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LES NOUVEAUXCOMPORTEMENTS

DANS L’ ENTREPRISE

Oser secouer l’organigramme

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Éditions d’Organisation1, rue Thénard

75240 Paris Cedex 05Consultez notre site :

www.editions-organisation.com

COLLECTION TENDANCES

La collection Tendances décrypte les changements de société pour sepréparer et préparer son entreprise aux défis de demain.

Dans cette collection :

Les rites dans l’entreprise, une nouvelle approche du temps,Jean-Pierre JARDEL et Christian LORIDON, 2000.

Ruptures créatrices, une nouvelle approche du temps, Patrick LAGADEC,2000.

Technomordus, technoexclus ? Vivre et travailler à l’ère du numérique, YvesLASFARGUE, 2000.

En couverture : Peinture de Sido, Série « Têtes multiples » n° 9 b (détail)Huile sur toile (41x33 cm), 1996. E-mail : [email protected]

Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressé-ment la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cettepratique s’est généralisée notamment dans l’enseignement, provoquant unebaisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour lesauteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement estaujourd’hui menacée.En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégrale-

ment ou partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation del’Éditeur ou du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie, 20, rue des Grands-Augustins,75006 Paris.

© Éditions d’Organisation, 2000Version eBook (ISBN) de l'ouvrage : 2-7081-6024-9

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Collection Tendances

LES NOUVEAUXCOMPORTEMENTS

DANS L’ ENTREPRISE

Oser secouer l’organigramme

Alain KERJEAN

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Du même auteur

Ouvrages

• Aventures sur l’Orénoque – Dans lespas d’Alexandre de Humboldt, en col-laboration avec Alain RASTOIN, RobertLaffont, 1981.

• La Piste interdite de Tombouctou,Flammarion, 1983 (traduit en alle-mand).

• Un sauvage exil – Jacques Lizot : 20 ansparmi les Indiens Yanomami, Seghers,1988.

• Hors limites – Apprendre en agissant,

Albin Michel, 1990.

• L’Adieu aux Yanomami, Albin Michel,1991.

Articles

• L’Aventure nous révèle, Notes deconjoncture sociale, n° 290 HubertLANDIER, avril 1988.

• Apprendre en agissant, Cadres CFDT, n°345, mars 1991.

• L’École du possible, Union sociale, n° 51UNIOPS, juillet-août, 1992.

• Les Formations « outdoor », Progrès dumanagement, n° 13, juillet 1993.

• Apprendre par l’expérience, Actualitéde la formation permanente, n° 148,Centre Info, mai-juin, 1997.

E-mail : [email protected]

Site internet : www.outdoor-France.com

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SOMMAIRERemerciements ........................................................................................... XI

Introduction : Une marche fertile .......................................................... 1

Partie 1 : POURQUOI AGIR SUR LES COMPORTEMENTS ? ......................... 19

Chapitre 1 .......................................................................................................... 21Rupture et transformation

Toute une époque ! ....................................................................................... 22Vers la société cognitive ............................................................................... 26De l’organisation dinosaure à l’organisation banc de poissons ................. 30De nouveaux critères de compétitivité ....................................................... 33Le défi de la responsabilisation ................................................................... 36

Chapitre 2 .......................................................................................................... 41Plus libres, mais plus seuls

Huit cavaliers de malheur ............................................................................ 43Le passage du groupe à l’individu ............................................................... 46Le retour du courage..................................................................................... 51

Chapitre 3 .......................................................................................................... 53C’est par la crise que l’homme se crée homme

La formation comme procédure d’extinction de la crise ........................... 55Changement rapide ou changement en douceur ? ................................... 56Le changement de comportement .............................................................. 57La dissonance cognitive ................................................................................ 58

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L’éloge de la fuite ......................................................................................... 60La mythologie du changement .................................................................... 61Le labyrinthe ................................................................................................. 63Le concept écologique du changement ...................................................... 66

Chapitre 4 .......................................................................................................... 69Le rôle des mentalités et des comportements dans le développement

Notre avenir est né en Hollande ................................................................. 71L’Europe d’avant la divergence .................................................................... 74Religions, mentalités et comportements .................................................... 76Une société de liberté .................................................................................. 80À l’origine du développement, des comportements individuels et collectifs .................................................................................. 83

Chapitre 5 .......................................................................................................... 87Le discours des entreprises sur les comportements

Dans l’insertion d’abord ............................................................................... 88Une idée à la mode dans les entreprises .................................................... 92En France, tout commence par une bataille sémantique .......................... 97Les 65 critères clefs de succès dans le management actuel ....................... 101Les comportements, nouvel étalon de la réussite professionnelle ........... 102Le développement personnel devient le développement professionnel .... 110Travailler sur les attitudes plus que sur les aptitudes ................................ 112

Chapitre 6 .......................................................................................................... 117De nouveaux comportements stratégiques

Qu’est-ce qu’un comportement stratégique ?............................................. 120Le manager facilitateur ................................................................................ 124Passer du mythe du chef au mythe de l’équipe ......................................... 130Oser secouer l’organigramme ...................................................................... 130

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Partie 2 : ÉLABORER UNE STRATÉGIE COMPORTEMENTALE .................... 133

Chapitre 7 .......................................................................................................... 135Sommes-nous préparés ?

Un système scolaire décalé............................................................................ 136Une élite inadaptée ....................................................................................... 140Des talents à mobiliser .................................................................................. 145Il nous reste à inventer nos propres solutions ............................................ 149

Chapitre 8 .......................................................................................................... 151Nos comportements sont-ils prévisibles ?

Toujours le vieux débat de l’inné et de l’acquis .......................................... 152Les typologies................................................................................................. 153Les théories comportementalistes ................................................................ 156Les cognitivistes ............................................................................................. 157Critique du déterminisme ............................................................................ 159Les jeux de pouvoir dans une équipe ......................................................... 165Le locus de contrôle ...................................................................................... 169

Chapitre 9 .......................................................................................................... 171Un nouveau moyen de manipulation ?

Un renforcement du modèle dominant ?.................................................... 174L’idéologie de la réalisation de soi est-elle dangereuse ? .......................... 177Existe-t-il une manipulation honnête ?........................................................ 182Le point de vue des syndicats ...................................................................... 188Le choix réaliste de l’émancipation ............................................................. 193

Chapitre 10 ........................................................................................................ 195Bâtir une stratégie d’apprentissage collectif

Le degré de profondeur................................................................................ 198L’approche sociologique ............................................................................... 207Les comportements individuels ................................................................... 211Les comportements en groupe .................................................................... 219Les comportements de pouvoir et de décision ........................................... 223Les comportements dans l’organisation ..................................................... 226Accepter la différence .................................................................................. 227

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Chapitre 11 ....................................................................................................... 233La démarche du changement

Le développement professionnel ................................................................ 238Première phase : analyse préalable et restitution ...................................... 246Deuxième phase : l’intervention .................................................................. 260Troisième phase : l’évaluation, le suivi et la démultiplication ................... 273

Chapitre 12 ........................................................................................................ 275L’intelligence sociale

La chimie de l’intelligence ........................................................................... 277Les deux sortes de stress .............................................................................. 283L’amygdale du cerveau dirige nos émotions .............................................. 286Huit formes d’intelligence humaine ............................................................ 292Les styles d’apprentissage ............................................................................ 295Conclusion : la meilleure école du réel, c’est le réel ................................... 299

Partie 3 : APPRENDRE PAR L’EXPÉRIENCE ......................................................... 303

Chapitre 13 ........................................................................................................ 305Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

Une étude de l’OCDE..................................................................................... 307Le livre blanc de la Commission européenne .............................................. 315L’Année européenne de l’éducation et de la formation tout au long

de la vie .................................................................................................... 318Le colloque de la Grande Arche ................................................................... 319La formation professionnelle s’interroge .................................................... 321

Chapitre 14 ........................................................................................................ 327Histoire de la formation expérientielle

La pré-histoire de la formation expérientielle ........................................... 328L’École nouvelle ............................................................................................. 333Le déclin de l’Éducation nouvelle après guerre ......................................... 342La formation expérientielle ......................................................................... 346Kurt Hahn fonde l’Outdoor Education ....................................................... 3491986 : Hors limites crée en France la formation expérientielle

et l’Outdoor Education .......................................................................... 356

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Chapitre 15 ........................................................................................................ 363Les principes pédagogiques

Les sept lois de Salem ................................................................................... 365Les théoriciens ............................................................................................... 367Le modèle théorique .................................................................................... 372Définition internationale de la formation expérientielle .......................... 377

Chapitre 16 ........................................................................................................ 391L’Outdoor Training (le développement professionnel à travers la nature)

Une définition officielle ............................................................................... 392Les principes pédagogiques ......................................................................... 398L’utilisation consciente de la métaphore .................................................... 401Le rôle du formateur-facilitateur ................................................................ 409Les techniques d’évaluation ......................................................................... 412Les résultats à attendre ................................................................................ 414

Chapitre 17 ........................................................................................................ 427L’entreprise du futur

Le cas d’Exxon Chemical ............................................................................... 428Le cas de « The Oxford Group » .................................................................. 445Le point de vue d’un formateur expérientiel ............................................. 455

Conclusion en forme de manifeste pour l’entreprise du futur .......... 465

ANNEXES ........................................................................................................ 4711. Grille de profil de management (Headic & Adlance)............................ 4712. Chronologie de la formation expérientielle ......................................... 4803. Les questions le plus souvent posées à propos de la formation

expérientielle en extérieur ..................................................................... 4834. Contacts des organismes de conseil et des consultants cités

dans cet ouvrage ..................................................................................... 485

GLOSSAIRE : petit dictionnaire des comportements en entreprise................................................................................................ 487

INDEX................................................................................................................ 493

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Rupture et transformation

© Éditions d’Organisation [XI]

Remerciements

J’exprime dans cet essai mon admiration pour les auteurs qui ont contribué à faireprendre conscience de l’importance du facteur humain dans le développement detoute organisation, et de la nécessité de se doter de nouvelles capacités d’ap-prentissage et de qualités de caractère désormais sollicitées par la « société cogni-tive ».

Ce livre est dédié aux amis qui me soutiennent et m’accompagnent dans cetteaventure de l’Outdoor Education en France : Henri RETHORÉ, Jean-Paul MARTIN

ALBISER, Thierry BERT, Éric ROPERS, Alain LIÉGEOIS, Marie-Vincente LATÉCOÈRE, JérômeDEROURE, Laurent de COMMINES, Alain MEUNIER, Dominique GLOCHEUX, Éric BORVEAU,Bruno RÉGIEN, Frank SCHERRER, Sébastien PETIOT, Vasile CIUTA.

Je remercie tous ceux qui ont bien voulu me consacrer du temps et acceptent departager leur expérience et leurs compétences dans ce livre, dirigeants d’entre-prise, consultants, formateurs.

Enfin je rends hommage à Guy RULLAUD, qui m’aida en 1986 à proposer aux entre-prises les premiers séminaires expérientiels en extérieur, alors qu’il dirigeaitl’IRPOP sous la présidence de François CEYRAC. Il a bien voulu relire le manuscrit dece livre.

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Introduction

Une marchefertile

Le développement d’une entreprise, avant d’être untaux de rentabilité, serait-il un choix de valeurs et decomportements ? Et si c’était le cas, comment déve-lopper en peu de temps des « capacités comporte-mentales et relationnelles » qui s’acquièrent parl’expérience plus qu’elles ne s’enseignent ?C’est en explorant les forêts de l’Orénoque, unemachette à la main au milieu d’une colonne d’IndiensYanomami, que m’est venue la forte conviction que lasociété dans laquelle nous entrions – c’était au débutdes années 80 – allait demander davantage qu’unbagage technique et intellectuel. Dans la jungle ama-zonienne, les « fils de la lune » me faisaient découvrirune autre carte du monde ; de même notre environ-nement désormais complexe et turbulent exigeait quel’on s’arme de souplesse, de courage, de ténacité,d’humilité, des qualités humaines qui permettent detravailler en équipe et de coopérer, des qualités

© Éditions d’Organisation [1]

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cognitives qui permettent de « sortir du cadre » et dechanger de mode de pensée. Les Yanomami, ce peuple« premier » que l’on prétend ahistorique, ont unmythe pour dire la nécessité de changer. Leursancêtres, racontent-ils, ont trouvé un jour dans la forêtdes fruits shosho – des amandes – tombés à côté duchemin. « Ramassons-les ! Ramassons-les ! » Avec desbâtons, les hommes cassèrent les coques à grandpeine, car elles étaient très dures. Puis ils mordirent lesamandes, en les secouant de bas en haut avec lesmains, essayant en vain de les extraire. Ils secouaientde toutes leurs forces, de telle sorte que leurs nez sedéformèrent. Le nez d’un jeune se cassa le premier.« J’ai le nez cassé ! J’ai le nez cassé ! » s’exclamèrent-ils les uns après les autres, même les femmes. Ils se sontobstinés à vouloir extraire les amandes de leurs coquescoriaces, maintenant ils gémissaient de tous les côtés.Les « hommes courageux » furent alors changés encoati – mammifère carnivore au corps allongé, aumuseau terminé en groin – et se mirent à courir danstous les sens. Un vieux sauta de son hamac, grimpadans un arbre et s’immobilisa au milieu du tronc,transformé en nid de termites. Les ancêtres se sontmétamorphosés en hekura – les esprits. L’homme quis’entête, qui refuse le changement, nous dit ce mythe,est transformé en animal1.Ma formation de juriste et de fonctionnaire ne m’avaitpas préparé à l’action mais au discours, aux certitudeset non au doute, au raisonnement rationnel et non àla complexité. Dans ce nouveau monde de la « sociétécognitive », les jeunes sont obligés de jouer les aven-turiers, et nos écoles forment des fonctionnaires.

1. Mythe recueilli et traduit par

l’ethnologue Jacques LIZOT.

Introduction

[2] © Éditions d’Organisation

“”

Dans ce nouveau

monde de la « sociétécognitive », les jeunessont obligés de jouer

les aventuriers, et nos écoles forment des

fonctionnaires.

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Partout des écoles de gestionnaires et non d’entrepre-nants. Trop de gens qui veulent « partager le gâteau »,et pas assez qui veulent le faire grandir. Je n’avais pasenvie de voir mon nez tomber et de me transformer encoati ou en termitière. Alors je me suis sauvé de l’ad-ministration – peut-être au double sens du terme –pour explorer le monde, voir comment les autres sepréparaient à affronter cette nouvelle réalité, com-ment ils formaient de nouvelles capacités collectives,de nouveaux comportements. « Le plus dur n’est pasde sortir de Polytechnique, disait de Gaulle, c’est desortir de l’ordinaire. » Revenu « plein d’usage et rai-son » dans ma tribu d’origine, je me suis rendu comptecombien nous étions coincés dans nos certitudes decartésiens, persuadés que nous allions rester à l’abri duchangement, un peu comme la langouste qui utilise sacarapace pour compenser son manque de colonne ver-tébrale. J’ai vu quel était le poids du tabou qui pesaitsur les comportements et « la formation du carac-tère. » C’était comme si nous étions encore en retardd’une guerre. Mon grand-père, gazé dans les tran-chées de Verdun, racontait comment, en 1914, lesképis rouges désignaient nos soldats aux tirs ennemis,et comment le commandement n’avait pas tenucompte de l’introduction des mitrailleuses dans l’arse-nal allemand. L’élite militaire avait refusé de voir leschangements mais elle ne s’est pas transformée en nidde termites. La volonté des esprits est insondable. Laboucherie de la Grande Guerre ne pourrait-elle pasnous servir de mythe de la nécessaire transformation ?Alors que la littérature sur l’organisational behaviour– les comportements en entreprise – était abondante

Une marche fertile

© Éditions d’Organisation [3]

Je me suis rendu compte

combien nous étionscoincés dans nos

certitudes decartésiens, persuadés

que nous allions resterà l’abri du

changement, un peucomme la langouste

qui utilise sa carapacepour compenser

son manque de colonne vertébrale.

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ailleurs, je ne trouvais rien dans mon propre pays. Lesujet n’avait pas été exploré mais simplement timide-ment évoqué de manière parcellaire, périphérique. Leministre Edgard Faure et le sociologue Michel Crozierétaient bien seuls dans ce désert. Quant à la formationdes comportements, il ne fallait pas y penser. La ges-tion des ressources humaines et nos bonnes vieillestechniques de dynamique de groupe et de communi-cation en dix leçons allaient bien suffire. On avait mar-ginalisé depuis longtemps les pédagogies nouvellespour les enfants, ce n’était pas pour les ressortir de lanaphtaline et les adapter aux adultes. Or, d’autresl’avaient fait, et avec un succès inimaginable pour nosexperts.Ayant fait mon marché chez les Anglo-Américains, jen’ai eu de cesse ne créer, finalement à la fin desannées 80, la première école « expérientielle » dedéveloppement des « capacités relationnelles et cogni-tives » au moyen de problèmes à résoudre dans lanature, ce qui se dit en anglais outdoor education.Succès médiatique immédiat de nos stages « Horslimites » pour cadres. Ce que nous faisions pour lesjeunes, pourtant tout aussi innovant, n’intéressait pasles journalistes.Le nom Hors limites signifiait pour moi l’instant dupassage à l’acte, le moment où, tel le plongeur faisantle saut de l’ange, on décide de quitter l’apesanteur –et les pesanteurs – pour affronter l’inconnu. J’ai écritun livre pour expliquer cette formation nouvelle, maisc’était trop tôt. On ne voyait que le gadget2. Dix ansplus tard, une idée à la mode est devenue une idéemoderne. Cette pédagogie est reconnue internationa-

2. Hors limites – Apprendre en

agissant, Alain KERJEAN, Albin

Michel, 1990.

Introduction

[4] © Éditions d’Organisation

“”

Dix ans plus tard,

une idée à la mode est devenue

une idée moderne.

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lement comme l’une des meilleures réponses aubesoin d’intégrer la dimension comportementale dansla formation des adultes, au point que l’Union euro-péenne l’a identifiée comme une voie d’avenir :

« Pour les adultes, se développent des actions novatricestelles que celles conduites par l’Outdoor Education déve-loppée au Royaume-Uni, qui propose des exercices oudes pratiques transformant le contenu de la formationcontinue traditionnelle en visant l’adaptation des com-portements plutôt que la connaissance abstraite. »3

Belle reconnaissance, mais ce n’est pas pour cela quecette approche radicalement nouvelle fait aisémentson chemin dans un pays où, depuis Voltaire, il est fol-lement élégant d’être sceptique. On retrouve uneforte inhibition de l’action dans les ouvrages, peunombreux, parus ces dernières années sur le fonction-nement humain des entreprises, sans jamais bien sûrmettre en avant le mot « comportement. » Tel auteurse défend d’écrire un « livre utile proposant des solu-tions », un autre renvoie ses lecteurs « aux outils ettechniques d’animation qui existent », un troisièmedevance ceux qui pourraient trouver dans ses travaux« les subtilités des pseudo-scientifico-universitaires... »On théorise, on analyse, mais on n’agit pas. Passionné à la fois par la réflexion qui sous-tend lesinnovations pédagogiques et manageriales, mais aussipar l’action de terrain, j’invite le lecteur à me suivredans ce voyage. Cette « marche fertile » qui conduit dela compréhension du besoin des entreprises d’inscrireles comportements dans leur vision stratégique, et del’exploration – la machette n’est pas obligatoire – des

3. Enseigner et apprendre. Vers la

société cognitive, Commission

Européenne, 1996.

Une marche fertile

© Éditions d’Organisation [5]

“ ”On théorise, on analyse,

mais on n’agit pas.

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rapports humains dans un contexte professionnel, jus-qu’aux moyens d’agir en partant de la réalité et nonde la théorie. À l’opposé du discours actuel, nousdécouvrirons pourquoi l’acquisition de l’aptitude àpenser implique toujours le passage du concret à desreprésentations abstraites et intérieures. LesYanomami, parmi lesquels j’ai confirmé ma vocation,ont probablement suivi le même chemin que nosancêtres des cavernes découvrant l’usage de l’outil,puis l’avantage de la division du travail. Une commu-nication a ensuite commencé à s’établir autour desoutils. Le développement individuel de l’être humaindevrait ainsi se faire suivant le même processus, c’est-à-dire en passant du niveau de l’outil concret à l’apti-tude à penser en passant par la communicationverbale. Suivant ce cheminement d’apprentissage, lesactions matérielles sont verbalisées avant d’être inté-riorisées en actions mentales, la pensée. Ce peuple nudu Haut-Orénoque au Vénézuela, armé d’arcs et deflèches enduites de curare, nous rappelle que l’expéri-mentation, l’esprit Benjamin Franklin dirions-nous, estune merveilleuse école de réflexion. La compétence,les managers en sont enfin convaincus, c’est un savoir,plus un savoir-faire, plus un comportement. Notre sys-tème de formation initiale et continue n’apportequ’un tiers du bagage.

Notre exploration débutera au cœur des trois chocsqui ont transformé ces dernières années nos modèlesd’organisation : la société de l’information, d’oùrésulte un rôle croissant du facteur humain, la mon-dialisation et la civilisation scientifique et technique.

Introduction

[6] © Éditions d’Organisation

La compétence, les managers en sont enfin

convaincus, c’est unsavoir, plus un savoir-

faire, plus uncomportement. Notresystème de formation

initiale et continuen’apporte qu’un tiers du bagage.

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Les modèles d’organisation se sont très vite adaptés,passant de l’organisation « dinosaure » à l’organisa-tion « banc de poisson. » C’est déjà une révolutiondans les mentalités ; le mythe de l’équipe remplace lemythe du chef. La condition humaine en est profon-dément transformée. En rejetant des siècles decontraintes et de misères, on pensait bien ne plus avoirbesoin de ces vieilleries que paraissaient être lavolonté, l’effort, la discipline, la rigueur, le courage. Oron ne peut plus compter sur la sécurité existentielle(les idéologies se sont effondrées sur elles-mêmes),affective (le mariage n’est plus un rempart contre lasolitude), sociale (les systèmes de protection rendentles armes). Plus libres mais plus seul, l’homme moderneretrouve cette valeur jugée ringarde il n’y a pas silongtemps : le courage. Faut-il s’en affliger ou consi-dérer que c’est par la crise que l’homme se créehomme ? Ces changements profonds et rapides pour-raient bien être une chance, un idéal de l’individuautonome par rapport au groupe dont il choisit libre-ment de faire partie. Idée ancienne redevenue au goûtdu nouveau siècle dans lequel nous entrons. Mais lespenseurs grecs et les hommes de la Renaissance réser-vaient ces « valeurs humaines » à quelques êtres d’ex-ception ; aujourd’hui, il s’agit de les démocratiser. Laforce de caractère de quelques uns doit être la qualitéde tous. Alors, il nous faudra nous interroger sur lanature de ces comportements nouveaux à développer,et sur l’intérêt d’agir sur eux. La prise de conscience dela nécessité d’agir sur les comportements en entrepriseest récente. La notion est floue et subjective. Il nousfaudra clarifier le débat et savoir de quoi l’on parle.

Une marche fertile

© Éditions d’Organisation [7]

“”

La force de caractère

de quelques uns doit être la qualité de tous.

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Mais pour réellement avoir envie de s’engager danscette aventure du changement des comportements,avant de faire « le saut de l’ange », il convient demesurer l’enjeu stratégique pour l’organisation àlaquelle on appartient, comme pour soi-même et sondevenir professionnel.Formés au raisonnement rationnel, les dirigeants d’or-ganisations, entreprises comme administrations, onttendance à penser que le facteur humain est secon-daire, a peu de conséquences sur la structure, et qu’ildoit s’adapter aux nouvelles donnes économiques, auxlois du marché, au contexte. Beaucoup pensent quecette adaptation ne relève pas même d’un choix, tantnous serions conditionnés par notre environnement,par la nature humaine et par les lois obscures du com-portement. À la suite d’historiens, nous comprendronsqu’il n’en est rien en explorant les causes de la révolu-tion industrielle en Europe occidentale entre 1580 et1780. Ce détour historique, très éclairant, expliquerapourquoi certains économistes en sont venus, trop tar-divement, à instituer un « facteur résiduel » s’ajoutantaux deux facteurs classiques du travail et du capital, unfacteur appelé aujourd’hui le capital humain.

« Ne sors pas au-dehors, disait Saint Augustin, rentre entoi-même, la vérité habite à l’intérieur de l’homme. »

« Plus est en nous » était la devise de Hors limites. C’esten nous que réside le développement. L’enfouir ou lefaire fructifier dépend de nous.

Si l’on perçoit le rôle des comportements dans le déve-loppement aussi bien des organisations que des per-

Introduction

[8] © Éditions d’Organisation

Mais pour réellement

avoir envie des’engager dans cette

aventure duchangement descomportements,

il convient de mesurerl’enjeu stratégique

pour l’organisation àlaquelle on appartient,comme pour soi-même

et son devenirprofessionnel.

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sonnes qui les composent, l’essentiel du chemin estparcouru. La seconde étape de notre exploration auxsources des comportements organisationnels consis-tera alors à organiser l’action, ou plutôt à laisser agirles acteurs de l’entreprise par un jeu d’essai-erreur. Mais sommes-nous préparés en France à ces change-ments de comportements ? Beaucoup a été écrit surnotre système de formation, école des abstractions etdu scepticisme d’où résulte une société frileuse,conservatrice, effrayée par le changement. On formedes forcenés du travail solitaire, alors que l’on a besoinde cadres doués pour le travail en équipe et ouvertssur le monde. Ils est mondialement connu que nosélites, qui faisaient jadis l’admiration de tous, sont malformées à la réalité d’aujourd’hui et constituent mêmeun frein au changement et au progrès. Manqued’imagination, de curiosité, de souplesse, de sens pra-tique, d’esprit d’équipe, d’audace et surtout d’humi-lité. Être classé au vingt-et-unième rang mondial de lacompétitivité, et avoir un taux de 40 % d’analpha-bètes d’après l’OCDE, il y a pourtant de quoi revenir àplus de modestie. Mauvais présage pour le XXIe siècle.L’archaïsme d’un État toujours et encore colbertiste estpour beaucoup dans ce retard, mais en amont neserait-ce pas dans les mentalités et les comportementsqu’il faudrait trouver l’origine de ce « mal français » ?Le constat est connu, brillamment analysé parquelques sociologues et journalistes, qui en viennent àaffirmer que nous avons dans notre tradition cultu-relle les qualités sollicitées par le monde nouveau : unniveau d’éducation élevé, un individualisme atavique,des aptitudes à la débrouillardise ; mais nous avons

Une marche fertile

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C’est en nousque réside

le développement.L’enfouir ou le faire

fructifier dépend de nous.

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aussi beaucoup de difficulté à mobiliser ces talents quidorment. Dans de stimulants ouvrages sur l’état deslieux de nos comportements face à la société cogni-tive, les moyens d’agir sont quasi inexistants. Le désar-roi des dirigeants d’entreprise face au changement descomportements est vertigineux. Comment se préparerà élaborer une stratégie comportementale dans unpays qui, à l’inverse de ses compétiteurs, a laissé ce ter-rain en jachère depuis un demi-siècle ?Un verrou est d’abord à lever sur ce chemin encorebien peu fréquenté, celui du déterminisme. Il s’agitd’un mythe auquel beaucoup ont encore recours. Dansle labyrinthe du changement, l’impasse des théoriesdéterministes est à éviter. Nous irons au fond de cettequestion : pourquoi est-il erroné de prétendre prédireles comportements des gens ? Les hommes ne s’adap-tent pas passivement aux circonstances mais sontcapables de jouer sur elles. À la suite de quelquessociologues visionnaires, nous verrons pourquoi il estillusoire de chercher l’explication des comportementsdans la rationalité de l’organisation. De même, lesvieilles théories sur les différentes sources de motiva-tion nous éloignent de cette simple réalité : l’individuse détermine en fonction des opportunités et de sescapacités à s’en saisir.Toutes ces typologies dans lesquels on prétend nousenfermer, ces méthodes de repérage de notre person-nalité d’où il serait possible de déduire toute une sériede traits particuliers, toutes ces techniques qui préco-nisent que l’on imite le discours de son interlocuteurou que l’on devine son mode de fonctionnement parses caractéristiques physiques font peu de cas du carac-

Introduction

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L’individu se détermine

en fonction desopportunités et de ses

capacités à s’en saisir.

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tère et de la liberté de chacun et sont maintenantinfirmées par les plus récentes recherches. Les rescapésdes camps de la mort, comme ceux qui ont survécu àdes situations extrêmes, l’affirment : entre ce qui leurarrivait (stimulus) et leurs réactions, s’interposait leurliberté, leur pouvoir de choisir une réponse.Un autre obstacle à surmonter est la tentation de lamanipulation. Si la formation en profondeur de nou-veaux comportements est encore presque vierge, lesentreprises élaborent activement des techniquesd’identification des traits de personnalité et de prédic-tion des comportements, et ceci au service du recrute-ment et de l’évaluation de leur personnel. Beaucoups’insurgent contre des critères flous et subjectifs,échappant à la négociation syndicale. On croit devinerune soumission librement consentie. On suspecte unnouveau moyen trouvé par les dirigeants pour main-tenir leur pouvoir. Nous essaierons de faire la part dela peur du changement et des fausses réponses ration-nelles.Avant d’agir sur les comportements, il faut d’abordcomprendre les rapports humains dans l’entreprise.Sommes-nous des acteurs autonomes ? Nous compren-drons de quelle manière les hommes concilient leurliberté et les contraintes de l’organisation et de l’envi-ronnement. Cet essai n’est pas un manuel mais uneaide à la décision et au passage à l’acte. Il n’est doncpas question de s’enliser dans les innombrables théo-ries comportementales, ni dans le répérage de leurscontradictions. Nous irons à l’essentiel des causes ducomportement individuel et collectif.

Une marche fertile

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Avant d’agir sur les

comportements, il fautd’abord comprendre

les rapports humains dansl’entreprise.

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La clé n’est pas dans ces utiles outils de réflexion et deconnaissance mais dans le choix du niveau d’interven-tion sur les comportements.

« La porte du changement s’ouvre de l’intérieur », a écritMarilyn Ferguson4.

Cela signifierait-il que c’est en nous-mêmes, commel’avait déjà dit Saint Augustin, qu’il faut trouver la clédu changement ? Ne faut-il pas nous interroger avanttout sur notre représentation du monde ? Dans cetteterra incognita des comportements organisationnels,comme dans une exploration du Haut-Orénoque, lacarte n’est pas le territoire. Notre carte mentale est-elle adaptée à la nouvelle réalité et sinon comment lamodifier ? Des chefs d’entreprise veulent brûler lesétapes en s’achetant une culture, sans travaillerd’abord sur l’idée que chacun se fait de la réalité. C’estun peu comme la Grande Montagne des Yanomamicentraux, dont nous avons réalisé la première ascen-sion : la pyramide de la pensée stratégique, ou de lamaturité, est une montagne à gravir, mais bien peuparviennent au sommet. Un autre piège à éviter dans cette ascension, ou dansce labyrinthe, est le déséquilibre entre l’action sur lastructure et l’action sur les hommes. L’action doit êtreconvergente. Quelle est l’arme secrète des entreprisesinnovantes ? Observons la manière dont certains diri-geants, au lieu d’imposer un mode de fonctionnementhumain conçu rationnellement, proposent des oppor-tunités, des pistes à explorer, puis tiennent compte dela manière dont le personnel s’en saisit, et, par ce va-

4. Jacques CHAIZE a repris cette

formule pour intituler l’un de ses

ouvrages (Calman Lévy, 1992).

Introduction

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Des chefs d’entreprise

veulent brûler lesétapes en s’achetant

une culture, sanstravailler d’abord

sur l’idée que chacunse fait

de la réalité.

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et-vient entre l’action et la réaction, inventent un nou-veau mode de fonctionnement.S’il fallait un ultime argument pour passer à l’étapesuivante, il faudrait sans doute considérer les plusrécentes découvertes sur ce qu’on appelle désormais« l’intelligence émotionnelle. » Beaucoup en parlent,mais bien peu en cernent les contours et les implica-tions. « Le désir est le moteur de la créativité », affir-mait le spécialiste des comportements Henri Laborit. Ilest clair qu’en France, l’éducation trop cartésienneprovoque une hypertrophie du cerveau logique – lecerveau gauche, celui des divisions – au détriment ducerveau créatif – le cerveau droit, celui des rapproche-ments. Or, ce sont les émotions qui commandent lacréativité. La doctrine cartésienne qui sépare le corpset l’esprit ne peut plus se défendre aujourd’hui.Entreprendre, c’est mettre sur pied ce que l’on a dansla tête. Si l’esprit d’entreprise est en panne, c’est quele relais entre pensée et action, chez nous, fonctionnemal. Ce relais est le cœur.

« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisiblepour les yeux », disait le renard au petit prince de SaintExupéry.

Il existe un autre mot pour désigner l’intelligenceémotionnelle : le caractère. Selon les fondateurs ducourant des pédagogies actives pour les enfants, l’édu-cation morale est particulièrement efficace quand elles’appuie sur la réalité. Et si le meilleur moyen de for-mer en peu de temps des qualités de caractère désor-mais sollicitées dans la vie professionnelle, était, pourles adultes aujourd’hui comme pour les enfants hier,

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Il existe un autre

mot pour désignerl’intelligence

émotionnelle : le caractère.

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de vivre des expériences en situation de formation ? Etsi le caractère n’était autre chose que l’auto-disciplineet la maîtrise de soi ?

Le « tigre » Georges Clemenceau l’avait déjà affirmédans une autre situation de crise : « la liberté est le droitde se discipliner nous-mêmes pour ne pas être disciplinéspar d’autres. »

N’est-ce pas un précieux avertissement à l’usage desentreprises et des hommes qui la font ?

Lorsque des dirigeants d’entreprise et leurs consul-tants se réunissent pour échanger leurs analyses duchangement et leurs expériences, je suis frappé de leurunanimité pour reconnaître leur erreur d’avoir cru il ya quelques années que l’empowerment et tous ces dis-cours sur les nouveaux comportements n’étaientqu’une mode américaine qui passerait comme elleétait venue. Unanimité aussi pour se poser dès lors laquestion : comment fait-on pour former ces nouveauxcomportements dans un contexte d’entreprise ?

La dernière étape de notre exploration nous permet-tra de découvrir une voie d’avenir très largementméconnue en France, alors qu’il s’agit probablement,à l’aube du nouveau siècle et à l’échelle mondiale, duplus puissant levier de changement des mentalités etdes comportements en formation d’adultes : l’appren-tissage expérientiel. On sera étonné de constater qu’àla source de ce courant dominant on trouve les péda-gogies actives pour les classes maternelles. Curieusehistoire que celle du plus important courant pédago-

Introduction

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La liberté est le droit

de se discipliner nous-mêmes pour

ne pas être disciplinés

par d’autres.

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gique du XXe siècle, inspiré des idées de Jean-JacquesRousseau, que l’on a appelé l’École nouvelle. Mais ilnous faudra aussi comprendre pourquoi le couvercledu tabou a été posé en France, après guerre, sur la for-mation du caractère, et pourquoi ce sont les Anglo-Saxons qui au même moment ont repris le relais etadapté aux adolescents et aux adultes les principes del’apprentissage actif. C’est l’histoire d’un pédagoguejuif allemand, réfugié en Grande-Bretagne au momentde la montée du nazisme, qui fonda au Pays de Gallesla première école fondée sur ces principes avec, ironiede l’histoire, l’argent d’un mécène français. En pleinebataille de l’Atlantique, il s’agissait de préparer lesjeunes navigants de la marine commerciale britan-nique à survivre à bord de leurs canots de sauvetage,lorsque leur bateau était coulé par les sous-marinsennemis. On avait constaté en effet que, bien que phy-siquement plus robustes que leurs aînés, ils résistaientbeaucoup moins bien, et que la différence résidaitdans leur « force intérieure. » L’engouement pourl’Experiential learning et l’Outdoor education fut telleaprès guerre que cette conception active de la forma-tion fut largement développée dans l’éducation, l’ap-prentissage, l’action sociale et le management, nonseulement outre-Manche mais, de nos jours, dans unetrentaine de pays de tradition anglo-américaine.Des universitaires, des auteurs de livres de manage-ment, des consultants en entreprises, des journalistesévoquent de plus en plus cet objet encore non identi-fié, mais avec d’énormes préjugés ou des informationstrès erronées, d’où une grande confusion. Parexemple, après avoir évoqué les fondements

Une marche fertile

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Ce sont lesAnglo-Saxons

qui ont repris le relaiset adapté aux

adolescents et auxadultes les principes de

l’apprentissage actif.

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théoriques anglo-saxons, on s’empresse de dire qu’ilne s’agit pas d’appliquer ces méthodes en France, l’oncherche chez nous ce qui pourrait s’en rapprocher, etl’on trouve des concepts très éloignés. L’erreur la pluscommune est de confondre expérience passée analy-sée dans un contexte de formation (histoire de vie etformation en alternance par exemple) et expérienceconçue pour être vécue dans une situation de forma-tion. On confond jeux de rôles et expériences en gran-deur réelle impliquant toute la personne enformation. Il est donc utile de définir ici les principesgénéraux de la pédagogie expérientielle, telle qu’elleest pratiquée aujourd’hui, enrichie de l’apport dethéoriciens tels que Vygotsky, Piaget, Lewin ou Rogers.Cette approche nouvelle, ou réinventée, est caractéri-sée essentiellement par la participation active desapprenants à un processus ayant pour objectif d’asso-cier les informations provenant de l’environnement àleurs connaissances et aux différentes expériencesqu’ils ont accumulées. Une étude de l’OCDE réaliséedans huit pays – mais pas en France – explique l’en-gouement récent de l’apprentissage actif ; selon sesauteurs, ce succès s’explique par l’idée plus générale-ment admise qu’une information abstraite assimiléedans un contexte pratique sera plus facilement inté-grée par le formé dans son corpus de connaissancesthéoriques et pratiques ; l’étude voit l’explication dece nouvel engouement international dans les années90 dans l’intérêt des gouvernements et des entreprises– mais pas encore les nôtres – pour le développementdes capacités relationnelles et comportementales.

Introduction

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Une information

abstraite assimiléedans un contexte

pratique sera plus facilement

intégrée

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Le lecteur comprendra que nous éprouvions le besoinde lui confier la petite histoire de la création enFrance, en 1986, à la fois de l’Experiential learningpour adultes et de l’Outdoor education. Comme touteinnovation, les stages « Hors limites », puis « Expé-rientiels », révèlent à la fois le besoin d’agir dans cedomaine trop longtemps négligé, les inhibitions, lespeurs et les scepticismes de nos compatriotes, maisaussi la clairvoyance de quelques précurseurs.Parmi d’autres, le cas de l’usine Exxon Chemical deNotre-Dame de Gravenchon en Normandie est exem-plaire des entreprises pionnières qui, en France, ontfait appel au levier de l’Outdoor education pour for-mer de nouveaux comportements. Il s’agissait que cha-cune des 250 personnes recrutées pour cette nouvelleusine de plastique ait, à son niveau, un rôle de leader.Des témoins nous dirons presque dix ans après quelimpact a eu ce programme sur le fonctionnementhumain de cette entreprise du futur.

Une enquête récente révèle que 72 % des directeursde ressources humaines en France estiment que lesplus grandes lacunes chez le personnel en place à tousles niveaux, comme chez les candidats à un emploi,concernent les attitudes, par rapport aux aptitudes. Laprise de conscience et aussi fulgurante que récente.Même les futurs énarques « devront acquérir de nou-velles compétences relationnelles. » Il est temps decommencer notre périgrination et de comprendrepourquoi il faut agir, vite, et avec quels leviers.

Une marche fertile

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72 % des directeurs de

ressources humainesestiment que les plus

grandes lacunesconcernent

les attitudes.

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Partie 1

Pourquoi agir sur les

comportements ?

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Chapitre 1

Ruptureet

transformation

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Pourquoi agir sur les comportements ?

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Une combinaison de facteurs persuade un nombregrandissant d’organisations que le rôle du managerdoit évoluer de contrôleur omniprésent à facilitateur.Certains patrons visionnaires en étaient conscients dèsles années 80.

« Le profil du cadre a changé, me disait Daniel Hémard,alors PDG de Pernod ; il doit apprendre à s’engager tota-lement. Les patrons doivent les inciter à prendre desrisques. Et c’est en les mettant dans des situations nou-velles, en les obligeant à résoudre un problème jus-qu’alors méconnu, que leur comportement changera. »

Le président de l’École polytechnique affirmait à lamême époque que la guerre économique et laconquête des marchés avaient pris la place desanciennes conquêtes territoriales et coloniales. Lescadres de l’entreprise sont les officiers de ce véritableconflit. Les qualités qui leur sont nécessaires sont : leprofessionnalisme et la compétence, l’imagination, lenon-conformisme, la créativité, l’ouverture sur lemonde, le sens des responsabilités et le sens du devoir,la capacité d’adaptation culturelle à des contextes dif-férents, la connaissance de l’environnement social,l’humilité qui permet l’apprentissage sur le tas, àl’écoute des autres, mais aussi l’ambition de fairegagner l’entreprise dans la compétition internatio-nale. L’essentiel de ces nouvelles qualités concernait le« savoir-être » que cette grande école n’était pas cen-sée reconnaître par ses diplômes. L’engouement pourl’aventure dans ces mêmes années traduisait la réhabi-litation de valeurs jugées suspectes peu de tempsauparavant. L’esprit d’entreprise, le courage, l’effort,

Toute une époque !

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Le rôle du manager doit évoluer

de contrôleuromniprésent à facilitateur.

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Rupture et transformation

la discipline, remis au goût du jour, reflétaient larecherche parfois pathétique et désordonnée d’outilspersonnels et collectifs susceptibles de nous rendreaptes au changement. Le changement ! Cette tarte àla crème qui justifie depuis toujours tous les pessi-mismes et toutes les innovations parfois douteuses.Mais cette fois, il semblait y avoir urgence et les pro-phètes se multipliaient. Ici on affirmait que nos élitesétaient dépassées par la complexité du monde et quenous avions davantage besoin de moyens de raisonnersur les limites de toute action que d’idéologie ; là onavertissait que l’avenir est à ceux qui acquièrent descompétences nouvelles et assurent le progrès et l’évo-lution qui s’imposent à chacun. L’État ouvrait alors legrand chantier de la réforme administrative ; il nes’agissait pas moins de rénover la politique des rela-tions du travail, développer les responsabilités, évaluerl’action administrative, améliorer les rapports avec lesusagers. Certes ces bonnes intentions n’étaient pasencore budgétisées mais il fallait que la pression duchangement soit forte pour que ce corps rigideéprouve lui aussi la nécessité de s’assouplir et découvreque sa principale richesse était les hommes, sur les-quels il fallait agir. Les grincheux doctrinaires sentaientle vent tourner. Abandonnant la bataille néo-marxistede la lutte des classes, de l’aliénation par le capital, del’exploitation de l’homme par l’homme, ils se sont misà brandir les dangers de cet « âge évolutionnaire » quiprétendait concilier l’épanouissement de l’homme etle profit des entreprises ; ils se sont alarmés despossibles atteintes à la vie privée commises au nom dece nouvel humanisme. La nécessité étant mère de l’in-

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Ils se sont mis à brandir

les dangers de cet « âge évolutionnaire » qui prétendait concilier

l’épanouissement de l’homme et le profit

des entreprises.

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Pourquoi agir sur les comportements ?

vention, on a commencé ici ou là, malgré ces grin-cheux, à imaginer des moyens de développer des com-pétences humaines, complémentaires descompétences théoriques et techniques. Conscientsqu’il n’était plus possible d’apporter aux problèmesd’aujourd’hui les solutions d’hier, quelques-uns ontouvert de nouvelles voies dans la formation desadultes, des plus profondes et significatives aux plussuperficielles. Le changement, disait-on, impliquequ’une formation professionnelle continue prennetrès rapidement le relais de la formation première.C’était le temps des slogans : « la priorité à l’investis-sement humain doit-être la prochaine obligation duVieux Continent. » Les observateurs du domaine socio-économique s’accordaient sur ce constat : il n’est pluspossible d’avoir une entreprise flexible, capable ded’adapter, si l’on n’a pas de collaborateurs bien for-més, participants et motivés. Le partage des valeursserait la condition préalable qui permet d’acquérirtoutes les autres caractéristiques du gagnant. Pourchanger les choses, il faut d’abord et surtout agir sur lamentalité des gens, sur leur échelle des valeurs, sur letype de culture dominante dans la société. Il a fallu dutemps pour admettre que la formation n’est pas seu-lement une obligation légale mais un investissement.Des études sur la motivation dans l’entreprise faisaientressortir que la satisfaction au travail dépendait defacteurs tels que la responsabilité, l’accomplissementpersonnel, la reconnaissance et le travail. La désaffec-tion était, quant à elle, liée au salaire, aux conditionsde travail, à la qualité de l’encadrement. Et de démon-trer qu’un changement dans les facteurs de désaffec-

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Pour changer les choses,

il faut d’abord et surtoutagir sur la mentalité

des gens, sur leur échelledes valeurs, sur le type

de culture dominante

dans la société.

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tion pouvait seulement améliorer le désintérêt maispas la satisfaction. Les échos parvenaient des États-Unis, où « c’était la folie de trouver des solutions », etoù l’on inventait de nouvelles méthodes de formationpour relancer la motivation des employés. Un « gou-rou » du management de la Silicon Valley faisait unparallèle entre la raison pour laquelle certaineséquipes gagnent toujours et celle qui fait que certainsmanagers se montrent incapables de motiver leur per-sonnel. C’était à cette époque la fin d’une organisa-tion sociale trop rationnelle. Il faut motiver pourgagner et encourager l’esprit collectif.Et puis tout est retombé au début des années 90 avec« la crise ». Vite oubliées les belles résolutions desannées 80, les discours sur le changement et la moti-vation des hommes. Les budgets formation se sontrecentrés sur les métiers et on a coupé les vivres auxdémarches innovantes. La politique de l’autruche danstoute sa splendeur : l’empowerment, le coaching, etautres modes californiennes allaient bien passercomme le reste, on en sera quitte. Comme d’habitude,la chirurgie plutôt que le travail en profondeur. Planssociaux et restructurations accaparaient toutes lesénergies. La récréation était terminée. Parlons dechoses rationnelles. Pourtant la réalité rattrape mêmedes esprits rationnels. Ce qui apparaissait comme unemode dans la décennie précédente est apparu commeune exigence de survie. C’est encore l’Europe qui apoussé nos dirigeants à intégrer, et cette fois profon-dément, la nouvelle réalité des organisations, et l’en-jeu du facteur humain.

Rupture et transformation

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Ce qui apparaissait

comme une mode dans la décennie précédente

est apparu comme une exigence

de survie.

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Vers la société cognitive

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Pourquoi agir sur les comportements ?

Le livre blanc de la Commission européenne Enseigneret apprendre – Vers la société cognitive, approuvé parle Conseil au début 1996, a très clairement tiré la son-nette d’alarme. Il part du constat que les mutations encours ont accru les chances de chaque individu d’accé-der à l’information et au savoir. Mais, dans le mêmetemps, ces phénomènes entraînent une modificationdes compétences nécessaires et des systèmes de travailqui nécessitent des adaptations considérables. Pourtous, cette évolution a accru l’incertitude. Parmi leschangements nombreux et complexes qui, selon celivre blanc, traversent la société européenne, trois« chocs moteurs », sont plus particulièrement percep-tibles ; il s’agit de la mondialisation des échanges, del’avènement de la société de l’information et de l’ac-célération de la révolution scientifique et technique.

Le choc de la société de l’information a pour effetprincipal, selon les auteurs, de transformer la naturedu travail et l’organisation de la production. Les tra-vaux routiniers et répétitifs, qui étaient le lot de lamajorité des salariés, s’effacent au profit d’une activitéplus autonome, plus variée. Il en résulte un rapportdifférent à l’entreprise : le rôle du facteur humain s’ac-croît, mais le travailleur est aussi rendu plus vulnérableaux changements de l’organisation du travail parcequ’il est devenu un simple individu confronté à unréseau complexe. D’où la nécessité pour chacun des’adapter non seulement à de nouveaux outils tech-niques mais aussi à la transformation des conditions detravail.

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Le rôle du facteur

humain s’accroît, mais letravailleur est aussi rendu

plus vulnérable aux changements de l’organisation

du travail.

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Rupture et transformation

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Le choc de la mondialisation bouleverse les donnéesde la création d’emplois. Après avoir concerné les seulséchanges marchands, technologiques et financiers, lamondialisation gomme à présent les frontières entreles marchés du travail, de telle sorte qu’un marché glo-bal de l’emploi est une perspective plus proche qu’onne le pense généralement. La Commission fait bien lepari de l’ouverture sur le monde mais visant le « main-tien » du modèle social européen, ce qui suppose uneélévation générale des qualifications, sous peine delaisser encore la fracture sociale s’agrandir et diffuserle sentiment d’insécurité parmi les citoyens. Il estétonnant de trouver ici un objectif de statu quo telle-ment illusoire et autant contredit par l’ensemble dudocument qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’ilest le résultat d’un laborieux compromis.

Le choc de la civilisation scientifique et techniquedonne lieu à un paradoxe : en dépit de son effet géné-ralement bénéfique, le progrès scientifique et tech-nique fait naître un sentiment de menace, voire decraintes irrationnelles dans la société. Alors que lesprogrès de la science sont considérables (recul de lafamine et de nombreuses maladies, prolongation de ladurée de la vie, rapidité accrue des déplacements,etc.), cette peur vis-à-vis du progrès n’est pas sans rap-peler le décalage entre progrès et conscience collec-tive qui a déjà existé lors du passage du Moyen âge àla Renaissance. De nombreux pays européens ontentrepris de répondre à ce malaise en promouvant laculture scientifique et technique dès l’école et en défi-nissant des règles éthiques, en particulier dans les

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Cette peur vis-à-vis

du progrès n’est pas sansrappeler le décalage entre

progrès et consciencecollective qui a déjà existé

lors du passage du Moyen âge

à la Renaissance.

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domaines des biotechniques et des technologies del’information.

Le livre blanc considère que, dans la société euro-péenne moderne, ces trois obligations que sont l’in-sertion sociale, le développement d’aptitudes àl’emploi et l’épanouissement personnel ne sont pasincompatibles, ne sauraient être opposées et doivent,au contraire, être étroitement associées. Face à cetterupture avec le passé, la formation est reconnuecomme étant une clé de la transformation en déve-loppant l’autonomie de la personne et sa capacité pro-fessionnelle. Les industriels européens eux-mêmesvoient bien cette nécessité d’une formation polyva-lente fondée sur des connaissances élargies, dévelop-pant l’autonomie et incitant à « apprendre àapprendre » tout au long de la vie. Lors d’une tableronde en 1995, ils ont déclaré que « la mission fonda-mentale de l’éducation est d’aider chaque individu àdévelopper tout son potentiel et à devenir un êtrehumain complet, et non pas un outil pour l’économie ;l’acquisition des connaissances et des compétencesdoit s’accompagner d’une éducation du caractère,d’une ouverture culturelle et d’un éveil à la responsa-bilisation sociale ». Le livre blanc attire l’attention surla question cruciale de la pédagogie de l’innovation.L’observation, le bon sens, la curiosité, l’intérêt pour lemonde physique et social qui nous entoure ainsi que lavolonté d’expérimentation sont des qualités négligéeset peu considérées. Ce sont pourtant elles qui permet-tront de former des créateurs et pas seulement desgestionnaires de la technologie.

Pourquoi agir sur les comportements ?

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L’acquisition desconnaissances

et des compétences doits’accompagner d’une

éducation du caractère,d’une ouverture culturelle

et d’un éveil à laresponsabilisation

sociale.

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Quelles sont, d’après la Commission européenne, lesaptitudes requises par la société cognitive ? Laconnaissance au sens large peut être désormais définiecomme une accumulation de savoirs fondamentaux,de savoirs techniques et d’aptitudes sociales. C’estcette combinaison équilibrée de ces savoirs, acquisdans le système d’enseignement formel, dans lafamille, dans l’entreprise, par divers réseaux d’infor-mation, qui donne la connaissance générale et trans-férable la plus propice à l’emploi. L’accent est mis surles aptitudes sociales, celles qui touchent aux capacitésrelationnelles, au comportement au travail et à touteune gamme de compétences qui correspondent auniveau de responsabilité occupé : la capacité de coopé-rer, de travailler en équipe, la créativité, la recherchede la qualité. La maîtrise de telles aptitudes ne peutêtre pleinement acquise qu’en milieu de travail, doncessentiellement en entreprise . La société peut « élimi-ner » par les diplômes des talents s’écartant des profilsmoyens mais innovateurs, lit-on dans ce documentdécidément décapant. Elle produit donc souvent uneélite assez peu représentative du potentiel de res-source humaine disponible. Il est encourageant depenser que les technocrates de Bruxelles peuvent lais-ser filtrer ce genre d’affirmations. Encore faudrait-ilpréciser que l’on parle de « profils moyens » par rap-port à des critères d’intelligence logique et rationnelledont la pertinence est aujourd’hui remise en cause.Nous verrons plus loin les voies d’avenir suggérées parla Commission pour répondre aux trois chocs moteursde la société moderne.

Rupture et transformation

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La connaissance au sens large

peut être désormaisdéfinie comme une

accumulation de savoirsfondamentaux, de savoirs

techniques et d’aptitudes

sociales.

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De l’organisation

dinosaure à l’organisation

banc de poissons

Mon enthousiasme à la lecture de ce document officieleuropéen, sensé être le fondement des politiques del’éducation et de la formation en Europe, est viteretombé lorsque j’ai interrogé des responsables fran-çais de la formation professionnelle : « Nous ne noussentons pas engagés par ce livre blanc », m’a-t-il étérépondu. Ainsi un texte fondateur voté par les chefsd’États de l’Union européenne ne semble pas émou-voir le moins du monde nos fonctionnaires. Mais, qu’ilsle veuillent ou non, notre environnement change, etnos modèles d’organisation avec eux.

Le modèle dominant jusqu’à présent était le produitd’héritages successifs des années 50/60 et de courantsdu management contradictoires. Dans le système ditscientifique, ou taylorien, les tâches d’une entreprisesont divisées en spécialités et sont comptabilisées parle sommet de la hiérarchie. Cela suppose une hiérar-chie complexe, et un management fondé sur le com-mandement et le contrôle. Chacun est cloisonné, etpour longtemps. Les liens sont verticaux, vous montezet descendez dans votre fonction, vous ne traversezpas. La créativité dans ce style d’organisation dépendde la capacité des gens en haut de la pyramide. Lesorganisations encore fondées sur ce modèle font pen-ser à ces dinosaures voués à la disparition : les instruc-tions de la tête se diffusent très lentement dans uncorps trop lourd. Elles ne peuvent survivre que dans lamesure où elles évoluent dans un environnementstable ou protégé. L’éducation nationale est le type

Pourquoi agir sur les comportements ?

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La société peut « éliminer »

par les diplômes destalents s’écartant desprofils moyens mais

innovateurs. Elle produit

donc souvent une éliteassez peu représentative

du potentiel de ressource humaine

disponible.

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même d’organisation d’un autre âge, comparée parl’un de ses ministres à un mammouth. Le système, ditorganique, de l’école des relations humaines est plusadapté à des organisations soumises à des environne-ments dynamiques et changeants. Il favorise la partici-pation des exécutants, encourage la confiance, permetaux relations interindividuelles de libérer tout leurpotentiel d’apprentissage. Une bonne communicationet la motivation de tous assurent l’intégration de l’ac-tion collective des employés dans l’entreprise. À partirde ce courant vont se développer les théories sur lesstyles de leadership, la dynamique des groupes, lesentretiens individuels. Ces deux modèles si différentsdans leurs idéologies se rejoignent pourtant dans unecroyance en une conception universelle de l’action col-lective des hommes et des conditions de leur perfor-mance, en un modèle valable partout, pour tous, et entous temps. Les idéologues n’avaient pas encore inté-gré le fait que l’environnement allait être turbulent enpermanence. Ces modèles prêts à l’emploi sont battusen brèche par les trois chocs moteurs de la sociétécognitive, et par leurs conséquences sur les entrepriseset les conditions de travail. Recettes « miracle »,méthodes simplistes et injonctions de nos prophètesdu management vieillissent à vue d’œil.Première conséquence de la rupture, l’incertitude del’environnement des organisations. Du point de vuede l’offre, c’est par exemple le risque technologiquede positionner un nouveau produit trop tôt ou troptard. Du point de vue de la demande, qui peut direquels seront demain les besoins des consommateurs ?Les dirigeants naviguent dans le brouillard, à

Rupture et transformation

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Recettes « miracle »,

méthodes simplistes et injonctions

de nos prophètes du management

vieillissent à vue d’œil.

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l’aveugle, et ont bien du mal à croire encore à leurspropres stratégies, et en des lois universelles qui pré-tendent leur prédire les comportements de leur per-sonnel.En second lieu, il n’est plus possible de définir précisé-ment des postes et des tâches, et on en est réduit à lesdéfinir par rapport aux objectifs et aux contraintes. Lesoutils classiques de gestion des entreprises deviennentdans ces conditions obsolètes. Le coût de la main-d’œuvre reste la dernière donnée maîtrisable, ce quipousse les chefs d’entreprise à faire du licenciementl’investissement le plus rentable, au risque de perdrecomme Bœing des marchés futurs.Enfin, la mobilité imposée à tous bouleverse la rela-tion entre l’organisation et ses collaborateurs. Letemps est révolu où la performance d’un service étaitun gage de sa survie, ou l’implication dans le travailassurait un plan de carrière. La faille s’élargit aurythme des fusions, acquisitions et regroupements.Après l’employé-roi, après-guerre, sous le règne dessyndicats, après le client-roi dans les années 80, on enarrive à l’actionnaire-roi. L’annonce de licenciementsfait monter l’action en Bourse, les actionnaires organi-sés en énormes groupes d’intérêt sont satisfaits etmaintiennent la direction en place. Mais déjà pointel’ère plus équilibrée de l’inclusion. Le nouveau mana-gement devra tenir compte de plus en plus de toutesles parties prenantes : actionnaires, clients, salariés,fournisseurs... En attendant, le salarié ressent viscéra-lement une précarité qui le rend sensible au risque duchômage, même s’il n’est pas objectivement menacé,d’où une vulnérabilité certaine. 20 % de la population

Pourquoi agir sur les comportements ?

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Le temps est révolu où

la performance d’un service était

un gage de sa survie, ou l’implication dans

le travail assurait un plan de carrière.

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active évolue entre l’interim, les contrats à duréedéterminée, les stages, l’apprentissage et le travail àtemps partiel. Dans ces conditions, il ne faut pass’étonner que, vu de l’étranger, le « partage du tra-vail » et les 35 heures soient jugés comme unarchaïsme, une « exception française » délicieusementdécalée.

L’effondrement des modèles classiques d’organisationentraîne une nouvelle attitude de l’entreprise face àson environnement. Un marché déterminé non pluspar la demande mais par l’offre appelle une attitudeproactive, beaucoup plus qu’une simple adaptation. Ilva falloir différencier le produit, le débanaliser en leconfrontant aux attentes du public. On cite souventl’exemple du créateur de Conforama qui va innover enintroduisant le principe de la vente sur stock dans ledomaine du mobilier, qui ne connaissait que la tradi-tionnelle « vente à la contremarque », c’est-à-dire lamise en fabrication du meuble après sa vente, faisantsubir à l’acheteur des délais de livraison. Conforamasera à son tour attaqué quelques années après parIKEA, mais sur un nouveau principe : la vente demeubles en kit. L’acteur, c’est l’offre, ce n’est plus, oude moins en moins, la demande. L’approche marketingse pose la question : « Où sont les segments por-teurs ? » L’approche stratégique au contraire sedemande : « Où et comment peut-on créer un seg-ment porteur ? » On est passé de l’entreprise-objet àl’entreprise-projet.

Rupture et transformation

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De nouveaux critères

de compétitivité

“ ”L’acteur,

c’est l’offre, ce n’est plus, ou de moins

en moins, la demande.

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Le premier modèle est le modèle analytique, qui consi-dère l’entreprise comme un monde d’objets finis, régipar quelques « lois » qu’il s’agit de découvrir pour enoptimiser le fonctionnement. Découvrir ces « lois » futl’obsession du système taylorien. L’école des relationshumaines voulait aussi découvrir, à l’autre bout de lachaîne, les lois des besoins humains afin d’en optimiserl’utilisation. C’était la vogue de la pyramide de la moti-vation de Maslow. Le second modèle de l’entreprise-projet considèrel’entreprise comme la projection d’une intention derésultat sur un environnement. Il ne s’agit pas dedécouvrir des « lois » préexistantes mais de construireles lois qui guident le projet de l’entreprise. Cela sup-pose d’assumer la complexité au lieu de la simplifier, etdonc d’une attitude stratégique. Cette approche fit lesbeaux jours de grands cabinets de conseil américainsspécialisés dans la planification stratégique. Un grand bon fut accompli depuis 1975 avec l’appari-tion de l’automatisation flexible grâce à l’usageindustriel de la micro-électronique et de la micro-informatique. Le passage à l’entreprise acteur face à son environne-ment se traduit par des changements organisation-nels. La compétitivité globale d’une entreprise n’estplus conçue comme l’addition de l’efficacité de sessous-systèmes : commercial, financier, informatique,production, etc. Il ne s’agit plus de faire le plus avec lemoins, de créer un maximum de valeur en consom-mant un minimum de ressources, comme dans lemodèle classique. Dans un marché qui n’est plus porté

Pourquoi agir sur les comportements ?

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Il s’agit de passer

d’une démarcheanalytique, qui comprendle tout comme la somme

de ses parties, à unedémarche synthétique,

ou systémique, qui comprend

la partie comme un élément

du tout.

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par la demande, la valeur du produit n’est plus uni-quement fonction de l’optimisation du couple valeur-coût ; elle est établie par le marché, c’est-à-dire endernière analyse par l’appréciation du client.Autrement dit, il s’agit de passer d’une démarche ana-lytique, qui comprend le tout comme la somme de sesparties, à une démarche synthétique, ou systémique,qui comprend la partie comme un élément du tout.Nous assistons à un changement de perspective. Nenous y trompons pas, c’est le chaos dans les organisa-tions sous la triple pression de la compétition globale,des nouvelles technologies et du changement desattentes des consommateurs. Cela signifie que lesentreprises doivent être plus flexibles en termes decapacité à s’adapter au changement, de manière pluscréative, de manière proactive. Pour les employés,l’autonomie, la responsabilisation accrue, l’implicationdans la prise de décision, le défi, le développement desaptitudes et l’employabilité aussi bien que la récom-pense financière sont les nouvelles valeurs. Les gensveulent le droit à la parole lorsqu’il s’agit de leurpropre destinée et veulent la liberté d’agir en confor-mité avec leur propre jugement. La pyramide hiérar-chique s’aplatit. Cette évolution est soutenue par troispiliers : la force du travail mieux formée, moins decrainte de l’autorité, moins de sécurité de l’emploi. Del’entreprise dinosaure on passe à l’entreprise banc depoissons dans laquelle sont possibles des déplacementsrapides et des ajustements constants aux signaux com-pris instantanément. Le système « banc de poissons » aun modèle : celui de la responsabilisation.

Rupture et transformation

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De l’entreprise dinosaure

on passe à l’entreprisebanc de poissons danslaquelle sont possibles

des déplacements rapideset des ajustements

constants aux signauxcompris instantanément.

Le système « banc de poissons » a un modèle :

celui de laresponsabilisation.

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Le défi de

la responsabilisation

Reçu en France il y a une dizaine d’années comme unemode américaine, ce modèle de management apparaîtde plus en plus comme l’axe de développement desorganisations modernes. Dans ce modèle, la pyramideest non seulement aplatie mais elle est renversée : lacible regroupe les employés en relation directe avecles clients et fournisseurs. Certains groupes jouissentd’une autonomie. La responsabilisation est plusqu’une délégation. Il s’agit d’émanciper le personnelet de modifier radicalement ses attitudes et comporte-ments à l’égard du travail. Selon le Britannique DurcanOates1, ce modèle induit de grands changements dansune organisation. Les turbulences de l’environnement,l’accélération des demandes de consommation, lapression croissante de la législation requièrent uneréponse rapide et flexible incompatible avec lesanciens modèles organisationnels très hiérarchisés. Lesorganisations elles-mêmes ont changé ; l’impact de laréduction des effectifs et de la décentralisation signi-fie que les anciennes méthodes de coordination et decontrôle ne sont plus appropriées. Être performantdans ce contexte requiert que le personnel prenne etexerce bien plus de responsabilités. Par ailleurs, lesorganisations ont besoin d’un travail transfonctionnel,de bien plus de coopération entre les unités, d’inté-gration dans leurs processus s’ils veulent répondre àl’attente de leurs clients. Une telle coopération peutêtre atteinte à travers la responsabilisation. Les gensn’acceptent plus le système de commande et decontrôle. Mieux formés, mieux accomplis dans leur viepersonnelle mais aussi plus vulnérables face à l’insécu-rité de l’emploi et à la fin de l’avancement automa-

1. The manager as coach, DurcanOates, Pitman, 1994.

Pourquoi agir sur les comportements ?

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La responsabilisation

est plus qu’unedélégation. Il s’agit

d’émanciper lepersonnel et de

modifier radicalementses attitudes

et comportements à l’égard

du travail.

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tique dans des postes supérieurs, ils se trouvent dansune situation dans laquelle les emplois ont plus devaleur en tant qu’opportunité de développement pro-fessionnel qu’en eux-mêmes. La philosophie de la res-ponsabilisation est de donner à tout le mondel’opportunité d’avoir une carrière plutôt qu’un job ;une carrière implique le développement de laconfiance en soi et le sentiment d’être capable deprendre des initiatives. Le rôle du manager change luiaussi radicalement. Il crée les circonstances dans les-quelles le talent peut être révélé et les opportunités des’épanouir peuvent être données. C’est dans ce sensqu’il faut comprendre le terme de « coach » : un faci-litateur qui ne fait pas à la place de ses équipiers maisqui leur donne le pouvoir de résoudre les problèmesdès qu’ils se présentent à leur niveau, qui leur apporteressources et appui, qui contrôle a posteriori enemployant surtout la technique du feedback. Son vraitalent est de préparer à relever des défis externes et àmoins consacrer d’énergie sur le court terme. Le cadrecoach est à la fois le guide, le consultant, le stimula-teur intellectuel, le supporter, l’éclaireur, le facilita-teur, le leader et interprète, le médiateur, le parangon.

Durcan Oates analyse pour nous l’impact de la respon-sabilisation sur les entreprises occidentales. Dans leurcompétition avec les pays de la zone Pacifique, lesAméricains ont étudié le modèle japonais et ontconclu que la responsabilisation est un ingrédientimportant pour obtenir de la force de travail une plusgrande productivité. Dans la culture japonaise, l’indi-vidu est subordonné à l’effort collectif ; le travail

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Le rôle du manager

change lui aussiradicalement. Il crée les

circonstances danslesquelles le talent peut

être révélé et lesopportunités de

s’épanouir peuvent

être données.

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d’équipe et l’engagement désintéressé sont le cheminpour atteindre les buts communs. La culture améri-caine au contraire est résumée par l’archétype duhéros, du cow-boy solitaire qui va affronter les Peaux-Rouges. Ce sont les valeurs de l’individualisme, de l’ini-tiative individuelle, de l’effort individuel et de larécompense individuelle. S’engager sur la voie de laresponsabilisation impliquait donc pour les Américainsune révolution culturelle qu’ils sont en train deconduire.

« Inverser la pyramide » n’est pas un slogan de gou-rous californiens parmi tant d’autres.2 C’est unchangement radical des structures hiérarchiques tradi-tionnelles sans lequel la responsabilisation ne peutréellement fonctionner. Sens dessus-dessous : au lieude dire aux unités ce qu’elles doivent faire, le QG agiten tant que support. Dedans-dehors : au lieu de consi-dérer que les clients sont à portée de main, les clientsdeviennent des partenaires et des alliés. Ils sont mêmeformés par leurs fournisseurs pour être sûr qu’ils aientles bonnes compétences. Horizontal plutôt que verti-cal : au lieu de partir du niveau de la direction en tra-versant les barrières physiques pour aller dans lesdépartements, l’organisation est composée d’équipes,de groupes de projets et de groupes de travail, plutôtque de départements souverains.

« Les gens avaient l’habitude de travailler pour gagnerune promotion ; maintenant ils travaillent pouratteindre un résultat », suivant la belle formule d’unprofesseur de la Harvard Business School.

2. C’est le président de lacompagnie aérienne SAS quirendit populaire ce concept aumilieu des années 80.

Pourquoi agir sur les comportements ?

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La responsabilisation est un ingrédient

important pour obtenirde la force de travail

une plus grandeproductivité.

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Autre changement profond dans nos habitudes, lesgroupes de travail auto-gérés. Tel un pilote montant àbord d’un navire à l’approche du port pour le guider,le « coach » intervient ponctuellement à l’approche dedifficultés. Il est connu que de grandes entreprisesaméricaines, telles Rank Xerox, ont transformé cer-tains de leurs départements en nombreux groupes detravail auto-gérés. Leurs managers fonctionnent aveceux comme le pilote dans la navigation maritime. Lefer de lance de cette révolution manageriale est lepouvoir partagé qui permet de prendre des décisionsaussi prêt que possible du point d’exécution. Une heureuse conséquence de ce modèle est d’offriraux salariés beaucoup plus d’opportunités de dévelop-pement professionnel, et d’utiliser dans leur métierdes compétences, notamment sociales, qu’ils n’expri-maient jusque-là que dans leur vie familiale, amicaleet associative. « Pourquoi tant de travailleurs laissent-ils leurs talents à la porte de l’usine ? », interrogeaitPeters.Il est maintenant établi par des recherches améri-caines, en particulier de la Harvard Business School,qu’une organisation libérant, suivant ce modèle, lacréativité de sa force de vente peut augmenter sesgains de 30 à 50 % par an. Mais c’est souvent dans dessituations de crise ou de défi qu’une organisation seconvertit à ces principes, pour survivre. On voit alorsdes entreprises, telles Toyota UK, recruter en tant quemembre d’une équipe plus qu’en fonction d’une des-cription de poste, ou concilier, comme chez BP UK, lacarrière et les objectifs personnels de ses employésavec les buts de l’entreprise. Dans cette nouvelle

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Tel un pilote montant à bord

d’un navire à l’approchedu port pour le guider, le « coach » intervient

ponctuellement à l’approche

de difficultés.

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culture, les aspirations doivent être reconnues et ali-gnées sur les besoins de l’entreprise. Cela suppose unepolitique de recrutement très différente.

Pourquoi agir sur les comportements ?

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La réalité professionnelle connaît actuellement, pour laplupart d’entre nous, des bouleversements d’une ampleuret d’une rapidité rarement égalées dans l’histoire de l’hu-manité. Il ne s’agit pas ici de les juger, mais de les com-prendre et d’en comprendre les conséquences sur notrevie. C’est la réalité : qu’est-ce qu’on fait avec ça ? Nousvenons de dessiner à grands traits l’évolution des organi-sations et la rupture qu’elle représente. Mais cette rup-ture n’est qu’une facette d’un changement beaucoup plusvaste et beaucoup plus fondamental dont on ne peutl’isoler : l’individu est en train de retrouver sa place aprèsdes siècles de mise sous tutelle spirituelle, idéologique,étatique, familiale. Il nous faut comprendre cette autrerévolution pour mieux situer la place de l’homme au seind’une organisation, car l’homme est le même qu’il soitdans son entreprise ou dans son cadre privé. Il ne s’agitpas d’influencer l’homme privé, mais de le comprendrepour intégrer son nouveau rôle d’acteur responsable dansla globalité de ses aspirations.

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L’individu est en train

de retrouver sa placeaprès des siècles de misesous tutelle spirituelle,

idéologique, étatique, familiale.

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Chapitre 2

Plus libres,mais

plus seuls

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1. Aventures sur l’Orénoque,Alain KERJEAN (avec A. Rastoin),Robert Laffont, 1981.

La piste interdite de Tombouctou,Alain KERJEAN, Flammarion, 1983.

2. Le Retour du courage, Jean-Louis SERVAN-SCHREIBER, Fayard,1986.

Pourquoi agir sur les comportements

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En quittant en 1980 le confort d’une « bonne situa-tion » et d’un « avenir tout tracé de fonctionnaire »catégorie A « pour explorer les forêts de l’Orénoque »dans les pas d’Alexandre de Humboldt, ou « La pisteinterdite de Tombouctou » à la suite de René Caillié1,je pressentais que le monde stable et définitivementstructuré pour lequel j’avais été formé était en train des’effondrer et qu’il fallait s’armer d’autres qualitéspour faire face à un monde incertain. Je crois que c’estcela que je cherchais dans mes expéditions, et que c’estce qui expliquait l’engouement du public à cemoment-là pour l’aventure par procuration. Un petitgroupe de grands voyageurs, devenus des amis, entre-tenait cet intérêt : Philippe de Dieuleveult, Gérardd’Aboville, Martine de Cortanze, Evelyne Coquet,Patrick Boivin, Patrice Franchesci... Enfants du « babyboom », nous n’avions pas connu la guerre, les priva-tions ou l’injustice qui avaient marqué les générationsprécédentes. Nous avions parcouru le monde et béné-ficié des avantages du progrès. De quoi se plaindre ?Lorsque je décidai en 1986 de créer une école qui for-merait ces qualités de caractère désormais si sollicitées,j’ai trouvé dans un livre court mais fort, publié lamême année, une nouvelle justification de ce choix.Dans Le retour du courage2, Jean-Louis Servan-Schreiber annonçait que le courage, discrètement,était revenu parmi nous. J’ai eu envie de connaître« JLSS », patron du magazine économiqueL’Expansion, et c’est grâce à lui que je trouvai un par-tenaire pour diffuser dans les entreprises un an plustard nos premiers séminaires.

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Plus libres, mais plus seuls

Nous venons de décrire le chaos que connaissent lesentreprises, et voici que nous prétendons avec JLSSque notre époque est formidable, si l’on veut bien voirque huit cavaliers de malheur lancés à nos troussesdonnent des marques d’essoufflement : la misère, lamaladie, l’arbitraire, la guerre, l’ignorance, la religion,la morale, l’idéologie. Ce n’est qu’un paradoxe de plusde notre société post-industrielle, à moins que l’ondémontre que c’est parce que ces oiseaux de mauvaiseaugure se sont éloignés qu’a pu émerger un nouveaumodèle d’organisation accordant une plus grandeplace à la liberté, au courage, à la responsabilité.Les quatre premiers cavaliers de malheur en voulaientà notre corps : le Quart-Monde, le chômage et la pré-carité existent, mais la misère est devenue marginale,alors qu’elle touchait au début du XIXe siècle 90 % dela population française. À ma naissance en 1951, lerevenu moyen par tête d’habitant, en termes réels,était seulement le tiers de ce qu’il est aujourd’hui. Lamaladie recule au point que mon espérance de vie estde plus de 75 ans, alors qu’elle aurait été de 50 ans en1940. L’arbitraire aussi a diminué dans nos démocra-ties, et nous avons le sentiment d’être des privilégiéssur une planète où l’on persécute largement en raisonde sa race, de ses idées politiques ou de son orienta-tion sexuelle. Certes on a l’impression quelque foisd’être revenu à l’époque des coquins et des vilains cari-caturés par Daumier, mais il y a aussi une presse pourles dénoncer et des lois pour se défendre. Depuisl’effondrement du communisme, l’espoir d’un sièclesans guerre en Europe est raisonnable. Notre interven-

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Huit cavaliers de malheur

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C’est parce que ces oiseaux

de mauvaise augure sesont éloignés qu’a puémerger un nouveau

modèle d’organisationaccordant une plus

grande place à la liberté,au courage, à laresponsabilité.

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Pourquoi agir sur les comportements

tion dans les Balkans se fait sans déclaration de guerre,et on a l’impression, aux côtés des Américains, d’être leschevaliers blancs du bon droit contre le chevalier noirqui n’a pas encore compris que la dictature stalinienneou fasciste n’avait plus court sur notre continent. Les quatre autres cavaliers de malheur en voulaient ànotre tête : depuis Jules Ferry, l’ignorance a reculé.Alors qu’en 1900 un écolier sur mille obtenait son bac,nos gouvernements veulent atteindre les 80 % d’uneclasse d’âge. Même si cela n’empêche pas des recordsde chômage des jeunes, et si notre système éducatifest de plus en plus décalé par rapport à la réalité, laformation est désormais une priorité reconnue. La reli-gion occupe une place centrale, depuis vingt mille ans,dans notre comportement. Elle se présente sous troisformes distinctes, rappelle JLSS : l’Église, la doctrine etla spiritualité. Les deux premières, extérieures, varientradicalement suivant les époques et les contrées. Ellesne devraient avoir comme finalité que la satisfactiondes besoins spirituels de l’être humain face au destin.Mais, dans toutes les sociétés organisées, elles ont eutendance à occuper toute la place, à éclipser, voiremême évincer le spirituel. L’Église est une structure depouvoir, avec toutes les compromissions qui en décou-lent. La doctrine, à quelque religion qu’elle appar-tienne, ne peut, au fil du temps, que devenir ou êtreressentie comme un carcan de préceptes. Les dogmessont par essence rigides, or tout bouge. Il n’est doncpas étonnant que ce prêt-à-penser se lézarde. Il fallaitréduire la puissance des églises et combattrel’influence prééminente des doctrines pour faire denous des individus autonomes.

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Les dogmes sont par

essence rigides, or toutbouge. Il n’est donc pas

étonnant que ce prêt-à-penser

se lézarde.

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« Dans la précipitation, on a jeté le spirituel avec l’eaubénite, ce qui semble laisser comme un sacré vide », écritJLSS.

La laïcisation très récente des systèmes politiques etdes modes de vie reste une étape fondamentale de lalibération de l’homme moderne. La morale aussi n’estplus ce qu’elle était. Malgré tout, la doctrine imprègneles esprits longtemps après l’effondrement des pra-tiques religieuses.

« Il est plus facile de transformer une église en grangeou en garage que de changer dans sa tête ses principesmoraux. »

D’où l’importance du dépassement des tabous sexuelsavec leur cortège d’hypocrisies, de blocages et deculpabilités. Cette révolution n’est pas encore achevéeet certains s’accrochent pathétiquement à l’ordreancien, comme on l’a vu au Parlement à propos duPacte civil de solidarité. Mais il ne sert à rien de ne pasreconnaître la réalité : l’homme est en train de seréconcilier avec lui-même. Enfin les idéologies ne sontplus de mode depuis que les dictatures fascistes etcommunistes ont échoué dans leur tentative de rem-placer Dieu par le culte du chef. Déconsidérés par lecrime, minés par les rigidités économiques, ces sys-tèmes ont encore quelques nostalgiques à circonvenirpar la « communauté internationale » et sa force demaintien de l’ordre. Où sont passés ces intellectuelsmarxistes qui encombraient nos sciences et notre cul-ture jusqu’au milieu des années 70 ? Certains, malinformés ou orphelins de leurs idéologies mortes,

Plus libres, mais plus seuls

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“ ”L’homme

est en train de se réconcilier avec lui-même.

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Pourquoi agir sur les comportements

croient voir dans le libéralisme une idéologie, maisune idéologie politique structure et organise ; le libé-ralisme vise d’abord à laisser faire, c’est donc l’idéolo-gie de l’anti-idéologie.Les cavaliers de malheurs s’éloignent, il faut s’enréjouir. Plus libres mais plus seuls, ne sommes-nous paslibérés de la peste du Moyen-Âge pour tomber dans lecholéra d’un monde incertain ? Libérés de nos carcans,ne sommes-nous pas désarmés et nus pour affronterd’autres menaces, avant même d’avoir pu nous forgerune carapace psycho-sociale ?

Le collectif n’a plus grand chose à dire. Malgré ladémocratie, le citoyen ne se sent pas libéré ; malgré laprospérité, il ne se trouve pas comblé ; malgré l’assou-plissement des codes moraux, le mal de vivre pro-gresse. Ce n’est pas un échec du national et du social,au contraire, puisqu’ils ont réussi à éloigner les huitcavaliers de malheur. C’est une étape nouvelle de laconscience humaine. Servan-Schreiber ne voit pas uneimpasse mais des questions existentielles que seposent non pas seulement les « esprits forts » etquelques héros de théâtre, mais toute une popula-tion :

« Nous voici enfin libres d’être libres, et ça nous fait unpeu peur. Aussi tout examen de la condition humainecontemporaine pose-t-il en préalable la question du cou-rage. Non qu’il en faille aujourd’hui davantage qu’hier,c’est simplement la forme que doit revêtir actuellementle courage ; c’est parce que la vie est désormais plusfacile que l’existence devient le problème. »

Le passage du groupe

à l’individu

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3. Lire à ce sujet La Fatigue d’êtresoi, d’Alain EHRENBERG, OdileJACOB, 1998 : le déprimé ne sesent pas à la hauteur desexigences qu’il s’impose.

Plus libres, mais plus seuls

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Nous avons enfin la capacité de mener une existenceautonome, de choisir des valeurs, d’inventer notrepropre doctrine, de prendre des risques, mais noushésitons à quitter le cocon protecteur de notre confortet de nos certitudes. Valeur ringarde autrefois, le cou-rage est de retour pour affronter la solitude et lestress3.

Aujourd’hui plus qu’hier on doit vivre seul, et c’estprobablement un progrès selon JLSS :

« Si les temps sont venus pour moi de faire ma trace etde m’assumer pleinement, il est évident que nul ne sau-rait le faire à ma place. »

Il nous faut redécouvrir le « À toi-même soisfidèle » de Shakespeare. Cela renvoie au psychologuesocial Carl Rogers qui écrit dans Le développement dela personne. Le processus de « la vie pleine » impliquele courage d’exister. Il signifie qu’on se jette en pleindans le courant de la vie. Ce qu’il y a de passionnantchez les humains est que lorsque l’individu devientlibre, c’est cette « vie épanouissante » qu’il choisitcomme processus de devenir. À la solitude philoso-phique qui n’est pas nouvelle, s’ajoute de nos joursune solitude de vie qui confère à notre aventure, sui-vant Le retour du courage, un réalisme accentué, sinonconfortable. Ce qui caractérisait un individu, sesappartenances, a perdu de sa force. Les liens se disten-dent. L’individu est prêt à larguer les amarres et àaffronter l’incertitude de la haute mer. Il n’y a plus nilieu ni rituel périodique permettant de retrouver sesproches, ses voisins. À peine un Européen sur dix a une

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Valeur ringarde

autrefois, le courage estde retour pour affronter

la solitude et le stress.

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pratique religieuse régulière, et ce sont surtout lesplus âgés. Il n’y a plus que les musulmans ou presquepour se définir par rapport à leur religion. On se ditFrançais ou Hollandais, mais l’identité nationale s’es-tompe au profit d’un sentiment d’appartenance àl’Union européenne.

« On évoque souvent l’identité culturelle, note malicieu-sement JLSS, mais les rares qui ont suffisamment de cul-ture pour pouvoir s’en faire une identité sontnaturellement ceux qui sont le plus enclins à penser entermes transnationaux. »

La désaffection qui touche les syndicats et les partispolitiques est l’une des plus récentes des manifesta-tions d’une préférence pour l’individuel au détrimentdu collectif. La fin du mythe « amour toujours » est leplus puissant facteur contemporain de prise deconscience de notre solitude. Le mariage, autrefoisimposé, n’offre plus d’assurance tout risque contrel’isolement affectif. J’ajoute qu’il nous faut inventerd’autres manières de vivre ensemble, et il faut bienvoir comme un progrès de civilisation la reconnais-sance juridique d’une communauté de vie et d’unesolidarité entre des personnes, qu’elle que soit lanature ou même l’existence de leurs relationssexuelles, qui ne concernent pas la loi. Notre systèmede protection sociale et de redistribution « que lemonde entier nous envie », protège le citoyen demoins en moins.

« Telle est la triple solitude de l’homme moderne,conclut Servan-Schreiber : existentielle, puisque aucuncorps d’idées ne lui propose les réponses dont il ne peut

Pourquoi agir sur les comportements

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La désaffection qui touche

les syndicats et les partispolitiques est l’une des

plus récentes desmanifestations d’une

préférence pourl’individuel au

détriment du collectif.

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se passer ; affective, dans la mesure où les soutiens tra-ditionnels se sont délités ; sociale, au moment où lesgrandes structures de protection rendent les armes. (...)Celui qui dispose de la sérénité, du caractère, de la diver-sité d’intérêts suffisants pour profiter de la solitude esttout à fait le genre d’individu propre à attirer, séduire etrassurer les autres. Il n’a donc guère d’occasions de soli-tude, sauf celles qu’avec sagacité il décide de se ména-ger pour faire périodiquement la pleine expérience desoi-même. »

Cette solitude assumée pourrait nous inciter à franchirle pas et à risquer une vie libre, autonome, aventu-reuse. Mais un nouvel obstacle se lève : le stress.Productivité, compétitivité, rentabilité, performance,compétition, concurrence mondiale, délocalisation,dégraissage, chômage, faire plus vite et mieux avecmoins de moyens, la machine s’emballe. À peine libé-rés des tabous et des carcans, nous nous inventons denouvelles barrières le stress et l’irréalité.Henri Laborit l’a suffisamment démontré avec sacélèbre expérience sur les rats : faute de pouvoir fuirun stress, ou l’extérioriser pour rétablir son équilibreintérieur, l’homme favorise les trois menaces planantsur sa santé : les affections cardio-vasculaires, le canceret la dépression. Plus tard dans son livre Le Métier depatron, JLSS développera l’une de ses idées chères : ilexiste un stress positif, celui des dirigeants ou deshommes d’action qui peuvent agir sur les événements,et le stress négatif des autres niveaux de la hiérarchiequi ne maîtrisent plus leur devenir professionnel :

« Il se traduit par exemple, chez les cadres, par des symp-tômes faciles à interpréter : difficulté à déléguer ; incer-

Plus libres, mais plus seuls

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À peine libérés des tabous

et des carcans, nous nous inventons

de nouvelles barrières, le stress

et l’irréalité.

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titude face à la décision ; incapacité d’évaluer ses quali-tés et ses défauts ; hyper-sensibilité aux critiques ; pertede sang-froid ; manque d’écoute ; rareté des amitiés ;inaptitude aux loisirs. On vit crispé, sur la défensive. Pasquestion de s’occuper vraiment de soi. »

Une émission d’une chaîne de télévision américaines’intitule The real world, « Le monde réel » ; on y voiten 45 minutes le résumé de l’aventure vécue en 24 hpar un groupe de personnes, jeunes ou adultes,confronté à un vrai défi : préparer la mise à feu d’unspectacle pyrotechnique devant les murailles deCarcassonne, descendre le canyon du Colorado ou par-ticiper en Écosse ou en Australie à l’un de ces stages« outdoor » auxquels nous consacrerons la dernièrepartie de ce livre. Le téléspectateur est sensé être fas-ciné par des gens réels, vivant des événements réels,avec des risques et des conséquences réels. Et il l’estvraiment, tellement notre vie aseptisée nous a coupésde la réalité et de la nature.

« Quand on a trop chaud chez soi en hiver et qu’on fris-sonne dans les bureaux climatisés en plein été, c’estqu’on a décollé du réel », s’exclame JLSS. « Pour savoir,dans une tour moderne, la température extérieure, onmet la radio puisque les fenêtres fixes empêchent demettre le nez dehors. »

Dans la bonne société de Caracas, j’ai vu des réceptionsorganisées dans des salons climatisés glacials afin depermettre à ces dames d’arborer leurs nouveaux man-teaux de fourrure achetés à Paris ou à Miami.

Pourquoi agir sur les comportements

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Cette démonstration prémonitoire d’il y a dix ans estlimpide : notre équipement de survie sera le courage.Lubie de journaliste trop influencé par l’Amérique ? Ceconstat est devenu beaucoup plus crédible maintenantque nous constatons dans notre vie personnelle leseffets du chaos annoncé. D’autres l’ont dit avant JLSS,mais pas avec ce langage clair qui rend accessiblel’analyse au grand public.

Edgar Morin a brillamment décrit la société complexedans laquelle nous entrons, mais il ne faut en retenirque l’essentiel dans notre voyage vers une compré-hension des nouveaux comportements en entreprises.La nouvelle donne est qu’en l’espace de quelquesannées, notre environnement est devenu plus dur, etsurtout indéchiffrable. L’avenir n’est plus synonyme deprogrès ; il va falloir travailler plus, simplement pourne pas vivre moins bien et pour conserver son job et saretraite. Comment y trouver sa niche ? En ayantd’abord une conscience de soi et la volonté de s’affir-mer, répond le fondateur de L’Expansion, et actuelpatron du magazine Psychologies, en s’engageantdans l’action, c’est-à-dire en ayant du courage :

« Le moment de courage est celui du passage à l’actemalgré la paresse et la peur. Désirs, volontés, décisionssont du domaine des intentions, et nous n’en manquonspas. Seul le courage leur permet de s’incarner dans leréel. La porte de communication entre le rêve et la réa-lité est celle du courage. »

Plus libres, mais plus seuls

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La nouvelle donne est

qu’en l’espace dequelques années, notre

environnement estdevenu plus dur, et

surtout indéchiffrable.L’avenir n’est plus

synonyme de progrès ; ilva falloir travailler plus,simplement pour ne pas

vivre moins bien et pour conserver

son jobet sa retraite.

Le retour du courage

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Et il s’agit ici davantage du courage psychique natu-rellement, que du courage physique. Or le courage,cela requière un entraînement.

« Tout tend à prouver aujourd’hui, conclut JLSS, que dela recherche consciente et modeste du courage vadépendre de plus en plus notre mieux-vivre. »

Pourquoi agir sur les comportements

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En ce début de XXIe siècle, on prend conscience qu’aprèsavoir réalisé, dans une large mesure, les rêves des philo-sophes du XVIIIe siècle, des savants du XIXe siècle et desrévolutionnaires du XXe siècle, le doute existentiel est tou-jours là. Il nous faut, comme dans le mythe de Sisyphe,refaire rouler le rocher jusqu’au sommet de la montagnedes nouveaux défis. Notre environnement est secoué enprofondeur par les trois chocs moteurs de la société cogni-tive, et leurs conséquences sur les modèles d’organisationde nos entreprises. Notre vie personnelle elle-même subitdans le même temps de profonds bouleversements : en seretirant, les cavaliers de malheur nous laissent plus libres,mais aussi plus seuls, et nous devons ressortir du placardcette vieille force de caractère que l’on croyait ringarde.Explorons maintenant le parti que l’on peut tirer de cechangement rapide. Quelle est la nature du phénomènede changement dans les organisations humaines ?Comporte-t-il un aspect bénéfique ? Serait-ce une nou-velle forme d’action collective ?

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Notre environnement

est secoué en profondeurpar les trois chocs

moteurs de la sociétécognitive, et leursconséquences sur

les modèlesd’organisation de nos entreprises.

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Chapitre 3

C’est par la crise

que l’homme se crée homme

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Pourquoi agir sur les comportements

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Qu’est-ce qu’une crise ? On pense généralement à unchangement brusque et décisif dans le cours d’un pro-cessus, une perturbation temporaire des mécanismesde régulation d’un individu ou d’un ensemble d’indivi-dus. Il s’agit toujours d’une menace aiguë pour l’inté-grité du sujet, une menace de mort. Cette menace estgénéralement mobilisatrice de moyens d’action pourla survie, c’est-à-dire pour la mise en œuvre de nou-veaux comportements régulateurs. Les causes peuventêtre externes – une situation conflictuelle dans l’envi-ronnement – ou internes – des crises de développe-ment en cours de croissance : la mise au monde, lehuitième mois, la puberté, l’adolescence, le milieu devie, l’entrée dans la vieillesse. C’est bien une crise que vivent actuellement les entre-prises. Dans une étude remise en 1996 au Conseil éco-nomique et social, Hervé Serieyx liste dix changementsmajeurs dans les grandes entreprises :

• les grandes entreprises se globalisent (se mondiali-sent) ;

• les grandes entreprises se délocalisent ;

• les grandes entreprises externalisent, ce qui n’est pasle cœur de leurs compétences ;

• les entreprises s’atomisent ;

• les entreprises se transversalisent ;

• les entreprises se dématérialisent ;

• les entreprises se tertiarisent ;

• les entreprises se servicialisent ;

• les entreprises se coalisent ;

• les grandes entreprises se désocialisent.

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1. Crise, rupture et dépassement,sous la direction de René KAËS,Dunod, 1979.

C’est par la crise que l’homme se crée homme

Il s’agit bien d’un « changement brusque et décisifdans le cours d’un processus. »

Le mot « crise » s’écrit en chinois en deux idéo-grammes superposés : l’un signifie « danger » etl’autre « opportunité ». De tout temps, la crise a étévue par les hommes comme une occasion de progres-ser, d’apprendre, de se transformer, de grandir. Mais lechangement est douloureux et on ne s’y livre pas spon-tanément. La tentation est grande de vouloir éliminerles aspects physiques douloureux de la crise, sans pourautant ouvrir la voie à un changement agissant sur ladéfaillance principale : placebo, bouc-émissaire,guerre. Dans l’ouvrage collectif Crise, rupture etdépassement1 René Kaës défend l’idée que la crisecomporte un aspect bénéfique puisque :

« elle rend possible, par un mouvement de retraite sal-vatrice, les modifications du comportement, des sys-tèmes de défense, des schémas de représentation del’action. C’est par là que se justifie l’institution sociale dela formation, comme procédure d’extinction de la crisepar la mise en œuvre de nouvelles régulations. »

Selon les auteurs, la formation humaine est unedimension de la transitionalité. Elle éteint la crise parune élaboration de la crise dans une situation contrô-lée : passage d’une forme à une autre. Le paradoxemajeur de la formation est qu’on se forme en se défor-mant. Se former, c’est être en rupture de quelquechose. Le moment d’entre-deux qui caractérise le pas-

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“ ”Se former, c’est être

en rupturede quelque

chose.

La formation comme

procédure d’extinction

de la crise

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Pourquoi agir sur les comportements

sage d’un code et d’une structure de relation àd’autres codes et d’autres structures relationnelles estconflictuel, et il doit être conflictuel pour pouvoir êtredépassé. Mais cette élaboration requiert qu’une figu-ration conflictuelle soit possible dans l’ordre du jeu, detelle sorte que les composants de la crise et les élé-ments de solution, avec leurs conséquences, puissentêtre explorés sans dommage pour le sujet et son envi-ronnement transitionnel. Dans cet entre-deux, lessujets en transition ne disposent plus du code habituel.La formation est donc une procédure spécifiquementhumaine pour résoudre les crises multiformes et répé-titives que nous avons à élaborer pour survivre. RenéKaës voit un paradoxe si n’est pas prévue dans ce pro-cessus de formation la possibilité de sortir du systèmeformation permanente pour instaurer, avec la cou-pure, le temps de la mise à l’épreuve et de la réalisa-tion. Pour lui, la formation devrait accompagner etstimuler un temps le processus de métamorphose, l’ac-quisition et la mise à l’épreuve de nouvelles res-sources2. Nous présenterons dans la troisième partieune réponse en formation « dans l’ordre du jeu », quipermet de reconstituer une crise afin d’expérimentersans danger de nouvelles ressources et solutions.

Guy Rullaud3, un de mes amis consultants qui met sacompétence de thérapeute au service des entreprises,a été appelé dans la région de Cognac auprès d’uneentreprise touchée de plein fouet, comme tous lesacteurs économiques de cette prestigieuse industried’eau de vie de raisin. Avec la mévente du Cognac dans

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La formation est donc

une procédurespécifiquement humainepour résoudre les crises

multiformes et répétitivesque nous avons

à élaborer pour survivre.

Changement rapide ou

changement en douceur ?

