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23 “Le livre et le numérique” est un sujet mouvant, instable, objet d’innovations régulières et d’annonces permanentes. Parce qu’il nous a semblé prématuré de s’engager sur des problématiques très techniques comme les formats, les supports,… parce qu’il nous est apparu présomptueux de délivrer des conseils stratégiques aux acteurs du livre, l'ArL Paca a fait le choix d’organiser un colloque afin d’accompagner, voire d'encourager la chaîne du livre dans une réflexion collective. Nous avons confié à un spécialiste, Alain Giffard, le soin d'en élaborer le programme et de solliciter l'intervention de professionnels attachés à mêler les points de vue : universitaires, économiste, philosophe, sociologue, cogniticien... Tous travaillant au cœur du sujet, et tous à même de partager leur réflexion sur les enjeux fondamentaux des métamorphoses en cours. LES MéTAMORPHOSES NUMéRIQUES DU LIVRE L'Agence remercie Alain Hayot, Vice-Président du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, et Chantal Robillard, Conseillère pour le livre et la lecture à la Direction régionale des affaires culturelles, d’avoir procédé à l’ouverture officielle du colloque. Que tous les intervenants soient assurés de notre vive reconnaissance.

LES MéTAMORPHOSES NuMéRIQuES Du LIVRE · une logique de substitution au livre imprimé. Divers outils – l'écran, l'ordinateur, les banques de ... projets de numérisation de

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“Le livre et le numérique” est un sujet mouvant, instable, objet d’innovations régulières et d’annoncespermanentes. Parce qu’il nous a semblé prématuré de s’engager sur des problématiques très techniquescomme les formats, les supports,… parce qu’il nous est apparu présomptueux de délivrer des conseilsstratégiques aux acteurs du livre, l'ArL Paca a fait le choix d’organiser un colloque afin d’accompagner, voire d'encourager la chaîne du livre dans une réflexion collective. Nous avons confié à un spécialiste, Alain Giffard, le soin d'en élaborer le programme et de solliciterl'intervention de professionnels attachés à mêler les points de vue : universitaires, économiste, philosophe,sociologue, cogniticien... Tous travaillant au cœur du sujet, et tous à même de partager leur réflexion sur lesenjeux fondamentaux des métamorphoses en cours.

LES MéTAMORPHOSES NuMéRIQuES Du LIVRE

L'Agence remercie Alain Hayot, Vice-Président du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur,et Chantal Robillard, Conseillère pour le livre et la lecture à la Direction régionale

des affaires culturelles, d’avoir procédé à l’ouverture officielle du colloque.Que tous les intervenants soient assurés de notre vive reconnaissance.

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“La métamorphose numérique du livre est engagéedepuis une vingtaine d'années. Elle a connuplusieurs paliers : l'informatisation de l'imprimerie,la suprématie de l'ordinateur, l'apparition avec leweb des premiers “écrits d'écran” et des premièrespratiques de lecture numérique, l'ascension desmoteurs de recherche, la librairie en ligne, lanumérisation des bibliothèques et des livresd'édition, le livre numérique.Cette métamorphose a souvent été présentée selonune logique de substitution au livre imprimé.Divers outils – l'écran, l'ordinateur, les banques dedonnées, les cédéroms, le livre électronique,l'Internet, le web et ses différentes publications, lelivre numérisé ou numérique, le téléphone et sesapplications – ont pu être présentés comme autantde candidats à cette substitution. Leur simpleénumération suffit à montrer les difficultés, et pourtout dire l'échec, à penser la tendance numériqueselon cette logique.L'interrogation sur le devenir numérique du livre nes'apaise pas, elle est au contraire plus vive que jamais.Elle concerne d'abord l'ensemble des acteurs de lachaîne du livre. Auteurs, éditeurs, imprimeurs,libraires, bibliothécaires et lecteurs sont depuislongtemps sommés de s'adapter aux nouvellestechnologies, sans que celles-ci soient stabilisées, etsans modèle économique. Plus largement, en raisonmême du rôle central du livre imprimé dans laculture écrite et sa transmission, cette interrogationconcerne chacun d'entre nous. Elle est devenue unequestion publique majeure.La période actuelle constitue très vraisemblablementun tournant qui apparaîtra peut-être demaincomme une construction cohérente et déterminée.La transformation des industries de l'information enindustries culturelles, l'arrivée dans l'économie dulivre d'acteurs dont certains disposent de moyensfinanciers sans précédents, la numérisation des plusimportantes bibliothèques, l'apparition trèsprobable aux États-Unis d'une version numériquedes livres édités, la nouvelle vague de livresélectroniques… tous ces éléments donnent à penserque la métamorphose numérique du livre connaîtune nouvelle accélération.Dans ce contexte, le débat public a rebondi. Commel'attestent le succès international de l'article deNicholas Carr* “Is Google making us stupid ?” etl'intervention de Robert Darnton* à propos de la“République numérique des savoirs”, l'accueil desprojets de numérisation de livres prend aujourd'huiune tonalité beaucoup plus critique. Les effetsculturels et cognitifs de la numérisation sur lalecture, la mémoire, la connaissance et la formationoccupent en effet une grande part de la réflexionactuelle.

Notre colloque se propose de faire le point sur cestransformations et les débats qui les accompagnent.”

Dans ce Regards croisés, l’Agence restitue la synthèsede chacune des 11 interventions du colloque.

Conférence d’ouverture1. Hervé Le Crosnier, Pratiques de lectures à l'ère del'ubiquité, de la communication et du partage de laconnaissance. (p. 25)

Première partie “Le livre saisi par le numérique” 2. Françoise Benhamou, Livre numérique : quel modèleéconomique pour un changement de paradigme ? (p. 28)3. Yannick Maignien, Devenir du livre et éditionscientifique. (p. 31)

Deuxième partie “La lecture numérique”4. Alain Giffard, La lecture numérique peut-elle se substituer à la lecture classique ? (p. 33)5. Brigitte Simonnot,Médiation et médiateurs de la lecture numérique (p. 35)6. Thierry Baccino, Lecture numérique : réalité augmentée ou diminuée ? (p. 38)

Troisième partie “Bibliothèques, librairies, éditeurs :la chaîne du livre en question”7. Gilles Éboli, Les bibliothèques face au numérique(p. 40)8. Isabelle Le Masne De Chermont, Les métamorphosesnumériques de la BnF (p. 43)9. Stéphane Michalon, Éditer, diffuser, commercialiserles livres à l’ère du numérique (p. 46)10. Marin Dacos, Read/Write Book. Le livre devientinscriptible (p. 48)

Conférence de clôture 11. Bernard Stiegler, La grammatisation du lecteuret ses enjeux (p. 51)

Les mots suivis d'une astérisque renvoient aux annexessuivantes :Glossaire (p. 56)Index des personnes citées (p. 58)Bibliographie générale (p. 59)

À suivre : la mise en ligne d’autres documents relatifs à ce colloque (actes complets, vidéos…).Sitothèque disponible sur www.livre-paca.org

Avant propos

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Hervé Le Crosnier est maître deconférence à l'Université de Caen,où il enseigne les technologies del'Internet et la culture numérique.Sa recherche porte sur l'impact del'Internet sur l'organisation socialeet culturelle, et l'extension dudomaine des biens communs de laconnaissance. Auparavant, HervéLe Crosnier était conservateur debibliothèque et a fondé la listebiblio.fr en 1993. Il estactuellement éditeur multimédia,créateur de C&F éditions. Il estmembre de l'Association VECAM,qui a joué un rôle important dansl'organisation du Forum mondialSciences & Démocratie.

Publications (extrait)“La médiation numérique”, in Le Web 2.0 en bibliothèques :quels services ? quels usages ?dirigé par M. Amar et V. Mesguich,éd. du Cercle de la Librairie, 2009

“Web inscriptible et pratiquescoopératives”, in Outils web 2.0 en bibliothèque : manuel pratique, dirigé par J. Sauteron et F.Queyraud, éd. ABF, 2008

“Tentative de définition duvectorialisme”, in Traitements etpratiques documentaires : vers unchangement de paradigme ?, actesde la 2è conférence “Documentnumérique et Société”, sous ladirection d'E. Broudoux et G. Chartron, éd. ADBS, 2008

Pratiques de lectures à l'ère de l'ubiquité, de la communication et du partage de la connaissance

Aujourd'hui quand on parle du livre électronique, on a tendance à sefocaliser sur l'aspect proprement technique, et à oublier que nous sommesen face d'une véritable métamorphose du livre, au sens biologique d'unchangement radical autour duquel va se réorganiser toute la chaîne dulivre. Quelle sera la relation entre la personne qui crée les œuvres et lelivre lui-même ? En droit français, on considère que l'œuvre est uneextension de la personne de l'auteur ; avec les nouveaux modes deproduction, de diffusion et de lecture numériques, on risque de perdre lanotion même de ce qu'est un auteur. Par ailleurs, quand on parle dedocument, le bibliothécaire a tendance à penser à l'objet qu'il a sur sesétagères. Mais dans la réalité des pratiques, le document doit avant toutêtre recherché dans la communauté de lecteurs qui se constitue autourdes textes, dont la place est encore plus marquée par les outils de la lecturenumérique. Enfin, dans cette métamorphose vient s'intercaler un nouveau“lecteur” ; on ne peut plus seulement raisonner sur la base d'un êtrehumain pour définir ce qui lirait un document : de plus en plus de robotsqui ont au préalable parcouru l'espace numérique sont souvent les“premiers lecteurs”, pour créer les index des moteurs de recherche ou pournous aider à constituer des recueils spécialisés, pour organiser et regrouperles documents.

Toutes ces mutations du document ont été étudiées par un réseau de 170chercheurs du CNRS utilisant le pseudonyme collectif Roger T. Pédauque.Le livre qu'ils ont publié montre que trois points de vue sont nécessairessimultanément à la compréhension du phénomène. Le premier étudie leschangements de forme : la numérisation et aujourd'hui l'intégration dumultimédia. Le second regarde les fonctions sémantiques du documentnumérique : l'annotation qui organise les connaissances et permetl'extraction d'informations. Enfin, le document est aussi un “médium”,c'est-à-dire le prétexte à des pratiques sociales, économiques et juridiquesqui sont profondément bouleversées par la mutation du numérique.L'unité entre l'objet livre et son contenu disparaît ; on distingue le supportnumérique, qui reste matériel, du travail immatériel de l'auteur.L'abonnement payant aux fournisseurs d'accès à Internet règle la questiondu matériel ; mais le problème de la rémunération du contenu reste posé.D'autre part, le document numérique étant déconnecté de son supportphysique, on a d'autant plus besoin d'ajouter des métadonnées – c'est-à-dire de cataloguer ou d'indexer des contenus qui émanent de l'auteur,revus par l'éditeur et destinés à des usages sociaux – pour intégrer lesdocuments dans un système de connaissances qu'on appelle depuis dessiècles une bibliothèque et à partir de laquelle nous pourrons extraire dessavoirs. À noter que si l'on persévère dans la logique actuelle, ce travaildocumentaire se fera au bénéfice des monopoles en place. On le voit bienavec la focalisation du débat sur la gestion du numéro de l'identifiantunique du document, notamment le GoogleID.

HERVÉ LE CROSNIER

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On a considéré le premier web comme unebibliothèque ; or le web d'aujourd'hui estprincipalement un outil de communication, unmédia de flux au moment où les médiastraditionnels sont en train de se décomposer. Lesindustries liées aux télécommunications, àl'informatique et aux médias sont en train deconverger autour d'un même tuyau, et plus encore,autour des mêmes pratiques sociales des lecteurs.

Dans ce cadre, je pense que seuls les outilsgénéralistes, qui sont à la fois communicants,d'annotation, de travail… – principalement l'ordi-nateur portable et le téléphone mobile – ont del'avenir. Ils permettent non seulement l'inter-opérabilité des contenus, mais surtout celle despratiques. Le mot-cléaujourd'hui chez tousles fabricants de matérielc'est ATAWAD : anytime,anywhere, any device.Dans cette situationmultiforme, le livrenumérique pren-draitun grand risque en seconfinant dans des systèmes fermés où chaqueéditeur négocierait avec un fabricant de matérielpour verrouiller son offre autour d'un créneau delecteurs.

Un autre risque concerne la forme de numérisationpar page, par exemple telle qu'elle est proposée parGoogle. Cela entraînerait le livre dans un nouveauformat en insérant de la publicité au sein même despages d'un livre. Mais plus encore, le mode par pageinduit une stratégie basée sur la recherche,... elle-même financée par la publicité. Ce mode definancement remet en cause l'indépendance et lechoix d'accès des lecteurs : les documents à lire noussont de facto promus, suivant le caractèrepublicitaire des algorithmes des moteurs derecherche, plutôt qu'issus de notre propre décisiondans une liste par sujet, comme pourtant on essaiede nous le faire croire. Or la recherche est le caractère central de lanouvelle réorganisation de la lecture. Auparavantpour toucher un lecteur, un auteur devait passer parun appareil de production, avec ses formesspécifiques de fonctionnement, qui a mené aumonopole du livre tel qu'on le connaît. Cette partiede l'appareil industriel centré sur la production perdsa place au profit de ceux qui savent organiserl'accès. Les utilisateurs ont appris à se servir desmoteurs, sans penser que les algorithmes derecherche ne respectent pas la neutralité qu'on leursuppose. Ils posent par exemple de plus en plus demots pour accéder directement au document qui lesintéresse, et c'est cela qui va permettre à cesmoteurs, en train de devenir de véritables webmédias, de les inonder d'une offre ciblée.

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Autre phénomène capital, c'est la transformation dela lecture elle-même. Le modèle du read only* setransforme en une relation de communication visantà parler des livres, à recommander des livres. Lalecture active comprend aussi le partage ; nousavons toujours prêté des livres. Or dans le mondedu numérique certains pensent que cette possibilitéd'échange doit être supprimée, sous prétexte qu'onpourrait prêter trop largement. Si les lecteursn'arrivent plus à partager leurs lectures, on risque deperdre cette capacité nouvelle de lecture active, deconstituer des communautés autour du livre. C'étaitle travail magnifique de feu zazieweb, qui amalheureusement été largement abandonné par lesinstitutions, et notamment par les bibliothèques. Unautre élément de cette culture read write*, c'est tout

ce que LawrenceLessig* appelle laremix culture, c'est-à-dire la constitution denouveaux documentsen piochant dans lestock existant, avec le“copier coller”. Il meparaît plus important

d'apprendre à le faire correctement – en respectantles citations – que de l'interdire. Des pratiquesartistiques utilisent le collage depuis longtemps etjusqu'à maintenant, on l'a considéré comme unenouvelle création. Dans le hip-hop, ce n'est que trèsrécemment que l'industrie du disque a interditl'utilisation de samples de plus de quinze secondes.Il y a un vrai travail à faire sur la culture du remixpour nous libérer de l'idée de l'Œuvre avec unemajuscule et revenir à la communauté de lecteurs, àcette pratique de partage, de diffusion et dereconstruction. On sait bien que lorsqu'il lit, toutlecteur reconstitue le texte… initié par l'auteur.

Le document numérique a par nature un coût dereproduction marginal qui tend vers zéro. De plus,l'outil de production des textes – l'ordinateur – estégalement un outil d'édition, via des blogs parexemple, et un outil de distribution. Or cet outil agénéralement été acheté pour d'autres raisons que laproduction de documents, donc le capital mortinvesti lui aussi tend vers zéro, c'est une économied'infrastructure. Cette situation nouvelle offre àchacun des possibilités inégalées de s'insérer dans lalecture active. L'autre élément significatif estl'émergence d'une production de pair à pair*, lacapacité d'un auteur à se coordonner, à coopérer età produire des biens de culture de manièrecoopérative.

“Les utilisateurs ont appris à seservir des moteurs, sans penser queles algorithmes de recherche nerespectent pas la neutralité qu'onleur suppose.”

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Nous sommes dans le cadre d'une économie desrendements décroissants, où très peu de livresénormément lus forment la zone de l'audience, etoù la plus grande partie des livres disponibles sonttrès peu lus et constituent ce que l'on appelle lalongue traîne. Il y a une zone intermédiairebeaucoup plus intéressante qui représente ladiversité culturelle. C'est celle sur laquelle lespolitiques publiques ou les choix des bibliothèquespeuvent agir profondément pour favoriser l'accès àdes documents qui ne sont pas dans l'ordre del'audience, qui sont souvent plus exigeants ouvenant de secteurs oupays ayant moins demoyens publicitairesque le courant cultureldominant. Dans cetteéconomie del'attention, il va falloircapter le lecteur devenu ressource rare, car disperséparmi de très nombreuses sollicitations de lecture.Cette économie ne porte pas sur l'instant T, mais demanière holistique sur l'ensemble de la vie, ce queles économistes appellent la lifetime value* : on estprêt à vous subventionner quand vous entrez dansun système parce qu'on fait le pari que vous allez yrester et rapporter plus tard beaucoup d'argent.Ainsi, la librairie en ligne Amazon a-t-elle beaucoupinvesti pour constituer une communautéd'utilisateurs et poser les bases de son commercepour les années à venir.

Je voudrais terminer l'approche de la métamorphosedu document suivant les trois axes du Pédauque, parla question essentielle du financement de lacréation. On a essayé de nous faire croire que lesauteurs avaient quelque chose à gagner dansl'économie de la longue traîne. Mais soyons sérieux,seules les plateformes qui organiseront l'accès aulivre électronique, comme Amazon ou Numilog ontquelque chose à gagner. Je suis beaucoup moinsconvaincu que se soit par ce phénomène qu'onarrive à assurer la rémunération de la création. On ne peut cependant pas reproduire dans lenouveau système les modèles antérieurs, c'est-à-direun bénéfice qui serait pris sur chaque objet aumoment de sa vente, avec une répartition du risquede l'éditeur entre les livres qui se vendent bien etceux qui se vendent moins bien. Il existe d'ores etdéjà des domaines où la création n'est pas financéecomme cela. La recherche et la musique contem-poraine notamment, fonctionnent avec desfinancements publics. Pour l'instant, nous sommesaveuglés par la publicité – qui pourtant représenteun très grand danger –, mais nous pourrions nousinspirer des modèles de financement collectif surl'exemple de la licence légale appliquée à lamusique ou à la loi sur le droit de prêt qui concernele livre et les bibliothèques. Nous avons la capacitéde savoir combien de fois un document placé sur leweb a été lu, et donc celle de répartir une sommequi serait collectée via des prélèvements spécifiques,éventuellement complétée par la publicité ou desdonations des fondations.

Le droit d'auteur en France est trop souventconsidéré comme une icône intouchable. Heureu-sement, on commence à débattre réellement à sonsujet. Le rôle des professionnels est d'encourager cedébat qui est celui de l'équilibre à trouver entre lacréation, les usages et les industries. Comment va-t-on empêcher de nouveaux monopoles des'intercaler entre les producteurs d'information etles lecteurs ? Nous sommes à un momentpassionnant d'une révolution non seulementtechnique, mais qui touche aussi les pratiquesculturelles et les modes d'organisation de la chaîne

du livre. Il faut que nous y participions pleinementet non pas que nous y allions à reculons en essayantde savoir si l'eau numérique ne serait pas trop froide.

