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l e s n o u v e l l e s d la revue culturelle de l’Université Lille 1 Archimède OCT NOV DÉC # 5 8 2011 Eugène Ionesco, Journal en miettes « La Raison, c’est la folie du plus fort. La raison du moins fort, c’est de la folie » « Raison, folie, déraisons », « Quel devenir pour le travail social ? » Rendez-vous d’Archimède / « Refonder l’Université ? », « Peut-on parler de culture scientifique ? » Journées d’études / « L’engagement » Question de sens / « Damassama », « De l’or noir à l’or vert » Expositions / À propos de la science Parutions collection Les Rendez-vous d’Archimède

Les Nouvelles d'Archimède 58

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Les Nouvelles d'Archimède Revue culturelle de l'Université Lille 1

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Page 1: Les Nouvelles d'Archimède 58

l e s n o u v e l l e s

dla revue culturelle de l’Université Lille 1

’ A r c h i m è d eOCTNOVD É C

# 5 8

2011Eugène Ionesco, Journal en miettes

« La Raison, c’est la folie du plus fort. La raison du moins fort, c’est de la folie »

« Raison, folie, déraisons », « Quel devenir pour le travail social ? » Rendez-vous d’Archimède / « Refonder l’Université ? », « Peut-on parler de culture scientifique ? » Journées d’études / « L’engagement » Question de sens / « Damassama », « De l’or noir à l’or vert » Expositions / À propos de la science Parutions collection Les Rendez-vous d’Archimède

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Après plus de quarante années de gestation, d’indignation, de souffrance et de fermen-tation politique et culturelle, les peuples arabes ont pris confiance en eux, ont fait tomber le mur de la peur et se sont « mis debout ». À l’instar de tous les peuples, ils se sont révoltés contre l’humiliation et l’oppression. Ces jeunes révolutions pacifistes sont désormais chargées non seulement de stopper les tyrannies, mais aussi de refonder une société arabe ouverte, libre et diverse qui saura se débarrasser de la pensée unique qui uniformise et déshumanise pour mieux museler et pouvoir intégrer l’individu dans le système. C’est pourquoi « le printemps arabe » est un exemple pour le monde.

La pensée unique sévit aussi sous différentes formes dans nos sociétés démocratiques. Très active, triomphante, elle fait la pluie et le beau temps sur les marchés, d’autant plus qu’elle est soutenue par un système médiatique qui trouve son compte dans cette même pensée, qui conduit à la domination d’une uniformisation dont la réussite est incontestablement remarquable : c’est ainsi que l’indicateur du bien-être est calculé selon la valeur du panier acheté dans les grandes surfaces. Ce qui revient à réduire le citoyen à un consommateur et à cantonner la citoyenneté à enrichir la consommation. Alors se pose la question de savoir si notre démocratie est encore capable de faire face à la pensée unique et de sauver la citoyenneté de la marchandisation, ou si notre démocratie n’a pas besoin d’une bonne révolution culturelle pacifique qui la rende capable de préserver les valeurs pour lesquelles nos anciens ont fait la grande révolution.

De la haine de la culture

Bien que les Lumières aient eu lieu et que des révolutions aient été faites pour la construction d’une société permettant à chacun d’être un citoyen éclairé, libre et capable de penser le monde, force est de constater que, quelques siècles après Condorcet, le nivellement de la culture par le bas n’est plus une tentation mais une réalité quotidienne. C’est ainsi que la culture est réduite à l’anecdotique et qu’il n’est pas rare d’entendre des universitaires qualifier toute exigence culturelle et intellectuelle d’élitisme mal venu et anti-démocratique.

La culture qui permet à l’individu de s’épanouir, qui aide à penser par soi-même est incompatible avec « l’utile ». C’est elle qui permet l’objectivation et la désobjectivation, l’adaptation et la désadaptation si indispensable aux êtres pensants que nous sommes. Une culture qui fait lien de génération en génération et permet à chacun de construire sa propre vision du monde. Cette culture est mal venue, elle dérange et est considérée comme un véritable danger pour toutes les pensées uniques totalisantes et strictement utilitaires.Dans ce siècle où seule la rentabilité est critère d’évaluation et où l’adaptation devient une normalité universitaire, on ne peut que haïr la culture et au mieux la réduire à sa plus simple expression, même à l’Université.

Les thématiques d’ArchimèdeRaison, folie, déraisons et Quel devenir pour le travail social ? ponctueront les

Rendez-vous d’Archimède de cette nouvelle saison universitaire.

Deux journées d’études seront consacrées aux questions suivantes : Refonder l’Université ? avec la complicité des refondateurs

etPeut-on parler de Culture scientifique ?

Nous avons choisi une citation d’Eugène Ionesco pour cette saison 2011-2012 :La Raison, c’est la folie du plus fort. La raison du moins fort, c’est de la folie.

Culture, indignation et démocratie

L’équipe

Jacques LESCUYER directeur Delphine POIRETTE chargée de communicationEdith DELBARGEchargée des éditions et communicationJulien LAPASSET graphiste - webmestreAudrey BOSQUETTEassistante aux éditionsMourad SEBBATchargé des initiatives étudiantes et associativesMartine DELATTREassistante initiatives étudiantes et associativesDominique HACHE responsable administratifAngebi ALUwANGA assistant administratifJohanne wAQUETsecrétaire de directionAntoine MATRIONchargé de mission patrimoine scientifiqueBrigitte FLAMANDaccueilJacques SIGNABOUrégisseur techniqueJoëlle MAVETresponsable café cultureÉlise VERDIÈREstagiaire communication

Nabil EL-HAGGARVice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture, de la Communication et du Patrimoine Scientifique

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LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE

Directeur de la publication : Philippe ROLLETDirecteur de la rédaction : Nabil EL-HAGGAR

Comité de rédaction : Rudolf BKOUCHEYoucef BOUDJEMAI

Jean-Marie BREUVARTAlain CAMBIER

Nathalie POIssON-COGEzJean-Paul DELAHAYE

Bruno DURIEzRémi FRANCKOWIAKRobert GERGONDEY

Jacques LEMIÈREJacques LEsCUYER

Bernard MAITTERobert RAPILLY

Jean-François REY

Rédaction - Réalisation : Delphine POIRETTEEdith DELBARGEJulien LAPAssET

Impression : Imprimerie DelezenneIssN : 2117-1807

Rendez-vous d’Archimède

Devenir du travail social

Raison, folie, déraisons

OCTOBRE > DÉCEMBRE 2011 /#4

Refonder l’Université ?

De l’or noir à l’or vert

Ce gamin, là

Piano !

Sinyaya Khoza

Culture scientifi que

Journées d’études

Damassama

Par le Boudu

Synapse

À propos de la sciencePARUTIONS

Retrouvez le détail de nos manifestations dans notre programme trimestriel et sur notre site Internet : culture.univ-lille1.fr

En couverture : Travail sur le cycle

« Raison, folie, déraisons » © cvrtss

Raison, folie, déraisons

4-5 Michel Foucault, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique par Frédéric Gros6-7 Infinitisation et démocratisation de la mélancolie par Bernard Forthomme

Quel devenir pour le travail social ?

8-10 Sociétés en devenir, ruptures et continuités du travail social par Bernard Eme

Université

11-13 Culture et Enseignement, quel rapport ? par Rudolf Bkouche 14-15 De l’état actuel de l’Université [2] par Jacques Lemière

Rubriques

16-17 Paradoxes par Jean-Paul Delahaye18-19 Humeurs : Que valent les discours sur les valeurs ? par Jean-François Rey 20-21 Repenser la politique : Néolibéralisme et constructivisme par Alain Cambier22-31 À lire : Lire le travail social : les années 70 par Youcef Boudjémaï32-33 À voir : Calais. Qu’est-ce que filmer la barbarie, « ici et maintenant » ? par Jacques Lemière34-35 Jeux littéraires par Robert Rapilly 36-37 L’art et la manière : L’imagerie du fou par Nathalie Poisson-Cogez38-39 Vivre les sciences, vivre le droit… : Du temps qu’il fait aux temps qui viennent… par Jean-Marie Breuvart40-41 Questions de sciences sociales : Les ressorts de l’intensification du travail. Éprouver les limites jusqu’à la cassure par Séverin Muller42-43 Chroniques d’économie politique : Les politiques de modération de la circulation automobile sont-elles économiquement justifiées ? par Frédéric Héran

Dossier

23-30 Michel Parreau : un acteur de l’évolution universitaire des cinquante dernières années par Bernard Maitte, Jeanne Parreau, Jean Rousseau et Jacques Tillieu

Au programme

44 Journées d’études : « Refonder l’Université ? » / « Peut-on parler de culture scientifique ? »45-47 Rendez-vous d’Archimède : Cycles « Quel devenir pour le travail social ? » et « Raison, folie, déraisons »48 Question de sens : Cycle « L’engagement »49 Exposition : Damassama - Installation artistique de Léonore Mercier50 Expositions : De l’or noir à l’or vert : la saga de la chimie dans le nord de la France et Collections d’anciens appareils scientifiques51 Collection Les Rendez-vous d’Archimède : nouvelles parutions « À propos de la science » (tomes 1 et 2)

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Parce1que la folie, c’est la base du livre, son arrière-fond, sa toile grise, la folie dans une première signification,

signification qu’il faudra presqu’aussitôt oublier, signification déroutante, intenable, dans son sens absolu donc, la folie : elle est chaotique, rumeur, murmure indéfini, non-sens. Alors là, certes, la folie n’a pas d’histoire, cette folie océanique, abyssale, et tout énoncé raisonnable, tout contenu de culture est prélevé sur cette mer de feu sans mémoire, ce bruit sans fin du monde, et y replongera : la folie comme poussière, déluge de mots, déchirement continuel de l’oubli, aspiration chaotique. Le délire est sans âge. Les contenus changent, les images se transforment, les obsessions évoluent, mais demeure éternel ce mouvement de dislocation chao-tique, de fragmentation, d’effondrement du langage et du monde.

Et, là, il faudrait tout de même signaler qu’une littérature, il n’y a pas si longtemps, au moins depuis Artaud et jusqu’à Novarina, a voulu trouver, quand même, dans cette folie comme trou sans fond du langage, pur vertige, dans ce ressac stérile informe, la source de sa voix. Mais cette folie comme absence d’œuvre, absolue marge, il n’en sera plus question. Je ne fais que l’évoquer de loin, mais il n’y a rien strictement à en dire, seulement à l’indiquer : dans le livre, c’est un bref éclair embrasé à l’ouverture et à la fermeture, comme deux seuils impossibles. Ce que Foucault écrira, et qui s’appelle « Histoire de la folie », sera en fait une histoire des captures : comment chaque époque apprivoise, cerne, définit, dessine, détermine, trace un visage de sable.

Il faut donc ce premier mouvement de s’arracher à ce chaos sans âge, de s’extraire, s’exiler définitivement sur les rives d’une parole qui dit quelque chose, la rive des significations : le drame des sens historiques de la folie. Et là se lève la pre-mière aurore, une aube : la Renaissance. Renaissance, âge du tumulte, époque des ambiguïtés, c’est le moment de la hantise (hantise, partage, pli) : la folie se vit comme une imagination de la fuite, une paradoxale annonce, une fête cosmique.

1 Éd. Plon, 1961.

On trouve d’abord une myriade hétéroclite de pratiques sociales : voilà le fou ici traité, purgé, saigné, là interné ; et ailleurs simplement toléré aux portes de la ville : figure du seuil, ni dedans ni dehors ; pour finir, confié à des bateliers pour qu’ils l’emportent loin. On le voit donc passant de rue en rue, de ville en ville, de pays en pays, de mer en mer. Et c’est bientôt l’image : Nef des fous, large barque remplie de têtes folles, errant sur des océans vides ; ce thème douce-ment scintille à la surface de la culture et des pratiques. La folie n’est pas encore une décision de la raison, elle est hantise de l’imagination. Quand le fou s’agite et tremble, les cris qu’il pousse, ses hallucinations vagues, cela suscite des images. Ce qui se trouve alors inquiété par la folie, ce ne sont pas encore les démonstrations du langage, c’est la consistance du réel, la peau du monde qui craque. Ce que la culture reçoit du délire du fou, c’est une question : et si tout cela – les formes du réel, ces volumes, la profon-deur, la solidité des pierres, la lenteur du soleil, le calme des étangs –, et si tout n’était qu’un vernis faible, un rideau mince. Il faut gratter un peu, soulever le voile légèrement, racler la première couche et, soudain, soudain à travers une faille, on voit l’arrière-fond mouvant du monde : la démul-tiplication des profondeurs, la tempête des couleurs, le tourbillon des formes, l’accélération des transformations. Ce chaos, ce cauchemar : et si, derrière la platitude des êtres, derrière la monotonie du monde, grouillaient des monstres sans forme ni âge, des viscosités délirantes, des intensités galopantes. Bosch après tout les a vus. La folie, ce n’est pas un problème d’homme, ce n’est pas une affaire de raison, de facultés mentales, de logos, la folie, c’est la vérité tragique, occultée, secrète, souterraine du monde. Toute cette stabilité des êtres, cette permanence des choses, c’est illusion. Les fous attestent que c’est illusion, car ils devinent, eux, et font deviner les fantômes qui grouillent. Ils voient les choses se disperser en insectes innombrables, gondoler les lignes, trembler les pierres. Expérience tellement terrible, il faudra la réduire, comme elle est difficilement supportable. Les images sont trop fortes, violentes, elles frappent démesurément.

Alors les sagesses humaniste et sceptique, d’Érasme (son Éloge de la folie) à Montaigne, ainsi que la littérature baroque,

Michel Foucault, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique 1

Professeur de philosophie, Université Paris Est-CréteilPar Frédéric GROS

Je voudrais ici évoquer ce livre presqu’ancien, un demi-siècle déjà, et tenter de comprendre ce qu’il peut nous révéler encore de notre identité, celle d’une civilisation de la raison, identité qu’il faudrait ressaisir, dit Foucault, non pas au clair miroir des savoirs constitués, des conquêtes théoriques, des sciences positives, mais à celui, vertigineux, de la folie et du délire. Non pas alors se demander : mais qu’avons-nous donc pensé, construit depuis des siècles ; plutôt : qu’est-ce que c’est pour nous que l’impensable, que l’impossible à penser ? Voilà l’étrange affaire du livre.

En conférence le 8 novembre

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et même la pensée chrétienne, à la fin de la Renaissance, toute la culture s’arrachera au vertige dangereux des images, pour laisser place à des jeux de l’esprit, subtils, ironiques. De Bosch à Érasme. La grande folie angoissante du monde, le cauchemar cosmique se délie en douce ironie de l’esprit. Et il faudra attendre Nietzsche ou Artaud pour que revienne, un jour, dans notre culture, l’expression fascinée de ces déchire-ments. Mais, pour le moment, ce sont les jeux de miroir, les subtilités dialectiques. Je cite quelques-uns de ces renverse-ments philosophiques, de ces paradoxes de la littérature sceptique : on dira que c’est la raison qui est folle, par ses prétentions de vérité, son arrogance dogmatique ; la folie est raisonnable, comme elle fait accueil aux contradictions du monde. Et « raison garder », c’est toujours garder la folie au logis, parce que, laissée seule, à la verticale de ses pouvoirs, la raison devient démente ; et puis l’existence devient raide, ennuyeuse, morne, si la folie n’y met pas cette vitalité, ces fantaisies, cette volatilité légère, cette fraîcheur. Et soit en-core le théâtre ou la poésie baroques : partout, la vérité des sentiments se dévoile par l’illusion des stratagèmes, et c’est la superposition indéfinie des masques qui permet à chacun de trouver son visage. La folie, jeu de dupes : l’illusion sert à établir la vérité et c’est la vérité qui est un masque. Et, pour finir, eh bien, des auteurs chrétiens vont broder le thème paulinien de la folie de la croix. Folie de la croix, et folie même de Dieu, ou plutôt : la Raison divine est à ce point un vertige de science sublime et transcendant qu’elle paraît démence, au regard court et myope de la raison humaine, trop humaine. Partout donc, pour cette conscience critique, la folie donne à la raison du jeu, elle l’empêche de s’enfermer dans la démence autistique de ses démonstrations, et la rai-son fait accueil à la folie, pour l’inquiétude vivace qu’elle lui provoque. Folie du passage : dialectique, masques, ironie. Les fous de la Renaissance, ce sont des êtres du passage, parfois des passeurs de cauchemar, messagers du chaos, ou des errances légères de la pensée, ses marges virevoltantes. La folie donc comme passage, variation, porosité des frontières, glissement indéfini : sagesse des fous, démence des ratio-cinateurs, écoulement du réel, multiplication des masques.

L’âge classique dénoue d’un coup toutes ces ambiguïtés troubles. Enfermement. Là aussi, les images sont fameuses. On enferme les fous, on crée l’Hôpital général en France : Bicêtre pour les hommes, La Salpêtrière pour les femmes.

Toute l’Europe, raconte Foucault dans son livre, se recouvre bientôt de bâtisses bien fermées, protégées de murailles. Les

fous enfermés, et pas seulement, surtout pas seulement les fous : mendiants, vagabonds, de pauvres hères oisifs. C’est tout le monde de la misère qu’on proscrit, qu’on enferme derrière les murs. Et l’insensé, lui qui traînait son délire avec ses hardes, cette errance est devenue insupportable. On ne le confie plus à l’incertitude des fleuves, mais à la soli-dité des murs. À quel titre on l’enferme ? Ce qui est devenu intolérable, c’est l’oisiveté improductive. L’errance n’est plus mystique : elle est inutile et stérile.

L’âge classique, notre âge de raison, notre grandeur, notre fierté, c’est l’âge de la démystification : démystification des pauvres, des fous, démystification des misérables. Ils n’ins-pirent plus aucune crainte sacrée, aucune terreur mystique. Leur errance n’est plus reçue comme le symbole vivant, tremblant, de notre condition d’exilés éternels. On n’entend plus, dans leur délire, l’annonce inquiétante d’arrière-mondes déchirés, on ne devine plus derrière la face grêlée du mendiant un peu du visage du Christ. Âge de raison. Folie, misère, ce ne sont plus de grandes affaires mystiques. Ce sont des problèmes sociaux. On n’a pas besoin de rituels alors, mais de mesures administratives. La folie se désacralise, elle est un problème public. Pas immédiatement pourtant un problème de santé publique : plutôt d’ordre public, un problème de police. La folie, ça s’enferme.

cycle raison, folie, déraisons / LNA#58

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Cette inflation culturelle, n’est-ce pas aussi parce que la mélancolie a disparu de la nosographie standard, alors

que les entités descriptives qui prétendent la remplacer ne parviennent pas à répondre à la complexité de l’humeur noire, à son malaise basal, à la mise en cause de l’audace de vivre, de toucher, de prendre contact avec l’entourage, d’entendre sa voix, sa rumeur profonde ?

