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LES NARCISSISMES

Les Narcissimes

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  • LES NARCISSISMES

  • J L' Harmattan, 20085-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris

    http://vvw\[email protected]

    harmattan 1@wanadoo. fr

    ISBN: 978-2-296-05067-9EAN : 9782296050679

  • Jean-Michel PORRET

    LES NARCISSISMES

    Perspectives freudienneset post-freudiennes

    L'Harmattan

  • Psychanalyse et CivilisationsCollection dirige par Jean Nadal

    L'histoire de la dcouverte de la psychanalyse tmoigne quedmarche clinique et thorie issues de champs voisins ont concouru,par tayage rciproque laborer le concept d'inconscient, clairerles rapports entre pathologie et socit et reconsidrer les liens entrele malaise du sujet singulier et celui de la civilisation.

    Dans cette perspective, la collection Psychanalyse et Civilisationstend promouvoir cette ouverture ncessaire pour maintenir en veilla crativit que Freud y a trouve pour tayer, repenser et largir lathorie. Ouverture indispensable aussi pour viter l'enfermement dansune attitude solipsiste, qui en voulant protger un territoire etprserver une identit, coupe en ralit la recherche psychanalytiquede ses racines les plus profondes.

    Dj parus

    Florence PLON, Vivre la perte. L'accompagnement des deuils, 2007.Franca MADIONI, La psychanalyse interroge la phnomnologie.Recherches freudiennes partir de Brentano, 2007.Pascal HACHET, Promenades psychanalytiques, 2007.Georges ZIMRA, Penser l'htrogne. Figures juives de l'altrit,2007.Claude LORIN, Un nouveau regard sur l'anorexie. La danse commesolution possible, 2007.Jean-Paul DESCOMBEY, La psychiatrie sinistre, 2007.Claude BRODEUR, L'inconscient collectif, 2007.Violaine DUCHEMIN, Le dnouement d'un secret defamille, 2007.Kramat MOV ALLALI, Contribution la clinique du rve, 2007.Riadh BEN REJEB (sous la direction de), La dette l'origine dusymptme, 2007.Pierre BALLANS, L'criture blanche. Un effet du dmenti pervers,2007.Alain LEFEVRE, La blessure mlancolique kanak. Une psychanalysede l'ombre mlancolique en Nouvelle-caldonie, 2007.Fabienne FRMEAUX, Comment se faire arnaquer par son psy,2007.Pascal HACHET, Les toxicomanes et leurs secrets, 2007.Telma Corra da Nobrega Queiroz, Du sevrage au sujet, 2007.Thierry DUBOIS, Effondrements psychiques et cognition onirique,2007.Jean Pierre RUMEN, Psisyphe, 2007.

  • Il Y a, c'est exact, beaucoup de folie s'occuperd'autre chose que de ce qu'on voit.

    L.-F. ClineVV'age au bout de fa nuit (1932)

  • Table des tnatires

    1. Prambules 92. Contributions post-freudiennes la conception du narcissisme ll3. Vicissitudes du narcissisme dans diffrentes formes

    d'homosexualit masculine (1910) 374. Formation du narcissisme corporel rotique partir de l'unification

    des pulsions partielles auto-rotiques (1911) ... 495. Narcissisme intellectuel rotique et narcissisme non sexuel

    de l'autoconservation (1912-1913) 536. L'largissement du champ couvert par le narcissisme (1914) 577. Perspectives conceptuelles et modalits qualitatives du narcissisme (1915) 778. Structuration pathologique du narcissisme: choix d'objet narcissique,

    identification narcissique et clivage du moi (1915-1917) 859. Variations sur le thme du narcissisme (1915-1919) 95