2. Se reporter aux travaux deDonald WINNICOTT.

3. Les coordonnées des consul-tants et experts cités sont en find’ouvrage.

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le monde, la situation est telle que l’on craint un effetdominos : une chute en entraîne une autre, et ainsi desuite à l’infini. Ce n’est pourtant pas faute de s’êtreadapté, mais peut-être trop progressivement, sans quela crise se fasse ressentir, sans douleur. Son client, trèslucide, lui raconte l’histoire de la grenouille plongéedans de l’eau froide progressivement portée à ébulli-tion. La grenouille n’a pas cherché à s’enfuir, elle s’estprogressivement adaptée, mais elle est morte brûlée.Une autre grenouille plongée directement dans del’eau bouillante a bondi aussitôt hors de l’eau et a eula vie sauve. Cette expérience n’a aucune valeur scien-tifique – qu’Henri Laborit lui pardonne – mais illustrebien ce phénomène de la crise salvatrice, et des avan-tages d’une attitude proactive par rapport à une atti-tude adaptative. On ne saura jamais si l’on est capablede sauter une haute barrière tant que l’on n’est paspoursuivi par un taureau furieux. Le parti à tirer d’unecrise est un thème récurrent de notre civilisation, quel’archétype du héros nous rappelle sans cesse.

Tout appelle à un changement des mentalités et descomportements. Le changement fait obligatoirementpartie de la vie sociale d’une organisation. Selon KurtLewin, la modification de comportement comportetrois phases :

1. Réduction des forces qui maintiennent le comporte-ment sous sa forme présente, identification desbesoins de changement et d’améliorations à effec-tuer ;

C’est par la crise que l’homme se crée homme

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On ne saura jamais si l’on

est capable de sauter une haute barrière tant

que l’on n’est paspoursuivi par un taureau

furieux.

Le changement

de comportement

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La dissonance cognitive

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Pourquoi agir sur les comportements

2. Développement de nouvelles attitudes ou compor-tements et mise en œuvre du changement.

3. Stabilisation du changement au nouveau niveau etrenforcement au travers de mécanismes de soutien,par exemple procédures, structures, normes ou rites.

L’inadéquation entre notre routine et les changementsimposés génère un décalage, une contradiction, unedissonance4. La dissonance cognitive est le termedonné par Festinger à l’inconfort ressenti lorsque noussommes sur une voie qui est incompatible avec notrevéritable conviction. Comme la théorie de l’équilibre,elle suggère que nous sommes motivés pour réduireson impact. Il y a pour cela trois manières :

• réduire l’importance des convictions dissonantes ;

• ajouter plus de convictions consonantes que l’on enélimine ;

• changer les convictions dissonantes de manière à cequ’elles ne soient pas inconsistantes.

Par exemple, j’achète une voiture chère et je découvrequ’elle n’est pas confortable sur les longues distances.Une dissonance existe entre ma conviction que j’aiacheté une bonne voiture et que cette bonne voituredevrait être confortable. La dissonance peut être éli-minée en décidant que cela n’a pas d’importance, puisque cette voiture est surtout utilisée pour les courtesdistances (en réduisant l’importance de la convictiondissonante) ou de se focaliser sur les points forts duvéhicule tels que la sécurité, l’aspect, la maniabilité

4. Theory of cognitive dissonance,FESTINGER, Ed. Row, Peterson andco., 1957.

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L’inadéquation entre notre

routine et leschangements imposésgénère un décalage, une contradiction, une dissonance.

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C’est par la crise que l’homme se crée homme

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(ajoutant ainsi des convictions consonantes). La disso-nance pourrait être éliminée aussi en se débarrassantde la voiture, mais ce comportement est beaucoupplus difficile à réaliser que de changer de convictions.Autre illustration de la dissonance cognitive, je suistémoin dans la rue de la chute d’une personne et jen’ai pas le réflexe de me précipiter pour l’aider à serelever. Ce comportement est contraire à mon principe« il faut venir en aide à une personne qui tombe. » Lasolution pour réduire cet écart entre comportement etprincipe est de me convaincre que la personne n’avaitpas vraiment besoin d’aide, donc je ne l’ai pas aidée.Un étudiant qui croit que la réussite de son cours destatistiques est fonction de l’effort – plutôt que le fruitdu hasard – et qui ne fournit aucun effort pour réussirest en situation de dissonance cognitive. Pour atténuercette dissonance, l’étudiant peut modifier ses compor-tements et fournir les efforts requis. Par ailleurs, ilpeut modifier ses croyances en se disant que, par sonintelligence, il réussira ce cours sans fournir les effortsqu’il croyait nécessaires auparavant. Pour appuyercette nouvelle croyance, il peut aussi faire de la sélec-tion perceptive en s’identifiant à un ou deux autresétudiants qui réussissent bien sans trop fournir d’ef-fort et, par le fait même, oublier ceux qui doivent tra-vailler fort pour avoir du succès. Face à des résultatsqui ne correspondent pas à ses attentes, il peut aussimodifier son attitude à l’égard des études et se direqu’il est possible de réussir dans la vie sans l’obtentiond’un diplôme.Cette théorie nous aide à être conscient du jeu parlequel les individus comme les organisations sont por-tés à réduire l’état perturbateur du changement. Des

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La dissonance cognitive

est le terme donné parFestinger à l’inconfortressenti lorsque nous

sommes sur une voie quiest incompatible avec

notre véritableconviction.

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expériences ont prouvé que plus la dissonance estgrande et plus le changement d’attitude est grand luiaussi. Des personnes qui vivent une expérience réagis-sent plus fortement que des observateurs de cetteexpérience. On a observé également que des per-sonnes payées pour dire un mensonge n’éprouvaientpas de dissonance car elles estimaient avoir été obli-gées d’accepter une supercherie en raison de l’impor-tance de la récompense. La plus grande dissonance estcréée quand les deux alternatives sont égalementattractives. Le changement d’attitude va davantagedans la direction de la plus faible incitation si elleaboutit à une moins grande dissonance. Cette théorieest en contradiction avec la plupart des théories ducomportement qui prédisent une plus grande attitudede changement avec une incitation accrue.

On ne peut s’empêcher de rapprocher cette théoriedes célèbres expériences d’Henri Laborit5. DansL’Éloge de la fuite, il insiste sur cette idée simple quele système nerveux a comme fonction fondamentalede nous permettre d’agir. L’action est tellement essen-tielle que lorsqu’elle n’est pas possible, c’est l’en-semble de l’équilibre d’un organisme vivant qui va ensouffrir, quelquefois jusqu’à entraîner la mort. Lacause primordiale de l’angoisse serait donc l’impossibi-lité de réaliser l’action gratifiante, en précisantqu’échapper à une souffrance par la fuite ou par lalutte est une façon aussi de se gratifier, donc d’échap-per à l’angoisse. Son expérience sur les rats estcélèbre : le savant a constaté que si un rat soumis à

5. Éloge de la fuite, HenriLaborit, Robert LAFFONT, 1976.

Pourquoi agir sur les comportements

[60] © Éditions d’Organisation

L’éloge de la fuite

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La cause primordiale

de l’angoisse serait doncl’impossibilité de réaliser

l’action gratifiante, enprécisant qu’échapper à

une souffrance par lafuite ou par la lutte estune façon aussi de se

gratifier, donc d’échapper

à l’angoisse.

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une décharge électrique plantaire dans un comparti-ment avait la possibilité de changer de compartiment,et si cette expérience était reproduite sept minutes parjour pendant une semaine, le rat ne développait pasd’hypertension stable. Si par contre, l’animal n’avaitpas la possibilité de fuir la décharge électrique, il pré-sentait un comportement d’inhibition motrice et unehypertension stable, qui se prolongeait plus d’un moisaprès l’expérience. Enfin, si deux rats étaient placésensemble sans possibilité de fuir, ils extériorisaient leuragressivité en se battant, et ne manifestaient pas d’hy-pertension stable. Pour Jean-Louis Servan-Schreiber6,que l’on ne suspectera pas de s’être livré avec despatrons aux expérimentations de Laborit, la plusgrande espérance de vie des dirigeants s’explique parle fait que, contrairement à leurs cadres confrontéspourtant à la même réalité, ils ont prise sur les événe-ments, ils peuvent agir sur eux. Les aspects positifs duchangement supposent la réunion des pulsions demort aux pulsions de vie : vivre pleinement n’impliquepas seulement la défense de la vie mais l’acceptationde tensions élevées et de risques calculés, l’acceptationdu risque ultime.

Les mythes ont aidé nos ancêtres, comme les Indiensd’Amazonie encore aujourd’hui, à faire face à des rup-tures et à introduire des changements dans leur modede vie. Une des transitions les plus fondamentales aété le passage du système matriarcal au systèmepatriarcal, illustré entre autres par le mythe grecd’Hermaphrodite. Aphrodite, la déesse née de l’écume

6. Le Métier de patron, Jean-Louis SERVAN-SCHREIBER, Fayard,1990.

C’est par la crise que l’homme se crée homme

© Éditions d’Organisation [61]

La mythologie

du changement

“”

Les aspects positifs

du changement supposentla réunion des pulsions

de mort aux pulsions de vie.

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de la mer, céda aux avances d’Hermès et passa avec luiune nuit au cours de laquelle elle conçutHermaphrodite, jeune homme bissexué qui hérita dela beauté de sa mère. Il avait de longs cheveux et desseins de femme. Comment ne pas songer aux consé-quences et aux peurs que suscite de nos jours le pas-sage rapide d’un système dominé par les hommes à unsystème régi par l’égalité des sexes ? Dans sa ville deFrancfort, dont il était maire-adjoint chargé de l’immi-gration, Daniel Cohn-Bendit, le leader de la révolteestudiantine parisienne de mai 68 devenu députéeuropéen, a constaté avec surprise, à la suite d’uneenquête, qu’au-delà de l’immigration, la peur du pou-voir grandissant des femmes expliquait en grande par-tie les votes d’extrême droite.En interrogeant la Bible et sa manière d’inciter leshommes à se transformer, à trouver en eux-mêmes lesressources nouvelles pour inventer d’autres attitudeset pour survivre aux changements de leur environne-ment, nous avons trouvé à notre grande surprise peude paraboles mettent en valeur le seul talent del’homme pour s’adapter à une situation nouvelle.Dans les Psaumes, Joseph, vendu par ses frères à unEgyptien, effectue un retour sur soi, sur ses racines.Accusé de viol par la femme de son maître, il retournela situation en interprétant les songes du pharaon.Nous verrons plus loin combien les religions ont puavoir d’influence sur le progrès humain en fonction dela place qu’elle accorde à la confiance en l’homme età sa liberté.

Pourquoi agir sur les comportements

[62] © Éditions d’Organisation

“”

Les mythes ont aidé

nos ancêtres à faire face àdes ruptures et à

introduire deschangements

dans leur mode de vie.

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Pour Jacques Attali7, il n’y a pas de changement sansrêve, sans mythe capable de le produire. Il voit dans lelabyrinthe une métaphore de la condition humainemoderne :

« Depuis le XVIIe et Descartes, écrit-il, ont fait l’apologiede la transparence, de la ligne droite, de la vitesse. Peuà peu, tout ce qui était labyrinthe a pris une connotationobscure, incompréhensible, tortueuse, mensongère. Uneidée dominante a donc surgi : sortir à tout prix du laby-rinthe. Ce qui est évidemment une illusion. Personned’entre nous n’essaie d’aller le plus vite possible de lanaissance à la mort, au contraire. Chacun d’entre noustente de parcourir le chemin à l’intérieur de l’espace quinous est accordé. Au jour le jour, nous inventons notrevie comme un labyrinthe. Extrayons-nous de la ganguede la société industrielle, et nous nous apercevons que lelabyrinthe, présent depuis les sociétés les plus anciennescomme un rituel initiatique, est porteur de valeurs posi-tives. Dans la société linéaire, si vous échouez, vous êtesmort. »

Le labyrinthe exige d’avoir un but assez grand pourdonner un sens aux épreuves rencontrées lors de ceparcours. Il faut avoir certaines qualités pour parvenirà son but : le plaisir de se perdre, s’accepter avec sesdéfauts, ne pas s’affoler quand on se retrouve seuldans le noir, être aux aguets, avoir de la mémoire,savoir se servir de son corps, cultiver l’intuition et laruse plutôt que la raison. La société industrielle a déva-lorisé ces qualités indispensables désormais dans notremonde labyrinthique. Peut-être est-ce à une réaction àcette tendance que l’on doit la mode des jardins et desparcs d’attraction à labyrinthe.

7. Chemins de sagesse – Traité dulabyrinthe, Jacques ATTALI, Fayard,1996.

C’est par la crise que l’homme se crée homme

© Éditions d’Organisation [63]

Le labyrinthe

“”

Le labyrinthe exige d’avoir

un but assez grand pour donner un sens

aux épreuves rencontrées lors de ce parcours.

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Le roi de Crète, Minos, imposait aux Athéniens un tri-but annuel de sept jeunes gens et sept jeunes filles quiservaient de nourriture au Minotaure, monstre mi-tau-reau, mi-homme né des amours de Pasiphaé, épousede Minos, avec un taureau blanc envoyé par Poséidon.Ce monstre était enfermé dans un labyrinthe construitpar Dédale. Au point de vue symbolique, le labyrinthesymbolise le voyage intérieur vers le centre de la per-sonnalité, où l’être humain parvient avec difficulté,après de nombreux détours et tâtonnements.Lors de ma première expédition amazonienne, l’eth-nologue Jacques Lizot et ses amis Yanomami ontinsisté pour que je me livre à une séance d’hallucino-gènes, cette poudre noire produite en brûlant l’inté-rieur de l’écorce d’un certain arbre. Voyant qu’ilstenaient beaucoup à cette épreuve pour me fairemériter, pensais-je, le privilège de partager leur vie de« fils de la lune », j’acceptai finalement. « Tu verras, medit Jacques, ce que tu vas ressentir est indescriptible ;si tu en parles, c’est que tu es un menteur. » « Causetoujours », me disais-je en moi-même, pensant qu’ilétait impossible que je perde le contrôle de mesmoyens. Un Indien m’insuffla la poudre dans chacunede mes narines à l’aide d’une bambou creux, en souf-flant fortement à l’autre extrémité. Je résistai unmoment, assis sur le tronc d’un arbre énorme, mais, aubout de quelques minutes, je m’effondrai sur le sol. Àplat ventre, je sanglotais et riais en même temps,voyant tous les malheurs du monde tomber sur moi.En regardant ce qui se passait autour, je vis que l’eth-nologue et les Indiens s’amusaient beaucoup de maréaction d’Européen coincé dans ses certitudes. Au lieu

Pourquoi agir sur les comportements

[64] © Éditions d’Organisation

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de planer, de voir des couleurs virevolter partout, cefut une expérience douloureuse. Jacques Lizot libéradevant mes yeux des papillons jaunes qu’il avait cap-turés sur une tâche d’humidité autour de laquelle ilsaiment se regrouper. « Pour que tu ais des sensa-tions », me dit-il. Un Indien me flagella ensuite le dosà l’aide d’une branche d’arbre trempée dans la rivière.Un autre me fit prendre la position assise et, accroupiderrière moi, il m’entoura la poitrine de ses bras et mecompressa fortement. Peu à peu le cataclysme inté-rieur se dissipa et je recouvrai l’usage de la parole. « Tues mort pour renaître. » L’après-midi il fallut revivrel’expérience, mais cette fois ci en même temps que lesYanomami. Ils étaient aussi malades et j’étais persuadéque mes hôtes avaient dépassé avec moi « la dose pres-crite », compte tenu de mon impréparation, et quej’allais bel et bien mourir. De la morve noire coulait denos narines : ce sont, me disait-on, « les mauvais espritsqui évacuent nos corps. » Un Indien s’est approché demoi et me caressa le bras comme pour me rassurer. Ànouveau la tempête sous un crâne s’éloigna et l’onavait tous faim comme après l’amour. Depuis ce jour-là, je fus admis dans les secrets des Yanomami quim’accompagnèrent vers le sommet de la GrandeMontagne et me firent découvrir la grande cascade dela rivière des charmes. Jamais dans ma vie je n’ai res-senti à ce point la symbolique d’une initiation, d’unpassage entre un ordre et un autre ordre, entre unenorme et une autre norme. Ce changement radical deperspective est douloureux mais ouvre des horizonsqu’une vie prévisible de fonctionnaire ne m’auraitjamais offerts. Je témoigne que le changement sup-

C’est par la crise que l’homme se crée homme

© Éditions d’Organisation [65]

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Peu à peu le cataclysme

intérieur se dissipa et je recouvrai l’usage

de la parole. « Tu es mort

pour renaître. »

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pose un rite de passage fort, l’accomplissement d’uneépreuve qui nous fait puiser en nous des ressources etdes sentiments insoupçonnés, comme un labyrinthed’où l’on sort transformé. « Mourir pour renaître dif-férent », n’est-ce pas la définition même du change-ment ? À chacun et à chaque culture son rite depassage, son labyrinthe.

Sans établir une analogie entre notre société humaineet les organismes vivants – il ne s’agit pas des mêmesniveaux – il est bon de se rappeler que la rupture et latransformation font partie de la nature. Les change-ments, l’adaptation et les cycles sont trois conceptsécologiques8. Sur notre planète, tout change pourdevenir autre chose. Ceci est vrai depuis l’infinimentpetit – le mouvement perpétuel des molécules – jus-qu’à l’infiniment grand – l’expansion de l’univers. Etle domaine de l’écologie n’est pas une exception. Ceciest dû principalement au fait que la vie dépend del’énergie et des matériaux qui font tous deux partie deprocessus dynamiques. L’énergie du soleil voyage aulong de la chaîne alimentaire. Les matériaux deconstruction nécessaires à la vie sont recyclés en per-manence, de telle sorte que plantes et animaux quidépendent de cette énergie et de ces matériaux chan-gent eux-mêmes constamment. La transformation gra-duelle d’une partie d’une population en une nouvelleespèce est appelée évolution. Pendant des millionsd’années, différents organismes ont évolué et déve-loppé des structures uniques ; elles leur permettent de

8. Balades Nature, ministère del’Environnement, 1996.

Pourquoi agir sur les comportements

[66] © Éditions d’Organisation

Le concept écologique

du changement

“”

Je témoigne que le

changement suppose unrite de passage fort,

l’accomplissement d’uneépreuve qui nous fait

puiser en nous desressources et des

sentiments insoupçonnés,comme un labyrinthe

d’où l’on sort transformé.

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s’adapter à leur environnement et d’y satisfaire leursbesoins essentiels. Tout en cherchant ce dont elle abesoin, chaque espèce joue des rôles particuliers là oùelle vit, c’est son « métier. » C’est ainsi qu’elle façonnesa niche. Des transformations génétiques successivessont sélectionnées pour adapter les espèces au milieuet aux niches disponibles. Le concept de « niche » estcommun à l’écologie et au monde des affaires. Il n’y apas analogie mais matière à penser. Tous les orga-nismes ont des particularités qui les aident à satisfaireleurs besoins essentiels. Ces caractéristiques s’appel-lent des adaptations. Les adaptations se révèlentlorsque des changements dans l’environnement obli-gent les organismes à s’habituer à de nouvelles condi-tions ou à mourir. C’est la sélection naturelle. Certainesadaptations sont d’ordre physique : les becs pointus oules pattes palmées aident l’organisme à se spécialiseret à occuper une niche particulière dans sa commu-nauté. D’autres sont d’ordre comportemental : lechant des oiseaux et toutes les formes de communica-tion, les migrations et l’hybernation, le comportementsocial des insectes. Les pouces de l’homme ne sont pasles seules caractéristiques d’adaptation. Son intelli-gence, sa capacité à communiquer l’ont aidé à s’adap-ter dans des situations complexes.Le troisième concept est le concept des cycles : l’eausuit sans arrêt un grand circuit, de l’océan aux nuages,de la pluie aux ruisseaux et aux nappes souterraines.Quand un animal respire l’air, il donne aux plantes legaz carbonique dont elles ont besoin. Les plantes, àleur tour, donnent aux animaux l’oxygène. Le soldonne aux plantes les substances dont elles ont besoin

C’est par la crise que l’homme se crée homme

© Éditions d’Organisation [67]

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Le concept de « niche »

est commun à l’écologieet au monde des affaires.

Il n’y a pas analogie mais matière

à penser.

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pour grandir. Mais il deviendrait pauvre et inutile s’ilne récupérait pas ce que les plantes lui ont pris. Danschaque poignée de sol, des millions d’organismes, plusou moins petits, transforment et décomposent lesrestes des êtres vivants. Les déchets d’un organismedeviennent la nourriture d’un autre.Près des sources de l’Orénoque, sur ces terres « plusvastes que la vie d’un homme », je sentais pénétrer enmoi l’immensité de la forêt. Mais plus terrible encoreque l’immensité de la jungle, se révélait la vie végétaleque celle-ci entretenait et dans laquelle s’exprimait sapuissance universelle. J’avais en tête la fulgurante des-cription de cet opéra sauvage faite un quart de siècleauparavant plus en aval du fleuve par un autre voya-geur9 :

« L’arbre tombe, entraîné par son poids de terre etd’eau, soulevant une immense vague de branchages etde troncs. Un grondement parcourt la terre occupée àdigérer dans son estomac de sel les ruisseaux de l’orage(...). Le géant agonise. Les fougères arborescentes distil-lent sans plus attendre les glaires d’une maladie inté-rieure. Les bananiers sauvages pompent l’eau desconduites crevées et méditent un nouveau bourgeonpour continuer leur tiède existence dans ce vallon auxeaux grasses. Les musacées et les calathides aux feuillesdouces se couchent pour dormir sur ce tronc indécent.Les bambous tressent des arcs de triomphe pour recevoiron ne sait qui. Alentour, le menu peuple des plantesanonymes gît en désordre et meurt dans l’humidité. Et lesoleil, munificient, convie à son banquet, sur les lieux dudésastre, ceux qui vont naître et ne savent encore que lesel de la terre. »

9. Visages secrets de l’Amazonie,Alfonso VINCI, Arthaud, 1956.

Pourquoi agir sur les comportements

[68] © Éditions d’Organisation

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© Éditions d’Organisation [69]

Chapitre 4

Le rôledes mentalités

et des comportements

dans le développement

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1. La Société de confiance, AlainPEYREFITTE, Odile JACOB, 1995, 1998.

Pourquoi agir sur les comportements

[70] © Éditions d’Organisation

S’il fallait encore une bonne raison d’agir sur les com-portements et de considérer cette action comme unenjeu majeur de la survie et de la compétitivité des nosentreprises, il nous faudrait faire un détour par l’his-toire du développement économique en Europe occi-dentale entre 1580 et 1780, ce que l’on a appelé larévolution industrielle. Quelles ont été les conditionsde cette révolution, et pourquoi ont-elles été réuniesd’abord en Hollande, puis en Angleterre, créant unedistorsion avec l’Europe méridionale ? Plusieursauteurs ont cherché ces réponses dans une enquêteethologique (science du comportement) de la moder-nité et du développement : et si c’étaient les mentali-tés et les comportements qui expliquaient d’abord cedécollage économique ? Contrairement aux penseursde l’économie, ils se sont intéressés aux personnagesclés de cette révolution culturelle, la plus grande del’histoire européenne : les « entreprenants. » Nous nepouvons avoir de meilleur guide dans cette explora-tion aux sources de la modernité qu’Alain Peyrefitte,qui en a fait la recherche de sa vie. L’académicien estarrivé à la conviction que c’était le facteur humain, etplus particulièrement la confiance, et donc la respon-sabilité, qui constituaient les causes profondes de cetimmense développement de notre continent1. C’est saconnaissance du Tiers-Monde qui l’a convaincu que lecapital et le travail, considérés par les théoriciens dulibéralisme traditionnel, ainsi que par les théoriciensdu socialisme, comme les facteurs du développementéconomique, étaient en réalité des facteurs secon-daires, et que le facteur principal, qui affectait d’unsigne plus ou d’un signe moins ces deux facteurs

“”

Et si c’étaient les mentalités

et les comportements qui expliquaient

d’abord ce décollage

économique ?

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Le rôle des mentalités et des comportements dans le développement

classiques, était un troisième facteur qu’il a appelé « letiers facteur immatériel », autrement dit le facteurculturel. La société de confiance est une société enexpansion, « gagnant-gagnant » (« si tu gagnes, jegagne ») ; société de solidarité, de projet commun,d’ouverture, d’échange, de communication.

Entre la découverte de l’Amérique en 1492 et le par-tage de l’Afrique vers 1892, la condition humaine,dans les pays les plus favorisés, a plus changé enquatre siècles, observe l’académicien et ancienministre du général de Gaulle, que dans les trois ouquatre millions d’années qui ont précédé. Et si ceschangements économiques étaient la conséquence etnon la cause des transformations de notre psycholo-gie, de nos mentalités, de nos comportements indivi-duels, de nos mœurs, de nos croyances, de nospréjugés, de notre culture ? L’explication par les res-sources naturelles se retournent comme un gant : si lahouille a fait toute la différence entre l’Angleterre etla France, alors à quel facteur imputer l’essor manu-facturier et commercial hollandais un siècle avantl’Angleterre ? Les théoriciens affirment que le mentalretarde sur le social et le social sur l’économique. Et siles rôles étaient inversés ? Et si un petit nombre d’atti-tudes mentales faisait toute la différence : responsabi-lité, disponibilité, tolérance, confiance dansl’innovation, l’invention technique et la diffusion cul-turelle. Il y aurait des mécanismes mentaux libérateursou inhibiteurs du développement, inégalement pré-sents dans chaque société. L’avenir va naître à la fin du

© Éditions d’Organisation [71]

Notre avenir est né

en Hollande

“”

La société de confiance

est une société enexpansion, « gagnant-

gagnant » (« si tugagnes, je gagne ») ;

société de solidarité, deprojet commun,

d’ouverture, d’échange, de

communication.

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Pourquoi agir sur les comportements

XVIe siècle en Hollande, où personne de l’attendait. Etcette « distorsion » coïncide avec la fracture religieusede la Réforme.

Pour Alain Peyrefitte, « il est remarquable que laHollande, premier État à naître sur un fondement reli-gieux – la révolte des calvinistes des Pays-Bas – aitpresque dans le même mouvement inventé la tolérance(...). Le développement est allergique au dogmatisme. »

Pour cet auteur, les affinités comportementales et ins-titutionnelles entre catholicité et retard économiquesont indéniables : dogmatisme, télécommande, résis-tance à l’innovation, méfiance envers la diffusiond’une culture individuelle, refus de la modernité... Ilfaudra attendre Jean-Paul II, avec Centesimus Annus,pour accepter une économie fondée sur la liberté desagents économiques. Que de temps il aura fallu ! Cen’est pas un nouvel homme qui est né en Hollande vers1580. L’homme d’avant et l’homme d’après le déclic dudéveloppement détiennent le même potentiel ; ils dif-férent seulement dans sa mobilisation.

« Chacun porte en soi des comportements inhibiteurs etdes comportements libérateurs », lit-on dans La Sociétéde confiance. « La plupart des sociétés n’ont cherché àutiliser qu’une partie de ces derniers (...). Le déclenche-ment se produit là où sont délibérément favorisés lescomportements émancipateurs, là où sont surmontés lescomportements engourdissants, là où équilibre et stabi-lité se trouvent et se prouvent dans le mouvement. »

Au XIXe siècle, au XXe siècle, la présence sociale et men-tale des Églises, catholiques ou protestantes sans dis-

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Il y aurait desmécanismes

mentaux libérateurs ou inhibiteurs

du développement,inégalement

présents dans chaque société.

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tinction, recule, les Etats se sécularisent, la science et leprogrès ont conquis leur autonomie. Et pourtant larépartition économique du développement continue,en gros, à reproduire la carte religieuse du XVIe siècle.

Depuis mon premier camp scout en Hollande en 1964jusqu’à mes séjours réguliers dans les années 90, j’étaisintuitivement convaincu d’une différence de ce peupleinventif et organisé. Dans les détails de la vie quoti-dienne, j’étais admiratif : du porte savon aimanté, quilaisse propre le lavabo, jusqu’au réseau complexe despistes cyclables, de l’animation dominicale des parcspublics au contrôle à distance de la police, du systèmed’aide sociale incitatif d’autonomie et non d’assistanatau sens de l’économie d’un peuple qui part envacances en caravane. Dans son Voyage en Hollande,Diderot est frappé par le fait que le bien-être et leconfort s’étendent à l’ensemble de la population :

« Bien qu’économe, le Hollandais ne se refuse pas auxplaisirs de la vie. »

Mon père, ingénieur des Eaux & Forêts, y trouva dansles années 60 l’idée d’une nouvelle conception d’amé-nagement touristique des forêts de la région pari-sienne, et de lacs « colinéaires » qui devinrent, près deVersailles, « Paris-plage », avant la pollution de laBièvre. Tandis que la France était confrontée à unenouvelle crise économique et au chômage massif dansles années 90, on s’émerveillait dans la presse du« modèle hollandais » avec ses 6 % de chômeurs (4 %en 1999).

Le rôle des mentalités et des comportements dans le développement

© Éditions d’Organisation [73]

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[74] © Éditions d’Organisation

Pourquoi agir sur les comportements

Alimentons notre réflexion sur les nouveaux compor-tements en entreprise des étapes les plus surprenantesde l’exploration éthologique des facteurs du dévelop-pement. Comme nous l’avons exploré dans le chapitreprécédent, c’est par la crise que nous progressons. LaGrande Peste du Moyen-Âge en est le meilleurexemple, car c’est en relevant le défi de faire autantavec moins d’hommes que les Européens ont trans-formé le paysage, créé de nouveaux équilibres etacquis de nouveaux comportements. Partant en 1347du nord de la Caspienne, la peste dépeupla villes et vil-lages en Crimée, puis, transportée par les navires mar-chands, le mal se propagea à Bizance, en Égypte, enSyrie, en Europe occidentale où il entra par Messine,Venise, Gênes, Marseille et Barcelone. Il faut inventerde nouvelles techniques pour « faire plus avecmoins » : on améliore l’usage des terres ; la jachèrerecule et le rendement s’améliore, parce qu’onapprend à varier les cultures sur le même sol. SelonPeyrefitte, c’est au XVe siècle qu’apparaissent l’espritd’entreprise, l’individualisme, la concurrence, enmarge de la réglementation et de l’inhibition hiérar-chiques que tente encore d’imposer l’organisation desmétiers (les corporations). L’État prend acte, conforte,protège. Mais, à la source, il y a l’activité et l’initiativede ces nouveaux aventuriers que sont les entrepre-nants. C’est un navigateur qui n’a pas le pied marin,Henri le Navigateur, infant du Portugal, qui est le pion-nier d’une autre transformation européenne : l’expan-sion coloniale. Déjà on peut reconnaître, sur l’axeVenise-Anvers, des lieux où commence à poindre ladivergence. Parmi les novations qui marquent le pas-

L’Europe d’avant

la divergence

“”

C’est au XVe siècle

qu’apparaissent l’espritd’entreprise,

l’individualisme, la concurrence.

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2. Society, Culture andPersonnality, Pitirim A. SOROKIN,Harper & Brothers, New York,1947.

Le rôle des mentalités et des comportements dans le développement

© Éditions d’Organisation [75]

sage du Moyen-Âge aux temps modernes, figure larévolution de Gutenberg. Cinq siècles après la Chine,l’imprimerie permet la diffusion des compétences etde l’information, qui conditionnent l’innovation. Dansles Allemagnes, on va compter bientôt 60 % despresses de la chrétienté. 80 % des livres sont acquis aucourant luthérien tandis que Rome se méfie du pou-voir de subversion de cette invention. L’Italie connaîtune spectaculaire régression culturelle : de l’an 800 àl’an 1600, l’Italie aurait fourni 25 à 40 % des innova-tions en Occident ; de 1726 à nos jours, sa part seraittombée autour de 3 %2. Le lien entre les rapides pro-grès de l’alphabétisation, sur un axe Suède-Suisse,avec la Réforme paraît s’imposer. Cette relation appa-raît moins comme une corrélation mécanique quecomme une affinité de mentalité. Partout en Europe,on constate que les frontières de la distorsion cultu-relle, sauf en France au nord de la Loire, coïncidentavec celles de la Réforme et la Contre-Réforme. C’estaussi le cas de l’éducation des jeunes filles, beaucoupplus encouragée dans le Nord que dans le Sud. LaFrance, avec par exemple l’école des jeunes filles deSaint Cyr fondée par Madame de Maintenon, est iciencore dans une position intermédiaire.C’est encore en Hollande qu’apparaît avec Érasme unepédagogie de la confiance.

« Il faut former les enfants dès la naissance, écrit-il en1529, à la vertu et aux lettres dans un esprit libéral. »

Il oppose ce type d’éducation aux « claquements desférules, sifflements des verges, hurlements et sanglots,

“”

On constate que les frontières

de la distorsion culturelle,coïncident avec celles

de la Réforme et la Contre-Réforme.

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Religions, mentalités

et comportements

menaces atroces » qui font de l’école une « officine debourreau. » Il s’agit surtout là de la formation de l’au-tonomie intellectuelle et morale :

« Ce n’est rien de commander à des ânes ou à desbœufs ; c’est former des êtres libres dans la liberté quiest à la fois très difficile et très beau. »

Confiance dans l’individu indépendant, « appuyédirectement sur sa raison », et sur son énergie spiri-tuelle stimulée par l’émulation, tel est le programmed’Érasme. Il prône une religion fondée sur la confianceet non l’humiliation, sur la compétence et non l’auto-rité, sur l’émulation et non le monopole, la comparai-son et non la violence, sur « l’esprit humaincommandant à lui-même » et non la hiérarchie, surl’innovation et non la tradition, sur l’indépendanceintellectuelle et non la soumission. Érasme a combattula doctrine de Luther, pourtant un moine de Colognea eu cette formule :

« Érasme a pondu les œufs, Luther les a fait éclore. QueDieu nous accorde d’écraser les œufs et de tuer les pous-sins. »

Comme le souligne Peyrefitte, en s’opposant à Érasme,Rome n’a pas saisi sa chance de transformation.

On a du mal à imaginer, nous dit Peyrefitte, la puis-sance d’inhibition dont disposait l’Église jusqu’à l’aubedes temps modernes. Le « cavalier de malheur » s’estéloigné de nous, mais il existe encore, prêt à régenter

Pourquoi agir sur les comportements

[76] © Éditions d’Organisation

“ ”Confiance

dans l’individuindépendant, tel est

le programme d’Érasme.

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non seulement notre vie spirituelle mais aussi notre vietemporelle, jusqu’à nos rapports amoureux.

« L’homme qui commerce peut à peine, voire ne jamais,être agréable à Dieu. »

C’était net. On était libre d’échanger mais pas d’entirer un profit. De Montaigne à Marx, cette visionarchaïque ne fera que se maintenir et même s’ampli-fier. Il n’y a pas de partenaires mais seulement desadversaires. Le rapport économique est un antago-nisme, non une synergie. On demeure en société dedéfiance, « gagnant-perdant » : une société où l’on nepeut que perdre au change. Le prêt d’argent rému-néré fait l’objet d’un tabou dans presque toutes lesreligions. C’est la conception d’un espace clos, local,féodal, domanial, où seule la production matériellecrée la richesse et fonde la valeur.

« L’intérêt de l’argent, c’est la mort de l’âme », suivant laformule du pape Léon le Grand.

Les rois ont de bonnes raisons de voir les choses autre-ment : les besoins de la guerre et de la diplomatie lespoussent à emprunter. C’est Calvin qui lève la condam-nation du prêt. La loi divine n’interdit pas l’usure. Leprêt d’argent est un service rendu, une peine méritantsalaire. L’argent n’est pas stérile. Cet humaniste prag-matique français qui prit la tête de la Réforme, est loindes préjugés de Luther. De Strasbourg à Genève, il estle témoin d’économies en plein essor. Le croyant selonCalvin se soumet au seul tribunal intérieur de la

Le rôle des mentalités et des comportements dans le développement

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C’est Calvin qui lève

la condamnation du prêt.La loi divine

n’interdit pas l’usure.

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conscience. Cette forme de piété renforce l’indépen-dance spirituelle et la discipline volontaire de l’indi-vidu. C’est dans cet esprit que, par exemple, lamendicité est interdite dans la Genève réformée. Enrevanche, la charité et l’entraide sont assumées, sansêtre une assistance : on aide les nécessiteux à retrou-ver ce que nous appellerions aujourd’hui leur autono-mie. L’économie n’est pas une honte mais au contraireune bonne image de l’aventure humaine, et mêmedavantage : le lieu même où s’éprouve la valeurhumaine. Telle est l’interprétation que Calvin fait de laparabole biblique des talents : les grâces, capacités etdispositions reçues par l’homme doivent être commu-niquées, diffusées, échangées entre les hommes.L’économie du salut n’est pas contraire à l’économiepolitique ; même si elles ne se confondent pas, elles serejoignent. C’est une véritable révolution mentale. Lecalvinisme est une éthique du développement descapacités, donc de la fructification des talents. Il ouvrela voie du dépassement de soi. L’obéissance chrétiennen’est pas l’obéissance scrupuleuse à des lois exté-rieures, mais à sa propre vocation d’homme,

« Car Dieu, prêche-t-il, ne s’arrête point à la montreexterne, mais regarde l’obéissance intérieure du cœur,de laquelle seule dépend l’estime de nos œuvres. »

Le rire, le plaisir, l’argent, le commerce, le travail, laréussite personnelle, la prospérité de la cité, tout cequi fait le propre de l’homme est assumé, enconscience, en confiance. Calvin a donc fait subir à lamentalité économique de son temps un déplacement

Pourquoi agir sur les comportements

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Le calvinisme est une éthique

du développement descapacités, donc de la

fructification des talents.Il ouvre la voie

du dépassement de soi.

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spectaculaire : du partage des richesses vers la créationdes richesses. Pendant que la révolution économiqueprend son essor dans les Provinces-Unies puis auRoyaume-Uni, on entend encore en France, la patrie deCalvin, des imprécations contre l’usure, le commerce,l’accumulation des richesses. Avec deux siècles de retardsur la Suisse, la Hollande et l’Angleterre, l’Assembléenationale française autorisera enfin le 3 octobre 1789 leprêt de l’argent. Mais l’on entendra encore à la fin duXXe siècle un président de la République socialiste s’em-porter contre « ceux qui gagnent de l’argent en dor-mant. » Un premier ministre socialiste et protestant,bien qu’encore encombré d’un lourd héritage aussidogmatique qu’archaïque, aura après lui une attitudeplus libérale, mais nettement moins que son homo-logue britannique travailliste, dirigeant protestant d’unpays protestant. Le prêt à intérêt a été le bouc émissairedu tabou de l’argent, et pour comble les Juifs ont dûprendre en charge la même fonction expiatrice.Faisons avec Peyrefitte le constat que l’Eglise a jetél’anathème sur cette nouvelle vision de l’homme. Auconcile de Trente, elle a entendu maintenir ses ouaillesdans un état de dépendance intellectuelle, au moyen dela hiérarchie. Marquée par la doctrine de Saint Françoisde Sales qui veut que « nous cheminions dans ladéfiance de nous-mêmes » et répète que « nous n’avonsrien de quoi nous confier en nous-mêmes. » SaintVincent de Paul professe la confiance en la Providence àl’exclusion de la confiance dans sa créature. L’Église créeune société de défiance. Avec ce monopole mental, onest bien loin de la libre exploration de la Renaissance.

Le rôle des mentalités et des comportements dans le développement

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Calvin a donc fait subir

à la mentalitééconomique de son

temps un déplacementspectaculaire : du partage

des richesses vers la création

des richesses.

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Continuons à suivre notre mentor Alain Peyrefittedans cette enquête sur les mentalités et les comporte-ments de la modernité, qui projette un éclairage nou-veau sur la réalité économique d’aujourd’hui.L’attitude à l’égard des pauvres est caractéristique dudécalage entre le nord et le sud de l’Europe. Alorsqu’en Hollande on ne veut offrir aux pauvres que dutravail rémunéré, l’Espagne du XVIe siècle aime tant lespauvres qu’elle les multiplie. Elle les assiste avec unetelle efficacité que la pauvreté devient un état dont onpeut tout à fait s’accomoder. Un visiteur anglais, pour-tant admiratif de la générosité ecclésiastique, s’étonnetout de même un peu :

« Quel stimulant pouvons-nous trouver ici à l’industrie ?Qui va donc creuser un puits, si on lui apporte de l’eaude la fontaine ? A-t-il faim ? Les monastères le nourri-ront. Est-il malade ? Un hôpital est prêt à le recevoir. A-t-il des enfants ? Il n’a pas besoin de travailler pour lesélever : ils sont tous bien pourvus sans qu’il ait à s’en sou-cier. Est-il trop paresseux pour se mettre en quête denourriture ? Il lui suffit de se retirer à l’hospice. »

Système pervers, cercle vicieux du sous-développe-ment. L’investissement des riches, c’est-à-dire principa-lement des gens d’Église, est dénué de tout caractèreproductif.Quant à l’écart entre la France et l’Angleterre, à lamême époque, il se situe sur le terrain de l’innovation.En Angleterre, on va beaucoup plus vite de laconstruction théorique à l’application pratique. LaFrance, elle, a plusieurs fois condamné à l’exil l’inno-vation technique, avant de la rapatrier en catimini. Ces

Pourquoi agir sur les comportements

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En Angleterre, on va beaucoup

plus vite de la constructionthéorique

à l’application pratique.

Une société de liberté

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erreurs se paient à chaque fois d’un bon quart desiècle de retard. Pour le haut fourneau à charbon, outilmajeur de la révolution industrielle, né en 1735 enAngleterre, il n’est allumé pour la première fois enFrance qu’en 1785, et il a fallu une quarantaine d’an-nées avant que l’usage de la houille commençât à s’ygénéraliser3 : un retard de soixante-quinze ans ! Cheznous, on fraude avec le règlement, mais ce n’est paspour imposer des novations, c’est pour biaiser avec lesexigences de qualité imposées par les ordonnances.Des chercheurs ont établi qu’en Angleterre 41 % desinnovateurs étaient des « non-conformistes », alorsque ceux-ci ne représentaient que 7 % de la popula-tion. La divergence de l’innovation entre la France etl’Angleterre, estime Peyrefitte et les auteurs auxquelsil se réfère, procède d’une mentalité d’innovationancrée dans le comportement britannique ; il n’enveut pour preuve que le témoignage d’un homme quiprésida aux destinées de l’Angleterre au soir du XVIe

siècle : Francis Bacon. Pragmatisme et innovation sontles deux aspects indissociables d’une attitude qui s’in-téresse au réel.

« Chaque remède est sans contredit une innovation,écrit Bacon, et celui qui ne veut pas appliquer desremèdes nouveaux doit s’attendre à des maux nou-veaux, car le temps est le plus grand des novateurs. »

Il est intéressant de considérer que, dans les sociétésralliées à l’une des Réformes protestantes, « innova-tion » et « innovateur » ont une connotation flatteuse.À l’inverse, dans les sociétés catholiques, « innovation,novateur » constituent un grave chef d’accusation.

3. Révolution industrielle et sous-développement, Paul BAIROCH,Mooton, 1974, cité par PEYREFITTE.

Le rôle des mentalités et des comportements dans le développement

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Il est intéressant

de considérer que, dansles sociétés ralliées àl’une des Réformes

protestantes, « innovation »

et « innovateur » ont uneconnotation flatteuse. À l’inverse, dans lessociétés catholiques,

« innovation, novateur »constituent un

grave chef d’accusation.

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« Il y a les pays des praticiens de l’innovation, notePeyrefitte ; et il y a ceux de ses théoriciens. Il y a dessociétés où l’innovation se prouve en marchant ; etd’autres où on ne cesse d’en discuter les preuves, oud’exiger ses quartiers de noblesse. »

Pour le Français, commerce et industrie sont lesmoyens de la puissance de l’État. Pour l’Anglais, c’estl’inverse : l’État est au service de la puissance commer-ciale et industrielle. Ainsi, le Français commerce pourse battre, l’Anglais se bat pour commercer. Pour laFrance, le bénéfice du commerce va à l’État ; enGrande-Bretagne, l’État doit se contenter de se faire lerempart des intérêts particuliers, et n’empiéter sur euxque le moins possible. Deux univers différents,construits sur une divergence de mentalité. PierreChaunu fait un constat étonnant :

« Regardons les cartes, celle de 1980 et celle de 1560 ;elles sont presque superposables. Ce qui a été fait n’ajamais été défait. Tout s’est joué entre 1520 et 1550. Unefois marquées, les frontières entre Réforme et Contre-Réforme n’oscilleront plus. À 95 %, les cartes du milieudu XVIe siècle et de la fin du XXe siècle se superposent. »

Cela ne veut pas dire que tous les entreprenants dessociétés calvinistes soient produits par elles-mêmes ;les émigrés d’Anvers, de Gand, de Malines, de Louvainétaient calvinistes. Fuyant le Sud, ils ont insufflé àAmsterdam la modernité marchande et financière quiallaient faire de cette place la première d’Europe. Cetexemple de la « diaspora » flamande met le doigt surun phénomène majeur : la migration des élites comme

Pourquoi agir sur les comportements

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Pour le Français,

commerce et industriesont les moyens de la

puissance de l’État. Pourl’Anglais, c’est l’inverse :

l’État est au service de la puissance

commerciale et industrielle.

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facteur de développement. Après la révocation del’édit de Nantes, signe que notre pays se fermait à l’in-novation en même temps qu’à la tolérance, plus de50 000 huguenots français et wallons ont passé laManche, c’est-à-dire 1 % de la population britan-nique4. Ils grossissent le nombre des dissidents dontl’esprit d’entreprise a été démontré. Les compétenceshuguenotes en matière textile sont mises à profit ; l’in-dustrie anglaise de la soie aurait-elle connu, sans cetapport, l’essor qui allait être le sien ? Mais les hugue-nots se réfugient aussi en Hollande, et en Suisse oùleur exil coïncide avec les développements importantsde l’horlogerie. Louis XIV a mis le dynamisme deshuguenots au service de l’étranger.

La démonstration est brillante et convainquante : il n’ya pas une cause mais un ensemble de comportementsindividuels et collectifs. Il n’y a pas une « nature » hol-landaise ou anglaise mais il y a un modèle complexe,où tous les éléments se répondent pour entretenir ledynamisme de la société. « L’explication de la réussiteest dans les dispositions mentales », affirmait LaBruyère dans ses Caractères. Tous les observateurscontemporains de cette grande révolution culturelleeuropéenne identifient clairement le facteur humain.À l’origine il y a un défi, dit l’un ; la richesse ne découlepas des ressources, affirme un autre, mais de l’habiletéà les exploiter ; l’énergie et le courage seraient des ver-tus sans lesquelles « aucun avantage naturel ne sauraitprofiter » ; la tolérance est vue comme une source pre-mière du progrès, et l’exemple hollandais est le plus

4. Terre d’exil : l’Angleterre et sesréfugiés français et wallons de laRéforme à la Révocation de l’éditde Nantes, Bernard COTTRET,Aubier, 1985, cité par PEYREFITTE.

Le rôle des mentalités et des comportements dans le développement

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Tous les observateurs

contemporains de cettegrande révolution

culturelle européenneidentifient clairement

le facteur humain.

À l’origine du

développement,

des comportements

individuels et collectifs

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évident ; la maxime anglaise « do it by yourself »illustre bien l’état d’esprit des marchands : c’est notreaffaire, c’est notre vocation. La plupart des voyageursdans l’Europe de l’époque opposent deux mentalités :celle de la sécurité courtisane et bureaucratique (ilfaut bien entretenir une cour) à celle du profit et durisque personnel. En 1646, un certain Eon donne unportrait de la France :

« L’esprit des Français est plus dans leur tête que dansleurs mains », constate-t-il ; « ils se contentent souventde la théorie, et viennent rarement à la pratique. » Unobstacle mental demeure : « l’opposition qu’on a tou-jours en France cru être entre les qualités des nobles etdes marchands. »

La Révolution tranchera le nœud gordien mais, jusqu’àune date récente, remarque Peyrefitte, l’entreprisepublique était noble, l’entreprise privée suspecte. Laconstruction européenne et les privatisations se char-gent de tuer ces anciens préjugés. Ici, l’auteur de Lasociété de confiance redevient celui du Mal français ; ilretrouve l’origine de nos handicaps d’aujourd’hui : lestalents enchaînés, le règlement colbertiste qui metl’innovation, donc le développement, hors la loi.Placer au premier plan le facteur humain va à l’en-contre des théories déterministes dominantes (KarlMarx, Max Weber, Braudel). Ces théoriciens ne croientpas à la capacité humaine, comme le dit Braudel :

« les hommes font moins l’Histoire, que l’Histoire lesfait. »

Pourquoi agir sur les comportements

[84] © Éditions d’Organisation

“ ”L’esprit

des Français est plus dans leur tête

que dans leurs mains.

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Montesquieu avait pourtant pressenti que plus unenation est développée, moins les causes physiques ontprise sur elle, plus les causes morales la gouvernent. Ledéterminisme est l’idéologie du non-développement.Hegel oppose l’auto-détermination et le courage à ladétermination passive par la nature toute-puissante,son sol, ses raisons, telle que la subissaient Babylonienset Égyptiens. Ce n’est pas le courage aveugle, mais « lecourage de l’intelligence humaine. » Les économistesdes années 80 donnent raison aux théories du « fac-teur humain. » À Chicago, Robert Lucas fait intervenirdans son modèle de croissance un « tiers facteur », lecapital humain, alignant le qualitatif avec le quantita-tif. David Mc Clelland a identifié le besoin d’accom-plissement comme moteur principal du travail desentreprenants. Douglas Mc Gregor a popularisé l’op-position entre deux types de conceptions de l’entre-prise : dans le premier type, où prévaut l’idée quel’homme moyen répugne au travail, on trouve desstructures autoritaires, paternalistes et mécanistes quimettent l’accent sur la contrainte, l’obligation, l’inter-diction, le contrôle ; dans le type opposé, celui de lagestion participative par objectifs, les individus peu-vent poursuivre leurs fins à travers celles de l’entre-prise ; la liberté, l’initiative et la responsabilité sesubstituent à l’autoritarisme ; ce type s’adresse pourl’instant majoritairement aux cadres. Nous n’avons pasde mal à reconnaître dans cette antinomie la diver-gence de l’Europe du XVIe siècle entre société dedéfiance et société de confiance. Gélinier a souligné le« sous-développement français » en matière de

Le rôle des mentalités et des comportements dans le développement

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Les économistes des années 80 donnent raison

aux théories du « facteur humain. »

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management en l’expliquant par le fait que nousn’avons pas su ni seulement voulu relever « le défiaméricain », celui « des entreprises qui ont maîtrisé ladynamique des énergies humaines »5. CommePeyrefitte, il insiste sur l’importance de la confiance :

« Il faut être pénétré d’une profonde confiance dans lesressorts de la nature humaine, dans son aptitude àdécouvrir des solutions utiles à tirer enseignement del’expérience. »

5. Direction participative parobjectifs, O. GÉLINIER, Hommes et techniques n° 281, 1968.

Pourquoi agir sur les comportements

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Le « tiers facteur

immatériel » estindispensable pour faire

fructifier capital et travail.C’est probablement la

plus grande erreurmarxiste que de

ne pas l’avoir cru.

Nous avons sous les yeux, en Algérie, l’exemple d’un payspossédant ressources naturelles, donc possibilité de mobi-liser l’argent, et main-d’œuvre abondante, mais où l’éco-nomie est paralysée par la défiance. Le « tiers facteurimmatériel » est indispensable pour faire fructifier capitalet travail. C’est probablement la plus grande erreurmarxiste que de ne pas l’avoir cru.

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Chapitre 5

Le discoursdes

entreprisessur les

comportements

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Pourquoi agir sur les comportements

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Confrontées à une rupture avec les modèles organisa-tionnels rigides, et à une rapide transformation deleur environnement, les entreprises en sont venues,souvent contraintes et forcées, à prendre enfin encompte ce « tiers facteur immatériel. » La responsabi-lisation sur laquelle se fonde désormais toute entre-prise compétitive, le courage remis au goût du jour parServan-Schreiber, la confiance en tant que clé de lamodernité selon Peyrefitte, d’autres « compétenceshumaines » jugées indispensables pour évoluer dansune économie ouverte et flexible, tout cela appartientau domaine flou de l’irrationalité dans lequel lesmanagers ne sont pas très à l’aise. Poursuivons notrevoyage en analysant le discours des entreprises sur lescomportements, en observant comment elles ont prisprogressivement conscience de la nécessité de les inté-grer dans leur vision stratégique, et en les écoutant lesdéfinir.

Me positionnant délibérément dès 1986 dans cedomaine de la formation comportementale, encoretaboue à cette époque dans les entreprises, je me trou-vais à un poste d’observation privilégié pour suivre laréflexion des entreprises françaises sur ce sujet. Je pou-vais comparer cette évolution à celle des pays de tra-dition anglo-saxonne, à travers ce que m’en disaientmes collègues. Dans notre pays, quelques visionnaires avaientexprimé fortement leur conviction qu’il fallaitintégrer, à côté du « savoir » et du « savoir-faire », le« savoir-être » ( Edgar Faure en 1972 ), ou les « capaci-

Dans l’insertion d’abord

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Le discours des entreprises sur les comportements

tés transversales » (Bertrand Schwartz en 1978) dansl’éducation et l’insertion des jeunes. De là, on en estvenu à vouloir reconnaître les acquis de l’expérienceprofessionnelle, qui sortait de la seule logique scolaireet du diplôme comme repère exclusif. La dimensionque prenaient alors les difficultés d’insertion desjeunes en échec scolaire poussait à cette réflexion.Mais du constat à l’action il y a un pas de géant qui n’atoujours pas été franchi après les vagues successives, àpartir de 1988, de « politiques de la Ville », de« contrats Ville », de « programmes de préqualifica-tion » et autres « opérations de prévention. » Commel’a dit un ancien maire de Mantes-la-jolie,

« On a trop privilégié ce problème de l’habitat quin’était pas toujours dégradé, aux dépens de tous les pro-blèmes de la vie sociale, d’attribution des logements, oude formation. »

Le maire de Chanteloup-les-vignes, Pierre Cardo,s’étonne que la politique de la ville ait mis l’accent surla rénovation des quartiers, la réhabilitation du cadrede vie, et non sur la réhabilitation de la personne :

« Quand on m’a dit ça pour Chanteloup, en 1983, j’ai crurêver ! La ZAC ne s’est pas dégradée toute seule ! Je mesuis dit : que va changer la réhabilitation si les gens àl’intérieur ne changent pas ? S’ils ont déjà cassé, ils vontcontinuer ! Ce qu’il fallait d’abord, c’est modifier le com-portement pour savoir pourquoi ça casse. »

De la réhabilitation, on est passé à « l’accompagne-ment social », et, vers la fin des années 80, est apparuela notion d’insertion par l’économique. Enfin, brutale-

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Que va changer

la réhabilitation si lesgens à l’intérieur ne

changent pas ? Ce qu’ilfallait d’abord, c’est

modifier le comportement pour

savoir pourquoi ça casse. »

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Pourquoi agir sur les comportements

ment, on a entendu le discours sur la responsabilisa-tion du citoyen, sur « les usagers qui doivent deveniracteurs. » Beaucoup d’élus de tous bords admettentque l’on aurait dû agencer ces quatre phases dans lesens contraire.

« La société est adaptée à des cas où il y a peu de délin-quance par rapport à la norme, ajoute Pierre Cardo,mais le système devient complètement pervers dès lorsque c’est la délinquance, le non-travail, la débrouillar-dise, la non-ressource qui dominent. Où sont les repèrespour les jeunes ? »

Le sport était vu comme une panacée, une école de lavie et de la citoyenneté. Mais on a commis la mêmeerreur : la construction d’équipements avant de penserà une action sur les mentalités et les comportements.Résultat : en Seine-Saint-Denis, laboratoire de cettepolitique d’insertion par le sport, on ferme les stadesenvahis par la violence. Actuellement, nous formonspour le Conseil régional d’Ile-de-France les formateurset éducateurs de jeunes en difficulté. Nous les aidonsà passer d’une attitude « je sais et je vous enseigne » àune attitude « vous allez trouver vous-mêmes la solu-tion en résolvant ce problème. » Ces professionnels del’insertion nous le disent encore dix ans après le lance-ment de la politique de la Ville :

« Chez les éducateurs et formateurs comme chez lesélus, on ne voit pas encore bien le besoin de travaillersur les comportements avec les jeunes ; on se dit tropsouvent : ce n’est pas notre job ; la professionnalisationest en cours ; les jeunes nous mettent en face du pro-blème ; certains sont diplômés, les offres d’emploi aug-

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Nous les aidons à passer

d’une attitude « je sais et je vous enseigne »à une attitude « vous

allez trouver vous-mêmesla solution en résolvant ce problème. »

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mentent de 17 %, et pourtant ils ne trouvent pas d’em-ploi, alors où est le problème ? Les comportements ; lademande des employeurs va dans ce sens, et ils s’adres-sent plus aux Missions locales qu’à l’ANPE car nous sélec-tionnons les jeunes en tenant compte descomportements ; les entreprises cherchent essentielle-ment des jeunes capables de s’adapter, surtout avec ledéveloppement des emplois de service ; on nousdemande de cerner des personnalités. »

Ces professionnels de l’insertion ne sont pas forméspour ces nouvelles missions, et on observe aussi parmieux des freins idéologiques. Le processus de socialisa-tion est souvent présenté comme un conditionnement,un dressage, qui doit conduire les individus, une foiscomplètement socialisés, à produire automatiquementla bonne réponse aux situations dans lesquelles ilsagissent. Nombre d’entre eux ont choisi ce métier parrefus d’entrer dans le système « capitaliste » de pro-duction, synonyme d’ « exploitation », et le concept de« flexibilité » ne peut signifier que « dégraissage. » Ona envie de leur crier : « Réveillez-vous, le mondechange autour de vous ; comment aider les jeunes às’insérer dans ce monde si vous le rejetez ? » Mani-festement, l’idée que pour la première fois dans l’his-toire économique l’intérêt du « profit » rejoint l’idéehumaniste de l’accomplissement personnel, puis queles employeurs attendent des qualités qui élèventl’Homme, est parfaitement inaccessible à nombred’entre eux.

« C’est votre comportement qui fait que vous n’avez pasd’emploi, pas vos connaissances techniques ! »

Le discours des entreprises sur les comportements

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Le processus de socialisation

est souvent présenté

comme un conditionnement,

un dressage.

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Pourquoi agir sur les comportements

hurle un formateur au début d’un stage choc pourchômeurs aux États-Unis. Sourire, regarder dans lesyeux, savoir comment s’habiller, savoir se présenter,être à l’heure sont, lors d’un entretien d’embauche,des qualités au moins aussi importantes que « les con-naissances de base » ou « la découverte des métiers. » Une hirondelle ne fait pas le printemps, et la visiond’Edgar Faure et de Bertrand Schwartz n’a pas, pourl’essentiel, été suivie d’effets significatifs, ni dansl’éducation, ni dans l’insertion.

Les chercheurs qui enquêtent dans les entreprises surla prise de conscience progressive de l’importance descomportements situent à la fin des années 80 le débutde cette réflexion en France. Or, c’est à ce moment-làque nos premiers stages « Hors limites » pour cadresont connu une médiatisation considérable. Celaconfirme qu’ils ont été un déclencheur de cette prisede conscience. Certains managers et consultants sesont intéressés à ce que recouvrait cette « mode » : unconcept de formation innovant, mais aussi un besoinnouveau ressenti par certaines entreprises de travaillersur des compétences qui appartenaient jusque là audomaine du « développement personnel ». Desarticles, des thèses et des études ont commencé alors àparaître sur ce thème, des colloques ont été organisés,et bien sûr d’innombrables imitations de nos stages« Hors limites » ont commencé à fleurir. Journalistes etuniversitaires se sont tournés vers les États-Unis, per-suadés – à tort – que tout venait de là. Là-bas aussi laréflexion était partie de l’insertion des « minorités. »Les travaux de McClelland sur les comportements fac-

Une idée à la mode

dans les entreprises

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Un besoin nouveau

ressenti par certainesentreprises de travailler sur

des compétences quiappartenaient jusque là

au domaine du « développement

personnel ».

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Le discours des entreprises sur les comportements

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teurs de performance (1961) sont plus largement dif-fusés dans les entreprises et reconnus par les autorités.Le postulat de McClelland est que les tests d’aptitudeset les diplômes ne sont pas de bons prédicteurs de laréussite professionnelle. Comme Atkinson, il définit lacompétence comme une série de comportementsexplicatifs de la performance, certains de ces compor-tements étant directement observables et d’autreslatents. Il a essentiellement travaillé sur le besoind’accomplissement, jugé central dans la relation autravail. Selon lui, il existerait trois types de motivation: le besoin de réalisation, le besoin d’appartenance etle besoin de pouvoir. Mais ce besoin de pouvoir paraîtinégalement réparti entre les individus. Certains lerecherchent de façon effrénée, tandis que d’autres selimitent aux comportements nécessaires pour assurerleur « survie » dans l’organisation, en termes d’auto-nomie et de liberté. McClelland s’intéresse d’une partaux comportements en entreprise qui distinguent cequi réussissent de ceux qui réussissent moins, d’autrepart aux moyens de repérer ces comportements dansle passé des individus, considérant que si ces compor-tements ou ces compétences se sont manifestés, alorsils peuvent se reproduire dans le futur. Il propose desoutils tels que le Behavorial Event Interview (BEI) pourle recrutement. Les onze compétences de base deMcClelland sont :

• initiative,

• ténacité,

• créativité,

• sens de l’organisation,

“”

Le postulat de McClelland

est que les testsd’aptitudes et les

diplômes ne sont pas de bons prédicteurs

de la réussiteprofessionnelle.

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• esprit critique,

• contrôle de soi,

• aptitude au commandement,

• persuasion/influence,

• confiance en soi,

• relations interpersonnelles,

• préoccupation et sollicitude envers les autres.

Dans sa thèse de doctorat à l’université des sciencessociales de Toulouse (1997), Sandra Michel-Bellier situela découverte du « savoir être » dans les entreprisesfrançaises au moment où commencent à s’élaborerdiverses nomenclatures d’emploi et des référentiels decompétences.1 Ceux-ci s’inscrivent dans le mouvementde la gestion prévisionnelle des emplois et des compé-tences qui suit la vague des plans sociaux des années1980 et précède celle du début des années 1990.Pendant ce court laps de temps,

« l’idée se répand dans les grandes entreprises que si l’ona licencié de manière brutale et nombreuse, c’est parcequ’on n’avait pas su anticiper. »

Pour prévoir et maîtriser la gestion des ressourceshumaines,

« il faut se lancer dans des politiques clairement affi-chées de mobilité interne, seule source de flexibilité quipermet d’éviter le recours aux licenciements. Or la mobi-lité interne oblige à regarder autrement les compé-tences. En effet, si l’on veut imaginer une organisationdans laquelle chacun puisse changer de carrière en fonc-

1. Le Savoir-être dans l’entreprise,Sandra MICHEL-BELLIER, InstitutVital Roux, 1998.

Pourquoi agir sur les comportements

[94] © Éditions d’Organisation

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tion de l’évolution des besoins, il faut décrire les compé-tences non pas dans leur lien avec chaque emploi spéci-fique, mais au contraire dans ce qu’elles ont de commun,de transférable, de générique, de réutilisable ailleurs. »

De là viennent les méthodes pour repérer les compé-tences « transférables » qui permettent de passer d’unemploi à l’autre. Cela suppose d’admettre que l’onpeut réutiliser dans une circonstance nouvelle descompétences acquises dans une situation connue. Leconcept de compétences « transversales » réaliseensuite la synthèse entre « générique » et « transfé-rable. » Le débat est réactivé au moment du vote de laloi de juillet 1992 sur l’accès à l’université lorsqu’oncommence à parler de la validation et de la reconnais-sance des acquis. Si la loi propose autre chose qu’unelogique de diplôme, il faut bien définir ce que sont ces« compétences transversales acquises. » La Commissioneuropéenne, en déclarant l’année 1996 « Année euro-péenne de l’éducation et de la formation tout au longde la vie », va permettre aux professionnels français decomparer nos pratiques avec celles des autres pays. EnGrande-Bretagne, les « qualifications professionnellesnationales » (NVQ = National Vocational Qualifica-tions) sont des normes de performances dans lesgrands domaines d’activité, définies sous forme de« résultats d’apprentissage », quels que soient lesmoyens, la durée et la méthode d’apprentissage. Lescomportements sont très présents dans la descriptiondes niveaux de qualification , et davantage encoredans « qualifications générales » (GNVQ = GeneralNational Vocational Qualifications) : aptitude àapprendre et à se former, travail en équipe, communi-

Le discours des entreprises sur les comportements

© Éditions d’Organisation [95]

“”

Si la loi propose autre

chose qu’une logique de diplôme, il faut bien

définir ce que sont ces « compétences

transversales acquises. »

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cation... Ce brassage d’idées et d’expériences enEurope stimule le débat, et on entend des sociologuesposer la question de fond : la réussite professionnellefondée sur un savoir académique produit de l’exclu-sion mais, avec la reconnaissance du « savoir-être »comme facteur de performance, chacun, y compris lesexclus d’un système obsolète, pourront peut-êtreacquérir ces nouveaux comportements si on leurdonne l’opportunité de vivre des expériences adé-quates. Mais l’on suppose en même temps qu’il ne suf-fit pas de vivre une expérience pour qu’elle génèredurablement ces comportements ; tout dépend de lamanière de capitaliser l’expérience ; et ce débat ren-voie logiquement à l’intelligence (mais il plus politiquede parler de « compétences transférables »), aux pro-cessus mentaux de l’apprentissage et à l’expérienceconçue pour une situation de formation. Cette idée seheurte à l’entendement de beaucoup d’universitaires,qui ont du mal à imaginer qu’une compétence acquiselors d’une expérience puisse être transposée incons-ciemment par le sujet dans une future expérience. Ceprocessus d’apprentissage incompréhensible est pour-tant fondamental : dès lors que l’expérience est trans-formée par la réflexion au moyen d’une pédagogieclaire et éprouvée, le transfert dans la vie profession-nelle se fait de manière beaucoup plus inconscienteque consciente.Nous en sommes à considérer que le « bon manager »est celui qui obtient de ses subordonnés les comporte-ments professionnels désirés. Le discours dominant desannées 1970 était celui de la motivation. Dans lesannées 1990, le discours sur le « savoir-être » ou sur les« compétences transférables » est une tentative de res-

Pourquoi agir sur les comportements

[96] © Éditions d’Organisation

“”

Dès lors que l’expérience

est transformée par laréflexion au moyen d’une

pédagogie claire etéprouvée, le transfert

dans la vie professionnelle se fait

de manière beaucoup plusinconsciente

que consciente.

La réussiteprofessionnelle

fondée sur un savoiracadémique produit del’exclusion mais, avec la

reconnaissance du« savoir-être » comme

facteur de performance,chacun, y compris lesexclus d’un système

obsolète, pourront peut-être acquérir ces

nouveaux comportementssi on leur donne

l’opportunité de vivre desexpériences adéquates.

Tout dépend de lamanière de capitaliser

l’expérience.

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ponsabiliser le salarié. Les années 2000 sont celles dupassage à l’acte : le mot « comportement » n’est plustabou, et parions que la « formation du caractère »redeviendra bientôt à la mode. Déjà des conférencesinternationales sont organisées sur ce thème à laMaisons blanche et à la Commission européenne.

Un facteur aussi essentiel de la performance et de laréussite d’une carrière reste une notion floue quiembarrasse bien des responsables des ressourceshumaines. Constatant que les ouvrages sur les compor-tements en entreprise sont très rares, Sandra Michel-Bellier en vient à analyser des centaines de documentssur le « savoir-être », émanant des entreprises. Elle tirede cette analyse du discours des managers la conclu-sion que si la vision est consensuelle la définition estfloue. Le « savoir-être » est ce qu’on ne sait pas nom-mer, ce qui est en plus de ce qui s’apprend. La compé-tence est définie comme la somme de savoirs,savoir-faire et savoir-être. Elle regroupe les « savoir-être » citées par les entreprises en cinq catégories :

• les qualités morales,

• le caractère,

• les aptitudes et traits de personnalité,

• les goûts et intérêts,

• les comportements.

Ils sont admis comme une évidence ; ils ont un mêmeobjet : décrire la personnalité ; ils présupposent quel’individu est la cause de ce qui lui arrive.

Le discours des entreprises sur les comportements

© Éditions d’Organisation [97]

“”

Le « savoir-être »

est ce qu’on ne sait pas nommer, ce qui

est en plus de ce qui

s’apprend.

En France, tout

commence par une

bataille sémantique

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Dans le discours des entreprises, les qualités moralessont seules capables de corriger les tendances natu-relles. On retrouve le moralisme républicain desgrandes heures de l’école publique, sous un vocableplus tendance : l’éthique. On ressort aussi le vieuxdébat de l’inné et de l’acquis. Quant au caractère, défini par Le Senne (1945) comme« le squelette mental d’un homme », on retombe têtebaissée dans les anciennes typologies, sous-entendu : ilsuffit de déterminer la case dans laquelle vous êtespour prédire vos comportements. Comme ce seraitsimple, et comme cela nous exonérerait de former denouveaux comportements ! Êtes-vous nerveux commeBaudelaire ou Chopin, sentimental comme Rousseauou Robespierre, colérique comme Victor-Hugo ouGambetta, passionné comme Napoléon et Pasteur,sanguin comme Montesquieu et Mazarin, flegmatiquecomme Washington et Franklin, amorphe comme LaFontaine, ou apathique comme Louis XVI ? Chacun ases critères discriminants : les humeurs pour lesanciens, l’heure de naissance et la position de la lunepour l’astrologie, la forme du corps et donc du sque-lette pour le XIXe siècle, le métabolisme congénitalpour Sheldon, l’investissement de la libido pour Jung(introvertis/extravertis). Les entreprises voient les aptitudes comme apparte-nant au champ cognitif et psychomoteur et ayant unedimension psycho-affective. La compétence est la miseen œuvre d’aptitudes. On se souvient que le premiertest d’intelligence fut créé en 1905 par le FrançaisAlfred Binet, qui formera Jean Piaget ; le psychologueniçois élabora pour les enfants des tâches similaires

Pourquoi agir sur les comportements

[98] © Éditions d’Organisation

“”

On retombe tête baissée

dans les anciennestypologies, sous-entendu :

il suffit de déterminer la case dans laquelle

vous êtes pour prédire vos

comportements.

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aux tâches scolaires, et il pouvait extrapoler à partirdes comportements observés la réussite ou l’échec sco-laire ; c’est l’ancêtre des techniques anglo-saxonnes del’Assessment Center pour le recrutement en entre-prise. Les traits de personnalité sont, eux, des caracté-ristiques pouvant permettre d’identifier unepersonne : sociabilité, force du moi, extraversion, mas-culinité... En gestion des ressources humaines, il estadmis que le repérage des traits permet de prédire lescomportements. Dans le pays de Descartes, il étaitfatal de voir les choses de cette manière rationnelle etmathématique. On est très proche de la caractérolo-gie. Attention, impasse ! L’idée générale est que lapersonnalité existe, qu’elle est cause du comporte-ment, et que l’environnement est en second plan.En amont du caractère, on trouve les goûts et intérêts,sous-tendus par les aptitudes, dont ils sont une mani-festation. La typologie de Holland (1966-1973) estcitée ; à partir d’un questionnaire, on repère les inté-rêts dominants de l’individu par rapport aux caracté-ristiques d’un métier ; la typologie comprend six typesprincipaux donnant lieu à diverses combinaisons : réa-liste – investigatif – artiste – social – entreprenant –conformiste. Sandra Michel-Bellier retrouve là, à justetitre, la « tentation totalitaire » d’un système de pen-sée dans lequel il suffit d’avoir un indice pour endéduire toute une série de prévisions de comporte-ment. On se contente de constater, on ne construit pasune théorie.D’après l’analyse du discours des entreprises, les com-portements sont considérés comme des réactions à desstimuli pour s’adapter aux variations du milieu exté-

Le discours des entreprises sur les comportements

© Éditions d’Organisation [99]

“”

En amont du caractère,

on trouve les goûts et intérêts, sous-tendus

par les aptitudes, dont ils sont

une manifestation.

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rieur ou intérieur. Cette définition reste influencée parles théories behavioristes américaines (Skinner 1938).Mais dans le langage courant, les comportements sontreliés aux attitudes. L’idée prévaut que la compétence« savoir-être » est constituée d’une série de capacités àélaborer des comportements adaptés à des situationsprofessionnelles données, par exemple la capacité àanimer, convaincre, avoir le sens de la négociation,avoir un rôle d’interface... Le comportement seraittoujours quelque chose d’appris en situation. SandraMichel-Bellier voit trois raisons à la préférence desorganisations pour le concept pas assez « scienti-fique » à son goût de « comportements » : les com-portements permettent de coller à la logique desrésultats ; ils collent à la logique professionnelle, s’éloi-gnent de la psychologie pour se rapprocher du mana-gement ; enfin ils correspondent à la logique dunon-dit, du bon sens et de l’intuition : on entre dans lemonde de la culture comme mode de gestion, et celadéplaît souverainement aux universitaires et expertsqui se voient retirer du pouvoir.Cet inventaire nous permet de partir de la réalité desentreprises françaises, de leur perception de ce quesont les comportements, de ce qui les explique, oumême de ce qui peut permettre de les prédire.L’auteur de la thèse remarque que la psychanalyse etla psychosociologie sont absentes de ce discours. Elle yvoit deux raisons : ces deux sciences sont d’une partréfractaires aux typologies que les « managers ration-nels » affectionnent, et d’autre part il leur manque lavalorisation du sujet « agissant », cause de ce qui luiarrive.

Pourquoi agir sur les comportements

[100] © Éditions d’Organisation

D’après l’analyse

du discours desentreprises, les

comportements sontconsidérés comme desréactions à des stimuli

pour s’adapter auxvariations du milieu

extérieur ou intérieur.Mais dans le langage

courant, lescomportements

sont reliés aux attitudes.

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Mon ami consultant Guy Rullaud, déjà cité (Headic &Adlance), a de son côté compilé les critères retenus parles entreprises par les chasseurs de tête dans leursoutils d’évaluation du personnel et de sélection desmeilleurs profils, et par les auteurs d’articles dans lesrevues internationales de ressources humaines sur « lebon comportement du chef. » En y ajoutant son intui-tion personnelle, il en est arrivé à 65 critères de réus-site des managers. Bien sûr, il n’est pas question d’êtreparfait sur l’ensemble des 65 critères ! Le but poursuivin’est donc pas de viser la perfection mais d’identifierles critères dans leur totalité afin d’être à même de sepositionner par rapport à chacun d’eux. Cette grille,qu’il m’autorise à publier en annexe (page 469), per-met aussi à ses clients de construire avec son aide leurplan de développement professionnel et leur plan deformation.

« On ne sait pas quel est le bon ou le mauvais compor-tement dans l’absolu, me dit-il. Il y a le comportementpour faire plaisir, pour être conforme, et il y a le com-portement pertinent, adapté au rôle que l’on tient. »

Ce questionnaire peut permettre à l’environnementprofessionnel (pairs, supérieurs, subordonnés) de don-ner sa perception de son collègue. Parmi les critères,classés par ordre alphabétique, retenons par exemple :

• s’adapte : s’accommode bien du stress, agit sansperdre ses repères ;

• bienveillance : développe une écoute active, refor-mule l’opinion d’autrui avec authenticité, sait avoirde l’empathie ;

Le discours des entreprises sur les comportements

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Les 65 critères clefs

de succès dans

le management actuel

“ ”On ne sait

pas quel est le bon ou le mauvais

comportement dans l’absolu.

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• connaissance de soi : développe régulièrement saconnaissance de soi et la compréhension de ses fonc-tionnements personnels ;

• équipe : est orienté(e) vers le travail d’équipe,construit est restaure de bonnes relations entre lesmembres, utilise les compétences et sait faire tra-vailler ensemble en favorisant les synergies et la par-ticipation de tous ;

• Feed-back : exprime de l’information en retourauprès de ses subordonnés, de ses supérieurs, de sespairs, voire des clients ;

• intégrité : a un système de valeur bien établi qui afait ses preuves par le passé, sait être impartial(e) ;

• maturité : a de bonnes relations avec ceux qui incar-nent l’autorité ;

• responsabilité sociale : apprécie le besoin de remplirle rôle de chef dans le cadre de cette responsabilité,y compris dans la dimension sociétale ;

• sensible : perçoit les nuances des sentiments d’au-trui ;

• tolérant(e) à l’ambiguïté, capable de supporter laconfusion ou l’incertain.

« L’éducation, ce n’est pas savoir utiliser un ordinateur,c’est la maîtrise de soi »,

déclarait en 1999 le directeur général de l’UNESCO.Dans les grandes entreprises, il est bien vu que le pré-sident s’auto-proclame « libéral-humaniste » et

Pourquoi agir sur les comportements

[102] © Éditions d’Organisation

Les comportements,

nouvel étalon

de la réussite

professionnelle

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affirme que ce ne sont plus les diplômes qui font la dif-férence parmi ses employés mais les comportements.Jusqu’au Président de la République qui ne manquejamais une occasion d’associer la modernité à de nou-veaux comportements et mentalités. Il est intéressantde connaître le point de vue américain sur les compor-tements requis dans les entreprises. Daniel Goleman,élève de McClelland, connaît une notoriété mondialepour avoir écrit en 1995 L’Intelligence émotionnelle2.Ce best-seller a le mérite de faire, pour le grand public,la synthèse des dernières découvertes des neuros-ciences en ce qui concerne le processus mental d’ap-prentissage, comme nous le verrons dans la deuxièmepartie. Il a eu le coup de génie de désigner par « intel-ligence émotionnelle » les aptitudes humainesqu’exige notre époque : conscience de soi, maîtrise desoi, empathie, art de faire attention à autrui, derésoudre des conflits, sens de la coopération. Pour cetauteur, il s’agit d’une autre manière d’appeler le carac-tère. C’est autre chose que de laborieux débats séman-tiques à la française, et cela a le mérite de signifierclairement l’importance de la dimension émotionnelletrop longtemps négligée dans le management et dansla formation ; un continent à explorer. Nous préféronspour notre part, dans un souci de simplicité, parler descomportements, car c’est bien à ce niveau-là que deschangements sont attendus, quels que soient lessources et les mécanismes de ces changements.Selon Goleman, la capacité à diriger une équipe etl’adaptation au changement ont à partir des années90 un impact important sur la réussite professionnelle.Des qualités telles que l’adaptabilité, l’initiative et

2. L’Intelligence émotionnelle,Daniel GOLEMAN, Robert Laffont,1997.

Le discours des entreprises sur les comportements

© Éditions d’Organisation [103]

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l’optimisme sont des qualités très recherchées auxÉtats-Unis. Chez les représentants nouvellement enga-gés par un fabricant d’ordinateurs, ceux qui ont étérecrutés sur leurs compétences émotionnelles ont90 % de chances supplémentaires d’aller au terme deleur formation par rapport à ceux qui ont été embau-chés sur d’autres critères. Le QI ne suffit plus, il faut enplus avoir un bon QE. Or, on assiste à un paradoxe :plus les enfants obtiennent un score élevé au test duQI, plus leur intelligence émotionnelle régresse.D’après des enquêtes très troublantes, les enfantsdeviennent plus solitaires et plus déprimés en grandis-sant, plus irritables, moins disciplinés, plus nerveux etangoissés, plus impulsifs et agressifs. Une étude deréférence sur des cadres licenciés révèle que les deuxcaractéristiques les plus fréquentes de ceux qui ontéchoué sont la rigidité (ils ne savaient ni écouter niapprendre) et de mauvaises relations humaines (tropmordants dans les critiques, insensibles, exigeants).Nous retrouvons le principe de Peter : les gens sontpromus à un niveau où ils cessent d’être compétents.Le prix Nobel de physique Ernest O. Lawrence le ditbien :

« En science, l’excellence n’est pas une question de com-pétence technique mais de caractère. »

Dans son deuxième tome, paru en 1998, Golemanadapte la liste des onze compétences de son maîtreDavid McClelland et classe les compétences émotion-nelles (nous dirions comportementales) en cinq caté-gories.

Pourquoi agir sur les comportements

[104] © Éditions d’Organisation

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Le QI ne suffit plus,

il faut en plus avoir unbon QE. Or, on assiste

à un paradoxe : plus lesenfants obtiennent un

score élevé au test du QI,plus leur intelligence

émotionnelle régresse.

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Trois relèvent de la compétence personnelle :

• conscience de soi,

• maîtrise de soi,

• motivation.

Deux relèvent de la compétence sociale :

• empathie,

• aptitudes sociales.

La conscience de soi est une sorte de gouvernailintérieur pour mettre nos décisions professionnelles enharmonie avec nos valeurs les plus profondes ; c’estreconnaître ses émotions et leurs effets, c’est s’auto-évaluer avec précision. Un dirigeant de Shell confirme :« Si vous voulez que la créativité explose vraiment, sivous espérez des résultats vraiment exceptionnels,vous devez travailler à faire coïncider les aspirations etles valeurs individuelles du personnel avec celles del’entreprise. » Reconnaître ses « points de travail » estpour beaucoup de dirigeants, à leurs propres yeux, unaveu de faiblesse, un avantage donné à ses rivaux. Lespatrons s’auto-évaluent très mal. La capacité d’écouteet la souplesse qu’ils pensent avoir ne sont pas aussiévidentes du point de vue de leurs pairs ou de leurssubordonnés. C’est l’exemple que nous connaissonstous du tic verbal (ponctuer ses phrases d’un mêmemot ou d’une même expression : « en somme »,« absolument », « dans le fond », « quelque part »...Nous ne nous en rendons compte que lorsque un

Le discours des entreprises sur les comportements

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En science, l’excellence

n’est pas une question de compétence technique mais de caractère.

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proche ose nous en faire la remarque. La conscience desoi conditionne la confiance en soi, qui elle-même estla source du courage et de la responsabilité. C’est lacondition de l’excellence professionnelle.

La maîtrise de soi. Se maîtriser signifie que l’on saitgérer ses états intérieurs et ses impulsions, fairepreuve de souplesse et d’innovation. Un fonctionne-ment mental d’urgence s’est élaboré il y a des millionsd’années et continue de se traduire pour nous par desperturbations émotionnelles : anxiété, panique, frus-tration, irritation, colère. Détournant les ressources dela mémoire active pour les affecter à d’autres sitescérébraux afin de garder tous les sens en état d’alerteoptimal, ce fonctionnement d’auto-protection de nosancêtres de l’âge du feu devient, par un curieux ren-versement, un handicap à notre survie professionnelle.Le stress, lui, est biochimique : une petite glande denotre cerveau (l’amygdale) déclenche le signal depanique, des hormones de stress (CRF et cortisol) sontlibérées dans le sang. S’il se prolonge, le stress peutavoir des conséquences dramatiques sur l’intellect.Goleman donne l’exemple d’un ingénieur qui, pour seprotéger du stress, travaille sur le clavier de son ordi-nateur avec des écouteurs sur les oreilles ; tout lemonde pense qu’il écoute de la musique, mais en faitil n’écoute rien, les écouteurs ne servent qu’à empê-cher ses collègues et les sonneries téléphoniques deperturber sa concentration ! Motivation et émotion sont deux mots dérivés du latinmovere, qui signifie « bouger », « mouvoir. » Une émo-tion est ce qui nous meut, nous fait progresser vers unbut.

Pourquoi agir sur les comportements

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La conscience de soi

conditionne la confianceen soi, qui elle-même

est la source du courageet de la responsabilité.

C’est la condition de l’excellence

professionnelle.

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La motivation est ce qui nous pousse à agir, et touteaction commence par une émotion. Notre cerveau estainsi fait qu’il est capable de stocker le plaisir ou ledéplaisir éprouvé dans une situation, et ce sont lesémotions qui sélectionnent l’élément important decette banque de données. L’adhésion des employésaux objectifs de l’entreprise est considérée commeétant un engagement plus grand que toute incitationfinancière.Le courage, l’obstination et l’optimisme, sont les pre-miers facteurs de motivation, selon Goleman.

L’empathie est, selon Carl Rogers, « une considéra-tion positive inconditionnelle » ; c’est par exemple lacapacité d’envisager une situation du point de vue duclient et de travailler à sa réussite. Cela suppose d’êtredoté en quelque sorte d’un « radar social » qui nousrend capable de déchiffrer les luttes d’influence etl’organisation du pouvoir d’une entreprise étrangère.C’est l’aptitude à ressentir ce que ressentent les autressans qu’ils aient besoin de le dire. Pour connaître lesautres, il faut se comprendre soi-même. C’est la princi-pale qualité, avec la maturité, que nous attendons denos formateurs dans nos séminaires de développe-ment professionnel. D’après Goleman, le vieux stéréo-type du vendeur extrêmement chaleureux et affable avécu : les acheteurs préfèrent les représentants les plusempathiques, ceux qui tiennent compte de leursbesoins et de leurs soucis. L’empathie, disons nous ànos clients, n’est pas une technique de manipulation,c’est une qualité que l’on a en soi et qu’il s’agit dedévelopper par des mises en situations. Elle n’est pasune analyse psychologique, et elle ne consiste pas non

Le discours des entreprises sur les comportements

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L’empathie, n’est pas

une technique demanipulation, c’est unequalité que l’on a en soi

et qu’il s’agit dedévelopper par

des mises en situations.

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Le courage, l’obstination

et l’optimisme, sont les premiers

facteurs de motivation.

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plus à être d’accord avec les autres. Elle permet de sen-tir les besoins et les carences des autres, et par consé-quent des les aider à améliorer leurs performances.

Les aptitudes sociales. Sachant que les bons senti-ments se répandent plus facilement que les mauvais,et que leurs effets sont extrêmement salutaires, avoirdes aptitudes sociales signifie que l’on sait propagerdes sentiments positifs et dissuader la libre expressiondes sentiments négatifs qui « empoisonnent le puits. »Un chef d’entreprise qui essaie d’imposer ses idées aulieu de ménager un large consensus réussira nette-ment moins bien. Il faut reconnaître que les Anglo-Saxons savent manier une arme redoutable pour cela :l’humour. Dans toutes les réunions internationalesauxquelles je participe, je suis terriblement frustré dene pas comprendre la subtilité des anecdotes et desplaisanteries qui ponctuent les discours les plussérieux. Ne maîtrisant pas moi-même cet art, j’ai sug-géré à ma mère, qui célébrait les vingt ans du Club del’âge d’or qu’elle fonda à Fréjus, de ponctuer son dis-cours de nombreuses anecdotes ; j’ai eu le plaisir deconstater qu’elle avait suivi mon conseil avec grandsuccès. L’aptitude sociale est le meilleur moyen d’in-fluencer sans manipuler.

« Les plus grands professionnels, disait un analyste finan-cier réputé, ne sont jamais ceux qui recherchent desavantages de statut, de prestige, ou de rémunération audétriment des autres et de l’entreprise. »

Amener les parties en conflit sur la voie de la coopéra-tion, les aider à trouver des solutions qui leurs per-

Pourquoi agir sur les comportements

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L’aptitudesociale

est le meilleur moyend’influencer

sans manipuler.

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mettent toutes de gagner, est un art admirable qui secultive. On peut constater qu’on est naturellementattiré par les gens doués pour l’amitié et la coopéra-tion. Encore une fois, ces qualités se travaillent,contrairement à ce que l’on a trop longtemps cru.Enfin, l’aptitude à travailler en équipe est essentielle.Une expérience américaine, portant sur cent vingtéquipes de gestion fictives constituées d’étudiants, arévélé que les équipes à fort quotient intellectuelobtenaient des résultats plus mauvais que d’autreséquipes dont les membres étaient moins brillants ;elles gaspillaient leur temps dans des débats qui tour-naient à d’interminables séances de compétition sco-laire ; de plus, toutes ces équipes à fort QI ont optépour le même type de tâches, l’analyse des aspectscomplexes du travail. Personne n’a pris en charge lesautres aspects tout aussi nécessaires de ce travail : éta-blir un planning, recueillir et échanger des informa-tions pratiques, noter les différentes étapes de laréflexion commune, mettre au point un plan d’action.Dans nos séminaires, nous avons des exercices com-plexes qui révèlent une telle aptitude en deux heures.Les séminaires de « cohésion d’équipe » ne sont pas ungadget mais ont des bénéfices évidents : les personnesapprécient le mélange de coopération et de libertéaccrue qu’offrent des équipes de travail autonomes ets’y épanouissent davantage. Le turn-over et l’absen-téisme baissent généralement. Mais le plus importantest qu’elles apportent une valeur ajoutée à l’entre-prise, qui peut s’élever d’après certaines enquêtes jus-qu’à 30 %.

Le discours des entreprises sur les comportements

© Éditions d’Organisation [109]

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« Le développement personnel entre doucement maissûrement dans le Management »,

observait il y a quelques années Pierre Caspar, duCNAM. Nous venons de voir comment les bouleverse-ments dans l’environnement et dans les modèles d’or-ganisation des entreprises ont provoqué une réflexionsur la nécessité d’identifier les comportements profes-sionnels désormais sollicités. Nous avons égalementobservé qu’en France, comme dans les pays anglo-saxons mais avec quelques années de retard, la plupartdes entreprises ont intégré cette nouvelle donne stra-tégique. Les entreprises changent parce qu’elles y sontcontraintes. On en est encore à nommer et à lister cescompétences relationnelles, comportementales etcognitives jugées nécessaires. C’est une étape touterationnelle, dans laquelle les DRH se sentent encore àl’aise : établir ou sélectionner des référentiels, conce-voir ou acheter des questionnaires d’évaluation, orga-niser des entretiens individuels et tenir compte de cesnouvelles compétences existantes pour le recrutementet le plan de carrière ; en général le processus est enmarche. Non sans provoquer des inquiétudes : ces nou-veaux critères d’évaluation sont flous, subjectifs et dif-ficilement quantifiables ; souvent non définisofficiellement, ils échappent à la négociation syndi-cale. Les salariés craignent à juste titre les dérives del’arbitraire, de la manipulation, de l’imposition dedogmes culturels. Selon Sandra Michel-Bellier, le nou-veau credo « vous êtes responsables de votre façon detravailler » est la porte ouverte à tous les abus : com-ment en vouloir à l’entreprise qui vous rejette puisquevous êtes la cause de ce qui vous arrive ? Tout cela ne

Pourquoi agir sur les comportements

[110] © Éditions d’Organisation

Le développement

personnel devient

le développement

professionnel

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Le développement personnel entredoucement mais sûrement dans le Management

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serait-il au fond qu’un nouveau moyen de maintenir lepouvoir des chefs ? N’y a-t-il pas un paradoxe àattendre un engagement de chacun dans l’entrepriseet en même temps à préparer les salariés à la quitter àtout moment ? La nécessité de changer les comporte-ments ne donne pas lieu à de grandes interrogations,mais ce sont les modalités de mise en place de ce nou-vel étalon de la réussite professionnelle et les inten-tions sous-jacentes qui suscitent la crainte et mêmel’angoisse. À trop vouloir technocratiser une matière siréfractaire aux schémas déterministes et rationnels, lesrelations entre les salariés et l’organisation en sontprofondément modifiées.

La grande absente pour l’instant, c’est la formation deces nouveaux comportements. Et pourtant nousl’avons dit : la formation est la clé du changement desorganisations. Il y a pléthore d’outils d’évaluation del’existant mais un grand vide et un désarroi en ce quiconcerne les formations de nouveaux comportements.Le piège est de reprendre à son compte les bonnesvieilles recettes de la grande période du développe-ment personnel qui a eu son heure de gloire dans lesannées 70. Or cela n’a rien a voir. Le développementpersonnel répond à des besoins personnels : unensemble de processus psychologiques qui entrent enjeu pour permettre de satisfaire un besoin personnel-lement ressenti d’accomplissement (effectuer un tra-vail sur soi ou sur sa relation aux autres, par exemple).L’initiative appartient au salarié qui choisit dans lecatalogue de formation maison ou dans celui d’orga-nismes extérieurs le stage qui lui conviendra. Les

Le discours des entreprises sur les comportements

© Éditions d’Organisation [111]

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Les salariés craignent

à juste titre les dérives de l’arbitraire,

de la manipulation, de l’imposition

de dogmes culturels.

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Travailler sur les attitudes

plus que sur les aptitudes

réponses sont essentiellement de l’ordre du « psy » oudes techniques prêt-à-porter. Le développement pro-fessionnel, concept récent, répond lui à des besoins del’entreprise : les capacités relationnelles, comporte-mentales et cognitives stratégiques sollicitées par sonorganisation et son activité (l’autonomie et la respon-sabilisation, l’adaptabilité, le travail en équipe et enréseau, l’écoute, la coopération, l’acceptation de la dif-férence, le droit à l’erreur, le leadership, la capacité àapprendre à apprendre...). L’initiative appartient àl’entreprise qui conçoit ou fait concevoir des pro-grammes sur mesure. Naturellement un séminaire dedéveloppement professionnel peut avoir des effets dedéveloppement personnel, mais ce n’est pas le but pre-mier. Cette distinction est pour nous importante pourlever la suspicion de la manipulation ou de l’ingérencedans la sphère privée : il ne s’agit pas de révéler etencore moins de juger la personnalité intime mais detravailler sur le comment une personne et un groupes’organisent pour réaliser une tâche. Le « comment »et non le « pourquoi. » L’ « ici et maintenant » et non« dites-moi tout sur votre passé. » D’où le choix du mot« comportement » au lieu de « savoir-être », « atti-tudes » ou « compétences sociales », qui évoquent plusla personnalité et la thérapie que l’activité profession-nelle.

Terminons ce chapitre, consacré au discours des entre-prises sur les comportements par un sondage réalisé enFrance auprès de 184 entreprises, dirigeants et DRH degrandes entreprises (34 %) et de PME (66 %). Il a étéréalisé en 1998 par le cabinet Aon Consulting, en col-

Pourquoi agir sur les comportements

[112] © Éditions d’Organisation

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Il ne s’agit pas de révéler

et encore moins de jugerla personnalité intime

mais de travailler sur lecomment une personne

et un groupe s’organisentpour réaliser une tâche.

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laboration avec l’ANDCP (Association Nationale desDirecteurs et Cadres de la Fonction Personnel). La ges-tion du changement et le leadership sont identifiés parcette enquête comme les compétences actuellementles plus importantes pour réussir dans la fonction RH.L’implication du personnel a été sélectionnée commefacteur le plus important pour améliorer la producti-vité. Mais surtout, pour 72 % des sondés, les attitudesliées au travail (comportements) sont les plus grandeslacunes parmi les candidats à un poste, contre 28 %pour les aptitudes liées au travail (savoirs et savoir-faire). D’autres résultats peuvent être soulignés :

Compétences évaluées « faibles » parmi les candidats àun poste non-managerial :

Créativité/Innovation 38 %

Faire face au changement 36 %

Communication 29 %

Compétences de base (lire, écrire, compter) 24 %

Résolution de problèmes 23 %

Compétences évaluées « faibles » parmi les candidats àun poste de management :

Communication 29 %

Créativité/Innovation 24 %

Relationnel/Travail en équipe 21 %

Le discours des entreprises sur les comportements

© Éditions d’Organisation [113]

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D’où le choix du mot

« comportement » au lieude « savoir-être »,« attitudes » ou

« compétences sociales »,qui évoquent plus la

personnalité et lathérapie que

l’activité professionnelle.

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Compétences évaluées « faibles » parmi le personnelnon-managerial :

Créativité/Innovation 59 %

Communication 50 %

Résolution de problèmes/Raisonnement 36 %

Compétences de base (lire, écrire, compter) 23 %

Attitudes liées au travail 20 %

Compétences évaluées « faibles » parmi les managersactuels :

Communication 39 %

Créativité/Innovation 33 %

Relationnel/Travail en équipe 26 %

Ces résultats confirment que le développement denouveaux comportements est aujourd’hui le défimajeur du management, bien avant les formationstechniques, théoriques et le repli sur le métier.Ce même sondage ayant été réalisé aux États-Unis eten Grande-Bretagne, nous pouvons comparer sesrésultats avec ceux du sondage français :

Pourquoi agir sur les comportements

[114] © Éditions d’Organisation

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Le développement

de nouveauxcomportements est

aujourd’hui le défi majeurdu management, bienavant les formations

techniques, théoriques et le repli

sur le métier.

