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LES MIRACLES DE LA MADONE D'OROPA, XVI-XX e SIECLES: RESISTANCE ET EVOLUTION D'UNE CROYANCE POPULAIRE Il y a quelques années, alors que je roulais vers Rome, je perdis le contrôle de ma voiture dans un tournant. Quittant la chaussée, le véhicule fut arrêté dans la pente par un arbuste après une cabriole impressionnante. Sans avoir réalisé ce qui se passait l'éclatement d'un pneu), mon passager et moi-même nous nous dressâmes interloqués mais absolument indemnes. Déjà un groupe de spectateurs curieux et ébahi arrivait en courant, les bras au ciel. Ils s'extasièrent: cc Miracolo, sono vivi tutti due n, Spontanément dans leur esprit le (c réflexe du miracle)) avait joué. En bons français laïques et cartésiens nous aurions plutôt quant à nous accusé le « mauvais sort )) ou l'injuste destin. J'ai repensé à cette mésaventure en dépouillant les archives du sanctuaire de Notre-Dame-d'Opora'. Il y a quelque chose de remarquable dans la permanence d'une structure mentale qui a résisté au cours des siècles aux transformations de l'idéologie dominante et de la société, quelque chose de spécifique qu'il faut lire au fil de la conjoncture historique. Les archives du sanctuaire permettent plusieurs approches du phénomène miraculeux. On y trouve: - Deux volumes (Miracoli e grazie, ASO I. 3869 et II. 3875) où sont enregistrées de 1658 à 1845 les « grâces reçues n. - Un carton (Crave e mirtuoir) contenant 45 dossiers répertoriés et datés se référant à la période 1845-1900. 1. Le Sanctuaire de Notre-Dame-d'Oropa dans les Alpes Piémontaises près de Biella est un ham-lieu de la dévot ion mariale en Italie depuis le siècle. En 1459 un chanoine du chapitre de Biella fut désigné comme Recteur. administrateur du Sanctuaire. Un ensemble grandiose de bâtiments (Eglises. chapelles. hôttllerie. ttc ... ) entourent le rocher de la Vierge où l'on constrve une statue de bois dt 1, 32 mètre représentant la Madone au visage noir portant l'tnfant Jésus . Son caractère miraculeux est attesté dtpuis le Moyen Age. Cf. « Les miracles de la Madone d'Oropa» pa r Ch. Loubet (Histoire du sanctuaire), à paraître 1982 (Deseli,)

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LES MIRACLES DE LA MADONE D'OROPA, XVI-XXe SIECLES: RESISTANCE ET EVOLUTION

D'UNE CROYANCE POPULAIRE

Il y a quelques années, alors que je roulais vers Rome, je perdis le contrôle de ma voiture dans un tournant. Quittant la chaussée, le véhicule fut arrêté dans la pente par un arbuste après une cabriole impressionnante. Sans avoir réalisé ce qui se passait l'éclatement d'un pneu), mon passager et moi-même nous nous dressâmes interloqués mais absolument indemnes. Déjà un groupe de spectateurs curieux et ébahi arrivait en courant, les bras au ciel. Ils s'extasièrent: cc Miracolo, sono vivi tutti due n, Spontanément dans leur esprit le (c réflexe du miracle)) avait joué. En bons français laïques et cartésiens nous aurions plutôt quant à nous accusé le « mauvais sort )) ou l'injuste destin .

J'ai repensé à cette mésaventure en dépouillant les archives du sanctuaire de Notre-Dame-d'Opora'. Il y a quelque chose de remarquable dans la permanence d'une structure mentale qui a résisté au cours des siècles aux transformations de l'idéologie dominante et de la société, quelque chose de spécifique qu'il faut lire au fil de la conjoncture historique.

Les archives du sanctuaire permettent plusieurs approches du phénomène miraculeux. On y trouve:

- Deux volumes (Miracoli e grazie, ASO I. 3869 et II. 3875) où sont enregistrées de 1658 à 1845 les « grâces reçues n.

- Un carton (Crave e mirtuoir) contenant 45 dossiers répertoriés et datés se référant à la période 1845-1900.

1. Le Sanctuaire de Notre-Dame-d'Oropa dans les Alpes Piémontaises près de Biella est un ham-lieu de la dévotion mariale en Italie depuis le IV~ siècle. En 1459 un chanoine du chapitre de Biella fut désigné comme Recteur. administrateur du Sanctuaire. Un ensemble grandiose de bâtiments (Eglises. chapelles. hôttllerie. ttc ... ) entourent le rocher de la Vierge où l'on constrve une statue de bois dt 1, 32 mètre représentant la Madone au visage noir portant l'tnfant Jésus . Son caractère miraculeux est attesté dtpuis le Moyen Age. Cf. « Les miracles de la Madone d'Oropa» pa r Ch. Loubet (Histoire du sanctuaire), à paraître 1982 (Deseli,)

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Il faut signaler que de ces livres et de ces dossiers émergent six affaires dont l'importance exceptionnelle est attestée par la quantité et la qualité des documents réunis. Nous les considérerons comme des cas-types, des {( modèles)) exemplaires construits par les médiateurs culturels' autour d'événements privilégiés2•

On doit par ailleurs, tenir compte:

- de la publication imprimée de la revue l'Echo d'Oropa depuis 1898, avec un abondant courrier des lecteurs.

