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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE Les mélanomes métastatiques : vers un traitement personnalisé Personalized therapy for metastatic melanoma R. Aassab · M.R. Khmamouche · H. Mrabti · H. Errihani Reçu le 15 février 2013 ; accepté le 17 mars 2013 © Springer-Verlag France 2013 Résumé Le mélanome malin est une tumeur maligne cuta- née dont lincidence augmente depuis quelques décennies. Bien quil ne représente que 4 % de lensemble des cancers de la peau, le mélanome est à lorigine de 80 % des décès dus à ce type de tumeur. En situation métastatique, le mélanome a un pronostic très sombre avec une médiane de survie de six à neuf mois et le traitement à ce stade était particulièrement décevant jusquà ces dernières années et aucune chimiothérapie navait permis dobtenir une amélioration de la survie glo- bale. Récemment, de nouvelles molécules de natures très différentes ont, pour la première fois, permis dobtenir une amélioration de la survie globale au cours du mélanome métastatique. Mots clés Mélanome · Métastatique · Thérapies ciblées · Immunothérapie Abstract Melanoma is a malignant skin tumor whose inci- dence has increased in recent decades. Although it represents only 4% of all skin cancers, melanoma is responsible for 80% of death. Metastatic melanoma has a very poor prognosis with a median survival of six to nine months and the treatment at this stage was particularly disappointing until recent years and no chemotherapy had achieved an improvement overall survival. Recently and for the first time, newly approved drug for metastatic melanoma achieved an improvement in overall survival. Keywords Melanoma · Metastatic · Targeted therapy · Immunotherapy Les mélanomes métastatiques réputés chimiorésistants ont été jusquen 2010 considérés comme le parent pauvre de loncologie. La mise en évidence dune mutation de BRAF dans 40 à 60 % des mélanomes, spécialement la mutation V600E qui joue un rôle important dans la voie des MAP kinase (mitogen activated protein kinases), a ouvert la voie au développement de molécules inhibant spécifiquement cette mutation somatique. L immunothérapie fait naître éga- lement un grand espoir et représente à lheure actuelle une avancée majeure dans la thérapie du mélanome métastatique. Chimiothérapie Le traitement conventionnel de première ligne du mélanome métastatique faisait appel à la chimiothérapie. Les taux de réponse sont entre 5 et 15 % pour les molécules les plus actives. Le médicament historiquement de référence est la dacarbazine (DTIC). Les schémas de prescription ne sont pas standardisés. Des doses de 700 à 1 000 mg/m 2 de DTIC réparties sur 1 à 5 jours (AMM) tous les 21 à 28 jours sont habituellement admises. Un métabolite actif de la dacarba- zine (hors AMM), le témozolomide (200 mg/m 2 de J1 à J5, cycles de 28 jours) donne des résultats similaires [1]. Les autres molécules régulièrement actives sont des nitroso- urées (avec la fotémustine mais aussi la carmustine (BCNU), le CCNU, des alcaloïdes de la pervenche (avec la vindésine : VDS) et le cisplatine (CDDP). La fotémustine sutilise à des doses de 100 mg/m 2 à J1, J8, J15, J50 puis toutes les trois semaines, même si des schémas différents sont utilisés pour limiter lhématotoxicité. Elle donne des effets similaires à ceux du DTIC en essai randomisé. Le cisplatine est en règle générale prescrit à des doses de 80 à 120 mg/m 2 toutes les trois semaines. Les nouvelles molécules récemment évaluées ne semblent pas donner de meilleurs résultats que les mono- chimiothérapies « classiques », même si des combinaisons comme carboplatin-paclitaxel ont pu donner récemment des résultats encourageants. La lutte contre les résistances aux chimiothérapies par des combinaisons avec des molécu- les agissant notamment sur lapoptose (oblimersen) na pas R. Aassab (*) · H. Mrabti · H. Errihani Department of medical oncology, National Institute of Oncology, Rabat, Morocco e-mail : [email protected] M.R. Khmamouche Department of medical oncology, Military Hospital Mohammed V, Rabat, Morocco J. Afr. Cancer DOI 10.1007/s12558-013-0271-z