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Comparaisons France-Grande-Bretagne-USA :

France U.K U.S.A

Le besoin de compétences est le changement le plus important 43 % 21 % 23 %

Accroissement de l’implication du personnel comme meilleure source d’amélioration de la productivité 41 % 21 % 20 %

Les compétences des candidats correspondent aux exigences des emplois 35 % 47 % 40 %

Les plus grandes lacunes des candidats sont les attitudes liées au travail 72 % 51 % 56 %

Motivation, compétence « faible » des candidats 17 % 37 % 22 %

Relationnel/Travail en équipe, compétences « faibles » des candidats 15 % 24 % 37 %

Ce comparatif peut s’expliquer – mais le sondage ne ledit pas – par le fait que les Anglo-Américains ont prisen compte bien avant les Français la dimension com-portementale, ont agi sur ce facteur de la compétiti-vité, et que celui-ci représente un peu moins un défimais reste tout de même un objectif à égalité avec laformation des aptitudes théoriques et techniques.Johanne Aubé, qui dirigeait Aon Consulting en Franceà l’époque de ce sondage, conclut :

Le discours des entreprises sur les comportements

© Éditions d’Organisation [115]

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Pourquoi agir sur les comportements

[116] © Éditions d’Organisation

« Pensez au scénario suivant : vingt de vos collaborateurssont en train de travailler sur un processus fondamentalpour votre entreprise. Si l’on se réfère au sondage, 16d’entre eux au moins peuvent ne pas être en possessiondes compétences nécessaires pour réaliser efficacementce travail ! Imaginez les conséquences possibles entermes de pertes de productivité, de qualité, de satisfac-tion des clients, d’innovation et l’impact sur le travail del’équipe, son entente dans de telles conditions.(...)Pensez aussi à cette foule de personnes recherchant unemploi et considérez que seulement 36 % de ces candi-dats potentiels seront capables de satisfaire aux exi-gences des postes que vous offrez. »

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Considérez que seulement

36 % de ces candidatspotentiels seront capables

de satisfaire auxexigences

des postes que vous offrez.

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© Éditions d’Organisation [117]

Chapitre 6

De nouveauxcomportements

stratégiques

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Pourquoi agir sur les comportements

[118] © Éditions d’Organisation

Le discours des entreprises ne suffit pas à cerner l’en-jeu des nouveaux comportements en entreprise. Onobserve en effet un grand décalage entre l’attente desdirigeants et la réalité du management. Les organisa-tions sont maintenant conscientes de la nécessité depenser et d’agir stratégiquement. Pourquoi les com-portements peuvent-ils être considérés comme « stra-tégiques » ? Prenons des situations de la viequotidienne des entreprises.Très souvent, un ou plusieurs managers ont un rôleplus dominant dans un groupe, marginalisant les opi-nions des autres et les empêchant même de s’exprimer,cela crée un climat de déséquilibre. Lorsque les com-portements sont bien maîtrisés, un climat plus favo-rable à la prise de décision s’instaure dans l’équipe.Un comportement agité d’un groupe tend à ralentirou même arrêter un processus de prise de décision.Cela réduit la réactivité du groupe et a des répercus-sions négatives sur la réactivité de l’organisation.

« Quand notre équipe de managers se réunit, c’estcomme Roissy : de plus en plus d’avions arrivent et lescontrôleurs aériens semblent renoncer. Ils les échelon-nent simplement en altitude et rien ne semble pouvoiratterrir »,

pouvait dire un directeur de stratégie d’un groupefinancier. Un autre comportement permet de mettreen œuvre une décision sur le champ, non de la différer.Lorsqu’un groupe est soigneusement orchestré, il y ade meilleures chances que sa créativité soit entière-ment mobilisée, même si les individus qui le compo-sent n’ont pas un haut niveau créatif.

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Lorsqu’un groupe est

soigneusement orchestré,il y a de meilleures

chances que sa créativitésoit entièrement

mobilisée, même si lesindividus qui le

composent n’ont pas un haut

niveau créatif.

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De nouveaux comportements stratégiques

De nombreuses équipes de managers ont des difficul-tés à « discuter de l’indiscutable » et à aborder certainssujets. Ce phénomène peut être associé à des poli-tiques stratégiques qui s’enlisent ou apparaissentvoués à l’échec car les non-dit créent des ondulationsqui gonflent pour devenir rapidement des vagues.Les managers ont parfois tendance à penser que toutle monde dans le groupe voit le monde plus ou moinsde la même façon. En réalité nous avons chacun unecarte mentale et donc des perceptions de la réalité dif-férentes. Les cadres doivent travailler dur pour expo-ser et comparer leurs cartes mentales afin de ne pascréer des espaces de désaccord artificiel.Face à des questions complexes, la tension peut rapi-dement monter dans un groupe. L’énergie se dispersetandis que les problèmes ne sont pas résolus. Toutprend deux ou trois fois plus de temps dans un climatde mauvaise humeur. Un autre comportement consisteà survoler le problème relationnel, à avoir une visiond’hélicoptère des difficultés de communication. Cetteautre attitude permet d’éviter la frustration de devoiresquiver le problème.Une équipe solide et ouverte peut rencontrer des diffi-cultés lorsqu’elle doit faire des choix douloureux, telsque la mise en œuvre d’un projet important, le reca-drage d’activités ou un plan de restructuration. En étantcapable de surmonter ces blocages comportementaux,ces décisions peuvent être prises non seulement plusfacilement mais encore avec un meilleur jugement de laréalité et un engagement d’équipe accru.De nombreuses équipes professionnelles veulent exer-cer une influence sur d’autres secteurs de l’organisa-

© Éditions d’Organisation [119]

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Les cadres doivent

travailler dur pourexposer et comparer leurs cartes mentales afin de ne pas créer

des espaces de désaccord artificiel.

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Qu’est-ce qu’un

comportement

stratégique ?

[120] © Éditions d’Organisation

Pourquoi agir sur les comportements

tion lorsqu’il s’agit de questions stratégiques. Êtrecapable d’adopter un comportement stratégiquedonne à ce service un avantage politique dans ses rela-tions avec les autres services.Beaucoup de dirigeants ont l’impression qu’ils condui-sent une voiture avec le frein à main serré, tant ils ontde difficulté à mettre en œuvre leur politique interne.Ce frein peut être desserré par un débat plusconstructif.Le défi est de démêler la complexité des comporte-ments appropriés dans une organisation donnée et depouvoir identifier les leviers d’un bon fonctionnementdans chaque équipe de travail.

Tony Grundy est un des spécialistes britanniques del’Organizational Behaviour. Dans son dernierouvrage1, il propose le concept de « comportementstratégique », qu’il définit comme « l’interactioncognitive, émotionnelle et territoriale des managersdans (ou entre) des groupes lorsque l’ordre du jourprévoit des questions stratégiques. » Les questionsstratégiques sont ici entendues comme des questionsconcernant la détermination d’une direction à longterme ou un changement en relation avec les partiesprenantes de l’organisation (stakeholders). « Même lesplus expérimentés des managers, écrit Grundy, sortentsouvent des business schools avec un schéma de pen-sée suivant lequel il existe un processus conceptuelprêt à l’emploi, qui peut être plaqué sur l’organisa-tion. Or la stratégie d’entreprise, ce n’est pas commeajouter de la mémoire à un ordinateur. Cela demande

1. Harnessing strategic behaviour,Tony GRUNDY, Financial Times-pitman Publishing, 1998.

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Beaucoup de dirigeants

ont l’impression qu’ilsconduisent une voiture

avec le frein à main serré,tant ils ont de difficulté

à mettre en œuvre leur politique

interne.

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de nouveaux comportements pour être adapté et effi-cace, l’introduction d’une nouvelle manière de penserstratégiquement, pour ne pas échouer. La stratégie estperçue souvent dans les entreprises comme étant ana-lytique, non comportementale. Mais ce n’est qu’unepartie (peut être une petite partie) de l’ensemble. » Ceconsultant de grandes entreprises comme BP ou ICIinsiste sur le piège qui consisterait à voir la stratégiecomme une discipline intellectuellement satisfaisante,sans toucher le domaine comportemental qu’il fautpourtant intégrer pour produire action et change-ment. Il compare la pensée stratégique à l’ascensiond’une montagne ; sans les techniques de l’alpinisme(les comportements stratégiques), l’aventure est trèsrisquée ; les équipes, souffrant du vertige, en redes-cendent brisées ; selon lui, 3 % seulement des équipesparviennent au sommet, après avoir franchi avec suc-cès les étapes de l’analyse stratégique, des choix stra-tégiques, de la vision stratégique, et enfin desnouveaux comportements en action. L’auteurremarque que la pensée stratégique est couverte parune abondante littérature mais qu’il y a peu d’écrits,en particulier sous l’angle pratique, sur le comporte-ment associé à la pensée stratégique et sur le compor-tement des équipes dirigeantes. Il en est venu à l’idéeque de nombreux travaux sur le management straté-gique étaient dépassés et probablement souvent erro-nés. De nombreux managers ont une visionschizophrénique de la prise de décision, explique cetauteur. D’un côté ils visent le processus idéal en termestrès rationnels, alors que dans la réalité ils apportentune réponse réactive aux contraintes et pressions fré-

De nouveaux comportements stratégiques

© Éditions d’Organisation [121]

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La stratégie d’entreprise,

ce n’est pas commeajouter de la mémoire

à un ordinateur. Cela demande de nouveaux

comportements.

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[122] © Éditions d’Organisation

Pourquoi agir sur les comportements

quemment décidée par compromis ou par désir decomposer avec une partie du problème, ou en diffé-rent tout simplement la décision. Ce grand écart créedes tensions et du stress. Or, la prise de décision estirrationnelle, enracinée dans l’émotionnel et le subjec-tif, avec une trace occasionnelle de rationalité. Unmodèle plus réaliste consiste à placer au centre lescomportements influés par les objectifs stratégiques etpersonnels, les événements internes et externes, etaussi par l’inaction. Ces comportements produisent desdécisions et des actions stratégiques, en fonction desressources disponibles.La réalité est loin de ce modèle. Les managers, qui sontsupposés apprendre de leurs erreurs, ont parfois ten-dance à en reporter la faute sur les autres ; c’est le syn-drome du chat mort trouvé dans votre jardin : au lieude l’enterrer et de trouver la cause de sa mort, vous ledéposez dans le jardin de quelqu’un d’autre. Ildécouvre à son tour le chat mort et répète le processusen jetant le chat dans le jardin d’un troisième. Celagénère un gâchis d’énergie. Sous pression, les mana-gers se conduisent aussi parfois en crabe : ils sautentsur la première solution plausible. Grundy illustre cesmauvais comportements par les cas d’une société detéléphone qui coupe deux jours la ligne d’un client enretard de paiement en enregistrant sur son répondeurun message humiliant, d’une compagnie aérienne quifait attendre ses passagers cinquante minutes à l’enre-gistrement, d’un hôtel qui sert de minuscules sand-wichs à des senior-managers avant de les emprisonnerdans le parking en prétendant contre toute évidencequ’il n’y avait rien d’anormal dans le fonctionnement

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La prise de décision est

irrationnelle, enracinéedans l’émotionnel et lesubjectif, avec une trace

occasionnelle de rationalité.

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De nouveaux comportements stratégiques

© Éditions d’Organisation [123]

de la barrière. Nous pourrions ajouter quotidienne-ment des perles à ce collier d’anecdotes affligeantes.Nous constatons en France, beaucoup plus encorequ’en Grande-Bretagne, que les bonnes intentions dechangement des comportements sont tombées dans letriangle des Bermudes des contraintes court terme.

« Les organisations sont vouées à souffrir des effets res-sentis par leurs clients comme par leur personnel, alerteGrundy, jusqu’à ce qu’elles gèrent plus efficacement lescomportements. »

Pourquoi et comment les nouveaux comportementsstratégiques sont-ils importants ?D’abord, ils sont étroitement liés à la qualité de laréflexion stratégique : là ou le comportement straté-gique n’est pas particulièrement bien développé, ledébat du management peut être trop superficiel,limité et fragmentaire ; cela peut rendre aveugle à desaspects stratégiques, des opportunités, des menaces.La mise en commun d’idées joue aussi un rôle majeurdans la détermination de résultats stratégiques. Sapauvreté ou son absence peut inhiber la prise derisque. Il est important par ailleurs de créer le besoin d’agircar, même quand l’organisation rend l’action impéra-tive, les moyens de mise en œuvre de la stratégie peu-vent ne pas être mobilisés.En résumé, le comportement a une grande influencesur la réflexion stratégique, et le manque de contrôlesur le fonctionnement humain a un coût pour l’orga-nisation, l’équipe et les personnes impliquées. Lecontrôle permet des prises de décision et des résultats.

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Les bonnes intentions

de changement descomportements sont

tombées dans le triangledes Bermudes

des contraintes court terme.

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Le manager facilitateur

L’intervention dans ce domaine n’est pas d’abord com-portementale ou d’abord cognitive ; il paraît mainte-nant essentiel d’agir simultanément sur les élémentscognitifs, affectifs et territoriaux (les pouvoirs).

Le premier comportement stratégique est sans doutela responsabilisation. Mais le comportement « être res-ponsable » est le résultat d’un concours de circons-tances : un modèle d’organisation qui le valorise, desemployés acteurs, ouverts au changement et prêts àsaisir les opportunités d’un développement profes-sionnel, et enfin des cadres ayant un rôle radicalementdifférent de celui pour lequel ils ont été initialementformés.

Une combinaison de facteurs persuade un nombrecroissant d’organisations que le rôle du manager doitévoluer de contrôleur à facilitateur. L’exemple degrandes entreprises pionnières ayant exploré une voieradicalement différente montre qu’elles en ont tiré degrands avantages. Elles ont prouvé que lorsque lesmanagers « coachent » bien leurs équipes l’encadre-ment moyen a pu atteindre des résultats auparavantinimaginables, ce qui a été déterminant pour la surviede ces organisations. Dans son ouvrage déjà cité Themanager as coach (1994), Durcan Oates liste dix carac-téristiques du cadre coach :

• le guide,

• le consultant,

• le challenger intellectuel,

• l’encourageur/créateur,

Pourquoi agir sur les comportements

[124] © Éditions d’Organisation

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• l’éclaireur,

• le facilitateur,

• le leader et interprète,

• l’émissaire,

• le modèle,

• le parangon (pierre de touche).

De nombreux cadres sont supposés être des coachsplutôt que des managers à l’ancienne mode. Or, la plu-part d’entre eux pratiquent leur métier comme ils l’onttoujours fait, pour la bonne raison qu’il n’ont pas uneidée précise de ce qu’est le coaching. Cependant celui-ci n’est pas un mythe, et il n’est pas compliqué àapprendre. Dans la revue Harvard ManagementUpdate (1999), Constantine von Hoffman tue dix idéesreçues sur le coaching :

1. « Personne ne peut réellement définir lecoaching » : c’est un non sens ; le coaching signifieaider les gens à définir des objectifs clairs et assu-rer un calendrier spécifique pour les atteindre. Lecœur du processus est le potentiel d’une personne,aussi la réussite n’est pas facile à quantifier.

2. « Le coaching c’est manager avec un visage heu-reux » : de nombreux cadres pensent que le coa-ching signifie faire ce qu’ils font déjà, mais ensoutenant davantage le moral de leurs employés.Cela peut être une erreur. James Waldroop, chefde département à la Harvard Business School,explique :

De nouveaux comportements stratégiques

© Éditions d’Organisation [125]

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Le coaching signifie aider

les gens à définir desobjectifs clairs et assurerun calendrier spécifique

pour les atteindre.

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« Lorsque j’ai un rôle de manager, j’ai deux buts :regarder par-dessus votre épaule le travail que je veuxvoir réaliser et ensuite je me retourne vers vous ; dansle coaching, je vous regarde seulement. »

S’assurer que quelqu’un atteint certains niveaux deperformance, c’est manager. L’aider à résoudre unproblème par lui-même, c’est être coach.

3. « Le coaching est simplement un autre mot pourmentor » : être le mentor de quelqu’un impliqueune relation sur le long terme, alors que le coa-ching est limité dans le temps. Un mentor a uneconnotation de former quelqu’un à sa propreimage, alors que le coach n’a pas ce but. Un coachest plus dépassionné que le mentor. Si quelqu’unéchoue, un mentor peut dire : « Vous me déce-vez. » Le coach dit : « C’est ce que vous disiezvouloir, et vous ne l’avez pas fait. »

4. « Être un coach signifie être un meneur » : uncoach ne hurle pas : « Allez-y les gars ! », il aide lesgens à comprendre ce qu’ils ont besoin de changerpour atteindre leurs objectifs professionnels.

5. « Le coaching prend beaucoup de temps » : cettecrainte décourage beaucoup de gens, mais ils n’ontpas complètement tort ; cela prend du temps etnécessite de s’en donner les moyens. Mais un boncadre peut limiter ce rôle à 5 % de son activité etconstatera que le coaching lui fait gagner dutemps au bout du compte, puisqu’il s’agit d’ap-prendre aux gens à résoudre eux-mêmes les pro-blèmes.

Pourquoi agir sur les comportements

[126] © Éditions d’Organisation

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S’assurer que quelqu’un

atteint certains niveauxde performance, c’est

manager. L’aider à résoudre un problème

par lui-même, c’est être coach.

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6. « Le coaching est une sorte de psychothérapie » : ilne s’agit pas d’entrer dans les profondeurs de lapersonnalité et de découvrir les secrets des gensmais il faut néanmoins des qualités de psychologie(pas un diplôme) pour comprendre les comporte-ments observés et en parler. Il faut avoir développéson intelligence émotionnelle. Le coaching tientcompte de l’existant pour aller plus loin.

7. « Une recette suffit à faire face à toutes les situa-tions de coaching » : le coaching n’est pas méca-nique car chaque personne est différente.

8. « Certaines personnes ne peuvent pas être coa-chées » : si une personne est vraiment non récep-tive à votre coaching, il peut y avoir d’autresproblèmes dans votre relation ou dans votre stylede coaching. Il convient d’essayer un autre coachavant de la déclarer non réceptive.

9. « Si vous coachez avec succès les gens, alors ils peu-vent partir » : la plupart des salariés recherchentdes gens qui investissent dans leur développementprofessionnel ; le coaching est un des meilleursmoyens pour cela. Tandis que quelques personnesquittent l’organisation après avoir atteint leursobjectifs, beaucoup plus ressentiront une plusgrande loyauté envers une organisation qui s’inté-resse à leur développement professionnel.

10. « Le coaching ne fait pas progresser le chiffre d’af-faires » : la vérité est que le coaching produit desrésultats plus tangibles et démultipliables que biend’autres approches de management. Il encourageles gens à être plus flexibles et adaptables.

De nouveaux comportements stratégiques

© Éditions d’Organisation [127]

“”

Il ne s’agit pasd’entrer dans les

profondeurs de la personnalité

et de découvrir les secrets des gens.

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« Vous ne coachez pas quelqu’un pour atteindre lechiffre d’affaires du mois, déclare John Whitmore2 ;c’est du management, même si vous l’appelez coa-ching. Mais si vous voyez que cette personne est uncadre commercial de qualité et que vous pensez quedans quelque temps elle pourrait prendre le leader-ship, alors c’est du coaching. »

Ce n’est pas un processus à court terme. Le coachingprospecte les personnes dont on pense qu’elles pour-raient apporter davantage à l’organisation qu’elle nele font actuellement.

Le concept du coaching fait penser à celui du « politi-quement correct » que tout le monde évoque et dontbien peu connaissent la signification (ne rien dire quipourrait heurter la sensibilité des minorités). EnFrance, on se précipite sur ce qu’on croit être une nou-velle méthode, une technique ou un modèle qu’il suf-firait d’apprendre. Il s’agit en fait, on vient de le voir,d’un renversement radical de perspective. Dans nosséminaires, nous préférons le terme de « facilitateur »qui évoque moins le sport, car c’est encore une illusiond’imaginer que le monde sportif fait mieux que lesentreprises, sinon cela se saurait. Il ne suffit pas derecruter un entraîneur connu pour acquérir le secretdu coaching. Toutes les organisations, y compris lesfédérations sportives, ont à gagner à cultiver uneautre manière de faire travailler les gens au service debuts communs. Être un cadre facilitateur, cela supposede faire confiance dans le potentiel de son équipe,d’être convaincu qu’il est sous employé et qu’en pla-çant la personne dans une position d’acteur, en lui

2. Coaching for Performance,John WHITMORE, Nicholas BrealeyPublisher, 1996.

Pourquoi agir sur les comportements

[128] © Éditions d’Organisation

“”

Il ne suffit pas de recruter

un entraîneur connu pour acquérir

le secret du coaching.

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assurant un environnement stimulant et les ressourcesnécessaires, elle sera plus performante dans la résolu-tion de problèmes à son niveau, au lieu d’être télé-commandée par un « manager » interventionniste. Lefacilitateur reste alors plus focalisé sur la vision longterme et l’action stratégique. On le voit bien, ce com-portement est à l’opposé du comportement « com-mande et contrôle » culturellement dominant dansnos organisations depuis... plusieurs générations decadres. Il s’agit ni plus ni moins de bâtir un modèle deconfiance et d’abandonner un modèle de défiance.Les organisations ne peuvent en être quitte en secontentant de nouvelles structures, d’injonctions et deformations théoriques. Contrairement à ce que l’oncroit, un entraînement spécial est nécessaire pourentrer dans cette nouvelle logique. Être facilitateur,cela demande un apprentissage fondé sur cette mêmelogique et ayant la même structure. Comment imagi-ner qu’un stage animé par un consultant pratiquantune méthode « je sais et je vous enseigne » puisse pré-parer des cadres à faire l’inverse ?

« Responsabilisation » et « coaching » ou « facilita-tion » ne sont pas des méthodes, et encore moins desslogans à la mode, mais les comportements premiersqui supposent tous les autres. Il faut en ajouter unautre : « savoir travailler en équipe. » Tarte à la crèmedu management et des catalogues de formation, laplus grande confusion règne aussi sur cette capacitécollective.

De nouveaux comportements stratégiques

© Éditions d’Organisation [129]

Être un cadre facilitateur,

cela suppose de faireconfiance dans le

potentiel de son équipe,d’être convaincu qu’il est

sous employé et qu’enplaçant la personne dans

une position d’acteur, en lui assurant

un environnementstimulant et les

ressources nécessaires,elle sera plus

performante dans larésolution de problèmes àson niveau, au lieu d’êtretélécommandée par un

« manager »interventionniste.

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Les manuels théoriques abondent. Dans Construire leséquipes de l’entreprise (1994) Charrier et Kouliche, parexemple, estiment que les équipes de travail fonction-nent en général assez mal :

« Des groupes de travail silencieux, des réunions quitournent au règlement de compte ou à l’affrontementlarvé, des participants qui s’opposent à l’animateur ououblient l’ordre du jour... Autant de situations que cha-cun a déjà rencontrées dans son entreprise ou dans sonservice. Que se passe-t-il ? Pourquoi des personnes habi-tuellement rationnelles et cohérentes versent-elles dansl’irrationnel dès l’instant où elles sont en groupe ? D’oùproviennent ces vagues d’affectivité qui remettent encause fréquemment la cohérence des équipes ? »

« Un projet de groupe doit être intellectuellement penséet affectivement ressenti », affirment ces universitaires.Alors pourquoi font-ils « le pari que d’une action sur lacohérence résultera la cohésion » ?

Pour le coup, nous sommes en pleine incohérence. Etce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres écrits sur« la cohésion d’équipe ». Mais n’anticipons pas surl’étape suivante, celle du passage à l’acte.

Pourquoi agir sur les comportements

[130] © Éditions d’Organisation

Passer du mythe du chef

au mythe de l’équipe

Oser secouer

l’organigramme

“”

Pourquoi des personneshabituellement

rationnelles et cohérentesversent-elles dans

l’irrationnel dès l’instantoù elles sont en groupe ?

Cette première partie n’avait qu’un seul but : donnertoutes les bonnes raisons d’agir sur les comportements enentreprise, et l’envie d’agir : la rupture avec le modèled’organisation ancien, fondé sur la commande et lecontrôle, typique d’une société de défiance, provoqueune transformation brutale avec le passage à un modèlefondé sur la responsabilisation, typique d’une société deconfiance. Le « facteur humain » joue dès lors le rôle

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De nouveaux comportements stratégiques

© Éditions d’Organisation [131]

essentiel pour valoriser le capital et le travail. Des « capa-cités sociales et cognitives », jadis l’apanage de l’élite,sont désormais sollicitées de tous : courage, adaptabilité,créativité, leadership « facilitateur », esprit d’équipe... Ils’agit du grand trou noir des mentalités et des comporte-ments, domaine longtemps tabou cantonné dans lasphère du privé. Le développement personnel devenant ledéveloppement professionnel, comment transformerdans les organisations ces « y a qu’à » en changementsprofonds et durables ? Il faut du courage pour s’engagerdans cette voie difficile, pour passer du constat à l’élabo-ration d’une stratégie de changement des comporte-ments (deuxième partie), et encore davantage pour sedonner les moyens de se former de nouveaux comporte-ments (troisième partie). Mais relativisons le risque : on atendance à sous-estimer la capacité d’ouverture de sessubordonnés comme de ses patrons ; en treize ans d’in-terventions dans les petites et grandes organisations, jen’ai jamais vu un manager, à l’origine de ces actions sur lescomportements, en subir des conséquences négatives sursa carrière, mais j’ai souvent constaté l’inverse. Défi huma-niste ? Défi de la compétitivité ? Dès lors que les deux serejoignent, on trouve toujours des personnes de bonnevolonté pour innover. Le magazine économiqueL’Expansion titrait un article sur nos séminaires « Oser : leséminaire qui secoue l’organigramme » : il s’agit bien ducourage nécessaire pour changer radicalement de modede fonctionnement des organisations et des équipes quila composent.

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On a tendance à sous-estimer

la capacité d’ouverture de ses subordonnés

comme deses patrons

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© Éditions d’Organisation [133]

Partie 2

Élaborerune stratégie

comportementale

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© Éditions d’Organisation [135]

Chapitre 7

Sommes-nouspréparés ?

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Élaborer une stratégie comportementale

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Dans nos formations, nous utilisons souvent des appa-reils de télécommunication appelés chez nous talkie-walkie mais que les Anglo-Saxons appellent en réalitéwalkie-talkie. Tout est résumé dans cette différence :nous croyons employer un nom anglais, alors que nousen avons inversé les termes ; nous parlons avant demarcher, alors que les Anglo-Américains marchentavant de parler. C’est culturel, dit-on avec fatalisme ;c’est comme ça. Mais le problème n’est-il pas de savoirsi notre culture est adaptée à notre nouvel environne-ment économique ? Nos mentalités et comportements,notre système de formation et de valeurs nous prépa-rent-ils à la course à la modernisation et à la compéti-tivité ? Bref, qu’avons-nous d’utilisable ou deréformable dans notre bagage culturel ? Un managerétant le produit d’un système de formation, et souventun parent d’élève, explorons l’adéquation entre ce sys-tème et les nouvelles exigences de la vie profession-nelle, et en société.

Une première réponse aux trois chocs de la sociétécognitive est un renforcement de la culture générale,comme l’a souligné le livre blanc européen Enseigneret Apprendre :

« La compréhension du monde est possible, si l’on peutpercevoir son sens, comprendre son fonctionnement et ytrouver son chemin. Là se trouve la fonction principalede l’école. On pourrait particulièrement appliquer cetteobservation à la construction européenne. En donnantaux jeunes une culture générale leur permettant à la foisde démêler la complexité et d’en discuter la finalité et ladimension historique, c’est l’école qui dressera les fon-

“”

Le problème n’est-il pas

de savoir si notre cultureest adaptée à notre

nouvel environnementéconomique ?

Un système scolaire

décalé

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1. De l’Illetrisme en général et del’école en particulier, AlainBENTOLILA, Plon, 1996.

2. Le Bonheur d’apprendre etcomment on l’assassine, Françoisde CLOSETS, Seuil, 1996.

Sommes-nous préparés ?

dations de la conscience et de la citoyenneté euro-péenne. »

Cette exigence ne concerne plus exclusivement l’écolemais aussi la formation professionnelle continue avecla notion nouvelle de « l’apprentissage tout au long dela vie. » Dans ce domaine, nous pensions en Franceêtre bien placés et nous étions fiers d’une réputationde pays « intellectuel », au niveau culturel plutôtélevé. Le réveil est douloureux quand on s’aperçoitque 8 % des jeunes adultes français sont illettrés, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas lire un journal, com-prendre les détails d’une convocation ou d’undocument administratif, se servir d’un plan ou d’untableau1. Un élève sur trois ayant passé entre dix etdouze années à l’école en sort illettré. Comment alorsimaginer qu’il puisse tirer le moindre profit de stagesd’insertion fondés en grande partie sur des pratiquesscolaires trop verbales et pas assez actives ? François deClosets met les pieds dans le plat2 :

« Est-il naturel que quinze ou vingt ans d’études ne pro-duisent que des consommateurs-téléphages, victimesconsentantes et soumises de tous les racolages ? (...)Hantée par la peur du chômage, la jeunesse troque lesjoies de la découverte contre l’espoir d’un emploi. Unmarché de dupes. Dans une société d’incultes diplômés,il n’y a pas moins de chômeurs mais il y a encore moinsde bonheur. »

Cherchons avec ce journaliste scientifique les raisonsde ce fiasco dans la démocratie où l’écrit est le plusvalorisé. Il suspecte que les initiations avortées à la lit-térature, à la science, aux arts et à l’histoire créent des

© Éditions d’Organisation [137]

“ ”Un élève

sur trois ayant passé entre dix et douze

années à l’école en sort illettré.

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Élaborer une stratégie comportementale

blocages qui interdisent tout épanouissement ulté-rieur. Les programmes sont mauvais, la pédagogieinadaptée mais le prof est bon. Tout au long de sonenquête, il reçoit le témoignage d’enseignants quiinventent une autre pédagogie pour leurs classes,avec succès. Mais beaucoup aussi s’offusquent qu’onleur demande pourquoi les élèves ont l’air de s’en-nuyer : « L’école n’est pas une colonie de vacances »,répondent certains. Sans revenir aux utopies de 68, ildevrait être possible de combiner le sérieux desétudes et de l’acquisition des savoirs avec le bonheurd’apprendre.

« Un enfant n’est pas un vase qu’on remplit, c’est un feuqu’on allume », écrivait Montaigne.

Si tout le monde a une vocation, bien peu ont lachance de la découvrir dans l’école actuelle. Si aumoins l’école apprenait un métier, ce serait un demi-mal. Mais c’est loin d’être le cas : plus les jeunes visentun emploi, plus ils dédaignent les formations profes-sionnelles ! L’école souffre plus qu’elle évolue ; ellesubit des contraintes nouvelles plus qu’elle ne se trans-forme par une volonté politique. On ne peut plusignorer davantage une inadaptation fondamentale dela pédagogie.

« Retenons qu’en toute chose, écrit François de Closets,l’expérience doit précéder la compréhension : le goûtd’apprendre est à ce prix. Les méthodes déductives, à labase de l’enseignement secondaire traditionnel, partentdu principe inverse. D’abord on pose les bases théo-riques du savoir, pour progresser logiquement vers lacompréhension de la réalité. À l’inverse, les méthodes

“”

L’école souffreplus qu’elle

évolue ; elle subit descontraintes nouvelles plusqu’elle ne se transforme

par une volonté politique.On ne peut plus ignorer

davantage uneinadaptation

fondamentale de la

pédagogie.

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inductives veulent partir de la réalité, de l’observation etde l’expérience pour aller vers l’abstraction. »

Ajoutons que ces dernières ont été marginaliséesdepuis un demi-siècle chez nous alors qu’elles fleuris-sent chez nos partenaires-concurrents anglo-saxons.Nous raisonnons « talkie-walkie » et eux « walkie-tal-kie. » Comment susciter la joie d’apprendre avec desméthodes aussi arides ? Comment trouver l’amour duroman, par exemple, à travers des exercices de lectureraisonnée ? Selon Antoine Prost, grand connaisseur denotre système d’éducation que j’ai eu l’occasion derencontrer,

« notre enseignement souffre d’une incorrigible préten-tion, à l’image de ces institutrices du siècle dernier quis’obstinaient à apprendre à lire à des enfants qui nesavaient pas encore parler... l’évolution des contenusenseignés a aggravé la distance culturelle qui séparel’enseignement de son public. »

Aucune pédagogie miraculeuse ne pourra donner uneculture littéraire à tous les jeunes qui vivent dans unmonde non littéraire. Les programmes scolaires sont,suivant la bonne formule de Closets, « faits par desagrégés pour des agrégés ». On se tromperait moins,résume l’auteur du Bonheur d’apprendre, si l’onrecherchait délibérément, obstinément, les meilleuresfaçons d’intéresser l’enfant. Je suis souvent frappé parla vision stéréotypée et idéologique qu’ont les ensei-gnants de la société. Comment alors préparer lesjeunes à faire leur place dans les entreprises si « le sys-tème capitaliste » leur donne de l’urticaire ? Enfermésdans leur corporatisme, et dans leur conception

Sommes-nous préparés ?

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Les méthodesinductives

veulent partir de laréalité, de l’observation

et de l’expérience pour aller vers l’abstraction.

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Élaborer une stratégie comportementale

immuable des savoirs académiques, les enseignantsapparaissent de plus en plus décalés et fossilisés. Lecomble est qu’ils sont persuadés d’être des intellec-tuels alors qu’ils transmettent – mal – un savoir créépar d’autres. L’ethnologue Jacques Lizot, qui m’a faitdécouvrir les Indiens Yanomami, aime à dire qu’unintellectuel est celui qui vit de la création de son esprit.Un enseignant intellectuel serait celui qui partirait dela réalité de chacun de ses élèves et inventerait lesmoyens de s’approprier la culture des autres en éprou-vant du plaisir et en se découvrant lui-même. Unexpert, Louis Legrand, propose de bouleverser lapédagogie :

« L’enseignement actuel privilégie la pensée théorique,abstraite et l’univers gratuit du récit et de la connais-sance désintéressée. Or l’accès à cette culture exige desconditions d’éducation préalable : sécurité affective, dia-logue avec les enfants, habitudes d’autonomie dans lescomportements, que les milieux défavorisés ont plus dedifficulté à donner à leurs enfants (...). C’est pourquoiune éducation compensatrice, un soutien, doiventd’abord être une éducation affective et sociale permet-tant, avec l’épanouissement des élèves, l’investissementaffectif positif de l’école. »3

« Notre système d’éducation est trop centré sur lessavoirs et pas assez sur les comportements. Résultat : leniveau monte mais le chômage aussi. » C’est le journa-liste Patrick Fauconnier qui fait ce constat4 . Pour lui,toute société se partage entre entrepreneurs et gestion-naires. D’un côté, ceux qui génèrent les richesses et lesemplois. De l’autre, ceux qui les gèrent.

3. « Pour une école de l’hommetotal », Louis LEGRAND, Le monde de l’éducation, 1981.

4. Le Talent qui dort, PatrickFAUCONNIER, Seuil, 1996.

Une élite inadaptée

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Sommes-nous préparés ?

© Éditions d’Organisation [141]

« Trop de gestionnaires, prudents et « castrateurs », etpas assez d’entrepreneurs, innovateurs et audacieux. (...)Tartarin le causeur a pris le pas sur Astérix le combat-tant. »

Nous formons des assistés là où il faudrait des auda-cieux. La France ne s’aime pas, la France est en panne,s’alarme le fondateur du magazine Challenges. Ilexplique l’effondrement de l’emploi des jeunes dansnotre pays, au dernier rang des pays industrialisés, partrop de poursuites d’études théoriques et pas assezd’études concrètes en alternance. L’État régente tout,et le coût de notre Fonction Publique et propor-tionnellement plus important que d’ex pays commu-nistes comme la République Thèque et la Pologne. LaFrance n’a pas les élites qui lui faut, affirme le journa-liste. Les causes de leur archaïsme sont, selon lui,culturelles : comme au temps de Jules Ferry et deGerminal, les enseignants ont une défiance viscérale àl’égard du monde de la production et donc de l’entre-prise ; alors que les sciences et les techniques se renou-vellent, l’école continue de nier que l’expérimentationest une immense école de réflexion. En 1984, unegrande enquête Le Nouvel Observateur révélait que43 % des élèves se disaient angoissés, 38 % indiffé-rents, 29 % blasés, 27 % pessimistes...

« Mais quel gâchis ! » s’écrit-il, « avec une autre péda-gogie, cette machine-là pourrait redonner l’optimismeaux jeunes. »

Résultat de cet archaïsme culturel : notre élite estinadaptée. Elle manque d’abord d’imagination, quene favorise pas un excès de logique abstraite.

“ ”Tartarin

le causeur a pris le pas sur

Astérix le combattant.

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« Il n’y a qu’un aspect de l’intelligence que l’école neprend pas en considération, c’est l’imagination et lacréativité »,

conclut Jean-Claude Lamy après une enquête sur « lavie et les mœurs des bêtes à concours. » Notre cerveaudroit reste en friche. Parfois, un membre de cette élitefait son mea culpa, comme Michel Rocard en juin 1993qui reconnaît dans le journal Libération :

« Le monde a si profondément changé que je ne l’ai pascompris sur le moment... »

L’élite manque de curiosité ; elle est peu ouverte à cequi se passe ailleurs. Il ne suffit pas d’envoyer les élèvesde nos grandes écoles quelques mois en stage àl’étranger. L’élite manque de souplesse, affirme encoreFauconnier. « Un professeur de l’ESSEC en témoigne :

« C’est incroyable les efforts qu’il faut déployer pour leurfaire comprendre que, dans la vie, les choses ne sont pasou tout blanc ou tout noir. »

L’élite manque de sens pratique. L’auteur cite un rap-port d’expert publié en 1993 par la Fondation pourl’enseignement de la gestion sous un titre prometteurmais un peu optimiste : « Quel management, quellesformations, quels types d’hommes pour confirmer laplace des entreprises françaises dans le peloton de têtede la compétition mondiale ? » Sur 100 pages,33 lignes seulement définissaient « les nouvelles facul-tés requises pour les nouveaux managers. » On y disaitqu’il faudrait développer la pratique de l’expérimen-tation, qui « tient une place croissante dans une éco-

Élaborer une stratégie comportementale

[142] © Éditions d’Organisation

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nomie où les technologies, les goûts et les marchéschangent perpétuellement. » On conseillait aussi auxécoles de commerce d’encourager la pratique du tra-vail en équipe :

« Apprendre à coopérer n’est pas habituellement unsujet sur lequel insiste notre système éducatif, parce queles tâches de groupe sont plus dures à contrôler que letravail personnel. Pourtant, par ce type de travail, lesétudiants apprennent à rechercher et à accepter la cri-tique de leurs pairs, à solliciter de l’aide, à faireconfiance aux autres, à discerner le besoin des autres. »

Or, l’élite manque aussi d’esprit d’équipe. Fauconnierprend un exemple, sans doute unique au monde : onest arrivé à implanter dans un rectangle de 8 kilo-mètres sur 20, au sud-ouest de Paris, plus de quinzesites majeurs de formation (HEC, SUPELEC, AGRO,Polytechnique, École centrale, Normale Sup, l’univer-sité d’Orsay...), sans qu’un seul d’entre eux partage lemoindre équipement avec son voisin. Il n’est pas éton-nant que les milieux d’affaires internationaux, interro-gés en 1990 dans le cadre d’une enquête de notoriétécommandée par HEC, jugent sévèrement ce fleuron dela Chambre de commerce de Paris : « insuffisante pré-paration à la réalité humaine des entreprises. » Reçupar l’équipe du département de formation d’entre-preneurs de HEC, dont on vantait les pratiques péda-gogiques originales, je me suis rendu compte qu’ilétait tout à fait marginal ; tous les autres départe-ments de cette grande école produisaient des« wagons » et non des « locomotives. » Le retour ducourage ne concerne pas encore notre élite, qui fait

Sommes-nous préparés ?

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Apprendre à coopérer

n’est pas habituellementun sujet sur lequel insistenotre système éducatif,parce que les tâches degroupe sont plus dures

à contrôler que le travail

personnel.

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preuve d’un manque d’audace très pénalisant pournotre économie. Elle manque surtout d’humilité. Lejournal Libération titrait le 24 mars 1999 sur l’affaireRoland Dumas, soupçonné d’avoir touché des pots devin de la compagnie Elf alors qu’il était ministre desAffaires étrangères : « la fin des arrogants » ; l’élite desautres pays de l’Union européenne s’étonnent tou-jours de l’arrogance de nos hauts fonctionnaires, quipeut prendre parfois, remarque Fauconnier, unedimension pathologique. Au lendemain de la déroutesocialiste de 1993, Ségolène Royal déclarait sur TF 1 :« J’ai toujours essayé de faire en sorte que mes actionssoient à la hauteur du génie de la nature.» Rien demoins. Notre système de formation est coupable de

produire encore cette élite inadaptée, véritable freinau changement, pithécanthrope voué à disparaître.Combien de fois dans les entreprises nous diagnosti-quons la souffrance des collaborateurs de patrons issusde nos grandes écoles, sûrs d’eux-mêmes, de leurvérité, incapables de diriger suivant un autre modeque la commande et le contrôle (nous sommes leschampions de la « distance hiérarchique »), sans lamoindre confiance dans les capacités et les initiativesdes autres (tout en portant leur « éthique » à la bou-tonnière), décourageant, sanctionnant ou récupérantles innovations. Les entrepreneurs bousculent l’ordreétabli dans un pays frileux. Médisances, jalousies etpièges leur tombent dessus sans arrêt. La nouvelleélite, ce sont eux. Fauconnier semble renoncer à voirde rapides changements dans les comportements del’élite :

Élaborer une stratégie comportementale

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Le retour du courage

ne concerne pas encorenotre élite, qui fait

preuve d’un manqued’audace très pénalisant

pour notre économie.

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« Les compétences, c’est très facile à acquérir. Une per-sonnalité, il faut des années pour la forger, des annéespour la modifier. »

Pourtant j’ai eu l’occasion de lui signaler qu’ailleurs, eten France désormais, il existait d’excellents moyens deformer, en peu de temps, ces « nouveaux comporte-ments » et de mieux révéler et utiliser les talents quidorment. Il nous faut des gens souples, adaptables,ayant de la culture, de la personnalité, des qualitéshumaines de travail en équipe plus qu’un bagage tech-nique ? Très bien. Mais ne soyons pas fatalistes : il estpossible de faire autrement que de licencier les mauvaiséléments et de recruter suivant ce nouvel étalon. Ayonsle courage de partir de la réalité de nos équipes, sansjuger ou se lamenter, et de former ces nouveaux com-portements avec les moyens qui existent.

Une école décalée, une élite inadaptée, le constatpourrait être désespérant si nous n’observions pas,dans le monde économique, un puissant processus demobilisation de compétences, sinon nouvelles, dumoins qui restaient autrefois à la porte de l’entreprise.Ce phénomène n’est pas organisé et institutionnalisé ;il s’agit plutôt d’une myriade d’innovations et d’initia-tives éclatées qui, peu à peu, sous la contrainte de l’en-vironnement, font évoluer notre culture d’entreprise.Ce sont les praticiens qui commencent à changer effec-tivement de logique, et non les intellectuels du mana-gement. Dans une société post-industrielle où lacapacité à innover et à se transformer devient plusimportante que la capacité à rationaliser, on se

Sommes-nous préparés ?

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Ayons le courage

de partir de la réalité de nos équipes, sansjuger ou se lamenter,

et de former cesnouveaux comportements

avec les moyens qui existent.

Des talents à mobiliser

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découvre des qualités hexagonales tout à fait adaptéesà la nouvelle donne. C’est encore Michel Crozier qui,dans un livre culte5, en fait l’analyse. Selon le socio-logue des organisations, nous avons raté la premièrerévolution industrielle, celle du XVIIIe et du XIXe siècle,dans la mesure où nous n’avions ni les matières pre-mières, ni l’abondance de main-d’œuvre bon marchéqui firent le succès de nos voisins anglais, allemands etbelges. Nous n’avons guère mieux réussi la seconde,celle du XXe siècle, du fait de la résistance de notrepopulation ouvrière à la rationalisation et de nosconsommateurs à la standardisation.

« Mais un monde où la qualité dominera la quantité, oùla ressource humaine primera la ressource matérielle, estun monde où les Français seront beaucoup plus à l’aiseque dans celui de la quantité et de la standardisation. »

N’est-ce pas reconnaître, avec deux siècles de retard,l’importance des mentalités et des comportementsdans les changements économiques ? N’est-ce pasméconnaître encore l’importance de ce facteurhumain dans les deux révolutions industrielles précé-dentes, alors que l’on sait bien que d’autres paysréunissant matières premières et main d’œuvre bonmarché n’ont jamais décollé ? En quoi sommes-nousprédisposés à affronter cette nouvelle transfor-mation ?

« Ce qui manque généralement, ce ne sont pas les res-sources mais la capacité à les mobiliser et à orchestrerleur mise en œuvre : la capacité d’entreprise plus que lamotivation, la capacité à combiner et faire coopérerensemble les divers partenaires d’un réseau complexe,(...) d’où l’importance décisive que devraient revêtir

5. L’Entreprise à l’écoute, MichelCROZIER, InterÉditions, 1989.

Élaborer une stratégie comportementale

[146] © Éditions d’Organisation

Une école décalée,

une élite inadaptée, leconstat pourrait êtredésespérant si nous

n’observions pas, dans lemonde économique, unpuissant processus de

mobilisation decompétences, sinonnouvelles, du moins

qui restaient autrefois à la porte

de l’entreprise.

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pour la société française l’expérimentation et l’appren-tissage de nouveaux modes possibles d’organisation. »

À l’époque où le sociologue écrit ces lignes, en 1989,ces nouveaux modèles d’organisation sont inventésmais pas en France. L’organisation « banc de pois-sons », plus ouverte, plus souple, plus tolérante, moinshiérarchisée, fondée sur l’autonomie et la responsabi-lisation, est d’abord perçue par les Français comme« une mode américaine qui passera vite. » Beaucoupreconnaissent qu’ils ont eu tort. L’urgence « d’expéri-menter et de diffuser des formes d’organisations nou-velles « n’a pas été comprise des chefs d’entreprise etde leurs consultants. Vont-ils enfin « faire leur mar-ché » à l’étranger afin de trouver les réponses qui ontfait leurs preuves et qui nous conviennent le mieux ?Pour mobiliser nos ressources, Crozier invite les mana-gers à renverser le processus d’apprentissage ; il estimeque les entreprises sont prisonnières des modes depensée engendrés par leur logique et leurs principesd’organisation, qui les empêchent de conceptualisercette réalité qu’ils vivent :

« Le vécu précède l’idée mais seule l’idée permet decomprendre le vécu et donc de le formaliser, de le déve-lopper et de reculer des limites du possible. »

Cela devient un leitmotiv chez tous ces auteurs : lavaleur de l’expérience dans un nouveau processusd’apprentissage. Le sociologue pense d’abord à l’ap-prentissage de « nouvelles capacités collectives », denouveaux comportements, qui permettront de résou-dre les problèmes réputés insolubles avec les moyens

Sommes-nous préparés ?

© Éditions d’Organisation [147]

“”

Ce qui manquegénéralement,

ce ne sont pas lesressources mais la

capacité à les mobiliser et à orchestrer

leur mise en œuvre.

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actuels. Crozier a intitulé son ouvrage L‘Entreprise àl’écoute, parce qu’il considère que la réflexion sur laculture d’une entreprise est centrale intellectuelle-ment et décisive dans la pratique, et que cetteréflexion demande une écoute attentive. Cette écoutepeut se développer dans les cercles de qualité, lesenquêtes en profondeur sur les relations réelles entreles personnes et les groupes, et plus généralementdans la formation des dirigeants et des cadres àl’écoute des subordonnés. Crozier constatait il y a dix ans, et nous l’observonsencore aujourd’hui, le grand décalage entre d’unepart l’effervescence et parfois l’enthousiasme intellec-tuel devant les changements à opérer et l’action àentreprendre, et d’autre part la timidité des mana-gers. Notre élite est inadaptée, disions-nous, « elle estun frein au changement » affirme le sociologue. Tropde dirigeants considèrent en France qu’une idée intel-ligemment élaborée doit automatiquement se concré-tiser. Cette tentation du discours et cette perte duprincipe de réalité sont soulignées par la plupart desauteurs. Ce qui manque c’est l’écoute, dit Crozier, c’estla confiance, dit Peyrefitte, c’est le courage, complèteServan-Schreiber. Chacun privilégie une qualité maisreconnaît l’importance des autres. Crozier par exempleaffirme que la confiance est une clé. Avec l’écoute, lespatrons découvriraient que les cadres ont les mêmesconceptions et aspirations qu’eux. Avec la confiance,ils reconnaîtraient la valeur des hommes et l’intérêt deleur accorder l’autonomie et la responsabilité. Avec lecourage, ils oseraient passer à l’acte et se donneraientles moyens de développer ces nouvelles capacités

Élaborer une stratégie comportementale

[148] © Éditions d’Organisation

Avec cette nouvelle culture

d’entreprise, ils ne sedemanderaient pluscomment motiver

le personnel, ils n’exhorteraient

pas à l’engagement mais ils réuniraient

les conditions favorablespour que les gens

se motivent eux-mêmes.

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collectives ; c’est le défi dans un contexte de crise per-manente qui, suscitant la capacité collective, transfor-merait le climat et la culture de l’organisation. Aveccette nouvelle culture d’entreprise, ils ne se demande-raient plus comment motiver le personnel, ils n’exhor-teraient pas à l’engagement mais ils réuniraient lesconditions favorables pour que les gens se motiventeux-mêmes. À la base de cette révolution des mentali-tés, il y a un déficit de connaissance des rapportshumains et des systèmes qui les conditionnent, c’estpourquoi nous allons consacrer les prochains chapitres àleur compréhension, avant de tracer les grandes lignesde ce que pourrait être une stratégie comportementale.

Sommes-nous préparés ?

© Éditions d’Organisation [149]

Sommes-nous préparés à entrer dans la « société cogni-tive» ? Malgré l’évident handicap d’être formés à lalogique abstraite, alors qu’il faut désormais partir de laréalité et intégrer l’irrationalité des rapports humains, lesFrançais ont « en magasin », dans leur héritage culturel,des qualités précieuses dans cette course. Le grand défiest de les mobiliser au service de l’entreprise. À la ques-tion « sommes-nous préparés ? », nous répondons « oui »,à condition de détecter ailleurs les bons outils qui nousaideront à forger nos propres leviers de changement et àrévéler notre potentiel humain inexploité. Nous pouvonsreprendre à notre compte la conclusion de Crozier. Latransformation de la société commence par apprendre àse comporter différemment, à perfectionner nos capacitésrelationnelles. Ces nouveaux comportements s’acquièrentpar un jeu d’essai-erreur plus qu’ils ne s’apprennent dansles livres. Après ces « y a ka », le lecteur comprendra pour-quoi nous apportons dans la dernière partie de ce livre lemoyen le plus reconnu de développer ses propres « capa-cités collectives. » Personne ne les inventera à notre place.

Il nous reste à inventer

nos propres solutions

“”

La transformation de la société

commence parapprendre

à se comporterdifféremment.

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Chapitre 8

Noscomportements

sont-ilsprévisibles ?

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Élaborer une stratégie comportementale

[152] © Éditions d’Organisation

Un grand débat traverse la littérature internationalesur les comportements en entreprise, c’est celui dudéterminisme. Comme la ligne de partage des eauxentre deux bassins hydrographiques, la ligne de par-tage des stratégies comportementales se situe entre,d’une part, les typologies de toutes sortes et les théo-ries comportementalistes (au sens américain de« behavioristes »), et, d’autre part, les théories inter-actionnistes et sociologiques. Il ne s’agit pas ici de s’en-liser dans des débats théoriques à l’infini, mais d’êtreconscient qu’à ce carrefour de notre exploration de laquestion comportementale dans un contexte profes-sionnel, il y a un choix important à faire. Nous ironsdonc droit à l’essentiel, en nous situant exclusivementdans le champ du développement professionnel, sansempiéter dans celui du développement personnel. Lebut de cette recherche est de pouvoir clairementrépondre à cette question : peut-on créer de nouveauxcomportements ou doit-on surtout le détecter, voire leprédire ?

Les partisans de l’inné assimilent les compétences rela-tionnelles et comportementales aux caractéristiquesphysiologiques, héréditaires ou congénitales ; les par-tisans de l’acquis les voient comme une constructionpermanente au travers d’expériences. Les tenants deces deux approches ne fixent pas de frontière aussinette entre ces deux origines des comportements maisprivilégient nettement l’une ou l’autre. On observeque les cadres français sont nuancés sur cette question,même s’ils semblent globalement faire plus confiance

Toujours le vieux débat

de l’inné et de l’acquis

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1. Management, aspects humainset organisationnels, ouvragecollectif, PUF fondamental, 1991.

Nos comportements sont-ils prévisibles ?

aux caractères innés d’une personnalité qu’à ce quipeut être acquis. Les positionnements sont différentssuivant que l’on se situe dans la sélection des diri-geants, la gestion de carrière ou la formation conti-nue. Dans le premier cas, le principe de l’innéprédomine : il s’agit de repérer des potentiels, c’est-à-dire non pas de créer mais de dévoiler des compé-tences non encore exploitées. Quand il s’agit deformation, les entreprises se partagent entre uneapproche « développer les potentiels cachés de cha-cun » (inné) et l’approche « outils et méthodes » per-mettant d’acquérir ces capacités sociales (acquis).

Quand on évoque les comportements, on pense aussitôt« type de personnalité. » Le premier réflexe rationnelde la plupart des cadres est de se souvenir qu’il existedes typologies permettant de déduire le comportementdes personnes. Pour être précis, il faut distinguer la per-sonnalité, qui serait la totalité mentale vue du dedans,ce qui est inné mais aussi le produit de notre éducationet de notre vie, et le caractère, qui serait la totalité men-tale vue du dehors, ce qui est antérieur à notre histoire,ce qui est résistant, permanent. Les tentatives de classi-fication en types de personnalité reliant le comporte-ment (partie de la personnalité qui se donne à voir) avecdes caractéristiques physiques ou psychiques sontanciennes et innombrables, comme l’indique la syn-thèse de Nicole Aubert1. Selon le médecin grec Hippocrate, vers 400 avantJésus-Christ, on retrouve dans l’homme les quatre élé-ments de la nature : l’air, la terre, le feu et l’eau ; ce

© Éditions d’Organisation [153]

“”

Les entreprises se partagent

entre une approche« développer les

potentiels cachés dechacun » (inné) et

l’approche « outils etméthodes » permettant

d’acquérir ces capacités

sociales (acquis).

Les typologies

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Élaborer une stratégie comportementale

sont des substances corporelles ou « humeurs » dontl’équilibre varie d’un individu à l’autre ; à l’air chaud ethumide correspond le sang, d’où un caractère « san-guin » ; à la terre froide et sèche correspond la bilenoire produite par la rate, d’où un caractère « mélan-colique » ; au feu chaud et sec correspond la bile jaunedu foie, d’où un caractère « colérique » ; enfin, à l’eaufroide et humide correspond la lymphe, d’où un carac-tère « flegmatique. » Bien que cette théorie ne corres-ponde pas à nos connaissances modernes de laphysiologie, c’est déjà l’identification du lien, aujour-d’hui reconnu, entre les sécrétions glandulaires et lesémotions. Le langage populaire utilise toujours lestermes d’Hippocrate, 24 siècles après.

Dans les années 1940, Sheldon formula l’hypothèsed’une correspondance entre un physique donné et untempérament, dans la mesure où ils seraient desexpressions différentes d’un même facteur génétique :à un corps rond et mou correspondrait une posturedétendue, un confort physique, l’amabilité indifféren-ciée, le goût pour la vie sociale et la bonne chère, uneréaction lente ; à un corps carré et dur, correspondraitl’énergie, le goût du risque, du pouvoir, la dureté avecles autres et avec soi-même, l’assurance dans la pos-ture, le mouvement ; à un corps longiligne et fragilecorrespondrait la timidité, l’émotivité, la retenue et latension dans la posture et le mouvement, des réac-tions sociales inhibées, une fatigue chronique, desréactions excessivement rapides. Cette typologie netient pas compte de la dynamique intrapsychique etdes interrelations avec l’environnement.

“”

Le langage populaire

utilise toujours les termesd’Hippocrate,

24 siècles après.

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Jung2 distingue deux attitudes face à la vie : l’attitude« extravertie », qui se caractérise par un écoulementextérieur de la « libido », par un intérêt pour les évé-nements, les êtres et les choses ainsi que par unedépendance vis-à-vis d’eux ; le type « extraverti » estmotivé par des facteurs extérieurs, il est très influencépar l’environnement, il est sociable et reste en relationavec le monde en cas de désaccord au lieu de se reti-rer. Ces deux types de personnalité se combinent àquatre fonctions dont nous disposons pour nous orien-ter dans la vie : la « sensation », ou perception par nossens, la « pensée » qui donne un sens et permet decomprendre, le « sentiment » qui pèse et évalue, l’«intuition » qui nous parle des opportunités futures etnous signale l’atmosphère qui entoure une expé-rience. D’après l’école caractériologique franco-hollandaise,on peut opposer l’homme « primaire », qui vit dansl’instant présent et chez lequel le passé ne retentitguère et ne laisse pas de traces profondes, et l’homme« secondaire », chez qui le passé retentit profondé-ment ; il est en général plus organisé, plus méthodique,plus fidèle, mais aussi moins souple, plus soumis à seshabitudes que le « primaire. » Certains auteurs ont com-paré la construction de la personnalité au développe-ment d’un arbre : les racines seraient les facteurs innés,le tronc représenterait les facteurs acquis, les branchesseraient les conduites mises en jeu par les différentessituations rencontrées. Dans cette perspective, la per-sonnalité serait à la fois le fruit de l’inné et de l’acquis.Une même donnée génétique peut ainsi fabriquer dessystèmes nerveux centraux assez différents en fonction

2. Types psychologies, C. G. Jung,BUCHET-CHASTEL, 1967.

Nos comportements sont-ils prévisibles ?

© Éditions d’Organisation [155]

Certains auteurs

ont comparé laconstruction de lapersonnalité au

développement d’unarbre : les racines seraientles facteurs innés, le troncreprésenterait les facteurs

acquis, les branchesseraient les conduitesmises en jeu par les

différentes situationsrencontrées. Dans cette

perspective, lapersonnalité serait

à la fois le fruit de l’inné

et de l’acquis.

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Élaborer une stratégie comportementale

de toute l’aventure personnelle. On s’éloigne alors dudéterminisme des typologies traditionnelles.

Le behaviorisme américain, réduit à l’expérience dePavlov, a longtemps servi de repoussoir dès que l’onévoquait les comportements. Aujourd’hui encore,beaucoup assimilent par réflexe, c’est le cas de le dire,un séminaire comportemental à cette théorie détermi-niste, autant dire à de la manipulation. C’est il est vraiun excellent prétexte pour en rester au statu quo. Maisde quoi s’agit-il ? L’origine de ce courant est la célèbreexpérience de Pavlov en 1913 mettant en évidence des« réflexes conditionnés » : un chien est progressive-ment conditionné à saliver non plus au seul vu de lanourriture présentée mais à la seule perception d’unstimulus associé préalablement à la nourriture enquestion (une lumière ou une sonnerie). À la mêmeépoque, une expérience américaine sur des chats etdes lapins découvrant et reproduisant le comporte-ment adéquat pour sortir d’une cage ou se procurer dela nourriture (en tirant sur un fil ou en appuyant surun levier) conduit son auteur Thorndike à la conclu-sion que l’on peut accélérer l’apprentissage deshumains grâce à des récompenses. Dans les années 1930, l’Américain Skinner applique cesprincipes à l’étude systématique du comportementhumain. Selon lui, c’est l’observation des événements(stimuli) et des comportements (réponses) qui peutexpliquer comment un animal ou un individu fonc-tionne. La récompense reçue pour la réaction appro-priée est appelée « renforcement. » C’est ce type deréponse qui caractérise le comportement humain plus

Les théories

comportementalistes

“”

Le behaviorisme américain,

a longtemps servi derepoussoir dès que l’on

évoquait lescomportements.

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Nos comportements sont-ils prévisibles ?

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que le réflexe conditionné. Les comportements renfor-cés finissent par constituer un répertoire de réponsesconditionnées qui contribue à former la personnalité.De même, si un comportement qui avait été dans unpremier temps renforcé ne produit plus de résultat, iltend à devenir de moins en moins fréquent et ce pro-cessus est appelé extinction. Skinner estime que lapunition est une mauvaise façon de supprimer lescomportements indésirables parce qu’elle peut pro-duire des effets secondaires nocifs et parce que sonefficacité est temporaire. Cette théorie évacue toutsubjectivisme et rejette l’approche freudienne de lavie psychique et mentale et de la conscience de soi.

« Pour le courant behavioriste, conclut Nicole Aubert, lescomportements humains ne sont que le produit des rela-tions de l’individu avec son environnement, relationsdéfinies par le schéma du conditionnement opérant. »

D’autres théoriciens des comportements ont intégréau contraire dans l’approche comportementaliste lesconcepts freudiens et la dimension cognitive del’apprentissage. Ils se rapprochent de la psychanalysepar l’importance qu’ils donnent aux premières expé-riences et aux premiers renforcements dans l’explica-tion du développement de la personnalité. Ilsconsidèrent que nous acquérons notre personnalité dela manière que nous apprenons à utiliser un ordina-teur, par un processus de « modélisation psycholo-gique. » Les cognitivistes s’intéressent moins àl’explication des différences individuelles qu’aux diversmécanismes d’apprentissage des comportements.

Les cognitivistes

“”

Les cognitivistes s’intéressent

moins à l’explication desdifférences individuelles

qu’aux divers mécanismesd’apprentissage des

comportements.

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Selon eux, le comportement d’un individu est déter-miné non par le type de personne auquel il appartient,mais par les situations dans lesquelles il se trouve. Maiscomme il est évident que nous ne réagissons pas tousde la même façon à une même situation, les compor-tementalistes et les cognitivistes expliquent cela par lefait que nous réagissons à des stimuli différents de lasituation et à un conditionnement antérieur qui nousconduirait à sélectionner dans la situation un type destimuli plutôt qu’un autre en fonction de notreapprentissage préalable.

La personnalité d’un individu n’est pas seulementinfluencée par son enfance, elle est aussi le produit deson contexte social. D’après Vincent de Gaulejac3,

« Ce qu’on appelle destinée n’est que l’expression de ceà quoi on a été destiné par ceux qui nous précèdent. »

Des études ont montré que les familles de fonction-naires produisaient avant tout des fonctionnaires, lesfamilles capitalistes des capitalistes, les famillesouvrières des ouvriers et les familles de cadres descadres. Le sociologue Pierre Bourdieu4 explique lescomportements par des habitus, définis comme unensemble de pratiques qui se sont constituées en fonc-tion de leur pertinence, c’est-à-dire de leur capacité àapporter des réponses aux conditions concrètes d’exis-tence à un monent donné et qui se transmettent degénération en génération. Nous serions pour ainsi direprogrammés socialement par ces habitus inscrits dansle corps et dans le psychisme, perçus comme faisant

3. La Névrose de classe, Vincentde GAULEJAC, Éd., Hommes etGroupes, 1987.

4. Question de sociologie, PierreBOURDIEU, Éd. de Minuit, 1980.

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partie de l’ordre de la nature, comme des attitudesinnés, alors qu’elles sont conditionnées.

« Les processus psychologiques ne sont plus dans cetteperspective que des courroies de transmission des habi-tus », souligne Nicole Aubert.

Né dans les années 19605, le courant de recherche de« la contingence structurelle » tend à prouver que lesexigences technologiques déterminent les structuresdes organisations, via les contraintes de la perfor-mance, et s’efforce d’inventorier et de décrire les prin-cipales dimensions de cette dépendance. À partird’une étude systématique, et si possible statistique,des relations existantes entre les facteurs contextuelset les structures, il s’agit de développer des lois cau-sales expliquant les variations structurelles obser-vables. Perrow en arrive à établir une typologie desliens existant entre les techniques de production et lesstructures et le modes de fonctionnement des organi-sations. Chacun des types correspond à une certainestructure organisationnelle et entraîne des modes decomportement déterminés. Il y aurait donc, selon ceschercheurs, un déterminisme des organisations,comme il y aurait un déterminisme des comporte-ments individuels.

Le discours et les pratiques actuelles des entreprises, àl’aube de cette révolution culturelle des comporte-ments, sont manifestement très influencées par cettevision déterministe. Cela peut s’expliquer par l’appa-rente rationalité de ces approches et la prédisposition

5. The Comparative Study ofOrganizations, P.-M. BLAU,Industrial and Labor RealationReview, 1965.

Nos comportements sont-ils prévisibles ?

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Critique du déterminisme

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Il y aurait donc, un déterminisme

des organisations,comme il y aurait un

déterminisme descomportements

individuels.

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des managers à un raisonnement logique, à du quan-tifiable. Devant l’inconnu, ils ont tendance à ramenerces questions irrationnelles à des schémas connus. Lesquestionnaires, tests, grilles d’analyse, typologies foi-sonnent. C’est un feu d’artifice d’appareillages les plusdivers pour nous ranger dans des catégories et déduireou prédire nos comportements futurs. Logiciels etoutils de mesure sont importés, achetés ou « faits mai-son. » Les DRH courent après la dernière technique àla mode qui leur permettra de tout prévoir. Onretrouve les méthodes du « développement person-nel », en oubliant que nous sommes là dans uncontexte tout à fait différent : il ne s’agit plus d’un tra-vail volontaire et confidentiel sur soi à l’initiative de lapersonne, mais de développement de nouveaux com-portements professionnels à l’initiative de l’entreprise,et en groupe, autrement dit de « développement pro-fessionnel », ce qui change bien des choses. Noussommes là dans l’« ici et maintenant » et non plus dansl’analyse de la personnalité intime et de son passé. Cesentreprises ne font-elles pas fausse route ? Le déter-minisme serait-il une impasse ou un piège à éviter ? Des approches individualisées repèrent une série d’in-dices qui permettent ensuite de déduire toute unesérie de traits particuliers. On ne parlera pas de « per-sonnalité imaginative » mais on accordera beaucoupd’importance au repérage, par exemple, de la capacitéde faire des propositions originales. Mais il s’agit tou-jours de méthodes déterministes qui ramènent l’en-semble de l’humanité à un nombre limité de cas. « Denombreux auteurs dénoncent cette « erreur fonda-mentale » qui consiste à négliger les facteurs situa-

Élaborer une stratégie comportementale

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C’est un feu d’artifice

d’appareillages les plusdivers pour nous ranger

dans des catégories et déduire ou prédire nos

comportements futurs.

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tionnels et à valoriser les facteurs dispositionnels,c’est-à-dire concernant la personnalité de l’individu.Les entreprises sont largement sous l’emprise de cesthéories implicites qui permettent d’associer certainstraits de personnalité à des prédictions en termes decomportements professionnels. Individuellement,nous avons nous-mêmes tendance à juger une per-sonne qui se comporte en fonction d’une situation oud’un rôle donné, sans tenir compte que cette mêmepersonne peut se comporter d’une toute autremanière dans un environnement ou dans un rôle dif-férent. Ce phénomène apparaît au grand jour lors denos séminaires : très souvent les participants sont éton-nés de découvrir chez leurs collègues des talents oudes traits de personnalité qu’ils ignoraient, alors qu’ilstravaillent ensemble quelquefois depuis des années ;les patrons et cadres disent leur fierté d’animer deséquipes aussi fortes et des personnes ayant des poten-tiels jusque là ignorés, et tout cela parce que lecontexte a changé. Il faut donc très fortement relativi-ser l’efficacité des approches déterministes, et mêmeen révéler les dangers lorsqu’on leur accorde tropd’importance dans les prises de décision, êtreconscient de notre subjectivité et de l’influence dessituations sur les comportements. On en arrive à l’idéequ’il serait plus utile d’expérimenter d’autres mises ensituations révélatrices de talents inexploités, plutôtque de s’exciter à mettre les gens dans des catégories,car la signification en soi d’un comportement n’existepas. Elle est toujours à trouver par rapport au contextedans lequel elle se déroule.

Nos comportements sont-ils prévisibles ?

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Très souvent les participants

sont étonnés de découvrirchez leurs collègues destalents ou des traits de

personnalité qu’ilsignoraient, alors qu’ilstravaillent ensemble

quelquefois depuis

des années.

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Dans son best-seller Les Sept Habitudes, l’AméricainStephen Covey, conseiller du président des États-Uniset organisateur à la Maison blanche d’un colloque surla formation du caractère, s’insurge aussi contre cettevision déterministe des comportements humains etrappelle que nous nous distinguons des animaux par laconscience de soi :

« Elle donne à l’homme un pouvoir sur toute chose aumonde et qui le fait progresser génération après géné-ration. C’est grâce à elle que nous pouvons évaluer notrevécu comme celui d’autres personnes et en tirer desenseignements. C’est aussi grâce à elle que nous pou-vons faire et défaire nos habitudes. »

Nous sommes conditionnés, mais nous pouvons enavoir conscience, estimer si ces conditionnements sefondent sur la réalité ou sur de vrais principes. Ledéterminisme génétique, psychique et social est uneréalité ; il ne s’agit pas de s’en plaindre ou de le nier,mais, comme le dit bien Covey, entre ce qui nous arrive(le stimulus) et notre réaction, s’interpose notreliberté, notre pouvoir de choisir une réponse. Il n’estqu’à penser à certains prisonniers des camps deconcentration nazi : leurs geôliers pouvaient êtremaîtres du lieu, faire ce qu’ils voulaient de leur corps,mais ils restaient conscients de leur identité et pou-vaient décider seuls comment ces horreurs pouvaientles affecter.

« Ils ne peuvent pas nous enlever notre dignité si nousne la leur cédons pas », disait Eléonore Roosevelt.

Élaborer une stratégie comportementale

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Il serait plus utile

d’expérimenter d’autresmises en situations

révélatrices de talentsinexploités, plutôt que

de s’exciter à mettre lesgens dans des catégories,

car la signification en soi d’un

comportement n’existe pas.

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Je pense à la phase terminale de la longue maladie dema mère durant laquelle, jusqu’au dernier jour, elle agardé une force de caractère incroyable. C’est bien sonintégrité qui l’inspirait. Rien n’est plus impressionnantque cette capacité à dépasser sa souffrance et de voircombien des valeurs personnelles peuvent ennoblirune vie. Nous pouvions lire dans ses yeux une vie d’en-gagement, de courage et d’amour. François Léotard,dont elle fut l’adjoint à la mairie de Fréjus, a pu dired’elle :

« La vrai victoire de Janine sur la mort c’est d’avoir renduchacun d’entre nous, ne fut-ce qu’un instant, un peuplus attentif à l’autre, un peu meilleur, un peu moinsseul. Nous accompagnons sa vie comme elle nous l’aconfiée : une vie droite comme une petite flamme deNoël, une vie tenace qui ne s’est effacée que le temps derenaître dans le cœur de chacun d’entre nous. »

Lorsque qu’on est témoin de cette remarquable forceintérieure, on ne peut que relativiser le poids du déter-minisme.

Il y a conditionnement pour ceux qui le veulent bien.

Soyons proactifs, prenons des initiatives ! Voilà unautre discours qui supplante celui du déterminisme.

« Soyez un exemple, pas un critique. Soyez une partie dela solution, et non une partie du problème. »

Nous n’avons pas attendu les gourous américains dumanagement pour prendre conscience de la marge de

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Lorsque qu’on est témoin

de cette remarquableforce intérieure, on ne

peut que relativiser le poids du

déterminisme.

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Soyonsproactifs,

prenons des initiatives !Voilà un autre discours

qui supplante celui du

déterminisme.

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liberté que possèdent les membres d’une organisation,même la plus rigide. C’est encore Michel Crozier qui,dès 1977, affirmait qu’il n’y a pas de lois naturelles ducomportement humain, qu’il n’existe pas de systèmessociaux entièrement réglés ou contrôlés. Dans L’Acteuret le système, il résume ainsi son point de vue de socio-logue :

« Une situation organisationnelle donnée ne contraintjamais totalement un acteur. Celui-ci garde toujours unemarge de liberté et son comportement pourra et devras’analyser comme l’expression d’une stratégie ration-nelle visant à utiliser son pouvoir au mieux pouraccroître ses « gains », à travers sa participation à l’orga-nisation. En d’autres termes, il tentera à tout instant demettre à profit sa marge de liberté pour négocier sa« participation », en s’efforçant de « manipuler » ses par-tenaires et l’organisation dans son ensemble de tellesorte que cette « participation » soit « payante » pourlui. »

Un tel fonctionnement ne correspond plus à la visiontaylorienne d’un ensemble mécanique de rouagesagencés et mus par une rationalité unique, ou à lavision bureaucratique d’une organisation hiérarchiséeà l’excès et déresponsabilisante... L’organisation vuepar Crozier n’est rien d’autre qu’un univers de conflit,et son fonctionnement le résultat des affrontementsentre les rationalités contingentes, multiples et diver-gentes d’acteurs relativement libres, utilisant lessources de pouvoir à leur disposition. La notion « d’ob-jectifs communs » est ici remise en question. Il peut yavoir des objectifs partagés, mais pas d’unicité d’ob-jectifs au sein d’une organisation. Chacun hiérarchi-

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Si dans l’organisation

il y a contrainte,il n’y a pas déterminismecar dans toute situation

structurée subsiste un élément de liberté,

le jeu.

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Les jeux de pouvoir

dans une équipe

sera de façon différente les objectifs de l’organisationet ajustera son action en conséquence. Selon cet auteur,

« Le jeu est l’instrument que les hommes ont élaborépour régler leur coopération. C’est l’instrument essentielde l’action organisée. Le jeu concilie la liberté et lacontrainte. »

Si dans l’organisation il y a contrainte, il n’y a pasdéterminisme car dans toute situation structurée sub-siste un élément de liberté, le jeu.

Alain Cardon reprend, à propos de la prise de décisionen équipe, la théorie des jeux d’Éric Berne6. Larecherche de l’unanimité dans une réunion peut êtrecoûteuse car personne n’appliquera une décisionacceptée formellement et passivement. Ce soi-disant« consensus » déclenchera le « jeu du stupide » et lesabotage inconscient de l’efficacité de l’organisation :« j’ai oublié... » Dans ce jeu du pouvoir, certains saventparfaitement rivaliser dans le « soyons parfaits » ; celaconsiste à ajouter sans cesse de nouveaux gadgets, desdétails complexes à un projet simple jusqu’à ce qu’ilsoit impossible de le réaliser.

« Il est assez surprenant de voir dans les organisations,avec un décalage portant parfois sur une quarantained’années, écrit Cardon, comment des adultes utilisent avecleurs patrons les mêmes stratégies pour éviter l’applicationd’une décision que celles qu’ils ont dû utiliser à l’âge decinq ou dix ans, notamment avec leurs parents. On envient d’ailleurs à se poser des questions sur la soi-disantmaturité des adultes, ou l’immaturité des enfants. »

6. Décider en équipe, AlainCARDON, Éditions d’Organisation,1992.Des Jeux et des hommes, ÉricBERNE, Stock, 1966.

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Des adultes utilisent avec

leurs patrons les mêmesstratégies pour éviter

l’application d’unedécision que celles qu’ils

ont dû utiliser à l’âge de cinq

ou dix ans.

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L’auteur donne encore l’exemple d’un manager don-nant une nouvelle directive ou fixant une nouvellelimite ; bien souvent, quelques semaines après, un ouplusieurs de ses subordonnés testeront l’application dela décision. Certains n’hésitent pas à envoyer un autreinnocent au front à leur place. Si rien ne se passe, lesemployés concluront que la mesure n’était pas priori-taire. Une règle devrait donc être assortie de pénalités,mais alors le « jeu du gendarme et du voleur » consisteà rechercher inconsciemment la sanction afin d’êtrerassuré en découvrant qu’il existe des limites ferméesà son univers. Une décision peut être également com-battue en discutant sa validité et sa faisabilité ; dans le« jeu du dictionnaire », il s’agit de s’enliser dans desdiscussions passionnées et interminables sur la signifi-cation de chacun des mots utilisés pour formuler ladirective ; la créativité des équipes est alors immense.Cardon préconise de couper court par un rappel fermeet simple de l’objectif, des délais ou du système derécompense et pénalités. Dans le jeu « battez-vous »,une personne joue un cadre contre la direction, ou uncadre contre un autre cadre. À chaque fois qu’un sujetindésirable est abordé, le « jeu de la scène » consiste àenflammer de plus en plus la discussion jusqu’à mena-cer de quitter la salle ; si le patron a besoin de ce cadre,il acceptera ce processus d’intimidation, minant ainsisa propre crédibilité. Dans cette pittoresque panoplie de jeux, on trouveaussi celui du « tribunal », de type double contrainte :confronté à des cadres qui quittent régulièrement lasalle en cours de réunion, un directeur leur demanded’arrêter cette mauvaise habitude. L’un d’entre eux lui

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réplique qu’il est d’accord, mais qu’il doit souvent s’ab-senter sinon il a une crise d’asthme ; ce n’est pas de safaute s’il a besoin d’air frais ; il est évident que cetteremarque s’adresse à un gros fumeur ; le cadre visérétorque à son tour qu’il accepte de ne plus fumer enréunion, mais que s’il a réellement envie de fumer ildevra quitter la pièce pour fumer à l’extérieur ; cesdeux managers cherchent en réalité à placer le direc-teur dans une position de « juge », à gaspiller sonénergie dans des problèmes relationnels.

« Ces mêmes managers qui ne cessent de pester sur l’ab-sentéisme de leurs employés, écrit Cardon, sont réguliè-rement absents des réunions du comité de direction,avec d’excellentes raisons diplomatiques ou non. »

C’est un autre jeu : « faites ce que je dis mais pas ceque je fais. » De même, une participation non active àune réunion (« je n’ai jamais dit que j’étais d’accord »,ou « ils ont décidé que... ») peut être considéréecomme un premier pas dans un jeu préparant à un« sabotage » futur de l’équipe.

« Si un cadre déclare qu’il n’a rien à apporter à un telgroupe, conseille l’auteur, sa présence dans celui-ci peut,et même doit, être remise en question. »

Des remarques du genre « à quoi bon donner son avis,il décide tout lui-même » révèlent que la personneconfond prise de décision et consultation car la prisede décision n’est pas la même chose qu’un processusde collecte d’informations.

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Ces mêmes managers

qui ne cessent de pestersur l’absentéisme de leurs

employés, sontrégulièrement absents

des réunions du comité

de direction.

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Un ami entrepreneur me disait que Louis XIV pouvaitêtre considéré comme le père du managementmoderne : à l’exception de la nomination de l’évêqued’Alançon, il n’aurait jamais pris une décision seul ; ilretenait toujours la meilleure idée après consultationde son conseil privé ; mais, officiellement, c’était le roiqui voulait. On dit que pour faire accepter par Colbertle coût de la construction du château de Versailles, ilavait procédé par étapes ; d’abord il présentait lesplans du rez-de-chaussée, avec de part et d’autre dutoit en terrasse deux « pavillons », futurs salons de lapaix et de la guerre, dont on ne voyait pas l’utilité ;puis cette partie une fois construite, il révélait les plansde la somptueuse galerie des glaces qui devait, en pre-mier étage, relier ces deux « pavillons. » Mon amientrepreneur maîtrise lui-même l’art de laisser propo-ser par ses collaborateurs les décisions qu’il juge lesmeilleures. Toutes les équipes devraient s’inspirer deces maîtres dans l’art du management.

Les théories déterministes prouvent ici leur ineffica-cité. Qui peut prédire « rationnellement » le compor-tement des employés quand on prend conscience deces constants jeux de pouvoir ?

« Si l’histoire fait de l’homme un individu programmé,écrit Nicole Aubert, cet individu garde la capacité demodifier cette programmation, d’opérer uneréécriture. »

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Louis XIV pouvait être

considéré comme le pèredu management

moderne : à l’exceptionde la nomination

de l’évêque d’Alançon, il n’aurait jamais

pris une décision seul.

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À l’inverse du déterminisme et du comportementa-lisme, qui majorent les causes liées à l’inné et à l’envi-ronnement, de nombreux travaux valorisent laresponsabilité des individus, qu’il s’agisse de soi ou desautres, notamment lorsqu’on veut identifier les déter-minants de l’implication au travail. Les déterminantsindividuels tournent autour de deux notions : lebesoin d’accomplissement ou de réussite et le locus ofcontrol. Le locus de contrôle (Rotter, 1966) consiste àconsidérer comme la principale cause des événementsque l’on vit (locus de contrôle interne) ou au contraireà en attribuer l’origine à l’extérieur (locus de contrôleexterne). On observe que les personnes qui se jugentresponsables de ce qui leur arrive ont tendance à s’im-pliquer davantage dans le travail. Ceux qui rejettentsur les autres la cause des événements ne sont pas inci-tés à s’investir dans l’activité professionnelle. Cettenotion est liée aux expériences de réussite ou d’échecantérieures et à la façon dont elles ont été décryptéespar l’entourage et par soi-même. Et l’on retrouve latentation du déterminisme : si l’on peut mesurer pardes tests cet élément relativement stable, on peutdonc détecter, sélectionner et évaluer en fonction decritères psychologiques. On va jusqu’à constater queles salariés insatisfaits de leur vie affective et familialeont tendance à adopter des comportements d’implica-tion au travail. Autre phénomène lié au locus decontrôle, le biais de complaisance consiste à attribuernos succès à nous-mêmes et nos échecs à l’extérieur. Lasociologie montre que les causes des faits sociaux

Nos comportements sont-ils prévisibles ?

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On observe queles personnes qui se jugent

responsables de ce quileur arrive ont tendance à

s’impliquer davantagedans le travail. Ceux quirejettent sur les autres lacause des événements ne

sont pas incités às’investir dans

l’activité professionnelle.

Le locus de contrôle

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(réussite ou échec scolaire, mariage, choix profession-nels, loisirs, comportements politiques, etc.) sont biendifférentes des raisons invoquées par les personnesconcernées et de leur liberté supposée.

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En même temps que se renforce dans l’entreprise l’idéequ’il faut rechercher le développement du potentiel deses salariés, acteurs autonomes, plutôt que de vouloir pré-dire leur comportement en vertu d’un conditionnementtrop mécanique pour être vrai, se renforce également lacritique de cette majoration du rôle de l’individu.

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Chapitre 9

Un nouveaumoyen

demanipulation ?

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1. Le Monde du 5 septembre1988, article signé Marie-Christine ROBERT.

Élaborer une stratégie comportementale

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Il nous reste encore un verrou à lever. Nous avonsobservé que beaucoup sont heurtés ou agacés par cediscours humaniste sur « le salarié maître de lui ayantprise sur son destin. » De violentes critiques reviennentrégulièrement dans les livres de management sur cequi ne serait qu’une nouvelle manipulation du patro-nat. Ces craintes sont renforcées par l’audience decertains livres qui tentent de moraliser cette manipula-tion en donnant bonne conscience à ceux qui y ontrecours. Le salarié accompli et conscient qu’il est lacause de ce qui lui arrive apparaît en totale contradic-tion avec la réalité des grandes entreprises qui, de plusen plus, considèrent leur personnel comme des pions àbouger ou à sortir du jeu, non pas en fonction de leurimplication au travail ou de leur compétence, mais augré des opérations financières et des taux de rentabi-lité exigés par des actionnaires souvent étrangers.Certains commencent à crier à l’imposture. Il faut doncêtre clair avec cette question existentielle avant de selancer dans une stratégie comportementale authen-tique et efficace.La forte médiatisation de nos stages « Hors limites » àla fin des années 80 a suscité de très nombreuses réac-tions et réflexions sur les compétences relationnelleset comportementales qui commençaient à être atten-dues des salariés, et en particulier des cadres. Déjà lesjournalistes insinuaient que, dans ce nouveau marchéde la formation, la manipulation était à craindre. Pourillustrer en première page du journal Le Monde1 unarticle intitulé « Programmation neuro-linguistique etstages “ hors-limites ” : des cadres dernier cri », onvoyait un dessin représentant un patron-dompteur fai-

Le salarié accompli

et conscient qu’il est lacause de ce qui lui arrive

apparaît en totalecontradiction avec

la réalité des grandesentreprises qui, de plus

en plus, considèrent leurpersonnel comme des

pions à bouger ou à sortirdu jeu, non pas en

fonction de leurimplication au travail

ou de leur compétence,mais au gré des

opérations financières et des taux de rentabilité

exigés par desactionnaires

souvent étrangers.

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Un nouveau moyen de manipulation ?

sant sauter dans son cerceau tendu à bout de bras uncadre-lion, suivi d’employés-moutons. Le messageétait limpide : développer de nouveaux comporte-ments revient à manipuler les gens. Il y avait de quoirefroidir n’importe quel manager qui n’avait pas enviede se faire traiter de manipulateur malhonnête, aumoment où l’on ne parlait que d’éthique des affaires.

« L’arsenal des propositions qui sont faites aux entre-prises françaises est d’autant plus varié que la perplexitédes chefs d’entreprise qui découvrent l’impact du com-portement des salariés sur la production est grande, cequi permet les expérimentations les plus étonnantes »,écrit l’auteur de cet article.

Suit un joyeux fourre-tout où l’on trouve, en plus desstages cités en titre, l’initiation au culte vaudou, àl’Islam ou des happenings façon baba-cool. De quoifaire fuir les cadres les plus ouverts. Selon un cadre deL’Oréal interrogé,

« une vision matérialiste de l’entreprise qui ne respecte-rait pas l’homme produirait des cadres carriéristes et infi-dèles à leurs employeurs. »

La journaliste conclut :

« La greffe des nouvelles compétences ne peut prendrequ’à certaines conditions. Tout d’abord, une entreprisequi demanderait à ses salariés de donner le meilleurd’eux-mêmes mais refuserait de mettre en place unevéritable politique sociale se bercerait d’illusion. (...) Leschefs d’entreprise comprendront-ils à temps le rôle quepeut jouer dans leur stratégie cette révolution cultu-relle ? »

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Les chefs d’entreprise

comprendront-ils à tempsle rôle que peut jouer

dans leur stratégie cetterévolution culturelle ?

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Il aura fallu encore dix ans pour en arriver à la volontéde passer à l’acte. Le mot « manipulation » ne figurepas dans cet article, alors pourquoi l’avoir illustré d’undessin qui l’annonçait ? Pourquoi dénigrer dès ledébut les réponses à ce nouveau besoin de formationjugé stratégique par l’auteur de l’article ? Cet exempletémoigne d’un embarras évident lorsque l’on évoqueles comportements à repérer, prédire ou former.L’ambiguïté de cet article se retrouve depuis dans lapresse du management et dans les rares ouvrages évo-quant la question. Il est temps de se forger une opi-nion sur la question éthique des comportements enentreprise.

Le notion floue et subjective de « compétences », sousentendu « capacités relationnelles et comportemen-tales », éloigne de la notion bien cadrée et quanti-fiable de « qualifications. » C’est bien ce qui inquiète :en marginalisant la qualification et en tombant dansla « dictature » de la compétence, on vulnérabilise lesalarié. La situation de travail devient le lieu quasiexclusif d’acquisition de ces compétences. Quelquesauteurs devinent derrière ce glissement un planmachiavélique du « patronat » pour maintenir sonpouvoir et manipuler les cadres. Parmi eux, SandraMichel-Bellier dénonce le stéréotype qui se cache dansla notion de « compétences transversales » : c’est unmodèle de cadre, en contradiction avec l’origine destravaux sur ces nouvelles compétences, liées au« savoir-être » qui était la lutte contre l’exclusion parla recherche d’autres critères que les diplômes et le

Un renforcement du

modèle dominant ?

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savoir ; c’est ensuite un modèle de très forte implica-tion. Le pragmastisme et l’innovation à tout prixcrééent un sentiment d’urgence et de stress perma-nent ne laissant aucun répit. Sous-jacente à cette opposition, on ne peut s’empê-cher de penser à la vieille lutte idéologique contre « lalutte des classes » et « l’exploitation de l’homme parl’homme. » Pourquoi voir des contradictions là où il n’yen a pas ? Les professionnels de l’insertion comme lesmanagers ont la même préoccupation et cherchent,chacun à leur manière, à intégrer la dimension com-portementale dans leur action, quoi de plus normalpuisqu’ils baignent dans le même bain de la nouvelleréalité économique ? Nous intervenons nous-mêmesdans ces deux domaines sans état d’âme, sans se sentirécartelés entre des objectifs contradictoires, et nousnous sentons aussi utiles à la société quand nous per-mettons à des jeunes en difficulté d’expérimenter laréussite et l’auto-discipline que lorsque nous aidonsdes équipes de direction à inventer leur mode de fonc-tionnement. En général, ce sont les universitaires et lesenseignants qui expriment le plus violemment cegenre de craintes, alors que les personnes concernéesdans la réalité de l’entreprise ont un point de vuemoins idéologique. Cela ne veut pas dire qu’il ne fautpas être vigilant et dénoncer les impostures mani-festes. Les qualités de personnalité attendues de tousn’étaient jadis, dans un système fortement hiérarchiséet déresponsabilisant, sollicitées que de l’élite ; cer-taines écoles privées prestigieuses, comme l’École desRoches en Normandie, ou le scoutisme, bien qu’ouvertà tous, donnaient dans les faits aux enfants de la bour-

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Nous nous sentons aussi

utiles à la société quandnous permettons à des

jeunes en difficultéd’expérimenter la réussite

et l’auto-discipline quelorsque nous aidons des

équipes de direction à inventer leur

mode defonctionnement.

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Élaborer une stratégie comportementale

geoisie l’exclusivité de la formation du caractère. Il y aun paradoxe à s’offusquer de cette évolution vers ladémocratisation de cette formation, et son élargisse-ment à la vie professionnelle, tout en craignant que cenouvel étalon de la réussite ne soit réservé qu’à « laclasse dominante. »

Quant à s’alarmer de voir ces critères d’attitudes liéesau travail plus éliminatoires que les diplômes, au seulbénéfice de l’élite en place, il s’agit d’une maldonne :la sélection et la formation de l’élite fondées sur lalogique abstraite la rend, nous l’avons vu, inadaptéeau monde moderne ; le critère de réussite profession-nelle fondé en partie sur « l’intelligence émotion-nelle », et non plus exclusivement sur « l’intelligencecognitive », ne pourra que renouveler l’ordre social. Lemeilleur exemple de ces compétences possédées par lapersonne indépendamment de son milieu social estdonné par ces jeunes de la deuxième génération d’im-migrés qui parviennent à dépasser les barrières cultu-relles pour intégrer rapidement le milieu dominant.Cela prouve qu’il s’agit d’une conquête individuellebeaucoup moins liée au milieu social que l’acquisitiondes savoirs, autrefois critère unique de sélection.Lorsque les performances d’une équipe dirigeantesont saluées par un grand journal économique commele succès de « boy-scouts en action », et qu’être dési-gné comme « intellectuel » devient presque une injuredans les entreprises, c’est que les choses changent.Il en reste pas moins vrai que cet étalon ou ce critèreest encore flou et subjectif, et que c’est précisémentpour cela que nous préconisons de ne pas s’engagerdans l’impasse du déterminisme et des typologies mais

La sélection et la formation

de l’élite fondées sur lalogique abstraite la rend,

inadaptée au mondemoderne ; le critère deréussite professionnelle

fondé en partie sur« l’intelligence

émotionnelle », et nonplus exclusivement sur

« l’intelligencecognitive », ne pourra

que renouvelerl’ordre social.

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d’inventer sa propre manière de développer de nou-velles capacités collectives, dans d’autres temps (se for-mer tout au long de la vie) et dans d’autres lieux (horsd’une salle de cours). Pourquoi trouver tout à fait nor-mal de parler d’« employabilité » dans le cas de chô-meurs, c’est-à-dire l’ensemble des atouts et desfaiblesses d’un chômeur face à l’emploi, et de refuserce terme en entreprise pour désigner « l’attractivitéd’un individu aux yeux de l’employeur » ? Cette« attractivité » se mesure d’ailleurs depuis longtempsdans les pays d’Europe du Nord par des tests combi-nant l’évaluation des aptitudes et des comportements.Puisque les entreprises ne peuvent pas garantir l’em-ploi, elles sont invitées à garantir l’employabilité deleurs salariés, même s’elles sont amenées à les licencierplus tard. Une « entreprise apprenante » forme sesemployés à s’adapter au marché du travail et les inciteà y veiller eux-mêmes.

Vouloir changer les mentalités et les comportementsdans une organisation tout en se laissant envahir parces débats existentiels, c’est comme conduire une voi-ture le frein à main serré. Autant savoir tout de suitecomment le desserrer. En lisant certains auteurs, je m’aperçois que j’étais sansle savoir le jeu de « l’idéologie de la réalisation desoi », et que ce serait dangereux. J’avoue que sur le« mur d’expression » de ma chambre d’adolescent il yavait des citations toutes orientées vers cette philoso-phie ; Demian d’Hermann Hesse m’invitait à trouver lemeilleur en moi :

L’idéologie de

la réalisation de soi

est-elle dangereuse ?

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En lisant certains

auteurs, je m’aperçois quej’étais sans le savoir le jeu

de « l’idéologie de la réalisation de soi »,

et que ce seraitdangereux.

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« Vous voyez combien il en est qui sont encore poissonsou moutons, vers ou sangsues, fourmis ou abeilles ! Enchacun d’eux, toutefois, l’humanité véritable est enguerre, mais ces possibilités d’humanité ne lui appar-tiennent en propre que lorsqu’il a commencé à les pres-sentir, à les réaliser en partie dans sa conscience. »

Milarepa, un moine tibétain du XIe siècle, me montraitla voie :

« Ce qui me fait pleurer, c’est la pensée que toutes lescréatures peuvent être Bouddha, qu’elles ne le saventpas et meurent dans la douleur ; la pensée surtoutqu’une fois arrivées à la condition d’homme, elles meu-rent sans idéal. Monte jusqu’au seuil de ta proprecroyance, par l’enseignement des autres, mais avec lespas de ta propre expérience.»

Et ça ne s’est pas arrangé avec mes très longues annéesscoutes, durant lesquelles j’ai appris la leçon de Paul-Emile Victor :

« C’est très important de croire au père Noël. »

J’ignorais que l’explorateur de la Terre Adélie allaitbien plus tard me faire l’honneur d’inaugurer, avecnotre ami Philippe de Dieuleveult, le « Forum del’aventure » que j’organisai à Versailles. Vision naïvedu monde ? On pouvait le croire à l’époque, mais phi-losophie très « tendance » aujourd’hui. Progressi-vement, les mentalités ont changé. Après la premièrecrise pétrolière de 1973, une équipe d’économistes etde consultants définissait ainsi le profil du nouveaumanager : avoir un mentor fort (c’était le retour du

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“ ”C’est très important de croire

au père Noël.

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management « leadership »), l’énergie que donnent lapassion, le plaisir de jouer, et qui rend actif, infati-gable, intelligent et efficace, être sur le terrain et ytrouver du plaisir (un manager plus qu’un supertech-nicien), la récompense forte du premier essai (le main-tien de la motivation). Le 1er janvier 1980,Jean-François Bizot, fondateur du magazine Actuel etaujourd’hui directeur de Radio Nova, écrivait dans LeMonde :

« Pour ces nouveaux primitifs des années 80, l’optimismeallait être une saine provocation contre l’auto-dévalua-tion. »

Décidément, je me sentais très « locus de contrôleinterne », et j’avais l’impression que cet état d’esprit« boy-scout » n’était plus le privilège des enfants de labourgeoisie. Pourtant, les stéréotypes ont la vie dure,et « l’idéologie du dépassement de soi », devenu unevaleur dans les entreprises, chatouille encore quelquesidéologues du management.