- de l'incomparable source d'informations que consti tuent les ex­voto peints, environ 600 - dont plus de 90% appartien nent à la période 1860- 1975'.

Tout cela permet une approche dans la longue durée sinon du (( miracle» (on ne saurait en contrôler la matérialité), du moins de ce fait d'histoire des mentalités: la façon dont se manifeste la croyance au miracle. Et que le témoignage nous parvienne médiatisé ne nous gène pas: la forme même de la médiatisation nous renseigne sur les attitudes de l'élite dont l'évolution C.Sl significative.

Si l'on tente de mettre à plat la structure mentale de la croyance au miracle telle qu'elle s'exprime, on obtient les modèles suivants·

l. - Agression - vœu - grâce - action de gractJ Le choc d'un événement négatif entraîne en réaction un appel

condit ionnel (vœu) et la réponse du divin déclenche une manifestation de reconnaissance rituelle (contre-don).

II. - Agression - vœu - action propitiatoire - grdce (ou miracle terminal). Devant le mal qui l'accable, le fidèle lance son appel, entreprend de

remercier la divinité pour une grâce qu'il tient d'emblée pour acquise. Cette formule implique que l'on accorde une grande efficacité au rituel codé et au lieu sàcré.

III. - Agression - grâce - ~x- voto (pas de vœu mentionné) Cette formule. rare dans les textes caractérise surtOut les ex-voto

représentant des accidents matériels: la brutalité soudaine de l'agress ion ne laisse par le loisir de formuler un vœu mais le fait de se retrouver sain et sauf déclenche le mécanisme quasi-rétlexe de l'action de grâces vOtive.

L'originalité de telles réactions consiste dans une sorte de contre­fatalisme: la conviction d 'une possibilité constante d'intervention de la

2. Nous avons étudi~ dans le détail ", La structure et la signi{tcatio'l dtS Rrein de Miracles " dans un arricle encore inéd it à partir des six dossiers principaux. Nous avons établi les scenarii de ces récits découp~s en séquences et en unités de significat ion. Plusieurs opuscules de pi~té imprimés reprennent en substance l'histoire de ces prodiges

3. Pour plus de prkisions se reporter à nos analyses de la structure et du contenu des /, Ex - Volo de NOlre-Damt-d'Opora, images d'u,u divo/ion popu/airt n in Lt Mond, A/pin t/

Rhodanùn, nO sp~ia l Religion Populaire. 1977 . p. 213-24j

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divinité pour modifier le cours des choses qu'elle commande... à la condition qu'on y collabore et qu'on s'en montre digne (( Demandez et on vous donnera ; frappez et on vous ouvrira n, Matt. 7.7 .).

Cette attitude découle en réalité d'une conception selon laquelle tout mal physique ou moral est interprété comme symptôme d'un mal social lié à une perturbation de l'ordre cosmique. Il faut alors corriger la perturbation par un rituel qui sollicite l'intervention correctrice du divin. Ainsi dans les sociétés traditionnelles on n'interprète jamais une maladie comme un traumati sme purement organique. on soigne moins qu'on ne corrige par le ritucl - social et magique -la penurbation dont le sym ptôme est apparu.

Or l'Occident a changé d'attitude lorsque la pensée logique et rationnelle, puis la démarche scientifique Ont amené le progrès de la technologie et de la médecine. Il a cessé de croire aux miracles comme aux sorcières pour ré interpréter en termes « laïques ») le problème du mal et de la maladie. Entre 1 ~OO et 1800 une nouvelle (( épistémè ») s'est constituée ... avec bien entendu un rythme différent selon les régions et les milieux sociaux . Ce qui nous surprend ici à première vue, c'est de trouver dans nos sources non point la décroissance progressive: du phénomène {comme parfois ailleurs} mais bien la manifestation singulière d'un renouveau spectaculaire de la dévotion après une éclipse.

LE MIRACLE DE L'EPOQUE BAROQUE

Entre 1658 et 1740, la puissance souveraine de la Vierge est solennellement affirmée dans les documents des Livre:s et Miracles. On compte un grand nombre de cas attestés, e:nviron 20 par décennie en moyenne. L'enregistrement prend la form e d'un acte codifié. Dans un premier temps (1658-1690) chaque cas est évoqué en une dizaine de lignes où l'on pr<cise, après la date (mois, année ... ) :

- le nom du bénéficiaire, sa situation socio-professionnelle, sa ville ou région d'origine,

- le motif de la demande, les circonstances de l'agression et du miracle,

-les modalités de l'act ion de grâces.