“Dans cette économie de l'attention, il va falloir capterle lecteur devenu ressource rare, car dispersé parmi de très nombreuses sollicitations de lecture.”

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Économiste, Françoise Benhamouest professeur des universités etvice-présidente de l’Université deParis XIII. Elle est membre du Cercledes Économistes et du Conseil duLivre, vice-présidente du Comitéconsultatif des programmes d’Arte.Elle est également membre duComité de rédaction de la revueEsprit et chroniqueuse pour FranceCulture et Rue 89.

Publications (extrait)Droit d'auteur et copyright, avec J. Frachy, La Découverte, 2009

L'économie de la culture, La Découverte, 1996-2008

Les dérèglements de l'exceptionculturelle, Le Seuil, 2006

L’économie du star system, Odile Jacob, 2002

Les galeries d’art contemporain en France. Portrait et enjeux dansun marché mondialisé, avec D.Sagot-Duvauroux et N. Moureau, La Documentation française, 2001

Livre numérique : quel modèle économiquepour un changement de paradigme ?

Depuis deux mois, j'ai entamé une réflexion sur les modèles économiquesdu livre numérique – si tant est qu'il y en ait –, et je suis très frappéed'entendre, de la part d'acteurs de la chaîne du livre et de l'économie dulivre numérique en train de se constituer, la répétition de mêmes choses oude choses complètement contradictoires. On sent qu'on est à une époquede tâtonnement, où il n'y a pas de réponses simples et univoques. Le prixNobel d'économie a été remis cette année à une spécialiste des sciencespolitiques qui a travaillé sur la théorie des communs, c'est-à-dire de biensqui peuvent être finalement gérés non pas par une personne mais par unecommunauté de personnes. Il me semble que cette théorie s'appliqueparticulièrement bien au champ scientifique du livre numérique.

À l'université, on travaille de moins en moins avec les livres, tant lesenseignants que les étudiants qui se tournent presque exclusivement versles ressources numériques. Nous sommes sur des supports qui ne sont pasdes livres, qui ne sont pas censés exclure les livres, mais qui les excluent unpeu. Et cela va de pair avec la politique actuelle de la recherche, quivalorise la publication sous forme d'articles édités dans des revues à grandemajorité électroniques. Là où nous souhaiterions donner une pleine placeau livre, la politique publique joue à l'inverse. On passe du livre “objetnomade” à la bibliothèque qu'on emporte avec soi, et cela pose denombreuses questions. Comment enrichit-on cette bibliothèque ? Quelstypes de propositions les éditeurs peuvent-ils faire (abonnement, achat àl'unité…) ? Quelle sera la relation de marché entre le papier et lenumérique ? Verrons-nous une superposition de deux marchés rela-tivement indépendants ? Verrons-nous une complémentarité de marchés,avec effet de levier du numérique sur le papier, par des effets de notoriétéou de circulation d'informations ? Ou encore assisterons-nous à desphénomènes de substitution ? C'est ce qui inquiète les éditeurs, puisquele passage d'une œuvre papier au numérique détruit de la valeur et que –c'est l'hypothèse que je fais – on ne vendra jamais un livre numériqueaussi cher qu'au prix papier. Il faut s'attendre par ailleurs à l'arrivée denouveaux entrants, dont il n'est pas sûr qu'ils captent une valeuréquivalente à celle disparue. Lors d'un récent forum organisé par le ministère de la Culture, LawrenceLessig*, le juriste américain qui a déposé la licence Creative Commons*,exposait sa théorie face à des professionnels appartenant à cette culture unpeu ancienne de la propriété intellectuelle. Les deux mondes ne secomprenaient pas. Les systèmes “propriétaires” sont en pleine contradictionavec la diffusion du savoir tel que le web le permet.

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FRANÇOISE BENHAMOU

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Réfléchissons au contexte dans lequel tout cela sepasse. Le marché du livre est relativement stable :le secteur résiste bien aux aléas de la conjoncture, àla hausse comme à la baisse. En même temps lecontexte de crise génère des inquiétudes très fortessur le pouvoir d'achat. Donc indépendamment dunumérique, il peut y avoir substitution entre gratuitet payant, avec une partie des publics migrant versl'offre des bibliothèques ou l'offre de Google, enparticulier pour les ouvrages du domaine public.

D'autre part, l'enquête sur les pratiques culturellesdes français* pointe un recul dunombre de gros lecteurs et uneaugmentation des non lecteurs etpetits lecteurs. Et ce qui frappe dansla durée, c'est l'augmentation dunombre de titres publiés parallè-lement à la baisse des tirages moyens,c'est-à-dire cette espèce de gestion,que ce soit des bons ou des mauvaismoments, par la surproduction. Lenumérique accentuera sans doute la surproductionde textes proposés sur les réseaux. Je crois quel'infinie diversité de l'offre s'accompagne souventd'une fuite de la diversité et d'une tendance àconsommer les mêmes choses, tous en même temps.Cela remet en cause la théorie de la longue traînequi défend l'idée que de petits tirages trouveraientde nouvelles chances dans le numérique parce qu'onpeut ainsi rassembler des publics dispersés.

La musique a vécu un séisme économique sansprécédent, avec une baisse de moitié de son chiffred'affaire en six années. Le problème, c'est qu'il n'ya ni modèles dominants ni modèles coexistants,depuis ceux entièrement financés par la publicitéjusqu'aux modèles “traditionnels” transposés au web ;pas de modèles dans lesquels on s'y retrouve et où l'oncontinue, puisqu'il s'agit quand même d'économie, àgagner de l'argent ! Mais on ne peut pas transposerexactement le cas de la musique sur le livre, parceque la musique se prête de manière presquenaturelle à l'écoute numérisée et au piratage. Onpeut penser que pour le livre, la facilité de piratageest moindre.

Un certain nombre de lancements de livresnumériques ont échoué. Mon hypothèse, c'est queles technologies n'étaient pas encore au point etsurtout que le rapport à la lecture sur écran n'étaitpas assez mûr. Cette lecture d'écran est aujourd'huilargement préparée par la presse, qui fait effet delevier sur l'économie du livre numérique. Amazonl'a bien compris, en lançant le kindle* en France sanslivres en français au catalogue mais en y proposantla presse. Je voudrais évoquer l'expérience récentede Sony, Hachette et la Fnac, parce qu'elle résumeà mon sens tout ce qu'il ne faut pas faire en mettant

sur le marché un appareil de lecture très cher, uneoffre verrouillée sur Hachette, et dans une seulechaîne de magasins. Lorsqu'on lance ce type detechnologie, il faut des utilisateurs précoces. Et pouravoir des utilisateurs précoces il faut choisir de lessubventionner parce qu'ils sont prescripteurs. Il fautaussi une base de livres suffisamment importantepour créer des externalités positives réciproques :les utilisateurs sont demandeurs de titres et leurnombre rend l'achat du support attractif ; la machineéconomique s'emballe, parce qu'on est dans deséconomies de réseaux.

Pour l'instant, et bien qu'il soit en pleindéveloppement, le marché de l'offre numérique estpresque inexistant : on est en dessous de 5 % desventes. En France, on est même bien en dessous.C'est pourtant la perspective du marché du livrenumérique qui dicte pratiquement la stratégieéconomique et industrielle de l'ensemble de lachaîne du livre dans tous les pays concernés.On voit qu'on est à la fin d'un modèle exclusifd'achat unique – le livre. Utilisera-t-on des lecteursdédiés, des ordinateurs, des téléphones ? Vrai-semblablement tout, selon les préférences dechacun. D'autre part, le numérique se prête aumorcellement du texte. Les éditeurs n'y pensent pasencore, il leur faut pourtant envisager des achats quipeuvent être des textes intégraux numérisés, maisaussi un ou plusieurs morceaux de textes pris dansdes ouvrages différents.

“L'infinie diversité de l'offre s'accompagnesouvent d'une fuite de la diversité et d'unetendance à consommer les mêmes choses,tous en même temps.”

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Si les données chiffrées sont difficiles à obtenir de lapart des éditeurs, de quoi parle-t-on au juste quandon parle du coût d'un livre numérique ? Du coût dela numérisation à proprement parler – variable selonles négociations – et de la mise à disposition pourles utilisateurs, ou de l'ensemble des coûtséditoriaux ? Dans l'édition de documents numériques, le coût defabrication est nul. Par ailleurs, qu'elle soitnumérique ou papier, la question de la distributionse pose. Ses coûts demeurent mais vont changer. Dessources de profits vont disparaître, comme ceux dela distribution du livre papier… il est frappant devoir combien les éditeurs en parlent peu. Il y a eudes gains de productivité considérables grâce aunumérique, même si le numérique crée denouveaux coûts. Je pose ici la question del'économiste Robert Solo* : où sont passés ces gainsde productivité ? Je crois que ces gains devraientpermettre un décrochement valable du prix du livrenumérique pour qu'il soit attractif, de l'ordre de30 à 40 %. Ceci afin d'éviter les phénomènes desubstitution qu'a connus la musique en voulantajuster les prix du numérique sur l'analogique. Se pose alors la question du nouveau partage de lavaleur, notamment pour les auteurs. Quelpourcentage de rémunération ? Quelle durée deprotection à l'ère du numérique ?...

Avec l'arrivée de nouveaux prescripteurs – blogueurset sites de conseil par exemple –, les nouvellespratiques s'inscrivent dans des communautés sur leweb 2.0 et impliquent que de nouvellescompétences se créent du côté des éditeurs quant àla manière de travailler à la diffusion des livres. Parceque de nouvelles relations s'instituent entre lecteurset auteurs. Dans la filière livre, les libraires sontparticulièrement menacés. L'argumentaire de la loiLang repose sur le conseil ; or le conseil peut migrervers Internet et il n'y a pour l'instant pas deprolongement numérique de cette loi. Les librairesdoivent acquérir des compétences nouvelles, il fautles aider à se préparer.

Les gros acteurs des télécommunications sont entrain de se positionner sur ce nouveau marché. Dansune logique qui est très éloignée d'une logique culturellepuisqu'il s'agit de vendre des abonnements, qui seprêtent très bien à certains types de livres – des livres delecture facile, des livres pratiques. Pour l'instant, ils nesont pas éditeurs, ils agissent en simples opérateurs.

Quant à la régulation, s'il y a un enjeu, c'est celuide la TVA. Plus j'y réfléchis, plus je vois deuxmanières de penser le livre. Soit on parle de latransposition du texte dans un format numérique,et dans ce cas le taux de TVA devrait être ramené de19,6 % aux 5,5 % du livre papier ; soit le textedevient un nouvel objet hybride que le numériquepermet d'enrichir de fonctionnalités nouvelles : lejeu vidéo, la musique, le livre... On obtient unnouveau contenu, auquel il faudrait peut-êtretrouver un nouveau nom. La question du taux deTVA se pose différemment. On pourrait tout à faitavoir deux marchés qui se superposent, ce qui restele meilleur des scénarios.

On revient alors à la question initiale : qu'est-cequ'un livre numérique ? Un livre, dans le mondenumérique, c'est à l'heure actuelle un objet très malidentifié, au sens où on peut lui donner des identités,des définitions, qui fluctuent selon la manière donton voit ce marché se construire.

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Yannick Maignien, philosophe etsociologue, est directeur du TGEADONIS, Grand Équipement duCNRS pour un accès unifié auxdonnées et documentsnumériques des Scienceshumaines et sociales. Cetteopération prend fond sur unetransformation radicale desformes et supports de savoirengagée par le numérique.

Devenir du livre et édition scientifique

Pour réfléchir sur le devenir du livre et de l'édition scientifique, il fautpartir des données fondamentales de l'édition du livre. Depuis des siècles,sa première fonction est d'inscrire le savoir et de l'authentifier enenregistrant les découvertes et les preuves de ce savoir. Il s'agit ensuite d'enmarquer la propriété intellectuelle, parce qu'il y a tout un statut de cequ'est la science dans ce régime d'authenticité et d'autorité qu'on trouvederrière la notion d'auteur. Il s'agit aussi d'en assurer la diffusion pourpermettre l'évaluation par les pairs et la reconnaissance de l'activité desdifférentes communautés scientifiques. Il s'agit encore de garantirl'archivage des résultats de la recherche, parce que leur pérennité dans letemps, leur stabilité, garantit leur existence. Et depuis Alexandrie, celapasse par l'organisation documentaire des connaissances, le classement,l'indexation et le référencement. C'est fort de ces critères qu'il faut penser la mutation du numérique, etnon pas de manière artificielle, même si l'actualité est forte. Il y a une trèslongue temporalité de la question du rapport du savoir à la matérialité deson expression, le numérique étant un des derniers avatars de cettemanifestation. Celui-ci n'est-il alors qu'un prolongement de ce qu'était lelivre, rien d'autre qu'un outil nouveau, mais ne changeant pas en substancece qui existait ? Ou au contraire, y a-t-il une rupture ? Je suis plutôtpartisan de cela.

De façon un peu provocante, on pourrait dire que le véritable web dessciences a commencé en 1665, date du début des PhilosophicalTransactions*. Le livre s'affirme alors en tant qu'outil de partage, derecension des savoirs et de débat. En fait, l'édition repose déjà sur cettetoile de relations scientifiques qui a besoin de documents pour assurer lesfonctions décrites précédemment. Ledébut du web, le réseau utilisant leprotocole HTML*, c'est la découvertepar Tim Berners-Lee* en 1989 de lanotion d'information liée pourpermettre la réunion de documentsissus de systèmes d'exploitation différents et quels que soient leurs formats.Le web de l'HTML était un projet d'organisation documentaire : avec despages, des articles, des livres, des cartes, des photos qui s'affichent surl'écran. Il n'y a pas de rupture par rapport à l'organisation documentaireclassique. À ce niveau-là, le numérique se situe toujours dans leprolongement du livre. De même, la digital library (bibliothèquenumérique) se conçoit sur le modèle de la bibliothèque et les métadonnéesne sont rien d'autre que des fiches de catalogue. Nous ne faisons quereparler du plus ancien à travers des termes actuels.

Je pense que la rupture a très peu d'années. Aujourd'hui ce qui compte cen'est plus le document mais les données et à l'évidence, elles ne tiennentplus dans le livre ; la barrière documentaire explose. Dans ses pratiques, lacommunauté scientifique travaille de moins en moins avec les livres parcequ'il y a de plus en plus de production native des données en flux numériques.

YANNICK MAIGNIEN

“Aujourd'hui ce qui compte ce n'est plus le document mais les données et à l'évidence, elles ne tiennent plus dans le livre ; la barrière documentaire explose.”

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Ce sont des flux de données biologiques, chimiques,astronomiques, qui arrivent sur des capteurs et quisont stockées, traitées, calculées par des ordinateurs.Elles ne sont plus la traduction d'une sourceanalogique tangible. Par exemple, nous travaillonsavec des équipes d'archéologues qui se préoccupentde la justesse de leurs géolocalisations au centimètreprès. Les fouilles sont enregistrées, aussitôt mises enbase de données, puis géolocalisées, c'est-à-direcouplées avec des cartographies numériques venantà la fois de sources géologiques, géographiques etarchéologiques. C'est l'ensemble de ce corpusnumérique qui est le véritable corpus, et tout ça netient évidemment pas dans un livre.

Ce n'est que dans ces dix dernières années aumaximum, avec la mise au point des technologiesqui permettent de donner corps à cette idée, que lanotion de web de données s'est affirmée, et elledevient opérationnelle seulement maintenant. Leweb de données, c'est un réseau où les donnéesexistent par elles-mêmes : elles ont une expressionsémantique logique et un identifiant propre,indépendamment des pages HTML* qui lesrassemblent. Cela s'exprime grâce au format RDF*préconisé par le W3C*, le consortium chargé defixer les normes informatiques de l'Internet. Si lesdonnées sont dans des bases de données, ellesdépendent bien sûr de la structure de ces dernières,mais il faut qu'elles puissent s'autonomiser pour êtremobilisables sur le réseau, s'accrocher à d'autresdonnées, ou être regroupées dans des entrepôtsthématiques ; elles seront alors disponibles pourd'autres communautés qui pourront les utiliser àd'autres fins. L'organisation des connaissances se fait

donc à une échelle qui n'a plus rien à voir avec leclassement, et les métadonnées exprimées en RDFne sont plus une simple étiquette sur des contenus :elles véhiculent suffisamment de sémantique pourque les données informent par elles-mêmes.L'autre paramètre de la rupture numérique, c'est-à-dire de quelque chose qui n'est pas pensable dans lespratiques antérieures, ce sont les pratiquescollaboratives 2.0. Jusqu'à assez récemment, lesscientifiques utilisaient le mail et les forums pourcommuniquer. Aujourd'hui, ils mettent en place dessortes de laboratoires virtuels où l'on travaille lesdonnées collectivement, via des blogs, des wikis oudes réseaux sociaux... Ces outils de communicationsont eux-mêmes producteurs de données : quandvous êtes sur un réseau social exprimé en RDF, vosdonnées personnelles et vos compétences peuvententrer dans des entrepôts de données réutilisables àd'autres fins, à des fins de meilleures compétenceshumaines.

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Le phénomène très nouveau du web 2.0, c'est l'openaccess*. Les concentrations dans l'édition scientifiqueayant eu pour conséquence une augmentationprohibitive du prix des abonnements, les com-munautés scientifiques se sont auto-organisées pourmettre en libre accès leurs travaux. Il y a une formede rupture en terme de modèle économique. C'estun autre modèle qui n'exclut ni le droit d'auteur niles coûts de réalisation, mais qui essaie de les penserdans le champ de la recherche, en amont desinstitutions, des budgets, des intentions, despolitiques et des stratégies. Par ailleurs, on a constaté une plus grandecomplexité qu'on ne le croyait des questions descientométrie, laquelle mesure la valeur scientifiqued'un document. On s'est aperçu que les outilsrécents d'automatisation des notoriétés par lerecensement des publications – le système duPublish or Perish* – étaient assez relatifs, alors mêmeque l'on s'en sert pour classer les laboratoires et lesuniversités. Ils ne doivent en aucun cas dispenser derentrer dans les contenus. Le web des données vadonc bouleverser ces échelles d'évaluation.

Au TGE ADONIS, nous avons commencé àconstruire un moteur non plus de recherche, maispour la recherche, dans le but de mobiliserl'information de toutes les données relevant dusavoir et repérées à travers des connecteurs. À pluslong terme, nous voulons réaliser une plateforme quivienne intégrer non seulement de l'interconnexionde données mais aussi de l'intégration de services.De nombreux opérateurs utiles aux scienceshumaines et sociales, dans le domaine de la santé,des transports, de l'aménagement du territoire, de

l'audiovisuel et des bibliothèques,pourront la rejoindre. Par exemple, ilexiste déjà sous forme bêta un siteappellé recherchesante.fr qui croisedes données de la santé pour despublics s'intéressant non seulement àla biologie, à la médecine, mais aussi à

la santé et au handicap.Tout ceci pose des questions sur ce qu'est lanouvelle lecture, la lecture de quelque chose quin'est pas un livre, qui est une exploration du savoir,qui est une exploration de données. C'est le lecteurqui va constituer, dans son intentionnalité derecherche, les savoirs dont il a besoin en tant quechercheur, ce ne sont pas les documents qui les luiapporteront. Cela concerne pour l'instant surtoutl'édition savante, mais le web de données marqueune véritable rupture du numérique par rapport aulivre, sans pour autant qu'on ait abandonnél'héritage de siècles de culture imprimée. Et l'éditionsavante a toujours été en pointe sur la transformationde l'édition ou du type de document publié...