Aubert et Gaulejac2 ironisent sur ce discours volonta-riste en amalgamant les deux termes « management »et « imaginaire » :

« Avec le système managinaire, c’est le contrôle de lapsyché qui devient essentiel. C’est le moi qui est l’objetdu contrôle : il s’agit moins d’obtenir la soumissiondocile que l’adhésion volontaire active ; l’utilité obéis-sante que l’efficience et la rentabilité. Au confluent del’individualisme et du capitalisme, le système managi-naire réconcilie et exalte les vertus d’un moi autonome,puissant, performant, productif. L’idéologie de la réali-

2. Le Coût de l’excellence,N. AUBERT et V. de GAULEJAC,Seuil, 1991.

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J’avais l’impression

que cet état d’esprit« boy-scout » n’était

plus le privilège des enfants

de la bourgeoisie.

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sation de soi-même s’étaie sur la logique du profit et dela réalisation des objectifs de l’entreprise.L’épanouissement de la personne passe par des critèresde la réussite professionnelle. Le rapport de l’individu àla société est médiatisé par l’organisation managériale.C’est au moment où cette médiatisation est touteentière accaparée par l’entreprise managériale que l’onpeut parler de système managinaire. »

Ces auteurs soulignent qu’on est ainsi passé d’unelogique disciplinaire à une logique d’adhésion, de lamaîtrise des lois du travail à la maîtrise des lois de lamotivation. Il n’y a pas de quoi ironiser ; si cela pouvaitêtre vrai, ce serait un sérieux progrès de civilisation.Donner à cette culture du « gagnant-gagnant » appa-rue dans les années 80 le masque de la manipulationet de la magie, ce n’est pas rendre service aux entre-prises. Stephen Covey raconte, que dans le bureaudirectorial de l’un de ses clients, un mur était réservé àun tableau d’honneur figurant une arrivée de coursehippique, mais à la place des chevaux figuraient lesphotos des cadres de l’entreprise. À l’arrivée de lacourse, une photo représentait une plage avec descocotiers. Une fois par semaine, le directeur réunissaitses cadres et essayait de les motiver : « Qui va gagnerle voyage aux Seychelles ? » Il voulait que ses employéstravaillent en collaboration, mais, en fait, il les montaitles uns contre les autres, l’échec des uns faisant la réus-site des autres. La coopération « gagnant-gagnant »,ce n’est pas la solution de l’un ou de l’autre qui l’em-porte, mais une troisième, une solution meilleure.Pour beaucoup, marqués par une éducation compéti-tive, dans laquelle coopérer est interprété comme une

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Donner à cette culture

du « gagnant-gagnant »apparue dans les années

80 le masque de lamanipulation et de la

magie, ce n’est pasrendre service

aux entreprises.

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tricherie, c’est une révolution copernicienne. Le sport,présenté trop rapidement comme une école citoyen-ne, est basé sur le « gagnant-perdant. » Dans la viecourante, c’est plutôt le « perdant-perdant » qui règneavec des comportements déterminés, obstinés et égo-centriques. La rétorsion est une arme à double tran-chant. La coopération est un art qui demandebeaucoup de maturité, définie par Covey comme unéquilibre entre le courage et la prévenance enversautrui :

« Quelqu’un qui peut exprimer ses sentiments et ses plusprofondes convictions tout en respectant ceux des autrespeut être considéré comme une personne mûre. »

Cette qualité ne s’enseigne pas et ne s’acquièrt pas aumoyen d’une « technique de communication » ; cepen-dant elle peut « se travailler » avec d’autres en partantde sa réalité telle qu’elle est, en lisant les biographiesde personnages remarquables qui ont su coopérerpour réussir ou en allant voir des films « inspirants. »Nous recevons dans nos séminaires certaines équipesde direction ou des services qui ont un fonctionne-ment aux antipodes de ce modèle. Par des tâches quine peuvent être réalisées qu’en mettant en œuvre unestratégie de coopération, ces managers s’ouvrentpetit-à-petit à ce nouveau paradigme avec grandenthousiasme. Ils réussissent à la fin des défis qu’ilsn’auraient en aucun cas pu relever au début de ce pro-cessus d’apprentissage par l’expérience, comme parexemple franchir un mur de quatre mètres de haut.Une entreprise fabriquant des appareils de climatisa-

Un nouveau moyen de manipulation ?

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Pour beaucoup,

marqués par uneéducation compétitive,dans laquelle coopérer est interprété comme

une tricherie, c’est une révolution copernicienne.

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tion réunissait chaque année ses 120 « élémentsmoteurs » pour un événement gratifiant et « fun » : unpalace de la côte normande, du char à voile sur laplage... ; les objectifs de responsabilisation de cesmanagers restaient, d’année en année, lettre morte ;en organisant un « événement » en forêt deRambouillet autour d’exercices complexes d’orienta-tion en petits groupes, il est devenu évident qu’avantmême de se forger une culture de responsabilisationqui devait irradier l’ensemble de la société, il étaitessentiel d’apprendre tout simplement à coopérer ; laconstruction finale à 120 personnes d’une pyramide entubes permettant de hisser le drapeau de l’entrepriseà dix mètres du sol révéla parfaitement le travailaccompli en forêt.

Le soupçon de manipulation ne semble pas complète-ment infondé, mais le danger ne résiderait pas tantdans « la défense d’un ordre social », qui est en réalitéremis en cause par la mondialisation, ni dans une« idéologie de la réalisation de soi » car on ne chan-gera pas, Dieu merci, la plus noble aspiration humaine,ni dans le paradigme « gagnant-gagnant », par défini-tion anti-manipulateur, que dans la volonté délibéréede substituer à la commande et au contrôle des tech-niques de « manipulation librement consentie »3.Voyons s’il s’agit d’une voie d’avenir ou bien d’unefausse bonne idée.Dans leur Petit traité de manipulation à l’usage deshonnêtes gens4, Robert-Vincent Joule et Jean-LéonBeauvois proposent des techniques pour orienter la

3. Le 10e congrès de l’AGRH(directeurs de ressourceshumaines), en septembre 1999 àLyon avait pour thème « Contrôleet autonomie ».

4. Éd. Presses universitaires deGrenoble, 1987.

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Existe-t-il une

manipulation honnête ?

Le soupçon demanipulation ne semble pas

complètement infondé,mais le danger ne

résiderait pas tant dans« la défense d’un ordre

social », ni dans une« idéologie de la

réalisation de soi » nidans le paradigme

« gagnant-gagnant »,que dans la volonté

délibérée de substituer àla commande et au

contrôle, des techniquesde

« manipulationconsentie ».

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décision des autres dans le sens souhaité. Dans desorganisations modernes plus démocratiques, le mana-gement traditionnel ne parvient pas à modifier fonda-mentalement la marche des choses car, au bout ducompte, les gens arrivent le plus souvent à « décider »de faire ce qu’en d’autres temps on leur aurait imposéde faire. « Que faire alors, sinon manipuler ? » s’inter-rogent ces auteurs.

« La manipulation reste l’ultime recours dont disposentceux qui sont dépourvus de pouvoir ou de moyen depression. »

D’ailleurs argumentation et séduction ne sont-ellespas déjà pour l’homme de la rue les moyens les plussûrs de parvenir à ses fins ? Joule et Beauvois partentde l’erreur de croire que les gens ont un comporte-ment « consistant » en dépit des circonstances. Or laréalité démontre que ce comportement est aucontraire « inconsistant » et qu’on ne peut donc pas leprédire.

Ils prennent l’exemple de Madame O qui, revenant surla plage après un bain de mer, voit un jeune hommeen train de manipuler le transistor qu’une jeune filleavait laissé sur sa serviette tout prêt d’elle avant d’al-ler se baigner ; puis elle voit l’homme, très sûr de lui,s’éloigner avec la radio ; Madame O n’est pas dupe dumanège mais ne réagit pas et allume une cigarette ense disant que décidément on ne peut plus prendre unbain en paix. Le soir même au restaurant de l’hôtel, savoisine de table, une jeune femme, lui demande desurveiller sa valise pendant qu’elle va téléphoner ;

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La manipulation

reste l’ultime recours dontdisposent ceux qui sontdépourvus de pouvoir

ou de moyen de pression.

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Madame O ne peut naturellement pas refuser ce petitservice ; cinq minutes plus tard, elle s’inquiète des agis-sements d’un individu venant s’asseoir à côté de lavalise ; arborant un air innocent, il est vite debout, lavalise à la main ! « Arrêtez-le », ne peut-elle pas s’em-pêcher de crier, bondissant à la poursuite du voleur.Pourquoi cette dame a-t-elle eu deux comportementsaussi différents à quelques heures d’intervalle ? Ellen’a probablement pas changé de morale ou de cou-rage en si peu de temps ; si Madame O est intervenueau restaurant, ce n’est pas parce que son tempéramentou son sens des valeurs l’a conduite de la sorte, sinonelle serait intervenue à la plage, mais tout simplementparce qu’elle avait été engagée à le faire.

« Comme quoi, concluent les auteurs, un simple « oui »qu’on nous extorque incidemment peut nous amener ànous comporter tout autrement que nous ne l’aurionsfait spontanément. »

C’est ce qu’ils ont appelé la « soumission librementconsentie », s’inspirant des travaux de Kurt Lewin surles décisions en petits groupes, vers lequel nous revien-drons plus loin. Lewin a démontré que le travail degroupe est une machine de persuasion plus efficaceque les conférences. Une décision prise en groupe« gèle » le système de choix possibles en focalisant l’in-dividu sur le comportement le plus directement relié àsa décision ; il y a « adhérence » à la décision com-mune.

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Lewin a démontré

que le travail de groupeest une machine de

persuasion plus efficace que les

conférences.

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D’autres chercheurs ont révélé des phénomènes telsque « l’escalade d’engagement » : les gens manifes-tent une tendance à « s’accrocher » à une décision ini-tiale, même lorsqu’elle est remise en question par lesfaits ; par exemple, des cadres continueront à investirsur un projet auquel ils ont affecté un premier inves-tissement, en dépit de mauvais résultats ; cetteseconde décision est le résultat de la stricte adhérenceà la première et non le fruit de la sagesse ; il s’agit « d’une dépense gâchée. »

« Tout se passe donc comme si l’individu était placé dansun piège dans lequel la difficulté qu’il éprouve à faire ledeuil de ce qu’il a déjà investi en argent ou en temps estaccentuée par le sentiment qu’il peut avoir de la proxi-mité du but. »

Les exemples d’escalade d’engagement ne manquentpas en politique comme dans les affaires militaires.Beaucoup tombent dans ce piège pour une questiond’image de ténacité à renvoyer d’eux-mêmes : « Moi,quand j’entreprends quelque chose, je vais jusqu’aubout. » Trop investi pour abandonner. À partir de laconnaissance de ces phénomènes, des chercheurs ontconçu des techniques de manipulation, telles celle dulow-ball (amorçage) fréquemment utilisée aux États-Unis pour la vente des automobiles ; elle consiste àamener un client potentiel à prendre une décisiond’achat, soit en lui cachant certains de ses inconvé-nients, soit en faisant au contraire miroiter des avan-tages fictifs ; la décision prise, le client aura tendanceà ne pas la remettre en question, même lorsqu’ildécouvrira la réalité. Une autre technique est celle de

Un nouveau moyen de manipulation ?

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Les gens manifestent

une tendance à « s’accrocher »

à une décision initiale,même lorsqu’elle

est remise en question par les faits.

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« l’engrenage » qui permet d’extorquer à quelqu’unplusieurs décisions successives dont les conséquencessont de plus en plus coûteuses : l’acceptation d’unepremière requête augmente la probabilité qu’un indi-vidu en accepte une seconde, celle-ci augmentant àson tour la probabilité qu’il en accepte une troisièmeet ainsi de suite.Avec tout le respect que l’on doit à deux universitairesde renom, l’ouvrage de Joule et Beauvois laisse tout demême un sentiment de malaise. Il invoque les travauxdes cognitivistes et les théories de dynamique degroupe, dont le sérieux est largement reconnu, pourjustifier et préconiser des « techniques » manipula-trices bien connues et bien peu honnêtes selon nous.Les deux techniques principales présentées dans leur« traité », celles de l’amorçage et de l’engrenage, nesont rien d’autre que des mensonges que s’autorisentcertains vendeurs peu scrupuleux. Il n’est pas néces-saire de lire les manuels de management pour maîtri-ser ces techniques de « prise de tête », largementrépandues chez le commun des mortels. L’étiquette estséduisante, mais le contenu de la bouteille l’est nette-ment moins. On ne doit pas accepter que l’apportconsidérable des cognitivistes pour la compréhensiondes processus d’apprentissage soit ainsi détourné pourjustifier des techniques de vente les plus primitives etles plus dépassées. L’enseignement de Lewin a débou-ché au niveau international, sur de nouveaux conceptsd’auto-formation des comportements bien plus hon-nêtes, plus significatifs et plus profonds, qui serontprésentés dans la troisième partie. Mais il nous semblenécessaire que le lecteur se forge sa propre opinion et

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L’engagement dans un acte

modifie l’organisation de la mémoire et que,

une fois réalisé, l’acte vaconstituer un nouvel

élément de la mémoire.

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qu’il soit par conséquent informé des différentesapproches en présence.Parmi les théories invoquées par Joule et Beauvois, ontrouve celle de E.A. Kiesler et S.B Kiesler5 sur « la psy-chologie de l’engagement », définie comme le lien quiexiste entre l’individu et ses actes ; cette théorierepose sur deux postulats : premièrement, seuls lesactes nous engagent (nous ne sommes pas engagéspar nos idées ou par nos sentiments, mais par nosconduites effectives) ; deuxièmement, nous sommesengagés à des degrés divers par nos actes (pas de loidu tout ou rien ; réactions suivant les circonstances).Kiesler et Kiesler définissent la conformité comme« changement » de comportement ou de croyancedont l’origine serait une pression, véritable ou imagi-née, du groupe. Une partie de cette conformité se tra-duit par l’acquiescement que l’on observe lorsque lescomportements s’alignent sur les normes du groupe.Un autre aspect concerne la conviction intime. Dans cecas, l’individu ne change pas seulement son comporte-ment mais ses attitudes et ses valeurs. La convictionintime va plus loin car la norme est alors intériorisée etles valeurs du groupe deviennent les valeurs de la per-sonne.6 La psychologie sociale cognitive, science trèsrécente, suppose, à la suite des Kiesler, que l’engage-ment dans un acte modifie l’organisation de lamémoire et que, une fois réalisé, l’acte va constituerun nouvel élément de la mémoire, modifiant les rela-tions existant entre les concepts pour les réorganiserautour de lui ; un tel processus de restructurationcognitive pourrait ne pas se produire chez les individusqui ne se sont pas engagés. Une autre hypothèse sup-

5. Conformity, E.A. KIESLER etS.B. KIESLER, Reading, AddisonWesley, 1969.

6. Jean-Pierre GRUÈRE, inManagement, aspects humains et organisationnels.

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pose que l’acte, sans modifier automatiquement l’or-ganisation de la mémoire, modifie l’accessibilité deséléments cognitifs qui lui sont associés ; la personneengagée trouvera facilement les informations, savoirset opinions en rapport avec sa conduite. Ces théoriesrécentes apportent de l’eau au moulin de l’apprentis-sage par l’expérience et démodent les approches pure-ment théoriques.

Souvent, nos interlocuteurs dans les entreprises invo-quent la résistance des syndicats pour justifier leurhésitation à passer à l’acte, à engager franchementune réflexion-action sur les attitudes liées au travail.J’ai toujours soupçonné qu’il s’agissait davantage d’unalibi plutôt que d’une réalité. En se plaçant du pointde vue des salariés, comment ne pas voir une opportu-nité à saisir ? Si la logique de compétitivité et de pro-fit fait appel à la créativité et à la responsabilité destravailleurs, ne serait-ce pas une circonstance favo-rable pour négocier un accord gagnant-gagnant ? Il ya une dizaine d’années, le secrétaire général du syndi-cat CFDT- cadres était agacé par le battage médiatiqueautour de nos séminaires, par nos propositions auxéquipes d’encadrement d’inventer une autre manièrede fonctionner à l’occasion de situations de défis dansla nature. Ses collaborateurs lui ont dit : « Il ne faut pasjuger trop vite ; invite Kerjean à déjeuner et tu te for-meras ta propre opinion. » Ce qu’il fit. Au fil de notrediscussion, Daniel Croquette se rendit compte que lessources de notre pédagogie active étaient les mêmesque celles de la tradition très CFDT de l’éducation

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Si la logique de

compétitivité et deprofit fait appel à la

créativité et à laresponsabilité des

travailleurs, ne serait-cepas une circonstance

favorable pour négocierun accord gagnant-gagnant ?

Le point de vue

des syndicats

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populaire chrétienne et sociale, et me sembla ouvert àce nouveau thème des compétences non techniques ;il me demanda d’écrire dans sa revue.

« Tel syndicaliste, tel universitaire ou journaliste s’alar-ment des possibles atteintes à la vie privée et des risquespsychologiques ou physiques, ai-je écrit dans cet article7.Il convient d’être vigilant dès qu’il s’agit de formation,mais il est paradoxal de vouloir freiner un tel mouve-ment quand on prétend défendre l’homme contre lecapital. Quitte à consacrer l’essentiel de notre activité autravail, est-ce aller trop loin que de faire en sorte que cetemps soit source de satisfaction et de réussite, person-nelle et d’équipe ? »

Ce n’est pas un hasard si je retrouve presque dix ansplus tard Daniel Croquette dans l’équipe dirigeante duCESI, le réputé centre de formation des techniciens etingénieurs dont les principes pédagogiques rejoignentles nôtres8.

À la même époque, le bouillant Paul Marchelli, alorsprésident de la Confédération Française del’Encadrement (CGC), m’était opposé dans l’émissionpolémique « Duel » sur la cinquième chaîne de télévi-sion ; au début très courtois, il profita de la dernièreminute de l’émission pour jeter un anathème sur« tous ces stages extrêmes », et demanda à tous lescadres de ne pas y participer. Il était évident qu’iln’était pas prêt à admettre que les cadres changent decette manière de mentalités et de comportements.Pourtant, dans son livre qu’il m’envoya après ce« duel »9, il écrit :

7. « Stages extrêmes :Traumaturge », Alain KERJEAN,Revue Cadres CFDT, n° 345, mars1991.

8. Daniel CROQUETTE est égalementprésident de l’Associationfrançaise pour l’expansion par laformation (AFREF).

9. Les Aventuriers de l’an 2000,Paul MARCHELLI, J.-Cl. Lattès, 1986.

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« Nous avons à rattraper un retard relationnel pourconsacrer le lien réel qui existe entre les salariés et leursentreprises. »

Il cite le général de Gaulle qui proposa en 1967 que,

« Dans les entreprises, la participation directe aux résul-tats du capital et aux responsabilités devienne une desdonnées de base de l’économie française. »

Marchelli invite à un « dialogue social », à un « nou-veau partenariat », bien loin de l’archaïque oppositionpatronat-syndicats.

« L’esprit d’entreprise, l’innovation, la productivité et lebien-être ne résultent pas de mécaniques froides, deplans prévisionnels ou d’études prospectives, mais del’aventure humaine, de nos efforts et de nos comporte-ments. »

Bien que le passage soit difficile entre le discours et lessolutions concrètes pour développer ces nouveauxcomportements, les cadres étaient dès le début decette évolution conscients qu’ils fallait inventer denouveaux modes de fonctionnement dans ces « com-munautés de travail » que sont les entreprises. L’idée afait son chemin en dix ans, au point que même la CGTest en train de se positionner dans ce débat. Serge Leroux, qui dirige au sein de ce syndicat l’ISERES(Institut Syndical d’Études et de Recherches Écono-miques et Sociales), prépare un colloque sur le thème« qualifications et compétences. »

« Ce n’est pas parce que les entreprises ont inauguré cethème, me dit-il, que l’on ne peut pas en faire un nou-

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Ce n’est pas parce que

les entreprises ontinauguré ce thèmeque l’on ne peut

pas en faire un nouveauterrain pour

l’action syndicale.

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veau terrain pour l’action syndicale. On est en pleineschizophrénie : d’un côté on défend les acquis, et del’autre on s’intéresse à ce nouveau domaine. »

D’abord pousser la réflexion, puis décider une éven-tuelle médiatisation par des colloques et des publica-tions. Ce travail a déjà été accompli par la CGT suivantce même processus pour la construction européenneet la transformation des conditions de travail, avec letélé-travail par exemple, très symbolique des transfor-mations en cours.

« Mai 68, avec le désir de considération personnelle etd’individualisme, a été une rupture, poursuit SergeLeroux. Cela a ouvert des champs de liberté. Dans ununivers pluraliste, l’individu a des possibilités de choixpour consommer, mais aussi dans sa vie sociale ; on nepeut donc plus le traiter de la même façon. Dans lesannées 70 et 80, les entreprises, très hiérarchisées,niaient ce pluralisme, malgré le niveau culturel plusélevé de ses employés et une pression libertaire.L’évolution technologique et la création de nouveauxbiens a transformé l’activité des entreprises en lui impo-sant vitesse et concurrence accrues. C’est comme le Tourde France : lorsque le premier est très bon ou se dope,les coureurs derrière doivent se doper ou être très bons.Les nouveaux modèles d’organisation doivent intégrerla contrainte de la liberté. Les autres modèles devien-nent hors norme. Comme la vie politique, avec un hautniveau d’abstention aux élections européennes de juin99, le système politique des organisations est mis encause. Pour une nouvelle génération de salariés, unestructure de type militaire est insupportable. Dans lesannées 90, les gens sont mieux formés et plus libertaires,même si l’on assiste à un phénomène d’uniformisation.Des solidarités « tribales » entre copains se renforcent et

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s’opposent à la constitution autoritaire d’équipes de tra-vail. L’autorité du « grand chef » remplace celledes « petits chefs », mais elle reste aux yeux des salariésaussi illégitime. Dans son objectif de fidélisation duclient et de relation one to one avec lui, l’entreprisevalorise les salariés en les transformant en « professionslibérales », mais les critères de sélection de ces salariés dechangent pas. On leur accorde une liberté factice. Lesemployeurs font entrer à leur insu des standards profes-sionnels générant entre eux une concurrence. Si unemployé n’est pas dans la norme, il y a sanction. On estloin de la coopération affichée comme la nouvellevaleur. La différence est évidente entre les injonctions-consignes et la valorisation des aspirations des tra-vailleurs. Vouloir que l’entreprise réussisse ce n’est pasfaire ce que l’entreprise demande. Il est révélateur qu’unsalarié dit « nous » en parlant de son entreprise à l’exté-rieur de celle-ci, et « ils » lorsqu’il en parle à ses collèguesde travail. Prendre en compte les aspirations des gens estun mythe. »

Une question me brûle les lèvres :Ne pensez-vous pas que pourtant les intérêts desemployeurs et ceux des salariés sont pour une foiscompatibles ?

– Ils sont en effet compatibles selon nous, mais le dis-cours des entreprises fait penser au Canada Dry : ondonne l’impression de prendre en compte les aspira-tions universalistes, mais on ne fait rien dans la réalité.Avec les quarante membres de mon équipe, je meconsidère comme un chef d’entreprise. Ils sont jeunes,et je n’ai pas trop de mal à instaurer un esprit decoopération et d’autonomie. Lorsque j’étais inspecteurdes impôts dans les années 70, j’avais établi un systèmeautogestionnaire dans un environnement qui était

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Le discours des entreprises

fait penser au Canada Dry : on donne

l’impression de prendreen compte les aspirations

universalistes, mais on ne fait rien dans la réalité.

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resté contraignant. J’ai obtenu ainsi une meilleure pro-ductivité, et du temps pour me consacrer à mon enga-gement politique et syndical... »

Un nouveau moyen de manipulation ?

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Pour la première

fois dans l’histoire deséconomies modernes,l’intérêt du profit des

organisations (et de leursactionnaires) et l’intérêt

des salariés se rejoignent.Alors hésiter à s’engager

sur cette voie, c’estdémontrer son manquede confiance dans les

possibilités des hommeset des femmes qui, à tous

les niveaux, font lecapital

« immatériel » de l’entreprise.

Le choix réaliste

de l’émancipationEn conclusion, on peut légitimement considérer qu’uneaction sur les comportements en entreprise n’a aucuneraison d’être une manipulation des cadres et desemployés, pas plus que tout autre action de management.Dès lors que l’on reste fermement et délibérément dans lechamp du développement professionnel, et non du déve-loppement personnel, que l’on ne tombe pas dans lespièges du déterminisme, des typologies, du conditionne-ment et des basses techniques de manipulation, il n’y aaucune raison de se sentir coupable de défendre l’ordresocial existant ou une idéologie suspecte. C’est plutôt lesentiment inverse qui doit animer le manager réforma-teur : le sentiment de servir la belle cause de l’accomplis-sement personnel en tant que facteur de performance etde compétitivité, et de favoriser l’émancipation plutôtque la dépendance. On ne le répétera jamais assez : pourla première fois dans l’histoire des économies modernes,l’intérêt du profit des organisations (et de leurs action-naires) et l’intérêt des salariés se rejoignent. Alors hésiterà s’engager sur cette voie, c’est démontrer son manque deconfiance dans les possibilités des hommes et des femmesqui, à tous les niveaux, font le capital « immatériel » del’entreprise. La véritable manipulation serait de prétendreapporter aux organisations et aux équipes qui la compo-sent une vérité, un modèle de management des compor-tements « prêt-à-porter », un savoir à reproduire. En cettematière, ce serait une imposture, car il n’existe pas desolution toute faite ; il appartient à chaque organisationd’inventer sa culture, ses comportements professionnels. Ilnous reste pour cela à mieux comprendre les rapportshumains au sein d’une entreprise, et d’éviter un dernier

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Élaborer une stratégie comportementale

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piège : celui d’imposer d’en haut une culture rationnelle-ment pensée, mais inapplicable si l’on ne part pas de laréalité des attentes, croyances et modes de fonctionne-ment des gens. C’est à partir de leurs réactions à une pro-position de changement des comportements, et par unjeu d’essai-erreur, que le management pourra, par unmécanisme fécond de décantation, faire ressortir la cul-ture la plus réaliste qui reflétera le mieux les membres del’organisation.

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Il appartient à chaque

organisation d’inventer sa culture, ses

comportementsprofessionnels.

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Chapitre 10

Bâtir une stratégie

d’apprentissagecollectif

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Élaborer une stratégie comportementale

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J’ai consacré plusieurs années de ma vie à partager,pour les raconter et m’en inspirer, les aventures dequelques hommes d’exception. Les deux premiersétaient parmi les plus grands explorateurs du XIXe

siècle ; j’ai suivi leurs traces sur les lieux de leursexploits ; le troisième est contemporain, et je l’aiaccompagné plusieurs fois dans ses pérégrinations enterritoire yanomami. Leur dénominateur commun estd’être « sorti du cadre » de la routine, de la norme,d’une vie prédéterminée. Le jeune baron Alexandre deHumboldt est mû par un sentiment de profondeincompatibilité avec la rigidité de l’aristocratie prus-sienne et part explorer pendant cinq ans, avec soncompagnon Aimé Bonpland, « l’Amérique équi-noxiale » ; l’apprenti cordonnier René Caillié recherchedans la découverte de Tombouctou la gloire qui ven-gera son père, boulanger injustement condamné aubagne de Rochefort ; le jeune ouvrier Jacques Lizotdécouvre « l’Autre » en Algérie et devient ethnologuepour répondre à une nécessité personnelle et partagerpendant vingt trois ans la vie des Indiens Yanomamidu Haut-Orénoque. Le moteur de l’action, pour euxcomme pour bien d’autres, est une affirmation perma-nente de différence. Une différence, quelle qu’ellesoit, prédispose à l’innovation et à l’action. Encorefaut-il être conscient de ce caractère unique en nouspour en faire une force de changement.

« Avez-vous jamais eu l’impression d’être une licorneégarée parmi les moutons ? » interroge Lawrenced’Arabie. « Tous les hommes rêvent, mais pas égale-ment », écrit-il dans une partie supprimée de l’introduc-tion aux Sept piliers de la sagesse. « Ceux qui rêvent la

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Une différence, quelle qu’elle

soit, prédispose à l’innovation

et à l’action. Encore faut-il être conscient

de ce caractère unique en nous pour en faire

une force de changement.

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nuit dans les replis poussiéreux de leurs penséess’éveillent le jour et rêvent que c’était vanité : mais lesrêveurs de jour sont des hommes dangereux, car ils peu-vent agir leur rêve avec les yeux ouverts, pour le rendrepossible. »

Ce qui les poussent à vivre autrement, c’est aussi la fra-ternité dans l’action, le besoin d’une victoire com-mune comme André Malraux le fait dire à l’un de sespersonnages dans L’Espoir :

« Les hommes unis par l’espoir et par l’action accèdent,comme les hommes unis par l’amour, à des domainesauxquels ils n’accéderaient pas seuls. »

Toute proportion gardée, j’ai voulu moi aussi « dépas-ser les bornes » d’une carrière de fonctionnaire toutetracée dans la tradition familiale, et vivre mes rêves. J’yai trouvé le moyen d’aider les autres à se découvrireux-mêmes et à changer de l’intérieur nos organisa-tions trop rigides, parce que les temps l’exigent. J’y aisurtout découvert qu’il était illusoire de vouloir « cor-riger » des mentalités et des comportements par destechniques, des recettes, des enseignements, des pro-cédures. En même temps qu’une action sur les struc-tures, il faut modifier notre « carte mentale », notremanière de voir la réalité qui détermine notre carac-tère et nos comportements.

« Nul ne peut forcer quelqu’un à changer, disait MarilynFerguson. Chacun d’entre nous garde sa propre porte duchangement, qui ne s’ouvre que de l’intérieur.Impossible d’ouvrir cette porte pour un autre, que ce soitpar des discussions ou par un appel aux sentiments. »

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En même temps qu’une

action sur les structures, il faut modifier notre

« carte mentale », notremanière de voir la réalité

qui détermine notrecaractère et noscomportements.

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Élaborer une stratégie comportementale

Les injonctions et les incantations ne sont plus de misedans les entreprises. À ce stade de notre explorationde la planète comportementale, nous arrivons, à lamoitié de cet essai, à l’action ; ce qui le rend originalcar, dans l’immense majorité des ouvrages de manage-ment, la partie « y a ka » occupe 90 % de l’espace, etla partie « comment » est souvent bâclée en quelquespages imprécises et décalées par rapport aux ambi-tions affichées ; c’est qu’en France on est plus à l’aisedans la théorie que dans la pratique, et que les pen-seurs et les praticiens ne sont pas en général les mêmespersonnes. Nous ne passerons pas en revue les millemanières de construire une stratégie de changementcomportemental, et nous n’infligerons pas non plus lastratification de toutes les théories, pour lesquelles onse reportera aux manuels. Allons à l’essentiel, c’est-à-dire à la manière d’élaborer une stratégie répondant àla réalité et aux choix présentés dans les chapitres pré-cédents. Et, d’abord, sachons agir au niveau quiconvient pour avoir quelque chance de faire bouger lemode de fonctionnement de nos organisations.

« L’essentiel est invisible pour les yeux ». Cela est par-ticulièrement vrai dans une organisation. La partievisible de l’iceberg est le niveau formel, les aspectsouverts : la structure, avec son système d’information,ses règles, buts, procédures de travail et outils de pla-nification ; les ressources, avec le savoir-faire, l’infra-structure, le personnel et les finances. La partieinvisible de l’iceberg est le niveau informel : le pouvoir,le leadership informel, les tabous, les questions sous-

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La partie visible

de l’iceberg est le niveauformel, les aspects

ouverts.La partie invisible del’iceberg est le niveauinformel : le pouvoir,

le leadership informel, les tabous,

les questions sous-jacentes.

Le degré de profondeur

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jacentes, les normes de groupe, les relations person-nelles, les valeurs et les sentiments.

Figure 1 – L’iceberg des organisations

Il en est de même pour les membres de l’organisation,comparables à la peau de l’organisme humain1. Leniveau visible est la « trame » protectrice de la peau,tournée vers l’extérieur : c’est la dimension techniquede l’activité humaine, le projet intellectuellementpensé, le « vouloir ensemble », le partage d’objectifs,de règles, de méthodes, de tâches. Le niveau invisibleest la « chair » de la peau, tournée vers l’intérieur :c’est la dimension fantasmatique et imaginaire de l’ac-

1. CHARRIER et KOULICHE, page 93.

Bâtir une stratégie d’apprentissage collectif

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• Pouvoir• Leadership interne• Tabous• Normes de groupes• Relations personnelles• Valeurs• Sentiments

Structure de l’organisation• Système d’information• Règles• Buts• Procédures de travail• Outils de planning• Etc.

Ressources• Savoir-faire• Infrastructure• Humaines• Finances

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Élaborer une stratégie comportementale

tivité humaine, le projet affectivement ressenti, le« sentir ensemble », le partage d’un imaginaire com-mun, de symboles. Dans le niveau visible, rationnel, legroupe trouve sa « cohérence », et dans le niveau invi-sible, irrationnel, le groupe trouve sa « cohésion. » Ungroupe « trame sans chair » n’a aucune vie affective etimaginaire, et n’a d’autre projet que la mission définiepar sa place dans l’organigramme, crispé sur ses préro-gatives réglementaires. Un groupe « chair sanstrame », est introverti, fusionnel, consommateur d’illu-sions et de rituels, mais ayant perdu toute opération-nalité. On reconnaîtra dans le premier cas lesorganisations bureaucratiques publiques ou privées,cohérentes sans cohésion, réduites à leur fonctiond’aménagements fonctionnels, dérivant vers la tracas-serie administrative et finalement le désordre. Dans lesecond cas les organisations « clubs de vacances »,cohésives sans cohérence, composées de groupesfusionnels n’ayant d’autre opérationnalité que de sereproduire, et finalement dérivant vers les luttes declans et les exclusions. Partant de l’idée selon laquelle l’efficacité humainerepose sur des principes, des lois naturelles tout aussivraies et immuables que les lois de la gravité, certainsauteurs préconisent d’agir directement sur le niveauvisible des comportements, avec des techniques et destypologies ; d’autres, comme Stephen Covey, sontconvaincus que la porte du changement comporte-mental s’ouvre de l’intérieur, et qu’il faut agir auniveau invisible de l’iceberg.

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« Tenter de modifier extérieurement un point de vue ouun comportement reste d’une efficacité très limitée sinous n’observons pas d’abord les paradigmes sur les-quels reposent ce point de vue ou ce comportement.Leur influence sur nos relations avec les autres est trèsforte », écrit-il dans Les Sept Habitudes.

Le mot « paradigme » s’emploie en psychologiecomme synonyme de modèle conceptuel, théorie,mode de perception, hypothèse ou cadre de réfé-rence. Dans son sens le plus général, il désigne notre« carte mentale », la façon dont nous voyons lemonde, dont nous le comprenons. Mais, redisons-le, lacarte n’est pas le territoire. Chacun a la sienne et voitpar conséquent la réalité d’une manière différente. Enplaçant le soleil au centre de l’univers, Copernic opéraun changement de paradigme ; soudain, tout prenaitune autre dimension. Nous avons vu le changementqu’apporta en Europe occidentale la Réforme protes-tante : la société de confiance a été un changement deparadigme qui libéra la créativité des entreprenants.Le passage du droit divin des rois à la démocratie eutun effet comparable. Un paradigme ferait-il partie decette vision déterministe des comportements contrelaquelle nous avons alerté le lecteur ? S’agirait-il d’uneprogrammation qu’il serait possible de déceler chez lesemployés pour prédire leurs attitudes en toutes cir-constances ? L’on pourrait répondre à ces questionstout à la fois positivement et négativement. Oui, il estpossible et même recommandé de s’intéresser dans uncadre professionnel à la « carte mentale » desmembres d’une organisation, mais non pas pour pré-tendre classer chacun dans un type de vision du monde

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Tenter de modifier

extérieurement un pointde vue ou un

comportement reste d’uneefficacité très limitée sinous n’observons pas

d’abord les paradigmessur lesquels reposent

ce pointde vue ou ce

comportement.

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afin d’en déduire des comportements futurs. S’il celaétait possible, ce serait un monde à la George Orwell.Les instruments psychanalytiques existent pour sonderl’inconscient, mais c’est n’est en aucun cas le rôle del’entreprise. Il s’agit d’une prise de conscience person-nelle, intime, et l’organisation ne peut que créer lescirconstances de ce travail sur soi afin que chacunpuisse adapter sa « carte » au territoire, c’est-à-dire àla réalité nouvelle de l’entreprise. Ce travail s’effectuebeaucoup mieux en groupe restreint grâce à l’effetmiroir. En réalité, l’on pourrait dire que le paradigmepeut être le résultat d’un conditionnement aussi bienque la libre application de principes personnels.

« Travailler sur ses idées et comportements suffit à réali-ser de petits changements dans notre vie. Mais si l’onvise des changements plus importants, il nous faut tra-vailler sur notre vision du monde et sur notre “ cartementale ”. »

Il en est de même dans les entreprises. Une crise, unerupture brutale provoquent spontanément de telschangements lorsque les événements nous apparais-sent soudain sous un éclairage nouveau. C’est l’un despostulats de la formation expérientielle, qui crée dansune séquence de formation des défis dans le but desortir du cadre de la routine et de changer de cartementale. Le psychiatre américain Scott Peck nousdonne un intéressant exemple de construction d’unparadigme au début de la vie de chacun d’entre nous.Dans Le Chemin le moins fréquenté2, il affirme quec’est dans le processus fondamental de confrontationaux problèmes et de leur résolution, que la vie trouve

2. Le Chemin le moins fréquenté,Scott PECK, Laffont, 1987.

Élaborer une stratégie comportementale

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C’est dans le processus

fondamental deconfrontation aux

problèmes et de leurrésolution, que la vie

trouve sa signification.

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sa signification. Lorsque nous voulons encourager ledéveloppement de l’esprit humain, nous mettons audéfi la capacité qu’a l’homme à résoudre des pro-blèmes. L’affection que ses parents savent lui exprimerdonne à l’enfant un sentiment de confiance et desécurité qui sont les premières conditions pour affron-ter les difficultés de la vie. C’est une force intérieurequi permet de résoudre les problèmes sans reporter lafaute sur quelqu’un d’autre ou sur quelque chose d’ex-térieur. C’est une force qui permet de retarder la satis-faction de la réussite, à la clé d’un effort et d’unedouleur. C’est ce que j’appelle l’effet cataplasme à lamoutarde : cela fait mal sur le moment, mais l’apaise-ment délicieux et progressif de la démangeaisonannonce la guérison. C’est seulement quand l’enfantest capable d’affronter les épreuves qu’il peut effec-tuer le grand saut vers l’inconnu, vers l’âge adulte etvers l’autonomie.

L’entreprise peut s’inspirer de ce processus initiatiquede l’adolescence pour faire évoluer son mode de fonc-tionnement. En donnant sincèrement de la confianceà son équipe, en lui donnant des occasions de testerses talents par un jeu d’essai-erreur, le manager ne faitrien d’autre que lui proposer de se forger un autreparadigme. Les mentalités et les comportementsinduits par cette « carte mentale » de la confiance etde la reconnaissance des talents seront bien diffé-rentes. Cette action en profondeur sur les représentations dela réalité demande du temps et des efforts, c’est pour-quoi il faut se méfier de tous ces séminaires intitulés

Bâtir une stratégie d’apprentissage collectif

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En donnant sincèrement

de la confiance à sonéquipe, en lui donnant des occasions de testerses talents par un jeu

d’essai-erreur, le managerne fait rien d’autre que

lui proposer de se forgerun autre

paradigme.

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« comment communiquer en dix leçons », « la cohé-sion d’équipe facile », ou « devenez rapidement unleader efficace. » Le principe d’évolution s’appliqueaux relations humaines comme au domaine de la phy-sique. Nous avons tendance à prendre des raccourcis,espérant passer outre quelques étapes vitales pournous épargner temps et efforts. Qui n’a pas observéces dirigeants qui essaient de s’acheter une « cultured’entreprise » en prononçant de beaux discours, enimprimant sur papier glacé de séduisantes visions dufutur, en s’entraînant à sourire et à mieux communi-quer ? Ces « aspirines sociales » ont bien peu dechance de changer le moral des employés et le serviceaux clients. Ils ne sont même pas conscients du climatde méfiance que produisent ces manipulations. Pour ouvrir la porte du changement, Stephen Coveypropose sept nouvelles habitudes à acquérir, en com-mençant par des « victoires intérieures » (l’indépen-dance), pour progresser vers des « victoires publiques »(l’interdépendance).

Les « victoires intérieures » sont :

1. Être proactif, c’est-à-dire être acteur de sa vie. Lacaractéristique de l’homme par rapport aux ani-maux est la conscience de soi, l’aptitude à évaluerson vécu comme celui des autres et à en tirer desenseignements. Grâce à elle, nous pouvons voir sinos paradigmes reposent sur de vrais principes ous’ils sont le résultat de conditionnements. L’hommea le pouvoir de choisir une réponse aux situationsles plus contraignantes. Dans une entreprise, unedirection proactive doit constamment surveiller les

Élaborer une stratégie comportementale

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Le principe d’évolution

s’applique aux relationshumaines comme au

domaine de la physique.Nous avons tendance àprendre des raccourcis,espérant passer outre

quelques étapes vitalespour nous épargner

temps et efforts.

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changements et avoir des idées claires sur sesvaleurs. Si le mode de fonctionnement ne permetpas d’agir de manière proactive, il devient essentielde changer de paradigme pour recréer un nouvelaxe.

2. Être auto-déterminé, c’est-à-dire être son propreleader. Être acteur de sa vie permet de gravir effica-cement les échelons d’une échelle (la solution à unproblème) ; être auto-déterminé, c’est décider dumeilleur endroit où poser l’échelle. Pour cela, il fautmieux utiliser notre hémisphère droit où réside l’in-tuition et la créativité, et pratiquer la visualisation :savoir anticiper le résultat de nos actions, imaginerles étapes qu’il faudra franchir pour parvenir au but,avoir une vision d’ensemble du problème.

3. Gérer les priorités, c’est-à-dire disposer d’intégrité et de volonté pour subordonner ses sentiments, sesimpulsions et ses humeurs à ces valeurs.

Les « victoires publiques » sont :

4. Penser gagnant-gagnant, c’est pratiquer la coopé-ration, comme nous l’avons déjà vu.

5. Comprendre avant d’être compris, c’est-à-dire avoirl’humilité de ne pas imposer ses solutions auxautres. Combien de consultants en entreprises pla-quent des solutions toutes faites sur n’importequelle réalité ? C’est comme si un ophtalmologistedonnait ses lunettes au client car elles lui ont rendude grands services. L’humilité permet d’écouter les

Bâtir une stratégie d’apprentissage collectif

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C’est comme si un

ophtalmologiste donnaitses lunettes au client car

elles lui ont rendu de grands services.

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autres au lieu de leur imposer conseils et morales.L’empathie est l’attitude la plus précieuse ; elle per-met de s’identifier à son interlocuteur pour le com-prendre. Certains disent que c’est la première desqualités d’un cadre car elle permet de donner et derecevoir du feed-back, si nécessaire dans les entre-prises.. Mais il faut du caractère, et donc de laconfiance en soi, pour avoir cette attitude. La plu-part des gens parlent avant d’écouter, raisonnentavant de percevoir les émotions, jugent avantd’avoir compris.

6. Profiter de la synergie. C’est l’idée selon laquelle lesrapports entre deux parties constituent en eux-mêmes une troisième partie, plus puissante : la com-binaison des possibilités aboutit à un résultat plusgrand que la somme arithmétique de ces possibili-tés. Ce concept repose sur le respect de nos diffé-rences, et sur une force de caractère, un espritouvert et aventurier. Covey cite l’exemple d’unecommission officielle chargée de résoudre un pro-blème grave ; malgré la pression médiatique, elle ad’abord pris le temps de créer un climat d’écoute etd’acceptation mutuelle, avant d’agir.

7. Le renouvellement : Comme un individu, l’entre-prise a besoin de se renouveler sous tous ses aspects.Ce processus est la clé du mouvement américain dela qualité totale et de la réussite économique duJapon. Pour cela, elle doit réaliser un équilibre entreses dimensions physique (les termes économiques),intellectuelle et psychologique (la reconnaissance,

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La plupart des gens

parlent avant d’écouter,raisonnent avant de

percevoir les émotions,jugent avant

d’avoir compris.

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le développement des talents), socio-émotionnelle(les rapports humains) et spirituelle (sa raison d’être,son intégrité).

Le sociologue Michel Crozier ne dit pas autre chosequand il affirme que, dans les entreprises, ce ne sont pasles règles qu’il faut changer, mais la nature même dujeu. Les gens sont plus ouverts au changement que ceque l’on a tendance à croire. La plupart sont prêts àchanger d’habitudes, mais ils perçoivent très précisé-ment les risques auxquels ces changements les expo-sent. Ce n’est donc pas par manque d’information, ouen raison de l’inertie ou de « l’irrationalité » des salariésqu’une réforme échoue, mais par leur manque d’intérêtd’entrer dans un nouveau jeu et par des mécanismes dedéfense mis en place lorsqu’ils se sentent menacés.

Crozier montre que les difficultés de fonctionnementdes organisations ne sont pas seulement « deserreurs » qu’il suffirait de corriger ou des « retards »,comme les voient les « fonctionnalistes » américains,mais qu’elles sont d’abord la manifestation de contra-dictions de ces systèmes. Selon le sociologue, des orga-nisations bloquées, comme la société française, nepeuvent intégrer le changement qu’à l’occasion decrises, mais il s’agit d’un simulacre de changement sansmodifier le fonctionnement en profondeur3. DansL’Acteur et le système, Crozier et Friedberg conçoiventle changement comme un phénomène systémique,c’est-à-dire contingent au système d’action qui l’éla-bore et auquel il s’applique. Ils insistent sur le fait que

3. Jack JABES, in Management,aspects humains etorganisationnels, PUF.

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Ce n’est donc pas par

manque d’information,ou en raison de l’inertieou de « l’irrationalité »

des salariés qu’uneréforme échoue, mais

par leur manque d’intérêtd’entrer dans un nouveau

jeu et par desmécanismes de défense

mis en place lorsqu’ils

se sentent menacés.

L’approche sociologique

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le changement est avant tout la transformation d’unsystème d’action : Ce n’est pas en changeant la struc-ture, les techniques ou les méthodes que cette trans-formation s’opère, mais à travers un jeu d’action-réaction, de négociation et de coopération. Les res-sources et capacités sont alors mobilisées pour la miseen place de nouveaux jeux humains, et non méca-niques. C’est la dimension fondamentale de l’appren-tissage par tous les acteurs de l’organisation denouveaux modèles relationnels, de nouveaux modesde raisonnement, de nouvelles « capacités collecti-ves. » Les auteurs s’appuient, comme nous-mêmesdans le chapitre 4, sur l’analyse des grands bouleverse-ments dans la société européenne pour démontrerl’importance des mentalités et des comportementsdans le processus de changement. Georges Dubymontre que c’est à partir de la mutation des modes derapports humains et de modes de raisonnement, pas-sant du modèle de l’offrande et du pillage au modèledu contrat et du calcul, que la paysannerie occidentaledu haut Moyen Âge a pu poursuivre un développe-ment accéléré. La démarche sociologique de l’inter-vention sur le changement insiste sur trois points :

1. Priorité à la connaissance : la complexité des pro-blèmes et interactions est telle qu’avant de parlerde changement, il est nécessaire d’analyser le sys-tème auquel il se rapporte, au moyen d’interviewset de questionnaires.

2. Action convergente sur les hommes et sur les struc-tures : à la fois la formation technique et humaine,et des modèles rationnels.

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Avant de parler

de changement, il est nécessaire

d’analyser le systèmeauquel

il se rapporte.

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3. Négociation implicite : le réformateur propose unchangement des régulations qui permettra de nou-veaux jeux ; les intéressés se saisissent de ces« opportunités » mais en les transformant dans leurpropre perspective ; le réformateur adapte et pré-cise ses propositions, et ainsi de suite. Le change-ment ne peut se faire contre ses acteurs.

Crozier invite les managers à ne pas concevoir leurstratégie de changement dans l’abstrait, à partir d’unerationalité a priori, fût-elle systémique. Il faut surtout retenir de l’approche sociologique l’im-portance de l’analyse des phénomènes de pouvoir etdu fonctionnement humain en général, avant la miseen œuvre d’une action de changement. Partir de laréalité, prendre conscience de son mode de fonction-nement aux trois niveaux de l’individu, du groupe etde l’organisation, avec ses points forts et ses points detravail, voilà la première étape diagnostic d’une stra-tégie comportementale. Une entreprise est uneconstruction sociale dont les membres ont appris àgérer, domestiquer, au lieu de les étouffer, les conflits,tensions et phénomènes de pouvoir. L’analyse cultu-relle permet de comprendre l’utilisation par les acteursdes potentialités et opportunités d’une situation et lastructuration des problèmes qui en résultent. On nepeut donc pas se contenter d’une analyse au niveaudes individus, comme on le fait trop souvent dans lesentreprises.

Le second enseignement de l’approche sociologiqueest la rupture avec toute vision déterministe de laconduite humaine ; celle-ci est à voir comme un choix

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Il faut surtout retenir

de l’approchesociologique l’importance

de l’analyse desphénomènes de pouvoir

et du fonctionnementhumain en général, avant

la mise en œuvre d’une action

de changement.

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et non comme la réponse prévisible et inéluctable d’un« type » de personnalité à un stimulus. Au contraire,c’est à travers l’action et l’expérience, analyséescomme une suite de résolutions de problèmes, ques’opèrent l’acquisition et le développement de nou-velles capacités relationnelles. Ce processus d’appren-tissage est indissociable de la structure à l’intérieur delaquelle il doit se déployer. L’acteur et le système seconditionnent mutuellement en permanence. Lescomportements ne sont pas de simples éléments denotre psychologie ou de notre personnalité. Les res-ponsables doivent aider ceux qui dépendent d’eux àdécouvrir les contradictions entre valeurs et finalités età les résoudre. Ni l’analyse, ni l’idéologie ne leur per-mettra de faire le meilleur choix. Seul l’acteur peutdécouvrir par essai-erreur un arbitrage de finalitéssatisfaisant ; c’est sa première responsabilité.

Dans cette étape de diagnostic de la réalité de l’entre-prise, il est utile de comprendre les rapports humains,mais pour agir ensuite dans une perspective globale,sans tomber dans le travers du tout leadership, du toutcoaching ou de tout autre élément fragmentaire, etsans s’imaginer qu’il est nécessaire d’être savant et detout savoir sur ces théories. Cela est difficile àadmettre pour des universitaires coupés du terrain,mais c’est évident pour des entrepreneurs : à chacunde bâtir son modèle. Nous survolerons ici les princi-pales théories, en invitant le lecteur à se reporter auxouvrages de management s’il souhaite approfondircertains thèmes, notamment à l’ouvrage déjà citéManagement, aspects humains et organisationnels.4

4. Ouvrage collectif, collectionFondamental, Éditions PUF, 1991.

Élaborer une stratégie comportementale

[210] © Éditions d’Organisation

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Le second enseignement de l’approche

sociologique est larupture avec toute vision

déterministe de laconduite humaine.

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La plupart des auteurs regroupent les théories com-portementales en quatre niveaux : individu, groupe,pouvoir et organisation.

Au niveau individuel, nous avons déjà abordé la théo-rie du locus de contrôle, les systèmes de perception, etle biais de complaisance qui consiste à attribuer nossuccès à nous-même et nos échecs à l’extérieur. Suivantla théorie de l’attribution, les impressions que nousformons nous aident à mieux comprendre les causesdu comportement des personnes que nous percevons.Dans nos contacts quotidiens, nous avons tendance àattribuer aux autres des motivations, des attitudes, desdispositions qui nous sont personnelles. Cela nous per-met de nous rassurer et de gérer notre vie selon notrelogique. D’où ce conseil du cardinal Mazarin à unjeune politicien5 :

« Ne donne pas l’impression d’avoir l’expérience du vice,et surtout ne réprouve jamais avec trop de violence lesvices des autres : on te soupçonnerait des mêmes. »

Les psychanalystes appellent ce mécanisme inconscientprojection, qui consiste à attribuer à autrui les senti-ments qu’on refuse de reconnaître comme siens.Quelqu’un de profondément agressif aura tendance àjuger les autres agressifs. Quel manager n’a-t-il pas vuson rôle compliqué par un collaborateur accusant lesautres de malhonnêteté ou de non professionnalisme,avant de se rendre compte que ce collaborateur étaitlui-même malhonnête et dilettante ? Un autre phéno-mène parasite notre perception des autres, c’est le

5. Bréviaire des politiciens,Cardinal MAZARIN, Arlea, 1997.

Bâtir une stratégie d’apprentissage collectif

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Les comportements

individuels

“”

Nous avons tendance

à attribuer aux autres des motivations, des

attitudes, des dispositionsqui nous sontpersonnelles.

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concept du stéréotype, défini comme un écran quis’interpose en fonction de données culturelles ou eth-niques. Par exemple, des étudiants américains ontqualifié les Anglais de « conservateurs, intelligents,sportifs, traditionnels et conventionnels », et lesItaliens de « passionnés, impulsifs, emportés, artisteset musiciens. » Les stéréotypes s’appliquant auxhommes incluent des traits tels que l’indépendance, ladomination, l’activité et la logique et ceux qui concer-nent les femmes incluent des traits tels que le tact, laconnaissance de ses propres émotions et la douceur ducaractère. Dans les entreprises, les jugements qui sefondent sur les stéréotypes ont d’évidentes consé-quences sur la sélection, l’intégration et la motivationdes personnes. Ces jugements stéréotypés s’ancrent sifortement que les « traits » attribués à un collabora-teur en fonction de son appartenance culturelle ouethnique sont difficiles à oublier, même en présenced’informations contradictoires. Dans nos séminaires, nous constatons souvent la sur-prise d’un patron lorsqu’il découvre chez un collabora-teur jugé modeste, placé dans une situationtotalement nouvelle, une personnalité forte. Celadémontre qu’il avait en tête une représentation limi-tative de son employé. La tendance à généraliser per-turbe tout autant notre perception. Par exemple,l’effet de halo consiste à inférer plusieurs autres traitsde personnalité sur la base d’un seul trait de compor-tement ; quelqu’un qui est perçu comme étant beaupeut se voir attribuer plusieurs traits positifs tels quel’intelligence ou la sociabilité. Dire que « l’amour estaveugle », c’est démontrer un autre effet de halo. Un

Élaborer une stratégie comportementale

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Dans les entreprises,

les jugements qui sefondent sur lesstéréotypes ont

d’évidentes conséquencessur la sélection,

l’intégration et la motivation des personnes.

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salarié perçu comme étant honnête peut aussi se voirattribuer sans preuve des traits tels que la confiance, labonne conscience et la sécurité. Il est important dansla vie professionnelle d’être conscient du fait que nosperceptions ne sont pas uniquement influencées pardes facteurs externes. Nos émotions, nos mobiles, nosbesoins et nos croyances jouent un rôle décisif dans leprocessus perceptuel.

D’autres théories aident à comprendre les attitudes etles changements d’attitudes. Les auteurs voient troiscomposantes essentielles de l’attitude :

• une composante cognitive, qui se réfère à noscroyances et évoque une connaissance, une idéeconcernant l’objet de l’attitude ;

• une composante affective ou émotionnelle,accompagnée de manifestations de notre orga-nisme (accélération du pouls, assèchement de lagorge, rougissement ou pâleur, larmes de peur oude joie, etc) ;

• une composante comportementale qui met l’ac-cent sur l’intention d’agir, la mobilisation phy-sique et psychique.

Selon Reich6, la famille serait à l’origine de l’élabora-tion de certaines attitudes sociales en réprimant lasexualité infantile. L’anxiété du jeune enfant estengendrée par le refus de sa sexualité et son inhibi-tion. C’est ainsi qu’ultérieurement, une lourde charged’angoisse se trouvera associée à toute pulsion de vie.Et l’individu traumatisé s’efforcera d’y échapper en semettant sous la protection d’une autorité : chef, parti,institution.

6. La Révolution sexuelle,W. REICH, Plon, 1930.

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Nos émotions, nos mobiles,

nos besoins et noscroyances jouent un rôle

décisif dans le processus perceptuel.

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Autre phénomène qu’il est bon d’avoir en tête, c’est latendance pour un individu à rechercher les milieux quilui permettront de conserver et de renforcer des atti-tudes gratifiantes associées à une situation vécue.

« Les attitudes formées à l’occasion de plusieurs expé-riences antérieures peuvent davantage prédire le com-portement que les attitudes non fondées sur l’expérience,observe Jean-Pierre Gruère cité dans l’ouvrage en réfé-rence. Moins les gens ont confiance en leurs attitudes etmoins on peut relier ces attitudes à leur comportement.Enfin, les gens plus indépendants agissent plus volontiersen fonction de leurs propres attitudes. »

Ce constat relativise la valeur des réponses à un ques-tionnaire, et milite en faveur de mises en situationsréelles dans la formation comportementale. Les eth-nologues le savent bien, seuls les faits d’observationsont à prendre en compte pour reconstituer le sens desconduites : les discours subjectifs des gens sont moinsimportants que le fait de les regarder vivre et d’inter-préter leurs comportements. Dans les entreprises, ils’agit de créer des occasions permettant une auto-observation des acteurs de l’organisation. C’est par lafaçon dont chacun perçoit et évalue les résultats de sesactions, y compris les réactions des autres à son égard,qu’un cadre pourra prédire le comportement de seséquipiers à partir de cette attitude. L’attitude est uneprédisposition à agir et le comportement verbal ounon verbal est la résultante de l’attitude, mais il nes’agit pas d’une science exacte ; les responsables dumarketing savent bien qu’un comportement d’achatpar exemple ne suit pas automatiquement une atti-tude favorable décelée lors d’une enquête.

Élaborer une stratégie comportementale

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Dans les entreprises,

il s’agit de créer desoccasions permettant une

auto-observation desacteurs de l’organisation.

C’est par la façon dontchacun perçoit et évalue

les résultats de sesactions, y compris les

réactions des autres à sonégard, qu’un cadre pourraprédire le comportementde ses équipiers à partir

de cette attitude.

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De nombreuses théories se rapportent au changementd’attitude. Les plus influentes, comme laGestaltthéorie ou la théorie du champ de force deKurt Lewin, postulent qu’une situation donnée, enapparence stable, ne serait en fait qu’une situationmaintenue en état d’équilibre dans un champ dyna-mique de forces opposées. Il suffit qu’une ou desforces soient augmentées ou diminuées pour que lasituation soit changée de manière plus ou moins fortesuivant l’importance des pressions exercées. Ce phéno-mène est illustré par le schéma de « l’arête de pois-son » que chacun peu facilement dessiner pourreprésenter une situation d’entreprise : la grandearête horizontale (colonne vertébrale du poisson)représente la situation actuelle insatisfaisante, lesarêtes du haut sont les forces restrictives ou les freinsqui pèsent sur la situation ; les arêtes du bas sont lesforces motrices ou les moteurs qui poussent la situa-tion vers le haut.

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Une situation donnée,

en apparence stable, neserait en fait qu’une

situation maintenue enétat d’équilibre dans un

champ dynamique de forces opposées.

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Figure 2 – Analyse des causes en arête de poisson

La théorie de la dissonance cognitive, évoquée plushaut, pousse également au changement : lorsqu’unprincipe et un acte s’opposent, le sujet est gêné et vachercher à réduire cet écart pour rétablir un accordentre les deux, en modifiant l’un ou l’autre. L’essentielà retenir de ces théories du changement d’attitude estque le manager réformateur devra agir sur ses troiscomposantes pour augmenter son impact. Il devrafournir une information correcte (cognitif), aménagerdes normes et des valeurs favorables et consonantes(affectif), permettre l’expression d’une action compa-tible avec l’objet du changement (comportement).

De nombreux travaux concernent la personnalité autravail. La personnalité est définie comme l’ensemble

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Forces restrictives et freins qui pèsent sur la situation

Forces motrices ou moteurs qui poussent la situation vers le haut

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des caractéristiques qui définissent une personne etpermettent de la distinguer de tout autre êtrehumain. Nous avons suffisamment dénoncé, pour nepas y revenir, les tentatives de classification des grandstypes de personnalité, et surtout les tentatives de pré-diction d’un comportement en fonction de l’apparte-nance à un type de personnalité. Des études portantsur les principales sources de productivité ont démon-tré que c’est l’attention portée aux personnes, bienplus que les conditions de travail, qui a le plus d’impactsur le rendement. Ces recherches aident à comprendrequ’une entreprise peut aussi bien être un lieu d’ac-complissement personnel qu’un lieu d’aliénation. Lepsychologue américain Carl Rogers estime que cette « attention portée aux autres » se traduit par une atti-tude d’aide, une empathie consistant à ressentir seque ressent l’autre, sans s’identifier à l’autre. Selon lui,le chemin du développement de l’individu passe parun détachement progressif de forces extérieures à luiqui aliénait son fonctionnement, pour finalementconstruire un Moi en accord avec son expérience. Non,le manager n’a pas à être un « psy », mais il doitsimplement être attentif à ses collaborateurs, lesaccompagner vers leur indépendance puis leur inter-dépendance. La construction d’une personne ne se ter-mine pas à l’adolescence ou à la porte de l’entreprise.L’organisation est le lieu où s’inscrit et se poursuit saquête d’identité, sa recherche d’unité. Ce n’est pas dupaternalisme, mais la mise en œuvre d’une relationgagnant-gagnant. L’employé perçoit les objectifs del’organisation comme un moyen d’atteindre sespropres objectifs et de réaliser ses idéaux personnels.

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Non, le manager

n’a pas à être un « psy »,mais il doit simplement

être attentif à sescollaborateurs, les

accompagner vers leurindépendance

puis leurinterdépendance.

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L’accomplissement personnel est au centre de la ques-tion de la motivation, très à la mode dans les années80 et au début des années 90. La psychologie s’est pen-chée sur « ce qui pousse à agir » dans les entreprises.Des besoins non satisfaits menacent l’équilibre parcequ’ils engendrent des tensions sur « l’arête de pois-son. » Les scientifiques ont analysé la manière dontl’individu cherche à rétablir l’équilibre, à se mettre enmouvement pour satisfaire ses besoins. AbrahamMaslow (1954) a conçu une pyramide de la hiérarchi-sation des besoins humains qui a eu son heure degloire : à la base, les besoins physiologiques, puis lesbesoins de sécurité, d’appartenance sociale, d’estime,et enfin au sommet le besoin d’actualisation, de réali-sation. Tant qu’un besoin n’est pas satisfait, il consti-tue une source de motivation. À partir du moment oùil est satisfait, c’est le besoin du niveau supérieur quiapparaîtra comme une nouvelle source de motivation.Des aller-retour sont possibles du sommet à la base.Ainsi, dans les entreprises où un plan social estannoncé, le niveau « sécurité » est réactivé, mais pour-quoi une autre entreprise continuerait-elle à offrir dela sécurité à des salariés qui considèrent l’avoir déjàpar leur statut professionnel ? D’autres théoriciensexpliquent l’ensemble des comportements humainspar la satisfaction d’un ou plusieurs besoins fonda-mentaux : la volonté de puissance, la peur de l’isole-ment affectif, la réalisation de soi... D’autrespsychologues considèrent que les comportements sontla résultante d’une série d’attentes : « Suis-je capabled’obtenir une promotion ? », « Ce stage est-il le bonmoyen d’obtenir la promotion que je vise ? », « Cette

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[218] © Éditions d’Organisation

“ ”L’accomplissement

personnel est au centre

de la question de la motivation.

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Les comportements

en groupe

promotion a-t-elle vraiment de la valeur pour moi ? »Pour d’autres auteurs, la motivation naît de le ren-contre de l’individu et de son environnement. C’estencore Kurt Lewin qui a mis en valeur le rôle du succèsde l’expérience passée comme étant un facteur d’élé-vation du niveau d’aspiration. Non seulement la satis-faction découle de l’expérience, mais elle est un typeparticulier d’expérience : celle que nous vivons quandnos attentes se réalisent.

Comme l’écrit Sandra Michel-Bellier7,

« Il persiste dans les organisations quelques illusions enmatière de communication qui simplifient à l’extrême lafaçon de prendre le problème, et rendent parfois dan-gereuses les solutions avancées. »

Première illusion : penser qu’il est facile de communi-quer, alors que de nombreuses distorsions se glissententre ce que l’on souhaite dire et la façon dont on ledit. Deuxième illusion : croire que le récepteur d’un mes-sage le comprendra de la même manière que l’émet-teur. Troisième illusion : il n’existerait qu’une forme de com-munication, celle qui concerne le message qui est émis,alors que la communication est multiple et multi-forme. On considère que 70 % des messages que l’ontransmet et que l’on reçoit dans une conversation sontnon verbaux, d’où la multitude des travaux sur ce« paralangage » qui échappe à la volonté et à laconscience. Ces chercheurs considèrent que les sujets

7. In Management, PUF.

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Nonseulement

la satisfaction découle de l’expérience, mais elle

est un type particulierd’expérience : celle que

nous vivons quand nos attentes se réalisent.

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névrosés sont particulièrement sensibles aux attitudesnon verbales, et que les femmes sont deux fois plussensibles que les hommes aux messages non verbaux.Autre trouvaille, plus les sujets sont de niveau verbalinférieur, moins ils utilisent de gestes. Mais de nom-breux auteurs se refusent à parler de « langage ducorps » et relativisent l’importance de la communica-tion non verbale qui ne serait qu’une partie du proces-sus de représentation et d’élaboration conceptuellechez celui qui parle. Cela ne signifie pas qu’il est inutilede travailler sur la communication interpersonnelle,mais qu’il faut le faire non pas encore une fois pourdéduire un comportement mais pour un objectif précis.Par exemple le feed back, dont nous verrons l’impor-tance aujourd’hui dans les entreprises, nécessite uneattitude de compréhension qui consiste à reformuler,de manière neutre sur le fond et chaleureuse sur laforme, ce que l’émetteur a dit, sans y adjoindre dejugement. C’est une attitude qui permet à l’émetteurde préciser sa pensée pour finalement aboutir à sasolution. Cette « écoute active » laisse le plus de libertéà l’émetteur et l’aide comme un miroir à se définir.

Au temps du « développement personnel », chacunpouvait s’inscrire individuellement à un stage de com-munication choisi dans le catalogue et améliorer« techniquement » sa communication avec les autres.Mais, de retour dans son entreprise, son progrès seheurtait aux habitudes de ses collègues qui n’avaientpas suivi la même démarche. Cela revenait à l’histoiredu fou qui se prenait pour un grain de blé et qui, à lasortie de l’hôpital psychiatrique où il a compris qu’il

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Au temps du

« développementpersonnel », chacun

pouvait s’inscrireindividuellement à un

stage de communicationchoisi dans le catalogue

et améliorer« techniquement » sa communication

avec les autres.

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n’était pas un grain de blé, demande si les poules, ellesaussi, ont bien compris. Ces stages multiples aux effetslimités sur le fonctionnement quotidien ont décou-ragé beaucoup à s’engager davantage dans la voie desformations comportementales. Nous entrons mainte-nant dans le temps du « développement profession-nel », et c’est cette fois l’entreprise qui prendl’initiative de perfectionner la communication degroupe, en groupe. Les membres d’une équipe de pro-jet, ou même tous les cadres d’une organisation quitravaillent ensemble à améliorer leur communicationinterpersonnelle, partagent ensuite les mêmes réfé-rences, développent de nouveaux jeux comportemen-taux, et inventent de cette manière une nouvelleculture d’entreprise. Ces stages de communicationsont alors baptisés « stages de cohésion d’équipe », àl’instar du management anglo-saxon qui a rendupopulaire depuis fort longtemps les séminaires deteam-building. La cohésion de groupe est générale-ment définie comme le degré d’attraction réciproquede ses membres et leur attachement à conserver leurappartenance. C’est l’ensemble des forces ayant poureffet de maintenir ensemble les membres d’un groupeet de résister aux forces de désintégration. AlainCardon (1992) distingue quatre « cultures d’équipe » :

• l’équipe « artisanale » se concentre sur le travail àfaire et a une perception limitée de son impactsur le marché ;

• l’équipe « mécaniste » a un excellent contrôle desdépenses, une bonne gestion financière, une pla-nification efficace et des méthodes de travail ;

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© Éditions d’Organisation [221]

La cohésion de groupe est

généralement définiecomme le degré

d’attraction réciproque deses membres et leur

attachement à conserverleur appartenance. C’est

l’ensemble des forcesayant pour effet de

maintenir ensemble lesmembres d’un groupe

et de résister aux forces de

désintégration.

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• l’équipe « humaniste » se préoccupe du bien-êtrede ses membres, a des relations humaines de qua-lité, un management participatif, délègue,recherche le consensus, mais enregistre une faiblerentabilité des investissements, a des réactionsémotionnelles aux problèmes (besoin d’êtrereconnu ou stratégie d’évitement) ;

• l’équipe « organique » enfin s’adapte auxinfluences extérieures et aux situations d’ur-gence, aux changements, aux besoins nouveaux,avec beaucoup de créativité.

Une évolution est possible entre la culture la moinsélaborée (artisanale) jusqu’à la culture la plus perfor-mante (organique) car une équipe vit et se développecomme un individu. Une collection d’individus centréssur les compétences, la technique et... eux-mêmes,peut devenir un groupe, pratiquant l’écoute réci-proque, les relations interpersonnelles, et enfinatteindre le niveau d’une équipe performante inté-grant la vision de chacun de ses membres, ayant unevaleur de cohérence et s’identifiant à l’organisation.Une équipe cohésive peut malgré tout se désagrégerrapidement dans une situation de crise, d’où la priseen compte dans les meilleurs de ces stages de « cohé-sion d’équipe » de cette dimension « management decrise », avec un travail sur la prise de risque, la gestionde ses émotions, la gestion des conflits et la négocia-tion. Négocier, c’est, dit-on, jouer du conflit dans lacoopération, c’est coopérer en utilisant le conflit.Inhérents à la nature humaine, les conflits et l’agressi-vité peuvent être régulés, à conditions de s’y préparer,par exemple en reconstituant, à des fins de formation,

Élaborer une stratégie comportementale

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Une collection d’individus

centrés sur lescompétences, la

technique et... eux-mêmes, peut devenir un

groupe, pratiquantl’écoute réciproque, les

relationsinterpersonnelles, et

enfin atteindre le niveaud’une équipe

performante intégrant lavision de chacun de ses

membres, ayant unevaleur de cohérence et

s’identifiant àl’organisation.

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des crises qu’il faudra résoudre à sa manière. Il n’estpas mauvais de connaître les nombreuses théories surle sujet, mais il bien plus efficace de découvrir parexemple, soi-même, in situ la relation entre frustrationet agressivité, et de prendre conscience de la diversitédes réactions des membres du groupes : le repli sur soi,la négation, l’autopunition, l’attente... Le mécanismede la projection, déjà évoqué, est le système dedéfense le plus fréquent : je m’interdis toute agressi-vité, alors je me mets en position de victime et jetrouve tous les gens qui m’entourent dangereux. Lesconflits entre groupes d’une même organisation sontaussi destructeurs. Un travail sur le fonctionnement degroupe révélera les sources de tensions comme lerecouvrement de responsabilités, le partage demoyens, les attributions imprécises de responsabilités,les rivalités entre fonctionnels et hiérarchiques, etc.L’art de la négociation qui permettra de gérer ces ten-sions ne s’apprend pas dans les livres mais doit êtreforgé par les parties prenantes elles-mêmes.

Dans les organisations « post-industrielles » fondéessur la responsabilisation, le rôle du cadre a changé, ettous ne s’en sont pas encore aperçu, à commencer parles écoles sensées former nos élites. Le manager estaujourd’hui un leader qui a une vision – il sait où ilveut aller et où il faut aller – qui sait communiquer saconfiance en son groupe, et obtenir l’adhésion activede tous pour la réalisation des objectifs de l’entreprise.Homme de caractère qui dérange en tant de paix (éco-nomique ou militaire), il est celui vers lequel on se

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Le manager est aujourd’hui

un leader qui a une vision,qui sait communiquer saconfiance en son groupe,

et obtenir l’adhésionactive de tous pour

la réalisation des objectifs

de l’entreprise.

Les comportements de

pouvoir et de décision

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tourne tel un aimant en temps de crise ou de guerre.Charles de Gaulle l’a écrit dans Le Fil de l’épée (1944) :

« Mais que les événements deviennent graves, le périlpressant, que le salut commun exige tout à coup l’initia-tive, le goût du risque, la solidité, aussitôt change laperspective et la justice se fait jour. Une sorte de fondpousse au premier plan l’homme de caractère... »

L’homme de la « participation » n’a pas pu réaliser sonGrand Œuvre lorsque la France ne pensait qu’à s’enri-chir ; la « responsabilisation » devient une urgencedans un monde en transformation. Parmi les nom-breux « modèles » de leadership en vogue dans lemanagement international, nous avons souventrecours dans nos séminaires à celui du BritanniqueJohn Adair, associé à notre partenaire Brathay Hall,l’un des deux premiers centres d’Outdoor Education.Le modèle des « fonctions du leadership » comprendtrois cercles qui se recoupent : la réalisation de latâche, le développement individuel, et la constructionet le maintien de l’équipe. La zone de chevauchementde ces trois cercles représente l’équilibre à rechercherentre ces trois fonctions du leadership.

Élaborer une stratégie comportementale

[224] © Éditions d’Organisation

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Figure 3 – Les fonctions du leadership

La première fonction du manager-leader est deprendre des décisions. La vision classique, suivantlaquelle une bonne décision est une décision ration-nelle perd du terrain dans les organisations modernes.Les « biais cognitifs » provoquent, comme nous l’avonsvu, une distorsion de la réalité qui rend illusoire la« rationalité » pure des décisions. J.F. Kennedy décidaen 1961 le débarquement dans la baie des Cochonsd’exilés cubains sensés renverser Fidel Castro. La CIA aimposé cette décision contre l’avis de ses contradic-teurs parce qu’elle avait un plan rationnel tout prêt.C’est ainsi que, sous prétexte « d’aider le Président »,l’on n’a pas pris en compte le risque que la responsa-bilité des États-Unis soit découverte et soit perçue parl’opinion mondiale comme l’agression d’une super-puissance contre un petit pays.

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BESOINSDE LATÂCHE

BESOINSDE

L’ÉQUIPE

BESOINSINDIVIDUELS

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La vision classique,

suivant laquelle une bonne décision

est une décisionrationnelle perd du terrain dans

les organisationsmodernes.

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Maîtriser les comportements dans l’organisation, cequi est le rôle du management, implique de maîtriserla structure du travail. Les entreprises s’éloignent àgrands pas de la structure taylorienne, en s’appuyantnotamment sur les cercles de qualité qui donnent auxemployés l’occasion de participer au processus de déci-sion et d’assumer des responsabilités en démontrantleur compétence. Les équipes autonomes de travailapportent une optimisation sociotechnique, et néces-sitent de concevoir une structure de production spéci-fique et de beaucoup investir dans la formation, ledéveloppement personnel et professionnel desemployés. Comme le note Hervé Laroche8 il est frap-pant de constater que la notion de « cultures organi-sationnelles » se développe au moment même où cesdernières semblent le plus menacées.

« Les profondes et rapides mutations dans les domainesd’activité couvertes par les entreprises ; les fréquentschangements de propriétaire, restructurations etfusions ; l’internationalisation ; les innovations technolo-giques qui accélèrent le renouvellement des produits etl’obsolescence des procédés de fabrication ; l’affaiblisse-ment des modes traditionnels d’organisation interne (lahiérarchie et la standardisation) : ces facteurs sont desconstantes menaces pour les cultures. »

Dans les entreprises, on me dit souvent : « Notreculture n’est pas prête », « cette nouvelle approchen’est pas adaptée à notre culture... » Mais sedemande-t-on si la culture de l’entreprise est adaptéeà l’environnement dans lequel elle opère ? Bien desprocédés sont mis au point pour entretenir la culturemaison, avec toute la panoplie des rites et des tabous,

8. In Management, PUF.

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La notion de « cultures

organisationnelles » se développe au momentmême où ces dernières

semblent le plusmenacées.

Les comportements

dans l’organisation

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mais presque rien n’est prévu pour la faire évoluer. Onsemble oublier que la culture a d’abord un rôle demise en ordre de la complexité qui l’entoure.

Quand elle ne joue plus ce rôle, il faut tout de mêmebien envisager de réviser cet « équipement mental » etne pas trop compter sur un processus naturel d’adap-tation au milieu. Les consultants ont de beaux joursdevant eux pour accompagner leurs clients dans ceprocessus.

Pour la compréhension des rapports humains, uneplace à part doit être réservée à une dimension nou-velle du management comportemental, il s’agit dumanagement interculturel, qui recouvre les thèmesque nous venons de survoler, dans leurs trois dimen-sions de l’individu, du groupe et de l’organisation.

Une entreprise française, parmi les leaders mondiauxde la production de cartes à puce électronique, faitl’acquisition d’une entreprise autrichienne complé-mentaire. C’est une décision prise par le président surun coup de tête, et son comité de direction n’est pasvraiment « monté à bord » de ce projet. La premièreannée voit la situation se dégrader : l’ancien comité dedirection de la filiale autrichienne crée une nouvelleentreprise concurrente ; les contrôleurs envoyés enAutriche par le siège français sont mal perçus ; lamaison mère et sa filiale ont peu de communication etle personnel ne sait pas ce que les deux entités ont àfaire ensemble. La méfiance augmente, les heurts sont

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Bien des procédés sont

mis au point pourentretenir la culture

maison, avec toute lapanoplie des rites et des

tabous, mais presque rienn’est prévu pour la faire

évoluer. On sembleoublier que la culture ad’abord un rôle de mise

en ordre de la complexité

qui l’entoure.

Accepter la différence

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de plus en plus fréquents, chacun s’isole sur ses posi-tions. La consultante Elisabeth de Saint Basile, du cabinetInter Cultural Management (ICM), est sollicitée pourorganiser une convention réunissant 300 Français etAutrichiens, et pour amorcer un processus d’intégra-tion.

Au début de la convention, un baromètre d’intégra-tion est réalisé en direct grâce à un système de voteélectronique. Chacun doit répondre « oui » ou « non »à dix questions du type « je vois les forces des autres »,« j’ai un projet avec l’autre », « nos valeurs sont égales,différentes, très différentes », « je suis confiant »...L’animatrice est suédo-écossaise et le porte-parole estautrichien. La synthèse des réponses sur transparentsmontre que les participants perçoivent les synergiespossibles entre les sociétés mais font peu confiance aumanagement pour les mettre en œuvre. 60 % des par-ticipants estiment que l’aspect culturel est le risquen° 1 dans cette fusion-acquisition.

Un autre questionnaire croisé (moi/les autres) révèlecomment Autrichiens et Français se voient : lesAutrichiens se voient amicaux, travailleurs, créatifs,flexibles, hiérarchiques, alors que leurs collègues fran-çais les voient hiérarchiques, ponctuels, formels, natio-nalistes, décidés, honnêtes et en dernier lieu...amicaux ; les Français se voient eux-mêmes créatifs,intelligents, amicaux, flexibles, arrogants, indulgentspour eux-mêmes et... sexy, alors que les Autrichiens lesvoient nationalistes, arrogants, sexy, amicaux, créatifs,

Élaborer une stratégie comportementale

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honnêtes et indulgents avec eux-mêmes. Le reste de laconvention est consacré à la préparation de six projetstransversaux qui vont devoir être réalisés l’année sui-vante par autant de groupes de travail mixtes franco-autrichiens, avec l’aide d’un facilitateur interne pargroupe. L’architecture du projet conçu par ICM permet auxgroupes d’avancer par eux-mêmes.

« Combien d’alliances, combien de fusions ou d’acquisi-tions nationales et internationales, annoncées en clai-ronnant, déçoivent après deux ou trois ans, nous ditCharles Gancel, directeur général d’ICM. Où sont doncles promesses de synergie, le « 1+1 = 3 » magique et ori-ginel, lorsqu’il faut considérer en grimaçant le « 1+ 1 =1,5 » du résultat final, et que les actionnaires s’interro-gent sur l’opération ? À l’origine de ces échecs, ontrouve le plus souvent la non prise en compte du facteurhumain et, en particulier, du facteur culturel, qu’ils’agisse de culture d’entreprise ou de culture nationale.Il faut amener les personnes et les équipes à coopérer etdéfinir ensemble leur future façon de travailler. Le« management interculturel », c’est avant tout cela :faire travailler ensemble des gens différents et qui n’ysont pas préparés. »

ICM voit trois défis majeurs pour les dirigeants d’ungroupe après l’acquisition d’une entreprise : réduirel’anxiété, informer vite, calmer le jeu politique etconcentrer l’énergie sur le marché. Selon ce cabinet,l’intégration doit répondre à une série d’impératifs. Ilfaut expliquer la décision d’acquisition ou de rappro-chement, communiquer les raisons, les objectifs, lesdiscuter et favoriser leur appropriation par le person-

Bâtir une stratégie d’apprentissage collectif

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“”

Le « management

interculturel », c’est avanttout cela : faire travailler

ensemble des gensdifférents

et qui n’y sont pas préparés.

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nel. Il faut transmettre une information fiable dès lespremiers moments de la fusion afin de compenser larumeur et d’émettre un message de considération. Enmême temps, les nouveaux dirigeants doivent êtrelégitimés afin que la nouvelle stratégie soit incarnée etportée par un leadership crédible et inspirant. Laconfiance, renforcée ou suscitée, est le ferment d’uneaction cohérente, mais aussi de la motivation et de laloyauté des personnes. Il faut favoriser les actionstransverses et les rencontres personnelles, au-delà descultures d’origine, dans un climat ouvert et centré surl’action. L’intégration se déroule en trois phases,explique Charles Gancel :

1) planter le décor (3 à 5 mois) : le comité de direc-tion se penche sur les cultures en présence et fixeses priorités en fonction des écarts à combler.

2) le laboratoire d’intégration (8 à 12 mois) : rap-prochement à travers des activités de communi-cation et la constitution d’équipes transversalesqui doivent réfléchir sur les nouvelles méthodesde travail.

3) l’assimilation (1 à 2 ans) : englober tous les effortsde communication et de compréhension des dif-férences culturelles.

ICM a ainsi aidé Chronopost à travailler avec ses filialesétrangères, après leur rachat en 1998, en rencontranttous les patrons de filiales ainsi que 200 cadres. Unedouzaine de groupes mixtes ont été mis en placeautour de questions telles que le suivi des colis, lesgammes de produits ou la livraison. Sur la base de ces

Élaborer une stratégie comportementale

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“”

Il faut favoriser

les actions transverses et les rencontres

personnelles, au-delà des cultures d’origine,

dans un climat ouvert et centré

sur l’action.

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travaux, des décisions ont été prises telles que d’adres-ser tous les courriers aux filiales en anglais et de tenirles réunions internationales dans cette langue.

« C’est un grand effort pour une société comme la nôtrequi était, il n’y a pas si longtemps encore, publique »,

commente Laurent Cuiry, le directeur du développe-ment de Chronopost International9.

9. Dossier Les Échos,Internationalisation, mardi 18 mai 1999.

Bâtir une stratégie d’apprentissage collectif

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Chapitre 11

La démarchedu

changement

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Élaborer une stratégie comportementale

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La plupart des changements planifiés en entreprisesont déclenchés par le besoin de répondre à de nou-veaux défis ou opportunités offertes par l’environne-ment externe, ou par anticipation du besoin de faireface à de futurs problèmes potentiels. Par exemple, unprojet de loi, le développement d’un nouveau produitpar un concurrent important ou un progrès technolo-gique attendu. Les objectifs essentiels sont, en termesgénéraux :

• modifier des modèles comportementaux desmembres de l’organisation ;

• améliorer la capacité de l’organisation à faireface aux changements de son environnement.

Toute action visant à un changement se heurte à unerésistance dont il est difficile d’identifier les raisonsexactes.Les forces de résistance au changement, auplan des personnes, dans les entreprises sont essentiel-lement :• une perception sélective : le personnel interprète

les initiatives proposées en fonction de ses sté-réotypes ou préjugés ;

• l’habitude qui permet de rester dans sa zone deconfort et de sécurité et incite à prendre des déci-sions faciles ;

• les inconvénients ou la perte de liberté ;

• les implications économiques ;

• la sécurité dans le passé : dans des situations diffi-ciles, les gens ont tendance à se référer au passé ;

• la peur de l’inconnu : une personne peut refuserune promotion par crainte des responsabilités et

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La démarche du changement

des attentes sociales qu’implique une positionplus élevée.

Il faut être conscient de ces résistances, mais souve-nons-nous que la difficulté d’exécution d’une décisionn’est pas essentiellement un problème de salariésdérangés dans leurs habitudes ou leurs intérêts, qu’ils’agirait de persuader et former sans relâche, maisdépend de l’intérêt qu’ils pourront trouver dans lesnouveaux jeux qu’on leur propose.

Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, lemanagement du changement doit être fondé sur uneclaire compréhension du comportement humain autravail. La plupart des gens se sentent menacés par ledéfi du changement. Des émotions telles que l’incerti-tude, la frustration ou la peur sont des réactions fré-quentes. Il est alors compréhensible que les personnesadoptent souvent une position défensive et négative.Cependant, le changement a des effets très différentssuivant les individus, et la direction doit accepter lanature individuelle du changement. Certains préfèrentun style de management directif, mais, dans la plupartdes cas, un style participatif aura plus de succès. Demême, une stratégie de changement fondée unique-ment sur une performance technique a peu de chancede conduire aux résultats attendus. Elle devra prendreen compte les facteurs humains et sociaux du change-ment. Les auteurs anglo-saxons donnent la prioritésaux facteurs suivants :

• créer un environnement de confiance et d’enga-gement partagé, et impliquer le personnel dans

© Éditions d’Organisation [235]

“”

Le management du

changement doit être fondé sur uneclaire compréhension du

comportement humain autravail. La plupart des

gens se sentent menacéspar le défi duchangement.

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Élaborer une stratégie comportementale

les décisions et les actions qui ont des effets surlui ;

• associer le personnel aussi tôt que possible auprocessus de changement, de préférence avantl’introduction de nouveaux équipements ou sys-tèmes ;

• le management des équipes et un esprit decoopération parmi le personnel et les syndicatsaideront à créer une plus grande volonté d’ac-cepter le changement ;

• avant l’introduction de nouvelles technologiesconduisant à augmenter ou à réduire le person-nel, doit être mis en place un programme de ges-tion du personnel en pleine concertation avec lepersonnel concerné ;

• l’introduction d’un schéma d’intéressement auxrésultats des performances attendues motivera lepersonnel ;

• les changements de l’organisation du travail doi-vent maintenir l’équilibre du système socio-tech-nique ;

• une grande attention doit être portée à la défini-tion des postes, aux méthodes d’organisation, audéveloppement de la cohésion d’équipe, et auxrelations entre la nature et le contenu des postesd’une part, et leurs fonctions d’autre part.

Il n’existe pas de recette applicable à toutes les orga-nisations. Chaque entreprise est différente et doitinventer sa méthode. Néanmoins, il est essentiel de

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déterminer l’esprit et les principes généraux de sa stra-tégie de changement comportemental. Tout au longdes chapitres précédents, nous avons tenté de tirer lesmeilleurs enseignements des pratiques internationalesles plus innovantes, afin d’éviter certains pièges telsque la vision déterministe des comportements, uneintervention superficielle, purement technocratiqueou n’agissant pas à la fois sur la structure et sur les fac-teurs humains et culturels. L’idée que l’entreprise pou-vait agir sur les mentalités et les comportements étaitsi éloignée du management à la française, et le besoind’intégrer cette dimension humaine et sociale s’im-pose si brutalement, que nos cadres courent le risquede se vouer à n’importe quel gourou, sans avoir accèsau meilleur de l’expérience plus ancienne des paysanglo-saxons et de quelques précurseurs français.Unevision trop rationnelle de la réalité reste le plus grandhandicap des dirigeants préparés à un monde quin’existe plus. Nous constatons souvent dans nos inter-ventions en entreprises qu’avant même de travaillersur d’autres comportements et capacités relation-nelles, il faut au préalable aider les cadres à s’ouvririntellectuellement à l’idée même qu’il existe une autremanière de fonctionner. Comment agir efficacementsur les comportements si notre carte mentale ne cor-respond plus à un territoire radicalement différent ? L’approche sociologique de Michel Crozier et ErhardFrieberg donnait dès 1977 un cadre « macro social » àun travail sur les changements de comportementsdans les organisations. Il est grand temps de s’en ins-pirer. Mais sur un plan plus opérationnel, c’est versl’approche participative américaine et le développe-ment organisationnel que l’on peut se tourner.

La démarche du changement

© Éditions d’Organisation [237]

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Il est essentiel de déterminer

l’esprit et les principesgénéraux de sa stratégie

de changementcomportemental.

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Élaborer une stratégie comportementale

L’approche participative porte les valeurs américainesde dignité de l’être humain, d’opposition à uncontrôle excessif et d’aide au développement de l’in-dividu, à sa réalisation, à son amélioration. Elle intègrel’approche psychosociologique et l’approche systé-mique. La première, illustrée par Kurt Lewin, part del’idée que si la résistance au changement provient del’attachement aux normes du groupe, c’est sur cesnormes qu’il faut agir, et non en augmentant les forcespositives. Avec la méthode de la recherche-action, cecourant vise à augmenter l’efficacité de l’organisationet à développer de nouvelles connaissances qui pour-ront, par la suite, être appliquées en d’autres lieux.Lewin utilise l’implication et la créativité collective desmembres de l’organisation pour découvrir et adopterde nouveaux comportements. L’approche systémiquedate des années 50 (Le Tavistock Institute en GrandeBretagne) et met en évidence les liens étroits qui exis-tent entre les variables techniques et les variablessociales dans une opération de changement. Elle éta-blit des passerelles entre l’informatique, la biologie,l’écologie, la mécanique quantique, la médecine,l’économie, la sociologie et la thérapie. Pour les systé-mistes, une organisation, comme tout système, a unnoyau et une frontière externe, une histoire, deséchanges énergétiques et matériels, internes etexternes, une capacité de reproduction ou d’auto-organisation, une tendance au conservatisme, unevaleur ajoutée par rapport à la somme des parties quila compose, et est organisée suivant le principe holis-tique : le tout est contenu dans chacune des parties.Un processus de changement et d’amélioration de l’or-ganisation des entreprises s’est imposé dans les années 70

Le Développement

professionnel

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Si la résistance

au changement provientde l’attachement

aux normes du groupe,c’est sur ces normes

qu’il faut agir, et non en augmentant

les forcespositives.

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1. À l’époque les trois ouvragesde référence étaient :• Le Développement des

organisations, stratégies etmodèles, Richard BECKARD,Dallos, 1975.

• Le Développement desorganisations, sa pratique, sesperspectives et ses problèmes,Warren G. BENNIS, Dallos, 1975.

• Le Développement desorganisations, Pierre MORIN,Dunod, 1979.

2. Organization Development:Behavioral Science Interventionsfor Organization Improvement,W. L. FRENCH et C. H. BELL, PrenticeHall, 1990.

La démarche du changement

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aux États-Unis et au Canada sous le nom deOrganizational Development (OD). Guy Rullaud a étél’un des premiers à l’appliquer en France au sein de lasociété General Foods en 19791. Il intègre les principes del’approche participative : les changements proposés nesont pas orientés par le consultant mais sont élaborés etcontrôlés par les acteurs eux-mêmes au cours d’un pro-gramme de plusieurs mois ou même plusieurs années.Organizational Development est un terme génériquerecouvrant une grande variété de stratégies d’interven-tion dans le processus social d’une organisation. Ces stra-tégies visent le développement des individus, desgroupes et de l’organisation en tant que système profes-sionnel global. Il existe de nombreuses définitions del’Organizational Development, dont la plus connue estdonnée par French et Bell2 :

« Un effort à long terme appuyé par le top-managementpour améliorer la résolution des problèmes d’une orga-nisation et renouveler son fonctionnement, en particu-lier à travers un diagnostic coopératif et le managementde la culture organisationnelle – avec un accent mis surle travail d’équipe, l’équipe temporaire, et la cultured’intergroupe – avec l’assistance d’un consultant-facilita-teur et l’utilisation de la théorie et de la technologie dessciences comportementales appliquées, incluant larecherche-action. »

L’appui du top-management signifie l’implicationtotale du comité de direction. La résolution de pro-blème se réfère à la manière employée par une orga-nisation pour s’adapter aux opportunités et défis deson environnement. Le renouvellement du fonction-nement concerne la viabilité de l’organisation, géné-

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rant des ressources techniques et humaines pour sasurvie, et l’évitement de sa sénilité ou de sa dispari-tion. Le diagnostic coopératif et le management de laculture se réfèrent à un examen et à un managementpartagé de la culture de l’organisation, et non à lastructure traditionnelle du management avec desordres imposés à travers une hiérarchie de niveaux. Laculture d’une organisation inclut les modèles de com-portement,valeurs, attitudes, croyances, normes, senti-ments et technologie. Le OD est le management de laculture par les acteurs d’une organisation au lieud’une organisation dirigée par cette culture. L’équipede travailest l’unité clé des activités du OD. Au lieu quel’attention soit portée sur la personne du cadre ou dusuperviseur, la cible est le groupe. Le consultant-facili-tateur est une tierce partie agissant comme un consul-tant interne ou externe. Son rôle d’agent dechangement suppose une variété de compétences deconsultation suivant la nature du programme. Larecherche-action correspond aux diagnostics des pro-blèmes de l’organisation, la collecte des données pro-venant du groupe, le feedback et l’analyse desdonnées, et l’action de résolution de problème, desmembres du groupe. L’Organisational Developmentvise à améliorer la performance d’une entrepriseincluant :

• la culture de l’organisation ;

• le climat social de l’organisation ;

• l’intéressement des employés ;

• les conflits ;

• la conduite du changement ;

Élaborer une stratégie comportementale

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La culture d’une

organisation inclut lesmodèles de

comportement,valeurs,attitudes, croyances,

normes, sentiments ettechnologie. Le OD est le

management de laculture par les acteursd’une organisation aulieu d’une organisation

dirigée par cette culture.

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• le développement professionnel des cadres ;

• l’efficacité du fonctionnement.

La mise en œuvre d’un programme OD utilise le plussouvent les approches suivantes :

• des questionnaires permettant de déterminer lesattitudes des membres de l’organisation, suivis dela restitution des résultats (feedback) à l’encadre-ment et aux groupes concernés ;

• des groupes de formation (T-groups), animés parun formateur, travaillent sans ordre du jour surles réactions émotionnelles des autres et d’eux-mêmes, sur la capacité à réaliser des diagnos-tics,et sur la flexibilité comportementale ;

• la construction d’équipe (team building) est leprocessus de diagnostic du mode de fonctionne-ment d’un groupe. L’accent est mis sur la réalisa-tion des tâches et les relations interpersonnelles,et spécialement sur le rôle du leader par rapportaux autres membres du groupe ;

• une grille des styles de management permet, àtravers des expériences de résolution de pro-blèmes, de situer un groupe par rapport à sonorientation vers la production et vers les gens. Unséminaire de team building suit cette évaluationvisant à améliorer le fonctionnement du groupeet à fixer des objectifs de développement profes-sionnel individuels et collectifs. L’interface entreles groupes composant l’organisation est amélio-rée en analysant notamment les conflits et fric-

La démarche du changement

© Éditions d’Organisation [241]

“”

La construction

d’équipe (team building)est le processus dediagnostic du mode de fonctionnement

d’un groupe.

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tions. Un modèle de stratégie organisationnelleidéale est conçu par l’équipe de direction quivisualise (blueprint) le chemin à parcourir jusqu’àla mise en œuvre des changements décidés, puisconduit la réalisation.Enfin, il s’agit de consoliderles progrès obtenus dans les phases précédentes.