Le texte est suivi de signatures de l'intéressé, du secrétaire et parfois de témoins. Concis, ces documents donnent une vision sans relief comme d'une évidence4•

4. Les donntes concernant le nombre, l'enregistrement et les caractéristiques des miracles d'après les Livres et le Carton Ont été rassemblées et analysées dans notre étude « Lts mirarltS dt la Madont d'Oropa - L'hommt et it sacri tn Piimonl» à paraitre prochainemenr dans Annales dt l'Univtrsili dt Nict.

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A la fin du siècle l'acte prend une certaine ampleur, s'étalant parfois sur plusieurs pages ou accompagné de documents annexes:

- D'abord la date et une série de noms (le Recteur du Sanctuaire, le Notaire apostolique chargé de l'enregistrement, le (s) gracié(s) et les témoÎns) servent de caution.

- Ensuite un préambule lourd et jargonnant introduit une description très circonstanciée du miracle dans un style dont la précision n'exclut pas la recherche de l'extraordinaire et du merveilleux dans le détail. complaisamment soulignés.

- L'action de grâces est minutieusement décrite. On souligne alors « la gloire de la Madone n, « l'émerveillement des assistants n, (c l'impuissance des médecins »

- b paragraphes sont accompagnés parfois de quelques mots de confirmation. Des attestations médicales peuvent être jointes ou recopiées à la suite du texte principal.

Ce type de témoignage, surtOut dans la forme « épanouie )) d'après l690, m'apparaît comme l'expression « baroque)} de la croyance, au même titre d'ailleurs que les ex-vota des XVII-XVIII' siècles. Sur la commande de collectivités ou de notabilités, des peintres de talent y commémorent des catastrophes (pestes, inondation ou guerre) auxquelles l'intervention de la Madone sollicitée aurait mis fin. On a conservé une dizaine de ces tableaux de genre, sortes d'ex-vota de luxe. Dans quelques cas (trois), un grand personnage s'est fait représenter en apparat, entouré de ses proches dans l'attitude de la prière devant le lit d'un malade aimé (époux, épouse, enfant) : un vaste espace s'ouvre alors dans le théâtre de la représentation où se déploie l'apparition céleste. Distance, solennité, dramatisation, sur­naturalisme même, tels sont les caractères de ce baroque.

Mais c'est dans l'analyse des trois cas-types du siècle que nous pourrons discerner encore mieux l'esprit des temps. Outre la mention dans les Livres, ces miracles sont en effet décrits dans des dossiers annexes (cahiers de 10 à 40 pages et fascicules imprimés qui les reprennent en substance). Il s'agit de :

-la guérison des muets B. Sà (1661) et G.B. Perrone (1720), qui recouvrent la parole mais aussi son organe, la langue dont ils avaient été amputés. Cas 1 et cas -3 ;

-la guérison de G. Vallet (1672), paralytique. Cas 2.

Dans les trois récits, la situation initiale est présentée avec un grand luxe de détails. Comme dans les contes du folklore, on y décrit l'agression par les ({ méchants )), les péripéties d'une aventure: ainsi Perrone est-il le héros picaresque de tribulations étonnantes deux fois vendu comme esclave en Méditerranée, on lui tranche la langue parce qu'il refuse d'abjurer. Racheté aux barbaresques par des moines, il erre comme un vagabond en Piémont avant d'aller implorer la Madone d'Oropa dont il entend parler

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La séquence finale est très développée: le retentissement du miracle souligné par le nombre et la qualité d'attestations officielles dans le cadre d'une procédure complexe. Outre les témoins du prodige, des médecins et des théologiens sont appelés en consultation par les juristes spécialisés qui organisent une véritable enquête de vérification pour le compte de l'épiscopat et même du pouvoir civil.

L'évêché de Turin et le Sénat du Piémont' authentifient la guérison de Sà (procédures d'avril 61 à janvier 62). Après la guérison de Vallet, ]' évêque ordonne la publication du prodige pour]' édification des foules et le cardinal Alcieri est sollicité pour en informer le Pape.

Les séquences «( topiques )) (itinéraire vers le sanctuaire/réponse divine) sont plus sobres. J'action réduite à l'essentiel: voyage sans détail, pèlerinage peu codé sans rituel précis, réponse miraculeuse soudaine et brutale qui ébranle le sujet au point qu'il lui faut se recueillir et « la digérer)) avant de publier sa guérison. Mais alors il accomplira une action de grâces spectaculaire: Vallet comme Perrone se vouent au service du sanctuaire.

