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CLEFS CEA - N° 52 - ÉTÉ 2005 91 Les microscopies à sonde locale: contact et manipulation L’invention du microscope à effet tunnel a été une étape déterminante du développement des nanosciences. Cet instrument permet en effet non seulement d’observer mais aussi de déplacer un à un des atomes et de les assembler de façon dirigée. Le microscope à force atomique, qui en dérive, se révèle particulièrement bien adapté à l’exploration du nanomonde. Là aussi, la sonde de l’instrument constitue, dans des conditions particulières, un nano-outil qui permet l’élaboration de nanostructures superficielles artificielles. P our caractériser, voire élaborer les nano-objets, les microscopies électroniques conventionnelles (voir Les microscopies électroniques conventionnelles : trans- mission et balayage), bien appropriées à certaines pro- blématiques, restent inopérantes dans de nombreux cas. Par exemple, des mesures précises du relief d’un échantillon à l’aide d’un microscope électronique à balayage (MEB, en anglais SEM), nécessitent un traitement complexe du signal. Si des informations chimiques sont accessibles en analysant les photons générés lors de l’impact du faisceau d’électrons sur l’échantillon, la résolution latérale directement liée au diamètre du faisceau est, au mieux, de quelques nano- mètres (1) . En conséquence, les MEB sont inadaptés dans de nombreux systèmes intéressant les nano- sciences et les nanotechnologies. Par exemple, la struc- ture de couches moléculaires auto-assemblées reste hors de portée pour deux raisons. La première est que la forte densité d’énergie déposée par le faisceau électro- nique risque de dégrader la couche. La seconde est liée à la taille des molécules, généralement bien inférieure au diamètre du faisceau. En microscopie électronique à transmission (MET, en anglais TEM), la résolution atomique est obtenue, mais elle correspond à la pro- jection sur un écran de colonnes atomiques parallèles au faisceau. Une avancée majeure dans le développement des nano- sciences a été l’invention en 1981 de la microscopie à effet tunnel (Scanning Tunneling Microscopy ou STM) dans les laboratoires IBM à Zurich par Gerd Binnig et Heinrich Rohrer. À l’aide d’un tel microscope, ces chercheurs réussissent à dresser la cartographie, à l’échelle atomique, d’une surface d’or puis de silicium. Pour cette invention, ils partageront le prix Nobel de physique 1986 avec Ernst Ruska, à l’origine de la microscopie électronique conventionnelle dans les années 1930. C’est aussi en 1986 que Binnig propose un nouvel instrument qu’il nomme Atomic Force Microscope (AFM), microscope à force atomique, qui dérive du STM. Ce dispositif, qui met en jeu des for- ces très faibles (~10 -9 N), permet d’explorer la surface de tout type de solide. Particulièrement bien adapté à l’exploration du nanomonde, cet outil caractérise les propriétés superficielles locales, contrairement aux techniques de diffraction qui informent sur la symé- trie et la distance moyenne entre les atomes ou les objets présents dans la zone analysée dont les dimen- sions sont typiquement millimétriques. Un principe étonnamment simple Le principe des microscopes à sonde locale est fondé sur le déplacement d’une sonde le long de la surface, à la manière du faisceau d’électrons dans un MEB. La sonde est une pointe solide fine, effilée de façon que son extrémité soit constituée de quelques atomes seulement. Placée au voisinage immédiat de la surface, elle est en interaction avec celle-ci. Pour une intensité de l’interaction dépendant strictement de la distance pointe-surface, la trajectoire de la sonde lors du balayage le long de la surface reflétera, si cette interaction est maintenue constante, le relief de l’échantillon. Cependant, lorsque des hétérogénéités physico- chimiques superficielles perturbent l’interaction pointe-surface, le profil s’écarte du relief (figure 1). Pratiquement, tous ces microscopes ont en commun de nombreux éléments (figure 2). Ainsi, la sonde est fixée à un ensemble de céramiques piézoélectriques. Ces céramiques qui s’allongent ou se contractent sui- vant le signe de la tension appliquée, assurent des déplacements aussi petits que le picomètre (10 -12 m). Un dispositif électronique mesure en permanence Vue d’artiste du sondage par STM d’un nanotube de carbone suspendu vibrant. Tremani/Molecular Biophysics Group/Delft University of Technology (1) Un faisceau de moins d’un nm serait possible sur un prototype Hitachi.

Les microscopies à sonde locale: contact et manipulation · 2015-09-10 · lique et la surface conductrice. Ce courant tunnel dû à la nature quantique des électrons (encadré

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Page 1: Les microscopies à sonde locale: contact et manipulation · 2015-09-10 · lique et la surface conductrice. Ce courant tunnel dû à la nature quantique des électrons (encadré

CLEFS CEA - N° 52 - ÉTÉ 2005 91

Les microscopies à sonde locale:contact et manipulationL’invention du microscope à effet tunnel a été une étape déterminante du développement des nanosciences.Cet instrument permet en effet non seulement d’observer mais aussi de déplacer un à un des atomes et de les assembler de façon dirigée. Le microscope à force atomique, qui en dérive, se révèleparticulièrement bien adapté à l’exploration du nanomonde. Là aussi, la sonde de l’instrument constitue, dans des conditions particulières, un nano-outil qui permetl’élaboration de nanostructures superficielles artificielles.

Pour caractériser,voire élaborer les nano-objets, lesmicroscopies électroniques conventionnelles (voir

Les microscopies électroniques conventionnelles : trans-mission et balayage), bien appropriées à certaines pro-blématiques, restent inopérantes dans de nombreuxcas. Par exemple, des mesures précises du relief d’unéchantillon à l’aide d’un microscope électronique àbalayage (MEB, en anglais SEM), nécessitent untraitement complexe du signal. Si des informationschimiques sont accessibles en analysant les photonsgénérés lors de l’impact du faisceau d’électrons surl’échantillon, la résolution latérale directement liée audiamètre du faisceau est,au mieux,de quelques nano-mètres(1). En conséquence, les MEB sont inadaptésdans de nombreux systèmes intéressant les nano-sciences et les nanotechnologies.Par exemple, la struc-ture de couches moléculaires auto-assemblées restehors de portée pour deux raisons. La première est quela forte densité d’énergie déposée par le faisceau électro-nique risque de dégrader la couche.La seconde est liéeà la taille des molécules, généralement bien inférieureau diamètre du faisceau.En microscopie électroniqueà transmission (MET, en anglais TEM), la résolutionatomique est obtenue, mais elle correspond à la pro-jection sur un écran de colonnes atomiques parallèlesau faisceau.Une avancée majeure dans le développement des nano-sciences a été l’invention en 1981 de la microscopie àeffet tunnel (Scanning Tunneling Microscopy ou STM)dans les laboratoires IBM à Zurich par Gerd Binnig etHeinrich Rohrer. À l’aide d’un tel microscope, ceschercheurs réussissent à dresser la cartographie, à l’échelle atomique, d’une surface d’or puis de silicium.Pour cette invention, ils partageront le prix Nobelde physique 1986 avec Ernst Ruska, à l’origine de lamicroscopie électronique conventionnelle dans lesannées 1930. C’est aussi en 1986 que Binnig proposeun nouvel instrument qu’il nomme Atomic ForceMicroscope (AFM), microscope à force atomique, quidérive du STM. Ce dispositif, qui met en jeu des for-ces très faibles (~10-9 N), permet d’explorer la surfacede tout type de solide. Particulièrement bien adaptéà l’exploration du nanomonde, cet outil caractériseles propriétés superficielles locales,contrairement auxtechniques de diffraction qui informent sur la symé-trie et la distance moyenne entre les atomes ou lesobjets présents dans la zone analysée dont les dimen-sions sont typiquement millimétriques.