Ce processus est nettement orienté vers l’action et s’ap-puie fortement sur la formation comportementale :compétences interpersonnelles, modèles de communi-cation, processus de motivation, styles de leadership etcomportement managerial. Naturellement la qualité etles résultats d’un tel programme dépendent de la qua-lité et de l’éthique des consultants et des méthodesemployées. Mais, lorsque les dirigeants ont accès auxbonnes informations et qu’ils ont pu sélectionner habi-lement les conditions d’une bonne mise en œuvre, unprogramme OD change à long terme le climat d’uneentreprise, même s’il est difficile d’isoler son impact desautres influences. Le bon moral du personnel estconsidéré comme un des résultats d’un tel programme.On parle de moral des troupes mais rarement du moraldes salariés d’une entreprise. Le moral est vu ici entermes d’attitudes mentales vis-à-vis des tâches et res-ponsabilités ; les causes sont internes (perception desleaders, identification aux buts communs...) et externes(salaire, statut, formation...) ; le moral se traduit par lasatisfaction du poste occupé, la motivation, la cohésionde groupe, et ses indicateurs sont les niveaux d’absen-téisme, d’arrêts maladie, de turn-over, de performance.Un autre critère de réussite d’un programme OD estl’implication du personnel reposant sur trois piliers : le

Élaborer une stratégie comportementale

[242] © Éditions d’Organisation

“”

Le bon moral du personnel

est considéré comme un des résultats

d’un tel programme.

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sentiment d’appartenir à l’organisation, la surexcita-tion par rapport au job et la confiance accordée à ladirection.Jack Jabes3 note que ce concept d’OrganizationalDevelopment n’a pas encore vraiment pénétré enFrance, comme dans les autres pays à forte « distancehiérarchique », c’est-à-dire dans lesquels le pouvoir estpeu distribué. Quelques publications ont analysé lesraisons de cet échec. Il a également eu moins de succèsau Royaume-Uni car il existe un hiatus entre les straté-gies qu’il propose et les normes culturelles anglaises.Certaines d’entre elles – telles qu’éviter les sujets« incongrus » ou de ne pas provoquer de « turbu-lences » – vont à l’encontre de celles proposées parl’OD. Le modèle de base OD s’applique à toutes les cul-tures, mais ce sont les techniques employées pour samise en œuvre qui rencontrent des résistances. MichelCrozier met en garde contre la généralisation de cemodèle comme une collection de recettes universellesqui dispensent de rechercher la réalité des systèmes depouvoir et de leurs conflits. Renaud Sainsaulieu sou-ligne quant à lui l’originalité du courant OD qui a suélargir l’idée socio-technique, mais il souligne lui aussique cette approche

« fait probablement l’impasse sur le jeu des acteursentre eux, sur les logiques culturelles qui les animent, surla structure systémique des fonctionnements sociaux, surla complexité stratégique et culturelle des processustransformateurs, même appréhendés sur le mode parti-cipatif. »

3. In Management, aspectshumains et organisationnels, PUF, 1991.

La démarche du changement

© Éditions d’Organisation [243]

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Ce conceptd’Organizational

Development n’a pasencore vraiment pénétréen France, comme dans

les autres pays à forte « distance

hiérarchique ».

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Nous ne pouvons suivre jusque-là nos sociologuesfrançais, car ce qui les rapproche du modèle du déve-loppement organisationnel est beaucoup plus impor-tant que ce qui les sépare. Kurt Lewin, qui inspire cecourant américain, dit qu’il faut agir sur les normes dugroupe, qui orientent les comportements, plutôt qued’augmenter les forces positives, alors que MichelCrozier affirme qu’il s’agit d’instituer de nouveauxjeux, de nouvelles rationalités, et de développer denouvelles capacités relationnelles. La recherche-actionpermet une analyse socio-technique du fonctionne-ment d’une entreprise et utilise l’implication de tousles acteurs pour découvrir et adopter de nouveauxcomportements. Crozier ne dit pas autre chose.L’approche systémique établit un lien entre lesvariables techniques et sociales dans une opération dechangement, alors que l’école sociologique françaiseaffirme la nécessité d’agir à la fois sur la structure etsur les comportements. L’OD s’appuie sur un « dia-gnostic coopératif » et le management de la cultureorganisationnelle, tout comme le co-auteur deL’Acteur et le système part d’une analyse socio-tech-nique de la réalité de l’organisation en impliquanttous les acteurs. La construction d’équipe repose surdes problèmes à résoudre révélant le mode de fonc-tionnement du groupe, tout comme Crozier décrit unprocessus d’acquisition et de développement des capa-cités relationnelles à travers l’action et l’expérience,analysées comme une suite de processus de résolutionde problème. Sociologues français et consultants amé-ricains disent essentiellement la même chose ; la diffé-rence est que les premiers théorisent mais ne

Élaborer une stratégie comportementale

[244] © Éditions d’Organisation

“”

Sociologues français

et consultants américainsdisent essentiellement

la même chose ; la différence est que

les premiers théorisentmais ne pratiquent pas cequ’ils prêchent, alors que

les seconds mettent en action

leurs théories.

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pratiquent pas ce qu’ils prêchent, alors que les secondsmettent en action leurs théories ; toujours le « talkywalky » (quand ce n’est pas le « talky talky ») contre le« walky talky ». Dans les trois phases d’un programme de changementcomportemental, nous réunirons Français etAméricains plus que nous les opposeront ; qu’ils nouspardonnent d’établir à leur insu ce pont culturel. Maisn’est-ce pas Crozier qui affirme dans L’Entreprise àl’écoute que les Français ont les qualités culturelles etcomportementales requises par nos nouvelles organi-sations, mais que leur problème est de ne pas savoir lesmobiliser ? Nous avons donc plus à gagner de ces« pragmatiques consultants-facilitateurs » américainsque d’ironiser sur ce qui les sépare de nos « scienti-fiques universitaires. » Rien ne nous empêche ensuited’adapter la démarche OD en employant les méthodesqui nous conviennent le mieux. Le concept que nousdésignons en France de développement professionnel(DP) ne recouvre pas tout le domaine de l’OD, puisqu’ilconcerne le développement des individus et deséquipes ramené aux nécessités de l’entreprise, et nonun travail sur l’organisation, le mode de fonctionne-ment sous un angle psycho-sociologique. Mais riennous interdit de reprendre les principes de l’OD dansun contexte plus favorable que dans les années 70-80,sous le nom de développement professionnel, car c’està partir d’une volonté de changer les comportementsque l’on en arrive à changer l’organisation.

La démarche du changement

© Éditions d’Organisation [245]

Avant toute intervention

sur les comportements, il faut donc analyser

et comprendre la réalité du fonctionnement del’organisation, des jeux

de pouvoirs. Lesdirigeants découvrentqu’en ajustant leursinterventions auxcaractéristiques du

« système d’action » de leur organisation, ils parviennent à une

plus grandeefficacité.

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L’ethnologue Jacques Lizot me disait combien sa disci-pline a été longtemps parasitée par les théoriesmarxistes. Ses collègues se référant à cette idéologievoulaient à toute force retrouver chez les IndiensYanomami du Haut-Orénoque une nouvelle confirma-tion de la règle générale de l’exploitation de l’hommepar l’homme. Les brefs séjours de ces « scientifiques »n’ont pas empêché les « fils de la lune » de continuerà ignorer souverainement toute notion de chef ou depropriété.« L’analyse prime sur la théorie », écrit Crozier qui sou-ligne qu’établir l’existence d’un phénomène nouveauet en comprendre la logique est bien différent que dedéduire à partir de principes généraux les lois univer-selles qui régissent tous les phénomènes de mêmenature. Avant toute intervention sur les comporte-ments, il faut donc analyser et comprendre la réalitédu fonctionnement de l’organisation, des jeux de pou-voirs. Les dirigeants découvrent qu’en ajustant leursinterventions aux caractéristiques du « système d’ac-tion » de leur organisation, ils parviennent à une plusgrande efficacité. Le système d’action est un groupehumain organisé par des mécanismes de jeux et quimaintient sa structure par d’autres jeux de régulation.Chaque consultant a sa méthode d’étude préalableavec le plus souvent l’élaboration de guides d’entre-tiens,des entretiens individuels, l’élaboration d’un dia-gnostic et la restitution des résultats.

Tony Grundy4 donne le cas d’un diagnostic des com-portements dans une division de British Telecom. Ce« département de stratégie technique » (TSD) doit

4. Harnessing strategic behaviour,Pitman Publishing, 1998.

Élaborer une stratégie comportementale

[246] © Éditions d’Organisation

Première phase : analyse

préalable et restitution

“”

Établir l’existence d’un

phénomène nouveau et en comprendre la logique est bien

différent que de déduire à partir de principes

généraux les loisuniverselles.

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anticiper d’importants changements technologiques.Andy, son manager, doit aligner ses résultats sur lesattentes de ses stakeholders internes (parties pre-nantes) avec une équipe de sept personnes ayant despersonnalités différentes et venant d’horizons variés.Le consultant bâtit d’abord un modèle de manage-ment comportemental et d’interactions entre les dif-férentes catégories de comportements : les tâchesstratégiques, le processus analytique, les caractéris-tiques individuelles, les processus interpersonnels, l’in-teraction d’équipe, le processus dynamique, lesmeta-comportements (aide à orienter d’autres com-portements), le contexte organisationnel, les résultats.Puis il réalise des entretiens individuels à partir d’unquestionnaire :

• En quoi les tâches auxquelles doit faire face votreéquipe de cadres sont-elles compliquées, incer-taines et contraignantes ?

• Sur quel mécanisme analytique votre équipecompte-t-elle le plus fortement pour traiter lesquestions stratégiques ?

• Quelle est l’approche des différents membres del’équipe au sujet de ces questions, et en quoi leursstyles diffèrent de l’un à l’autre ?

• Quels sentiments orientent les comportements, etcomment se manifestent-ils ?

• Comment l’équipe « tourne-t-elle autour » desquestions stratégiques ?

• Comment l’équipe traite-t-elle les conflits, lesdéséquilibres et les comportements déstructu-rants ?

La démarche du changement

© Éditions d’Organisation [247]

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• Comment l’équipe progresse-t-elle dynamique-ment sur le terrain choisi ?

• L’équipe emploie-t-elle des meta-comportementspour se coordonner elle-même ?

• En quoi le contexte organisationnel influence etéventuellement modifie les comportementsd’équipe ?

• Quel est le climat comportemental dans votreéquipe ?

Le consultant ensuite restitue les résultats de cesentretiens à l’équipe : le département stratégique deBritish Telecom est chargé de la réflexion à long-terme, pourtant une minorité de membres de cedépartement est à l’aise avec la pensée stratégique,non pas à cause de la complexité mais en raison dubesoin de maîtriser un sentiment de vertige, et depeur d’un échec en cas d’erreur stratégique.

« Ce service est dans un état d’ambiguïté et de flux »,

note Grundy. Il voit également une faiblesse dans leprocessus analytique, c’est-à-dire dans les techniquescognitives individuelles et collectives mises en placepour résoudre les problèmes : quelques routines,beaucoup d’idées mais peu d’actions, prise de notesnégligée dans les réunions, synthèse des résultats troptardive, oubli de définir la prochaine étape...

« L’équipe investit de grands efforts dans la productiond’idées, mais pourrait être plus efficace en distillant eten captant la valeur de ces idées. »

Élaborer une stratégie comportementale

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Au chapitre des caractéristiques individuelles, lesentretiens ont révélé des différences de rôles au seinde l’équipe, des vulnérabilités personnelles, des atti-tudes différentes lors des réunions, des styles compor-tementaux préférés. Le consultant s’ appuie ici sur latypologie des rôles de Belbin5 qui définit huit rôles :

• travailleur d’entreprise ; • président-coordinateur ;

• développeur d’idée ; • imaginatif ;

• chercheur de ressource ; • contrôleur-évaluateur ;

• équipier ; • finisseur.

Selon Belbin, dans chaque équipe on observe la pré-dominance d’un style, ce qui entraîne un déséquilibre.Les membres de l’équipe TSD retrouvent ces diffé-rences. L’un d’eux observe :

« Il y a beaucoup de frustration quand chacun lance sesidées, et vous avez un mélange de satisfaction et de « comment allons-nous organiser la prochaine étape ? » ;alors vous avez en même temps des personnes qui veu-lent planifier la prochaine étape, et des personnes quiveulent avoir des idées, et d’autres qui sont un mélangedes deux. »

L’équipe convient qu’un déséquilibre dans les stylespeut lui créer un problème pour atteindre son pleinpotentiel, qu’elle devra essayer de ne pas recruterquelqu’un qui aurait le même style que l’un d’eux, etqu’elle devra rechercher un consensus sur ce qui estnécessaire pour un travail plus ferme ou plus flexible.Les points clés des relations interpersonnelles sont :

5. Management teams: Why theysucceed or fail, R. M. BELBIN,Butterworth-Heinemann, 1981.

La démarche du changement

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Dans chaque équipe

on observe laprédominance d’un style,

ce qui entraîne un déséquilibre.

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• sans un partage des cartes mentales, une équipetomberait rapidement dans un débat contre-pro-ductif ;

• lorsqu’un point de vue est exprimé, les membresde l’équipe doivent écouter, provoquantconstamment des explications.

Le fonctionnement du groupe serait amélioré, d’aprèsses membres, si les disputes étaient soigneusementcanalisées et n’étaient pas considérées comme unevaleur en soi. Andy, le chef d’équipe, pense toutefoisque la différence des points de vue peut être à la foispositive et productive.Quant à la dynamique de l’équipe, il est convenu de nepas essayer d’en faire trop dans une même séance maisde terminer ce qui est en cours, en structurant rigou-reusement le processus de réalisation.Enfin, l’humour est selon l’équipe le meta-comporte-ment le plus efficace : Une équipe sans humour per-drait rapidement de l’énergie, et aurait beaucoup plusde mal à analyser les sujets à un niveau cognitif.Grundy tire de ce cas un enseignement transposabledans toute autre équipe de cadres :

• éviter la surcharge d’activités intellectuelles à unmême moment ;

• déployer une intelligence stratégique : décompo-ser l’activité cognitive en tronçons gérables, etcela à l’aide d’un mécanisme analytique et d’ou-tils ;

• une équipe peut être instable mais avoir d’excel-lents résultats si elle fournit un immense effort decoordination ;

Élaborer une stratégie comportementale

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Une équipe sans humour

perdrait rapidement del’énergie, et aurait

beaucoup plus de mal à analyser les sujets

à un niveau cognitif.

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• il est préférable d’avoir plusieurs modes de rela-tions interpersonnelles plutôt qu’un seul : combi-naison de débats structurés et moins structurés,mixage et équilibre de différentes formules deréunions ;

• dans un fonctionnement d’équipe, éviter d’êtretrop gentil ou au contraire directement querel-leur ; chacun peut en même temps provoquer uneforte réaction et être attentif au point de vue desautres ;

• plus le débat est compliqué et ambigu, plus unmeta-comportement doit détourner l’équipe (lea-dership, humour, vision hélicoptère, feedback...).

L’auteur propose un questionnaire type pour touteéquipe de cadres :

• Comment décririez-vous votre comportementd’équipe lorsqu’il est question de stratégie ? Est-il particulièrement ordonné (éventuellementtrop) ou bien est-il fluide (et peut-être tropdéstructuré) ?

• Quelles sont les activités stratégiques principaleset comment est donnée la priorité ?

• Quelle est la diversité de l’équipe et celle-ci fonc-tionne-t-elle bien ?

• Quand l’équipe fonctionne-t-elle bien (et quandrecherchez-vous des améliorations), quandrecherchez-vous de l’aide ?

• Votre équipe applique-t-elle suffisamment desmécanismes de management et de meta-compor-tements pour devenir vraiment efficace ?

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• Votre équipe est-elle vraiment claire sur ce quedoivent être ses résultats et quelle valeur cesrésultats devraient-ils avoir ?

Sandra Michel-Bellier, à partir de l’exemple d’un pro-gramme de motivation, estime que trois étapes sontnécessaires dans un diagnostic :

1. Poser des questions préliminaires qui permettrontde faire préciser en quels termes le directeur posele problème :

– Pourquoi voulez-vous que vos salariés soientmotivés (objectifs) ?

– Qui sont les salariés dont vous attendez de lamotivation (cible) ?

– Comment mesurez-vous la démotivation (cri-tère de mesure) ?

2. Définir les termes utilisés. Dans l’exemple choisi,cette clarification a permis de se rendre compteque le but de l’action envisagée n’était pas lamotivation mais la réduction de l’absentéisme etl’amélioration du climat.

3. Bâtir une grille de diagnostic comprenant lesobjectifs, les gains pour l’entreprise, les actionspossibles et les critères de mesure des résultats.

De nombreux outils, dont certains ont été évoquésdans les chapitres précédents, sont à la disposition duconsultant pour analyser le fonctionnement d’ungroupe. Trois d’entre eux ont la faveur des auteursd’ouvrages récents – anglo-américains – sur la ques-tion : l’évaluation 360°, l’analyse des motivations com-

Élaborer une stratégie comportementale

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portementales (cause of behaviour analysis – COBRA),et l’analyse des parties prenantes (stakeholders analy-sis). Nous choisirons aussi une des innombrables tech-niques « alternatives » que peuvent produire lacréativité sans limite des consultants.

Au niveau du fonctionnement individuel, l’évaluationidéale ne s’appuie pas sur une seule source mais sur demultiples points de vue, ceux de l’entourage profes-sionnel. Cette évaluation « tous azimuts » ou « 360° »consiste à faire remplir le même questionnaire à lapersonne concernée, à ses pairs, à ses supérieurs hié-rarchiques et à ses subordonnés.Suivant le principe de l’analyse en arête de poisson deKurt Lewin, COBRA (cause of behaviour analysis) per-met d’analyser les forces positives et négatives quis’exercent sur le problème considéré. Par exemple leproblème « l’équipe ne travaille pas efficacement »(arête centrale horizontale) subit les forces positivesd’une facilitation had hoc et d’une assistance inégaledu leader, et, d’autre part, les forces négatives de lapeur d’un travail supplémentaire, de déceptions pas-sées et de points de vue différents. Ce schéma est l’oc-casion de définir le symptome du problèmecomportemental et d’approfondir ensuite l’analyse enexplorant les éléments en détails. Plusieurs variantessont possibles comme l’analyse du piranha lorsqu’onveut analyser non pas seulement un problème mais unbanc de problèmes ; plusieurs « arêtes de poisson »convergent vers le problème jugé central. Par exemplecomment décomposer en sous-problèmes le problèmecentral de ma surcharge de travail ? Cela revient àdémêler une pelote de laine.

La démarche du changement

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Cette évaluation

« tous azimuts » ou « 360° » consiste à faire

remplir le mêmequestionnaire à la

personne concernée, à ses pairs,

à ses supérieurshiérarchiques

et à ses subordonnés.

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Figure 4 – Cause of Behabiour Analysis (COBRA)

L’analyse des stakeholders, qui peut être utilisée aprèsl’analyse COBRA, est un bon moyen de comprendre lesdéterminants comportementaux en jeu dans uneéquipe. Terme familier aux Anglo-Américains, les sta-keholders (littéralement « porteurs de jalons ») sontles parties prenantes ; les parties prenantes d’uneentreprise sont les dirigeants, les salariés, les syndicats,les actionnaires, les clients, les fournisseurs... Crozierdirait les acteurs du système. Les premières questionsposées sont :

• identifier ce que vous croyez être les parties pre-nantes clés dans chaque phase du processus ;

• évaluer l’influence (faible/moyenne/grande) deces parties prenantes sur la question traitée (enfonction de leur influence sur l’organisation) ;

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Problèmecentral

Sous problème

Sous problème

Sous problème

Sous problème

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Terme familier

aux Anglo-Américains, les stakeholders

(littéralement « porteursde jalons ») sont

les parties prenantes.

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• évaluer au présent les parties prenantes pour,contre, ou neutre par rapport au projet ;

• le projet est-il facile, demande-t-il un long effort,ou est-il une mission impossible ?

• est-il possible de stimuler les parties prenantes enfaveur du changement et de réduire l’influencede celles qui s’y opposent ?

• plusieurs parties prenantes favorables peuvent-elles être combinées afin de renforcer leurinfluence ?

• le changement peut-il être reformulé(superficiel-lement ou en profondeur) afin de réduire l’hosti-lité au projet ?

• etc.

Exemple de mise en relief d’une situation, un schémaen arête de poisson permet de visualiser du point devue de chacun, les arguments en faveur ou en opposi-tion d’un projet. Des arguments attractifs peuventêtre : j’aimerai une réelle innovation, je pourrais amé-liorer mon statut, cela pourrait m’aider à décrocher unfutur poste... Des arguments répulsifs peuvent être :seulement si j’en prends l’initiative, je n’ai pas letemps... Un autre schéma peut positionner les projetsen fonction, d’une part, de l’axe « importance » et,d’autre part, de l’axe « urgence. » Une ligne de prio-rité peut alors relier les projets.

Grundy travaille aussi sur les rôles dans une équipe enla comparant aux héros de la série télévisée « StarTrek » embarqués à bord du Star Ship Enterprise et fai-sant face à toutes sortes de défis. Il y a le Captain Kirk

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le visionnaire, Spock l’analyste, Scotty le réalisateur,Bones le facilitateur, Klingon l’homme des défis.

« Dans toute équipe stratégique, il est bon de mélangerles styles »,

note le consultant. De nombreuses équipes ont pleinde réalisateurs et occasionnellement un analyste.Ailleurs, une équipe peut être dominée par un seulvisionnaire mais manque du contrepoids d’un ana-lyste. Une équipe peut être équilibrée en termes devisionnaire, d’analyste et de réalisateur, mais peutmanquer de facilitateur efficace. Une autre possibilitéest un très puissant homme des défis sans le contre-poids du visionnaire.Un schéma peut établir les interrelations entre les membres de l’équipage Star Trek etmettre en relief les complémentarités : l’analyste aideà donner chair à la logique abstraite de la vision stra-tégique ; l’analyste donne au réalisateur un sens clairde l’objectif et des priorités ; le visionnaire se connecteavec le facilitateur pour aider à élargir sa vision ; lefacilitateur aide à reconstruire ce que l’homme desdéfis a détruit ; l’homme des défis aide à préparer leterrain au réalisateur, etc.

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“ ”Dans

toute équipe stratégique, il est bon

de mélanger les styles.

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Figure 5 – L’approche Star Trek des rôles

Le consultant remet à chaque participant deux jeux decartes représentant les rôles des héros de Star Trek(deux fois plus de cartes que le nombre des partici-pants autres que celui qui reçoit ces cartes) ; le partici-pant remet à chacun des autres membres du groupedeux cartes représentant le premier et le second rôlequ’il joue à ses yeux au sein du groupe (il a noté auverso des cartes « premier rôle » et « second rôle ») ;chacun compte le nombre de cartes « premier rôle » et« second rôle » qu’il a reçues en donnant aux pre-mières un score de 2 et aux secondes un score de 1 ; enadditionnant ces scores, le participant voit quels rôlesil joue aux yeux de l’ensemble du groupe. Ce jeu éviteles catégorisations abstraites et les questionnaires psy-

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Bones(facilitateur)

Klingon(homme des défis)

Scotty(réalisateur)

Spock(analyste)

Capitaine Kirk(visionnaire)

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chométriques (sociogrammes) rigides tout en appor-tant de l’humour.

Il faut bien admettre que ces panoplies d’outils coû-tent cher (pour le plus grand bonheur de leurs concep-teurs et des consultants qui les utilisent), alors qu’unbon professionnel met à jour la même chose après unseul entretien... ou plus. C’est le cas de Guy Rullaud, ducabinet Headic & Adlance à Paris, thérapeute de for-mation et ex DRH, qui accompagne les dirigeants etcadres dans leur évolution professionnelle, l’adapta-tion de leur mode de fonctionnement. Il propose parexemple un lieu de parole à un cadre de haut niveaumal perçu par son entourage professionnel, et à qui sahiérarchie offre la ressource de travailler sur cette dif-ficulté et de dire sa vérité. Pour le thérapeute, il nes’agit pas de manipuler ou d’être un Pygmalion quiprojetterait sa vérité sur le client ; il n’est pas non plusun coach qui aiderait à se mettre en conformité avecune norme préétablie, mais plutôt un appui dans unerelation d’aide.

« Soyez votre metteur en scène, dit-il à la personne ;développez une attitude de choix de vos comporte-ments, faites un tri dans les valeurs qui vous ont étéinculquées par votre éducation. »

La personne, comme un enfant, va tout d’abord serefuser à ce retour sur soi, à la remise en cause de ceque lui ont enseigné ses parents, même si certaineschoses sont inadaptées ; face à une telle présence duthérapeute elle va « se poser en s’opposant », selon laformule du philosophe Alain, et développer la

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Soyez votre metteur

en scène, développez une attitude de choix de

vos comportements, faitesun tri dans les valeurs

qui vous ont étéinculquées par

votre éducation.

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conscience de soi. Guy Rullaud ne néglige pas totale-ment les « outils », et emploie notamment le ques-tionnaire par ordinateur de « Performanse SA » : ilpermet de réaliser une auto-évaluation en 15 minuteset de se positionner par rapport à un échantillon de 5 000 autres personnes.

« La restitution des résultats d’un test par le thérapeuteest essentielle si l’on respecte la personne et si l’on veutéviter les dérives, poursuit Guy Rullaud.Un comporte-ment révélé par un questionnaire peut dépendre d’uncontexte qu’il est nécessaire ensuite de clarifier. Qu’est-ce que fait l’intéressé des résultats d’un test ? Si c’estpour qu’un tiers accumule du savoir sur lui, cela n’aaucun intérêt. Il est seul apte à s’en servir. Une présencequalifiée à ses côtés est nécessaire pour restituer, mêmece qui remet en cause. »

Le consultant réunit quelquefois le cadre et son patronpour faire un travail à trois.Le directeur du marketing d’une division d’un impor-tant groupe informatique assure à lui seul 80 % duchiffre d’affaires. Conscient que son job est commeune drogue, il éprouve le besoin d’y réfléchir avecl’aide de Guy Rullaud.

« J’ai toujours voulu être instituteur à la campagne ; jerêve aussi de créer une société dans les nouvelles tech-nologies... »

Au terme de plusieurs entretiens, ce directeur enarrive à demander un poste de commercial pour avoirle contact avec le terrain car sa compétence est néces-saire à l’entreprise qui l’emploie, et consacrera laretraite à une cause humanitaire.

La démarche du changement

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Un comportement révélé par un

questionnaire peutdépendre d’un contexte

qu’il est nécessaireensuite

de clarifier.

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« J’ai une fonction libératrice en aidant les gens àprendre du recul par rapport à leur vie professionnelle,à gagner de l’autonomie, continue le consultant-théra-peute. Ma mission, contractuelle, accomplie, je doisaider la personne à faire le deuil d’avec moi, à pour-suivre son chemin seule. »

Convaincu qu’il existe un besoin non satisfait d’accom-pagnement personnalisé et neutre dans les entre-prises, Headic & Adlance a créé avenue de Friedland àParis, sous le nom de « EC2 », la première boutique deconseil pour la carrière et l’orientation profession-nelle, la rémunération et la protection sociale, et ledéveloppement personnel. Chacun, de sa propre ini-tiative, peut y devenir « acteur de sa carrière. »

Après la compréhension de la réalité du fonctionne-ment humain de l’organisation, la mise en œuvre.Dans cette phase, les dirigeants et consultants françaissont manifestement beaucoup moins à l’aise que leurscollègues anglo-américains, et pour cause : l’action surles comportements est un thème nouveau pour lesentreprises, et l’on ne passe pas facilement du « déve-

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En conclusion, quelque soit le nom donné à cette pre-mière phase – analyse socio-technique, étude préalable,diagnostic – elle est indispensable pour orienter l’inter-vention : partir de la réalité visible et cachée, ne pas setromper d’objectifs, identifier les thèmes pertinents sui-vant les cibles, associer la direction à l’élaboration ducontenu de l’intervention et des critères de mesure desrésultats.

Deuxième phase :

l’intervention

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loppement personnel » au « développement profes-sionnel. » Crozier a bien vu avant d’autres la nécessitéde former de « nouvelles capacités collectives » par unjeu d’essai-erreur des acteurs eux-mêmes, car « nil’analyse, ni l’idéologie ne permettent de déterminerquel est le meilleur choix dans l’absolu. » Mais rienn’est dit sur ces formations qui donneraient « l’expé-rience de la complexité. » Témoins de cet embarras,Charrier et Kouliche restent très vagues sur le contenudu séminaire. Ils préconisent des situations pédago-giques « au plus proche de la réalité professionnelle »,telles que les études de cas, les jeux de rôle ou lessimulations filmées. Le groupe en séminaire doit « pro-duire les signes tangibles de l’efficience. » Ces auteursévoquent des résolutions de problèmes pour donneraux participants « un cadre commun de référence. ».D’après eux, le consultant ne doit pas imposer uneidéologie, mais doit permettre au groupe de « parta-ger un certain nombre de faits de représentation surleur situation de travail ». Ils restent silencieux sur laméthode et les outils, « liés aux résultats de l’étudepréalable. » Sandra Michel Bellier consacre sa thèseaux raisons pour lesquelles on parle aujourd’hui du « savoir-être » et on le désigne comme une compé-tence, mais se refuse à écrire « un ouvrage utile » danslequel on trouverait les moyens d’aider les salariés àdévelopper ce « savoir-être ». D’ailleurs elle constateque, dans les entreprises, on considère généralementque le « savoir-être » est affaire de personnalité, etque cela ne s’apprend pas. Pourtant elle constate que,paradoxalement, les dirigeants cherchent à faire évo-luer les comportements afin qu’ils se conforment aux

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Rien n’est dit

sur ces formations quidonneraient

« l’expérience dela complexité. »

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besoins des métiers. Cette contradiction est significa-tive du désarroi des professionnels du management etde la formation continue quand il s’agit de passer àl’action. Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvoisélaborent des techniques permettant « d’amener lesgens à faire librement ce qu’ils doivent faire »6, maisces techniques comme les autres n’atteignent pas le« degré de profondeur » qui convient. Nos universi-taires apportent rarement les réponses que les entre-prises attendent.

Quelques consultants font un travail en profondeuravec leurs clients, tels Bertrand Martin, Vincent Lenhardtet Bruno Jarrosson qui racontent7 comment ils ontamené l’entreprise condamnée « Sulzer Diesel » (fabri-cation de générateurs électriques), par la confianceentre ses dirigeants et employés, vers le profit, la crois-sance et l’exportation de 98 % de sa production. Il y a d’abord eu un patron, Bertrand Martin, nomméà la tête de l’entreprise pour la sauver ou la fermer ; ilrêvait d’une entreprise

« où chacun serait reconnu à sa juste valeur, où chacunpourrait aller jusqu’au bout de ses capacités, de sestalents, où les relations seraient harmonieuses, où l’ons’écouterait et où l’on se ferait confiance. »

Et comme il était sincère, les employés l’on cru ; ilsn’ont pas sifflé son discours

« parce que vous n’aviez rien dit, confiait un salarié plustard. Vous ne nous aviez pas menacés. Vous étiez ouvertet on vous sentait sincère. Et vous sembliez confiant.»

6. La Soumission librementconsentie, PUF, 1999.

7. Oser la confiance, INSEPÉditions, 1996.

Élaborer une stratégie comportementale

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Nos universitaires

apportent rarement les réponses que les entreprises

attendent.

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Mais comme les actes sont plus importants que lesbeaux discours, Martin a entrepris de retourner lapyramide, de passer d’une entreprise au service de ladirection à une direction au service de l’entreprise. Etcomme le « tous ensemble » exigeait des signesconcrets, le parking réservé à la direction a été sup-primé. Simultanément, de multiples initiatives dedécloisonnement de l’entreprise ont vu le jour, avecdes idées comme « le transfert bénévole des connais-sances » ou « les métiers s’expliquent » pour que cha-cun sache ce que fait l’autre. Un groupe « météo »luttait contre les faux bruits. Tout cela était importantmais pas suffisant. Il fallait aussi changer les hommes.La « qualité des relations » était proclamée premièredes qualités de l’entreprise. Plus tard, les cadres ontéprouvé le besoin de faire leur charte des comporte-ments pour s’engager dans la lutte contre l’individua-lisme. Les énergies étaient libérées, comme la parole.Il fallait encore améliorer les comportements et repen-ser les modes de fonctionnement, l’organisation, lerôle de la hiérarchie, les métiers. Avec l’aide d’unconsultant a été lancé un grand programme de for-mation de deux ans d’une dizaine de jours de sémi-naire pour chacun : formation à l’écoute, au dialogue,à la communication, au travail en groupe, réflexion surle rôle de la hiérarchie, entraînement à l’autonomie età la responsabilisation, entraînement à la gestion dutemps et à la conduite de réunions.Des groupes bapti-sés « chantiers de progrès » prolongeaient les sémi-naires. Un cycle de formation avec un organismespécialisé dans la croissance et le développement despersonnes fut ensuite engagé. Un séminaire organisé

La démarche du changement

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Et comme le « tous

ensemble » exigeait des signes concrets, le parking réservé

à la direction a été supprimé.

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avec un autre consultant pour l’équipe de directionavait pour but de définir le projet commun.

« J’ai clôturé ce séminaire, se souvient Bertrand Martin,l’ambiance était assez enthousiaste et je me suis vu pro-poser de profiter d’un pont du mois de mai pour faireensemble un raid de trois jours en forêt guyanaise.L’épreuve fut instructive quant à notre capacité à noussupporter dans une ambiance éprouvante, à nous orga-niser, à nous entraider, à gérer les risques. Épreuve révé-latrice des tempéraments de chacun et de nosfonctionnements de groupe. Épreuve de résistance denotre cohésion face à la fatigue et aux peurs dites et nondites. Il avait fallu venir en Guyane pour découvrir quece n’est pas parce qu’un groupe est unanime qu’il a rai-son et qu’il peut devenir le meilleur alibi à l’irresponsa-bilité. »

Selon le consultant Vincent Lenhardt8, qui a accompa-gné Bertrand Martin dans son projet,

« mettre l’essentiel au cœur de l’important, c’est à l’évi-dence accueillir l’être humain dans sa globalité, tout enayant la prudence et la réserve nécessaire qui permet-tent de traiter et de respecter le jardin privé, la dimen-sion d’intériorité de la personne qui vient d’abord dansl’entreprise le plus souvent pour traiter l’important :gagner sa vie. »

Le slogan Business for a better world (des affaires pourun monde meilleur ) qu’aime citer notre ami communle consultant Christian Forthomme, basé en Californie,n’est pas une utopie s’il ne cache pas la plus triviale desmanipulations.

8. Fondateur et PDG du cabinetconseil Transformance.

Élaborer une stratégie comportementale

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Il avait fallu venir

en Guyane pour découvrirque ce n’est pas parce

qu’un groupe est unanimequ’il a raison et qu’il

peut devenir le meilleur alibi

à l’irresponsabilité.

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« La difficulté, poursuit Vincent Lenhardt, est que l’es-sentiel se trouve présent et inclus dans ce qui est le plusvisible : les comportements. Mais la structure profondede la personne, à savoir son histoire, son appartenanceethnique, religieuse, philosophique, ses croyances dansles domaines les plus intimes et les plus personnels, sescroyances sur la vie, sur le management, sur le monde dutravail, tout cela se trouve donc au-delà du visible. Onest un peu dans la position de ces ingénieurs en énergieatomique qui doivent travailler sur des énergies colos-sales, sans pouvoir toucher ce qui constitue le cœur decette énergie. Ils sont obligés de travailler à distance àtravers des écrans protecteurs. »

Travailler à distance ne serait-ce pas le propre du déve-loppement professionnel : aider l’autre à se débrouillerseul ? Bruno Jarrosson, chroniqueur de cette aventureSulzer, souligne la manière dont cette entreprise et sonpatron ont su gérer la peur attachée à toute menace defermeture et à tout changement.

« La peur porte sur l’imaginaire, seule la réalité a le pou-voir de montrer que l’imaginaire n’est pas la réalité. Ledeuxième moyen de gérer les peurs est de responsabili-ser. On a d’autant plus peur que l’on est plus dépendantde l’autre ou de la situation. Enfin l’action libère de lapeur parce qu’elle oriente la lucidité vers son meilleurdébouché. »

Ce qui est intéressant dans le cas Sulzer, ce n’est pas l’ob-jectif atteint, mais le chemin intelligent, généreux et cou-rageux qui y a conduit. C’est la clé de la confiance, horsde toute idéologie et de tout modèle prêt-à-porter, qui aouvert la porte du changement des mentalités et de com-portements, à commencer par la responsabilisation.

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Travailler à distance

ne serait-ce pas le propredu développement

professionnel : aiderl’autre à se débrouiller

seul ?

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Il est généralement admis que nous avons dix ans deretard sur les Nord-Américains en cette matière, maisn’imaginons pas que toutes les entreprises et que tousles consultants de ce continent maîtrisent les formationscomportementales. Daniel Goleman, auteur à succès deL’Intelligence émotionnelle, dont nous évoqueronsencore les travaux dans le chapitre suivant, annonceune bonne nouvelle en introduction du second tome deson best-seller : « Il existe des moyens de former cetteintelligence émotionnelle. » Mais là encore on reste sursa faim lorsqu’il nous révèle en fin d’ouvrage que l’onpasse trop de temps à parler de compétence sans lesmettre en pratique. Un long développement est consa-cré à ce qui appartient en fait à la phase préalable :l’évaluation de la réalité, du fonctionnement humainde l’organisation et de son personnel, et la restitutiondes résultats de cette évaluation. Il est dit qu’il faut dutemps et qu’un seul séminaire n’est pas suffisant...Goleman cite la société Bell Atlantic qui a expérimentéune formule de « cercles de mentors » avec des groupesde femmes cadres de niveau moyen placées sous lasupervision d’une collègue plus expérimentée pour lesinciter à discuter ensemble des problèmes qu’elles ren-contrent au travail. Une autre entreprise industrielle quimettait deux fois plus de temps à produire des devis queses concurrents a fait appel à des experts dans lesméthodes de l’« apprentissage d’entreprise. » Aujour-d’hui il lui faut seulement cinq jours pour fournir undevis. Ils n’ont pas changé l’organisation et la tech-nique, mais ils ont transformé leurs relations profes-sionnelles. On ne saura pas comment, comme si chacungardait ses secrets.

Élaborer une stratégie comportementale

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C’est la clé de la confiance,

hors de toute idéologie et de tout modèle prêt-à-porter, qui a ouvert la porte

du changement desmentalités et decomportements.

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« La bonne nouvelle, c’est que l’intelligence émotion-nelle peut s’apprendre »,

annonce Daniel Goleman, sans toutefois être très pré-cis sur les moyens. L’apprentissage actif et des outilscomme la répétition mentale, la mise en situation desaptitudes clés et le jeu de rôles sont présentés commede bonnes pratiques. Mais il a raison de rappeler qu’ilne suffit pas de pratiquer des mises en situation ou desjeux de rôles pour apprendre de ces expériences.Celles-ci doivent être sous-tendues par une pédagogieclaire. La vraie bonne nouvelle est qu’une telle forma-tion existe, et que nous allons en présenter les prin-cipes essentiels dans les prochaines pages...

Une chose est certaine selon l’auteur : transformer lesrelations au travail fait économiser beaucoup d’ar-gent. Un constructeur automobile a constaté que deserreurs de conception étaient commises parce que lesingénieurs craignaient d’être critiqués s’ils confiaientleurs difficultés à leurs collègues concevant une autrepièce de l’ensemble. Un programme de formation surle travail d’équipe a permis d’économiser ensuite 3,5milliards de francs sur les coûts de rééquipement pourun budget prévisionnel de 5,5 milliards et de termineren avance de trois mois sur le calendrier, en ayant com-mencé avec quatre mois de retard.

Le « Centre Inffo », centre de ressources officiel de laformation continue, a consacré un numéro de sa revue« Actualité de la formation permanente »9 aux « for-mations au développement personnel. » Outre laconfusion créée par ce titre entre développement per-

9. N° 148, mai-juin 1997.

La démarche du changement

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“ ”La bonne nouvelle,

c’est que l’intelligenceémotionnelle

peut s’apprendre.

Daniel Goleman

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sonnel et développement professionnel dont il s’agiten réalité, ce dossier très complet fait l’inventaire desmoyens pédagogiques mis en France à la dispositiondes entreprises et consultants en matière de « compé-tences non techniques. » Le besoin de responsabiliserl’ensemble du personnel a pris le pas sur les objectifstraditionnels du « développement personnel » et desattentes nouvelles apparaissent, comme : moins decôté « psychologisant », plus d’opérationnalité et dedéveloppement des compétences professionnelles, unchangement des comportements. En constituant cedossier, Anne Brochec souligne d’entrée de jeu à la foisl’enthousiasme quant à l’étendue de ce domaine (+ 20 %),la confusion des intitulés et les dérives pos-sibles. On peut lire en introduction que, selon VincentLenhardt, le changement des attitudes (croyance,valeurs, représentations) et le changement des com-portements (états du moi, écoute) seraient le lieu del’entreprise, alors que le changement de la structurede la personne (inconscient, corps, émotions, régres-sion, histoire archaïque) serait le champ de la thérapie.Nous reviendrons dans le prochain chapitre sur cetteexclusion arbitraire du corps et des émotions du déve-loppement professionnel. Le « Centre Inffo » présentedans son dossier les principales approches :

• Vincent Lehhardt (Transformance) précise cequ’on entend par coachning (« construire la santéet aider une personne à guérir plutôt que seule-ment traiter une maladie ou un symptôme ») et leteam-building (« le travail fait par un coachauprès d’une équipe »). Nous verrons que notreapproche de la construction d’équipe est davan-

Élaborer une stratégie comportementale

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Le besoin deresponsabiliser

l’ensemble du personnel a pris le pas sur

les objectifs traditionnels du

« développementpersonnel ».

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tage un travail de l’équipe elle-même sur sonmode de fonctionnement à travers des résolu-tions de problèmes.

• Jean-Claude Rouchy (ARIP-ICS) présente leconcept de « groupes d’évolution » inspiré destravaux de Kurt Lewin :

« L’analyse de groupe est centrée sur l’expérience per-sonnelle et professionnelle, de son rapport aux autreset sur les processus insconscients dans les groupes. »

Des séances de « sociodrame » mettent en scèneet analysent par le jeu des situations de groupevécues et imaginées par les participants.

• Marlyse Benoin et Jean Burget (Euroformation)décrivent l’apport de la sophrologie qui « adapteles exercices de relaxation dynamique en mettanten valeur les approches corporelles propres àcette méthode. À partir d’une conscience accruedu corps et des mouvements respiratoires, unéquilibre s’établit progressivement qui élimine lessources de tension et de conflit. »

• Ralph Goldet (Théâtre Hors Taxe) dit tout ce queles techniques théâtrales peuvent apporter à laformation.

• Gysa Jaoui (TSTA) définit l’analyse transaction-nelle, conçue par le médecin et psychiatre améri-cain Eric Berne à la fin des années 50, comme :

« le processus de différenciation des états du moi quiforment la structure de notre personnalité pour mieuxgérer nos transactions. »

• Berne définit un état du moi comme :

La démarche du changement

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« un système cohérent de pensées et de sentiments misen évidence par des types de comportements corres-pondants. »

Ces systèmes sont au nombre de trois : l’enfant(comportements infantiles, de soumission ou derébellion), le parent (protecteur, impulsif ou puni-tif) et l’adulte (comportement maîtrisé, raison-nable et rationnel, rigoureux et juste, plutôtneutre dans la relation). L’AT permet de repérer lafaçon dont on se laisse entraîner dans un état duMoi inadapté à la situation. Elle permet surtoutd’analyser la communication interpersonnellesous un mode adaptatif.

• France Camerlynck (REPERE) définit la program-mation neurolingusitique, conçue dans les années75 par les américains John Grinder et RichardBandler, et développée en France à partir de1984. La PNL analyse par exemple les mouve-ments du visage et en particulier les mouvementsoculaires qui seraient, selon cette théorie, reliés àdifférents modes d’appréhension de l’environne-ment. Ainsi celui qui évoque ses souvenirs avecdes mouvements oculaires vers le haut serait àdominante « visuel » ; celui qui a des mouvementshorizontaux serait à dominante « auditive » etcelui qui a des mouvements vers le bas serait« kinesthésique » (c’est-à-dire privilégiant les sen-sations internes au corps).

• Nous présentons nous-mêmes dans ce dossier duCentre Inffo la formation expérientielle, qui seradéveloppée dans la troisième partie.

Élaborer une stratégie comportementale

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Autre exemple d’inventaire des formations comporte-mentales les plus reconnues dans les entreprises, lemagazine de France 2 « Envoyé spécial » consacre uneémission10 aux « stages d’épanouissement personnel,nec plus ultra du management des cadres dernier cri ».Le programme télé annonce :

« Pour plus de performance et d’efficacité, le cadre doitapprendre à libérer son énergie, à lutter contre le stress,l’inhibition, la perte de confiance et la démotivation.Basés sur des jeux de rôles et des techniques anti stress,ces stages font fureur. Plusieurs centaines de cabinets sedisputent le marché avec des techniques qui vont du jeude rôle à la philosophie zen. »

Le reportage commence par notre séminaire expérien-tiel, et le témoignage de l’équipe de direction de l’hy-permarché Cora de Colmar, que nous retrouveronsplus loin. Puis suivent un séminaire de thérapie indivi-duelle pour aider un cadre à faire le point sur sa car-rière, un atelier théâtral, un travail de groupe sur lecorps, se toucher, s’embrasser...Selon Sandra Michel-Bellier, interviewée dans cereportage, la réponse à l’immense besoin de dévelop-pement professionnel des entreprises repose soit surdes techniques globalisantes, soit sur des techniquespartielles. Les techniques globalisantes, comme l’AT oula PNL, veulent tout expliquer, tout prévoir, repérer untype de personnalité qui permet ensuite de déduiretoute une série de traits particuliers. Nous avons suffi-samment insisté sur le piège du déterminisme. Lestechniques partielles, comme les typologies ou lesmodèles théoriques, sont une autre forme de rationa-

10. Envoyé Spécial, 26 novembre 1998.

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© Éditions d’Organisation [271]

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Plusieurs centaines

de cabinets se disputentle marché avec destechniques qui vont

du jeu de rôle à la philosophie

zen.

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lisation reposant sur la validité de certains critèresdonnant les moyens de prévoir et décider, diagrammesà l’appui, du sort des salariés. Par ailleurs, les consul-tants ont tendance à répondre à un besoin nouveauavec les techniques anciennes du développement per-sonnel : travail sur le corps, thérapies de groupe ouindividuelles... Ce « hors sujet », du moins dans unephase d’intervention, ne fait que créer une confusionet retarder le recours aux réponses pertinentes car pre-nant en compte la part d’irrationalité. Seules lesapproches pragmatiques de certains patrons vision-naires, assistés de consultants humanistes, parvien-nent, comme chez Sulzer, à faire bouger les chosesgrâce au levier de la confiance, de la prise en compteglobale de la personne, et de l’expérience partagée. Ilfaut bien reconnaître qu’en France, les entreprises sesont bien plus attachées au repérage des compétencesrelationnelles et comportementales, à des fins derecrutement, de sélection et d’évaluation, qu’à la for-mation comportementale, qui représente encore le tri-angle des Bermudes du management : on tourneautour avec des techniques et des théories partielles,sans réellement vouloir agir en profondeur, de crainted’ouvrir la « boîte de Pandore. » Pourtant, dans lemythe grec, lorsque Pandore, aussi méchante et pares-seuse que belle, ouvrit la jarre qu’elle ne devait ouvrirà aucun prix, tous les maux s’abattirent sur l’humanité,la vieillesse, la maladie, la folie, la passion, le vice et...le travail, mais aussi l’Espérance, vertu réconfortante,qui conseilla à ses sœurs de malheur de ne pas détruirel’humanité.

Élaborer une stratégie comportementale

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Les consultants ont tendance

à répondre à un besoinnouveau avec les

techniques anciennes du développement

personnel : travail sur le corps, thérapies

de groupe ou individuelles...

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Là aussi toutes les techniques sont possibles, mais l’onretrouve souvent les plans d’action, les groupes deprojet et les questionnaires d’évaluation à 3, 6 et 12mois afin de mesurer la progression, si l’on croit en lamesure de compétences impalpables. L’aide d’unconsultant est nécessaire, mais les prolongements lesplus féconds sont à l’initiative des participants eux-mêmes dans une démarche d’auto-formation.J’observe que presque systématiquement nos clientsréalisent dans les mois qui suivent quelque chose qu’ilsont décidé lors du séminaire : un répertoire des sala-riés, l’amélioration de formulaires,une améliorationdans le système de communication, etc. Il s’agit parfoisde « trucs » imaginés en formation comme un cartonrouge à sortir de sa poche lorsqu’une réunion dérapeou devient trop émotionnelle, ou la reproduction avecles matériaux du métier d’une construction réalisée enstage symbolisant le nouvel esprit de coopération dugroupe. Si le processus d’apprentissage de nouvellescartes mentales et de nouvelles attitudes a été de qua-lité, les personnes auront tendance à le reproduiredans leur cadre professionnel. Les enseignements tirésde moments forts vécus en formation – et un stagecomportemental en comporte forcément – sont desréférences communes sur lesquelles on s’appuie pourrésoudre des problèmes ultérieurs. Une formationcomportementale n’est pas une fin en soi mais un deséléments de ce jeu d’essai-erreur, par lequel une orga-nisation invente petit à petit de nouvelles relations autravail et une nouvelle culture de la responsabilisation.

La démarche du changement

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Troisième phase :

l’évaluation, le suivi

et la démultiplication

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Élaborer une stratégie comportementale

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Il ne faut pas imaginer ces trois phases d’une action sur lescomportements comme un parcours linéaire, mais commeune spirale : les trois phases se reproduisent continuelle-ment car, en l’espèce, rien n’est acquis, d’où le conceptfort du nouveau management : l’apprentissage tout aulong de la vie.

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Rien n’est acquis, d’où

le concept fort dunouveau management :

l’apprentissage tout au long

de la vie.

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Chapitre 12

L’intelligencesociale

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Élaborer une stratégie comportementale

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Si les formations comportementales représententencore un grand trou noir et si elles changent rare-ment en profondeur le fonctionnement des individuset des groupes, c’est parce qu’elle s’attachent au seulniveau mental, et qu’elles ne considèrent pas la per-sonne dans sa globalité. En arrière plan des précédentschapitres, un moteur de l’action et des comportementsà régulièrement été évoqué : les émotions. Les entre-prises doivent développer de nouvelles capacités col-lectives, et d’abord des aptitudes relationnellesindispensables dans le travail d’équipe, le coaching, leleadership. Or, ces compétences humaines échappentlargement au rationnel et s’acquièrent par l’expé-rience plus qu’elles ne s’enseignent. Nous avons vucombien il était illusoire de penser qu’une décisionétait entièrement rationnelle. Cette activité de traite-ment de l’information est en effet très orientée parnotre vision subjective de la réalité. De même, leshommes d’actions et les entreprenants sont mus parleurs rêves, le sens de leur différence : seuls les espritshermétiques à toute mode peuvent être des inven-teurs, comme l’Anglais Alan Turing, inventeur de l’or-dinateur, ou mes maîtres d’aventure Alexandre deHumboldt, René Caillié et Jacques Lizot. Le dépasse-ment de soi, la passion, le rêve, sont des émotions quifont la différence entre les wagons-gestionnaires et leslocomotives-entrepreneurs. Dans la Hollande réfor-miste de 1580, comme dans le monde post-industrield’aujourd’hui, le développement économique dépenddans une grande mesure de la confiance. Or, laconfiance est le sentiment le plus ancien et le plus dis-tinctif de l’Homme. Il ne peut y avoir responsabilisa-

Si les formations

comportementalesreprésentent encore un grand trou noir et si elles changent

rarement en profondeurle fonctionnement des

individus et des groupes,c’est parce qu’elle

s’attachent au seul niveau

mental.

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La chimie de l’intelligence

1. Psychologie de l’action, GuyVÉRON, Vigot, 1994.

L’intelligence sociale

tion des acteurs de l’organisation sans confiance don-née et reçue. Le XXIe siècle sera le siècle de l’éthique,affirme le président Jacques Chirac. Version modernede la morale, cette valeur est reconnue depuis lesannées 50 comme la clé du management participatif.On parle là du cœur plus que de la raison :

« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas...»

Ces émotions et ces sentiments sous-jacents à la vie desorganisations sont une autre forme de l’intelligence.Le développement de l’intelligence logique et abs-traite ne suffit plus ; il nous faut aussi développernotre intelligence sociale et émotionnelle. Si les nou-veaux comportements en entreprise dépendent decette intelligence-là, la formation continue doit encomprendre les mécanismes avant de la développer. Lecélèbre psychologue suisse Jean Piaget avait déjàdécrit comment l’intelligence était formée par l’expé-rience ; l’intelligence n’est pas une caractéristiqueinterne innée de l’individu mais est le produit de l’in-teraction entre la personne et son environnement ;l’action est la clé et, dans l’action, les émotions sont enjeu. Les neurosciences ont considérablement progresséces dernières années et ont confirmé les théories dePiaget. En grande partie inexploré comme l’Afrique duXIXe siècle, le cerveau nous livre quelques secrets...

L’action est l’expression de toute personne. Elle a plu-sieurs aspects qui forment un tout indissociable1 :• l’aspect cognitif correspond aux capacités d’une

personne à acquérir des connaissances, c’est-à-dire à

© Éditions d’Organisation [277]

Le développement

de l’intelligence logiqueet abstraite ne suffit

plus ; il nous faut aussidévelopper notre

intelligence sociale etémotionnelle. Si les

nouveaux comportementsen entreprise dépendentde cette intelligence-là, laformation continue doit

en comprendre lesmécanismes avant

de la développer.

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Élaborer une stratégie comportementale

la manière dont une personne traite les informa-tions issues de son environnement et de son milieuintérieur ;

• l’aspect affectif représente l’ensemble des réactionspsychiques qui sont en liaison avec les sentiments etles émotions. Il répond à ce que l’on décrit tradi-tionnellement par personnalité, tempérament,humeur et caractère ;

• l’aspect conatif désigne l’effort mis en jeu par lapersonne et sa volonté. Il répond plus générale-ment à sa motivation, source et gestion de l’éner-gie déployée ;

• l’aspect moteur est l’expression d’un comportementphysique observable et correspond à l’exécution del’action (geste, mouvement).

Cet ensemble n’est pas statique mais évolue avec letemps et l’expérience. La capacité permet une actionqui développe elle-même une nouvelle capacité, etainsi de suite. Mais « comment ça marche ? », dirait uncélèbre journaliste scientifique de la télévision. Pourintégrer la dimension émotionnelle dans la formationcomportementale, il est nécessaire de connaître dansleurs grands principes les mécanismes neuropsycholo-giques.À la naissance, le système nerveux est loin d’être ter-miné, explique le docteur Guy Véron, spécialiste demédecine aérospatiale. La taille des neurones et leursconnexions ne sont pas définitives. Certains nerfs nesont pas encore capables de transmettre rapidementleur influx du fait qu’ils ne sont pas encore myélinisés(la myéline constitue une gaine qui entoure l’axone dunerf et qui favorise le déplacement du potentiel d’ac-

“”

La capacité permet

une action qui développeelle-même une nouvelle

capacité, et ainsi de suite.

Page 292: Les nouveaux comportements dans l'entrepriselivre.fun › LIVREF › F9 › F009097.pdf · 2018-06-07 · préparer et préparer son entreprise aux défis de demain. Dans cette collection

tion). La maturation du système nerveux central vanécessiter une bonne dizaine d’années et se déroulerasuivant un déterminisme lié aux gènes (facteurs héré-ditaires). Mais le cerveau sera aussi influencé par lesconditions que l’individu rencontrera dans son envi-ronnement et dans son milieu social. Le comporte-ment est donc le résultat de facteurs innés et des effetsacquis de facteurs liés à son environnement, sans pou-voir distinguer ces facteurs. Mc Lean (1952) a résuméles caractéristiques cérébrales liées à l’évolution desespèces en distinguant trois cerveaux hiérarchiques :

• l’archéocortex, le cerveau le plus ancien, dit rep-tilien , s’exprime de manière très primaire suivantdeux principaux comportements : l’approche(permettant de manger, d’accomplir l’acte sexuel)et l’évitement (fuir le danger).

• le système limbique, qui entoure le cerveau ancien,s’est développé dans les espèces animales ethumaine du fait de l’importance des interactionssociales. Il est le siège de la mémoire des événe-ments et de la mémoire affective liée à ces événe-ments (moments agréables et désagréables dupassé). Cette mémoire « affective » va moduler lescomportements primaires : l’approche peut devenirune agression et l’évitement une panique.

• le néocortex, extrêmement développé chezl’homme, recouvre complètement les deux premierscerveaux. C’est le cerveau de l’intelligence et de laraison, où se développent les valeurs culturelles etmorales. Ce troisième cerveau contrôle les deuxautres, mais il suffit d’une déconnexion de cecontrôle (sous l’effet du stress notamment) pourque réapparaissent les comportements primaires.

L’intelligence sociale

© Éditions d’Organisation [279]

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Le comportement

est donc le résultat defacteurs innés et des

effets acquis de facteursliés à son environnement,

sans pouvoir distinguer

ces facteurs.

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Élaborer une stratégie comportementale

On sait depuis la fin des années 60 (R. Sperry, 1968)que chacun des deux hémisphères du cerveau est spé-cialisé dans un traitement conjoint de l’informationenvironnante. Ainsi, l’hémisphère gauche, centre dulangage, semble avoir une action plutôt logique alorsque l’hémisphère droit semble avoir une action plutôtanalogique et d’orientation spatiale. L’hémisphèregauche assure la verbalisation, l’écriture, la lecture,l’arithmétique, c’est-à-dire qu’il se comporte un peucomme un ordinateur (codage logico-analytique etdigital). L’hémisphère droit perçoit l’espace, crée desimages, et traite l’information de manière globale etsynthétique (la forme d’un visage par exemple).Suivant la dominance des modalités de traitement del’information, des différences individuelles impor-tantes existent : certaines personnes ont un style visuel(prédominance de l’image) et d’autres ont un styleauditif (prédominance du verbe). Ces modes deconnaissance associés aux hémisphères gauche et droitcorrespondent directement à la distinction entre l’ex-périmentation concrète et les approches cognitivesabstraites de la formation. Alors que les pédagogiestraditionnelles aussi bien dans l’éducation que dans laformation des adultes sont « déductives » (partir de lathéorie pour déduire des applications), les pédagogiesnouvelles sont « inductives » (construites à partir de lapratique)2.

Le cerveau humain est composé de mille milliards decellules et de cent milliards de neurones qui communi-quent au niveau de synapses par l’intermédiaire deneurotransmetteurs chimiques variés. Il peut être com-

2. Nous renvoyons aux ouvragesd’Hélène TROCMÉ-FABRE sur ce sujetaux Éditions d’Organisation :J’apprends donc je suis, 1995,Apprendre aujourd’hui, 1996.

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Alors que les pédagogies

traditionnelles sont « déductives » (partir

de la théorie pour déduiredes applications),

les pédagogies nouvellessont « inductives »(construites à partir

de la pratique).

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L’intelligence sociale

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paré à une éponge imbibée de substances chimiques,éponge vivante dont les éléments évoluent sans cesse.Il a été prouvé que les circuits neuronaux évoluent enfonction de l’activité. Cette plasticité cérébrale permetl’acquisition de réponses nouvelles. Les neurones ontpour principale action de propager l’information quise caractérise sous forme d’impulsions électriques dontl’élément de base est le potentiel d’action. Il résulte dutransport d’ions sodium (positifs) de l’extérieur versl’intérieur du neurone. Lorsque la pénétration d’ionsest suffisante, le potentiel d’action est déclenché et sepropage le long du neurone.

Figure 6 – Structures cérébrales

Le système limbique, situé sous le cortex, nous inté-resse particulièrement ici, puis qu’il entre en jeu dansles comportements émotifs, la mémoire et l’apprentis-sage. Un noyau gris, le thalamus, intervient dans l’in-

Système limbique

Thalamus

Hypothalamus

Hypophyse

Tronc cérébralMoëlleépinière

Cervelet

Hémisphèrecérébral

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Le système limbique

entre en jeu dans les comportements émotifs,

la mémoire et l’apprentissage.

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tégration et la modulation des informations sensitiveset les commandes motrices (planification de l’action).En dessous se situe l’hypothalamus, qui communiqueavec un appendice, l’hypophyse. Il régule le milieuintérieur : température, comportement alimentaire,soif, comportement sexuel, « horloges » biologiquesqui gouvernent les rythmes hormonaux et les cycles devigilance (états de veille, sommeil). Ces structures pro-voquent la sécrétion des hormones de l’organisme etla contrôlent suivant le principe d’autorégulation parfeed-back. Connecté au système nerveux végétatif,l’hypophyse provoque les adaptations comportemen-tales telles que la fréquence cardiaque, la fréquencerespiratoire, la tension artérielle, le diamètre pupil-laire... Greffé sur la face postérieure du tronc cérébral, le cer-velet joue un rôle important dans la régulation desactivités motrices : maintien de l’équilibre, régulationdu tonus, contrôle de l’exécution des mouvements. Autronc cérébral fait suite la moelle épinière (environ45 cm) jusqu’au milieu du dos, d’où partent et arriventles 31 paires de nerfs.Les organes des sens sont chez l’homme des capteurstrès médiocres : l’oreille n’entend pas en deçà de16 hertz ni au-delà de 20 000 hertz ; les deux yeux cou-vrent un champ de 180°, mais chacun ne perçoit demanière distincte (acuité visuelle) qu’un angle limité à2° à un instant donné ; il faut balayer le champ (mou-vement des yeux puis de la tête) pour essayer d’obtenirune information correcte et précise de l’ensemble del’environnement. Ce qui signifie que, pour appréhenderun environnement composé d’une multitude d’infor-

Élaborer une stratégie comportementale

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mations ponctuelles (stimuli) à un moment donné, l’œilet le cerveau doivent disposer d’un système de repré-sentation et de mémorisation à très court terme leurpermettant de traiter l’ensemble de l’environnement.

L’action peut être perturbée par le stress. La perturba-tion peut être réelle (bruit intense et prolongé, cha-leur, surcharge d’informations...) ou psychologiques(impression d’être dépassé par les événements, événe-ments de vie, une mauvaise ambiance de travail, desdifficultés relationnelles avec les collègues et avec lahiérarchie...). Dans tout stress, il y a trois phases :

• l’alarme : montée du stress ;

• la compensation : résistance et mise en place destratégies mentales pour lutter contre le stress ;

• la décompensation : lorsque les forces sont épui-sées.

Le stress se traduit par une activation du systèmeneuro-végétatif (l’adrénaline provoque une accéléra-tion cardiaque et respiratoire) et de l’axe corticotropequi aboutit à la sécrétion de cortisol, anti-inflamma-toire qui diminue les systèmes de défense biologique.

« Cet effet peut permettre de comprendre la relative fra-gilité des personnes sous stress devant les maladies infec-tieuses », nous dit le docteur Véron. « Certaineshypothèses, non vérifiées, donnent le stress pour res-ponsable d’autres maladies (cancer...). »

Considérer le stress comme normal et « faire avec »s’appelle en anglais le coping. Les moyens mentaux de

L’intelligence sociale

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Les deux sortes de stress

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Considérer le stress

comme normal et « faireavec » s’appelle

en anglaisle coping.

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« faire avec » sont :

• l’anticipation et le contrôle : soit on gère le pro-blème lui-même, soit on essaie de réguler sadétresse émotionnelle (maîtrise de soi, recherched’un soutien, verbalisation des émotions, rééva-luation positive de la situation) ;

• la réduction de l’incertitude : c’est le rôle dumanagement que de réduire l’incertitude eninformant le personnel ;

• l’action est un bon moyen de lutter contre lestress, comme l’a démontré Henri Laborit dansL’Éloge de la fuite ;

• l’entraînement :

« On apprend pas le stress, on apprend à s’y adapter,affirme l’auteur. L’expérience et l’entraînement jouentdonc un rôle fondamental. L’entraînement doit êtreaussi réaliste que possible. Il permet également dedévelopper de nombreuses situations stressantes artifi-cielles et imprévues. Sur le plan professionnel, même siles simulateurs d’entraînement ne sont pas totalementréalistes (un simulateur de vol ne vole pas), ils peuventêtre utilisés pour créer d’autres stress qui auront uneffet révélateur et prédictif. Un simulateur d’entraîne-ment doit permettre aux acteurs de découvrir leurspropres réactions en situations dégradées. »

Nous consacrerons les chapitres suivants au simula-teur le plus connu pour le management : la forma-tion expérientielle.

Le stress, nous l’avons vu avec Jean-Louis Servan-Schreiber, peut avoir des effets positifs lorsqu’il mobi-lise l’énergie pour faire face à une situation, ou deseffets néfastes suivant les capacités de résistance etd’endurance de la personne concernée.

Élaborer une stratégie comportementale

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Le stress, peut avoir

des effets positifs lorsqu’ilmobilise l’énergie pour

faire face à une situation,ou des effets néfastessuivant les capacités

de résistance et d’endurance de la personne

concernée.

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« Un des paradoxes de la vie professionnelle, écritGoleman, est que la même situation représente unemenace redoutable pour certains et pour d’autres undéfi stimulant, voire enthousiasmant. Il y a une diffé-rence cruciale d’un point de vue neurologique entre le« bon stress » – le défi qui nous motive – et le « mauvaisstress », cette menace qui nous submerge, nous paralyseou nous démoralise. »

Les substances chimiques cérébrales qui correspondentà l’enthousiasme devant un défi, explique-t-il, sont dif-férentes de celles qui accompagnent le stress et la sen-sation de menace. Elles se répandent dans le sangquand nous sommes en état de productivité optimaleet de bonne humeur. La biochimie de ces états pro-ductifs stimule notamment le système nerveux sympa-thique et les glandes surrénales qui sécrètent descatécholamines (adrénaline et noradrénaline). Celles-ci nous stimulent de façon plus positives que le corti-sol, qui nous plonge dans un état de frénésie. Quandle cerveau est en alerte, il sécrète du cortisol et desdoses élevées de catécholamines,

« Mais c’est à un niveau modéré d’excitation cérébraleque nous effectuons notre meilleur travail sous l’effetdes seules catécholamines »,

conclut le psychologue ; le niveau de cortisol negrimpe pas seulement sous l’effet d’une menace dansle travail ou d’un commentaire négatif du patron,mais aussi à cause de l’ennui, de l’impatience, de lafrustration ou de la fatigue. Une expérience alle-mande a démontré ce phénomène : des étudiantsvolontaires ont été soumis à une série de problèmes

L’intelligence sociale

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L’amygdale (du cerveau)

dirige nos émotions

arithmétiques en disposant de moins en moins detemps, et avec un système de récompense ou de péna-lité en argent. Les étudiants qui croyaient le plus àleurs chances de réussite parvenaient à maintenir leurmobilisation à un niveau tel qu’ils sécrétaient essen-tiellement des catécholamines. Mais ceux qui étaientavant tout motivés par la peur de l’échec voyaient leurniveau de cortisol augmenter considérablement. D’oùdes résultats différents : les concurrents à faible niveaude cortisol faisaient preuve d’une meilleure aptitude àréfléchir et à se concentrer pendant l’épreuve. Leurrythme cardiaque montrait qu’ils n’étaient pas plusanxieux pendant l’épreuve qu’avant. Ils gagnaientdeux fois plus souvent que les autres.

Des travaux récents nous permettent de mieuxconnaître le fonctionnement du système limbique,siège de nos émotions. Le neurologue Joseph Le Doux3,cité par Goleman, a exploré le rôle de l’amygdale, ausommet du tronc cérébral, siège de la mémoire affec-tive et poste de contrôle des émotions. Avant mêmeque le cerveau pensant (néocortex) ait pu prendre unedécision, l’amygdale détermine nos actions. Parexemple, lorsqu’un signal de peur se déclenche, ellecommande aussitôt la sécrétion d’hormones mettant lapersonne en état de combattre ou de fuir, mobilise lescentres responsables du mouvement et stimule le sys-tème cardio-vasculaire, les muscles et les viscères.L’amygdale déclenche en même temps par d’autres cir-cuits la sécrétion massive de norépinéphrine, une hor-mone qui accroît la réactivité des régions du cerveau quiaiguisent les sens, le mettant en état d’alerte. D’autres

3. Sensory Systems and Emotions,Joseph LE DOUX, in IntegrativePsychiatry 4,1996.

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signaux commandent au tronc cérébral de donner auvisage une expression de frayeur, de figer les mouve-ments en cours sans rapport avec la situation, d’accélérerle rythme cardiaque, d’élever la tension et de ralentir larespiration. D’autres signaux fixent l’attention sur lasource de la peur et préparent les muscles à agir enconséquence. Simultanément, les systèmes corticaux demémoire sont mobilisés pour rechercher toute connais-sance en rapport avec la situation et ils prennent le passur toutes les autres régions responsables de la pensée.Suivant l’ancienne théorie, les organes des sens trans-mettent des signaux au thalamus et au néocortex afinque celui-ci les identifie et leur donne un sens. Ces infor-mations sont ensuite transmises au cerveau limbiquequi commande au cerveau et au reste du corps la réac-tion appropriée. Mais Le Doux a découvert un faisceaude neurones qui relient directement le thalamus àl’amygdale, permettant à celle-ci de déclencher uneréaction avant même que les informations soient enre-gistrées par le néocortex. Plus l’amygdale est excitée,plus profonde sera l’empreinte.

« Anatomiquement, le système qui gouverne les émo-tions peut agir indépendamment du néocortex, dit LeDoux. Certaines réactions et certains souvenirs émotion-nels peuvent se former sans la moindre intervention dela conscience, de la cognition. »

Tel un radar, l’amygdale scrute les expériences vécueset les compare aux expériences passées. Procédant parassociation, lorsqu’un élément important de la situa-tion actuelle est semblable à un élément d’une situa-tion antérieure, elle assimile immédiatement les deux

L’intelligence sociale

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Tel un radar, l’amygdale

scrute les expériencesvécues et les compare

aux expériences passées.

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situations et entre en action en un millième deseconde, avant même la confirmation.Une autre partie du cerveau, le cortex préfrontal, per-met de corriger cette première réaction de peur ou decolère en fournissant une réponse plus analytique. Ce« thermostat » est composé de deux lobes : le lobegauche tempère les émotions déplaisantes, le lobedroit est le siège des émotions négatives. Le neuro-logue Antonio Damasio, de l’université de l’Iowa, adémontré, à partir de l’examen de patients dont leslobes frontaux avaient été endommagés, que contrai-rement à ce qu’on pensait jusque là les sentimentssont indispensables aux décisions rationnelles ; ils nousorientent dans la bonne direction, celle où la logiquepure peut être utilisée au mieux.

« La conception traditionnelle de l’antagonisme entreraison et sentiment en est bouleversée, en conclutGoleman : il ne s’agit pas de s’affranchir des émotions etde leur substituer la raison, comme le disait Erasme, maisde trouver le bon équilibre entre les deux. Le paradigmeantérieur avait pour idéal la raison libérée des émotions.Le nouveau paradigme nous enjoint d’harmoniser latête et le cœur. »

Comment ne pas tenir compte de ces découvertes dansnotre conception de la formation comportementale ?Elles valident encore davantage l’expérience dans cesformations « non techniques. » Les compétences émo-tionnelles et sociales peuvent donc bien être « tra-vaillées » et développées dans un simulateur, unséminaire reproduisant des situations proches de laréalité professionnelle.

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Dans L’Intelligence émotionnelle (1995), DanielGoleman révéle au grand public qu’il est possible detransformer ses émotions en intelligence. De l’intelli-gence émotionnelle dérive des aptitudes humainesqu’exige notre époque : La conscience de soi, la maî-trise de soi, l’empathie, l’art de faire attention àautrui, de résoudre des conflits, et le sens de la coopé-ration. Pour l’essentiel, toutes les émotions sont desincitations à agir : La colère, la peur, le bonheur,l’amour, la surprise, le dégoût, la tristesse provoquentdes réactions biologiques. Parmi les facteurs dontdépend la réussite dans la vie, Goleman estime que leQI représente au mieux 20 %. Il déplore que notre sys-tème de formation se focalise sur lui et ignore les traitsde caractère qui déterminent la manière dont nousexploitons nos autres atouts, à commencer par l’intel-lect.L’intelligence interpersonnelle est l’aptitude à com-prendre les autres. L’intelligence intrapersonnelle estla capacité à construire un modèle précis et véridiquede soi-même et de l’utiliser pour conduire sa vie. L’auteur raconte un vieux conte japonais. Un jour unsamouraï belliqueux somma un maître zen de lui expli-quer ce qu’étaient le paradis et l’enfer. Le moine luirépondit avec mépris :

– Tu n’es qu’un rustre, je n’ai pas de temps à perdreavec des gens de ton espèce.

Se sentant insulté, le samouraï devint furieux et, tirantson épée, cria :

– Je pourrais te tuer pour ton impertinence.

L’intelligence sociale

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L’intelligenceinterpersonnelle est l’aptitude à

comprendre les autres.L’intelligence

intrapersonnelle est lacapacité à construire un

modèle précis etvéridique de soi-même

et de l’utiliser pour conduire

sa vie.

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– Voilà ce qu’est l’enfer, répliqua le moine calme-ment.

Surpris par la vérité de ces paroles, le samouraï secalma, rengaina son épée, salua le maître et le remer-cia de l’avoir éclairé.

– Et voilà le paradis, ajouta celui-ci.

Socrate l’avait dit en son temps : il faut être conscientde ses propres sentiments au moment où ils apparais-sent.Les parents expliquent davantage les émotions auxfilles qu’aux garçons, observe Goleman. À l’âge adulte,les hommes se montrent moins habiles que les femmesà naviguer dans les méandres de la vie affective. Leshommes cherchent à éviter les conflits émotionnelsavec autant d’acharnement que les femmes cherchentà les provoquer. L’art de s’exprimer sans rester sur ladéfensive consiste à faire en sorte que les doléances nese transforment pas en critiques personnelles. Le mana-gement aussi est une affaire de cœur. Le psychologue américain cite trois applications del’intelligence émotionnelle en entreprise :

• l’aptitude à exprimer des griefs sous forme de cri-tiques fécondes (feed-back) ; les critiques mal-adroites précèdent la disparition de la confiance ;

• la capacité de créer une atmosphère danslaquelle la diversité est un atout plutôt qu’unesource de friction ; l’intelligence d’un groupen’est pas la moyenne des QI individuels maisdépend de l’intelligence émotionnelle (QE...) ;

• l’efficacité dans l’utilisation des réseaux (de com-munication, d’expertise ou de confiance) : trans-former un réseau en équipe temporaire.

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Il est possible de

développer à l’âge adulteson intelligenceémotionnelle. La formation

émotionnelle éduque les émotions au lieud’utiliser l’émotion

pour éduquer.

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L’art de s’exprimer

sans rester sur ladéfensive consiste à faireen sorte que les doléances

ne se transforment pas en critiques

personnelles.

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Il ne fait aucun doute que le cerveau conserve sa plas-ticité la vie durant, même si elle est moins spectacu-laire que dans l’enfance. Il est donc possible dedévelopper à l’âge adulte son intelligence émotion-nelle. La formation émotionnelle éduque les émotionsau lieu d’utiliser l’émotion pour éduquer : les expé-riences se répètent, le cerveau les traduit sous formede liaisons renforcées, d’habitudes neuronales quijouent dans les moments de tension, de déception, dechagrin. Dans quelques écoles américaines, pourrépondre à la violence urbaine, des universitaires ontcréé, dans les années 80, pour les cours moyens, desformations à la vie sociale et des cours de résolutioncréative des conflits afin d’apprendre l’art de vivre ensociété.Il existe un autre mot pour désigner l’intelligenceémotionnelle : le caractère. Comme l’écrit John Deweyau début du XXe siècle, l’éducation morale est particu-lièrement efficace quand elle s’appuie sur la réalité.Pas de caractère sans autodiscipline ; comme l’ont faitremarquer les philosophes depuis Aristote, la vie ver-tueuse est fondée sur la maîtrise de soi. Autre clé devoûte du caractère, la capacité de se motiver et de segouverner. Enfin, l’aptitude à différer la satisfactionde ses désirs (et à assumer ses frustrations), ce qu’onappelle la volonté. Goleman ne fait là que reprendrela tradition des pédagogies actives, source de la for-mation expérientielle. Dans le second tome de L’Intelligence émotionnelle(1998), Goleman invite à :

« Cultiver ses émotions pour s’épanouir dans son tra-vail. »

L’intelligence sociale

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Pas de caractère sans

autodiscipline ; commel’ont fait remarquer les

philosophes depuisAristote, la vie vertueuseest fondée sur la maîtrisede soi. Autre clé de voûtedu caractère, la capacitéde se motiver et de se

gouverner. Enfin,l’aptitude à différer la

satisfaction de ses désirs(et à assumer ses

frustrations), ce qu’onappelle

la volonté.

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Huit formes

d’intelligence humaine

Il a constaté en effet que les efforts consentis par lesentreprises pour développer l’intelligence émotion-nelle ont pour l’essentiel abouti à un grand gaspillagede temps, d’énergie et d’argent, et que ces compé-tences humaines demeurent l’ingrédient méconnudans la recette de la compétitivité. Que dire alors desentreprises françaises ! Les analyses des aptitudes des« collaborateurs d’exception » sur plusieurs décenniesaux États-Unis montrent que deux qualités quin’avaient qu’un faible impact sur la réussite dans lesannées 70 sont devenues d’une importance décisivedans les années 90 : la capacité à diriger une équipe etl’adaptation au changement.

« L’intelligence émotionnelle ne s’ajoute pas aux capaci-tés intellectuelles, elle les multiplie : elles constitue lefacteur invisible mais déterminant de la performanced’exception. »

Parmi les entreprises citées, l’Oréal enregistre unerotation des commerciaux sélectionnés pour la qualitéde leurs compétences émotionnelles inférieure de63 % à celle des commerciaux sélectionnés exclusive-ment sur leurs autres compétences.

Howard Gardner, psychologue à l’université d’Harvard,est un des penseurs les plus influents des États-Unis. Ilaffirme qu’il existe au moins huit formes d’intelligencehumaine. Cette théorie révolutionne la conception del’apprentissage et inspire de nouvelles méthodes d’en-seignement4. À partir de recherches auprès d’enfantssurdoués et de personnes présentant des lésions céré-

4. Les Intelligences multiples,Howard GARDNER, Retz 1996.

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L’intelligenceémotionnelle

ne s’ajoute pas auxcapacités intellectuelles,

elle les multiplie.

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brales, Gardner a isolé huit facultés mentales diffé-rentes :

1. Langagière : permet de communiquer avec le lan-gage ; poètes et écrivain sont très doués danscette intelligence ; cette intelligence est semble-t-il commandée par une région du cerveau appelée« l’aire de Broca. »

2. Logico-mathématiques : permet d’utiliser et d’ap-précier des relations abstraites ; c’est ce qu’onappelle habituellement l’intelligence ; le cas des« idiots-savants », capables d’exploits en matièrede calcul tout en étant fortement déficients dansd’autres domaines, démontre l’autonomie decette intelligence.

3. Musicale : permet de créer ou de donner du sens àdes sons ; l’autonomie de cette intelligence est miseen évidence par le cas de certains enfants autistescapables de très bien jouer d’un instrument.

4. Spatiale : permet de percevoir des images, de lestransformer et de les reproduire de mémoire ;intelligence particulièrement présente chez desartistes tels que les sculpteurs et les peintres.

5. Kinesthésique : permet d’utiliser tout ou partiede son corps avec une grande maîtrise ; intelli-gence particulièrement présente chez des spor-tifs, ou chez des artistes tels que les danseurs, lescomédiens.

6. Intrapersonnelle : permet d’identifier ses propressentiments, d’élaborer un modèle mental précisde soi-même, et donc de mieux orienter ses com-portements ; les lobes frontaux sont très actifsdans cette intelligence.

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7. Interpersonnelle : permet de reconnaître etd’identifier les sentiments et les intentions d’au-trui ; c’est l’intelligence des personnes intuitiveset empathiques ; le lobe frontal joue ici aussi unrôle majeur.

8. Naturaliste : permet d’identifier, de classifier etd’utiliser les caractéristiques de son environne-ment.

Chaque individu les possède à différents degrés, etc’est ce qui détermine la façon dont on apprend etdont on réussit dans le monde du travail. On peut, pardes efforts conscients, affiner ces « intelligences »,mais si on ne les utilise pas elles s’émoussent.

« Ma théorie influence de plus en plus l’éducation,affirme Howard Gardner, car elle est en accord avec l’ob-servation commune des enseignants et des parents selonlaquelle les enfants diffèrent les uns des autres sur leplan cognitif. Nous possédons tous différentes forces etfaiblesses dans divers domaines intellectuels. La plupartdes efforts antérieurs en éducation ont nié ces diffé-rences et valorisé le mode de pensée basé sur le langageet la logique. C’est particulièrement le cas de l’esprit car-tésien en France »5

D’autres psychologues critiquent poliment cette théo-rie en disant que ce que leur confrère qualifie deformes d’intelligence musicale ou corporelle et kines-thésique, c’est du talent. Les généticiens sont plusfavorables à Gardner. L’un d’eux, Mark Keating, del’université de l’Utah, a mis en évidence l’existenced’un gène qui serait à l’origine d’une aptitude trèsprécise : reproduire la structure d’un damier avecquatre cubes. La découverte d’autres gènes de ce type

5. Propos recueillis par MarthaZUBER et Jacques LECOMTE, RevueSciences humaines n° 86,août/septembre, 1998.

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La plupart des efforts

antérieurs en éducationont nié ces différences

et valorisé le mode de pensée basé sur le langage et la logique.

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militerait en faveur de l’hypothèse de Gardner. Lathéorie des huit intelligences a autant de succès parcequ’elle favorise la créativité et l’innovation, etconfirme ce que tout formateur sait : il existe plusieursfaçons d’apprendre, donc il doit y avoir plusieursfaçons d’enseigner.

Dans nos séminaires expérientiels, nous utilisons lequestionnaire des styles d’apprentissage, conçu par lesBritanniques Peter Honey et Alan Mumford en 1982,qui aide les participants à prendre conscience de leurspréférences en matière d’apprentissage, afin qu’ils setrouvent en meilleure position pour choisir au coursdu stage les expériences d’apprentissage qui leur per-mettront de progresser. Ce test correspond parfaite-ment aux quatre phases du processus d’apprentissageutilisé en formation expérientielle. Chacun doit déter-miner en 10 ou 15 minutes pour 80 affirmations, cellesqui leur correspondent et celles qui ne leur correspon-dent pas. Par exemple : « J’ai de fermes convictions surce qui est juste et injuste, sur ce qui est bien et mal » ;« J’ai la réputation d’avoir un style direct, d’appeler unchat un chat » ; « Je me suis souvent rendu compte queles actions qui s’appuient sur l’intuition sont aussibonnes que celles qui tiennent compte d’une réflexionet d’une analyse précises » ; « J’écoute le point de vuedes autres avant d’exposer le mien », etc. Un tableaupermet à chacun de totaliser les scores, de les pondé-rer en les comparant aux scores de 3 500 personnesayant fait le test, et de déterminer quel est son stylepréféré d’apprentissage :

L’intelligence sociale

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La théorie des huit

intelligences a autant desuccès parce qu’elle

favorise la créativité etl’innovation, et confirme

ce que tout formateursait : il existe plusieurs

façons d’apprendre, doncil doit y avoir plusieurs

façons d’enseigner.

Les styles d’apprentissage

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ACTIONNELLes actionnels s’impliquent pleinement et sans détoursdans de nouvelles expériences. Ils aiment l’ici et main-tenant et sont heureux d’être dominés par les expé-riences immédiates. Ils ont l’esprit ouvert, ne sont passceptiques, et cela les rend enthousiastes à propos detout ce qui est nouveau. Leur philosophie est :« J’essaierai n’importe quoi une fois. » Ils ont tendanceà agir d’abord et considèrent les conséquences aprèscoup. Leurs journées sont remplies d’activités. Ilsempoignent les problèmes avec créativité. Aussitôtque l’excitation d’une activité a cessé, ils s’occupent àrechercher la suivante. Ils se sentent bien dans le défide nouvelles expériences mais s’ennuient dans unapprofondissement à long terme. Ce sont des per-sonnes grégaires, s’impliquant constamment avec lesautres mais, en cela, elles cherchent à centrer toutesles activités autour d’elles-mêmes.

RÉFLEXIFLes réflexifs aiment être en retrait pour pondérer lesexpériences et les observer suivant de nombreusesperspectives différentes. Ils collectent des données, lesleurs et celles des autres, et préfèrent y réfléchir minu-tieusement avant d’en arriver à une conclusion. La col-lection minutieuse et l’analyse des données à partird’expériences et d’événements est ce qui compte. Ilsont tendance à retarder la recherche d’une conclusiondéfinitive avant d’entreprendre une action. Ils préfè-rent occuper un siège en retrait dans les réunions etdiscussions. Ils aiment observer d’autres personnes enaction. Ils écoutent les autres et préfèrent laisser la dis-cussion s’enliser avant d’intervenir. Ils tendent à adop-

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ter un profil bas et ont un air distant agaçant, ils sonttolérants et sereins. Lorsqu’ils agissent, ce n’est qu’unepartie d’un contexte plus large qui inclut aussi bien lepassé aussi bien que le présent, aussi bien les observa-tions des autres que les leurs.

THÉORICIENLes théoriciens adaptent et intègrent les observationsdans de complexes théories apparemment logiques. Ilspensent aux problèmes d’une manière verticale, pas àpas, logique. Ils rassemblent des faits disparates dansdes théories cohérentes. Ils ont tendance à être desperfectionnistes qui n’ont de cesse que lorsque leschoses sont bien rangées dans un schéma rationnel. Ilsaiment analyser et synthétiser. Ils sont tranchants lors-qu’ils affirment des principes de base, des théories, desmodèles et systèmes de pensée. Leur philosophie valo-rise la rationalité et la logique. « Si c’est logique, c’estvrai. » Les questions qu’ils posent sont souvent « celafait-il du sens ? », « est-ce que ceci est cohérent aveccela ? », « quelles sont les hypothèses de base ? » Ilsont tendance à être détachés, analytiques et attachésà l’objectivité rationnelle plutôt qu’à n’importe quoide subjectif ou d’ambigu. Leur approche des pro-blèmes est essentiellement logique. C’est leur « équi-pement mental » et ils rejettent vigoureusement toutce qui ne s’y adapte pas. Ils préfèrent maximiser la cer-titude et se sentent mal à l’aise avec les jugements sub-jectifs, les pensées latérales et tout ce qui estdésinvolte.

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PRAGMATIQUELes pragmatiques sont habiles à faire émerger de nou-velles idées, théories et techniques pour voir si ellesfonctionnent dans la pratique. Ils recherchent positi-vement de nouvelles idées et saisissent la premièreoccasion pour expérimenter leurs applications. Ce sontdes gens qui reviennent d’un stage de managementdébordants de nouvelles idées qu’ils veulent mettre enpratique. Ils aiment en arriver rapidement enconfiance aux choix et aux actes qui les attirent. Ils onttendance à être impatients dans des discussions médi-tatives et sans fin. Ils sont essentiellement pratiques,les pieds sur terre, et aiment prendre des décisions pra-tiques et résoudre des problèmes. Ils répondent auxproblèmes et opportunités « comme à un défi. » Leurphilosophie est « il y a toujours un meilleur moyen » et« si ça marche, c’est bien. »

Nos formateurs apprécient ce test, car il correspondbien aux modes de fonctionnement des personnes quenous recevons dans nos séminaires. Il permet à chacunde prendre conscience qu’il n’existe pas une manièreet une seule de voir la réalité et de résoudre un pro-blème, et qu’il est par conséquent utile d’en tenircompte dans une réunion, la conduite d’un projet, uneformation, ou dans le management en général. Il n’estpas « déterministe », puisque chacun peut avoir dansune même journée des styles différents suivant lecontexte, et que son style dominant peut évoluer avecles années, l’expérience, la formation. Il permet detirer un meilleur parti des expériences vécues dans nosséminaires : équilibre des styles dans un sous-groupe,

Élaborer une stratégie comportementale

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Il n’existe pas une manière

et une seule de voir la réalité et de résoudre

un problème.

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choix d’un rôle opposé à son style dans une tâche afinde progresser...6

6. Nous renvoyons à Edward DE

BONO : Six Chapeaux pour penser,InterEditions, 1987 ; Réfléchirmieux, Éditions d’Organisation,1985.

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Le lecteur nous pardonnera un raisonnement « en enton-noir » : tous les éléments de réflexion contenus dans cetessai conduisent inexorablement à l’apprentissage actifde nouveaux comportements dans la vie professionnelle.Résumons tous les arguments précédents qui trouverontun écho dans la formation expérientielle :

Des qualités de caractère autrefois attendues de la seuleélite sont désormais sollicitées de tous les acteurs de l’or-ganisation : être autonome et responsable, savoir coopé-rer et s’ouvrir au changement. Face aux turbulences d’unmonde en transformation, les modèles « prêt à porter » sesont effondrés, dans la vie professionnelle comme dans lavie privée. Il faut désormais plus de courage que deconformisme, et la crise peut être une opportunité d’ap-prentissage et de progrès. L’histoire de la révolutionindustrielle nous rappelle que le « tiers facteur humain »(les mentalités et les comportements) explique le déve-loppement économique davantage que le capital et letravail. On observe un certain désarroi des cadres et diri-geants devant la nécessité d’intégrer la dimension com-portementale dans leur stratégie de développement.Nouvel étalon de la réussite professionnelle, les capacitésrelationnelles et comportementales sont pour l’instantdavantage détectées pour le recrutement et la sélectionque développées par la formation continue. Très peu d’or-ganisations osent « secouer l’organigramme » et s’enga-ger sur la voie difficile de la responsabilisation. Lapremière étape sur ce chemin serait sans doute de trans-former les cadres en facilitateurs et en coach donnant dufeed back, mais cela impliquerait de mettre en place unestratégie de développement de nouveaux comporte-ments. Il n’existe en l’espèce aucune technique miraclequi permettrait de s’en affranchir. En France, nous sommes bien peu préparés à cette révo-lution culturelle : système éducatif trop abstrait, élite

Conclusion : La meilleure

école du réel c’est le réel

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Très peu d’organisations osent « secouer

l’organigramme » et s’engager sur

la voie difficile de la

responsabilisation.

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Élaborer une stratégie comportementale

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inadaptée, plus apte à gérer qu’à entreprendre et à inno-ver. Pourtant certaines qualités nationales seraientaujourd’hui fort utiles, comme la débrouillardise ou l’in-dividualisme, mais notre problème est de ne pas savoir lesmobiliser. Si l’on décidait de passer à l’acte et d’élaborerune stratégie comportementale, un premier piège à évi-ter serait le déterminisme suivant lequel, en fonctiond’une typologie, nos comportements seraient « mécani-quement » prévisibles. Si l’on estime au contraire que lesmembres d’une organisation sont des acteurs ayant unecertaine liberté de jeu, c’est avec eux, par un processusd’essai-erreur, qu’il faudra inventer une nouvelle cultured’entreprise (une nouvelle carte mentale, un nouveauparadigme), en leur donnant des opportunité de déve-loppement. Un facteur inhibe encore souvent les acteursde l’organisation qui craignent que derrière le « savoir-être » et « l’idéologie de la réalisation de soi » se cacheune manipulation, fut-elle « librement consentie. » Lecontrat « gagnant-gagnant » peut pourtant ne pas êtreune clé des songes mais une opportunité à saisir.Quelques principes clairs doivent cependant guider touteintervention sur les mentalités et les comportements. Cen’est pas avec des « aspirines sociales » comme de beauxdiscours, des techniques ou de nouvelles règles que l’onchangera le mode de fonctionnement d’un groupe, maispar une action en profondeur sur la nature du jeu lui-même. L’approche sociologique permet de partir de laréalité en analysant et en comprenant les comportementsindividuels et collectifs, et notamment l’importance d’êtreouvert à la différence. Les théories du comportementorganisationnel ne sont pas inutiles, mais il appartient àchaque organisation de créer son modèle. Toute actionsur les comportements comporte trois phases : l’analysepréalable « sociologique », l’intervention, et enfin le suivi-renforcement. Il s’agit d’un processus en boucle qui doits’envisager sur plusieurs années. L’approche pragmatiquede l’Organizational Development pourrait utilement serépandre en France sous le terme générique de dévelop-pement professionnel.

“”

Ce n’est pas avec des

« aspirines sociales »comme de beaux discours,

des techniques ou denouvelles règles que l’on

changera le mode defonctionnement d’ungroupe, mais par uneaction en profondeur

sur la nature du jeu lui-même.

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L’intelligence sociale

© Éditions d’Organisation [301]

Si les entreprises sont relativement à l’aise pour construire« rationnellement » des référentiels et des tests permet-tant de mesurer les compétences relationnelles et com-portementales existantes, la formation comportementalereste un trou noir autour duquel on tourne avec des tech-niques toutes faites, sans réellement produire un change-ment. Nous venons de voir que la raison profonde est quel’on sait agir au niveau mental, mais bien moins au niveau« irrationnel » des émotions. Or, ce sont les émotions quisont la clé de ce changement, comme les découvertesrécentes des neurosciences le confirment. L’intelligenceémotionnelle ne s’ajoute pas aux capacités intellectuellesmais elle les multiplie. Elle peut se développer à l’âgeadulte par un entraînement : des mises en situation bienciblées, des jeux, mais couplés à une réflexion car il ne suf-fit pas de vivre une expérience pour qu’elle soit forma-trice. Il faut agir à la fois avec le cœur et avec la tête.

Le chemin parcouru depuis le début de cet essai conduitnaturellement aux pédagogies inductives qui, contraire-ment aux pédagogies déductives largement dominantesdans notre système d’éducation et de formation, partentde la pratique pour accéder à la théorie et à l’abstraction.Les cadres et dirigeants français, mis à part quelques « ini-tiés », ignorent que le management anglo-saxon s’appuietrès largement sur de telles pédagogies pour s’engagersur la voie de la responsabilisation des salariés. C’est ainsique l’on retrouve, un demi siècle plus tard, l’adaptationde nos pédagogies actives adaptées aux adultes. L’Émilede Jean-Jacques Rousseau revient, après un grand détour.Cela s’appelle l’Experiential Learning et l’OutdoorEducation. Nos prix Nobel trouvent leur chemin de Damasaux États-Unis, alors que le concept est européen et qu’ilexiste en France depuis 1987. C’est un peu comme cesévangélistes américains qui viennent chez nous évangéli-ser les anciens évangélisateurs du Nouveau Monde. Ils’agit, plus que d’une « méthode », d’un immense courantde la formation des adultes qui, dans trente pays, ren-verse la perspective : ce ne sont pas les formateurs qui

“ ”Il ne suffit

pas de vivreune expérience pour

qu’elle soit formatrice.

“”

Ce ne sont pas les formateurs

qui enseignent, mais ce sont les

participants qui sont leurs propres formateurs.

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Élaborer une stratégie comportementale

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enseignent, mais ce sont les participants qui sont leurpropres formateurs. Il aura fallu qu’un pédagogue juifallemand fonde sur les bords du lac de Constance uneÉcole nouvelle ; il aura fallu qu’il soit emprisonné puisexilé en Grande-Bretagne et qu’il fonde, avec l’aide d’unmécène français, une nouvelle école en Écosse ; il aurafallu qu’un chef d’entreprise lui demande en pleineguerre de former en accéléré le caractère de ses jeunesemployés et que, la paix revenue, quelques hommes d’É-tat et des chefs d’industrie visionnaires encouragent àinvestir dans cette formation, pour qu’aujourd’hui lesentreprises, comme l’éducation et l’insertion, puissentadapter les comportements de leurs employés au défi dela responsabilisation. Tout commence donc par une bellehistoire...