Sans doute la mélancolie est-elle liée à une polysémie imper-tinente pour un diagnostic ou un protocole thérapeutique. Au sortir de la modernité, elle nous arrive tendue entre une symptomatologie assez schématique tout au long de son histoire (avec des traits ressassés, devenus des lieux communs d’une clinique codifiée) et une expérience de la culpabi-lité subjective – précisément différenciée d’une culpabilité culturelle ou du ressort d’une symbolique institutionnelle ou artistique.

Or, cette subjectivation radicale de la tristesse – distinguée de l’ordre social et culturel – est une des racines de la dispa-rition nosologique de la mélancolie. Le sentiment de culpa-bilité individuelle et le travail de deuil (face à la perte d’un être cher ou à un échec) prennent le relais de la mélancolie, parfois déjà chez Burton. L’élément cultuel et culturel est réduit à l’extrême. L’institution est remplacée par l’accès au symbolique, à la reconnaissance de l’altérité, à la crise du réel et de l’imaginaire d’une expérience immortelle. Mais comment tenir compte de l’affectivité elle-même et de la volonté libre dans cette logique d’allure tragique ? Certes, il y a un vecteur logique et singulier dans l’émotion, mais l’émotion n’est en elle-même ni langage ni libérale.

En outre, la mélancolie antique est bien un concept médical renvoyant à une dimension physiologique et notamment au remède alcoolique (le vin), avec des effets sur le com-portement et l’humeur, mais elle avait essentiellement une dimension sociale : elle affecte de manière privilégiée les experts, qu’ils ressortent du domaine de l’art, de la politique ou de la science (en contrepoint à la manie poétique, rituelle, divinatoire ou érotique de Platon).

L’acédie chrétienne (a-kèdia, absence de soin, de cure, négligence), par contre, n’est pas un concept médical et ne désigne pas une compétence sociale, mais, avant tout, une ambition spirituelle confrontée à des axiomes (logismoi) qui l’entravent. Cette vocation n’est pas encore identifiée à une profession ou à une ambition professionnelle (et son burn out) ! C’est une affection idiorythmique qui touche le solitaire confronté à un désir d’excellence spirituel dont le modèle est tantôt angélique, tantôt christomorphique. Certes, la dimension corporelle, sociale et même d’expertise (dans le discernement des esprits) est loin d’être absente, mais la causalité n’est pas directement physiologique, sociale ou noétique.

L’élément subjectif ne fera que s’accentuer. Toutefois, dès l ’urbanisation de l ’Europe, une certaine contamina-tion explicite, notamment pour des raisons pastorales, va s’opérer entre la mélancolie médicale et l’acédie spirituelle étendue désormais au monde laïc et citadin, et non plus seulement au monde monastique, érémitique ou rural. Et la paralysie de l’action religieuse, sociale (travail) ou mo-rale ne sera plus seulement une entrave à l’acte, mais une tristesse en voie de sécularisation. La mélancolie n’est plus le propre d’un dieu (Saturne) ou d’un héros (Hercule), ni d’une sainte (Marie-Madeleine), du patriarche des ermites (Antoine d’Égypte) ou du moine agrégé (Cassien interpré-tant Évagre).

Au sortir de la période médiévale, la sécularisation de toute l’existence apparaît parfois une mesure de protection contre la mélancolie liée à l’effritement du vieux cosmos et de la via antiqua dans le rapport à Dieu : la théologie médiévale nominaliste devenant de plus en plus critique au regard de ses propres présupposés. D’autant plus que la mélancolie antique s’était déjà fort aggravée par son inscription dans le pathétique chrétien, paulinien et augustinien par excellence. La théologie réformée a encore accentué cette gravité de la mélancolie comme insondable sentiment de culpabilité, d’impuissance des possibles (Kierkegaard), comme mal sans remède dans la souffrance humaine. La mélancolie

Infinitisation et démocratisation de la mélancolie

Franciscain (Ordre des Frères Mineurs), Professeur au Centre Sèvres (Paris VI)

Par Bernard FORTHOMME

Ces derniers temps, de nombreuses expositions ayant pour thème la mélancolie ont rappelé la dimension puissamment culturelle de la mélancolie. Cette inflation artistique et littéraire trahit à la fois l’insuffisance de la médicalisation du malaise humain, de sa réduction à une maladie chronique, à la tristesse inadéquate ou à des idées dévalorisantes. La culture sous forme artistique ou littéraire n’est-elle pas la plus apte à sonder l’angoisse humaine face à la mort ou à rejoindre la douleur face à la vie si grave ; vie à laquelle la mort peut sembler une forme de remède désirable ?

En conférence le 6 décembre

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s’éprouve face à l’infini, mais ne peut être résolue par les œuvres, même caritatives (les possibles), les exercices corporels, les souffrances voulues, ascétiques, voire conformées à la Passion du Christ. Elle est infinie en tant que les actes finis ne peuvent la résoudre et, en ce sens, n’est pas encore sécu-larisée. La mélancolie comme sentiment de culpabilité ne peut être dépassée que par la foi, et non par l’effort, l’acte charitable ou par le masochisme (toujours insuffisants). Simultanément, malgré tout, pour guérir de sa tristesse de vivre, l’alléger, il faut le courage d’affronter la mort, d’où le risque de jouir d’une existence ainsi écourtée. Alors qu’on ne peut guérir de l’angoisse révélatrice de l’être comme finir ! Et que la charité n’est pas d’abord sa propre passion mortelle, mais hospitalité à la mort et au mourir d’autrui, au sein de son propre temps ainsi dilaté et moins oppressant.

Toujours est-il que la souffrance comme mélancolie ou comme remède hypothétique sont mis hors jeu par la théologie réformée. Cette tendance a été préparée par la théologie universitaire médiévale dans la mesure où elle excluait de considérer comme objet théologique l’expérience subjective des sentiments, les réservant à la dévotion ou à l’expérience mystique (Gerson), voire ensuite à la possession diabolique subjective (distincte de la sorcellerie sociale). Même le mystère du corps ressuscité pose problème à la théologie de la vérité (universelle). D’où l’importance des arts et de la littérature de la Renaissance pour traiter des corps (Sixtine), de la mélancolie, des anges et des démons de l’homme. Mais aussi l’émergence d’un renouvellement du discours médical à ce sujet, car la philosophie et la théologie semblaient laisser le champ libre à la médecine pour faire du corps ou des larmes un objet scientifique plus précis, mobi-lisant l’œil et la technique artistiques en anatomie (voir la Fabrica de Vésale).

Toutefois, l’humanisation n’est pas directe. Elle est oblique, car elle passe par le modèle christique et angélique. Le mé-decin garde encore l’image du christus medicus – jusqu’au XVIIIème siècle, sans parler des romans populaires à médecin ou à chirurgien comme Healer – et même du christus psy-chiatrus (expression qui apparaît à la fin du XVIème siècle). En outre, l’homme se conçoit lui-même sur le paradigme de l’ange immobile (Dürer) : autrement dit, comme une vitesse bloquée, un rire arraisonné par la colère sourde et muette, cet allègement du corps aggravé, appesanti. Mieux : ce qui sert à la vitesse, les ailes, pétrifiées, empêtrent le mouvement et le temps vertical, obscurcissent la lumière solaire.

Et, en même temps, cette tendance contribue à une valori-sation nouvelle du pathos. Il paraît un relais entre le monde et la science, entre le corps et la science. La souffrance et la mort anticipée deviennent des liens entre le corps et la science. Car la souffrance n’est jamais simplement le cosmos, mais s’enracine bien dans l’élément corporel de la douleur. Et parce que la souffrance n’est jamais simplement le corps, à cause de son élément sémantique, elle s’expose au logos scientifique. Ce qui ne signifie pas aussitôt une reprise de la souffrance par la science. Certes, le corps est repris plus directement dans le champ scientifique. Mais comme anatomie ou médecine légale, sans le pathos, la souffrance directe. Même la médecine aliéniste du XIXème siècle met-tra du temps avant de prendre en compte explicitement la souffrance, sa sémantique singulière et verbalisable, dans le « traitement moral », comme traitement médical (non une morale faite au patient).

En réalité, il faut penser la conjonction entre l’élimination du pathos sotériologique (ce qui sécularise radicalement l’affectivité humaine) par la théologie réformée (du moins celle qui exclut le piétisme affectif) et l’élimination méthodologique du pathos par le déisme des Lumières, y compris dans le champ de la théologie catholique (du moins celle qui anesthésie la Bible) : il faudra attendre le romantisme, et Chateaubriand notamment, pour réintroduire le pathos : j’ai pleuré et j’ai cru ! Mais les pleurs sont explicitement liés à la foi, pas au corps ou à l’exer-cice ascétique, aux mérites d’une pratique corporelle. En outre, la mélancolie passe du substantif au verbe actif, à un néolo-gisme : mélancoliser, avec sa variable réflexive.

http://www. bernard -forthomme.com

cycle raison, folie, déraisons / LNA#58

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Comprendre1le2travail3social4depuis trois décennies suppose un préalable, celui de produire à grands traits

une généalogie du social depuis son émergence au tournant des XVIIIème et XIXème siècles. Le social est une idée et un vécu trop jeunes – ou, au regard de l’humanité, trop vieux – pour n’être pas questionné dans ses ambivalences. Celui qui dit travail social entend social et se réfère par là à l’exis-tence de la société en tant qu’elle est vécue et pensée par les hommes tout en devenant objet de savoir. Présence imma-nente des hommes, sans surplomb transcendant, la société émerge au XIXème siècle en même temps que les sciences humaines. Mais l’histoire dévoile que le social n’est pas un, mais pluriel et ambivalent. Le travail social en a toujours ressenti les ondes de choc contradictoires, voire paradoxales.

Issu de l’empirisme écossais, le social est d’abord celui de la société civile où l’invisible n’est plus entre Dieu et le monde, mais « vient s’interposer entre les hommes et les résultats de leurs actions » 5. Cet invisible est la société comme main invisible. L’économie politique, science des économistes, substitue à la « gouvernementabilité de police » un gou-vernement restreint des hommes qui, portant sur la société entendue comme « naturalité sociale » des individus 6, se garde de tout acte intempestif et laisse se déployer spontanéité, intérêts, liberté (l’individu de droit) et régu-lations naturelles. Dans la société industrielle naissante, ce social s’avère cependant insuffisant. Dorénavant considérée

1 Francis Scott Fitzgerald, La Fêlure.

2 Pierre Bourdieu (dir.), La misère du monde, Paris, éd. du Seuil, 1993, p. 223.

3 Michel Autès, Les paradoxes du travail social, Paris, éd. Dunod, 1999, p. 4.

4 Esprit, « Pourquoi le travail social ? », avril-mai 1972.

5 Claude Gauthier, L’ invention de la société civile, Paris, éd. PUF, 1993, p. 254.

6 Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, Paris, éd. Gallimard-Seuil, 2004, p. 357.

comme « utile » au regard du travail, la population comme masse vivante – composition d’intérêts qui a ses « mouvements naturels » et possède sa représentation « dans le gouver-nement » (expression de la société) 7 – impose l’invention d’une technologie de pouvoir, le « biopouvoir », qui engage des savoirs statistiques et démographiques, des enquêtes sociales, une « science sociale » (1801), la « médecine sociale » qui deviendra hygiène publique avant que n’apparaissent des mécanismes assurantiels. Tension qui ne sera pas sans effet sur le travail social entre un social d’atomes individuels trouvant sa synthèse sociale par la main invisible – ici, les libres entrepreneurs –, et la puissance de la masse travailleuse dont la force de travail demande sa reproduction – là, la population qui suppose « un cadre commun de normes et de formes capable d’engendrer un ordre social sain, efficace et productif » 8.

Mais, si l’ancienne police s’occupe des illégalismes des « classes dangereuses » 9, elle ne circonscrit pas un social misérable qui montre que les « régulations naturelles » – le social libéral – n’instaurent aucune justice dans la société ni cohésion de celle-ci. À partir de 1830, un social autre se déploie dans la béance tragique 10 qui se crée entre « la naturalité sociale » de la société civile et le politique, entre la société industrielle libérale et l’avènement d’un ordre politique à visée démocratique, entre les droits politiques des citoyens

7 Marcel Gauchet, Avènement de la démocratie, III : À l’ épreuve des totalitarismes, Paris, éd. Gallimard, p. 573.

8 Paul Rabinow, Une France si moderne. Naissance du social, 1800-1950, Paris, éd. Buchet-Castel, p. 28.

9 Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses, Paris, éd. Hachette, « Pluriel », 1984.

10 Les romantiques anglais sont les plus perspicaces commentateurs de la question sociale.

Sociétés en devenir, ruptures et continuités du travail social

Professeur de sociologie à l’Université Lille 1Clersé - UMR 8019

Par Bernard EME

En conférence le 29 novembre

« On devrait par exemple pouvoir comprendre que les choses sont sans espoir, et cependant être décidé à les changer » 1

S’il est un champ dont la délimitation et l’unité sont problématiques, dont les problèmes à résoudre forment un social pathologique, dont le référentiel théorique paraît de « bric et de broc », c’est celui du travail social. S’il est bien un espace de construction de la réalité, dit toujours « en crise », atteint de « malaises » ou, encore, « en porte-à-faux » 2, c’est encore celui-là. S’il sera, par exemple, problématisé comme « production symbolique de la cohésion et du lien social » 3, cela ne vaudra pas effacement de la stigmatisation de son rôle, du contrôle social des classes populaires au « maintien de l’ordre » 4. Inscrit dans les bords du « sécuritaire » plus encore que dans le passé (tension de l’État policier et de l’État social), le travail social est désormais aux prises avec des « doubles contraintes » de plus en plus violentes émanant d’un État social local.

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et la nudité juridique des travailleurs dans les manufactures 11

d’où sourd la question dite justement sociale – origine du travail social.

Au regard des désirs d’émancipation de la subalternité, le social est ce négatif des pathologies sociales – la misère sans fond de la classe ouvrière – dans l’absence d’articulation entre l’économie de marché désencastrée de la société 12 et le gouvernement des hommes qui, après la Révolution, tarde à trouver des équilibres sociaux entre les citoyens – libres et égaux – et les collectifs. Poursuivant les hantises anciennes de la philosophie politique, le social est angoisse de la dislo-cation du corps social.

S’il est pathologies, le social s’entend aussi comme réponses contradictoires à cette angoisse, développées par les cou-rants si divers de l’économie sociale 13 et de réforme sociale, les expérimentations du socialisme utopique, les militants de la lutte de classes, les mouvements philanthropiques et le patronage : sphère non résiduelle, le social devient enjeu politique de tensions entre une société qui, en quête de légiti-mité, se dissocie du politique, une économie qui se désencastre de la société, un État Nation en formation qui hésite entre une gouvernementabilité libérale : « comment ne pas trop gouverner » 14, et une gouvernementabilité à venir qui, vaille que vaille et avec beaucoup de réticences 15, cherche à éviter la dislocation sociale en hésitant entre assistance et assurance – nouvelle ambivalence et nœud du social.

Le social étatique émerge en tension avec les initiatives d’acteurs de la société qui, se détachant du paradigme de la société civile, s’engagent dans l’exercice du travail social. Celui-ci œuvrera, dans ses commencements, selon une tension qui n’a jamais cessé : moralisation paternaliste ou mater-naliste, réforme sociale et émancipation des classes populaires par l’éducation et l’aide à leur donner qui trouvera aussi à s’édifier dans l’éducation populaire 16. Ambivalence du travail social qui tient sur ce fond de l’ambivalence du social 17. Selon les époques, et dans des changements de sens, on pourrait lister une suite d’oppositions qui

11 Jacques Donzelot, L’ invention du social, Paris, éd. Fayard, 1984.

12 Karl Polanyi, La grande transformation, Paris, éd. Gallimard, 1983.

13 Giovanna Procacci, Gouverner la misère. La question sociale en France, 1789-1848, Paris, éd. du Seuil, 1993.

14 Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Paris, éd. Gallimard-Seuil, 2004, p. 15.

15 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, éd. Fayard, 1995, p. 268 sq.

16 Cf. Michel Autès, op. cit., p. 36 sq.

17 Ce que, sous une autre forme, Michel Autès appelle la « logique du double » et le « double visage du social ».

demanderait trop de mots pour être décryptée : la relation interindividuelle/l’action communautaire, la réparation des individus/le changement par l’action sociale globale, l’insertion individuelle/l’autonomisation collective. À une abscisse du social, individuel/collectif, il faudrait croiser une ordonnée du politique, maintien ou transgression de l’ordre politico-social. Ambivalence du social qui permet de com-prendre les évolutions, mais aussi les continuités souter-raines des dernières décennies du travail social. On doit changer d’époque.

De manière progressive, avec des antécédents – non de pure forme, mais remontant aux années 50 selon une idéolo-gie anti-assistantielle qui n’a cessé de s’auto-alimenter au sein même du travail social 18 –, s’est déployée une ten-dance à produire un référentiel néolibéral de « conduite des conduites » des individus dans le social alors que s’étendait une rationalité gestionnaire et procédurale au sein d’un État social local issu de la décentralisation.

Par ce référentiel, il faut entendre une rationalité politique qui vise l’édification « d’acteurs rationnels et des prises de décisions dictées, dans tous les domaines, par la logique marchande » 19. Si le social est atomistique et individualisé dans une perte de référence à toute action collective ou com-munautaire dans le travail social, là n’est pas l’essentiel. Bien entendu, cette individualité singulière, qui vise l’autono-mie de son destin sans support d’assistance, est bien un objet du travail social quand tout social suppose d’être suspendu pour être soi ; le social est individualisé et sub-jectivisé renvoyant à une « psychologisation des problèmes sociaux » 20. Mais le grand renversement qui s’opère n’est pas tant ce souci de l’individualisation – chose somme toute banale – que le souci premier de responsabiliser les individus au regard de la conduite de leur vie dans l’effacement des conditions socio-économiques et culturelles de leur exis-tence. Gommant la responsabilité de la société ou de l’État dans la situation des individus, les politiques sociales, et plus particulièrement le travail social, portent de plus en plus sur l’incitation normative à la responsabilité selon un calcul rationnel des coûts et des bénéfices, ce qui, en d’autres termes, signifie devenir « entrepreneur de soi ».