    10. Sexualit infantile, complexe d'dipe et cicatrice narcissique (1920) 10111. Les rapports entre le narcissisme et le processus de subjectivation

    dans le jeu de la bobine (1920) 10312. Retour sur le narcissisme de l'autoconservation

    et infrence du narcissisme mortifre (1920) 12113. Introduction du narcissisme des identifications

    et retour sur l'tat amoureux (1921) 12914. La version dsexualise du narcissisme et sa conflictualisation

    possible en fonction des conflits d'identifications (1923) 14315. Les rapports du narcissisme avec le complexe de castration,

    l'envie du pnis et le complexe d'dipe (1924 et 1925) 15316. Le(s) narcissisme(s) et les rsistances la gurison (de 1923 1937) 16517. Narcissismes et masochismes (1924) 16918. Le narcissisme, le masochisme moral et la raction thrapeutique

    ngative (de 1923 1937) ..17519. L'angoisse de mort et le narcissisme mortifre (1923) 19320. Le narcissisme, la rvision de la thorie de l'angoisse

    et la question de la douleur psychique (1926) 19721. Le narcissisme et l'humour (1927) ... ... ... 21722. Systmes de croyance, idaux culturels

    et narcissisme de l'humanit (1927 et 1930) 22523. Le caractre et le narcissisme (1930 et 1931) 23324. Les relations du narcissisme avec le refusement

    et le renoncement pulsionnels (de 1930 1939) 24325. Les axes dfinitoires des narcissismes 253

    Bibliographie .. 263

  • 1.Pratnbules

    C'est une vidence qui n'est pas nouvelle: les crits consacrs l'tude du narcis-sisme ne manquent gure dans la littrature psychanalytique. Et, parmi les courantsanalytiques qui se sont dvelopps la suite de Freud, rares sont ceux o le narcis-sisme ne figure pas au nombre des concepts principaux. Toujours est-il que, quandon passe en revue les conceptions qui en ont t proposes jusqu'ici, on est assezdconcert par la vision clate qu'on en retire. Cela n'est d'ailleurs pas seulementpropre au narcissisme. Mais la situation de ce dernier est encore aggrave par le faitque les auteurs qui sont issus ou se rclament d'un mme courant analytique sontloin de s'accorder sur la conception du narcissisme. D'un autre ct, il est vrai que lenarcissisme se prte en quelque sorte aux dsaccords puisqu'il est pluridimensionnelet que l'accent peut facilement tre focalis sur l'une de ses dimensions au dtri-ment des autres. Enfin, il semble bien qu'on soit arriv un point o tout essai derassembler les diverses conceptions post-freudiennes du narcissisme pour les fairetravailler dans le but de poursuivre la recherche est devenu une vaine, si ce n'esttrs difficile, entreprise. Le stade o des controverses fcondes restent possiblesparat dpass. En ralit, l'volution du narcissisme vers son clatement conceptueln'est que le reflet particulier de l'parpillement gnral des thories psychanalyti-ques, non seulement des thories mtapsychologiques, mais aussi des thories de lapratique de la cure et des thories des phnomnes cliniques. Il serait donc errond'imputer la cause de cette dispersion uniquement la sorcire mtapsychologiedont il faudrait se dbarrasser avant tout.

    Nous avons dj insist sur ce qui vient d'tre dit dans un prcdent travail: Auto-rotismes, narcissismes etpulsions du moi (2006). Le prsent ouvrage en est le complment(et non la suite). Son principal objectif n'est pas, on l'a compris, de fournir une vi-sion exhaustive, synthtique ou clectique des diffrentes thories post-freudiennesdu narcissisme. Il se propose de repartir des divers points de l'uvre de Freud quiont touch de prs ou de loin la question du narcissisme afin d'examiner ce qu'ilssont devenus l'heure actuelle en fonction des conceptions qui se sont imposes moi au fil des annes et qui peuvent d'ailleurs correspondre celles que d'autresauteurs ont dveloppes avant moi.

