Mr CHAVAGNOU : Ce n’est plus le trou qu’on devra dire, mais de la crevasse de la sécu.

Sortie de monsieur Chavagnou et retour de madame Chotard.

Mme CHOTARD : Ça y est ? L’inquisition est repartie ?

Mme CHOMBIER : Encore un commentaire madame Chotard et vous êtes dégradée !

Madame Chombier sort contrariée.

SCENE 9

Mr LAGOUTTE / Mr CHAVAGNOU / Mme CHOTARD / Mme CRUCHON / Melle SIDONIE /

Mme CHOMBIER

Monsieur Lagoutte entre en courant et pose un pot au lait sur le guichet.

Mr LAGOUTTE (Paniqué) : Excusez-moi, quelqu’un pourrait-il m’aider ? Il y a ma Germaine qui est

en train de courir dans les couloirs et je n’arrive à l’arrêter. Comme elle a des petits problèmes de

digestion, je ne voudrais pas qu’elle vous salisse vos couloirs. Vous comprenez ?

Mme CRUCHON : J’ai bien peur que nous ne soyons pas les mieux placées pour nous occuper de vos

histoires de famille.

Mme CHOTARD (Criant) : Albert !!

Monsieur Chavagnou entre avec un escabeau et une caisse à outils.

Mr CHAVAGNOU : Quoi ?

Mme CHOTARD : Tu peux aider monsieur Lagoutte à courir après sa femme.

Mr CHAVAGNOU : Pardon ?

Mme CHOTARD : Madame Lagoutte a une gastro et il a peur qu’elle se laisse aller dans les couloirs.

Mr CHAVAGNOU : Vous vous foutez de moi ?

Mr LAGOUTTE : Mais il ne s’agit pas de ma femme. Germaine, c’est ma vache.

Mme CRUCHON : Excusez-moi, mais vous conviendrez avec moi, que présentée comme ça, il y

avait matière à confusion.

Mr CHAVAGNOU : Ecoutez monsieur Lagoutte, je veux bien vous aider à rattraper votre vache,

mais je ne m’occupe pas de vos bouses, c’est clair ?

Mme CHOTARD : Vous n’avez qu’à me les mettre de côté, vos bouses. Comme ça, ça me fera de

l’engrais pour mes plantes.

Melle SIDONIE : Je vous en prendrais un petit peu pour mon cactus.

Mr LAGOUTTE : Je vous ai amené un pichet de lait tout frais madame Cruchon, comme je sais que

vous aimez ça. Et dans votre état, le lait c’est ce qu’on fait de mieux.

Mme CRUCHON : Vous savez parler aux femmes vous. (Regardant dans le pichet) Dites-moi

monsieur Lagoutte, je ne prétends pas être une spécialiste en matière de produits laitiers, mais qu’est-

ce que c’est que ces petites taches marrons qui flottent dans le lait ?

Mr LAGOUTTE : C’est rien. Comme je vous l’ai dis, ma Germaine est un peu dérangée des intestins.

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C’est possible qu’il y ait quelques petites traces de rien… Mais avec une bonne poudre de cacao, ça

passera inaperçu.

Melle SIDONIE : C’est vrai que c’est drôle du lait marron clair.

Mr LAGOUTTE : Vous voulez que je vous en serve un verre, il est encore chaud ?

Mme CRUCHON : Ne le prenez pas mal monsieur Lagoutte, je sais que ça part d’une bonne intention,

mais je me le réserve pour mon quatre heures, si vous voulez bien.

Mr CHAVAGNOU : Bon, je vous laisse mon escabeau et ma caisse à outils. Si vous ne savez pas

quoi faire, vous pouvez toujours essayer de réparer l’affichage électronique des numéros de passage.

Mme CHOTARD : Ne comptez pas sur moi pour prendre un tournevis, je ne sais même dans quel

sens il faut l’utiliser.

Melle SIDONIE : Ah bon, parce c’est le même tournevis qui sert à visser et à dévisser ?

Mr LAGOUTTE : Si je pouvais me permettre, je vous demanderais de ne pas dire à madame

Chombier qu’une de mes vaches est en liberté dans les couloirs de la mairie, j’ai peur qu’elle ne le

prenne pas bien.

Mme CHOTARD : Ne vous inquiétez pas, comme les grosses vaches ce n’est pas ça qui manquent

dans nos services, elle ne devrait s’apercevoir de rien.

Mme CRUCHON : Madame Chotard ! Ne vous moquez pas des collègues qui un ont peu

d’embonpoint.

Mme CHOTARD : Mais je ne disais pas ça pour vous… Heu, je voulais dire que…

Mme CRUCHON : J’ai fort bien compris votre allusion madame Chotard. Et vous me décevez

beaucoup, vous savez ?... Mais enfin pour moi, l’incident est clos.

Mr CHAVAGNOU : Allez, on y va monsieur Lagoutte. (Aux employées) Faîtes comme d’habitude,

continuez à utiliser le maillet pour changer les numéros de passage… Ah oui, pour le micro, il faut le

secouer pour qu’il marche et si la sonnerie ne fonctionne pas, vous devrez la faire vous-même.

Monsieur Chavagnou et monsieur Lagoutte sortent.

Mme CHOTARD : Moi, je vais finir par demander une prime de risque au maire.

Melle SIDONIE : Pourquoi ça ?

Mme CHOTARD : Hier, je me suis tapée sur les doigts pas moins de six fois et je me suis même

casser un ongle. Regardez ça.

Melle SIDONIE : Moi à votre place, je considérerai ça comme un accident de travail ?

Mme CHOTARD : Et rester chez moi ! Et puis quoi encore ! Avec tout le ménage et la lessive qui me

reste à faire. Ça s’appelle guérir la peste pour attraper le choléra… Bon allez, qu’elle heure vous

avez ?…

Melle SIDONIE : Onze heures.

Mme CHOTARD (Appelant au loin) : Madame Chombier ! Madame Moulineux ! Il est onze heures.

VOIX OFF DE Mme CHOMBIER : Et alors ?

Mme CHOTARD : C’est le jour de la mise en place du nouveau règlement que vous devez nous

expliquer

Madame Chombier entre.

Mme CHOMBIER : Je ne sais pas ce que fabrique monsieur Chavagnou avec ses peintures, mais la

nouvelle décoration des murs est d’un goût douteux.

Mme CHOTARD : Vous ne saviez pas qu’il était daltonien ?

Mme CHOMBIER : Enfin quoi, on ne confie le choix des couleurs à un daltonien… Nous sommes

dans une mairie quand même, pas à la MJC de Trifouillis-les-Trois-Patates… Eh, vous allez rire. Vous

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savez ce que j’ai cru voir passer dans les couloirs tout à l’heure ?

Melle SIDONIE : Non, madame Chombier.

Mme CHOMBIER : Il m’a semblé voir passer une vache.

Mme CRUCHON : Ah non, ça ne va recommencer !

Mme CHOMBIER : Mais enfin madame Cruchon, pourquoi vous mettez-vous dans tout ces états ?

Mme CRUCHON : Ce n’est rien… Aucune importance.

On entend d’abord le bruit des roulettes du chariot de madame Grazotin qui couinent.

Mme CHOMBIER : Plus un mot, voilà madame Grazotin. Faite comme si elle n’existait pas.

Madame Grazotin entre méfiante, laisse son chariot et commence à tourner autour de ses collègues

avec un balais. Madame Moulineux entre avec un gobelet à café à la main.

Melle SIDONIE : Tiens ! Vous avez réussi à prendre un café ?

Mme MOULINEUX : Les oies sont de sortie.

Mme CRUCHON : Ah oui, les oies ! J’aime bien les oies.

Mme CHOMBIER : Elles sont combien déjà ?

Mme MOULINEUX : Quatre.

Melle SIDONIE : Quatre ? Ah, il me semblait en avoir vu cinq.

Mme MOULINEUX : Vous allez l’air bizarre.

Mme CHOTARD : Non, c’est vrai, elle a raison : cinq ce n’est pas pareil que quatre.

Madame Grazotin repart méfiante.

Mme CHOTARD : Ça y est, elle est repartie… Allez, il est onze heures.

Mme CHOMBIER : Vous avez raison, revenons à nos moutons… (Réaction de madame Cruchon)

Quoi j’ai dis mouton, je n’ai pas dis vache !... Vivement le congé maternité… Bref, avec la crise et la

restriction des budgets et du personnel, vous allez devoir être dès aujourd’hui beaucoup plus concis et

plus efficace avec nos concitoyens. L’accueil est et doit rester un endroit privilégié, un sanctuaire,… je

dirais même plus : un havre de paix et de sérénité pour les personnes qui viennent à la mairie…

(Sortant trois feuilles et les donnant à mademoiselle Sidonie) Voici le nouveau protocole à appliquer à

la lettre… Tenez ça tombe bien, voici justement une personne… Vous allez pouvoir mettre tout ça en

pratique… Fermeté et politesse, telle est notre devise. Venez avec moi mademoiselle Sidonie, je vais

vous expliquer comment fonctionne une photocopieuse.