Quelles que soient les circonstances de sa vie (pauvreté, chômage, précarité, défaillances familiales ou personnelles…), l’individu est l’objet d’une injonction à délibérer rationnel-

18 Bernard Eme, Généalogie de l’appartenance déliée. Insertions et société, Habilitation à diriger des recherches, Université Paris Dauphine, 2006.

19 Wendy Brown, Les habits neufs de la politique mondiale, Paris, éd. les Prairies ordinaires, 2007, p. 51.

20 Denis Castra, L’Insertion professionnelle des publics précaires, Paris, éd. PUF, 2003, p. 17.

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lement sur ses actions pour s’engager comme entrepreneur de sa vie ; l’engagement change de sens et vise une construction personnelle et entrepreneuriale ; il en résulte une expansion du « domaine de la responsabilité personnelle : l’individu qui calcule rationnellement assume l’entière responsabilité des conséquences de ses actes, quelles que soient les circons-tances de ces actes » 21. Pour que le sujet moral devienne entre-preneur de soi, des moyens incitatifs sont mis en œuvre, en particulier depuis les années 60, des processus d’insertion fondés sur une logique de projets individuels, des procédures contractuelles, des « parcours individualisés d’insertion », autant d’ « exercices spirituels » 22 d’un genre nouveau que le mot insertion semble signifier. Le social d’entrepreneu-riat de soi – vieille rengaine du social atomistique – qui redouble le social libéral du XIXème siècle, se double d’un social contractualiste dont les fondements juridiques sont pour le moins évanescents, mais en obligeant l’individu au regard de l’État. Obligation parfois symbolique, mais qui n’est pas sans effet performatif. Obligation paradoxale souvent lorsque les contrats relèvent davantage d’un engagement volontaire sous contrainte, forme de double bind, que d’une réciprocité contractuelle. On le voit bien avec le work-fare ou certaines volontés politiques de contraindre les familles qui seraient oublieuses de leurs devoirs.

Cette logique ne va pas de soi : dans les pratiques des tra-vailleurs sociaux, cette tendance à la gouvernementabi-lité néolibérale est brouillée par les référentiels des métiers du travail social, les résistances diffuses mais résolues des travailleurs sociaux, les inerties frondeuses des institutions du social qui devraient la promouvoir. L’épure ainsi don-née n’est pas un calque de la réalité, loin s’en faut. Faute de place, on ne peut développer les nouvelles tensions qui en résultent : les pratiques cliniques et relationnelles, régulées par l’expérience collective, subissent une forte torsion sous l’effet des procédures qui, non sans affirmation sécuritaire, visent une libre responsabilisation sous contrainte des indi-vidus. Cependant, il est un autre versant du social qui ren-force cette épure du fait de sa puissance d’entraînement.

Depuis les années 80, ce n’est pas tant l’apparition de nou-veaux métiers 23 que la rationalisation gestionnaire et procé-durale qui expliquerait les transformations du travail social. Son organisation se laisse à voir selon une logique bureau-cratique-professionnelle 24 dans un affaiblissement de

21 Wendy Brown, op. cit., p. 55 (on souligne).

22 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, éd. Albin Michel, 2002.

23 Jean-Noël Chopart (dir.), Les mutations du travail social, Paris, éd. Dunod, 2000.

24 Joseph Haeringer, Fabrice Traversaz, Conduire le changement dans les associations d’action sociale, éd. Dunod, Paris, 2001.

la puissance d’agir autonome, individuelle et collective, des travailleurs sociaux dont, comme d’habitude, les identités se trouvent malmenées. Ce qui, pendant longtemps, a fait la puissance d’agir du travail social résidait dans ses capa-cités d’invention aux limites de la règle ; désormais, son encadrement normatif qui vaut « traçabilité » des actions ne laisse guère de lisières où créer. C’est que, malgré la laïcisa-tion d’une partie du travail social, celui-ci restait lié, d’une manière ou d’une autre, au religare de la religion, même si l’étymologie reste disputée. Le sacré social du lien qui cherche à unir les sujets. Dans son effacement progressif, le travail social devient prestataire de l’État social local opérant, selon des procédures codifiées et normatives de plus en plus contraignantes. Cette rationalité conduit à un social nouveau : les exigences d’efficacité et d’efficience sont servies par de « bonnes pratiques » standardisées tandis que la mise en concurrence des services du travail social se répand dans une logique de prestation de services dont le cahier des charges induit fortement les réponses sociales : une « régulation concurrentielle subventionnée » ne cesse de prendre de l’ampleur sous l’emprise des systèmes politico-administratifs locaux.

Sans démocratie locale qu’alimenteraient des espaces publics de délibération, le travail social se trouve contraint à un face-à-face de plus en plus éreintant avec le politique local auquel ne s’opposent guère de contre-pouvoirs. Les capacités d’invention dans une publicité locale où se rencontrent élus, administrations et expertise des services du travail social se trouvent profondément amoindries. Alors que le sens du travail social, comme dans bien d’autres domaines, n’a plus d’horizon où se projeter – une société à venir – et que l’enjeu politique qu’il constitue n’est plus guère porté par des collectifs ou des mouvements, sinon militants, du moins engagés, il devient l’objet d’une double contrainte, bien perçue par Pierre Bourdieu 25, mais qui peut être recontex-tualisée presque vingt ans plus tard : l’exaltation d’une productivité néolibérale et gestionnarisée défait, acte après acte, les mailles de fonctions hautement relationnelles qui demandent ce temps vécu de la relation et « ne vont pas sans un certain désintéressement professionnel » en visant l’émancipation de sujets dans leurs mondes incertains et précaires.

25 Pierre Bourdieu, « La démission de l’État », in op. cit., p. 222.

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Enseigner,1c’est d’abord transmettre, c’est-à-dire donner les moyens d’acquérir un savoir ou un ensemble de savoirs.

Ces savoirs que l’on enseigne, loin d’être le fruit de déci-sions arbitraires, s’inscrivent dans une culture, la culture de la société qui décide de les transmettre aux nouvelles géné-rations parce qu’ils sont nécessaires à la conservation des valeurs de la société (c’est l’aspect conservateur de l’ensei-gnement) et qu’ils permettent à chaque élève de construire son propre rapport au monde (c’est l’aspect émancipateur de l’enseignement). C’est en ce sens que l’on peut dire que l’enseignement transmet une culture. Dans ces conditions, parler de la dimension culturelle de l’enseignement est un pléonasme.

Reste que, dans la société actuelle, on parle souvent de la nécessité de rétablir le lien entre l’enseignement et la culture, comme si les savoirs s’étaient détachés de la culture, comme si les savoirs n’avaient aucun sens et que, pour les enseigner, il fallait leur « donner du sens » pour reprendre une expression devenue à la mode. La question devient alors moins celle du sens des savoirs que celle des raisons qui conduisent, depuis quelques années, à introduire dans l’enseignement cette donation de sens.

Rappelons d’abord que les savoirs que l’on enseigne dans l’institution scolaire ou universitaire sont des savoirs inventés par les hommes pour des raisons diverses, que ce soit pour comprendre le monde, pour le transformer ou pour définir les relations entre les hommes. Ce qui fait sens dans ces savoirs, ce sont les raisons pour lesquelles on les a inventés et les problèmes qu’ils permettent de résoudre, raisons et pro-blèmes qui ne relèvent pas de l’enseignement. On peut alors poser la question des raisons qui conduisent à introduire certains d’entre eux comme disciplines d’enseignement, question qui renvoie à la signification sociale de ces savoirs.

On a souvent parlé, à propos de l’enseignement, de culture scolaire. Qu’est-ce que cela veut dire ? Si on entend par culture scolaire la part de la culture qui est objet d’ensei-gnement, l’expression « culture scolaire » ne dit rien d’autre que cette part de la culture. Mais si on entend une culture qui serait spécifique à l’école, on est conduit non seulement à particulariser cette culture mais à la couper de ses racines,

1 Denis de Rougemont, Penser avec les mains, 1935, éd. Gallimard, Paris, 1972, p. 24.

c’est-à-dire à lui ôter ce qui fait son sens. On comprend alors que, si ce qu’on enseigne n’a pas ou n’a plus de sens, la première tâche de l’enseignement soit de « donner du sens » au discours enseigné. On oublie alors pourquoi on enseigne un savoir et, pour réparer cet oubli, on invente des raisons qui, selon certains, légitimeraient le savoir que l’on enseigne. Mais cette légitimation est purement interne à l’institution scolaire et on ne voit pas au nom de quoi les élèves devraient accepter cette légitimation. L’enseigne-ment devient moins transmission d’un savoir que respect de la loi et les programmes d’enseignement ne sont plus que des textes de loi. On comprend pourquoi le BO (Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale) devient la référence pre-mière. Si le savoir n’a plus de sens, c’est la Loi exprimée par le BO qui donne sens à l’enseignement. « Fais ce que dois » devient la règle, autant pour celui qui enseigne que pour celui qui est enseigné.

On peut relier cette restriction de l’enseignement à la Loi aux deux idéologies fondatrices de l’enseignement contem-porain, ce que nous avons appelé dans un texte antérieur l’idéologie moralisante et l’idéologie savante 2, deux idéolo-gies qui à la fois fondent la Loi et s’appuient sur elle 3.

On pourrait résumer l’idéologie moralisante par le slogan : « les enfants d’abord », c’est elle qui a conduit à placer l’élève au centre. Cette centralité de l’élève conduit à redéfinir les contenus d’enseignement, moins en fonction de la significa-tion des savoirs enseignés qu’en fonction des intérêts supposés des élèves devenus les clients de ce qu’on appelle le système éducatif. Qu’importe alors si l’instruction, c’est-à-dire la transmission des connaissances, y perd sa place.

Quant à l’idéologie savante, elle a pour objet de construire une interaction entre l’élève réduit à un concept et le savoir, interaction assurée par l’enseignant qui perd ainsi son statut de maître 4, celui qui possède le savoir et qui doit le trans-

2 Rudolf Bkouche, « L’enseignement scientifique entre l’illusion langagière et l’activisme pédagogique », Repères-IREM n° 9, octobre 1992, p. 5-12.

3 Rappelons que la Loi s’est manifestée par un texte législatif, la loi dite Jospin votée par le Parlement en 1989. Les lois qui ont suivi, même lorsqu’elles disent s’en démarquer, s’inscrivent dans son prolongement.

4 Il faut ici distinguer le maître-magister, celui qui possède le savoir et le transmet aux élèves, et le maître-dominus, celui qui possède le pouvoir et commande aux élèves (cf. Henri Pena-Ruiz). Avec la remise en cause de l’instruction, le maître

Culture et Enseignement, quel rapport ?

Professeur émérite à l’Université Lille 1Par Rudolf BKOUCHE

«  Si donc la culture nous pose un problème, c’est donc, et tout d’abord, qu’elle est en décadence  » 1

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mettre aux élèves. En fait, on construit une machinerie 5

représentée par ce qu’on appelle le triangle didactique, les sommets étant le savoir, l’enseignant, l’élève, les côtés repré-sentant les interactions entre les sommets. Cette conception machiniste vide l’enseignement de tout sens autre que celui du bon fonctionnement de la machine. On comprend alors que certains aient inventé la donation de sens qui apparaît comme le supplément d’âme qui donne un semblant d’humanisme à l’acte d’enseignement.

Pourtant, ces idéologies occultent un point plus important. La part conservatrice de l’enseignement est réduite à la seule adaptation des élèves aux normes sociales, adaptation qui se manifeste par l’utilitarisme de l’enseignement 6. Quant à la part émancipatrice, elle a tout simplement disparu, l’éman-cipation se réduisant à une vague reconnaissance de l’auto-nomie de l’élève sans que soit précisé ce que signifie cette autonomie. Nous pourrions citer ici un texte d’un ouvrage de François Dubet et Marie Duru-Bellat qui écrivent :

« Le souci pour l’ élève ‘réel’ repose sur la conviction qu’ il sera amené à évoluer dans un monde où les attitudes et les méthodes seront plus utiles qu’une liste nécessairement finie de savoirs. Avec la montée d’un certain relativisme, les savoirs ne suscitent plus le même respect, leur autorité est ébranlée. Il semble plus important de faire acquérir aux élèves une attitude critique et une curiosité permettant de questionner ces savoirs et de les mettre sans cesse à jour. Ce que savent les élèves compte fina-lement moins que ce qu’ ils savent faire de leurs connaissances, aussi parle-t-on de compétences, … » 7

Ainsi, il serait plus important d’avoir une attitude critique sur les savoirs que de les connaître. D’autant que, comme la vulgate le proclame, les savoirs évoluent et l’on sait que tout logiciel est condamné à une obsolescence rapide. On

ne représente plus le savoir et l’élève ne voit plus, dans le maître, qu’un maître-dominus contre lequel il doit se défendre. On peut voir dans ce fait l’une des origines de la violence scolaire.

5 On peut parler de machinisme enseignant, les théories de l’apprentissage conduisant à fabriquer une ergonomie de l’acte d’enseignement, laquelle consiste à définir les gestes autant de celui qui enseigne que de celui qui est enseigné. C’est ce que les didacticiens appellent l’ingénierie didactique.

6 L’utilitarisme implique que l’enseignement doit se réduire à la part nécessaire pour que les futurs citoyens puissent remplir leur fonction de rouage de la ma-chine économico-sociale.

7 François Dubet, Marie Duru-Bellat, L’ hypocrisie scolaire, éd. du Seuil, Paris, 2000, p. 141.

peut ainsi opposer à la maîtrise des savoirs le concept flou de compétence qui s’inscrit dans la machinisation du travail intellectuel, ce que Denis de Rougemont appelait déjà, dans les années 30 du siècle dernier, la prolétarisation de la pensée 8.

Le texte cité de François Dubet et Marie Duru-Bellat marque ainsi non seulement le développement de l’obscu-rantisme contemporain mais, plus encore, l’installation de cet obscurantisme dans le lieu même destiné à le combattre, à savoir l’école.

Depuis plusieurs années, on peut voir à l’œuvre l’installation de cet obscurantisme dans l’enseignement scientifique comme si, dans la société dite « technologique » puis aujourd’hui « de la connaissance », l’enseignement scientifique était de peu d’importance. En fait, il l’est. Son objectif est moins de diffuser la connaissance scientifique qui permettrait aux élèves de comprendre le monde dans lequel ils vivent que de produire les futurs rouages de la machine économico-sociale et de donner les bribes de connaissances utiles au bon fonc-tionnement de ces rouages. Alors qu’importe d’amener les élèves à se confronter à la pensée scientifique, l’image de la science suffit. Cela n’empêche pas de remplir les pro-grammes sans poser la question de leur cohérence au long de la scolarité, tout en sachant que cela laissera peu de traces sur des élèves qui n’en voient pas la signification. Ce que l’on pourrait appeler un encyclopédisme vide.

Le discours sur la culture scientifique peut alors apparaître comme un antidote au marasme intellectuel contemporain. Mais s’agit-il d’un antidote ? Loin de jouer ce rôle d’antidote, le discours sur la culture scientifique apparaît comme la mise en place du spectacle de la science, spectacle au sens où Guy Debord parlait de société du spectacle 9. Que ce rôle ne soit pas celui qu’avaient voulu les inventeurs de la notion de culture scientifique des années 70 et 80 du siècle dernier ne change rien à l’affaire. La question reste celle de la place de la science dans l’enseignement. C’est en s’appuyant sur les connaissances acquises à l’école que la culture scienti-fique peut se développer. À ce titre, la vieille leçon de choses apportait bien plus que nombre d’innovations vides qui se développent aujourd’hui et qui ne peuvent que faire illusion,

8 Denis de Rougemont, Penser avec les mains, 1935, éd. Gallimard, Paris, 1972, p. 149-192.

9 Guy Debord, La Société du spectacle, 1967, éd. Champ Libre, Paris, 1971.

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et cela quelles que soient les bonnes intentions de leurs au-teurs. Et une institution comme le Palais de la Découverte pouvait jouer son rôle de complément par rapport à l’école. Peut-on en dire autant des institutions de culture scien-tifique d’aujourd’hui ? Ce n’est pas leur existence qui est en cause, c’est le fait qu’elles ne peuvent s’appuyer sur un enseignement scientifique consistant.

L’apprentissage de la science exige de se confronter à l’activité scientifique et c’est le rôle de l’enseignement que de permettre cette confrontation, ce qui exige de prendre en charge ce que Bachelard appelait les obstacles épisté-mologiques. Sans cette confrontation, le fossé ne peut que s’agrandir entre, d’une part, la science en tant que mode d’explication du monde et, d’autre part, la science enseignée dans les établissements scolaires et la science exhibée dans les manifestations telles la fête de la science et autres amusettes ?

Si nous citons la fête de la science, c’est qu’elle montre les limites de cette conception spectaculaire. La science y apparaît sous son jour le plus affriolant alors que l’appren-tissage des sciences exige un effort intellectuel loin d’être facile. Résultat : les élèves ne voient que l’opposition entre cette science affriolante et le travail qu’on leur demande en classe, travail qu’ils considèrent fastidieux et inutile, et qui, compte tenu de la dégradation de l’enseignement, l’est effec-tivement.

On peut aussi se demander ce que signifie cette affriolance pour les étudiants, en particulier les étudiants en sciences. Comme s’il n’y avait aucun rapport entre les merveilleuses machines de la modernité technique et le difficile travail de la science. Quel rapport, par exemple, entre les communi-cations à distance depuis la TSF jusqu’à la communication par satellite et les équations de Maxwell du cours d’électro-magnétisme, ou encore entre l’envoi de sondes dans l’espace et les équations de Lagrange qui ont permis de calculer leurs trajectoires ? Comme si la science apprise à l’école et à l’uni-versité n’avait rien à voir avec ces merveilleuses machines.

Cet obscurantisme issu de la dégradation de l’enseignement scientifique se retrouve dans les débats sur la science et la technique qui relèvent souvent plus du café du commerce que de l’opinion raisonnée. Ainsi se détachent deux camps, celui des technophobes et celui des technolâtres, les uns et les autres mêlant la science et l’usage que l’on en fait sans aucun discernement, les uns pour en dénoncer le mal, réel

ou imaginaire, les autres pour en montrer tout le bien, réel ou imaginaire. Mais il est vrai que, dans la société dite de la connaissance, la science n’a d’autre objet que le développement technique à tout va ; une lecture quelque peu caricaturale de l’adage marxien sur la nécessité de transformer le monde. Ainsi se développe l’obscurantisme contemporain dans une société qui semble vouloir se débarrasser de la tradition des Lumières.

