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Les locutions verbales françaises Author(s): Georges Bernard Source: La Linguistique, Vol. 10, Fasc. 2 (1974), pp. 5-17 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248248 . Accessed: 14/06/2014 20:32 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.40 on Sat, 14 Jun 2014 20:32:17 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les locutions verbales françaises

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Les locutions verbales françaisesAuthor(s): Georges BernardSource: La Linguistique, Vol. 10, Fasc. 2 (1974), pp. 5-17Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248248 .

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LES LOCUTIONS VERBALES FRANCAISES

par Georges BERNARD

I) Hypotheses et variations diachroniques

Si tous les verbes franqais pouvaient etre suivis d'un certain nombre de noms, tant8t precedes, tant6t d6pourvus de l'article, et si l'on pouvait diceler avec r6gularite une variation corr6lative de sens, cette opposition serait de quelque poids pour une difinition de l'article en franqais. Inversement, si le sens ne variait pas, on ne

pourrait reconnaitre, dans l'alternance article~ 0o, qu'une variante libre, soumise a un arbitraire individuel ou collectif.

On pourrait encore imaginer qu'un verbe quelconque soit suivi de deux sous-ensembles de noms, I'un pr6cede de l'article, mais non I'autre, et tels que leur intersection constitue un ensemble vide. Si l'article pricedait toujours les memes noms, il y aurait l1i un 616ment important pour la determination de deux sous-classes nominales.

En fait, aucun de ces etats imaginaires ne correspond ad6qua- tement " la realit6 linguistique du franqais, et c'est precis6ment ce qui fait la difficulti d'une description de cette opposition. La repartition des deux constructions 6tant a premiere vue impr&- visible, il ne sera pas simple de faire ressortir une structure. Ainsi, les hypothbses sur des constructions exclusives avortent presque toujours :

- aucun verbe ne requiert imp6rativement la construction < non articulee ), a l'exclusion de toute autre,

- aucun nom, par definition, n'est imp'rativement depourvu d'article (hors de la classe des noms propres) et precede d'un verbe. Les tris rares cas du type <<(faire) flords, chorus >>, inuti- lisables le plus souvent s'ils ne sont prec6des de < faire >>, provo-

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queront des hesitations quand il faudra les classer, puisqu'ils sont depourvus des marques du substantif. Souvent les diction- naires parlent alors de << terme >>, ce qui n'engage a rien.

Une premiere explication, qui ne serait qu'une ddrobade, consisterait a porter le phenomene au compte de la cohesion entre les unites, et de la tres haute probabilite d'apparition de tel nom

apres tel verbe. Outre qu'il serait cocasse d'imputer un fait de syntaxe a une brachylogie rhetorique, la probabilitd quasi totale du nom << tate >> apres < hocher >> ne nous empeche pas de dire << hocher la tdte >>, et non pas << *hocher tdte >>. Ce serait done faire litiere de la notion d'absence significative, et surestimer le carac- tare alkatoire des locutions>>. Aussi negligerons-nous des commen- taires comme celui-ci : << L'article est omis dans beaucoup de tour- nures oi' le substantif est si etroitement lid au verbe que cette omission devient toute naturelle>> (Haase, Syntaxefr. du XVIIe s., Delagrave, reimpr., I964, p. 54).

D'autre part, on n'a pas ' attendre grand secours des expli-

cations d'ordre historique qui interprdtent l'absence d'article comme le rdsidu d'un etat de langue antdrieur, ox l'opposition article/o avait une autre pertinence que maintenant. Le bloc des locutions non articulees tend en effet a se ddlabrer, et Haase cite, pour le xvue siccle (ibid., pp. 54-55) :<< avoir guerre, temps, donner

sdpulture, prendre loi, dire vdrite, dire messe, ouir messe, couper chemin A... >. On ajouterait << porter parole >>, et bien d'autres : << donner croyance, donner exemple, faire passage ~ (= amener h), porter respect, rendre deplaisir, tirer race (= faire couvrir des juments pour en avoir des produits; Littrd, s. v. tirer, 360), tirer

