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Les Amis du Prieuré de Saint-Hilaire-la-Croix Les moulins et le pain autour de Saint-Hilaire-la-Croix Exposition 2016 Pain, amour et moulins

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Les Amis du Prieuré de Saint-Hilaire-la-Croix

Les moulins et le painautour de Saint-Hilaire-la-Croix

Exposition 2016Pain, amour et moulins

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Introduction

Cette brochure accompagne l'exposition PAIN AMOUR et MOULINS organisée par

l'association Les Amis du Prieuré de Saint-Hilaire-la-Croix au cours de l'été 2016.

Dans la région de Saint-Hilaire on a longtemps pratiqué une polyculture vivrière. On

cultivait des céréales, on les faisait moudre et chacun fabriquait son pain, élément essentiel

de l'alimentation. Il y eut de nombreux moulins à farine, principalement le long de la

Morge, la plus grande rivière du secteur. Et dans les villages tout le monde faisait son pain,

soit dans des fours particuliers, soit dans les fours banaux. Tout cela remonte fort loin dans

l'Histoire, au début du Moyen-Âge. Tout cela a évolué lentement. Et puis ce mode de vie

ancestral a disparu brutalement dans la deuxième moitié du 20ème siècle : quasiment plus

de culture de céréales, disparition des moulins, arrêt de la fabrication du pain dans les

familles. Nous allons raconter ce que nous savons de cette évolution dans et autour de

notre village.

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Table des matières

Partie I : Les moulins à farine autour de Saint-Hilaire-la-Croix......................................... p. 3

1 - Un peu d'histoire : du Moyen-Âge au début du 20ème siècle...............................p. 32 - Les moulins au 20ème siècle.................................................................................p. 11

3 - Un peu de technique........................................................................................... p. 16

Partie II : La fabrication du pain......................................................................................... p. 18

1 - Un peu d'histoire................................................................................................ p. 182 - La symbolique du pain....................................................................................... p. 23

3 - La fabrication du pain à Saint-Hilaire................................................................ p. 274 - Un boulanger rural vers 1960 : le boulanger de Jozerand.................................. p. 30

Pour conclure....................................................................................................................... p. 31

Bibliographie....................................................................................................................... p. 32

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Partie I

Les moulins à farine autour de Saint-Hilaire-la-Croix

1 - Un peu d'histoire : du Moyen-Âge au début du 20ème siècle

Il existe des moulins fariniers à eau depuis l'Antiquité dans le monde méditerranéen. Dans l'empire romain les villes et les domaines agricoles sont équipés de moulins. Après la disparition de l'empire romain d'occident le nombre de moulins à eau diminue en même temps que l'activité économique. Cependant, au temps de Charlemagne, les grands domaines monastiques possèdent des moulins à eau. Entre le 11ème et le 13ème siècle, la population française grandit et l'activité économique augmente, aussi les moulins à eau se multiplient. On peut penser que les moulins de la vallée de la Morge à Saint-Hilaire-la-Croix commencent à être construits à cette époque. Les seigneurs ont alors le monopole de la propriété des moulins et ils disposent des droits banaux associés à ces moulins : tout le blé récolté dans un certain périmètre du moulin doit y être amené et moulu contre redevance. Cette redevance s'appelle le droit de banalité. Elle est versée pour partie au seigneur et pour partie au meunier. Le meunier ne possède pas le moulin qui appartient au seigneur ; il n'est que censitaire, mais peut cependant transmettre à ses héritiers. Le seigneur lui fournit des terres à cultiver pour sa propre consommation. Le meunier est tenu de tout le service qui incombe au moulin : entretien du canal, du bâtiment et des meules qui doivent être piquées régulièrement. Cette situation était courante, mais, même à l'époque féodale, elle n'était pas générale. Des moulins étaient en d'autres mains que celle des seigneurs et n'étaient pas concernés par le droit de banalité. Qu'en était-il des moulins autour de Saint-Hilaire ? Notre seule certitude est qu'il existe des moulins au début du 12ème siècle autour de Saint-Hilaire. En effet l'acte de fondation en 1128 du prieuré de Lac Roy mentionne : « … Hugues de Chabilionen, Seigneur de Tiers et de Montpensier, a donné et accordé à l'église de Lac Roy la terre appelée Vaumort1, les bois, les moulins et tout ce qui en dépend... ».

Puis au 13ème siècle plusieurs donations mentionnent des moulins. En 1211 Pierre de Blot et Roger son fils font donation au prieuré de Lac Roy « de Montservaren2 jusques à la rivière de Ceype … un moulin et un étang, et trois œuvres de pré à Blot l'Église à la Soleyras et jusques à la vallée qui est entre Fontbonne3 et Monservaren et jusques à une autre vallée qui est sous le moulin de Gratet ». En 1223 « Noble dame Amblard4, épouse de Guillaume de Rocheford, fait donation au prieuré de tous ses biens en quelque lieu qu'ils soient situés, soit dans les confins de St-Hillaire5, de Vaumort, de Sauzet, même le moulin de Saint-Hillaire sur la rivière de Morge. » Nous ne savons pas où peut se situer ce moulin. Il est probablement proche de l'ancien prieuré de Saint-Hilaire, lui-même situé juste au dessus de l'actuel Moulin Bourret. En avril 1256 « Traité fait entre Guillaume de Sebazat et Estienne Guynabert par lequel Guynabert se desesiste au profit de Sebazat de tout le droit glanoir sur un moulin, bois, prés et terres que ledit Sebazat avait dans le territoire de la Feneyras6, paroisse de Saint-Hillaire ». Le seigneur de « Sebazat » (il s'agit de Cébazat proche de Clermont-Ferrand) avait des terres vers le hameau appelé maintenant Cébazat, hameau de Saint-Hilaire-la-Croix au bord de la Morge.

En 1397 un moulin dans une autre zone est évoqué dans les archives du prieuré de Lac Roy, le moulin d'Aiguechaudes, situé au delà de Chamalet vers la zone nommée Charponne aujourd'hui : « Reconnaissance faite au Prieuré de Lac Roy par Durand, bailli de Montcel, pour cinq septiers seigle, mesure du grenier dudit Prieuré et 4 sols argent de cens en directe pour le moulin d'Aiguechaudes et le

1 Valmort aujourd'hui, hameau de Saint-Hilaire-la Croix.2 Serverant aujourd'hui, hameau de Saint-Pardoux au dessus de la vallée de la Sep.3 Fontbonne est un hameau de Saint-Pardoux.4 La famille Amblard est la famille des Seigneurs de Montespedon.5 Il s'agit ici du vieux Saint-Hilaire que nous appelons aussi aujourd'hui Saint-Hilaire-sur-Morge.6 Il s'agit peut-être de la zone de « Pré Feneroux » sur le cadastre actuel, proche de La Rochette.

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pré y joignant, situé près du bois du cerisier de nuit, la terre de Beraud Dauphin, Seigneur de St-Agoulin, de jour et de midi. Et de bise la terre de la justice commune entre ledit prieuré et les Seigneurs de St-Agoulin et de Montespedon7. » Ce moulin est à nouveau évoqué dans deux textes en 1409 et en 1447.

Au 15ème siècle on retrouve mention de plusieurs moulins dans les archives du prieuré de Lac Roy. En 1404 un bail concerne un moulin neuf sur la Morge, peut-être situé vers Moulin Josse : « Bail à cens fait par le prieuré de Lac Roy à Étienne Monot et ses fils du moulin neuf, joignant le chemin commun de Vaumor à St-Hillaire de bise, le chemin de lac Roy à la Tour de Chalviat 8 d'orient, les prés d'Estienne Bertrand... ». En 1415 un autre bail concerne un moulin : « Bail à cens fait par Jean de Mota, prieur du Lac Roy, et les religieux dudit prieuré entre lesquels sont le curé de Champs et le prieur du Chastelard 9, ce dernier s'appelait Étienne de Montespedon. À Pierre Fructus et autres, de la place d'un moulin situé près de la chaussée du Grand étang de Lac Roy, de bise, la chute de l'eau sortant dudit étang de nuit, et d'orient le chemin appelé de pruneux, au cens de 3 septiers émine10 seigle, mesure Lac Roy, et 2 gélines ». En 1477 une transaction est liée à un moulin sur la Morge : « Transaction passée entre Pierre de Ligondais, prieur du Lac Roy, et Durand Molinier, au sujet de plusieurs différends, par laquelle ledit Molinier s'oblige de payer chaque an au prieuré, une émine seigle mesure Blot, une géline et 6 sols d'argent sur un moulin dudit Molinier, sis sur la rivière de Morge, terroir du Gourt Verville, justice de lac Roy, près le moulin bannal11 du prieuré ». Dans ce texte un « moulin bannal du prieuré » est évoqué. C'est le seul endroit à notre connaissance où est évoqué un moulin banal.

Au 16ème siècle on voit apparaître dans les archives du prieuré de Lac Roy mention du moulin de Charponne sur la rivière Cigogne12. Ainsi en 1575 : « … moulin d'Echarponne situé dans la chastellenie de Gannat joignant le bois du Cerisier d'une part, la justice du Seigneur de Matha de deux parties et la Justice du Seigneur de Saint-Agoulin d'autre. … ».

Nous avons connaissance de plusieurs actes datant du 17ème siècle concernant des moulins de notre secteur : en 1629 un acte de vente d'un moulin à Moulin Morel (cf [1]) , en 1648 une dette liée à un moulin à Cébazat (cf [1]) , en 1650 un acte de vente d'un moulin aux abords de La Gravière (cf [1]) , en 1653 un acte notarié citant un meunier à Moulin Bourret (cf [1]) , en 1686 une transaction concernant la perception de la dîme mentionnant un moulin Mazal et un moulin Monpied (archives du prieuré de Lac Roy), en 1687 un texte portant sur un différent pour la perception de la dîme mentionnant le « moulin d'Aiguechaudes » et le « moulin d'Echarponne » (archives du prieuré de Lac Roy).

Au 18ème siècle, nous disposons de deux documents, le terrier de Monteipdon et la carte de Cassini.

Le terrier de Monteipdon, datant de 1760, est un inventaire des terres du seigneur de Monteipdon avec les noms des tenanciers et des plans situant ces terres. Deux plans sont intéressants pour notre propos, un plan du hameau de La Gravière et un plan du hameau de Moulin Bourret. En haut plan ci-contre apparaît le nom « La grange vielle » qui est encore le nom du secteur au dessus de La Gravière dans le cadastre actuel. On voit un bief (« beal » sur le plan) et des maisons de chaque côté du bief qui sont sans doute des moulins ou des foulons. Les tenanciers sont Cl. Monpie le jeune (15 et 17), Fr. et Ger. Pouzol (16), Cl. Monpie le vieux (18), Gilbert Monpie (19).