    Je commencerai par rappeler que ce sont essentiellement deux phnomnes clini-ques qui ont induit le recours au terme de narcissisme. L'observation d'un compor-tement pervers incita en 1898 Henry Havelock Ellis le rapprocher du mythe deNarcisse. Ce comportement pervers se traduit par le fait qu'un individu en vient

  • traiter son propre corps comme les autres traitent habituellement le corps d'unobjet sexuel. Il renvoie donc un type particulier de perversion narcissique. ChezFreud, c'est l'tude, en 1910, d'une certaine forme d'homosexualit qui lui permitd'en dgager la dimension narcissique et qui le poussa employer le terme de nar-cissisme, forg en 1899 par le psychiatre allemand Paul Nacke partir des travauxde H. H. Ellis. Puis, Freud donna au narcissisme sa valeur de concept ds 1911,avant l'article bien connu de 1914 qui eut pour vise de l'introduire plus largementdans la thorie psychanalytique. Le concept fut soumis des dfinitions diffrentessuivant les moments. Freud parut surtout proccup d'tablir ces diffrences et delaisser sa pense tre travaille par elles; il se montra peu soucieux d'aboutir uneconception univoque ou synthtique du narcissisme. Aprs 1920, le concept futmis de ct au profit de la seconde thorie des pulsions et ne fut pas rvalu enfonction de celle-ci et du second modle de l'appareil psychique de 1923. Pourtant,Freud continua de s'y rfrer jusqu' la fin de son uvre, le concept de narcissismeprimaire, par exemple, figurant encore dans t4breg depsychanalYse de 1938.

    Malgr l'clatement des thorisations post-freudiennes du narcissisme, on ne sauraitse soustraire en donner un aperu.

  • 2.Contributions post-freudiennes la conceptiondu narcissistne

    Je me limiterai extraire et exposer ce qui m'apparat tre l'essence de chacune deces diffrentes contributions sans procder leur analyse critique approfondie, maissans me priver de faire au passage certaines remarques de sens critique.

    2.1. Les premiers disciplesLa plupart des premiers disciples de Freud utilisrent dans leurs crits la conceptiondu narcissisme que leur matre avait tablie en 1914. Ce fut le cas notamment de}(arl Abraham, Ernest Jones, Sandor Ferenczi, Wilhelm Reich, Victor Tausk, AnnaFreud, Paul Federn. On trouve parfois chez eux d'intressants ajouts la conceptionde base.

    2.1.1. Karl AbrahamIl parla en 1924 de narcissisme positif (amour de soi) et de narcissisme ngatif(haine de soi) propos de la mlancolie o l'un et l'autre lui paraissaient entrer enconflit d'une manire significative, c'est--dire sans nuance ni mdiation. Avec letemps, on a tendance oublier qu'on lui doit ces deux expressions.

    2.1.2. Sandor FerencziIl voqua en 1921 la possibilit d'un conflit entre les auto-rotismes (impliquantles diverses sortes d'auto-rotisme entre elles) l'intrieur du narcissisme. Puis, en1931, il dcouvrit ce qu'il appela un auto-clivage narcissique chez des patients quiavaient t victimes d'un grave traumatisme sexuel dans la prime enfance. Dans unethorisation trs approximative, il assimila cet auto-clivage narcissique une formeprimaire de refoulement qui divise la personne en une partie sensible, mais brutale-ment dtruite, et en une autre partie qui sait tout, mais ne sent rien.

    2.1.3. Wilhelm ReichIl forgea en 1933 dans L'analYsecaractriellele concept de dfense narcissique, cher-chant par l attirer l'attention sur l'existence de processus dfensifs vous spcifi-quement la protection du narcissisme.