bouteille, pays, chemin, gagner temps >>, alors qu'il est beaucoup plus rare d'observer un passage au non-articuld (cf. faire la raison, tirer la raison, Littrd, s. v. raison, 90). On pourrait done postuler qu'une categorie de signification s'est ddterioree, et n'est plus attestie que par quelques moraines. Pierre Guiraud a bien decel6 dans les textes mddidvaux un clivage entre un << actuel >> (articulk) et un << virtuel >> (non-articuld), mais cette opposition atteignait la totalite du lexique nominal, sans qu'intervint la place par rapport au verbe (P. Guiraud, L'ancien franfais, p. I18 : La grammaire, pp. 99-100oo, coll. << Que sais-je ? >). Comment expliquer, d6s lors, que les vestiges de cette opposition ne figurent plus qu'en position de complement, et jamais de sujet, qu'on puisse encore jouer sur

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<< demander grAce / demander une grace >>, mais non sur << Le soleil brillait / Soleil n'y luit >> ?

De meme, la thdorie de l'article que l'on doit a Gustave Guillaume rend compte d'un bon nombre de faits, et l'on peut se laisser s6duire par le commentaire, pour psychologique qu'il soit, qu'il donne de <<perdre la raison / perdre patience>>, ou de<< avoir la foi / avoir foi en quelqu'un >> (Nizet, Langage et science du langage, pp. 181-182), mais il s'en faut de beaucoup qu'on ait la un instru- ment d'analyse efficace dans tous les cas : que faire de << plier bagage, avoir le temps, avoir peur -

avoir la frousse >> ? On

comprend mieux la prudence de Guillaume qui ajoutait en note, au meme endroit : << La definition de l'article zero est interf&rde

par des faits de survivance historique remontant A l'ancien etat de

langue oh l'institution de l'article &tait inexistante ou incomplete. >> Face A ce fouillis, il faut sans doute, avant d'expliquer, dicrire

formellement les locutions verbales pour voir si elles constituent un systeme. Telle est, ici, notre intention.

2) Statut gendral des locutions verbales Les entraves i l'analyse

Tout d'abord, il n'est pas loisible A un locuteur franqais de former n'importe quel inonce suivant le schema verbe + article o + nom; des sdquences comme << *couvrir maison, vider verre, manquer train, ou mettre veston >> seront reconnues pour mal formees et incomplktes. Il est done vrai qu'il s'agit d'un ensemble constitu6 auquel le locuteur ne peut pas modifier grand-chose. Mais il n'est pas dit que ce soit un ensemble totalement anarchique et aleatoire.

C'est ainsi qu'on constate qu'il est rare qu'un nom comme

< gorge >> ne tolbre l'absence d'article que dans sa combinaison avec un seul verbe, savoir << rendre gorge >>, et gendralement les

exemples s'organisent en sdries; ainsi, pour l'unit << connaissance>>, on trouvera << avoir, donner, faire, perdre, (re)prendre connais- sance >>. De meme, il est rare qu'un verbe ne presente qu'un seul cas de construction non articulde (passer condamnation, garder rancune, conter fleurette) et 1a encore, des series apparaissent, ainsi : << rendre compte, gorge, gloire, hommage, justice, raison, service, visite... >> (exemples trbs nombreux dans l'article de Georges Gougenheim, Une catdgorie grammaticale : les locutions verbales, in Etudes de linguistique appliquee, Homm. R. Michea,

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pp. 56-64). Ces series constitudes peuvent bien evoquer les aleas du lexique et de la rhitorique, mais il est egalement possible d'y voir un indice de systematisation.