Un principe étonnamment simple

Le principe des microscopes à sonde locale est fondésur le déplacement d’une sonde le long de la surface,à la manière du faisceau d’électrons dans un MEB. Lasonde est une pointe solide fine, effilée de façon queson extrémité soit constituée de quelques atomesseulement.Placée au voisinage immédiat de la surface,elle est en interaction avec celle-ci. Pour une intensitéde l’interaction dépendant strictement de la distancepointe-surface,la trajectoire de la sonde lors du balayagele long de la surface reflétera, si cette interaction estmaintenue constante, le relief de l’échantillon.Cependant, lorsque des hétérogénéités physico-chimiques superficielles perturbent l’interactionpointe-surface, le profil s’écarte du relief (figure 1).Pratiquement, tous ces microscopes ont en communde nombreux éléments (figure 2). Ainsi, la sonde estfixée à un ensemble de céramiques piézoélectriques.Ces céramiques qui s’allongent ou se contractent sui-vant le signe de la tension appliquée, assurent desdéplacements aussi petits que le picomètre (10-12 m).Un dispositif électronique mesure en permanence

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(1) Un faisceau de moins d’un nm serait possible sur unprototype Hitachi.

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Figure 1.En haut, trajectoire de la position moyennede la sonde d’un microscope à sondelocale le long d’une surface tandis qu’unsystème ajuste Z pour que l’interactionpointe-surface reste constante. Quand la surface est homogène, cette trajectoirereflète la topographie. Lorsqu’elleprésente une hétérogénéité chimique(zone grise) qui modifie cette interaction,la trajectoire est modifiée.Au centre, principe de l’AFM en modecontact. La pointe en contact répulsif avec la surface exerce une forceperpendiculaire à la surface, égale au produit de la raideur du ressort par la déviation. La flèche verte repère cetécart entre la position loin de la surface(ligne tirettée) et le contact. La trajectoirede la pointe (en bleu) correspond à latopographie, sauf au-dessus d’unehétérogénéité où l’interaction pointe-surface change.En bas, principe des AFM vibrants. Loin dela surface, le ressort vibre à sa fréquencede résonance f0 avec une amplitude A0.Lorsque la pointe interagit avec la surface,la résonance du ressort est modifiée. La position moyenne de la sonde peut êtreajustée de deux façons: en a), l’amplitudediminue d’une quantité donnée àfréquence fixe (modulation d’amplitude);en b) la fréquence est décalée d’un écartdonné à amplitude constante (modulationde fréquence).

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Observer et organiser le nanomonde

l’interaction pointe/surface et, grâce à un système d’asservissement,ajuste continûment la tension appli-quée à la céramique Z afin que l’interaction reste égaleà une consigne fixée par l’opérateur. Dans ces condi-tions, la pointe ou sa position moyenne reste à unedistance constante de la surface de l’échantillon. Endéplaçant la sonde le long de la surface à l’aide descéramiques piézoélectriques X et Y par un balayagepoint par point, on obtient une série de profils d’iso-intensité de l’interaction pointe/surface. La juxtapo-sition de ces profils, visualisée sur un écran d’ordina-teur, forme une nappe qui correspond à Vz = f (Vx,Vy)avec Vx,y,z les tensions appliquées aux céramiques X,Y et Z. Cette nappe représente généralement la topo-graphie de la surface.Pour obtenir des images topographiques de qualitéindépendamment de la nature de l’interaction pointe-

surface choisie, il faut surmonter une difficulté tech-nique majeure : la suppression de toute vibration. Eneffet,une variation intempestive de la distance sonde-surface due à des vibrations provoque une réactionde la boucle d’asservissement et donc un “relief”dans l’image. L’élimination de ces vibrations devient trèsdifficile quand on travaille à l’échelle atomique avecdes amplitudes de relief mesurées aussi faibles quequelques picomètres.Deux systèmes sont mis en œuvrepour les supprimer : des suspensions qui permettentde s’affranchir de toutes les vibrations du laboratoireet une excellente stabilité des systèmes mécaniquesqui déplacent l’échantillon en regard de la sonde lorsde l’approche grossière. Ces systèmes de déplacementmillimétrique sont utilisés pour que la surface parvienneà portée de la sonde car l’élongation de la céramiqueZ atteint au maximum 10 m.

L’extraordinaire développement de la microscopie à effet tunnel

La microscopie à effet tunnel a connu depuis son inven-tion un développement extraordinaire qui s’expliquepar sa simplicité et par la qualité des informationsobtenues puisque la résolution atomique a été atteintesur de nombreux systèmes.Dans un STM,l’interactionpointe-surface est mesurée par le nombre d’électronsqui circulent par effet tunnel entre la sonde métal-lique et la surface conductrice. Ce courant tunnel dûà la nature quantique des électrons (encadré G)n’apparaît que lorsque la distance sonde-surface estau plus égale au nanomètre et pour une faible tensionappliquée à la jonction (Vt < 3 V).Dans une descriptiontrès simplifiée de ce couple d’électrodes presque join-tives, l’intensité du courant tunnel (It) dépend expo-nentiellement de la distance pointe-échantillon(2).Typiquement, un courant d’une intensité de l’ordredu nanoampère (10-9A) s’établit entre pointe et surface.C’est cette décroissance exponentielle du courant avecla distance qui explique l’extrême résolution spatialede la STM. Ainsi, le courant tunnel est multiplié par10 quand la pointe se rapproche de la surface de0,1 nm! Une autre conséquence de cette dépendanceest que l’atome de la pointe le plus proche de la surfaceassure le transit de la majorité des électrons. De cefait, les dimensions utiles de la sonde sont celles d’unseul atome.Après préparation sous ultravide, la surface d’unmonocristal de cuivre présente des zones planesappelées terrasses séparées par des marches de hau-teur monoatomique (0,8 nm) (figure 3). Dans ce cas,l’amplitude mesurée du relief dû aux atomes est de10 pm (0, 01 nm). Le STM permet aussi d’étudierdes surfaces plongées dans un liquide. Lorsque leliquide est un conducteur électrique, une protectionisolant le corps de la pointe du liquide est nécessaire.Bien évidemment, l’extrême pointe doit rester décou-verte pour laisser le passage aux électrons qui trans-itent par effet tunnel. Des études in situ en cellulesélectrochimiques montrent la croissance atome paratome d’un dépôt métallique sur une surface d’or.Dans le cas de liquides isolants comme certains hydro-carbures, la pointe plonge dans le liquide et explorel’interface liquide-solide sans autre précaution. Parexemple, les chercheurs du CEA ont travaillé avecune solution diluée de fullerènes (C60) dans du tétra-

Figure 2. Vue schématique d’un microscope à sonde locale, constitué de trois parties. L’ordinateur

assure l’interface homme-machine, enregistre et visualise les données. L’électronique de commande pilote la mécanique et régule la tension Vz pour que le signal reste égal à la consigne. La mécanique, enfin, doit être bien isolée des vibrations du laboratoire.

La sonde est solidaire de céramiques qui la déplacent dans un volume maximum de100 � 100 � 10 µm3, l’ensemble occupant typiquement un volume de 10 � 10 � 10 cm3.

