4
1 LESSURPRISES DE LAGiNOMlQUE 1 n Les loglques de la ue Le s&quenGage du ge’nome humain semble pro- mettre l’avtkement d’une nouvelle biologie, ca- pable de s’attaquer 2 la complexite’ du monde cellulaire. Pour Jean-Paul Gaudillikre, la ge’- ne’tique mole’culaire est cependant loin d’avoir g&he une nouvelle vision du vivant. Elle a, avant tout, apporte’ de formidables progrks tech- niques et de nouvelles formes d’organisation de la recherche. est, officiellement du moms, atteint, la genomique est devenue paradoxale- ment plus anodine. Son caractere ins- trumental s’est estompe. On parle de post-genomique pour designer les recherches effect&es h partir de I’ob- tention de la sequence d’un genome (genomique fonctionnelle, protio- mique), autrement dit d’un retour au biologique, d’une recherche moins synonyme du simple decryptage des sequences d’ADN. Dans de nom- breux discours scientifiques, la diffe- rence entre la genomique et la post- genomique tiendrait d’abord a I’ac- ceptation de la complexite du vivant ; i I’inverse du reductionnisme initial de la biologie moleculaire, la biologie serait de plus en plus une science des systemes complexes (F&3). * Centre de recherche medecl- ne, sciences et soci& (Cermes), 182, bd de la Villet- te, 75019 Paris, et Max-Planck lnstitut ftir Wlssenschafts- geschichte, Wil- helmstrasse 44, 10117 Berlin, Allemagne. E-mail : gaudilli @ext.jussieu.fr u milieu des an&es 1980, aux ctats-Unis, le monde des sciences biologiques Ptait en pleine Cbullition, du fait des rumeurs concer- nant la mise sur pied d’un vaste pro- jet de recherche sur le genome hu- main. Celui-ci vit officiellement le jour, sous la forme d’un projet asso- ciant les National Institutes of Health (NIH) et le Department of Energy, le Human Genome Project (HGP), en 1987 (1). Pour ses initiateurs, I’ini- tiative genome humain devait creer une infrastructure permettant de de- terminer rapidement la structure mo- leculaire - la sequence - de longs frag- ments d’ADN, et ainsi de caracteriser la totalite des quelque 100 000 genes humains. Le programme genome fournirait ainsi les bases de la bio- logie du XXI? siecle. Dans le tours des discussions qui presiderent a cette initiative, les justifications de I’entreprise glisse- rent toutefois des outils chimiques et informatiques de la biologie du XIXe siecle vers les applications des connaissances genetiques, en parti- culier medicales (uoir Biofutur 200, 25-31). Pour de nombreux observa- teurs, la naissance de la (( geno- mrque” )a etait caracteristique des mutations du systeme de recherche. En effet, delaissant la configuration caracteristique des ccTrente glo- rieuses )), ou la recherche Ptait fon- damentale, pratiquee par des univer- sitaires au moyen de financements publics, les biologistes, au moins aux &ats-Unis, travaillaient disor- mais dans des lieux plus divers, par- fois dans leurs propres entreprises, sur des projets d’innovation combi- nant recherche et developpement technologique a destination de la medecine ou de I’agriculture, L l’aide de fonds heterogenes faisant une large place au capital-risque. Aujourd’hui, alors que I’objectif le plus direct du projet - le sequencage - Les astbrisques renvoient au glosseire p. 23 > the nouveile biologie ? Elle tiendrait aussi a I’importance de la modilisation dans I’etude des genes : la biologie genetique entre- tiendrait des liens de plus en plus etroits avec l’informatique car celle- ci lui fournit les outils de stockage et d’analyse des donnees - d’ou la nais- sance de la bio-informatique - mais aussi parce que les systemes vivants sont des systemes de traitement d’in- formation. Malgri le caractere banal, presque routinier des pra- tiques de localisation et de sequenpa- ge des genes, l’idee d’une revolution dans les savoirs de la vie reste done (1) R. Cook-Degan (1994) The Gene wars. soence. polks and the human genome, Norton Press, New York (2) La Recherche, juin 2000, dossier c( Genome humain : Les vrals enjeux d’un grand programme )a. 20 BIOFUTUR 206 l D&em P re 2000