Les mélanomes métastatiques : vers un traitement personnalisé; Personalized therapy for metastatic melanoma;

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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE

Les mélanomes métastatiques : vers un traitement personnalisé

Personalized therapy for metastatic melanoma

R. Aassab · M.R. Khmamouche · H. M’rabti · H. Errihani

Reçu le 15 février 2013 ; accepté le 17 mars 2013© Springer-Verlag France 2013

Résumé Le mélanome malin est une tumeur maligne cuta-née dont l’incidence augmente depuis quelques décennies.Bien qu’il ne représente que 4 % de l’ensemble des cancersde la peau, le mélanome est à l’origine de 80 % des décès dusà ce type de tumeur.

En situation métastatique, le mélanome a un pronostictrès sombre avec une médiane de survie de six à neuf moiset le traitement à ce stade était particulièrement décevantjusqu’à ces dernières années et aucune chimiothérapien’avait permis d’obtenir une amélioration de la survie glo-bale. Récemment, de nouvelles molécules de natures trèsdifférentes ont, pour la première fois, permis d’obtenir uneamélioration de la survie globale au cours du mélanomemétastatique.

Mots clés Mélanome · Métastatique · Thérapies ciblées ·Immunothérapie

Abstract Melanoma is a malignant skin tumor whose inci-dence has increased in recent decades. Although it representsonly 4% of all skin cancers, melanoma is responsible for80% of death.

Metastatic melanoma has a very poor prognosis with amedian survival of six to nine months and the treatment atthis stage was particularly disappointing until recent yearsand no chemotherapy had achieved an improvement overallsurvival. Recently and for the first time, newly approveddrug for metastatic melanoma achieved an improvement inoverall survival.

Keywords Melanoma · Metastatic · Targeted therapy ·Immunotherapy

Les mélanomes métastatiques réputés chimiorésistants ontété jusqu’en 2010 considérés comme le parent pauvre del’oncologie. La mise en évidence d’une mutation de BRAFdans 40 à 60 % des mélanomes, spécialement la mutationV600E qui joue un rôle important dans la voie des MAPkinase (mitogen activated protein kinases), a ouvert la voieau développement de molécules inhibant spécifiquementcette mutation somatique. L’immunothérapie fait naître éga-lement un grand espoir et représente à l’heure actuelle uneavancée majeure dans la thérapie du mélanome métastatique.

Chimiothérapie

Le traitement conventionnel de première ligne du mélanomemétastatique faisait appel à la chimiothérapie. Les taux deréponse sont entre 5 et 15 % pour les molécules les plusactives. Le médicament historiquement de référence est ladacarbazine (DTIC). Les schémas de prescription ne sontpas standardisés. Des doses de 700 à 1 000 mg/m2 de DTICréparties sur 1 à 5 jours (AMM) tous les 21 à 28 jours sonthabituellement admises. Un métabolite actif de la dacarba-zine (hors AMM), le témozolomide (200 mg/m2 de J1 à J5,cycles de 28 jours) donne des résultats similaires [1]. Lesautres molécules régulièrement actives sont des nitroso-urées (avec la fotémustine mais aussi la carmustine (BCNU),le CCNU, des alcaloïdes de la pervenche (avec la vindésine :VDS) et le cisplatine (CDDP). La fotémustine s’utilise à desdoses de 100 mg/m2 à J1, J8, J15, J50 puis toutes les troissemaines, même si des schémas différents sont utilisés pourlimiter l’hématotoxicité. Elle donne des effets similaires àceux du DTIC en essai randomisé. Le cisplatine est en règlegénérale prescrit à des doses de 80 à 120 mg/m2 toutes lestrois semaines. Les nouvelles molécules récemment évaluéesne semblent pas donner de meilleurs résultats que les mono-chimiothérapies « classiques », même si des combinaisonscomme carboplatin-paclitaxel ont pu donner récemmentdes résultats encourageants. La lutte contre les résistancesaux chimiothérapies par des combinaisons avec des molécu-les agissant notamment sur l’apoptose (oblimersen) n’a pas