7 Monteipdon aujourd'hui, hameau de Saint-Pardoux.8 Peut-être Chauviat aujourd'hui, hameau de Charbonnières-les-Vieilles.9 Le Chastelard pourrait être entre Saint-Pardoux et la vallée de la Ceype (cf [1] pages 43 et 44 ainsi que le plan 21)10 L'émine est une mesure de capacité11 « bannal » est bien l'orthographe utilisée sur le texte original12 Ce moulin se trouve sur la commune de Saint-Quintin à la limite de la commune de Saint-Hilaire -la-Croix

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Dans le plan de Moulin Bourret ci-contre apparaît aussi un bief avec deux maisons (153 et 154) de part et d'autre, sans doute moulin ou foulon. Leur tenancier est Pierre Arnaud. Il manque le début du bief qui n'était pas dans les terres du seigneur de Monteipdon. On voit aussi le début d'un autre bief, celui qui alimente les moulins de Cébazat.

Le second document est la carte de Cassini qui a été dressée en Auvergne vers 1770-1780. L'extrait ci-dessous correspond au cours de la Morge entre La Gravière et le pont de Montcel. Les moulins sont notés par la symbole . On dénombre 8 moulins. Le premier en amont est le moulin Montpied, le second est à la Gravière, puis vient le moulin Josse, ensuite deux moulins autour de « Sébazat », le moulin Morel et enfin deux moulins autour du pont en bas de « Moncel ». On peut remarquer qu'il n'y a qu'un hameau le long de cette portion de Morge, le hameau de « Bouret », dans lequel le moulin serait oublié.

À la Révolution, les banalités sont abolies. La vente des biens de l'église et des nobles permet à des meuniers assez aisés de racheter leurs moulins. C'est aussi à partir de cette époque que des paysans en construisent pour moudre les céréales du hameau, du village ou parfois simplement pour leur famille. Une enquête, demandée par la commission des subsistances de la République en l'an II (1793) a donné les résultats suivants (cf [1]). À Saint-Hilaire-la-Croix il y a 9 moulins sur la rivière Morge : « Ils ont des

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Extrait de la carte de Cassini

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meules de grès faisant d'assez bonnes farines, peu de son, tournant par des rouages à sabots, autrement dit à coupes, font 12 quintaux toutes les 24 heures, ladite farine propre à faire le pain d'Égalité... ces moulins se trouvant dans un pays peu peuplé, et d'un abord difficile ne pouvant y arriver qu'avec des mulets à bâts, et chômant les trois quart de l'année. » Il y a 5 moulins à Montcel qui « manquent plus souvent d'eau que ceux de Charbonnières... aussi exposés aux inondations et gelées ce qui leur fait perdre un temps de 4 mois. » On constate qu'après la révolution il y a 14 moulins là où il y en avait 8 une vingtaine d'années auparavant. Cependant ces moulins ne semblent guère prospères... D'après une liste des meuniers patentés (cf [1]) il y avait en l'an VI (1797) 6 meuniers à Saint-Hilaire et 5 meuniers à Montcel.

Il est possible de faire un point sur les moulins de la Morge au début du 19 ème siècle grâce au cadastre Napoléon. Ce cadastre a été réalisé à Saint-Hilaire et à Montcel en 1826. En descendant le cours de la Morge, nous allons regarder des extraits de ce cadastre hameau par hameau.

Le premier moulin en amont de La Gravière est le moulin de Montpied, sur la commune de Charbonnières-les-Vieilles. Il y a deux moulins (383 et 385) et un foulon (382). Les propriétaires sont les héritiers d'Amable Montpied, décédé en 1824.

Le hameau de La Gravière lui-même est traversé par un bief qui alimente deux moulins (385, 386) et deux foulons (387, 388). Les propriétaires sont François Pouzol (385), Gilbert Monpied (386), Charles Blot ainé (387) et Jean Monpied (388).

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En aval de la Morge on voit apparaître (cf extrait de gauche ci-dessous) un petit bief et une habitation avec l'indication « moulins et foulons » (367, 368). Les meuniers sont Charles Blot jeune (367) et Gilbert Monpied (368). Un peu plus loin encore en aval on trouve (cf extrait de droite ci-dessous) un autre bief et, avec la même indication, une autre construction (515) appartenant à François Pouzol.

Passons maintenant à Moulin Josse. Sur la carte ci-dessous le village apparaît avec la Morge au dessus et la Sep à gauche qui se jette dans la Morge. Le bief qui a commencé sur la Morge en amont se sépare en trois bras qui alimentent deux moulins (117, 123) et un foulon (124). Les meuniers sont Jean Laroche (117) et Marien Laroche (123). Le foulon appartient pour moitié à Jean Laroche et pour moitié à Claude Laroche.

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En descendant la Morge on trouve Moulin Bourret. Un bief traverse le hameau. Il alimente deux moulins (327 et 338) et un foulon à chanvre (329). Les héritiers de Marien Pouzol sont propriétaires d'un moulin (327) et du foulon tandis que Gilbert Labbe est propriétaire de l'autre moulin (338).

On trouve ensuite Cébazat. Le premier extrait de carte ci-dessous est traversé par un long bief qui a démarré juste après Moulin Bourret. En haut à gauche le premier moulin le long de ce bief est le moulin de Roche (312) appartenant aux héritiers de Marien Laroche. Puis le bief traverse le hameau de Cébazat de l'époque, où se trouve un moulin (438), propriété de Balthazard Laroche. On distingue un petit bief autonome avec une construction (440) entre le grand bief et la Morge. Cette construction a sans doute été une maillerie. En 1826 elle est indiquée comme une masure et appartient à Jean Balthazard Laroche.

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Le second extrait ci-dessous montre la zone de Cébazat plus en aval de la Morge. Dans une zone nommée Moulin de Cébazat, un moulin et un foulon (474) apparaissent, alimenté par un autre bief qui utilise l'eau de la Morge mais aussi l'eau du ruisseau du Pasgrand. Leur propriétaire est Claude Graverol.

On remarquera que le village actuel se trouve à l'emplacement marqué « chez Roche », que de l'ancien hameau ne subsiste que l'actuel moulin de Cébazat et que le moulin indiqué ici « moulin de Cébazat » a disparu.

Puis arrive Moulin Morel, dit « chez Tata ». Ce nom semble très ancien. Un acte de mariage du 18 pluviose an XI (7 février 1803) le mentionne : « la mariée est fille de Marien Grenier et Gilberte Nony, meuniers domiciliés section de Chatata ».

Là aussi un bief traverse le village et on trouve 3 moulins (582, 583, 596). Le moulin 582 appartient à

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Claude Rougier et à Guillaume Laroche. Le moulin 583 appartient à Guillaume Laroche. Gabriel Chatron et Guillaume Mosnier sont propriétaires du moulin 596.

Un nouveau bief démarre après Moulin Morel. Il arrive sur la commune de Montcel et alimente Moulin Neuf où il y a deux moulins (119 et 120) et une maillerie (118). Le propriétaire du moulin 119 et de la maillerie est Guillaume Aubert. Le propriétaire du moulin 120 est Gilbert Lescure.

En contrebas démarre un bief qui alimente des moulins du Pont de Montcel.

Un centre important de meunerie se trouve au Pont de Montcel. Sur la rive gauche il y a deux moulins (144, 145) dont les propriétaires sont Michel Girbon et Charles Durantel. Sur la rive droite il y a trois moulins (371, 372, 373) et deux foulons (374, 375) alimentés par un autre bief. Chacun des deux moulins 371 et 372 appartiennent à François Rougier et à Gilbert Simon. Le moulin 373 appartient à Gilbert Simon, Gilbert Fourniat et Benoît Chosse. Le foulon 374 appartient à Charles Durantel et à François Rougier, le 375 à Gilbert Simon, Gilbert Fourniat et Benoît Chosse.

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Nous avons vu que le nombre de moulins dans la vallée de la Morge a augmenté suite à la révolution, puis a continué à augmenter pendant le premier quart du 19ème siècle en passant de 14 à 21 pour Saint-Hilaire et Montcel réunis. Ce nombre va se stabiliser dans la suite du 19ème siècle, puis diminuer. Les recensements successifs montrent que la population globale des cinq hameaux de la vallée de la Morge diminue durant cette période. Seul Moulin Bourret croît jusqu'en 1872. Le recensement de 1846 donne, en plus du nombre, de l'âge, du sexe et de la profession des habitants, des commentaires sur leur état social. Cela donne une impression de grande misère. La mention « indigent » apparaît de nombreuse fois... Les ressources étaient faibles et la vallée n'était accessible que par des chemins peu commodes. La route départementale de Montcel à Blot ne sera construite qu'en 1907.

2 - Les moulins au 20ème siècle

Au niveau national, après une période de difficultés pendant et juste après la guerre de 14-18, il y a une surproduction de farines dans les années 1930. Un décret du 30 octobre 1935 interdit la création de nouveaux moulins à farine, ainsi que la réouverture des moulins fermés, limitant en même temps la capacité d’extension et la capacité d’écrasement des moulins en activité. En 1953 le "droit de mouture" autorise la transformation totale ou partielle du contingent de production en droits cessibles, ce qui avantage la création de grandes minoteries. C'est la période de disparition des petits moulins et de la concentration de la production de farine dans les grandes minoteries. Ce système de contingentement reste valide jusqu'à peu. Au début du 21ème siècle des petits moulins destinés à une production à la ferme ou à intérêt touristique cherchent à se développer. Comme le contingentement s'avère trop rigide pour eux, la réglementation (décret du 20 mars 2009 relatif à la meunerie et modifiant le livre VI du code rural) évolue en distinguant les grands et les petits moulins et permet le développement de ces petits moulins .