Le système d’approche de l’échantillon doit être extrêmement stable.

Z

Vcos �0t a

b

zone d’interaction

échantillon

mesure du signalet comparaison

à la consigne

module de commande

de balayage X,Y

ajustement en Z

suspension

A

Y

Z

X

▲▲

▲▲

Y

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decane (C14H30). Une couche moléculaire organiséede C60, qui couvre partiellement une surface d’or, seforme spontanément à l’interface (figure 4). Les ima-ges STM de cette couche montrent que chaque molé-cule de C60 se présente sous la forme d’une protu-bérance séparée de sa voisine par 1 nm.Au-delà de l’imagerie de la structure superficielle,des mesures spectroscopiques (on parle de STS, pourScanning Tunneling Spectroscopy) peuvent être réali-sées. Elles consistent, par exemple, en mesurant lecourant tunnel en fonction de la tension de polari-sation appliquée entre la pointe et le substrat à tra-cer des courbes I = f(V) pour une distance pointe-échantillon fixe. Ces mesures renseignent sur lesdensités électroniques de la surface avec une excel-lente résolution spatiale.

Puissance et polyvalencede la microscopie à force atomique

La microscopie à force atomique, basée sur la mesurede la force (F) ou du gradient de force (�F/�z) entreune sonde et la surface, apparaît comme une tech-nique extrêmement puissante et polyvalente.Contrairement à la STM, limitée aux échantillonsconducteurs, elle permet l’exploration de la surfacede tous les types de solides.Le principe en est simple. L’extrémité libre d’unemince lame en silicium ou en nitrure de silicium(typiquement L = 300 µm, l = 40 µm; e = 5 µm), quijoue le rôle de ressort, présente une pointe qui consti-tue la sonde. Quand la pointe est en interaction avecla surface, la force qui se développe fléchit cette lamepar rapport à sa position loin de la surface.Cette flexionest souvent mesurée par la déviation d’un fin faisceaulaser. Connaissant l’amplitude de cette déviation et laraideur du ressort, il est facile d’évaluer la force quis’établit entre la pointe et la surface. Pour une pointeconductrice et la surface d’un métal non magnétique,plusieurs forces contribuent à l’interaction pointe-surface quand la distance entre pointe et échantillondiminue.Loin de la surface,des forces attractives ditesde Van der Waals s’exercent puis,quand la pointe vienten contact avec la surface, ce sont des forces répul-sives.Les forces se développant entre pointe et surfacevarient donc de façon non monotone avec la distance.Cette variation rend difficile la régulation de la posi-tion de la sonde par rapport à la surface puisquecertaines intensités de forces correspondent à deuxdistances d’équilibre. L’autre difficulté résulte du faitque des forces interagissent à longue distance : le flancde la pointe sonde contribue donc aux forces détec-tées par le ressort. C’est l’une des raisons pourlesquelles il est plus difficile d’obtenir la résolutionatomique avec un AFM qu’avec un STM.Différents modes de fonctionnement de l’AFM sontpossibles.En se limitant aux plus courants,on distinguele mode contact (où la pointe touche, au sens classique,la surface) et deux modes vibrants dans lesquels la lamedu ressort vibre au voisinage immédiat de la surface à une fréquence proche de sa résonance mécanique.

Mode contactLe principe de ce mode est illustré figure 1 (au centre),p. 92. La pointe est en contact répulsif avec la surface.L’intensité de la force appliquée par la pointe sur la sur-face supposée rigide dépend de la raideur du ressort etde la déviation de celui-ci par rapport à sa position aurepos. En balayant la surface avec la pointe tout en gar-dant constante la flexion du ressort, la trajectoire de lapointe reproduit le relief de la surface. Cependant, dufait du contact et du balayage, une force de frictions’établit.L’expérience montre qu’une variation locale decette force perturbe la mesure de la déviation du ressort.Par conséquent, l’image AFM altérée par des variationslocales de la force de friction peut être différente durelief réel de l’échantillon. Lors de mesures à l’air, laforce réellement développée entre la pointe et la sur-face dépend aussi de l’humidité ambiante. La couchehydratée recouvrant la surface forme un ménisque quiapplique une force supplémentaire due à la capillarité.Malgré les limitations de la technique, des informa-tions uniques deviennent accessibles avec un AFM enmode contact. C’est, en particulier, le cas de la topo-graphie superficielle des matériaux diélectriques quireste difficilement observable avec les microscopiesélectroniques conventionnelles, car ces matériauxaccumulent les charges électriques dues à l’impact des

(2) Comme le montre l’équation : It = I0 exp (-2� d), où d est la distance pointe-échantillon avec � constant et égal à ~ 0,1 nm-1

et I0 qui dépend de V et de la nature des matériaux constituantla pointe et la surface.

Figure 3.Image STM d’une surface propre de cuivre (001) sous ultravideà température ambiante (aire 6,3 � 6,3 nm, l’axe z est codé ennuances de gris). La surface est formée de terrasses planes oùles atomes séparés par 0,26 nm présentent un arrangement encarré (relief associé aux atomes 0,01 nm). La symétrie d’ordre4 de l’arrangement des atomes est clairement visible sur cesterrasses. Une coupe suivant la ligne rouge montre le relief. La marche monoatomique a une hauteur égale à 0,18 nm.La disposition des atomes en bord de marche est mal définiepour deux raisons: les conditions d’imagerie sont localementperturbées car plusieurs atomes de la pointe contribuent au passage du courant et les atomes de cuivre bougent à la température ambiante. À noter qu’un STM est capable de positionner deux objets macroscopiques (la pointe et l’échantillon) avec une précision qui atteint 10-12 m! J.

Cou

sty

Figure 4.Image STM obtenue àl’interface entre un liquide et une surface d’or (aire50 � 36 nm2). Le liquidecontient des molécules de C60

(fullerène) qui s’adsorbent ets’auto-organisent à la surfacedu métal. Des îlots se formentavec un arrangementhexagonal compact demolécules séparées par 1 nm comme le montrel’agrandissement. Deslacunes et des défauts dansl’arrangement moléculairesont clairement observables.Cette structure moléculaireest comparable à celleobtenue en déposant sousvide les mêmes molécules.

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Couplage d’un microscope à effet tunnel et d’unmicroscope atomique, au CEA/Grenoble, dédié aux études d’électroniqueorganique et moléculaire,principalement sur l’auto-organisation des systèmesmoléculaires.

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L. P

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Figure 5.Image AFM mode contactde la surface d’unmonocristal d’alumineillustrant son évolutionmorphologique à l’issue du refroidissement aprèsun recuit à l’air. Aprèsrecuit à 1200 °C, la surfaceprésente des marchesrectilignes (h~1 nm) et des terrasses. Un recuità 1500 °C de 4 h provoque la formation de facettessur les marches dont leprofil est en dents de scie.