“Il y a une forme de rupture en terme de modèle économique.”

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® Jean-Marc de Samie

Alain Giffard est directeur duprojet “GIS Culture & Médiasnumériques”. Ses travaux portentsur la lecture numérique. Il a étéle concepteur de la bibliothèquenumérique de la BnF et leprésident de la missioninterministérielle pour l'accèspublic à l'Internet. Animateurd'Ars Industrialis, il est présidentd'Alphabetville.

Publications (extrait)Pour en finir avec la mécroissance :quelques réflexions d'Arsindustrialis, avec B. Stiegler et C. Fauré, Flammarion, 2009

“Qu’est-ce qu’un littéraire”, àpropos de Pascal Quignard, CCP n° 15, 2008.

“Vous ne saviez pas que je crainsles manifestes, vous allez voirque je ne crains pas lesapologies, (à propos de unmanifeste Hacker de McKenzieWark)”, CCP n° 14, 2007.

Mémoria : mémoire, lecture,technologie : actes du colloque,Marseille, 2005, avec C. Jacob et B. Stiegler, Farrago, 2006

La lecture numérique peut-elle se substituerà la lecture classique ?

La lecture numérique peut-elle se substituer à la lecture classique –j'entends ici la lecture du texte imprimé, telle qu'on l'apprend à l'école ?Est-il possible, concevable de lire à l'écran ? Mais aussi, cette lecturenumérique remplit-elle tous les éléments du cahier des charges cognitif etculturel de la lecture classique, et sinon, comment ces deux lecturespeuvent-elles s'articuler ?

Le reflux de la culture écrite classique n'est pas une conséquence dunumérique, mais le numérique se développe bien dans le cadre de cereflux. L'enquête d'Olivier Donnat* sur les pratiques culturelles desFrançais acte le recul de la lecture classique, lecture du livre imprimé et dujournal. La baisse parallèle du nombre de lecteurs de livres et desperformances de lecture s'observe dans de nombreux pays et touche toutesles générations. L’étude d’Olivier Donnat propose un modèle du rapportà la culture et aux médias. Elle observe d'un côté le monopole d’une“culture d'écran” (télévision, vidéo, téléphone, ordinateur) dans le milieusocio-culturel défavorisé, et de l'autre côté, un “cumul des modes d'accès”où le livre reste présent. Cette époque de transition culturelle que nousconnaissons se caractérise donc par une polarisation des modes d’accèsentre groupes sociaux, mais aussi par une fragmentation au sein de chaquegroupe, le livre perdant son rôle de référence unifiante pour l'accès à laculture et à la citoyenneté. On comprend mieux ainsi l'importance de laquestion de la lecture numérique. Deux scénarios semblent alorsimaginables : l'un optimiste, où la lecture numérique compense ladiminution de la lecture classique parce qu'elle peut la remplacer, l'autreoù la lecture numérique se développe comme un compartiment d'uneculture de l'écran distincte, voire opposée à la lecture de l'écrit. Voilà posé très brièvement l'enjeu de la substitution de la lecturenumérique à la lecture classique.

Avec l’essai “Des lectures industrielles” paru dans Pour en finir avec lamécroissance, je propose un bilan nécessairement provisoire de la lecturenumérique. Celle-ci existe, mais, en tant que pratique culturelle, elle neremplit pas les conditions d'une lecture générique parce qu'elle n'arrivepas à intégrer la lecture approfondie. Dans l’histoire de la lecture parordinateur, on peut distinguer deux périodes. Avant le web, la lecture àl’écran vise à contrôler des fonctions, l'accès au texte n'étant pas sa finalité.Le web crée une nouvelle situation de lecture, grâce à la diffusionquantitative et qualitative d’une nouvelle catégorie d’écrits : les écritsnumériques. On peut alors parler de lecture numérique. Mais si celle-ciexiste, sa technologie est une technologie par défaut.

L'acte de lecture numérique est compliqué et difficile : visibilité des écrans,typographie, mise en page, absence d'unité. D'où une surcharge cognitivefondamentalement opérationnelle qui se traduit par des interruptionsrépétées du fil de lecture. Cette surcharge est précisément l’effet del’absence de technologie de lecture, elle-même distincte de la technologiede l’écrit numérique. Une technologie de lecture peut être de deux types :purement “intérieure” et intellectuelle, ou bien, toujours intellectuelle, maisextériorisée et confiée à un dispositif technique plus ou moins ad hoc. Le problème, c'est que cet équipement n'a jamais été réalisé dans le cadredu numérique, bien que le programme en ait été posé, dès Memex, lamachine à lire de Vannevar Bush*. Pas plus ne s'est développée, en tantque formation, une technologie strictement humaine, intériorisée.

ALAIN GIFFARD

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Le deuxième point de ce bilan est le suivant : ilexiste un risque de confluence dans la lecturenumérique entre le type d'attention mobilisée, ledegré d'exécution et le type de lecture. KatherineHayles* parle d'hyper-attention, une sorte d'attention

multi-tâche qui serait caractéristique des jeunesgénérations. Il est assez raisonnable de reconnaîtreque l'environnement de la lecture numérique estpeu favorable à une attention approfondie et mêmequ'il multiplie à l'envie les occasions de sedéconcentrer. En revanche, plutôt que de poserqu'un style cognitif générationnel correspondrait paressence au texte numérique, il me paraît plus justede dire que ce médium requiert la capacité àarticuler différentes vitesses de lecture, parexemple à associer le survol rapide du web etl'exploration méthodique de certains lienshypertextuels. Il s'agit aussi de réduire la surchargeopératoire afin de dépasser la simple scrutation etd’aller vers une lecture concentrée, soutenue.

Par ailleurs, je pense qu'il y a un risque de confusionentre les différents degrés d'exécution de la lecture,et plus précisément entre la pré-lecture et la lecture.Dans la lecture classique, lorsque j'ouvre un livre,toute une série de questions ont été résolues : c’estbien le livre que j’avais décidé de lire ; il est lisiblepar quelqu'un comme moi… Cette situation noussemble naturelle, mais il existe cependant dansl'histoire de la lecture de nombreuses situations oùl'écart entre le texte ou le médium et le lecteur esttel qu'il interdit cette entrée quasi directe etnécessite une préparation. C'est cela que j'appellela pré-lecture, qui n’a de sens évidemment que sielle est suivie d'une lecture. La navigation initialecorrespondant au survol préalable du web peut êtrequalifiée de pré-lecture. Il s'agit de repérer, collecteret recueillir, dans toutes les réponses à une recherche– ce qui suppose aussi l'interprétation des différentstypes de liens – , les contenus susceptibles de nousintéresser et de produire un texte propre à lire. Lelecteur qui n'a pas ces compétences simule enréalité cette opération de préparation, et ne sachantpas pourquoi il a produit tel texte à lire, il peut toutaussi bien penser qu'il en a réalisé la lecture.

Concernant le type de lecture, L'art de lire* de José deMoraïs nous suggère qu'il ne faudrait pas confondrelecture et compréhension. Mais savoir si la lecturemenée de telle ou telle manière, prépare et encourageou non la réflexion, reste néanmoins la questioncentrale. Et l'on constate qu'il est difficile, dans le cadrede la lecture numérique, d'aller au-delà d'une lectured'information vers une lecture d'étude. Or la lectured'étude n'est pas plus ou moins active ou plus ou moinsintensive que la lecture d'information, elle a une autre

finalité, elle est une technique de soi, pour autantqu’elle s’associe à la réflexion. Sa visée à travers uneconnaissance approfondie du texte est la culture de soi.Si la lecture n'est pas la réflexion, c'est bien lepremier exercice qui prépare au second.

Examinons maintenantl'activité de lecture du pointde vue des lecteurs. C'estce que j'appelle l'espacedes lectures industrielles,qui est d'abord l'émergenced'une industrie de lecture

dont Google est le meilleur exemple. Dans cetteindustrie de lecture, convergent des industries del'information, du marketing et de la culture. Ellecomprend plusieurs secteurs d'activité : la productionde moyens de lecture (logiciels, navigateurs et moteursde recherche), la production d’actes et de textes delecture, et enfin la commercialisation des lectures etdes lecteurs, secteur fondamental puisque c'est surlui que repose le modèle économique. L'autrecaractéristique des espaces de lectures industrielles,c'est le face-à-face des industries de lecture avec lepublic des lecteurs numériques du fait de l'abstentionde la puissance publique ou culturelle. C'est unenouveauté inouïe dans l'histoire de la lecture, puisquejamais la formation à la lecture n'avait étéabandonnée au seul marché.

Ce face-à-face caractéristique permet decomprendre la situation de la lecture numérique. Sielle reste une technologie par défaut, c’estprécisément parce que la commercialisation deslectures et des lecteurs est radicalementcontradictoire avec cette tradition plus ou moinsancienne selon laquelle la lecture, et précisément lalecture comme exercice, comme technique de soi,est de l'ordre du personnel, du confidentiel.Pourquoi Google serait-il intéressé par un dispositifoù la lecture redeviendrait privée et donc noncommercialisable ? D'autre part, les robots delecture ne savent pas lire ! Larry Page* le reconnaîtlui-même, le système repose industriellement sur larectification des erreurs dues à l’automatisation parl’utilisateur. Autrement dit, à l'inlassable lecture durobot doit correspondre une interminablerectification du lecteur, qui est donc supposé dotéd'une grande compétence et d'une granderesponsabilité.

On peut maintenant conclure sur la question de lasubstitution. Oui, je suis favorable à la lecturenumérique, mais à condition que soit développéeune technologie externe adéquate et que soitélaborée la formation à la lecture numérique commetechnologie intérieure. Dans ce cas-là, la lecturenumérique remplirait le cahier des chargesgénérique de la lecture et pourrait s'articuler, d'unemanière ou d'une autre, avec la lecture classiquesans risquer une catastrophe cognitive et culturelle.

“C'est une nouveauté inouïe dans l'histoire de la lecture,puisque jamais la formation à la lecture n'avait été

abandonnée au seul marché.”

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Brigitte Simonnot est maître de conférences en Sciences del’information et de lacommunication à l’UniversitéPaul Verlaine de Metz etchercheur au Centre deRecherche sur les Médiations.Ses travaux portent sur l’analysedes dispositifs d’accès àl’information et leurs usages,notamment dans le domaine dela recherche d’information enligne.

Publications (extrait)L'entonnoir : Google sous la loupedes sciences de l'information & dela communication, ouvragecollectif coordonné par B. Simonnot et G. Gallezot, C&F éditions, 2009

“Moteurs de recherche : usages etenjeux”, dossier coordonné etprésenté par B. Simonnot inQuestions de communication n° 14,Presses universitaires de Nancy,2009

Médiation et médiateurs de la lecture numérique

Parmi les questions que l’on peut se poser à propos de la lecturenumérique, c’est celle des médiations que je souhaite placer au cœur decette réflexion. Pour l’aborder, j'ai choisi de partir d'un texte de RogerChartier* écrit en 2005 pour le colloque “Les écritures d'écran”, où, entant qu'historien du livre et de la lecture, il propose trois registres demutation pour analyser le texte numérique et appréhender les nouvellestextualités.

Le premier registre de mutation concerne l'ordre des discours, c'est-à-direl'ordre établi entre des catégories de textes et des usages de l'écrit.Effectivement, l'histoire de l'écrit et des techniques qui lui sont associéesmontrent des influences réciproques entre l'objet textuel et sa diffusion,mais aussi entre sa nature et sa structure. Mais doit-on analyser cesinteractions uniquement sous l'angle d’un certain déterminismetechnologique comme le fait l'article de Nicholas Carr, “Google nous rend-il idiot” ?* La sociologie de la technique montre au contraire que les objetstechnologiques dans leurs mutations ne font souvent que traduire deschangements de pratiques et de conventions sociales rattachées à nosformes d'expression. Chaque nouvelle forme, du livre paginé à l'hypertexte*,a permis des nouvelles manières de lire et d'écrire. On observe à l'heureactuelle une multiplicité des formes numériques et toutes ces formes nesont pas stabilisées. Roger Chartier considère ensuite l'ordre des raisons, c'est-à-dire la manièrepour l'auteur de présenter son argumentation et également les critères quepeut utiliser le lecteur pour accepter ou refuser cette argumentation. Entrele roman, l'encyclopédie, l'article de presse… l'auteur n'écrit pas de lamême façon et chaque texte dispose d'un outillage adapté (table dematières, notes, références, citations…). Le lecteur s'adapte aussi auxgenres qu’il identifie et se donne différents objectifs de lecture, entrelecture intensive, où il se laisse immerger dans le texte, ou lecture érudite,où il cherche au contraire à s’abstraire du texte, une lecture active, quipeut être extensive ou sélective. Ici le lecteur parcourt rapidement le textepour repérer son articulation ainsi que les endroits où il retournera pouropérer son acte de lecture ; c'est une forme de prélecture.Le troisième ordre, l'ordre des propriétés, regroupe le droit d'auteur, lesnotions de copyright, et la figure de l'auteur. Le respect du droit d'auteurconsiste principalement à citer correctement ses sources, qu'il s'agisse decitation pure ou de paraphrase ; et si la pratique du plagiat n'est pas propreau numérique, il semble que la facilité du “copier coller” aggrave les choses.La question du copyright s'articule aujourd'hui autour du gratuit et dupayant, et la figure de l'auteur reste garante de l'identité et de l'authenticitéd'un texte. Or, en ligne, les écrits anonymes sont nombreux… maisl’anonymat est un droit de l’auteur depuis l'imprimé ! Les internautes quiécrivent et publient en ligne y recourent simplement davantage.

BRIGITTE SIMONNOT

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Les nouvelles textualités numériques reposent surle modèle de l'hypertexte. Celui-ci a mis du tempsà prendre son autonomie et les premiers livreshypertextuels publiés ressemblaient à s'y méprendre,dans leur structure, aux livres de l'imprimé. SelonTed Nelson*, inventeur du terme hypertext, les lienshypertextuels devaient être bidirectionnels. TedNelson pensait ainsi réaliser le contexte dudocument, que nous avons encore tendance à pensercomme un contexte de production sur le modèle del'imprimé. Mais les liens hypertexte permettentplutôt un contexte de lecture, en indiquant une

multiplicité de lectures possibles. Dans la diversitédes liens observés (liens de navigation,bibliographiques...), Mike Thelwall* distingue desliens sociaux qui marquent l'appartenance à unecommunauté. L'implémentation des liens fait l'objetd'un certain nombre de manques, mais aussi d'uncertain nombre d'excès, notamment lorsque desliens sont générés automatiquement par l'outil,indépendamment de la volonté de l'auteur.La fragmentation des textes quant à elle ne date pasdu numérique, elle s'est seulement un peu accéléréeavec lui parce que celui-ci facilite de nouvellescombinaisons ; la séparation en paragraphes, lesnotes de bas de page, viennent de l'imprimé. Celafavorise une pratique de lecture non extensive dutexte, où le lecteur peut s'affranchir de la logique del'auteur.

Par ailleurs, l'accès aux sources et aux citationsantérieures voire ultérieures à la publicationparticipe de cette distanciation, car il encourage àcomprendre quelle est la part d'interprétation del'auteur. À noter encore que lire c'est aussi écrire et échanger :en lecture érudite, on prend des notes que lenumérique permet de conserver et de partager. Celaencourage les échanges et c'est peut-être de ce pointde vue un retour à une oralité plus informelle, del'ordre de la discussion à bâtons rompus, à ladifférence de l'imprimé où il faut d'abord que letexte ait atteint une certaine forme de stabilité avantd’être publié. Ce type d'échanges est un instrumentde la lecture créative.

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La réflexion initiée par Roger Chartier mérite d’êtreprolongée, parce que ces trois registres ne fonctionnentpas de manière autonome les uns des autres. Pour s’enfaire une idée, il faut davantage s’intéresser auxusages et aux médiations à l’œuvre dans les dispositifsnumériques actuels d’accès à l’information.

Quand on parle de médiation, de quoi parle-t-on ?Pour la sociologue de la technique MadeleineAkrich*, la médiation est une mise en relation quitransforme chacune des entités qui sont reliées. Lesnouveaux infomédiaires ne sont pas de simples

appareils à considérer pourleurs fonctionnalités, ce sontdes dispositifs techniques quiincorporent des contenussociaux choisis et quireflètent un certain nombrede projets de société. Dans le domaine du

numérique, nous sommes face à un paradoxe, ausens où le web facilite la publication et l'accès auxtextes de manière inégalée par rapport auxtechnologies précédentes et qu'en même temps serétrécissent les portes par lesquelles nous accédonsà ces informations. Google se détache avec 88 %d'audience en France ! Une telle situation oblige àanalyser ce type de dispositif.

Les moteurs de recherche prennent en charge l'offreet la demande de lecture. Ainsi les annuaires du webont-ils pratiquement disparu au profit de cesmoteurs lorsque les lecteurs se sont familiarisés avecle support et la multiplicité des contenus. Cesmoteurs hésitent aujourd'hui entre une recherche“universelle” où l'on accède indifféremment à touttype de documents, et une différenciation selon lesgenres de contenus (ce que l'on appelle les moteursverticaux, ou moteurs de spécialités). Ces services,accessibles 24/24 heures, font des suggestions (quecertains prennent pour des corrections ortho-graphiques) qui relèvent de la statistique ; parexemple, si vous tapez “médiateur du livre” surGoogle, on vous suggère de chercher plutôt “éditeurlivre”, et tout un ensemble de professions disparaîtde votre paysage.La recherche personnalisée quant à elle se fait auprix du traçage de l'internaute, et l'argument affichéde devancer ses désirs masque en réalité le souhaitde lui en prescrire, pour répondre aux objectifs de larentabilité publicitaire.

“Le web facilite la publication et l'accès aux textes demanière inégalée par rapport aux technologies précédenteset en même temps se rétrécissent les portes par lesquelles

nous accédons à ces informations.”

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Une autre tendance sur laquelle les moteurstravaillent beaucoup concerne le résumé auto-matique, dont le dernier avatar est le résuméchronologique. Le risque est d’opérer une clôturedu monde informationnel de telle sorte que vousn'ayez même plus besoin d'aller consulter les liensdes résultats pour avoir une réponse à votrequestion. C'est assez emblématique de cetterobotisation de notre accès à la lecture.

