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Les manifestations linguistiques de l'expressivité à travers les langues Journées d’études organisées par le Centre Interlangues "Texte Image Langage" (EA4182), le GreLiSC (Composante de l'unité "Textes et Cultures" - EA 2977), le Réseau des Linguistes du Grand Est dans le cadre du pôle “Textes et Contextes” de la Maison des Sciences de l’Homme de Dijon Jeudi 22 novembre 2007 - 14h00-18h00 Vendredi 23 novembre 2007 - 9h00-17h00 Salle R10 - Pôle d’économie et de gestion Université de Bourgogne Contact : [email protected] Site Web : http://mshdijon.u-bourgogne.fr

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Les manifestations linguistiques

de l'expressivité à travers les langues

Journées d’études organisées par le Centre Interlangues "Texte Image Langage" (EA4182),le GreLiSC (Composante de l'unité "Textes et Cultures" - EA 2977),

le Réseau des Linguistes du Grand Est

dans le cadre du pôle “Textes et Contextes”de la Maison des Sciences de l’Homme de Dijon

Jeudi 22 novembre 2007 - 14h00-18h00

Vendredi 23 novembre 2007 - 9h00-17h00

Salle R10 - Pôle d’économie et de gestion

Université de Bourgogne

Contact : [email protected]

Site Web : http://mshdijon.u-bourgogne.fr

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Philippe Monneret Université de Bourgogne – GreLiSC (EA 2977)

Expressivité et image Retour sur la conception guillaumienne de l’expressivité

La théorie guillaumienne de l’expressivité se résume par l’équation

expression + expressivité = 1

Cette conception de l’expressivité, qui suppose, en première analyse, un équilibre dynamique entre l’institué (du côté de l’expression et de la langue) et l’improvisé (du côté de l’expressivité et du discours), se met en place, dans le corpus guillaumien, dès les années 1940. Antérieurement, l’usage par Guillaume du concept d’expressivité est assez flottant : il s’applique d’abord à des emplois particuliers des formes linguistiques, se caractérisant par un écart par rapport à un contenu sémantique neutre, usuel, stabilisé, fréquent. Tel est le cas notamment :

- lorsque Guillaume analyse la dynamique du changement linguistique comme une perception par les sujets parlants de la valeur expressive potentielle des innovations arbitraires qui apparaissent dans l’histoire d’une langue (Guillaume 1929) ;

- lorsqu’il caractérise comme « stylistiques » ou « expressives » certains emplois de formes verbales [dont le célèbre imparfait de la phrase « Le 4 septembre 1768, naissait, à Saint Malo, dans la sombre rue des Juifs, le chevalier François-René de Chateaubriand » (Guillaume 1929] ;

- lorsqu’il analyse certaines constructions syntaxiques atypiques comme des effets d’expressivité obtenus par effacement [« Paraît qu’on s’est trompé » (Guillaume 1990), phrases averbales] (Guillaume 1964) ;

- lorsqu’il considère l’impératif comme un mode « de parole » et non un mode « de pensée » au motif qu’il s’agit d’une « manière expressive de dire des choses conçues d’ordinaire à l’indicatif » (Guillaume 1964).

Mais Guillaume utilise également le terme d’expressivité pour opposer « l’axe des choses expressément dites » (expression) à « l’axe des sentiments informulés » (expressivité), pour caractériser le « schème sublinguistique » correspondant au « style » (au sens littéraire du terme), pour différencier les valeurs d’emplois des signifiés d’effet de l’article en français, ou encore pour expliquer les différences d’emploi des formes toniques et atones des pronoms en français. En d’autres termes, chez Guillaume, la notion d’expressivité ne devient un authentique concept linguistique qu’à partir des années 1940 ; l’usage antérieur de cette notion ne relève pas d’une élaboration théorique mais d’un emploi usuel ou commun, oscillant entre les idées d’affectivité, de littérarité et plus généralement de marquage.

A partir du moment où l’équation [expression + expressivité = 1] est posée, le concept d’expressivité est théorisé d’une manière originale, radicalement distincte de la façon dont il est envisagé dans les paradigmes communicatifs ou fonctionnels (Bühler, Jakobson). Ces derniers procèdent en effet d’une conception polyfonctionnelle de l’acte de langage, reposant sur des structures (destinateur, destinataire, etc.) impliquées par l’échange linguistique, dont les fonctions se manifestent dans le discours par divers types de traces. Si cette perspective présente l’avantage de proposer un principe de classement applicable aux manifestations

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phonético-phonologiques, morphologiques, syntaxiques, sémantiques des différentes « fonctions du langage », elle ne permet pas de saisir l’interaction de ces fonctions. En ce qui concerne la fonction expressive, le paradigme fonctionnel permet tout au plus d’identifier les faits discursifs correspondant à cette fonction, par conséquent à les distinguer de ceux qui correspondent à d’autres fonctions, mais ce cadre théorique ne permet pas d’aller au-delà d’un tel rôle classificatoire.

Chez Guillaume en revanche, l’expressivité est envisagée non pas dans une perspective polyfonctionnelle, mais selon un point de vue unitaire et bipolaire. Elle apparaît en effet comme l’un des pôles d’une bi-polarité expression/expressivité partout présente dans le discours, cette bipolarité signifiant que tout gain du côté de l’expressivité est compensé par une perte du côté de l’expression (et réciproquement). L’expressivité est ainsi constamment envisagée dans son interaction avec les éléments non-expressifs en langue et en discours. On montrera, d’une manière plus générale, que cette dynamique bi-polaire de l’expression et de l’expressivité peut être considérée comme un cas particulier de la tension entre endologie et exologie, ou entre régime signifiant codique et régime signifiant imaginal définie dans Monneret (2004, 2007) comme condition structurelle de l’innovation sémantique au sens de Ricoeur (1991, 1997). L’expressivité apparaîtra ainsi comme un aspect de la dimension imaginale des langues et des discours.

Références : Guillaume G. 1919, Le problème de l'article et sa solution dans la langue française, Paris, Hachette. Guillaume G. 1929, Temps et Verbe. Théorie des aspects, des modes et des temps, Paris, H. Champion. Guillaume G. 1964, Langage et science du langage, Québec et Paris, Presses de l'Université Laval et A.-G.

Nizet. Guillaume G. 1990, Leçons de linguistique de Gustave Guillaume, 1943-1944, série A, Esquisse d'une

grammaire descriptive de la langue française (II), publiées sous la direction de Roch Valin, Walter Hirtle et André Joly, Québec, Presses de l'Université Laval, et Lille, Presses universitaires de Lille.

Monneret P. 2004, Essais de linguistique analogique, Dijon, ABELL. Monneret P. 2007, « L’analogie et l’énigme de l’expression », L’information grammaticale, n°113, mars

2007, 16-22. Ricoeur P. 1991, Temps et récit, Paris, Seuil. Ricoeur P. 1997, La métaphore vive, Paris, Seuil.

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Maurice Kauffer Université de Nancy-ATILF (UMR 7118)

Formation des diminutifs en allemand et expressivité

En allemand, les différents procédés de la création lexicale (Wortbildung), comme la composition, la dérivation, la conversion, la réduction etc., sont structurés en un grand nombre de modèles regroupant chacun des composantes phonologique, morphologique, syntaxique et sémantique. La suffixation est une des sous-catégories les plus diversifiées de la dérivation, en particulier lorsqu’elle concerne la formation de nouveaux adjectifs et substantifs. Mais le changement de catégorie grammaticale (substantivation, adjectivation) n’est de loin pas la seule fonction de la suffixation, car les modifications d’ordre sémantique sont également essentielles. Par exemple, la formation des diminutifs à l’aide des suffixes -chen, -lein (Häuschen, Geißlein) et de leurs variantes sert en principe à assurer la désignation d’un objet, d’une personne, d’un animal qui est dans une certaine mesure plus « petit » que celui désigné par la base de dérivation (Haus, Geiß). En outre, et c’est là que nous entrons dans le domaine d’une certaine expressivité, il peut s’y ajouter une nuance « affective » fort importante car elle permet au locuteur de laisser transparaître un sentiment, une émotion, un jugement. On remarquera ainsi pour Freundchen! (= mon petit bonhomme !) une nuance d’intimidation ou de menace sous-jacente, pour Muttersöhnchen (= le petit garçon à sa maman) un certain mépris, tandis que Händchen halten (= se tenir par la main) sera connoté positivement, car se rapportera en général à des amoureux. Cet exposé se propose donc : - de présenter brièvement le fonctionnement du système de formation des diminutifs substantivaux par suffixation, - d’explorer les différentes manifestations d’expressivité véhiculées par les diminutifs formés avec le suffixe -chen, - de catégoriser les paramètres, les fonctions et les modèles de constitution de ces formes d’expressivité attachées aux diminutifs. Références : Bally, Charles, 1952. "Mécanisme de l'expressivité linguistique". In: Le langage et la vie. Genève / Lille : Droz

/ Giard, 75-99. Benveniste, Emile, 1963. "Une valeur du diminutif." In: Prac filologicznych T. XVIII Cz 1 Warszawa:

Panstwowe Wydawnictwo Naukowe, 9-11. Dressler, Wolfgang Ulrich, 1994. "Diminutivbildung als nichtprototypische Wortbildungsregel". In: Köpcke, K.

M. (Hg.) Funktionale Untersuchungen zur deutschen Nominal- und Verbalmorphologie (= Linguistische Arbeiten 319). Tübingen: Niemeyer, 131-148.

Dubois, Jean et al., 1994. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris: Larousse. Ettinger, Stefan, 1980. Form und Funktion der Wortbildung. Die Diminutiv- und Augmentativmodifikation im

Lateinischen, Deutschen und Romanischen (Portugiesisch, Spanisch, Italienisch, und Rumänisch). Ein kritischer Forschungsbericht 1900-1975 (= TBL 47). Tübingen: Narr.