G

La physique quantique prédit des com-portements inhabituels et difficiles à

accepter par notre intuition immédiate,comme l’effet tunnel. Prenons le cas d’unebille devant franchir une bosse. En phy-sique classique, si l’énergie communiquéeà la bille est insuffisante, elle ne peut pasfranchir la bosse et retombe vers son pointde départ. En physique quantique, uneparticule (proton, électron) peut franchirla bosse, même si son énergie initiale estinsuffisante: elle peut passer de l’autrecôté comme par un petit tunnel. L'effettunnel peut ainsi permettre à deux protonsde surmonter leur répulsion électrique àdes vitesses relatives plus basses quecelles qu'indique le calcul classique. Lamicroscopie à effet tunnel est basée surle fait qu’il y a une probabilité non nullequ’une particule d’énergie inférieure à lahauteur d’une barrière de potentiel (la

bosse) puisse la franchir. Les particulessont des électrons traversant l’espaceséparant deux électrodes, une fine pointemétallique terminée par un atome uniqueet la surface métallique ou semi-conduc-trice de l’échantillon. La physique clas-sique donne d’une surface l’image d’unefrontière étanche, les électrons étant stric-tement confinés à l’intérieur du solide. Parcontre, la physique quantique enseigneque chaque électron a un comportementondulatoire : sa position est “floue”. Enparticulier, au voisinage de la surface existeun nuage d’électrons dont la densité décroîttrès rapidement, de façon exponentielle,lorsque l’on s’éloigne du solide. L’électrona une certaine probabilité de se trouver“en dehors” du solide. Quand la fine pointemétallique est approchée de la surface, àune distance inférieure au nanomètre, lafonction d’onde associée à l’électron n’est

pas nulle de l’autre côté de la barrière depotentiel, et les électrons passent de lasurface à la pointe, et réciproquement, pareffet tunnel. La barrière de potentiel fran-chie par les électrons est appelée barrièretunnel. Lorsqu’une faible tension est appli-quée entre la pointe et la surface, un cou-rant tunnel peut être détecté. La pointe etla surface étudiée forment localement unejonction tunnel. L’effet tunnel se manifesteégalement dans les jonctions Josephsonoù un courant continu peut passer à tra-vers une étroite discontinuité entre deuxéléments supraconducteurs. Dans untransistor, l’effet tunnel peut se révélerde manière parasite quand l’isolant degrille devient très mince (de l’ordre dunanomètre). Il est par contre mis à pro-fit dans de nouvelles architectures, telsles transistors à barrière tunnel Schottkyou à base de nanotubes de carbone.

L’effet tunnel, un phénomène quantique

CLEFS CEA - N° 52 - ÉTÉ 200594

Observer et organiser le nanomonde

électrons. Des observations par AFM à l’air montrentque la surface d’un cristal d’oxyde d’aluminium pré-sente aussi des terrasses et des marches. Pendant unrecuit à l’air à 1500 °C, la densité de marches et leurforme évoluent (figure 5).

Modes vibrantsLes AFM fonctionnant en mode vibrant permettent des’affranchir de certaines limitations rencontrées en modecontact. En particulier, les difficultés associées aux for-ces de frictions sont minimisées.Dans ce mode,une ten-sion V(3) excite généralement une petite céramique pié-zoélectrique supportant le ressort. Celui-ci oscille alorsà sa fréquence de résonance mécanique (f0) avec uneamplitude A0 quand la pointe est loin de la surface.Quand elle interagit avec elle,l’amplitude et la fréquencedu ressort vibrant sont altérées. Cela conduit à deuxmodes opératoires : l’un où l’amplitude est atténuéed’une quantité donnée et un second où la fréquence estdécalée (figure 1, en bas).Dans le mode “modulation d’amplitude”(en a),la posi-tion moyenne de la pointe par rapport à la surface estajustée avec la céramique piézoélectrique Z pour quel’amplitude de vibration du ressort soit diminuée d’unequantité donnée par rapport à A0 à une fréquence fixée.Ce mode est très robuste en utilisation à l’air et conduità des résultats reproductibles, car le film hydraté quirecouvre les échantillons devient moins gênant qu’enmode contact. Pour des atténuations importantes, lapointe touche à chaque cycle la surface, ce qui permetd’obtenir une bonne résolution selon l’axe z, compa-rable à celle obtenue en mode contact. Ce mode,parfois nommé tapping mode, est très utilisé pour les études à l’air et sur des échantillons fragiles (couchesorganiques ou objets biologiques). De plus, l’enregis-trement simultané des conditions d’excitation du ressort informe sur la variation locale du couplagepointe-surface liée à des hétérogénéités chimiques.

Ainsi, on dispose de la topographie et d’informationssur la chimie locale de l’échantillon.Dans le mode “modulation de fréquence”de la vibra-tion du ressort (en b), la position moyenne de la pointepar rapport à la surface est ajustée avec la céramiquepiézoélectrique Z pour que le décalage en fréquencepar rapport à f0 reste constant à amplitude donnée.C’est en utilisant ce mode sous vide que la résolutionatomique a été obtenue sur différents matériauxcomme le silicium, des cristaux ioniques ou l’alu-mine… Une analyse détaillée du mouvement de lapointe montre que le décalage en fréquence est pro-portionnel au gradient local de force pour de faiblesamplitudes de vibration. L’origine du contraste deces images à haute résolution est encore discutée(figure 6). Bien sûr, les images AFM et STM mon-trent la même structure atomique. Cependant, onobserve de légères différences de contraste qui résul-tent de la nature différente des interactions entresonde et surface entre les deux techniques.Par ailleurs, la force ou le gradient de force utiliséspour cartographier des surfaces peuvent résulter dedifférents types d’interaction pointe-surface qui don-nent accès à de nouvelles informations après un trai-tement adapté des données.Ainsi,pour des matériauxmagnétiques ou diélectriques ayant piégé des chargesélectriques, des forces supplémentaires couplent lasurface et une pointe adaptée à l’interaction. En sépa-rant par des techniques spécifiques les différentescontributions dues à ces forces supplémentaires, il estpossible d’établir la cartographie des propriétés magné-tiques ou électriques de l’échantillon simultanémentavec la simple topographie de la surface. Cette adap-tabilité de l’AFM à de nouvelles problématiques engen-dre, aujourd’hui encore, un effort soutenu d’instru-mentation.

(3) Où V = V0 sin (2�f0t + ϕ).

1 µm 1 µm

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Les microscopes à sonde locale comme nano-outils

La pointe des microscopes à sonde locale téléguidéepar l’opérateur peut aussi localement façonner la surface. La séquence consiste à observer cette surface(état initial) puis à la modifier par une procédure par-ticulière et enfin à observer les modifications réalisées.Plusieurs procédures ont été utilisées pour sculpter,à l’échelle nanométrique ou même atomique, une surface. Par exemple, la pointe déplace des atomesadsorbés aléatoirement sur la surface et les arrangeen nanostructure artificielle. La pointe peut, grâce àun pulse de tension, décomposer des molécules orga-nométalliques formant un dépôt local ou extraire des atomes de la surface. D’autres modes d’action ont été explorés conduisant à des altérations plus oumoins maîtrisées de l’échantillon. Ces procédures sont coûteuses en temps car la pointe doit parcourirchaque nano-objet que l’on veut créer.

De nouvelles évolutions attendues

Les nanosciences et les nanotechnologies nécessitentdes investigations structurales et physico-chimiquesaux échelles comprises entre l’atome et le micromè-tre. Parmi les microscopes à champ proche, le STMreste l’instrument privilégié pour des investigationsà l’échelle atomique de la surface d’échantillonsconducteurs ou de couches ultra-minces isolantesdéposées sur un substrat conducteur.La microscopie AFM s’avère très polyvalente endonnant accès à une grande variété d’informations.Au-delà de la topographie superficielle de tous typesde matériaux, des cartographies de la variation deforces magnétique, électrostatique ou chimique ontdéjà été réalisées. L’AFM devrait encore évoluer, carde nouvelles sondes supprimant la détection optiquede la déviation du ressort sont actuellement testées.Les microscopes à sonde locale comme outils pourgénérer des nano-objets ou des nanostructures souf-frent d’une limitation liée à leur principe. La pointe,le nano-outil, se déplace lentement le long de la sur-face ce qui conduit à un temps “d’usinage” très long.Différentes solutions ont été proposées pour réduirecette durée. Par exemple, un peigne comprenant plu-sieurs centaines de ressorts actionnés individuellementpermet le travail en parallèle des nano-outils réduisantainsi la durée totale d’usinage.