Melle SIDONIE : J’aurais le droit d’en faire une ou deux ?

Mme CHOMBIER : Nous verrons, nous verrons… Il faut déjà que j’arrive à l’allumer.

Melle SIDONIE : Je pourrais peut-être vous aider, j’ai un master en reprographies en milieu citadin

hostile.

Madame Chombier, mademoiselle Sidonie et madame Chotard sortent. Madame Moulineux retourne à

la cafétéria.

SCENE 10

Mme CRUCHON / Mme MARTINOT

Madame Martinot entre. C’est apparemment une mère famille puisqu’elle pousse un landau. Elle tient

aussi une pochette en plastique et se dirige vers madame Cruchon en passant par le couloir de file

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d’attente. Madame Cruchon donne un coup de maillet sur un appareil derrière les guichets puis tapote

deux fois dans le micro qui ne marche pas.

Mme CRUCHON (d’une voix faible) : Suivante. (Criant) Suivante !!!

Mme MARTINOT : Bonjour Madame, je voudrais…

Mme CRUCHON : Attendez (lisant la feuille)…Votre ticket s’il-vous plaît.

Mme MARTINOT : Mon ticket ? Pour quoi faire ?

Mme CRUCHON : Parce que c’est le nouveau règlement madame. Entre 11 h et 11 h 15, les gens

doivent prendre un ticket et attendre qu’on les appelle.

Mme MARTINOT : Mais je suis toute seule ici.

Mme CRUCHON : Et moi alors, je suis invisible ?

Mme MARTINOT : Non, pas du tout, mais vous, vous travaillez ici.

Mme CRUCHON : Qu’en savez-vous ?

Mme MARTINOT : Vous ne travaillez pas ici ?

Mme CRUCHON : Mais enfin, ça ne vous regarde pas !

Mme MARTINOT : Ah bon !… Et où doit-on prendre le ticket ?

Mme CRUCHON : Vous devez me le demander.

Mme MARTINOT : Ah !... Pourrais-je avoir un ticket s’il-vous-plaît madame.

Mme CRUCHON : Et ben voilà, ce n’était quand même pas si difficile que ça. Donnez-moi votre

ticket jaune.

Mme MARTINOT : Mais je viens de vous dire que je n’en avais pas.

Mme CRUCHON : Ah mais attention ! Moi, je donne des tickets bleus. Si vous voulez que je vous

fournisse un ticket bleu, il faut me montrer le ticket jaune.

Mme MARTINOT : Ah bon !… Et où trouve-t-on le ticket jaune ?

Mme CRUCHON : C’est le guichet d’à côté.

Mme MARTINOT : Merci.

Mme CRUCHON : A votre service.

Madame Martinot prend le couloir en sens inverse avec son landau pendant que Mme Cruchon change

de guichet.

Mme MARTINOT : Ah !... Re-bonjour. Pourrais-je avoir un ticket madame la fonctionnaire de

l’administration communale ?

Mme CRUCHON : Bleu ou jaune ?

Mme MARTINOT : Bleu ! (Se ravisant) Non, jaune !!

Mme CRUCHON : Vous êtes sûre ?

Mme MARTINOT : Oui, oui, un ticket jaune.

Mme CRUCHON (lui donnant un ticket jaune) : Tenez.

Mme MARTINOT : Et maintenant ?

Mme CRUCHON : Qu’est-ce que vous lisez sur le ticket ?

Mme MARTINOT : A.

Mme CRUCHON : Et sur ce guichet ?

Mme MARTINOT : B… Donc ?

Mme CRUCHON : Si votre ticket est marqué B et que je suis au guichet A cela veux dire que vous ne

pouvez pas me le donner. Avec ce ticket jaune, vous devrez vous rendre au guichet B et là-bas, on vous

donnera les renseignements que vous désirez.

Mme MARTINOT : Merci beaucoup Madame.

Mme CRUCHON : A votre service.

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Madame Martinot cherche le guichet indiqué. Pendant ce temps, madame Cruchon retourne à son

premier guichet et retourne une pancarte marquée : guichet B.

Mme MARTINOT : Mais c’est vous le guichet B.

Mme CRUCHON : Je n’ai pas dit le contraire… Vous désirez ?

Madame Martinot reprend le couloir d’attente et se dirige vers le guichet.

Mme MARTINOT : Je voudrais…

Mme CRUCHON : Votre ticket s’il-vous plaît.

Madame Martinot, légèrement excédée, donne son ticket jaune. Madame Cruchon lui donne un ticket

bleu.

Mme CRUCHON : Allez vous asseoir et attendez que je vous appelle.

Mme MARTINOT : Mais je suis toute seule ici !

Mme CRUCHON : Allez vous asseoir et attendez que je vous appelle.

Madame Martinot reprend le couloir en sens inverse et va s’asseoir. Madame Cruchon prend le

maillet et tape sur un bouton derrière son guichet : le nombre 12 apparait sur le petit écran.

Mme CRUCHON (faiblement) : N° 12… (Criant dans le micro) N° 12 !!!

Madame Martinot se lève sans comprendre et se dirige en courant vers le guichet.

Mme CRUCHON : Vous êtes la n° 12 !

Mme MARTINOT : Heu oui !

Mme CRUCHON : Votre ticket. (Mme Martinot lui le ticket jaune) Je vous écoute.

Mme MARTINOT : Alors voilà, je voudrais…

Pendant que Madame Martinot parle, madame Cruchon regarde sa montre, se lève brusquement et se

dirige en courant vers la cafétéria.

Mme MARTINOT : Madame, je vous parle.

Mme CRUCHON : Désolée, mais c’est l’heure de ma pause. Ma collègue ne va pas tarder à arriver.

Madame Cruchon sort. Madame Martinot, énervée, fait les cents pas dans le hall d’accueil en essayant

de calmer le bébé dans le landau.

SCENE 11

Mme MARTINOT / Mme MOULINEUX

Madame Moulineux entre dans le dos de madame Martinot et vient s’asseoir à son guichet. Elle prend

le maillet et tape sur un bouton derrière le guichet : le nombre 13 apparait sur le petit écran.

Mme MOULINEUX : Suivante ! (faiblement) N° 13… (Criant dans le micro) N° 13 !!!

Mme MARTINOT : Bonjour Madame, je voudrai…

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Mme MOULINEUX : Votre ticket s’il-vous plaît.

Mme MARTINOT : Mais je viens de le donner à votre collègue, il y a un instant.

Mme MOULINEUX : Ah ! C’est bizarre… Je viens juste de la croiser et elle ne m’en a pas parlé…

Restez ici, je vais aller me renseigner.

Mme MARTINOT : Non, non, ce n’est pas grave. Un ticket jaune, s’il-vous-plaît.

Mme MOULINEUX : (lui donnant un ticket jaune) : Voilà.

Madame Martinot prend le couloir en sens inverse avec son landau pendant que madame Moulineux

change de guichet.

Mme MARTINOT (lui donnant un ticket jaune) : Un ticket bleu, s’il-vous-plaît.

Mme MOULINEUX : (lui donnant un ticket bleu) : Voilà.

Madame Moulineux lui redonne un ticket bleu et va rapidement s’asseoir. Madame Moulineux prend le

maillet et tape sur un bouton derrière le guichet : le nombre 14 apparait sur le petit écran.

Mme MOULINEUX (faiblement) : N° 14… (Criant dans le micro) N° 14 !!!

Madame Martinot bondit de sa chaise et se précipite vers le guichet en prenant toujours le couloir.

Mme MOULINEUX : Que puis-je pour vous ?

Mme MARTINOT : Alors voilà, je voudrais…

Le portable de madame Moulineux sonne. Elle décroche.

Mme MOULINEUX : Allô oui ?… Salut, ma chérie, comment tu vas ?…. Oui, tu sais que ça fait des

semaines qu’on ne s’est pas parlé au téléphone toutes les deux… Ah la la, comme le temps passe

vite… M’en parle pas, je n’arrête pas, je suis débordée de travail… Au fait, tu sais pour Robert ?…

Mais si, Robert, le beau frère de Micheline, celle qui travaille à la comptabilité et qu’a les cheveux

frisés… Et ben figure toi que Robert, il est en arrêt maladie… Si je te jure…

Mme MARTINOT : Heu, s’il-vous-plaît ?

Mme MOULINEUX : (À sa correspondante) Attends une seconde... (A Madame Martinot) Qu’est-ce

que vous voulez, vous ?

Mme MARTINOT : Je voudrais immatriculer ma voiture. Voilà ce que je veux !