Fischer, Maja, 1963. "Die Diminutive im Deutschen und im Französischen – Ein Vergleich von Gottfried Kellers Erzählungen 'Die Leute von Seldwyla' mit ihren französischen Übersetzungen". In: Muttersprache 73, 129-138.

Fleischer, Wolfgang / Barz, Irmhild, 1995.Wortbildung der deutschen Gegenwartssprache. Tübingen: Niemeyer.

Glück, Helmut (Hg.), 1993. Metzler-Lexikon Sprache. Stuttgart / Weimar: Metzler. Jakobson, Roman, 1963. Essais de linguistique générale. Paris: Editions de Minuit. Kauffer, Maurice, 2005, Les mots composés allemands en texte - Essai de synthèse méthodologique et critique.

Berne : Lang.

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Paulin, Catherine (ed.), 2007. La fonction expressive, vol. I. Besançon : Presses Universitaires de Franche-Comté.

Scheidweiler, Gaston, 1984. "Zur Konnotation der Diminutivsuffixe -chen und -lein – prosaisch oder poetisch?" In: Muttersprache 95, 69-79.

Simmler, Franz, 1998. Morphologie des Deutschen. Berlin: Weidler Buchverlag. Tiefenbach, Heinrich, 1987. "-chen und -lein – Überlegungen zu Problemen des sprachgeographischen Befundes

und seiner sprachhistorischen Deutung. Mit fünf Karten.". In: Zeitschrift für Dialektologie und Linguistik 1, 2-27.

Weber, Marcel, 1963. Contributions à l’étude du diminutif en français moderne. Essai de systématisation. Zürich : Altorfer.

Wolf, Norbert Richard, 1996. "Diminutive im Kontext". In: Barz, Irmhild / Schröder, Marianne (Hg.): Nominationsforschung im Deutschen. Festschrift für Wolfgang Fleischer zum 75. Geburtstag, Frankfurt/Main: Lang, 387-397.

Wrede, Ferdinand. 1908. "Die Diminutiva im Deutschen". In: Deutsche Dialektgeographie, Heft I. Marburg: Elwert'sche Verlagsbuchhandlung, 73-144.

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Hélène Fretel Université de Bourgogne – TIL (EA 4182)

Créativité et expressivité : le cas des diminutifs espagnols

Cette contribution vise à proposer l’étude d’un des lieux d’inscription de l’expressivité, à savoir, une forme de création lexicale, la formation diminutive. Phénomène extrêmement riche en espagnol, il s’agit d’un type de dérivation des plus productifs qui concerne tant les noms (tout nom espagnol est, par exemple, susceptible de se voir attribuer une forme diminutive : casa > casita, copa > copita, calor > calorcito…), que les adjectifs (delgado > delgadito, pobre > pobrecito…), les participes (cansado > cansadito…), les adverbes (cerca > cerquita, ahora > ahorita, nada > nadita…) ou même les gérondifs (corriendo > corriendito, callando > callandito, andando > andandito…). Phénomène extrêmement courant, le locuteur espagnol dispose d’un large éventail de formes. Andrés Bello recense six diminutifs usuels (-ito/a, -illo/a, -uelo/a…), auxquels il ajoute onze autres suffixes, d’emploi moins fréquent, limité et régional. Ainsi, à partir d’une même base pourront être formés différents dérivés diminutifs : chico > chiquito, chiquillo, chicuelo, chiquín… Cet exemple du mot-base chico (nom) pourrait laisser croire à tord que chaque suffixe peut s’adjoindre à une même base. Les suffixes diminutifs espagnols sont au contraire loin de présenter le même comportement sémantique et morphologique. Si le suffixe –ito peut s’adjoindre à toutes les bases susmentionnées, -illo, pourtant d’emploi fréquent, ne s’associera qu’à des bases nominales et adjectivales. Pour tous les autres, il n’y aura compatibilité qu’avec des substantifs. Ainsi, la richesse que nous mettions en avant au début de cette présentation montre à quel point la situation peut se révéler complexe, complexe au niveau de la formation des dérivés (problème de compatibilité ou d’incompatibilité entre le mot-base et le suffixe) mais aussi au niveau du sens de l’unité dérivée (mot-base + suffixe diminutif > petit mot-base ?). Aussi, notre propos consistera à nous interroger sur les problèmes d’encodage et de décodage liés aux diminutifs espagnols. Nous tenterons de mettre au jour les éléments sur lesquels l’auditeur-récepteur peut s’appuyer pour appréhender correctement la dimension expressive de l’unité créée (quelle relation peut-il établir entre le mot-base et son ou ses dérivés). Car, si la désignation des formes suffixales que nous nous proposons d’étudier marque sémantiquement ces dernières en les contraignant à renvoyer aux dimensions de l’objet référé, il en est fort souvent tout autrement. Une mujerzuela, par exemple, n’est pas une femme de petite taille, mais une femme de peu de vertu, de même que l’association d’un suffixe à un adjectif ou à une forme verbale ne peut être abordée en terme de dimensions. Ces éléments ne référant à aucun un objet, comment leur associer une quelconque taille ? Ainsi baratito signifiera « très bon marché », irse callandito signifiera « s’en aller sans dire un seul mot », autrement dit des formes où la signification du dérivé est plus ou moins éloignée du mot-base et où le passage au français oblige à recourir à des moyens autres que la suffixation (casita correspondra par exemple rarement à maisonnette !). Enfin, nous nous intéresserons au caractère expressif et inexpressif de ces suffixes. En effet, il convient de distinguer la création de dérivés de discours comme ahorita, de dérivés lexicalisés comme : • paso (pas) > pasito (petit pas) / pasillo (couloir), ventana (fenêtre) > ventanita (petite fenêtre) / ventanilla (guichet) qui possèdent un sens différent selon le diminutif associé,

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• paño (tissu) > pañuelo (mouchoir) > pañolito, pañuelín, pañuelito (petit mouchoir) qui recréent des formes diminutives (ou augmentative : > pañolón, grand mouchoir), • baratito, adjectif, (très bon marché) ou baratillo, substantif, (friperie, braderie) qui procèdent respectivement de l’adjectif barato (bon marché) et du substantif barato (une vente au rabais) et n’acceptent pas l’association inverse (pas d’emploi de baratito en tant que substantif, ni de baratillo en tant qu’adjectif). Références : ALONSO A. Noción, emoción, acción y fantasía en los diminutivos, Gredos, Madrid, 1961. ANSCOMBRE J.-Cl. et DUCROT O., L'argumentation dans la langue, Mardaga, Liège, 1983. ANSCOMBRE J.-Cl., « De l’énonciation au lexique : mention, citativité et délocutivité », Langages, 1985,

n°80. BELLO A. et CUERVO R.J., Gramática de la lengua castellana, Sopena, 1945. DELHAY C., Il était un « petit X ». Pour une approche nouvelle de la catégorisation dite diminutive, Paris,

Larousse, 1996. FAITELSON-WEISER S., Les suffixes quantificateurs de l’espagnol, Editions Hispaniques, Paris, Sorbonne

Collection « Thèses, mémoires et travaux », 1980. GALMICHE M., « Hyponymie et généricité », Langages, 1990, n°98, p. 33-49. KERBRAT ORECCHIONI Catherine, L'énonciation. De la subjectivité dans le langage, Armand Colin, Paris,

1980.

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Stéphanie Benoist Université de Bourgogne – TIL (EA 4182)

L’expressivité des formes verbales préfixées en allemand contemporain La morphologie verbale peut passer pour le champ d’application idéal d’analyses linguistiques rationnelles effectuées aux niveaux morphologique, lexical, grammatical et historique. Or, à deux égards, certains préfixes verbaux ont des propriétés surprenantes, dont les niveaux d’analyses traditionnels rendent compte de manière insatisfaisante, tandis que la notion d’expressivité, souvent délaissée, les éclaire d’une nouvelle lumière. D’une part les préfixes verbaux se concurrencent les uns les autres sans nuance sémantique évidente et sans que la distribution des actants des verbes dérivés ne les distingue. Ce phénomène est déroutant pour plusieurs raisons : 1) parce qu’il contrevient au principe d’économie de la langue ; 2) parce qu’il est anarchique, c’est-à-dire non systématisable : il existe plusieurs paires de parasynonymes, et la constitution de ces paires varie selon les désignés considérés. Autrement dit, il n’y a pas de rapport biunivoque entre forme et sens1. La concurrence entre préfixes verbaux touche principalement les préverbes et les particules, et beaucoup moins les préverbes entre eux ou les particules verbales entre elles. Il s’agit notamment de er- et auf-, er- et aus-, ver- et aus-, ent- et aus-, be- et an-. Après une analyse qui vérifiera la similitude des actants des verbes parasynonymes et de leurs propriétés sémantiques et/ou référentielles, nous nous pencherons sur les propriétés respectives des préverbes et particules, susceptibles d’éclairer sous un nouveau jour leur concurrence, et considérerons deux facteurs : 1) la prosodie, et notamment l’accentuation de l’élément séparable, qui fait ressortir son sens. Elle peut être rapprochée des « traits expressifs (ou emphatiques) » qui, selon R. Jakobson « mettent une emphase relative sur différentes parties de l’énoncé ou sur différents énoncés et suggèrent des attitudes émotionnelles de l’énonciateur ». (1963 :109) 2) la linéarisation, qui fait attendre et valorise l’élément séparable situé en position finale de l’énoncé. Ainsi s’expliquerait par exemple le caractère plus persuasif de la forme séparable, comparée à la forme inaccentuée2 dans :

ROMA : Wach auf, Arturo. Siehst du denn nicht, wie sie Mit dir ihr Spiel treiben? (B. Brecht, Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo UI, p. 84)

Au delà de l’idée de ‘réveil’, l’attitude autoritaire du locuteur se reflète dans l’emploi de la particule séparable, et fait donc partie du message qu’il émet. Comme le souligne R. Jakobson, l’expressivité a donc elle aussi une dimension informative :

« Si on analyse le langage du point de vue de l’information qu’il véhicule, on n’a pas le droit de restreindre la notion d’information à l’aspect cognitif du langage. Un sujet, utilisant des éléments expressifs pour indiquer l’ironie ou le courroux, transmet visiblement une information […] « (1963 : 215)

1 Cf Duden Grammatik, p. 454. 2 Ces deux verbes ont presque les mêmes emplois. Erwachen s’emploie plus avec des sons et des lieux, et insiste sur le caractère sensible, organique du procès (p. ex. zum Leben erwachen), tandis que aufwachen désigne un réveil envisagé comme un processus intellectuel.