La puissance de la divinité et sa bienveillance se manifestent (à travers l'intervention de la Madone) de façon éclatante. Ces sujets aliénés, quasiment morts, atteints dans leur identité par la privation de la Parole (langue) et du mouvement, VOnt re-naître par un don gratuit que leur foi a mérité. Vallet est guéri dans l'instant même de son vœu, avant d'avoir accompli le pèlerinage promis. Et pour Perrone c'est une irruption du merveilleux surnaturel qui le bouleverse: un cercle d'étoiles descend du ciel sur la tête de la statue pendant la cérémonie du couronnement et au moment où l'officiant pose le diadème, il sent sa langue repousser.

Le groupe est là. très présent, à l'origine du processus (l'entourage qui informe et encourage), dans le moment du rite comme plus tard dans la liesse de la guérison dont il témoignera. On voit même en 1720 la cité de Biella organiser une célébration solennelle de reconnaissance (cas 3).

Le récit du miracle dans ces dossiers fonctionne comme la manifestation éblouissante et incontestable d'un pouvoir sûr de lui. Garante

5. Dans l'affaire Sà où l'on trouve un développement maximum des procédures, le dossiercontiem

- huit témoignages de villageois dont un prêtre et un « chirurgien »,

- cinq attestations de médecins, -le rapport d'enquête du Procurateur Fiscal de la Curie qui enregistre les actes

précédems, -le rapport d'une commission spéciale de 7 théologiens, -l'authentification de cet acte par l'évêque •

. -le témoignage de la majorité des notables du Conseil de la cité de Ponderano (les 2/3) présenté au Podestà,

-l'enregistrement de cet acte par un" notaire royal. - l'authentification et la publication par le Vicaire Général - .. . puis par le Sénat de Turin.

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de l'idéologie dominante, l'Eglise multiplie les procédures de validation et de publication et le pouvoir civil. son allié, lui fait écho. Le plus humble, le plus démuni, l'infirme peut espérer obtenir, dans la foi orthodoxe, le don de la gràce et la plénitude de l'Etre. Ces (( prototypes» spectaculaires en sont la preuve.

Et l'espace des monts d'Oropa est un périmètre sacré où la Vierge a choisi de se manifester. En 1620 la ville de Biella offrit en ex-voto une couronne à la Statue: la cérémonie du couronnement sera répétée. comme gage d'alliance, tous les siècles (en 1720 à cette occasion Perrone est exaucé). Les pèlerins affluent. seuls ou en groupe. par villages entiers. Les discours des Recteurs et des prédicateurs insistent sur la toute-puissance bénéfique de la Vierge, sur l'importance de la foi (qui transporte les montagnes), sur le rituel autour du Sanctuaire et sur le caractère collectif d'une piété qui témoignera de la reconnaissance des fidèles. C'est le temps des Te Deum d'une liturgie triomphaliste: le Ct miracle ») est traduit en langage Baroque

L'ELITE" GIANSENISTA »ET LA MEFIANCE A L'EGARD DU MIRACLE

Tour change brusquement au milieu du XVIII' siècle (1740/60). Quantitativement le nombre de mirac1es enregistrés tombe à presque rien· de 1 à 7 par décennie entre 1740 et 1850,6 en tout pour la période « révolutionnaire ») 1770-1810. Ces attestations SOnt peu codifiées, presque informelles: de simples mentions counes au gré du scribe du jour. Quelques ex-voto ont été conservés: 2 ou 3 entre 1760 et 1815 mais aucun entre 1825 et 1850. Personnalisées et de facture simple ou naïve, ces peintures représentant des malades ou des orants de la classe moyenne. Aucune situation spectaculaire n'est montrée.

On doit pounant signaler une nouveauté: entre 1730 et 40, dans une rubrique spéciale ouverte au Livre des Miracles. on a soigneusement enregistré l'abjuration solennelle et contrôlée de seize hérétiques (luthériens et calvinistes). Faut-il interpréter ces mentions comme une intention de situer désormais surtout ce prodige de J'intervention divine dans le champ du spirituel? Toute une conception du ( miracle ») serait ici en jeu.

L'analyse du seul dossier important de l'époque, le cas de Catterina Reinieri, confirme cette interprétation. Un exorciste d'Oropa Don Cartotti. rédige en 1771 sur ordre de son évêque le rapport de la guérison d'une possédée, grâce à l' intervention de la Madone, pendant le rituel de l'exorcisme qu'il a lui-même pratiqué.

La mise en situation est rapide, les indices d'identification sont donnés en filigrane d'un récit qui embraye sur l'action. L'agression est identifiée: trois esprits malins ont investi le corps d'une pauvre fille enceinte dont ils menacent le fruit. Elle a été, malgré elle. conduite au sanctuaire par ses parents.