Quant aux caractdristiques formelles des locutions verbales, c'est presque une gageure que de pretendre les definir, puisque le haut degre de figement qu'elles reprdsentent ne laisse gubre de << jeu >> dans leur fonctionnement; cependant, on peut dcgager, en

plus de l'absence d'article, quelques caractbres, au vrai, genera- lement negatifs :

a) Restrictions a la liberte de 1'Ppithese d'un adjectif, plusieurs cas pouvant se presenter :

- impossibilite absolue : *plier petit bagage, *prendre heu- reuse fin (il faudrait meme distinguer entre les cas ofi la construc- tion articulke est impossible, de fagon absolue, l'addition d'un adjectifne modifiant pas cette impossibilite : faire rage, *faire une rage, *faire une violente rage, et ceux o0 l'addition d'un adjectif rend possible la construction articulke : faire faillite, *faire une faillite, mais << faire une retentissante faillite > est correct.

- Obligation absolue d'une addition (insertion), generale- ment figee : < avoir beau jeu, faire bon march6 de, faire bon (mauvais) visage, faire bonne chore (si <

chore > est une unite

analysable en frangais moderne), faire bonne garde, avoir mauvaise

reputation... - Simple possibilit6 d'insertion : faire cas faire grand cas,

faire usage ~ faire bon usage; les adjectifs < bon/mauvais. figurent assez rarement, et la categorie n'est presque representde que par << grand >. La presence de < grand >> et non << grande . dans < avoir

grand faim, soif, envie, honte, peur... >, si l'on n'y voit pas un

simple vestige fortuit du caractre epickne de < grant>> en ancien

frangais, tendrait i prouver que l'lement pseudo-nominal de la locution verbale a le statut d'un adverbe, et que < grand. y fonc- tionne comme une variante de << trts > (cf. Moignet, L'adverbe dans la locution verbale, Cahiers de psychome'canique du langage, Quebec, pp. 13-36). L'absence, ou au moins la rarete des adjectifs ne facilite evidemment pas l'identification du deuxikme dl6ment de la locution verbale.

b) En outre, cet elment est invariable, et depourvu des

marques du nombre. Cela ne se remarque qu'd la graphie et n'a, oralement, aucune pertinence, puisque nous n'avons releve aucun

e'1ment nominal variable au pluriel (type en -al, par exemple).

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C'est evidemment I'occasion d'hisitations et de contradictions

diachroniques (voir, ainsi, les exemples que donne Littre' de < conter

fleurette(s) >>, et diverses arguties sur << faire merveille(s) >). Il importe peu que l'on ait << rendre grace, ou graces >, < plier bagage, ou bagages >>; ce qui compte, c'est qu'on ne puisse jamais opposer simiologiquement, ici, singulier a pluriel.

c) Enfin, il faut songer a faire jouer le critbre syntaxique de la reversion au passif qui, bien qu'il soit d'une efficacit6 douteuse

pour une identification du complement d'objet, permettrait de voir s'il faut analyser < prendre conga .> comme << prendre un livre .. Ainsi < Justice est faite >> est bien le renversement passif de << On a fait justice >>. Mais la question n'est pas claire, car toute locution verbale n'est pas automatiquement transformable de cette fa.on. Il n'en est ividemment pas question pour les locutions constituees avec << avoir >> et, par ailleurs, si l'on peut trouver, concevoir ou former :<< congi m'a ete donne, moyen sera trouve, violence m'est faite >>, ou simplement << revenir fortune faite, deduction faite >, on ne saurait imaginer << *feu est fait, *mouche est faite, *fin est

prise, *prise est lIchte >. Mais il n'est pas dit que cette impossi- bilit6 soit toujours imputable ? l'absence d'article : ainsi Nicolas Ruwet (The'orie syntaxique et syntaxe du franfais, 6d. du Seuil, p. 59) note bien que << Jules a repris haleine >> ne peut avoir sa contre- partie << *Haleine a dtd reprise par Jules >>, mais il omet de dire que, si Jules avait repris son souffle, il en irait de meme. A classer ainsi les locutions verbales selon leur capacite de passif, on ne trouverait probablement pas plus que ce que nous apprendrait une etude

gendrale sur les verbes franqais. II ne semble done pas que l'on doive attendre beaucoup de ce critere; tout au plus peut-on remarquer que la cohesion lindaire entre le sujet ainsi obtenu et le verbe est tres forte, puisque maintes occurrences verifient l'alter- nance : << Ordre a dtd donne de partir - L'ordre de partir a etd donne. >