    2.1.4. Paul FedernIl ne s'carta pas fondamentalement des propositions freudiennes de base mme s'ildonna au narcissisme quelques accents particuliers. Cela apparat clairement dans

  • plusieurs articles publis autour de 1930, avant son migration de Vienne NewYork en 1938, et runis dans son ouvrage de 1952 La psychologie du moi et lespsychoses.Dans la ligne de Freud, Federn conserva l'ide que le narcissisme est issu de l'auto-rotisme, qu'il rsulte d'une expansion de ce dernier. Mais il rattacha le narcissismeprimaire uniquement un investissement libidinal originel du moi qui a pour indicele sentiment du moi (Ichgefhl) dont Freud avait fait mention quelques reprises,c'est--dire le sentiment que le sujet a de son propre moi en tant qu'unit. SelonFedern, le narcissisme primaire a pour caractristique d'tre sans objet. Ille nommenarcissisme intermdiaire ou narcissisme de voix moyenne puisque le sentiment dumoi qui y correspond ne doit tre rfr ni la voix active, ni la voix passive, ni lavoix rflchie (ou pronominale) de l'investissement du moi, mais la voix moyennetelle que l'emploie la langue grecque classique, ce que la grammaire franaise exprimepar des locutions intransitives comme: je vis , je grandis , je progresse , etc.Ainsi, Federn considre le narcissisme primaire comme le niveau subjectal du moi.Il s'agit de mettre l'accent sur la satisfaction du moi prouvant son existence uni-taire, sur le plaisir de vivre et de se sentir vivant, et non pas sur l'amour du moipour lui-mme. Le narcissisme primaire ou de voix moyenne est distinguer dunarcissisme secondaire que Federn qualifie de rflchi, qui se rapporte l'amour desoi et qui n'intervient que plus tard quand les investissements d'objet auront atteintla frontire du moi. Ce narcissisme rflchi renvoie au narcissisme secondaire dansle sens o la libido prend le moi (ou les contenus de celui-ci) comme objet seulementaprs que les investissements d'objet localiss la frontire du moi ont t retirs l'intrieur de cette instance. Cependant, Federn a une forte tendance envisager lenarcissisme primaire comme un fait d'observation directe dans la mesure o il pen-se avoir trouv avec le sentiment du moi un indice de l'investissement narcissiquenormal. De la sorte, sa conception comporte malgr tout une accentuation du pointde vue phnomnologique au dtriment de la perspective mtapsychologique. Celaaura une influence non ngligeable sur l'introduction, par Hartmann, du concept desoi (self) qui est, quoi qu'on en dise, de nature phnomnologique.

    ***

    Aprs, la rupture d'avec la conception freudienne du narcissisme est venue de Mla-nie I

  • 2.2. En Grande-Bretagne et en Amrique du SudLe courant kleinien qui possde la majorit de ses adeptes dans ces rgions n'a ac-cord qu'une place restreinte au narcissisme.

    2.2.1. Mlanie KleinLe terme fut bien employ par Mlanie I

  • Toutefois, on s'aperoit que dans l'un de ses ouvrages posthumes, La naftlre humaine(1988), Winnicott en est venu parler du narcissisme primaire (p. 169, 200, 201) et le considrer comme tant le seul tat partir duquel l'environnement peut trecr (p.169). Dans cet axe, il insiste sur la solitude fondamentale du bb audbut et sur la situation paradoxale qu'elle implique puisque d'un ct le bb n'aaucune conscience de l'environnement qui lui donne les soins, ne dispose pas encored'un moi pour le percevoir, et que d'un autre ct il est en mme temps dpendantde faon absolue de cet environnement dont il n'a nulle conscience. Autrement dit,il faut accepter au dpart le paradoxe que l'objet maternel externe n'existe pas pourle bb incapable de le reconnatre comme tel et qu'il existe simultanment tantdonn que le bb en est totalement dpendant. Cela conduit \\!innicott tablirla squence dveloppementale suivante: 1) stade du narcissisme primaire (solitudeessentielle du bb et dpendance de celui-ci, absolue mais non perue et dpour-vue de signification, envers l'objet maternel externe) ; 2) stade de l'aire intermdiairequi la fois unit et spare le bb et la mre (espace de l'illusion, de la crativitprimaire, de l'objet subjectivement conu et des phnomnes transitionnels o sepoursuit le paradoxe vu que l'objet transitionnel est et n'est pas le sein ou la mre) ;3) stade des relations d'objet instaur par la position dpressive (formation du moi,objet maternel externe objectivement peru, souci et culpabilit l'gard de l'objeten fonction des pulsions agressives qui s'exercent sur lui, dpendance envers l'objetperue de faon consciente et dsormais porteuse de signification).