> Jacques Cousty*Direction des sciences de la matière

CEA centre de Saclay* Assisté de Laurent PhamVan,

Christophe Lubin, François Thoyer et Aldo Vittiglio

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Série d’images STM présentant quelques étapes del’arrangement d’atomes de manganèse sur une surfaced’argent, refroidie à 4,6 K, sur laquelle des atomes demanganèse ont été déposés (aire 32 � 32 nm2). Dans l’image 1,les points blancs correspondent aux atomes de manganèse(Mn) répartis aléatoirement sur la surface. Dans les imagessuivantes, l’opérateur se sert de la pointe du STM de deuxfaçons: 1) comme sonde, afin d’imager le relief; 2) comme outil,pour déplacer certains atomes. Cette fonction est obtenue enrapprochant délicatement la pointe de la surface par rapport à sa position dans le mode image. Ainsi, l’interaction entre un atome adsorbé et la pointe augmente et l’atome accroché à la pointe suit la pointe quand elle est déplacée. L’atome de Mn “glisse” ainsi le long de la surface. Une fois celui-ci arrivé à l’emplacement choisi, la pointe est éloignée de la surface, laissant l’atome sur place. Cette séquence très délicate doit être répétée pour chaqueatome. Finalement, les lettres CAU (pour Christian-AlbrechtUniversität) ont été dessinées à l’aide de quelques dizainesd’atomes en environ une heure.

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Figure 6.Image à résolution atomique d’une surface (111) de silicium par AFM en mode modulation defréquence obtenue sous vide à température ambiante. Chaque bosse correspond à un atome desilicium. Ces atomes superficiels se réorganisent suivant un nouveau réseau décrit par unegrande maille à cause des liaisons pendantes dues à la présence de la surface. Cette maille (traitnoir) correspond à celle obtenue par STM. La coupe suivant la ligne blanche montre le relief.Toutefois, il existe des différences dans les hauteurs relatives des atomes mesurées dans lesimages STM et AFM.

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A

Afin de se représenter plus aisé-ment les dimensions des objets

micro et nanoscopiques*, il est pra-tique de procéder à des comparaisonset courant de faire correspondre diffé-rentes échelles, par exemple celle dumonde du vivant, de la molécule àl’homme, et celle des objets manipulésou fabriqués par lui (figure). Cettecorrespondance entre “artificiel” et“naturel” permet, par exemple, de voirque des nanoparticules fabriquéesartificiellement sont plus petites quedes globules rouges.Un autre mérite de cette juxtapositionest d’illustrer les deux grandes façons

Tranche de silicium de 300 mm réalisée par l’Alliance Crolles2, illustration de la démarchetop-down actuelle de la microélectronique.

Artech

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Du monde macroscopique au nanomonde, ou l’inverse…

d’élaborer des objets ou des systèmesnanométriques : la voie descendante(top-down) et la voie ascendante(bottom-up). Deux chemins mènent eneffet au nanomonde : la fabricationmoléculaire, qui passe par la mani-pulation d’atomes individuels et laconstruction à partir de la base, etl’ultraminiaturisation, qui produit dessystèmes de plus en plus petits.La voie descendante est celle du mondeartificiel, qui part de matériaux macro-scopiques, ciselés par la main del’homme puis par ses instruments: c’estelle qu’a empruntée l’électroniquedepuis plusieurs dizaines d’années,principalement avec le silicium commesubstrat, et ses “tranches” (wafers)comme entités manipulables. C’estd’ailleurs la microélectronique qui alargement contribué à donner à cettevoie le nom anglais sous laquelle elle

est connue. Mais il ne s’agit plus seu-lement d’adapter la miniaturisation dela filière silicium actuelle, mais ausside prendre en compte, pour s’en pré-munir ou les utiliser, les phénomènesphysiques, quantiques en particulier,qui apparaissent aux faibles dimen-sions.La voie ascendante peut permettre depasser outre ces limites physiques etaussi de réduire les coûts de fabrica-tion, en utilisant notamment l’auto-assemblage des composants. C’est elleque suit la vie en pratiquant l’assem-blage de molécules pour créer des pro-téines, enchaînement d’acides aminésque des super-molécules, les acidesnucléiques (ADN, ARN), savent faire pro-duire au sein de cellules pour formerdes organismes, les faire fonctionner etse reproduire tout en se complexifiant.Cette voie, dite “bottom-up”, vise à orga-

niser la matière à partir de “briques debase”, dont les atomes eux-mêmes sontles plus petits constituants, à l’instardu monde vivant. La nanoélectroniquedu futur cherche à emprunter cette voied’assemblage pour aboutir à moindrecoût à la fabrication d’éléments fonc-tionnels.Les nanosciences peuvent ainsi êtredéfinies comme l’ensemble des recher-ches visant à la compréhension despropriétés (physiques, chimiques etbiologiques) des nano-objets ainsiqu’à leur fabrication et à leur assem-blage par auto-organisation.Les nanotechnologies regroupent l’en-semble des savoir-faire qui permet-tent de travailler à l’échelle molécu-laire pour organiser la matière afin deréaliser ces objets et matériaux, éven-tuellement jusqu’à l’échelle macro-scopique.

*Du grec nano qui signifie “tout petit”et est utilisé comme préfixe pour désigner le milliardième (10-9) d’une unité. Enl’occurrence, le nanomètre (1 nm = 10-9 m,soit un milliardième de mètre) est l’unitéreine du monde des nanosciences et desnanotechnologies.

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A

mondevivant

voie ascendante“bottom-up”

monde artificielvoie

descendante“top-down”

homme2 m

véhicule individuel 2 m

papillon5 cm

téléphone portable 10 cm

fourmi1 cm

puce de carte 1 cm

puce1 mm

grain de pollen 10 µm à 20 µm

cheveu 50 µm(diamètre)

globule rouge5 µm

virus 0,1 µm

ADN3,4 nm

molécule quelques Å

microsystème 10-100 µm

interconnexions de circuit intégré

1-10 µm

transistor “Cooper”

1 µm

nanotransistor 20 nm

nanoparticule10 nm

boîte quantique5 nm

atome 1 nm

(Suite)