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On a laissé le lecteur de la première partie de cette chronique (De l’état actuel de l’Université 1. Relation

aux études et sociabilités étudiantes : collision des espaces-temps 1) devant la réaction d’étudiants d’aujourd’hui, mis en situation d’entendre le témoignage d’étudiants qui se sont intellectuellement construits dans le « moment », et dans l’Université, des années 60 (les années 60 d’avant Mai 68) : leur trouble, mêlé de fascination, devant le témoi-gnage de leurs étranges prédécesseurs (deux étudiants lil-lois, l’un de philosophie, l’autre de physique, qui n’étaient précisément pas des « héritiers »), tenait essentiellement à ce que les étudiants des années 60 étaient « plus soustraits à la société que les étudiants d’aujourd’hui ne le sont ».

[2] De la fonctionnalité paradoxale de l’Université des savoirs à l’instrumentalité de la formation professionnelle

Dans une Université qui n’est pas la totalité de l’enseignement supérieur français, qui reçoit – sans dispositif d’orientation véritable – tout bachelier décidé à s’y inscrire, et qui fait face à un enseignement supérieur non universitaire, public et privé, ensemble composite, mais uni par la possibilité partagée de pouvoir choisir ses étudiants (soit par les com-pétences, soit par le coût des études), – ensemble qui va des classes préparatoires et des Grandes écoles, aux sections de techniciens supérieurs et à la nébuleuse des petites et des moyennes écoles 2 –, l’hétérogénéité n’a jamais au-jourd’hui été si grande, en termes non tant de compétences propres que d’engagement des étudiants dans leurs études, – en même temps que croît, à l’Université, la part du recrute-ment d’étudiants d’origine populaire.

En licence de sciences humaines (parcours sociologie et par-cours ethnologie), à Lille 1, par exemple, la part du recrute-

* jacques.lemiè[email protected]

1 Les Nouvelles d’Archimède, n° 57, avril-juin 2011.

2 À quoi s’ajoutent les IUT, formellement universitaires, et réellement soumis à d’autres règles, de recrutement et de financement, que les Universités ; classes préparatoires et sections de STS échappant, de leur côté, à la tutelle du Ministère de l’Enseigne-ment Supérieur. Les effets sur l’Université d’une telle division entre Université et enseignement supérieur non universitaire, en France, constituent un point central dans l’argumentation de l’appel à « Refonder l’université française » paru, vers la fin du mouvement des universitaires contre la loi LRU, dans Le Monde du 14 mai 2009, dont on peut suivre les développements dans l’ouvrage Refonder l’Université. Pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire (Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet, François Vatin), paru aux éditions La Décou-verte en 2010.

ment populaire des étudiants (employés peu qualifiés, ou-vriers qualifiés, ménages où la mère est sans emploi ou aide maternelle) a atteint un niveau qui a déjà rendu minoritaire le recrutement des étudiants de la classe moyenne. Des conséquences en sont visibles sur la condition étudiante, dans le poids pris sur la subjectivité de nos étudiants, sur leurs emplois du temps et sur la conduite de leurs études, d’une part par la question du financement de ces études et d’autre part par des logiques résidentielles qui éloignent trop souvent ces étudiants de la ville universitaire et leur imposent, du fait qu’ils restent vivre chez leurs parents, de lourdes navettes quotidiennes contradictoires avec la construction d’une authentique vie étudiante, tant sur le campus lui-même qu’en réponse à l’offre culturelle que génère le cœur de la ville universitaire.

Cette nouvelle condition étudiante est un élément majeur de contexte, qu’il convient de prendre en compte. Mais il faut surtout prendre garde à ne pas en déduire, par sociolo-gisme, une mécanique relation de cause à effet entre modi-fications sociales du recrutement des étudiants et état actuel de l’institution universitaire.

En effet, il n’est pas vrai que se rejouerait dans l’Université d’aujourd’hui, comme dans une histoire se développant en spirale, la même leçon que celle des Héritiers 3 des Bourdieu et Passeron de 1964. L’étudiant de classe moyenne, dont l’éventuel dilettantisme d’ « héritier » sera aujourd’hui beau-coup plus aléatoire dans l’efficience de ses résultats, comme l’étudiant d’origine populaire, dont le rapport à l’institution comme le rapport à l’avenir sont différents de ceux de 1964, n’y sont pas disposés, aujourd’hui, dans une configuration comparable.

C’est qu’en près de cinquante ans, trop de paramètres, éga-lement sensibles dans l’enseignement secondaire, se sont déplacés, qui concernent les conditions sociales actuelles, d’une part, de la relation subjective à la connaissance et, d’autre part, de la transmission des méthodes propres au travail intellectuel. Un de ces paramètres touche à la rupture d’une fonctionnalité (paradoxale) de l’institution scolaire et universitaire qui, aux différents degrés de cette institution comme de la division sociale du travail, garan-tissait antérieurement, et ne garantit plus aujourd’hui, une liaison entre apprentissage des savoirs et fonctions (stables) occupées dans la société.

3 Les héritiers. Les étudiants et la culture, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Éditions de Minuit, Paris, 1964.

De l’état actuel de l’Université [2]

Institut de sociologie et d’anthropologie,Clersé (UMR CNRS 8019), Université Lille 1 *

Par Jacques LEMIÈRE

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L’étudiant des années 60 et 70, paradoxalement, s’identifiait d’autant mieux aux savoirs de la discipline qu’il avait choisie (et aux savoirs transdisciplinaires qu’appelait, autour d’elle, cette discipline) et à une posture subjective, générale et culturelle, d’acquisition de savoirs, qu’il pouvait se libérer de toute inquiétude quant à son avenir postérieur aux études : finalement, les Universités dirigeaient leurs étudiants vers des métiers sans avoir à intégrer des visées professionnelles et tout en levant très haut la référence à de purs savoirs disciplinaires comme à l’idée même du Savoir (si on excepte les Facultés de Droit, de Pharmacie et de Médecine, qui ont toujours été, en ce sens, des lieux explicites de formation à des professions, ce qui est en rapport à leur statut d’exception relative à l’intérieur du système, notamment en termes de procédures de recrutement des professeurs). À l’Université, au fond, les étudiants de Lettres devenaient largement des professeurs de lettres, et les étudiants en Sciences des professeurs de sciences, quand ils ne rejoignaient pas les secteurs industriels de la chimie, du textile ou de la mine, dans le cas lillois (comme l’École, aux degrés inférieurs, primaire et secondaire, assurait une fonctionnalité com-parable, à d’autres degrés de l’échelle des métiers). Paradoxe corollaire : c’est quand, aujourd’hui, dans une économie et une société dites « de la connaissance », domine le discours selon lequel la préoccupation des études et la recherche du diplôme sont (et doivent être) indexées sur la préoc-cupation de l’emploi, c’est quand l’Université multiplie les « formations » dites « professionnelles » qu’elle génère et démultiplie, en son sein, un rapport instrumental à la formation et à l’obtention du diplôme qui rend flottant l’engagement de soi dans le rapport au savoir, qui fragilise le rapport à la culture « in-disciplinaire » et qui met en péril le principe d’Université (comme il dissout, au niveau de l’enseignement secondaire, le sens authentique, c’est-à-dire subjectivement assumé, de la situation d’École : le sens « d’aller à l’École »).

La relation pédagogique en est affectée en son cœur, comme est touché le sens même, pour les étudiants d’aujourd’hui, de l ’institution universitaire, telle qu’elle se présente à eux. La division et le trouble n’ont jamais été si grands, aujourd’hui, entre nos étudiants, certes dans leurs savoirs et leurs compétences, mais surtout dans leurs attentes, subjectivement vécues, et dans leur mode d’engagement dans les études 4. C’est observable en temps de fonction-nement normal de l’Université, en situation d’enseigne-ments « intra-muros » (le cours d’amphithéâtre comme le cours ou groupe de travaux dirigés en petit effectif), mais aussi, quoique en moindre proportion, puisqu’il s’agit alors de situations construites pour induire une autre relation à l’apprentissage et à la production de connaissances (visites,

4 L’absentéisme croissant en est un des signes, parmi d’autres.

stages d’enquête de terrain), en situation d’enseignements « extra-muros » (surtout quand ceux-ci sont obligatoires, au lieu de reposer sur le seul volontariat). Mais c’est également vrai dans les temps de mobilisation contre des projets de lois concernant l’Université. Citons-en un symptôme : dans la longue grève des universitaires contre la loi LRU, au second semestre de l’année 2008-2009, la dynamique des « ateliers de grève active » créés, à Lille 1, à l’Institut de sociologie et d’anthropologie, pour faire vivre, dans la mobilisation, l’idée d’une « Université où il fait bon réfléchir », comme le disait la banderole d’un groupe d’étudiants de l’Institut, et pour faire pièce à une logique d’Université bloquée et vide, a montré, en dépit du mérite de ces ateliers, la faiblesse rela-tive, en termes de participation étudiante (et enseignante ?), du ralliement à une seule défense et illustration de l’Univer-sité comme « lieu des savoirs critiques ».

C’est que, dans l’Université d’aujourd’hui, l’instrumental l’emporte.

Et il l’emporte au cœur du dispositif universitaire : la pro-duction des nouveaux docteurs de l’Université. On le voit dans ce document du CNRS relayé, ce printemps de 2011, par la MESHS de Lille (Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société), invitant les directeurs de thèse à une formation spécifique à l’ « encadrement du projet doctoral » 5, document qui est ici intégralement reproduit :

« 1. Objectifs. Conduire la thèse comme un projet pour permettre à son doctorant de s’autonomiser dans un cadre favorable et structuré. Acquérir des outils qui facilitent la relation d’encadrement, utiliser des techniques de management adaptées à la montée en compétences de son doctorant, qui le valorisent et aident à son insertion professionnelle. Appréhender les outils de recherche d’emploi que va devoir utiliser le doctorant, pour pouvoir le conseiller efficacement, sans faire à sa place.

2. Programme. Le pilotage du projet de thèse [Adapter des méthodes de ges-tion de projet à un projet de recherche. Structurer les trois années de thèse et intégrer la gestion des risques. Utiliser des techniques de planification pour cadrer le projet doctoral et s’adapter à son évolution]. Le mana-gement du doctorant au quotidien [Positionnement et rôle de l’encadrant. Motivation, re-motivation, acquisition de l’autonomie. Accompagnement de la performance scientifique du doctorant et des autres compétences développées. Boîte à outils permettant de rendre efficace et moins chro-nophage l’encadrement de son doctorant]. La connaissance des outils d’aide à l’emploi [Importance actuelle du réseau relationnel, de la cooptation, de la démarche spontanée. Objectifs réels du projet professionnel, du CV, de la lettre de motivation. Enjeux et codes de l’entretien d’embauche] ».

« Adapter des méthodes de gestion de projet à un projet de recherche », « Intégrer la gestion des risques », « Manage-ment du doctorant au quotidien », « Boîte à outils pour un encadrement plus efficace et moins chronophage »… Faut-il commenter davantage ?

5 Formation « Encadrement du projet doctoral » organisée par Asceo, Conseil et formation en management pour la recherche et l’ industrie, achetée et proposée par la délégation régionale CNRS Nord-Pas de Calais et Picardie. Stage de 8 à 10 participants, d’une durée de 3 jours (2 + 1).

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Professeur à l’Université Lille 1 *E-mail : [email protected]

ParadoxesRubrique de divertissements mathématiques pour ceux qui aiment se prendre la tête

* Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille,UMR CNRS 8022, Bât. M3 extension

LE PARADOXE PRÉCÉDENT : LE DÉMÉNAGEMENT MIRACULEUX

Les âges des cinq habitants de la rue Kurt Gödel sont 8, 14, 20, 23 et 35 ans ; leur âge moyen est donc : (8 + 14 + 20 + 23 + 35)/5 = 20 ans. Les 6 habitants de la rue Alan Turing ont respectivement 25, 30, 35, 40, 45 et 59 ans. Leur âge moyen est donc (25 + 30 + 35 + 40 + 45 + 59)/6 = 39 ans.

Jacques habite la rue Gödel. Il a 35 ans. Il déménage et va habiter dans la rue Turing. Maintenant, l’âge moyen dans la rue Gödel est devenu : (8 + 14 + 20 + 23)/4 = 16,25 ans, et l’âge moyen dans la rue Turing s’établit à : (25 + 30 + 35 + 35 + 40 + 45 + 59)/7 = 38,42 ans.

Les moyennes des âges dans les deux rues ont toutes les deux diminué !

En organisant des déménagements de ce type, ne pourrait-on pas alors faire baisser les âges moyens de toutes les rues dans toutes les villes, et donc tous rajeunir ? Une telle baisse simultanée par déplacement d’un élément d’un ensemble A vers un ensemble B peut-elle se produire tout le temps ? Caractériser les situations où le « paradoxe » survient.

SolutionMerci et bravo à Sophie Menigault, Nicolas Vaneecloo, Virginie Delsart, Hervé Louis Moritz, Quentin Brabander et Tony Sanctorum qui m’ont fait parvenir de bonnes réponses.

Il est contraire à l’intuition que le déplacement d’un élément d’un ensemble A vers un ensemble B fasse baisser la moyenne à la fois de A et de B. C’est pourtant tout à fait possible et il n’y a aucune erreur de calcul. La moyenne générale des 11 habitants des deux rues est bien sûr restée identique. Elle vaut :(8 + 14 + 20 + 23 + 25 + 30 + 35 + 35 + 40 + 45 + 59)/11 = 30,36Cette moyenne peut s’obtenir en faisant une moyenne pon-dérée des deux premières moyennes :(5/11) x 20 + (6/11) x 39 = 30,36De même, on l’obtient à partir des deux moyennes après déménagement :(4/11) x 16.25 + (7/11) x 38.42 = 30,36

Par Jean-Paul DELAHAYE

Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine de nombreux progrès mathématiques. Notre but est de vous provoquer et de vous faire réfléchir. Si vous pensez avoir une solution au paradoxe proposé, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à l’Espace Culture ou à l’adresse électronique [email protected]).

Ceci qui conduit à la remarque – elle aussi choquante pour l’intuition – que lorsque l’on fait la moyenne pondérée de deux nombres, celle-ci peut rester stable même si chacun des deux nombres dont on fait la moyenne diminue.

En réfléchissant quelques minutes, on peut préciser quand et pourquoi ces troublants phénomènes numériques des rues Gödel et Turing se produisent. La règle est la suivante :

- Si on fait passer de A à B un élément dont l’âge x est supérieur à la moyenne de A, et inférieur à la moyenne de B, autrement dit moyenne(A) < x < moyenne(B), alors les nouvelles moyennes de A et de B baisseront toutes les deux – ce qui n’empêchera pas les moyennes convenablement pondérées de ces moyennes de rester constantes.

La moyenne des éléments de A baissera car on aura enlevé à A un élément dont l’âge est plus grand que la moyenne de A, ce qui fait baisser la moyenne de A, c’est évident. Par ail-leurs, on aura ajouté à B un élément dont l’âge est inférieur à la moyenne des âges des éléments de B, ce qui fait baisser la moyenne de B, c’est là encore une évidence.

Ce phénomène un peu mystérieux n’est pas rare, la baisse simultanée de deux moyennes dans le même sens à la suite du déplacement d’un élément se produit à chaque fois qu’on déplace un élément dont l’âge est situé entre les deux moyennes. Si on le déplace vers le groupe qui à la plus forte moyenne, cela fait baisser les deux moyennes et si on le déplace vers le groupe qui a la plus petite moyenne, cela augmente les deux moyennes. Bien sûr, dans ces change-ments, la moyenne générale des deux groupes ne change pas et personne ne rajeunit !

Formulons encore deux remarques.

- Pour qu’un tel déplacement simultané des moyennes soit possible, il faut trouver quelqu’un dont l’âge soit situé entre les deux moyennes, ce qui est d’autant plus difficile que les deux moyennes sont proches. Dans certains cas, c’est im-possible, et en particulier : si A et B ont les mêmes moyennes au départ, tout déplacement d’un élément ayant une valeur différente de cette moyenne fera évoluer les moyennes dans deux directions opposées.

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- Un déplacement doublement rajeunissant peut être réalisé plusieurs fois de suite. Dans notre exemple, si, après le premier déménagement, la personne de 23 ans déménage de la rue Gödel à la rue Turing, cela fera encore baisser la moyenne d’âge dans les deux rues. Un cas extrême de ces rajeunissements répétés serait constaté si le plus âgé des habitants de la rue Gödel était moins âgé que le plus jeune des habitants de la rue Turing. En effet, dans une telle situation, en faisant déménager du plus âgé au plus jeune les habitants de la rue Gödel vers la rue Turing, les uns après les autres, on constaterait une baisse successive des moyennes des âges des deux rues à chaque nouveau démé-nagement, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un habitant – le plus jeune – dans la rue Gödel.

À noter :

D’autres difficultés et paradoxes liés aux moyennes sont étudiés dans les livres suivants :- Nicolas Gauvrit, Statistiques : méfiez-vous, éd. Ellipses Marketing, Paris, 2007.- Joseph Klatzmann, Attention statistiques ! Comment en déjouer les pièges ?, éd. La Découverte, Paris, 1985.- Stephen Campbell. Flaws and Fallacies in Statistical Thinking, Englewood Cliffs N.J., Prentice Hall, 1974, Nouvelle édition : Dover Publications, 2004.

NOUVEAU PARADOXE : LE DÉ LE PLUS FORT

Le jeu des trois dés est un jeu à deux joueurs dont les règles sont les suivantes.

On dispose de trois dés entièrement blancs ayant chacun 6 faces et de 18 gommettes autocollantes à mettre sur les 18 faces des trois dés. Ces gommettes portent les numéros 1, 2, 3, ..., 18.

(a) Le joueur A place les gommettes comme il veut sur les 18 faces (une gommette par face).

(b) Le joueur B choisit alors un des trois dés.

(c) Le joueur A choisit un des deux dés restants.

(d) Les joueurs A et B lancent chacun leur dé. Celui qui obtient le plus gagne.