Manifestement, une description formelle de ce type nous livre des resultats trop negatifs pour nous permettre de classer les locutions verbales. Si l'on n'y voit qu'un pseudo-enchainement aleatoire, batard et marginal, alors une simple nomenclature epui- sera le sujet; et c'est bien ce qui se passerait si l'on omettait de faire entrer ces locutions dans un syst6me structure, en examinant, par exemple, les liaisons qu'elles entretiennent, ou non, avec le reste de l'dnonce.

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3) Classement

On peut classer les locutions verbales en verifiant d'abord si elles peuvent, ou non, avoir une expansion, et ensuite si elles

peuvent commuter avec une construction articulde. On obtient en theorie quatre classes de locutions :

a) non commutables saturies; b) non commutables non saturies; c) l'opposition saturd/non satur6; d) l'opposition articul6/non articulk.

a) Locutions non commutables et saturies. - Pour eviter de limiter cette classe au type < faire flores )), on doit prendre certaines pre- cautions. En effet, un distributionnalisme naif considererait sans doute que, dans < prendre fin ., on peut voir des elments qui figurent aussi dans << Prenez la fin du texte >>, et que, a c6te de << faire rage ., on a aussi<< faire une rage>>, comme < faire une bron- chite >>. Tous ces jeux sont evidemment possibles en raison de la polysemie inherente au nom comme au verbe, et specialement a des . pantonymes. comme << faire >>, ou prendre >>. Mais si l'on adopte des criteres materiels d'une rigidite aussi intransigeante, il n'est strictement plus possible d'entreprendre aucune classification. En se fondant sur le sens < moyen >> (malgre la relative inadequa- tion de ce terme) que semble prendre la locution, par rapport a l'enchainement canonique, on peut admettre l'existence de cette

cat6gorie << non commutable, saturee >>, dont voici des exemples : << faire ipoque, faire date, faire rage, faire mouche, faire surface, faire chorus, faire flores, plier bagage, porter plainte, lcher prise, rendre gorge, perdre haleine, prendre fin, prendre naissance... >>.

Cette categorie, n'admettant aucune insertion, peut etre prise pour le module du figement maximum, et cela specialement quand ces locutions n'apparaissent que dans des sequences elles-memes figees. Ainsi, <<Je perds haleine >> sera rarissime, et la locution

figurera surtout dans l'expression < courir (chanter) (jusqu') a

perdre haleine ., si bien qu'on doit conclure que le segment << haleine >> a actuellement un statut special, que sa cohesion avec certains infinitifs, formant un systhme rudimentaire, < prendre, perdre, reprendre >>, est remarquable, et qu'il tend, si l'on peut jouer les prophetes, a ne plus figurer qu'en deuxibme element

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inanalysable d'une locution. Ces remarques sur les restrictions de

conjugaison vaudraient aussi pour < rendre gorge >> et mainte autre locution (impossibilite de l'imperatif, par exemple). Si l'on ajoute que les insertions adverbiales sont aventureuses, que l'Cpi- these est impossible, que le renversement passif est hautement douteux, on voit que cette succession de blocages peut faire douter de la Iegitimite d'une recherche de la fonction de l'dllment << nominal>>.