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La séparabilité des particules rend également possible (dans des cas assez rares) une attaque rhématique :

Und wie er winkt mit dem Finger / Auf tut sich der weite Zwinger, / Und hinein mit bedächtigtem Schritt / Ein Löwe tritt (F. Schiller, Der Handschuh)

D’autre part, il existe dans les emplois des particules verbales une étrangeté qui déroute souvent les apprenants non germanophones : la répétition, souvent redondante, du même morphème, sous forme de préposition et de particule. Seules certaines particules verbales sont concernées, avec la forme prépositionnelle qui leur correspond, par ce phénomène qu’on observe le plus souvent en contexte spatial (cf. sich an etw. anlehnen, auf etw. aufprallen, jn in etw. einbeziehen, in etw. eintreten, aus Irland auswandern....). On mentionnera aussi les formes herum et hindurch (qui ne sont pas de véritables particules verbales) fonctionnant respectivement en association avec um et durch. Là aussi, on peut s’interroger sur l’utilité, pour la langue, de faire coexister – cette fois dans un même énoncé – deux formes quasiment tautologiques. Cette redondance n’étant pas nécessaire pour l’intelligibilité du message, elle semble relever d’une recherche d’expressivité, qui serait propre aux particules verbales et les différencierait des préverbes non accentués. Conclusion A regarder de près ces phénomènes, on est forcé de reconnaître la présence dans la création verbale de paramètres étrangers aux données linguistiques traditionnelles que sont la morphologie, la syntaxe, la grammaire. Ces données délicates à saisir semblent bien relever de ce que certains linguistes, comme Ch. Bailly ou R. Jakobson, ont appelé « fonction expressive » du langage. Cette notion, longtemps laissée de côté, nous paraît d’une grande utilité pour distinguer les particules verbales des préverbes et pour expliquer le comportement de certaines particules. Références : Duden, 1998. Grammatik der Gegenwartssprache, hrsg. von der Dudenredaktion, bearb. von Peter Eisenberg.

6., neu bearb. Aufl., Mannheim / Leipzig / Wien / Zürich: Dudenverlag. Erben, Johannes, 2006. Einführung in de deutsche Wortbildungslehre, 5. Aufl., Berlin: Schmidt. Jakobson, Roman, 1963, Essais de linguistique générale, Paris: Minuit. Kühnhold, Ingeburg, 1969. “Über das Verhältnis von auf- und er-”. In: Germanistische Studien, hrsg. von J.

Erben und E. Thurner, Innsbruck, 327-335. Kühnhold, Ingeburg / Wellmann, Hans, 1973. Deutsche Wortbildung. 1. Hauptteil: Das Verb, Düsseldorf:

Schwann. Stiebels, Barbara, 1993. Lexikalische Argumente und Adjunkte, Studia Grammatica 39, Berlin: Akademie

Verlag.

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Henry Daniels Université de Bourgogne – TIL (EA 4182)

Aux limites de l’exprimable : étude comparative de l’argot des tranchées allemand et anglais, 1914-1918

Il y a 90 ans, plusieurs millions d’Allemands et de Britanniques ont cohabité le secteur Nieuport-Somme du front ouest. Ces voisins proches, qui, cependant, se rencontraient assez rarement, ont néanmoins vécu les même souffrances ; ils ont partagé la vermine, le froid et la boue, et ils se sont infligés les mêmes conditions de vie et de mort. Les deux adversaires ont eu les mêmes recours à l’argot, ce sous-lexique à la fois vigoureux et mutilé, dans leur tentative désespérée de supporter l’insupportable et de dire l’indicible. Cette étude d’argot militaire allemand et anglais se propose de juxtaposer les caractéristiques formelles (morphologie, métaplasme, rime, allitération, barbarismes,) et sémantiques (métaphore, métonymie, hyperbole, litote, euphémisme, dysphémisme, énigme, iconicité) de c. 1 100 expressions (soit 550 de chaque langue) générées par la guerre des tranchées et aujourd’hui largement enterrées et oubliées. La définition du concept d’expressivité sera ainsi enrichie par une restitution, du moins partielle, du son et de la couleur, souvent stridents, des images muettes et monochromes du front ouest qui ont survécu. La tension née d’une part des conditions matérielles pratiquement identiques des deux côtés du no man’s land, et d’autre part, des contraintes et des spécificités de chaque langue et de chaque tradition militaire a produit deux solutions à l’insoluble, deux visions de l’enfer, et deux modes d’expression parallèles et co-référentiels. Chacun est doté d’un charme sinistre, et témoigne de la volonté des hommes de survivre grâce à la parole, et de la capacité de celle-ci à les unir. Références : Les sources principales de l’étude sont des traités de lexicologie d’époque et des dictionnaires spécialisés écrits pendant la guerre ou compilés plus tard par des anciens combattants, p. ex. : Barrère, Albert, 1913, A Dictionary of English and French Military Terms. London; Hachette. Brophy, John, Eric Partridge, 41965 [1931], The Long Trail: What the British Soldier Sang and Said in the

Great War of 1914-18, London: Andre Deutsch. Carnoy, Albert, 1927, La science du mot. Louvain : Editions « Universitas ». Fraser, Edward, John Gibbons, 1925, Soldier and Sailor Words and Phrases. London: George Routledge. Delcourt, René, 1917, Expressions d’argot allemand et autrichien. Paris : De Boccard. Niceforo, Alfredo, 1912, Le Génie de l’Argot: Essai sur les langages spéciaux, les argots et les parlers

magiques. Paris : Mercure de France. Il est prévu de fournir une traduction française des formes figurant sur l’exemplier.

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Stéphane Kostantzer Université Marc Bloch – Strasbourg II

« Ode on a Grecian urn » de John Keats : un discours au service de l’expression de la Beauté

L’expressivité apparaît semble-t-il à toutes les étapes de l’activité d’énonciation. Selon A. Culioli, la langue code déjà une forme d’intensité au niveau préverbal. Les travaux de O. Ducrot permettent quant à eux d’affiner le niveau verbal et d’y voir deux sous-niveaux : 1) l’expressivité dans le contenu explicitement posé d’une part (exploitation des possibilités du langage et des représentations) ; 2) l’expressivité dans la force illocutoire d’autre part (transgressions ou respect des lois du discours ; étude des sous-entendus). Etudier l’expressivité nous invite donc à nous pencher sur les jeux d’intensification/détournement afférant aux domaines notionnels, mais aussi sur la façon dont le locuteur se dédouble en un certain nombre d’avatars, qu’il met en scène au travers de voix énonciatives contrastées, afin de doter son énoncé d’une plus grande expressivité, voire d’une certaine polyphonie. Pour le premier point, nous utiliserons la topographie culiolienne afin de mettre à jour des jeux sur le type, sur le haut degré et sur le gradient dans le poème de Keats ; et pour traiter le deuxième point, nous verrons quels rapports entretiennent les différentes voix énonciatives mises en scène dans le poème, et comment elles entendent exploiter les lois du discours pour donner à l’énoncé que constitue le poème une dimension expressive puisant sa force dans une Beauté qu’il s’agira de définir à l’intérieur de notre cadre linguistique. Références : Culioli, A. 1990 & 99. Pour une linguistique de l’énonciation. 1990. t. 1 Opérations et représentations. 1990.

t. 2 Formalisation et opérations de repérage. 1999. t. 3 Domaine notionnel. Paris : Ophrys. Ducrot, O. 1984. Le Dire et le dit. Paris : Les éditions de minuit. Ducrot, O. 1993. Dire et ne pas dire : Principes de sémantique linguistique. Paris : Hermann. Eco, U. 1992. Les Limites de l’interprétation. Traduction de Myriem Bouzaher. Paris : Grasset & Fasquelle. Jakobson, R. 1963. Essais de linguistique générale. Trad. Nicolas Ruwet. Paris : Editions de Minuit.

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Claire Despierres Université de Bourgogne – GreLiSC (EA 2977)

L’interrogation dans le monologue théâtral : expressivité ou/et intersubjectivité Le corpus choisi présente des données énonciatives spécifiques. Monologal, il exclut la réciprocité dans l’échange. Dès lors, l’interrogation se trouve d’emblée dépouillée de sa (soi-disant) fonction première de demande d’information. La stylistique classique la définit comme interrogation rhétorique, la rattachant ainsi à la tradition rhétorique plus qu’à une approche linguistique. Bally, dans son Traité de stylistique française, la rapproche de l’exclamation : « L’exclamation et l’interrogation rhétorique sont deux catégories de faits d’intonation qui se ramènent à une seule ». L’intonation est selon Bally « un spécimen de moyens d’expression indirects » (Bally, p. 250). « L’intonation interrogative est le symbole d’un aspect logique de la pensée [i.e la question] […] mais elle peut servir encore à des fonctions affectives toutes différentes, exprimer un groupe déterminé de sentiments (généralement la surprise ou l’indignation). » (Bally, p. 256). L’approche de Bally et la mise au premier plan de l’intonation comme moyen d’expression indirect ouvrent une perspective peu explorée qui nécessite de travailler sur des documents sonores, dont nous ne disposons pas pour l’instant. En revanche, la description de l’interrogation comme « le symbole d’un mouvement affectif » (p. 266) qui se confond avec l’exclamation semble discutable même sur un corpus écrit. Sur ce point, il occulte la différence entre les modes de subjectivité propres à chacune de ces modalités (comme d’ailleurs leurs spécificités intonatives.) Nous nous proposons dans cette étude de dégager un certain nombre de mécanismes discursifs tous construits sur la nature particulière de la relation subjective établie par l’interrogation. Cette communication posera donc la question :

- de la pertinence d’établir une distinction entre interrogations et exclamations (avec quels outils ?) ;

- des approches théoriques en termes d’expressivité et de subjectivité ; - de la possibilité d’établir des points de convergence entre ces faits et la description des

phénomènes énonciatifs propres à notre corpus théâtral. Références : Bally C., Traité de stylistique française, Klincksieck, 1951. Benveniste E., Problèmes de linguistique générale, I et II,Gallimard, 1966. Culioli A., Pour une linguistique de l’énonciation, Tomes 1 à 3, Ophrys.