Imaginons, par exemple, que le joueur A compose un dé avec les gommettes 1, 2, 3, 4, 5, 6, un autre avec les gom-mettes 7, 8, 9, 10, 11, 12 et le troisième avec les gommettes 13, 14, 15, 16, 17, 18. Le joueur B aura alors la certitude de gagner : il choisira le troisième dé – qui est le plus fort – et, alors, quel que soit le choix du joueur A dans la phase (c) du jeu, le joueur B sera certain de gagner dans la phase finale (d). Choisir en premier un des trois dés semble un avantage décisif.

Tout ne sera pas toujours aussi net, mais on est tenté de penser qu’en choisissant le dé le plus fort, le joueur

B a toujours un jeu favorable, c’est-à-dire qui lui donne une probabilité de gagner au moins égale à 1/2 dans la phase finale.

Le paradoxe est que cela est faux : le joueur A, qui colle les gommettes sur les faces des trois

dés, peut le faire d’une telle façon que la phase finale lui est toujours favorable, c’est-à-dire lui

donne une probabilité strictement supérieure à 1/2 de gagner.

Comment doit procéder le joueur A et qu’est-ce qui ex-plique que le joueur A puisse disposer d’un dé plus fort que le dé choisi par B qui, pourtant, a choisi le dé qu’il désirait en premier ?

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La crise des valeurs est une rengaine de la modernité, peut-être plus ancienne encore. Voyez Marx et Engels

(1848) : « Tout élément de hiérarchie sociale et de stabilité d’une caste s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont enfin forcés d’envisager leur situation sociale, leurs relations mutuelles d’un regard lucide » 1. Cette citation célèbre n’est pas un discours de déploration, elle fait signe vers la lucidité, la fameuse « prise de conscience ». Pourtant, c’est bien de valeurs qu’il s’agit : hiérarchie de valeurs, stabilité sociale du monde. Aujourd’hui, on déplore : à gauche, la perte des valeurs de solidarité, de citoyenneté, de bien commun ; à droite, le sentiment d’insécurité, le laxisme, la perte du respect de l’autorité, etc. Chaque fois qu’une voix politique s’élève, c’est pour en appeler aux « valeurs » : rassemblement autour des valeurs qui nous unissent, com-bat pour et au nom de « nos » valeurs. Discours vague, mou. Les valeurs sont-elles en crise ? Presque toujours : on n’imagine plus, on ne souhaite même plus un calme plat, un immobilisme des valeurs : vieux rêve de restaura-tion, de la droite, de Vichy. L’état de crise de nos valeurs est l’élément même de la démocratie moderne dans laquelle il est possible de vivre « sans repères et sans référents ultimes », pour reprendre l’expression de Claude Lefort. D’où surgit le doute sur le fondement des valeurs : ne sont-elles pas rela-tives ? À chacun ses valeurs ? La fin de l’absolu des valeurs, c’est encore la démocratie moderne. Nul ne voudrait vivre selon des schémas et des modèles imposés par d’autres : pas de modèle unique de bonheur ! Nul ne peut vivre ou décider de ma vie à ma place ! Comme la crise, la relativité des valeurs est irréductible. Évidemment, ce que l’on craint, c’est que si tout se vaut, il n’y aura plus de valeurs communes, plus de combat pour les valeurs, plus de valeurs du tout. Mais le succès d’un petit livre de Stéphane Hessel, les rassemblements au nom de l’héritage de la Résistance sont des signes qui montrent un lien profond entre les valeurs et l’engagement.

L’engagement permet d’arrimer les valeurs à une conduite et,

1 Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, Éditions Sociales, 1972.

en même temps, de les mettre en partage. C’est ce qu’expri-mait Paul-Louis Landsberg, philosophe et résistant. « Les valeurs ont un caractère de transsubjectivité qui constitue le sérieux de l’engagement humain. » 2 Disciple de Max Scheler, il lit chez celui-ci la découverte d’une « hiérarchie immanente des valeurs » 3. Découvrir est à entendre en un sens phénoménologique : les valeurs sont du monde, mais le monde est lui-même en désordre, « out of joint », et l’homme s’y sent perdu. Reprenant la forme d’un aphorisme de Nietzsche, Landsberg inscrit le lien entre les valeurs et l’engagement personnel : « Formule de mon bonheur : une grande richesse d’expériences ordonnées de telle manière que rien ne soit nié, ni rien égalisé : découverte d’une grande hiérarchie » 4. Cette grande hiérarchie n’appelle pas une soumission initiale et inconditionnelle, elle est le moteur d’une recherche non systématique : pluralité d’expériences, pluralité de valeurs. Comment s’y retrouver, comment ne pas se perdre dans une poussière d’expériences et se retrouver très vite devant l’équivalence axiologique du : « tout se vaut, rien n’est préférable à rien » ? Nous ne pourrions nous engager dans rien puisque nous sommes incapables d’évaluer, c’est-à-dire de préférer une valeur à une autre. La condition tragique de l’homme moderne, c’est de n’avoir pas suffisamment d’arguments devant la démission mu-nichoise, le lâche soulagement, ou de n’avoir pas le « cœur » de préférer le Front Populaire à Hitler. Il en va de même aujourd’hui : seuls les noms propres changent.

L’expression même de « grande hiérarchie » laisse croire à une réalité platonicienne des valeurs. « La transsubjectivité des valeurs ne signifie pas qu’elles existent dans un empire des valeurs pures. Elles ne sont pas concevables sans l’exis-tence personnelle qui est en rapport avec elles. La personne et les valeurs ne sont séparables que pour l’abstraction. Dans un monde où il n’y aurait pas de personnes, il n’y aurait

2 P.L. Landsberg, L’acte philosophique de Max Scheler, in Problèmes du personnalisme, Paris, éd. Aubier, p. 169-186, réédition Félin, 2007.

3 P.L. Landsberg, ibidem.

4 P.L. Landsberg, ibidem.

Que valent les discours sur les valeurs ?

Professeur de philosophie honorairePar Jean-François REY

On attend généralement d’un billet d’humeur qu’il soit caustique, percutant, que sa cible soit identifiable et que les préjugés du temps y soient étrillés. Il n’est pas sûr qu’on y parvienne à tous les coups. Il faudrait pouvoir imaginer dans cette rubrique un « dictionnaire des idées reçues ». Mais n’est pas Flaubert qui veut. Dans l’édition 2011 d’un dictionnaire de la bêtise, on trouverait les entrées : « débat », « évaluation », d’où je tire l’entrée d’aujourd’hui : « valeurs ».

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pas de valeurs et réciproquement. » 5 Plus tard, Lévinas lui-même dénoncera l’hypostasie des valeurs : « le fait éthique ne doit rien aux valeurs, ce sont les valeurs qui lui doivent tout ». Il faudrait plutôt trouver, dans la situation historique concrète, le lien avec les valeurs. Pour autant, elles ne sont pas non plus suspendues à l’arbitraire de ma décision. Les valeurs ont une réalité ontologique. Entre la personne et les valeurs, il y a une relation ontologique. Mais cette relation ne peut être établie que si j’expérimente par moi-même la transsubjectivité des valeurs. Non par principe, mais par un geste éthique où l’engagement n’est pas seulement la preuve de ma liberté, mais avant tout l’insertion de l’individu que je suis dans le monde intersubjectif des valeurs. Valeurs qui paraissent bafouées, trahies, lointaines, mais qui n’en demeurent pas moins. Non parce qu’elles seraient « ailleurs », désincarnées, attendant on ne sait où des jours meilleurs. Les valeurs existent dans et par l’engagement que je prends à les faire exister. Rien n’est garanti, mais rien n’est à inventer non plus. Les braises qui couvent sous la cendre attendent le souffle que je peux leur donner et sans lequel elles mour-raient à petit feu. N’appartenant à personne, elles seraient en quelque sorte au milieu de nous. On peut, en outre, leur accorder une réalité ontologique immanente. Enfin, elles font signe vers une mise en ordre, une hiérarchie.

Une telle conception ne fait pas l’unanimité. Si l’on voit bien en quoi elle se démarque aussi bien du relativisme sub-jectif que du dogmatisme, elle reste liée à une spiritualité héroïque que l’expérience quotidienne, plus grise, semble oublier. Dans la réalité morale qu’il a explorée dans toute son œuvre, Vladimir Jankélévitch n’a cessé de montrer le « ciel déchiré des valeurs », ce qu’il appelle aussi le « spora-disme » des valeurs : chacune d’elles se proclame le centre de l’univers, sans nul souci des autres 6. Elles sont groupées de travers. Par rapport à elles, les hommes semblent en état d’ébriété : ils voient double. Tout se passe comme si les valeurs ne pouvaient pas se grouper en constellations. Pour Jankélévitch, on est loin du cosmos où Max Scheler ordonnait les valeurs. L’homme, pour Jankélévitch, adore l’imbroglio. Jankélévitch voit l’homme comme un batracien qui vit dans un milieu intermédiaire entre la terre et l’eau : le marécage. Ce caractère amphibie est le mauvais lot de

5 P.L. Landsberg, Réflexions sur l ’engagement personnel, in Pierres blanches, éd. Félin, 2007, p. 62.

6 Vladimir Jankélévitch, Le Mal, in Philosophie morale, édition établie par Françoise Schwab, Flammarion, 1998, p. 205.

l’homme : « Avec cette incohérence ou mutuelle indépen-dance des valeurs, l’homme peut entretenir différents com-merces » 7. Il ne faut même pas évoquer le « polythéisme des valeurs » de Max Weber, car l’Olympe reste un univers ordonné. Il faut vivre un paradoxal et contradictoire « absolu plural ». Il est très difficile de renoncer à un dilettantisme pluraliste pour s’inscrire loyalement dans un camp. Le sérieux éthique simplifie le champ de l’action. Être engagé, ce n’est pas la même chose qu’être « embarqué » au sens de Pascal. L’embarqué, malgré lui, dira-t-il pour se justifier, est dans le bourbier de la confusion : il ne comprend rien à ce qui lui arrive et ne cesse de confondre le juste et l’injuste. L’embarqué est resté lié au dilettante. Dans la vie quo-tidienne, à la différence de la vie héroïque, par définition exceptionnelle, nous louchons : un ami vous déçoit par ses choix politiques ? Vous voici déchiré. La vie professionnelle la plus banale nous met dans de telles situations : « N’avoir aucune parenté philosophique avec ses amis politiques, ni aucune connivence politique avec des philosophes qui partagent notre idéal philosophique, c’est là un bien triste destin » 8. La vie morale oscille entre banalité et héroïsme, c’est pourquoi il est aussi difficile de juger la conduite d’autrui tant qu’on ne sait pas ce qu’on aurait fait à sa place. Peut-être pourrait-on sortir des incantations verbales et de la confusion, en ramenant les valeurs à deux dimensions essen-tielles. D’une part, elles ne valent que si elles font valoir autrui. Appelons-la désintéressement. L’autre dimension serait celle du sacrifice : une valeur se mesure à la hauteur du sacrifice que je suis prêt à consentir pour elle. Pour ces deux dimensions, les discours sur les valeurs dont on nous rebat les oreilles ne pèsent pas lourd. Le sérieux de l’engagement nous manque autant que l’imagination ou l’humour.

7 Vladimir Jankélévitch, Le Mal, op. cit., p. 306.

8 Vladimir Jankélévitch, Béatrice Berlowitz, Quelque part dans l’ inachevé, éd. Gallimard, 1978.

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Le libéralisme classique1

Né au XVIIème et XVIIIème siècles, le libéralisme fut une philosophie concomitante du développement de l’économie de marché où désormais la valeur d’échange prit le pas sur la valeur d’usage, parce que motivée par l’accumulation illi-mitée des richesses matérielles. Ce nouveau type d’économie fondé sur le principe du libre-échange apparut comme un puissant outil de modernisation des sociétés : il correspondit à l’émergence d’une nouvelle sphère constituée par la société civile, venant s’intercaler entre celle de la famille et celle de l’État. Le libéralisme a considéré que ce nouveau type d’économie devait non seulement affranchir l’homme de la puissance des choses, mais les libérer aussi des rapports sociaux fondés sur la propriété de l’homme (l’esclavage) ou de la propriété des revenus de son travail (le servage). Certes, on sait aujourd’hui que le passage à la condition salariale n’a pas nécessairement été porteur des espoirs que cette doc-trine prétendait y trouver 2 et que le travail fut alors aliéné au capital, mais au volet économique venait également s’ajouter un volet politique. De ce point de vue, le libé-ralisme a été un adversaire résolu de l’absolutisme monar-chique : il a préconisé aussi bien l’élection des représentants par le peuple souverain que la séparation des pouvoirs, seules garanties contre l’arbitraire. Plus globalement, le libéralisme milite pour une limitation du politique, puisque ce dernier relève d’une logique de puissance qui peut entraver les libertés individuelles. Cette philosophie congédie, dès lors, toute conception dogmatique ou autoritaire des valeurs : chacun reste le mieux à même de se fixer des fins, dans un contexte d’interdépendance sociale 3. Alors qu’au départ – chez John

1 Pour reprendre la fameuse formule attribuée à Margaret Thatcher : « There is no alternative ». Sur les origines du néolibéralisme, cf. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, éd. Gallimard-Seuil.

2 Cf. le rapport du Dr Villermé, dans la première moitié du XIXème siècle. Karl Polanyi a appelé cette période le Satanic mill : « La fabrique du diable qui écrasa les hommes et les transforma en masses », La Grande transformation, éd. Gallimard.

3 Le libéralisme a découvert un nouveau type de cohésion sociale, comme l’ont souli-gné tour à tour Karl Polanyi, Louis Dumont, Pierre Rosanvallon et Marcel Gauchet : « Le primat de l’individu, ce n’est absolument pas l’absence du social, c’est même une idée extrêmement déterminée de la société », La Condition politique, p. 418.

Locke 4–, les dimensions économique et politique de cette philosophie étaient inséparables et favorisaient l’esprit de tolérance et de contestation, force est de constater qu’en tant qu’idéologie le libéralisme économique est allé de pair avec un conservatisme éthique et politique et s’est détourné de son inspiration première.

La rupture opérée par le néolibéralisme

Loin d’être un ressourcement des principes du libéralisme classique, le néolibéralisme se présente plutôt en rupture avec plusieurs de ses thèses fondamentales. En particulier, la spécificité de cette idéologie postmoderne se cristallise en deux points : d’une part, elle instaure la suprématie de la logique du calcul économique en déniant toute autonomie aux autres champs de l’activité humaine ; d’autre part, elle vise à construire de toutes pièces un individu gestionnaire et stratège considéré comme la figure même de toute normalité. Wendy Brown a souligné ce double caractère : « Là où le libéralisme classique maintenait une distinction, et parfois même une tension, entre les critères de la morale individuelle ou collective et les actions économiques, le néolibéralisme façonne normativement les individus comme des acteurs entrepreneurs, et s’adresse à eux comme tels dans tous les domaines de la vie » 5. Désormais, la logique économique prétend s’emparer de tous les domaines humains et impose sa puissance au détriment des autres sphères d’épanouisse-ment de l’homme : la politique, le droit, la morale, l’art, la religion. Cet impérialisme de l’économique se traduit par la prééminence de la rationalité par calcul des moyens en vue de la satisfaction d’intérêts égoïstes, aux dépens de la ratio-nalité symbolique ou « rationalité par valeurs » 6 qui constituait jusqu’ici le fondement de toute société humaine. L’État et la justice sont eux-mêmes soumis à ce type réducteur de rationalité fondé sur les critères des coûts et des gains, au

4 John Locke, Deuxième traité du gouvernement civil, éd. GF, 1690.

5 Wendy Brown, Les Habits neufs de la politique mondiale, Néolibéralisme et néo-conservatisme, éd. Les Prairies ordinaires, 2007.

6 Le clivage entre rationalité par calcul des moyens les plus efficaces pour l’accomplissement d’un but et « rationalité par valeurs » a été théorisé par Max Weber.

Néolibéralisme et constructivisme

Docteur en philosophie, professeur en classes préparatoires, Faidherbe - Lille

Par Alain CAMBIER

La réflexion critique sur ce qui s’est passé depuis environ 30 ans – depuis Thatcher et Reagan – est loin d’être arrivée à maturité, mais elle s’avère absolument nécessaire tant le syndrome TINA 1 semble avoir neutralisé l’action politique. Le libéralisme est déjà en lui-même une idéologie si ambiguë que parler de néolibéralisme semble ajouter à la confusion. Une question fondamentale est pourtant de savoir si ce dernier n’est qu’une simple radicalisation du libéralisme classique.

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point que l’extension de l’impératif de gestion managé-riale au secteur public conduit à la dénaturation de ses valeurs. La « Révision Générale des Politiques Publiques » n’est qu’un exemple parmi d’autres de cet aveuglement qui, sous prétexte de moderniser le fonctionnement du service public, conduit à perdre de vue ses finalités.

Le recours au constructivisme

Mais le plus étonnant est que ce néolibéralisme tourne le dos à la confiance que le libéralisme classique avait mis dans l’esprit d’interaction et de protestation dont la société civile était le creuset. Cette confiance consistait à refuser tout autoritarisme contre-nature (Locke), à respecter la « nature des choses » (Montesquieu), à croire aux possibilités d’une autorégulation des échanges par une « main invisible » en vue d’un intérêt collectif (Adam Smith). Il prenait acte de la présence d’un donné irréductible de la nature humaine et d’une interdépendance fondamentale des individus entre eux, fondée sur la division du travail : cette idée d’individus-partenaires et « transacteurs » se retrouvait dans la notion juridique de contrat et surtout dans celle de marché – son envers économique silencieux qui correspond à l’inté-riorisation de l’interdépendance 7. En même temps que la reconnaissance de l ’individu, le libéralisme classique suppose un au-delà des individus que ceux-ci ne maîtrisent pas, c’est-à-dire une hétérotélie. Avant ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Adam Smith avait écrit une Théorie des sentiments moraux 8 qui faisait d’une sourde affectivité involontaire – la sympathie – le liant fondamental de la société humaine. Or, à la reconnaissance d’une part d’opacité, d’ « invisibilité », dans les échanges humains, le néolibéralisme oppose l’exigence d’une visibilité totale qui culmine dans la visée d’un auto-contrôle parfai-tement transparent des individus. Son but est d’abord de disposer tous les pouvoirs en vue de « produire » un indi-vidu atomisé, conforme aux exigences économiques censées s’imposer partout. Ainsi, le paradoxe du néolibéralisme se tient dans cette prétention à modeler artificiellement, à sa façon, un « homme nouveau », totalement « économique » et désocialisé. Désormais, l’État comme l’Union Européenne se donnent pour tâche de programmer, dans tous les domaines, le comportement d’un Homo oeconomicus utilis censé être le modèle accompli d’une humanité enfin « opé-rationnelle ». La subtilité est qu’il ne s’agit pas ici de procéder à la façon grossière des idéologies totalitaires, mais en instillant dans la conscience des individus ce comportement-type afin qu’ils en arrivent à se construire eux-mêmes selon ce modèle-standard. De ce point de vue, la promotion de la figure de l’auto-entrepreneur nous en donne un exemple emblématique 9. Dès lors, il ne s’agit pas d’instituer des

7 Cf. Pierre Rosanvallon, Le Capitalisme utopique, éd. Points-Essais, n° 385.

8 Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, éd. GF, 1776 ; Théorie des sentiments moraux, éd. PUF, 1759.