Autour de Saint-Hilaire, au début du 20ème siècle, l'activité meunière est présente dans les villages de la vallée de la Morge et au bord de la Cigogne. Voici un extrait pour les moulins qui nous concernent d'un tableau13 établi par l'administration en 1899 où l'on trouve l'inventaire des « usines » le long des cours d'eau du département. Les moulins décrits sont tous des moulins fariniers ayant des roues à augets au dessus, quinze sont le long de la Morge, un le long de la Cigogne :

Lieu Propriétaire Rivière Nombre de paires de meules

Hauteur de chute en

eaux ordinaires (en mètre)

Force brute

(en chevaux vapeur)

Force utilisée

(en chevaux vapeur)

Moulin Montpied Montpied François Morge 1 2,75 3,52 2,11

La Gravière Richard Morge 1 2,95 7,82 4,69

La Gravière Montpied Bernard Morge 1 2,9 3,75 2,25

Moulin Bourret Laroche François Morge 2 3 4,36 2,62

Cébazat Rossignol Guillaume Morge 1 1,8 3,1 1,86

Cébazat Rougier Gilbert Morge 1 2,7 3,36 2,02

Moulin Morel Laroche Jean Morge 1 3,2 5,75 3,45

Moulin Morel Garde Antoine Morge 1 3,6 2,74 1,64

Moulin Neuf Laurent Michel Morge 2 3 2,48 1,49

Moulin Neuf Bourson Morge 1 3,09 3,06 1,84

13 Statistique des cours d'eau, archives départementales, cote S5326

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Le Pont de Montcel Mandet Morge 3 3,753,45

3,352,40

21,44

Le Pont de Montcel Chazal Morge 2 33,7

3,63,75

2,162,25

Le Pont de Montcel Boulon Michel Morge 2 3 8,92 5,35

Le Pont de Montcel Champeyroux Morge 2 3 9,4 5,64

Le Pont de Montcel Garde Morge 2 3 8,92 5,35

Charponne Malcourant Cigogne 2 5,5

Les villages où se trouvent ces moulins sont misérables, isolés, mais encore très peuplés. La vallée de la Morge est désenclavée en 1907 grâce à la construction de la route allant de Combronde à Blot-l'Église. La vie « moderne » entre dans la vallée, principalement après 1918. On aurait pu penser que cela allait permettre un développement économique. Il n'en a rien été. Le 20ème siècle a vu la disparition progressive de l'activité meunière et une diminution drastique du nombre d'habitants dans les villages. Nous allons voir comment cela s'est passé village par village.

a) La Gravière – che me pi

Le village de La Gravière s'appelait en patois « che me pi » (chez mon parrain), francisé en « chez Monpié, puis Monpied ». C'est le village des Montpied. Antoine Monpied est un des premiers meuniers identifiés à La Gravière. Il décède en 1685. Suite à son décès, ses héritiers se partagent les terres, le moulin farinier et les trois mailleries. L'un d'eux va engendrer des générations de meuniers. Au début du 20ème siècle, ce hameau compte huit maisons et trois moulins, le moulin Montpied sur la commune de Charbonnières et deux moulins dans le village proprement dit. Ces deux moulins sont sur le même bief et

se partagent les droits d'eau. Le propriétaire du moulin sur la rive gauche du bief est surnommé Vendôme. Le propriétaire de l'autre moulin est Benoît Montpied, dit « Bano », né en 1875. Il est marié à Berthe Blot et a une fille, Marie Louise, née en 1909. Le propriétaire du moulin Montpied est Benoît Montpied, né en 1883. Il est marié à Philomène Ray, loge à Valmort et a cinq enfants, Alexis né en 1905, Aimée née en 1906, Henri né en 1909, Alice née en 1912 et Georges né en 1914. Marcel Montpied, fils d'Henri et neveu du dernier meunier, Alexis, raconte : « Le moulin « d'en haut », appelé le moulin Montpied, est agrandi vers 1911. Ce nouveau moulin est tout de suite équipé de cylindres. La tournée est faite en carriole à

cheval. Benoît est le patron meunier et travaille avec ses fils. Benoît fait installer l'électricité au moulin

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Le moulin d'en bas à La Gravière en 2016

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« d'en haut » dans les années 1945-1946 en vue de moderniser le moulin qui manque de puissance pendant l'été. Edmont Blot (dit Monmon), autodidacte, travaille à moderniser les nouvelles machines, un matériel qu'il ne connait pas. Tout fonctionne comme une horloge. Il part comme monteur dans les minoteries en abandonnant le métier de paysan. Alexis, le fils ainé, épouse Marie Louise, fille de Benoit le patron du moulin du village. Alexis travaille aussi avec son beau-père au moulin d'en bas. Il devient ensuite le patron des deux moulins. Il rachète le moulin de Vendôme, non pour le faire fonctionner, mais pour les droits d'eau. Ce moulin est démonté et les meules, de petit diamètre, sont achetées par Monsieur Montel, de Cellule, pour faire de la farine pour les bêtes. Le moulin d'en haut est encore modernisé vers 1948. Il est équipé d'une mélangeuse et d'un broyeur supplémentaire. Le débit, donc le rendement, est ainsi augmenté. Paul, le fils d'Alexis né en 1924, travaille avec son père. Ils travaillent aussi tous les deux sur le moulin d'en bas. Dans ce deuxième moulin il y a deux paires de meules, une paire étant réservée à la farine pour les animaux. C'est possible car on peut laisser tourner le grand moulin deux heures tout seul et aller au deuxième moulin. La force hydraulique est abandonnée pour le moulin d'en haut pour utiliser uniquement un moteur électrique. Alexis et son épouse Marie-Louise, Paul, sa femme Josette et leurs trois filles Pierrette, Michelle et Christiane logent tous dans une maison au toit en ardoises au centre de La Gravière. En 1949 ils achètent d'occasion un camion Citroën U23 de 2,5 tonnes. Il provient des cafés Escla de Clermont-Ferrand, qui étaient la propriété de monsieur Bouyeur, le propriétaire du gour de Tazenat de l'époque. Monsieur Bouyeur donne en plus 10 kg de café, cadeau bien apprécié à cette époque de privations. C'est Paul qui conduit le camion. Le camion étant plus large que les carrioles utilisées auparavant, il ne peut pas tourner à gauche en sortant du chemin de La Gravière en direction de Blot. Il doit aller faire demi-tour à Moulin Josse. Le chemin est élargi en 1951 pour éviter cet inconvénient. Il faut également élargir le pont d'accès au moulin Montpied qui passe sur la Morge. Le chantier est conduit par le maçon de Gourlanges André Davaud, aidé d'Alexis, de son frère Henri, de Paul et de gens de Valmort. Il y a aussi Edmond Blot, Lili Ray, Marius Boile et son frère Eugène qui donne à boire, tous de La Gravière.

Lorsque nous donnons directement au paysan de la farine nous disons que nous sommes payés à façon. Puis vient l'échange : le meunier moud le grain et livre la farine au boulanger. Chaque paysan demande un papier à la mairie indiquant qu'il a droit à faire moudre 300 kg de grain par personne de la famille, bébé et personnes âgées compris. Avec ce papier il va chercher des bons au bureau de tabac, dépositaire pour le compte des services fiscaux. Il donne un bon et trois sacs de blé au meunier à chacun de ses passages. Ce bon est destiné aux impôts. Le meunier est contrôlé, tout son travail doit être consigné dans un grand livre. Si le paysan a plus de blé que la quantité qu'il peut donner au meunier pour son pain, il le vend, soit au meunier soit à un marchand de grains. Le meunier lui-même est contingenté. Il a un plafond de mouture à ne pas dépasser.

Malheureusement Paul meurt prématurément en 1954. Alexis abandonne alors le petit moulin. Il continue à travailler dans le grand moulin avec l'aide de son frère Henri, mon père. En 1956 Alexis achète un deuxième camion, le nouveau U23. André Ray, Alexis La Croix, Jean Bazar, René Richard et moi-même le conduisent ainsi que Josette, la veuve de Paul, quand elle a obtenu le permis poids lourds. En 1965 René Richard arrête d'être chauffeur et Josette préfère acheter un fourgon Volkswagen moins gros. Le moulin s'arrête vers 1968. Et Alexis décède en 1969. »

b) Moulin Bourret

Au début du siècle il n'y a plus qu'un moulin au village. Des Laroche se sont succédés de père en fils comme meuniers depuis 1861. Au tournant du siècle François Laroche vend le moulin à Jean Batisse. En 1903, en livrant de la farine, le nouveau meunier se tue accidentellement sur le chemin qui va des Bajaris à la route nationale, dit chemin des lignières. Cela scelle la fin du moulin. Le matériel du moulin est réutilisé au moulin Compagnon, sur le Gourre en contrebas du Gour de Tazenat, lors d'un agrandissement en 1926 (cf [1]).

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c) Cébazat

Au début du 20ème siècle il y a un seul moulin en activité. Lorsque la route départementale allant de Combronde à Blot a été construite, le village de Cébazat s'est déplacé au bord de la route dans sa situation actuelle. Le moulin qui se situe en aval du village actuel a été enfoui au moment de la construction de la route et a disparu. Le premier meunier du siècle est Gilbert Rougier, né en 1842. Ce descendant d'une famille de meuniers de Moulin Morel est revenu au moulin des ancêtres de son épouse, Marie Blanc. Il était maçon et maintient le moulin vieillissant. Leur fils, prénommé aussi Gilbert, né en 1880, lui succède avant 1911 avec son épouse Françoise Bichard. La propriété du bâtiment revient à Eugène Sauvestre, menuisier à Combronde, puis à Gabriel Rougier, frère de Gilbert. En 1913 le moulin est reconstruit et rénové. Il appartient désormais à Me Lemasson, née Bichard, qui vit à Sauxillange. Elle a besoin de meuniers pour faire tourner le moulin. Ce sont peut-être d'abord Jean Martin père et son fils dit « Baptiste » présents à Cébazat avant 1917. C'est ensuite Joseph Sauvestre, issu d'une famille de meuniers de Mozac. Le moulin est important. La farine à pain est produite avec des cylindres. Les anciennes meules

servent pour la farine à animaux. La famille Sauvestre quitte Cébazat vers 1935 et repart à Mozac. Michel Breuly, qui est originaire d'Aubière et qui travaillait à la briqueterie de Combronde, prend la suite de Joseph Sauvestre. Il se déplace en camion pour les livraisons. Premier malheur, le camion brûle. Il faut acquérir un autre véhicule. Michel Breuly épouse Edmée Pouzol de Moulin Bourret en 1936 et malheureusement décède d'une méningite foudroyante en 1937, la veille de la naissance de sa fille Michelle. L'activité du moulin s'arrête là. Alphonse Louis Blot achète le bâtiment en 1952 et l'utilise comme grange, bergerie et cave. La famille Blot vend vers 1974 les bâtiments à Gérard Chatry, qui les revend à Robert et Annie Peyrou en 1997. Ces derniers rénovent le moulin. Robert remet en eau le bief en décembre 2015 et construit une roue qui doit tourner en 2016.