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L'action se décompose en plusieurs temps. L'exorciste accomplit le rite Ct provoque des épreuves de force avec les démons tandis que le corps de la patiente est l'enjeu d'une lutte. Au fil de ces épreuves se manifeste la M adone.

- D'abord à la fin du la 1" séance. c'est pendant les Litanies que la possédée réagit enfin . par un grand cri et en se jetant à genoux pour prier.

- Ensuite. le 3t' jour. ses esprits se manifestent par la violence: elle jette un rosaire sur l'autel de la Vierge mais calmée aussitôt elle peut prier.

- Le 6t> jour après de longues séances d'exorcisme infructueuses, le prêtre. devant la statue miraculeuse. invoque à nouveau la Vierge. Alors la possédée ojme avec force un crucifix sur le globe qui protège le simulacre tout en proférant des injures. L 'exorciste lui fait boire aussitôt de l'eau bénite ct elle vomit les démons sous forme de mouches pour s'écri er alors (( 0 Vierge Chérie, vous m'avez libérée ». Les assistants émerveillés, se réjouissent. Catterina Ct sa famille accompliront leurs dévotions quatre jours durant.

Un long développement de type nouveau caractérise ce document dont il constitue la dernière séquence. Il s'agit d 'une argumentat ion (logique et théologique) visant à démontrer la véraci té des miracles. le charisme du lieu et la réalité de la possession. toutes choses que certains mettent en doute. Tout en reconnaissant que d'autres cro ient trop facilement aux simples rumeurs, Don Cartotti met les sceptiques au défi d e lui prouver le contraire. Et il n'hésite pas à invoquer par ailleurs l'autorité de l'Eglise comme garantie.

Ainsi donc. mème si la symbolique est comparable. nous assistons ici à un ( déplacement )) de l'effet miraculeux de l'extérieur vers l'intérieur (des membres ou de la langue vers l'esprit) : l'identité ( aliénée )} au cœur même de l'être. Le rapporteur insiste fortement sur l'importance du rituel de l'exorcisme et sur le rô le complémentaire de la Madone d'Oropa sollicitée (d'ailleurs la Vierge n'est-elle pas vouée à évaser la tète du serpent ?). Tout se passe donc comme si des médiateurs culturels s'efforçaient à cette époque d'effectuer un « repli)) du miracle dans le domaine du spirituel - comme si l'on craignai t un débordement populaire de la superstition par le biais d'une croyance spontanée trop ( magique n.

A cttte époque des Lumières. une fraction du clergé piémontais est gagnée par l'esprit « giansenistà n héritier du jansénisme et de la pensée rationnelle moderne aux antipodes du triomphalisme baroque. ils prônent une religion intériorisée, ascétique. puritaine. soucieuse de ne pas heurter la raison de front. Qu'ils soient évêque comme M gr Pochètini , administrateur du sanctuaire comme le Recteur Marochetti ou le prévôt du chapitre

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Gromo. les membres du clergé « progressiste )6 tentent de canaliser ou de contrôler les pèlerinages comme ils se méfient des rumeurs de miracle. On verra même Pochetini, évêque d'Ivrée suggérer en 1776 qu'on remplace les pèlerinages collectifs par des visites aux églises paroissiales ce qui revient à mettre en doute l'efficacité propre du lieu; il interdira en 1786 les processions vers Oropa des fidèles de son diocèse ... Dans les sermons et discours des cérémonies de l'époque à Oropa SOnt dénoncées les dévotions superstitieuses, déviations de la vraie foi, le culte idolâtre des images. les débordements de liesse des pèlerinages. On encourage la méditation. l'ascétisme et la participation aux offices organisés. remaniés en vue d'une meilleure expression de chacun au sein de la collectivité priante.

Tout un travail de moralisation semble avoir alors été accompli pour détourner la piété populaire spontanée d'une "idolâtrie de la Vierge Noire n. Même si l'on maintient l'essentiel: la croyance dans l'intervention surnaturelle salvatrice. Il est significatif d'ailleurs que Don Cartotti élabore deux pages de raisonnements pour convaincre. même sur cc plan, les sceptiques, car en 1771 on ne chasse plus les sorcières en Europe et dans l'inelligentsia on pose déjà en termes médicaux le problème de l'hystérie. A l'écoute de leur temps, en position cc ~harnière » entre cette intelligentsia ct les fidèles qu'il leur incombe de guider, les prêtres de l'élite ( gianscnistà »

Ont pris le parti de moderniser une dévotion sans doute à contre-courant du désir de la masse.