Nous devons être vigilants. Ces moteurs cumulentles rôles puisqu'ils tendent à être à la fois indexinternes, catalogues et prescripteurs de lecture. Il faut veiller à ce que les moteurs de recherche nenaturalisent pas leurs propriétés qui paraîtraientensuite inhérentes au dispositif. Cela a été le casdans le domaine de l'imprimé, au niveau du droitd'auteur, pour les droits patrimoniaux attachés auxœuvres culturelles ; chaque choix technologiqueprocède de la sorte d'une forme de naturalisation. À propos des moteurs de recherche, on nous ditqu'il y a d'un côté les résultats commerciaux et del'autre les résultats “naturels”. C'est une forme denaturalisation, c'est-à-dire que leurs rôles disparaissentet que la façon dont le dispositif est conçu s'effacederrière des vocabulaires. C'est éminemmentdangereux, puisqu'il devient difficile de remettre enquestion les moteurs, d'autant que la gratuité deleurs services, rémunérés par la publicité, empêchel'utilisateur de se plaindre.

On a souvent dit que le numérique allait remettreen cause la médiation humaine, des enseignants auxbibliothécaires. À mon avis toutes ces professionsont encore de longs jours devant elles, parce que leurrôle n'est pas repris et que les moteurs de recherchene font que les imiter.

Ces médiateurs humains doivent occuper le terrainsans éluder les nouvelles pratiques des lecteurs, maisen leur donnant ce qui manque encore, à savoir dusens. Paul Beaud* disait que la société puise dans latechnique les moyens de ses fins ; elle y inscrit aussides modalités de contrôle des orientations sociales.Effectivement, la lecture numérique nous confronteà des enjeux importants qui remettent en cause lesordres établis. Les discours binaires, pour ou contre,sont complètement dépassés, il faut examinersoigneusement ce que nous avons à y gagner et yperdre. Accéder au texte ne suffit pas, il faut allervers davantage d'appropriation du texte, au sens dela compréhension mais aussi des sociabilités que lalecture permet. Les nouveaux modèles ne sont pasdu tout stabilisés, nous pouvons donc encore agirpour que la naturalisation de certaines propriétés nesoit pas figée.

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Thierry Baccino est professeur depsychologie cognitive etergonomique à l'Université deNice Sophia-Antipolis et directeurscientifique du Laboratoire desUsages en Technologie numériques(UMS-CNRS 2809) situé à la Citédes Sciences et de l'Industrie.

Publications (extrait)Mesure de l'utilisabilité desinterfaces, avec C. Bellino et T. Colombi, Hermès sciencepublications, 2005

La lecture électronique, PUG, 2004

La lecture experte, PUF, 1995

Lecture numérique : réalité augmentée ou diminuée ?

La lecture numérique sera-t-elle une réalité augmentée ou diminuée ? Laréalité augmentée, c'est lorsqu'on essaie par un moyen technologiqued'optimiser ou d'amplifier les perceptions humaines. Est-ce que l'écran,qui comme les livres est une sorte de mémoire externe, va faciliter laperception et la compréhension ? Va-t-il au contraire les diminuer ? Lesupport de l'écrit a lentement évolué depuis les premiers caractèresbabyloniens en 3 400 av. JC, puis avec le livre papier il est resté stable àpartir du XVe. Il y a une sorte de compression du temps à la fin du XXe,avec l'arrivée du document électronique et l'accélération des différentesprésentations du texte. Et le lecteur, est-ce qu'il accélère lui aussi ? Je penseque non, je pense que nous avons le même cerveau que les Babyloniens,les mêmes capacités de perception, de mémorisation et de raisonnement.Certes, nous disposons de beaucoup plus de connaissances etd'informations, d'outils pour indexer et récupérer les données, mais peut-on devenir des sortes d'hyperlecteurs ? Comment un être humain peut-ilfaire pour traiter toutes ces informations ? Le lecteur sera-t-il capable dechanger sa perception, de s'adapter ?

Pour observer les traces laissées par certaines réactions ou procéduresmentales générées par le lecteur face à un document, les psychologuescogniticiens enregistrent le mouvement des yeux. Dans la lecture, lemouvement est constitué de fixations (l'œil fixe une information) et desaccades (l'œil se déplace). La lecture d'un document papier estcaractérisée par des fixations plus ou moins longues et de nombreuxretours en arrière : on parle d'une lecture profonde et attentive. La lecture du web, elle, n'est pas linéaire, c'est une lecture sélective derecherche d'information qui doit être rapide et efficace. On nous posesouvent la question de savoir si cette lecture change les activationscérébrales. NON si l'on considère la lecture stricto sensu, mais OUI si l'oncompare deux activités différentes : lecture versus recherche d'information ;on a parlé de lecture numérique, mais il faudrait donc plutôt distinguer lalecture profonde de la recherche d’information. Sur le web, avec lefoisonnement d'informations, on a tendance à faire cette lecture sélective ;les liens nous permettent d'aller un peu plus profondément, mais ilspeuvent surtout nous faire perdre notre objectif initial. C'est ce qu'onappelle la désorientation cognitive. Avec le numérique, un lecteur moyenpeut devenir un lecteur lent.

Lire, c'est principalement trois phases : la détection des lettres,l'identification des mots et la compréhension du texte. Lorsqu'on lit, uneinformation lumineuse vient frapper la rétine pour être filtrée, transforméeet ensuite envoyée jusqu'au cerveau qui va la traiter. Ce qu'il faut savoir,c'est que quelque soit le système écrit, il n'y a qu'une seule régioncérébrale située dans l'hémisphère gauche, appelée occipito-temporale,dédiée à la reconnaissance des mots écrits. Elle est très performante, parceque là où un programme informatique de reconnaissance de caractèresobtiendrait 80 % de bons résultats, le cerveau humain fait facilement unsans faute. Les décisions à prendre lors d'une lecture hypertextuellemobilisent quant à elles les aires frontales ; ce sont des fonctions différentesde celles la lecture proprement dite.

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THIERRY BACCINO

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Comment voit-on ? Quand on pose son œil sur unmot on n'en voit qu'une petite partie, on fait desfixations sur de petits éléments d'en général quatrelettres, ce que l'on appelle le point d'acuitémaximale (ou vision fovéale). On voit également cequi se trouve à proximité, mais moins nettement, cequi correspond à l'empan visuel (ou visionparafovéale). Cela permet à l'œil de ne pas s'arrêtersur chaque mot, seulement sur les mots importants.Les mots fonctionnels, comme les articles ou lesdéterminants, sont saisis en vision parafovéale.Lorsqu'on lit, l'empan visuel, asymétrique, s'adapteau sens de lecture des différentes aires linguistiques,et pour nous qui lisons de gauche à droite, il est doncplus étendu à droite qu'à gauche. En ce qui concerne l'identification des mots, l'œilest guidé par l'attention visuelle, avec unphénomène de découplage, c'est-à-dire quel'attention se déplace vers le mot n+1 alors que leregard est encore sur le mot n. Ce n'est qu'après quel'attention se soit déplacée que le regard se dirigeravers le mot suivant. Cela nécessite 200 ms, le tempsnécessaire pour que le cerveau traite l'informationsur laquelle l'attention s'est portée.

Quelles sont les différences sur écran ? Lors d'unelecture sur écran rétro-éclairé (ordinateur,télévision…), l'acuité visuelle est obtenue par descontrastes de luminosité. Mais plus le scintillementest fort, moins l'empan est large, ce qui diminue laperception visuelledes mots et posedes problèmes d'at-tention. À celapeuvent s'ajouterun trop petitespacement entreles lignes ou lescaractères, l'emploide colonnes trop étroites, notamment sur les écransde téléphone. L'ergonomie cognitive de la lecture amontré qu'une bonne lisibilité nécessitait des lignesd'au moins quarante caractères. D'autre part, lafixation optimale obtenue sur papier – au centre desmots, puisque cette partie contient généralement lemorphème porteur du sens – devient extrêmementdifficile dans l'environnement souvent dégradé d'undocument électronique. L'œil fera doncsystématiquement une deuxième fixation. Autreobservation : lorsqu'on lit, on revient sur 20 % desmots fixés pour contrôler une information ou seréorienter. Sur papier, une seule saccade trèssélective suffit. Mais dans le numérique on a recoursau scrolling*… qui détruit la mémoire spatiale dulecteur, lequel se perd très fréquemment.

La compréhension d'un texte consiste à tisser desliens : entre les mots pris séparément dans notrelexique mental, les mots qu'on a lus précédemment– même si on ne les a plus complètement enmémoire, nous en conservons le sens – et ceux qu'onva lire après. La cohérence, c'est ce qui va permettreensuite de comprendre le texte, c'est la mise enrapport de tous ces liens avec les connaissancesqu'on a accumulées (celui qui n'a aucune idée de cedont un texte parle ne pourra pas le comprendre).

Un dernier niveau de lien est essentiel : celui de laprojection de nos connaissances sur le texte lu, etc'est ce lien-là qui fait la différence, puisque nousne sommes pas un système informatique, noussommes une mémoire.Dans un livre, l'auteur a ménagé un chemin delecture vers la compréhension la plus simple et laplus cohérente possible. Par contre, dansl'hypertexte*, le point de vue du lecteur remplacecelui de l'auteur. Il est paradoxalement beaucoupplus difficile de lire en ayant le choix du contenu, etil se peut que les liens aillent à des niveaux de détailtrop grands, ou à des niveaux d'information quin'ont rien à voir avec les questions de départ. Leshypermédias* engendrent souvent une perte del'objectif de lecture et des difficultés à lier lesinformations entre elles. On sait depuis vingt ansque le temps nécessaire à un utilisateur pourprendre une décision augmente en fonction dunombre de choix qu'il a à opérer. On sait aussi que la lecture d'image ne mobilise pasles mêmes aires cérébrales. Or le cerveau n'est pasmultitâche : on a l'impression de pouvoir faire deuxchoses en même temps, mais l'imagerie cérébralemontre qu'il n'y a dans le cerveau qu'un seulfaisceau d'activité neuronale qui se déplace ! Ons'expose simplement à la surcharge cognitive. Deplus, on s'est aperçu que sur un sujet donné lesnovices étaient plus efficaces que les experts, qui euxsont gênés par une architecture hypertextuelle ne

correspondant pasà leurs propresreprésentations. La lecture nu-mérique risque derester superficielle. Il s'agit d'allerrechercher le plusrapidement pos-

sible l'information dans un environ-nement qui nefacilite pas la mémorisation. C'est un peu commepour les méthodes de lecture rapide : on impose unegymnastique oculaire au lecteur et on oublie qu'il estextrêmement difficile d'optimiser le parcours del'œil. Car c'est le cerveau qui dirige la pensée etdonc la compréhension au cours de la lecture, et nonles mouvements des yeux.

Les ebooks* vont permettre de solutionner unepartie des problèmes de la lecture numériquepuisqu'ils ne sont pas rétro-éclairés (quelquesdifficultés subsistent encore mais elles sont en voiede résolution), il se peut même qu'ils remplacentdéfinitivement les écrans actuels. Nous réalisonsaujourd'hui des programmes de lecture qui nouspermettent de tester la lisibilité d'une interface et àl'heure actuelle, nous avons réussi à écrire unprogramme qui simule l'activité habituelle de l'œilhumain sur une page web. Ce programme lit les motsselon le mode évoqué en début d'exposé et il indexel'information automatiquement. Ce n'est toutefois pasparfait, ce n'est pas la mémoire à long terme deshumains, mais cela permet de faire des évaluationsergonomiques avec une marge d'erreur correcte.

“Les hypermédias engendrentsouvent une perte de l'objectifde lecture et des difficultés àlier les informations entre elles.”

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Archiviste paléographe ethistorien, Gilles Éboli estdirecteur des bibliothèques deMarseille – dont la Bibliothèquemunicipale à vocation régionale– après avoir dirigé la Cité duLivre d’Aix-en-Provence. Ancienprésident de l’Association desbibliothécaires français, il animele groupe Paca de l’ABF.

Publication Livres et lecteurs en Provence auXVIIIe siècle : autour des David,imprimeurs-libraires à Aix, AtelierPerrousseaux, 2008

Les bibliothèques face au numérique

Les bibliothèques sont diversement concernées par la question numérique.Elles le sont toutes par l'informatisation, et ce depuis plusieurs années. Enrevanche, si l'on parle de la numérisation des collections, sur les 3 000bibliothèques municipales françaises, toutes n'ont pas de collectionspatrimoniales à numériser. Si l'on envisage la documentation électronique,pour l'instant seules les bibliothèques universitaires y consacrent une partsignificative de leurs budgets.

Le concept de bibliothèque hybride, qui résulte d'un lent cheminementhistorique, permet peut-être de synthétiser le propos. Le premiermouvement a été d'informatiser le traitement du prêt (les flux), puis celuidu catalogue (le stock), et enfin celui des acquisitions (les achats). Celas'est fait de manière cohérente, sans poser de problème particulier. Ledeuxième mouvement a été marqué par “l'intrusion” d'Internet, et là, jepense qu'il y a eu quiproquo entre les espaces multimédias et Internet. Defait, ce n'était pas un support de plus dans la médiathèque, c'était uneautre bibliothèque, avec des services et des collections immatérielles. Etc'est sur ce modèle qu'il faut envisager la bibliothèque hybride. Le fait den'avoir pas saisi immédiatement cette révolution a été préjudiciable, etl'enquête du CRÉDOC* rendue publique en 2006-2007 l'a bien pointé.Celle-ci montrait le succès de la médiathèque en terme de fréquentation,mais posait également trois conditions à la poursuite du mouvement. Ilfallait d'une part que les collectivités locales continuent leurs efforts enterme d'investissement, d'autre part que les bibliothécaires repensent leurmétier et assoient leur légitimité non plus sur la seule constitution descollections mais sur l'appréhension des publics, et enfin rattraperurgemment un retard dans le domaine du numérique. L'enquête révélaiten effet que pour une majorité d'usagers et de non-usagers, la référencedocumentaire n'était plus la bibliothèque mais Internet. Le troisièmemouvement consiste à “rechercher le temps perdu”. La réaction à cetteprise de conscience a suscité certaines attitudes, certains stigmates, commela course au 2.0* : du jour au lendemain, on a vu fleurir partout desformations sur la bibliothèque 2.0 où les personnels s'inscrivaientmassivement. À un moment donné dans ce pays, toutes les bibliothèquesont eu dans leurs projets d'établissement un volet numérisation, ce quin'était pas toujours pertinent. Par contre, le dernier élément de cettevolonté de rattrapage peut être extrêmement positif s'il est géré à bonescient. Il s'agit de la notion de bibliothèque dans les nuages, c'est-à-direla prestation de services à distance, et celle-ci permet d'indiquer denouvelles perspectives.

Dans le contexte de la bibliothèque hybride, tout un ensemble de serviceset de collections sont concernés par la numérisation. S'agissant du prêt, ilexiste aujourd'hui des bibliothèques comme celle de Lyon ou de Marseillequi prêtent déjà à distance des collections numérisées. Toutes les questionsne sont cependant pas résolues, et notamment celle du catalogue : onconnaît l'offre de Numilog* et Cyberlibris*, mais est-elle pertinente ? Est-elle complémentaire de l'offre matérielle ? De plus, le suivi technique desplateformes de téléchargement n'est pas encore dans la culture desétablissements. On peut enfin se demander combien d'usagers sontconcernés, parce qu'au regard des statistiques d'établissements où ceservice est déjà ancien, l'impression est qu'il n'a pas encore trouvé sonpublic.

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GILLES ÉBOLI

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À propos des services liés au web, est-il vraimentpertinent que chaque bibliothèque ait son site etpropose régulièrement des sélections ? La questionne se pose pas pour la BnF ou la bibliothèque deLyon, mais pour de plus petites structures oui, car ceservice suppose une répartition des compétences entermes de maintenance, de programmation,d'archivage.

Les bibliothécaires se représentent souvent lesportails comme étant simplement documentaires.Mais il faut leur ajouter la notion de services et enfaire des outils de communication, par exempleautour d'expositions virtuelles ou de conférences enligne. Les services plus familiers d'inscription ou deréservation doivent également être développés enintégrant la question du nomadisme, en traduisantl'offre numérique au-delà des portails, par exemplesur iphone.La question de la documentation électronique estd'abord budgétaire. Quand certaines bibliothèquesuniversitaires (SCD)* dépensent les trois quarts deleur budget pour la documentation électronique,que reste-t-il pour le papier ? La question s'est poséerécemment à Marseille du choix entre l'offre papieret l'offre numérique d'un même titre, l'éditeurproposant une offre papier moins élevée mais avecdes mises à jour uniquement numériques. Commentadapter les politiques d'acquisition et les rendretotalement hybrides ? Tous les bibliothécaires vont-ils parvenir à se poser les bonnes questions pourchoisir entre le virtuel et le matériel lors del'acquisition ?

S'agissant de la numérisation, on va arriver à marierdéfinitivement la conservation et la diffusion.L'intérêt est d'abord de pouvoir reconstituer en lesnumérisant des collections matérielles disséminées,comme par exemple la bibliothèque de Pereisc enPaca. On répondra ainsi au souhait des usagers etdes chercheurs qui aujourd'hui veulent tout, tout desuite ; le rendez-vous pris trois mois à l'avance pourpouvoir consulter deux manuscrits à la bibliothèqueaux heures d'ouverture, tout cela c'est terminé.Quelles sont alors les stratégies de numérisationpossibles ? D'une part, on peut constituer descorpus cohérents d'un point de vue intellectuel,comme le fait la Bibliothèque nationale de France. Ily a ensuite la stratégie de la masse critique, c'estcelle de Google qui oblige tous les acteurs à êtreréférencés sous peine de ne plus exister du tout. Etenfin, la stratégie des niches consistant à numériserune collection qui s'enracine localement. En France,malgré les efforts au niveau national et régional, il n'ya pas encore de stratégie globale. La numérisation posepar ailleurs la question de la technique à utiliser, et del'enrichissement de certains contenus qu'il vaudraitmieux contextualiser plutôt que de les livrer tels quels. Pour ce qui est de la mise en ligne, un quartseulement de ce qui a été numérisé est accessible enligne, principalement parce que les bibliothécairesne savent pas encore gérer des entrepôts de données.S'agissant de la conservation, aucune solutionrationnelle à mettre en œuvre n'a encore été trouvéepour que ces efforts ne disparaissent pas avec lessupports. Autre point à souligner, il n'y a toujourspas de droit des bibliothèques en France, et on va deDAVSI* en HADOPI* en se demandant quelle serala prochaine étape. Il faut reprendre le slogan digitalis not different* de nos collègues américains, c'est-à-dire l'idée qu'il faut considérer la notion depropriété intellectuelle indépendamment dumédium. Prenons la question de l'accès, on voit quela situation varie de ville en ville : quand Marseille seréfère à la loi obligeant à garder des traces desconsultations et exige que chaque utilisateurs'identifie avant de pouvoir accéder aux documents,Aix-en-Provence a considéré que cette loin'interdisait pas l'accès libre et anonyme des usagersaux postes Internet.