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Yves Gilli Université de Franche-Comté

Sur quelques marqueurs d'expressivité dans les textes de F. Gag

Partant du schéma (Organon-Modell) de K. Bühler dans son ouvrage Sprachtheorie, notre exposé s'intéresse aux relations entre émetteur (Sender) et récepteur (Empfänger), plus précisément entre "fonction expressive" (Ausdrucksfunktion) et "fonction d'appel" (Appellfunktion) dans un cadre textuel particulier : celui de textes écrits en nissart et/ou en français destinés à un public régional averti. Plus exactement, l'étude envisage comment l'auteur F. Gag utilise certaines particularités dialectales bien précises dans les domaines de la phonétique, de la morphologie et de la syntaxe, pour marquer de façon expressive son discours, exercer cette « fonction d'appel » au sein d'un contexte donné, de façon à créer un sentiment très fort de familiarité entre émetteur et récepteur qui facilite l'adhésion. L'originalité de l'analyse réside dans ce fait que les textes de F. Gag n'ont jamais, à notre connaissance, été abordés sous cet angle linguistique.

Références : K. Bühler, Ausdruckstheorie. Das System an der Geschichte aufgezeigt, Gustav Fischer, Jena, 1933. K. Bühler, Sprachtheorie, Gustav Fischer, Jena, 1934. F. Gag, Théâtre niçois, éd. Tiranty, Nice, 1970. R. Gasiglia, Y. Gilli, Revista d'un temps. La prose narrative dans les revues niçoises (1903-1974), Annales

Littéraires de l'Université de Besançon et éd. Serre, Nice, 1994. Y. Gilli, A. Bres, De Nissa e de damou. Littérature et identité culturelle en pays niçois, Université de Franche-

comté et éd. Serre, Nice, 1992.

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Olga Inkova Université de Genève

L’expressivité par l’anaphore. Le cas du russe

1. Remarques introductives Les anaphoriques tak ‘ainsi, de cette façon’ et takoj ‘tel, même’ qui feront l’objet de notre analyse sont souvent décrits en termes d’expressivité et d’intensification. Grâce à leur sémantisme de variable et à leur fonction de focalisateur, tak et takoj entrent en effet dans de nombreuses constructions, telles que la mise en évidence, les structures exprimant le haut degré, etc., qui relèvent de la syntaxe dite « expressive » ou « affective » (cf. Bally 1935, Berthelon 1955, Henry 1977, Kiesler 2000) :

(1) Ja tebe zadam takogo doktora, čto ty i svoix ne uznaeš’ ! [Je te ferai voir un docteur tel, que tu ne reconnaîtras pas même tes proches] (Tchékhov)

(2) Tak česten, tak česten, čto vsego raspiraet ot čestnosti [Il est si honnête, si honnête, qu’il est tout gonflé d’honnêteté] (Tchékhov)

Le mode de fonctionnement de tak et takoj dans ce type d’emploi suscite néanmoins plusieurs questions liées, en premier lieu, au fait que, si le caractère expressif des énoncés comme (1)-(2) ne laisse pas de doute, certains autres emplois de ces anaphoriques, comme dans les cas (3)-(4), semblent intuitivement rester en-dehors du champ de l’expressivité :

(3) More bylo takoe že veličavoe, beskonečnoe i neprivetlivoe, kak sem’ let do ètogo [La mer était aussi majestueuse, infinie et inhospitalière que sept ans auparavant] (Tchékhov)

(4) Ona posmotrela na Arkadija ne to čtoby svysoka, a tak, kak zamužnie sëstry smotrjat na očen’ moloden’kix brat’ev [Elle regarda Arkadij non pas avec hauteur, mais tak (≈ ∅) comme des sœurs mariées regardent leurs frères encore trop jeunes] (Tourgenev)

Enfin, les énoncés du type : (5) Laevskij bezuslovno vreden i tak že opasen dlja obščestva, kak xolernaja mikroba

[Laevskij est sans aucun doute nuisible et aussi dangereux pour la société comme le virus de choléra] (Tchékhov)

posent la question des frontières entre l’expressif et non-expressif. En affirmant l’égalité de degré avec un ‘objet’ qui est supposé posséder la qualité en question au plus haut degré (en l’occurrence, le virus de choléra), l’énoncé semble toutefois être privé de caractère expressif ou, du moins, n’atteint pas le niveau d’expressivité des « comparaisons à parangon » (Rivara 1990), telles que il est doux comme un agneau, gentil comme une porte de prison, etc. On peut en plus s’interroger si l’effet d’expressivité que l’on perçoit dans certains énoncés avec tak et takoj est dû uniquement à la présence des anaphoriques ou si d’autres facteurs (notamment, l’intonation, l’allongement de la voyelle accentuée, le contenu propositionnel) entrent aussi en jeu. Autrement dit, si les anaphoriques en question sont ‘intrinsèquement’ expressifs ou s’ils revêtent cette fonction dans certains contextes.

2. Les emplois des anaphoriques tak et takoj Avant de s’interroger sur l’expressivité des énoncés avec tak et takoj, passons rapidement en revue les emplois de ces derniers. Précisons tout de suite que nous ne retenons

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que les emplois où tak et takoj gardent leur caractère anaphorique et leur appartenance à la classe grammaticale d’adverbe et d’adjectif.3 Deux groupes d’emplois : 1. avec la particule že d’identité : en combinaison avec cette particule tak et takoj établissent l’identité qualitative – cf. (6) – ou quantitative – cf. (3) et (5). Le choix du type d’identité dépend de la nature de l’élément que l’anaphorique prend dans sa portée.

(6) Ona imeet takoe že pravo prezirat’ ženu i Lizu, kak te eë nenavidet’ [Elle a le même droit de mépriser ma femme et Lisa que celles-ci ont de la détester] (Tchékhov)

2. sans la particule že. 2а. Tak en fonction d’adverbe de manière et takoj en fonction d’épithète ou d’attribut

identifient dans un objet ou dans un procès – à l’intérieur d’un paradigme – des propriétés mises en évidence par l’anaphorique et précisées ensuite par la subordonnée, en emploi cataphorique – cf. (1), ou par le contexte précédent, en emploi anaphorique – cf. (15).

2b. Avec des termes décrivant des propriétés graduables, tak et takoj signalent que la propriété en question possède un certain degré supérieur à la norme :

(7) Otčego u vas v Sibiri tak xolodno? [Pourquoi fait-il si froid dans votre Sibérie ?] (Tchékhov)

Le traitement des énoncés avec tak et takoj en tant qu’expressifs et pas dépendra, de toute évidence, de la façon dont nous concevons l’expressivité et des relations qu’elle entretient avec les concepts voisins dont trois nous intéressent particulièrement : la mise en relief (l’emphase, la focalisation) ; l’attitude émotionnelle (l’expression des sentiments) ; l’évaluation.

3. A la recherche d’une définition de l’expressivité 3.1. Les fondateurs BÜHLER 1934 : La fonction expressive dépend du locuteur dont elle exprime l’intériorité (« Innerlichkeit »). Une approche psychologique de la fonction expressive « dans la mesure où l’énoncé exprime l’attitude psychologique ou morale du locuteur » (Persyn-Vialard 2005 : 25). BALLY 1935 : « …serait expressif tout fait de langage associé à une émotion » (p. 113). « Le langage, intellectuel dans sa racine, ne peut traduire l’émotion qu’en la transposant par le jeu d’associations implicites. Les signes de la langue étant arbitraires dans leur forme – leur signifiant – et dans leur valeur – leur signifié – les associations s’attachent soit au signifiant, de manière à en faire jaillir un impression sensorielle, soit au signifié, de manière à transformer le concept en représentation imaginative » (p. 125). JAKOBSON 1961 : « La fonction dite ‘‘expressive’’ ou émotive, centrée sur le destinateur, vise à une expression directe de l’attitude du sujet à l’égard de ce dont il parle » (p. 214). BENVENISTE 1966 : « La ‘‘subjectivité’’ … est la capacité du locuteur à se poser comme ‘‘sujet’’ » (p. 269). « …le fondement de la ‘‘subjectivité’’, qui se détermine par le statut linguistique de la ‘‘personne’’ » (p. 260).