R. Aassab (*) · H. M’rabti · H. ErrihaniDepartment of medical oncology,National Institute of Oncology, Rabat, Moroccoe-mail : [email protected]

M.R. KhmamoucheDepartment of medical oncology,Military Hospital Mohammed V, Rabat, Morocco

J. Afr. CancerDOI 10.1007/s12558-013-0271-z

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donné à ce jour de résultats probants. Aucun des multiplesschémas proposés, comme les associations DTIC + fotémus-tine, le protocole dit de Dartmouth (DTIC, CDDP + BCNU+ tamoxifène) [2]. DTIC + fotémustine, DTIC + VDS +CDDP qui ont initialement revendiqué des taux de réponsesouvent supérieurs à 30 %, au prix d’une toxicité aggravée,n’a pas montré de bénéfice supérieur aux monochimiothéra-pies, en essai contrôlé. Les immuno-polychimiothérapies quicombinent interleukine 2 et/ou interféron α à ces schémasn’apportent pas de bénéfice supérieur mais en augmententencore la toxicité [3].

Thérapies ciblées

Plusieurs voies de signalisation telles que MAPK (Mitogen-Activated Protein Kinases), PI3K (Phosphatidylinositide3-kinases), AMPc (Adénosine monophosphate cyclique) etcycline D1/CDK4 (Cyclin-dependent kinase 4) sont impli-quées dans la progression de cette maladie et sont affectéespar certaines mutations oncogéniques. Dans chaque voie,plusieurs cibles thérapeutiques potentielles ont été identi-fiées, et des inhibiteurs spécifiques sont en développement(Fig. 1).

Les inhibiteurs de BRAF

Environ 60 % des mélanomes sont porteurs de la mutationBRAF [4] (Tableau 1). Correspondant dans 90 % des cas aune mutation V600E ; d’autres mutations de moindre fré-quence ont également été décrites (V600K, V600D,V600F). L’utilisation d’inhibiteurs sélectifs de BRAF dans

le traitement du mélanome à un stade avancé a tout d’abordmontré des résultats prometteurs dans des études de phases Iet II, publiées en 2010 [5]. Ces études utilisaient un inhibi-teur spécifique de BRAF par voie orale (vémurafénib). Ellesétaient composées d’une première phase d’escalade de dosesregroupant 55 patients— dont 49 étaient atteints de mélano-mes en échec thérapeutique, porteurs ou pas de la mutationV600E — puis d’une seconde phase d’extension, compre-nant 32 patients atteints de mélanomes métastatiques etBRAF V600E mutés. Les objectifs étaient de définir lescaractéristiques pharmacocinétiques du produit administréen deux prises orales quotidiennes, d’établir la dose maxi-male tolérée et de préciser le taux de réponse tumorale objec-tif. La dose maximale tolérée retenue en phase II était de960 mg × 2/j. Dans la phase d’extension, une réponse tumo-rale a pu être observée pour 26 des 32 patients (81 %) :réponse complète pour 2 d’entre eux, partielle pour les24 restants. Dès les deux premières semaines de traitementétait notée une amélioration des symptômes — notammentla douleur en rapport avec l’extension métastatique de lamaladie. La survie sans progression (SSP) médiane était desept mois. Les principaux effets indésirables signalés étaientcutanés (phototoxicité, rash, survenue de carcinomes épider-moïdes de type keratoacanthome, le plus souvent), articulai-res (arthralgies) ou se rapportaient à de l’asthénie (degrade 3 chez 6 % des 32 patients). La survenue de ces carci-nomes, liée à l’activation de la voie MAP kinase (Mitogen-Activated Protein kinase) par ces inhibiteurs dans des cellu-les normales, se manifestait chez 25 à 30 % des patientssous inhibiteurs de BRAF (toxicité de grade 3) avec undélai d’apparition très court par rapport a l’exposition (8 à21 semaines). Ces résultats prometteurs ont été confirmés

Fig. 1 Les deux principales voies de signalisation impliquées dans les mélanomes : la voie MAPK kinase (rouge) et AKT/PI3K