Mais, pour admettre que la << locution>> constitue une nouvelle unite, il faudrait que les deux composants en soient a peu pres meconnaissables; ce deguisement pourra etre, par exemple, inter-

pret' en termes simantiques, et l'on dira que le sens de l'un comme de l'autre est << figur >>. D'ailleurs, malgre I'anathbme lance cou- ramment contre cette expression, les commentaires aboutissent souvent A des conclusions de cet ordre. Damourette et Pichon notent que les elements verbaux de ces locutions sont en general << ceux dont le contenu simiematique est le plus proche d'une sorte d'auxiliarit6 e. Jean Dubois, rendant compte de l'article de Moignet cite ici page 8, indique que, pour l'auteur, dans << avoir faim >, chacun des deux elements perd une partie de ses qualitis pour devenir le complhmentaire de l'autre : ainsifaim a perdu du

c6t' de la substance... < faim >> ne se refrre plus '

lui-meme, il devient l'incidence d'un auxiliaire dont il devient l'indispensable < appoint notionnel>> (Fr. Mod., 1963/I, pp. 73-74).

Cette ref6rence une complementariti bilaterale mirite d'etre examinee. S'il s'agit de la limitation reciproque des effets de sens, c'est un phinomene qui est propre A l'axe de la chaine, et il n'a pas a se manifester moins (ou plus) dans la locution verbale que dans d'autres enchainements, canoniques (planter un arbre). D'autre part, dire que, dans << avoir faim >, faim>> a perdu ses

marques morphologiques n'implique pas que cet element soit

depourvu de valeur simiologique (definie oppositionnellement dans le lexique (faim/soif). En outre, il lui reste toujours le contraste

qu'il entretient syntaxiquement avec le verbe, et son invariabilite (comme sa possibilitd de quantification) n'est pas, a nos yeux, un

argument suffisant pour en faire un adverbe; les discours tenus sur la locution verbale temoignent souvent d'une tendance < hyper- morphologique >> qui ne voit pas qu'une categorie peut parfois ne se definir que sur l'axe syntaxique.

Il importe done de ne pas se laisser abuser par les variations

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diachroniques : dans << perdre haleine >>, le sens de << haleine >> n'est pas trop oblitere mais dans < rendre gorge ., la designation de < gorge >, enregistree par Littre n'existe plus dans la conscience du locuteur (s. v. gorge, 50 : <<sachet superieur de l'oiseau... l'ali- ment qu'on lui donne... rendre gorge, se dit de l'oiseau qui rend la viande qu'il a avalke >>). Notons simplement qu'A moins de donner dans la fauconnerie nous n'avons aucune chance d'user ailleurs de ce nom.

Ainsi, la locution verbale constitue-t-elle un stere'otype minimal, qui rend acrobatique l'analyse de ses constituants, mais l'autorise encore.

b) Locutions non commutables non saturees. - L'obligation d'une

compl6mentation peut &tre imput6e - au verbe : donner lieu a', donner lieu a~ quelqu'un de; - au nom : n'avoir cure de, savoir gre B quelqu'un de, prendre

soin de, avoir recours ', ce qui definirait des << noms transitifs >>; - enfin, il faut inclure des locutions qui requikrent un adjectif

et une complkmentation : faire main basse sur, preter main forte A.

c) L'opposition < saturienon sature'>. - Cette opposition revien- drait, somme toute, a une opposition plus generale, << transitif/ intransitif >>. Mais il est tres rare que l'on puisse diceler une variation nette dans le sens de la locution. La presence d'un complement depend gendralement des conditions rhetoriques de

l'Fnonce. Il y a done variation, et non opposition au sens strict entre < avoir tort ~ ... de, avoir faim ... de, demander pardon

a ... i, prendre garde ' ... ... >>. Ces sch'mas sont A aligner sur << je lis un livre ~ le lis >>, et non sur < la table porte des livres / la table porte >>.

Une variation plus importante se remarque entre<< faire (bonne) figure.> et <<faire figure de>>, comme entre << avoir raison>> et << avoir raison de quelqu'un ., mais la seule opposition caracterisle que nous ayons relevee est entre < avoir lieu / avoir lieu de >>. Notons cependant que les sujets se repartissent alors en deux classes distinctes (evinements/personnes + la variante << il y a lieu de.... ), si bien que, en valorisant le critere des entourages, il nous faudrait reconnaitre que l'opposition sature/non sature n'est jamais perti- nente, a elle seule, pour la discrimination des locutions verbales.