    2.2.4. Herbert RosenfeldIl fut le premier auteur kleinien s'tre pench avec assiduit sur le problme dunarcissisme pathologique, en 1964 et en 1971. Suivant l'optique kleinienne des re-lations d'objet prcoces et des instincts de vie et de mort tourns d'entre versles objets externes, il avana en 1964 que les situations cliniques qui semblent serapporter ce que Freud a appel le narcissisme primaire correspondent en fait des relations d'objet de type primitif. Il relia alors le narcissisme pathologique unchoix d'objet narcissique o l'omnipotence domine et qui repose sur des mouve-ments d'identification un objet externe primitif, ceux-ci se produisant simultan-ment par projection et par introjection. L'identification projective vise ce que desparties de soi pntrent l'objet partiel externe (le sein maternel) pour s'approprierde faon omnipotente les qualits tout aussi omnipotentes que l'enfant lui prte.L'identification introjective a pour but d'incorporer en soi l'objet partiel omnipo-tent. En tant que modalits dfensives pathologiques, ces deux sortes d'identifica-tion conduisent dnier la diffrence ou rendre confuse la distinction entre soiet les objets externes. Elles installent le sentiment de possder sans partage l'objetpartiel omnipotent, ce qui aboutit un dni de tout besoin de dpendance envers lesobjets externes. Si le nourrisson s'octroie la possession de l'objet partiel omnipotent,

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  • il n'a pas prouver de sentiment de dpendance l'gard du sein maternel externe.Il s'ensuit que le sein maternel ne peut susciter chez l'enfant ni envie consciente, nifrustration gnratrice de haine et que l'laboration de ces affects dsagrables estentrave par l'idalisation de soi qui rsulte du choix d'objet narcissique impliquantla possession de l'objet partiel omnipotent. Tout cela se rpercute dans la cure o sedvoile cette foncire idalisation de soi, le patient se sentant aim de tout le mondeet exigeant que tout le monde l'aime, tellement il est digne d'tre aim. Ces patientsvivent la cure comme parfaite ou idale parce qu'elle leur permet de renforcer lesentiment de leur propre valeur, d'une part en s'attribuant le mrite de tout ce quis'y passe de satisfaisant par la prise de possession de l'analyste sur le modle de celledu sein omnipotent, d'autre part en utilisant systmatiquement l'analyste commeune mre-cabinets (le sein-toilettes de D. Meltzer) idale dans laquelle peut trevacu immdiatement, des fins de soulagement et de dcharge, tout ce qui leurest dsagrable.

    En 1971, Rosenfeld prcisa que l'idalisation de soi qu'il avait prcdemment d-crite relativement la possession de l'objet partiel omnipotent devait tre rserve l'aspect libidinal du narcissisme pathologique et tre distingue d'une idalisationdes parties destructrices et omnipotentes de soi qui renvoie l'aspect destructif dunarcissisme pathologique. Ce narcissisme destructif s'attaque aux parties libidinalesde soi qui peuvent vivre le besoin de dpendre d'un objet externe. Il empche ainsile relation de dpendance, l'envie et la frustration qui en dcoulent, et maintient enpermanence la dvaluation, la dprciation des objets externes qui semblent indif-frents au sujet. Les aspects libidinaux et destructifs du narcissisme pathologiqueexistent cte cte, spars par clivage. La prminence des premiers ou des se-conds est attribue la variabilit de la force des pulsions de destruction. Dans lescas o prdominent les aspects libidinaux, les aspects destructifs n'apparaissent quelorsque l'idalisation de soi est mise en cause par la relation avec un objet externeperu comme spar de soi et comme dtenant de prcieuses qualits cratrices; lesujet narcissique se sent alors humili, car il a l'impression d'avoir t spoli de sonnarcissisme, et il prouve une envie consciente envers l'analyste. Quand les aspectsdestructifs sont prpondrants, le patient est sous l'emprise d'une envie de dtruirel'analyste parce que celui-ci dtient les capacits cratrices; paralllement, mergentdes tendances autodestructrices ; confront la ralit de sa dpendance l'gardde l'analyste qui est source de vie et de valeur et qui reprsente la mre, le patientprfre mourir plutt que de renoncer croire son auto-engendrement et sonautosuffisance, sa mort devenant la solution idale tous ses problmes.