L'histoire ne leur laissera pas le temps d'accomplir une véritable mutation. La Révolution et son cortège, puis surtOut la conjoncture du premier XIxe siècle qui voit la réalisation de l'unité de l'Italie contre l'Eglise romaine suscitent désormais d'autres attitudes. Il faudra défendre par tOUS les moyens une idéologie et une institution jadis dominantes, désormais contestées. L'appel à l'affectif et à l'irrationnel des foules sera l'un de ces moyens. au risque de se couper des élites. Il trouvera aussitôt un écho considérable. Cette réaction est sensible tant au niveau de la politique pontificale que dans les orientations de l'Eglise. Le renforcement du culte marial, la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception. la publicité donnée à plusieurs (( apparitions n tandis que s'ouvrent de nouveaux sanctuaires miraculeux (Lourdes, La Salette puis Pontmain et Fatima) en sont des manifestations.

LE MIRACLE COMME REACTION AU SCIENTISME ATHEE Au lieu d'évoluer vers l'expulsion totale d'une croyance« primitive n,

on va assister ici (Oropa/Piémont) après 1850 à l'inflation des témoignages de miracles. Au milieu du siècle deux cérémonies donnent au sanctuaire un

6. Maroccheti est cité dans une « Liste des Jacobins" comme (, insÎnuateur » de jansénisme et de démocratie. Il fut Recteur de 1802 à ) 81 S. Il fit de la prison après avoir été impliqué dans les troubles de 1821. Gromo. vicaire général et directeur du séminaire de Biella sous l'Empire a participé à la commission de réforme ecclésiastique en 1800 BERSANO, L'abate &nardi t Juoi tempi. Torino, 1957 .

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nouvel éclat: l'introduction d'un Office spécial approuvé par Rome, en 18)8 (comme une renaissance officielle du Lieu Sacré), et la célébration du XV' centenaire en 1869. Entre ces deux dates, en 1860 est né le royaume d'Italie. avec un état laïque et libéral qui s'engage dans la révolution industrielle. SOutenu par l'idéologie positiviste et scientiste. Les prédicateurs s'en prennent désormais aux « sceptiques. incrédules. positivistes n. voire aux c( libertins et athées ».

De nouveau, à l'initiative de certains qui regrettent l'ancien temps, on sollicite les ex-voto et les témoignages de grâces. Un afflux de peintures naïves. après 1860. envahit les galeries extérieures où se const itue une sorte de musée du miracle. On p.eut recenser au milieu des centaines d'anonymes indarables ou abstraits 220 tableaux figuratifs (1860/1914) soit une moyenne décennale d'environ 40. De facture artisanale ou spontanée, ils nous présentent une très grande variété de situations dont 36 % de maladies et 33 % d'accidents (28 modalités). La Vierge" généraliste» peut tout guérir ou résoudre. Elle apparaît dans un lieu céleste mis en valeur et qui occupe une place essentielle dans le tableau. Les personnages SOnt figurés le plus souvent en contact (par le geste ou le regard) avec l'apparition (69 %). Ils appartiennent en majorité (85 %) aux classes moyennes et populaires (alors que dans les ex-voto d'avant 1800 il s'agissait de norables).

Déplorant que l'on ait c,,"sé de tenir des registres, le Père Sella de l'OratOire de Biella, entreprend des recherches pour constituer des dossiers, véritables rapports accompagnés de lettres ou pièces justificatives -médicales et juridiques - afin de (( raviver la fo i », « réchauffer la dévotion ». Les dossiers réunis dans le Carton (184)-1898) n'ont pas une structure définie ou codée. Peu d'actes notariés ou d'attestations médicales mais plus souvent des lettres originales. ou le témoignage d'un proche ou d'un confesseur. Cela ressemble à la manifestation spontanée d'une dévotion qui aurait persisté malgré tout et ressurgirait maintenant qu'on la tolère à nouveau. Elle a changé de forme d'expression depuis lors. Dans les dossiers apparaît désormais plus souvent la structure II (miracle terminal) : 18 fois contre 4 entre 1690 et 1740. Cela implique une valorisation du mérite personnel et de l'exemplarité (action de grâces publique sur le lieu sacré pricédant le miracle).

Par deux fois des guérisons ont donné lieu à la publication d'opuscules de \0 à 20 pages. destinés à l'édification . V.M. Meinardi (en 1869) et C. Rollà (en 1881) étaient des jeunes femmes paralysées, qui Ont recouvré le mouvement à Oropa à l'issue d'un pèlerinage de groupe.

Si la séquence initiale présente bien leur situation, l'insistance est portée sur les symptômes de la maladie ainsi que sur la volonté persévérante qui les pousse au vœu et à l'acte du pèlerinage sans plus attendre. Aussi les séquences tOpiques sont-elles particulièrement dévelo ppées, surtOut l'itiné­raire - physique et moral - qui les conduit vers la statue et qui prend des allures d'initiation. C. Rollà doit même d'abord mener un combat contre

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ses proches qui manquent de foi· des apparitions de la Vierge lui donnent la force d'en venir à bout et d'entraîner à sa suite les gens de sa famille qui J'entourent lors du rituel. V .M. Meinardi orpheline, bénéficie constam­ment de l'appui de ses camarades.