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d) L'opposition < articule'/non articule' >. - En considerant simul- tandment l'articulation et la saturation, on obtient thdoriquement quatre paires d'oppositions :

Articulation Expansion Articulation Expansion

I. - + / + 2. - - / + + 3. - - / + - 4. - + I + +

Premier cas :

rendre justice ia / rendre la justice faire fete A / faire la f6te.

On observe syntaxiquement un dquilibre des marques. On peut bloquer << rendre justice > en << rdhabiliter, fdliciter ., et << faire f6te >> en << accueillir joyeusement (?) ., alors que, dans l'autre cas, il

s'agit d'exercer sa fonction de juge, ou de se constituer en fatard.

Deuxieme cas :

faire fortune / faire la fortune de faire ecole / faire l'Ccole a demander grAce / demander la grAce de.

On observe, A l'inverse, une cumulation des marques. C'est l'expansion qui rend compte de l'acception transitive, ou, au contraire, <<moyenne>> de ces locutions (cf. ici, p. io, . a); de meme : prendre forme /prendre la forme de prendre place / prendre la place de.

Troisieme cas :

faire eau / faire de l'eau, faire feu / faire le feu faire appel / faire l'appel, faire probleme / un problame.

Ce cas serait particulibrement interessant, mais les exemples nets sont rares. Qu'ils soient tous formes avec << faire ., cela ne saurait surprendre quand on sait que << faire > peut, avec ce type d'enchainement, jouer le r61le d'un verbe copule, dont le signifie s'oppose A celui de << tre >> comme << adequation relative / assertion

pure et simple > (<< un fauteuil qui se deplie pour faire lit.>, ex. oral; << Brfile-tout : sorte de bougeoir court, garni d'un rond qui fait bob che >>, Littre', s. v. briile-tout).

On constate aussi bien des oppositions franches (faire feu / faire le feu) que des neutralisations, puisque, pour Littre' < entendre

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raillerie = prendre bien les choses dites en plaisantant; entendre la raillerie = avoir le talent de bien railler >. Nous n'y voyons plus de difference.

Quatridme cas

faire affaire avec / faire l'affaire de faire connaissance de, avec / faire la connaissance de faire honneur '

/ faire l'honneur de faire part de / faire la part de donner raison ' / donner la raison de.

On voit que la catigorie est largement reprdsentee, que les diff6rences simantiques sont parfois nulles, parfois considerables

(part, raison). Enfin, on remarque que les prepositions varient dans la premiere colonne (de, a, avec), tandis que << de >> est seul

figurer dans la deuxieime colonne, ce qui est conforme la syntaxe du nom.

Au terme de cette analyse, c'est la dissymitrie des locutions verbales qui frappe; << faire fete ' >> et < faire honneur >> existent; mais face a < faire la fete >>, il n'y a aucun << faire l'honneur >>. On ne peut, d'autre part, degager une << virtualiti > systimatique de la construction non articulde, et << feu >> n'est pas plus virtuel dans < faire feu>> que dans << faire le feu >>. Reste a voir comment le lexique et la syntaxe s'accommodent de cette construction qui donne tant de tablature au descripteur.

4) Fonctions

a) Fonction lexicale de la locution verbale. - On est parfois tentd de voir dans les locutions verbales un systeme paralldle au systlme verbal, et le doublant, le cas eicheant. L'existence de series paral- klles

" 1elments interchangeables doit tre mise en doute.