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  • 2.3. En Amrique du NordC'est l qu'est n le courant de la psychologie analytique du moi, de l'egop.rychology.Influenc par les ides d'Anna Freud et cr par Hartmann, }(ris et Loewenstein,ce courant ne pouvait viter de se rfrer au narcissisme en raison de l'introductiond'un nouveau concept, le soi (self).

    2.3.1. Heinz HartmannDs 1950, il considra que ce qui s'oppose vritablement l'investissement libidinalde l'objet n'est pas l'investissement libidinal du moi, mais l'investissement libidinaldu soi (ou de la personne totale). Le soi englobe la psych et le corps somatique, ilrend compte de l'unit psychosomatique que tout individu se sent reprsenter. Lenarcissisme doit tre dfini comme l'investissement libidinal du soi.

    2.3.2. Edith JacobsonDans le prolongement des ides d'Hartmann, Edith Jacobson (1964) proposa, aprsquelques hsitations, de rserver l'expression de narcissisme primaire au stade initialdu dveloppement o le nourrisson ne peroit que des sensations de tension et dedtente, o l'nergie psychophysiologique est encore indiffrencie et o ce qu'elleappelle le soi primaire est une matrice psychophysiologique indiffrencie. La phasedu narcissisme primaire ne comporterait aucune diffrenciation structurale et ner-gtique. Elle ne correspondrait pas du tout l'investissement libidinal du soi. Ni lea, ni le moi, ni le soi proprement dit, ni les reprsentations d'objet n'existeraientencore ce stade. Par la suite, se produirait une srie de diffrenciations structura-les et nergtiques sous l'influence de facteurs internes et de stimuli externes dontE. Jacobson ne prcise nullement la nature. Du point de vue nergtique, l'nergieindiffrencie du soi primaire donnerait naissance aux deux nergies pulsionnelles,libidinale-rotique et destructrice-agressive, donc aux deux sortes de pulsions dontla a est pourvu. On en dduit que, sur le plan structural, le a mergerait partir dusoi primaire psychophysiologique. Plus tard, le soi et le moi se formeraient simulta-nment la dcouverte du monde objectaI externe. ()n peut penser, car ce n'est pasdit, que le moi nat partir de la diffrenciation de la couche corticale du a, donc enrfrence la thorie freudienne classique, mais ceci prs que cette diffrenciationest cense s'effectuer l'intrieur du soi.

    Conscutivement la diffrenciation croissante entre le soi et le monde extrieur, lemoi serait le dpositaire de deux sortes de reprsentations qui s'opposent entre elles:les reprsentations d'objet et les reprsentations du soi (psychique et corporel-so-matique). Les premires seraient constitues partir de l'activit perceptive tournevers le monde des objets externes. Les secondes se construiraient partir d'unedouble origine: l'endoperception d'expriences intrieures (telles que sensations,

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  • processus affectifs et intellectuels, etc.) et la perception du soi en tant qu'objet.Les reprsentations du soi resteraient, plus que les reprsentations d'objet, sousl'influence des expriences affectives personnelles et ne deviendraient ainsi jamaisconceptuelles au sens strict. Dsormais, le narcissisme secondaire ne devrait plustre conu comme l'investissement libidinal du moi, ni tellement comme l'investis-sement libidinal du soi, mais comme l'investissement libidinal des reprsentationsdu soi (psychique et corporel-somatique) dans le moi, tandis que le masochismesecondaire renverrait l'investissement destructif ou agressif des reprsentations dusoi dans le moi. Le a, le moi, le surmoi et l'idal du moi sont considrs comme desparties intgrantes du soi psychique. Ce dernier est une entit htrogne mais orga-nise, spare et distincte de l'environnement. Il est responsable de la conservationdu sentiment de l'identit propre, au cours de l'volution de l'individu.