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Un colloque a récemment eu lieu à l'ENSSIB* surles bibliothèques de 2019, avec le rapport aunumérique en toile de fond. Un certain nombred'interventions ont permis de bien cerner leproblème. Pour sa part, François Cavalier* listaitplusieurs impacts et en premier lieu celui del'intégration, c'est-à-dire qu'avec le numérique, pourla première fois, texte, son, image, sont une seule etmême chose en terme de gestion, à savoir des 0 etdes 1 ; il envisageait une requalification du livre matérieldont la stabilité devrait être un atout face au caractèreliquide du numérique ;et soulignait que, laprofusion possible dunumérique créant unenouvelle économie del'attention où il nes'agit plus dudocument mais dutemps qu'on luiconsacre, il faudra gérerla rareté de ce temps d'attention de l'usager enprofilant les différents comportements. Cela doitnous amener à penser une nouvelle politiqued'acquisition avec laquelle nous devrons créer de larareté. Ces évolutions vont déplacer lesbibliothèques dans la chaîne du livre, de la diffusionvers la production. Patrick Bazin* évoquait les dixunivers de la bibliothèque hybride comme dix axesde travail : la proximité, les nouveaux comportementssociétaux et notamment ceux des adolescents,l'accompagnement, les notions de corps, de confort,d'espace personnel, de rencontre, de flexibilité et dehors les murs, et bien évidemment d'espacenumérique. Pascal Ory* développait trois scénariosà partir de ce qu'il voyait comme une confrontationentre les bibliothèques et le numérique, depuis ladissolution, la disparition des fonctions et desmissions de la bibliothèque dans un systèmed'information qualifié de libéral-libertaire, jusqu'àla fermeture de la bibliothèque sur elle-même avecdes bibliothécaires qui poursuivraient leurs traditionsdans une coexistence pacifique avec le reste del'univers.

Le troisième scénario serait celui de la recompositionoù l'on verrait pour les bibliothèques jouer une loide compensation entre le global et le local.

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La confrontation au numérique nous ramène envérité à un socle de valeurs qui reste la directiondans laquelle il faut travailler, celle d'assurer unaccès libre et gratuit au savoir, dans un soucid'égalité. Qu'elle soit numérique ou pas, la culturedoit se discuter et se partager, c'est la notion defraternité qui est à l'œuvre. Une culture distingue etse mérite, elle doit être un élément de fierté etrequiert un effort et une nécessité d'anticipation.

“La confrontation au numérique nous ramèneen vérité à un socle de valeurs qui reste ladirection dans laquelle il faut travailler, celled'assurer un accès libre et gratuit au savoir, dansun souci d'égalité. ”

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Isabelle le Masne De Chermontest archiviste-paléographe etconservateur général des biblio-thèques. Après plus de quinzeans passés à la tête du servicedes Bibliothèques et des Archivesdes Musées nationaux, elle a rejoint la Bibliothèque nationalede France en septembre 2008.Elle y exerce la fonction d'adjoint chargé des questionsscientifiques et techniques auprès du directeur des Collections.

Les métamorphoses numériques de la BnF

Les bibliothèques vivent les métamorphoses numériques chacune à sonrythme, selon ses missions, les politiques impulsées par la tutelle nationaleou locale, son environnement et bien sûr les moyens dont elle dispose.Cette considération générale se décline naturellement pour la Bibliothèquenationale de France (BnF).La métamorphose des services permet aujourd’hui de proposer laréservation des places de lecture et des documents en ligne, lesquestions/réponses en ligne, l'accessibilité à distance à certaines bases dedonnées payantes, ou encore le dépôt légal, pour lesquels les éditeurspeuvent maintenant s’acquitter des formalités via un extranet*… Lamétamorphose des collections fait maintenant coexister documents papieret documents numériques, qui peuvent être soit natifs soit convertis, acquisou générés par la bibliothèque elle-même.

On peut considérer que le projet même de ce qui est devenu la BnFactuelle est consubstantiel à l'évolution technologique, puisque dèsl'origine, l'établissement public s'est doté d'un département del'informatique et des nouvelles technologies, dirigé par Alain Giffard.Celui-ci confie à Bernard Stiegler le pilotage d'un groupe de travail quiaxe sa réflexion sur les postes de lecture assistés par ordinateur – conçusdès le début sur l'idée d'un réseau – et les premières expérimentations denumérisation commencent dès 1992.

Tout va changer d'échelle et de conception avec l'irruption du web. En1997, la BnF met en ligne un premier choix de documents numérisés,conformément à la volonté politique du gouvernement de développer laprésence des contenus numériques francophones sur les réseaux. Et c'estfinalement en janvier 2000 que Gallica2000, la bibliothèque numériséede la BnF, voit le jour. Dans ses principes, Gallica2000 est une bibliothèquevirtuelle accessible de façon libre et gratuite, c'est-à-dire sans que l'on aitbesoin de s'inscrire, qui propose alors 35 000 documents imprimés et 45 000 images. C'est à partir de ce premier germe que l'on construit lesprogrammes actuels, il est donc nécessaire d'en rappeler les grandescaractéristiques, tant dans l’offre documentaire que dans les services quiétaient proposés.

L'offre se veut encyclopédique, centrée sur des disciplines phares liées à lastructure des collections papier (majoritairement francophones) de la BnF,principalement la littérature et l'histoire. Les sciences et les techniquessont aussi représentées. La question des droits écarte pour l'essentiel lespublications du XXe, c'est pourquoi la numérisation ne va pas au-delà desannées 1920. Enfin, Gallica porte une attention soutenue aux documentsrares ou difficiles d'accès. Le principe de présentation de l'offredocumentaire encore poursuivi aujourd'hui, c'est celui de la logique decorpus, c'est-à-dire la sélection structurée selon le modèle classique de larecherche où l'on retient pour chaque domaine un corpus de référenceregroupant des ouvrages d'orientation, du type dictionnaires, biographieset encyclopédies, et les textes fondamentaux. L'interface d'accès reflètecette organisation et propose plusieurs modes d'accès aux catalogues, cequi correspond aux services dont ont besoin les publics de chercheursauxquels on s'adresse à l'époque.

ISABELLE LE MASNE DE CHERMONT

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Après une première enquête d'usage plutôtsatisfaisante, il est apparu assez rapidement queGallica2000 avait des limites de plusieurs ordres, àsavoir technique, documentaire et fonctionnel.Techniquement, Gallica était un programmepionnier à bien des égards et le choix fait à l’originede numériser uniquement en mode image* étaitdésormais obsolète. Au début des années 2000, il

fallait pouvoir naviguer de façon totalementtransversale dans le corpus constitué et celasupposait le mode texte*. La deuxième limiteportait sur le rythme de numérisation de 10 000titres par an, insuffisant pour atteindre le seuil demasse critique, dont on comprenait qu’il devenaitune exigence pour exister sur la toile. Enfin, il fallaitégalement adapter les fonctionnalités aux besoinsdes utilisateurs.

C'est à partir de ces constats que se sont lancés lesprogrammes poursuivis actuellement. Plusieursopérations ont été rapidement menées pourconvertir en mode texte les documents quin'existaient jusque là qu'en mode image, c'est-à-direenviron 40 000 documents. Trois autres projets sont en cours de réalisation, avecun chantier quinquennal qui a débuté en 2005 surla numérisation de la presse, un autre qui arrivera àéchéance courant 2010 sur la numérisation desimprimés hors presse et dont l'objectif est unaccroissement volumétrique significatif, et enfin unprogramme dit de numérisation des trésors pour lesdocuments comme les manuscrits, les photographiesou les estampes. Le corpus de la presse conservé à la BnF constitueune des collections les plus riches du monde, et cesont les documents papier qui présentent le plus deproblèmes de conservation. La numérisation des deuxmillions de pages – jusqu'à l'année 1942 – estextrêmement lourde, de l'ordre de 3 300 000 €, sanstenir compte des coûts internes sachant que 25 % decette production se fait sur des chaînes propres à la BnF.

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Le programme massif de numérisation des impriméshors presse exige quant à lui des investissements trèsimportants (quatre millions par an sur trois ans),consentis par la puissance publique grâce aux créditsattribués par le CNL. Chaque lettre du classementthématique fait l’objet d’un examen systématiquepour extraire les documents éligibles à lanumérisation, donc postérieur à 1750, appartenant

au domaine public, et physiquement àmême de supporter ces opérations. Pour lalittérature, le théâtre et la poésie, cela apermis d'ouvrir les champs de la recherchegénérique à une approche transdisciplinaire,puisque cette masse documentaire necontient plus uniquement des ouvrages de

référence, mais aussi ce que Sainte-Beuve appelaitla littérature industrielle : les textes dédiés à unpublic populaire, constitutifs de nombreux sous-genres. Enfin, le programme concernant les trésors(les manuscrits, les partitions, et les documentsiconographiques rares, de l'estampe à l'affiche), met àdisposition des publics ces unicas* que seule la BnFconserve ; c'est un parti aujourd’hui suivi par nombrede bibliothèques nationales.

Toutes ces avancées ont permis de proposer denouveaux services aux utilisateurs. Il est maintenantpossible d'aller faire des recherches transversalesdans tout le fonds Gallica grâce à des protocoles detype OAI*. Chaque document dispose en outred'une adresse numérique pérenne, qui en rend leréférencement plus aisé. Les évolutions à venir sontessentiellement basées sur les réflexions menées surle prototype d'Europeana, le projet européen desbibliothèques présenté en 2007. On réfléchissaitdéjà à l'époque au développement des relations avecles utilisateurs. La BnF met actuellement en œuvreune approche web 2.0* pour répondre à l'éternellequestion de comment faire pour que les lecteursutilisent nos collections ? S'il est inscrit, l'internaute adésormais la possibilité de construire un espacepersonnel de stockage d'informations qu'il peutorganiser selon ses intérêts propres. On peutdialoguer avec la BnF via le blog récemment mis enplace ou être automatiquement tenu informé surcertaines thématiques en s'abonnant à des fils RSS*.L'ergonomie de lecture a par ailleurs été amélioréegrâce à un nouveau navigateur, plus rapide,permettant de modifier les polices et d'afficher lespages en vis-à-vis et non plus simplement de lesfaire défiler.

“Toutes ces avancées ont permis de proposer de nouveaux services

aux utilisateurs.”

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Alors que le cap du millionième document dansGallica sera bientôt franchi, trois sujets de réflexionsont plus particulièrement à l’ordre du jour :- L'archivage pérenne des données numériques estun chantier techniquement lourd et que l’on saitonéreux du fait de la masse de données en jeu et duniveau de sécurité requis. Des esquisses de réponsescommencent à être apportées par le programmeSPAR* de préservation et de répartition del'archivage. Ce travail est mené en collaboration avecd'autres gros services d'archivage numérique qui semettent actuellement en place sur le territoirefrançais, notamment dans l'enseignement supérieur. - L’ampleur des programmes de numérisation quisemblent souhaitables amène à rechercher denouveaux modes de subventions et à ne pas s’entenir aux seules subventions de fonctionnementhabituelles. La BnF bénéficie de financementsobtenus auprès de fondations, de mécènes etégalement dans le cadre de projets européens ou deprogrammes de l’Agence nationale pour laRecherche. On sait aujourd’hui que l’Empruntnational pourrait ouvrir d’autres perspectives departenariat avec différentes sociétés privées et entreinstitutions publiques, qu’elles appartiennent audomaine de l’enseignement, de la recherche ou dupatrimoine.

- La mise en ligne d'ouvrages sous droits estdésormais un enjeu crucial, qui doit nous amener àréfléchir sur une politique nationale. Cela supposedes dispositions législatives et doit être débattu auniveau européen.

En France comme à l'étranger, il reste beaucoup à fairedans la conception comme dans la mise en œuvre et laBnF est toujours heureuse de pouvoir s’associer auxinitiatives croisées de réflexion, familières auxbibliothécaires et qui nous sont plus nécessairesencore à tous en ces périodes de mutations.

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Libraire de formation, StéphaneMichalon débute à la librairieVirgin Megastore de Paris, puisanime pendant dix ans la librairiel’Arbre à Lettres. En 2008, il créela société ePagine spécialiséedans l’édition numérique,l’agrégation, le conseil etl’accompagnement aux librairies.

Éditer, diffuser, commercialiser les livres à l'ère du numérique

Voici un modèle de chaîne du livre numérique intégrée à la chaîne du livrepapier. C'est un modèle qui fonctionne : fin novembre 2009, les ventes dudernier Goncourt (Trois femmes puissantes) en format numériquereprésentaient 1 % des ventes chez Gallimard. Peu importe que l'onconsidère que cela soit beaucoup ou peu, le fait est que les acheteurs deliseuses électroniques commencent à télécharger des contenus payants.Sur des sites de libraires importants, la version numérique du texte deMarie NDiaye dépasse les 10 % des ventes par correspondance, et sur dessites Internet de libraires plus petits, on se situe parfois largement audessus des 10 %. On voit bien qu'avec ce Goncourt en numérique, onamorce un virage et qu'il se passe quelque chose.

L'histoire d'ePagine, c'est une histoire de libraires qui commence en 2007,lorsque nous avons constaté que certains éditeurs importants se mettaientà commercialiser des livres numériques sans passer par nos sites, alors quela raison d'être des libraires a toujours été de commercialiser l'offre deséditeurs. Nous avons compris que quelque chose de crucial se jouaitlorsque des textes épuisés ont été réédités uniquement en numérique.Qu'est-ce que nous allions raconter à nos clients ? Dans le même temps,une partie de la création contemporaine ne s'est trouvée que sous formeélectronique, chez Publie.net* par exemple. Il fallait que les libraires nesoient pas exclus de la chaîne et puissent proposer sur leurs sites tous lesformats dans lesquels existent les textes. Nous nous sommes retournés versnotre prestataire SSII*, en l'occurrence Tite-Live*, un des prestataires pourles logiciels de gestion librairie au même titre qu'Archimède* pour lesbibliothèques. Nous leur avons demandé de réaliser les développementsdont nous avions besoin pour proposer tout ce qui s'éditait. Le ticket d'entrée, c'est en fait la BnF qui nous l'a donné. Elle avait unprojet d'intégration des livres numérisés sous droits, dans une offre mêlantdu “sous droits” et du “domaine public”, et où les livres proposés à la ventel'étaient uniquement par quelques grands éditeurs et des start-up.Nous avonssuggéré que les libraires pouvaient eux aussi assurer le rôle d'e-distributeur,et qu'il fallait que les éditeurs continuent à déléguer ce qui relève de lacommercialisation. La BnF a posé deux conditions, premièrement lacréation d'un collectif de libraires et deuxièmement, que nous ramenionsdu catalogue. Nous avons monté rapidement un portail, puis sommes allésvoir des éditeurs comme Minuit ou Actes Sud en leur demandant,puisqu'il s'agissait d'enjeux symboliques, de nous donner un livre. Ils ontété d'accord… mais n'avaient pas les fichiers numériques de ces livres.Nous avons donc appris à les fabriquer, en construisant des maquettesreflétant l'identité graphique des différents éditeurs ; c'est cela quiconstitue le véritable saut technologique, le reste, c'est du e-commerce.

STÉPHANE MICHALON

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Il faut développer la formation à tous les outils demédiation sur Internet, pour que les librairesapprennent à mailler sur leurs zones de chalandise letrafic en magasin avec celui de leur site. Plus lalibrairie aura une idée claire de ce qu'elle veut, plusnous, les prestataires de service, nous pourronsl'accompagner dans des projets où elle gardera son sens.

Nous avons amené les outils pour la librairie et noussommes capables d'équiper quatre à huit centslibraires assez rapidement. Mais maintenant, il fautqu'il y ait de vrais choix politiques. Pour l'instant,Amazon ou Google ne sont pas encore là, mais nousn'avons que quatre à cinq mois pour montrer quetoute l'œuvre des éditeurs papier et numérique estdisponible sur les sites de tous les libraires.

Il sera beaucoupplus difficile defaire entendrece messagequand Amazoncommencera àcommuniquer

sur sa kindle* en France. La deuxième chose concerne les bibliothèques, quiaujourd'hui commandent leurs livres à des librairesmais qui n'ont pas encore décidé où elles iraientacheter les livres numériques. Vont-elles aller chezNumilog* ou Cyberlibris* ? On voit bien que leséditeurs lorgnent sur les budgets des bibliothèques.Il faut ouvrir ces appels d'offre à la librairie afin del'aider à être l'un des acteurs possibles pour yrépondre ; cela garantira aussi, à terme, que lesbibliothèques ne soient pas coincées dans leurschoix par des revendeurs uniques. Un autre enjeu de développement concerne lapresse. Les éditeurs de presse sont prêts pourfabriquer des dossiers thématiques epub à partir dedocuments tirés de leurs archives ; il faut que leslibraires puissent les intégrer à leur offre. Leskiosquiers ne seront pas capables de vendre desmachines à 150 € et un abonnement au Monde ou àtel dossier enrichi. Il est donc possible que la librairiesoit demain le lieu qui mélange l'édition de texteslivre et l'édition de textes presse.

Nous devons accompagner l'édition dans un projetoù la librairie garde son sens, et il faut le fairemaintenant.

Nous avons utilisé un format libre, capable des'adapter à toutes les formes d'écran et qui s'appellele epub*. Il a fallu ensuite résoudre les questions dedistribution, à savoir le stockage, la protection et lalivraison, en utilisant des serveurs capables de rangerles fichiers et de les verrouiller à la demande avecde la DRM* ou au moins de les marquer afind'assurer une traçabilité. À ce moment-là, il étaitclair que les éditeurs français s'étaient eux aussisaisis de cette question, parce que la possession dufichier original permet de délivrer les copies (ce quel'acheteur considère comme son exemplaire) et ainside continuer à fixer les prix. Hachette avait rachetéNumilog*, Éditis développé sa propre plateforme eninterne, Gallimard, Flammarion et Le Seuil s'étaientréunis pour faire appel à une société canadienne etcréer Éden. En conséquence,l'enjeu pour lelibraire et pourePagine, c'estdevenu le branche-ment des tuyauxde tous ces acteurs principaux. Pour permettre auxlibraires de conserver leur indépendance par rapportà l'offre de ces majors ePagine propose un entrepôtsur lequel on peut héberger des titres d'éditeurs quin'ont envie d'être ni chez Hachette, ni chez Éditis,ni chez Éden. C'est ce que nous avons fait avec leFuret du Nord qui voulait absolument vendre etproposer l'offre numérique de l'éditeur régionalisteRavet Anceau, traditionnellement indépendant.

À mon sens, la diffusion est ce qui devient le plusintéressant, parce que c'est là où l'on verra si la placede la librairie comme intermédiaire est justifiée ounon. Va-t-elle réussir à créer de la valeur ? On sentbien que les éditeurs sont inquiets. Pourquoi ne passe passer des libraires ? Ils se disent qu'une despremières choses à faire pour contrôler le marché,c'est de fournir à tout le monde la même PLV ; maisdans ce cas-là l'intermédiaire joue le rôle d'unesimple boîte aux lettres. Il y a beaucoup mieux àfaire. Il faut que l'éditeur accepte de lâcher la mainet laisse les libraires ou les bibliothécaires réaliserleurs propres mises en scène, que ce soit une vitrine,une table ou des affiches. Sans quoi nous perdronsune partie de notre capacité à rajouter du conseil. Ilfaut que le libraire propose lui aussi sa propre PLV,dans laquelle il pourra insérer des commentaires, àl'image de ce que nous avons réalisé avec Le Mondedes livres et certains blogs de libraires où, dans unmême fichier, l'extrait du premier chapitre d'unlivre s'enchaîne sur une chronique journalistique ouun conseil de libraire, et pourquoi pas, celui d'unbibliothécaire pioché dans son blog. On peutégalement diffuser les différents flux sur un iphoneen proposant le téléchargement de l'applicationcorrespondante, qui renverra vers une librairie.