Considerons d'abord le cas oi0 il y a une identite formelle

partielle entre l'lelment nominal de la locution et un verbe : donner et faire don. C'est bien le cas oi0 la commutation a le plus de chances de ne rien changer au sens de l'6nonce. Or, s'il arrive

que les deux enonces soient acceptables : < donner un beau livre ~ faire don d'un beau livre >>, la generalisation de cette commutation conduirait a des aberrations : *cette musique fait don d'une impression de tristesse, *cet ouvrage m'a fait don de

peine, *le theatre fait don d'une pikce, *faire don dans le panneau, *porte faisant don sur la voie >. On doit done refuser l'assimilation

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totale entre donner etfaire don. Inversement, il arrive que, meme en l'absence de toute homophonie, I'ensemble des emplois de la locution coincide avec celui des emplois du verbe : faire peur ~ tpouvanter; avoir peur ~ craindre. On constate que, face aux verbes a polysimie etendue, la locution, si elle existe, ne balaie

qu'un secteur itroit de ce verbe. Dans<< faire don)>, il faut retenir la

gratuitd c&remonieuse ou rituelle, et l'importance de l'objet donne. Mais on ne saurait dire que la locution est toujours un intensif

par rapport au verbe, puisque c'est l'inverse qui se produit dans les couples avoir peur ~ craindre, faire plaisir ~ complaire, avoir soif ~ &tre assoiff6. Il est normal, en definitive, d'imputer a la basse frequence tel effet d'intensitd.

Si une locution n'est pas commutable avec un verbe, elle est

semantiquement un donne global. Si elle entre en opposition avec un verbe, l'un des deux termes est automatiquement marque. Lexicalement, les locutions remplissent des cases vides, et, dia-

chroniquement, le systeme a connu plusieurs sortes d'equilibre.

b) Fonction syntaxique de la locution verbale. - Il n'existe pas de

< *prendre prise, *donner don, *faire fagon, *tirer tirage, *rendre rendement >>, si bien qu'aucun verbe n'est combinable en locution non articulde avec l'Clement nominal qui lui correspond. Rien ne

s'oppose, sur le plan theorique, a ce qu'un verbe (sauf <<etre, avoir, faire >>) soit decomposable en un elment verbal, pantonymique, et un 1eement nominal, semantiquement specifie, ou<< idionymique>>. Cela explique qu'on n'ait jamais << *prendre true, *avoir machin, *faire chose >>, alors que les pantonymes nominaux avec article peuvent suivre n'importe quel verbe.

Qu'un verbe comme << accueillir >> soit dicomposable en << faire accueil >>, alors que << recevoir ou manger > ne le sont pas en *avoir, faire reception, *faire manducation, c'est fortuit.

Mais le plus important, c'est que la locution verbale represente une construction connue et prdponderante en frangais, encore que klgbrement deguisde, ici, savoir la sequence << verbe + complk- ment >. Sans vouloir insinuer que le franqais est une langue a complement, comme il est langue a sujet, il semble que dans des cas oi, par exemple, on aurait .t employer un verbe sans aucune

expansion :<< je crains >>, on preffre (ou on doit) recourir h la locution verbale :<< j'ai peur >; de meme :<< il est blanc a faire peur>>, et non<< il est blanc a epouvanter>>. C'est ainsi que<< prendre

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16 GEORGES BERNARD

fin, naissance, patience, espoir >> sont d'utiles substituts de - finir,

debuter, patienter, esperer >, sans qu'il y ait stricte obligation., mais simple tendance. On peut le verifier dans le langage parle, oh l'on relkve frequemment une variation entre < on tachera d'y arriver >> et << on tachera moyen # >>. Plut6t que d'y voir, comme Damourette et Pichon une expression << oh le complement coales- cent n'ajoute exactement rien au verbe, et est aussi inutile que populacier >> (E.G.L.F., t. III, p. 351), nous croyons qu'il y a li une manifestation de la tendance " la compl6mentation.

On est donc conduit a assigner a la locution verbale une fonc- tion de remplacement, tant lexicale que syntaxique. Son caractere batard pouvait le laisser prevoir : ainsi l'61lment nominal est 'a

peine un nom, comme l'atteste le fait qu'il ne saurait tre repris par un pronom, ce qui rend inacceptable l'enonce suivant : << j'avais peur qu'elle n'ait mal aux yeux, comme tant d'annamites

l'ont >> (lettre citee par Damourette et Pichon, E.G.L.F., t. III, p. 350). Mais, il tait necessaire d'entreprendre de discerner une structure des locutions verbales, ne serait-ce qu'en raison des

probl6mes thdoriques qu'elles posent.