0,1 nm

10-10 m 10-9 m 10-8 m 10-7 m 10-6 m 10-5 m 10-4 m 10-3 m 10-2 m 10-1 m

1 nm

nanomonde

10 nm 100 nm 1 µm 10 µm 100 µm 1 mm 1 cm 10 cm 1 m

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A. Ponchet, CNRS/CEMES

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Artechnique/CEA

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B

La physique quantique (historique-ment dénommée mécanique quan-

tique) est l’ensemble des lois physiquesqui s’appliquent à l’échelle microsco-pique. Fondamentalement différentesde la plupart de celles qui semblents’appliquer à notre propre échelle, ellesn’en constituent pas moins le socle glo-bal de la physique à toutes ses échel-les. Mais à l’échelle macroscopique, sesmanifestations ne nous apparaissentpas étranges, à l’exception d’un certainnombre de phénomènes a prioricurieux, comme la supraconductivitéou la superfluidité , qui justement nes’expliquent que par les lois de laphysique quantique. Au demeurant, lepassage du domaine de validité des loisparadoxales de cette physique à celuides lois, plus simples à imaginer, de laphysique classique peut s‘expliquerd’une façon très générale, comme celasera évoqué plus loin.La physique quantique tire son nomd’une caractéristique essentielle desobjets quantiques: des caractéristiquescomme le moment angulaire (spin) desparticules sont des quantités discrètesou discontinues appelées quanta, quine peuvent prendre que des valeursmultiples d’un quantum élémentaire. Ilexiste de même un quantum d’action(produit d’une énergie par une durée)

appelé constante de Planck (h), dont lavaleur est de 6,626·10-34 joule·seconde.Alors que la physique classique distin-gue ondes et corpuscules, la physiquequantique englobe en quelque sorte cesdeux concepts dans un troisième, quidépasse la simple dualité onde-cor-puscule entrevue par Louis de Broglie,et qui, quand nous tentons de l’appré-hender, semble tantôt proche du pre-mier et tantôt du deuxième. L’objet quan-tique constitue une entité inséparablede ses conditions d’observation, sansattribut propre. Et cela, qu’il s’agissed’une particule – en aucun cas assimi-lable à une bille minuscule qui suivraitune quelconque trajectoire – de lumière

(photon) ou de matière (électron, proton,neutron, atome…).Cette caractéristique donne toute sa forceau principe d’incertitude d’Heisenberg,autre base de la physique quantique.Selon ce principe (d’indéterminationplutôt que d’incertitude), il est impos-sible de définir avec précision à un instantdonné à la fois la position d’une parti-cule et sa vitesse. La mesure, qui restepossible, n’aura jamais une précisionmeilleure que h, la constante de Planck.Ces grandeurs n’ayant pas de réalitéintrinsèque en dehors du processusd’observation, cette déterminationsimultanée de la position et de la vitesseest simplement impossible.

Quelques repères de physique quantique

“Vue d’artiste” de l’équation de Schrödinger.

D. S

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CEA

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C’est qu’à tout instant l’objet quantiqueprésente la caractéristique de superpo-serplusieurs états, comme une onde peutêtre le résultat de l’addition de plusieursautres. Dans le domaine quantique, lahauteur d’une onde (assimilable à celled’une vague par exemple) a pour équi-valent une amplitude de probabilité (ouonde de probabilité), nombre complexeassocié à chacun des états possibles d’unsystème qualifié ainsi de quantique.Mathématiquement, un état physiqued’un tel système est représenté par unvecteur d’état, fonction qui, en vertu duprincipe de superposition, peut s’ajouterà d’autres. Autrement dit, la somme dedeux vecteurs d’état possibles d’un sys-tème est aussi un vecteur d’état possibledu système. De plus, le produit de deuxespaces vectoriels est aussi la sommede produits de vecteurs, ce qui traduitl’intrication: un vecteur d’état étant géné-ralement étalé dans l’espace, l’idée delocalité des objets ne va plus de soi. Dansune paire de particules intriquées, c’est-à-dire créées ensemble ou ayant déjàinteragi l’une sur l’autre, décrite par leproduit et non par la somme de deux vec-teurs d’état individuels, le destin de cha-cune est lié à celui de l’autre, quelle quesoit la distance qui pourra les séparer.Cette caractéristique, également appe-lée l’enchevêtrement quantique d’états, a

des implications vertigineuses, sansparler des applications imaginables, dela cryptographie quantique à – pourquoine pas rêver? – la téléportation.Dès lors, la possibilité de prévoir le com-portement d’un système quantique n’estqu’une prédictibilité probabiliste et sta-tistique. L’objet quantique est en quelquesorte une “juxtaposition de possibles”.Tant que la mesure sur lui n’est pas faite,la grandeur censée quantifier la pro-priété physique recherchée n’est passtrictement définie. Mais dès que cettemesure est engagée, elle détruit lasuperposition quantique, par réductiondu paquet d’ondes, comme WernerHeisenberg l’énonçait en 1927.Toutes les propriétés d’un système quan-tique peuvent être déduites à partir del’équation proposée l’année précédentepar Erwin Schrödinger. La résolution decette équation de Schrödinger permetde déterminer l’énergie du système ainsique la fonction d’onde, notion qui a donctendance à être remplacée par celled’amplitude de probabilité.Selon un autre grand principe de la phy-sique quantique, le principe (d’exclu-sion) de Pauli, deux particules identiquesde spin 5 (c’est-à-dire des fermions, enparticulier les électrons) ne peuvent avoirà la fois la même position, le même spinet la même vitesse (dans les limites

posées par le principe d’incertitude),c’est-à-dire se trouver dans le mêmeétat quantique. Les bosons (en particulierles photons), ne suivent pas ce principeet peuvent se trouver dans le même étatquantique.La coexistence des états superposésdonne sa cohérence au système quan-tique. Dès lors, la théorie de la déco-hérence quantique peut expliquer pour-quoi les objets macroscopiques ont uncomportement “classique” tandis queles objets microscopiques, atomes etautres particules, ont un comportementquantique. Plus sûrement encore qu’undispositif de mesure pointu, “l’environ-nement” (l’air, le rayonnement ambiant,etc.) exerce son influence, éliminantradicalement toutes les superpositionsd’état à cette échelle. Plus le systèmeconsidéré est gros, plus il est en effetcouplé à un grand nombre de degrés deliberté de cet environnement. Et doncmoins il a de “chances” – pour resterdans la logique probabiliste – de sau-vegarder une quelconque cohérencequantique.

B (Suite)

POUR EN SAVOIR PLUSÉtienne KLEIN, Petit voyage dans le monde des quanta, Champs,Flammarion, 2004.

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C

La fabrication des puits quantiquesutilise la technique d’épitaxie (du

grec taxi (ordre) et epi (dessus) par jetsmoléculaires (en anglais MBE, pourMolecular Beam Epitaxy). Le principe decette technique de dépôt physique,développée initialement pour la crois-sance cristallinedes semi-conducteursde la famille III-V, est fondé sur l’éva-poration des différents constituantspurs du matériau à élaborer dans uneenceinte où est maintenu un vide poussé(pression pouvant être de l’ordre de5·10-11 mbar) afin d’éviter toute pollu-tion de la surface. Un ou des jets ther-miques d’atomes ou de moléculesréagissent sur la surface propre d’unsubstrat monocristallin, placé sur unsupport maintenu à haute température(quelques centaines de °C), qui sert detrame pour former un film dit épi-taxique. Il est ainsi possible de fabri-quer des empilements de couches aussifines que le millionième de millimètre,c’est-à-dire composées de seulementquelques plans d’atomes.