d) Moulin Morel

Au début du 20ème siècle il y a encore deux moulins à Cébazat. Jean Beaujard dit « Jeantet », marié à Marie Laroche, travaille dans le moulin au bord amont du hameau. Il décède à 46 ans en 1907 et le moulin cesse de fonctionner. Les meules sont achetées et montées en moulin à farine pour le bétail chez Antonin Monpied à Champs vers 1942. Le moulin en aval fonctionne avec Antoine Garde, déjà meunier au Pont de Montcel. Jean Martin, dit Baptiste, de Cébazat, prend le relais. Il acquiert le moulin en 1934. Il se déplace avec son âne pour aller chercher les grains chez les paysans et pour livrer la farine. Beaucoup se souviennent de Baptiste et son âne. Il se déplace moins vite que les autres meuniers, ces derniers possédant des camions plus ou moins grands. Il fait de la farine pour les animaux. Il est aussi rhabilleur de meules, c'est-à-dire qu'il recreuse les sillons des meules pour en garder l'efficacité. Jean

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Le moulin de Cébazat en 2016

Baptiste et son âne à Cébazat

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Martin décède à 69 ans, le 7 septembre 1951 à Riom, sans doute à l'hôpital. Nous ne savons pas exactement quand il a cessé de travailler. Pendant la guerre de 1939-1945 il travaille encore.

e) Le Pont de Montcel

En amont du Pont de Montcel, le Moulin Neuf compte deux moulins au début du 20ème siècle. En 1901 et 1906 les meuniers sont André Aubert et Guillaume Bourson. En 1911 Etienne Aubert a succédé à son père tandis que Guillaume Bourson est toujours patron. En 1921 et en 1926 il n'y a plus qu'un meunier, Antoine Papereux, gendre de Guillaume Bourson. En 1931 Antoine Papereux n'est plus marqué meunier sur le recensement, mais cultivateur. Le moulin semble cesser son activité entre 1926 et 1931.

Au Pont de Montcel proprement dit, on compte 5 moulins, trois sur la rive droite et deux sur la rive gauche. En 1901 les meuniers sur la rive droite sont Martin Champeyroux, Michel Boulon et Antoine Garde. Antoine Garde est marqué meunier sur le recensement de 1926 et cultivateur en 1931. Donc le moulin Garde semble arrêter son activité entre 1926 et 1931. En 1936 les moulins Champeyroux et Boulon sont en activité. Au recensement de 1946 Albert Champeyroux et Gilbert Boulon sont mentionnés comme meuniers. Ils cessent sans doute leur activité peu après. En 1901, les meuniers sur la rive gauche sont Blaise Plazenet pour un moulin, Marien Dumont et Louis Chazal pour l'autre. Le moulin Plazenet comporte un ensemble moulin à farine, carderie, huilerie qui a été réalisé dans les années 1880-1890. Ce moulin s'arrête en 1938. Seule l'activité de l'huilerie est ouverte clandestinement pendant la guerre de 39-45 pour satisfaire une clientèle en peine de ravitaillement. L'autre moulin de la rive gauche, le moulin Porte-Dumont, fonctionne jusqu'en 1960. Le dernier meunier, Jacques Porte, nous a raconté ses souvenirs :

« J'ai travaillé au moulin de 1950 à 1960, date d'arrêt du moulin. J'effectuais les livraisons avec un commis, Edouard Jerry, tandis que mon oncle, Maximilien Dumont, faisait tourner le moulin. C'était un travail très pénible. Le moulin avait appartenu à la famille Durantel, puis la famille Chazal. Mon grand-père maternel, Marien Dumont, a épousé une fille Chazal et a pris en charge le moulin en 1925. Ensuite mon père, qui avait épousé une fille de Marien Dumont, et mon oncle ont pris la succession. Le moulin est alors devenu le moulin Porte-Dumont. Le moulin avait deux circuits d'eau et deux roues. Il utilisait, en plus de la force hydraulique, un moteur, d'abord à huile lourde, puis électrique. Il avait un nettoyeur, des meules de pierre, des cylindres et deux bluteries. Il a été équipé de broyeurs à cylindres métalliques en 1925. Ces cylindres servaient à faire la farine de blé, tandis qu'une paire de meules restante servait à concasser de l'orge ou de l'avoine pour faire de l'aliment pour le bétail. La production de farine de blé avec les cylindres était de 35 quintaux par jour alors qu'avec les meules elle n'était que de 10 quintaux par jour. C’était un moulin à reprise, les grains de blé repassaient une deuxième fois dans les appareils afin d’obtenir plus de farine. Pendant la guerre on faisait un peu de farine de maïs qui était mélangée à la farine de blé. Le moulin était aussi équipé d'une dynamo qui produisait de l'électricité à 110V. Cela permettait d'éclairer les pièces du moulin et d'habitation quand la roue tournait. Le nettoyage et l'entretien se faisaient l'été. On bouchait les trous du tissu de la bluterie avec de la colle à base de farine. On rhabillait les meules, c'est-à-dire on tapait dessus pour refaire les rainures. Pierre Montpied, de Montcel, ainsi qu'Edmond Blot, de La Gravière, effectuaient les réparations dans les moulins. Ils étaient très sollicités. Pour 100kg de blé le moulin produisait 70kg de farine panifiable, 20kg de son et 5kg de déchets. Si l'on voulait de la fleur de farine, 100kg de blé en donnait 60kg. On allait chercher le blé chez les agriculteurs et on livrait la farine produite soit directement à ces agriculteurs, soit à des boulangers pour le compte des agriculteurs. On était alors payé pour la mouture soit en argent, soit en nature avec du son. On achetait aussi du blé à la halle aux grains à Combronde. On vendait alors la farine produite. On vendait aussi du son. On avait un camion pour les livraisons. On avait comme client des agriculteurs de Montcel et de toutes les communes environnantes, Saint-Hilaire, Jozerand, Saint-Agoulin, Chaptuzat, Effiat, Artonne, Aigueperse, Montpensier, Saint-Myon, Beauregard-Vendon, Davayat, Gimeaux, un peu Champs. Pendant la guerre de 39/45, par manque d'essence, on ne pouvait pas utiliser le camion. Les agriculteurs venaient alors avec leurs tombereaux. »

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f) Le moulin de Charponne

Ce moulin se trouve sur la commune de Saint-Quintin, aux confins des communes de Marcillat, de Saint-Hilaire-la-Croix et de Champs, au bord de la Cigogne. Ce moulin appartient à la famille Malcourant depuis au moins 1836. En 1901 le meunier est Pierre Malcourant. Le moulin fonctionne jusque dans les années 30 avec son gendre Paul Sauvestre. La maison est abandonnée juste avant la guerre de 1939. Pendant la période 39-45, ses bâtiments servent pour faire des bals clandestins.

g) Saint-Pardoux

Avant la guerre de 1914-1918, Léon Mandet crée un moulin à Saint-Pardoux. Léon Mandet est né en 1874. D'origine paysanne, il a un accident et il est immobilisé de longs mois. Il satisfait alors son goût pour la mécanique en lisant de nombreux documents techniques. Cela lui donne l'idée de créer un moulin. Ce moulin est situé à l'entrée de Saint-Pardoux quand on vient de Combronde, à droite de la maison de la famille Laurent. Le moulin n'est pas à eau comme dans la vallée de la Morge. Il fonctionne peut-être au début avec un moteur à huile, à pétrole ou à essence. Ensuite il fonctionne à l'électricité. Léon adjoint à son moulin à farine une scierie, une forge et un tour à bois. Le moulin tourne jusque dans les années 50. Léon Mandet décède peu après l'arrêt du moulin.

3 - Un peu de techniqueEssayons de décrire le fonctionnement d'un moulin farinier à

eau. Chaque moulin a ses caractéristiques propres et les techniques ont évolué à travers le temps. Voici le système le plus répandu dans les moulins de la Morge au 19ème siècle.

Le moulin se sert de l'eau de la Morge comme force motrice. Il est installé à un endroit où il est possible d'utiliser un dénivelé de la rivière. L'eau est captée et amenée à l'emplacement du moulin par un canal de dérivation plus ou moins long, appelé bief. L'eau est dirigée sur une roue et son débit assure le mouvement de cette roue. Le débit d'eau est régulé par un système de vannes de manière à avoir, si possible, un débit optimum pour faire tourner la roue. La roue est verticale et l'eau arrive par dessous ou par dessus. Quand la roue tourne, elle entraine un axe qui fait tourner une meule.

Le système de broyage est constitué de deux meules horizontales. La meule inférieure fixe est dite dormante ou gisante. La meule supérieure, dite courante, tournante ou volante, tourne sur la meule inférieure, entrainée par un axe vertical, lui-même entrainé par le mouvement de la roue. La transmission de la rotation

horizontale de l'axe de la roue en rotation verticale de l'axe de la meule s'effectue par un système d'engrenage composé sur l'axe de la roue d'une roue dentée appelée rouet et sur l'axe de la meule d'une roue dentée, appelée lanterne, munie de dents en bois appelées alluchons. L'axe en fer de la lanterne repose en bas sur le sol et

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Trémie, auget , meules (moulin Pont de Montcel)

Roue (Moulin des Palles)

Transmission (moulin de Villonne)

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supporte la meule courante à l'étage au dessus. Le grain à moudre est contenu dans une trémie en forme de pyramide renversée, à base rectangulaire. Une petite caisse de bois, l'auget, placée en dessous de la trémie, reçoit le grain et le verse au centre de la meule. C'est un organe régulateur de la distribution du grain : les effets de la gravité s'y combinent avec ceux d'une trépidation imprimée par un bâton en bois dur appelé frayon ou babillard. Le frayon est fixé sur l'axe de la meule volante. En tournant, il frappe l'auget sur le côté quatre fois à chaque tour de roue, et à chaque coup il fait glisser une certaine quantité de grains. C'est le frayon qui est responsable du caractéristique tic-tac des moulins.

Le grain est ainsi acheminé vers le centre de la meule, nommé l’œillard. Il s'infiltre entre les deux meules dont les faces sont creusées de sillons de manière à faciliter sa progression durant son écrasement. La mouture (farine et son) est expulsée vers l'extérieur par la force centrifuge. Pour qu'elle ne se répande pas partout autour des meules, chacune d'elles est enfermée dans un coffrage de bois circulaire. La mouture s'échappe, après avoir effectué un tour complet, par une trémie qui aboutit dans une auge où elle est recueillie.