3.2. Dictionnaires de termes linguistiques DUBOIS ET AL. 1999 : « On appelle fonction expressive la fonction du langage par laquelle le message est centré sur le locuteur, dont il exprime les sentiments. » « On appelle trait

3 Resteront donc en-dehors de notre analyse l’emploi de tak conjonction et particule.

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expressif un moyen syntaxique, morphologique, prosodique qui permet de mettre une emphase sur une partie de l’énoncé et suggère une attitude émotionnelle du locuteur » (p. 191). LINGVISTICESKIJ ENCIKLOPEDICESKIJ SLOVAR’ (DICTIONNAIRE LINGUISTIQUE) 1990 : « L’ensemble des traits sémantico-stylistiques d’une unité linguistique qui assurent sa capacité de participer dans un acte de communication en tant que moyen d’expression subjective de l’attitude du locuteur à l’égard du contenu ou de l’interlocuteur ».4

3.3. Questions 3.3.1. La subjectivité et l’expressivité Le critère appelé à définir la fonction expressive chez Bühler – le fait de dépendre, d’être centrée sur le locuteur – transforme rapidement la fonction expressive, dans la perspective d’une linguistique de l’énonciation, en toute expression de l’attitude du locuteur au sujet de ce qu’il dit (chez Jakobson) et toute « trace dans l’énoncé du locuteur-scripteur » (Kerbrat-Orecchioni 2006, en passant par Benveniste 1966). « …toute séquence discursive porte la marque de son énonciateur… » (Kerbrat-Orecchioni 2006 : 174). Une définition bien large donc. Comme conséquence, l’expressivité/subjectivité commence à réunir des phénomènes de nature si différente (pronoms personnels, temporalité, indices spatiaux, modalisations, hiérarchisation de l’information, etc.) qu’elle n’est plus à même de les décrire avec le même appareil terminologique et les mêmes critères d’analyse. L’expressivité ne se transformerait-elle ainsi en une étiquette fourre-tout au lieu de devenir un outil explicatif performant ?

3.3.2. L’émotivité et l’expressivité A l’opposé de cette définition étendue de la notion d’expressivité se trouve son appréhension plus restreinte comme l’émotivité ou l’affectivité : la fonction expressive sert à exprimer les sentiments du locuteur. Dans ce sens, les termes « expressif », « affectif » et « émotif » sont considérés comme synonymes. Pour ne citer que quelques exemples : la définition de Bally 1935, la définition de la fonction expressive chez Jakobson 1966, et les prolongements ultérieurs de son schéma chez Hymes 1961 – « expressive (émotive) » et Holenstein 1979 – « émotive (expressive) »5, la définition de Dubois et al. 1999, et parmi les recherches plus récentes Chauvin (2007 : 18) « expressivité ou affectivité ». Pour le russe, les travaux de V. Vinogradov ou de A. Šaxmatov. Cf. pourtant : – une tentative, assez discrète, de séparer deux termes chez Henry (1977, Avant-propos) : « …la syntaxe affective. Syntaxe expressive, faut-il plutôt dire : (…) c’est sur les éléments de l’énoncé, surtout, que doit porter l’analyse, même s’il ne faut pas perdre de vue les processus psychologiques ». – Galkina-Fedoruk (1958 : 121) oppose l’expressivité à l’émotivité comme le tout à une partie : « l’expression de l’émotion dans la langue est toujours expressive, mais l’expressivité n’est pas toujours émotionnelle ». Tout en étant d’accord avec la nécessité de séparer les deux notions, précisons toutefois que, à notre avis, il faudrait parler plutôt de l’intersection du champ de l’expressivité et de celui de l’émotivité : il est bien connu que les émotions peuvent être exprimées par des moyens ‘neutres’ (donc grâce à la fonction représentative ou 4 La traduction est de nous. « Экспрессивность – совокупность семантико-стилистических признаков единицы языка, которые обеспечивают ее способность выступать в коммуникативном акте как средство субъективного выражения отношения говорящего к содержанию или адресату речи». 5 que nous citons d’après Persyn-Vialard 2005.

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référentielle) ; de même que l’expressivité peut toucher des pensées et non pas des sentiments. Cf. les exemples réunis sous (8) et (9) :

(8) Je préfère ne pas épouser cet homme vs. Je me tuerai plutôt que d’épouser un tel mari (Molière)

(9) LE PERE : Comment peux-tu manger un fruit qui ne t’appartient pas et auquel il t’est défendu de toucher ? L’ENFANT : Mais c’est parce que c’est défendu (exemple de Bally 1935 : 123 qui remet, du reste, en question sa définition de l’expressivité en tant qu’expression d’une émotion).

De plus, si l’expressivité est égale à l’émotivité, à l’affectivité, cela présuppose la possibilité de rattacher chaque moyen expressif à tel ou tel sentiment6, ce qui, dans beaucoup de cas, n’est possible que vaguement. En l’occurrence, à quel type de sentiment peut-on rattacher la réponse de l’enfant dans l’exemple (9) de Bally ?

3.3.3. L’expressivité et l’évaluation. Le rapport de l’expressivité à l’évaluation nous intéresse dans la mesure où tak et takoj portent toujours sur la qualité et remplacent, anaphoriquement ou cataphoriquement, des adjectifs et des adverbes. Ils peuvent ainsi être définis (à la suite de Arrivée et al. 1986 à propos de tel) comme pro-adjectif et pro-adverbe. La question se pose de savoir si les emplois expressifs de ces deux anaphoriques sont ouverts à tous les types d’adjectifs et d’adverbes. Cf. (10) et (11) prononcés avec l’accent emphatique sur takoj :

(10) Ekonomičeskie reformy natolknulis’ na TAKIE trudnosti, čto strana opjat’ okazalas’ v glubočajšem krizise [Les réformes économiques se sont heurtées à de TELLES difficultés que le pays a de nouveau sombré dans une crise profonde]

(11) Na nej bylo TAKOE platje !.. [Elle avait une TELLE robe !../une de ces robes !..] Takoj se prête à l’interprétation en termes d’évaluation – p.ex., énormes, inimaginables, épouvantables, – pour (10) ; inimaginable, incroyable, hallucinante, pour (11) –, plutôt qu’en termes ‘objectifs’ du type économiques ou rouge. Cf. également les différences d’interprétations de takoj prononcé avec un accent d’insistance et sans en (12) :

(12) Rost pretsupnosti, bezrabotiza, političeskij krizis. S takimi /TAKIMI trudnostjami strana let ne vstrečalas’ poslednie 50 [La criminalité, le chômage, la crise politique. litt. De telles/TELLES difficultés, le pays n’en connaissant pas les dernières 50 années].

sans accent, l’interprétation anaphorique standard : takimi = celles qui viennent d’être évoquées ; avec accent, TAKIMI implique un « saut interprétatif » (Kerbrat-Orecchioni (2006 : 107) : on passe de l’énumération des propriétés objectives à leur évaluation ; TAKIMI = grandes, insurmontables, inattendues, etc. La distinction entre les adjectifs ‘objectifs’ et ‘subjectifs’7 proposée par Kerbrat-Orecchioni (2006 : 94) s’avère donc utile pour notre analyse. L’appartenance à la catégorie des adjectifs (ou adverbes) subjectifs ne constitue pourtant qu’une condition nécessaire qui doit être conjuguée à d’autres moyens linguistiques (l’intonation, les moyens sémantiques et/ou syntaxiques), pour que l’énoncé devienne expressif. Il faudrait donc, comme dans le cas de

6 Comme le fait Charleston (1960 : 3). 7 Dont les affectifs qui « énoncent, en même temps qu’une propriété de l’objet qu’ils déterminent, une réaction émotionnelle du sujet parlant en face de cet objet » (Kerbrat-Orecchioni (2006 : 95) et évaluatifs « qui, sans énoncer un jugement de valeur, ni d’engagement affectif du locuteur (sic ! – O.I.), impliquent une évaluation qualitative ou quantitative dénotée par le substantif qu’ils déterminent » (Kerbrat-Orecchioni 2006 : 96).

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l’émotivité, séparer ces deux notions – l’expressivité et l’évaluation – qui ne font que se croiser sans se superposer.

3.5. Une proposition de définition Certains éléments dans la définition de l’expressivité sont passées sous silence, mais, à notre avis, méritent une plus grande attention. Parmi ceux-ci : – la définition de Galkina-Fedoruk (1958 : 107) : « L’expressivité, ce sont les moyens du discours qui le rendent imagé, démonstratif, efficace et impressionnant »8. – Bally (1935 : 145) : « La diversité, ressort essentiel de l’expressif, suppose presque naturellement l’anomalie ». – Gautier (2007 : 39) va dans le même sens : « … la notion d’expressivité évoque la recherche d’une certaine originalité, quelques prises de liberté par rapport à une forme linguistique plus ou moins ‘‘neutre’’ ». L’expressivité pourrait ainsi être comprise comme le choix des moyens d’expression non-canoniques, non-standard, pour rendre le message plus coloré, imagé, d’une importance particulière. Une question se pose immédiatement : la fonction expressive n’empièterait-elle pas alors sur la fonction poétique du modèle de Jakobson, fonction centrée sur la forme du message ? Si nous prenons en considération la place réservée à la fonction poétique par les formalistes russes, nous pourrons répondre par la négative. Cette place est en effet un peu particulière : la fonction poétique se trouve aux antipodes de la fonction référentielle – « la langue se libérant des objets pour être source du plaisir » (Persyn-Vialard 2005 : 174). C’est donc au niveau des objectifs poursuivis par le locuteur que se situe la différence entre l’expressivité et la fonction poétique : le contenu du message pour l’expressivité et la forme du message pour la fonction poétique. Pour définir l’expressivité, nous reprendrons deux éléments évoqués ci-dessus : la nature de ses moyens d’expression, d’un côté, et l’effet recherché par le locuteur, de l’autre. En partant de la notion de normalité9, inspirée en partie par la conception de Ch. Bally, mais qui apparaît, souvent sous une forme voilée, aussi dans d’autres études sur le sujet, nous proposons de définir l’expressivité comme suit :

L’expressivité est le recours à des procédés linguistiques qui créent l’effet d’inattendu, d’inhabituel, d’anormal pour donner plus de force, d’intensité au contenu du message. Plus l’écart par rapport aux ‘routines’ langagières est important, plus le message est expressif.