Les logiques instrumentales de la génomique

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les logiques instrumentales de la génomique

1 LESSURPRISES DE LAGiNOMlQUE 1

n

Les loglques de

la ue

Le s&quenGage du ge’nome humain semble pro-

mettre l’avtkement d’une nouvelle biologie, ca-

pable de s’attaquer 2 la complexite’ du monde

cellulaire. Pour Jean-Paul Gaudillikre, la ge’-

ne’tique mole’culaire est cependant loin d’avoir

g&he une nouvelle vision du vivant. Elle a,

avant tout, apporte’ de formidables progrks tech-

niques et de nouvelles formes d’organisation

de la recherche.

est, officiellement du moms, atteint, la genomique est devenue paradoxale- ment plus anodine. Son caractere ins- trumental s’est estompe. On parle de post-genomique pour designer les recherches effect&es h partir de I’ob- tention de la sequence d’un genome (genomique fonctionnelle, protio- mique), autrement dit d’un retour au biologique, d’une recherche moins synonyme du simple decryptage des sequences d’ADN. Dans de nom- breux discours scientifiques, la diffe- rence entre la genomique et la post- genomique tiendrait d’abord a I’ac- ceptation de la complexite du vivant ; i I’inverse du reductionnisme initial de la biologie moleculaire, la biologie serait de plus en plus une science des systemes complexes (F&3).

* Centre de

recherche medecl-

ne, sciences et

soci& (Cermes),

182, bd de la Villet-

te, 75019 Paris, et

Max-Planck lnstitut

ftir Wlssenschafts-

geschichte, Wil-

helmstrasse 44,

10117 Berlin,

Allemagne.

E-mail : gaudilli

@ext.jussieu.fr

u milieu des an&es 1980, aux ctats-Unis, le monde des

sciences biologiques Ptait en pleine Cbullition, du fait des rumeurs concer- nant la mise sur pied d’un vaste pro- jet de recherche sur le genome hu- main. Celui-ci vit officiellement le jour, sous la forme d’un projet asso- ciant les National Institutes of Health (NIH) et le Department of Energy, le Human Genome Project (HGP), en 1987 (1). Pour ses initiateurs, I’ini- tiative genome humain devait creer une infrastructure permettant de de- terminer rapidement la structure mo- leculaire - la sequence - de longs frag- ments d’ADN, et ainsi de caracteriser la totalite des quelque 100 000 genes humains. Le programme genome fournirait ainsi les bases de la bio- logie du XXI? siecle. Dans le tours des discussions qui presiderent a cette initiative, les justifications de I’entreprise glisse- rent toutefois des outils chimiques et

informatiques de la biologie du XIXe siecle vers les applications des connaissances genetiques, en parti- culier medicales (uoir Biofutur 200, 25-31). Pour de nombreux observa- teurs, la naissance de la (( geno- mrque” )a etait caracteristique des mutations du systeme de recherche. En effet, delaissant la configuration caracteristique des cc Trente glo- rieuses )), ou la recherche Ptait fon- damentale, pratiquee par des univer- sitaires au moyen de financements publics, les biologistes, au moins aux &ats-Unis, travaillaient disor- mais dans des lieux plus divers, par- fois dans leurs propres entreprises, sur des projets d’innovation combi- nant recherche et developpement technologique a destination de la medecine ou de I’agriculture, L l’aide de fonds heterogenes faisant une large place au capital-risque. Aujourd’hui, alors que I’objectif le plus direct du projet - le sequencage -

Les astbrisques renvoient au glosseire p. 23

> the nouveile biologie ?

Elle tiendrait aussi a I’importance de la modilisation dans I’etude des genes : la biologie genetique entre- tiendrait des liens de plus en plus etroits avec l’informatique car celle- ci lui fournit les outils de stockage et d’analyse des donnees - d’ou la nais- sance de la bio-informatique - mais aussi parce que les systemes vivants sont des systemes de traitement d’in- formation. Malgri le caractere banal, presque routinier des pra- tiques de localisation et de sequenpa- ge des genes, l’idee d’une revolution dans les savoirs de la vie reste done

(1) R. Cook-Degan

(1994) The Gene wars. soence. polks and the human genome, Norton Press,

New York

(2) La Recherche, juin 2000, dossier

c( Genome humain : Les vrals enjeux

d’un grand programme )a.