SCENE 12

Mme MARTINOT / Mme MOULINEUX / Mme CHOMBIER / Mr CHAVAGNOU / Mme

CRUCHON / Mme CHOTARD / Melle SIDONIE

Monsieur Chavagnou entre et reprend son escabeau et sa caisse à outils. Il ouvre ensuite son escabeau

et se met au travail.

Mme MOULINEUX (Criant) : Madame Chombier !!!

Mme CHOMBIER : Mais ce n’est pas vrai, vous ne pouvez rien faire sans moi ! Une administration

d’assistés, voilà ce que j’ai ! Qu’est-ce qui se passe encore ?

Mme MOULINEUX : Désolée madame Chombier, mais cette jeune personne voudrait immatriculer

sa voiture. Comment doit-elle s’y prendre ?

Mme CHOMBIER : Vous n’avez qu’à lui dire de revendre sa voiture et d’essayer la trottinette…

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Non, mais c’est vrai quoi ! Je ne vais quand même pas vous tenir la main à chaque fois que vous avez

un petit problème administratif, madame Moulineux ! Ça fait tout de même 25 ans que vous travaillez

dans cette mairie. Vous, vous allez me suivre ce stage d’autonomie fonctionnelle organisé par le CE, je

suis sûre que ça vous fera le plus grand bien et à nous aussi. Et vous monsieur Chavagnou, vous n’avez

rien d’autre de mieux à faire que d’écouter les conversations des autres ?

Madame Chombier ressort.

Mr CHAVAGNOU : Eh ben, sale temps pour les fonctionnaires.

Mme MOULINEUX : Vous, on ne vous a rien demandé, d’accord ? (Au téléphone) T’es toujours là.

Oui, je te reprends dans trois minutes. (Criant) Madame Cruchon !!!

Madame Cruchon entre avec son tricot à la main.

Mme CRUCHON : Oui, c’est pour quoi ?

Mme MOULINEUX : Madame voudrait immatriculer sa voiture. Comment doit-elle s’y prendre ?

(Puis retourne à sa correspondante)

Mme CRUCHON (Enervée) : Mais qu’est-ce que j’en sais moi !... Je suis responsable de la Caisse des

Ecoles, pas de la caisse de madame… (Criant) Madame Chotard !... Madame Chotard !!... Madame

Chotard !!!

Madame Chotard entre.

Mme CRUCHON : Madame voudrait immatriculer sa voiture. Comment qu’elle doit faire ?

Mme CHOTARD : Elle ne peut pas prendre les transports en commun comme tout le monde celle-là

!... Et puis, c’est du boulot de stagiaire… (Criant). Mademoiselle Sidonie.

Mademoiselle Sidonie entre en buvant son café.

Melle SIDONIE : Oui, madame Flotard.

Mme CHOTARD : Chotard pas Potard, ni Motard ou Grotard : CHOTARRRRRD !!! Bref… Ma

petite Sidonie, nous allons voir si vous avez bien retenu nos petites leçons en matière d’administration

locale… La dame ici présente, voudrait immatriculer son véhicule personnel. Comment doit-elle s’y

prendre à votre avis ?

Melle SIDONIE : L’administration locale n’étant pas habilitée à immatriculer les véhicules, madame

devra donc se rendre à la préfecture ou à la sous-préfecture de son domicile fiscal.

Mme CHOTARD : Exact ma petite Sidonie, c’est la bonne réponse. Il faut qu’elle aille à la préfecture.

(A Madame Cruchon) La préfecture.

Mme CRUCHON (à madame Moulineux) : La préfecture.

Mme MOULINEUX (stoppant sa conversation téléphonique) : Pardon.

Mme CRUCHON (à madame Moulineux): Faut qu’elle aille à la préfecture !

Mme MOULINEUX : Faut que vous alliez à la préfecture. Ici, on ne peut rien faire pour vous.

Madame Chotard, madame Cruchon et mademoiselle Sidonie sortent.

Mr CHAVAGNOU : Vous m’auriez posé la question, moi je vous l’aurais dit tout de suite que c’était

la préf.

Mme MOULINEUX : Désolée, mais dans l’administration, il nous faut des réponses patentées,

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certifiées et contrevérifiées, données par des personnes dûment habilitées et responsables. Si n’importe

qui pouvait répondre aux questions administratives, à quoi on servirait nous, hein ? (Puis retourne à sa

correspondante)

Mr CHAVAGNOU : Moi ce que j’en disais, c’était pour rendre service.

Monsieur Chavagnou sort.

Mme MARTINOT : Et la préfecture, elle est où ?

Mme MOULINEUX (Stoppant sa conversation téléphonique) : Pardon.

Mme MARTINOT : La préfect… Rien, laissez tomber.

Mme MOULINEUX (Retournant à sa conversation téléphonique) : Ah je te jure, les gens, ils ne

savent pas ce qu’ils veulent. Y’a une bonne femme qui me tient la jambe depuis une demi-heure et tu

sais pourquoi ?… Pour rien. Elle s’était trompée d’adresse… Ah je te jure !

Mme MARTINOT (comme une confidence) : Madame, venez voir.

Mme MOULINEUX (S’approchant de madame Martinot) : Quoi ?

Mme MARTINOT : Vous avez vu là par terre ?

Mme MOULINEUX : Quoi donc ?

Mme MARTINOT : Vous ne voyez pas ? Il y a une grosse erreur de l’administration.

Mme MOULINEUX : Non, je ne vois pas.

Madame Martinot donne un grand coup de pochette plastique sur la tête de madame Moulineux qui

s’écroule. Madame Martinot sort en sifflotant.

SCENE 13

Mme MOULINEUX / Mme CHOTARD / Mme CHOMBIER / Melle SIDONIE / Mr

CHAVAGNOU / Mme CRUCHON / Mr LAGOUTTE

Entendant du bruit, tout le personnel de la mairie entre en courant. Voyant madame Moulineux

évanouie au milieu de la pièce, tout le monde se précipite vers elle. Monsieur Lagoutte entre peu après

avec un panier, s’assoit à l’accueil et commence à équeuter des haricots verts.

Mme CHOTARD (Essayant de la ranimer) : Elle a dû faire un malaise.

Melle SIDONIE (Essayant de la ranimer) : hou, hou, madame Moulineux.

Mme MOULINEUX (Se réveillant) : Qu’est-ce qui se passe ?… Où suis-je ?

Mme CRUCHON : Vous êtes à la mairie.

Mme MOULINEUX (Dans les vapes) : C’est quoi une mairie ?

Mr CHAVAGNOU : Quand même, ce n’est pas beau à voir les ravages du Picon-bière.

Mme CHOMBIER : J’ai peut-être été un peu dure avec elle tout à l’heure.

Mr LAGOUTTE (équeutant ses haricots) : Si vous voulez, je peux lui faire du bouche-à-bouche. J’ai

quelques notions de secourisme.

Mme CHOMBIER : Non, ce ne sera pas la peine. Allez vous reposer à la cafétéria. L’air de la

campagne vous fera du bien… Monsieur Chavagnou, aidez-la. Madame Chotard, remplacez-la.

Mme CHOTARD : Bien sûr, Madame Chombier.

Mme CHOMBIER : Vous êtes trop surmenée, madame Moulineux, il faut vous reposer.

Mme MOULINEUX (Dans les vapes) : Oh ! Les jolis petits oiseaux.

Monsieur Chavagnou sort en aidant Madame Moulineux.

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Melle SIDONIE : On est loin d’imaginer les douleurs morales et les souffrances intellectuelles que

certains collègues peuvent vivre au quotidien sur leur lieu de travail.

Mme CRUCHON : Et moi qui me targuai de bien la connaître. Comme quoi, les grandes douleurs

sont muettes.

Melle SIDONIE : Je pourrais peut-être la remplacer.

Mme CHOMBIER : Madame Moulineux est irremplaçable !!

Monsieur Lagoutte sort.

Mme CRUCHON : On n’en fait plus des comme elle.

Mme CHOTARD : On a cassé le moule.

Mme CHOMBIER : Occupez-vous du standard et attendez encore quelques années pour prétendre

vous élever au niveau de madame Moulineux.

Mme CHOTARD : Et toc !

Mme CHOMBIER : Tiens ! Ça fait longtemps qu’on a pas vu madame Grazotin.

Mme CHOTARD : Pourvu que ça dure.

Madame Chombier repart dans son bureau. Monsieur Lagoutte revient avec un autre panier et un képi

(type guide touristique) qu’il met sur sa tête, ainsi qu’une veste qu’il enfile. Dans son panier se

trouvent des boites de confit et des rillettes de canard qu’il dispose sur les bureaux de l’accueil ainsi

que qu’un carton annonçant les tarifs des conserves.

SCENE 14

Mme CHOTARD / Mme CRUCHON / Mr LAGOUTTE / Melle SIDONIE / TOURISTES

Mme CHOTARD : Vous ouvrez une boutique au quoi, monsieur Lagoutte ?