“À mon sens, la diffusion est ce qui devientle plus intéressant, parce que c'est là oùl'on verra si la place de la librairie commeintermédiaire est justifiée ou non.”

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Historien de formation, MarinDacos est directeur du Centrepour l’édition électroniqueouverte (Cléo) et ingénieur derecherche au CNRS. Il est lefondateur de Revues.org, deCalenda et d’Hypothèses. Il anime un séminaire à l’EHESSsur les “ Digital humanities ” avecPierre Mounier.

Publications (extrait)L'édition électronique, avec PierreMounier, La Découverte, 2010

Read/Write book. Le livreinscriptible, Cléo, 2010

Read/Write Book. Le livre devient inscriptible

La notion du read/write book, ou livre inscriptible, permet d'introduireles mutations du livre aujourd'hui, notamment avec l'apparition dunumérique. En réalité, il ne s'agit pas vraiment de parler du livre, qui pourmoi n'est qu'une des modalités physiques de l'imaginaire ou de la pensée,un objet parmi d'autres. Combien d'entre nous utilisent un outil decatalogage en ligne de type librarything*, ou encore de gestion en ligne defavoris comme delicious* ? Très peu. C'est dans ce continent-là qu'il fautici se placer.Historiquement, l'instrument de recommandation du livre, c'est lebouche-à-oreille dans une sphère orale ou locale. Les médias constituaientl'autre modalité de recommandation et l'on subissait comme un fluxvertical les recommandations d'un certain nombre d'entre eux capablesde capter votre attention, voire de vendre à des partenaires industriels destemps de cerveaux disponibles. Dans ce contexte-là, les capacités demédiation des libraires, des professeurs ou des lecteurs étaientextrêmement réduites. Ce qui se produit avec l'arrivée de l'Internet danslequel on peut écrire des informations, c'est qu'on a désormais descontenus gérés par les utilisateurs (UGC*) – en conséquence de quoi onentre dans un dispositif où les centres existent toujours –, mais surtoutqu'on peut transmettre le bouche-à-oreille sous forme numérique.

Prenons l'exemple zotero*, une extension de firefox* qui permet derassembler des références bibliographiques complètes, récupérées d'un seulclic sur des sites conformes à la norme proposée. Les données sont stockéesen ligne, donc accessibles depuis n'importe quel ordinateur, et l'on peutégalement les rendre publiques ou s'abonner au travail d'un tiers que l'onrecevra en temps réel, quelle que soit la distance. Il existe ensuite desapplications du type librarything, qui permettent de construire unebibliothèque, de classer et d'annoter les livres, et de communiquer avectoutes les autres bibliothèques du réseau. Cela ressemble beaucoup à desmétiers que l'on connait déjà, bibliothécaires, libraires, mais là, lamédiation se fait directement entre les individus. Le problème, c'est que les représentants de la chaîne du livre n'utilisent pasces outils et les laissent s'échapper au profit d'acteurs comme Amazon,qui à notre insu collectent énormément d'informations sur nos pratiquesde consultation des notices et d'achats d'ouvrages. Dotés de cette mined'informations sur la sociologie du livre et de la culture que beaucoup dechercheurs leur envient, ils sont alors capables de vous recommander destitres.On néglige également des initiatives intéressantes relevant ducrowdsourcing*. Une d'entre elles, Flickr Commons*, est un site dédié aupartage où la bibliothèque du Congrès a déposé une partie de son fondsphotographique. Cela permet aux utilisateurs d'ajouter de nouvellesinformations et d'augmenter en parallèle les taux de fréquentation. De lamême façon, l'écriture collaborative dont Wikipédia* est une sorte d'acméa révélé un énorme appétit de lecture et de partage du savoir, qui posenéanmoins des questions légitimes d'indépendance.Première tendance à mettre en avant, donc : le droit d'écriture sur leréseau.

MARIN DACOS

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Deuxième tendance : le “retour du minitel 2.0”, avecdes régressions très fortes par rapport au modèleoriginal d'Internet, qui était distribué. Certainsacteurs ont en effet la tentation de le recentraliser etde le reverticaliser, pour nous ramener vers une èremédiatique traditionnelle. Le modèle du minitel,c'est celui d'une entreprise publique qui fait payertrès cher et à l'unité un accès qu'elle est la seule àcontrôler. Ce genre de problème, ça n'est pas uneopposition public/privé, c'est la situation de monopole. Première chose à l'œuvre : les DRM*. Ces mesuresde protection des fichiers sont en réalité des verrousempêchant de faire ce que l'on veut du fichier qu'onvient d'acheter, et qui consiste à transformer unevente en location (en général, on autorise quatre oucinq copies, pas plus). Ces fichiers sont de plusautodestructibles, parce qu'il suffit que legestionnaire de la clé DRM change ou disparaissepour que vous perdiez à votretour l'accès à cet objet. C'est uncontresens de mettre cesbarrières qui empêchent deprêter un livre, et si c'est unerégression par rapport au papier,autant ne pas faire de numérique.Dans le monde analogique, lesbiens sont rivaux : si je donne un livre à ma voisine,je ne l'ai plus ; mais dans le monde numérique, c'estl'inverse : si je donne un livre à ma voisine, je l'aitoujours. C'est comme le savoir, si l'on nous apprendun mot, nous repartons avec le mot et l'autre legarde aussi. Les DRM sont une création artificiellede rareté. Il ne faut pas créer de la rareté, mais aucontraire de la valeur.

Peu à peu se met en place autour de nous ce qu'onpourrait appeler le “monopolivre”, c'est-à-dire desgoulets d'étran-glements menaçant la diffusion dulivre et de la culture. Il y en a trois aujourd'hui –Apple avec iTunes et Apple Store*, Amazon etGoogle – et ils essaient d'être les trois seuls aumonde à servir de passage obligé entre des entrepôtsde données, qu'ils ne maîtriseront pas, et le lecteur.C'est un danger très important pour l'économie dela culture à l'échelle mondiale. On risquepremièrement l'eugénisme documentaire : en juillet2009, Amazon a retiré deux ouvrages de tous leskindles* qu'il avait vendus, dont l'un était 1984d'Orwell. Amazon est entré dans les machines deses clients, a retiré le document et les annotations, etil est reparti avec ! Cet événement extraordinairen'est qu'un symptôme minuscule de ce qui est entrain de se passer. Par ailleurs, nous assistons à lamise en place d'une police de la pensée : ainsi Applevérifie-t-il tous les logiciels du Apple Store avant de lesvalider ; c'est comme ça qu'un utilisateur s'est vuavertir qu'on lui refuserait la prochaine version deson logiciel parce que ses bases de donnéescontenaient le Kâmasûtra…

De même pour les recommandations d'Amazon :s'ils décident de ne plus vendre un titre sousprétexte qu'il est épuisé ou de ne plus citer les titresd'un concurrent, personne ne pourra s'en apercevoiret le contrôle se fera de manière lisse, invisible. Nousavons donc intérêt à avoir une multitude d'acteursqui ont l'intérêt du lecteur en tête.

On nous invente encore le “monopoweb”.Historiquement, les réseaux ont été développésprincipalement par des scientifiques sur le principede neutralité, pour qu'un élément puisse circulerdans le réseau indépendamment de son contenu etde son expéditeur. La première tentative pourmettre fin à cette neutralité, au début des années2000, visait à équiper les routeurs avec des antivirus.Nous avons dit que nous préférions tout recevoir etnous débrouiller avec les virus. Par ailleurs, les grands

opérateurs de type Google, Orange ou la TNTsouhaitent créer les fameuses autoroutes del'information. Google projette ainsi d'intégrer à sonalgorithme le temps de réponse d'un serveur afin dedonner la priorité à celui qui répond le plus vite, cequi valoriserait les sites ayant une architectureindustrielle. L'objectif final de cette reconcentration,c'est la convergence entre Internet et la télévision...nous passons de la posture assise dans laquelle onpeut écrire à une posture couchée avectélécommande, et nous revenons à l'ère médiatiqueque nous avions espéré pouvoir quitter grâce àInternet ! Enfin, on a inventé en France l'ADSL* oùle A signifie asymétrique : nous recevons trèsrapidement une grande quantité de données maisnous ne pouvons en émettre que peu et lentement.Il n'y a aucune raison technique de faire cela. Ilfaudrait qu'on abandonne le A de ADSL et qu'onait un débit symétrique, ce qui permettrait à chacund'avoir un serveur web chez soi. Mais voilà, noussommes désormais des consommateurs et nous neseront pas des producteurs, alors que dans le web2.0* ce sont les utilisateurs qui génèrent les contenus.

“Les DRM sont une création artificielle de rareté.Il ne faut pas créer de la rareté, mais au contraire de la valeur.”

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La chaîne du livre est absolument tétanisée par cequi est en train de se produire, ce qui l'empêched'agir. Zazieweb* a été abandonné, comme semblel'être le projet de portail des libraires. Nous avonspourtant les capacités de développer des stratégiesd'appropriation extrêmement puissantes ; lesbibliothèques ont des implantations partout, ellespeuvent donc proposer des formations à leurslecteurs pour qu'ils s'acculturent au numérique. Ilfaudrait lancer de toutes petites expérimentations(comme twitter* par exemple), mettre en place depetites équipes libérées de toutes contraintes – ycompris juridiques – et travailler sur le modèle del'essai/erreur, parce qu'on n'invente rien sans setromper.

En 2004, je me suis rendu à la bibliothèque del'université d'Avignon pour observer les différencesde comportement des usagers. Et là j'ai constaté entapant Revues.org* que ce contenu n'était pasautorisé, idem pour catalogue.bnf.fr. Le système derégulation mis en place obligeait juridiquement às'identifier ! L'accès-libre à Internet devrait aucontraire être un droit constitutionnel comme celuide marcher dans la rue sans avoir à montrer sa carted'identité. D'autre part, les bibliothèques uni-versitaires sont aujourd'hui dépossédées de leurpolitique documentaire puisqu'Elzevier, pour lessciences dures, le fait pour elles. Elzevier est unéditeur hollandais qui réussit à vendre très cher auxuniversités les contenus qu'elles produisent. Lesbibliothécaires le disent eux-mêmes, ils sont coincés.

Nous avons construit revues.org justement pourdévelopper le libre-accès à la littérature scientifique ;or quand on fait une enquête comparative sur lespublics de Cairn*, qui est payant, et Revues.org quiest un bouquet essentiellement en libre-accès, onconstate que les jeunes utilisent davantage Cairn etque nous on a les vieux ! C'est parce que lesétudiants reçoivent leurs recommandations desbibliothécaires et que ceux-ci les orientent princi-palement vers Cairn, ressource payante sur laquelleils ont des comptes à rendre. Les bibliothèquesn'offrent en général que des contenus payantsauxquels les usagers n'auront pas accès le soir surGoogle. Cela montre bien les mécanismes. Autre problème : les sites de signets développés par

chaque bibliothèque et rapidementingérables. Personne ne s'est fédérépour essayer de construire unrépertoire collectif. C'est incom-préhensible ! Dans le numérique, leslieux n'ont pas de sens, il faut clonerles données sur chaque site partenaire

grâce à un effort collectif, afin d'obtenir un superberépertoire de liens.

Milad Doueihi* écrit que la posture tétanisée de lachaîne du livre vient du fait que le livre est un objetfétiche : “comme si le livre était voué à restertoujours le paradis perdu du numérique”.L'attachement au livre est normal, mais il ne doitpas faire oublier que c'est le contenu qui estintéressant. On observe encore un lien direct etproblématique entre “livrophile” et “technophobe”,ainsi qu'une culture très étrange en France, celle quiconsiste à réinventer sans cesse à sa façon sansprofiter des développements internationaux(BookServer* par exemple).

Il faut passer à une stratégie de l'accueil. Le mondenumérique ne s'oppose à aucun acteur traditionnel ;par contre, nous vivons une époque d'inventions etil faut aller à la recherche des inventeurs. Si nousn'inventons pas Internet aujourd'hui, certains vonts'en occuper à notre place. Et comme Internet estune stratégie cumulative, c'est-à-dire que chaquepratique se sédimente en strates successives, il fautéviter que des outils comme iTunes et Apple Storene deviennent hégémoniques. Personne ne vadisparaître, nous allons inventer de nouveauxmétiers pour les auteurs, les libraires, lesbibliothécaires, et pour de nouvelles personnes.Nous allons entre autres avoir besoin d'entretenirles données et de créer des cartes du réseau, dusavoir. Nous sommes maintenant dans uneéconomie de l'attention où l'on a plus de documentsque de lecteurs et ceux-ci sont devenus libres ; il vadonc nous falloir aller les chercher, en construisantdes outils de recommandation qui auront unelégitimité et un sens. Y compris les bibliothèques. Laseule solution, c'est l'appropriation par la base deces nouvelles technologies sur le modèle del'essai/erreur, et cela ne se décidera jamais d'en haut.

“L'accès libre à Internet devrait au contraire être un droit constitutionnel comme celui de marcher

dans la rue sans avoir à montrer sa carte d'identité.”

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Philosophe, professeur àl’Université de technologie deCompiègne, Bernard Stiegler estdirecteur de l’Institut derecherche et d’innovation qu’il acréé au sein du Centre GeorgesPompidou. Il a été directeuradjoint de l’INA, puis directeur del’IRCAM. Il est président del’association Ars Industrialis.

Publications (extrait)Faut-il interdire les écrans auxenfants?, avec Serge Tisseron,Mordicus, 2009

Pour une nouvelle critique del'économie politique, Galilée, 2009

Le Design de nos existences àl'heure des technologiesnumériques, Mille et Une Nuits,2008

économie de l'hypermaterialité et Psychopouvoir, Mille et UneNuits, 2008

La grammatisation du lecteur et ses enjeux

Ma conférence s'intitule la grammatisation du lecteur, bien qu'il faudraitparler des grammatisations du lecteur. Il s'agit d'une question trèsthéorique, qui a cependant une finalité politique et pratique. En effet, àquoi peuvent bien servir encore un éditeur et une bibliothèque à l'heurede Google ? Qu'est-il possible de faire dans une bibliothèque et chez unéditeur, ou par des réseaux de bibliothèques et d'éditeurs, qui permetted'accroître les processus de lecture attentive, ce que peut faciliter lanumérisation sachant qu'elle permet aussi le contraire, c'est-à-dire ladestruction de cette lecture ? De telles questions sont des préalables à laquestion de savoir comment négocier avec Google. Car aujourd'hui, laquestion ne se pose pas de savoir s'il faut négocier avec Google, il s'agit desavoir comment. Ce qui fait pour le moment la force colossale de cetteentreprise, c'est son algorithme ; c'est un problème absolument industriel.Cette entreprise a une intelligence d'ensemble du processus, à partir dupoint de vue nouveau qu'a crée l'invention de son moteur de recherche.L'invention de Google et de son algorithme a totalement déplacé laquestion de ce qu’il en est de la lecture, de l'édition, de l'écriture... del'enseignement même. D'autre part, l'avantage de Google est d'être situéaux États-Unis où les pouvoirs publics et privés ont une capacité àtravailler ensemble dans le long terme. Il existe là-bas des réflexions surles stratégies industrielles qui ont reconnu cette révolution industrielle, et quil'ont subventionnée. C'est ce dont les infrastructures et les technostructuresfrançaises et européennes sont incapables, et le problème de l'éditionfrançaise vient d'abord de là, bien avant d'être un problème d'édition àproprement parler.

Je voudrais préciser que je déplore vivement les articles publiés dans Le Mondedu 27 octobre 2009, certains défendant la contractualisation avec Google,d'autres poussant des cris d'orfraie.Dans aucun de ces articles n'est présentela question de la lecture et des lecteurs. Aucune intelligence de ce queSylvain Auroux* a appelé la grammatisation, alors qu'il a réalisé un travailtrès important sur ces processus qui rendent possibles l'apparition del'édition et des bibliothèques. Aucune analyse sur les rôles respectifs qu'ontjoué l'économie, le monde éditorial, les institutions, les universités et lessystèmes de transmission de savoir... Absolument rien. Pas une seule foisn'est posée, de manière raisonnée, systématique, la question de savoir ceque Google et le système qui se développe à travers lui – si ce n'avait pasété Google, c'en aurait été un autre, parce que ce processus denumérisation, qui est un mode particulier de la grammatisation, estabsolument inéluctable, il est inscrit depuis le début de l'informatique dansles conséquences obligatoires de celle-ci –, pas une seule fois donc, n'estposée la question de ce que cela apporte aux lecteurs, ou de ce dont celapeut les priver.

BERNARD STIEGLER

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Nous sommes confrontés à des questions que nousavons appelées, Alain Giffard et moi, des questionspharmacologiques. Ce terme nous vient d'un textede Platon où Socrate condamne l'usage que lessophistes font de l'écriture, en expliquant qu'àtravers l'écriture, les sophistes produisent du tempsde cerveau disponible pour les jeunes ambitieuxAthéniens, autrement dit que l'écriture détruitl'idéal philosophique du penser par soi-même, de lamémoire de soi... Socrate ne dit pas que l'écritureest un poison, il dit que c'est un pharmakon*, le moten grec signifiant poison, mais également antidote.Face au dangereux hégémonisme de l'entrepriseGoogle, nous sommes confrontés à une question depharmacologie qui pose deux problèmes distincts àbien distinguer, puis à agencer. Premièrement, comment faut-il faire évoluer lepharmakon ? Quelle politique de développementtechnologique des techniques industrielles de lalecture faut-il mettre en place pour faire en sorteque l'actif de lecture attentive soit plus importantque le passif de la dispersion de l'attention ? Quelleest la politique de recherche, technique, scientifique,technologique, industrielle, à initier avec lesbibliothécaires, les écrivains et les éditeurs ? Ensuite,quelle prescription thérapeutique recommander parrapport à cette pharmacologie, sachant que la

position hégémonique de Google fait de lui undealer ? Il faut faire très attention à avoir unepolitique de séparation des pouvoirs, on peut trèsbien, avec de très bonnes intentions, faire quelquechose d'intrinsèquement toxique. D'autre part, la question du livre électronique n'estpas compréhensible, ni même abordable,indépendamment de la culture numérique quidépasse les différentes cultures que nous avonsconnues, parce que ce sont de nouvellesorganisations du travail, de nouvelles formesd'économie... dans lesquelles les sociétés de demainvont devoir se développer en valorisant l'activité dechacun pour développer de la responsabilité. Voilàle sujet de la bibliothèque de demain. Il ne s'agit pas de défendre la chaîne du livre, il s'agit que toutesles bibliothèques deviennent des lieux decapabilités. Mais cela suppose une mutation dusystème rétentionnel.