20 BIOFUTUR 206 l D&em P

re 2000

Page 2: Les logiques instrumentales de la génomique

Image de cristaux d’ADN en solution. La g&&ique mol6culaire s’est Bdifi6e ti partir de la decouverte de la structure en

double h&ice de I’ADN par Watson et Crick, dont les travaux avaient Bt6 influenc& par de telles images cristallines,

obtenues par Maurice Wilkins et Rosalind Franklin.

trks prCsente, mime si les termes en ont change!. Que s’est-il alors passi, au tours des dernikres decennies, pour justifier cette perception d’une rCvolution de la biologie et de ses cadres d’applica- tion ? Mon hypothgse est ici que les ruptures des vingt derni?res an&es ont davantage port6 sur les faqons de faire de la recherche et sur les modes d’organisation que sur les para- digmes et les visions du vivant. Autre- ment dit, ce qui justifie que l’on parle aujourd’hui d’une <f nouvelle biolo- gie )) lorsque I’on Cvoque les apports de la ginomique est une explosion des savoir-faire et des pratiques de manipulation de I’ADN, dont on a un indice dans le vocabulaire pro& dural du domaine : clonage, sCquen- Cage, hybridation molPculaire, stoc- kage, transgCnPse, mutagen&e diri- gke, enzymes de restriction, souris knock-out, vecteurs viraux, YAC... De plus, du point de vue des faqons de faire et de travailler, la continuite entre gPnomique et post-gCnomique nous semble s’imposer ; mime si l’on considke que ce sont dCsormais les protCines et les produits des g&es, et non plus les sPquences d’ADN, qui seront au cceur de l’analyse. Les nou- velles formes de manipulation du vivant ont des effets techniques, sociaux, et finalement cognitifs, dont on a encore j peine pris la mesure. Pour d&cuter de cette continuitt5 thio- rique et des logiques instrumentales

de la ginomique, j’ai choisi de revenir sur des obiets embkmatiques de la biologie (c fin de sikcle )) : la mttapho-

re informationnelle, les modkles du dCveloppement et, parce que les savoirs de la sequence sont au cceur des nouveaux rgseaux bio-industriels, la start-up et ses produits.

> <c L’information )j

La litterature gCnomique, qu’elle soit destinCe aux profanes ou aux professionnels, charrie un grand nombre de mPtaphores et d’images. Depuis celle du cc livre de l’homme )a tcrit en langage ADN, jusqu’aux kfkrences aux thPories et i la sock!- tC de l’information. L’idie de l’infor- mation biologique &rite en bits d’ADN n’est en effet pas neuve. En 1948, le mathtmaticien americain Norbert Wiener, B I’Ppoque au Massachusetts Institute of Technology (MIT, Cambridge), publiait un petit ouvrage dans lequel il d6veloppait I’idCe que la cybernttique” est une thCorie gCnt!rale de la communica- tion, une thtorie des processus de contrble, applicable j la fois aux machines, aux animaux et aux hommes (4, 51. Dans Cybernetics,

Wiener insistait longuement sur la distinction entre l’information des thCories de l’information, une quan- tit6 mesurable en termes de statis- tique probabiliste, et l’infovmation

du sens commun.

Pendant prPs d’une dkennie, la g&iralisatlon de ces rkflexions fut pork par un groupe, dit de cybernk- ticiens, dans lequel on retrouvait une grande val-i&k de disciplines. Pour les cybernkiciens, I’enjeu Ctait moins de formuler une thCorie totalement cohkrente que d’btendre la validitk du concept d’information en le confrontant 2 des probl6mes relevant

(3) Conf&ence (I Postgenomics ? Historical, socio-

de champs de savoir tels que la bio- epistemic and

logic, sous la forme de la physiologie et de la neurobiologie, mais aussi les sciences sociales. Pour des raisons qui tiennent en partie 1 la plasticitk et h la gCnCralitC de ses concepts, cette sybernitique a eu un succ~s considPrable (6). L’un des aspects de cet impact est qu’H la fin des annCes 1950, tout un ensemble de biolo- gistes se disant (( molCculaires )) se mirent i parler de transferts d’infor- mation du g&e i la protCine, de

cultural aspects of genome projects j), Max Planck lnstitut ftir Wissenschafts- geschichte, Berlin, juin 1998.