On récupère donc à la fois la farine et le son, qu'il faut ensuite séparer. Le tri s'effectue grâce à un blutoir. Cet appareil a la forme d'un long cylindre positionné horizontalement avec une légère pente. Il est constitué d'une carcasse en bois recouverte de tamis de soie. Il est animé d'un mouvement de rotation grâce à un axe de fer. Les tamis de soie ont une trame de moins en moins fine ce qui permet de récupérer des farines de moins en moins fines et le son dans diverses auges.

Deux innovations se répandent au 20ème siècle. D'abord les meules de pierre sont remplacées par des cylindres métalliques entre lesquels le blé est broyé. Ensuite le plansichter remplace le blutoir. Il s'agit d'un appareil à « tamisage plan », par opposition au blutoir rotatif. Il est animé d'un mouvement horizontal. Le

plansichter est composé de 2 à 8 caisses, elles-mêmes composées de plusieurs porte-tamis. Chacun peut recevoir un tamis d'une ouverture de maille déterminée afin de pouvoir tamiser les différents produits de mouture et ainsi faire le classement des semoules et farines.

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Plansichter (moulin de Villonne)Appareil à cylindres(moulin de Villonne)

Carcasse d'une bluterie à pans (moulin Pont de Montcel)

Meule et outils de rhabilleur (moulin de Montciant)

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Partie II

La fabrication du pain

Le pain levé est l'aliment de base de notre société. Il est fabriqué à partir de farine, de levain, de sel et d'eau. La farine provient principalement du blé et du seigle, qui sont des céréales panifiables. On peut aussi utiliser des farines d'autre provenance : orge, maïs, châtaigne, noix… Les céréales panifiables se caractérisent par la présence de gluten, qui favorise la montée de la pâte et la création de mie.

1 - Un peu d'histoire14

Les premiers textes mentionnant l'existence de pain levé et de boulangers remontent à l’Égypte ancienne (-2700) et à Sumer (-2100). Les Hébreux connaissent, ainsi que d'autres peuples à la même époque, le pain levé puisque lors de l'exode « le peuple emporta la pâte avant qu'elle ne fut levée » (-1200). Les Grecs découvrent le pain au levain en Égypte vers -800. Petit à petit cet aliment prend de plus en plus d'importance en Grèce et les techniques de fabrication se perfectionnent. Ainsi Dinias écrit en -363 : « Nous possédons aujourd'hui mille moyens de transformer toutes les sortes de farine en une nourriture aussi saine qu'agréable. Ajoutez un peu de lait, d'huile et de sel à la farine de céréales et vous obtiendrez les pains les plus

délicats ». Les Romains goûtent au pain au deuxième siècle avant JC. Les notables romains font venir des boulangers grecs dans leur villa pour leur confectionner différents pains. Les Romains développent la culture du froment, car son grain ne nécessite plus de grillage ou de pilage avant moulure, et de plus il contient du gluten qui favorise la montée de la pâte. Vers +100, le froment est cultivé largement dans l'empire romain. Un collège de meuniers-boulangers est fondé à Rome en -14. Les frises sur le tombeau d'Eurysacès, monument funéraire érigé vers -30 à proximité de la porte Majeure à Rome en son honneur, témoignent de l'activité de ce meunier-boulanger (voir l'image ci-dessous).

14 Ce paragraphe s'inspire largement de [6]

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La légèreté du pain consommé par l'élite gauloise est réputée et attribuée à la présence d'écume de cervoise dans la pâte. Pour la religion chrétienne, qui se diffuse dans l'empire romain à partir du 2ème

siècle et en devient la religion officielle au 4ème siècle, la symbolique du pain est omniprésente. Les écritures saintes de cette religion recèlent environ quatre cents références au pain.

Les peuple dits barbares qui envahissent l'empire romain au 5ème siècle assimilent de nombreux aspects de la civilisation romaine, dont l'usage du pain levé. Cependant, durant cette période, l'agriculture décline et les moulins à eau gallo-romains ne sont pas entretenus. Au 7ème siècle les moulins à eau urbains réapparaissent. Les rares boulangeries de l'époque se situent dans les cours royales, dans les villes fortifiées et dans les abbayes. Dagobert publie vers 630 des édits concernant la réglementation de la vente du pain.

Au Moyen-Âge chaque village possède un four à pain propriété du seigneur, le four banal. Ce four a l'exclusivité de la cuisson du pain. Les cuissons et la gestion des redevances sont confiées au fournier. Un contrat très précis est passé entre le seigneur et le fournier. Ainsi le fournier doit se procurer le bois de chauffe dans les terres du seigneur selon des consignes strictes. Le coût de cuisson se situe aux alentours d'une

tourte due pour une quinzaine de cuites. Pratiquement toutes les céréales sont panifiées (orge, avoine, épeautre, millet, seigle). Le froment, céréale fragile, est tout à fait minoritaire, sauf peut-être dans la couronne parisienne à partir du 13ème siècle. La mouture manuelle, les bouillies et la cuisson sous la cendre sont pratiquées pour éviter de payer l'impôt de banalité. Dans certaines provinces au terroir peu fertile, les paysans consomment essentiellement des bouillies (gruau d'avoine) jusqu'à la fin du 18ème siècle.

Dans les villes la profession des talmeliers, ancien nom des boulangers, s'établit. La corporation des talmeliers est créée en 1167. Cette corporation est très puissante, au point de pouvoir financer, par exemple, un vitrail de la cathédrale de Chartres. Les talmeliers fabriquent des pains de petite taille, toujours ronds. Ces boules (d'où peut-être l'origine du mot boulanger : homme qui tourne des boules) pèsent 9, 12, 24 onces (l'once correspondait à environ 30 g). Les tables du Moyen-Âge ne comportent pas d'assiettes. Les riches ont l'habitude de déposer leur viande sur des pains tranchoirs. Ce sont peut-être des pains plats spécifiques ou bien des tranches de mie suffisamment rassies. Ces pains, imbibés de jus de viande, sont ensuite distribués aux pauvres.

Au 16ème siècle, il semble que les pâtes à pain ont été volontairement sous-hydratées, donc fermes, car on considère qu'un pain fabriqué avec davantage d'eau est moins nourrissant. On commence le pétrissage avec les mains, mais lorsqu'il y a beaucoup de farine, on l'achève avec les pieds, quelquefois nus, quelquefois enveloppés dans un sac. Entre 1450 et 1550, on assiste à une montée

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du luxe dans les villes. Les pâtisseries à base de sucre de canne et de poudre d'amande apparaissent en Italie. En France, vers 1570, les cuisiniers de Catherine de Médicis fabriquent pour la reine, un pain mollet contenant lait, sel et levure de bière. Peu après, ce pain fait fureur à Paris. Un autre pain connaît le succès au 16ème siècle, le pain de chapitre. Il est fabriqué avec une farine très blanche. Sa pâte est ferme et la fin du pétrissage s'effectue avec une brie, sorte de levier permettant de travailler des pâtes très dures. Une police du blé et du pain est créée en 1570. Elle est chargée de contrôler le négoce du blé sur les marchés aux grains, d'effectuer à intervalles réguliers des essais de rendements de farine en pain afin de déterminer le prix de vente maximum. Elle impose également des qualités réglementaires, la présence de balances sur les lieux de vente et des marques sur le pain.

Au 17ème siècle le développement des sciences profite à la technologie meunière et boulangère. Les premiers travaux scientifiques applicables à la levure bénéficient de l’invention du microscope. La fermentation par la levure de bière se développe et le pain se diversifie. Cependant les récoltes des dernières décennies du 17ème siècle sont catastrophiques. Dans les campagnes, des « pains » de glands, de racines de fougères, de farine de lentilles sont consommés. À Paris, le roi fait importer des grains d'Italie et de Pologne pour éviter les émeutes. Il fait même construire des fours dans la cour du Louvre et fait procéder à des distributions de pain aux parisiens. Passé le terrible hiver de 1709 qui cause la dernière famine d'ampleur nationale, les rendements progressent légèrement pour atteindre environ 8 à 9 quintaux à l'hectare. Pourtant, la sous-alimentation reste patente, en particulier dans certaines provinces au terroir plus pauvre. Au cours du 18ème siècle, les pâtes à pain sont davantage hydratées et les techniques de pétrissage sont améliorées. Selon Parmentier, il faut donner à la pâte un certain degré de mollesse qui permette à la matière glutineuse de produire son effet, et à celui qui pétrit les moyens de bien travailler son pain. Il suggère même d'incorporer de la pomme de terre dans le pain. Le pains longs fendus apparaissent et se généralisent dans les villes. Ce type de pain devient l'archétype du pain français.

Nous savons qu'il y a un boulanger bien installé à Combronde en 1751 par le biais d'un contrat d'apprentissage (cf [9]). En 1751 donc, le « maître boulanger » Jean Barboiron15 embauche comme apprenti Barthélémy Monpied, fils du meunier Toussaint, natif du lieu de Monpied, paroisse de Lac Roy 16, et il signe le 3 octobre un "bail" d'apprentissage (comme on disait alors) chez le notaire Rouher d'Artonne. Le maître promet « d'apprendre et montrer le métier, la profession de boulanger, de ne rien luy cacher de tout ce que regarde ladite profession, de le loger, nourrir et coucher chez luy ». Le jeune Barthélémy promet de son côté « de travailler de son mieux, d'être soumis, docile et obéissant, de faire normalement tout ce qui luy sera ordonné pour son avancement dans ladite profession et à cet effet il demeurera pendant 18 mois consécutifs en la maison dudit Barboiron, lesqules ont commencé le 1er juillet écoulé ». Comme de coutume, Monpied a versé « comptant en bonnes espèces ayant cours », la somme de trente huit livres d'une part et celle de 3 livres d'autre part, pour être remise par Barboiron à la « boîte » des maîtres boulangers de la ville de Riom dont ledit Barboiron fait partie. Il y a deux témoins à l'acte :

15 Jean Barboiron est responsable du grand four banal et du petit four banal du marquis de Combronde. Il doit faire cuire pain blanc, pain bis, pâtisseries, galettes et viandes pour la population de Combronde selon des consignes strictes. Il doit également respecter des consignes strictes relatives à son approvisionnement en bois dans les terres du marquis.16 Ancien nom de Saint-Hilaire-la-Croix. On peut penser que le lieu Monpied est le moulin Montpied à La Gravière.

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Michel Darbon de Combronde et Jean Belat de Jozerand.