La notion d’expressivité est donc une notion relationnelle. L’expressivité d’un énoncé (ou d’un de ses éléments) apparaît à travers sa comparaison avec un « synonyme » neutre, une variante non expressive réalisée ou réalisable (cf. Kiesler 2000). Précision importante : le type de normalité varie selon le phénomène analysé. Quelques exemples : 8 « Экспрессивность – это те средства речи, которые делают ее выразительной, воздействующей, изобразительной, впечатляющей». 9 Cf. chez Bally (1935 : 132) : « …l’expressivité attaque toujours et altère du moins minimalement la valeur linguistique, la déplace en quelque mesure. Théoriquement, on peut en dire autant, il est vrai, de toute combinaison de la parole…, car on n’emploie jamais deux fois d’une manière identique un même signe ou un même tour grammatical ; mais ces altérations, dans l’immense majorité des cas, sont si minimes qu’elles ne frappent pas, et le signe peut retourner tout de suite à la norme. Le propre de l’expressivité, c’est que la modification est assez forte pour s’imposer à l’attention et être propagée, puis maintenue, si elle répond à un besoin de l’affectivité ».

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– l’allongement des voyelles constitue un écart par rapport à leur prononciation standard, comme l’est le débit rapide (qui peut être involontairement rapide pour le locuteur, mais reconnu comme étant inhabituel par l’interlocuteur) ; – pour l’emploi des suffixes – la transposition de leur valeur ‘standard’. P.ex., dans l’énoncé Zajdi ko mne na časok, čajku pop’ëm ‘litt. Viens me voir une petite heure, on prendra un petit thé’, le suffixe ‘affectif-diminutif’ russe -ок, n’est ni diminutif (sa fonction n’est pas de dénoter un objet d’une petite dimension), ni affectif (on n’exprime pas son amour ou tendresse vers l’heure ou le thé). Il est expressif dans la mesure où sa valeur est transposée de l’objet désigné par le substantif sur l’interlocuteur ; – pour l’expression du degré, le dépassement, jugé important par le locuteur, de la norme sous-jacente à la propriété en question ; – pour l’ordre des mots, l’ordre ‘standard’ pour la structure informationnelle en question ; – pour une structure argumentative, le caractère imprévu, paradoxal du raisonnement (« Le roi a interdit ma pièce, donc on la jouera », exemple de Bally 1935 : 123) ; etc.

4. Les anaphoriques tak et takoj sont-ils expressifs ? En revenant aux emplois de tak et takoj énumérés en (2), nous pouvons maintenant tenter de répondre à la question qui sert de titre à ce paragraphe. Pour le premier groupe d’emplois de nos deux anaphoriques, celui où ils se combinent avec la particule že, la réponse est négative. En effet, tak et takoj, établissant l’identité qualitative ou quantitative, impose à l’énoncé une structure sémantique particulière. Dans ce type d’énoncés, le locuteur pose l’identité de x et de y relativement à une propriété commune ; l’existence de cette propriété commune chez x et chez y est présupposée, alors que l’identité (qualitative ou quantitative) de cette propriété constitue une nouvelle information et se trouve au centre de l’énoncé (Inkova en préparation). Or, l’affirmation de l’identité de la qualité, au lieu de son unicité, ou, dans le cas de l’identité quantitative, l’affirmation de l’égalité du degré privent cette qualité de son caractère non ordinaire, source de l’expressivité10. En ce qui concerne le deuxième type d’emploi, sans la particule že, l’expressivité ne lui est pas étrangère, mais elle ne découle pas automatiquement de la présence de l’anaphorique dans l’énoncé et doit recevoir l’appui d’autres moyens linguistiques. Dans les constructions avec l’antécédent, la fonction de tak et takoj est, comme nous l’avons déjà suggéré, paradigmatisante : en focalisant la propriété à laquelle il renvoie, l’anaphorique permet, à la base de cette propriété décrite dans la subordonnée ou dans le contexte précédent, d’identifier l’objet à l’intérieur d’un paradigme. Or, pour être expressif, soit tak(oj) doit être marqué par un accent d’insistance (cf. la focalisation « neutre » vs. la focalisation « spécialisée », dont la visée consiste dans l’expression de l’attitude du locuteur vis-à-vis de ce qu’il dit, chez Nølke 2006), soit le contexte doit permettre de concevoir la propriété décrite comme quelque chose d’inhabituel, hors du commun :

(13) Zakroju, byvalo, glaza, a ona pered glazami... Takuju nežnost’ na sebja napustil, čto xot’ vešajsja! [Il arrive que je ferme parfois les yeux, et je la vois devant moi... J’ai pris l’air si tendre, (que) c’est à se pendre !] (Tchékhov)

(14) Ja TAKOE uznala, prosto užas ! [J’ai appris de ces (litt. telles) choses, c’est juste l’horreur !] (Internet).

10 Ce n’est pas par hasard que Berthelon (1955 : 133sq.) et Henri (1977 : 12, note 2) excluent le comparatif d’égalité de leur domaine d’analyse.

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Ainsi, en (13), le degré de tendresse est défini par une conséquence du type « exagérée-impossible » dans la typologie de Berthelon 1955 (en l’occurrence, se pendre), ce qui fait comprendre à l’interlocuteur qu’il s’agit d’un degré de tendresse assez élevé ; en (14), l’expressivité de l’énoncé est assurée à la fois par la structure syntaxique – une exclamative, qui peut être analysée comme une phrase à subordonnée consécutive, avec l’omission de la conjonction, typique de la langue parlée. De plus, de ces choses sont définies ensuite comme « l’horreur ». Il va sans dire que les caractéristiques prosodiques de cet énoncé sont typiquement expressives. Les cas où tak(oj) contribue à la création de l’expressivité sont à distinguer des cas où l’anaphorique n’y participe pas :

(15) Postydilsja by v takom vide vvalivat’sja v čužoj dom ! [Tu devrais avoir honte de faire irruption chez les gens dans un état pareil !] (Tchékhov)

Les lieux d’inscription de l’expressivité sont Постыдился бы ‘Tu devrais avoir honte’ qui peut être prononcé avec un allongement de la voyelle accentuée et вваливаться ‘faire irruption’. En revanche, в таком виде ‘dans un état pareil’ constitue une information de fond (takoj ne peut du reste attirer l’accent d’insistance) connue déjà du contexte précédent auquel takoj ne fait que renvoyer : en l’occurrence, un état pareil, c’est ébouriffé et en robe de chambre. Il apparaît ainsi que, pour que takoj revêt un caractère expressif, l’attribution de la qualité dénotée par l’anaphorique doit faire partie de la nouvelle information (cf. supra à propos des énoncés d’identité). Enfin, le dernier type d’emploi des anaphoriques illustré par (7) pose la question de la frontière entre l’expressif et le non-expressif. En analysant ce type d’emploi pour so en allemand (Ich habe mich über sein Glük so gefreut), Bühler (1934 : 314) le décrit en termes d’emphase, de ‘soulignement’ (« Emphase », « Unterstreichung »). Il rentrerait donc dans le champ de l’expressivité, du moins, d’après la définition de Dubois et al. 1999 (citée supra). L’analyse du corpus permet toutefois de remarquer que, tout en focalisant la qualité en question, l’anaphorique n’est jamais porteur d’accent d’insistance : au contraire, on le trouve le plus souvent dans les incises, des subordonnées, comme modifieur de participes ou de gérondifs, constituant une information de fond par rapport à l’information véhiculée par la prédication principale. Cf. le début de la Mort à Venise de Thomas Mann :

(16) Gustav Aschenbach […], hatte an einem Frühlingsnachmittag des Jahres 19.., das unserem Kontinent monatelang eine so gefahrdrohende Meine zeigte, […] allein einen weiteren Spaziergang unternommen11.

La différence avec le fonctionnement de tak(oj) dans les exclamatives – cf. (11) supra –, définies par Muller (1996 : 63) comme « la mise en scène d’un étonnement », est, de ce point de vue, flagrante. Si dans les exclamatives tak(oj) oriente vers le haut degré de la qualité en question, les anaphoriques sans antécédent ne signalent que le degré est supérieur à la norme. Il existerait donc différents degrés d’expressivité ou seul le haut degré relève du domaine de l’expressif ?12

11 rus. Gustav Aschenbach […], v tëplyj vesennij večer 19… goda – goda, kotoryj v tečenii dolgix mesjacev tak grozno vziral na naš kontinent, – vyšel […] (Tr. de N. Man) / fr. Gustav Aschenbach […] avait, par un après-midi de printemps de cette année 19.. qui, depuis des mois durant, montra à notre continent un air si menaçant, quitté sa demeure... (Tr. de A. Nesme et E. Costadura). 12 Tel est le point de vue de Berthelon à propos de si en français (1955 : 62) : « Seules l’intonation exclamative et l’accentuation particulière soulignée de si peuvent revaloriser et lui faire exprimer un très haut degré de façon expressive. Il faut s’en remettre pour cela à la spontanéité de chacun et considérer séparément chaque exemple, phénomène unique en quelque sorte. »

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Conclusions En faisant le bilan de ce a été dit, nous pouvons affirmer que les anaphoriques tak et takoj ne sont pas intrinsèquement expressifs. Mais ils peuvent se charger en contexte de l’expressivité, telle que nous l’avons définie, si les deux conditions suivantes sont remplies : – l’attribution de la qualité dénotée par l’anaphorique doit constituer l’objectif communicatif de l’énoncé ; – l’anaphorique est marqué par l’accent d’insistance, ce qui lui permet d’attirer l’attention de l’interlocuteur sur la qualité attribuée et, du fait qu’il ne nomme pas cette qualité, de l’interpréter comme quelque chose d’inhabituel, de non-ordinaire, d’inattendu. Cette interprétation doit néanmoins être en syntonie avec le contenu propositionnel de l’antécédent.