(4) N. Wiener (1948) Cybernetics. MIT Press, Cambridge.

(5) P. Galison (1994) Critical Inquiry 21, 22%

feed-b& molCculaire, de transcrip- 266. tion ou de traduction. Un vocabulai- re combinant linguistique, biochimie (6) G. Bowker

et thkorie de l’information stdimenta (1993) Sot. Studie!

alors a partir d’une utilisation sauva- Sci. 23, 107-127.

ge des concepts des cyberneticiens. Pour leurs colkgues physiciens, les biologistes mokulaires confon- daient allkgrement information au sens commun et information au sens statistique. Leur information, celle que contient la mokule d’ADN, <c codait ,, la protkine, mais aussi l’organisme. 11s opkraient sails cessc. i la maniere de l’kvolutionniste . . .

BIOFUTUR 206 l Decembre 2000 21

Page 3: Les logiques instrumentales de la génomique

. . . britannique Richard Dawkins, un glissement de sens entre le message quantifit, ce qui se joue autour de la structure de I’ADN et du nombre de

(7) F. Jacob (1970) La logique du

bases de la sequence, et la significa-

vivant, Gallimard, tion biologique du message, c’est-a-

Paris. dire la fabrication d’une molecule

Marshall Nirenberg, grand manipulateur

de macromol6cules et s( inventeur s) du code g&x%ique

avec H. Matthaei.

James Watson, dtkouvreur de la structure de I’ADN.

(8) W. Gehring (1999) L’ceil de la mouche, Odile Jacob, Paris.

fonctionnelle pour un organisme donne dans un environnement don&. Du coup, on pouvait penser que l’utilisation de cette metaphore informationnelle n’etait qu’un jeu gratuit avec des images. La dtcouverte du code genetique, au debut des annees 1960, est pourtant

un bon indice de l’efficacite de cette metaphore. Le probleme du code avait Ctt mis en forme par des bio- physiciens habitues au maniement de l’information quantifiie ; des

chercheurs comme George Gamow ou Alfred Kastler, qui avaient pose le probleme de la synthese des pro- teines en termes de transfert d’infor- mation : comment assurer la corres- pondance entre l’information gtne- tique stockie dans une sequence for- mee de la combinaison de quatre lettres (les quatre bases de 1’ADN d’un gene donne) et ce qu’elle code, c’est-a-dire la sequence d’une protei- ne formee de l’agencement de vingt types differents d’acides amines ? Durant la premiere moitit des annees 1950, toutes les approches quanti- frees, formelles du probleme, avaient echo&. La solution Cmergea des manipulations de macromolecules realisies par des biochimistes tels que Marshall Nirenberg et J. Heinrich Matthaei qui travaillaient, aux Insti- tuts nationaux de la Sante americains (NIH), sur la synthese des proteines, sans trop se preoccuper des theories du signal, mais qui mobiliserent la

rhttorique de l’information pour lire et planifier des experiences par les- quelles ils faisaient produire des pro- mines a des ARN de composition connue parce que synthetises en tubes a essai.

> Le gene est-il le maitre ?

Le vivant consider+ comme un ensemble d’informations est done aussi ancien que la biologie molecu- laire. En plus de 50 ans, l’image a certes change de sens et d’usages, mais on peut aisement filer la com- paraison entre le present et le passe recent, entre le decryptage du code genetique et celui du genome. La ver- sion actuelle de l’information gene- tique, parce que numerique, nourrie par le developpement des banques de sequence et des logiciels de traite- ment de donnees, est ainsi plus proche de ce que les cyberneticiens imaginaient, comparee aux reactions metaboliques des biochimistes des annees 1960. On peut alors se demander si la mitaphore informa- tionnelle ne contribue pas aujour- d’hui, plus encore qu’au debut de la biologie moliculaire et malgre les proclamations antireductionnistes associees h l’idee de post-gtnomique, a canaliser les questions et a ren- voyer la complexite du vivant au seul niveau d’une grammaire des agence- ments de sequences.