Les éléments sont évaporés ou subli-més à partir d’une source de hautepureté, placée dans une cellule à effu-sion (chambre dans laquelle un fluxmoléculaire passe d’une région oùrègne une pression donnée à une régionde plus basse pression) chauffée pareffet Joule.La croissance du film peut être suiviein situet en temps réel en utilisant diver-ses sondes structurales et analytiques,en particulier des techniques d’étudede la qualité des surfaces et de leurstransitions de phase par diffractionélectronique en incidence rasante, LEED(pour Low energy electron diffraction) ouRHEED (pour Reflection high-energyelectron diffraction) et diverses métho-des spectroscopiques (spectroscopied’électrons Auger, SIMS (spectromé-trie de masse d’ions secondaires), spec-trométrie de photoélectrons XPS parrayons X et UPS (Ultraviolet photoelec-tron spectroscopy).La technique d’épitaxie par jets molé-culaires s’est étendue à d’autres semi-

conducteurs que les III-V, à des métauxet à des isolants, se développant avecles progrès des techniques d’ultravide.Le vide régnant dans la chambre decroissance, dont la conception varieen fonction de la nature du matériauà déposer, doit en effet être meilleureque 10-11 mbar pour permettre lacroissance d’un film de haute puretéet d’excellente qualité cristalline àdes températures de substrat relati-vement basses. Il s’agit de qualité devide lorsque le bâti est au repos. Pourla croissance d’arséniures, par exem-ple, le vide résiduel est de l’ordre de10-8 mbar dès que la cellule d’arse-nic est portée à sa température deconsigne pour la croissance.Le pompage pour atteindre ces per-formances fait appel à plusieurs tech-niques (pompage ionique, cryopom-page, sublimation de titane, pompes àdiffusion ou turbomoléculaires). Lesprincipales impuretés (H2, H2O, CO etCO2) peuvent présenter des pressionspartielles inférieures à 10-13 mbar.

L’épitaxie par jets moléculaires

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D

En décembre 1947, John Bardeenet Walter H. Brattain réalisaient le

premier transistor en germanium.Avec William B. Shockley, aux BellLaboratories, ils développaient l’annéesuivante le transistor à jonction et lathéorie associée. Au milieu des années1950, les transistors seront réalisés ensilicium (Si), qui reste aujourd’hui lesemi-conducteur généralement utilisé,vu la qualité inégalée de l’interface crééepar le silicium et l’oxyde de silicium (SiO2),qui sert d’isolant.

En 1958, Jack Kilby invente le circuitintégré en fabriquant cinq composantssur le même substrat. Les années 1970verront le premier microprocesseur d’Intel(2250 transistors) et les premières mémoi-res. La complexité des circuits intégrésne cessera de croître exponentiellementdepuis (doublement tous les deux-troisans, selon la “loi de Moore”) grâce à laminiaturisation des transistors.Le transistor (de l’anglais transfer resis-tor, résistance de transfert), composantde base des circuits intégrés micro-

électroniques, le restera mutatis mutan-dis à l’échelle de la nanoélectronique:adapté également à l’amplification,entre autres fonctions, il assume eneffet une fonction basique essentielle :laisser passer un courant ou l’inter-rompre à la demande, à la manière d’uncommutateur (figure). Son principe debase s’applique donc directement autraitement du langage binaire (0, le cou-rant ne passe pas; 1, il passe) dans descircuits logiques (inverseurs, portes,additionneurs, cellules mémoire).Le transistor, fondé sur le transport desélectrons dans un solide et non plusdans le vide comme dans les tubesélectroniques des anciennes triodes,est composé de trois électrodes (anode,cathode et grille) dont deux servent deréservoirs à électrons : la source, équi-valent du filament émetteur du tubeélectronique, le drain, équivalent de laplaque collectrice, et la grille, le “contrô-leur”. Ces éléments ne fonctionnent pasde la même manière dans les deuxprincipaux types de transistors utilisésaujourd’hui, les transistors bipolaires àjonction, qui ont été les premiers à êtreutilisés, et les transistors à effet de champ(en anglais FET, Field Effect Transistor).Les transistors bipolaires mettent enœuvre les deux types de porteurs decharge, les électrons (charges négati-ves) et les trous (charges positives), etse composent de deux parties de sub-strat semi-conducteur identiquement

Le transistor, composant de base des circuits intégrés

Figure.Un transistor MOS est un commutateur qui permet de commander le passage d’un courantélectrique de la source (S) vers le drain (D) à l’aide d’une grille (G) isolée électriquement du canal de conduction. Le substrat en silicium est noté B (pour Bulk).

commutateur

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D (Suite)

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(1) Figurent dans cette catégorie les transistors de type Schottky ou à barrière Schottky qui sont des transistors à effet de champ comportant unegrille de commande de type métal/semi-conducteur qui améliore la mobilité des porteurs de charge et le temps de réponse au prix d’une plus grandecomplexité.

(2) On parle alors de transistor MOSFET (Metal-Oxide Semiconductor Field Effect Transistor).

Transistor 8 nanomètres développé par l’Alliance Crolles2 réunissantSTMicroelectrronics, Philips et FreescaleSemiconductor.

dopées (p ou n), séparées par une mincecouche de semi-conducteur inversementdopée. L’assemblage de deux semi-conducteurs de types opposés (jonctionp-n) permet de ne faire passer le courantque dans un sens. Qu’ils soient de typen-p-n ou p-n-p, les transistors bipolai-res sont fondamentalement des ampli-ficateurs de courant, commandés par uncourant de grille(1): ainsi dans un trans-istor n-p-n, la tension appliquée à la par-tie p contrôle le passage du courant entreles deux régions n. Les circuits logiquesutilisant des transistors bipolaires, appe-lés TTL (Transistor Transistor Logic), sontplus consommateurs de courant que lestransistors à effet de champ, qui pré-sentent un courant de grille nul en régimestatique et sont commandés par l’appli-cation d’une tension.Ce sont ces derniers, sous la forme MOS(Métal oxyde semi-conducteur), quicomposent aujourd’hui la plupart descircuits logiques du type CMOS (C pourcomplémentaire)(2). Sur un cristal desilicium de type p, deux régions de typen sont créées par dopage de la surface.Appelées là aussi source et drain, cesdeux régions ne sont donc séparées quepar un petit espace de type p, le canal.Sous l’effet d‘une tension positive surune électrode de commande placée

au-dessus du semi-conducteur et quiporte tout naturellement le nom degrille,les trous sont repoussés de sa surfaceoù viennent s’accumuler les quelquesélectrons du semi-conducteur. Un petitcanal de conduction peut ainsi se for-mer entre la source et le drain (figure).Lorsqu’une tension négative est appli-quée sur la grille, isolée électriquementpar une couche d’oxyde, les électronssont repoussés hors du canal. Plus latension positive est élevée, plus larésistance du canal diminue et plus cedernier laisse passer de courant.Dans un circuit intégré, les transistors etles autres composants (diodes, conden-sateurs, résistances) sont d’origine incor-porés au sein d’une “puce” aux fonctionsplus ou moins complexes. Le circuit estconstitué d’un empilement de couchesde matériaux conducteurs ou isolantsdélimitées par lithographie (encadré E,La lithographie clé de la miniaturisation,p. 37). L’exemple le plus emblématiqueest le microprocesseur placé au cœurdes ordinateurs et qui regroupe plusieurscentaines de millions de transistors (dontla taille a été réduite par 10000 depuisles années 1960) et bientôt un milliard,ce qui amène les industriels à fraction-ner le cœur des processeurs en plusieurssous-unités travaillant en parallèle!

Le tout premier transistor.