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Partie 3

Apprendrepar

l’expérience

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Chapitre 13

Un nouvelengouement

pourl’apprentissage

actif

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Apprendre par l’expérience

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Si la fin des années 80 vit en France l’année de la priseen compte de nouveaux comportements en entreprise,1996 fut au niveau européen l’année de la reconnais-sance de la formation expérientielle de ces comporte-ments. 96, année expérientielle... Ce sont lesorganisations internationales qui ont donné sinon unelégitimité – celle-ci était acquise depuis plusieursdécennies dans les pays anglo-saxons – du moins unécho mondial à ce courant de formation des adultes,et la reconnaissance de sa pertinence en réponse aubesoin nouveau d’agir sur « les attitudes liées au tra-vail. »Dans cette troisième partie de notre exploration, nous« moissonnerons la sagesse du passé » en remontantaux sources de l’apprentissage actif. Puis nous décou-vrirons les principes pédagogiques de cette formationnouvelle en entreprise, et leur mise en œuvre enFrance. L’Outdoor Training étant le support le plus uti-lisé de la formation expérientielle dans les pro-grammes de développement professionnel, nous ironsà la rencontre des entreprises qui, en France et àl’étranger, l’intègrent dans leur stratégie de change-ment. Le cas de « l’usine du futur » d’Exxon Chemicalà Notre-Dame de Gravenchon, belle aventurehumaine, a le double avantage d’être un exemple demodèle organisationnel fondé sur la responsabilisa-tion des employés, et de permettre de mesurer à longterme l’impact de la formation expérientielle en exté-rieur, puisqu’un programme outdoor y fut réalisé audébut des années 90. La capacité de changementd’une société se mesurant à la manière dont elleaccueille les innovations, il est éclairant d’analyser ce

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1. L’Apprentissage actif pour lesélèves et les enseignants, CERI –OCDE, 1996.

Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

que les entreprises, leurs consultants, les universitaires,les administrations et les journalistes ont pu dire decette approche nouvelle de la formation des adultes.Enfin, nous verrons quelles sont les perspectives decelle-ci dans le pays où ses principes ont été formulés,pour la première fois, il y a plus de deux siècles, par uncertain Jean-Jacques Rousseau.

Publiée en 1996 sous la direction de David Stern (uni-versité de Berkeley-Californie) et de Günter Huber(Institut Erziehungswissenschaft de Tubingen-Allemagne) pour le Centre pour la recherche et l’inno-vation dans l’enseignement (CERI) de l’Organisationde coopération et de développement économiques(OCDE), cette étude, présentée en avant-première lamême année lors de notre colloque « Apprendre parl’expérience » de la Grande Arche, visait à comprendreles raisons d’un nouvel intérêt pour l’apprentissageactif au cours des années 90 dans huit pays : Australie,Danemark, Finlande, Allemagne, Pays-Bas, Espagne,Grande-Bretagne et États-Unis1.

Selon les auteurs de cette étude,

« une information abstraite assimilée dans un contextepratique sera plus facilement intégrée par l’élève dansson corpus de connaissances théoriques et pratiques, etpourra servir à résoudre d’autres problèmes ultérieure-ment. L’apprentissage actif est lié d’une part à la prise dedécision dans le processus d’apprentissage, et d’autrepart à une utilisation active de l’intellect. Il se caractériseessentiellement par la participation active des appre-

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Une étude de l’OCDE

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Apprendre par l’expérience

nants à un processus ayant pour objectif d’associer lesinformations provenant de l’environnement à leursconnaissances et aux différentes expériences qu’ils ontaccumulées. »

Les auteurs soulignent le paradoxe qui consiste àessayer d’apprendre à quelqu’un à être capable d’ap-prendre sans professeur.

« L’apprentissage est un processus permanent. Que ceprocessus soit agréable et intéressant, ou pénible etinutile, nous apprenons et apprendrons tous. Si cetteactivité se fait dans l’allégresse, elle occupera une placede choix dans l’existence des générations futures. Lapédagogie active peut faire de nous des élèves à vie. »

Pourquoi un tel intérêt pour l’apprentissage actif dansles années 90 ? Plusieurs arguments sont avancés enfaveur d’un renforcement de la place accordée à l’ap-prentissage actif par rapport aux formes plus passivesd’acquisition des connaissances. Les formés peuventpréférer l’apprentissage actif, parce qu’ils sont davan-tage motivés et intéressés s’ils ont leur mot à dire dansleur propre apprentissage et si leur intellect est solli-cité, avance cette étude. En participant aux décisionsconcernant leur formation, ils ont la possibilité de seprononcer en fonction de leurs connaissances acquises,de leurs besoins et de leurs intérêts. Ce faisant, ilsprennent des décisions et assument des responsabili-tés.

« L’apprentissage actif est en outre important parce qu’ilpermet d’apprendre à apprendre... Il fut un temps oùl’on pensait que seuls les meilleurs élèves étaientcapables d’apprendre à apprendre et de répondre aux

“”

Les formés peuvent

préférer l’apprentissageactif, parce qu’ils sontdavantage motivés etintéressés s’ils ont leur

mot à dire dans leurpropre apprentissage

et si leur intellect

est sollicité.

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méthodes d’apprentissage actif. Seule l’élite était jugéeapte à apprendre activement. Suivant la doctrine tradi-tionnelle, il était préférable de recourir à des méthodespédagogiques très structurées pour enseigner aux moinsbons élèves. »

Or, plusieurs études ont démontré que l’apprentissageactif et le développement de l’aptitude à apprendre àpenser étaient particulièrement importants pour lesélèves les plus faibles. Il est en effet apparu que leursmédiocres résultats tenaient notamment à leur inapti-tude à apprendre de façon active. Mais l’OCDE, clubdes pays les plus riches de la planète, s’intéresse aussibeaucoup à l’impact de l’apprentissage actif sur lacompétitivité des entreprises.

« Les employeurs apprécient de plus en plus l’aptitude àapprendre et une attitude positive à l’égard de l’ap-prentissage, notent les auteurs. Ils ont besoin de per-sonnes qui soient aptes et disposées à apprendre seules.Les sociétés cherchent à devenir des centres d’apprentis-sage avec des employés capables et désireux d’ap-prendre aussi bien sur poste que hors poste. Lesentreprises qui survivront sont celles qui saurontapprendre plus vite que leurs concurrents et, pour cela,elles ont besoin de gens qui apprennent facilement etrapidement. »

En quoi la vague actuelle d’intérêt pour l’apprentis-sage actif se distingue-t-elle des précédentes ? s’inter-roge l’équipe de David Stern. Au début du XXe siècle,quelques réformateurs ont proposé différentes formesd’apprentissage actif à l’école. Ils n’ont toutefois pasréussi à changer la grande majorité des établissementsscolaires.

Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

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“”

Plusieurs études

ont démontré quel’apprentissage actif et le

développement del’aptitude à apprendre à

penser étaientparticulièrementimportants pour

les élèves les plus faibles.

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Apprendre par l’expérience

« Leur expérience a été limitée à des écoles élitistesréservées à une minorité de la population. »

Le succès, surtout dans les milieux universitaires, desouvrages de Rogers et des théories de Piaget a provo-qué dans les années 60 et 70 un regain d’intérêt pourles méthodes « progressistes. » Cependant, au bout dequelques années, l’intérêt pour l’apprentissage actif està nouveau retombé.

« Il a fait place aux considérations d’efficacité dans l’en-seignement et l’accent a été mis sur le besoin d’établis-sements sérieux se caractérisant par une ambiancefavorable à l’étude, un enseignement clair, un encadre-ment pédagogique et une priorité accordée à l’acquisi-tion de connaissances et d’aptitudes susceptibles d’êtretestées. »

La vague actuelle d’intérêt pour l’apprentissage actif,née dans les années 90, semble se distinguer des pré-cédentes à trois égards.

« Premièrement, l’attention que suscite l’apprentissageactif semble beaucoup plus vaste. Le nombre d’établis-sements et d’enseignants concernés est beaucoup plusimportant. De nombreux gouvernements favorisent cesméthodes d’enseignement. Les employeurs et leursorganisations leur sont également favorables en raisonde l’apprentissage continu et de l’organisation de l’ac-quisition des connaissances qu’impose l’accélération del’évolution économique et sociale. Deuxièmement, l’ac-cent est beaucoup plus mis qu’auparavant sur l’associa-tion de l’apprentissage actif et de l’acquisition del’aptitude à apprendre... Troisièmement, aujourd’huiplus qu’avant, l’intérêt pour la pédagogie active s’inscritdans le contexte de la psychologie de l’acquisition des

“”

L’accent est beaucoup

plus mis qu’auparavantsur l’association del’apprentissage actif

et de l’acquisition de l’aptitude

à apprendre...

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Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

© Éditions d’Organisation [311]

connaissances. Les théories constructivistes de l’appren-tissage et les observations empiriques qui les étayentfournissent de nouveaux arguments en faveur de l’ap-prentissage actif et donnent une meilleure idée de lafaçon dont il doit être encouragé. Nous en savonsaujourd’hui bien plus qu’auparavant sur ce qui déter-mine l’aptitude et la motivation à apprendre. »

Nous verrons dans les prochains chapitres comment lathéorie de la psychologie de l’acquisition des connais-sances de Jean Piaget a inspiré les théoriciens contem-porains de l’Experiential Learning. Selon d’autresthéoriciens comme Resnick (1987), il pourrait être fruc-tueux de revenir au système de l’apprentissage« cognitif » de jadis : les apprentis apprenaient eneffectuant des tâches, en observant et en imitant leurmaître et en écoutant ses commentaires ainsi que ceuxde leurs compagnons. Nous avons su ainsi maintenir àtravers presque un millénaire l’antique tradition descompagnons du Tour de France. On observe un regaind’optimisme dans la psychologie pédagogique améri-caine : de nombreux chercheurs estiment aujourd’huiqu’il est possible d’améliorer la maîtrise personnellede l’apprentissage, du raisonnement, de l’intelligenceet de la résolution de problèmes. Le groupe Cognitionand Technology (1990) de l’université de Vanderbilt adéveloppé la théorie de « l’enseignement ancré » sui-vant laquelle un apprentissage pour être constructifdevait toujours être « ancré » dans des expériencesauthentiques. Cela implique donc de créer des condi-tions voisines de celles dans lesquelles les problèmesdoivent être résolus dans le monde réel. D’autres cher-cheurs (Shuell 1988) ont défini « l’apprentissage

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constructif » : un processus actif, cumulatif, et orientévers des objectifs ; il est actif dans la mesure où l’élèvedoit réaliser certaines activités tout en traitant lesinformations reçues pour que ce qu’il apprend prennetout son sens. Il est constructif dans la mesure où lesnouvelles informations doivent être chiffrées et reliéesà d’autres informations pour que l’élève soit enmesure de retenir les informations simples et de com-prendre les notions complexes. Il est cumulatif dans lamesure où les nouvelles connaissances renforcentet/ou utilisent ce que l’élève sait déjà, suivant desmodalités qui déterminent la nature et l’ampleur de cequ’il assimile. Il est orienté vers des objectifs dans lamesure où il a plus de chances de produire des résul-tats positifs si l’élève est conscient de l’objectif verslequel tendent ses efforts. D’autres auteurs remar-quent que l’apprentissage doit s’accompagner depériodes de réflexion mais celle-ci « ne doit pas inter-venir constamment. » À côté des théories développéesen Europe de l’Ouest et en Amérique, cette étudenous fait mieux connaître la théorie du RusseVygotsky, formulée au début du siècle :

« Les activités mentales (pensée) se développent grâce àl’intériorisation des activités matérielles. L’acquisition del’aptitude à penser implique toujours le passage duconcret à des représentations abstraites et intérieures. »

D’après Vygotsky, dans les premiers temps de l’huma-nité, nos lointains ancêtres ont tout d’abord découvertl’usage de l’outil. Celui-ci a rendu possible et néces-saire une division du travail. Une communication aensuite commencé à s’établir autour des outils. Le

Apprendre par l’expérience

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L’acquisition de l’aptitude

à penser impliquetoujours le passage du

concret à desreprésentations

abstraites et intérieures.

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développement individuel de l’être humain (ontoge-nèse) devrait ainsi se faire en suivant un processus ana-logue, c’est-à-dire en passant du niveau de l’outilconcret à l’aptitude à penser en passant par la com-munication verbale. Suivant ce processus, les actionsmatérielles sont verbalisées avant d’être intérioriséesen actions mentales (pensée). Lors de notre colloque,l’ethnologue Jacques Lizot, a confirmé que nousavions bien des choses à apprendre des sociétés dites« primitives. »

Si les raisons d’un nouvel intérêt pour l’apprentissageactif sont bien identifiées, l’étude du CERI (OCDE) ana-lyse aussi les obstacles à sa plus large diffusion :

• les enseignants et formateurs se concentrent surl’accomplissement des tâches plutôt que sur l’ac-quisition des connaissances, ou ramènent desobjectifs éducatifs plus complexes au simpleapprentissage des techniques ;

• l’hésitation à déléguer des responsabilités auxformés parce qu’ils ne sont pas prêts à les assumer(mais à ce compte-là, ils ne seront jamais prêts) ;

• les enseignants et les formateurs doivent trouveret concevoir eux-mêmes le matériel dont ils ontbesoin, ce qui prend beaucoup de temps etd’énergie ;

• les exigences des examens (on peut ajouter lagestion technicienne des entreprises) peuventempêcher de recourir à des méthodes actives ;

• la coopération nécessaire entre les enseignantsou les formateurs individualistes.

Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

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Les enseignants

et formateurs seconcentrent sur

l’accomplissement des tâches plutôt

que sur l’acquisition desconnaissances.

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D’où la nécessité de favoriser l’innovation, le dévelop-pement professionnel des enseignants et formateurs,le travail d’équipe et l’acquisition des techniques d’or-ganisation.

Le tour d’horizon des pays concernés par l’étude sou-ligne cruellement le retard du système de formationfrançais en ce qui concerne l’apprentissage actif. Pour neconsidérer que l’Europe, il faut savoir par exemple qu’enAllemagne, où le but du système éducatif est de « favo-riser l’épanouissement personnel en vue de former desindividus autonomes et responsables », l’apprentissageactif tout au long de l’existence fait partie des missionsdes écoles ; qu’en Espagne, le développement de lapédagogie active constitue l’un des axes de la politiquenationale ; qu’en Grande-Bretagne, l’évolution de cesdix dernières années favorise des changements quirecouvrent en grande partie ce que l’on pourrait appe-ler la pédagogie active, et qu’aux Pays-Bas, depuis 1994,la réforme scolaire pour les 12-16 ans est centrée sur l’ac-quisition des compétences pratiques et l’application desconnaissances acquises. En France, la loi d’orientation de1989 a beau avoir « consacré en loi le principe de l’Édu-cation nouvelle » à l’école, le moins que l’on puisse direest que, plus de dix ans après, la mise en pratique estlaborieuse et encore de l’ordre du discours.

Resnick, cité dans l’étude de l’OCDE publiée en 1996,conclut que :

« S’il n’est pas nouveau de faire figurer la réflexion, la réso-lution de problèmes et le raisonnement dans le programmescolaire de certains, il est certainement nouveau de les fairefigurer dans le programme de tout le monde. »

Apprendre par l’expérience

[314] © Éditions d’Organisation

“”

Le tour d’horizon

des pays concernéssouligne cruellement leretard du système de

formation français en cequi concerne

l’apprentissageactif.

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La grande innovation de cette nouvelle vague d’en-gouement pour l’apprentissage actif, plus profonde etplus vaste que les précédentes, est certainement del’avoir enfin étendu à la formation des adultes et à laformation continue en entreprise, ce que confirmerala même année l’Union européenne.

En réponse aux « trois chocs de la société cognitive »,le livre blanc de la Commission européenne Enseigneret apprendre (1996), pose les bases d’une réforme pro-fonde de nos systèmes de formation tout au long de lavie :

« La finalité de la formation, qui est de développer l’au-tonomie de la personne et sa capacité professionnelle,en fait l’élément privilégié de l’adaptation et de l’évolu-tion. C’est pourquoi les deux réponses principales qu’achoisi de retenir le présent livre blanc sont, d’abord, depermettre à chacun et à chacune d’accéder à la culturegénérale et, ensuite, de développer son aptitude à l’em-ploi et à l’activité. »

Une base solide de culture générale donne au citoyenle moyen de se repérer dans la société de l’informa-tion, c’est-à-dire de situer et de comprendre, de façoncritique, les images et les données qui lui parviennentde multiples sources.

« L’avenir de la culture européenne, lit-on dans le livreblanc, dépend de sa capacité de donner des clés auxjeunes pour leur permettre de tout remettre en cause defaçon permanente, sans toucher aux valeurs de la per-sonne. »

Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

© Éditions d’Organisation [315]

Le livre blanc

de la Commission

européenne

“”

La grande innovation

de cette nouvelle vagued’engouement pourl’apprentissage actif,

est certainement de l’avoir enfin étendu

à la formation des adulteset à la formation

continue en entreprise.

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La pédagogie de l’innovation, l’intérêt pour le mondephysique et social, le développement d’une culturepratique sont à réintégrer dans la culture générale.

L’aptitude à l’emploi, seconde réponse de la formationaux trois chocs de la transformation, ce sont d’abordles aptitudes sociales, les capacités relationnelles, lecomportement au travail et toute une gamme de com-pétences qui correspondent au niveau de responsabi-lité occupé : la capacité de coopérer, de travailler enéquipe, la créativité, la recherche de la qualité, laflexibilité.

« La maîtrise de telles aptitudes ne peut être pleinementacquise qu’en milieu de travail, donc essentiellementdans l’entreprise. »

Essentiellement, mais pas exclusivement, car lesexperts de Bruxelles reconnaissent que ces aptitudespeuvent se travailler, se développer en situation deformation grâce à de nouvelles approches pédago-giques. Parmi les voies d’avenir dans les Étatsmembres, le livre blanc observe des innovations péda-gogiques susceptibles d’être démultipliées :

« À l’intérieur ou à l’extérieur du système éducatif insti-tutionnel, des expériences de pédagogies innovantessont développées par des enseignants et des formateurs.À l’école, il s’agit de méthodes comme celles des mouve-ments Decroly en Belgique, Steiner en Allemagne,Montessori en Italie, Freinet en France. Pour les adultesse développent également des actions novatrices, tellesque celles conduites par les universités populaires, ou

Apprendre par l’expérience

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La pédagogie de l’innovation,

l’intérêt pour le mondephysique et social, ledéveloppement d’uneculture pratique sont

à réintégrer dans la culture générale.

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l’ “ Outdoor Education ” développée au Royaume-Uni,qui propose des exercices ou des pratiques transformantle contenu de la formation continue traditionnelle envisant l’adaptation des comportements plutôt que laconnaissance abstraite... Les formateurs sont générale-ment en avance des systèmes éducatifs : c’est parmi euxque l’on trouve les précurseurs de la société cognitive. »

On ne pouvait rêver plus bel encouragement etmeilleure reconnaissance de l’Outdoor Education.L’ancien premier ministre Édith Cresson, alors commis-saire européen à l’origine du livre blanc, nous écrivait :

« Je me réjouis de constater que nombre de thèmes quevous évoquez rejoignent les options du livre blanc.Retrouver la confiance en soi, le respect des autres et desoi-même, sont des préalables indispensables au déve-loppement de l’autonomie et de la responsabilisation, età ce titre ils doivent s’inscrire de façon plus importantedans les actions qui sont menées au titre de la formationdes adultes en général. »

Mais il faudra attendre encore longtemps avant queles responsables français de la formation continue sesentent concernés par les orientations de ce livreblanc. Ce sera donc avec les entreprises, pluscontraintes par les exigences de la compétitivité, quenous ouvrons plus largement la voie de cette nouvelleformation des adultes.

Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

© Éditions d’Organisation [317]

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L’aptitudeà l’emploi,

ce sont d’abord lesaptitudes sociales, les

capacités relationnelles,le comportement autravail et toute une

gamme de compétencesqui correspondent au

niveau de responsabilité

occupé.

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Dans le prolongement du livre blanc, l’année 1996 aété décrétée « Année européenne de l’éducation et dela formation tout au long de la vie. » Sur ce « chan-tier », la France serait plutôt en pointe. Condorcetl’avait dit en 1792 devant l’Assemblée nationale :

« Nous avons observé que l’instruction ne devait pasabandonner les individus au moment où ils sortent desécoles ; qu’elle devait embrasser tous les âges... »

Mais on se préparait à déclarer la guerre à l’Autriche,et peu l’écoutaient. C’est surtout dans les années 50que se développe en France la formation des adultes,conçue comme un outil de modernisation du pays2.C’est un petit nombre de gens qui mène ce combat,« ceux qui ont fait le voyage d’Amérique » et qui sontallés étudier les facteurs humains de la productivitéaux États-Unis entre 1949 et 1955. Les autorités améri-caines mettent en effet comme condition à l’obtentiondes crédits par la France la formation de groupes degestionnaires compétents ; ce sont 4 000 dirigeants,cadres, syndicalistes (à l’exclusion des cégétistes), hautsfonctionnaires et intellectuels qui se forment aumodèle américain. Ces missions rapportent à la fois lestechniques d’animation de groupe, les études de casou les techniques de résolution des conflits qui fourni-ront les bases pratiques des nouvelles méthodes édu-catives. Pour ces précurseurs, l’entreprise est d’abordun « organisme social » où l’homme peut s’épanouir.Voulant donner une couleur humaniste à la technolo-gie sociale à l’américaine, Guy Hasson, l’un de cespionniers, n’hésite pas à affirmer que la fonction de laformation est de « conduire l’homme vers sa desti-

2. Mémoire de la formation –histoire du CESI, Richard LICK, LesÉditions du CESI, 1996.

Apprendre par l’expérience

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L’Année européenne

de l’éducation

et de la formation

tout au long de la vie

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née. » Dans ce réseau de réformistes, nous ne sommespas surpris de trouver François Bloch-Lainé et la famillede Jean Louis Servan-Schreiber, qui ont accompagnéles premiers pas de l’Outdoor Education en Francetrente ans plus tard, et cette fois-ci après notre proprevoyage en Grande-Bretagne et aux États-Unis... Leursynthèse des relations humaines américaines permet àces « modernes » de « réconcilier l’homme et l’organi-sation » au nom du nécessaire progrès technique etéconomique, comme le souligne l’historiographe duCESI. Ceci leur permettra de se rapprocher d’un autrecourant, très fort dans les années de l’après-guerre,celui de l’éducation populaire, lui-même issu de l’Édu-cation nouvelle et de l’apprentissage actif. C’est doncsur un long héritage que les Français peuvent s’ap-puyer pour promouvoir en 1996 la formation tout aulong de la vie, plus que jamais nécessaire. Comme dansles années d’après-guerre, cette notion d’avenir estreliée à la tradition de l’apprentissage actif, et, commeà l’époque des missions aux États-Unis, cette annéeeuropéenne a permis de s’inspirer des expériencesanglo-saxonnes.

Les 12 et 13 juin 1996, nous organisons au toit de laGrande Arche à la Défense le colloque « Apprendre parl’expérience », une des manifestations officielles del’Année européenne de l’Éducation et de la formationtout au long de la vie, sous le patronage du ministre del’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur etde la Recherche. Durant deux jours, une centaine deprofessionnels de l’éducation, de l’insertion et de la

Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

© Éditions d’Organisation [319]

Le colloque de la Grande

Arche

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formation continue peuvent vérifier la nouvelle actua-lité de l’apprentissage actif, et l’expérience anglo-saxonne et désormais française de la formationexpérientielle et de l’Outdoor Education. Chefs d’en-treprise, consultants, organisations professionnelles etinternationales, représentants d’administrations, cher-cheurs et universitaires, enseignants reconnaissent lapertinence de l’apprentissage actif pour

« Former à des métiers qui n’existent pas, développerdes compétences sociales qui ne s’enseignent pas, évo-luer du système du chef au système de l’équipe,apprendre tout au long de la vie. »

Les interventions de nos collègues anglais et belges del’Outdoor Training permettent au public français demieux comprendre l’approche pédagogique de la for-mation expérientielle, version moderne pour lesadultes de nos écoles nouvelles.

« La plupart des multinationales, notamment en Europedu Nord, intègrent ce levier d’adaptation des comporte-ments dans leur stratégie de conduite du changement »,

témoigne Luc Lefebvre, fondateur du Centre d’excel-lence dans les Ardennes belges. Les fondements théo-riques, la labellisation des organismes en fonction descritères internationalement reconnus, la qualificationdes formateurs et l’évaluation des résultats sontaujourd’hui bien structurés. Randall Williams repré-sente l’Institut britannique de l’Outdoor Education,qui regroupe 3 000 centres de formation, employant78 000 salariés et accueillant chaque année un millionde stagiaires ; de quoi faire rêver notre équipe de pré-

Apprendre par l’expérience

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Former à des métiers

qui n’existent pas,développer des

compétences sociales quine s’enseignent pas,

évoluer du système duchef au système

de l’équipe, apprendretout au long

de la vie.

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curseurs français, et faire réfléchir ceux qui s’interro-gent encore sur la nature et la pertinence de cette for-mation.

La puissante Association française pour la formationdes adultes (AFPA), bras séculier de la Délégationgénérale à l’emploi et à la formation professionnelle,a décliné notre invitation à participer à l’organisationdu colloque de la Grande Arche, mais veut, quelquesmois plus tard, obtenir de nous des renseignements :qui sommes-nous pour nous positionner ainsi en dépo-sitaires de la formation expérientielle ? Avons-nousl’intention d’organiser chaque année un colloque surce thème ? Quelle est l’importance de notre organisa-tion ? Cela fait plusieurs années que l’AFPA pressentqu’il y a là une voie d’avenir à explorer, mais il n’estpas simple pour une structure aussi lourde, aussi syn-diquée et aussi ancrée dans une conception très tradi-tionnelle de la formation de se métamorphoser enexpert d’une pédagogie « alternative », aux antipodesde sa propre culture. Elle a déjà eu beaucoup de mal àse plier aux exigences de la formation personnalisée.Coïncidence, un an après la forte médiatisation de nospremiers stages expérientiels, l’AFPA organise en avril1989, à Tours, un symposium sur « la formation expé-rientielle des adultes. » L’ouvrage qui en est tiré tra-duit bien son embarras et celui des universitairesappelés en renfort3. « Un concept en émergence à élu-cider » ; « objet d’étude après avoir été le lot exclusifdes “ artistes ” » ; « des recherches sont en cours » ; « un nouveau champ à interroger » ; « un concept dif-

3. La formation expérientielle des adultes, DFP-Documentationfrançaise, 1991.

Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

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La formation

professionnelle

s’interroge...

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ficile à cerner, mais intuition d’un renouvellement pro-blématique de la formation des adultes si la rechercheprogresse » ; « la formation expérientielle bouscule unétat d’esprit, un fonctionnement, une organisation, lerôle du formateur » ; « une évolution de la formationest nécessaire »... On ne saurait mieux résumer lemalaise. On fait venir des universitaires du Québecpour révéler dans notre langue ce qu’est l’ExperientialEducation selon les Anglo-Saxons, mais on « oublie »d’inviter les précurseurs français ; un peu trop« artistes » sans doute. Les Québéquois ont beauretransmettre les fondements théoriques et les prin-cipes de la formation expérientielle anglo-saxonne, lesintervenants français confondent formation expérien-tielle et expériences formatrices, et croient à tort lareconnaître dans la formation en alternance, les his-toires de vie, les jeux de rôle.

« Il est important de ne pas importer tel quel le concept(de la formation expérientielle) et son instrumenta-tion »,

déclare l’un des organisateurs d’entrée de jeu. Avec untel a priori il n’est pas étonnant que l’AFPA se four-voie. Gaston Pineau et Bernadette Courtois, anima-teurs de cette réflexion, concluent d’ailleurs à proposde la prise en compte de la formation expérientielle :

« Débat tâtonnant, laborieux, modeste qui pose sansdoute plus de questions qu’il n’en résout. Parler sur seslendemains n’est pas évident. (...) C’est une mise en cul-ture ou en miettes de tout un capital de savoir-faireamassé par tout acteur social.... On ne sait pas trop com-

Apprendre par l’expérience

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La formationexpérientielle

bouscule un état d’esprit,un fonctionnement, une

organisation, le rôle

du formateur.

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ment ces acquis (de la formation expérientielle) se font,se forment « expérientiellement. » (...) La formationexpérientielle semble faire partie de l’ouverture de ceschantiers à matière moins rationalisée et peut-êtremoins rationalisable. (...) Si le concept d’expérience estéclairé par une longue tradition philosophique qui aideà trouver des points communs, celui de la formationexpérientielle est beaucoup plus problématique et sus-cite moult interrogations. »

Ne pas s’y lancer trop tôt, attendre une définitionclaire, un chantier qui n’en est qu’à ses débuts. À cerythme, et avec cet état d’esprit, ce n’est pas de cecôté-là qu’il faut attendre une impulsion en faveur dela formation expérientielle, et il n’est même pas ques-tion de son principal support, l’Outdoor Education.C’est comme si nous avions voulu en 1986 réinventerl’eau chaude sans nous associer aux principaux acteursanglo-saxons de ce courant de formation d’adultes.

Cette position de l’AFPA est à replacer dans le contextede la politique de formation professionnelle del’époque. Dès 1986 nous avons informé son autoritéde tutelle, à l’époque la DFP (Délégation à laFormation Professionnelle), de l’intérêt qu’il y aurait àdévelopper cette réponse au besoin de formation de« compétences non techniques. » Mais cette adminis-tration ne jurait que par les outils « d’éducabilitécognitive » (Activolog, Tanagra, Ateliers de raisonne-ment logique) et surtout par le Programme d’enrichis-sement instrumental (PEI), mis au point par ReuvenFeuerstein pour faciliter l’insertion en Israël des immi-grants juifs marocains. Inspiré, comme la formation

Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

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On ne sait pas trop

comment ces acquis (de la formation

expérientielle) se font, se forment

« expérientiellement. »

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Mais cette administration

ne jurait que par les outils

« d’éducabilité cognitive »

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expérientielle, des théories de Piaget et des cogniti-vistes, la méthode vise à développer, durant deux outrois ans, la capacité à apprendre au moyen d’exercices« papier-crayon. » Par exemple, « l’exercice de l’orga-nisation de points » consiste à percevoir dans unnuage de points des figures identiques de forme et dedimension à celles des modèles. On est loin de la com-préhension de l’homme globale préconisée par Piaget.En 1992, cette politique du « tout PEI » n’avait pasobtenu les résultats escomptés par la DFP. Dans larevue Sciences Humaines (n° 21 octobre 1992), lesauteurs d’une étude sur ces résultats, dont Marie-Françoise Libert de l’AFPA, écrivent :

« Ces objectifs, le PEI ne les atteint pas ! Il n’a pasd’autres effets que ceux qui peuvent s’expliquer par unepratique intensive des exercices. »

Par rapport à des individus qui n’ont pas bénéficié duPEI, les formés au PEI ne montrent pas une meilleurecapacité de transférabilité des acquis, ni d’augmenta-tion des effets dans le temps, ni d’efficacité plusgrande dans la recherche d’emploi : les traits de per-sonnalité, dont on sait le rôle important dans le succèsou l’échec d’une formation, ne sont pas modifiés.Piaget avait bien dit « l’action est la clé. » L’on com-prend alors pourquoi l’administration et l’AFPA se sontfait, ensuite discrètes sur le PEI et veulent prendre letrain de la formation expérientielle en marche. Nousserions heureux de coopérer à cette nouvelle orienta-tion. Apprenant que la tutelle avait demandé à l’AFPA,en 1998, de s’ouvrir davantage à des collaborationsextérieures afin de mieux répondre aux commandes

Apprendre par l’expérience

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publiques, nous avons proposé à son nouveau direc-teur général un partenariat « gagnant-gagnant. » Ilsemble que le moment ne soit pas encore venu...

Un nouvel engouement pour l’apprentissage actif

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1996 a véritablement été l’année de la reconnaissanceinternationale de la formation expérientielle et del’Outdoor Education. Il est largement admis qu’il s’agitd’une voie d’avenir dans la formation d’adultes pour for-mer d’autres comportements « tout au long de la vie. »Beaucoup de professionnels français, ont compris qu’ils’agissait pour la première fois d’adapter aux adultes lespédagogies actives de l’École nouvelle, depuis longtempsmarginalisées chez nous. Bien peu encore en connaissentla genèse, la définition et ses résultats en France, surtoutdans le cadre du développement professionnel en entre-prise. Les prochains chapitres vont répondre à ces interro-gations et vont permettre, dans la confusion générale, de« replacer l’église au milieu du village ».

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Chapitre 14

Histoirede la

formationexpérientielle

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La pré-histoire

de la formation

expérientielle

1. Le Mouvement des écolesnouvelles anglaises, RobertSKIDELSKY, Maspero, 1972.

Apprendre par l’expérience

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Contrairement à ce que l’on pense généralement, laformation expérientielle est une idée européenne etnon américaine. Elle est beaucoup plus qu’unensemble de méthodes et d’activités ; elle représenteune philosophie de l’éducation et de la formation. Ellea une profonde affinité historique avec l’École nou-velle, le plus important mouvement pédagogique duXXe siècle. Il est utile de connaître son passé afin decomprendre son pouvoir pour l’amélioration de la for-mation des adultes aujourd’hui, en particulier dans lesentreprises. L’éducation par l’action est le prolonge-ment d’une longue histoire de la haine et de la réha-bilitation du corps. Durant des siècles on s’est acharnéà séparer l’âme (on dirait aujourd’hui l’intelligencelogique), conçue comme bonne, et le corps (l’intelli-gence émotionnelle), conçu comme mauvais et devantêtre dominé, jugulé. Il était dans l’ordre des chosesque la réhabilitation du corps, qui nous révèle ce quenous sommes, entre dans la pédagogie. Il est étonnantde voir le temps qu’il a fallu pour comprendre quel’apprentissage actif pouvait s’appliquer aussi bien àl’adulte avec le même profit.

Plusieurs idées de l’éducation platonicienne ont servide base aux éducateurs de l’apprentissage actif1. Lapremière fut la doctrine de l’idéal. Platon, inventeurgrec de la philosophie, pensait il y a plus de 2400 ansqu’il existe une « forme parfaite » de toute substancematérielle et que le but de la vie consiste à se rappro-cher le plus possible de cette forme. Le mouvementvital prédéterminé (comme le développement de la

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Contrairement à ce que l’on

pense généralement, la formation

expérientielle est une idée européenne

et non américaine.

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Histoire de la formation expérientielle

graine en plante) n’est intelligible que si le processuspeut-être conçu comme étant dirigé par le but verslequel il tend : ce qui dans la nature est inconscientdevient chez l’homme recherche consciente d’un « modèle de perfection » divine. La deuxième idéeéducative contenu dans La République est que l’équi-libre est le principe de cette perfection. La perfectiondu corps dépend de l’harmonie de ses éléments et, sui-vant la médecine grecque, la guérison est une restau-ration de l’équilibre détruit par la maladie. La vertu (lasanté de l’âme) est harmonie, équilibre entre lesdiverses facultés de la psyché : la raison, les appétits etl’esprit. La vertu civique (la santé du groupe) résidedans l’harmonie de ses éléments fonctionnels : les pen-seurs, les soldats et les artisans. Ce même principe peut être indéfiniment étendu auxrelations entre les hommes, entre les nations, et ainside suite. L’éducation doit harmoniser le philoso-phique, ou les éléments rationnels et culturels dans lanature humaine, avec ce qu’il appelle « le spirituel »,qui inclut ces qualités de détermination et de persévé-rance donna l’énergie et la confiance pour équilibrerles aspects purement intellectuels. Réformateur poli-tique qui cherchait à ramener les Athéniens auxvieilles vertus érodées, pensait-il, par l’enthousiasmedémocratique et la vie facile, Platon visait à éduquerdans un lieu retiré, loin de toute ambiance corruptrice,une aristocratie dont la tâche serait de régénérer lasociété. Comme les Sept Sages de la Grèce qui avaientfait inscrire sur le temple de Delphes la célèbre inscrip-tion « Connais-toi toi-même », et comme son maîtreSocrate rencontré à l’âge de vingt ans, Platon place

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Platon visait à éduquer

dans un lieu retiré, loin de toute ambiance

corruptrice, une aristocratie dont

la tâche serait de régénérer

la société.

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Apprendre par l’expérience

l’homme au centre de la philosophie ; l’être prend lepas sur le paraître. Mais avec Platon, nous atteignonsparadoxalement la forme la plus caractérisée de lasomatophobie (la haine du corps)2.

« L’âme atteint la vérité dans l’acte de raisonner... et sansdoute raisonne-t-elle mieux précisément quand aucuntrouble ne lui survient de nulle part ni de la vue, ni del’ouïe, ni d’une peine, ni non plus d’un plaisir, maisquand au contraire elle est le plus isolée en elle-même,envoyant promener le corps et quand, brisant autantqu’elle peut tout contact avec lui, elle aspire au réel. »

Il ne lui vient jamais à l’esprit que l’âme puisse êtrepartie prenante du corps. Les Romains, les Juifs et lesChrétiens entretiendront cette haine du corps, jusqu’àDescartes qui affirme en 1641 que l’homme ne se défi-nit pas par son corps mais uniquement par son esprit,et il ne peut y avoir aucun rapport entre les deux.Cette position angélique sera le poison des sièclesfuturs et de tout le monde moderne.

C’est en France qu’est formulé pour la première fois,en 1580, l’idéal de ce qu’on appellera plus tard l’Édu-cation nouvelle. Dans Les Essais, Michel Eyquem deMontaigne affirme que l’éducateur a besoin deconnaître l’enfant pour l’éduquer. Il demande

« qu’il le fasse trotter devant lui pour juger de son trainet juger jusqu’à quel point il se doit ravaler pour s’ac-commoder à sa force. »

Le philosophe, confiant en l’homme et convaincu de lavaleur du corps, veut former l’esprit, le jugement, l’es-

2. Ce corps haï et adoré, Marc-Alain DESCAMPS, Tchou, 1988.

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C’est en France qu’est formulé

pour la première fois, en1580, l’idéal de ce qu’on

appellera plus tardl’Éducation nouvelle.

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prit critique, la réflexion, l’indépendance et la libertépersonnelle. Influencé par Platon, il écrit :

« Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps que l’ondresse, c’est un homme et il ne faut pas dresser l’uncontre l’autre mais les conduire également comme uncouple de chevaux attelés à un même timon. »

Le courage vient du corps :

« Les jeux mêmes et les exercices seront une partie del’Estude : la course, la lutte, la musique, la danse, lachasse, le maniement des chevaux et des armes. »

C’est encore dans notre pays que se trouvent les condi-tions de la première réalisation des principes de ce quiva devenir l’Éducation nouvelle. Éducateur du fils duduc de Parme, Étienne Bonnot de Condillac souligneen 1746 l’importance que les facteurs organiques etaffectifs jouent dans le fonctionnement de l’esprit. Ilaide son élève à se montrer dans toute la spontanéitéde sa nature. Pour l’aider à progresser suivant lesmêmes étapes que l’humanité a suivies pour accéderaux idées, il lui fait donner un petit champ à cultiver.

Mais le grand maître de cette pédagogie nouvelle estJean-Jacques Rousseau. Dans L’Émile (1762), écrit danssa petite maison de Montlouis, près de Paris, il conçoitun système éducatif qui gravite autour de l’enfant.Selon le « Copernic de la pédagogie », la vie intellec-tuelle mène à la déchéance spirituelle. L’étude cor-rompt les mœurs de l’homme, est préjudiciable à sasanté, détruit sa constitution et fausse souvent sonentendement. La première idée forte de Rousseau est

Histoire de la formation expérientielle

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Le grand maître

de cette pédagogienouvelle est Jean-Jacques

Rousseau.

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Apprendre par l’expérience

la bonté spirituelle de la nature de l’homme. Sadeuxième idée est sa conception nouvelle de l’en-fance, âge autonome ayant son droit, sa valeur et sasignification :

« L’enfance a des manières de voir, de penser, de sentir,qui lui sont propres, et j’aimerais autant exiger qu’unenfant eût cinq pieds de haut que du jugement à dixans. »

La troisième idée est « l’éducation négative » :

« Songez bien que c’est rarement à nous de lui proposerce qu’il doit apprendre, c’est à lui de le désirer, de lechercher, de le trouver, à nous de le mettre à sa portée,de faire naître adroitement ce désir et lui fournir lesmoyens de le satisfaire. »

Selon Rousseau, la liberté est…

« le seul instrument qu’on n’a pas encore essayé depuisqu’on se mêle d’élever les enfants, le seul précisémentqui peut réussir... Jeunes instituteurs, je vous prêche unart difficile, c’est de gouverner sans préceptes et de toutfaire en ne faisant rien. »

Selon le philosophe l’éducation a trois maîtres :

« Le développement interne de nos facultés et de nosorganes est l’éducation de la nature ; l’usage qu’on nousapprend à faire de ce développement est l’éducation deshommes ; et l’acquis de notre propre expérience sur lesobjets qui nous affectent est l’éducation des choses...Chacun de nous est donc formé par trois sortes demaîtres. »

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Songez bien que c’est

rarement à nous de luiproposer ce qu’il doit

apprendre, c’est à lui de ledésirer, de le chercher, de

le trouver, à nous de le mettre à sa portée

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L’École nouvelle

3. L’Éducation nouvelle, AngélaMÉDICI, PUF « Que sais-je ? »,1941.

Histoire de la formation expérientielle

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La solitude en autoformation (le contact direct avecsoi), la coformation (le miroir des autres), et l’écofor-mation (la nature est un éducateur) deviendront aucours du XXe siècle des concept de formation majeurs.Tous les théoriciens de l’éducation et du processusd’apprentissage approfondiront les idées expriméesen France entre 1580 et 1762. Des idées qui appartien-nent clairement à « la société de confiance. »

C’est à la fin du XIXe siècle que naît en Europe le mou-vement pédagogique de l’École nouvelle. Une péda-gogie hostile à la contrainte et animée à la fois d’unsouffle romantique3. Elle exprime le refus, pour lesjeunes, de se soumettre à la contrainte qu’imposaientles vieilles traditions politiques et familiales et, sur-tout, la naissance de la société industrielle, expliqueAngéla Médici, fondatrice de l’école active de SaintCloud. Elle est inspirée par l’idéologie de Wandervögelen Allemagne, et celle d’une Ère nouvelle dans les paysanglo-saxons.

« Elle renoue surtout avec la croyance rousseauiste en labonté de l’être sorti des mains de la nature et en sonpouvoir de se hisser vers la perfection, si la société estempêchée de l’avilir. Il suffirait de tourner le dos à cettedernière pour permettre à l’enfant de l’homme dedéployer tous les trésors que la mère nature avait entre-posés dans son cœur. »

Sa première application est rendue célèbre par le filmde François Truffaut L’Enfant sauvage. Dans son effortpour rendre à la vie normale un enfant sauvage trouvé

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Tous les théoriciens

de l’éducation et duprocessus d’apprentissageapprofondiront les idées

exprimées en Franceentre

1580 et 1762.

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dans les forêts de l’Aveyron, Jean Itard conçoit en 1800un système d’éducation répondant à ses besoins, etinvente ainsi la doctrine sensualiste. C’est en appre-nant émotionnellement et physiquement par l’expé-rience que Victor apprend le langage et les notionsabstraites. Il est émouvant de voir ce médecin, inter-prété par Truffaut lui-même, inventer le premier exer-cice expérientiel : il demande à l’enfant de replacerchaque outil de l’atelier sur un tableau, à l’emplace-ment où est dessinée sa forme. En 1842, ÉdouardSeguin condamne

« l’école caserne où, sans tenir compte des aptitudesphysiques diverses, des besoins psychiques variés, desdispositions intellectuelles différentes, on leur donnechaque jour, à tous indistinctement et exclusivement,quatre ou cinq rations d’aliments intellectuels. »

Par son entraînement des enfants idiots et arriérés, ildémontre que l’activité de l’être se développe dansson milieu et que l’affectivité et les données psycholo-giques sont essentielles dans ce processus. En s’instal-lant aux États-Unis en 1848, il apportera ces idéesnouvelles au Nouveau Continent. Les idées deRousseau influencent aussi en Grande-Bretagne lespremiers éducateurs de l’école nouvelle. Cecil Reddiefonde en 1889 l’école d’Abbotsholme, située sur lesbords de la Dove dans le Staffordshire. Cet éducateurveut que dans les collèges anglais on applique les prin-cipes éducatifs qu’on prétend avoir. On parle de for-mation du caractère, cependant on bourre le crâne desélèves, ne visant qu’à la réussite aux examens ; onprêche la coopération et l’esprit de groupe, cependant

Apprendre par l’expérience

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C’est en apprenant

émotionnellement et physiquement par

l’expérience que Victorapprend le langage

et les notions abstraites.

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on obéit à une morale compétitive. Il rêve d’une écolequi permettrait aux enfants de réaliser leurs potentia-lités, de devenir sûrs d’eux-mêmes. Le système éduca-tif de Reddie est fondé sur « l’idéalisme » desadolescents et sur leur besoin d’affection. Le senti-ment ne doit pas être uniquement un instrument deformation, il doit aussi aider l’élève à comprendre lemonde. Il envisage d’une façon plus équilibrée lescomposantes intellectuelles et affectives de l’éduca-tion, et justifie son approche par ce qu’il appelle la « loi de polarité » :

« De même que le monde physique était gouverné parl’attraction et la répulsion, le monde humain était gou-verné par l’affirmation de l’ego et de l’amour. Ainsi il yavait deux façons différentes de voir le monde, l’unemasculine et l’autre féminine. L’approche masculine estvolontaire et intellectuelle, l’approche féminine, senti-mentale et émotionnelle. La meilleure forme d’éduca-tion devait combiner les deux.»

Inspiré par Abbotsholme et Goethe, Herman Lietzfonde l’École nouvelle en Allemagne.En 1897, le sociologue français Edmond Demolinspublie un ouvrage intitulé À quoi tient la supérioritédes Anglo-Saxons ? dans lequel il attribue la déca-dence de la France à la tyrannie du travail scolaire axésur les examens et à l’influence nocive de la famille ; ilsprésente Abbotsholme (qu’il n’a jamais visité) commeun exemple de cette éducation « équilibrée » qui a faitl’empire britannique. L’historien anglais des écolesnouvelles Robert Skidelsky4 remarque que 4. Le Mouvement des écoles

nouvelles anglaises, RobertSKIDESLSKY, Maspéro, 1969.

Histoire de la formation expérientielle

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Le sentiment ne doit pas êtreuniquement un

instrument de formation, il doit aussi aider l’élève

à comprendre le monde.

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« Demolins ne comprit jamais qu’Abbotsholme n’étaitpas un collège anglais typique et il ignora le fait quel’empire britannique avait été conquis bien avant l’éta-blissement des premiers collèges en Angleterre. »

Toutefois, son livre connaît un tel succès (six éditionsen six mois) que cela l’encourage à fonder lui mêmeune école nouvelle, l’école des Roches de Verneuil-sur-Avre en Normandie. Un tel malentendu se perpétueaujourd’hui puisque l’on ignore généralement que laformation expérientielle a des racines bien françaises,et qu’il n’est pas nécessaire de faire appel aux univer-sitaires québéquois pour nous traduire une méthodequi est européenne autant, sinon plus, qu’américaine.

L’école nouvelle continue à s’internationaliser au XXe

siècle. En Suisse, où Pestalozzi avait développé dès1781 les idées de Rousseau, Adolphe Ferrière fonde leBureau international des écoles nouvelles. EnBelgique, Ovide Decroly fonde en 1906 l’école del’Ermitage : l’objet de connaissance n’est pas seule-ment le livre scolaire, mais aussi le fait, l’événementhors des murs de l’école. L’éducateur-médecin intro-duit la nature et la vie dans sa classe. Le professeurparle peu. La devise est : peu de mots, beaucoup defaits. Il ne s’agit pas de mieux doser les connaissancesou bien d’en supprimer certaines mais de les grouperet de les présenter d’une manière plus psychologique.En Italie, Maria Montessori, inspirée par la doctrinesensualiste de Jean Itard et par Edouard Seguin, fondeen 1907 « les maisons des enfants. » Sa doctrinedevient très vite célèbre dans le monde entier. Il s’agitd’orienter du dehors, par des objets didactiques analy-

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“ ”La devise est : peu de mots, beaucoup de faits.

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tiquement gradués, l’évolution psychique à partir d’unélément simple, la sensation. Jean Itard avait fait demême pour l’enfant sauvage de l’Aveyron. En Suède,Ellen Key reprend les idées de Rousseau et influence lemouvement libertaire en Allemagne, où Herbart avaitdéjà fondé en 1843 l’école d’Iena dédiée à la pédago-gie active. Plus tard, Steiner en Autriche sera à l’ori-gine d’un réseau international d’écoles nouvelles etfonde en 1913 les écoles Waldorf. Aux États-Unis, c’estJohn Dewey (1859-1952) qui diffusera largement,après Seguin, ces nouvelles idées pédagogiques euro-péennes qui deviendront là-bas l’ExperientialEducation. En Grande-Bretagne, l’officier BadenPowell, de retour de ses campagnes en Afrique du Sud,invente en 1907 le scoutisme qui deviendra la forme laplus influente des pédagogies actives.

« L’éducation scoute, écrit Baden Powell, vient toutentière du dedans. Elle doit pousser le garçon àapprendre lui-même, parce qu’il le désire, tout ce quitend à lui donner du caractère : loyauté, responsabilité,maîtrise de soi, altruisme, confiance en soi, intelligence,joie de vivre, énergie. »

Cette pédagogie du jeu au contact de la nature réagitcontre « le gaspillage du matériel humain dû à l’édu-cation insuffisante. » Elle est fondée sur la convictionque cette qualité de caractère est en chacun, et qu’ils’agit de l’en tirer et de la développer. Accusé de mili-tarisme (alors qu’il est l’inverse de l’embrigadement),d’élitisme, de puérilité, récupéré par toutes les reli-gions, le scoutisme redevient à la mode, et il est debon ton pour un chef d’entreprise de se prévaloir d’un

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Cette pédagogie

du jeu au contact de la nature réagit contre« le gaspillage du matériel

humain dû à l’éducation

insuffisante. »

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esprit « boy-scout. » Le scoutisme pénètre en France en1911, notamment via l’école des Roches, à Verneuil-sur-Avre, grâce à son directeur Bertier, sous la formed’un mouvement non confessionnel, les Éclaireurs deFrance. L’Église ne se lance que tardivement dansl’aventure en créant en 1921 les Scouts de France. Leslendemains de la Grande Guerre favorisent le déve-loppement du scoutisme. Il faut reconstituer les cadresde la nation et redonner une morale à la jeunesse. Lesenseignants de gauche voient dans le scoutisme lemoyen de rénover l’école en y introduisant lesméthodes d’éducation active ; le retour à la nature, le« grand jeu », l’éducation sensorielle et manuelle per-mettent de rompre avec le caractère intellectualiste del’éducation traditionnelle. Alexandre Sutherland Neillfonde en 1921 en Grande-Bretagne l’Ecole deSummerhill (la même année est fondée à Calais laLigue internationale pour l’éducation nouvelle).

L’instituteur Célestin Freinet (1896-1966) applique lesidées de Decroly au sein de l’école communale deVence, puis fonde dans la même ville sa propre « écoleexpérimentale. » Il donne une ampleur considérableau mouvement de l’École nouvelle, inspirant de nom-breuses réformes de l’enseignement tant en Francequ’à l’étranger. Refusant l’autoritarisme comme le lais-ser-faire, il veut réconcilier la théorie et la pratique etpromouvoir la formation de la personnalité ainsi quele travail de groupe en développant une « méthodeactive » utilisant notamment le support de l’imprime-rie et de la réalisation d’un journal de classe.

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En 1929, la section française de la Ligue internationalepour l’Eéducation nouvelle (LIPEN) prend le nom deGroupe français d’éducation nouvelle (GFEN), dominépar les marxistes Langevin et Wallon. Freinet le quitte,le jugeant trop intellectuel, traitant les questionssociales au détriment de la pédagogie.

Ministre de Léon Blum à trente et un ans, l’avocatfranc maçon Jean Zay élabore en 1937 un ambitieuxprojet visant à donner un « statut d’ensemble »,logique et cohérent, à un système éducatif éclaté endeux blocs rivaux, le primaire et le secondaire. Pourfavoriser la santé des jeunes, il développe l’éducationphysique à l’école et confie à Léo Lagrange le sous-secrétariat d’État aux sports et aux loisirs. Ainsi sontaménagés les programmes de l’école pour y inclurepour la première fois l’éducation physique quoti-dienne et une demi-journée de « plein air » hebdoma-daire. Jean Zay considère que les travaux manuels sont« un moyen de culture de l’intelligence. » L’Actionfrançaise (extrême droite) critique ce « juif radicalsocialiste extrémiste », en même temps que le FrontPopulaire qui a diminué le temps de travail des« foules du poing tendu », et les méthodes nouvellesd’éducation qui, en introduisant l’enseignement par lajoie et la liberté, « ont peu à peu compromis la bonneet vieille éducation par l’effort ». Céline disait « je vousZay » aux personnes qu’il ne pouvait pas souffrir... JeanZay sera assassiné par la Milice en juin 1944.

Après la défaite, le régime conservateur et collabora-tionniste de Vichy reprendra paradoxalement, après

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Ainsi sont aménagés les

programmes de l’écolepour y inclure pour la

première fois l’éducationphysique quotidienne et une demi-journée

de « plein air »hebdomadaire.

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avoir critiqué le laxisme des méthodes « rousseauistes »,les pédagogies actives du Front populaire, et expéri-mentera à partir de là des idées neuves qui serontreprises à la Libération après les avoir débarrassées deleur phraséologie militante5. Vichy assure une parfaitecontinuité entre le Front populaire et la « Révolutionnationale » en rejoignant les thèses de l’Éducationnouvelle. Le ministre de l’Éducation Bonnard contestel’enseignement « abstrait » et souhaite faire de l’édu-cation une préparation à la vie (Jean Zay demandait« un enseignement moins formel et plus proche de lavie »). Il s’agit d’un retour à la réalité, et à l’idéal édu-catif des Platon, Montaigne et Rousseau, d’une « révo-lution du corps » visant à préparer un homme completen agissant à la fois sur l’esprit, le caractère et lanature physique des jeunes. Il faut ramener les enfantsvers la nature. Tout rappelle les instructions de...1937.La méthode naturelle de Georges Hébert (1905)connaît son heure de gloire avec son parcours, ancêtredu ropes course de l’Outdoor Training. Jusqu’en 1942,des humanistes généreux et...anti-allemands innoventtous azimuts. Les Allemands critiquent cette politiquequi ravive le nationalisme des vaincus, tout comme laRésistance qui y voit des relents de... nazisme.

Dunoyer de Segonzac, qui deviendra chef de maquis,libèrera Castres et Mazamet, et dirigera après laguerre l’Union française des centres de vacances et deloisirs (UFCV), fonde l’école des cadres d’Uriage, dansle château de Bayard près de Grenoble. C’est unLozérien de 56 ans, fils d’un inspecteur général desEaux-et-Forêts qui l’initie aux « vertus régénératrices

5. Histoire de la jeunesse sousVichy, Pierre GIOLITTO, Perrin,1991.

Apprendre par l’expérience

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Vichy assure une parfaite

continuité entre le Frontpopulaire et la

« Révolution nationale » en rejoignant les thèses

de l’Éducation nouvelle.

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des grandes futaies », scout au grand cœur, officier del’armée en déroute très influencé par la pensée etl’œuvre de Lyautey. Vichy voulait former une aristo-cratie de chefs issus de tous les milieux sociaux, fondéesur le seul critère du mérite. Uriage, c’est l’harmoniedes contraires : militaires, universitaires, sportifs,poètes, manuels, chanteurs, intellectuels marxistesnationalistes ou chrétiens cherchent à dépasser leursoppositions autant que les formules simplistes. Ilsadaptent pour la première fois les pédagogies activesà la formation des adultes, la même année (1941) quela création au pays de Galles de la première OutwardBound School par l’exilé juif allemand Kurt Hahn, etavec la même devise : « Plus est en nous. » Uriageforme l’homme harmonieux : corps, intellect, âme. Ils’agit de pallier les défauts de l’enseignement univer-sitaire en créant une « culture de l’action. » Chaquepromotion de 100 stagiaires suit pendant troissemaines un programme inspiré du scoutisme : cerclesd’études de formation mutuelle, promenades dedécouverte, entraînement mental, éducation phy-sique. C’est là que furent élaborées bon nombre depratiques marquantes de la formation ultérieure del’encadrement en France. Denoyer de Segonzac secoupe très tôt de Vichy et rejoint en août 1943 laRésistance, comme beaucoup des 4 000 personnesayant fréquenté son école. L’esprit d’Uriage, débar-rassé des cloisonnements traditionnels de la pensée,tant religieux que philosophiques, souffle longtempsaprès la guerre : Hubert Beuve-Méry fonde le journalLe Monde, Dumazedier et Cacères préparent laréforme de l’enseignement avec l’Association « Peuple

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Ils adaptent pour la première

fois les pédagogiesactives

à la formation des adultes.

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et culture. » D’autres font vivre l’esprit d’Uriage aucentre international de l’abbaye de Royaumont, à larevue Esprit, à Témoignage chrétien, et dans biend’autres institutions novatrices. Les anciens d’Uriageinfluencent par exemple Jean Myon, directeur du per-sonnel de Renault, lorsqu’il fonde en 1956 avecRaymond Vatier ce qui deviendra le CESI, un « centreinterentreprises de formation des cadres techniques. »

Des écoles nouvelles sont fondées encore après laguerre, comme l’école de Saint Mandé en 1945, l’écolenouvelle d’Antony en 1954 (au début école de la PetiteOurse du Père Castor), ou l’école de la rue Vitruve àParis. En 1945, le plan Langevin-Wallon reprend lesprincipes de l’Éducation nouvelle pour l’Éducationnationale. Ce courant est alors très marqué par lescommunistes. Toutes les idéologies se seront au XXe

siècle approprié ces principes pédagogiques, contri-buant à leur marginalisation.

Au fil du temps, les institutions nées de l’Éducationnouvelle perdent l’esprit de leurs origines. Le meilleurexemple en est les CEMEA (Centres d’entraînementaux méthodes actives), qui revendiquent la filiation deWallon. Dans un livre publié en 19966 (toujours cettemême année de l’intérêt nouveau pour l’apprentis-sage actif), ce mouvement reconnaît honnêtementqu’il a perdu beaucoup de la pédagogie de ses ori-gines. Les auteurs rappellent que « c’est en agissantque l’on apprend », mais pas n’importe comment. Ceprocessus d’apprentissage suppose un rapport direct

6. Les Chemins del’apprentissage, Retz, 1996.

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Le déclin de l’Éducation

nouvelle après guerre

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Le plan Langevin-Wallon

reprend les principes de l’Éducation nouvelle

pour l’Éducation nationale.

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et autonome à un objet à connaître, l’engagement dusujet dans sa dimension corporelle, affective et cogni-tive, un projet finalisé par un enjeu réel, une rupture,un défi. En théorie, les CEMEA reconnaissent bien « lavaleur pédagogique des situations qui mettent l’indi-vidu en mesure d’agir sur son environnement »... àcondition de ne pas confondre la réalisation matérielledes actions et le passage de cette action à des opéra-tions mentales, par le processus d’intériorisation :

« Apprendre sans chercher, c’est apprendre par cœur oupar imitation et renforcement. »

Qu’en est-il dans la réalité ? Les auteurs notent que,dans la prose de l’association, les deux termes « acti-vité » et « apprentissage » cohabitent difficilement,alors que ce lien est le cœur de l’apprentissage actif :

« Il est donc nécessaire de revenir aux textes, auxsources... Que dire de ces classes de découverte (grandespécialité des CEMEA) dans lesquelles on compte sur unecertaine spontanéité de l’enfant pour qu’il s’épanouisseseul, sans aide structurante de l’adulte ? » « Trop souvent d’ailleurs, écrit Jean-Pierre Noir, lesapprentissages prennent, au centre de vacances, lesformes scolaires les plus critiquables : conçus comme finen soi ou préalable obligé, programmés à heure fixe,production stéréotypée, résultant d’une succession degestes à calquer et d’ordres à appliquer, d’une lectureservile d’une fiche de jeu ou de travail... manuel. »

Mais, au lieu de retrouver les principes de l’École nou-velle, les CEMEA semblent se tourner vers desméthodes de développement des seules compétences

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Les deux termes

« activité » et« apprentissage »

cohabitent difficilement,alors que ce lien

est le cœur de l’apprentissage

actif.

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cognitives (PEI, ateliers de raisonnement logique) qui,nous l’avons vu, ne prennent pas en compte la globa-lité de la personne dans un contact direct avec la réa-lité.

Autre exemple de cet éloignement des sources, l’écolenautique des Glénans, fondée dans les années 50 parPhilippe Viannay, ancien résistant introduit à l’espritde l’École nouvelle par Gustave Monod. Nous avons puconstater que cette « école nouvelle » était devenue laplus grande école de voile d’Europe, mais qu’elle avaitperdu le concept pédagogique voulu par Viannay.Les écoles nouvelles ont bien du mal à entretenir laflamme. La présidente d’un important réseau de 40écoles nouvelles françaises me faisait part de sonregret de voir leurs enseignants perdre le savoir-fairede l’éducation active, dans un contexte Éducationnationale largement dominé par une conceptionmagistrale de la pédagogie, que les Anglo-Saxonsappellent l’éducation « bancaire » (on alimente un cer-veau en connaissances comme on approvisionne uncompte bancaire).

Plusieurs causes peuvent expliquer la marginalisationde l’École nouvelle en France après la seconde guerremondiale. La récupération idéologique depuis lesannées 30, des socialistes aux marxistes en passant parVichy. Les discours sur « l’homme nouveau » n’avaientplus cours, et on s’empressa de reléguer la formationdu caractère dans la stricte sphère du privé. Des mou-vements politiques et religieux, voire des sectes, se

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Desmouvements

politiques et religieux,voire des sectes, se sont

retrouvés seuls sur le terrain du

« développementpersonnel » laissé en jachère par le

système officiel.

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sont retrouvés seuls sur le terrain du « développementpersonnel » laissé en jachère par le système officiel.La réticence d’une grande partie de la corporation desenseignants à l’égard d’une pédagogie plus exigeantequi certes rend l’enfant acteur mais qui, du mêmecoup, lui fait attendre de son professeur bien autrechose qu’un enseignement banalement scolaire ; lesméthodes actives étaient valorisées dans les discoursplus que dans les faits ; comme le dit Antoine Prost,

« à partir du milieu des années 70, on a assisté au retouren force des pédagogies les plus scolaires ».

Malgré la loi d’orientation de 1989, le programme « lamain à la pâte » a révélé les difficultés de l’Éducationnationale à mettre en place en 1996 (encore !) un pro-gramme d’apprentissage actif pour l’enseignementdes sciences de la Terre à l’école primaire, sous l’im-pulsion du prix Nobel de physique Georges Charpak.La société n’avait pas besoin alors de former des com-portements d’autonomie et de créativité qui n’étaientpas nécessaires dans des organisations fondées sur lacommande et le contrôle. Les institutions issues de l’École nouvelle se sont éloignées elles-mêmes de l’es-prit de leurs fondateurs, et elles ont perdu aujourd’huil’essentiel de leur savoir-faire au moment où l’on enaurait le plus besoin.

« Ce qui est étrange, écrit Robert Skidelsky, c’est que peud’écoles cherchèrent à appliquer les mêmes méthodes àdes élèves plus âgés. »

Histoire de la formation expérientielle

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Les institutions issues de

l’École nouvelle se sontéloignées elles-mêmes

de l’esprit de leursfondateurs, et elles

ont perdu aujourd’huil’essentiel de leur

savoir-faire au moment où l’on en aurait

le plus besoin.

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La formation

expérientielle

Ajoutons qu’il est également étonnant que l’on n’aitpas adapté l’apprentissage actif à la formation desadultes. Le souffle d’Uriage se reconnaît dans de raresinstitutions, mais aucun courant de formation actived’adultes n’est apparu en France, contrairement auxpays anglo-saxons.

Quand John Dewey s’installe à Chicago en 1896, il ins-crit ses enfants à la Cook County School du colonelParker, la Mecque de l’Éducation nouvelle. S’il passeaujourd’hui pour être le père de l’Éducation nouvelleaux États-Unis, c’est qu’il publia en 1916 Démocratie etéducation qui connu, un grand retentissement, qu’ilne préconisa jamais de recettes pédagogiques maisproposa une philosophie de l’expérience, et qu’il eutdes disciples influents. Il a rendu hommage à Jean-Jacques Rousseau sans lequel les éducateurs réforma-teurs n’auraient jamais réalisé leur œuvre. Il fut untemps où l’on ne jurait que par son nom en Amérique,où toute école se voulait « expérientielle », en Chinedont la réforme de 1992 s’inspira de ses théories, enTurquie où il fut invité par le gouvernement deMustapha Kemal en 1924, en URSS où il se rendit en1928, et dans plusieurs pays arabes, notamment l’Irak.Ce mouvement connut malgré tout un échec car onimita des pratiques dont on fit des recettes, mais l’onrevient aujourd’hui vers lui car il est la source non derecettes mais de méthodes à expérimenter : le principede continuité de l’expérience.

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Aucun courant de formation

active d’adultes n’estapparu en France,

contrairement aux pays

anglo-saxons.

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« Ce n’est qu’en extrayant à chaque moment présent lapleine signification de chaque expérience présente quenous nous préparons à faire la même chose à l’avenir »,écrit Dewey. « L’effort et le désir se présentent d’eux-mêmes quand il y a conflit dans l’expérience, quand l’en-fant ne parvient pas à ajuster les fins et les moyens... Sil’enfant se désintéresse, c’est bien souvent parce quel’école est coupée de la vie... Toute activité n’est pasbonne par le seul fait d’être une activité, et il ne suffitpas de remplacer la lecture par le travail manuel pourfaire de l’éducation une éducation progressive ; l’activitédoit être une auto-activité dans une situation maîtriséepar un sujet... »

Tout cela résonne étrangement à notre époque, etdans notre pays, où l’on retrouve une fois de plus ledanger d’instrumentalisation de cette méthode péda-gogique, par facilité ou par ignorance. La philosophie de l’expérience de John Dewey reposesur deux principes clés :

« Les deux principes de continuité et d’interaction (tran-saction) sont inséparables. Ils distinguent et unissent. Ilssont pour ainsi dire les aspects longitudinaux et latérauxde l’expérience. Des situations différentes se succèdent,mais, conformément au principe de continuité, quelquechose des premières passe aux suivantes. De mêmequ’un individu passe d’une situation à une autre, sonmonde, son environnement, se dilate ou se contracte...Ce qu’il a acquis de savoir et de savoir-faire dans unesituation précédente devient un instrument de compré-hension et d’action efficace dans les situations sui-vantes. »7

7. Lectures in China, 1919-1920,John DEWEY, University Press ofHawai, 1973.

Histoire de la formation expérientielle

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Pour l’éducateur américain, l’éducation qui ne prendpas les formes de la vie est un pauvre substitut de laréalité qui empêche le développement de l’épanouis-sement de l’enfant. C’est à la lettre enseigner à nageren faisant les mouvements en dehors de l’eau. Le pro-grès n’est pas dans l’ordre des études, mais dans ledéveloppement de nouvelles attitudes et de nouveauxintérêts à l’égard de l’expérience. La méthode del’Experiential Education repose selon Dewey surquatre principes :

1. Le côté actif précède le côté passif, le travail mus-culaire précède le développement sensoriel :Tenter de développer les capacités de raisonne-ment, les capacités de jugement, sans se référerau choix et à l’organisation des moyens de l’ac-tion est d’après lui, l’erreur fondamentale desméthodes de formation traditionnelles.

2. L’image est le grand instrument de l’instruction.L’enseignant doit consacrer plus de temps à ceque les élèves se forment des images précises desobjets auxquels ils sont confrontés durant uneexpérience.

3. Les intérêts sont les signes et les symptômes dudéveloppement d’une capacité.

4. Les émotions sont le réflexe des actions. Si l’en-seignant pouvait seulement faire acquérir deshabitudes d’action et de pensée correctes concer-nant le bon, le vrai et le beau, il n’aura pas la plu-part du temps à s’occuper des émotions.

Apprendre par l’expérience

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L’École nouvelle, et son propagateur américain JohnDewey, s’intéressent à l’éducation des jeunes enfants.C’est en Europe que naît l’idée d’appliquer ces prin-cipes pédagogiques à la formation d’adolescents etd’adultes.

Au cours de l’été 1903, trois élèves d’Abbotsholme,l’une des première écoles nouvelles anglaises, décidentde faire le tour de l’Allemagne du Sud, raconte RobertSkidelsky. L’ami allemand de l’un d’eux, Kurt Hahn, lesaccompagne. Il a alors seize ans. Les deux jeunesanglais communiquent à leur ami leur enthousiasmepour leur extraordinaire directeur Cecil Reddie, etpour ses principes éducatifs fondés sur la formation ducaractère et pas uniquement de l’intellect. En lisant lelivre de Herman Lietz, fondateur de l’École nouvelleen Allemagne, lui-même inspiré par Cecil Reddie, KurtHahn a envie de fonder une telle école et sent que sonavenir est scellé. Il appartient à une riche famille d’in-dustriels et de pédagogues juifs. Entre 1904 et 1914, ilétudie dans les universités de Berlin, Heidelberg,Göttingen. Un de ses professeurs lui dit :

« Si vous cherchez du nouveau dans ce qui est vieux, cen’est pas dans les universités allemandes que vous devezétudier. Allez à Oxford. »

Il ne peut étudier que par intermittence, à cause d’uneinsolation. Il doit suivre des cures, et passe ses étés enÉcosse du Nord où il s’imprègne de la beauté des pay-sages. À Oxford, Hahn étudie avec Stewart, le platoni-cien de son époque, et emprunte plusieurs idées qui

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Kurt Hahn fonde

l’Outdoor Education

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serviront de base à son système éducatif. Le jeuneAllemand conçoit en 1913 une école fondée sur cesprincipes ; la guerre et l’écroulement de l’Allemagnelui confirment l’urgence d’une régénération sem-blable à celle que voulait Platon pour ramener lesAthéniens aux vieilles vertus. En 1919, le prince deBade, dont il est le secrétaire particulier, a pour ambi-tion de résoudre par l’éducation les problèmes poli-tiques de l’Allemagne et décide de fonder avec lejeune pédagogue une école nouvelle dans une aile deson château familial de Salem, près du lac deConstance. Le programme combine le savoir et l’actionvisant à former des « hommes complets ». Chaquesamedi après-midi des équipes d’explorateurs, de fer-miers ou d’artistes (l’école n’accueille que des garçons)se lancent à la poursuite de la « grande passion. »

« Le succès dans la sphère où l’on est faible, affirmeHahn, est souvent une aussi grande source de satisfac-tion que le triomphe dans celle où l’on excelle. »

Il intravertit les extravertis et extravertit les intravertis,suivant sa formule. Les « bouquineurs » doivent êtreorientés vers les activités pratiques, les enfants à l’es-prit pratique, vers les joies de l’intellect. Les sports,« qui n’attirent que l’athlète doué », sont limités àdeux après-midi par semaine, mais les expéditions sontencouragées car elles développent l’endurance. Lesélèves doivent aussi subir des échecs afin d’apprendrela modestie. Inspirés par les moines cisterciens, quioccupèrent le château de Salem jusqu’en 1804, Hahnfait du devoir de « service » une des « grandes pas-sions » de son système éducatif.

Apprendre par l’expérience

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Le succès dans la sphère

où l’on est faible, affirmeHahn, est souvent

une aussi grande sourcede satisfaction que le triomphe dans

celle où l’on excelle.

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Au moment de la montée du nazisme, le juif Hahntente d’orienter un groupe des Jeunesses hitlériennesformé dans son école vers les valeurs d’une élite plato-nicienne ! Ils demeurent délinquants. Ce pédagogueidéaliste ne croit tout simplement pas en la réalité dumal, et il faut attendre l’incident de Potempa pour luifaire découvrir la vraie nature de la doctrine nazie.Durant l’automne 1932, cinq SA furent emprisonnés etjugés pour avoir tué un jeune communiste à coups depied devant sa mère. Hitler leur adressa un télé-gramme de félicitations dans lequel il les appelait sescamarades. Alors Hahn réagit courageusement endemandant à ses élèves de choisir entre Salem etHitler. Arrêté par les nazis en mars 1933, relâché surl’intercession de ses amis anglais et de leur premierministre, il s’exile en Angleterre où il décide de rétablirSalem.

Les libéraux anglais reçoivent à bras ouverts leurhomologue allemand. Hahn, qui sait soigner sa publi-cité, fait au début de 1934 une série de conférencessous le patronage de l’Association de l’éducation nou-velle. Ses auditeurs découvrent un pédagogue repre-nant l’héritage de Cecil Reddie, mais sont plusimpressionnés par sa personnalité que par son dis-cours. Hahn estime que le désir de puissance est l’ins-tinct dominant chez l’homme. Son but est de lesatisfaire sans gêner les autres. L’alpinisme parexemple fournit à l’homme « la joie de conquérir sansavoir à humilier le conquis. » Un groupe de figureséminentes de la politique et de l’éducation encouragel’exilé allemand dont les principes s’opposent au

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L’alpinismefournit

à l’homme la joie deconquérir sans avoir

à humilier le conquis.

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laxisme des écoles libertaires. Ils ont le mérite de voiren Hahn le successeur de Reddie, et non le propaga-teur de l’autoritarisme germanique en pleine montéedu nazisme. Il fonde en Écosse l’école de Gordonstoun.Dès 1935, il accueille 45 élèves, dont 15 viennent deSalem. Parmi ces exilés allemands, le futur princePhilip. L’actuel duc d’Édimbourg, qui voudra que leprince Charles suive la même formation, reconnaîtêtre le produit du système éducatif de Hahn :

« Hahn, se souvient-il, trouvait toujours quelqu’uncapable de transformer ses idées en pratique et formeviable. Il portait toujours un chapeau, même en jouantau tennis ou au hockey. Son visage était presque rond. Iladorait le téléphone sans penser que cela coûtait cherde parler à l’autre bout du monde. Il était distrait aupoint de dire à quelqu’un qui frappait à la porte de lasalle de bains où il prenait un bain : « entrez », puis seravisant : « mais pas maintenant. » Si Hahn était enthou-siaste, il manquait d’humour ; il avait horreur desgrandes villes. »

Le pédagogue est frappé par la « déchéance » de lajeunesse anglaise, annonciatrice du déclin del’Empire : l’égoïsme, la paresse, la maladie, la misère.La formation du caractère, par le choix d’un bon envi-ronnement, et la santé de la vie au grand air sont lesremèdes à ces déficiences nationales, comme l’ondisait à l’époque, mais le scoutisme est déjà lui aussi endéclin.

Lawrence Holt, président de la Blue Funnel Line, unegrande compagnie de marine marchande, constateque ses jeunes marins, pourtant physiquement solides,résistent beaucoup moins que les plus anciens lors-

Apprendre par l’expérience

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qu’ils se retrouvent en situation de survie à bord descanots de sauvetage, en pleine bataille del’Atlantique. Concluant que ce n’est pas la force phy-sique qui fait la différence mais la force intérieure, ilfonde en octobre 1941 à Aberdovey, au pays de Galles,une école nautique et de « formation accélérée ducaractère » qu’il nomme Outward Bound, l’école duGrand Large. Il confie la conception pédagogique dece programme à Kurt Hahn, qui choisit lui-même JimHogan pour la mettre en œuvre.

« Il me trouvait peu aimable et irritable, me dit Hogan àpropos de Hahn lorsque je le rencontre en 1985, et moije le trouvais irréaliste. »

Malgré ces orages, l’homme que je rencontre quelquesannées avant sa mort semble irradié du bonheurd’avoir créé avec les « lieutenants » allemands del’« autoritaire » Hahn (Chew et Zimmerman) une inno-vation germano-britannique en pleine SecondeGuerre mondiale. Le but de cette école est de formerle caractère par des difficultés à surmonter en équipe :canotage, alpinisme, sauvetage en montagne et enmer, longues expéditions, athlétisme. La philosophiede Hahn est claire :

« On ne devrait imposer aucune opinion à un élève, maisil est criminel de ne pas le pousser à vivre des expé-riences, la maîtrise de soi à travers l’aventure et l’expéri-mentation qui teste l’esprit et le corps. Outward Boundest dédié à la survivance de ces qualités : une curiositéentreprenante, un esprit indéfectible, la ténacité dans larecherche, l’empressement à une auto-évaluation réa-liste et, par-dessus tout, la compassion. »

Histoire de la formation expérientielle

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On ne devrait imposer aucune

opinion à un élève, mais il est criminel

de ne pas le pousser à vivre

des expériences.

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L’homme se manifeste par ses actes. Cette convictionest à la base des concepts éducatifs de Kurt Hahn.L’importance est de faire quelque chose plutôt qued’en parler.

C’est le monde de l’entreprise qui sait en premierreconnaître la valeur de l’apprentissage actif pour laformation des adultes. Lors de l’inauguration d’unedeuxième école en 1950 dans la Région des lacs, leministre de l’Éducation déclare aux patrons qu’yenvoyer leurs apprentis « ne serait pas une dépensemais un investissement. » Les motivations des indus-triels qui accordent leur soutien à Outward Boundsont exprimées en 1965 par le directeur du personneld’une grande entreprise :

« Nous avons de sérieuses obligations vis-à-vis de nosactionnaires... et pour les remplir nous avons besoin degens responsables, de délégués du personnel quisachent aussi parler raison à leurs mandants ; nous avonsbesoin de contremaîtres, de directeurs et de chefs dupersonnel qui possèdent les mêmes qualités. Nous avonsbesoin de gens intègres, justes, équilibrés et qui ont unsens aigu de leurs responsabilités. Nous sommes convain-cus que même un court séjour dans une école OutwardBound peut éveiller ces qualités chez quelques-uns et lesdévelopper chez beaucoup. »

Sir Spencer Summers voit trois raisons au succèsd’Outward Bound : le désir d’éviter aux jeunes la ten-tation de compter sur l’État-providence pour survivre ;le désir de combattre la délinquance juvénile ; lebesoin de combler le fossé entre les classes aisées et laclasse ouvrière.

Apprendre par l’expérience

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C’est le monde de l’entreprise

qui sait en premierreconnaître la valeur de

l’apprentissage actif pourla formation des adultes.

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Pour l’anecdote, c’est un mécène français qui financeen partie les innovations pédagogiques de Kurt Hahn,et suggère pour son école la devise en français de lafamille d’Orange « Plus est en Vous », comme à Uriage.Après avoir fait fortune dans le commerce autour de lamer noire, Antoine Besse propose au gouvernementfrançais de consacrer une partie de cette fortune à lacréation d’une école formant les qualités de caractèrequ’il avait bien du mal à trouver parmi ses employés.On lui sourit gentiment en l’invitant à donner sonargent... à la soupe populaire. Puissions-nous un jourtrouver un autre Antoine Besse...

L’Outdoor Education de Kurth Hahn, première adapta-tion des principes de l’École nouvelle pour les adultes,devient au niveau international le support le plus uti-lisé de la formation expérientielle en entreprise,comme dans l’Éducation et l’insertion des minorités etdes jeunes « à risques ». L’expansion actuelle de cetteméthode dans plus de 30 pays est le résultat d’uneévolution, à commencer par l’introduction de la mixitéen 1969. Avec le temps, le mouvement de l’OutdoorEducation (Outward Bound et de nombreuses autresorganisations fondées par les disciples de Hahn) aappris à s’adapter à des besoins très variés sans jamaisdénaturer son concept.

« Il y a seulement deux legs durables que vous pouvezespérer donner à vos enfants, déclarait le directeur d’uncélèbre collège anglais : des racines et des ailes. »

Histoire de la formation expérientielle

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L’Outdoor Education

de Kurth Hahn, premièreadaptation des principesde l’École nouvelle pourles adultes, devient auniveau international

le support le plus utiliséde la formationexpérientielle en entreprise.

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1986 : Hors limites

crée en France

la formation

expérientielle et

l’Outdoor Education

L’Outdoor Education contribue de nos jours à « donner desailes dans la tête » à des millions de jeunes et d’adultes dansle monde.

C’est dans les forêts de l’Orénoque en 1980 qu’est née l’idéede fonder en France l’Outdoor Education. Imprégné depédagogie active par mon engagement scout à Versailles età Fréjus-Saint-Raphaël, et par la formation d’animateurs decentres de vacances à l’UFCV de Nice, j’ai un profil psycholo-gique très « boy scout », orienté vers un idéal de service etde dépassement de soi. Fils d’ingénieur des Eaux & Forêts, lanature a toujours été pour moi une école de la vie. Aprèsmes études d’administration publique à Lyon et de droitinternational à la Sorbonne, je décide d’interrompre une car-rière de fonctionnaire à l’Aviation civile (je participais à lanégociation d’accords aériens et représentais, à 28 ans, laFrance au sein de la commission « redevances de route »d’Eurocontrol à Bruxelles), pour partir durant une année« sabbatique » avec mon ami Alain Rastoin au Vénézuéla,dans les pas des naturalistes Alexandre de Humboldt et AiméBonpland. Parrain de notre expédition « Équinoxe » l’écri-vain et futur académicien Jean-Marie Rouart écrit :

« L’aventure, le goût du risque et du dépassement, la bour-geoisie du XIXe siècle les a honnis comme un ferment d’hérésieà une société d’ordre, comme un dissolvant social qui risquaitd’écarter du droit chemin l’homme du juste milieu qu’elle prô-nait, équilibré, adapté et appliqué. Combien de personnes ontainsi perdu leur âme dans ce gaufrier à promotion dont, hélas !nous avons hérité... C’est donc contre un lourd héritage de lasociété et de l’Histoire qui fait de nous des carriéristes spéciali-sés, des outils aptes à une seule fonction, des hommes mutilés,

Apprendre par l’expérience

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L’Outdoor Education

contribue de nos jours à « donner des ailes

dans la tête »à des millions

de jeunes et d’adultes

dans le monde.

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qu’ont voulu réagir Alain Kerjean et Alain Rastoin. Et cen’est pas un hasard si ces deux jeunes fonctionnaires ontdécidé de marcher sur les traces aventurièresd’Alexandre de Humboldt qui, à la fin du XVIIIe siècle,remonta le cours de l’Orénoque : cet explorateur à lafois naturaliste, géographe, homme politique, écrivainest le type de l’homme complet. »

Nous découvrons une région inexplorée et les IndiensYanomami, mais nous nous découvrons surtout nous-mêmes, avec nos forces et nos faiblesses. Si l’aventurenous révèle, pourquoi ne pas imaginer une école quidévelopperait par l’action et la nature, sans allez jus-qu’en Amazonie, ces qualités de caractère qui, nous lepressentons, vont être sollicitées par l’époque danslaquelle nous entrons ? L’aventure est à la mode, etnous participons à cet engouement par nos livres etnos documentaires de télévision. L’Afrique de l’Ouestdans les pas de René Caillié, l’Orénoque à nouveaupour raconter l’aventure humaine de l’ethnologueJacques Lizot... L’idée mûrit jusqu’au moment où desamis me disent : « Cette école dont tu nous parlesexiste déjà en Angleterre ; ce sont les Outward BoundSchools... » Durant l’été 1985, je pars donc au Pays deGalles avec un preneur de son pour réaliser un docu-mentaire de télévision sur ces « écoles du possible. » Jedécouvre à Aberdovey et à Ronyar, puis à Eksdale dansla Région des lacs non seulement un mouvementpédagogique extrêmement élaboré et influent maisses responsables brillants et d’une rare valeurhumaine. De retour à Versailles je me plonge dans« l’archéologie » de cette pédagogie active et jeconstate que, loin d’être un concept anglo-saxon, la

Histoire de la formation expérientielle

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Si l’aventure nous révèle,

pourquoi ne pas imaginerune école qui

développerait par l’actionet la nature, ces qualités

de caractère qui, vont êtresollicitées par l’époque

dans laquelle nous entrons ?

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formation expérientielle et son support principalOutdoor adaptent en réalité pour les adultes l’héritageoublié de Jean-Jacques Rousseau et de l’École nouvelle.Mon destin est scellé, comme l’aurait dit Kurt Hahn : jedécide de me consacrer à la fondation de ce mouve-ment en France auquel je donne le nom de « Horslimites. » Notre devise est alors « L’aventure vousrévèle. »

Pour ne pas réinventer l’eau chaude, je décide dem’appuyer sur l’expérience des Outward BoundSchools, tout en restant fidèle à cette idée intuitiveélaborée parmi les Yanomami, et à la tradition de l’École nouvelle française. Le 19 mars 1986, l’associa-tion est fondée au café Procope à Paris, où Rousseaupuis Humboldt avaient leurs habitudes, avec AlainRastoin et Didier Maignan. Le premier stage pourjeunes a lieu au Logis du Pin, dans le Haut-Var du 31octobre au 7 novembre 1987 (jeunes inscrits par desmunicipalités, la DDASS, le GRETA, le programme « Défi jeunes » du ministère de la Jeunesse et desSports), suivi du premier séminaire d’entreprise pourdes cadres de Pernod des dirigeants de PME et des pro-fessions libérales. C’est encore Jean-Marie Rouart quiécrit :

« L’aventure est aussi une magie : celle qui fait croiredans la grisaille collective, l’asservissement du quotidien,qu’un individu, à l’existence forcément banale, assujettià tant de contraintes communes, s’est hissé, grâce à uneexigence supérieure, au-dessus de la mêlée afin den’avoir pas seulement une vie, mais un destin. La maî-trise de ce destin, c’est l’ambition de Hors limites qui aengagé un pari : celui de faire accéder le plus grand

Apprendre par l’expérience

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nombre aux ambitions, aux plaisirs, mais aussi aux res-ponsabilités de l’aventure. »

« Tout le monde peut vivre l’aventure Hors limites, il suf-fit de se hisser sur la pointe des pieds »,

affirme Gérard d’Aboville présent lors du premierstage. D’autres parrains et amis accompagnent les pre-miers pas de l’Outdoor Education : Jean-Louis Servan-Schreiber, fondateur de L’Expansion, qui me permetde connaître Guy Rullaud, mon complice pour le lan-cement de nos séminaires en entreprises sous le labeldu CNPF, dont il dirigeait l’institut de formation(IRPOP) ; Daniel Hémard, patron de Pernod, qui vientde lancer son projet d’entreprise « Une entreprise enaventure » ; le grand commis de l’État, neveux de LéonBlum, François Bloch Lainé, qui fit acheter les îles desGlénans pour la fondation de l’école de voile lorsqu’ildirigeait la Caisse des dépôts ; Dominique Glocheux,auteur à 25 ans du best-seller La Boss génération ;Georges Vanderschmitt, alors directeur de la jeunesse ;François Léotard, qui a l’idée du site des premiersstages ; SAS le prince Albert de Monaco devient notreprésident d’honneur :

« La pratique de plusieurs disciplines sportives, nous dit-il, m’a conduit à considérer que l’éducation académiquetraditionnelle n’assure pas toujours suffisamment la for-mation du caractère et de la personnalité. Par contre,une activité physique liée à la confrontation à des pro-blèmes concrets à résoudre en milieu naturel aide assu-rément les jeunes à acquérir la confiance, l’autonomie,la responsabilisation et l’esprit d’équipe, si nécessaires àla réussite de leur carrière professionnelle et de leur vieen société. »

Histoire de la formation expérientielle

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Les stages Hors limites connaissent dès le début un suc-cès médiatique extraordinaire. Tout commence par unarticle de deux pages dans le journal Libération signéAnne-Sophie de Kristoffy :

« Pour casser une routine sclérosante, l’association Horslimites organise des stages où la prise de risques phy-siques prépare les cadres à affronter les nouveaux défisde l’entreprise. »

Définition un peu courte, mais le reportage a le mérited’intéresser la presse écrite et audio-visuelle, ainsi queles professionnels de la formation continue et lesentreprises telles que Hewlett Packard, la GénéraleSucrière, Digital, Exxon Chemical, ou le prestigieuxINSEAD de Fontainebleau où nous formons pendantcinq ans le top management international. Dans ledomaine social, nous participons aux principaux dispo-sitifs d’insertion de jeunes et d’adultes, et mettons enœuvre pour la Croix Rouge française le programme« Crusoé » pour 2 400 jeunes de tous horizons.5 000 personnes découvrent en 7 ans que « plus est ennous. » Dès 1988, nous devenons le premier pays latindu mouvement Outward Bound fondé par Holt etHahn en 1941.

En 1994, l’association « Apprendre par l’expérience »prend le relais de « Hors limites » pour démultipliercette idée novatrice dans l’éducation et l’insertion,avec le concours de la présidence de la Commissioneuropéenne les deux premières années de mise enplace. Elle forme des formateurs de jeunes en diffi-

Apprendre par l’expérience

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culté à la demande du Conseil régional d’Île-de-France. Nous construisons un ropes course, parcoursd’aventure dans les arbres, que nous avons introduiten France en 1987 ; un concept beaucoup copié maisjamais égalé dans sa dimension pédagogique. Lasociété « Expérientiel » se consacre aux programmesmanagement et à la labellisation de ce nouveau cou-rant de la formation des adultes. Son label« Mousqueton » garantit en France le respect des cri-tères pédagogiques et de sécurité de l’OutdoorTraining.

Nous formons entre autres les équipes des jardineriesTruffaut, des hypermarchés Cora, des magasins Marks& Spencer, de Mars, de General Electric MedicalSystems, d’EDF, d’Airwell de l’université Thomson, deHewlett Packard ou Axa Instrument Managers, leséquipes de direction des établissement de formationagricole... Nous concevons des modules intégrés dansles séminaires de nos collègues consultants : TheOxford Group, Real Change, Brathay Hall, HGC.

Histoire de la formation expérientielle

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Les temps ont changé : agir sur les capacités relationnelleset sur les comportements n’est plus une idée à la modemais devient une idée moderne. Les entreprises ont enfinla volonté de passer à l’acte.

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Chapitre 15

Les principespédagogiques

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Apprendre par l’expérience

[364] © Éditions d’Organisation

Malgré le recours aux universitaires québécois sensés leséclairer en français sur de nouvelles approches améri-caines, nos universitaires et stratèges de la formationdes adultes ne font pas encore la différence entre « expérience formatrice » (alternance, histoire de vie...)et « formation expérientielle » (expérience conçue parun formateur pour des formés). Le plus déconcertantest que ces « experts » citent les bons auteurs, maiscroient trouver la mise en pratique de leurs idées dansdes concepts totalement étrangers à leurs principespédagogiques : les jeux de rôle, les outils « papier-crayon », l’analyse a posteriori d’expériences sociales ouprofessionnelles... Des consultants d’entreprise croientpouvoir assimiler cette formation nouvelle à desapproches relevant du même courant cognitiviste.Comparaison n’est pas raison. Il faut je crois chercher lescauses de cette incompréhension dans l’envahissant ver-biage de nos spécialistes et dans leur incorrigible ten-dance à tout intellectualiser. Comment comprendredans ces conditions une pédagogie non verbale, et lerôle non interventionniste de nos « facilitateurs » ?Contrairement à eux, la plupart des fondateurs de laformation expérientielle ont un point commun, c’estleur anti-intellectualisme. Ces « irrationalistes » détes-tent le savoir livresque qui coupe l’homme de l’univers,l’empêche de vivre pleinement, de réagir d’une manièreauthentique et spontanée devant les gens et les choses,de comprendre profondément la vie. Kurt Hahn parexemple n’est absolument pas un penseur original ousystématique. Il puise aux sources les plus diverses(Platon, les cisterciens, Goethe, Reddie, les collèges tra-ditionnels anglais, Baden Powell, Max Weber et beau-coup d’autres). Un journaliste lui demande un jour :

La plupart des fondateurs de la formation

expérientielle ont unpoint commun, c’est leuranti-intellectualisme. Ces

« irrationalistes »détestent le savoirlivresque qui coupe

l’homme de l’univers,l’empêche de vivre

pleinement, de réagird’une manière

authentique et spontanéedevant les gens et les

choses, de comprendreprofondément

la vie.

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Les principes pédagogiques

« Docteur Hahn, qu’y a-t-il de nouveau dans votre péda-gogie ? »

Il répond :

« Feriez-vous confiance, pour vous opérer de l’appendi-cite, à un chirurgien qui se vanterait d’expérimenter unetoute nouvelle méthode ? Vous feriez sûrement plusconfiance à un chirurgien qui s’inspire des meilleuresidées de ses confrères... »

Le succès de Hors limites a agacé nos « penseurs » dela formation des adultes et l’on insistait sur mon profild’aventurier, comme si cela empêchait de réfléchir. Ontrouvait intéressant ces stages « outdoor », mais onremarquait que tout cela manquait de fondementsthéoriques, sans même percevoir le modèle théoriquequi sous-tend les exercices, or, les moyens de cettepédagogie sont très simples, mais le savoir-faire néces-saire pour les mettre en œuvre est très sophistiqué.

Les principes pédagogiques de la première école de KurtHahn s’appliquent parfaitement à la formation activedes adultes. On y retrouve les idées de Rousseau dansL’Émile et de Goethe dans La Province pédagogique.

1. donner l’opportunité d’une découverte de soi-même ;

2. faire que l’élève vive des triomphes et desdéfaites ;

3. donner l’opportunité d’un effacement de soidevant une cause commune ;

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Feriez-vous confiance,

pour vous opérer de l’appendicite,

à un chirurgien qui sevanterait d’expérimenter

une toute nouvelle

méthode ?

Les 7 lois de Salem

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Apprendre par l’expérience

4. prévoir des moments de silence.

5. former l’imagination ;

6. rendre le jeu (pas la compétition) important maispas prédominant ;

7. libérer les enfants favorisés de leur agaçant sensdes privilèges.

Cette pédagogie a l’originalité de mettre l’accent surdes défis à relever, non pas comme un but mais commeun instrument de formation de la volonté de lutterpour la maîtrise de soi.

« Il y a trois moyens de persuader les jeunes, dit le péda-gogue allemand : Il y a la persuasion, il y a la contrainteet il y a l’attraction. Vous pouvez prêcher : c’est unhameçon sans ver ; vous pouvez ordonner d’être volon-taires : c’est de la malhonnêteté ; vous pouvez faireappel à eux, « on a besoin de vous », et cet appeln’échouera jamais. »

Il est convaincu que des leaders naturels émergentlorsqu’un groupe doit résoudre des problèmes engrandeur nature au lieu de jouer à des jeux sans consé-quences réelles. Nous développerons plus loin les prin-cipes de l’Outdoor Training, mais il est juste de poserici les bases à la fois théoriques et pratiques de la for-mation expérientielle. Des théoriciens non praticiensont confirmé ensuite par leurs travaux et découvertesla valeur des principes de l’École nouvelle et de lagéniale intuition de Kurt Hahn. L’Outdoor Education,juste retour des choses, s’enrichira elle-même de cesapports théoriques.

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Des leaders naturels

émergent lorsqu’ungroupe doit résoudre desproblèmes en grandeurnature au lieu de jouer

à des jeux sansconséquences

réelles.

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Le but de la formation expérientielle n’est pas de pro-poser une troisième alternative aux théories behavio-ristes et cognitivistes, mais plutôt de suggérer à traverscette théorie une perspective holistique intégrative dela formation qui combine expérience, perception,cognition et comportement. Trois modèles théoriquesinspirent la définition américaine de l’Experiantiallearning :

• John Dewey, et la philosophie de l’expérience ;

• Jean Piaget, et le développement de l’intelli-gence par l’expérience ;

• Kurt Lewin, et le cycle d’apprentissage par l’expé-rience réflexive.

Notons d’entrée de jeu que Dewey représente auxÉtats-Unis l’héritage européen de l’École nouvelle, etque Piaget et Lewin sont européens.

Kurt LEWIN (1890-1947), psychologue et sociologueallemand réfugié aux États-Unis en 1932, enseignedans plusieurs universités (Stanford, Cornell, universitéde l’Iowa), et prend la direction du Centre derecherche dynamique de groupes à l’Institut de tech-nologie du Massachusetts (MIT) en 1944. Fondateur dela psychologie sociale américaine, il étudie le « com-portement organisationnel. » En 1946, il cherche unenouvelle approche du leadership et de la formationpar des dynamiques de groupe. Un groupe d’étudiantsayant participé à des mises en situations dans un « T-group » (groupe de formation) demandent àLewin de participer également à l’évaluation qui estfaite le soir par les seuls enseignants. Le psychologue

Les principes pédagogiques

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Le but de la formation

expérientielle n’est pas de proposer une

troisième alternative auxthéories behavioristes

et cognitivistes,mais plutôt de suggérerà travers cette théorie

une perspectiveholistique intégrative dela formation qui combineexpérience, perception,

cognition etcomportement.