Mr LAGOUTTE (disposant ses conserves) : Pas du tout. Vous savez que les temps sont durs pour

nous en matière de finance.

Mme CHOTARD : M’en parlez pas, cette crise je ne la supporte plus. Bientôt, c’est moi qui vais en

faire une. Et celle-là, elle va faire du bruit.

Mme CRUCHON : Vous vous rendez compte madame Chotard que cette année il n’y aura aucune

réduction sur les sacs Vuitton pendant les soldes. Moi qui voulais m’en offrir un pour y mettre mon

yorkshire. Je suis très déçue. Enfin, il se rattrapera avec la laisse Hermès. On ne pas tout avoir non

plus.

Mme CHOTARD : Si vous n’étiez pas enceinte madame Cruchon, je vous aurais sincèrement

plainte… avec ma main dans la figure !

Mme CRUCHON : Pourquoi vous vous énervez comme ça ? Qu’est-ce que j’ai dit ?

Mme CHOTARD : Rien, rien. C’est mes pieds qui me font mal.

Mme CRUCHON : Vous m’en voyez rassurée. Un moment, j’ai cru vous avoir froissée.

Mme CHOTARD : Tiens, puisque vous êtes là monsieur Lagoutte, aidez-moi à retirer mes moon

boots. Venez aussi mademoiselle Sidonie.

Monsieur Lagoutte et mademoiselle Sidonie prennent une moon boots dans leurs mains et tirent de

toutes leurs forces.

Mr LAGOUTTE : Elles sont soudées à vos pieds ou quoi ?

Mme CHOTARD : Tirez donc, je sens que ça vient !

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La moon boots se retire avec élan.

Mme CHOTARD (comblée) : Qu’est-ce que ça fait du bien ! A l’autre maintenant.

Mêmes effets, mêmes résultats.

Mme CHOTARD : Merci beaucoup. Madame Cruchon, vous pourriez me passez le sac en plastique à

coté de vous.

Mme CRUCHON : Tiens en parlant de ça, vous savez que nous disposons d’un petit réfrigérateur

dans le coin cuisine.

Madame Cruchon donne le sac à madame Chotard.

Mme CHOTARD : Oui et alors ?

Mme CRUCHON : Personnellement, je pense que vos fromages y seront mieux conservés.

Mme CHOTARD : Mais de quoi vous parlez ?

Cette dernière sort de son sac une paire de pantoufles d’un goût douteux et les enfile. Elle range

ensuite ses moon boots dans le même sac.

Mme CRUCHON : Oubliez ce que j’ai dit.

Mme CHOTARD : Alors, monsieur Lagoutte, qu’est-ce que vous nous préparez cette fois comme

catastro… comme surprise.

Mr LAGOUTTE : J’ai réussi à convaincre des touristes étrangers pour qu’ils viennent visiter votre

mairie. Normalement, ils ne devraient pas tarder à arriver… Tiens ! Justement les voilà.

Une série de touristes entre dans la mairie.

Mr LAGOUTTE (avec un mauvais anglais ainsi qu’un mauvais accent.) : Welcome in the mairie of

Savapas-sur-Pichon. I’m monsieur Lagoutte, your guide for your visite.

Flash photo et commentaires en langues étrangères des touristes.

Mr LAGOUTTE : Thank you ! Ladies and gentlemen, you are in the accueil of the mairie. (Circulant

dans l’accueil avec ses touristes) A fauteuils of the accueil and the table basse for the newspapers…

Your attention ladies and gentlemen ! The very exceptionnel moment of the visite ! (Désignant les

deux fonctionnaires) The french fonctionnary !!!... look at that : this is a race en voie of disparition in

France… Il s’agit ici de two french fonctionnary femelles !... It is very extrodinary ! Comme you pout

le constater whit this femelle, she poutent quand même se reproduire en captivité… This is devrait

mettre bas dans quelques semaines… And now, i you propose to go visited the cafétéria. Attention ! In

this place, the fonctionnaries are en liberted and are very very dangerous. Dont touch the

fonctionnaries and it is forbidden to lancer the cacahuètes at the fonctionnaries. Follow-me please.

Les touristes sortent en suivant monsieur Lagoutte. Madame Chotard et Madame Cruchon se

regardent en silence puis se mettent subitement à pleurer. Madame Cruchon et Madame Chotard

s’enfuient en courant. Mademoiselle Sidonie regarde la scène sans vraiment comprendre.

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SCENE 15

Melle SIDONIE / Mme PROUST / Mr CHAVAGNOU / Mme CHOMBIER

Madame Proust entre dans la mairie, se met à quatre pattes et commence à chercher quelque chose.

Melle SIDONIE : Excusez-moi de vous déranger madame, mais… Vous avez perdu quelque chose ?

Mme PROUST (continuant de chercher) : Oui.

Melle SIDONIE : Madame Chot... Madame Cruch…?... Non, je dois me débrouiller seule. (À Mme

Proust) Et je peux peut-être vous aider ?

Mme PROUST (continuant de chercher) : Je suis venue ici mardi dernier et j’ai perdu mon temps,

alors je le cherche.

Melle SIDONIE : Oui, c’est logique… Comment est-il votre temps ?

Mme PROUST (continuant de chercher) : Précieux.

Melle SIDONIE : C’est marrant, c’est comme le mien.

Mme PROUST (Se relevant brusquement) : Vous l’avez trouvé ?

Melle SIDONIE : Non, désolée… Mais vous savez ici, dans cette mairie, nous avons des principes.

Pour les gens qui viennent à notre rencontre, nous trouvons toujours le temps.

Mme PROUST : Alors, s’il-vous-plaît, retrouvez mon temps, j’en ai besoin.

Melle SIDONIE : Vous avez essayé le service des objets trouvés ?

Mme PROUST : Mais enfin mademoiselle, ce qu’il me faudrait, c’est plutôt un service des objets

perdus. Parce que moi, mon temps je l’ai perdu, pas trouvé.

Melle SIDONIE : Excusez-moi de vous poser cette question, mais est-ce que par malheur votre temps

n’aurait pas pu faire une fugue ?

Mme PROUST : Oh sûrement pas ! Ce n’est pas le genre de mon temps.

Melle SIDONIE : Bien, alors je vous propose que nous remplissions une petite fiche de

renseignements pour nous aider dans cette recherche du temps perdu. (Sortant une feuille et écrivant)

Comment vous appelez-vous ?

Mme PROUST : Proust, Marcelline Proust.

Melle SIDONIE : Profession ?

Mme PROUST : Fabricante de madeleines.

Melle SIDONIE : Ah ! Les madeleines de Proust, c’est vous.

Mme PROUST : Oui.

Melle SIDONIE : Vous l’avez oublié ici ?

Mme PROUST : Non, je l’ai perdu ici. Il était dans un sac en plastique.

Melle SIDONIE (lui montrant le sac de madame Chotard) : C’était celui-ci ?

Mme PROUST : Non, mon sac ne sent pas le fromage.

Melle SIDONIE : Attendez une seconde. (Criant) Madame Cruchon, s’il-vous-plaît !!

Pas de réponse.

Melle SIDONIE (criant) : Madame Chotard !!...

Monsieur Chavagnou passe par là.

Melle SIDONIE (criant) : Monsieur Chavagnou !!

Mr CHAVAGNOU : Oui ?

Melle SIDONIE : Vous n’auriez pas trouvé un sac de temps, en plastique ?

Mr CHAVAGNOU : Mardi ?... Si, si. Un sac en plastique bleu.

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Melle SIDONIE : C’était le sac de madame.

Mr CHAVAGNOU : Je suis désolé mais je l’ai utilisé votre temps.

Mme PROUST : Mais de quel droit vous me prenez mon temps ?

Mr CHAVAGNOU : Il traînait par terre et il n’y avait pas de nom marqué dessus. Alors, je m’en suis

servi pour faire mon Loto et boire un petit café.

Mme PROUST : Non seulement je viens ici perdre mon temps et en plus on l’utilise pour jouer au

Loto !… Monsieur, je vous demande de me rembourser mon temps !

Mr CHAVAGNOU : D’accord, pas de problème. (Sortant son porte-monnaie et regardant dedans)

Vous le voulez comment votre temps ? En temps de travail ou en temps de pause ?

Mme PROUST : En temps utile !

Mr CHAVAGNOU : Ah ça, je n’en ai pas.

Melle SIDONIE (sortant son sac à main et regardant dedans.) : Moi, j’ai du sale temps ou du temps

de chien, si ça peut vous dépanner.

Mme PROUST (criant) : Je veux qu’on me rende mon temps !

Melle SIDONIE : Calmez-vous madame ! Calmez-vous !

Mme PROUST (criant) : Vous n’êtes qu’une bande de voleurs ! Je veux voir le maire !

Melle SIDONIE: Je ne sais pas si monsieur le maire peut vous recevoir. Son emploi du temps est

débordé.