Un bon terrain d’observation est, de ce point de vue, l’kolution de la biologie du developpement. La biologie molt- culaire des annees 1960 et 1970 avait rive d’ecrire une nouvelle thtorie du developpement centree sur les genes, leurs changements d’activite dans le temps, et la notion de programme ins- crit dans la structure des chromo- somes. Francois Jacob tcrivait ainsi dans La Logique du vivant: R Au

cows du d.heloppement embryonnai-

re, sont progressivement traduites et

exe’cutkes les instructions qui, conte-

nues dans les chromosomes de l’azuf,

dkterminent quand et oti se ferment

les milliers d’espkces mole’culaires

constituant le corps de l’adulte. Tout le

plan de croissance, toute la skrie des

ophations Li effectuer, l’ordre et le lieu

des synthkes, leur coordination, tout

cela est inscrit dans le message

nuclkique )) (7).

Certains considerent aujourd’hui que le rtve est en train de devenir realite, dans la mesure ou toute une serie de genes impliques dans telle ou telle &ape de la differentiation cellulaire ont CtC decrits. Et surtout parce que de nouvelles categories de genes (( maitres )), comme les genes homeo- tiques de la mouche ou de la souris, controlant la formation d’organes entiers, ont ite identifies (8). La diffe- rence importante avec la biologie moleculaire des annees 1960 tient a l’apparition du concept de reseau : les effets des genes maitres sont decrits en termes de reseaux de macromolecules, de genes rigulant l’activite d’autres genes, d’interactions entre de mul- tiples proteines circulant au sein et entre les cellules de l’embryon. S’iloigne-t-on par consequent de la simple grammaire des agencements de sequences evoquie plus haut ? Non, car la connaissance des interactions constitutives du reseau est, theorique- ment au moins, deductible de la connaissance des sequences ; de plus, les hierarchies internes au reseau sont celles qui sont inscrites dans la struc- ture du gtnome. Ces reseaux gedtiques et Cpigeni- tiques* revelent un conflit classique entre complexite et reductionnisme, qui prend ici la forme des tensions entre les richesses de la modelisation informatisie des reseaux de genes et de proteines (voir I’article de B. Jacq et

D. ThiefFy, p. 72) et l’univociti de la manipulation des sequences, entre la sonde d’ADN dans son gel et le microordinateur branch6 sur le net. D’un c&C, pour cette biologie des reseaux, ce sont les communications moleculaires entre cellules, le controle

22 BIOFUTUR 206 l Dkembre 2000

Page 4: Les logiques instrumentales de la génomique

de la differentiation par des proteines regulant l’activite des genes, les sys- temes d’interactions entre ces macro- molecules qui importent (9). Cepen- dant, certains regardent avec suspicion cette dynamique globale des reseaux. La pregnance de la notion de gene maitre, celle des manipulations visant, en pratique, a etablir une correspon- dance directe entre un gene et la for-

mation d’un organe sont la preuve de la fecondite du rtductionnisme. Les biologistes du developpement sont, de ce point de vue, dans une situation analogue a celles qu’ont vecues les bio- chimistes, il y a 40 ans, lorsqu’on com- mencait a detailler les regulations metaboliques. 11s revent de complexite tout en faisant autre chose. D’autres considerent, a l’inverse, que le raffinement des pratiques de modelisation ouvre des perspectives

mtme logique instrumentale est, pour finir, facile a percevoir, lorsque l’on s’interesse a la mise en application des nouvelles connaissances biologiques. En la mat&e, on a beaucoup park des dimensions organisationnelles et Cconomiques du phenomene des start-ups (10) (voiv Biofutur [2999] 194). De ce point de vue, on se contentera de rappeler l’heterogentite du paysage (11). Schematiquement, une faible partie des compagnies nees dans les annees 1970 (Genentech, Amgen) ont survecu et atteint la taille de petites compagnies pharmaceu- tiques, avec pour settle difference leur creneau technologique. Elles dispo- sent de revenus substantiels, issus de la vente de molecules, au premier rang desquelles figurent les proteines recombinantes (insuline, hormone de croissance, etc.). Inversement, des