Un des grands problèmes qui se posent en terme dethérapeutique, quand on a des transformations dece type, c'est que le malade en général refuse de sesoigner. La société du livre est gravement malade.Tout ça est lié au destin des bibliothèques, parce quetoutes nos sociétés se sont constituées autour desbibliothèques (l'Académie de Platon, le Lycéed'Aristote, Alexandrie…). Les rôles respectifs del'industrie, du monde éditorial et des institutionssont en train de changer radicalement. Nous entronsdans une époque caractérisée par de nouveaux typesde dispositifs rétentionnels.

Qu'est-ce qu'un dispositif rétentionnel ? C'est undispositif qui contrôle les traces, les engendre, lessuscite, les sélectionne, les diffuse ou les rendinaccessibles, les refoule, les censure éventuellement...Il n'existe aucune société sans contrôle des traces, ycompris dans les sociétés que l'on appelle aujourd'huipremières. Dans les civilisations de l'écriture, ce sontles institutions. Et ces institutions, elles jouent avecd'autres organisations sociales, et aujourd'hui avecdes industries, à contrôler l'organisation, la sélectionet l'intériorisation ainsi que la circulation de ce quej'appelle les retentions tertiaires.

Une rétention primaire, c'est ce qui se produitlorsqu'on écoute quel-qu'un parler. C'estl'auditeur qui fabrique lesens, pas le locuteur, etnous ne retenons à traversces rétentions pas tous lamême chose. Cette écoute

active permet de construire des protensions, c'est-à-dire des projections sur ce qui va être dit. Lelocuteur stimule ces protensions pour créer del'attente et donc de l'attention.

Les rétentions secondaires quant à elles sont dessouvenirs, en général des rétentions primaires quel'on va se remémorer. Ce n'est plus le locuteur quiles produit directement mais la mémoire, et elles ontdonc un caractère fictif, contrairement auxrétentions primaires qui sont de l'ordre de laperception, du réel même. La nature desreprésentations secondaires fait que nous ne seronspas tous d'accord en nous remémorant une mêmechose, et même, chacun aura sa proprereprésentation en fonction de sa formation, de sesattentes et de sa singularité. L'enregistrement nouspermet de répéter ce jeu de rétentions primaires etsecondaires, et par là même de découvrir qu'il y ades choses que nous n'avions pas entendues, oud'autres que nous avions cru entendre mais quenous ne retrouvons pas, et nous allons nousapercevoir qu'entre temps, nous avons changé.

“Voilà le sujet de la bibliothèque de demain. Il ne s'agit pasde défendre la chaîne du livre, il s'agit que toutes lesbibliothèques deviennent des lieux de capabilités.”

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Les rétentions tertiaires sont extrêmementimportantes parce qu'elles autorisent la création desprocessus de transindividuation. L'attention, enproduisant ces phénomènes rétentionnels primairesproducteurs du sens, permet à chacun de s'individuerde son côté. On parle de “contre-individuation”lorsque ce processus se fait dans une attitudecritique, et de “co-individuation” dans la discussionqui en résulte éventuellement. Gilbert Simondon*parle ainsi de“transindividuelpour le savoir”,parce qu'il y a unmoment où nousallons tomberd'accord sur quelque chose et produire du savoir.J'appelle cela un long circuit de transindividuationqui va produire de l'attention profonde. Sansl'écriture il n'y a pas de modèles d'attentionprofonde possible, c'est-à-dire qui correspondentaux canons de ce que les occidentaux appellent lelogôs, depuis la Grèce. Cependant, l'écriture est cequi permet de court-circuiter l'attention, parcequ'elle produit aussi des clichés où l'on croit penseralors que l'on ne pense pas, des topôs qu'on peutrépéter sans comprendre comment ils fonctionnent,mais qu'on utilise pour briller en société. Google sertà cela aussi. Google et au-delà, tout le dispositifcontemporain des rétentions tertiaires.Il y a une histoire des rétentions tertiaires quiconsiste, face aux pharmakâ que sont les rétentionstertiaires, à mettre en place des thérapeutiquesconstituées par d'autres dispositifs rétentionnelsparticipant à des cultures ou techniques de soi,individuelles et collectives, en général supportéespar des institutions. Est-ce que Google peut-êtreune institution ? Non, naturellement : uneinstitution ne peut pas être une entreprise privée.En revanche, l'école est un dispositif rétentionnel.C'est une organisation sociale, qui n'est pasforcément publique, qui peut être privée, spirituelleau sens de religieuse ou laïque, et ce qu'elle prend encharge, c'est toujours la sélection des rétentionstertiaires ; elle les valide, les accrédite, les légitime, etelle peut aussi les interdire. Elle organisel'accessibilité, forme le destinataire et le destinateur,et fournit des appareils et des services.

À quelles conditions peut-on accéder à ce dispositifrétentionnel qu'est la bibliothèque ? C'est avanttout une question d'organologie, c'est-à-dire lascience des instruments par lesquels l'homme sedéveloppe, dans tous les domaines. L'utilisationd'une bibliothèque suppose l'acquisition etl'intériorisation de compétences particulières,comme l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.Ces compétences peuvent être déléguées, et c'est ce

qui se passe, à travers ce qu'Alain Giffard appelle leslectures industrielles. C'est cette même délégationque Socrate qualifiait de danger, parce que si l'onconfie sa mémoire à un système technique, onrisque de la perdre. Dans L'acte de lecture, Wolfgang Iser* soutient unethèse fondamentale, à savoir qu'un texte n'existe pasen soi ; ce qui fait qu'un texte est un texte, c'est qu'ilest lu, et il appelle ce processus l'acte de lecture. Ilexiste des passages à l'acte de lecture ratés, il arriveque l'on ne réussisse pas à rentrer dans un livre, oualors qu'il faille attendre trente ou quarante anspour réaliser une lecture en entéléchie, c'est-à-direune lecture qui potentialise un passage à l'acte etpuisse engendrer l'écriture d'un autre livre. Et cetteattitude ne vaut pas que pour le livre. Selon Luther,chacun devrait, en principe, faire passer à l'acte lestextes comme la Bible ou les Évangiles, à partir dumoment où l'imprimerie a permis à tous de lire parsoi-même. Une bibliothèque existe pour faire passerà l'acte de lecture, selon toutes sortes de modalités,pas obligatoirement pour former des écrivains,même si, rappelons-le nous, le Louvre fut ouvert aupublic d'abord pour que les apprentis puissent allercopier et devenir des peintres ; les bibliothèquesavaient ce rôle à l'origine.On peut aussi rappeler quedans l'Antiquité, n'importe quel citoyen devait êtrecapable de passer à l'acte de lecture en proposantdes lois, ce qui était la manière ordinaire du citoyend'écrire. Cela, c'est aussi l'enjeu de Google, et de lagooglisation du monde.

“Si l'on confie sa mémoire à un système technique,on risque de la perdre.”

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Les dispositifs rétentionnels sont là pour créer descircuits longs, et plus les circuits sont longs, plus ilsimpliquent les gens qui se trouvent à l'intérieur, etplus ils créent de la solidarité sociale, qui forme lasolidité de la société dans laquelle on vit. On voitqu'il y a des conditions sans lesquelles ils ne peuventpas exister : pas de bibliothèques sans éditeurs parexemple, pas d'éditeurs sans auteurs, mais pasd'auteurs sans écoles, et pas d'écoles sans lecteurs...Aujourd'hui à l'ère de Google, la question d'écologieconsiste à se demander quels sont les acteurs requiset quels sont leurs rôles. Le rôle premier de tout celaest de former l'attention. Dans nos cerveaux, setrouvent des systèmes synaptiques dont la plasticitéleur permet de se reconfigurer en permanence, et ilse trouve des époques dans la vie, en particulier les dixpremières années, où la construction du systèmesynaptique va surdéterminer toute la constructionfuture. Des recherches pédopsychiatriques montrentque les médias audiovisuels ont sur les cerveauxinfantiles des effets qui rendent très difficile laconstruction des circuits synaptiques de la lectureprofonde, et plus largement de l'attention profonde.Ils produisent de manière irréversible les syndromesde déficit attentionnel et d'hyperactivité. L'écologiedes rétentions tertiaires consiste donc à dire qu'il nefaut jamais exposer avant cinq ans un enfant àl'image animée. Le cerveau humain est néoténique,c'est-à-dire inachevé, les premières années de la vieconsistent à le configurer, non pas pour qu'ils'adapte à son milieu naturel, mais pour qu'il puisses'insérer dans un monde de culture.

Cela suppose de se brancher sur le milieurétentionnel dans lequel on vit, et aussi d'hériter detoute la mémoire transmise de génération engénération. C'est cela l'enjeu d'aujourd'hui desgrandes mutations de la rétention tertiaire, et il vafalloir maintenant essayer de les organiser, enobservant ce qui se développe dans la grammatisationdu cerveau du lecteur.

Nos cerveaux ont été grammatisés très tôt, c'est-à-direque la manière dont nos connections synaptiquess'opèrent est soumise à une certaine façon de rentrerdans la langue, qui est notre principal moyen decommunication et qui nous permet de constituernos rétentions secondaires. Nous avons un rapportà notre mémoire qui passe par le langage, qui lui-même passe par l'écriture. Il n'est pas du toutcertain qu'en Afrique noire, ou chez les Esquimauxou les Nambiquaras, ce soit la même chose. Levisuel, l'audible, le musical peuvent avoir danscertaines civilisations une place beaucoup plusimportante que le langage. En ce qui nous concerne,notre grammatisation est réalisée par un systèmedans lequel nous passons au moins quinze ans denotre existence. Et qu'est-ce, finalement, que lagrammatisation ? Les processus de grammatisation peuvent être detoutes sortes, ce sont des phénomènes dediscontinuité où l'on discontinuise quelque chose decontinu. La parole, par exemple, est continue, etnous sommes capables de la discontinuiser parcequ'on nous a appris à lire et à écrire, et que noussommes donc capables d'identifier dans un fluxverbal des phrases, des mots, des lettres... À partirdu moment où des rétentions tertiaires sontproduites par des grammatisations de ce type-là,nous allons pouvoir exercer un rapport critique à lalangue, et développer un mode d'attention appeléattention profonde, ce qui permettra finalement dedialoguer avec ce que nous écoutons, et passimplement d'être canalisés et captés par undiscours.

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Lorsque l'on rapporte tout cela à la situationcontemporaine, on s'aperçoit que nous vivonsaujourd'hui un nouveau processus de grammatisation.La rétention tertiaire électronique et numériquebinaire qu'est l'ordinateur va réintégrer tous lesprocessus de grammatisation et tous les soumettre àune nouvelle logique, à une nouvelle rationalité. Onva grammatiser le lecteur dans son activité de lecture,ce qui veut dire qu'on ne va pas simplement regarderce qu'il lit mais qu'on va l'amener à contribuer, àenrichir ce qu'il lit. Cette surgrammatisation a pourbut d'utiliser l'activitéde lecture pourproduire des processusattentionnels d'unnouveau type, quisont des processuscommerciaux. Ama-zon a été le premier àl'avoir réalisé demanière industrielle et commerciale, pour produire duprofilage d'utilisateur à grande échelle, ce qui est unélément fondamental de son business model. Lorsqu'avec Alain Giffard nous avions travaillé àpartir de 1989 sur la lecture assistée par ordinateur,nous essayions de créer des processus d'annotationde texte qui puissent être partagées. Le pariconsistait à structurer ces conventions d'annotationsen communautés savantes, parce qu'à cette époquenous étions dans une bibliothèque savante, et nousnous disions qu'il fallait créer des modalitésd'annotations de textes en nous appuyant surl'électronique, pour surgrammatiser les lecteurs, enrécupérant le travail de différents spécialistes. Celanous a amenés à développer ensuite l'hypertraitementde texte, qui permettait à chacun d'inscrire dans untexte des traces de sa lecture. Aujourd'hui cesinstruments se sont énormément développés.Depuis une dizaine d'années sont apparues lestechnologies collaboratives, le web 2.0*, et cesdéveloppements sont merveilleux, magnifiques, maistotalement laissés en friche et à l'abandon par lacommunauté savante, par la communauté publique.Or cela devrait être le cœur d'une politique publiquede la lecture, et d'une formation à l'université.

Les bibliothèques sont au cœur de la révolutionindustrielle en cours, et devraient être des lieux deconstitution d'une politique de la lecturecontributive. Qu'est-ce que développer unepolitique contributive dans les bibliothèques ? Celarevient à constituer des communautés de lecteurs.

L'industrie du tagging, de l'annotation, desmétadonnées, n'est pas du tout intéressée parl'autonomie de ces communautés de lecteurs, quiseraient indépendantes et dotées d'esprit critique,parce qu'à l'évidence cette industrie a justementbesoin de capter l'attention de manière hétéronome,elle a donc besoin de contrôler cette attention sansque ceux qu'elle veut contrôler puissent se contrôlereux-mêmes. On n'a aucun intérêt, quand ons'appelle Amazon ou Google, à ce que ses propreslecteurs soient capables de s'émanciper par rapport à

ce qu'on leur propose.Les dispositifs réten-tionnels de ce type-là,par nature, ne peuventpas aller contre leursintérêts. Il ne faut pas leleur reprocher ; ils sontlà, nous avons besoind'eux, tout comme nous

avons eu besoin de Hachette et de Nathan pour créerl'école publique, alors même qu'ils défendaient leursintérêts privés. Donc ce qu'il faut, c'est avoir un boncontrat social avec eux, c'est cela la question de lanégociation avec Google, et cela induit dedévelopper un savoir qu'eux ne peuvent avoir,puisqu'il s'agit d'un savoir public. Les bibliothèques de-vraient être là pourinstrumenter les lecteurs et aider des laboratoires etdes ateliers à se constituer, dans le but de développerdes cultures contributives et des instrumentspolémiques. Je crois pour ma part que le web 3, cesera à la fois un web sémantique et social,mais que cesera surtout un web polémique où se produiront desorages sémantiques, des conflits d'interprétation. Laquestion de demain, c'est la nouvelle herméneutique,désormais assistée par ordinateur. Mais cela supposedes dispositifs rétentionnels pour les prendre encharge de manière véritablement politique, parceque nous sommes dans des sociétés politiques, c'est-à-dire qui constituent ou reconstituent des circuitsde citoyenneté, et il faudra le faire en collaborationavec Google, en travaillant avec l'édition privée oupublique, et avec tous les acteurs concernés.

“On n'a aucun intérêt, quand ons'appelle Amazon ou Google, à ceque ses propres lecteurs soientcapables de s'émanciper par rapportà ce qu'on leur propose.”

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ADSL (Asymetric Digital Subscriber Line) : L'échangeasymétrique de données n'est pas qu'un terme désignant le hautdébit, il signifie aussi que le rapport réception/émission desconnexions ADSL est de dix pour un.

Apple store : Le magasin d'Apple regroupe les applicationspermettant de gérer les différents contenus dédiés à une utilisationsur des machines apple : l'iTunes, l'iPod, l'iPhone...

Archimède : Logiciel de dépôt institutionnel développé souslicence libre par l'Université de Laval.

BookServer : Initiative lancée par Internet Archive offrant dessolutions pour diffuser et archiver des livres électroniques. S'appuiesur des formats ouverts. Tous les représentants de la chaîne du livrepeuvent y participer en conservant leur logique propre.

Cairn : Portail payant de diffusion et de promotion de publicationsen sciences humaines.

Creative Commons : Les licences Creative Commons ont étéinventées par le juriste américain Lawrence Lessig ; elles visent àcréer un nouveau cadre juridique pour la propriété intellectuelle,adapté au numérique. Elles ont été transposées au droit françaisentre 2003 et 2004. Dans ce cadre, une œuvre peut être attribuée à unauteur ou être diffusée sous anonymat. Si l'œuvre est revendiquée,l'auteur peut alors choisir d'autoriser ou non l'usage commercial,ainsi que les modifications. Enfin, dans les cas où il en autoriserait lelibre usage, il peut obliger les nouveaux ayants droits à appliquerles mêmes conditions de diffusion aux œuvres dérivées del'originale. (source : Creative commons France)

CRÉDOC : Le Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation desConditions de vie est un organisme d'études et de recherche auservice des acteurs de la vie économique et sociale. Placé sous latutelle du ministre chargé de la consommation et du commerce, il estchargé de produire des analyses synthétiques sur la sociétéfrançaise, qui sont rendues publiques. (source : credoc.fr)

Crowdsourcing : Site communautaire. Collecte d'informations àpartir du public.

DADVSI (droits d'auteurs et droits voisins dans la société del'information) : Loi votée en mars 2006 pour défendre la propriétéintellectuelle dans les usages liés au numérique. Elle consiste àmettre en place un système de gestion technique des droits d'auteurs(DRM), et prévoit une riposte graduée contre les utilisateursprocédant au téléchargement illégal de fichiers non protégés ou à ladiffusion d'outils de piratage. Elle oblige en contrepartie lesplateformes à respecter le principe d'interopérabilité (tout fichieracheté doit pouvoir être lu sur tous les supports).

Delicious : Outil de gestion des favoris permettant le partage deliens, la recherche par tags...

Digital is not different : Titre d'une déclaration de l'IFLA(International Federation of Library Associations, organisation nongouvernementale) qui exprime la volonté d'équilibre entre lapropriété intellectuelle et les libertés dans le numérique (traductionen français sur http://archive.ifla.org/III/clm/p1/pos-dig-f.htm).

DRM (Digital Rights Management) : La gestion des droitsnumériques est un système de contrôle de l'utilisation par unensemble de protections. L'accès au contenu ainsi protégé est renduconditionnel, restreignant la possibilité de copie privée, et obligeantl'utilisateur à constamment redemander les clés d'accès audistributeur.

ebook : Appareil de lecture proposé par un fabricant de matérielinformatique ou une plateforme de téléchargement.

ENSSIB : L'École nationale supérieure des Sciences de l’Informationet des Bibliothèques a pour mission de former les conservateurs etles bibliothécaires de l’État et des collectivités territoriales, les cadresdes services de documentation et d'information scientifique ettechnique, et de développer la recherche en sciences del'information, bibliothéconomie et histoire du livre. (source : enssib.fr)

epub : Format ouvert standardisé pour les livres électroniques dontles textes s'afficheront en fonction de l'écran utilisé pour la lecture.

Extranet : Un réseau extranet est un réseau du type Internet reliantdifférents réseaux (intranets). La gestion sécurisée de l'accès ne se faitplus en interne, mais est confiée à une entité externe aux utilisateurs.

Firefox : Le navigateur de Mozilla.

Flickr Commons : Flickr est un site communautaire d'hébergementen ligne et de partage de photos. L'initiative Flickr Commons proposele dépôt sous licence Creative Commons.

HADOPI : La loi examinée courant 2009, rejetée sous sa premièreversion et finalement adoptée sous sa deuxième version, met enplace une Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et laProtection des Droits sur Internet chargée d'appliquer les principesprévues par la DAVSI. Cette autorité a le pouvoir de transmettre lesconstatations d'infraction à un juge qui décidera d'une sanction lorsd'une procédure accélérée.