    A mon avis, les ides avances par E. Jacobson ne rsolvent rien, laissent beaucoupde points dans l'ombre et compliquent les choses sans les rendre plus claires pourautant. Le narcissisme primaire est enferm dans une seule dimension, celle d'unenergie indiffrencie et par consquent non pulsionnelle, vision trs contestablepuisqu'elle abolit les liens du narcissisme primaire avec l'auto-rotisme. Ce derniern'a qu'une place extrmement restreinte dans le cadre du narcissisme secondaire quiprend le pas sur lui. Les pulsions de destruction sont assimiles purement et sim-plement aux pulsions agressives. Le concept de masochisme primaire est limin.Ces ides se situent uniquement dans une perspective gntique et dveloppemen-tale. Si elles sont mues par l'effort louable d'intgrer le narcissisme dans le secondmodle freudien de l'appareil psychique et, dans une bien moindre mesure, dansla seconde thorie freudienne des pulsions, elles ne sont assurment pas la bonnemanire d'y parvenir.

    2.3.3. Heinz KohutIl poussa encore plus loin les ides d'Edith Jacobson et s'effora ds 1971 d'inscrirele narcissisme sur une ligne dveloppementale radicalement diffrente de celle despulsions. Il dcrta que ce qui est dterminant pour dfinir le narcissisme rsidedans la diffrence de qualit des investissements et non pas dans la diffrence de lo-calisation de ceux-ci. De la sorte, il rejeta comme tant non pertinente la dfinitiondu narcissisme qui prend en compte l'orientation des investissements sur le moi, enopposition l'orientation des investissements sur les objets. Il distingua deux mo-dalits qualitatives d'investissement spares la base l'une de l'autre. D'un ct, lalibido narcissique qui est de nature non pulsionnelle et non sexuelle, mais qui peutinvestir des objets sur le mode narcissique, c'est--dire sous forme de soi-objets, etdont la satisfaction est source de joie. D'un autre ct, la libido instinctuelle-objec-tale qui est de nature pulsionnelle et dont la satisfaction est gnratrice de plaisir.

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  • Pour I
  • ou, mieux, correspond une tape postrieure celui-ci; sur le modle de ce moi-plaisir purifi qui tend s'incorporer tout le bon et l'agrable et expulser l'ext-rieur tout le mauvais et le dsagrable, le soi grandiose s'attribue toute la perfectionet rejette toutes les imperfections dans le monde extrieur. L'volution du courantissu du soi grandiose se fera depuis des fantasmes de grandeur (mgalomaniaques)et d'exhibitionnisme, en passant par une demande d'attention solipsiste (besoin nar-cissique d'tre unique) et par le besoin d'tre admir, jusqu' la maturit qui impli-que l'attnuation des positions prcdentes avec la constitution d'un soi authentiquenourrissant des ambitions atteignables et avec l'tablissement d'une forme volueet positive d'estime de soi (confiance en soi) qui tire satisfaction de ce que le sujetest, de ce qu'il est capable de faire et de russir. L'volution du courant issu du soi-objet idalis se fera depuis la toute-puissance confre l'objet dont le sujet faitpartie et depuis le besoin d'admirer ce soi-objet, jusqu' la capacit d'empathie etde s'enthousiasmer, jusqu' une forme volue d'admiration des autres et jusqu'auxidaux les plus habituels appartenant un systme de valeurs et servant de mod-les de conduite (le surmoi idalis). Les aspects primitifs des deux configurationsnarcissiques finissent donc par s'attnuer et par s'intgrer au soi authentique del'adulte.