9 Michel Foucault avait très bien anticipé en pointant l’objectif du néolibéralisme

normes, mais de « conduire les conduites », de mettre en œuvre des procédés, des règles, des disciplines dont le critère n’est plus un idéal à atteindre, mais celui de l’efficience. Comme l’avait pointé Michel Foucault, « il faut plutôt voir dans les disciplines une sorte de contre-droit » 10. Alors que le libéralisme classique prétendait libérer les forces inventives de l’homme, le néolibéralisme recherche son « formatage » par le biais de la gestion économique, afin qu’il assure en fin de compte lui-même sa propre surveillance et produise sa propre aliénation. L’idéal éthique de la maîtrise de soi est ici à ce point galvaudé qu’il perd toute dimension métaphy-sique 11 et se réduit strictement à celui d’un calcul des coûts qui relève exclusivement de l’entendement abstrait.

La fongibilité du réel

L’enjeu du néolibéralisme n’est pas seulement – comme l’a souligné Wendy Brown – de conduire à la « dé-démocrati-sation » politique, mais d’engendrer un processus de déréali-sation : aussi bien de la société que de l’homme lui-même 12. Non seulement le néolibéralisme provoque le repli sur soi, mais il appauvrit le champ de la réalité objective et notre attachement à un monde commun, en faisant apparaître comme non-rentable toute une série de conduites pourtant fondamentales de la condition humaine et en rabattant l’individu sur un égocentrisme possessif, suspendu au fantasme d’une maîtrise économique totale de la vie. La définition du capitalisme comme « destruction créatrice » par Schumpeter trouve ici son aboutissement caricatural, avec le triomphe néolibéral d’un capitalisme financier spéculatif qui détruit le capitalisme industriel. Alors que l’économie néolibérale revendique la mondialisation de l’économie, nous assistons plutôt à une véritable « démon-déisation » de l’homme, puisque l’hégémonie de la puissance de l’argent rend tous les acquis humains fongibles. Ce rétrécissement des horizons implique également la perte du sens. Si l’homme est bien toujours en « dette de sens », le triomphe du pragmatisme opérationnel conduit à l’obs-curcissement définitif des fins. Simmel l’avait pressenti : « Telle est la destinée de l’humain sans amarres qui a aban-donné ses dieux, et dont la ‘liberté’ ainsi gagnée ne fait qu’ouvrir la voie à l’idolâtrie de n’importe quelle valeur passagère ». Désespérément en manque de sens, l’homme postmoderne s’est émancipé des « dieux » (Götter), pour s’aliéner à des « idoles » (Götzen) 13.

« de substituer à chaque instant, à l’homo oeconomicus partenaire de l’échange, un entrepreneur de lui-même, étant à lui-même son propre capital, étant pour lui-même son propre producteur, étant pour lui-même la source de ses revenus », Naissance de la Biopolitique, éd. Gallimard-Seuil, p. 232.

10 Michel Foucault, Surveiller et punir, éd. Gallimard, p. 224.

11 Comme c’est le cas chez Hans Jonas dans Le Principe responsabilité, éd. du Cerf, p. 30.

12 Cette déréalisation de l’homme est une nouvelle variante de ce que Rousseau appelait déjà « l’homme de l’homme ».

13 Georg Simmel, Introduction aux sciences morales, p. 167, dans Georg Simmel Gesamtausgabe, Suhrkamp, 1989.

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Avec le numéro « historique » de la revue Esprit de 1972 1, il s’agissait au départ de s’intéresser à un secteur pro-

fessionnel relativement marginal, afin d’analyser ce qui, dans ses raisons, ses implications, son avenir, participait à « la production organisée de la socialité ». En définitive, à la surprise de la rédaction, ce furent davantage les nouvelles formes de contrôle social qui furent mises en exergue. Dans le contexte de l’après mai 68, les travailleurs sociaux étaient perçus comme des agents de normalisation étatique, encadrant et surveillant, sous couvert d’ « assistance », d’ « éducation » et d’ « animation », les populations déviantes ou marginales. Ce qui légitimera, lors de la republication de ce numéro en 1976, son nouveau titre : « Contrôle social et Normalisation ». Ce numéro actera ce que Michel Autès qualifie de prise de parole des intellectuels sur le travail social, en légitimant la parenté des luttes en son sein avec le mouvement de désins-titutionalisation affectant particulièrement la prison et la psychiatrie. L’émergence de pratiques alternatives à l’assis-tance, le contrôle et l’enfermement des populations, portées par un discours émancipateur aboutira à la remise en cause des valeurs qui fondaient jusqu’ici les professions du social (neutralité politique, primauté de la psychologie…). De nombreuses publications poursuivront, durant cette décennie, une critique radicale du travail social. Le livre de Jeannine Verdès-Leroux 2, composé en grande partie d’articles précé-demment publiés dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales, fut sans doute celui qui a analysé le travail social et son idéologie en fonction des rapports de forces politiques. L’article « Pouvoir et assistance » dénonce avec une rare violence l’exercice, par les assistantes sociales, d’une violence symbolique qui vise la disqualification de la culture ouvrière. La thèse développée par la sociologue, proche alors de Bourdieu, situe le travail social comme une

1 Revue Esprit, Pourquoi le travail social ?, numéro 4/5, Paris, avril-mai 1972.

2 Verdès-Leroux Jeannine, Le travail social, Paris, éd. de Minuit, 1977.

construction sociale ayant pour fonction de stigmatiser et d’invalider les pauvres et les « inadaptés ».

Deux autres ouvrages centrent leur critique sur la Prévention spécialisée. Ce secteur d’activité apparaissait alors comme une forme d’action novatrice et progressiste. Refusant de considérer la délinquance comme un symptôme d’inadap-tation sociale, certains professionnels tentent de construire une alternative au traitement moral et aux politiques répres-sives. Ces livres contestent toutefois cette ambition en ana-lysant l’état de crise de la Prévention spécialisée. Le premier, dirigé par Jean-Pierre Liégeois 3, s’inscrit dans une analyse critique d’un travail social moralisateur et destructeur. Il fustige violemment les pratiques professionnelles qui ne font que refléter l’incompréhension d’une société à l’égard notamment des tziganes. Dans l’article « travail social et classes sociales », qui analyse le projet d’installation d’un club de prévention dans un quartier de la région lilloise, les auteurs soulignent l’aveuglement des travailleurs sociaux à la réalité sociale. Leur ethnocentrisme de classe alimente l ’ignorance de la condition et de la position sociales des populations jugées invalides. Sous couvert de discours relatifs à l’accès à l’autonomie et à la « demande sociale », leurs pratiques ne font qu’obéir à la domination culturelle et à la reproduction des rapports sociaux. Le second de Pierre Lascoumes 4 souligne le décalage entre les intentions affirmées, les projets et les pratiques mises en œuvre. Pour l’auteur, la Prévention spécialisée, malgré ses avancées et sa mobilisation, reste enfermée sur des pratiques archaïques. La critique est sévère : « son passé se limite à ses expériences pionnières et à quelques projets pédagogiques dépassés ». La méconnaissance des politiques sociales qui encadrent ses actions et de la genèse des phénomènes sur lesquels elle

3 Liégois Jean-Pierre (sous la dir.), Idéologie et pratique du travail en prévention, Toulouse, éd. Privat, 1977.

4 Lascoumes Pierre, Prévention et contrôle social. Les contradictions du travail social, Genève, éd. Masson, 1977.

Lire le travail social : les années 70

Directeur des Missions Transversales(la Sauvegarde du Nord)

Par Youcef BOUDJÉMAï

Les années 70 voient s’achever le passage de l’assistance à l’aide sociale. Le IVème plan (1971-1975) pose le cadre d’un développement de l’action sociale qui trouve son apogée dans les lois de juin 1975, portant sur le statut des personnes handicapées et sur les institutions sociales et médico-sociales. Ces évolutions s’accompagnent d’un ensemble de publi-cations donnant naissance à une sociologie du travail social. Celle-ci se structure essentiellement autour de trois options fortement dépendantes du contexte idéologique de l’époque : l’une mobilisant la théorie du contrôle social, l’autre se référant à la théorie des organisations et la dernière s’appuyant sur les politiques d’action sociale. À l’occasion de notre cycle sur le travail social, voici une (re)lecture de dix ouvrages emblématiques des enjeux de cette période historique.

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Michel Parreau est mort le 4 septembre 2010. Ancien élève de l’École Normale Supérieure, mathématicien, spécialiste des surfaces de Riemann ouvertes, enseignant dont les polycopiés sont toujours étudiés avidement, militant politique engagé, Michel fut aussi le plus jeune Doyen de France (1961-1964). Il assura le développement de la Faculté des Sciences de Lille, conçut le programme de notre Cité Scientifique, assura la Présidence de Lille 1 (1973-1975), fonda les Centres Scientifiques Universitaires de Calais (1963) et de Valenciennes (1964), mit en place l’Université du Littoral (1990), participa à la création et présida l’association ALIAS qui aboutit à l’ouverture du Forum des Sciences, dont il fut aussi le premier Président (1982-2000). À ce témoin engagé de son temps, assurant un rôle majeur de l’évolution régionale de l’Université française, « Les Nouvelles d’Archimède » avaient décidé, en mai 2010, de consacrer un numéro. Il en avait accepté l’idée du bout des lèvres. Sa mort a différé définitivement le projet. Nous voulons ici, à plusieurs mains, retracer son parcours public, tant il illustre la manière dont un homme peut participer et modeler l’histoire de son temps. D’autres décriront son activité mathématique par l’édition des cours qu’il a professés.

Tous ceux qui ont connu Michel Parreau étaient séduits par sa personnalité, sa vivacité d’esprit, sa capacité de

répartie, son naturel gai et railleur. Curieux de tout, armé de fortes convictions politiques mises au service de pro-jets collectifs, il était dénué de toute ambition personnelle.

Sa capacité d’écoute et son attention à autrui en firent un conseiller précieux pour ses proches. Son autorité naturelle, utilisée avec diplomatie, galvanisait les forces pour créer et bâtir. Qualités rares que celles de cet épicurien, qui sut se montrer stoïcien devant les drames et les douleurs de sa vie, gardant toujours jeunesse intellectuelle et vivacité d’esprit.

La réussite d’un garçon d’origine modeste, très politisé

La mère de Parreau était issue d’une famille nombreuse dont les parents avaient peu d’ambition pour leurs enfants, en particulier les filles. Elle veut rompre avec cette tradition « Femme au foyer », n’a qu’un seul enfant, qui se montre très bon élève. Les instituteurs doivent quand même expli-quer à ses parents qu’il ne faut pas que Michel « aille au travail », mais se présente au concours d’entrée en 6ème, ce à quoi ils consentent sans trop de peine ; néanmoins, sa mère exige qu’il passe son certificat d’études primaires… Plus tard, un professeur de lycée dit à sa mère que son fils – qui assimile grec, latin, histoire, sciences très rapidement et dont les dimanches se passent au Louvre et en promenades dans Paris – est capable de faire l’École Normale. « D’ins-tituteurs » comprend la maman. « Supérieure » précise l’enseignant. C’est l’époque où la norme n’est pas de faire des études. Les enfants de famille modeste peuvent entrer en 6ème, aller au lycée et obtenir le Bac, grâce auquel ils sont en droit de nourrir de légitimes ambitions professionnelles. De ses engagements de lycéen, Michel ne parle guère.

un acteur de l’évolution universitaire des cinquante dernières années

Michel PARREAU :

Invasion du campus par les CRS, le 19 mars 1971, devant le M1.

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Il confie quand même un jour que lui, si peu sportif, a couru très vite un certain 11 novembre 1940, sur les Champs Ely-sées, pour échapper aux raf les de la police parisienne et du bataillon de la Wehrmacht que l’état-major nazi avait envoyé pour dégager le quartier...

Michel entre donc à Normale Sup’ en 1943, devient interne, quitte le milieu familial. Il se lie avec Laurent Schwartz, un peu plus âgé que lui, René Thom, Jean-Claude Pecker. Ces derniers deviennent ses « cothurnes » la dernière année. Toute sa vie, il revendique cette qualité de normalien par fidélité à cette communauté intellectuelle dans laquelle il plonge alors, dans ses discussions, ses militances, ses oppo-sitions (entre les « Talas » – ceux qui vont-t’-à-la messe – et ceux qui n’y vont pas, comme Michel). Normale Sup’, pendant la guerre, est un endroit assez luxueux (« le Palais »), où les conditions de travail sont bonnes, les élèves sont nourris – ce qui alors n’est pas évident à Paris –, vivent heureux d’être ensemble, de travailler des matières intéressantes... Relativisons : il pleut dans la chambre que partagent Parreau, Thom et Pecker. Celui-ci fait de Michel une caricature « le chiadant sous la pluie ».

La libération de Paris trouve Michel adhérent aux Jeunesses Socialistes, dont il devient Secrétaire National. Il a étudié Freud et Marx (« ses gourous »), est devenu trotskiste. Les oppositions de la Résistance sont bien présentes entre gaul-listes, socialistes, communistes, chrétiens populaires. Michel raconte volontiers « l’erreur de sa vie » : avoir facilité la prise de pouvoir de Guy Mollet sur la SFIO 1. Une fois élu, Guy Mollet remercie ses appuis par la dissolution des JS 2. Michel se retrouve, définitivement, a-parti. …On connaît la suite : Guy Mollet, élu du Front Républicain en 1956 pour faire la paix en Algérie, y envoie l’armée, lui donnant pouvoir de police, couvrant les meurtres et les tortures. Cette erreur de jeunesse restera une dure leçon pour Michel.

1 Section Française de l’Internationale Ouvrière, ancêtre du PS.

2 Jeunesses Socialistes.

Michel Parreau à l’ENS en 1945.

© Jean-Claude Pecker.Michel est recruté au CNRS 3, après son agrégation de ma-thématiques (1946), comme attaché de recherches pour préparer sa thèse. Eh oui, jusqu’en 1970, on peut être titulaire au CNRS ou à la Faculté pour préparer une thèse ! À défaut de politique, Michel se lance dans le syndicalisme universitaire : il est bombardé représentant des mathématiciens dans les comités du CNRS. Il y rencontre Georges Poitou, avec qui il noue des liens d’amitié intime et qui sera son mentor. Une douzaine de membres représente alors toutes les disciplines. Dès la rentrée suivant la soutenance de sa thèse (juin 1952), Michel est nommé Maître de Conférences (actuel Professeur de 2ème classe) à la Faculté des Sciences de Toulouse, carrière normale pour l’époque... C’est ensuite Poitou, Professeur de mathématiques à Lille, qui le fait venir auprès de lui en 1956... Bientôt, Michel est nommé « Professeur à titre personnel », non à la demande de la Faculté des Sciences, comme c’est d’usage, mais des « instances supérieures ». Poitou, Descombes, Mlle Chamfy, Parreau, tous normaliens – une « bande de copains » arrivée au front sans l’avoir voulu – entreprennent de remodeler l’Institut de Mathématiques, d’y renouveler l’atmosphère et l’enseignement, de faire venir normaliens et sévriennes pour participer au chamboulement, dans la joie, la connivence et le plaisir.

« Le plus jeune Doyen de France »

Le Doyen de l’époque, Lefebvre, ne se caractérise guère par une activité débordante. Il accomplit trois mandats successifs de trois ans. À sa dernière élection, Parreau obtient quelques voix. En 1961, Michel « qui doit bien avoir de l’influence puisqu’il a été imposé comme Professeur », et dont l’action en mathématiques est connue, est élu. Arrivé à la tête de la Faculté des Sciences à 38 ans, là où l’habitude voulait que soit élu un sexagénaire, Michel est le plus jeune Doyen jamais élu et fait la « une » de France-Soir. Rapidement, mû en partie par la curiosité, pour voir « comment ça marche », il renouvelle les pratiques, répartit les finances (c’est alors une prérogative des doyens) : il s’étonne de voir quatre véné-rables professeurs de géologie lui demander audience parce qu’ils n’arrivent pas à se partager l’enveloppe octroyée ; il les écoute longuement et les satisfait en leur attribuant à

3 Centre National de la Recherche Scientifique.

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chacun le quart de l’en-veloppe. Plus sérieuse-ment, il utilise ses fonc-tions pour bouleverser tota lement la v iei l le Faculté mandarinale, puise dans « le trésor de guerre » accumulé par l ’immobilisme de son prédécesseur, profite de l’engagement du Général de Gaulle en faveur de la recherche scientifique. L’époque est celle de la conquête spatiale et de

l’armement nucléaire. De Gaulle, comme Mendès-France avant lui, pense que la force de la France passe par le déve-loppement de la recherche. Des investissements massifs sont possibles, tant en matériel qu’en personnel. Des postes sont créés, même s’ils sont parfois difficiles à pourvoir.

À la Faculté des Sciences, le Doyen Parreau construit et développe. En plus des mathématiciens, il attire à Lille des jeunes professeurs pour occuper les postes qu’il obtient pour de nouvelles spécialités (chimie biologique, chimie minérale, chimie générale, mécanique des fluides, cristallo-graphie, calcul numérique, géologie structurale, minéralogie, physiologie, psychophysiologie…). Ces nouveaux arrivants doivent avoir des laboratoires. Les équipements sont obtenus. Où les loger ? Michel fractionne les hauteurs de salles, fait construire dans les cours des bâtiments. Dans cette action, il est largement soutenu par le Recteur Debeyre, dernier recteur à défendre son Académie, au besoin contre le ministère, au lieu de transmettre et appliquer les ordres de celui-ci. Debeyre ouvre des classes dans le primaire, fait bâtir des lycées, monte au créneau pour qu’un jeune et ambitieux Ministre des Finances, qui deviendra Président de la République, cesse de se faire tirer l’oreille pour débloquer les crédits obtenus. Parreau développe aussi l’administration auparavant squelettique : sa seule secrétaire, Yvette Salez, heureusement très efficace, connaît tous les enseignants.