Le prix du pain basé sur le prix du blé connaît de fortes hausses, en particulier lorsque les récoltes sont déficitaires. Certaines années le coût du pain représente 50%, voire plus, du budget des ménages. Les boulangers sont suspectés de profiter de la hausse des prix, ils sont très impopulaires. Leurs magasins, pourtant solidement grillagés, sont fréquemment assiégés, pillés au plus fort des pénuries alimentaires. Des mauvaises récoltes et des pénuries de pain créent un climat favorable à la révolution de 1789.

Après la révolution, la banalité des moulins et des fours est abolie en 1793. Les fours banaux sont rachetés par leur fournier ou deviennent municipaux. La construction des fours à pain est libre. Dans les régions céréalières, les toutes premières boulangeries rurales voient le jour. En 1789 les corporations sont abolies et le commerce de la boulangerie est libéré. Mais dès juillet 1791, une taxe sur le pain est établie. En 1793 la fabrication du pain de l'égalité est décidée : « La richesse et la pauvreté devant également disparaître du régime de l'égalité, il ne sera plus composé un pain de fleur de farine pour le riche et un pain de son pour le pauvre. Tous les boulangers seront tenus, sous peine d'incarcération, de faire une seule sorte de pain : le Pain Égalité ». Du fait des faibles récoltes, le pain Égalité utilise de la farine extraite à 93%. La période révolutionnaire n'échappe pas aux problèmes d'approvisionnement et des cartes de pain sont instituées. L'administration napoléonienne réglemente de façon drastique le commerce et le prix du pain. Elle réduit le nombre des boulangeries, impose des réserves de farines stockées dans des greniers publics. La France connaît dans les années 1813 à 1817 des disettes sérieuses pendant lesquelles resurgissent des pains de diverses céréales, voire même de châtaignes. Heureusement, les cultures de la pomme de terre et du maïs, en extension, permettent d'atténuer les effets de ces pénuries alimentaires.

Tout au long du 19ème siècle, les fours de boulangerie sont améliorés : les façades sont en briques, les voûtes sont plus basses et de plus grande longévité, les dalles réfractaires pour la sole se généralisent. Après 1830 apparaissent dans les villes les premières boulangeries industrielles. L'invention du pétrin mécanique se heurte à la farouche opposition des ouvriers boulangers. Ceux-ci répugnent à tourner les manivelles qui les actionnent, car la force motrice adaptée n'existe pas encore. Les ouvriers redoutent aussi un chômage accru en cas de diffusion des pétrins mécaniques. On peut dire que la hantise de la faim disparaît en France à partir de 1850. Dans le même temps le froment surclasse les autres céréales et la culture du seigle régresse. Les ouvriers consomment

beaucoup de pain dans leur soupe, et ils attachent une très grande importance aux caractéristiques d'imbibition de la mie de pain : la tranche de pain ne doit pas se délier dans le bouillon. À la fin du 19ème siècle, l'installation de boulangeries rurales se développe à partir des villes. La pénétration des artisans boulangers varie en fonction des régions, plus rapide dans le nord de la France que dans le centre et le sud. Le pain blanc de froment du boulanger est considéré comme une friandise réservée aux jours de fête, aux malades, aux femmes enceintes. On le trouve trop bon, on a peur de trop en manger. Les boulangers commencent le portage à domicile, ainsi que l'échange non monétisé, farine contre pain.

Pendant la guerre de 1914-1918, dès l'année 1915, des mesures sont prises pour rationner le pain. En avril 1917 un pain national est institué, puis en août les cartes de pain font leur

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apparition et en décembre la fabrication de la pâtisserie est interdite. La mobilisation d'un grand nombre de boulangers crée un double problème : trouver des remplaçants compétents et aptes physiquement au pétrissage manuel. En outre, il faut des personnes capables de conduire la panification au levain. Beaucoup de pétrins mécaniques, désormais plus efficaces, sont installés dans les quartiers électrifiés des villes. Ailleurs, jusque vers 1918, des moteurs à explosion assurent la force motrice des pétrins. On estime que seulement 5% des boulangeries parisiennes possèdent des pétrins mécaniques avant 1914. Il y en aura 95% en 1931. Après la guerre, les récoltes sont très faibles. Il faut utiliser des farines d'autres céréales en mélange avec la farine de blé. À l'automne 1922, le gouvernement diffuse des affiches demandant aux français d'éviter de gaspiller le pain. Dans les villes de grands moulins modernes sont construits. Très vite, ils produisent des farines de qualité constante, contrairement aux petits moulins. Ceux-ci perdent leurs clients boulangers. Le brûleur à fuel est inventé en 1918 et se diffuse vers 1922 dans les villes. À la campagne, il est plus facile et moins coûteux de continuer à chauffer au bois. Avec le projecteur de flamme, ou « gueulard », le bois brûle dans un cendrier sous la sole. La baladeuse électrique permet de voir enfin très clair dans le four. La guerre de 39-40 et l'occupation perturbent complètement les approvisionnements. On augmente le taux d'extraction et on incorpore parfois jusqu'à 40% de farine de succédanés ( seigle, orge, riz, fèves et maïs). À la qualité très médiocre du pain s'ajoutent les tickets de rationnement. Les campagnes souffrent moins de ces rationnements que les villes, et les paysans remettent en chauffe le vieux four à pain.

En 1955, on recense environ 55000 boulangers pour 43,6 millions d'habitants. Beaucoup de boulangeries rurales pratiquent encore l'échange farine/pain. La boulangerie industrielle se développe rapidement dans les grands centres urbains. En 1959 la politique de taxation du pain est assouplie. Cette époque marque sans doute aussi la fin des goûters des enfants à base de larges tartines beurrées et le début des goûters fournis par des biscuiteries industrielles. Au début des années soixante apparaissent les premiers pains spéciaux. Le pain de campagne se développe en ville au moment même où la consommation de la baguette progresse en campagne. De 1968 à 1973, la quasi totalité des hypermarchés s'équipent en fournils. En 1982 un groupement des meuniers propose à ses clients une farine qui doit être panifiée selon des règles précises : c'est le lancement de la banette. En 1986 la liberté du prix du pain est instaurée. En 1993 un décret précise quels pains peuvent être dits de « tradition française ».

Le pain est toujours un aliment de base en France et en Europe. Voici un tableau montrant la consommation de pain en kilogrammes par personne et par an dans différents pays européens :

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Cependant la consommation de pain diminue régulièrement. Voici l'évolution au cours du 20me

siècle de la consommation moyenne journalière par personne en France (en grammes) :

2 - La symbolique du pain17

Nous avons vu que dans nos sociétés le pain a été depuis longtemps une nourriture essentielle. Aussi le thème du pain a été utilisé comme un symbole de sécurité et de prospérité, comme un symbole de vie.

On trouve le thème du pain dans les légendes, les mythes, les coutumes, les traditions religieuses. Il y a plus de 5000 ans, Osiris se déclarait être le pain de vie des enfants de l’Egypte. Il apprit aux hommes à cultiver le blé, à faire la farine et préparer le pain. Selon Ovide (premier siècle av. JC), lorsque les Gaulois assiégèrent Rome, les Romains invoquèrent Jupiter qui leur conseilla de jeter par-dessus les murs ce qu’ils avaient de plus précieux. Ils confectionnèrent alors avec leur reste de farine des miches de pain qu’ils lancèrent contre les assaillants. Ces derniers pensèrent que Rome était largement approvisionnée et possédait de quoi tenir un très long siège. A cause de cela, ils abandonnèrent leur assaut. En reconnaissance, les Romains édifièrent un temple à Jupiter Pistor (Jupiter Boulanger) ce qui associait le symbolisme du pain à la destinée de la ville.

Dans le judaïsme le pain azyme (matsa ou matzot) est utilisé pour célébrer la Pâque et commémorer la fuite d'Égypte. En effet, les Juifs ont été condamnés à manger du pain sans levain, car ils ont dû quitter l'Égypte dans l’urgence et n'avaient alors pas le temps d'attendre que le pain lève. Ce pain était aussi appelé « pain de l'affliction » pour leur rappeler l'affliction qu'ils avaient subie quand ils étaient aux mains des Égyptiens, et « le pain d'amertume », car il était mangé avec des herbes amères. Cependant un pain levé et tressé appelé Hallah est utilisé pour les autres fêtes et lors de chaque shabbat.

17 Ce paragraphe s'inspire en partie de [7].

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Le pain est omniprésent dans la religion chrétienne. L'évangile selon Matthieu décrit la Cène, le dernier repas pris par Jésus avec ses disciples avant la crucifixion, en commençant par ces mots : « Pendant le repas, Jésus prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit ; puis, le donnant aux disciples, il dit : prenez, mangez, ceci est mon corps ». La fraction du pain fut alors mentionnée dans le nouveau testament comme un geste fondamental de communion entre membres de l'Église. Dans le

culte catholique l'hostie, un pain sans levain, est utilisée pour symboliser le sacrifice du Seigneur dans l'eucharistie. En récitant le Notre Père, les Chrétiens demandent rituellement que Dieu leur donne le pain quotidien (« donne nous aujourd'hui notre pain de ce jour ») qui devient en ce sens une double nourriture, physique et spirituelle. Chez les Catholiques le pain renvoie naturellement au travail : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » déclare Dieu dans la Genèse. Les Chrétiens pratiquants dessinaient une croix sur le pain puis priaient avant de manger.

À l'inverse de l'église catholique, l'église orthodoxe utilise du pain avec levain. Le mot artos (qui signifie pain en grec) est utilisé dans les compte rendus de la Cène avec la signification de pain au levain commun. Si le pain sans levain avait été utilisé on aurait dit azymos (pain sans levain). Pour les orthodoxes le pain au levain est aussi appelé « pain vivant » alors que le pain sans levain est considéré comme « mort ». Quand le Christ se présente comme « le pain de vie », il est alors représenté par du pain au levain.

Dans le culte protestant, tout le monde peut participer à la célébration de la Sainte Cène en se joignant au cercle des communiants. Chacun reçoit de son voisin le plateau de pain (et la coupe de vin). Pour les Protestants ce repas rappelle que tous ensemble ils sont appelés à se nourrir de l'enseignement et de la vie du Christ, et que cela fait d'eux des frères et soeurs, invités à la même table.

Le pain, symbole de vie, est également très présent dans notre Histoire et dans notre culture, indépendamment des religions. Les révolutions, les mouvements populaires ont associé le pain à leurs revendications, souvent de manière explicite car les gens avaient faim, mais aussi de manière symbolique. Voici par exemple ci-contre une affiche du Front Populaire en 1936.