Mme PROUST (criant) : Puisque c’est comme ça, je vais aller voir directement le préfet ou le

président du conseil général et eux, ils prendront le temps de m’écouter. Vous allez entendre parler de

moi.

Mme Proust ressort furieuse.

Mr CHAVAGNOU : Allez, c’est pas le tout, mais moi j’ai une ampoule à changer. Je sens que je vais

en avoir pour toute l’après-midi.

Monsieur Chavagnou sort. Madame Chombier entre.

Mme CHOMBIER : Eh bien quoi ? Vous êtes toute seule ?

Melle SIDONIE : Ne vous inquiétez pas, je m’en sors très bien,… Enfin, je crois.

Mme CHOMBIER : Ce n’est pas l’impression que j’avais ici en entrant, vu la tête de la personne qui

vient de sortir. Où sont vos collègues ?

Madame Chotard revient.

Mme CHOMBIER : Et bien alors ? Qu’est-ce qui se passe ? Il n’y a plus personne à l’accueil. Si les

stagiaires se mettent à faire votre travail, où va-t-on ?

Mme CHOTARD : Désolée madame Chombier, mais j’ai dû accompagner Madame Cruchon aux

toilettes, elle ne se sentait pas très bien.

Mme CHOMBIER : Prévenez-moi dans ces cas-là, prévenez-moi !... Mademoiselle Sidonie, essayez

de me trouver une personne de l’entretien.

Melle SIDONIE : Et je suis censée les trouver où ?

Mme CHOMBIER : Dans les caves de la mairie.

Mme CHOTARD : Non, ne faites pas ça, madame Chombier.

Mme CHOMBIER : Je suis désolée, mais il le faut.

Mme CHOTARD : La pauvre petite.

Melle SIDONIE : Et je dois y aller toute seule ?

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Mme CHOMBIER : C’est ce qu’on appelle ici : l’épreuve de vérité. Si vous revenez saine et sauve

des caves, vous aurez mérité votre place parmi nous. Bonne chance mon enfant.

Madame Chombier sort.

Melle SIDONIE : Qu’y a-t-il de si terrifiant dans ces caves ?

Mme CHOTARD : On l’ignore, on n’a jamais revu les six dernières stagiaires… Allez courage et

bonjour à madame Grazotin si vous la croisez.

Mademoiselle Sidonie sort.

SCENE 16

Mme CHOTARD / Mr LAGOUTTE / GUS

Gus, le livreur de pizzas entre en tenant 5 boites à pizzas dans les bras.

GUS : Bonjour, j’ai une livraison de pizzas pour monsieur Lagoutte.

Mme CHOTARD (parlant dans le micro qui ne marche pas) : Monsieur Lagoutte est demandé à

l’accueil, je répète monsieur Lagoutte est demandé à l’accueil.

GUS : Madame, il ne marche pas votre micro.

Mme CHOTARD : Monsieur Lagoutte !!!!

Monsieur Lagoutte entre.

Mr LAGOUTTE : Vous devriez faire de l’opéra madame Chotard.

Mme CHOTARD : Une livraison de pizzas pour vous.

Mr LAGOUTTE : Parfait, parfait. Mettez-moi tout ça ici.

GUS : Et la facture, je la donne à qui ?

Mr LAGOUTTE : Voyez ça avec madame.

GUS : Tenez.

Mme CHOTARD : Qu’est-ce que c’est ?

GUS : La facture pour les pizzas.

Mme CHOTARD : Quelles pizzas ?

GUS : Les pizzas que j’ai données au monsieur.

Mme CHOTARD : Pourquoi ce n’est pas lui qui les paye ?

GUS : J’en sais rien et je m’en fous ! Moi, faut qu’on me paye mes pizzas.

Mme CHOTARD (à monsieur Lagoutte) : Vous pourriez payer vos pizzas quand même !!!

Mr LAGOUTTE : Vous m’excuserez madame Chotard mais je suis à court de monnaie et je n’ai

qu’un billet de 500 euros sur moi.

GUS : Moi, je rends pas la monnaie sur 500.

Mr LAGOUTTE : Vous voyez. Si la mairie pouvait me faire une petite avance, ça serait vraiment très

sympathique de sa part.

Mme CHOTARD : Il est gonflé celui-là... Allez au bureau comptabilité et demandez-leur de régler

votre facture.

GUS : Et c’est où ?

Mme CHOTARD : Bureau 54, par là.

Le livreur prend un couloir et sort.

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Mme CHOTARD : Vous pourriez manger votre pizza dans la cafét, s’il-vous-plaît monsieur

Lagoutte ?

Mr LAGOUTTE : Ma compagnie vous dérangerait-elle ?

Mme CHOTARD : Non, mais je suis un régime… Et vous comprenez… les odeurs…

Mr LAGOUTTE : Rassurez-vous, je me lave tous les matins.

Mme CHOTARD : Non, non, je ne parlai pas de vous… Mais de votre pizza.

Mr LAGOUTTE : Vous en voulez un morceau.

Mme CHOTARD : Je vous dis que je suis au régime.

Mr LAGOUTTE : Maigre comme vous êtes !?... Mais si vous voulez maigrir plus, vous allez devoir

perdre un os.

Mme CHOTARD : Bien monsieur Lagoutte, je vais tenter de rester calme… Vous devez savoir que je

suis d’une nature hyper-boulimique et si je commence à m’approcher de vos pizzas, dans exactement

une minute trente, il ne restera plus rien dans ces cinq boites. Alors, vous choisissez : ou c’est l’orgie

ou c’est la fuite.

Mr LAGOUTTE : Vu sous cet angle, je crois qu’une retraite s’impose… Mais si vous changez d’avis,

vous savez ou me trouver.

Monsieur Lagoutte part vers la cafétéria.

SCENE 17

Mme CHOTARD / Melle JEUSSAIPA / / Mr CHAVAGNOU / Mme CHOMBIER / Mr

CHAVAGNOU / Mme CRUCHON / Mme CHOTARD / Melle SIDONIE

Mademoiselle Jeussaipa entre et se dirige vers le guichet.

Melle JEUSSAIPA : Bonjour madame.

Mme CHOTARD : Bonjour mademoiselle.

Melle JEUSSAIPA : Je voudrais me marier.

Mme CHOTARD : Je suis contente pour vous mademoiselle, mais ici c’est une mairie, pas une

agence matrimoniale.

Melle JEUSSAIPA : Je le sais très bien mademoiselle. On m’a dit que je devais aller à la mairie pour

demander une copie intégrale d’acte de naissance.

Mme CHOTARD (sortant une petite feuille et s’apprêtant à écrire) : Votre nom.

Melle JEUSSAIPA : Jeussaipa.

Mme CHOTARD : Comment ça, vous ne savez pas ? Vous connaissez bien votre nom quand même ?

Melle JEUSSAIPA : Oui.

Mme CHOTARD : Alors dites le moi.

Melle JEUSSAIPA : Jeussaipa.

Mme CHOTARD : Mais mademoiselle, tout le monde connaît son nom.

Melle JEUSSAIPA : Mais je viens de vous le dire.

Mme CHOTARD : Non ! Vous m’avez dit que vous ne le saviez pas.

Melle JEUSSAIPA : Je m’appelle Géraldine Jeussaipa. J-E-U-S-S-A-I-P-A.

Mme CHOTARD : Et vous ne pouviez pas le dire plus tôt !

Melle JEUSSAIPA : Je suis en train de vous le dire depuis cinq minutes.

Mme CHOTARD (écrivant) : Bref… Maintenant donnez-moi le département de votre naissance.

Melle JEUSSAIPA : Ain.

Mme CHOTARD (énervée) : Le département de votre naissance !!! Vous êtes sourde ou quoi ?

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Melle JEUSSAIPA (essayant de rester calme) : Je suis née dans le département de l’Ain.

Mme CHOTARD (écrivant) : Bref… La ville de votre naissance.

Melle JEUSSAIPA : Lhuis.

Mme CHOTARD : Non, pas lui, vous !

Melle JEUSSAIPA (essayant de rester calme) : Madame, Lhuis est une ville de l’Ain.

Mme CHOTARD (écrivant) : Bref… Votre mois de naissance.

Melle JEUSSAIPA : Mai…

Mme CHOTARD (énervée) : Mais quoi encore !

Melle JEUSSAIPA (craquant) : Au mois de mai, je suis née au mois de mai !!!

Mme CHOTARD (écrivant) : Ah ! Je vous en prie, mademoiselle, ne criez pas !

Melle JEUSSAIPA (criant) : Je ne crie pas madame, je parle fort !

Mme CHOTARD (criant) : Je ne suis pas sourde !…

Melle JEUSSAIPA (criant) : Vous n’êtes pas sourde, vous êtes bouchée !

Mme CHOTARD (criant en se levant) : Quoi !? Mais elle m’insulte, la greluche !