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E

La lithographie optique (ouphotolithographie), appli-

cation majeure de l’interactionparticules/matière, est le procédétraditionnel de fabrication des circuits intégrés. Étape clé de ladéfinition des motifs de ces cir-cuits, elle reste le verrou de leurdéveloppement. La résolutionétant en première approximationdirectement proportionnelle à lalongueur d’onde, la finesse desmotifs a d’abord progressé avecla diminution, qui s’est effectuéepar sauts, de la longueur d’onde λdu rayonnement utilisé.L’opération consiste en l’expositionvia une optique réductrice d’une résinephotosensible à des particules énergé-tiques, depuis les photons ultraviolet (UV)actuellement utilisés jusqu’aux électronsen passant par les photons X et les ions,au travers d’un masque représentant ledessin d’un circuit. Le but ? Transférercette image sur l’empilement de couchesisolantes ou conductrices qui le consti-tueront, déposées précédemment (phasede couchage) sur une plaquette (wafer)de matériau semi-conducteur, en généralde silicium. Ce processus est suivi de ladissolution de la résine exposée à lalumière (développement). Les partiesexposées de la couche initiale peuventêtre alors gravées sélectivement, puis larésine est retirée chimiquement avant ledépôt de la couche suivante. Cette étapede lithographie peut intervenir plus d’unevingtaine de fois au cours de la fabrica-tion d’un circuit intégré (figure).Dans les années 1980, l’industrie de lamicroélectronique utilisait des lampes àmercure délivrant dans l’UV proche (raiesg, h, i), à travers des optiques en quartz,un rayonnement d’une longueur d’ondede 436 nanomètres (nm). Elle gravait ainsides structures d’une largeur de trait de 3 microns (µm). Employées jusqu’au milieudes années 1990, ces lampes ont étéremplacées par des lasers à excimèresémettant dans l’UV lointain (krypton-fluorKrF à 248 nm, puis argon-fluor ArF à193 nm, les photons créés ayant une éner-gie de quelques électronvolts), permet-tant d’atteindre des résolutions de 110 nm, et même inférieures à 90 nm avec de nouveaux procédés.Le Laboratoire d’électronique et de tech-nologie de l’information (Leti) du CEA aété un des pionniers, dans les années1980, dans l’utilisation des lasers en

lithographie et dans la réalisation descircuits intégrés par les lasers à exci-mères, qui constituent aujourd’hui lessources employées pour la productiondes circuits intégrés les plus avancés.Pour l’industrie, l’étape suivante devait êtrele laser F2 (λ = 157 nm), mais cette litho-graphie a été quasiment abandonnée faceà la difficulté de réaliser des optiquesen CaF2, matériau transparent à cettelongueur d’onde.Si la diminution de la longueur d’onde desoutils d’exposition a été le premier facteurà permettre le gain en résolution consi-dérable déjà obtenu, deux autres ont étédéterminants. Le premier a été la mise aupoint de résines photosensibles baséessur des matrices de polymères peu absor-bantes aux longueurs d’onde utilisées etmettant en œuvre des mécanismes de

propagation de l’énergie reçuetoujours plus innovants. Lesecond a consisté en l’améliora-tion des optiques avec une dimi-nution des phénomènes parasitesliés à la diffraction (meilleure qua-lité de surface, augmentation del’ouverture numérique).Au fil des années, la complexitéaccrue des systèmes optiques a ainsi permis d’obtenir des réso-lutions inférieures à la longueurd’onde de la source. Cette évo-lution ne pourra se poursuivre sans une rupture technologiquemajeure, un saut important enlongueur d’onde. Pour les géné-

rations des circuits intégrés dont la réso-lution minimale est comprise entre 80 et50 nm (le prochain “nœud” se situant à 65nm), différentes voies basées sur la projection de particules à la longueurd’onde de plus en plus courte ont été misesen concurrence. Elles mettent respecti-vement en œuvre des rayons X “mous”, en extrême ultraviolet (dans la gamme des 10 nm), des rayons X “durs” (à la lon-gueur d’onde inférieure à 1 nm), des ionsou des électrons.L’étape consistant à atteindre des réso-lutions inférieures à 50 nm conduira às’orienter plutôt vers la nanolithographieà l’aide d’électrons de basse énergie(10 eV) et d’outils plus adaptés comme lemicroscope à effet tunnel ou l’épitaxiepar jets moléculaires (encadré C) pour laréalisation de “super-réseaux”.

La lithographie, clé de la miniaturisation

Zone de photolithographie en salle blanche dans l’usineSTMicroelectronics de Crolles (Isère).

Figure. Les différentes phases du processus de lithographie dont le but est de délimiter les couchesde matériaux conducteurs ou isolants qui constituent un circuit intégré. Cette opération estl’enchaînement d’un étalement de résine photosensible, de la projection du dessin d’un masque parune optique réductrice, suivis de la dissolution de la résine exposée à la lumière (développement).Les parties exposées de la couche initiale peuvent être alors gravées sélectivement, puis la résineest retirée avant le dépôt de la couche suivante.

Art

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étalement de la résine

centrifugationséchage

exposition pas à pas(“step and repeal”)

source

masque

optique de projection

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dépôt d’unenouvelle couche

développement

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G

La physique quantique prédit des com-portements inhabituels et difficiles à

accepter par notre intuition immédiate,comme l’effet tunnel. Prenons le cas d’unebille devant franchir une bosse. En phy-sique classique, si l’énergie communiquéeà la bille est insuffisante, elle ne peut pasfranchir la bosse et retombe vers son pointde départ. En physique quantique, uneparticule (proton, électron) peut franchirla bosse, même si son énergie initiale estinsuffisante: elle peut passer de l’autrecôté comme par un petit tunnel. L'effettunnel peut ainsi permettre à deux protonsde surmonter leur répulsion électrique àdes vitesses relatives plus basses quecelles qu'indique le calcul classique. Lamicroscopie à effet tunnel est basée surle fait qu’il y a une probabilité non nullequ’une particule d’énergie inférieure à lahauteur d’une barrière de potentiel (la

bosse) puisse la franchir. Les particulessont des électrons traversant l’espaceséparant deux électrodes, une fine pointemétallique terminée par un atome uniqueet la surface métallique ou semi-conduc-trice de l’échantillon. La physique clas-sique donne d’une surface l’image d’unefrontière étanche, les électrons étant stric-tement confinés à l’intérieur du solide. Parcontre, la physique quantique enseigneque chaque électron a un comportementondulatoire : sa position est “floue”. Enparticulier, au voisinage de la surface existeun nuage d’électrons dont la densité décroîttrès rapidement, de façon exponentielle,lorsque l’on s’éloigne du solide. L’électrona une certaine probabilité de se trouver“en dehors” du solide. Quand la fine pointemétallique est approchée de la surface, àune distance inférieure au nanomètre, lafonction d’onde associée à l’électron n’est

pas nulle de l’autre côté de la barrière depotentiel, et les électrons passent de lasurface à la pointe, et réciproquement, pareffet tunnel. La barrière de potentiel fran-chie par les électrons est appelée barrièretunnel. Lorsqu’une faible tension est appli-quée entre la pointe et la surface, un cou-rant tunnel peut être détecté. La pointe etla surface étudiée forment localement unejonction tunnel. L’effet tunnel se manifesteégalement dans les jonctions Josephsonoù un courant continu peut passer à tra-vers une étroite discontinuité entre deuxéléments supraconducteurs. Dans untransistor, l’effet tunnel peut se révélerde manière parasite quand l’isolant degrille devient très mince (de l’ordre dunanomètre). Il est par contre mis à pro-fit dans de nouvelles architectures, telsles transistors à barrière tunnel Schottkyou à base de nanotubes de carbone.

L’effet tunnel, un phénomène quantique