L’époque est aussi celle de la fin, douloureuse, de la guerre d’Algérie. Les manifestations pour l’indépendance, contre

l ’OAS 4, contre les violences policières, se succèdent. Michel y participe, bien évidemment. Le milieu étudiant est alors très organisé, très politisé. À côté de l’Institut de Mathématiques et du bureau du Doyen, place Philippe Lebon, se trouve la maison des étudiants, l’U1, rue de Valmy, en « gestion directe » : les étudiants y gèrent un restaurant universitaire, un bar, une coopérative, une imprimerie. C’est le centre de la vie étudiante ; c’est là qu’ont lieu les réu-nions de coordination contre la guerre d’Algérie. L’UNEF 5, appuyée par le PSU 6, est le lieu de rencontre du PCF 7, de la SFIO, de la CGT 8 et de la CFDT 9. Alors que la société s’occupe peu de l’Université, celle-ci critique la société, discute de politique, à l’image de Poitou et de Parreau, dont la promenade quotidienne dans le quartier universitaire et les discussions animées amusent les étudiants assis aux terrasses des cafés, noires d’un monde qui refait le monde. L’OAS plastique l’U1, les domiciles de deux professeurs de sciences, un cinéma dans lequel se déroulent des projections interdites. Les étudiants gardent l’U1, jour et nuit, éditent des tracts, dénoncent les massacres d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961, puis les morts de Charonne. Certains aident le FLN 10, qui trouve la frontière belge perméable. La paix, enfin...

Tous les problèmes ne sont pas résolus. La vieille Faculté des Sciences, bâtie à la fin du XIXème siècle pour 300 étudiants, explose sous leur nombre (+ 15 % d’accroissement annuel moyen, parfois doublement dans certains certificats d’une année sur l’autre). L’aménagement des combles, le frac-tionnement des étages, les constructions dans la cour ne suffisent plus. Dans cette Académie de Lille, qui englobe Reims et Amiens, Michel Parreau décentralise. Il crée un Collège Scientifique Universitaire (CSU) à Calais (1963), à Valenciennes (1964), prépare celui de St Quentin qui sera mis en place par son successeur. Le patrimoine universitaire,

4 Organisation Armée Secrète.

5 Union Nationale des Étudiants de France.

6 Parti Socialiste Unifié.

7 Parti Communiste Français.

8 Confédération Générale du Travail.

9 Confédération Française Démocratique du Travail.

10 Front de Libération Nationale.

Le campus en 1970.

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des étudiants, un des maîtres-assistants. Jacques Tillieu fait ensuite adopter une organisation de la Faculté en « départements », dirigés par les assemblées des professeurs, forme d’auto-or-ganisation reprenant celle que « la bande de copains » avait instituée en mathématiques et qui marchait si bien... mais que d’autres dis-ciplines, les sciences naturelles, notamment, trouvent insupportable ; les Professeurs y crient à l’instauration des « Soviets », alors que Tillieu n’a même pas incorporé dans les assemblées les maîtres-assistants, estimant que les droits se conquièrent et que les M.A. n’ont rien demandé.

Le décanat de Tillieu est marqué par l’ins-tallation, à Annappes, de la Faculté. En 1964, les « propédeutiques » (1ère et 2ème années de chaque Faculté), les années les plus nombreuses, viennent suivre les enseignements dans des

bâtiments « provisoires ». Le Recteur Debeyre désengorge ainsi les locaux lillois. Le « provisoire » est installé en plein champ, au bord de la route de Lezennes et n’est pas desservi par les bus. Ce sont seulement les nouveaux étudiants qui arrivent et sont coupés du riche milieu universitaire lillois. De 1965 à 1968 s’installent successivement les sciences naturelles, la chimie, la physique, les mathématiques. Les premiers installés sont plus traditionalistes : les « Manda-rins » s’y réservent des bureaux plus spacieux et luxueux, de sorte qu’à l’arrivée de la physique et des mathématiques il y a moins d’argent, il faut réduire le confort au profit des « paillasses »… Le campus reste assez longtemps à l’état de chantier où les « Annappiens » viennent en bottes. La résidence Gallois et le restaurant Pariselle ouvrent dans des conditions précaires. Au début de 1968, toute la Faculté est installée sous l’autorité du Doyen Defretin. La création de la ville nouvelle de « Villeneuve-d’Ascq » est alors décidée.

Le mouvement de mai déclenché à Paris surprend tout le monde, même si les mécontentements accumulés à partir de la réforme universitaire Aigrain-Fouchet, le vieillissement d’une société bloquée, son autoritarisme, même à propos des mœurs individuelles, les luttes de travailleurs immigrés… auraient pu le faire présager. Ce mois de mai redonne fraîcheur et gaieté à Michel, nullement troublé par le soulèvement universitaire et, plus généralement, des jeunes de la civi-lisation occidentale. Il retrouve alors ses années militantes des Jeunesses Socialistes, participe au premier rang aux

exigu, doit être rénové et étendu. Aux manifestations contre la guerre d’Algérie en succèdent d’autres pour obtenir la création d’un campus universitaire. Grâce au Recteur Debeyre, qui pallie la carence de la ville de Lille, le principe de la construction d’une Cité Scientifique est acquis. Ce sera le premier campus de France, situé à Annappes, sur des terres cultivées. Il faut exproprier les paysans, qui mani-festent. Les étudiants contre-manifestent pour protester contre les retards apportés à la construction. Enfin, la déci-sion est prise. L’architecte est désigné : Le Maresquier, beau-frère du Premier Ministre de l’époque, Michel Debré. Le doyen Parreau est chargé de mettre au point le programme pédagogique de la future Faculté des Sciences.

La Cité Scientifique et les « événements de mai 1968 »

En 1964, à l’issue de son mandat, Michel laisse la place à Jacques Tillieu, proposé par lui et Poitou, peut-être parce qu’adhérent du PSU, physicien théoricien dégagé des besoins de crédits, amateur d’art qui avait fait spontanément des propositions habiles (sculpture du nordiste Dodeigne) pour utiliser le 1% artistique... Tillieu continue l’œuvre entre-prise ; le budget devient public, il modifie la gestion de la Faculté en introduisant une pratique de gestion collective : il crée un « bureau », composé de plusieurs professeurs, dont Michel accepte d’être membre ; il y a aussi un représentant

Mairie de Lille, de droite à gauche : Augustin Laurent - Maire ; Guy Debeyre - Recteur ; René Defretin ; Jacques Tillieu - Doyen et trois autres personnes non identifiées.

Manifestation, mai 1968, Paris.

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manifestations, dont la première en réaction à la dure répression à Paris dans la nuit du 3 mai et à l’investissement de la Sorbonne par la police. Des Assemblées Générales ont lieu. Michel, en sa qualité de directeur du département de Mathématiques, reçoit les Renseignements Généraux, qui viennent lui montrer des photos prises, au cours d’une A.G., afin qu’il y nomme les intervenants. À son grand regret, Monsieur le Doyen ne peut identifier personne... Des groupes de réflexion sur l’avenir se forment. Michel y apporte des cahiers couverts d’une écriture fine, à partir desquels il fait revivre Marx et le mouvement de 1936. On étudie « Que faire ? ».

Ces « événements », comme on les appelle, voient donc Michel au premier plan. Il réveille, au sens propre comme au sens figuré, les responsables étudiants qui ont tendance à s’endormir à l’U1. Il négocie par téléphone avec le Préfet, au nom de l’intersyndicale, le parcours d’une manifesta-tion et obtient, ce qui ne s’était jamais vu à Lille, que la dispersion se fasse devant la Préfecture, sur la place de la République. Ce sont aussi des collages d’affiches, une arres-tation de « colleurs » par la police de Roubaix qui fait des-cendre d’une voiture les quatre occupants. Le premier, à la demande de ses nom et profession, répond « assistant à la Faculté des Sciences », le second « Maître Assistant », le troi-sième « Maître de Conférences »… « Quant à moi, je suis le Doyen » déclare Michel aux flics médusés, qui rendent pots de colle, balais, brosses et laissent repartir le véhicule... Michel, mathématicien, créateur, administrateur, démontre alors une inadaptation 11 qui lui permet de sentir les besoins d’une société.

À Lille, les « événements » furent calmes : manifestations massives et dynamiques, discussions permanentes à la salle Salengro (l’actuel Théâtre de la Grand’Place), organisation des actions à l’U1, négociations avec le Préfet... Mais aussi manifestation interne au campus où les assistants et quelques maîtres-assistants, difficilement convaincus, viennent envahir le Conseil de Faculté, constitué de profes-seurs et réclament voix au chapitre : « Mandarins, attention aux pépins ! ». Ceux qui se sentent visés ont des réactions diverses, de la dignité offensée au quasi effondrement. Ce sont ensuite ces réunions, du 22 mai au 7 juin, où sont

11 « …Ne te hâte pas vers l’adaptation. Toujours garde en réserve de l’inadapta-tion », Henri Michaux, Poteaux d’angle.

élaborés de nouveaux statuts pour la Faculté et imaginé un avenir possible. La gestion sera dorénavant assurée par des Conseils où siègeront des élus appartenant à différents collèges : enseignants de rang A, de rang B, ATOS 12 ; étudiants ; « personnalités extérieures », industrielles, syndicalistes. Un slogan anarchiste qui fait mouche appa-raît sur les murs du bâtiment de mathématiques « co-ges-tion = Parreau-dit-d’auto-gestion » et traduit les débats à gauche sur le principe même de la participation à la gestion de la Faculté.

En juin, les conseils sont en place, acceptés par le Doyen Defretin et l’assemblée des professeurs. Les élections nationales sont gagnées par la droite, le nouveau ministre de l’Éducation Nationale, Edgar Faure, reçoit Michel Parreau, à la tête d’une délégation lilloise. Quand celle-ci ressort, cer-tains collègues sont désemparés : venus chercher des instruc-tions, ils entendent le ministre leur dire de faire à leur idée… Les conseils de Faculté et de départements continuent donc à siéger, bientôt institutionnalisés pour toute la France sous une forme atténuée, par la « loi Faure », qui crée aussi les Universités pour remplacer les Facultés. À Lille, la Faculté des sciences devient « Lille 1 - Sciences et Techniques ». On y intègre les géographes qui ne supportaient plus les historiens, les économistes qui se sentaient mal à l’aise avec les juristes, les sociologues – moteur initial des « événements » à Nan-terre – qui effraient certains scientifiques. En accord avec l’avis de Michel Parreau, le Doyen Defretin, « qui n’a pas démérité », est élu de justesse Président de l’Université.

L’après 68 : le combat continue !

L’après 68 fut bien agité à Lille 1. Avec l’élection de Pompidou commencent les années « Marcellin », celles de la répression contre les « groupes gauchistes », interdits. Anarchistes et maoïstes se disputent la présence sur le campus, ces derniers voulant le transformer en « base rouge », destiné à appuyer leur pénétration des milieux ouvriers (mines, textile). Le 19 mars 1971, au petit matin, c’est l’invasion du campus par les CRS commandés par le Procureur de la République sous le prétexte de rechercher un réfugié palestinien. En réalité, c’est une affaire électorale : la droite (Ortoli) veut prendre la ville à la gauche (Augustin Laurent - Mauroy). D’astucieux

12 Agent Technicien et Ouvrier de Services.

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stratèges ministériels imaginent qu’une belle provocation, justifiée par la situation, déclenchera un réf lexe conser-vateur comme en juin 68. La troupe, au lieu des militants et du matériel subversif espérés, ne trouve que le Directeur de l’UER 13 de mathématiques et du matériel univer-sitaire ; fiasco total ; les étudiants affluent, encerclent les

CRS, qui tentent de se dégager par des gaz lacrymo-gènes, se heurtent à l’adversité d’un vent mal

orienté et, sans masques à gaz, doivent se retirer. L’après-midi, une immense

manifestation – Président Defretin, doyens Parreau et Tillieu en tête – va à pied du campus à la Préfecture du Nord. Le directeur de l’UER est relâ-ché. Bilan de l’opération : l’effet est désastreux pour la droite ; Laurent - Mauroy remportent les élec-

tions, le Préfet est déplacé. La police, en civil, viendra

restituer à l’Université le matériel saisi...

La majorité syndicale SNESup 14 de Lille 1

est très largement « gau-chiste », ses délégués siègent dans les commissions natio-nales, mais le syndicat a été repris en mains par les communistes. Aucun texte opposé à eux ne passe plus

dans la presse syndicale. La quasi totalité de la section de

Lille 1 décide de démissionner en bloc du SNESup et d’adhérer au SGEN 15 qui, loca-lement, ne compte que quelques adhérents. Cette démarche donne lieu à un grand article dans « Le Monde ». C’est aussi, en cette période de répression, la création du « Secours Rouge » destiné à défendre les militants emprisonnés. « La Cause du Peuple », journal maoïste dirigé par Jean-Paul Sartre, est

13 Unité d’Enseignement et de Recherche.

14 Syndicat National de l’Enseignement Supérieur.

15 Syndicat Général de l’Éducation Nationale.

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1975

interdit. Pour défendre la liberté de la presse, des syndi-qués vont vendre le journal sur la grand’place de Lille. Parmi eux : Bkouche, Deboudt, Parreau, Tillieu, qui, l’action finie, prennent un pot dans un café, sont inter-pellés par des R.G., furieux d’avoir été bernés. Cette prise : deux doyens, un directeur d’UFR, un directeur de CSU, embarrasse bien vite les autorités locales qui en réfèrent à Paris et reçoivent à 4 heures du matin l’ordre : « relâchez-les immédiatement ! ». Le lendemain, Conseil d’Université. Pas la moindre protestation contre l’arrestation, les « liber-tés » n’obligent pas à la solidarité universitaire. D’autres péripéties de ce genre, plus ou moins comiques, pourraient être relatées et montreraient que, pendant ces années, si nous avons construit une nouvelle Université, nous nous sommes aussi bien amusés !

En 1973, Michel prend la succession de Defretin à la pré-sidence de Lille 1. Hélas, il tombe gravement malade et laisse la place dès 1975. Rétabli, il reprend ses activités mathématiques. Le mandat des doyens (trois ans) per-mettait un retour à la recherche. L’élu était un parmi les autres, accomplissant une mission collective d’intérêt général (un ministre est un serviteur, se plaisait à rappeler Michel). Revenu en mathématiques, Parreau se trouve un peu isolé à Lille dans les travaux qu’il mène ; il a favorisé des recrutements assurant la présence de toutes les disci-plines mathématiques, non de la sienne propre : sa culture lui montre la nécessité des probabilités – discipline qui

ne le passionne pas –, il développe les proba-bilités. S’il a toujours regretté l’absence de thé-sards travaillant sur ses sujets, il préfère favo-riser le développement de nouveaux thèmes de recherches, sans concentrer les efforts sur des sujets à la mode ou considérés rentables. C’est dans cet état d’esprit qu’il dirige les thèses de deux chercheurs venus solliciter son aide dans un domaine qui n’est pas directement le sien, qu’il participe à de nombreux jurys de thèses de troisième cycle, propose et suit des seconds sujets de thèses d’état ; chaque fois son implication est totale, jamais elle ne se borne à accorder un simple patronage. D’après lui, il est important de savoir tisser des liens, explorer plusieurs pistes ; la pluridisciplinarité est pratiquée, elle ne peut être décidée, créée artificiellement. Inutile de préciser que les tendances dominantes actuelles

où le directeur de laboratoire, le président d’université, sont conçus comme des gestionnaires-communicants, chargés de trouver de l’argent et de faire valoir les résultats scienti-fiques obtenus par d’autres, étaient totalement étrangères à Michel et lui répugnaient profondément.

L’ALIAS et le Centre Régional de Culture Scientifique

1981 - Victoire de la Gauche. Tout devient possible... croit-on. Mais le « on a gagné » risque de remplacer l’envie de faire par soi-même. L’immense culture de Michel Parreau, son sens politique, la volonté d’associer les citoyens aux choix technologiques qui conditionnent leur avenir, font qu’il s’intéresse immédiatement au projet de l’ALIAS (Associa-tion Lilloise d’Information et d’Animation Scientifique et culturelle) : créer, dans le Nord-Pas de Calais, un centre de Culture Scientifique et Technique. Il préside l’Association, composée surtout d’universitaires, qui veut faire bâtir ce Centre hors de l’Université, en centre-ville de Lille, comme lieu de rencontres et de débats. De ce projet novateur, qui paraît a priori de concrétisation facile, narrer la réalisation nécessiterait une longue chronique – de quatorze années au moins – qui ne trouve pas sa place ici. On comprendra que la tâche devient vite compliquée en mentionnant quelques-uns des protagonistes : Ministère de la recherche, Ministère de la culture, Région Nord-Pas de Calais ; villes de Lille,

Conseil de l’Université Lille 1, 1975.

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Douai, Villeneuve d’Ascq ; Communauté Européenne, Communauté Urbaine, chacun avec ses exigences, ses ambitions concurrentielles, ses réticences à payer. À chaque nouvelle péripétie, Michel Parreau intervient, fait jouer ses talents de persuasion, de diplomatie, de fermeté dans le maintien des exigences. Il contribue ainsi fortement au succès final, dû à une activité de préfiguration de plus en plus développée par l’ALIAS, les succès publics de ces initiatives innovantes, la création de réseaux culturels scientifiques régionaux, la mise au point d’un projet culturel. L’ouverture en 1996 du « Forum des Sciences » à Villeneuve d’Ascq, avec ses différents espaces correspondant aux préfigurations patiemment testées et au rayonnement national, viendra couronner cette action. Mais l’activité de cet équipement sera longtemps menacée encore, avant la prise de sa gestion par le Conseil Général du Nord.