Melle JEUSSAIPA (criant) : Moi, une greluche !?… Morue !!

Mme CHOTARD (criant) : Sac à patates !!

Melle JEUSSAIPA (criant) : Endive !!!

Mme CHOTARD (criant) : Moule à gaufres !!!

Melle JEUSSAIPA (criant) : Raclure de bidet !!!

Mme CHOTARD (criant) : Moisissure de serpillière !!!!

Melle JEUSSAIPA (criant) : Vomissure de fond de poubelle !!!!

Mme CHOTARD (se calmant brusquement et se rasseyant) : Bon d’accord, vous avez gagné…

(Tamponnant et lui tendant son acte de naissance) Voilà votre acte de naissance.

Melle JEUSSAIPA (prenant la fiche et sortant en la lisant) : Mais qu’est-ce que c’est que ça ?… Ce

n’est pas un acte de naissance, ça !

Mme CHOTARD : Faites voir. (Prenant la fiche et la lisant) Oh, excusez-moi, je suis désolée, je vous

ai fait une demande de raccordement aux égouts. Je ne sais pas ce qui m’arrive ce matin, je suis toute

étourdie. Ce n’est pas grave, vous n’avez qu’à revenir lundi.

Melle JEUSSAIPA : Comment ça lundi ?

Mme CHOTARD : Oui, le nouveau règlement précise que je ne peux fournir qu’un seul et unique

document administratif par jour et par personne. Je suis vraiment confuse.

Melle JEUSSAIPA : Mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse d’une demande de raccordement aux

égouts ?

Mme CHOTARD : Ça, c’est vous qui voyez… On peut faire plein de choses avec une demande de

raccordement aux égouts … Un avion, une cocotte en papier, un origami… enfin, plein de choses quoi

!

Melle JEUSSAIPA (renfrognée) : A quelle heure vous ouvrez demain vendredi ?

Mme CHOTARD : Demain, c’est le week-end, madame. Je vous l’ai déjà dit.

Melle JEUSSAIPA (renfrognée) : Et lundi ?

Mme CHOTARD : Ah, demain, nous sommes en grève !

Melle JEUSSAIPA (se prenant la tête) : Mais qu’est-ce que c’est que cette mairie !… Mais la

semaine dernière, vous étiez déjà en grève.

Mme CHOTARD : Oui, mais demain, c’est différent.

Melle JEUSSAIPA : Et pourquoi êtes-vous en grève cette fois-ci ?

Mme CHOTARD (sortant de son bureau une petite feuille au format timbre-poste) : Vous savez ce

que c’est que ça ?

Melle JEUSSAIPA : Un timbre ?

Mme CHOTARD : Pas du tout, c’est un acte de naissance. Et ils veulent qu’on les remplisse avec ça.

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« Les Joies de l’Administration » de Patrick Mermaz – Copyright France – 21/03/2012 Page 35

(Elle sort de son bureau un gros feutre) En conséquence, nous ne remplirons plus de documents

administratifs pour personne, jusqu’à ce que nos revendications aient abouti et qu’on nous fournisse

des loupes !… Voilà notre grève ! (Sortant une pancarte de son bureau et criant) DES LOUPES

POUR LES ACTES ! DES LOUPES POUR LES ACTES !!

Madame Cruchon et monsieur Chavagnou passent avec une pancarte en criant « des loupes pour les

actes » et ressortent.

TOUS : DES LOUPES POUR LES ACTES ! DES LOUPES POUR LES ACTES !!

Melle JEUSSAIPA : Et vous pensez qu’elle durera longtemps, cette grève ?

Mme CHOTARD : Dix ans, s’il le faut !

Melle JEUSSAIPA : Mais je me marie dans deux semaines !

Mme CHOTARD : Ça, c’est vous qui voyez… Au suivant !

Melle JEUSSAIPA (criant) : C’est scandaleux ! Je veux voir le maire !

Mme CHOTARD : Monsieur le maire est en réunion, on ne peut pas le déranger.

Melle JEUSSAIPA (criant) : Je vous garantis qu’il trouvera le temps de me recevoir !

Mademoiselle Jeussaipa passe derrière les guichets et commence à chercher le maire. Madame

Chombier entre.

Mme CHOMBIER : Mademoiselle ! Il est interdit de passer derrière les guichets !... Mademoiselle !

Où allez-vous ? Vous ne pouvez pas rentrer ici !

Melle JEUSSAIPA (criant) : Lâchez-moi, je veux voir le maire !

Mademoiselle Jeussaipa arrive à se libérer et s’enfuit dans les bureaux.

Mme CHOTARD (se lançant à sa poursuite) : Mademoiselle ! Revenez ! C’est interdit, vous n’avez

pas le droit !

Madame Chotard se lance à la poursuite de mademoiselle Jeussaipa et sort. Madame Chombier entre

précipitamment et décroche un téléphone.

Mme CHOMBIER : Allo, la sécurité !... Oui, je voulais dire monsieur Chavagnou ?... Il y a une

personne non autorisée qui se promène en criant dans les couloirs… Veuillez la faire sortir s’il-vous-

plaît.

Madame Moulineux entre.

Mme CHOMBIER : Et votre tête, ça va mieux ?

Mme MOULINEUX : Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, le surmenage sans doute.

Mme CHOMBIER : Allez courage, on est jeudi ; plus que deux heures et c’est le week-end. Vous

pensez que vous tiendrez le coup ?

Mme MOULINEUX : On va faire de notre mieux.

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Madame Chombier sort.

SCENE 18

Mme MOULINEUX / Melle SIDONIE / Mme GRAZOTIN

Le téléphone sonne. Mademoiselle Sidonie et madame Grazotin entrent. Sidonie se précipite sur le

standard.

Melle SIDONIE : Mairie de Savapas-sur-Pichon, bonjour… Pour une ?... Ne quittez pas, je vous passe

le service concerné.

Le téléphone de madame Moulineux sonne.

Mme MOULINEUX : La mairie bonjour… Non, monsieur, la nationalité ne peut pas être différente

du sexe… et en cas de veuvage, les deux conjoints doivent signer une déclaration commune… Oui

monsieur, l'église étant en travaux, les obsèques devront être célébrées à la salle des fêtes… Il faudra

voir ça avec le service des fêtes… Je vous en prie, bonne journée.

Monsieur Chavagnou passe en raccompagnant mademoiselle Jeussaipa.

Mme GRAZOTIN : Dites madame Moulineux, je ne voudrais pas avoir l’air désagréable…

Mme MOULINEUX : Non, ce n’est pas votre genre.

Mme GRAZOTIN : … Mais j’ai surpris cette jeune personne en train de nous espionner dans les

sous-sols. Mme MOULINEUX : Vous espionner, rien que ça.

Melle SIDONIE : Mais je n’espionnais personne !

Mme GRAZOTIN : Vous avez sans doute une explication à cela ?

Mme MOULINEUX : Evidemment, madame Grazotin.

Melle SIDONIE : Madame Chombier m’avait chargé de ramener une personne du service entretien.

Mme MOULINEUX : Inutile de mentir avec madame Grazotin… Laissez, mademoiselle Sidonie, je

vais lui dire toute la vérité, cela vaudra mieux pour tout le monde.

Mme GRAZOTIN : Alors, je vous écoute.

Mme MOULINEUX : Vous me promettez de ne pas en parler à madame Chombier ?

Mme GRAZOTIN : Nous verrons, nous verrons… Avouez d’abord vos turpitudes et ensuite je verrais

si je vous fais bénéficier de ma clémence.

Mme MOULINEUX : Votre bonté me submerge d’émotion, madame Grazotin. Mademoiselle Sidonie

était en mission secrète pour nous.

Mme GRAZOTIN : En mission ?

Mme MOULINEUX : Oui, nous autres les sorcières…

Mme GRAZOTIN : Je le savais, je le savais… Des sorcières… Et dire que personne ne me croyait…

Continuez.

Mme MOULINEUX : Donc nous les sorcières, nous fabriquons des potions magiques et toutes sortes

de choses pour envouter les gens…

Mme GRAZOTIN : Mais avec moi, ça ne marche pas, je vous ai à l’œil depuis le début.

Mme MOULINEUX : Et pour envouter les gens, nous avons besoin de différents produits comme la

racine de mandragore ou les griffes des basiliques.

Mme GRAZOTIN : Je me disais aussi que madame Chombier se comportait bizarrement ces derniers

temps.

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Mme MOULINEUX : D’après d’anciens grimoires du moyen-âge que l’on a retrouvé récemment, on

a pu apprendre que la mairie a été construite à l’endroit exacte où l’on exécutait et enterrer les voleurs

et les assassins.

Mme GRAZOTIN : Vous voulez dire que nous nous trouvons sur un vieux… cimetière.

Mme MOULINEUX : Tout à fait.

Mme GRAZOTIN : Je comprends maintenant pourquoi le maire est un vampire.