(vert) [20]

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en 2011 par une étude de phase III (BRIM-3) présentée enséance plénière au congrès annuel de la Société américained’oncologie clinique (ASCO) et publiée dans le NewEngland Journal of Medicine [6], comparant l’inhibiteursélectif de BRAF (vémurafénib) à la dacarbazine. Les675 patients inclus (de janvier à décembre 2010) avaientun mélanome de stade III inopérable ou de stade IV mutéBRAF V600E et étaient naïfs de tout traitement. La rando-misation (1:1) s’effectuait entre le vémurafénib (per os,960 mg × 2/j) et la dacarbazine (1 000 mg/m2 administréspar voie intraveineuse toutes les trois semaines). L’objectifprimaire était l’évaluation de la survie globale (SG) et de lasurvie sans récidive (SSR). Les objectifs secondaires étaientle taux de réponse, la durée de la réponse et la tolérance autraitement. Cet essai confirmait un taux important de réponseobjective en faveur de l’inhibiteur de BRAF (48,4 % pour levémurafénib versus 5,5 % pour la dacarbazine) et son forteffet sur la survie sans progression (5,3 versus 1,6 mois).L’analyse intermédiaire mettait ainsi en évidence une diffé-rence significative en faveur du vémurafénib — pour la SGavec un hasard-ratio (HR) à 0,37 et pour la SSR avec un HRà 0,26. Compte tenu de ces résultats très positifs, un cross-over vers le bras vémurafénib des patients progressant sousdacarbazine a été autorisé. Les effets indésirables le plus fré-quemment observés étaient ceux précédemment décrits, àsavoir : phototoxicité, arthralgies, carcinomes épidermoïdes.À la suite d’une actualisation des données en 2012, il a puêtre montré une survie globale de 13,6 mois dans le brasvémurafénib versus 9,7 mois dans le bras dacarbazine(les données sont censurées dans le bras dacarbazine aprèsle crossover).

Un an après la présentation des résultats spectaculairesdu vémurafénib, les résultats d’une nouvelle phase III(BREAK-3), évaluant un autre anti-RAF, ont été présentésen 2012 au congrès annuel de la Société américaine d’onco-logie clinique. Dans le cadre de cette étude, un nombre rela-tivement limité de malades (n = 250) a été randomisé avec un

ratio 3:1 entre dabrafénib et dacarbazine. Un crossover à laprogression était autorisé. Soixante-six pour cent des maladesinclus dans le bras dabrafénib étaient au stade M1c, 36 %présentaient un taux de LDH (lactate deshydrogénas) supé-rieur à la norme. L’analyse des résultats permet de mettre enévidence un hasard-ratio à 0,35 pour la survie sans progres-sion. Le taux de réponse objectivé sous dabrafénib est évaluéà 53 %. Peu de toxicités ont été observées sous dabrafénib etseuls 3 % des malades ont dû interrompre le traitement enraison d’un effet indésirable. Parmi ceux-ci, on peut notam-ment citer les toxicités classiquement rapportées sous vému-rafénib— syndrome main-pied (21 %), arthralgie (16 %). Enrevanche, certaines toxicités classiques sous vémurafénib(carcinome épidermoïde, kérato-acanthome, réaction de pho-tosensibilité) ont été observées avec une fréquence plus faiblesous dabrafénib (7 % de carcinomes épidermoïdes et/ou dekérato-acanthomes et 3 % de réactions de photosensibilité)[7,8].

Les inhibiteurs de MEK (Mitogen-activatedextracellular signal-regulated protein Kinase)

Le tramétinib est une nouvelle thérapie ciblée, hautementspécifique de sa cible : MEK, située en aval de BRAF surla même voie de signalisation. Dans un précédent essai dephase II, le tramétinib a montré une efficacité pour despatients atteints de mélanome métastatique, porteur de lamutation BRAF V600E, avec une médiane de survie sansprogression de 5,3 mois. Dans une étude de phase III présen-tée en 2012 au congrès annuel de la Société américained’oncologie clinique, 322 patients atteints de mélanomemétastatique ou avancé, porteur de la mutation BRAFV600E/K, ont été randomisés (distribués au hasard) entredeux bras de traitement : le premier avec tramétinib, lesecond avec la chimiothérapie (dacarbazine ou paclitaxel),à raison de deux patients dans le bras « tramétinib » pourun patient dans le bras « chimiothérapie ». Les patients dont

Tableau 1 Fréquences des mutations dans les voies de signalisation kinase dans les sous-types de mélanome [21].