Les théoriciens

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Apprendre par l’expérience

découvre alors que l’apprentissage est nettement faci-lité par cette tension dialectique entre une expérienceconcrète et une prise de recul analytique. Par la miseen commun des expériences immédiates des formés etdes modèles conceptuels des formateurs, une atmo-sphère ouverte est créée avec une remarquable vitalitéet créativité. D’où un modèle d’apprentissage compre-nant une expérience concrète « ici et maintenant »,suivie d’une série de données d’observations au sujetde cette expérience ; les données sont ensuite analy-sées et les conclusions de cette analyse sont renvoyéesaux acteurs de l’expérience pour en tenir compte dansl’élaboration d’une « théorie » ou « hypothèse » denouveaux comportements, qui seront appliquées dansune nouvelle expérience. Ce modèle met l’accent surl’expérience concrète « ici et maintenant » pour vali-der et tester des concepts abstraits, et il est fondé surdes processus de feedback. On retrouve là une évi-dente similitude avec les principes de l’École nouvelledans une conception dialectique de l’apprentissageintégrant l’expérience, les observations et les concepts.

Jean PIAGET (1896-1980), psychologue suisse, fait sesétudes à Neuchâtel, puis, en 1919, à la Sorbonne, etcommence à étudier le développement des capacitéscognitives. En 1956, il crée à Genève le Centre interna-tional d’épistémologie génétique, qui réunit des cher-cheurs des sciences exactes (mathématique, physique)et des sciences humaines (psychologie, linguistique).Élève d’Alfred Binet, créateur du premier test d’intelli-gence, Piaget est surtout connu pour avoir décrit lesstades du développement de l’enfant menant à la pen-

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Le psychologue

découvre alors quel’apprentissage est

nettement facilité parcette tension dialectique

entre une expérienceconcrète et une prise

de recul analytique.

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Les principes pédagogiques

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sée conceptualisée. Au stade sensorimoteur, de la nais-sance à deux ans, le nourrisson acquiert son contrôlemoteur et la connaissance des objets physiques. Austade opérationnel concret, de sept à douze ans, l’en-fant commence à aborder des concepts abstraitscomme les nombres et les relations. Enfin, au stadeopérationnel formel, de douze à quinze ans, il accèdeau raisonnement logique et systématique. À contre-courant de la tradition rationaliste française, les théo-ries de Piaget ne sont pas, jusque dans les années 60,acceptables pour la tradition empirique de la psycho-logie américaine, et pour les standards rigoureux desbehavioristes. Piaget lui-même, plus descriptif que pra-tique, avait quelque dédain pour l’orientation prag-matique de ses collègues américains. À la suite de Piaget, d’autres psychologues cogniti-vistes, tels Erikson, soulignent que le développementse poursuit bien après l’école et l’université, à traversles défis de la vie d’adulte. On reconnaît aujourd’huique l’apprentissage est un processus tout au long de lavie. C’est seulement à la fin de sa carrière que le psy-chologue suisse s’intéresse au processus d’apprentis-sage par l’expérience. Selon lui, l’intelligence n’est pasinnée mais est le produit d’une interaction entre lapersonne et son environnement. Cette interactions’opère d’abord par accommodation des concepts àexpérimenter dans la réalité, puis par assimilation desévènements et expériences réels dans les conceptsexistants. Lorsque le processus d’accommodationdomine l’assimilation, nous avons une imitation (lemodelage de soi) ; lorsque l’assimilation prédominel’accommodation, nous avons la manipulation (l’impo-

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L’intelligence n’est pas innée

mais est le produit d’uneinteraction entre la

personne et sonenvironnement.

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sition de son concept sans regarder les réalités de l’en-vironnement). Le processus de la croissance cognitivedu concret à l’abstrait et de l’actif au réflexif est basésur cette transaction continuelle entre l’accommoda-tion et l’assimilation. Il se produit en plusieurs étapes,chacune incorporant ce qui est arrivé avant en unniveau de fonctionnement cognitif nouveau et plusélevé.

D’autres théoriciens apportent leur contribution àcette école de pensée, à commencer par Jung (1923)pour lequel apprendre implique le fonctionnementintégré de l’organisme total : pensée, perception, sen-sibilité et comportement.

Né à Chicago en 1902, Carl ROGERS influence la forma-tion expérientielle, surtout avec la publication en 1966de son œuvre maîtresse Le développement de la per-sonne. Il s’intéresse particulièrement à la relationd’aide qu’il définit comme étant une situation danslaquelle l’un des participants cherche à favoriser chezl’une ou l’autre partie ou chez les deux une apprécia-tion plus grande des ressources latentes de l’individu,ainsi qu’une plus grande possibilité d’expression et unmeilleur usage fonctionnel de ces ressources. Pourcréer cette relation, il faut être réel, se montrer tou-jours tel qu’on est, exister en dehors de l’autre, ne pasavoir un comportement qui pourrait être interprétécomme une menace, et ne pas émettre de jugementde valeur, ni positifs ni négatifs.La « non directivité » de cette relation d’aide n’est pasdans l’absence du désir d’influencer mais dans la dis-

Apprendre par l’expérience

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Apprendre implique le

fonctionnement intégréde l’organisme total :pensée, perception,

sensibilité etcomportement.

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ponibilité à être influencé en retour. C’est l’inverse dela manipulation, car il appartient à chacun de sedécouvrir :

« Je ne puis déléguer à personne le soin d’évaluer ou demesurer la signification (de mes actes). »

Il ajoute :

« Mon expérience m’a montré que fondamentalement,tous les hommes ont une orientation positive : mieux unindividu est compris et accepté, plus il a tendance àabandonner les fausses défenses dont il a usé pouraffronter la vie, et à s’engager dans une voie progres-sive... Je ne puis qu’essayer de permettre aux autres, etde les laisser libre de développer leur propre libertéinterne afin d’atteindre une interprétation signifiantepour eux de leur propre expérience. »

Rogers insiste sur la valeur de l’expérience dans unprocessus de développement :

« J’en suis arrivé à croire que les seules connaissances quipuissent influencer le comportement d’un individu sontcelles qu’il découvre lui-même et qu’il s’approprie... Cesconnaissances découvertes par l’individu, ces vérités per-sonnellement appropriées et assimilées au cours d’uneexpérience, ne peuvent être directement communiquéesà d’autres. »

Cet apprentissage par l’expérience est subordonné àquelques conditions : être placé dans une situationque la personne perçoit comme un problème sérieuxet lourd de sens ; le thérapeute se présente réellementtel qu’il est et montre une considération positive

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J’en suis arrivé à croire que les seules

connaissances quipuissent influencer

le comportement d’unindividu sont celles

qu’il découvre lui-même

et qu’il s’approprie...

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inconditionnelle ; il a une compréhension empathiquede l’autre.

Professeur de comportement organisationnel à l’univer-sité Case Western Reserve, aux États-Unis, David KOLB aconçu en 1984 un modèle théorique sur lequel nousnous sommes appuyés dès nos premiers séminaires troisans plus tard. Il synthétise les théories de l’École nou-velle, et notamment de John Dewey, de Jean Piaget etKurt Lewin. En introduction à son ouvrage1 il affirmeque les humains ont cette particularité unique des’identifier au processus d’adaptation lui-même parl’apprentissage. L’accélération du changement, la mon-dialisation et la société cognitive rendent obsolète lastratégie pédagogique d’enseignement frontal. Kolbrappelle qu’apprendre est le processus majeur del’adaptation humaine. Il cite Arthur Chickering :

« La formation des adultes doit faire plus que dévelop-per des compétences verbales et déposer des informa-tions dans ces banques de données entre les oreilles. Ellepeut contribuer à une forme de développement intel-lectuel plus complexe et à la dimension plus subtile dudéveloppement humain requise par une citoyennetéeffective. »

D’après ce modèle, le processus d’apprentissage est un« cycle expérientiel » composé de quatre étapes : l’ex-périence concrète, suivie de l’observation réflexive, quiconduit à la conceptualisation abstraite et à la géné-ralisation, c’est-à-dire à l’élaboration d’une hypothèseà tester dans la quatrième étape d’expérimentation

1. Experiential learning, David A. KOLB, Prentice Hall,1984.

Apprendre par l’expérience

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L’accélération du

changement, la mondialisation et la

société cognitive rendentobsolète la stratégie

pédagogiqued’enseignement

frontal.

Le modèle théorique

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active. Cette application de la conceptualisationamène à vivre une nouvelle expérience, et le cycle ainsirecommencé forme la spirale de plus en plus large del’apprentissage par l’expérience.

Figure 7 – Le cycle expérientiel

Reprenant les travaux des théoriciens de l’expérience,et en particulier de Piaget, Kolb définit l’apprentissageexpérientiel comme un processus par lequel desconnaissances sont créées à partir d’une transforma-tion de l’expérience. Ces connaissances nouvelles résul-tent de la saisie (préhension) de l’expérience et de satransformation.

Les principes pédagogiques

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Le processus

d’apprentissage est un « cycle expérientiel »composé de quatre étapes : l’expérienceconcrète, suivie de

l’observation réflexive, qui conduit à la

conceptualisationabstraite et à la

généralisation, c’est-à-dire à l’élaboration d’unehypothèse à tester dans

la quatrième étaped’expérimentation

active.

Conceptualisationabstraite

Observationréflexive

Expérimentationactive

Expérienceconcrète

Transformation

par EXTRAVERSION

Transformation

par INTROVERSION

APPRÉHENSIONémotionnelle (connaître)

APPRÉHENSIONcognitive (savoir)

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Sur un premier axe vertical du modèle, la préhensions’effectue de deux modes opposés : d’une part l’ap-préhension, lorsque l’apprenant base sa préhensionsur les caractéristiques tangibles et ressenties de l’ex-périence vécue, et d’autre part la compréhension,lorsque l’apprenant base sa préhension de l’expé-rience sur ses représentations mentales et son inter-prétation théorique. En français, comme dans denombreuses langues, il existe d’ailleurs des mots diffé-rents pour désigner ces deux modes de saisie d’uneexpérience : « connaître », pour la perception émo-tionnelle et concrète, et « savoir », pour la perceptioncognitive et abstraite. Kolb rapproche ces deux pôlesdes modes de fonctionnement des deux hémisphèresdu cerveau. Lorsque la partie droite du cerveau prédo-mine, le fonctionnement est concret, global et spatial,analogique et synthétique, et la saisie se fait parappréhension (connaître) ; lorsque la partie gauche ducerveau est dominante, c’est la pensée abstraite, sym-bolique, analytique et verbale qui prévaut (savoir). Dupoint de vue de la formation expérientielle, les deuxmodes d’apprentissage ont une importance égale.Kant souligne leur interdépendance :

« Les pensées sans contenu sont vides ; les intuitions sansconcepts sont aveugles. »

Albert Einstein décrit aussi la relation entre connaîtreet savoir :

« Pour moi il ne fait pas de doute que nos pensées n’uti-lisent pas pour la plupart les signes (mots) et ont unconsidérable degré d’inconscience. »

Apprendre par l’expérience

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L’approche expérientielle ne substitue pas un irration-nel absolu au dogmatisme actuel des connaissances,mais considère que le savoir doit être éprouvé par l’ex-périence, et vice-versa. Goethe n’écrit-il pas que :

« l’ordre de la nature est de diviser ce qui est uni etd’unir ce qui est divisé » ?...

Sur l’axe horizontal du modèle de Kolb, l’expérienceest transformée suivant deux modes opposés : l’inten-tion consiste en une réflexion intérieure caractérisantl’observation réflexive ; l’extension est une manipula-tion active du monde extérieur, caractéristique de l’ex-périmentation. Ces deux modes de transformations’appliquent aussi bien aux connaissances acquises parappréhension (connaître) qu’à celles acquises par com-préhension (savoir). Kolb rapproche ces deux modesde transformation des types psychologiques de CarlJung : l’introversion (intention) et l’extraversion(extension). Plusieurs études ont montré que l’intro-version/extraversion est une des caractéristiques lesplus stables de la personnalité depuis l’enfance jusqu’àla vieillesse.

Notre « machine à créer du savoir à travers la trans-formation de l’expérience » fonctionne de quatremanières différentes : l’expérience saisie à travers lacompréhension (savoir) et transformée par intensionproduit un savoir assimilateur.

« Les personnes apprenant de cette façon sont plusorientés vers les concepts abstraits que vers les autres : lathéorie doit paraître logique et précise. »

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Quand l’expérience saisie à travers la compréhension(savoir) est transformée par extension, le résultat estun savoir convergent.

« Ces personnes contrôlent leurs émotions et préfèrentdes tâches techniques plutôt que des thèmes sociaux. »

Quand l’expérience saisie par appréhension (connaître)est transformée par extension, le résultat est un savoiraccommodateur.

« Ces personnes pragmatiques, perçues comme impa-tientes et volotaristes, préfèrent résoudre des problèmespar essai-erreur plutôt que les théories. »

Enfin, lorsqu’une expérience est saisie à travers l’ap-préhension (connaître) est transformée par intension,le savoir produit est divergent.

« Les personnes ayant ce style d’apprentissage s’intéres-sent aux autres et sont orientées vers les sentiments ; ellessont à l’aise dans les réunions de créativité qui demandentdes idées nouvelles et une forte implication. »

Le fonctionnement de cette machine à produire dusavoir varie d’une profession à l’autre et naturelle-ment d’une personne à l’autre ; par exemple, un scien-tifique recherche la meilleure approximation de lavérité absolue et est formé socialement pour éviter leserreurs « irresponsables », alors que le politicien estperpétuellement confronté à l’impératif de l’actiondans l’incertitude ; faire quelque chose a pour lui lapriorité sur l’idéal. Un mathématicien peut mettre unfort accent sur des concepts abstraits, alors qu’un

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poète peut valoriser plus fortement l’expérienceconcrète. Un manager peut être essentiellementconcerné par l’application active d’idées, alors qu’unnaturaliste peut développer fortement ses compé-tences d’observation.Puisqu’il y a, dans le cycle expérientiel, deux modes depréhension et deux modes de transformation, il enrésulte quatre formes élémentaires d’apprentissage.Kolb, comme avant lui les Britanniques Peter Honey etAlan Mumford, voit quatre styles d’apprentissage :concret ou abstrait, actif ou réfléchi (chapitre 12). La personne concrète s’implique d’une manière person-nelle dans les expériences et les relations humaines,valorise les sentiments plutôt que la pensée, s’intéresseplus à l’expérience « ici et maintenant » qu’aux théorieset généralisations. Son approche est plus « artistique »que « scientifique ».

La personne réfléchie privilégie la compréhension desidées et problèmes plutôt que leurs applications pra-tiques ; elle s’intéresse à ce qui est vrai plutôt qu’à cequi marche ; elle aime plus la réflexion que l’action.La personne abstraite s’oriente vers l’élaboration dethéories et d’hypothèses, plus que vers la compréhen-sion intuitive des événements ; elle privilégie la pen-sée, la logique, les idées et les concepts, plutôt que lessentiments et les intuitions.La personne pragmatique cherche à influencer lesautres et à changer les situations ; les applications pra-tiques sont plus importantes que la compréhensionthéorique ; elle privilégie l’action et ce qui marche,plutôt que la réflexion et ce qui est vrai.

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Puisqu’il y a, dans le cycle

expérientiel, deux modesde préhension et deux

modes de transformation,il en résulte quatre formes

élémentairesd’apprentissage.

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Nous l’avons dit à propos du questionnaire des stylesd’apprentissage de Honey et Mumford, une personnepeut, suivant les circonstances, avoir des styles diffé-rents dans une même journée. Il est très utile, en for-mation comme en management, d’être conscient deces différences, ne serait-ce que pour travailler davan-tage « dans la sphère où l’on est le plus faible ». DavidKolb prend l’exemple d’une rose posée sur son bureau.

« Je transforme intentionnellement mon appréhensionde la rose en faisant porter mon attention sur ses diffé-rents aspects, notant la délicate couleur rose, non pasunie mais graduée subtilement du très clair au trèsfoncé. Je sens son parfum délicat, ce qui évoque de fugi-tifs souvenirs. Je ne peux résister alors à l’impulsion quime pousse à transformer extensionnellement l’expé-rience, à saisir la rose et à la porter à mes narines. Je mepique le doigt sur une épine, et poursuit ma connais-sance de la rose un peu plus, ce qui stimule mesréflexions et sentiments internes... »

Arthur Diekman, cité par Kolb, décrit deux orienta-tions de notre système nerveux : une conscience activeet une conscience réceptive.

« Le mode actif est un état organisé pour agir sur l’envi-ronnement. Le système musculaire strié et le système ner-veux sympathique sont les agences physiologiquesdominantes. Les manifestations physiologiques de cet étatsont l’attention ciblée, la logique centrée sur l’objet, uneperception accrue des limites et une domination des carac-téristiques formelles de la sensation... Ce mode actif est unétat d’effort, orienté vers la réalisation de buts personnels,qui vont de l’alimentation à la défense, pour obtenir desrécompenses sociales, divers plaisirs symboliques et sen-

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Il est très utile, en

formation comme enmanagement, d’être

conscient de cesdifférences, ne serait-ce

que pour travaillerdavantage « dans la sphère où l’on

est le plus faible ».

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suels, aussi bien que l’évitement de diverses souffrances...Par contre, le mode réceptif est un état organisé autour del’intégration dans l’environnement plutôt que vers uneaction sur cet environnement. Le système de perceptionsensoriel est l’agence dominante plutôt que le systèmemusculaire, et les fonctions parasympathiques tendent àêtre prééminentes. L’attention est diffuse, le processus depensée paralogique ; la perception des limites est réduite ;le sensitif domine le formel. »

Selon cet auteur, le mode actif a tendance à dominer lemode réceptif dans la société humaine ; cependant, lescultures orientales ont tendance à donner plus d’impor-tance au mode réceptif (yoga, zen, méditation...).

Le modèle expérientiel souligne la faiblesse de notre sys-tème scolaire et de nos formations d’adultes en général,qui mettent l’accent sur la théorie et la réflexion. La sai-sie de l’expérience par compréhension et sa transforma-tion par intention y sont trop privilégiées ; et il seraittemps de rétablir l’équilibre. Une citation de Confuciusest souvent reprise dans nos brochures ; elle résume biencet autre manière d’apprendre :

J’entends et j’oublie.Je vois et je me souviens.Je fais et je comprends.

À l’instar de Kant et des autres « épistémologistesinteractifs », les théoriciens de la formation expérien-tielle font la synthèse entre les rationalistes et lesempiristes : l’esprit possède a priori l’équipement quile rend capable d’interpréter l’expérience, et la véritéest le produit de l’interaction entre les formes de l’es-prit et les faits matériels de l’expérience des sens.

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Le mode actif est

un état organisé pour agirsur l’environnement.

Le mode réceptif est unétat organisé autour de l’intégration dans

l’environnement plutôt que vers

une action sur cetenvironnement.

Arthur Diekman

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Le cycle de Kolb explique pourquoi nous disons qu’uneexpérience n’est pas formatrice en soi, et que, pourl’être, elle doit être transformée par la réflexion. Cemode d’apprentissage est si décalé par rapport à notreéducation cognitive qu’il est loin d’être spontané chezla plupart d’entre nous et qu’il doit être travaillé. Lesrares ouvrages en français qui évoquent le modèle deKolb, le plus souvent sous la plume d’universitairesquébécois, commettent un hors sujet lorsqu’ils recher-chent parmi les méthodes de formation d’adultes sesapplications. Or, ces méthodes existaient bien avantKolb et ont des critères très précis inconnus desauteurs de ces ouvrages. Apprendre par l’expérienceest loin d’être quelque chose d’automatique au début,mais, lorsque on s’y est entraîné d’une bonne manière,on en éprouve une satisfaction assez forte et on enobtient des résultats assez satisfaisants pour avoirenvie de reproduire ce processus longtemps après,peut-être plus inconsciemment que consciemment.Pour développer ce mode d’apprentissage et renverserla perspective de l’enseignement traditionnel, il fautun entraînement spécial. La formation expérientielleoffre pour cela un simulateur de la vie réelle, un labo-ratoire d’expérimentation. Cette méthode est beau-coup plus sophistiquée que la simplicité des supportsutilisés pourrait le laisser penser. Il faut véritablementréussir une alchimie, un heureux concours de circons-tances, pour que le processus puisse opérer.

Comprenons les différents ingrédients de cette « phi-losophie de l’expérience. »

Apprendre par l’expérience

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La véritéest le produit

de l’interaction entre lesformes de l’esprit et les

faits matériels del’expérience

des sens.

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L’Association internationale de la formation expérien-tielle, dont nous venons de fonder avec nos collèguesla branche européenne, a élaboré en 1996, après unelarge concertation à laquelle nous avons participé, ladéfinition suivante :

La formation expérientielle est un processus par lequelun formé construit un savoir, une compétence et desvaleurs à partir d’expériences directes.

On retrouve le principe fondamental de l’Éducation nou-velle : le chemin (le processus d’apprentissage) compteplus que le but (les connaissances) ; c’est le formé qui estson propre professeur et qui apprend au travers d’activi-tés ; de cet apprentissage résulte des connaissances, maisaussi des attitudes et la définition de sa propre doctrine.Cette approche concerne l’alignement des croyances, desprocessus d’apprentissage et de décision, et des compor-tements. Le support utilisé est une série d’expériencesconcrètes sur lesquelles le participant peut agir. Cettedéfinition exclut les analyses a posteriori d’expériencespassées, les outils « papier-crayon », les jeux de rôle,études de cas et simulations. La formation expérientielleest un simulateur de la réalité quotidienne, mais lesactions, elles, ne sont pas fictives. Ce sont des problèmesà résoudre en grandeur réelle, avec des conséquencesimmédiates et réelles. Il n’y a pas de « zone tampon »entre les formés et l’expérience. Cependant, la simpleperception d’une expérience n’est pas suffisante pourapprendre ; « quelque chose doit être fait avec. » De lamême manière, la transformation seule ne peut repré-senter l’apprentissage ; pour cela, « quelque chose doitêtre transformé », une action sur laquelle agir.

Les principes pédagogiques

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La formationexpérientielle

est un processus parlequel un formé construit

un savoir, unecompétence et des

valeurs à partird’expériences

directes.

Définition internationale

de la formation

expérientielle

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Douze principes pédagogiques précisentcette définition générale.

1. Un choix rigoureux d’expériencessous-tendues par la réflexion, l’ana-lyse critique et la synthèse.Un exercice sera pertinent pour unepersonne ou pour un groupe, maispas pour une autre personne ou unautre groupe ; pour travailler sur unthème, mais par pour un autre ; à unmoment donné, mais pas à un autremoment. La situation doit avoir unevaleur de métaphore de la vie réelledes participants, c’est-à-dire qu’elledoit avoir une structure (isomor-phisme) et une complexité prochesdes situations qu’ils rencontrent dansleur activité professionnelle ; chacunaura alors tendance à se comportercomme il se comporte dans le quoti-dien. La mise en œuvre d’un pro-gramme et d’exercices prédéfinis estpar conséquent contraire à notrepédagogie. Ce principe indique quel’expérience ne suffit pas, et qu’elledoit être transformée par laréflexion, suivant le modèle expé-rientiel. Beaucoup de consultantsont imité nos premiers séminaires enplaquant sur des activités organisées

par un « technicien » les techniquestraditionnelles de feedback et lesmodèles théoriques classiques enmanagement. Le modèle de la for-mation expérientielle exige un pro-cessus beaucoup plus complexe etplus intégré que cela.

2. Des expériences structurées de tellesorte qu’elles sollicitent des formésl’initiative, la prise de décision et laresponsabilité des résultats.C’est une différence essentielle avecles approches magistrales du type« je sais et je vous enseigne. » Ici, leparticipant se forme lui-même enétant acteur. Il a à résoudre des pro-blèmes en tenant compte descontraintes et des ressources four-nies, et il existe plusieurs « bonnes »solutions et stratégies possibles.Contrairement à la vie en entreprise,les conséquences de ses choix sontimmédiates.

3. Les formés sont activement incités àse poser des questions, explorer,expérimenter, être curieux, résoudredes problèmes, assumer une respon-sabilité, être créatif, et se forger uneopinion.

Apprendre par l’expérience

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L’attitude de nos facilitateurs étonnecar ils n’apportent aucun conseil,aucune aide, aucun encouragementaprès avoir présenté le problème àrésoudre, et ils font l’unanimitécontre eux au début du séminaire :« À quoi servent-il ? », « Pourquoisont-ils payés ? »... Il faut du tempspour comprendre que leur rôle estessentiel pour réunir les conditionssubtiles de cet auto-formation, etque les acquis seront beaucoup plusprofonds et durables s’ils sont pourainsi dire physiquement mémorisés àtravers sa propre expérience et sapropre découverte.

4. Les formés sont impliqués intellec-tuellement, émotionnellement, so-cialement, affectivement etphysiquement ; cette implicationdonne une prise de conscience del’authenticité des tâches proposées.Il s’agit d’une formation holistiquequi implique le corps, le cœur et latête. Les activités sont marquées parle réalisme, la crédibilité et le senspratique. C’est encore un critère dis-tinctif par rapport aux approchesclassiques de la formation des

adultes en France qui ne touchent laplupart du temps que le niveau men-tal, la logique abstraite, le raisonne-ment et la théorie, et se coupentainsi de la réalité. Il n’y a change-ment de paradigme et d’attitudeque s’il y a une forte implication desparticipants ; or, les adultes ne s’im-pliquent que dans des tâches signifi-catives et nouvelles qu’ils ne jugentpas artificielles, inutiles ou puériles.

5. Les résultats de l’apprentissage sontpersonnels et constituent les basesde futures expériences et enseigne-ments.Les modes d’apprentissage commeles traits de personnalité étant trèsdifférents d’une personne à l’autre, ilest évident que les acquis sont indivi-duels ou relèvent d’un groupe don-né ; contrairement à des approchesthéoriques, les participants aurontd’ailleurs tendance à de pas révéler àl’extérieur l’intimité de leur histoiredans le séminaire expérientiel. Cesacquis sont le début du chemin ; lasuite du processus de développementprofessionnel appartient à chacun.

Les principes pédagogiques

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6. Les relations sont développées etentretenues entre : le formé et lui-même, le formé et les autres, leformé et le monde.On retrouve ici les trois maîtres enpédagogie d’après Jean-JacquesRousseau : soi, les autres et les choses.La formation expérientielle concerneà la fois l’individu, le groupe et l’or-ganisation, à des degrés divers sui-vant les groupes, les objectifs et parconséquent suivant les activités choi-sies. L’interaction avec l’environne-ment est la principale sourced’apprentissage de nouveaux com-portements et mentalités. Cela paraîtévident, pourtant l’environnementdont il est question dans lesapproches traditionnelles est limité àdes livres, un formateur et une sallede cours. L’environnement plus vastedu « monde réel » semble être large-ment rejeté par le système actuel.

7. Le formateur et le formé peuventexpérimenter la réussite, l’échec,l’aventure, la prise de risque, et l’in-certitude, sans que les résultats del’expérience puissent être totale-ment prévisibles.

La formation expérientielle est aussiappelée « formation fondée surl’aventure », avec son support out-door, parce qu’elle suppose une rup-ture avec la routine quotidienne etune situation de défi incitant à undépassement de soi. Le postulat estque l’homme progresse et change àl’occasion de crises. Si la mise enœuvre technique des exercices estparfaitement maîtrisée par nos for-mateurs, les réactions des partici-pants et ce que révèle ces mises ensituation sont elles imprévisibles,aussi bien pour les acteurs que pources facilitateurs. Notre pédagogie estpositive et valorise les premiers suc-cès pour encourager le participant às’investir encore plus dans le proces-sus.

8. Les situations permettent aux forméset aux formateurs d’explorer leurspropres valeurs.Souvenons-nous du modèle de l’ice-berg qui illustrait notre réflexion surle degré de profondeur d’une inter-vention dans une organisation (cha-pitre 10). La formation expérientielleagit aussi bien sur le niveau informel

Apprendre par l’expérience

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des aspects invisibles de la personna-lité (la carte mentale) que sur leniveau formel des aspects visibles (lescomportements), ce qui peutparaître étonnant si l’on considère labrièveté de nos interventions (de unà cinq jours en entreprise). Cetteaction en profondeur sur lescroyances est rendue possible par lanature et la structure des situationsproposées, ainsi que par la forteimplication qu’elles sollicitent.

9. L’essentiel du rôle du facilitateur estde concevoir des situations souhai-tables, de poser des problèmes et deslimites, de soutenir les formés, d’as-surer la sécurité physique et émo-tionnelle, et de faciliter le processusd’apprentissage.Le profil du formateur expérientielest très spécifique puisqu’il a unedouble compétence technique etrelationnelle. Il est illusoire d’imagi-ner que l’on puisse obtenir le mêmerésultat en associant un technicien(artiste, sportif, etc.) et un formateur

(consultant, phsychologue, etc.). Sontalent est de « faire le plus avec lemoins », de déclencher le processusd’apprentissage par l’expérienceavec le minimum d’intervention surle groupe, sauf lorsque la sécurité esten jeu.

10. Le formateur identifie et encourageles opportunités formatrices sponta-nées.Les participants à nos séminaires sontsouvent déconcertés devant l’ab-sence de programme préétabli et lasouplesse de notre approche. Nousne communiquons au client qu’uncanevas n’engageant pas les forma-teurs. Ceux-ci adaptent presqueheure par heure les activités en fonc-tion des réactions et des besoins dugroupe. Il est par exemple inutile detravailler sur la coopération si lepréalable d’un travail sur l’ouvertureau changement est jugé indispen-sable. Nos formateurs savent mettreen valeur les « données vivantes »importantes si elles surviennent.

Les principes pédagogiques

© Éditions d’Organisation [385]

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« Dans un séminaire ordinaire, si l’on échoue dans uneétude de cas, on encourt quelques critiques, écrit AlainMeignant dans Libération. L’avantage avec un stage “ outdoor ” c’est que, si l’on échoue dans la traverséed’une rivière, on coule. »

Il en est de même pour les autres supports expérien-tiels.Le lecteur ne s’étonnera pas de retrouver point parpoint dans cette définition les thèmes évoqués tout aulong de cet essai, réunis par la formation expérien-tielle dans une méthode de formation d’adultes. Cetteapproche ne se substitue pas aux autres, elle les com-plète. Ses douze principes pédagogiques forment untout cohérent qui perd l’essentiel de sa force si l’onfiltre les éléments qui conviennent, en écartant lesaspects les plus dérangeants. Par exemple, il est fautde prétendre se référer à l’approche expérientielle sil’on plaque des exercices sur une autre méthode, sil’on se contente de jeux de rôles et autres exercices qui

Apprendre par l’expérience

[386] © Éditions d’Organisation

11. Le facilitateur s’efforce d’être cons-cient de ses parti pris, de ses juge-ments et de la manière dont ilinfluence le formé.C’est parce que notre approche estanti-manipulatrice (nous avons unmodèle d’apprentissage mais aucunmodèle de fonctionnement à propo-ser aux entreprises) que le formateurdoit être conscient de l’influencequ’il peut exercer et qui pourraitparasiter l’auto-formation.

12. La conception de l’expérience forma-trice inclut la nécessité d’apprendre àpartir de conséquences réelles,erreurs et réussites.On revient avec ce dernier critère à ladéfinition de la formation expérien-tielle : un processus d’apprentissages’appuyant sur une expérienceconcrète en grandeur réelle surlaquelle le formé peut agir.

“”

Ses douze principes

pédagogiques forment untout cohérent qui perdl’essentiel de sa force

si l’on filtre les élémentsqui conviennent,

en écartant les aspects les plus

dérangeants.

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Les principes pédagogiques

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n’impliquent pas la globalité de la personne, si l’on selimite à la réalisation technique d’exercices, ou si leformateur parle et intervient au lieu de laisser agir lesparticipants. Une connaissance théorique de cetteapproche ne suffit pas ; sa maîtrise nécessite unelongue expérience au contact de formateurs expérien-tiels seniors.

À ce stade de l’implantation de la formation expérien-tielle en France, il est prématuré de former des forma-teurs expérientiels pour d’autres institutions que lanôtre. À l’instar de nos homologues anglo-saxons àleurs débuts, nous devons auparavant consolider nospositions avant de démultiplier notre action, tout enétant les garants dans notre pays de la philosophieexpérientielle. Les à peu près de consultants de bonnevolonté mais mal informés, ou d’universitaires enfer-més dans leurs préjugés, pourraient compromettre nosefforts. Cependant, à la demande du Conseil régionald’Île-de-France, nous initions en trois jours les éduca-teurs et formateurs de jeunes en difficulté aux prin-cipes généraux de l’apprentissage actif.

“”

Une connaissance

théorique de cetteapproche ne suffit pas ;

sa maîtrise nécessite unelongue expérience aucontact de formateurs

expérientiels seniors.

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Figure 8 – Comparaison de l’apprentissagetraditionnel et de l’apprentissage par l’expérience

Apprendre par l’expérience

[388] © Éditions d’Organisation

Critère Apprentissage Apprentissagetraditionnel par l’expérience

Qui apprend ? L’individu L’individu et le groupe

Le formé est : Récepteur Acteur

Le formateur est : Enseignant, Facilitateur, parfoisévaluateur participant

Rôle du formateur : Apporte des Crée les conditions d’unconnaissances processus d’auto-

apprentissage

Acquisitions Le contenu Le contenu et lecentrées sur : processus

Conceptualisation : Guidée par le Découverte par le forméformateur au travers de sa propre

expérience

Développement : Intellectuel Holistique (globalité de la personne)

Supports : Généralement Mise en situations réellespapier-crayon

Climat : Formel, Informel, confianceinhibant et acceptation mutuelle

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Les principes pédagogiques

© Éditions d’Organisation [389]

Il n’est pas surprenant que la nature soit internationale-ment le support dominant de la formation expérientielle.Il s’agit d’abord d’un retour aux sources de cette pédago-gie, née de l’idée rousseauiste que « la nature est un édu-cateur », et de l’intuition de Holt et Hahn, précurseurs dela formation active pour les adultes et de l’OutdoorEducation. C’est ensuite la meilleure application d’aumoins trois de ses douze principes : des défis à relever enextérieur offrent en effet l’expérience de l’aventure et dela prise de risque (principe n° 7), impliquant émotionnel-lement, socialement et physiquement les participants(principe n° 4), et ayant des conséquences réelles (principen° 8). Depuis 1941, l’Outdoor Education s’est enrichie del’apport des théoriciens de la formation expérientielle.Explorons dans le chapitre suivant les principes et lesapplications de cette formation en extérieur.

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Chapitre 16

Le développementprofessionnel

à traversla nature(OutdoorTraining)

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Apprendre par l’expérience

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« Si vous voulez que les gens voient les choses d’uneautre manière, écrit Ernest Hemingway, mettez-les dansun endroit où ils ne sont jamais allés. »

C’est ce que fait ou a fait une entreprise sur deux enGrande-Bretagne, au Benelux ou en Allemagne avecles séminaires en extérieur, et une trentaine d’entre-prises en France. En dépit d’une forte médiatisation etde l’impulsion de l’Union européenne, peu de gensconnaissent dans notre pays la réalité de cette péda-gogie active pour adultes. Dans « outdoor training »,la plupart ne retiennent que « outdoor », et ignorentqu’une expérience en dehors des murs de l’entreprisene suffit pas à modifier en profondeur son mode defonctionnement. Il est donc temps de définir ce quisera dans les prochaines années un des leviers du chan-gement des comportements dans nos entreprises.

L’Outdoor Education est définie en Grande-Bretagneen 1991 dans le programme national d’éducation etde formation. Les principales caractéristiques de cettepédagogie sont les suivantes :

1. L’utilisation de différents environnements pourun travail de terrain dans des disciplines commela géographie, l’histoire ou les sciences (levoyage avec un but) réunit les connaissances, lescompétences et la compréhension. Il s’agit d’uneforme pertinente de formation expérientielle.

Dans« outdoor

training », la plupart ne retiennent que

« outdoor », et ignorentqu’une expérience en

dehors des murs de l’entreprise ne suffit

pas à modifier enprofondeurson mode

de fonctionnement.

Une définition officielle

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Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

2. La formation dans la nature, comme une expédi-tion aventureuse, les activités de plein air ou lesexplorations interdisciplinaires, apporte unecontribution précieuse à une prise de consciencede l’environnement. Elle peut être utilisée pourdévelopper une compréhension et un respect à lafois de la nature et des autres.

3. Des expériences de cette nature peuvent faciliterune appréciation et un usage sensoriel, esthé-tique et créatif de l’environnement.

4. Les défis physiques et intellectuels requièrentl’utilisation de résolutions de problèmes, deprises de décision, de travail d’équipe, et la vie degroupe. Cela met au premier plan le besoin decompétences sociales, de coopération et de com-munication efficace. La tolérance, la sensibilité, leleadership et la responsabilité sont sollicités.

Le gouvernement britannique a décidé le 6 janvier 2000d’inclure à partir de l’an 2000 au moins un stage rési-dentiel en extérieur dans le cursus de formation detous les jeunes de ce pays. D’ores et déjà, il a étédécidé que d’importants fonds provenant de la loterienationale seraient affectés au développement del’Outdoor Education. La London Business School, hautlieu de la recherche en management des entreprises,inclut depuis de nombreuses années ces séminaires« Outdoor Training » dans ses cycles de formationcontinue. Comment en est-on arrivé à cette reconnais-

© Éditions d’Organisation [393]

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Apprendre par l’expérience

sance chez nos voisins d’Outre-Manche ? RogerPutman et David Hopkins répondent à cette questiondans leur livre Personal growth through adventure1.Roger Putman m’a fait découvrir sous le meilleur jourl’Outdoor Education lorsqu’il m’a accueilli en 1985dans l’Outward Bound School d’Aberdovey, qu’il diri-geait alors.

Selon Skidelsky,

« La contribution de Kurt Hahn a été l’éducation au tra-vers de l’aventure. L’amour de l’aventure, du danger, dudéfi, était la plus grande des « grandes passions » quidevraient « protéger » la jeunesse, et la plus répanduedans les aspirations de la nature de l’adolescent.Naviguer sur des mers dangereuses, partir pour desexpéditions, escalader des montagnes, sont des activitésd’hommes et non de garçons... »

Dans notre civilisation occidentale, nous disent cesauteurs, les voyages aventureux et les activités dans lanature ont toujours été vus comme un moyen d’aug-menter la connaissance de soi. Le caractère impliquantde l’action et le lieu inspirant contribuent au pouvoirde l’expérience. La valeur symbolique de tels voyagesa été reconnue dans la littérature : dans l’Odysséed’Homer, Ulysse quitte le confort, repousse les fron-tières de son existence et sonde les mythes et lesmonstres de son propre être mental et psychologique.J’ai moi-même pu expérimenter en Amazonie la valeurinitiatique de l’aventure ; Jean-Jacques Rousseau, quiinvite l’éducateur à « revenir aux mots seulementquand le faire est hors de question », a inspiré l’école

1. David FULTON Publishers, 1993.

“ ”Revenir

aux mots seulement quand le faire est hors

de question.

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romantique : Wordsworth, Coleridge, Blake, Byron etSheley réagissent à l’esprit scientifique et rationnel dusiècle des lumières, affirmant le pouvoir primal d’esca-pades sauvages. En Europe, la tradition du « GrandTour » éducatif pour les jeunes de la bonne société estalors bien établie. La première ascension du MontBlanc en 1786 et l’exploration de l’Afrique au XIXe

siècle ravivent l’intérêt pour les voyages.En introduction d’un ouvrage publié aux États-Unis en19902, Miles et Priest donnent une bonne définition dela pédagogie fondée sur l’aventure :

« Cette pédagogie implique la planification par rapportà un objectif et la mise en œuvre d’un processus éduca-tif qui implique un risque d’une certaine manière. Lerisque peut être physique, comme lors d’une randonnéedans une montagne sauvage où les gens peuvent êtrepris dans une tempête, peuvent se perdre où être bles-sés par la chute de pierres. Il peut être social, commelorsqu’on demande à quelqu’un de s’exposer à la peurde parler en public ou au jugement des autres. Le risquepeut être spirituel, comme lorsqu’on place le formé dansune situation dans laquelle il peut être confronté à soiou peut-être à la signification de la vie et de la mort. Lacaractéristique de la formation expérientielle est laconscience que le but essentiel de l’aventure est de s’ac-complir, d’apprendre à progresser jusqu’à la réalisationde son potentiel. »

Pour Colin Mortlock3, une situation d’aventure se pro-duit quand :

2. Adventure Education, VenturePublishing.

3. The Adventure Alternative,Cicerone Press, 1984.

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

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“”

La caractéristique de la formation

expérientielle est laconscience que le but

essentiel de l’aventure estde s’accomplir,

d’apprendre à progresserjusqu’à

la réalisation de son

potentiel.

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[396] © Éditions d’Organisation

Apprendre par l’expérience

« une personne a soudain peur d’une douleur physiqueet ne sent plus maître de la situation. Elle sent cepen-dant qu’elle peut, par un effort considérable sur elle, etde la chance, surmonter la situation sans accident. Elleaccepte que ses compétences soient testées. Elle estconsciente que le résultat a un certain degré d’incerti-tude. Si elle réussit, elle a expérimenté l’aventure. Elles’est découverte dans une situation qui devient gravéefortement dans sa mémoire, peut-être pour toujours.Elle a le sentiment de la satisfaction, sinon de l’ivresse.Le degré de satisfaction et de fierté est proportionnel àl’échelle et à l’intensité de l’aventure. »

Les aventuriers du bout du monde se reconnaissentdans cette définition et reconnaissent que la notiond’aventure n’est pas galvaudée dans la formationexpérientielle, même si le risque est beaucoup plusapparent que réel, et si la sécurité y est rigoureuse-ment assurée. Le parcours Hors limites de cordes et depoutres entre les arbres, faisant appel aux techniquesde l’escalade, est un excellent exemple d’aventuredans laquelle le danger est apparent. Il est la meilleuredémonstration que l’aventure est plus une question demental que de gros muscles ; d’ailleurs les femmes yréussissent souvent mieux que les hommes... Il n’estpas étonnant de retrouver parmi les fondateurs et par-rains de ce courant les plus grands noms de l’aventure,comme John Hunt, vainqueur de l’Everest en 1953,président quelques années plus tard de la NationalAssociation for Outdoor Education, ou Gérardd’Aboville, vainqueur de l’Atlantique et du Pacifique àla rame, parrain des premiers stages Hors limites en1987.

“”

Le degré de satisfactionet de fierté est

proportionnel à l’échelleet à l’intensité de l’aventure.

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Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

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L’impact aujourd’hui en Grande-Bretagne de la forma-tion expérientielle dans la nature est pour une grandepart le résultat d’une politique soutenue des pouvoirspublics et des organisations professionnelles. Dès lelendemain de la première guerre mondiale le Comitéconsultatif pour l’éducation recommande :

« Le cursus est à penser en termes d’activité et d’expé-rience plutôt qu’en termes de savoir à acquérir et àemmagasiner. »

La notion de « formation du caractère » réapparaîtavec les fondateurs de l’Ecole nouvelle anglaise, puispendant la seconde guerre mondiale avec Kurt Hahn.En 1943, on trouve dans le programme de l’enseigne-ment secondaire :

« L’expérience de la guerre a montré que les jeunes dece pays peuvent répondre à des situations demandantdu courage et de l’endurance ; ces qualités, espérons-le,seront orientées durant les années scolaires vers les acti-vités qui leur donnent libre cours et qui conduisent à desmétiers sollicitant les mêmes qualités en temps de paix...l’accroissement des performances personnelles, le dépas-sement des difficultés individuelles par la discipline etl’endurance, ont une signification morale profonde.L’effort individuel pour s’accomplir, le travail d’équipe etla coopération sont à encourager. Pour atteindre de telsstandards, nous devons accueillir favorablement lesépreuves d’endurance que procure l’environnement. »

Le gouvernement soutient de plus en plus la forma-tion expérientielle en extérieur. En 1950, une autoritélocale crée pour la première fois un centre de forma-

“”

Le cursus est à penser

en termes d’activité etd’expérience plutôt qu’en

termes de savoir à acquérir et

à emmagasiner.

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Les principes

pédagogiques

tion dédié à cette pédagogie et, en 1956, OutwardBound forme déjà les employés de 726 entreprises.Brathay Hall utilise pour la première fois pour ses pro-grammes management l’expression « formation audéveloppement ». Plusieurs rapports officiels recon-naissent la valeur du défi pour la formation des jeunes.

« Nous avons été intéressés de voir dans un groupe, lit-on dans le rapport Newson (1963), que les parents et lespremiers employeurs des garçons qui participèrent à unstage durant leur dernière année de scolarité remarquè-rent ensuite leur confiance en eux et une attitude res-ponsable. Il fait peu de doute que de nombreux élèvestirent bénéfice de ces expériences dans leur développe-ment personnel et social. »

En 1964, le Industrial Training Act reconnaît la valeurdes expériences aventureuses et plusieurs organisa-tions professionnelles sont prêtes à assumer le coût detelles formations engagées par les entreprises. Les pro-grammes en entreprises se développent rapidementdans les années 70. En 1971, existent déjà 500 centresoutdoor. La conférence de Dartington (1975) préconisel’intégration de l’Outdoor Education dans la stratégieéducative. Cette pédagogie est largement utilisée pourles jeunes chômeurs à partir de 1974, dont lesemployeurs reconnaissent ensuite les bénéfices :confiance en soi, estime de soi et attention sociale.

La conférence de Dartington définit en 1975 les prin-cipes de la formation expérientielle dans la nature,très inspirés de la théorie des trois maîtres en éduca-tion de Jean-Jacques Rousseau :

Apprendre par l’expérience

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“”

Les programmes

en entreprises sedéveloppent rapidement

dans les années 70.

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L’objectif le plus important de cette méthode est d’ac-croître la conscience et le respect pour :

• soi : découverte de soi, confiance en soi, auto-dis-cipline, développement de ses aptitudes phy-siques, atteindre et expérimenter la réussite,accepter la responsabilité et le leadership, aigui-ser sa perception sensorielle...

• les autres : planification, évaluation de progrès,leadership partagé, coordination d’activités,identification et utilisation de ressources locales,communication efficace, identifier ses caractéris-tiques et besoins personnels, aider les autres àapprendre, donner l’exemple...

• la nature : développer une affinité avec l’environ-nement, observer et décrire la nature, com-prendre les concepts écologiques, accepterl’importance de la protection de l’environne-ment, stimuler l’imagination.

Des exemples d’activités seront présentés dans le cha-pitre suivant, en prenant quelques exemples de pro-grammes réalisés en entreprise.

Les principes pédagogiques de notre méthode repren-nent les sept lois de Salem élaborées par Kurt Hahnpour sa première école de Salem :

1. La primauté de la découverte de soi :Le travail du formateur est d’aider les formés à découvrirqu’ils ont en eux plus qu’ils ne pensent.

2. L’importance de la réussite et de l’échec :Chacun a besoin de réussite, et une partie du travail du

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

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formateur est de donner aux stagiaires des occasions desuccès et de célébration de ces succès. Mais nos échecssont aussi notre chance. Nous apprenons davantage denos erreurs que de nos réussites. Apprenez aux stagiairesà dominer leur peur.

3. La valeur du service :Le formateur fait partie de l’équipage dans un stage, pasdes passagers. Nous avons besoin que l’on ait besoin denous. Non pas comme un cadeau du plus fort au plusfaible, mais comme une expression de la relation entre unêtre humain et un autre.

4. Équilibrer par du silence et de la réflexion :Prévoyez des périodes de solitude et de silence. Les sta-giaires ont besoin de solitude et d’occasions de réfléchirà leur vie et à leurs expériences. Très souvent les solutionsà un problème surgissent lors d’une méditation ou d’unrêve éveillé.

5. La collaboration plutôt que la compétition :Il est manifeste que les valeurs de confiance, d’estime desoi et des autres, permettent d’atteindre le développe-ment de l’individu et du groupe. Encouragez les sta-giaires à être en compétition non pas avec les autres maisavec le meilleur d’eux-mêmes.

6. Hetérogénéité :Les stagiaires doivent de préférence avoir les origines lesplus diverses pour pouvoir s’apprendre mutuellement.

7. Le monde réel :Placez les stagiaires dans une relation plus directe avec lemonde naturel et aidez-les à assumer leur responsabilitéen tant qu’utilisateurs de l’environnement. Respecter lanature incite à respecter les autres.

Apprendre par l’expérience

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L’utilisation consciente

de la métaphore

La formation expérientielle en extérieur est justementappelée « pédagogie de la métaphore », parce qu’elleutilise le support (le détour) de mises en situationssymbolisant et ayant la même structure que des situa-tions de la vie réelle des participants. Stephen Baconanalyse ce processus d’apprentissage par la méta-phore, et le rapproche des archétypes présents dansnotre mémoire collective4.Dans un séminaire expérientiel, on apprend en met-tant en relation des expériences antérieures avec desexpériences présentes en vue de confirmer ou de réor-ganiser notre sens de la réalité. Ces expériences n’ontapparemment rien à voir avec la vie professionnelle,mais pourtant elles demandent les mêmes compé-tences. Apprendre à escalader, par exemple, c’est aussiapprendre à garder son calme et à persévérer contredes difficultés apparemment insurmontables ; c’estaussi prendre du recul par rapport au problème repré-senté par la paroi. Apprendre à lire une carte topo-graphique aide aussi à apprendre à orienter sa carrière.Courir un marathon aide à sentir que l’on peut aller plusloin que l’on pense dans sa lutte pour la performanceprofessionnelle. La valeur métaphorique des ces situa-tions est perçue et assimilée de manière essentiellementinconsciente, comme l’a étudié le psychothérapeuteMilton Erickson. Ce processus cognitif complexe qui rat-tache les métaphores si fortement à des situations de lavie réelle est appelé « recherche transdérivationnelle. »Au lieu de contacter le monde tel qu’il est, les gens for-ment des modèles du monde dans leur esprit, basés surun filtrage de leurs perceptions, opinions et attitudesculturelles. Ce modèle est leur vision du monde ou cartede la réalité. La clé pour qu’une expérience soit ainsi

4. The conscious use of metaphorin Outward Bound, StephenBACON, Colorado OBS, 1983.

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

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La formationexpérientielle

en extérieur estjustement appelée« pédagogie de la

métaphore », parcequ’elle utilise le support(le détour) de mises en

situations symbolisant etayant la même structureque des situations de la

vie réelle des participants.

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inconsciemment décodée est l’isomorphisme (mêmestructure ou structure similaire) entre une expérience ensituation de formation et la vie réelle. Lorsque deuxsituations sont étroitement liées, la stratégie utiliséedans la vie courante prévaudra généralement dans leséminaire expérientiel, et le participant réalisera latâche de la même façon qu’il agit habituellement, d’oùla valeur de révélateur de ces métaphores. L’action estfondamentale pour que ce transfert s’opère, et nos for-mateurs ont une compétence unique pour créer detelles situations. Ils maîtrisent l’intervention métapho-rique :

1. Évaluer la réalité des participants.

2. Comparer avec la réalité souhaitée.

3. Éliminer l’écart entre la réalité évaluée et la réa-lité souhaitée au moyen de l’intervention méta-phorique.

Cette intervention a trois principes de base :

1. Comprendre le message psychologique impliciteau cours d’une activité expérientielle.

2. Adapter les activités du séminaire de façon à ceque les métaphores soient les plus isomorphiquespossible par rapport aux besoins de la vie réelledu groupe.

3. Maîtriser une série de techniques qui peuventaider la facilitation de défis métaphoriques.

L’évaluation de la réalité du groupe est la premièreétape du processus métaphorique. Un séminaire expé-

Apprendre par l’expérience

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Lorsque deux

situations sontétroitement liées,

la stratégie utilisée dansla vie courante prévaudra

généralement dans le séminaire expérientiel,et le participant réalisera

la tâche de la mêmefaçon qu’il agit

habituellement, d’où la valeur de révélateur deces métaphores. L’actionest fondamentale pour

que ce transferts’opère.

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rientiel dans la nature est rapidement révélateur dumode de fonctionnement des individus et du groupeen raison de l’environnement créé par les formateurs.Le séminaire est un modèle microcosmique de la vieréelle ; un modèle plus simple mais avec les mêmes élé-ments essentiels. Presque tous les éléments critiquesdu fonctionnement des participants remontent à lasurface dés les premières heures. Leur appréciation surce qui est selon eux « bon » ou « mauvais » est trèsrévélatrice de leur fonctionnement présent auxniveaux intra et inter personnel. Plus le formateur ad’information sur les états psychologiques commel’autorité, la dépression, la perspicacité ou l’ennui,mieux il concevra le stage. Il utilise les exercices quirévèlent telle ou telle attitude qu’il souhaite tester.Une évaluation permet ensuite à chacun d’exprimer cequi s’est passé en lui, les émotions ressenties ; il nes’agit pas d’un dialogue ; ce moment, comme le ditBacon, « ne doit pas dégénérer en thérapie degroupe » comme certains consultants seraient tentésde le faire en « instrumentalisant » la formation expé-rientielle au service d’une toute autre approche. Nosformateurs n’ignorent pas l’approche thérapeutiquemais en utilisent les techniques de manière auxiliaireet avec délicatesse. Le formateur doit éviter deuxrisques : les participants réservés répètent les réponsesdes précédents ; le formateur est impatient de donnerdes leçons à propos des activités. Selon Bacon,

« le talent qui permet d’écouter, de comprendre, puis defaciliter le rêve d’un autre est un cadeau merveilleux »,

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

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Une évaluation permet ensuite

à chacun d’exprimer cequi s’est passé en lui,

les émotions ressenties ; il ne s’agit pas d’un dialogue.

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et j’ai moi-même, comme nos clients, beaucoup d’ad-miration pour les formateurs chez lesquels je trouvecette empathie. Cette intelligence relationnelle per-met d’évaluer l’état souhaité pour le groupe, combi-naison des besoins personnels et de la visionpersonnelle qu’a le facilitateur de l’Outdoor Training,en termes d’interdépendance, leadership, sécurité, res-ponsabilité, enthousiasme, humour, prise de risque,protection de l’environnement, etc. Chez nous, rien nepeut s’accomplir sans une vision personnelled’Experentiel.

Le formateur joue un rôle important dans sa manièrede présenter, « d’habiller » une activité. Par exemple,l’expérience d’une randonnée difficile sera radicale-ment différente si elle est présentée comme :

• une occasion de tester son endurance ;

• apprendre à aider les autres dans une difficulté ;

• découvrir quelque chose de nouveau dans safaçon de réagir au stress.

Un même exercice peut être présenté de deuxmanières différentes suivant le besoin du participant.Par exemple; notre exercice du « totem » au sommetduquel il s’agit de grimper, avant de se rétablir deboutau sommet et de se lancer dans le vide pour s’accro-cher à un trapèze (en toute sécurité bien sûr !). Le for-mateur choisira de présenter cet exercice à unepersonne craintive comme une occasion de dominer sapeur et son vertige, puis d’éprouver la joie intensed’être debout au sommet d’un mât de 9 m, alors qu’ilproposera à un participant sûr de lui une escalade

Apprendre par l’expérience

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Un même exercice

peut être présenté de deux manièresdifférentes suivant

le besoin du participant.

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esthétique et spirituelle : voler plutôt que grimper. Sil’ensemble du groupe est plutôt anxieux, le formateurdira :

« Ce parcours dans les arbres a été conçu pour découvrirla nature et vous-même sous un autre angle, et évolueragréablement entre les arbres ; peu importe si vous par-venez au sommet ; ce qui compte c’est votre relationavec la nature, l’équilibre, l’esthétique, le style » ;

si le groupe au contraire paraît dans son ensembleconfiant en lui, le formateur dira :

« Ce mât est un défi que vous relèverez en atteignant lesommet et en vous accrochant au trapèze » ;

l’éventuel succès sera magnifié. Le formateur peut uti-liser l’affectif et le comportement non verbal ; parexemple, il se met en colère lorsqu’un participant n’as-sure pas sérieusement la sécurité de son co-équipier ;les autres réaliseront ainsi qu’ils ont la vie d’un autreentre leurs mains ; à un autre moment le formateurreste silencieux pour susciter une plus grande atten-tion. Il est conseillé de minimiser les instructionsdirectes, surtout lorsqu’elles disent comment ressentirles choses...Après ce défi, le formateur encouragera subtilementles témoignages ; de son point de vue, la questionimportante ne sera pas ce qui est arrivé pendant l’ex-périence, mais comment les participants interprètentce qui s’est passé. Ces témoignages spontanés sontfavorisés par un climat, un lieu, une atmosphère, unetechnique.

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

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La question importante

ne sera pas ce qui estarrivé pendant

l’expérience, maiscomment les participants

interprètent ce qui s’est passé.

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Si les réussites sont valorisées dans nos séminaires, ony apprend aussi beaucoup par les échecs, et le talentdu formateur sera alors de recadrer l’expérience. Unejeune femme est la moins résistante du groupe lorsd’une randonnée, et elle sanglote. Le formateur pro-voque sa surprise en lui disant qu’elle est objective-ment la plus faible, mais que sa dépression est uneforme d’égoïsme.

« Maintenant l’important est comment tu vas faire faceà ce problème, et non ta dépression ou ton manque deconfiance ; tu penses à toi tout le temps ; le groupe ditque ta difficulté n’est pas un problème, et qu’il a tout letemps... tu peux y aller doucement. »

Elle sort de sa dépression et de sa défaite. Le but affi-ché de ce « recadrage » était d’aider cette personne àprendre du recul par rapport à sa mauvaise humeur,mais le but caché était de l’aider à marcher plus vitepour que sa randonnée devienne une expérience réus-sie. Dans ce cas, l’intervention est justifiée pour « dévé-rouiller » une situation. Dans un autre séminaire, unexercice complexe en forêt est interrompu car deuxparticipants sont malades (pas gravement). Le forma-teur leur tient ce discours :

« Vous pensez que cet exercice est seulement une ran-donnée dans la nature ? Vous dépensez pas tant d’ar-gent seulement pour tourner en rond ! Vous nedépensez tout cela pour apprendre quelque chose survous. C’est l’itinéraire intérieur qui fait la différence, pasle voyage extérieur : la qualité du voyage, pas la quan-tité. Faites-le avec style ! »

Apprendre par l’expérience

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Si les réussites

sont valorisées dans nosséminaires, on y apprend

aussi beaucoup par les échecs.

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Nombre de nos exercices évoquent les archétypes,concept développé par Jung : certaines manières d’or-ganiser et de comprendre le monde sont universelles ;ce sont des archétypes imprimés dans l’inconscienthumain, comme l’instinct chez les animaux.L’utilisation par la formation expérientielle de lanature comme lieu sacré est un archétype étroitementassocié au concept de transformation et de change-ment. C’est dans ce sens que l’on peut affirmer que lanature parle par elle-même. C’est au formateur des’appuyer consciemment ou inconsciemment, s’il lejuge utile, sur ce pouvoir d’évocation. Chaque acte etparole du formateur peut transmettre le message quela nature est un lieu spécial ; par exemple, il prendra leprétexte d’une petite détérioration pour créer artifi-ciellement une confrontation, ou il fera un courtexposé écologique sur l’isomorphisme de tel élémentnaturel avec le problème de l’équipe : si un participantrésiste au changement, une discussion pourra portersur le changement inévitable dans le processus naturel(eau-érosion-humus) et sur le commencement d’unenouvelle vie, ou bien sur les conséquences d’une résis-tance au changement (plus un arbre résiste au vent,plus il a de chance de s’abattre, d’être changé par levent).Un séminaire expérientiel et son inconfort physiqueévoquent pour beaucoup un rite de passage, l’arché-type du développement, de la maturation et de lacroissance. Souvent les participants ont une attitudeinfantile au début (régression) ; ils n’apprendront quesi le formateur maîtrise l’art d’être assez proche pourêtre un soutien à certains moments, mais assez loin

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

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L’utilisation par la

formation expérientiellede la nature comme lieusacré est un archétypeétroitement associé au

concept detransformation

et de changement.

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pour les laisser progresser eux-mêmes. Au fur et àmesure du déroulement du séminaire, le formateur estde moins en moins interventionniste. À la fin, un défiréussi qui eût été impossible à relever au débutmarque la progression et le passage initiatique.D’autres archétypes sont présents dans la formationexpérientielle :

• la justice : contrairement à la difficulté dans la viede l’entreprise de relier une action à un résultat,presque chaque activité comporte la chaînecause-effet ;

• le destin : chacun est à la merci de l’inconnu ; leformateur implique les participants dans la res-ponsabilité de la sécurité ;

• le leader : chacun a l’occasion d’être leader est derecevoir du feedback sur son style, par rapport àl’idée que le groupe se fait d’un leader ;

• la communauté : la bande est plus fondamentaledans l’humanité que les partenaires sexuels ; lesparticipants sont encouragés à tenir compte desbesoins des autres ;

• l’ermite : la société offre rarement l’occasiond’une quête existentielle ; le solo au milieu de lanature permet de prendre du recul et de réfléchirsur ses valeurs ;

• le héros : demander à tous de repousser leurslimites peut être utile pour quelques uns maispeut en désemparer d’autres ; le formateur doitadapter à chacun la rencontre avec un défi ;

Apprendre par l’expérience

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Au fur et à mesure dudéroulement du

séminaire, le formateurest de moins

en moinsinterventionniste.

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Le rôle du formateur-

facilitateur

• la montée au paradis : les orientaux comme les occi-dentaux parlent de la montée au paradis ; plusieursexercices du parcours Hors limites la symbolisent.

Le formateur doit pouvoir gérer l’échec d’une méta-phore Pour avoir un impact, une métaphore doit êtreneuve. En cas de répétition, les réponses seront sté-réotypées. Parfois, les réactions des participants peu-vent être trompeuses pour un formateur peuexpérimenté. Si une personne exprime de manière trèsaffective son ennui ou son manque d’intérêt, ce peutêtre le signe que la métaphore est très isomorphique.Ceux qui veulent quitter le séminaire (cela nous estarrivé une ou deux fois en 12 ans) sont ceux pour les-quels le séminaire est le plus adapté à leur vie ! Ilsn’ont peut-être pas assez été exposés à l’archétype.Bacon donne l’exemple d’un stagiaire très doué ayantun idéal humaniste d’égalité. La dichotomie entre sesconvictions égalitaires et le fait qu’il est nettementplus capable que la plupart de ses coéquipiers crée unmalaise. Les formateurs ne sont pas des thérapeutes,et les stagiaires ne sont pas venus pour être analysés,mais exceptionnellement une intervention thérapeu-tique est possible, non pas pour changer la personna-lité mais pour permettre à la personne de poursuivreson processus d’apprentissage.

Tout ce qui précède montre bien que l’important, dansla formation expérientielle, surtout en extérieur, cen’est pas la réalisation technique des exercices mais letalent des formateurs à réunir les conditions de cet

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Les formateurs ne sont pas des

thérapeutes, et les stagiaires

ne sont pas venus pour être analysés.

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auto-formation et un climat de confiance et d’accep-tation mutuelle. Le ratio international est de deux for-mateurs par groupe de 8 à 15 personnes, à la fois pourdes raisons pédagogiques et de sécurité ; nous ne tran-sigeons jamais sur ce standard de qualité. Comme ledit notre ami Roger Greenaway :

« La principale contribution du formateur est d’aider leformé à évoluer à travers le cycle d’apprentissage, sansinhiber la capacité naturelle des participants àapprendre »5.

Selon Carl Rogers, les facilitateurs doivent :

• être sensibles aux émotions des individus et dugroupe, savoir quand et comment intervenir, etquand rester en retrait ;

• montrer de l’empathie à l’égard des participants(qui sont en train d’expérimenter un événementnouveau) ;

• confronter leurs propres émotions à celles dugroupe et ne pas être distant ;

• être capables d’orienter une évaluation ;

• fournir un soutien non superflu lorsque les parti-cipants prennent davantage la responsabilité deleur propre apprentissage ;

• agir comme un modèle à suivre par les autres,plutôt que d’évaluer continuellement leur propreexpérience.

Roger Greenaway, que j’appelle amicalement« Monsieur du Chemin Vert » car il aime la France,

5. Competences of DevelopmentTrainers, R. Greenaway andC. BILL, Training Agency, 1989.

Apprendre par l’expérience

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identifie six éléments qui créent un climat d’apprentis-sage favorable :

1. optimisme et forte attente du formateur ;

2. respect de l’individualité du formé et de sonexpérience unique ;

3. variété, équilibre, intégration ;

4. risque, nouveauté, défi, effort, esprit entrepre-nant, formateurs se développant eux-mêmes etexplorant l’inconnu ;

5. négociation, avec les objectifs de formation régu-lièrement révisés et modifiés afin de maximiserleur pertinence ;

6. imagination, en utilisant d’autres modes d’ex-pression et d’expérience que le langage.

Dans son livre Learning to be Free (1967)6 Carl Rogersdécrit quelques conditions pour qu’un formateur faci-lite l’apprentissage actif :

1. Être confronté à un problème réel ;

2. La confiance en l’être humain ;

3. La vérité du formateur dans sa relation avec lesformés ;

4. L’acceptation inconditionnelle des sentiments etopinions, peurs et hésitations ;

5. L’empathie : comprendre les réactions de l’inté-rieur ;

6. Apporter une aide.

La maîtrise d’un formateur se vérifie lorsqu’il obtientle meilleur résultat en termes d’apprentissage et de

6. Traduit en français : Libertépour apprendre, Dunod.

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Les techniques

d’évaluation

développement professionnel, avec peu d’effortsapparents, comme un skieur qui descend une pisteavec seulement quelques mouvements sobres. Cetteapparente aisance est trompeuse : à la fin d’un sémi-naire, ce formateur est « vidé. »Par dessus tout, le formateur expérientiel doit fairesienne la philosophie de notre approche : « Nousavons tant en nous, et nous utilisons si peu. »

Un élément fondamental du cycle expérientiel estl’évaluation sans laquelle l’expérience n’est pasréflexive et ne peut donc pas être transformée enapprentissage. Elle occupe généralement 30 % dutemps d’une formation, mais produit 70 % des résul-tats. La maîtrise de cette étape et sa judicieuse inté-gration dans le séminaire font toute la différence avecun séminaire classique ou une mauvaise copie d’unstage « outdoor ».Nos formateurs disposent d’un éventail très large detechniques qui renouvellent la classique discussionautour d’un paper-board. Citons quelques exemples :

• rejouer l’action à évaluer, comme on le ferait enappuyant sur la touche « replay » d’un magnéto-scope ;

• l’art permet d’exprimer ce qui a été ressenti lorsd’une activité : la conception d’une affiche,fresque, BD, ou sculpture humaine...

• règles amusantes de prise de parole, par exemplecelui qui tient en main un conque (coquillage)peut conduire la discussion (l’objet circule suivantune règle précise) ;

Apprendre par l’expérience

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Par dessus tout,

le formateur expérientiel doit faire

sienne la philosophie denotre approche : « Nous

avons tant en nous, et nous utilisons

si peu. »

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• une charrette est symbolisée au sol par desbâtons ; chacun se positionne suivant son rôledans l’exercice évalué : tracteur, pousseur, sur leplateau, la roue, suiveur...

• une feuille circule de main en main et chacunajoute une phrase sur les enseignements d’unexercice ;

• chacun choisit dans la nature un objet représen-tant ce qu’il a découvert sur lui-même en expli-quant le symbole ;

• chacun se positionne à plusieurs moments duséminaire sur une échelle de progrès personneldessinée sur un tableau.

Le formateur prépare à l’avance les questions qui gui-deront l’évaluation du groupe, par exemple :

• Où en sommes-nous par rapport aux objectifs ?

• Qu’avons-nous appris dans cette activité ?

• Qu’avons-nous appris sur le fonctionnement denotre groupe ?

• Qu’avons-nous appris sur les autres ?

• Que pourrions-nous mieux faire ?

• En quoi cette activité ressemble-t-elle à notrecontexte professionnel ?

• Que pouvons-nous appliquer à notre travail ?

• Quels changements recommanderiez-vous ?

• Quel est notre plan d’action ?

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

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Un élémentfondamental

du cycle expérientiel estl’évaluation sans laquelle

l’expérience n’est pasréflexive et ne peut donc

pas être transformée en

apprentissage.

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Le feed back (littéralement « se nourrir en retour »)reste un « must » de la formation expérientielle. Ils’agit d’une information renvoyée à une personne surla manière dont elle est vue, mais non d’un jugement.Un travail préalable doit être fait afin de réduire lesréflexes de défense : l’art de donner et de recevoir dufeed back, l’acceptation de cet effet miroir, la percep-tion du feed back non verbal (les gestes, le ton de lavoix, les expressions...).

La question que les dirigeants d’entreprise se posentest :

« Qu’est-ce que ces escapades bucoliques font pournotre courbe du chiffre d’affaires et pour la satisfactionde nos actionnaires ? »

L’évaluation des acquis rencontre plusieurs obstacles.Un tel processus d’apprentissage complexe est difficile àquantifier. Dans tout domaine de l’étude de l’homme,et en particulier lorsqu’existent des considérationsaffectives, l’enthousiasme pour les concepts, les prin-cipes et les techniques peut affecter l’observation objec-tive et la recherche. De nombreuses études ont étéréalisées au niveau international sur l’impact de la for-mation expérientielle dans la nature, sur la relationentre les changements observés et la méthode pédago-gique, et sur la transférabilité des acquis dans la vie pro-fessionnelle. Mais si la recherche est abondante (nousavions recensé en 1990 plus de 250 études dans les paysanglo-saxons), elle comporte une faiblesse : les cher-

Apprendre par l’expérience

[414] © Éditions d’Organisation

“ ”Le feed back

reste un « must » de la

formation expérientielle.

Les résultats à attendre

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cheurs ne tiennent pas souvent compte des études deleurs confrères. Les résultats des études anglo-saxonnesreflètent-ils la pratique de l’Outdoor Education enFrance depuis 1987 ? Nous répondons positivement àcette question car la force de cette pédagogie est d’ob-tenir les mêmes résultats quels que soient les (bons) for-mateurs expérientiels et le milieu culturel, dès lors queses standards de qualité sont respectés et reconnus. Dès1988, Hors limites a obtenu la reconnaissance interna-tionale au sein du mouvement Outward Bound, etExpérientiel est le représentant français au sein duMouvement européen de l’Experiential Education. Les études dont nous disposons ont été réalisées pardes centres de recherche renommés et ont utilisé desméthodes d’enquête d’une rigueur scientifique incon-testée. Malgré la diversité des pays et des populations,les résultats de ces études sont remarquablementconvergents. La qualité des réponses dépend de laqualité des questionnaires. Les questions ne doiventpas être ambiguës, ne refléter l’opinion du question-neur, ni amener un type de réponse.En Grande-Bretagne, Basil Fletcher a réalisé une largeétude portant sur 3 000 anciens participants et les pres-cripteurs de leur formation expérientielle en extérieur.87 % des prescripteurs et 78 % des anciens stagiairesrépondirent au questionnaire. 80 % des prescripteursavaient pour objectif le développement du caractère et40 % le développement du leadership ou de la capacitéà travailler en équipe. Pour 95 % des commanditaires,le degré du succès est élevé ou moyen ; 1,5 % sontdéçus par les résultats. Parmi les anciens stagiaires, 1 %considèrent que le stage a été un échec pour eux. Selon

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

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La force de cette

pédagogie est d’obtenirles mêmes résultats quels

que soient les (bons)formateurs expérientiels

et le milieu culturel, dès lors que ses

standards de qualité sont respectés et reconnus.

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les anciens stagiaires, les dix principaux résultats duséminaire sont, par ordre d’importance :

1. Un sens de l’agilité physique et une sensationd’euphorie à la fin du stage.

2. La capacité à faire face à des situations difficileset à surmonter des problèmes complexes.

3. La capacité à s’adapter à des personnes detoutes sortes et à avoir une plus grande tolé-rance pour leurs points de vue.

4. Le perfectionnement ou la découverte d’unenouvelle activité de plein-air.

5. Une meilleure compréhension du moyen parlequel une équipe travaille efficacement.

6. Une nouvelle appréciation de la beauté de lanature et du besoin de protéger ses ressourcesnaturelles.

7. L’aide reçue personnellement de l’un ou l’autredes formateurs.

8. La valeur de la discipline tendant à réduire laconsommation de cigarettes et d’alcool.

9. L’opportunité de participer à des activités desecours et de service communautaire.

10. Le plaisir donné par des activités intellectuelleset culturelles proposées pendant le stage.

Stagiaires et commanditaires ont la ferme convictionque l’influence d’un stage est très persistante : àl’échelle de la vie pour 55 % des prescripteurs et 67 %des stagiaires.

Apprendre par l’expérience

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Stagiaires etcommanditaires

ont la ferme convictionque l’influence d’un stage est

très persistante.

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L’étude réalisée par Talbot et Kaplan aux États-Unis(1986) a demandé dix ans de recherches et met l’ac-cent sur le rôle de la nature dans notre pédagogie.

« De nombreuses études psychologiques, notent ceschercheurs, illustrent le fait que ces expériences dansl’environnement naturel peuvent être hautement satis-faisantes et peuvent apporter des bénéfices psycholo-giques précieux peu trouvés ailleurs... Cette évidenceintrigue. Elle ne constitue pas une preuve. »

Le groupe témoin était composé de 129 personnesayant participé à un stage de deux semaines. Les béné-fices constatés portent sur :

– une plus grande attention aux autres,

– une plus grande autonomie,

– une évaluation de soi plus réaliste.

Ces acquis n’ont pas été trouvés dans le groupe decontrôle (n’ayant pas participé à un stage en exté-rieur). En conclusion, cette étude indique que la viedes participants a été modifiée par cette expérience.Ils vivent leur vie d’une manière moins encombrée,plus significative, plus centrée sur ce qu’ils estimentêtre valable.

« La richesse de cette expérience, écrivent les auteurs, la

qualité de son fonctionnement dans un environnement

stimulant conduisent souvent les individus à une com-

préhension personnelle plus profonde, et à la conviction

que les chemins dans lesquels ils conduisent leur vie dans

le cadre habituel pourraient être également différents. »

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

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Dans son livre Outdoor development for managers7,l’Anglais John Bank observait en 1985 que :

« les entreprises les plus performantes s’engagent dansle développement de leurs cadres et que ce mouvements’amplifiera. »

Se basant sur les programmes réalisés pour Dunlop,Telecommunication, American Medical International(AMI), General Electric et Imperial Chimical Industries(ICI), il estime que les résultats de l’Outdoor Educationdans les entreprises concernent six domaines :

1. Le développement personnel : définition de sespropres règles et autonomie, réflexion sur une vieintérieure plus profonde.

2. Un antidote du stress : réactiver des ressourcesépuisées.

3. La construction d’équipe : l’accomplissement indi-viduel peut être magnifié par le travail d’équipe.

4. Le développement du leadership : apprendre sansmenace sur la confiance en soi ou le déroulementde sa carrière.

5. La communication : des situations révélatricescorrectement décodées.

6. La confrontation au changement et à l’incerti-tude : les stages en extérieur offrent une réalitéet non une simulation.

En France, le témoignage de nos anciens stagiairesgarde toute leur valeur. La presse a largement citédurant les années Hors limites les participants à nosprogrammes management :

7. Gower, Grande Bretagne,1985.

Apprendre par l’expérience

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– « J’ai appris en une semaine à Hors limites ce quetous les stages traditionnels ne m’ont jamaisenseigné » (un cadre supérieur) ;

– « Ce que donne Hors limites, c’est une façon deréagir à un événement nouveau, à l’imprévu quivous retourne » (un cadre) ;

– « Aujourd’hui face au stress, je sais m’arrêter etboire un café ; je peux vivre dans l’ici et mainte-nant » (un vendeur Hewlett Packard) ;

– « Si j’affronte un client j’ai moins peur, je préparemoins mon filet » (un vendeur Hewlett Packard) ;

– « Les moments les plus forts du stage sont aujour-d’hui des références et des exemples qui permet-tent de surmonter d’autres difficultés » (un cadrePernod).

On peut objecter qu’il n’est pas difficile d’obtenir àchaud, dans l’euphorie de quelques jours ludiques, untémoignage enthousiaste, et que l’effet sur les com-portements peu retomber ensuite comme un soufflet.L’histoire racontée dans le chapitre suivant d’un pro-gramme réalisé dans une entreprise il y a presque dixans, et l’évaluation de son influence aujourd’huiseront la meilleure réponse à cette interrogation. Lepoint de vue des commanditaires est également inté-ressant car il est exprimé plusieurs mois ou plusieursannées après notre intervention.

– « Le sucre est une vieille dame. Il ne s’agit pas defaire la révolution, mais il est possible de bousculerde vieilles habitudes » (Stanislas de Larminat –Générale Sucrière).

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Les moments les plus forts

du stage sont aujourd’huides références et des

exemples qui permettentde surmonter

d’autres difficultés.

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– « Dix ans après le programme Hors limites je peuxaffirmer que l’impact sur notre réseau après-vente aété profond et durable » (Jean-Pierre Colin –Hewlett Packard) .

– « Ce n’est pas qu’une aventure pour les frissons maissurtout une approche du Management guidée pardes professionnels » (Jacques Le Fillatre – UAP àl’époque).

En novembre 1998, le magazine de France 2 « Envoyéspécial » débute son émission sur les cadres avec leséminaire « Expérientiel. »

« Pour être dans une équipe performante à un niveau deproductivité, le premier maillon, c’est le développementde l’estime de soi, dit le commentaire. Nous sommes àColmar. Cela fait deux ans que l’on construit ici l’un desplus grands hypermarchés (Cora) d’Europe, un chantiercolossal. À l’origine de ce défi, Léon Marck ; ce jeunedirigeant joue gros : 250 millions de francs d’investisse-ment. » « C’est un changement total, dit Léon Marck : changer leshabitudes de travail ; on a commencé en septembre unprogramme de formation manageriale pour créer un lienfort, impliquer les gens dans le projet, pour savoir qu’elleest leur vision du futur magasin, voir si on va dans le mêmesens, et surtout créer une grande cohésion d’équipe. » « La méthode est américaine (sic), continue le journalistemal informé. Durant trois jours, les participants vontapprendre à se surpasser et surtout à mieux se connaître,une mode qui fait fureur dans les entreprises françaises. »

Un cadre témoigne :

« La chose incroyable, c’est qu’on arrive à aller au-delàde nos limites ; le fait que tout le monde pousse derrière,

Apprendre par l’expérience

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Pour être dans une équipe

performante à un niveaude productivité,

le premier maillon, c’est le développement

de l’estime de soi.

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on se surpasse ; au bout du troisième jour, on est uneéquipe blindée. »

Et le directeur conclut :

« J’ai connu des époques où le chiffre d’affaires progres-sait de 20 à 30 %, c’était fabuleux, on n’avait pas besoinde formation, on était motivés par le chiffre d’affaires.Aujourd’hui, dans le commerce, ça progresse moins, ona besoin de sources de motivation et de se remettre enéquipe. » « Aux États-Unis, dit le journaliste, on a compris que lestress coûtait en arrêts maladie 2 000 milliards de dollarschaque année et qu’il fallait lutter contre le stress. Onconsidère qu’un franc investi dans ce but en rapportequatre à l’entreprise... ».

La même année, une équipe Truffaut témoigne dans larevue interne de son entreprise :

« Après le recrutement de personnes issues de différentsmagasins Truffaut et de la pépinière Croux, nous avionsun besoin impératif de créer une véritable équipe, avecconstitution d’un noyau dur », raconte François-XavierPontillon, directeur de la jardinerie Truffaut deChatenay-Malabry. « J’ai pensé que cet objectif ne pou-vait être atteint qu’à travers l’organisation d’un sémi-naire de cohésion d’équipe. Sans aucune instructionpréalable, nous nous sommes retrouvés dans un pavillonde chasse en forêt de Saint Germain, et, encadrés pardeux formateurs, avons grimpé aux arbres et participé àdes jeux collectifs pendant deux jours ! Très sérieuse-ment : les exercices, parfaitement contrôlés, faisaientappel à la confiance accordée aux autres, aux notions degroupe, d’organisation et de leadership. Le bilan, auniveau de toute l’équipe, a été particulièrement positif,avec le constat que, lorsqu’on travaille en groupe, avec

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

© Éditions d’Organisation [421]

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une bonne connaissance de l’autre, on est beaucoupplus efficace. Notre expérience mérite d’être validée auniveau du groupe. »

Elle l’est déjà, puisque ce séminaire est proposé auxéquipes des nouveaux magasins Truffaut.

Une étude portant sur 260 cadres d’entreprise ayantparticipé à un séminaire expérientiel de 1 à 3 joursentre 1997 et 1999 (Cora, Truffaut, Flunch, RATP, EDF,Metro, General Electric Medical Systems), à partir dequestionnaires d’évaluation complétés à chaud ouavec quelques semaines de recul, indique ce que lesparticipants ont découvert notamment :

• me connaître et avoir envie d’aller plus loin ;

• travailler en équipe est plus rapidement porteurque travailler seul ;

• une réelle cohésion de groupe ;

• la confiance que peut générer l’écoute ;

• mes limites, mon potentiel, ma façon de fonc-tionner réellement ;

• la capacité de chacun à se dépasser sans esprit decompétition ;

• la découverte d’un esprit de groupe inter-ser-vices ;

• la solidarité dans l’épreuve ;

• une redécouverte de l’essentiel ;

• la confiance, la synergie d’équipe, la confiance ;

• prise de conscience par le corps, l’émotion et l’in-tellect ;

Apprendre par l’expérience

[422] © Éditions d’Organisation

“ ”La capacité de chacun

à se dépasser sans esprit

de compétition.

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• apprendre à mieux se connaître en effectuant desactivités hors du commun ;

• être reconnu et respecté.

Des mots simples pour exprimer des découvertes pro-fondes ; des découvertes banales, intellectuellementévidentes, mais si difficiles à faire passer dans la réalitéde la vie d’une entreprise...

Nous invitons chacun à résumer cette expérience d’ap-prentissage de nouveaux comportements en une seulephrase. Voici quelques réponses :

• la confiance dans un groupe professionnel est pri-mordiale pour des résultats positifs ;

• je suis très fier d’appartenir à une telle équipe ;

• si simple mais si enrichissant ! Enfin la théorie et lapratique ont fusionné ;

• a permis de découvrir que les apparences peuventêtre trompeuses ;

• merci aux formateurs pour leur capacité à être tota-lement là sans être là, c’est-à-dire à nous guidermais à préserver notre liberté de réflexion, d’action,de réflexion ;

• c’est une parfaire harmonie du corps et de l’esprit ;

• une journée qui vaut toute la théorie du manage-ment.

Les familiers de la formation en entreprise feront lapart des compliments pour livre d’or ou plaquette pro-motionnelle, et de l’authentique travail que recou-vrent ces témoignages.

Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

© Éditions d’Organisation [423]

“”

Le résultat est la capacité

d’anticiper les conflits, et de mieux tirer profit

des richesses d’un groupe.

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Les patrons et cadres dirigeants ont leur propre pointde vue :

• « Le résultat de ce séminaire est la capacité d’antici-per les conflits, et de mieux tirer profit des richessesd’un groupe. » (Bruno Lanthier, PDG des jardineriesTruffaut) ;

• « À travers cette expérience, j’ai appris que monéquipe peut se dépasser, qu’elle est capable d’avan-cer vers un but commun, qu’elle est bien arméepour réussir les défis futurs. Merci pour moi, leurpatron, qui repart aujourd’hui avec un capitalconfiance exceptionnel. » (Léon Marck, hypermar-ché Cora de Colmar, interviewé un an plus tard par« Envoyé spécial ») ;

• « Ayez du plaisir et laisser votre imagination grim-per » ; (Vincent Stellian, directeur de Cora Auxerre) ;

• « Plus vous donnez, plus vous recevez. » (Étienne-Denis Reynaud, directeur de Cora Caen) ;

• « Cela a été une étape importante. » (M. Grymonpré,délégué régional Flunch) ;

• « Soyons « vrai « et ayons confiance en nous, notreréussite passera par notre interdépendance. »(Daniel Ursenbach, Cora Strasbourg) ;

• « La vie d’un décideur moderne est nécessairementaccélérée et dispersée. Chacun a donc besoin d’undouble ressourcement : vers la nature qui le remeten contact avec le monde, et vers lui-même pourtrouver la source authentique de son action.L’Outdoor Éducation l’engage sur ces deux voies. Lereste du chemin lui appartient. » (Jean-Louis Servan-Schreiber, directeur de publication du magazinePsychologies).

Apprendre par l’expérience

[424] © Éditions d’Organisation

“”

Chacun a donc

besoin d’un doubleressourcement : vers

la nature qui le remet en contact avec le monde,

et vers lui-même pourtrouver la source

authentique de son action.

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Le développement professionnel à travers la nature (Outdoor Training)

© Éditions d’Organisation [425]

On sous estime généralement l’ouverture d’esprit de sespatrons comme de ses pairs et subordonnés. Lorsqu’onconnaît l’histoire de cette pédagogie et ses sources fran-çaises, l’on se dit qu’il n’y aucune raison de penser que« ce n’est pas dans notre culture. » Pourquoi abandonnerà nos concurrents l’Outdoor Training, cette « armesecrète » du changement et de la performance ?

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© Éditions d’Organisation [427]

Chapitre 17

L’entreprisedu

futur

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Apprendre par l’expérience

[428] © Éditions d’Organisation

L’entreprise du futur existe, je l’ai visitée.

Ses dirigeants ont compris que « le facteur humain »

est essentiel, qu’il ne s’agit plus de

« gérer les ressources humaines »

mais d’être proactif et d’inventer une nouvelle

culture et de nouvelles valeurs, au premier

rang desquelles la confiance et le courage.

Ils abandonnent l’illusion technocratique que l’on peut imposer

d’en haut une mentalité et des comportements, et s’engagent

sur le chemin difficile de la responsabilisation.

Procédant par essai-erreur en deux ou trois années,

ils proposent des opportunités de changement au personnel,

puis tiennent compte de la manière dont il s’en saisit pour les

adapter et poursuivre par tâtonnements.

Ils se donnent les moyens de passer à l’acte,

notamment avec la formation expérientielle

dans la nature qui implique la personne dans sa globalité,

mais aussi avec d’autres approches humanistes.

Cette transformation ayant été réalisée,

l’entreprise reste « apprenante »

et évolue aussi vite que son environnement.

Les employés développent de nouvelles capacités cognitives

et sociales et gagnent en accomplissement personnel

et professionnel ce qu’ils perdent en sécurité.

Il n’est pas étonnant qu’une des premières entreprisesqui se soient engagées dans cette voie en France audébut des années 90 soit américaine. Il s’agit de lanouvelle usine de plastique Exxon Chemical construiteà Notre-Dame de Gravenchon, Normandie. Nous avonsformé les 50 responsables de sa construction et ses

Le cas d’Exxon Chemical

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L’entreprise du futur

250 employés, en fonction d’un modèle de manage-ment fondé sur la responsabilisation à tous les niveauxde la hiérarchie. Dix ans plus tard, PhilippeMaisondieu, directeur de cette usine, et Didier Lutsen,actuel responsable de la communication marketingd’Exxon Chemical Europe, alors pilotes du projet avecMichel Dupont, nous racontent ce qui a été avant toutune aventure humaine. Ce projet n’aurait pas pu êtreenvisagé aussi tôt sans ses promoteurs français, maisaussi sans un contexte favorable au sein de ce groupeinternational qu’ils ont su saisir.

Tous les dix ans ou à peu près, Exxon ChemicalCompany lance au niveau mondial un grand pro-gramme de management. En 1970, c’est le séminaire« ME » (Managing for excellence), animé pourl’Europe à Spa, en Belgique. Il s’agit d’inventer une « culture différente », à partir d’une comparaisonentre le style de management en France, aux Pays-Baset aux États-Unis : les Français sont forts pour compli-quer les problèmes... et les résoudre, alors que lesHollandais sont forts pour simplifier les problèmes etles résoudre. Les Européens en général sont adap-tables, alors que les Américains sont pragmatiques etessentiellement orientés vers les affaires ; pour eux, laqualité signifie le business. En 1980, le séminaireManaging for hight performance réunit les cadreseuropéens au Touquet et les sensibilise aux différentstypes de personnalité et de comportement. Parmi lesoutils, le test « MBTI » (Myers-Briggs Type Indicator –1976) est fondé sur les théories de Carl Jung (intraver-tis / extravertis) avec la dimension supplémentaire du

© Éditions d’Organisation [429]

“”

Nous avons formé les 50

responsables de saconstruction et ses 250employés, en fonction

d’un modèle demanagement fondé sur laresponsabilisation à tous

les niveaux de la hiérarchie.

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Apprendre par l’expérience

style de vie. Ce test a permis d’effectuer des recherchessur la corrélation entre le type de personnalité et lestyle de management.

En 1986, le programme Quest affiche à Rochester(USA) l’ambition d’inventer une autre culture inté-grant l’acceptation de la diversité et de la différence.En deux ans, 300 cadres dirigeants participent à ceséminaire de 15 jours et rencontrent le N° 1 ou le N° 2du groupe mondial qui leur délivre les 12 valeurs cléspour le futur. Parmi ces valeurs, « la force de l’équipe »et « découvrir les autres autrement au-delà de la pre-mière impression » sont travaillées au moyen del’Outdoor Training, ce qui donnera l’idée à DidierLutsen et Philippe Maisondieu de faire appel à cettepédagogie active pour former le personnel de leurnouvelle usine. Après un questionnaire 360°, les diri-geants du groupe franchissent en équilibre une poutreaccrochée entre deux arbres, construisent des radeauxpour traverser à pied sec un lac... La métaphore est évi-dente : cette expérience partagée renforce la cohésiondes participants, et donc du groupe, et « aligne » lesvaleurs des opérationnels et des fonctionnels.

« Exxon Chemical est une entreprise novatrice avec desolides méthodes de management », souligne DidierLutsen. « Les résultats chiffrés comptent avant tout et, siles objectifs seuil ne sont pas atteints, on cherche immé-diatement à savoir pourquoi et on met en place un pland’action. »

Les pilotes du projet Notre-Dame de Gravenchonreprennent l’esprit Quest, pour préparer la construc-

“”

Les dirigeants du groupe

franchissent en équilibreune poutre accrochée

entre deux arbres,construisent des radeaux

pour traverser à pied sec un lac...

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tion puis le management de « l’usine du futur », uninvestissement de plus de deux milliards de francs,comparable au pont de Normandie. La troïka Lutsen,Maisondieu et Dupont a carte blanche, mais ses per-formances seront comparées avec celles des autresusines. Deux représentants du QG de Bruxelles leurrendent visite tous les deux mois. La troïka part toutd’abord chercher les meilleures idées en visitant diffé-rentes usines en Europe et aux États-Unis. Elle enrevient avec la conviction que, pour éliminer les pertesd’énergie, le concept de base du management de leurusine doit être l’empowerment, francisé drôlement en« empoirement », la proximité des arbres fruitiers sansdoute : moins de personnel pour plus de performance.

Philippe Maisondieu, responsable de la réalisation dela future usine, présente en juin 1991 ce nouveaumodèle d’organisation au groupe « ressourceshumaines » du Commissariat général au plan :

« Exxon Chemical avait la conviction que la mise enœuvre de nouveaux modes d’organisation pouvait créerun avantage compétitif important, au delà de celuidonné par l’effet d’échelle et l’utilisation des meilleurestechnologies... Pour la fabrication de produits banaliséscomme le polyéthylène et le poly propylène, ce ne sontpas seulement les procédés qui font la différence decompétitivité mais aussi les hommes... Les gens sontcapables de donner plus que ce qu’ils donnent s’ils nesont pas bloqués par des structures organisationnellespesantes. »

La démarche « empowerment » (habilitation de quel-qu’un à faire) correspond à une recherche d’augmenta-

L’entreprise du futur

© Éditions d’Organisation [431]

“”

Ce ne sont pas seulement

les procédés qui font la différence de

compétitivité mais aussi

les hommes...

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Apprendre par l’expérience

tion de la capacité personnelle de chacun et à unedémarche de l’individu pour prendre des responsabilités.Il s’agit de répondre à la fois aux besoins de l’entrepriseet aux attentes du personnel... Deux voies sont utiliséespour parvenir à l’« empowerment » :

– L’adoption d’organisation plates.

– L’approche globale du travail (multivalence). »

Figure 9 – Concept de la responsabilisation (Exxon Chemical)

« Le nombre des niveaux hiérarchiques sera limité à 4dans la nouvelle usine, poursuit Maisondieu. Une orga-nisation plus plate implique des équipes plus autonomesqui mènent librement leur travail dans des limites quileur sont données et qu’elles connaissent. La suppressiond’un niveau hiérarchique a des conséquences sur tous lesautres niveaux (et pas seulement sur les niveaux directe-

ÉQUIPESAUTONOMES

MULTIVALENCE

APPROCHE GLOBALEDU TRAVAIL

ORGANISATIONPLATE

"EMPOWERMENT"

SYSTÈMES DE RECONNAISSANCE

SYSTÈMES D'INFORMATIONET DE COMMUNICATION

BESOINSENTREPRISE

ATTENTESINDIVIDUELLES

FORMATION

RECRUTEMENT

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DANS LA STRUCTURE (OIMS / ISO 9002 / MCP / CONTRÔLE DEGESTIO

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Une organisation

plus plate implique deséquipes plus autonomes

qui mènent librement leurtravail dans des limitesqui leur sont données

et qu’elles connaissent.

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L’entreprise du futur

© Éditions d’Organisation [433]

ment adjacents), la réflexion doit porter sur le contenudu travail pour chaque niveau... L’homme important estcelui qui est à la base ; le système est construit à partirde lui.... L’autonomie plus grande donnée aux opéra-teurs modifie le rôle de son supérieur hiérarchique (quiintervient plus sur le moyen terme). Il faut mettre enplace des entités fonctionnelles autonomes qui doiventsavoir dans quelles limites elles interviennent. Les limitesde l’autonomie données à chaque niveau sont définiespar le niveau hiérarchique supérieur qui devient le « gar-dien » de ces limites (cela signifie par exemple que dansla conduite du process et le contrôle de la qualité,l’équipe interviendra elle-même si certains paramètresrestent compris entre des valeurs prédéfinies)...Les chefsde postes (« shift leaders ») ont un roulement différentde celui des équipes afin de permettre une meilleure cir-culation de l’information. L’objectif est également defaire travailler les « shift leaders » en équipe... Un sys-tème expérimental d’évaluation par les pairs a été misen place. Ce système ne se substitue pas à l’appréciationfaite par le supérieur hiérarchique, mais la complète. »

La ligne hiérarchique simplifiée fait que celui quifabrique le produit le qualifiera à la vente, et non uncontrôleur ; en cas de doute, il fait appel aux experts« assurance qualité », car il est préférable d’êtreconservateur que kamikaze. Celui qui a la compétencedont on a besoin est davantage rémunéré, à conditionqu’il l’exerce et la maintienne. Les heures supplémen-taires sont considérées comme contre productive ; onleur préfère la flexibilité.

Douze dimensions humaines sont soigneusement lis-tées et serviront de critères pour le recrutement :

1. Esprit sécurité.

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2. Motivation pour le travail.