Mme MOULINEUX : Eh oui. Et mademoiselle Sidonie devait nous trouver un vieux grimoire

contenant le secret le mieux gardé au monde.

Mme GRAZOTIN : Et quel est ce secret ?

Mme MOULINEUX : Venez par-là, il ne faut pas que des oreilles non averties entendent ce que je

vais vous révéler.

Mme GRAZOTIN : Alors ?

Mme MOULINEUX : Jurez d’abord de taire à jamais ce que vous allez entendre, il y va de la survie

de la planète.

Mme GRAZOTIN : Je le jure… Alors ce secret.

Mme MOULINEUX : Vous vous y connaissez en alchimie ?

Mme GRAZOTIN : Ce n’est pas ce qui consiste à faire de l’or avec n’importe quoi ?

Mme MOULINEUX : A peu près oui.

Mme GRAZOTIN : Et alors ?

Mme MOULINEUX : Eh bien mademoiselle Sidonie avait pour mission de nous retrouver une très

vieille recette…

Mme GRAZOTIN : Une recette ? Quelle recette ?

Mme MOULINEUX : Une très vieille et terrifiante recette.

Mme GRAZOTIN : Mais de quoi s’agit-il, bon sang !!?

Mme MOULINEUX : De la recette de… la tarte Tatin.

Mme GRAZOTIN : La tarte Tatin ?... Vous vous fichez de moi ou quoi ?

Mme MOULINEUX : Evidemment, que je me fiche de vous. Vous n’espérez quand même pas que je

vais supporter dans la même journée de me faire agresser par une folle et de me laisser enquiquiner par

vous… Trop c’est trop !

Mme GRAZOTIN : Mais je…

Mme MOULINEUX : Retournez dans votre trou à rats et laissez-nous tranquilles.

Mme GRAZOTIN : Vous me le paierez !

Mme MOULINEUX : C’est ça et bonjour chez vous !

Madame Grazotin sort furieuse. Madame Moulineux en profite pour boire un peu d’eau de vie.

Melle SIDONIE : Vous ne vous êtes pas fait une amie.

Mme MOULINEUX : Vivement la fin de cette journée.

SCENE 19

Mme MOULINEUX / Melle SIDONIE / Mr LAGOUTTE / Mme CHOMBIER / Mme

CHOTARD / Mr CHAVAGNOU / Mme CRUCHON / Melle FAUSSART / Mme GRAZOTIN /

GUS

Le téléphone sonne. Mademoiselle Sidonie répond.

Mlle SIDONIE : Bonjour, mairie de Savapas-sur-Pichon. Sidonie à votre service, puis-je vous

renseigner ?... Alors les horaires : Les bureaux de la mairie seront ouverts de 9h à 12h et de 14h à 16h,

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à l'exception des dimanches et jours fériés, du samedi après-midi et de l'après-midi du dernier jour

ouvrable précédant le 26 de chacun des onze mois et du dernier jour ouvrable de décembre… Je vous

en prie monsieur à votre service.

Elle raccroche. Madame Chombier et madame Chotard entrent.

Mme CHOMBIER : Bon vous êtes prêtes ?

Mme MOULINEUX : Moi, dès qu’il s’agit de boire et manger, je suis toujours prête.

Mademoiselle Faussart entre.

Mme CHOMBIER : Bien, tout le monde est là ! Vous, allez fermer la mairie. Vous mettrez le

panneau : fermée pour cause d’inventaire. Madame Chotard, allez me chercher le paquet cadeau qui est

dans mon bureau. Mademoiselle Sidonie rapportez le mousseux, les toasts et le saumon fumé.

Melle SIDONIE : Mais je croyais que c’était pour la réception du maire.

Mme MOULINEUX : Mais non, c’est pour le pot de départ de madame Cruchon.

Madame Moulineux et mademoiselle Sidonie sortent.

Mme CHOTARD : Vous avez invité monsieur Lagoutte ?

Mme CHOMBIER : Comment faire autrement ?

Mme CHOTARD : Ça fait un moment qu’on ne l’a pas vu… Pourvu qu’il ne nous ait pas…

Mme CHOMBIER : Ne parlez pas de malheur !

Mme CHOTARD : Tenez, quand on parle de la poisse… le voilà justement.

Monsieur Lagoutte entre en mangeant quelque chose d’indéfinissable. Il est suivi par Gus, le livreur de

pizzas

Mme CHOTARD : Bon appétit !

Mr LAGOUTTE : Merci bien. C’est quand même pratique une mairie. Quand on a faim, on trouve

toujours quelque chose à grignoter.

Mme CHOMBIER : Qui est ce jeune homme ?

Mr LAGOUTTE : C’est mon livreur de pizzas personnel. Il errait comme une âme en peines depuis

un moment dans les couloirs de la mairie... Je crois qu’il cherche la comptabilité.

GUS (Au bord de la dépression) : Je voudrais juste qu’on me paye les pizzas que j’ai livrées et m’en

aller.

Mme CHOMBIER : Montrez-moi votre facture… Allez au bureau 28 et demandez monsieur

Malicorne.

Mme MOULINEUX : Mais ce n’est pas monsieur Malicorne qui règle les factures.

Mme CHOMBIER : Je sais très bien, mais au moins ça lui fera de la compagnie. (Au livreur) J’espère

pour vous que vous n’avez rien de prévu pour le week-end… Allez bonne continuation.

Le livreur repart avec sa facture.

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Mme CHOMBIER : Vous restez avec nous pour le pot de départ de madame Cruchon ?

Mr LAGOUTTE : Avec plaisir. Je suis toujours partant pour une petite fête.

Melle FAUSSART : Comment va madame Grazotin ?

Mme CHOMBIER : Son état est stationnaire.

Melle FAUSSART : Je reviendrais dans quelques jours avec un autre spécialiste des maladies du

travail : c’est un chiropracteur auriculothérapeute.

Mme CHOMBIER : Et qu’est-ce qu’il fait ?

Melle FAUSSART : Sa méthode consiste à masser le lobe des oreilles avec des gants de boxe.

Mme CHOMBIER : Et c’est expérimentale, je suppose ?

Melle FAUSSART : Bien évidemment.

Mademoiselle Sidonie revient avec un plateau sur lequel reposent trois toasts.

Melle SIDONIE : J’ai peur qu’on soit un peu juste en toasts au saumon.

Mme CHOMBIER : Mais où sont-ils passés ? Il y en avait une trentaine.

Toutes se retournent vers monsieur Lagoutte.

Mr LAGOUTTE : Qu’est-ce qui se passe ?... (Prenant un toast et le mangeant) Ah merci,

mademoiselle Sidonie.

Mme CHOMBIER : Mais enfin monsieur Lagoutte.

Madame Moulineux entre avec le cadeau et le pose sur le comptoir.

Mme MOULINEUX : Eh bien dites donc, ce n’est pas léger comme cadeau de départ en congés. C’est

quoi ? Une enclume ?

Mme CHOMBIER : Non, deux, il y avait une promotion.

Monsieur Chavagnou entre et prend un toast en passant.

Mr CHAVAGNOU : Hum ! C’est bon ces petites saletés.

Mme CHOMBIER : Le prochain qui touche aux toasts, je lui fais manger le plateau… Celui-là, il est

pour madame Cruchon.

Melle SIDONIE : Bon, eh bien, je vais chercher le reste.

Mme CHOTARD : Je viens avec vous.

Mme MOULINEUX : Faites attention à qui vous croisez dans les couloirs.

Mme CHOTARD : Ne vous inquiétez pas, celui qui voudra manger les amuse-gueules ou boire du

mousseux sans y être invité devra me passer sur le corps.

Mme CHOMBIER : Madame Moulineux, allez donc nous chercher madame Cruchon pendant que je

monte la garde. N’oubliez pas de lui mettre le bandeau sur les yeux pour lui faire la surprise.

Mme MOULINEUX : A vos ordres mon colonel.

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Madame Moulineux sort. Mademoiselle Sidonie revient avec les amuse-gueules et les cacahuètes et

madame Chotard avec les bouteilles.

Mme CHOTARD : Vous êtes certaine que c’est du mousseux ?

Mme CHOMBIER : Pourquoi vous dites ça ?

Mme CHOTARD : Parce que sur les bouteilles c’est marqué : vinaigre de cidre.

Mme CHOMBIER : Je savais bien que je n’aurais pas dû faire les courses sans mes lunettes.

Mr LAGOUTTE : Vous n’avez qu’à nous en mettre un fond dans un verre, vous le coupez avec de

l’eau pétillante et ça fera l’affaire… Après tout, c’est l’intention qui compte non ?

Mr CHAVAGNOU : Moi le vinaigre je le bois pur et cul-sec. A la russe !

Mme CHOTARD : Je vais peut-être prévoir des bassines alors.