Le pain a suscité de nombreuses œuvres littéraires. Voici deux poèmes inspirés par le pain :

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De nombreux romans évoquent le pain. Nous en avons reproduit des couvertures à la fin de cette brochure. Des films, quelquefois issus de ces romans, évoquent également le pain. On peut citer par exemple la série « pain, amour... ». Voici quelques affiches :

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Le painde Francis Ponge

(dans Le parti pris des choses - 1942)

La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes.

Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.

Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable...

Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.

Cuisson du painde Émile Verhaeren

(Dans Les flamandes - 1883)

Les servantes faisaient le pain pour les dimanches, Avec le meilleur lait, avec le meilleur grain,

Le front courbé, le coude en pointe hors des manches, La sueur les mouillant et coulant au pétrin.

Leurs mains, leurs doigts, leur corps entier fumait de hâte, Leur gorge remuait dans les corsages pleins.

Leurs deux poings monstrueux pataugeaient dans la pâte Et la moulaient en ronds comme la chair des seins.

Le bois brûlé se fendillait en braises rouges Et deux par deux, du bout d'une planche, les gouges

Dans le ventre des fours engouffraient les pains mous.

Et les flammes, par les gueules s'ouvrant passage, Comme une meute énorme et chaude de chiens roux,

Sautaient en rugissant leur mordre le visage.

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3 - La fabrication du pain à Saint-Hilaire

Avant 1950 la plupart des familles fabriquent leur pain, soit dans un four personnel, soit dans un four collectif municipal appelé four banal. Il y a deux fours banaux au bourg. L'histoire de ces fours est tirée de [8]. Jusqu'en 1910 il y a un boulanger au bourg, Louis Arnaud. Au recensement de 1906 Eugène Lescure est aussi noté boulanger à l'Arbre de la Ronce. Quand Louis Arnaud cesse son activité, la municipalité décide en 1912 « de construire deux fours publics identiques, sur les communaux situés à chaque extrémité du bourg ». Les deux fours banaux du bourg sont construits en 1913. Le coût de la construction s'élève à 1250 francs pour les deux fours. Pour les financer la municipalité lance une souscription auprès des

habitants du bourg. 42 familles participent, soit la quasi totalité des habitants du bourg. Cette souscription prend la forme de journées de travail, soit journées d'hommes (évalués à 3 francs par jour), soit journées de vaches et de chevaux (6 francs par jour) ou encore un apport de matériaux, pierre ou sable. Au total cette souscription produit l'équivalent de 744 francs. Pour compléter la commune utilise le produit de la vente de noyers soit 180 francs. Le reste (326 francs) est pris sur le budget communal ordinaire. Dans ces fours les habitants font de gros pains ronds pesant de 3 à 5kg que l'on appelle des tourtes. On chauffe le four tous les dix jours environ. Un des habitants est chargé de ce travail moyennant une modeste rétribution. La pâte est préparée à la maison, pétrie dans la maie qui fait partie

des meubles indispensables. On met ensuite la pâte dans des paillasses (grandes corbeilles de paille tressée de 50cm de diamètre environ). Il faut attendre plusieurs heures, selon la température, pour que la pâte lève et soit prête à mettre au four. Ensuite chacun apporte sur une brouette les tourtes qu'il a préparées. Pour alimenter le feu chaque famille doit fournir un certain nombre de fagots en fonction du nombre de tourtes qu'elle apporte à cuire. Les fours fonctionnent de cette façon jusque dans les années 50. À ce moment les boulangers de Saint-Agoulin et de Saint-Pardoux organisent des tournées à Saint-Hilaire et les gens perdent l'habitude de faire eux-mêmes leur pain. Certains paysans vendent des fagots aux boulangers. La livraison prend parfois une journée avec un char tiré par deux vaches. Le boulanger de Saint-Agoulin, Jarles, faisait déjà une tournée avant guerre dans une voiture à essence, puis pendant la guerre avec une voiture à cheval, au moins jusqu'à Champs.

À Chamalet plusieurs familles ont un four particulier. Vers 1920 un four banal est construit. La famille Lescure, proche des entraves, donne un petit bout de sa cour pour cette construction. Il sert bien entendu à plusieurs familles pour cuire le pain. Et il sert aussi de lieux de rendez-vous amoureux... Le

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Four des Cantoux en 2015

Saint-Hilaire vers 1950 avec le four banal du centre

Four banal du centre en 2016

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four est aujourd'hui en ruine. Voici quelques souvenirs de René Delahaut : « Pour l'usage du four banal à Chamalet il y avait un responsable du four auprès de qui on allait

réserver son tour. Chaque famille amenait ses fagots pour chauffer le four. Puis elle amenait son pain prêt à cuire dans des paillasses. Dans la maison de four il y avait des rayons pour poser les paillasses. La famille amenait aussi une ou plusieurs tartes. Les familles peu nombreuses se groupaient pour l'opération de cuisson. À Chamalet il y avait des fours particuliers dans les maisons Chamalet, Blot,

Renon, Lamboursin. Dans les années 40 mon beau-père commerçait avec Vincent Dalaudier et son fils Louis, meuniers à Saint-Quintin. Dans les années 50 notre ferme fonctionnait par échange avec le moulin Montpied de la Gravière. Paul Montpied venait en camion prendre le grain et livrer la farine tous les mois ou tous les deux mois. Il prenait le blé nécessaire pour les besoins de farine de la famille. Le meunier donnait 70kg de farine pour 100kg de blé. Il amenait aussi le son. Paul Montpied est mort brutalement en 54. Ensuite André Ray a fait la tournée, puis Josette Montpied quand elle a eu le

permis. Le supplément de blé était vendu à un marchand de Saint-Pardoux. On fabriquait 6-7 grosses tourtes tous les 10 jours. La maie était dans la grande pièce à gauche de la fenêtre. On gardait le levain dans un pot. On mélangeait le levain avec la farine pour faire la pâte à pain. Ensuite on gardait un peu de pâte pour faire le levain pour la prochaine fournée. La fabrication demandait une bonne demi-journée de travail. Le pain était de bonne qualité et ne durcissait pas. La famille a arrêté de fabriquer son pain quand le boulanger a commencé à passer à Chamalet, sans doute peu après 1950. À partir de ce moment le meunier livrait directement la farine au boulanger qui amenait le pain. Tout ceci se faisait par échange, sans argent. Ce système a disparu dans les années 60 avec la disparition des moulins. Après on vendait le blé à Saint-Pardoux et on achetait le pain au boulanger. De plus les enfants achetaient au boulanger des friandises, en particulier des coquillages ».

À Bournet, avant 1900, treize familles ont un four particulier. Cinq familles Papereux, toutes regroupées, n'en ont pas, ce sont les grands-parents de Jean Beny, de Marinette Favodon, de Gérard Cornu ansi que les familles de Jean Papereux et de Louis Breton. Ces familles demandent en 1900 à la commune l'autorisation de construire un four pour eux sur un terrain communal. Le four leur appartient même s'il est sur un terrain collectif. Vers 1955, la famille Berthe demande l'autorisation de cuire dans ce four car elle souhaite supprimer son propre four pour ajouter une pièce d'habitation à sa maison ; elle cuit ainsi son pain jusqu'en 1965 environ. Depuis il ne sert pas, sauf à des occasions exceptionnelles. André Berthe nous raconte des souvenirs : « Le four servait à cuire environ 5 ou 6 "tourtes" de pain de 50 cm de diamètre. Chauffer à point (assez chaud mais pas trop) avec 6 à 8 fagots, le premier était toujours en genêt, les suivants étaient composés avec les bouts des branches, buisson, "piquara"... toujours très secs. On profitait également de la chaleur du four pour pas mal de choses. D'abord les grandes tartes (pour les batteuses) avec des fruits de saison (raisin, pommes, prunes,...) ou bien à la semoule ou à la bouillie. Également pour cuire dans des pots en grès pommes de terre ou coings, pour réaliser du piquant-chêne (petites tourtes fabriquées avec des quartiers de pommes mélangées à de la pâte à pain avant cuisson). Et aussi les restes de pâte à tarte appelés "courante". Ces différentes préparations étaient mises au four exactement à la bonne température. Le four vide encore chaud servait aussi à sécher les prunes sur une planche à rebords. Le pain des boulangers a progressivement remplacé le pain fait par les particuliers. Au début quelques "miches" ou couronnes étaient achetées de temps en temps en plus du pain de la maison. On se souvient de la boulangerie Jarles de Saint-Agoulin et surtout de Mme Aimée Jarles qui effectuait les tournées deux fois par semaine ; elle avait seulement deux stations dans le village avec renfort de klaxon. Le fils Jarles a cessé dans les années 1980 »

Aux Bajaris , avant 1950, chaque maison a son four. Les famille Garde et Peyronnet font encore

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leur pain après le mariage de leurs enfants en 1951, peut-être jusque vers 1963, en alternance avec des achats de pain aux boulangers. Ils avaient acheté un pétrin électrique pour éviter la corvée de la pâte malaxée dans la maie avec les mains et les bras. Dans les années 2000 certains allument leur four à l'occasion d'un évènement pour cuire du pain et/ou de la daube.

À Cébazat, il y a deux fours, chez les Pouzat et chez les Blot. Il y avait un troisième four dans la maison qui est devenu la maison secondaire de Marc Blot, mais il était en très mauvais état et a été démoli. Béatrice Marion-Blot se souvient : « J'ai entendu dire que nous faisions cuire le pain pour tout le village une semaine sur deux en alternance avec nos voisins-cousins chez Henriette Arnaud-Pouzat. Chez nous c'est mon grand-père qui pétrissait la pâte à pain ; ma grand-mère préparait les pâtisseries. Je revois mon grand-père Alphonse Blot, en marcel, plonger dans la maie. Il a dû faire le pain jusque dans les années 1960. Nous avions une maie pour pétrir et une maie pour ranger le pain, bien enveloppé dans un linge blanc. À côté du four à pain il y avait le grand chaudron pour faire cuire la pâtée des animaux. Pour la batteuse on faisait le pain, puis les pompes (tartes), les pommes de terre au four et la viande. »

À Moulin Bourret avant 1920 trois familles ont un four à pain : les Thévenet, les Defosse et les Goile, ancêtres d'Huguette Pouzat-Brun. Les autres familles vont cuire chez leurs voisins. Ainsi les Richard cuisent dans le four de leurs voisins Thévenet. Ce four n'existe plus. Les Richard construisent leur four vers 1930. Les Pouzol cuisent alors leur pain chez les Richard. Quand les Defosse quittent le village en 1933, leur voisine Maria Picoret utilise encore leur four. Le mari de Jeanne Besse, presque au bout du village, travaille dans une ferme aux Balages, hameau de Combronde. Dans sa brouette, qu'il pousse en s'aidant d'une corde passée sur ses épaules, il rapporte régulièrement du pain du boulanger et des gros sacs de pommes de terre. Chaque famille cuit tous les quinze jours. Paulette Richard raconte : « Mon grand-père, Jean Richard, agriculteur, était aussi maçon. C’est lui qui a bâti notre maison de four avec notre voisin maçon, Pouzol. Dans leur vie quotidienne, mes grands-parents Jean et Marie se partageaient équitablement les tâches, dans les champs comme à la maison. Quand ils chauffaient le four, environ tous les dix jours, elle pétrissait le pain dans la maie et préparait les tartes. Il alimentait le feu et entretenait les braises. Il enfournait, défournait, transportait les paillasses. Pour Noël, mon grand-père veillait à ce qu'il y ait, au repas maigre que nous faisions avant la messe de minuit, une miche de pain achetée au boulanger pour permettre une soupe améliorée. » Au cours des années 30 le boulanger Duval de Combronde commence à passer. Il cesse ses tournées durant la guerre par manque de carburant.