C'est dans des circonstances semblables. pendant les Litanies de la Vierge d'Oropa - moment privilégié du culte - que se produit le prodige. Très bref et très spectaculaire. il (( confond d'admiration» le public au sein duquel s'active le groupe restreint des (( adjuvants ». Les actions de grâces qui suivent la guérison s'insèrent dans des célébrations publiques: messes votives. triduum. autour des bénéficiaires et de leurs proches.

Les guérisons sont authentifiées par une procédure qui paraît sommaire par rapport aux actes du XVIl'. Mais des évêques, des clercs philosophes ou théologiens et des médecins-experts apportent leur attestation . L'évêque Losanna, en 1869, annonce pour plus tard une « enquête)) mais préfère publier sans attendre le récit du miracle qu'il {( tient pour certain» à la veille de la fête du XV' Centenaire.

Ces deux filles «paralysées », bloquées dans leur développement physique et affectif. retrouvent sous l'égide de la Mère Céleste une nouvelle vit' dans la liberté. Une hystérie se dénoue dans une thérapeutique de groupe. Le processus, au fond. est le même que dans nos autres {( modèles )) Mais ici on insiste sur le formalisme du rite, la démarche à suivre pour accéder à la grâce. L'action. la volonté, la responsabilité personnelle du sujet au sein d'un entOurage favorable, sont mis en exergue.

Pas de « méchant perturbateur », de brigand coupeur de langue ou de démon: la maladie est signe du mal dans le monde contre lequel il faut implorer le ciel. En revanche comme par provocation l'insuffisance de la science est évoquée, les limites de la médecine reconnues par des praticiens eux-mêmes qui s'inclinent. C'est bien dans le champ des maladies organ iques classiques qu'on a choisi de construi re le « nouveau modèle)} de miracle et non dans J'ordre du sp irituel

Dans cet « aggiornamento ». l'affirmation de j'activité du protago­niste, l'accomplissement quasi-expérimental de la dévotion renvoient à ce siècle humaniste d'organisation rationnelle et d'activisme efficace. En ces temps où l'homme invente les prothèses de la locomotion (bateau à vapeur, train, etc.), il fa llait rappeler que Dieu est maître du mouvement de la vie, et que l'homme seul est impuissant.

VERS LA CONSOMMATION DE MASSE DU MIRACLE-ERSATZ

A partir de 1898 le Rectorat avec l'autorisation épiscopale, entreprend la publication d 'un bulletin périodique qui existe encore aujourd'hui. Une place est faite dans ses colonnes au courrier des lecteurs qui tourne autour des demandes de gràce avec ou sans vœu et des actions de gràces plus ou

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moins explicites. C'est un équivalent littéraire des ex-voto. Nous avons le projet d'en faire bientôt l'analyse systématique.

L'autorité a ouvert les vannes, laissant s'exprimer la croyance e n toute spontanéité: c'est l'ère de la consommation de masse du miracle standard au self- service du sanctuaire. D 'ailleurs à la belle saison des centaines de pèlerins pique-niquent et excursionnent autour des chapelles. alternant tourisme et dévotions. L'hôtellerie (600 chambres) fait recette.

Le flux des ex-voto ne se ralentit plus malgré les progrès du scepticisme et de laïcité dans le siècle: des milliers d'anonymes (cœ urs de métal, maillots sportifs, 80 photographies de voitures ou de personnes anonymes, béquilles, tissus brodés, etc ... ) et plus de 500 peintures. (1914-45 : 175 et 1945-75 : 185, moyenne décennale environ 60). C'est un déluge de grâces.

La facture naïve des tableaux s'est généralisée avec l'individualisation du genre (part plus importante de photos, dessins ou peinture réalisés par le bénéficiaire avec commentaire parfois et signature dans les 3/4 des cas).

La maladie. mieux soignée, semble moins menaçante (15 % puis Il % des cas contre 36% avant 1914). L'oraison individuelle n'apparaît presque plus (de 23,5 à 5% dans la dernière période). Ce qui frappe c'est la prédominance massive de l'accident « mécanique» dans les agressions:

- 68 % entre 14 et 45 mais avec surtout des images de guerre (6/ 10),

- 78,5 % entre 45 et 75 dont 7/ JO pour des accidents de la route et du rail. Et 7 % d'accidents dtl travail.