HTML (HyperText Markup Language) : Langage informatiquepermettant de créer des pages web, ou hypertexte. Il utilise desbalises (< ... >), qui structurent et mettent en forme le document.Sa première fonction est de faire des hyperliens, ou liens dans lelangage courant.

Hypermédia : Les hypermédias sont une nouvelle forme de médiasliés à l'Internet. Ils se situent à la convergence des industries del'information et du divertissement, des industries de lacommunication et des industries de l'informatique.

Hypertexte : Cf. HTML

Hypothèse et Calenda : Hypothèse réunit les blogs et Calendal'agenda des revues en sciences humaines associées au Cléo (Centrepour l'édition électronique ouverte).

Kindle : La liseuse électronique d'Amazon.

Librarything : Site communautaire de gestion de listes de lecture etde partage de livres. Les initiatives similaires sont scribd (en anglais)ou babelio.

Lifetime value : Profit évalué à partir de la durée de vie moyenned’un client, de l’évolution théorique de sa consommation et de safidélité. Elle doit permettre de déterminer la hauteur maximale ducoût d’acquisition d'un client.

Mode image / Mode texte : La numérisation d'un texte peut êtreeffectuée en mode image, et le document résultant est alors unephoto, ou bien en mode texte, ce qui suppose un outil dereconnaissance de caractères (OCR).

Numilog, Cyberlibris, Éden : Sociétés de distribution en ligne delivres numériques.

Glossaire

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OAI (Open Archive Initiative) : Le projet d'archives ouvertes (cf. Open Access) vise à encourager les échanges et la valorisationd'archives numériques. Les protocoles OAI permettent à desfournisseurs de services de moissonner des métadonnées dansplusieurs centres de données simultanément. (source : wikipédia)

Open Access (libre-accès) : Mise à disposition en ligne de contenusnumériques, de façon totalement libre, ouverte et gratuite, aprèsvalidation par des pairs. Ce système de publication a été développépar les communautés scientifiques alertées par l'augmentation duprix des abonnements aux revues.

Philosophical Transactions of the Royal Society (ou PhilosophicalTransactions) : Revue scientifique publiée par la Royal Society deLondres. Apparue en 1665, juste après le Journal des Sçavans, c'est ladeuxième revue scientifique au monde par ordre d'ancienneté et lapremière par ordre de longévité. (source : wikipédia)

Production pair à pair (Peer-to-peer) : Ce modèle de réseauinformatique a permis une décentralisation des systèmes,auparavant basés sur quelques serveurs. Dans ce système, tous lesordinateurs jouent le rôle de client et de serveur. (source : wikipédia)

Publish or perish : Signifiant littéralement “publier ou périr”, cetteexpression désigne la pression exercée par un système où lareconnaissance du travail des chercheurs passe par la publicationdans une revue académique.

RDF (Resource Description Framework) : Modèle de descriptiondes données consistant à décrire des systèmes de relations. Demême qu'il existe des systèmes reposant sur des grammaires et desdictionnaires pour que des humains puissent fixer et échanger desinformations par écrit, le RDF utilise une grammaire simple, du typesujet/prédicat/objet, pour permettre à des machines de reconnaîtreet lier des données.

Read/write - read only : Par opposition au mode “read only”(lecture seule), un document en mode “read/write” peut être modifiépar son lecteur. Ces terminologies sont reprises par Lawrence Lessigpour définir l'impact du numérique sur la culture contemporaine.Largement reprises par les communautés militantes, elles indiquentle passage d'un état passif à une attitude active, tout individu étantdésormais capable de s'approprier les contenus véhiculés en ligne,ou de les produire et les diffuser lui-même, indépendamment desmédias traditionnels.

Revues.org : Portail de revues de sciences humaines qui proposeun bouquet majoritairement en libre-accès.

RSS (Really Simple Syndication): Un Flux RSS permet à unémetteur de transmettre automatiquement une donnée publiée surle site source aux destinataires qui s'y sont abonnés.

SCD : Le Service Commun de Documentation regroupe en lignel'ensemble des catalogues et des services proposés par desbibliothèques universitaires.

Scrolling : Les outils de scrolling présents sur certaines pages HTMLpermettent de faire défiler des sections de texte, à l’horizontale et àla verticale.

SPAR (Système de Préservation et d’Archivage Réparti) : Leprogramme SPAR de la BnF, PROSPER, a pour mission d'assurerl'archivage pérenne des documents numériques, grâce au systèmed'archives ouvertes.

SSII : Société de Services en Ingénierie Informatique.

Tite-Live : La société Tite-Live développe des logiciels de gestion destock et des outils d'information pour les produits culturels.

Twitter : Site communautaire de micro-blogging permettant l'envoisimplifié et simultané de courts messages, par mail ou sms, auxpersonnes qui suivent vos annonces.

UGC (User Generated Content) : Contenus générés par lesutilisateurs, par opposition aux contenus traditionnellementgénérés par les médias.

Unicas : Échantillons uniques. Ce terme désigne les trésors de la BnF.

W3C (World Wide Web Consortium) : Organisme à but non-lucratif fondé en 1994 par Tim Berners-Lee, il délivre desrecommandations équivalant à des standards industriels (et non desnormes). Le but est de promouvoir la compatibilité des technologiesde l'Internet (ou world wide web). Il est géré conjointement par leMassachussets Institut of Technology (MIT) aux États-Unis, l'EuropeanResearch Consortium for Informatics and Mathematics (ERCIM) enEurope et l'Université Keio au Japon. (source : wikipédia)

Web 2.0 : Le web 2.0 est aussi appelé web de données, ou web social.Il est caractérisé par une multiplication des interfaces permettant auxinternautes de s'approprier facilement les nouvelles fonctionnalitéset d’interagir de façon simple avec les contenus et entre eux. Le webprécédent était constitué de pages statiques, rarement remises à jour.(source : wikipédia)

Wiki (de l'hawaïen wiki qui signifie “rapide”) : Site web dontles pages sont modifiables par tout visiteur, éventuellement munid'une autorisation, après inscription. Il fonctionne grâce à un logicielspécifique installé sur le système hôte du site, qui permet d'accéderaux pages soit en mode lecture, soit en mode écriture. Wikipédia estle plus utilisé des wikis. (source : wikipédia)

Zazieweb : Fermé il y a peu, zazieweb était un réseau social avantl'heure, permettant la création de communautés de lecteurs autourde services utiles à la lecture.

Zotero : Site communautaire, extension du navigateur mozilla quipermet de récupérer les méta-données d'un document numériquedestiné à la lecture, et de constituer des bibliographies extraites desites respectant la norme proposée par Zotero.

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Madeleleine Akrich : Sociologue et ingénieure française, elle dirigele Centre de Sociologie de l'Innovation de l'école des Mines de Paris.Ses travaux se situent dans la perspective de l'acteur-réseau (cf. BrunoLatour et Michel Callon), qui privilégie l'analyse des pratiques desusagers en relation avec des technologies.

Patrick Bazin : Directeur de la bibliothèque municipale de Lyon, ils'intéresse depuis longtemps au rapport entre technologie etconnaissance ainsi qu’à l’impact des NTIC sur le livre et lesbibliothèques.

Paul Beaud : Sociologue, fondateur de la revue Réseaux en 1983, ila enseigné à l'Université de Lausanne les sciences de lacommunication. Ses travaux ont porté sur les médias et les médiationssociales.

Tim Berners-Lee : Principal inventeur de l'Internet, il a développé leprotocole http et le langage HTML, et conçu le modèle du navigateur, del'éditeur HTML et du serveur. Il préside aujourd'hui le W3C.

Vannevar Bush : Ingénieur américain du milieu du XXe. Son article“As we may think”, publié dans le mensuel The Atlantic Monthly enjuillet 1945, est connu pour avoir jeté les bases de l'Internet. Il yimaginait une machine de lecture, appelée Memex, qui préfiguraitla navigation par lien hypertexte que l'on connaît aujourd'hui.(source : wikipédia)

François Cavalier : Directeur de la bibliothèque de Sciences-Po, ila précédemment dirigé la bibliothèque de l'Université Lyon 1. Il estmembre du bureau COUPERIN (le consortium universitaire depublication numérique) et du bureau exécutif de LIBER (la ligue desbibliothèques européennes de recherche).

Roger Chartier : Historien français, titulaire de la chaire “Écrit etcultures dans l'Europe Moderne” au Collège de France. Ses travauxportent sur l'histoire du livre, de l'édition et de la lecture, dans uneperspective culturelle et sociale.

Robert Darnton : Historien des Lumières et directeur de labibliothèque de Harvard.

Milad Doueihi : Historien des religions et philosophe, auteur de Lagrande conversion numérique paru au Seuil en 2008, il publie sur leblog notules et le site miladus.

Katherine Hayles : Critique littéraire et essayiste, professeur delittérature électronique et de littérature américaine postmoderne àl'Université de Duke, elle s'intéresse aux relations entre la science, lalittérature et la technologie. Elle a été nommée présidente d'honneurde l'ELO (electronic literature organisation), chargée de promouvoirl'écriture, la lecture et l'édition électroniques, de 2001 à 2006. (source :wikipédia)

Lawrence Lessig : Juriste américain de renommée mondiale,spécialiste de droit constitutionnel et de droit de la propriétéintellectuelle, il enseigne à la Standford Law School. Il défend leslibertés sur Internet en militant pour une interprétation nonextensive du droit d'auteur. Il est notamment à l'origine de la licencecreative commons. (source : wikipédia)

Ted Nelson : Sociologue américain, précurseur dans l'histoire destechnologies de l'information, il est le premier à avoir employé leterme d'hypertexte, en 1965. Il est à l'origine du projet Xanadu quivisait à partager instantanément et universellement les donnéesinformatiques. Ce système fut abandonné au profit du protocole decommunication http, mais Ted Nelson milite encore aujourd'hui pourun web où les lecteurs pourraient annoter les documents etpartager leurs commentaires de manière ouverte (cf. le projetTransliterature).

Pascal Ory : Historien spécialiste d'histoires culturelle et politique,il enseigne à l'Université Paris Sorbonne.

Lawrence (larry) Page : Informaticien américain, il a co-fondé avecSergey Brin le site Internet et le moteur de recherche Google. Il estaujourd'hui président et directeur produit de l'entreprise. (source :wikipédia)

Robert Solow : Prix Nobel d'économie, cet économiste américain afait remarquer en 1987 que l'introduction massive des ordinateursdans l'économie ne se traduisait pas, contrairement aux attentes, parune augmentation statistique de la productivité. Il a fallu attendre lemilieu des années 90 et les résultats de la formation de nouvellescompétences pour voir l'économie américaine connaître une fortecroissance. (source : wikipédia)

Mike Thelwall : Chercheur anglais en sciences de l'information, ilenseigne à l'Université de Wolverhampton où il développe des outilspour quantifier et analyser les contenus numériques, en particulierles hyperliens et les réseaux sociaux. (source : scit.wlv.ac.uk)

Index des personnes citées

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Proposition de bibliographie générale de référence

Accueillir le numérique ? une mutation pour la librairie et le commerce du livre, Les cahiers de la librairie, éd. Alire/ SLF, 2008Bibliothèques et documents numériques. Concepts, composantes, techniques et enjeux, Alain Jacquesson, Électre, 2006Cloud Computing et SaaS : une rupture décisive pour l’informatique d’entreprise, Guillaume Plouin, Dunod, 2009Critique de la société d’information, Collectif, CNRS, 2010économie du numérique et de l’Internet, Éric Malin, Thierry Pénard, Vuibert, 2010Google et le nouveau monde, Bruno Racine, Plon, 2010Images, écrans, nouvelles idolâtries ?, Collectif, Le Seuil, 2004Imaginaire[s] : Des technologies d'information et de communication, Françoise Massit-Folléa, La Maison des Sciences de L'homme, 2009La grande numérisation. Y a-t-il une pensée après le papier ?, Lucien Polastron, Denoël, 2006La face cachée de Google, Collectif, Payot, 2008La méthode Google ; Que ferait Google à votre place ?, Jeff Jarvis, Télémaque, 2009La nouvelle culture : La mutation des pratiques sociales ordinaires et l'avenir des institutions culturelles, Bernard Deloche, L’Harmattan, 2007La république numérique, Éric Besson, Grasset et Fasquelle, 2008La richesse des réseaux : marchés et libertés à l'heure du partage social, Yochai Benkler, PUL, 2009 L'écran, de l'icône au virtuel. La résistance de l'infigurable, Stephanie Katz, L’Harmattan, 2004Le devenir numérique de l'édition, Collectif, La Documentation Française, 2008Le Livre ; Mutations d'une industrie culturelle, François Rouet, La Documentation Française, 2007Le patrimoine à l’ère du document numérique. Du musée virtuel au musée médiathèque, Corinne Welger-Barboza, L’Harmattan, 2001Le prix unique du livre à l’heure du numérique, Mathieu Perona, Jérôme Pouyet, Rue d’Ulm, 2010Les chercheurs et la documentation numérique, Ghislaine Chartron, Électre, 2002Les technologies de l'imaginaire ; Médias et culture à l'ère de la communication totale, Juremir Machado Da Silva, La Table ronde, 2008Littérature numérique : le récit interactif, Serge Bouchardon, Hermès Science publications, 2009Les mots de la société numérique, Isabelle Compiègne, Belin, 2010L'enfer du virtuel ; La communication naturelle pour sortir de l'isolement technologique, Sébastien Vaas, L'âge d'homme, 2009Libres enfants du savoir numérique. Anthologie du libre, Olivier Blondeau, Florent Latrive, L’Éclat, 2000Malaise dans l’édition ?, Collectif, Le Seuil, 2003Où va le livre ? Jean-Yves Mollier, Collectif, La Dispute, 2007Planète Google ; Faut-il avoir peur du géant du Web ?, Randall Stross, Pearson Education, 2009Pour le Livre ; Rapport sur l’économie du Livre et son avenir, Hervé Gaymard, Gallimard, 2009Pourquoi et comment le monde devient numérique, Gérard Berry, Fayard, 2008Quand Google défie l'Europe ; Plaidoyer pour un sursaut, Jean-Noël Jeanneney, Mille et une nuits, 2006Que nous réserve le numérique ?, Collectif, Le Seuil, 2006Révolution numérique et industries culturelles, Alain Le Diberder, Philippe Chantepie, La Découverte, 2005Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, Laurent Fleury, Armand Colin, 2008Sociologie des pratiques culturelles, Philippe Coulangeon, La Découverte, 2005Technologies de l’information et de la communication, Approches croisées, Collectif, Presses universitaires du Mirail, 2003Y a-t-il (vraiment) des technologies de l'information ?, Yves Jeanneret, Presses universitaires du Septentrion, 2007

Bibliographie

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Bibliographie des intervenants / Ouvrages et auteurs cités

Droit d'auteur et copyright, Françoise Benhamou, Joëlle Farchy, La Découverte, 2009économie de l'hypermatérialité et psychopouvoir, Bernard Stiegler, Mille et une nuits, 2008Faut-il interdire les écrans aux enfants ?, Bernard Stiegler, Serge Tisseron, Mordicus, 2009Fréquentation, usages et image en bibliothèques municipales en 2005, enquête du CRÉDOC (www.credoc.fr) L'acte de lecture : théorie de l'effet esthétique, Wolgang Iser, Mardaga, 1985La lecture électronique, Thierry Baccino, PUG, 2004La lecture experte, Thierry Baccino, PUF, 1995La philosophie du langage, Sylvain Auroux, PUF, 2004La révolution technologique de la grammatisation, Sylvain Auroux, Mardaga, 1995L'art de lire, José de Moraïs, éd. Odile Jacob, 1994L'économie de la culture (6e édition), Françoise Benhamou, La Découverte, 2008L'édition électronique, Marin Dacos, Pierre Mounier, La Découverte, 2010Le design de nos existences à l'heure des technologies numériques, Bernard Stiegler, Mille et une nuits, 2008Le document à la lumière du numérique : forme, texte, medium : comprendre le rôle du document numérique dans l'émergence d'une nouvellemodernité, Roger T. Pédauque, C&F éd., 2006.Le livre en révolution : Entretiens avec Jean Lebrun, Roger Chartier, Textuel, 1997L'entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l'information & de la communication, ouvrage collectif dirigé par Brigitte Simonnot et GabrielGallezot, C&F éditions, 2009Livres et lecteurs en Provence au XVIIIe siècle : autour des David imprimeurs-libraires à Aix, atelier Perrousseaux, 2008Les dérèglements de l’exception culturelle, Françoise Benhamou, Le Seuil, 2002Les galeries d’art contemporain en France. Portrait et enjeux dans un marché mondialisé, avec D. Sagot-Duvauroux et N. Moureau, LaDocumentation française; 2001Les pratiques culturelles des Français à l’ère du numérique : enquête 2008, Olivier Donnat, La Découverte/ministère de la Culture et de laCommunication, 2009L'individuation psychique et collective, Gilbert Simondon, Aubier, 2001Mesure de l'utilisabilité des interfaces, Thierry Baccino, Catherine Bellino et Teresa Colombi, Hermès science publications, 2005Mémoria : mémoire, lecture, technologie : actes du colloque, Marseille, 2005, Alain Giffard, Christian Jacob et Bernard Stiegler, Farrago, 2006Pour en finir avec la mécroissance, Bernard Stiegler, Alain Giffard, Christian Faure, Flammarion, 2009Pour une nouvelle critique de l'économie politique, Bernard Stiegler, Galilée, 2009Pratiques de la lecture, Roger Chartier, Payot, 2003Quand google défie l’Europe : plaidoyer pour un sursaut, Jean-Noël Jeanneney, Mille et une nuits, 2010Read/Write book. Le livre inscriptible, Marin Dacos, Cléo, 2010

Articles & contributions

“Google nous rend-il idiot ?” de Nicholas Carr, ("Is Google Making Us Stupid ?"), publié en juin 2008 dans la revue The Atlantic “La médiation numérique” in Le Web 2.0 en bibliothèques : quels services ? quels usages ? dirigé par Muriel Amar et Véronique Mesguich, éd.du Cercle de la Librairie, décembre 2009Mémoria : mémoire, lecture, technologie : actes du colloque, Marseille, 2005, avec C. Jacob et B. Stiegler, Farrago, 2006“Moteurs de recherche : usages et enjeux”, dossier coordonné et présenté par Brigitte Simonnot, in Questions de communication n° 14, Pressesuniversitaires de Nancy, 2009“Qu’est ce qu’un littéraire” à propos de Pascal Quignard, CCP n°15, 2008“Tentative de définition du vectorialisme”, in : Traitements et pratiques documentaires : vers un changement de paradigme ? Actes de ladeuxième conférence "Document numérique et Société", 2008, sous la direction d'Évelyne Broudoux et Ghislaine Chartron, éd. ADBS, 2008“Vous ne saviez pas que je crains les manifestes, vous allez voir que je ne crains pas les apologies, (à propos de un manifeste Hacker deMcKenzie Wark)”, CCP n°14, 2007“Web inscriptible et pratiques coopératives”, in Outils web 2.0 en bibliothèque : manuel pratique, dirigé par Jacques Sauteron et FranckQueyraud, éd. ABF, 2008

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