Les g&es hombotiques de la dmsophile suggbent I’importance

des rbseaux mol&ulaires de rbgulation, done de la complexit& tout

en constituant une preuve de la fkconditb de I’approche r6ductionniste.

diffirentes. 11s reflechissent aux stra- tegies d’une biologie sur ordinateur tirant benefice des connaissances sur les mecanismes de regulation accu- mulees dans les livres et les banques de donnees. On s’acheminerait ainsi vers une biologie <c virtuelle )), ou la construction des organismes, le cri- blage des banques de sequences, les experiences cc sur ordinateur u (in

silica) prendront une place croissan- te et permettront de multiplier para- metres et mises en relations. Autre- ment dit, les nouvelles technologies de traitement de I’information sauve- ront les reseaux et, avec eux, la com- plexite biologique. CidCe selon laquelle gtnomique et post-genomique sont unies par une

centaines d’autres firmes restent des centres de R&D vivant de leur capita- lisation boursitre, de la cession de leurs actifs intellectuels, que ce soit sous forme de licences sur des brevets ou de contrats avec les grandes com- pagnies pharmaceutiques, et regissant I’acces aux resultats de recherche. De ce point de vue, si la genomique a multiplie les opportunites, elle n’a pas (encore) change la donne. En revanche, pour ce qui est de la nature des usages induits par la geno- mique, les evolutions sont plus signifi- catives. Le secteur du diagnostic gene- tique en est un bon indice. La conjonc- tion entre start-ups, genetique et geno- mique est a l’origine d’un nouveau type de pratiques medicales et d’un

nouveau marche. La possibilite d’iden- tifier des dizaines, si ce n’est des cen- taines de genes de predisposition au cancer, au diabete, aux maladies car- dio-vasculaires ou a I’obtsite a, des I’origine, CtC une cible privilegiee des programmes genomes (12). Quinze ans plus tard, l’emergence dune societe du risque genetique est une rtalite, aux Etats-Unis en particulier. L’exemple typique est celui du cancer du sein, ou I’identification et le clonage des genes BRCA 1 et 2 a debouche sur une gene- ralisation rapide du depistage, la constitution d’une population de femmes a haut risque genetique, et la stabilisation d’un marche specifique (13) (voir Biofutur 204, 26-32). Alors qu’on ne peut proposer aux femmes porteuses de mutations qu’une intensi- fication de la surveillance radiologique

aux benefices non prom&, ou une chirurgie prophylactique. Finalement, parler dune nouvelle bio- logie pour decrire les effets de la recherche genomique est certainement excessif, puisqu’elle n’a pas genere de nouvelle vision du vivant, malgre l’evo- lution des concepts - rtseau, gene (uoiu

l’ayticle a!e M. Morange, p. 24) - et que ces effets les plus immediats sont technologiques et sociaux, notamment via la generalisation probable des tests genetiques. La longue histoire des bio- technologies et de la genitique est faci- lement visible i l’arriere-plan de la montee en puissance de la biologie des sequences et de I’information. Eu Cgard i la continuite des facons de voir qui caracterisent depuis 30 ans la biologie moleculaire, la gtnomique (c fin de siecle >> a apporte deux types d’evolu- tions. D’une part, celle des savoir-faire et des out&, avec le developpement des technologies de I’ADN et leur coupla- ge j l’informatique. D’autre part, celle des modes d’organisation de la recherche, avec une biologie souvent produite dans des structures de grande taille, liant prive et public, travaillant au plus pres des usages et, parfois, comme pour les start-ups, au plus pi-es des marches financiers. 0

(9) M Morange.

The Developmental gene concept Mstory and hm~ts Harvard Umverslty

Press (sous pres-

Se).

[lo) M. Gibbons

eta/. (1994) The new producbon of know/edge. Sage.

Londres

Ill) Ernst & Young

(1999) Bridging the gap 131” Annual biotechnology industry report Palo Alto.

(12) D Kevles.

L. Hood (1994)

The Code of codes. Harvard Unlverslty

Press, Cambridge

(13) M. Cawer.

J.P GaudWre.

Sci. Sot. Sante. dhembre 2000.