3. Travail en équipe/Coopération.

4. Capacité d’adaptation.

5. Aptitude à apprendre.

6. Esprit d’initiative.

7. Sens des responsabilités.

8. Capacité à résoudre des problèmes.

9. Goût pour le « progrès continu ».

10. Stabilité.

11. Communication.

12. Honnêteté/Intégrité.

« Comment va-t-on tester ces valeurs ? Y aura-t-il desnotes éliminatoires ? » se demandent les pilotes duprojet, qui estiment humblement qu’ils seront les seulsà ne pas correspondre à tous ces critères ! Ils décidentque deux équipes de trois sélectionneurs, dont aumoins un membre de la troïka, recevront les candidats.L’unanimité des trois sélectionneurs est requise pourchaque recrutement. Pour vérifier le système, ils l’ex-périmentent entre eux. « Ils étaient odieux avec moi »,se souvient malicieusement Philippe Maisondieu.Didier Lutsen explique que leur approche était que « le comportement passé permet de prédire le com-portement futur. » Je nuance amicalement ce point devue déterministe. Les pilotes du projet veulent recru-ter aussi à l’extérieur du secteur de la chimie ; un lea-der n’a pas obligatoirement besoin d’être un expertdans le domaine technique ; ils conçoivent avec l’aide

Apprendre par l’expérience

[434] © Éditions d’Organisation

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d’une agence une publicité pour diffuser l’appel à can-didatures : « Des hommes différents pour une usinepas comme les autres. » Les employés de l’usine ExxonChemical existante peuvent se porter candidats, maisdoivent suivre le même processus de recrutement queles candidats extérieurs. « Bravo ! Vous avez pris lesmeilleurs », leur dit le patron de l’usine voisine. 10 000candidats se manifestent après la diffusion de la publi-cité : « Une nouvelle usine pour ceux qui voient l’ave-nir autrement. » Avant les entretiens individuels, lescandidats retenus effectuent une série de tests que latroïka voulait honnêtes : test de connaissances géné-rales, test psychotechnique, test psychologique éva-luant en particulier l’intelligence sociale et lasociabilité, test « Sigmund » comportant des questionsavec feedback. Un problème à résoudre est proposé àceux qui ont réussi les tests, par groupe de 5 à 7 can-didats et pendant une heure. Cela permet de voir quiprend la parole, comment ils parviennent à une solu-tion, et finalement de découvrir des traits de caractèrequi pourront être approfondis durant les entretiens.Les premiers leaders recrutés rejoignent l’équipe desrecruteurs après avoir intériorisé le parcours qu’ils onteux-mêmes accompli. Cette intégration est unmoment fort.Il faut ensuite former ce personnel, non pas seulementen fonction des postes mais des tâches périphériques :un opérateur sera formé également à la maintenanceet à la qualité. Cette approche de la « tâche globale »permet de comprendre ses fournisseurs et clientsinternes. Les leaders sont mis à contribution pour éla-borer le contenu de la formation et les outils (transpa-

L’entreprise du futur

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“ ”Des hommes

différents pour une usine

pas commeles autres.

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rents, présentations...). On voit ainsi des titulaires duCAP avec quinze ans d’expérience former des titulairesdu DUT (bac + 2).

Le programme destiné aux futurs leaders comprendune partie technique, un séminaire de cohésiond’équipe et un séjour de trois mois dans une usineéquivalente aux États-Unis, sans le conjoint.

« Hors limites a été choisi pour animer le team buildingparmi quatre organismes, précise Lutsen. Le critère sécu-rité était déterminant et deux experts étaient venus desÉtats-Unis pour nous assister dans cette sélection. »

Didier me pardonnera de préciser que nous étions lesseuls à maîtriser le savoir-faire de la formation expérien-tielle en extérieur, que nous avons fondée en France...C’est bien cette pédagogie qui avait été intégrée dans leprogramme Quest. Le séminaire de quatre jours en rési-dentiel, pour ajouter la dimension de la vie de groupe,comprend un jour en salle et trois jours en extérieur. Lepremier séminaire en forêt de Fontainebleau est vu parcertains (à tort) comme un échec relatif. Un des exercicesconsiste à se débrouiller en ville pour trouver l’argent dudîner ; la mendicité est mal vécue par certains. À unautre moment, le groupe doit décider s’il retourne àl’hôtel pour voir un « important match de foot » à latélévision ; un accord n’ayant pas été trouvé, les forma-teurs proposent de revenir à pied (12 km) ; le groupe estfurieux : « On va marcher très vite pour que la formatricene puisse pas suivre »... peine perdue. Il est important demettre à jour les difficultés et les conflits au sein de cegroupe qui va passer trois mois ensemble aux États-Unis,

Apprendre par l’expérience

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Un des exercices

consiste à se débrouiller enville pour trouver l’argent

du dîner ; la mendicité est mal vécue par certains.

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et d’engager un processus de changement de fonction-nement. La première partie du programme « outdoor »s’échelonne entre 1990 et 1991.

Les objectifs du séminaire Hors limites sont :

• devenir une équipe solide, dans laquelle le lan-gage, la culture, et la distance ne sont pas desbarrières pour une communication ouverte etconstructive ;

• devenir une équipe à laquelle il est agréabled’appartenir et dans laquelle chacun peut êtrelui-même, avec ses qualités et limites ;

• affirmer que nous sommes une équipe en parte-nariat avec une autre ;

• comprendre pourquoi les choses ne vont pas bienet ce que nous pouvons faire (et comment) pourles améliorer ;

• créer une attitude volontaire pour tester le travaild’équipe en donnant du feedback constructif et del’engagement.

Nos formateurs présentent cette formation insolite dela manière suivante :

« Nous avons créé un atelier intensif sur le team buildingdans le but de renforcer les équipes existantes. Actionset exercices dynamiques dans la nature servent de trem-plin pour tester et comprendre les relations d’équipe.Compte-tenu de la durée limitée du séminaire, les activi-tés commencent très tôt et se terminent tard. Notre pro-gramme est aussi flexible, adapté à la réalité deséquipes. Nous insistons fortement sur la sécurité ;lorsque nous sommes dans l’action, c’est le seul moment

L’entreprise du futur

© Éditions d’Organisation [437]

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Le groupe est furieux :

« On va marcher très vitepour que la formatrice

ne puisse pas suivre »...

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où vous pouvez voir les formateurs fermes et rigides ! Lerôle des formateurs est un rôle de facilitateur : ils aident(stimulent) le groupe à tirer un enseignement des expé-riences vécues. Ils invitent les participants à mettre beau-coup d’énergie dans le programme afin d’en retirer desapprentissages . Les expériences dans la première étapesont caractérisées par des moments de difficultés. Nousles appelons « impasses. » Bien que l’impasse ne soit pastoujours agréable, c’est le point clé de l’expérience d’ap-prentissage ; elle porte en elle le besoin de tester unmeilleur fonctionnement. Il y a une condition : lesimpasses ne doivent pas être évitées ; elles doivent êtrereconnues (avec l’aide du groupe et des facilitateurs) ;c’est une phase « d’insatisfaction créatrice » ; ici com-mence le changement : qu’est-ce qui était impensableavant que ça arrive ? Une équipe est constituée lorsqueplusieurs personnes ont besoin de réaliser une tâche. Engénéral, l’équipe en vient assez facilement à une visioncommune et à une stratégie. Cela ne veut pas direqu’elle réussit toujours. Souvent les relations entre lesmembres deviennent un important facteur d’influencesur la tâche. Utiliser les différentes capacités et rôles desmembres est un autre facteur d’influence. Il y a aussi lebon vouloir des membres. Cela a à voir avec le manage-ment des besoins personnels (ambitions, respect, recon-naissance, amitié, valeurs...). Tout cela fait qu’uneéquipe qui se prépare à réaliser une tâche a à gérerbeaucoup plus de choses que la tâche ! C’est une missiondifficile, car difficilement saisissable et mesurable, etdonc injustement négligée. L’équipe, au moyen de sonleader ou de sa propre organisation, a à trouver un équi-libre entre les orientations vers la tâche et les orienta-tions vers les personnes qui la réalisent. Le feedback estun élément essentiel du « cycle expérientiel. » Pour êtreconstructif, il doit se dérouler seulement dans un climatd’ouverture et de confiance : partir de l’idée que le feed-back est fait pour donner à l’autre et pour l’enrichir ; sile receveur est sur la défensive, le but n’est pas atteint ;

Apprendre par l’expérience

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Les impasses ne doivent

pas être évitées ; ellesdoivent être reconnues ;

c’est une phase « d’insatisfaction

créatrice » ; ici commence

le changement.

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il ne s’agit pas de jugement d’une personne mais decomportement. La technique est de dire « j’ai vu », « j’aientendu » ; être clair et spécifique ; parfois les observa-tions touchent votre sentiment personnel : précisez-lepour éviter la confusion ; exprimer aussi les idées quefont surgir les observations, mais après les sentiments,pour ne pas perdre la confiance ; de plus, il n’y a pas debon ou de mauvais comportement, mais il y a un com-portement que vous aimez ou pas, adapté ou pas à lasituation ; vous parlez pour vous-même, pas pour l’en-semble du groupe ; sachez que vous n’avez pas toute lavérité, mais seulement vos observations et votre inter-prétation ; vérifiez que ce que vous dites est reçu. »

observations ➔ sentiments ➔ idées ➔ interprétation

Chaque séminaire accueille deux groupes d’une dou-zaine de participants en forêt de Fontainebleau, enforêt de Rambouillet ou dans un château normand.Voyons un exemple de contenu, parmi de nombreusescombinaisons possibles, en ayant bien à l’esprit quechaque exercice doit être métaphorique et pertinentpour les thèmes travaillés et les personnes concernées,et il ne s’agit pas de recettes à reproduire pour obtenirle même résultat sans la maîtrise de la pédagogie expé-rientielle. Le séminaire débute le premier jour à 18 h.Après une présentation des formateurs et du but dustage, le groupe se trouve aligné en équilibre sur unepoutre à 40 cm du sol et doit se repositionner sans tou-cher le sol en se replaçant dans un ordre en fonction dunombre d’années dans l’entreprise, de la capacité àcommuniquer en français ou en anglais, de son senti-ment avant le stage (anxieux > à l’aise), etc. Parbinôme, chacun transmettra à son vis-à-vis la caracté-

L’entreprise du futur

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Chaque exercice

doit être métaphoriqueet pertinent pour les

thèmes travaillés et lespersonnes concernées, etil ne s’agit pas de recettesà reproduire pour obtenir

le même résultat sans la maîtrise

de la pédagogie expérientielle.

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ristique de chaque position. Ce « brise glace » permetde faire tomber quelque inhibitions. Après le dîner, lesdeux groupes sont conduits à deux endroits différentsde la forêt distants de 5 km (à vol d’oiseau) ; ils doiventse rejoindre. Chaque groupe a reçu une enveloppecontenant objectif et consignes. Chaque participant areçu en plus une enveloppe personnelle contenant unepartie des informations nécessaires à la réalisation del’exercice ; le groupe dispose de 100 points (dans l’en-veloppe groupe) pour acheter le matériel nécessaire(réduction de 50 % après 1 h 15 d’exercice).

Le deuxième jour débute par un échauffement muscu-laire et articulaire (streching), puis l’exercice du cerclede confiance : groupe en cercle, chacun à tour de rôlese place au centre et se laisse tomber sans bouger lespieds de place. C’est l’occasion de présenter la théoriedu cycle expérientiel et d’évaluer l’exercice d’orienta-tion de la veille. La « toile d’araignée » (franchisse-ment d’un réseau de cordes sans le toucher) et le « sauvetage sur glace » (à l’aide de deux « skis »géants, le groupe doit franchir un parcours d’obs-tacles, récupérer la « victime » aveugle et la ramenerau point de départ) concernent la coopération. Lesformateurs demandent ensuite d’ériger deux statues :

« L’usine est terminée et le président d’Exxon Chemicalannonce sa visite, disent les formateurs ; il souhaite quesoient érigées devant chacune des deux portes deux sta-tues identiques symbolisant l’esprit “ usine du futur ”,robuste, peu coûteuse, transportable. Les équipes doi-vent travailler à distance, sans voir les autres ; uneconcertation est régulièrement possible en un mêmelieu par les émissaires des groupes. »

Apprendre par l’expérience

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“ ”Ce

« brise glace » permet de faire tomber quelque

inhibitions.

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L’activité, après le déjeuner, vaut mieux que toutes lesthéories sur la coopération, le leadership, ou le travailen réseau.L’échauffement traditionnel ouvre la troisième jour-née. Le modèle de John Adair sert de support à uneréflexion sur le nécessaire équilibre entre les troiscercles : la tâche – les individus – l’équipe. Chacun voitbien de quoi il s’agit en considérant les expériencesdéjà vécues. Le coaching (en 1990 ce n’était pas encorela mode en France) est abordé avec la métaphore del’exercice « guide-aveugle » : donner et recevoir de laconfiance pour franchir un parcours d’obstacles. Troisateliers en petits groupes renforcent le travail sur laconfiance et l’engagement : la « chute en confiance »,la « poutre d’équilibre » et « les câbles divergents. »L’émotion est intense.Le séminaire se termine le quatrième jour par un exer-cice complexe dont les formateurs expérientiels ont lesecret : la recherche de l’alligator échappé dans laforêt et sauver le garde forestier parti à sa recherche...L’évaluation finale synthétise les acquis, ouvre despistes pour l’avenir... Les groupes sont devenus deséquipes prêtes à partir aux États-Unis.

Pour certains, une « piqûre de rappel » est proposée :« 48 h pour un défi. » Ce second séminaire consiste àréussir une série d’épreuves en respectant lesconsignes. Par exemple franchir un rocher de plus de3 m de haut par une paroi lisse et inclinée de 70° à 90°,construire un promontoire pouvant supporter le poidsd’une personne, organiser au moins deux réunions,atteindre individuellement le sommet d’une voie d’es-

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“ ”Les groupes

sont devenus des équipes prêtes

à partir aux États-Unis.

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calade, gagner l’utilisation d’un moyen de transport(VTT) en retrouvant des balises dispersées dans laforêt, construire une urne à base de matériaux biodé-gradables, faire descendre en rappel au moins 10 per-sonnes n’ayant jamais pratiqué cet exercice, etc.

Un questionnaire d’évaluation est élaborée compor-tant 43 résultats à mesurer sur une échelle de 1 à 5 (« aaugmenté la confiance en moi », « m’a aidé à accepterla différence des autres », « m’a permis de mieuxprendre conscience de mon impact sur les autres »,etc.), et 6 questions ouvertes. Pour chaque groupe,une grille de synthèse des réponses donne le scoremaximum par question, pour chaque résultat le scoremoyen et le score total, et enfin une synthèse desréponses aux questions ouvertes.On observe que les résultats ayant obtenu les meilleursscores sont :

• m’a fait comprendre combien il est précieuxd’être vraiment à l’écoute des autres ;

• m’a permis d’encourager davantage les autres às’exprimer totalement ;

• a été pour la société un investissement rentableen temps et en argent ;

• me laisse espérer que notre équipe réagira defaçon plus positive avec les autres équipes du pro-jet ;

• m’a encouragé à développer mes compétenceslinguistiques.

Apprendre par l’expérience

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Parmi les réponses les plus significatives aux questionsouvertes :

• ce qui m’a plu le plus dans le séminaire :

– opportunité d’agir avec mes collègues dans unesituation challenging hors du bureau ;

– apprendre sur moi et sur les autres ;

– le dialogue avant d’agir et l’analyse ensuite,pour apprendre de la réussite ou de l’échec ;

– développement de la communication et du sensde l’organisation ;

• les principaux bénéfices pour le projet (usine) :

– meilleure compréhension des autres et plus detolérance des différences ;

– plus d’échanges sur les forces et faiblesses desmembres de l’équipe ;

– plus d’ouverture ;

– modération des extrémismes (agir sans plan-ning et planification en détail avant de démar-rer) ;

– accroissement de la motivation pour travaillerensemble vers le but commun ;

• si nous n’avions pas réalisé ces ateliers, le projetaurait eu des problèmes dans les domaines de :

– relations interpersonnelles ;

– processus de prise de décision ;

– par dessus tout manque de communication ;

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– manque de confiance ;

– confusion de responsabilités ;

– potentiel inemployé ;

• suivi suggéré pour renforcer les acquis des ate-liers :

– voir les collègues en dehors du travail dans leurmilieu familial (français) pour abolir la barrièrelinguistique ;

– réunions sur ce que nous avons appris, ce qui aété appliqué ;

– une autre session après trois mois pour renou-veler l’esprit ;

– inclure tous les services dans le suivi ;

– événements sportifs ;

• autres commentaires, idées :

– programme très bien structuré, exercices trèsagréables mais physiquement et mentalementconfrontants ;

– cela change des stages de réflexion habituels ;

– une vraie et unique expérience ;

– l’équilibre entre exercices, évaluations et socialtime est bon, très important.

Le résultat de cet énorme effort de recrutement et deformation a été un démarrage excellent de l’usine audébut juillet 1992. Au bout de deux mois, les expertsvenus aider au démarrage étaient repartis, ce qui est

Apprendre par l’expérience

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Au bout de deux mois,

les experts venus aider au démarrage étaient

repartis, ce qui est rarissime.

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Le cas de

« The Oxford Group »

rarissime. Les effets de ce qu’on appelle « le seconddémarrage » ont été invisibles. Le taux d’accident estextrêmement faible (Philippe Maisondieu, où qu’ilsoit, demande à ce qu’on le prévienne à tout momentdu moindre petit « bobo ».) Dès 1993, les perfor-mances de l’usine de Notre-Dame de Gravenchonatteignent celles des meilleures usines du groupe.Néanmoins, après dix huit mois de fonctionnement del’usine, l’enthousiasme de l’époque pionnièreretombe, et la troïka cherche le moyen de le réactiver.Elle organise pour les cadres la visite d’usines compa-rables dans d’autres entreprises : Dupont de NemoursAluminium, Péchiney, Rhône Poulenc. Ils reviennentbeaucoup plus enthousiastes après avoir comparéleurs excellentes performances par rapport à celles deleurs collègues. Tout n’est pas idyllique : la propositionde travailler en 12 h pour le personnel posté n’est passoutenue par les syndicats.Rançon du succès, « l’usine du futur » suscitera desjalousies, mais inspirera aussi en 1996, un nouveauprogramme de Exxon Chemical Company destiné àaméliorer l’efficacité de l’ensemble des usines dugroupe : Manufacturing Competiveness Project. C’esten Europe que le concept américain de la responsabi-lisation a trouvé il y a dix ans une de ses plus exem-plaires concrétisations, grâce à la passion et à« l’intelligence émotionnelle » d’une troïka.

La plupart des grands groupes conçoivent aujourd’huide tels programmes plaçant les compétences relation-nelles et cognitives au centre de leur stratégie, sou-

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C’est en Europe

que le concept américainde la responsabilisation atrouvé il y a dix ans une

de ses plus exemplaires

concrétisations.

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vent avec l’aide de cabinets spécialisés comme nos par-tenaires les cabinets Real Change de Californie, pourles clients français de Christian Forthomme, et le cabi-net The Oxford Group. Partant de la conviction que « les individus font la différence », ce cabinet interna-tional britannique aide ses clients à motiver leurséquipes, à découvrir et utiliser pleinement leur poten-tiel non exploité, et les prépare à gérer les change-ments permanents. Son approche intégrée (holistique)équilibre les besoins de toutes les parties prenantes(personnel, clients, actionnaires, fournisseurs, la com-munauté qui entoure l’entreprise) et vise à ce que lessolutions proposées contribuent aux intérêts à longterme de tous ces stakeholders. Ses domaines de com-pétences sont notamment la transformation de la cul-ture de l’entreprise, le développement du leadershipet des équipes, l’évaluation comportementale, le coa-ching, le développement professionnel, le recrute-ment et le conseil.

Gill Webb, qui dirige ce cabinet en France, affirmeque :

« Tout le monde peut changer les croyances et les com-portements dans une entreprise, à condition que l’objec-tif soit clair, que l’on soit motivé par un enjeu, et que l’onsoit conscient de son comportement actuel et de sa plusou moins bonne adéquation avec la réalité de l’organisa-tion et de son environnement. » En ligne avec les présup-posés de la PNL (Programmmation Neuro-Linguistique), « un comportement inadapté émane d’une croyancedémodée. »

Apprendre par l’expérience

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Pour la consultante, une dérive est à craindre quandune entreprise agit sur les comportements sans inté-grer les croyances (souvenons-nous de la métaphorede l’iceberg). Or, anglaise vivant en France depuis 1988et mariée à un Français, elle constate que nous avonstendance à tout globaliser : si on touche à la partievisible de l’iceberg (comportements, structure,règles...), nous avons peur que l’on touche aussi à l’in-timité de la personnalité (la partie invisible de l’ice-berg).

« Le manager ou le formateur ne sont pas des “ psy ”,dit-elle à son tour, car il est difficile de prétendre faire enpeu de temps un travail en profondeur ; le psychologuecommence par un travail en profondeur, puis aide sonclient à modifier ses comportements ; le formateur com-mence par les comportements, et c’est le client lui-mêmequi établit une connexion avec ses croyances. »

Par exemple, si un participant à un séminaire prendconscience qu’il a tendance à ne pas écouter, il pourramodifier sa croyance et considérer que « cela vaut lapeine de faire l’effort d’écouter les autres » ; il se forgeune nouvelle valeur, une autre façon de voir le monde.

« Les Français craignent un travail sur les comportementscar il l’assimilent à une manipulation, poursuit Gill. Aucommencement d’un séminaire, j’aime bien demander auxparticipants : C’est quoi “ un comportement ” ? ; je noteles réponses sur un tableau en écrivant les éléments com-portementaux dans la moitié supérieure, et les élémentsde personnalité dans la moitié inférieure ; lorsque tout lemonde a répondu, je trace entre les deux l’ondulation dela surface de la mer, en expliquant la métaphore de l’ice-berg ; les participants s’aperçoivent alors qu’ils confondent

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Une dérive est à craindre

quand une entreprise agitsur les comportements

sans intégrer les croyances.

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souvent “ comportements ” et “ personnalité ” ; j’expliqueque nous allons travailler sur la partie visible, mais que cha-cun aura l’occasion d’établir une connexion avec la partieplus profonde. En réalité, en travaillant dans “ l’ici et main-tenant ”, nous devons aligner notre travail, comme le faitla PNL et comme le recommande Stephen Covey, sur lacontinuité croyances-processus-comportements-objectif. Leprocessus lui-même se décompose en processus interne(niveau émotionnel : la priorité maintenant est ma volontéde faire des courses), et processus externe (pour faire descourses, je regarde dans le frigo ce qui manque, j’établisune liste...). Le thème de l’influence est caractéristique de lacrainte de la manipulation chez beaucoup de Français.Orientés vers le consensus non manipulatoire, ils sont troplents à réagir, alors que les Anglais, orientés vers l’action,sont au contraire trop rapides. En France, on ne fait pas delobbying mais on organise des “ déjeuners d’affaires ” ;chez les Anglo-Américains, le lobbying n’est pas suspectéde manipulation, mais un “ déjeuner d’affaires ” est sou-vent interdit car considéré comme une manipulation...Mais, pour l’essentiel, tout le monde fonctionne de lamême façon quelle que soit sa culture ; par exemple, je n’aijamais rencontré quelqu’un qui me dise lors d’un feedback“ c’est génial de recevoir une critique ” ; nous avons toustendance à rester sur la défensive. La différence s’exprimeavant tout dans les comportements. La question que sepose un consultant est : “ Par où je commence pour accro-cher la personne ? ” Avec les Anglo-Américains, on peutcommencer à travailler sur les détails, car ils ont une visioncourt terme, alors qu’avec des Français, il est préférable decommencer par un travail global. Autre exemple d’ap-proche différente, on commencera au niveau individuelavec des Américains, très imprégnés de la culture du cow-boy solitaire, pour progresser vers le niveau collectif, alorsque l’on fera l’inverse pour des Italiens, à la mentalité for-tement collective. Chose étonnante, les Français sont, sur cedernier critère, beaucoup plus proches des Anglais, trèsindividualistes, mais pour des raisons différentes. »

Apprendre par l’expérience

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Je n’ai jamais rencontré

quelqu’un qui me dise lorsd’un feedback“ c’est génial de recevoir

une critique ”.

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Selon Gill Webb, une intervention sur les comporte-ments a trois aspects : la prise de conscience, la répéti-tion, et l’adaptation permanente.

« Sans prise de conscience et implication dans ce qui vachanger, il n’y a pas de raison de s’investir dans le chan-gement », affirme-t-elle.

Plutôt qu’une grande philosophie du changement, lemoyen de cette prise de conscience est un apprentis-sage actif, une mise en œuvre des comportementsdans des actions ; les formés sont acteurs de ce qui sepasse et critiques des « bons » ou « mauvais » compor-tements par rapport à un objectif ; à eux de se rendrecompte s’il faut changer ou maintenir le statu quo. Engénéral, ces actions produisent un résultat positif quiles motivera à investir un peu plus d’énergie dans leprocessus de changement. En second lieu, il faut unerépétition (nous dirions un entraînement) pour chan-ger les comportements et se développer. The OxfordGroup alterne des role play (jeux de rôle) et des realplay (situations réelles). Par exemple un candidat à unposte est soumis à un assessment centre (bilan com-portemental), reproduisant des incidents de travail quiseront rencontrés dans le poste à pourvoir. Pour tra-vailler sur le coaching, des binômes de formés alter-nent les rôles de coach et de « coaché » à partir d’unesituation rencontrée dans la vie professionnelle ; lefeedback porte ensuite sur les comportements obser-vés chez chacun : écoute, questionnement, encourage-ment... Un enregistrement vidéo apporte de lamatière à cette séance.

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Plutôt qu’une grandephilosophie du

changement, le moyen de cette prise

de conscience est un apprentissage

actif.

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« Au début d’un séminaire intensif de trois jours,remarque Gill, les participants passent par trois phases :d’abord “ incompétents et inconscients ” ils deviennent“ incompétents et conscients ”, ce qui est plus pénibleque la situation précédente ; chacun se dit “ je ne vaispas y arriver ; il faudrait être psy... ” ; enfin ils deviennent“ compétents et conscients ” : “ Nous ne sommes pas desexperts, mais il est possible d’y arriver ” ; ils ont le permisde conduire, mais pas encore l’expérience. Chacun peutressentir une “ révélation ”, éprouver de la joie, uneenvie de prolonger l’expérience, lorsqu’il comprend qu’ilpeut avoir un impact sur les autres s’ils constatent qu’ilest à leur écoute, qu’il les accompagne, qu’il leur donnede la confiance et qu’il les libère. »

La technique « OECE » permet de décomposer uneaction en plusieurs petits aspects :

• observation de ce qui vient de se passer ;

• enregistrement par écrit très factuel (ou parvidéo) de la partie visible de l’iceberg ;

• classification suivant une grille des comporte-ments ;

• évaluation : comportement utile par rapport àl’objectif/impact sur l’autre.

Ce n’est pas une synthèse ou un feedback classiqueobservation/évaluation (ou même pire : évaluationtout court) ; ici, une situation est décomposée parséquence, au mot à mot.Suivant la même logique que la formation expérien-tielle, Gill et ses formateurs font parfois le détour parla métaphore « pour libérer des barreaux dans la

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tête », enlever les contraintes de la vie réelle et stimu-ler la créativité ; par exemple, chaque participant assisles yeux bandés a sur les genoux quatre pièces depuzzle en bois ; le problème à résoudre est de déter-miner quelles sont les deux pièces manquantes ; l’exer-cice demande de la communication, de l’échange et lacapacité de sortir des idées préconçues.

« Les stagiaires ont besoin d’un accompagnement pourtransférer les acquis dans la réalité, note Gill ; la répéti-tion est plus proche de la réalité. »

La métaphore est selon elle plus pertinente dans le casd’un travail sur une compétence générale comme letravail d’équipe et le leadership, et provoque le déclicd’imaginer que le monde peut être différent. Le troi-sième aspect d’un travail sur les comportements estl’adaptation permanente.

« Dans un monde qui change de plus en plus, tout com-portement a une raison positive, nous dit Gill : se proté-ger, aller vers un objectif... »

Parfois, ce comportement n’est plus adapté car il cor-respond à un objectif du passé.

« Lorsque j’étais enfant, crier dans mon lit lorsque jevoyais une araignée était utile, puisque cela faisait venirmon père qui me calmait, et que je pouvais ensuite dor-mir ; mais le même comportement vingt plus tard n’au-rait pas été approprié... C’est notre rôle de consultantd’aider les gens à s’adapter en permanence par l’ap-prentissage (assimiler plutôt qu’apprendre), et non pas,

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La métaphore est plus

pertinente dans le casd’un travail sur une

compétence généralecomme le travail d’équipe

et le leadership, et provoque le déclic

d’imaginer que le mondepeut être différent.

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comme certains patrons le voudraient, en provoquantun électro-choc chez les employés pour leur démontrerqu’ils sont nuls. »

C’est encore l’éternel conflit entre la société deconfiance et la société de défiance.

Avec une telle approche, il n’est pas étonnant quenous ayons repéré notre complémentarité, dans l’inté-rêt de nos clients.

« Certains clients, explique Gill, souhaitent travailler surles croyances, en particulier lorsque leur objectif est defaire évoluer leur culture d’entreprise. Nous répondonsvolontiers à cette demande car nous considérons qu’ilest idéal de travailler aux deux niveaux, et la formationexpérientielle, notamment dans sa version outdoor, per-met ce travail en peu de temps. Je suis souvent horrifiéede voir le niveau de stress dans les entreprises ; un travailen profondeur aide les gens à s’en libérer. »

The Oxford Group considère que dans certains casl’Outdoor Training est un complément efficace à inté-grer dans son intervention parce qu’il a un pouvoird’accélération d’un processus d’apprentissage. C’estainsi que, depuis 1998, nous intervenons en Francepour ses clients tels que Marks & Spencer, Mars,Pillsbury ou General Electric Medical Systems.Pour l’équipe de direction de Pillsbury France, legroupe alimentaire qui possède des marques telles queHäagen-Dazs, Géant vert ou old El Paso, il s’agit de tra-vailler en deux jours sur « les compétences en coa-ching » : comprendre et savoir utiliser les techniques de

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L’Outdoor Training est

un complément efficace à intégrer dans son

intervention parce qu’il a un pouvoird’accélération d’un processus

d’apprentissage.

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coaching ; intégrer le rôle du coach dans les différentestâches et approches du leadership et du management ;renforcer l’esprit d’équipe du senior management. Gilln’éprouve pas le besoin de traduire en français le motcoaching, car « entraîneur » n’évoque pas la mêmechose, et parce que les discussions suscitées par ceconcept anglo-saxon provoque une féconde réflexion.Après une première journée consacrée à une introduc-tion sur ce qu’est le coaching, l’équipe de direction apassé l’après-midi à réaliser des exercices sollicitantl’écoute, l’encouragement, le feedback, la prise derisque. Par exemple, les participants grimpent deux pardeux par une échelle pour se positionner debout face àface sur deux câbles fixés entre les arbres à 6 m du sol ;ils se maintiennent en équilibre en s’appuyant sur le co-équipier par les deux bras tendus au-dessus de la tête ;le binôme doit ensuite progresser le plus loin possiblesur ces deux câbles qui ont la fâcheuse tendance àdiverger ; ce défi ne peut être relevé qu’avec l’aide desquatre équipes d’assureurs au sol, bien sûr, mais aussipar un engagement et une confiance donnée et reçue,éléments essentiels du coaching, comme l’a voulu Gill :

« Cette demi-journée a provoqué un déclic extraordi-naire sur la relation de confiance, et a permis à chacunde valoriser l’autre ; l’expérience est très riche à la fois auniveau individuel et collectif ; ce real play permet defranchir les étapes plus rapidement dans un travail surles comportements ; le quotidien des participants estévacué aisément pour se concentrer sur eux et voir dansces situations en extérieur la métaphore des valeurs surlesquels ils agissent. »

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Le deuxième jour du séminaire accompagne cettetransformation en développant par des jeux de rôle surdes cas réels le comportement d’un bon coach. WendyCarruthers, membre de cette équipe de direction et res-ponsable de Ressources Humaines, confirme que,depuis ce séminaire, elle-même et les autres membresdu comité de direction font souvent du coaching entreeux et avec leurs équipes. L’évaluation faite avec durecul par le client est excellente puisque l’on trouve unscore de 9/10 pour estimer la valeur globale du sémi-naire, la réalisation des objectifs d’apprentissage parles exercices pratiques et la pertinence du contenu dela formation par rapport au poste de chacun. L’utilitédes exercices en grandeur réelle dans la forêt est recon-nue par tous les participants.

Dans le cas d’un autre grand groupe américain ayantson siège européen en France, l’objectif est de mieuxfonctionner avec des personnes ayant des fonctionsdifférentes. The Oxford Group accompagne pendantdeux ans ce service sur les comportements et lecontenu des postes. Des exercices métaphoriques révè-lent d’abord une tendance naturelle à se concurrencerdangereusement, et donc l’intérêt d’un travail com-mun vers un seul objectif et de l’élaboration de règles.Des réunions de créativité permettent ensuite de pré-ciser la vision et la mission de cette équipe par rapportà sa vie réelle de travail. À ce stade, la priorité d’un tra-vail sur les parties prenantes (stakeholders) apparaît :d’abord les identifier afin de s’assurer que la vision etla mission répondent bien à leurs besoins ; organiser leprojet, les responsabilités et actions, de façon à réali-ser la mission ; anticiper les conflits prévisibles. Dans

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un tel parcours de développement professionnel, unepériode de relâchement est nécessaire pour respirer ;ce moment ludique (sport, détente) fait gagner dutemps. Mais si l’activité ludique est sous-tendue par unintérêt pédagogique, cette étape est plus efficaceselon Gill Webb. C’est pourquoi elle fait appel à nosformateurs pour concevoir dans l’Esterel une telleexpérience « de plaisir et de compréhension. » La der-nière étape du parcours est consacrée à l’élaborationde plans d’action au moyen de la technique du feed-back. Le patron de ce service, a gagné quelques moisplus tard le prix du meilleur manager de l’année auniveau mondial ; ce n’est peut-être pas tout à fait unhasard car il a su faire bouger les choses, donner plusde clarté sur qui fait quoi, réduire la méfiance, renfor-cer la coopération et créer un réel esprit d’équipe quise concrétise par une autre manière de résoudre lesproblèmes.

Eric Borveau, diplômé en formation des adultes, estaujourd’hui notre formateur principal. À l’aise dans lesactivités de plein-air, il a cette qualité d’empathie quifait les bons facilitateurs.Il se trouve à un bon poste d’observation pour évaluerle fonctionnement humain des entreprises :

« Souvent, observe-t-il, les objectifs ne sont pas clairs àaucun niveau (individu, sous-groupe, groupe, organisa-tion), et cela crée une situation de flou ; il n’y a pas réel-lement de règles de fonctionnement dans les équipes,d’où une perte de temps et d’énergie ; on emploie desconcepts généraux, sans faire un travail en profondeur

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Le point de vue d’un

formateur expérientiel

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Le patron de ce service,

a gagné quelques moisplus tard le prix

du meilleur manager de l’année au niveau mondial.

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sur ce qu’ils recouvrent ; par exemple, vouloir l’autono-mie et la responsabilité sans préciser ce qu’on en attendet les moyens que l’on se donne pour y arriver ; les situa-tions diffèrent énormément parmi nos clients suivant laculture de l’entreprise, surtout en fonction de la maîtrisedu feedback, préalable incontournable à la culture ducoaching (ou de la facilitation). Peu de gens sont prêts àrecevoir spontanément, sans entraînement, du feedbacket à dire : “ J’ai bien aimé, j’aime bien comment tu fonc-tionnes, j’ai une difficulté avec ça, est-ce qu’il y a unmoyen de travailler ensemble ? Si tu as des difficultés àquitter ton job à 20 h, voyons ce que tu peux faire. ”Notre rôle est de développer chez les participants uneécoute active et de leur donner des techniques de ques-tionnement car la solution vient de la personne qui veutchanger ; nous les entraînons à aider à leur tour un col-laborateur à réfléchir à l’amélioration des ses perfor-mances ou à ses difficultés relationnelles, dans un toutautre esprit que celui du petit-chef qui sait tout, juge etsanctionne. Le feedback consiste à observer une per-sonne ou un groupe et à lui renvoyer ce que l’on voit :“ J’ai vu ce comportement, tu as une difficulté, tu asenvie de t’améliorer en tant que manager ; on pose leproblème de savoir où tu en es, où tu veux aller, qu’est-ce que tu mets en place de différent pour atteindre tonobjectif... ”. »

Les câbles divergents à 6 m du sol, sur lesquels il fautprogresser en binôme en se maintenant en équilibre,est un bon exercice pour travailler sur le coaching.

« Dans un groupe, se souvient Éric, un homme et unefemme autour de 30-35 ans, appartenant tous les deuxau comité de direction, ont du mal à fonctionnerensemble ; cela s’est exprimé lors des premiers exercices ;ils sont enfermés dans un rapport de force auquel ilsconsacrent beaucoup d’énergie ; chacun a tendance à

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Notre rôle est de

développer chez lesparticipants une écouteactive et de leur donner

des techniques dequestionnement car

la solution vient de la personne

qui veut changer.

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projeter sur l’autre son propre fonctionnement ; ils esti-ment tous deux qu’ils n’ont pas besoin de l’aide del’autre. Dans la présentation de l’activité, je demandeaux participants de choisir quelqu’un avec qui ils ontenvie de vivre cette expérience, avec qui ils aimeraientmettre en place une relation différente ; “ si vous nechoisissez pas votre partenaire, vous risquez d’êtrechoisi.... ” Les deux personnes connaissant des difficultésrelationnelles se choisissent mutuellement ; la femmemanifeste des signes de panique au moment de gravir lagrande échelle, mais elle accepte l’aide de son parte-naire parce qu’il s’agit d’émotion et non d’un domaineintellectuel ; lui la coache bien en la respectant, enl’écoutant et en la dynamisant pour aller plus loin ;ramenés au sol par leurs assureurs, ils se livrent à un petitdebriefing, et tous les deux souhaitent en parler un peuplus tard ensemble à l’écart du groupe ; pendant le restedu séminaire, et de retour dans leur cadre professionnel,ils changent de mode de fonctionnement ; elle a comprisqu’elle pouvait accepter de l’aide de lui. »

La progression logique d’un séminaire est :

1. Développer l’écoute et la confiance, qui autori-sent un feedback efficace.

2. S’entraîner au coaching et au leadership, condi-tions de l’autonomie et de la responsabilisation.

3. S’entraîner à apprendre par l’expérience bien au-delà du séminaire.

Lorsqu’il conçoit avec d’autres formateurs un pro-gramme sur mesure, Eric s’adapte à toutes sortes deproblématiques afin de coller à la réalité et au besoinde l’entreprise.

L’entreprise du futur

© Éditions d’Organisation [457]

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« Un de nos clients, dont nous avons accueilli les 120cadres et éléments moteurs, utilise beaucoup la promo-tion interne ; leurs techniciens devenus cadres sont per-formants, mais manquent de compétences relationnelles ;nous faisons avec eux un gros travail au niveau du lea-dership. Nous leur proposons un exercice complexe enforêt baptisé le blueprint (plan calque). Chacun des sous-groupes doit préparer sur une carte à l’aide d’une bous-sole un itinéraire divisé en plusieurs étapes ; chaqueparticipant doit se préparer à être le leader d’une étapede ce parcours, sachant que pendant l’exercice il ne dis-posera pas de la carte mais de la seule boussole; celarevient donc à visualiser le parcours, les difficultés, lastratégie pour mobiliser le groupe, tenir compte despoints forts et des points faibles, des contraintes impo-sées par la consigne, et atteindre le but de l’étape ; l’ex-pédition, à haute valeur projective, révèle en général unmanque d’écoute en situation de travail d’équipe ; cha-cun y va de sa petite idée ; cela avait déjà été flagrantdans les petits exercices de résolution de problèmes ;c’est par conséquent sur l’écoute que nous faisons porterensuite nos efforts. »

« Une entreprise à l’écoute », comme dirait Crozier,commence par des cadres à l’écoute. C’est un thèmerécurent dans nos séminaires.

« Lors d’un séminaire pour une entreprise de distribu-tion en gros, un cadre responsable des achats du rayonfromages exprime lors d’un exercice, et dans le plusgrand brouhaha, une solution ; il s’agit de trouver lemoyen de soulever à distance, les yeux bandés pour ceuxqui exécutent la manœuvre, et à l’aide de quelques cor-delettes et d’un élastique, un petit récipient sensé conte-nir de la nitroglycérine placé au centre d’un périmètrede sécurité interdit ; personne n’écoute sa suggestion ;pendant l’évaluation, le rôle du facilitateur est d’inter-

Apprendre par l’expérience

[458] © Éditions d’Organisation

“”

Une entreprise à l’écoute,

commence par des cadresà l’écoute. C’est un thème

récurrent dans nos séminaires.

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roger cette personne sur sa manière d’exprimer uneidée, sur l’énergie qu’il aurait pu déployer pour se faireentendre au lieu de regretter que le groupe ne l’ait pasécouté ; il convient que son défi dans le prochain exer-cice sera de se positionner de manière plus assertive ; eten effet, lors de l’exercice de la toile d’araignée, ce cadredemande le silence afin de pouvoir proposer une idée,obtient l’écoute du groupe ; peu importe ce qui se passepar la suite, l’important est qu’il ait pris sa place. Cetexemple offre une bonne métaphore de la règle : avantde chercher une cause externe d’une difficulté, sedemander pourquoi elle est survenue. »

Nos formateurs constatent souvent que l’équilibreentre réflexion et action est ardu à trouver dans biendes équipes. Soit les cadres sont orientés vers la tâcheet ne prennent pas le temps de l’analyse et de la stra-tégie, soit au contraire ils s’enlisent dans d’intermi-nables préalables avant de se lancer, trop tard, dans laconcrétisation. Le travail en séminaire est dans ce casaxé sur la visualisation d’un projet dans sa globalité,sur les étapes intermédiaires qu’il faudra franchir pourarriver au but. Le formateur propose dans ce cas unexercice comme le carré parfait à dessiner sur lapelouse, les yeux bandés, à l’aide d’une corde de 50 m,déposée par terre dans l’espace alloué au jeu et qu’ilfaut d’abord retrouver.

« Souvent, note Éric, les équipes réfléchissent énormé-ment sur la manière de trouver la corde et n’ont plusassez de temps pour élaborer une stratégie de réalisa-tion du carré, et pour la mettre en œuvre ; 20 % seule-ment des gens visualisent l’ensemble de la tâche etmettent en place un bon leadership ; nous les aidons àaméliorer ce score. »

L’entreprise du futur

© Éditions d’Organisation [459]

“”

Avant de chercher

une cause externe d’une difficulté,

se demander pourquoi elle est survenue.

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Les Français, nous le constatons dans nos mises ensituations très révélatrices, sont individuellement fortspour la réflexion, l’énergie, la volonté, mais ont géné-ralement du mal à passer à un fonctionnementd’équipe, c’est-à-dire à utiliser les comportements dechacun de façon optimale pour atteindre un niveauélevé de performance ; il y a là une déperdition ou unmanque très dommageable pour l’entreprise. Les pres-cripteurs de la formation en extérieur le savent bien,qui assignent majoritairement à nos séminaires le ren-forcement de la cohésion et du travail d’équipe.

« Lors d’exercices comme la toile d’araignée ou la nitro-glycérine, observe Éric, il est évident que la plupart desgroupes ont du mal à coopérer : ils mettent 15 minutesà s’organiser, élaborent un semblant de stratégie aucoup par coup, le dernier qui parle a raison, le tempstourne et ils ne parviennent pas à accomplir la tâche. »

Travailler en équipe, cela veut dire aussi bien gérer lesrelations hommes/femmes, et c’est encore loin d’êtreévident en France.

« L’équipe marketing d’une grande entreprise agroali-mentaire, composée d’hommes et de femmes, révèle sesproblèmes de mixité lors de l’exercice de la construc-tion : à l’aide de tubes et de coudes, il s’agit de réaliserune architecture décorée d’une fresque symbolisant lesacquis du stage et permettant de faire flotter à 10 m dusol les couleurs des valeurs de l’entreprise ; les filles pren-nent en charge spontanément la réalisation de lafresque et se mettent à découper, coller, coudre, peindreet repasser avec beaucoup de créativité ; deux garçonsles quittent pour aller “ jouer au Légo ” avec les autres“ mecs “, suivant le stéréotype le plus banal ; les filles sol-

Apprendre par l’expérience

[460] © Éditions d’Organisation

“”

Travailler en équipe,

cela veut dire aussi biengérer les relations

hommes/femmes, et c’estencore loin d’être

évident en France.

Les Français, nous le

constatons dans nosmises en situations très

révélatrices, sontindividuellement forts

pour la réflexion,l’énergie, la volonté, maisont généralement du mal

à passer à unfonctionnement d’équipe,c’est-à-dire à utiliser les

comportements dechacun de façon optimalepour atteindre un niveauélevé de performance ; ily a là une déperdition ou

un manque trèsdommageable

pour l’entreprise.

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licitent l’accord des garçons pour la réalisation de lafresque ; “ c’est bien, on vous fait confiance ”, répon-dent-ils avec l’air d’en avoir rien à faire ; de leur côté, ilsn’éprouvent pas le besoin de donner aux filles des expli-cations sur la construction : chacun fait son truc. Lors dudebriefing, le groupe prend bien conscience du pro-blème, et quelqu’un remarque : “ Malgré le vent, je nevois pas trop les couleurs de nos valeurs flotter à 10 m dusol... ” ; aussitôt tous, garçons et filles cette fois-ci soli-daires, se mettent à démonter la pyramide, à ajouter destubes à la hampe du drapeau et à remonter l’ensemble ;c’est un moment magique qui restera pour longtempsune référence commune pour cette équipe : ils nousdiront bien plus tard que lorsqu’une difficulté de coopé-ration surgit entre eux, il suffit que quelqu’un dise“ pyramide ” pour que tout le monde retrouve le fonc-tionnement du séminaire. »

La plupart des dirigeants sont aujourd’hui conscientsqu’il s’agit de modifier la culture de leur entreprise aumoyen d’une stratégie.

« Pour modifier la culture d’une organisation, il fautcommencer par soi-même, répond Eric ; trop souvent onobserve un manque de congruence entre le discours etl’action ; combien de patrons incitent à la responsabili-sation mais ne reconnaissent pas le droit à l’erreur, inter-viennent à tout propos et pratiquent le doublemessage ; ils se comportent comme une maman quidirait à son enfant “ je t’aime ”, mais qui le repousseraitlorsqu’il viendrait solliciter ses caresses ; nous aidons lespatrons à exprimer clairement leur vision, et leurs cadresà la répercuter ; nous les accompagnons, souvent encomplément de nos partenaires consultants, dans leureffort de rendre compatible l’épanouissement des indi-vidus et la performance de l’entreprise. »

L’entreprise du futur

© Éditions d’Organisation [461]

“”

Ils nous diront bien plus tard

que lorsqu’une difficultéde coopération surgitentre eux, il suffit que

quelqu’un dise “ pyramide ” pour que tout le monde

retrouve lefonctionnement

du séminaire.

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Éric, comme les autres formateurs, se heurte naturelle-ment à la résistance de certains groupes , même si celaest peu fréquent. Les chefs de département d’unegrande entreprise de transport en commun participentà un long programme d’ouverture au changement de9 mois incluant notamment un voyage en Chine ;quelque temps avant leur départ, ils viennent cheznous pour renforcer leur cohésion et élaborer un autremode de fonctionnement en seulement deux jours...

« Ils n’y croient pas, me dit dès le premier soir Éric ; ilsn’ont pas l’habitude de sortir de leur zone de confort ;pour eux, il y a plusieurs manières d’aborder les choses :soit ils restent convaincus qu’ils ne vont rien apprendredans la forêt en plein hiver, ils ne s’engagent pas et l’ab-sence de résultat leur confirmera ce pronostic ; soit ilss’aperçoivent qu’il y a quelque chose à apprendre ici, etils seront motivés pour faire l’effort de sortir de leurzone de confort. »

Éric et son co-animateur « rament » le lendemain pourdéclencher malgré tout une prise de conscience et untravail sur le fonctionnement de ces cadres qui diri-gent chacun 500 à 1 000 personnes. Les questionnairesd’évaluation remplis à la fin du séminaire reflètent larésistance de ce groupe avec des critiques certes mino-ritaires, mais inhabituelles pour nous : « pas de décou-verte fondamentale, sceptique sur l’intérêt dans lemonde du travail », « l’objectif de cohésion de groupen’a pas été atteint », « inadapté, new age », « pasconvaincu de l’efficacité, mais seul le vécu futur pourrale confirmer ou pas. » Le consultant, PierreForthomme, qui a conçu l’ensemble du programme

Apprendre par l’expérience

[462] © Éditions d’Organisation

“”

Aider les patrons

à exprimer clairement leur vision,

et leurs cadres à la répercuter.

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dans lequel s’inscrit cette séquence outdoor, n’est pasdupe :

« Il faudra un peu de temps pour digérer cette expé-rience confrontante et en mesurer l’impact ; je suisconvaincu que cela sera bénéfique pour leur voyage enChine. »

Il a raison, puisque, quatre mois plus tard, il meraconte :

« Cette journée “ outdoor ” s’est révélée extrêmementstructurante en donnant au groupe la capacité àconstruire un vécu partagé, auquel il s’est référé dans lereste du programme ; cet instrument pédagogique a étéun élément clé de leur parcours. »

Le propre du bon formateur expérientiel est d’avoir unbon bagage théorique mais de ne s’en servir qu’en casde besoin ; il n’a pas à démontrer sa science.

« Les gens sont gavés de théorie depuis l’école, dit Éric ;notre approche est apparemment plus simple, mais elleest aussi plus significative ; aucune théorie ne peut êtreuniverselle ; chaque individu est unique ; le plus impor-tant est de se parler, de se dire des choses : donner dufeedback, demander de l’aide, de la reconnaissance,refuser, savoir dire non plutôt que de dire oui et de nerien faire, recevoir ce qui est donné et s’en nourrir, consi-dérer le feedback comme un cadeau... La pédagogieexpérientielle est différente et complémentaire d’autresapproches comme la Gestalt, plus personnelle et théra-peutique, ou l’Analyse transactionnelle, qui permet à ungroupe d’avoir des références communes et de parler lemême langage. »

L’entreprise du futur

© Éditions d’Organisation [463]

“”

Le plus important

est de se parler, de se diredes choses : donner

du feedback, demanderde l’aide,

de la reconnaissance,refuser, savoir

dire non.

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La formation traditionnelle des adultes posait quel’enseignement concernait la transmission de savoirs etde techniques qui devaient être utiles tout au long dela carrière du formé. Ce n’est plus le cas. Les connais-sances enseignées deviennent très rapidement obso-lètes, et il est plus important désormais d’apprendre àapprendre par l’expérience. Des compétences inter-personnelles efficaces sont plus importantes quejamais. Par dessus tout, les personnes doivent êtredans leur vie professionnelle psychologiquementadaptées au changement et capables de travaillerdans un contexte incertain.

Apprendre par l’expérience

[464] © Éditions d’Organisation

La formationtraditionnelle

des adultes posait quel’enseignement

concernait la transmissionde savoirs et de

techniques qui devaientêtre utiles tout au longde la carrière du formé.Ce n’est plus le cas. Les

connaissances enseignéesdeviennent très

rapidement obsolètes, etil est plus important

désormais d’apprendre à apprendre parl’expérience. Des

compétencesinterpersonnellesefficaces sont plus

importantes que jamais.Par dessus tout, les

personnes doivent êtredans leur vie

professionnellepsychologiquement

adaptées au changementet capables de travailler

dans un contexte incertain.

La formation expérientielle apporte une réponse signifi-cative en tant que travail transversal, complémentaire desapproches de formation plus classiques. Ce que les Anglo-Saxons appellent une « peak experience », une expériencede dépassement de soi au contact de la nature, est certai-nement le support le plus puissant de cette pédagogie etinfluence durablement les personnes qui la vivent. Lesdéfis physiques, émotionnelS et intellectuels mettent enlumière le besoin de compétences sociales, de coopéra-tion, et de communication efficace. Tolérance, sensibilité,leadership et responsabilité sont aussi sollicités. Les orga-nisations efficaces, comme les individus, « accueillent lesproblèmes au lieu de les craindre »(Fullan et Miles 1992) ; la formation expérientielle enextérieur leur offre un lieu d’entraînement pour dévelop-per cette attitude.

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© Éditions d’Organisation [465]

Conclusionen forme

de manifestepour

l’entreprisedu futur

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1. Adaptation d’un manifesteécrit pour Hors limites par CollBouley Consultants 1986.

Conclusion

[466] © Éditions d’Organisation

Pouvoirs obsolètes, élans contrariés, futurs incertains.Le désarroi gagne dans la vie comme dans l'entreprise.L'alternative, c'est le courage de sortir du cadre, et laconfiance qui permet de reconnaître la valeur desautres et l'intérêt de leur accorder l'autonomie et laresponsabilité.

« Expérientiel » est davantage qu'un apprentissageinformel de ces nouvelles mentalités et comporte-ments. C'est une école de la décision, un complot per-manent contre toutes les fatalités. Le super hérosmacho n'a rien à y faire, même si dans les séminaires« expérientiels » les attachés case cotoient la boue. Ici,les managers affrontent leurs limites. Et ils réalisenttout. Dans le courage, la passion et l'intensité, ilsdécouvrent leur propre échelle. Valeurs naïves ? Non,valeurs urgentes.

Parcourir à deux des câbles divergents par la seuleforce de la confiance partagée, franchir un mur ou une« toile d'araignée » géante grâce à la coopération,construire une « sculpture » de 10 m de haut, c'est levéritable accès à la réussite individuelle et collective.Le tournant où tout se crée. Le laboratoire de la trans-formation de nos organisations et de nos équipes. Lestemps sont à l' « expérientiel »1.

“”

L'alternative, c'est le courage

de sortir du cadre, et la confiance qui permet

de reconnaître la valeur des autres et

l'intérêt de leur accorderl'autonomie et la

responsabilité.

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« Perdu. Désarmé. Et de plus, seul au monde. Face à la

complexité croissante de la gestion d'une entreprise

moderne, le management a de plus en plus de mal à

masquer son désarroi » 2,

lit-on régulièrement dans la presse.

Pour des sociologues du CNRS 3, ces bouleversementsimposent aux sociétés d'œuvrer à une « améliorationde la communication et de l'interaction humaine ». Ducharabia humaniste pensent ceux qui considéraientjusque là, au-delà des beaux discours de la « gestiondes ressources humaines », que les employés sont unesource de dépenses et que les licenciements étaient lemeilleur investissement.

Attirer les professionnels compétents est désormaismoins important que savoir les garder en participant àleur accomplissement personnel. Les primes, les stockoptions et toute la panoplie des récompenses « incen-tive » n'y suffisent plus.

C'est dans ce contexte que le « business de la stimula-tion » et des stages de « motivation » n'a jamais étéaussi porteur. Le problème est que la demande est plusqualitative, plus profonde, moins « gadget » que dansles années 90, alors que l'offre est dans l'ensembleencore restée à un stade très superficiel. L'enjeu est

2. Séminaires de motivation, le phénomène, Marc Boujnah,France TGV, Septembre 1999.

3. Laboratoire d’économie etsociologie du travail (LEST).

Conclusion en forme de manifeste pour l’entreprise du futur

© Éditions d’Organisation [467]

“”

Attirer les professionnels

compétents est désormaismoins important quesavoir les garder en

participant à leurprogression, voire à leur

accomplissementpersonnel.

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énorme, car il s'agit de faire évoluer la culture de nosorganisations, de changer de paradigme, de dévelop-per de nouveaux comportements, et l'on continue àproposer du psycho-socio, du « travail sur le corps »,des techniques miracles de communication ou de coa-ching, des ersatz de nos séminaires « outdoor ». Unmagazine économique replaçait cela en perspective :

La pédagogie n'a pas changé et je suis davantagehéraut que héros ! C'est la perception des dirigeantsd'entreprise et des professionnels des ressourceshumaines qui a évolué ; ils intègrent enfin la nécessitéd'agir sur les comportements avec des approches nou-velles.

Au terme de notre exploration dans la jungle des stra-tégies comportementales et des pièges à éviter, unetendance s'affirme en ce début de XXIe siècle : l'entre-prise du futur fera de la culture de la responsabilisa-tion et de la formation comportementale un axeessentiel de son développement.

Paradoxalement, plus nous sommes riches en informa-tions, plus nous devenons pauvres en expériences. Ledéveloppement professionnel des gens dépend dansune large mesure de leur capacité à réfléchir sur l'ex-périence en train de se vivre et d'apprendre à traverselle. Les problèmes ouvrent le chemin vers de plus pro-fonds changements et une plus grande satisfaction.

Conclusion

[468] © Éditions d’Organisation

“”

L'entreprise du futur

fera de la culture de la responsabilisation

et de la formationcomportementale un axe

essentiel de sondéveloppement.

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Dans ce sens, les organisations comme les individus sai-sissent les opportunités qu'offrent les problèmes plu-tôt que de les craindre. Notre société a bien plusbesoin de l'approche expérientielle et de l'OutdoorTraining qu'à l'époque de Kurt Hahn pour faire passerdans la réalité de leur fonctionnement humain desattitudes telles que la confiance, le courage, la coopé-ration, le coaching et le leadership.

Conclusion en forme de manifeste pour l’entreprise du futur

© Éditions d’Organisation [469]

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© Éditions d’Organisation [471]

Annexes

ANNEXE 1

MODALITÉS D’UTILISATION DE LA GRILLE DE PROFIL DE MANAGEMENT1

Dans les tableaux ci-après sont regroupés les critères les plus utilisés habituellementdans l’évaluation des « Managers ».Ils sont généralement considérés par de nombreux courants de recherche commeétant des facteurs clefs de succès dans les pratiques de management et ce quel quesoit l’environnement dans lequel s’exerce la fonction.

Dans certaines conditions d’activité, il est possible de distinguer certains facteurs quipeuvent être considérés comme primordiaux par rapport aux autres.

Bien sûr, il n’est pas possible à un « Manager » particulier d’être capable d’être par-fait sur l’ensemble des critères qui sont ici au nombre de 65 !

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Le but poursuivi n’est donc pas de viser la perfection mais d’identifier les critères dansleur totalité afin d’être à même de se positionner par rapport à chacun d’eux.Pour les Responsables qui sont en position de « Manager », la démarche peut leurpermettre de mieux cerner les objectifs d’un éventuel plan de développement pro-fessionnel et, pour ceux qui aspirent à devenir « Manager », il est possible d’élaborerun plan de formation à cette fonction.

Par conséquent, au moyen des tableaux ci-après et au regard de chaque ligne de cri-tère, il est propsé au titulaire d’une fonction de management de dresser un inven-taire de :

• ses points forts (dits aussi points d’appui, dans la colonne des +++),

• ses points d’équilibre (dits aussi points de satisfaction, dans la colonne des +/–),

• ses points faibles (dits aussi points de progrès, dans la colonne des ---).

S’il dispose déjà de l’avis de sa hiérarchie, de celui d’un expert ou des résultats detests ou d’épreuves d’aptitudes au management, ce titulaire peut bien sûr s’inspirerde ces données pour tenter d’être le plus objectif possible.

Sur le plan pratique, la façon la plus simple de procéder consiste à faire simplementune croix dans la colonne correspondant à l’évaluation faite. En faisant la somme descroix en bas des trois colonnes du tableau, le résultat obtenu doit être de 65.

Nous vous souhaitons une bonne évaluation !

Avec l’aimable autorisation de :1.Headic & Adlance, 35 avenue de Friedland, 75008 Paris

Annexes

[472] © Éditions d’Organisation

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Critères clefs de succès +++ +/– ---

dans le management actuelpoints points points

d’appui d’équilibre de progrès

Abstraction : apte à la conceptualisation, àl’organisation et à l’intégration de données.

Activité : capable d’affronter les problèmes etles besoins de l’entreprise avec clarté et préci-sion, de faire pression sur les événementspour aboutir, d’être assuré(e) et constant(e)dans l’action.

S’Adapte : s’accomode bien du stress, agitsans perdre ses repères.

Affirme : a confiance en soi, a des opinionsfermes et le goût de la compétition.

Améliore : cherche à corriger les trajectoireset le cours des réalisations, tend à résoudreles problèmes et favorise le confort de travail.

Anticipe : et relativise les événements et lesévolutions d’environnement, sait amortir leurimpact afin de diminuer les risques de réac-tion à court terme et de travail dans l’ur-gence, prévoit les conséquences.

Apprend vite : en restant ouvert(e) aux chan-gements et en s’adaptant à l’environnement.

Autorité : de « patron », apte à diriger lessubordonnés, relève les défis, aime à êtrereconnu(e) et à assumer des responsabilités.

Bienveillance : développe une écoute active,re-formule l’opinion d’autrui avec authenti-cité, sait avoir de l’empathie.

La grille de profil de management

© Éditions d’Organisation [473]

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Annexes

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Critères clefs de succès +++ +/– ---

dans le management actuelpoints points points

d’appui d’équilibre de progrès

Communication : enrichit les subordonnés parune information adaptée, en facilite la circu-lation et sait favoriser les relations interper-sonnelles et le dialogue social autant que lesrelations publiques.

Compétences techniques : a les compétencesdes domaines qu’il(elle) supervise.

Conclusion : aime concrétiser même partielle-ment pour agir et avancer.

Connaissance de soi : développe régulière-ment sa connaissance de soi et la compréhen-sion de ses fonctionnements personnels.

Contrôle : surveille et mesure les réalisation,évalue et critique les résultats, sait poser undiagnostic.

Délégation : sait faire confiance et rester enposition de « tour de contrôle », favorise laprise d’autonomie.

Développement : créé un climat propice audéveloppement des hommes et des perfor-mances économiques.

Droiture : fait preuve de droiture, de sang-froid et de sens éthique.

Dynamisme intellectuel : a le goût pour l’in-novation, accepte ses intuitions, va à l’essen-tiel, synthétise et conceptualise.

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La grille de profil de management

© Éditions d’Organisation [475]

Critères clefs de succès +++ +/– ---

dans le management actuelpoints points points

d’appui d’équilibre de progrès

Échec : a une bonne résistance à l’échec et àla frustration.

Efficacité : cherche à optimiser les moyens quilui sont confiés.

Élocution : fait bonne impression dans sacommunication verbale.

Énergie : a une bonne résistance physique etmentale, sait canaliser son énergie et celle desautres.

Entraîne : les autres en sachant les intéresserà un but, en leur donnant une vision tout enrestant proche des réalités de terrain, saitdémultiplier une politique avec conviction.

Équilibre : son activité professionnelle et savie privée.

Équipe : est orienté(e) vers le travail d’équipe,construit ou restaure de bonnes relationsentre les membres, utilise les compétences etsait faire travailler ensemble en favorisant lessynergies et la participation de tous.

Existe : dans l’organisation en ayant de l’in-fluence et en exerçant du pouvoir avec diplo-matie.

Faire face : est apte à affronter les situationdifficiles, les conflits et les subordonnés à pro-blèmes.

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Annexes

[476] © Éditions d’Organisation

Critères clefs de succès +++ +/– ---

dans le management actuelpoints points points

d’appui d’équilibre de progrès

Feed-back : exprime de l’information enretour auprès de ses subordonnés, de sessupérieurs, de ses pairs voire des clients.

Forme : aime transmettre ses connaissancesaux subordonnés et faciliter les échangesd’expériences.

Gère les réalisations : en se préoccupant deproductivité et de rentabilité.

Hiérarchise : traite les opportunités ou lesproblèmes en fonction d’un projet principal,programme ce qui ne peut être traité dans leprésent, sait abandonner un sujet ou acceptequ’il soit moins bien traité par un autre.

Humain(e) : sait se laisser percevoir commehumain(e) et sensible, est disponible et pré-sent(e).

Humour : ne se prend pas trop au sérieux.

Image : se sent en parfaite harmonie avecl’image de l’entreprise, aime à la représenter.

Individus : adopte une attitude centrée sur lesindividus permettant de les mettre à l’aise.

Information : organise et anime des disposi-tifs d’information appropriés et réguliers.

Intégrité : a un système de valeur bien établiqui a fait ses preuves par le passé, sait êtreimpartial(e).

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La grille de profil de management

© Éditions d’Organisation [477]

Critères clefs de succès +++ +/– ---

dans le management actuelpoints points points

d’appui d’équilibre de progrès

Intelligence : a une intelligence à la fois abs-traite et pratique.

Interdépendance : accepte aussi bien lesbesoins de dépendance éprouvés par soi-même que ceux qu’éprouvent les autres.

Jugement : juge le moment opportun où ilfaut agir.

Maturité : a de bonne relations avec ceux quiincarnent l’autorité.

Normes : sait établir des normes de qualité etles faire partager.

Objectivité : cherche le vrai et non qui a rai-son, s’appuie sur des données concrètes, faitset sentiments, comprend les divergences,reconnaît ses erreurs.

Organisation personnelle : a un bon sens del’emploi de son temps et de celui des autres,gère avec efficacité les agendas, les plan-nings, ne se laisse pas envahir.

Ouvert(e) : s’intéresse aux avis, suggestions etidées des autres, a le goût d’utiliser les poten-tiels rencontrés chez les personnes et dans lesrelations d’affaires.

Participe : se considère comme membre à partentière d’une organisation, recherche leconsensus et la solidarité, privilégie les résul-tats communs.

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Annexes

[478] © Éditions d’Organisation

Critères clefs de succès +++ +/– ---

dans le management actuelpoints points points

d’appui d’équilibre de progrès

Persévère : s’attelle à une tâche et la suit jus-qu’au bout quelles que soient les difficultésrencontrées.

Perspective : a des idées claires quant à la pro-gression de sa propre vie et quant à l’orienta-tion que doit suivre l’entreprise, a le sens del’intérêt général, est apte à participer à desactions transversales hors de son champ deresponsabilité directe.

Planifie : comprend et domine l’environne-ment, se fixe des objectifs et construit desplans d’action, distribue les tâches.

Positif(ve) : voit d’abord le bon côté deschoses, des idées et des hommes, aimeconstruire, progresser, utilise tout son champd’action ou d’influence pour avancer.

Production : oriente son action vers le résul-tat, conduit le travail vers des solutions iden-tifiées et applicables, assure le suivi.

Propose : est une force de proposition, émetdes suggestions argumentées, favorise l’ex-pression des subordonnés et la remontée deleurs opinions et de leurs attentes.

Réalise : recherche la réussite de l’entrepriseplutôt que d’avoir la volonté de se mettre enavant, mène à bien les projets, concentre sonénergie et s’investit.

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La grille de profil de management

© Éditions d’Organisation [479]

Critères clefs de succès +++ +/– ---

dans le management actuelpoints points points

d’appui d’équilibre de progrès

Recrute : sait attirer et recruter des collabora-teurs de talent.

Responsabilité sociale : apprécie le besoin deremplir le rôle de chef dans le cadre de cetteresponsabilité y compris dans la dimensionsociétale.

Rigoureux(se) : recherche la fiabilité, agitavec prudence, soin et persévérance, a unhaut niveau d’exigence.

Risque : a le goût du risque tout en assurantla réalisation des actions.

Sensible : perçoit les nuances des sentimentsd’autrui.

Stable : adopte des comportements rassu-rants, manifeste de la détente.

Structure : en mettant en place une organisa-tion des relations internes, en clarifiant lesresponsabilités, en cadrant les rôles et lesmentalités par des procédures et des règlesdu jeu.

Souple : agit avec flexibilité et à propos, touten étant déterminé(e).

Tolérant(e) : à l’ambiguïté, capable de sup-porter la confusion ou l’incertain.

Score total (le total des trois colonnes doitêtre égal à 65) :

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Annexes

[480] © Éditions d’Organisation

ANNEXE 2

CHRONOLOGIE DE LA FORMATION EXPÉRIENTIELLE

XVIe siècle : Les humanistes

• François Rabelais (Gargantua, 1534) : l'éducation dans l'abbaye imaginaire deThélème cultive l'épanouissement de la vie physique, intellectuelle et morale.

• Michel Eyquem de Montaigne (Les Essais, 1580) : formule pour la première foisl'idéal de l'Éducation nouvelle : l'éducateur a besoin de connaître l'enfant pourl'éduquer. Il faut former aussi bien l'esprit que le jugement, l'esprit critique, laréflexion, l'indépendance et la liberté personnelle.

XVIIIe siècle : Les philosophes de l'éducation

• Etienne Bonnot de Condillac (Essai sur l'origine des connaissances humaines, 1746) :précurseur de l'éducation active, souligne l'importance que les facteurs organiqueset affectifs jouent dans le fonctionnement de l'esprit.

• Jean-Jacques Rousseau (L'Émile,1762) : maître de la pédagogie nouvelle ; le systèmeéducatif gravite autour de l'enfant, acteur de son propre développement. Les troismaîtres en éducation sont : soi, les autres, les choses. La nature est un éducateur.

XIXe siècle : L'Éducation nouvelle

• Jean Itard (Mémoires sur les premiers développements de Victor de l'Aveyron, 1801) :dans son effort pour rendre à la vie normale un enfant sauvage, il applique pour lapremière fois l'Éducation nouvelle et invente la doctrine sensualiste.

• Édouard Seguin (Traitement moral, hygiène et éducation des idiots et autres enfantsarriérés, 1846) : condamne " l'école-caserne " ; l'activité de l'être se développe dansson milieu. Importance de l'affectivité et des données psychologiques.

• Cecil Reddie fonde en 1889 la première école nouvelle d'Abbotsholme en Grande-Bretagne.

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• Karl Fisher est à l'origine du mouvement « Wandervogel » en Allemagne (1896).

• John Dewey crée à Chicago en 1896 le mouvement de l'École nouvelle américain.

• Herman Lietz fonde en 1897 en Allemagne les écoles populaires, inspirées parReddie et Goethe.

• Edmond Demolins fonde en 1899 à Verneuil-sur-Avre (Normandie) l'École desRoches.

• Adolphe Ferrière fonde en Suisse le Bureau international des écoles nouvelles.

XXe siècle : Gloire et déclin de l'École nouvelle

• Ellen Key (Le Siècle de l'enfant, 1900) : reprend en Suède les idées de Rousseau etinfluence le mouvement libertaire en Allemagne.

• Georges Hébert met au point en France, à partir de l'observation des primitifs, uneméthode d'éducation physique moderne (1905) ; le « parcours Hébert » peut êtreconsidéré comme l'ancêtre du " ropes course " de la formation expérientielle.

• Ovide Decroly fonde en Belgique l'école de l'Ermitage (1906). L'objet de connais-sance ne sera pas seulement le livre scolaire mais aussi le fait, l'événement hors desmurs de l'école.

• Maria Montessori fonde en Italie les maisons des enfants (1907).

• Baden Powell fonde en Grande-Bretagne le scoutisme (1907).

• Kurt Hahn et le prince Max de Bade fondent en 1919 l'école de Salem au bord dulac de Constance (Allemagne).

• Fondation à Calais en 1921 de la Ligue Internationale pour l'Éducation nouvelle(LIPEN).

• La section française de la LIPEN, dominée par les marxistes Langevin et Wallon,prend en 1929 le nom de Groupe Français d'Education Nouvelle (GFEN). CélestinFreinet quitte le mouvement.

• Kurt Hahn, réfugié en Grande-Bretagne, fonde en Ecosse l'Ecole de Gordonstoun.

Chronologie de la formation expérientielle

© Éditions d’Organisation [481]

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• Kurt Hahn et Lawrence Holt fondent l'école d'Aberdovey au pays de Galles, pre-mière « Outward Bound School » ; pour la première fois l'apprentissage actif estadapté à la formation des adolescents et des adultes, avec le support d'activitésdans la nature (« Outdoor Education »).

• En 1945 sont fondées près de Paris plusieurs écoles nouvelles : Saint Mandé, SaintCloud, Sèvres.

• En 1962 est constitué à Toulouse le Groupe d'études Actives en Education (GEMAE).

Années 90 : Nouvel engouement pour la « formation expérientielle » et l' « OutdoorTraining »

• Forte expansion dans les pays anglo-saxons de l'apprentissage actif dans l'éducationet la formation des adultes, sous le nom d' « Experiential Learning » et d' « OutdoorTraining ». David Kolb construit en 1984 aux USA le modèle du cycle expérentiel àpartir des travaux de Kurt Lewin, Jean Piaget et John Dewey.

• Alain Kerjean fonde en France en 1986 la formation expérientielle et l'OutdoorEducation. Hors limites devient en 1988 Outward Bound France. Le prince Albert deMonaco en devient le président d'honneur.

• 1994 : « Hors limites » devient « Apprendre par l'expérience » sous la présidence del'inspecteur général des Finances Thierry Bert, puis de l'ambassadeur Henri Rethoréet du magistrat Jean-Paul Martin Albiser avec le concours de la Commission euro-péenne.

• 1996 : Le colloque « Apprendre par l'expérience » à la Grande Arche est l'une desmanifestations de l'Année européenne de l'éducation et de la formation toute lavie. Le livre blanc de la Commission européenne sur la formation désigne l'OutdoorEducation comme « une voie d'avenir pour la formation des adultes et le dévelop-pement des aptitudes sociales et cognitives ». L'OCDE analyse dans une étude lesraisons de l'engouement pour l'apprentissage actif.

• Alain Kerjean fonde en 1999 « Experientiel », pour l'Outdoor DevelopmentManagement dans les entreprises.

Annexes

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ANNEXE 3

LES QUESTIONS LES PLUS SOUVENT POSÉESÀ PROPOS DE LA FORMATION EXPÉRIENTIELLE EN EXTÉRIEUR

Pourquoi participer à un tel séminaire ?Pour « apprendre par l'expérience », sur soi-même et sur les autres : en résolvant desproblèmes et en vivant des situations inhabituelles, vous apprendrez sur votre mode defonctionnement et vous développerez de nouvelles compétences relationnelles etcognitives. Les entreprises y trouvent un accélérateur pour s'ouvrir au changement etaux différences culturelles, et agir sur les comportements : responsabilisation, leader-ship, coaching, cohésion d'équipe...

Puis-je réussir le séminaire ?Le séminaire est intense, mais accessible à tout le monde ; il “ suffit ” de vouloir don-ner le meilleur de soi-même. Les activités sollicitent toutes les ressources de la per-sonne : intellect, physique, émotions. Le seul échec serait de ne pas s'investir dans le jeu.

Cette formation est-elle compatible avec notre culture ?Elle est l'héritière des pédagogies actives de l'École nouvelle française et des idées de Jean-Jacques Rousseau, même si ce sont les Anglo-Américains qui les ont adaptées à la formationdes adultes. Quant à la culture de l'entreprise, ce séminaire aide à l'adapter à un environ-nement nouveau : devenir « banc de poissons » au lieu de rester « dinosaure ».

Quelle est la différence entre formation expérientielle et expérience formatrice ?Beaucoup confondent une expérience vécue dans la vie réelle, personnelle ou profes-sionnelle, analysée a posteriori (alternance, histoire de vie...), et une expérience conçuedans une situation de formation en tant que support d'un développement profession-nel (expérience réelle et non simulation ou jeux de rôles).

Quel est le programme du séminaire ?Chaque séminaire est unique, et les exercices sont choisis par les formateurs presque

© Éditions d’Organisation [483]

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heure par heure en fonction de l'objectif donné et de la réalité et des réactions dugroupe. La progression comprend une alternance de problèmes à résoudre dans lanature, plus ou moins longs et complexes, et de moments d'évaluation.

Y a-t-il des risques ?La sécurité est l'image de marque de l'Outdoor Training. Les risques sont beaucoup plusapparents que réels. Les activités sont soumises à des consignes et à des procédures trèsstrictes. Un questionnaire médical confidentiel permet de signaler aux formateurs despoints de santé dont ils devront tenir compte.

Qui anime ces séminaires ?Les formateurs-facilitateurs ont une double compétence technique (activités de plein-air, escalade) et relationnelle (psychologie, formation d'adultes, empathie) qui leur per-met de travailler pour et avec les autres. Notre longue expérience en France, et celledes nos collègues anglo-saxons, leur donne le professionnalisme indispensable pourmaîtriser cette méthode unique.

Y a-t-il un risque de manipulation ou de déstabilisation ?Notre philosophie de ce point de vue est « s'auto-discipliner plutôt qu'être discipliné par lesautres ». C'est une pédagogie anti-manipulatrice puisqu'elle permet à chacun d'inventer sapropre manière d'affronter la complexité. Les formateurs n'ont rien à enseigner, ni demodèle à copier. Les participants sont leurs propres formateurs. Le meilleur compliment quenos clients nous font est de conseiller à ceux qui participeront après eux à ce séminaire « delaisser à la porte leur idéologie ». Le volontariat et la confidentialité sont les deux principesintangibles de la formation expérientielle. C'est seulement dans un climat de confiance etd'acceptation mutuelle que chacun peut prendre le « risque » d'expérimenter d'autres com-portements et une autre manière d'apprendre plus « informelle ».

Qui est concerné par ce séminaire ?Ce séminaire s'adresse aux entreprises et à leurs consultants, mais nous formons aussidepuis 1987 des jeunes, en complément de la formation académique, des personnes endifficulté d'insertion, des éducateurs.

Annexes

[484] © Éditions d’Organisation

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ANNEXE 4

CONTACTS DES ORGANISMES DE CONSEIL ET DES CONSULTANTS CITÉS DANSCET OUVRAGE

Aon Consulting7-9, rue Belgrand – 92309 Levallois-Perret Tél. : 01 47 56 60 60

Experientiel (Alain Kerjean) Tél. : 01 39 51 81 488, rue Saint Médéric – 78000 Versailles [email protected]

www.outdoor-france.comHeadic & Adlance (Guy Rullaud)8, rue Claude Debussy – 75008 Paris Tél. : 01 42 25 48 16

ICM (Elisabeth de Saint Basile)2, rue de l'Église – 92200 Neuilly-sur-Seine Tél. : 01 40 88 93 00

Learning Gates (Pierre Forthomme) Tél. : 01 42 30 76 7778, rue du Ranelagh – 75016 Paris www.learninggates.com

Real Change (Christian Forthomme)1840 San Miguel Drive, Ste 203 Walnut Creek Tél. : 33 1 925 284 8787CA 94596 USA www.realchange.com

The Oxford Group (Gill Webb) Tél. : 01 34 58 72 502-4, rue Jean Baptiste Huet – 78350 Jouy-en-Josas www.oxfordgroup.co.uk

Transformance (Vincent Lenhardt)4, avenue Winston Churchill – 94220 Charenton Tél. : 01 47 48 18 19

© Éditions d’Organisation [485]

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Autodiscipline. « La liberté est le droit dese discipliner nous-mêmes pour ne pasêtre disciplinés par d'autres. » (GeorgesClemenceau) L'autodiscipline, c'est del'auto-affection.

Accomplissement. « Monte jusqu'auseuil de ta propre croyance, non pas parl'enseignement des autres, mais avec lespas de ta propre expérience. » (Milarepa,moine tibétain du XIe siècle) « L'hommeheureux est celui qui, sans le rechercherdirectement, trouve inévitablement lajoie comme un sous-produit du processuscontinu d'accomplissement de la pléni-tude de ses propres possibilités. »(Teilhard de Chardin)

Adaptation. Se révèle lorsque des chan-gements dans l'environnement obligentles organismes à s'habituer à de nou-velles conditions ou à mourir.

Apprentissage. « Nous croyons que pourapprendre il faut un livre, un savoir préa-lable et un maître pour l'expliquer. Maisl'apprentissage se fait aussi à travers descycles d'essai-erreur. Des comporte-ments, des modes de relation nouveauxémergent, se stabilisent et se fixent pourun temps s'ils sont efficaces. » (MichelCrozier)

Attitudes. Ensemble de jugements et detendances qui poussent à un comporte-ment.

La grille de profil de management

© Éditions d’Organisation [487]

Glossaire

Petit dictionnairedes comportements

en entreprise

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Caractère. « Le squelette mental d'unhomme. » (Le Senne) La totalité mentalevue du dehors, ce qui est antérieur ànotre histoire, ce qui est résistant, per-manent : autodiscipline, maîtrise de soi,aptitude à différer la satisfaction de sesdésirs, volonté...

Coaching. Aider les gens à définir desobjectifs clairs et assurer un calendrierspécifique pour les atteindre. Aider quel-qu'un à résoudre un problème par lui-même, au lieu de s'assurer qu'il atteintun niveau de performance.

Changement de comportement. Il com-porte trois phases : réduction des forcesde résistance, identification des besoinset améliorations, développement denouvelles attitudes et mise en œuvre duchangement (stabilisation du change-ment : procédures, structures, normes,rites...). (Kurt Lewin)

Compétences. Mise en œuvre d'apti-tudes. « Série de comportements explica-tifs de la performance, certains de cescomportements étant directementobservables et d'autres latents. » (Mc Clelland)

Comportements. « Chacun porte en soi

des comportements inhibiteurs et descomportements libérateurs. La plupartdes sociétés n'ont cherché à utiliserqu'une partie de ces derniers. » (AlainPeyrefitte)

Confiance. « Source du courage et de laresponsabilité, condition de l'excellenceprofessionnelle. » (Daniel Goleman) « Cequi compte, ce ne sont pas les finalitéssupérieures ou les principes à mettre enœuvre, c'est la pratique d'une philoso-phie de la confiance. Sans confiance, pasde participation. Sans participation, pasde contribution active d'un personneldont le zèle devient désormais indispen-sable. » (Michel Crozier)

Conscience de soi. Condition de laconfiance en soi. « Une sorte de gouver-nail intérieur pour mettre nos décisionsprofessionnelles en harmonie avec nosvaleurs les plus profondes, reconnaîtreses émotions et leurs effets, s'auto-éva-luer avec précision. » (Daniel Goleman)« Nous nous distinguons des animauxpar la conscience de soi. C'est grâce à elleque nous pouvons évaluer notre vécucomme celui d'autres personnes et entirer des enseignements. C'est aussi grâceà elle que nous pouvons faire et défairenos habitudes . » (Stephen Covey)

Glossaire

[488] © Éditions d’Organisation

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Coopération. Aide à trouver des solu-tions qui permettent à toutes les partiesde gagner. Dans la coopération« gagnant-gagnant », ce n'est pas lasolution de l'un ou de l'autre qui l'em-porte, mais une troisième, une solutionmeilleure. « On est naturellement attirépar des gens doués pour l'amitié et lacoopération. » (Daniel Goleman)

Courage. « Nous sommes au temps del'aventure, de la patience et du cou-rage. » (Michel Crozier) « Le couragen'est pas l'absence de la peur, c'est l'ac-tion malgré la peur, vers l'inconnu et lefutur. À un certain niveau, l'évolutionspirituelle – et donc l'amour – demandedu courage et implique un risque. »(Scott Peck)

Créativité. « Il n'y a qu'un aspect de l'in-telligence que l'école ne prend pas enconsidération, c'est l'imagination et lacréativité. » (Jean Claude Lamy)

Crise. « Un changement brusque et déci-sif dans le cours d'un processus, une per-turbation temporaire des mécanismes derégulation d'un individu ou d'unensemble d'individus. Il s'agit toujoursd'une menace aiguë pour l'intégrité dusujet, une menace de mort. » (René Kaës)

Défi. Faire aujourd'hui ce qu’hier je croyaisimpossible. « Votre impuissance est votreopportunité. » (Kurt Hahn) « Les grandeschoses sont réalisées non grâce à la forcemais grâce à la persévérance. » (DrJohnson) « Un bateau dans un port est ensécurité, mais ce n'est pas pour cela que lesbateaux sont construits » (William Shedd)

Dépassement. « Lorsque nous nousdépassons, lorsque nous faisons un pasde plus, nous le faisons en combattantl'inertie due à la paresse ou à la résis-tance due à la peur. Se dépasser ou com-battre la paresse, c'est ce que nousappelons le travail ; et affronter la peur,c'est avoir du courage. » (Scott Peck)

Dissonance. « La dissonance cognitive estl'inadéquation entre notre routine et leschangements imposés générant un déca-lage, une contradiction, un inconfort. »(Festinger)

Émotion. Ce qui nous meut et nous faitprogresser vers un but.

Empathie. Aptitude à ressentir ce queressentent les autres sans qu'ils aientbesoin de le dire, à sentir leurs besoins etcarences pour les aider à améliorer leursperformances.

Petit dictionnaire des comportements en entreprise

© Éditions d’Organisation [489]

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Employabilité. Ensemble des atouts etdes faiblesses d'une personne face àl'emploi ; attractivité aux yeux de l'em-ployeur. Puisque les entreprises ne peu-vent plus garantir l'emploi, elles sontinvitées à garantir l'employabilité deleurs salariés, même si elles sont amenéesà les licencier plus tard ; une entrepriseapprenante forme ses employés às'adapter au marché du travail.

Équipe. Par le travail en petit groupe onapprend à rechercher et à accepter la cri-tique de ses pairs, à solliciter de l'aide, àfaire confiance aux autres, à discerner lebesoin des autres, à discuter de l'indiscu-table. « Les gens apprécient le mélangede coopération et de liberté accruequ'offrent des équipes de travail auto-nomes et s'y épanouissent davantage. »(Daniel Goleman) « Ne marche pasdevant moi ; je ne suivrais pas. Nemarche pas derrière moi ; je ne dirigeraispas. Marche simplement prés de moi, etsois mon ami. » (Albert Camus)

Expérience. « L'émergence d'un conceptnouveau ne peut se faire qu'à partir del ' e x p é r i e n c e . » ( M i c h e l C r o z i e r )« L'expérience n'est pas ce qui arrive àun homme ; c'est ce qu'un homme faitavec ce qui lui arrive. » (Aldous Huxley).

« Un esprit qui est élargi par une nou-velle expérience ne peut jamais revenir àses anciennes dimensions. » (OliverWendell Holmes)

Facilitation. « Vous ne pouvez rien ensei-gner à un homme. Vous pouvez seule-ment l'aider à le découvrir en lui. »(Galilée) « Dis-moi, et j'oublierai.Montre-moi, et je me souviendrai.Implique-moi, et je comprendrai. » (pro-verbe chinois)

Facteur humain. « Si vous voulez uneannée de prospérité, faites croître desgraines. Si vous voulez dix ans de prospé-rité, faites croître des arbres. Si vous vou-lez un siècle de prospérité, faites croîtreles gens. » (proverbe chinois)

Feedback. Une écoute active, un miroir.Beaucoup plus qu'une technique, uneattitude qui permet à l'émetteur de pré-ciser sa pensée pour finalement aboutir àsa solution. Nécessite une attitude decompréhension qui consiste à reformuler,de manière neutre sur le fond et chaleu-reuse dans la forme, ce que l'émetteur adit, sans y adjoindre de jugement. « Lavérité qui rend les gens libres est la plu-part du temps la vérité qu'ils préfèrent nepas entendre. » (Hubert Agar)

Glossaire

[490] © Éditions d’Organisation

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Humilité. Ne pas imposer ses solutionsaux autres. « L'arrogance de nos hautsfonctionnaires prend parfois une dimen-sion pathologique. » (Patrick Fauconnier)

Intégrité. « Système de valeurs bien établiqui a fait ses preuves dans le passé. Êtreimpartial. » (Guy Rullaud) Ne pas dire dumal de quelqu'un en son absence. « C’estainsi qu’on voit souvent des prédicateursfustiger avec la plus grande véhémenceles vices qui les avilissent eux-mêmes. »(Cardinal Mazarin)

Innovation. « Dans la société catholique, «innovation », « novateur » constituent ungrave chef d'accusation, alors que dans lespays protestants ces mots ont une conno-tation flatteuse. Il y a les pays des praticiensde l'innovation, et il y a ceux de ses théori-ciens. » (Alain Peyrefitte) « Un pionniern'est jamais perdu, seulement occasionnel-lement désorienté. » (Anna Lee Walda)

Leadership. « Le pouvoir sur les per-sonnes est une chose si dangereuse queseuls ceux qui n'en n'ont pas peur n'enveulent pas. » (Platon) « Peu d'hommessont prêts à affronter la désapprobationdes autres, la censure de leurs collègues,le courroux de leur société. Le couragemoral est la qualité essentielle de ceux qui

cherchent à changer un monde qui résistedouloureusement au changement. »(Robert F. Kennedy) « Les vrais leaderssont des gens ordinaires avec une extraor-dinaire détermination. » (Confucius)

Liberté. « Entre ce qui nous arrive etnotre réaction s'interpose notre liberté,notre pouvoir de choisir une réponse. »(Stephen Covey) « Réalisons que ce quiarrive autour de nous est largement horsde notre contrôle, mais le chemin quenous choisissons pour réagir est sousnotre contrôle. » (auteur inconnu)

Maturité. Être maître de soi, savoir gérerses états intérieurs et ses impulsions,faire preuve de souplesse et d'innova-tion. « Quelqu'un qui peut exprimer sessentiments et ses plus profondes aspira-tions tout en respectant ceux des autrespeut être considéré comme une per-sonne mûre. » (Stephen Covey) « Avoirde bonnes relations avec ceux qui incar-nent l'autorité. » (Guy Rullaud)

Motivation. Dérivé du latin movere quisignifie bouger (comme le mot émotion).Les émotions motivent à bouger.

Paradigme. Modèle conceptuel, théorie,mode de perception, hypothèse ou cadre

Petit dictionnaire des comportements en entreprise

© Éditions d’Organisation [491]

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de référence, notre « carte mentale »,notre façon de voir le monde.

Personnalité. Ensemble des traits quicaractérisent une personne et permet-tent de la distinguer de tout êtrehumain. La totalité mentale vue dudedans, ce qui est inné mais aussi le pro-duit de notre éducation et de notre vie.« La compétence, c'est très facile àacquérir. Une personnalité, il faut desannées pour la forger, des années pour lamodifier. » (Patrick Fauconnier)

Responsabilisation. Partage du pouvoir.« La philosophie de la responsabilisationest de donner à tout le monde l'oppor-tunité d'avoir une carrière plutôt qu'unjob ; une carrière implique le développe-ment de la confiance en soi et le senti-ment d'être capable de prendre desinitiatives. » (Durcan Oates)

Stratégie. « Ce n'est pas comme ajouterde la mémoire à un ordinateur ; cela

demande de nouveaux comportementspour être adapté et efficace, l'introduc-tion d'une nouvelle manière de penserstratégiquement, pour ne pas échouer. »(Tony Grundy)

Stress. Perturbation réelle (bruit intenseet prolongé, surcharge d'informations...)ou psychologique (impression d'êtredépassé par les événements, événementde vie, mauvaise ambiance au travail...).Trois phases : alarme, compensation (résis-tance et lutte), décompensation (forcesépuisées). Il y a un bon stress (le défi quimotive) et le mauvais stress (menace quisubmerge, paralyse, démotive).

Tolérance. « Être capable de supporter laconfusion ou l'incertain. » (Guy Rullaud) « Les pensées sont comme les parachutes,elles fonctionnent lorsqu'elles sontouvertes. » (auteur inconnu)

Glossaire

[492] © Éditions d’Organisation

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Aaccomplissement, 93

action, 60, 210

actionnel, 296, 377

analyse transactionnelle, 269

apprendre à apprendre, 112, 308, 464

apprentissage actif, 307, 449

aptitudes sociales, 29, 108

archétypes, 407

assessment centre

(bilan comportemental), 449

attitude proactive, 57

attitudes, 71, 100, 113, 213

auto-déterminé, 205

aventure, 353, 357, 384, 394

Bbehaviorisme, 156

behavioristes, 100

Bertrand Schwartz, 89

biais de complaisance, 169

Ccaractère, 13, 28, 97, 98, 99, 104, 153,

176, 206, 223, 278, 291, 334

Carl Rogers, 47, 107, 217, 370, 410, 411

carte mentale, 12, 119, 197, 201, 237,

385

Célestin Freinet, 338, 481

cerveau, 277

changement, 57, 61, 208, 234

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coaching, 37, 39, 124, 125, 268, 441,

453, 456

COBRA (cause of behaviour analysis),

253

cognitivistes, 157, 311

cohésion d’équipe, 109, 130, 221, 236,

420

cohésion, 460

communication, 219

compétences « transférables «, 95

compétences, 93, 97

comportements stratégiques, 118

comportements, 57, 70, 83, 97, 100, 103,

210, 279, 448

confiance, 71, 75, 86, 148, 193, 203, 230,

262, 276, 333

conflits, 222

conformité, 187

conscience de soi, 105, 204

construction d’équipe, 241, 244

coopération, 180, 205, 236

coopérer, 143, 229

coopérer courage, 107

courage, 43, 47, 51, 83, 85, 148, 466

crise, 74, 54, 202, 207, 222, 384

croyances, 452

culture d’entreprise, 226, 229

culture, 461

DDaniel Goleman, 103

David Kolb, 372, 482

David Mc Clelland, 85

dépassement de soi, 78, 177, 179, 276,

384

déterminisme, 10, 152, 209

développement organisationnel, 237

développement personnel, 160

développement professionnel, 112, 127,

221, 245

développement, 468

diagnostic, 209, 246

différence, 196

dissonance cognitive, 58, 216

EÉcole nouvelle, 328

écoute, 148, 458

Edgar Morin, 51

Éducation nouvelle, 330, 346, 480

effet de halo, 212

émotions, 13, 106, 213, 276, 286

empathie, 107, 206, 217, 404

entreprise, 461

équipe, 460

escalade d’engagement, 185

essai-erreur, 210, 376

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éthique, 98, 174, 277

évaluation « tous azimuts »

ou « 360° », 253

évaluation, 273, 412

expérience, 86, 96, 138, 147, 178, 210,

214, 219, 244, 267, 277, 287, 291,

296, 301, 311, 323, 334, 346, 353,

364, 369, 371

Ffacilitateurs, 128, 385, 410, 455, 484

facteur humain, 70, 83, 84, 85, 229, 428

feed-back, 206, 220, 241, 290, 368, 414,

448, 456, 463

formation comportementale, 55, 111,

221, 242, 260, 266, 272, 276, 468

formation du caractère, 349, 397

formation expérientielle, 306, 328, 367,

381, 452, 480, 483

formation professionnelle, 323

formation tout au long de la vie, 318

former le caractère, 353

Ggagnant-gagnant, 205, 217

groupes de travail auto-gérés, 39

Guy Rullaud, 56, 101, 239, 258, 359

Hhabitude, 234

hémisphère droit, 280

hémisphère gauche, 280

Henri Laborit, 49, 60, 284

Hors limites, 4, 92, 172, 356, 365, 396,

415, 436

humilité, 144, 205

humour, 250, 258

Iiceberg, 198, 384, 447

inductives, 139, 280

innovation, 80

intégrité, 163, 205, 207

intelligence, 289, 292

JJean Louis Servan-Schreiber, 319

Jean Piaget, 277, 368

Jean-Jacques Rousseau, 15, 331, 480

Jean-Louis Servan-Schreiber, 42, 61, 359

jeu d’essai-erreur, 203

jeu, 165, 207, 235, 246, 337

John Dewey, 291, 337, 346, 481

KKurt Hahn, 349, 364, 481

Kurt Lewin, 57, 184, 215, 219, 238, 244,

367

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Ll’entreprise acteur, 34

l’entreprise-projet, 34

leadership, 223, 366, 458

liberté, 162, 164, 191, 234, 371

locus de contrôle, 169

Mmaîtrise de soi, 106, 291

management interculturel, 227

manipulation, 11, 110, 112, 172, 182,

204, 447, 484

Maslow, 218

McClelland, 92

mentalités, 70

métaphore, 401

méthodes, 138

Michel Crozier, 146, 164, 207, 237, 243,

244, 246

mondialisation, 27

Motivation, 106, 218, 467

Nnature, 333, 338, 393, 399, 407, 417

Négociation, 209, 222

nouveau management, 32

OOCDE, 307, 482

Outdoor Education, 317, 355, 482

Outdoor Training, 317, 392, 452

Pparadigme, 201, 288

participation, 190, 224

parties prenantes (stakeholders), 454

pédagogies, 280

personnalité, 158, 216, 278, 448

peur, 286

Platon, 328

pragmatique, 298, 377

proactifs, 163, 204

problèmes à résoudre, 381

programmation neurolingusitique, 270

projection, 211, 223

Rréflexif, 296, 377

relation d’aide, 258, 370

relations hommes/femmes, 460

responsabilisation, 36, 124, 182, 224,

429, 468

rôles, 255

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SSandra Michel-Bellier, 94, 110, 174, 219,

252, 261, 271

stakeholders, 254, 446

Stephen Covey, 162, 180, 200, 204

stéréotype, 212

stratégie de changement comportemen-

tal, 198, 237

stress, 49, 106, 283

styles d’apprentissage, 295, 375

syndicats, 188

synergie, 206

Tthéoricien, 297, 377

théorie de l’attribution, 211

théorie du champ de force, 215

Tony Grundy, 120

travail en équipe, 143

typologie des rôles, 153, 249

UUnion européenne, 315

VVincent Lenhardt, 264, 268

visualisation, 459

Vygotsky, 312

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