Cutanée (%) Acral (%) Muqueuse (%) Uvéal (%) Non spécifié (%)

BRAF 40–60 15–20 3–5 <1

NRAS 15–25 10–15 5–15 <1

c-KIT (mutation) <2 (CSD: 2–17) 10–20 15–20 <1

c-KIT (amplification) 0–7 (CSD: 6) 25–30 25–30 <1

GNαQ <1 (CSD: 5) <1 <1 45–50

ERBB4 10–20

PTEN 10–30

PIK3CA 1–2

AKT1/3 1–2

CSD : chronic sun-damaged cutaneous.

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les tumeurs progressaient alors qu’ils étaient dans le braschimiothérapie pouvaient ensuite recevoir le tramétinib endeuxième intention. L’objectif premier de l’étude était d’éva-luer la survie sans progression chez des patients atteints demélanome métastatique sans métastase cérébrale et porteurde la mutation BRAF V600E, soit 273 patients sur les 322.Les objectifs secondaires étaient : la survie globale, le tauxde réponse global et la sécurité.

Les résultats de cette étude sont en faveur du tramétinibavec un risque de progression de la maladie diminué de56 %, une survie sans progression de 4,8 mois contre1,4 mois pour la chimiothérapie et un taux de réponse glo-bale de 22 % avec le tramétinib contre 8 % avec la chimio-thérapie. Parmi les 108 patients qui recevaient la chimiothé-rapie, 51 (47 %) dont les tumeurs progressaient ont reçu dutramétinib. Le tramétinib a aussi démontré un bénéfice signi-ficatif en termes de survie globale avec une diminution durisque de décès de 46 % par rapport à la chimiothérapie. Leseffets secondaires les plus fréquemment observés avec letramétinib étaient : une éruption cutanée, de la diarrhée,des œdèmes, de l’hypertension et de la fatigue [9].

La combinaison anti-BRAF/anti-MEK

Les résultats d’une étude évaluant l’intérêt de la combinai-son d’un inhibiteur de BRAF (le dabrafénib) avec un inhi-biteur de MEK1 et MEK2 (le tramétinib) ont été présentésen 2012 au congrès annuel de la Société américaine d’onco-logie clinique. Dans le cadre de cette étude, 77 patients souf-frant d’un mélanome métastatique et porteurs de la mutationV600E ou V600K de BRAF ont été inclus. Ils ne devaientpas avoir reçu préalablement d’inhibiteur de BRAF ni d’in-hibiteur de MEK. La majorité d’entre eux avait reçu aumoins une ligne de traitement (seulement 18 % des maladesétaient naïfs de tout traitement). Vingt-cinq malades (32 %)avaient reçu au moins trois lignes de traitement. Quatreniveaux de doses ont été évalués (dabrafénib/tramétinib :75 mg/1 mg ; 150 mg/1 mg ; 150 mg/1,5 mg ; 150 mg/2 mg). Parmi les toxicités mises en évidence dans cetteétude (incluant d’autres types tumoraux que des mélano-mes), celle le plus souvent responsable d’une diminutionde dose s’est avérée être l’hyperthermie, pour les patientsayant reçu l’association à la dose de 150 mg/2 mg.Cinquante-huit pour cent des malades ont présenté unehyperthermie, et 42 % des lésions cutanées. Seuls quatremalades inclus dans l’essai ont présenté un carcinome épi-dermoïde. Parmi les 77 malades atteints d’un mélanomeayant reçu le traitement, le taux de réponse objective étaitde 57 %. La survie sans progression (SSP) est estimée,dans cet essai de phase I/II, à 7,4 mois pour les 77 maladesayant reçu la combinaison. La SSP des 24 malades ayantreçu la combinaison à dose maximale (150 mg/2 mg) estde 10,8 mois. [10].