5) Remarque : la distribution complimentaire : locution verbale / nom composd

Au diguisement du nom peut s'ajouter celui du verbe, dans une

partie du systeme des < noms composes >. L'enchainement article + pseudo-verbe non conjugable + article o + lexbme nominal est attests dans < un garde-c8tes, un brise-lames... >>.

Par ailleurs, le nom compose avec construction articulee existe

bien, mais il est des plus rares, et les exemples que nous avons releves designent tous des personnes et sont utilises en guise de

sobriquets permanents ou 6pisodiques : Trompe-la-mort (Vautrin), Chasse-la-paix (en parlant d'un enfant; sud-vendeen), de meme

Rabat-l'egail (surnom de tout homme, dans cette meme region, qui marche les pieds tournes en dehors), ou encore Tape-la-patte. Ajoutons, cite par Littre' :<< Le chevalier etait un brise-cceur, un

matamore, un ramasse-ton-bras... >> (s. v. ramasse-ton-bras). Quand on superpose les deux ensembles des locutions verbales,

d'une part, des noms composes, de l'autre, on constate que :

a) Ils n'ont aucun 6C1ment commun, et si un enchainement existe dans la classe des noms composes, il est exclu de la liste des

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LES LOCUTIONS VERBALES FRANqAISES 17

locutions verbales. Il suffira de savoir que l'on dit un tire-bouchon, il tire parti, un ramasse-miettes, il garde rancune, pour &tre certain de former des sequences aberrantes en disant *je tirais bouchon, *un tire-parti, *tu ramasses miette(s), ou *des garde-rancune. La seule exception actuelle que nous ayons trouvie est < un porte- bonheur ^ Cela me portera bonheur >, mais il faut dire que le nombre des composes en << porte-... > est le plus dleve.

b) Il existe souvent une inversion dans l'inventaire des locutions verbales et des noms composes formis sur une meme base.

Un verbe comme < prendre >, qui connait bien des construc- tions non articulkes (prendre connaissance, courage, garde, haleine, langue, patience, parti, place, plaisir, peur, pied, position, racine, soin...) n'a forme aucun nom compose en < *prend-... >, pas plus d'ailleurs que << tenir >>.

Les composes en <<garde-...>> sont nombreux, et toujours exploi- tes, alors qu'on ne trouve, de locution verbale, que l'unique<< garder rancune >>.

S'il est vrai que les noms composes franqais ont trbs generale- ment un e61ment verbal du premier groupe, que le type < un

abat-jour >> est rare, et que < *un fait-... >> est inexistant (un fait- tout ?), face ' la profusion des locutions verbales non articulkes avec << faire >, cela ne rend pas compte de l'absence de << *un donne-... >>, ta c6t de < donner lieu, matikre, raison, sujet, tort >>.

Il est difficile de donner une interpretation de cette distribution

compl6mentaire. On ne peut guere penser que le franqais n'eprouve pas le besoin de < g6ndraliser>> (?) les memes noms dans les deux classes, car on ne voit a cela aucune raison theorique. Il nous semble plut6t qu'il y a 1. un moyen d'affinement lexical, mais que, surtout, c'est la manifestation d'un figement<< au deuxihme degr >>. En face de la parfaite libert6 combinatoire que l'on a dans < elle

coupe du bois - la coupe du bois; il guerit les malades - la

guerison des malades - le guerisseur des malades >>, on constate un figement syntaxique dans << il tire parti >, tout comme dans << un tire-bottes >, mais nous n'avons plus aucune libert6 de mani-

pulation morphologique; c'est un nom, ou un verbe, sans osmose

possible. Fait remarquable, qui corrobore ce que l'on savait dj~i sur la solidarit6 des deux axes linguistiques : le figement lexical est

conjoint au figement textuel. Universite de Nantes.

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