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Andreas Rittau Université de Franche-Comté (EA 3224)

Projection de l’expressivité par discours imbriqués : analyse de deux articles du Monde sur Angela Merkel

Dans le cadre d’une interrogation sur les possibles d’une langue liés à l’expressivité, et les marqueurs y attenant, nous voudrions soumettre deux articles du Monde à l’analyse linguistico-textuelle. Il s’agit de deux articles traitant des « Cent jours » d’Angela Merkel, Chancelière de la RFA : une langue (le français) traitant une question portant sur la langue-culture allemande (en effet, l’accession aux plus hautes responsabilités par une femme, a été discutée en Allemagne par les médias. Il en a été de même en France au sujet de Ségolène Royal dans le cadre des élections présidentielles de 2007). Les types de discours à l’œuvre seront analysés (féminin, politique). L’on constatera que, pour les deux articles, c’est un troisième discours qui vient s’interférer (le temps dans un cas et le sport dans l’autre) et croise les deux autres (la politique et la féminité). C’est ce troisième discours intervenant qui se charge de l’expressivité. Encore plus précisément, l’inscription de l’expressivité repose sur ces autres discours interférents (la temporalité et la métaphorisation du sport). C’est là l’inscription de l’expressivité dans la texture de l’écriture. Si la féminité se dit sur le registre de l’expressivité, ce n’est ni en filigrane ni en aparté mais par une imposition de la fonction expressive liée à l’intervention d’un troisième discours, et ce dans les deux articles sélectionnés. Nous procéderons à une analyse linguistico-textuelle des deux articles en présence en relevant de manière systématique les substitutions pour les différents discours concernés : politique, féminité, sport et temporalité. Nous soulignerons ensuite les liens d’intertextualité entre les deux articles sélectionnés. Le parallélisme du modèle entre l’Allemagne et la France ne peut échapper. Quelques exemples phrastiques puisés dans les répercussions médiatiques de la campagne de Ségolène Royal serviront de confirmation de nos dires pour ce type d’expressivité écrite, issue de la presse nationale. On réitérera la conclusion que la fonction expressive n’est pas uniquement réservée à des types de textes : tout type de texte peut introduire cette fonction par divers moyens comme ici à travers la substitution lexicale, la mise à jour d’un discours métaphorique (le sport) ou d’un discours relais (stéréotypies lexicales autour de la temporalité). Références : Jean Michel Adam, La linguistique textuelle, introduction à l’analyse textuelle des discours, Armand Colin,

2005. Laurent Gervereau, Inventer l’actualité, la construction imaginaire du monde par les médias internationaux, La

Découverte, 2004. Pierre Leroux, Cécile Sourd, « Des femmes en représentation. Le politique et le féminin dans la presse », dans :

Questions de communication, 2005, n° 7, pp. 73-85. Andreas Rittau, Interaction Allemagne-France, L’Harmattan, 2003. Christian M. Schmitz, Zwischen Mythos und Aufklärung : Deutschland in der außenpolitischen

Berichterstattung der Zeitung ‚Le Monde’, 1963-1983, Peter Lang, 1990. Véronique Traverso (sous la direction de), Perspectives interculturelles sur l’interaction, PUL, 2000.

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Vladimir Beliakov Université de Bourgogne – TIL (EA 4182)

Les collocations métaphoriques en russe : évaluation et expressivité Dans notre communication, nous partirons du traitement de la notion d’expressivité proposé par Jakobson (1963) et Matveeva (1986) et retiendrons la dimension évaluative des manifestations langagières en tant qu’une des caractéristiques pertinentes de l’expressivité. Parmi les marqueurs possibles de l’expressivité, notre attention se portera sur les séquences semi-figées souvent appelées collocations, notamment sur les associations lexicales reposant sur le procédé productif de métaphorisation qui représente un des moyens dont dispose le locuteur pour imprimer sa marque aux énoncés qu’il produit. En effet, le mécanisme métaphorique autorisant quelques prises de liberté par rapport à une forme linguistique neutre permet d’apporter un jugement de valeur appréciatif ou dépréciatif et d’inscrire ainsi un énoncé dans un cadre à portée expressive. Nous examinerons des collocations formées de noms dénotant une classe naturelle ou un artefact, dans la mesure où ceux-ci jouent dans la sémantique et la lexicologie le rôle d’exemples privilégiés. Nous partirons de l’idée que le contenu sémantique de certains de ces substantifs est constitué de deux ensembles de caractéristiques : classifiantes i.e. constitutives d'un objet de discours et non classifiantes i.e. constitutives d'une qualification valorisante ou dévalorisante, culturellement associées au terme, discriminées par l'interprétation référentielle / non référentielle et différemment impliquées dans le discours. A partir de la notion de désignateur (substantif) rigide de S. Kripke, nous proposerons l’hypothèse de travail suivante : un terme peut être employé rigidement dans un discours pour qualifier des objets en les valorisant ou en dévalorisant de la même manière qu’un terme peut dénoter rigidement une classe d’objets. Nous exploiterons cette perspective pour mettre en relief la manière dont la communauté linguistique russe se sert des suites collocatives motivées métaphoriquement au besoin d’expressivité. Références : Jakobson, R., Essais de linguistique générale, Paris, Minuit, 1963. Grossman F., Tutin A. (eds), Les collocations. Analyse et traitement, Amsterdam, De Werelt, 2003. Fradin B., Marandin J.-M., « Autour de la définition : de la lexicographie à la sémantique », Langue

Française, 43, 1979, pp. 60 – 83. Kripke S., La logique des noms propres, Paris, Minuit, 1980. Matveeva T. V., Leksičeskaja ekspressivnost’ v jazyke, Sverdlovsk, 1986. Putnam H., Représentation et réalité, Paris, Gallimard, 1990.

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Sabine Mohr-Elfadl Strasbourg

L’expressivité des phrasèmes : subjectivité et saillance stylistique dans Die Blechtrommel de Günter Grass

Une étude des manifestations linguistiques de l’expressivité se heurte à un certain flou définitoire du terme ‘expressivité’. Pour cette contribution, nous avons retenu une double acception du terme ‘expressif’ (cf. Petit Robert) : il réfère d’une part à la vivacité et à l’intensité de l’impression que produisent des moyens d’expression, verbaux et non verbaux (on parle aussi bien d’un geste expressif que d’une tournure expressive) ; d’autre part, il signifie qu’un énoncé souligne et met en avant la subjectivité de l’énonciateur (cf. Kerbrat-Orecchioni 1980 : 120), des aspects émotifs (affectifs) et / ou évaluatifs (on dira que l’énonciateur s’exprime pleinement, il est expressif). L’expressivité concerne donc aussi bien des questions de style (elle relève du choix des moyens d’expression et des effets qu’ils produisent) que la question de la fonction prédominante d’un énoncé dans le cadre d’un modèle communicationnel de la langue (l’énoncé est axé sur l’émetteur qui exprime ses sentiments et / ou son attitude par rapport à l’objet du discours, cf. Jakobson 1963, pp. 209-248, en particulier pp. 209-220). Cette double orientation permet d’établir des liens avec des phénomènes liés à l’emploi de la phraséologie dans le discours littéraire fictionnel : cette étude s’appuiera en effet sur un corpus de phrasèmes relevés dans le roman Die Blechtrommel de Günter Grass (1959) (cf. Mohr-Elfadl 2006). Si l’on considère le degré d’expressivité d’un énoncé comme fonction de sa valeur émotive et / ou évaluative, un lien direct s’établit avec une des dimensions sémantiques des lexèmes et des phrasèmes, à savoir la connotation. Car dans un sens restreint, la connotation d’un signe linguistique est définie comme la charge émotive et / ou évaluative qu’il véhicule en plus de sa valeur dénotative. La recherche phraséologique considère que cette ‘plus-value’ sémantique est particulièrement riche dans les idiomes verbaux (cf. Finkbeiner 2006 : 129). Selon les contextes d’emploi, cette valeur connotative est plus ou moins actualisée. La recherche d’une densité formelle et sémantique dans un discours à caractère littéraire prédispose à une mise en œuvre fréquente des valeurs connotatives des moyens d’expression. Il s’agira d’étudier si et dans quelle mesure la présence de signes à connotation forte peut fonder ou conforter le caractère expressif des énoncés qui les comportent, si dans ces énoncés, la fonction expressive peut être ressentie comme primordiale, importante ou tout du moins présente. Le second sens du terme ‘expressif’, à savoir l’intensité de l’effet recherché, renvoie quant à lui aux différents phénomènes de saillance qui peuvent être observés dans l’emploi de phrasèmes dans le corpus. Une saillance stylistique repose sur la recherche d’un contraste avec le contexte ou avec une attente, notamment avec l’attente d’un emploi habituel, ‘normal’ des moyens d’expression. Toute modification inhabituelle morphosyntaxique et / ou sémantique perçue comme intentionnelle et interprétable par rapport aux contenus est ainsi susceptible de créer de l’expressivité. Un certain nombre d’études de cas permettront de vérifier ces thèses. Références : Finkbeiner, R. (2006) : « ‘Semantischer Mehrwert’ revisited. Ein propositionssemantisches Modell zur Analyse

des komplexen Semantik verbaler Idiome ». In : Buhofer et Burger (Eds.), Phraseology in Motion I, Methoden und Kritik. Baltmannsweiler : Schneider Verlag Hohengehren, 129-144.

Jakobson, R. (1963) : Essais de linguistique générale, I. Les fondations du langage, Paris : Minuit.

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Kerbrat-Orecchioni, C. (1980) : L’énonciation de la subjectivité dans le langage. Paris : Colin. Mohr-Elfadl, S. (2006) : La phraséologie dans l’œuvre de Günter Grass : Etude thématique et pragma-

stylistique du roman Die Blechtrommel et de sa traduction française Le Tambour. Université Marc Bloch – Strasbourg II : Thèse de doctorat.