Pour confirmer ces importants résultats, deux essais ran-domisés sont en cours d’inclusion. L’un compare cette mêmeassociation, tramétinib et dabrafénib, au dabrafénib seul, etl’autre au vémurafénib. Il faudra probablement attendre lecongrès annuel de la Société américaine d’oncologieclinique en 2014 pour en connaître les conclusions.

Les inhibiteurs de c-KIT

Les aberrations génétiques de c-KIT, rares (moins de 3 %)dans le mélanome, peuvent être plus fréquentes dans cer-tains types de mélanome (muqueux, acrolentigineux, chro-niquement exposes au soleil). Les essais thérapeutiqueschez l’homme, utilisant des inhibiteurs de tyrosine actifssur KIT dans les mélanomes non sélectionnes pour desaberrations de c-KIT, sont décevants [11]. Cependant, desréponses anecdotiques a l’imatinib (n = 3) et au sorafenib(n = 1), constatées dans le mois suivant l’introduction dutraitement, ont déjà été rapportées dans quatre mélanomesmutés c-KIT (trois mélanomes anaux et un mélanome acro-lentigineux). Il s’agissait de formes localement avancées(n = 1) ou avec métastases a distance (n = 3). Les réponsesétaient complètes chez trois patients [11,12]. Les résultatsde deux essais cliniques ont été publies en 2011. RD Car-vajal et al. ont traité 28 patients avec mutation ou amplifi-cation de c-KIT par imatinib 400 mg [13] × 2/j. Ils ontobservé deux réponses complètes et durables, deux répon-ses partielles durables — avec un taux de réponse surl’ensemble des patients de 16 %, un délai médian de pro-gression de 12 semaines et une survie globale médiane de46,3 semaines. Le taux de réponse a été meilleur en cas demutations affectant les hot spots récurrents ou avec un ratiomutant au type sauvage allélique de plus de 1 (40 versus0 % ; p = 0,5), indiquant une sélection positive pour l’allèlemuté. J Guo et al. ont traité 43 patients présentant des aber-rations c-KIT (mutations ou amplifications) avec imatinib400 mg × 1/j [14]. Les résultats, encourageants, montrentun taux de réponse globale de 23 %, une survie sans pro-gression à six mois de 36,6 %. Les données historiques dela méta-analyse d’EL Korn et al. [15] font quant à elles partd’une SPP à six mois de 14,5 % et un taux de survie à un ande 53 %. La survie sans progression médiane des patientsqui avaient des mutations de l’exon 11 ou 13 a été pluslongue que celle des autres aberrations rations de c-KIT,même si le faible nombre de patients ne permet pas designification statistique (p = 0,86). La survie sans progres-sion médiane des patients présentant des aberrations multi-ples a aussi été plus longue que celle des autres patients, laencore sans signification statistique (p = 0,67).

D’autres inhibiteurs de C-KIT sont en cours de dévelop-pement dans cette indication notamment le masitinib, le nilo-tinib et le dasatinib.

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Autres molécules

De nombreuses pistes sont en cours d’exploration : molécu-les interférant avec l’angiogénèse avec des inhibiteurs duVEGF (Vascular endothelial growth factor) et du PDGF (pla-telet derived growth factor) , molécules favorisant l’épura-tion des radicaux libres comme l’elesclomol qui n’a pasdonné les résultats attendus [16], chimiothérapies modifiéescomme le nab-paclitaxel présentant un profil de tolérancesupérieur à la molécule mère.

Immunothérapie

Le mélanome est une des tumeurs malignes pour lesquellesle système immunitaire paraît jouer un rôle crucial dans lecontrôle de l’évolution de la maladie. Des cas de régressionspontanée ont ainsi été rapportés, suggérant un rôle du sys-tème immunitaire, indirectement conforté par la preuve de laprésence d’infiltrats lymphocytaires dans la tumeur primi-tive, associée à une régression tumorale.