À Valmort, à une époque ancienne, pratiquement chaque maison du village a un four à pain donnant directement dans la pièce de vie. Nous retrouvons d’ailleurs encore actuellement, dans plusieurs maisons anciennes, la porte d’accès en fer du four au centre de la cheminée avec une cavité dans le mur. Cette pièce de vie ne comporte à l’époque que « la cheminée » comme unique moyen pour cuisiner avec la marmite pendue à la crémaillère ou avec les grandes poêles. Le four est chauffé pour cuire le pain à peu près tous les 10 jours (parfois toutes les 2 semaines). C’est l’occasion d’autres cuissons, pour soi et pour ses voisins, telles que les plats de pommes de terre au four au saindoux, la pompe aux pommes... Ces fours intérieurs ont disparu essentiellement entre 1900 et 1930 pour faire place aux fourneaux destinés à améliorer le chauffage de ces pièces de vie et à cuisiner un peu plus facilement. Les fours des fourneaux sont trop petits pour cuire le pain. Alors de nouveaux fours à pain sont bâtis dans des locaux spécifiques appelés « la maison de four ». Pratiquement chaque ménage possède sa maison de four. Les autres partagent la cuisson du pain les jours de chauffe du four de leur famille proche. Ce sont les tournées de boulanger dans le village qui font disparaître progressivement l’usage des fours privés. À Valmort, comme dans la vallée de la Morge, c’est le boulanger Duval de Combronde qui est le premier à venir vendre son pain. Après 1975, les boulangères de Blot avec leur 4L puis les boulangers de Saint-Pardoux prennent le relais.

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4 – Un boulanger rural vers 1960 : le boulanger de Jozerand

Aimée et Jean Gonvin ont commencé la boulangerie à Jozerand le 1er février 1956. Ils ont acheté le local à une vieille cousine « la Lisa » qui avait été boulangère. Ils ont pris la suite de Louis Mioche. Elisa Jarles était une fille d'une famille de 14 enfants. Elle avait épousé un boulanger d'Artonne et était installée à Jozerand. Elle tenait une boulangerie, mais aussi une épicerie et un café. Après le décès de son époux, elle a donné son fond en gérance à Louis Mioche. Celui-ci a quitté la gérance après une dispute et s'est installé au Sagnat. Elisa a repris la boulangerie avec son frère. Elle montait même son pain jusqu'à Bournet avec une voiture à bras. Il y avait aussi au bourg un « cuiseur », Blanchet, qui proposait aux familles de cuire dans son four.

Aimée et Jean ont récupéré un four qui n'avait pas servi depuis de nombreuses années et ils ont dû le remettre en état. C'était un four à bois avec une voute en briques. Ils ont installé dedans un appareil à buée. Après dix années ils ont installé dans ce four un bruleur à mazout. Puis ils ont changé de four pour un four à mazout à chauffage indirect. C'était un four à recyclage thermique à trois étages. Jean utilisait un pétrin électrique, d'abord le pétrin de Louis Mioche puis un pétrin plus moderne. Il avait aussi un mélangeur, une façonneuse et à la fin un laminoir pour la pâte feuilletée et les croissants.

Au début les clients principaux étaient l'instituteur, le curé et le comte. Beaucoup de villageois faisaient leur pain. Des producteurs de blé pratiquaient l'échange triangulaire. Ils faisaient amener par le meunier la farine nécessaire à la confection de leur pain et recevaient leur pain sans utilisation d'argent. Ainsi 100kg de farine produisaient 130kg de pain qui se partageaient en 100kg pour l'agriculteur et 30kg pour le boulanger. Le poids du pain était gravé sur le pain et inscrit sur le carnet du paysan. Ce système d'échange a cessé au début des années 70 sur demande des boulangers. La colonie de vacances située à Jozerand était un client qui a grossi au fur et à mesure des années. Au début Jean et Aimée ont reçu la farine de différents moulins des environs, à Jozerand chez Chazal, à Gimeaux chez Jeannot, à La Gravière chez Montpied, à Montcel chez Porte. Ensuite ils s'approvisionnaient dans un moulin plus industriel, chez Mosnier à Bouzel près de Pont-du-Château, qui faisait de la farine de très bonne qualité. Jean se levait à 2h du matin pour faire des fournées jusqu'à la fin de matinée. L'après-midi il faisait des tournées. Suivant les jours il allait à Artonne, à Champs, à Saint-Hilaire, aux Bajaris, à Marcillat. Le dimanche il se levait plus tôt, à 1h du matin, pour pouvoir faire la tournée à Saint-Hilaire en fin de matinée. Il s'arrêtait le dimanche après-midi et le lundi. Le dimanche Jean préparait des brioches et des croissants, Aimée des pâtisseries. Au début des familles amenaient des ingrédients pour la brioche : pour 1 livre de brioche 4

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œufs et un quart de beurre (125g). Elles payaient alors uniquement la farine et la façon. Jean et Aimée fournissaient des gâteaux pour des fêtes familiales et communales, des croques en bouche et des pièces montées. Aimée tenait la boutique. En plus du pain et des gâteaux, il y avait aussi à vendre des friandises, de l'épicerie sèche, des boissons, du son, des aliments pour bétail, du tabac. Il y avait aussi une cabine téléphonique et un bureau de poste rural. Dans les tournées leur licence ne leur permettait d'apporter de l'épicerie que sur commande. Aimée et Jean ont arrêté la boulangerie en 1983.

Pour conclure

Nous avons tenté d'entrevoir la vie d'avant autour des moulins et du pain. Nous avons utilisé des témoignages oraux, des brochures de "Brayauds et Combrailles" ou des "Amis du Prieuré de Saint-Hilaire-la-Croix", les dossiers relatifs au Prieuré de Lacroy aux archives nationales, d'anciennes cartes, des matrices cadastrales, des actes d'état civil, des recensements disponibles aux archives départementales du Puy-de-Dôme.

Que soient remerciés pour leurs témoignages André Berthe, Marc Blot, Huguette Brun, Michelle Defosse, René Delahaut, Jean et Aimée Gonvin, Jean-Claude Habrial, Suzanne Laroche-Denoueix, Béatrice Marion-Blot, Christian Montpied, Marcel Montpied, Jean-Louis Papereux, Raymonde Perrier, Jacques Porte, Monique Ray, Paulette Richard, Jean Robert,...

La vallée de la Morge était une vraie fourmilière. Il y avait des biefs en grand nombre bordés de moulins à farine, de mailleries et de foulons. Les biefs alimentaient les moulins en eau, mais parfois servaient aussi à irriguer des cultures. Les meuniers, plus ou moins paysans en même temps, avaient souvent de grandes familles. Il était courant que les fils et filles de meuniers épousent les filles et fils d'autres meuniers,... par amour, nécessité ou intérêt ? On trouve les mêmes noms de famille sur plusieurs villages voisins. Les meuniers, leurs fils ou domestiques livraient la farine aux paysans ou aux boulangers et rapportaient le grain aux moulins, à pied accompagné d'ânes, puis en tombereaux tirés par des vaches ou des chevaux, puis en camions. Le chemin de Moulin Morel à Bournet puis à Champs s’appelait d'ailleurs "chemin des ânes" sur le plan napoléonien de 1826. Et puis les petits moulins ont disparu les uns après les autres durant la première moitié du 20ème siècle pour laisser la place aux minoteries industrielles.

Dans les familles aussi l'activité était intense, en particulier le jour où l'on faisait le pain pour dix ou quinze jours, voire trois semaines. En général les femmes pétrissaient le pain dans la maie et les hommes cuisaient le pain après avoir chauffé le four au bois. Le pain était ensuite stocké dans une autre maie ou sur des étagères dans la souillarde, voire au grenier. La miche était achetée au boulanger uniquement pour une grande fête. Le pain en cours de consommation était dans le grand tiroir au bout de la table de ferme... Ce mode de vie a disparu progressivement dans les années 50 et 60 alors que les tournées de boulangers s'intensifiaient.

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Bibliographie

(1) Ernest Monpied, Moulins et Hydrauliques de la Morge, Brayaux et Combrailles, N° spécial février 1993.

(2) Michel Venon, Moulin Morel – Cébazat - Moulin Josse - Les Roches, Les Amis du Prieuré 2003.

(3) Jean Passat et Michel Venon, Valmort La Gravière, Les Amis du Prieuré 2005.

(4) Les habitants du village de Moulin Bourret, Moulin Bourret à travers les âges, Les Amis du Prieuré 2007.

(5) Les Amis du Prieuré, L'eau à Saint-Hilaire-la-Croix, Les Amis du Prieuré 2008.

(6) Hubert Chiron, Histoire de la boulangerie, http://www.cannelle.com/CULTURE/histoireboul/histoirepre.shtml .

(7) Noémie Môme, Jeanne Gouneau, Lisa Chapuis, Comment évolue le pain, aliments essentiel dans l'histoire de l'Homme, ainsi que sa fabrication ? TPE du lycée Julien Wittmer à Charolles, année 2010-2011, http://www.pain-tpe.sitew.com .

(8) Jean-Claude Habrial, Les fours banaux, Bulletin municipal de Saint-Hilaire-la-Croix, juillet 2009.

(9) Ernest Monpied, Fours, pain et banalités, Brayaux et Combrailles, N° 44 octobre 1985.

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