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Catherine Chauvin Université de Nancy 2

A propos de la fonction expressive du redoublement et de la réduplication en A propos de la fonction expressive du redoublement et de la réduplication en anglais contemporainanglais contemporain : quelques réflexions sur leur(s) emploi(s): quelques réflexions sur leur(s) emploi(s)

0 Introduction L’anglais n’est pas une langue « à réduplication », si par langue à réduplication on entend langue dans laquelle la réduplication est très présente, grammaticalisée et joue un rôle dans l’expression, par exemple, du nombre ou de la distributivité (on pensera à de nombreuses langues, comme le hindi-ourdou (Abbi 1997, Montaut 2007), les langues bantoues (Kabore 1997), le chinois (Paris 2007), etc.). Les formes rédupliquées, qui restent rares en anglais, sont cependant plus nombreuses qu’on a parfois pu le laisser entendre ; et malgré la présence quelques articles (Watt 1968, Minkova 2002, Ghomeshi, Jackendoff, Rosen, Russel 2004…), elles ont reçu relativement peu d’attention dans la littérature. Des formes sont parfois notées dans les ouvrages généraux (ainsi helter-skelter, hocus-pocus sont-elles citées au détour d’un paragraphe dans D. Crystal 2004 : 203), mais leur citation relève, généralement, plutôt de l’anecdote. Par ailleurs, lorsqu’il l’est, le phénomène est plutôt traité ou bien sous forme de liste de lexèmes, sans plus d’analyse ou de prise en compte de l’emploi ou de la représentativité (Hladký : 1998, qui présente une liste cependant précieuse de 35p), ou bien sous un aspect phonétique ou morphologique (domaines où la réduplication pose des questions effectivement intéressantes), les valeurs pouvant être signalées, dont la valeur expressive, mais la question des conditions d’emploi de ces formes reste encore, semble-t-il, relativement inexplorée à ce jour.13 Or il semble que, notamment dans une langue comme l’anglais – ou le français – où le phénomène reste relativement « rare » (cf. Morgenstern et Michaud : 2007, introduction), la question des ces conditions d’emploi se pose plus spécifiquement. Ces conditions peuvent être aussi bien discursives que « stylistiques » au sens large (registre, type de documents, type de rapports interlocutifs – on signale souvent la présence de ces termes dans le langage de, ou adressé à, l’enfant : Morgenstern et Michaud 2007), ainsi que celle des valeurs effectivement véhiculées, est d’intérêt. Ces formes n’ont pas à être utilisées pour des raisons grammaticales, pas non plus (forcément14) pour des raisons lexicales : quand sont-elles donc utilisées ? 2 Présentation du problème Le but, ou l’originalité, de cette étude sera donc:

- de prendre en compte les phénomènes de réduplication / redoublement dans une langue comme l’anglais, et en partant d’exemples attestés et contextualisés ;

- et les rattacher à la question de leur emploi en contexte, et des valeurs véhiculées par celles-ci: quel apport expressif, éventuellement pour quelle(s) forme(s) de réduplication, et dans quel contexte.

13 A l’exception de Wang 2005, posant ces questions à partir de larges corpus. 14 Certaines (rares) formes sont lexicalisées (en quel cas le « choix » serait moindre), d’autres, créées ponctuellement. Nous y reviendrions dans le cadre de notre présentation.

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Dans le cadre de cette journée sur la fonction expressive, nous nous interrogerons particulièrement sur quel type d’expressivité est exprimé ici, et - dans la mesure du possible - comment / pourquoi. 3 L’analyse Pour ce faire, nous proposerions ici de partir de quelques cas d’emplois recensés dans deux romans de S. Fry, The Stars’ Tennis Balls (2000, Arrow Books / Random House), et The Hippopotamus (1994, Arrow Books / Random House). Le choix provient du fait de ce que notamment The Hippopotamus offre un certain nombre d’exemples de formes rédupliquées et redoublées (pour un document écrit en anglais : une bonne vingtaine d’emplois divers contextualisés), avec une inventivité qui joue à la fois sur des formes existantes et sur l’exploitation de « patrons » rendus possibles par la langue (cf. infra) – les formes existantes étant elles-mêmes parfois modifiées ou remotivées (hanky-panky -> (*)handkerchief-pankerchief). On soulignera donc la variété même des formes recensées, et reviendra sur la nature au moins probable de leur valeur expressive en contexte. Nous reviendrons aussi sur la représentativité de ces formes, ainsi que les types de jeux verbaux à l’œuvre autour d’elles. Si certaines de ces formes en effet sont entrées dans le lexique de l’anglais, d’autres ne se retrouvent pas, ou une seule fois, dans l’ensemble de Google.com (ce qui en fait des « nonce formations » ou quasi « nonce formations ») ; d’autres font partie de patrons susceptibles de variations (par ex. Shit : Shit shit shitey shit, etc. : nombre d’occurrences, présence d’affixation, « reduplication par ablaut »). Pour ce qui est des types de jeux verbaux, le lien avec l’affixation hypocoristique semble être d’intérêt (cf. infra).

4 Quelques hypothèses

Nous proposons ici en quelques lignes les types d’hypothèse qui seront développées, et le cas échéant, (re)précisées, lors de la présentation.

1) D’une part, la question de la valeur « globale » dans ce cadre : nous avons parlé ci-dessus en général des valeurs liées à l’hypocoristique, et de tout ce qui peut être lié à l’enfance ; or les cas tels qu’ils sont employés dans ce roman semblent globalement plutôt jouer sur la dépréciation et la satire. Cette dimension peut cependant se construire via la (même ?) dimension « diminutive ». On note d’ailleurs une association avec des affixes diminutifs, ailleurs dans le texte, ou conjointement avec le redoublement.

On pourra proposer des pistes qui, elles, sont connues : ainsi le dénigrement passant par symbolisme de la petitesse. On notera cependant que l’on s’oppose ainsi alors à des dimensions par ailleurs existantes pour la réduplication dans les langues du monde, notamment celle de « haut degré » : les formes recensées semblant jouer ou bien plutôt sur l’ « à peu près », ou bien sur un certain amoindrissement sémantique. C’est donc dans ce pôle-là que jouerait plutôt ces redoublements en anglais.

On note aussi que ce type d’exemples n’est pas tout à fait du type de ceux soulignés par Wang 2005 en fin d’article (slogans, presse15), qui

15 Cet aspect sera repris lors de la présentation.

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semblent plutôt jouer sur la répétition (cf. the salad-salad paper, Jackendoff et al. : 2004).

2) La question peut se poser de savoir s’il existe un lien entre le type de réduplication (partielle, totale, avec ou sans élément fixe, etc.) et les valeurs prises en contexte. Il n’est pas sûr que ce soit le cas, à une exception près. En d’autres termes, le fait d’avoir « deux fois le même terme » est ce qui primerait, globalement (iconiquement ?16 ), sur la façon dont cela est fait, mais la présence d’un terme n’existant pas par ailleurs dans la langue pourrait jouer aussi. On peut donc poser une corrélation entre le degré de lexicalisation et de type de fonction ; ce serait plutôt en ce sens que joueraient les différences qu’entre des différences de « patron » entre les différentes formes (cf. « La réduplication paraît présenter une tension entre une dimension iconique et expressive, d’une part, et d’autre part un rôle en système. L’une et l’autre composante seraient en relation inverse l’une de l’autre dans une langue donnée », Morgenstern et Michaud 2007 : 118)

3) Se pose aussi la question du type de document et du contexte au sens des « conditions » (de registre, genre…, voire conditions socio-linguistiques) dans lesquelles ces formes apparaissent. C’est ici que se repose la question de la comparaison avec d’autres cas (autres corpus, Internet, BNC). On pourra évoquer deux pistes socio-culturelles à la présence de ces formes dans ce roman : on peut en effet la relier au dénigrement et à une forme d’humour féroce présente dans celui-ci. La présence de nombreux hypocoristiques, notamment, semble aller en ce sens.

4 Vers quelles conclusions ?

Les conclusions pourraient être doubles: sur le phénomène étudié, sur l’expressivité.

1) Pour les formes de redoublement, répétition…, etc. : différence entre le lexicalisé et le non-lexicalisé ; présence de (quels types de) « patrons » ; importance du type de contexte (insuffisamment soulignée, notamment dans une langue où le phénomène reste relativement marginal) ;

2) Pour la fonction expressive : a. On pourra revenir sur la présence d’un lien inversement propositionnel entre

grammaticalisation / lexicalisation et expressivité, qui serait un des modes de construction récurrents de l’expressivité : est « expressif » ce qui est inhabituel ;

b. le lien entre expressivité, ici, plus spécifiquement, et hypocoristique, que l’on retrouverait par le biais d’un phénomène moins étudié.

Références : Abbi A., 1997, « Le redoublement dans les langues d’Asie du sud », Faits de Langues, 10, 31-36. Ghomeshi J., Jackendoff R., Rosen N., Russel K., 2004, « Contrastive Focus Reduplication in English (the

Salad-Salad Paper) », Natural Language and Linguistic Theory, 22/2, 307-357. Hladky J., 1998, “Notes on reduplicative words in English”, Brno Studies in English, 24, pp. 33-70. Kabore R., 1997, « La réduplication », in S. Platiel et R. Kabore (eds), Les langues d’Afrique sub-saharienne,

Faits de Langues, 11/12, pp. 359-376.

16 De nouveau, cela n’est pas certain.

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« Les manifestations linguistiques de l’expressivité à travers les langues » Université de Bourgogne (Dijon) – 22 et 23 novembre 2007

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Minkova D., 2002, « Ablaut reduplication in English : The Criss-Crossing of Prosody and Verbal Art », English Language and Linguistics, 6, pp. 133-169.

Montaut A., 2007, « Formes et valeurs de la réduplication totale en hindi/ourdou », in Morgenstern A., Michaud A. (dir.), pp. 175-190.

Morgenstern A., Michaud A. (dir.), 2007, Réduplication / redoublement, Faits de Langues, Paris, Ophrys. Morgenstern A., Michaud A., 2007b, « La réduplication : universaux iconiques et valeurs en système », in

Morgenstern A., Michaud A. (dir.), pp. 116-124. Wang S.-P., 2005, « Corpus-Based Approaches and Discourse-Analysis in Relation to Reduplication and

Repetition », Journal of Pragmatics, 37, pp. 505-540. Watt W.S., 1968, « English Reduplication », Journal of English Linguistics, 2/96 (28 p.)