Ac anti-CTLA4 (ipilimumab)

Il s’agit d’un anticorps monoclonal dirigé contre la molé-cule cytotoxic T-lymphocyte-associated antigen 4 (CTLA4).C’est donc une immunothérapie qui restaure l’activation Tlymphocytaire en bloquant le CTLA4 et favorise l’immunitéantitumorale (Fig. 2). Deux essais positifs de phase III ontpermis l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché(AMM) à la dose de 3 mg/kg [16,17]. Dans la première étudede phase 3, les auteurs ont inclus 676 malades atteints demélanome métastatique en seconde ligne de traitement dans

une étude randomisée en trois bras : ipilimumab plus vacci-nation gp 100 (403 malades) ; ipilimumab seul (137 mala-des) ; vaccination gp 100 seule (136 malades).

L’objectif principal était la survie globale. Les résultatsmontrent que les malades recevant ipilimumab et gp100 avaient une médiane de survie de 10,0 mois, ceux quirecevaient l’ipilimumab seuls avaient une médiane de surviede 10,1 mois et ceux qui recevaient seulement la vaccination,une médiane de survie de 6,4 mois. Le nombre de réponsescomplètes était de un dans le bras associant les deux traite-ments, de deux dans le bras ipilimumab seul et de zéro dansle bras vaccination. Les réponses partielles étaient respecti-vement de 22, 13 et 2 [17,18]. Le profil de tolérance faisaitétat de 10 à 15 % de toxicité de grade 3 ou 4 dans les brasavec ipilimumab et de 3 % avec la vaccination. Il y a eu14 décès imputables au traitement, dont la moitié liée à deseffets secondaires immunologiques. Dans une deuxièmeétude de phase III menée chez 500 patients et comparantdans le cadre d’une randomisation 1/1 le traitement par chi-miothérapie standard, la dacarbazine, à l’association dacar-bazine + ipilimumab (10 mg/kg). Cette étude confirme lebénéfice de l’ipilimumab + dacarbazine en terme de survieglobale avec une diminution du risque de décès de 28 %(P = 0,0009). Les durées de réponse sont significativementaugmentées par l’ipilimumab : 19,3 mois, versus 8,1 moisavec la chimiothérapie seule. Le pourcentage de patientsvivants après 1, 2 et 3 ans est augmenté de 10 % environavec l’association par rapport à dacarbazine seule. Des effetssecondaires de grade 3 et 4 en lien avec le traitement ontété observés plus fréquemment avec l’association (50 vs27,5 %). Il s’agissait la plupart du temps d’effets d’ordreimmunologique mais le spectre de toxicité était un peu dif-férent de celui auquel on est habitué avec l’ipilimumab car il

Fig. 2 Interaction entre le lymphocyte T CD8 et la cellule dentritique. Après l’activation du lymphocyte, il y a une up regulation

du CTLA-4 qui se lie avec une meilleure affinité au récepteur B7. Cette interaction donne un signal inhibiteur au lymphocyte. L’anticorps

anti-CTLA-4 empêche cette liaison [22]

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y eut 32 % d’hépatite de grade 3/4 vs 2,4 % avec la dacar-bazine. Il n’y a pas eu de décès lié au traitement dans le brasipilimumab + dacarbazine et un décès dans le bras chimio-thérapie seule (hémorragie digestive) [17,18].