    Il en va autrement dans la pathologie. Si l'enfant subit de graves traumatismes nar-cissiques, le soi grandiose ne se fond pas avec le contenu appropri du moi, mais ilest conserv tel quel, s'vertuant alors raliser ses buts archaques; la persistancedu soi grandiose se manifeste dans la cure sous la forme d'un transfert en miroir.De mme, si l'enfant est du de faon traumatique par l'adulte admir, l'imagoparentale idalise est conserve telle quelle, en tant que soi-objet archaque, et lapersistance du soi-objet idalis est repre dans la cure sous la forme d'un transfertidalisant. Transfert en miroir et transfert idalisant (aussi dnomm transfert desoi-objet, self-object transference ) constituent les deux principales formes detransferts narcissiques.

    I

  • Quand les besoins narcissiques de l'enfant n'ont pas t suffisamment satisfaits parla mre et que le soi grandiose a souffert d'un dfaut d'intgration, il en rsulte unedficience du soi et une vulnrabilit narcissique marques par l'existence plus oumoins spare ou combine de deux types de clivage orients horizontalementet verticalement . Le clivage horizontal dans le registre narcissique est l'qui-valent du refoulement dans le domaine objectaI-pulsionnel. Non seulement il coupede l'ensemble du soi la partie du soi grandiose qui est en rapport avec les besoinsnarcissiques prcocement trop frustrs et devenus inconscients, mais encore il privecette partie du soi grandiose de tout accs la conscience et de tout lien avec lemoi-ralit. Et comme la reprsentation consciente du soi se trouve l'intrieur dumoi-ralit, elle ne peut pas tre alimente en libido narcissique par le soi grandiosequi reste spar d'avec elle par le clivage horizontal . Il en dcoule un dfaut d'in-vestissement narcissique de la reprsentation du soi dans le moi-ralit et la sympto-matologie se manifestera par une diminution de l'estime de soi (de la confiance ensoi), un manque d'entrain et d'esprit d'initiative, une difficult voire une inhibition travailler, des sentiments dpressifs vagues, etc. Quant au clivage vertical , ils'apparente au clivage du moi dcrit par Freud et il en reprsente l'extension au ni-veau du soi. Ici, le soi grandiose non intgr a accs la conscience, mais il est clivverticalement du moi-ralit dont la reprsentation du soi ptit dj des effets duclivage horizontal . Ds lors, deux secteurs du fonctionnement du soi, clivs etse dsavouant l'un l'autre, sont prsents la conscience. De l'un mane une sympto-matologie se traduisant par de la vanit, par de la vantardise et par un sentiment degrandeur infantile, lesquels sont l'expression consciente du soi grandiose archaquenon intgr. De l'autre secteur mergent un manque conscient d'estime de soi, unepropension la honte et l'hypochondrie, qui sont relier au fait que l'autre part dusoi grandiose est maintenue silencieuse, l'tat inconscient, spare du moi-ralitpar clivage horizontal .

    Finalement, IZohut complique la ligne freudienne: auto-rotisme-

    narcissisme-

    amour objectaI en y introduisant le concept de lignes de dveloppement empruntAnna Freud et les concepts de soi et d'intgration chers aux auteurs amricains;il cre le concept de soi grandiose qu'il rapproche du moi-plaisir purifi de Freud,mais pas du moi-idal qui n'est qu'une autre formulation du moi-plaisir purifi etqui, en tant qu'idalisation primitive du moi par lui-mme, aurait pu faire l'affaire la place du soi grandiose. Bien sr, on pourra toujours trouver des argumentspour s'opposer une telle perspective qu'on qualifiera de rductrice et pour justifierla non-quivalence entre le soi grandiose et le moi-idal. Reste qu' multiplier lesconcepts en dehors de ceux du corpus freudien plutt que de faire travailler cesderniers, on contribue jeter la confusion dans les esprits et disloquer la thoriepsychanalytique. D'autant plus que je vois mal comment IZohut peut soutenir que le

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