Si l'on comprend aisément que la guerre, ce cataclysme ait pu entraîner une recrudescence de la croyance et un appel vers la divinité protectrice, on est surpris de voir se dresser, une fois la paix revenue, le monstre froid de la machine maléfique au carrefour des angoisses humaines. C'est bien d'une vision fatale qu'il s'agit. L'apprenti sorcier a peur du monstre qui lui échappe des mains, d'une violence scientifiquement programmée qui se retourne ({ à l'envers)} COntre le programmateur. Et le pourcentage du c{ banditisme» tombe dans le même temps à zéro.

La croyance est exprimée surtOut par les classes moyennes. Le lieu du divin se réduit: la Vierge apparaît« en vignette » dans un coin du tableau. hublot ouvert sur un autre espace sans lien avec la situation principale (dans 50% des cas avant 1945 , dans 82 % des cas après). Souvent, dans les nombreuses représentations de voitures en folie ou d'accidents automobiles, on ne voit même plus les passagers des véhicules (moins de un personnage par ex -voto dans la dernière période).

Enraciné dans la zone mystérieuse et intime de l'angoisse d'exister, entre tOtem et tabou, le besoin de croire à un principe supérieur garant de l'ordre du monde paraît se maintenir à travers plus d'un siècle de progrès scientifique et technique. Et combien qui pensaient « ne pas y croire)}

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réagissent le jour de l'accident. s'ils sont épargnés, par une reconnaissance éperdue qui a besoin d'un exutoire, les yeux perdus dans le « ciel vide n?

Ainsi un faisceau de sources analogues témoigne de la permanence d'une structure mentale selon des modalités très variées entre 1650 et 1975.

Les médiateurs culturels ont changé d'attitude, exprimant dans chaque cas les désirs ou les contradictions d'une société.

1) Ils ont amplifié le «( fait)) miraculeux. construisant autour de lui toute une orchestration pour valoriser l'idéologie dominante triomphale.

2) Méfiants et soucieux de rigueur ils ont essayé de limiter les excès d'une dévotion mal contrôlable. Peut-être même ont-ils censuré son expression.

3) Muette quelque temps, la dévotion ressurgit avec force lorsque désireux de soutenir une idéologie sur la défensive. les médiateurs sollicitent à nouveau le témoignage des fidèles.

4) Enfin de nos jours. « en marge" du culte officiel, la dévotion et la croyance se maintiennent sans encouragement ni désaveu officiel. C'est comme une soupape de sûreté.

Dans les ex-voto du XXc siècle, surtout dans les images d'accident s'impose la structure nO III (absence de vœu). L'irruption brutale en même temps de l'agression et de la grâce ne laisse pas le temps de la réflexion. Dieu choisit les siens, il y a une nécessité mécanique (la voiture doit avancer) et puis l'impondérable qui la brise (accident de la machine, rupture de la logique), et enfin « l'intervention surnaturelle» qui en efface les conséquences {victime sauvée}. Si vous émergez de votre voiture brisée, on dira que Dieu est là qui vous choisit vivant. Et cda remet en cause, à mon sens, la définition même du miracle. Ne pourrait-on pas penser les choses «( en négatif»)? Voir qu'une puissance maléfique brise la rationalité technologique positive exigeant son compte de victimes comme un Dieu aztèque assoiffé de sang?

L'Italien notre contemporain d'Occident, qui va déposer son ex-voto à Oropa, pense tout autrement. Quand la logique rationnelle est brisée par l'accidentel, il subit un retour du refoulé et retrouve des réflexes fondamentaux aux racines de son identité culturelle. Tout en jouant à être Prométhée , il a gardé la Madone en réserve. Comme le paysan bantou qui compte à la fois sur le prêtre et le sorcier, l'ouvrier d'Olivetti qui se dit peut-crre athée, reste fondamentalement prêt à croire au miracle.

Quand ]' excès de positivisme et de technicité, la pollution et l'unidimensionnalité auront presque étouffé la conscience humaine, il faudra

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bien aller chercher dans cette zone d'ombre. ce lieu du (( sacré » où prolifère la croyance du miracle. d'autres explications.

Prométhée ou Icare d 'un côté, la Madone de l'autre : ce n'est pas un choix à faire, c'cst un itinéraire dialectique à trouver.

Christian LOUBET.

Un ex-voto y atypique}) dt la sirie d'Oropa. Vers 1947. Le texte dit: (( Famille détruite par un triste drame. Trois orphtlins surv;va ,w, siparis rt sans nouvtlltS /'un dt J'autre pmdant 29 ans ". " ApriJ dt longues anntts dt rtrhtrrhrs inutilts, un vœu {a (Ii) fait par /a sœur GiuJtppina pour rtITOuVer so"f,;r, tIsa sœur », (&:VOIO en rtm~râ~mt~t) " Pour la graa rUile» ;;gn; Giuseppina Bider. Prin/urt f' byptr­, ialtJIt",taitltSlgntt GinO Mattarol/o .