Anti-PD-1

Il a pu être montré dans les mélanomes que les cellules tumo-rales avaient la capacité d’exprimer à leur surface le ligandde PD-1 (Programmed cell death protein 1) : PD-L1. L’acti-vation de la voie PD-1 entraîne une inhibition de la réponselymphocytaire à la suite de l’induction d’une anergie ou d’unprocessus apoptotique des lymphocytes T. L’utilisation d’unanticorps bloquant agissant soit au niveau du récepteur, soitau niveau du ligand permet donc d’inhiber ce mécanismed’échappement. Les résultats d’une étude pilote évaluant leBMS-936558 (anti-programmed cell death-1 antibody) ontété présentés en 2012 au congrès annuel de la Société amé-ricaine d’oncologie clinique. Il s’agit d’un anticorps mono-clonal (IgG4) bloquant le récepteur PD-1. Ce blocageentraîne une inhibition de la fixation de PD-L1 [19]. Cetteétude, publiée le même jour que sa présentation dans le NewEngland Journal of Medicine a permis de montrer l’intérêtde cet anti-PD-1 dans une population de 296 malades, por-teurs de 104 mélanomes, 122 cancers du poumon, 34 cancersdu rein, 17 cancers de la prostate et 19 cancers colorectaux.La molécule était administrée par voie intraveineuse à quatrereprises toutes les deux semaines. Chaque cycle de traite-ment durait huit semaines. En cas de stabilisation de la mala-die ou en cas de maladie lentement évolutive, un nouveaucycle de traitement était prévu, et ce jusqu’a un maximum de12 cycles (soit 96 semaines de traitement). Parmi les104 patients atteints de mélanomes inclus dans l’étude,74 % avaient déjà reçu une à deux lignes de traitement et26 %, au moins trois lignes de traitement. Soixante-quatrepour cent des malades avaient reçu une immunothérapiepréalable, et 8 %, un inhibiteur de BRAF. Dans le cadre decette étude de phase I, cinq doses d’anticorps ont été éva-luées (de 0,1 à 10 mg/kg). La dose maximale tolérable n’apas été atteinte au palier de 10 mg/kg. Vingt-six patientsatteints d’un mélanome (28 % des mélanomes inclus) ontprésenté une réponse clinique ; six (6 % des mélanomesinclus) ont présenté une stabilisation de la maladie de plusde 24 semaines. Parmi les 26 patients répondeurs, 18 rece-vaient un traitement depuis plus de un an au moment del’analyse intermédiaire et treize présentaient une réponseclinique depuis plus de un an. En ce qui concerne la toxicité,20 % des malades ont présenté une toxicité de grade 3-4. Ils’agissait le plus souvent d’une lymphopénie, d’une asthé-nie, de diarrhées, de douleurs abdominales, d’une augmen-tation du taux de lipase. Trois décès toxiques ont été obser-vés au cours de l’étude (pour deux malades atteints d’uncancer du poumon et pour un atteint d’un cancer du colon).

Ces trois décès étaient en relation avec le développementd’une pneumopathie interstitielle [19].

L’efficacité d’un autre anticorps monoclonal agissant surle même point de contrôle de la réponse immunitaire, maiscette fois-ci non pas sur le récepteur mais sur le ligand, a étéégalement présenté à l’ASCO 2012. Dans le cadre de cetteétude, 207 malades ont été inclus, dont 55 cas de mélanomes(27 % des malades). La molécule BMS-936559 (anti–pro-grammed cell death-1 ligand antibody) était administréepar voie intraveineuse toutes les deux semaines à trois repri-ses dans le cadre de cycles de six semaines. Comme dansl’étude précédemment décrite, de nouveaux cycles étaientautorisés en cas de réponse ou de maladie lentement évolu-tive. Neuf pour cent des malades ont présenté une toxicité degrade 3-4 (une observation de réaction au moment de la per-fusion, trois d’asthénie).

Les autres toxicités observées consistaient notamment endes diarrhées, des arthralgies, des rashs, des dysthyroïdies etdes hépatites. Parmi les 52 mélanomes évaluables, 9 (17 %)ont présenté une RO, dont 3 réponses complètes. Au momentde l’analyse des données, la durée de la réponse était compriseentre 2,8 et 23,5 mois.

À côté de ces deux molécules, d’autres anticorps mono-clonaux sont en cours de développement. Ceux-ci ciblentégalement PD-1 − tel le MK-3475 ou stimulent d’autrespoints de contrôle de la réponse immunitaire, et notamment4-1BB.

Conclusion

Les espoirs liés aux traitements personnalisés du mélanomese poursuivent, des progrès thérapeutiques majeurs ont étéfaits dans ce domaine qui, quoique encore insuffisants, nouslaissent entrevoir un avenir meilleur pour nos patients.

Conflit d’intérêt : les auteurs ne déclarent pas de conflitd’intérêt.

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