Mme CHOMBIER : Occupez-vous des verres monsieur Chavagnou. Vous autres venez m’aider à tout

installer sur cette petite table.

Melle SIDONIE : C’est marrant ces petits poils blancs sur les amuse-gueules. C’est une spécialité de

quelle région ?

Mme CHOTARD : Faites voir !... Mais, ils sont moisis vos amuse-gueules madame Chombier.

Mme CHOMBIER : N’exagérez pas madame Chotard, ça ne fait même pas trois semaines qu’ils sont

sur le rebord de ma fenêtre. Mais si vous n’aimez pas ça, n’en dégoutez pas les autres.

Melle SIDONIE : Attention, je crois que les voilà.

Mme CHOMBIER : Plus un bruit.

Madame Moulineux entre en poussant devant elle madame Cruchon, les yeux bandés.

Mme CRUCHON : Vous savez madame Moulineux, le kidnapping n’est pas le meilleur moyen de

régler des contentieux entre collègues de travail. Nous pourrons sûrement arriver à un accord pacifique

par le biais d’un dialogue constructif, j’en suis certaine…

Mme MOULINEUX : Asseyez-vous et taisez-vous.

Mme CRUCHON : Je vous l’ai déjà dit, je ne dirais rien à madame Chotard concernant les 50 euros

que vous lui avez empruntés dans son sac sans le lui demander.

Mme CHOTARD : Quoi ! Qu’est-ce qu’elle raconte ?

Madame Moulineux lui retire rapidement son bandeau. Pendant le discours de madame Chombier,

monsieur Chavagnou distribue les coupes de vinaigre.

TOUS : Surprise !!!!

Mme CRUCHON : Oh ben ça alors !

Mme CHOMBIER (lisant un petit discours) : Ma chère Hélène, nous sommes tous ici réunis pour

fêter avec la joie la plus sincère votre imminent départ pour ce grand et long voyage vers ces lointaines

contrées ou règnent les joies de l’enfantement et c’est… (Madame Moulineux lui montre le cadeau)

Quoi ?... Oui, donnez-le-lui… Et c’est avec une joie non dissimulée que nous vous offrons au nom de

monsieur le maire, du conseil municipal et de tous les employés de cette mairie sauf madame Grazotin

qui vous maudit jusqu’à la huitième génération, ce petit présent qui je l’espère vous comblera de joie

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comme il a comblé le vide de mon placard… (Madame Chotard fait la moue) Eh, oh, je ne suis pas

Malraux moi… Et c’est pas Jean Moulin non plus... Bref, place à la fête et aux libations. Et je lève mon

verre à votre santé. Merci, madame Cruchon et bonne chance !

Tout le monde boit. Madame Cruchon crache tout le contenu de son verre sur ses collègues.

Mme CRUCHON : Excusez-moi, j’ai avalé de travers.

Melle FAUSSART : C’est spécial comme goût.

Mr CHAVAGNOU : Ça nettoie bien les dents.

Mr LAGOUTTE : C’est goûtu, ça a son petit caractère.

Mme CHOTARD : C’est déguel… Enfin, ce n’est pas mon truc.

Mme CHOMBIER : Prenez donc un petit four pour faire passer le cocktail.

Mme CRUCHON : Merci, mais le saumon m’est contrindiqué et en temps normal, je déteste manger

la chair des animaux morts.

Madame Chombier mange, dépitée, le petit four.

Melle SIDONIE : Allez, ouvrez votre cadeau, j’ai hâte de voir ce que c’est.

Melle FAUSSART : C’est vous-même qui l’avez choisi madame Chombier ?

Mme CHOMBIER : J’ai eu du mal à le trouver, je peux vous le dire. J’ai dû faire au moins vingt

boutiques avant de trouver le modèle que je cherchais.

Madame Cruchon ouvre son paquet et en sort une grosse boule à neige marquée : Souvenirs de

Savapas-sur-Pichon.

Mme CRUCHON : Oh ! Une boule à neige…

Mme CHOMBIER : Je me suis dit que ça pourrait égayer la chambre des petits… ou des petites

d’ailleurs.

Mme CHOTARD : Oui, c’est vrai au fait, c’est quoi comme marque vos marmots ? Garçons, filles,

Schtroumfs, E.T. ?

Mme CRUCHON : Gontran et moi, préférons nous réserver la surprise pour l’accouchement.

Melle SIDONIE : L’avantage d’une boule à neige, c’est que c’est unisexe.

Mr LAGOUTTE : Et vos enfants, vous allez les allaiter vous-même ou direct au biberon ?

Mme CRUCHON : Je ne sais pas encore, pourquoi ?

Mr LAGOUTTE : Parce moi aussi j’ai un petit cadeau pour vous.

Mme CRUCHON : Rien que d’y avoir pensé, c’est déjà très sympathique de votre part.

Monsieur Lagoutte part en courant et revient avec un paquet qu’il tend à madame Cruchon.

Mr LAGOUTTE : Tenez…. Ce n’est qu’une partie du cadeau.

Mme CRUCHON (Ouvrant le paquet) : Une laisse et un collier.

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Mme MOULINEUX : Dite donc monsieur Lagoutte, c’est un collier pour quel type d’animal, ça ?...

Un dinosaure ?

Mme CRUCHON : Vous voulez m’offrir un animal de compagnie ?

Mr LAGOUTTE : Oui, mais je ne peux pas vous l’amener ici, vu qu’elle ne passe pas par la porte.

Mme CRUCHON : Et serait-il indiscret de vous demander de quoi il s’agit ?

Mr LAGOUTTE : Je me suis dit que comme vous allez avoir besoin de lait pour votre enfant et que

Germaine…

Mme MOULINEUX : Vous voulez offrir une vache à madame Cruchon ? Voilà qui est original.

Mme CRUCHON : Je suis très touchée par l’attention monsieur Lagoutte, mais il y a juste un petit

souci… Gontran et moi vivons dans un trois pièces au quatrième étage sans ascenseur. Et je me

demande si une vache dans un appartement de 80 m2…

Mr LAGOUTTE : Vous avez bien un box pour votre voiture dans votre immeuble.

Mme CRUCHON : Certes, mais…

Mr LAGOUTTE : Eh bien voilà, votre problème est réglé. Germaine adore la compagnie des voitures.

Mme CRUCHON : J’en conviens, mais…

Mr LAGOUTTE : Je sais, au début ça surprend. Surtout quand il faut la sortir pour lui faire faire ses

petits besoins… Enfin, je vous montrerais comment il faut faire.

Mme CHOMBIER : Bien, puisque la série des cadeaux est terminée, nous allons pouvoir…

Subitement l’alerte incendie résonne dans la mairie.

Mme CHOMBIER : Il semble que nous ayons une alerte incendie. Monsieur Chavagnou, qu’en

pensez-vous ?

Mr CHAVAGNOU : J’en pense… qu’il faut se tirer vite fait d’ici avant d’être transformés en

saucisses à barbecue. Chacun pour soi et Dieu pour tous !

Monsieur Chavagnou s’enfuit en courant.

Mme MOULINEUX : Pour une fois que quelque chose fonctionne dans cette mairie.

Melle FAUSSART : Je crois qu’il ne serait pas constructif de céder à la panique.

Mme CHOTARD : Peut-être, mais faut quand même se barrer d’ici !

Mme CRUCHON : Vous avez raison, les femmes enceintes et les enfants d’abord !

Mr LAGOUTTE : Les vaches et les fermiers ensuite !

Mme CHOMBIER : Dans le calme et la dignité s’il-vous-plaît !

Mme CHOTARD : C’est ça !... Au feu ! Au secours !

Mesdames Cruchon, Chotard, Moulineux, Faussart et monsieur Lagoutte sortent dans la plus grande

confusion.

Melle SIDONIE : Justement à ce sujet, à quel moment de l’alerte incendie, faut-il écrire au maire ?

Mme CHOMBIER : Mademoiselle Sidonie ?

Melle SIDONIE : Oui.

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Mme CHOMBIER : Vous savez courir ?

Melle SIDONIE : Oui, pourquoi ?

Mme CHOMBIER : Alors taisez-vous et sortez de là.

Melle SIDONIE : Oui, mais si le téléphone sonne ?

Mme CHOMBIER : Branchez le répondeur.

Melle SIDONIE : Très bonne idée.

Mademoiselle Sidonie appuie sur un bouton du standard téléphonique. Madame Chombier et

mademoiselle Sidonie sortent en courant. Calmement et sous les bruits de la sirène, on voit apparaitre

madame Grazotin avec son charriot. Cette dernière aperçoit la boule à neige. Après avoir regardé

autour d’elle si quelqu’un la surveille, elle prend la boule, la met dans son chariot. Elle sort ensuite

une télécommande de son chariot et appuie sur un bouton. L’alarme s’arrête.

Mme GRAZOTIN : J’aime pas les pots de départ.

Et elle repart.

FIN