L’Université du Littoral

Cette aventure du Forum des Sciences, imposée par un groupe de militants plutôt que voulue par des élus, fut ponctuée par l’aggravation de la situation de santé de Michel en 1987. Il est donné pour mort. Michel reprend vie et activité mais consent à faire valoir ses droits à la retraite. En 1990, le Ministre Allègre vient à Lille annoncer la créa-tion des Universités d’Artois et du Littoral. Mais, devant les concurrences locales traditionnelles, comment pro-céder ? Il faut un chargé de mission. À qui fait-on appel ? À Michel, qui accepte, toujours avec le même dévouement désintéressé – malgré l’âge et son engagement à l’Alias – de se consacrer à cette tâche avec passion et une certaine dis-tanciation ironique quant au jeu des vanités humaines qui se développent chez les responsables des villes de Boulogne, Calais, Dunkerque, Saint-Omer – rivales historiques –, des départements du Nord et du Pas de Calais, des structures universitaires existantes (CSU de Calais)… L’Université du Littoral, multipolaire, est mise en place avant celle de l’Artois. De nouveaux locaux sont bâtis… Michel est nommé admi-nistrateur provisoire en 1992 et 1993, pour préparer la mise en place du Conseil et l’élection du premier Président… La satisfaction est générale.

Après le passage de relais au Forum des Sciences, Michel entre vraiment en retraite et dans une phase plus douloureuse et contraignante de la maladie. Rechutes et rémissions qui

le laissent toujours vif et intellectuellement curieux. Observateur avisé de la situation politique mondiale et nationale, qu’il aime commenter, la dernière élection prési-dentielle le laisse assez désemparé : « le pire, c’est que je ne verrai peut-être pas l’après-Sarkozy, c’est dur de m’y faire ». Toujours aussi avide de nouvelles de l’Université, il ne com-prend pas comment ses membres peuvent ne pas s’élever contre ses dérives, mais au contraire y participer, les anticiper parfois, relayer les stéréotypes à la mode. « Méfiez-vous des mots utilisés. Je n’ai jamais été aussi libre que lorsque j’étais Doyen, sans liberté administrative reconnue. La décen-tralisation actuelle, les responsabilités élargies cachent un renforcement tatillon du pouvoir central. Le privilège des universitaires repose sur le fait qu’ils s’administrent eux-mêmes ; ils sont majeurs et doivent tenir à cette indépen-dance. Se soumettre aux normes administratives, c’est toute la liberté qui s’effondre, tout l’avenir qui s’obscurcit ». Aussi Michel voit-il, avec stupeur et inquiétude, se mettre en place évaluations, classements, ANR 16, AERES 17 et autres instances paperassières, dévoreuses de temps et d’argent, dont le but vise à la « normalisation » ; il ne comprend pas l’avidité à se précipiter sur ces sucettes : « plan-campus », « excellences », PRES 18, fusion des Universités (« que cherchent-ils ? »). Il terminait par un constat assez amer : « je vois s’effondrer les trois choses dans lesquelles je croyais : la politique, le syn-dicalisme, l’Université » mais rappelait : « être libre, se faire plaisir, se maintenir en état de curiosité permanente sont les conditions nécessaires pour pouvoir penser ». Il ne verra pas la suite. Gageons qu’il aurait fait confiance à la naissance de nouvelles forces militantes…

16 Agence Nationale de la Recherche.

17 Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

18 Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur.

Cérémonie de départ en retraite, juillet 1990. © Université Lille 1.

Bernard Maitte, Professeur d’histoire des sciences et d’épis-témologie Université Lille 1, CHSE/STLJeanne Parreau, Maître de conférences honoraire en mathé-matiques, Université Lille 1Jean Rousseau, Maître de conférences honoraire en biophy-sique, Université Lille 2Jacques Tillieu, Professeur de physique théorique, Université Lille 1

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intervient freine toute perspective d’émancipation. Il y aurait donc une sorte de continuité historique à travers les pratiques de la Prévention spécialisée dans le processus de renforcement du contrôle de l’appareil d’État sur les classes populaires. Cette liaison étroite avec les pouvoirs publics empêche la Prévention spécialisée de dépasser sa fonction de relégation de la jeunesse ouvrière à la place qui lui est assignée.

Dans cette production éditoriale, la formation des travailleurs sociaux est également interrogée. L’ouvrage de Paul Fustier 5 porte sur le fonctionnement des centres de formation ébran-lés par la secousse de mai 68. Le pouvoir de contestation n’épargne ni le contenu ni les modalités de l’enseignement dispensé. C’est la rupture avec le passé qui est ainsi visée par la mise en cause de la finalité de la formation des éducateurs. Le livre de Bessaguet, Chauvière et Ohayon 6 est né d’un conflit autour du licenciement de six formateurs. Construit à partir de témoignages, de documents et de fragments d’analyse, l’ouvrage est un véritable réquisitoire contre la conception et le mode de fonctionnement des écoles de for-mation où « règne une répression feutrée et subtile ». Les auteurs, formateurs par ailleurs, dénoncent l’organisation et le pouvoir d’un « ordre clérical », incarné par deux figures censées contribuer à la fondation de la pratique de rééduca-tion : d’un côté, les ecclésiastiques dirigeant ou animant les institutions privées et confessionnelles. De l’autre, les laïcs, qualifiés d’ « idéologues » (psychiatres, psychanalystes, sociologues…) auxquels les écoles font appel. Dans l’esprit de l’analyse institutionnelle, les auteurs se situent à l’intérieur de la réalité investie, soumettant leur propre implication à l’analyse des rapports multiples que les différents acteurs entretiennent avec le système manifeste et caché de l’insti-tution étudiée.

À la fin des années 70, de nouvelles préoccupations sur-gissent sur la scène éditoriale. L’équipe réunie autour de Crapuchet et Salomon 7 ambitionne de donner une base scientifique à l’intervention sociale en construisant des « inter-relations » entre les sciences et les techniques d’intervention dans le champ social. Le livre du collectif

5 Fustier Paul, Pouvoir et formation, Paris, éd. Epi, 1976.

6 Bessaguet Anne, Chauvière Michel, Ohayon Annick, Les socio-clercs. Bienfai-sance ou travail social, Paris, éd. Maspero, 1976.

7 Crapuchet Simone et Salomon Georges-Michel (sous la dir.), Sciences de l ’ homme et professions sociales, Toulouse, éd. Privat, 1974.

Chevreuse 8, placé sous l’autorité scientifique de R. Sain-saulieu, résulte d’une recherche en lien avec un groupe composé majoritairement d’assistants sociaux. S’inscrivant dans l’optique de la sociologie des organisations, le livre prend la mesure des transformations du travail social, pas-sant d’une pratique relationnelle à une approche systémique de sa fonction au sein de l’entreprise. L’objectif était alors de former les intervenants de ce champ professionnel au travail de recherche et de diagnostic pour leur permettre d’acquérir un cadre conceptuel et méthodologique dans le but d’œuvrer au changement dans leurs institutions. Si la démarche ouvre à une nouvelle pratique d’action à l’intérieur de l’organisation, en invitant les travailleurs sociaux à devenir « acteurs du système », médiateurs des rapports sociaux, elle occulte le fait que cette position reste tributaire du contexte économique et social comme de la politique managériale. L’ouvrage méconnu, dirigé par Jacques Beauchard 9, prend distance avec cette orientation. Pour ses auteurs, le rôle du travail social n’est pas de s’inscrire dans les logiques technicistes et productivistes. Il est de contribuer à la structuration des identités collectives favorisant une socialité qui participe à la régulation des tensions liées à la situation d’exclusion des personnes et ouvre à l’engagement social.

Bernard Lory 10 est représentatif d’un courant de pensée ani-mé par de hauts fonctionnaires (Belorgey, Fourier, Lenoir, Questiaux…) engagés dans l’analyse et l’élaboration des politiques d’action sociale. Face à un travail social « parcel-laire », Lory préconise une politique d’action globale et promotionnelle dont le terme est la subordination de l’action économique à des impératifs sociaux. Les travail-leurs sociaux y sont situés comme les agents de changement social. Certains n’ont pas manqué d’y lire une reformula-tion moderniste des options classiques de l’action sociale à l’égard du paupérisme.Reste à examiner en quoi ces écrits ont constitué un mo-ment singulier pour le travail social et quel impact gardent-ils dans les débats actuels.

8 Chevreuse (collectif ), Pratiques inventives du travail social, Paris, Éditions ouvrières, 1979.

9 Beauchard Jacques (sous la dir), Identités collectives et travail social, Toulouse, éd. Privat, 1979.

10 Lory Bernard, La politique d’action sociale, Toulouse, éd. Privat, 1975.

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Sylvain George a filmé à Calais. Il a filmé Calais. Il a filmé des migrants qui y survivent, réduits, devant la violence

d’État, à être, dit l’un d’eux, « ni mort, ni vivant, ni être humain, ni animal, quelque chose d’entre les deux », dans le dénuement matériel et dans le désarroi moral (« nous nous causons de la douleur nous-mêmes » 1) mais, aussi, dans la résistance aux incessants contrôles policiers ; et dans l’attente active, obsessive et inventive de la réussite d’un passage du détroit du Pas de Calais et d’une entrée en Angleterre, si risqués et si difficiles à réaliser – après, le plus souvent, des années de voyage vers, puis à travers l’Europe continentale, par terre comme par mer ; que, par la Turquie et la Grèce, ces hommes viennent d’Afghanistan, d’Irak, du Pakistan, du Bangladesh... ou que, par l’Afrique du Nord, la Lybie 2 et l’Italie, ils viennent d’Afrique noire : du Ghana, du Nigeria, d’Éthiopie (Érythrée)...

Le film sort en salles le 12 octobre prochain 3. Cette sortie est, bien sûr, une opportunité de dire ce qu’est ce film, et ce qu’est le travail de son auteur, mais pas seulement : même

* [email protected]

1 Témoignages, dans le film.

2 La présentation du film de Sylvain George s’inscrivait dans le cadre du cycle « Migrations » des conférences d’Archimède 2010-2011. Dans une conférence de ce cycle, Federica Sossi, de l’Université de Bergame (Italie), est venue deux mois après le déclenchement des mobilisations tunisiennes, mais avant la guerre en cours en Lybie, argumenter la manière dont, avec le dispositif Frontex, l’Union européenne externalisait la politique de fermeture de ses frontières méditerranéennes en la faisant sous-traiter par les États du nord de l’Afrique, et spécialement comment la Lybie de Khadafi, en cheville avec l’État italien, s’était vue attribuer, et avait pris, un rôle central dans cette politique.

3 Entre janvier et juillet 2011, le film est passé d’une durée de 140 minutes à celle de 153 minutes. En 2010 et 2011, Sylvain George a adopté une méthode ouverte de mise en circulation de son film, outre dans les festivals (Festival International du Documentaire de Marseille, États-généraux du documentaire de Lussas, Fes-tival Courtisane de Gand, Festival du Cinéma Indépendant de Buenos-Aires…), dans des lieux aussi différents, par exemple, que le Musée de la Fondation Ser-ralves de Porto, le Forum des Images à Paris, les Laboratoires d’Aubervilliers ou l’Espace Culture de l’Université Lille 1, sans encore figer la forme, donnée à voir, du film, qui n’est finale, donc, qu’au moment de la sortie en salle. Entre la version présentée à Lille en janvier dernier et cette version finale, le cinéaste a notam-ment ajouté un peu de témoignages de migrants sur le voyage et les souffrances d’avant Calais : « Nous sommes traités comme des esclaves. Les Africains sont en train de perdre leur jeunesse pour les pays européens », dit l’un d’eux qui, parti du Ghana, a connu onze jours de désert, une trentaine de tentatives de passage de la Méditerranée, le naufrage avec quatre compagnons morts, treize jours en mer, et le travail au noir à Naples.

si le destin de ce film n’avait pas été celui d’une belle récep-tion critique 4 et d’une heureuse sortie en salles, il convenait d’écrire ici qu’il s’agit d’un film essentiel, pas seulement par la gravité et l’urgence de son objet, mais par le croisement réfléchi de son propos politique et de ses choix esthétiques.

Sur un tel sujet, sur un tel lieu (Calais), qui est politique-ment et esthétiquement saturé par l’obscénité du film pour journal télévisé – cet alliage d’images et de sons qui s’appelle l’audiovisuel, l’audiovisuel de la télévision –, Sylvain George cherche une forme, du côté d’une autre combinaison d’images et de sons, qui s’appelle l’art du cinéma. Il y parvient par une position, par le temps, par la durée, par le montage, et par le choix du noir et blanc.

Une position, pour le filmeur, position politique et position dans l’espace, qui consiste à être placé du côté des migrants, et des militants qui les secourent au quotidien (l’association Salam) ou de ceux (No Border) qui les rejoignent dans les grands coups, comme c’est le cas contre l’opération policière (une masse de policiers suivis de bulldozers) détruisant, sous les caméras des télévisions françaises et britanniques, les abris de fortune de « la jungle » 5, opération décidée et annoncée par Sarkozy et son ministre « de l’immigration et de l’identité nationale » en septembre 2009.

Le temps, celui qui consiste à être aux côtés de ces gens par des séjours répartis sur une période de plus de trois ans (entre juillet 2007 et novembre 2010), et à passer autant de temps avec eux à ne pas les filmer qu’à les filmer. Temps de la confiance construite, qui permet au cinéaste de tenir sa position, et qui lui sera précieuse, quand, le jour de l’opération « anti-jungle », il sera le seul à pouvoir, avec recul, filmer les filmeurs des journaux télévisés, – tout en bénéficiant, parado-xalement, de cette situation de sur-médiatisation (souhaitée

4 « Le documentaire qu’ il faut voir à Lussas », titrait sans réserve Isabelle Régnier dans Le Monde, à l’ouverture des États généraux du documentaire de Lussas, en août 2010. En avril 2011, le film rentre brillamment d’une présentation en Argentine, à la 13ème édition du BAFICI, où il a remporté le prix du meilleur film (compétition internationale) et le prix de la critique internationale.

5 Le film rappelle utilement la violence de la déclaration, alors, du ministre « de l’immigration et de l’identité nationale », Besson : « C’est la fin de la loi de la jungle, la fin de la loi des passeurs ». Les migrants, eux, disent, et écrivent : « Nous sommes ici. La jungle est notre maison ».

Calais. Qu’est-ce que filmer la barbarie, « ici et main-tenant » ? Qu’ils reposent en révolte (Des figures de guerre, 1), de Sylvain George

Institut de sociologie et d’anthropologie,Clersé (UMR CNRS 8019), Université Lille 1 *

Par Jacques LEMIÈRE

Le 20 janvier dernier, l’Espace Culture de Lille 1 accueillait, en avant-première, Qu’ils reposent en révolte (Des figures de guerre, 1), film de Sylvain George, en présence du cinéaste.

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par l’État) pour être au cœur de l’affrontement avec la police, tout comme l’étaient Yann Le Masson et Benie Deswarte dans leur Kashima Paradise de l’après-68 japonais (1973).

La durée, qui donne quelque deux heures et demie au spectateur pour faire son travail de spectateur, face aux fragments qui lui sont donnés à voir : Calais, des lieux, de la ville, de la plage et du port, des corps, des visages, des pratiques, des moments de la vie, et de la survie, quelques témoignages... Le montage de ces fragments : pas de di-dactisme, pas de voix-off, pas de personnages construits – et surtout pas comme des héros –, pas d’exhaustivité, pas d’abstractions, des éléments sensibles…, méthode d’un cinéaste formé à la pensée de Walter Benjamin.

Le choix du noir et blanc, qui ne produit pas que l’éloi-gnement de la forme télévisuelle du « reportage », mais qui, parce qu’il est désormais, depuis la couleur, identifié à l’archive, annonce déjà l’archive qui collera, quand elle sera regardée avec le recul de quelques décennies, à cette séquence littéralement barbare de l’histoire de l’Europe et de notre pays, comme à l’histoire « en images » de Calais. Le noir et blanc, désormais abonné, à la télévision, à soulever a posteriori l’indignation contre la barbarie du passé, est donc, par décision, dans ce film, immédiatement efficace à rappeler au spectateur que cette barbarie est une barbarie du présent, « ici » (en France) et « maintenant » (en ce début de XXIème siècle). Effet d’archive avant la lettre que celui de ce haut fonctionnaire (préfet ? sous-préfet ?) qui justifie la « légalité » de l’opération policière contre « la jungle », « opération de la souveraineté française », et « bien évidemment » celle des « expulsions vers l ’Afghanistan, parfaitement légales ».

Face à la barbarie, ce sont des hommes qui sont filmés, avec toute l’attention portée à ces moments et à ces gestes qui font leur vie réelle, moments collectifs comme individuels, moments de la reproduction de la force de vivre et de sur-vivre : manger, dormir, se laver, mais aussi écrire des graffitis sur les murs, chanter, discuter, s’organiser. Avec aussi toute l’attention portée à leurs savoir-faire(s), à leurs techniques inventées pour atteindre leurs objectifs, qu’il s’agisse de se cacher sous les camions ou de détruire, au rasoir ou au fer chauffé à blanc, les empreintes digitales qui, en application des accords de Dublin, complétant ceux de Schengen, risqueraient, en cas d’arrestation, de dévoiler le pays de leur première demande d’asile dans « l’espace européen » et, par un retour contraint dans ce pays, de les exposer à l’expulsion définitive, et non seulement au recul dans leur marche vers l’Angleterre.

Si on pense que le propre du cinéma, art du temps, est aussi d’être un art du lieu (Jean Rouch n’a-t-il pas commencé, un jour, en 1959, à partir de Moi, un noir, à inventer ciné-matographiquement une Abidjan – et une Afrique – qu’on n’avait pas encore vue ? Pedro Costa n’a-t-il pas fait exister, avec sa trilogie du quartier de Fontainhas 6, arrachant celui-ci au fantasme télévisuel et policier de la « zone de non droit » où rien de civilisé ne serait possible, une Lisbonne qu’on n’avait jamais vue ?), le film de Sylvain George fait exister un Calais qu’on n’avait jamais vu, par effet d’intériorité à ces hommes qui y transitent, ou qui y échouent, et dont il restitue l’humanité, en même temps qu’il répond, en cinéaste, à la question : qu’est-ce que filmer la barbarie, « ici » et « maintenant » ?

6 Ossos (1997), No Quarto da Vanda (2000. Dans la chambre de Vanda) et Juventude em marcha (2006. En avant, jeunesse).

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par Robert Rapilly http://robert.rapilly.free.fr/

Supposons, conjecture de Stéphane Mallarmé, que le monde doive aboutir à un beau livre. Depuis le vague,

le gris, le médiocre aujourd’hui, le cheminement s’annonce ardu. Cernons notre ambition à la littérature. D’abord éta-lonner une échelle poétique du zéro à l’infini, du magma sou-terrain à l’absolu mallarméen. Ça vaudra ici de s’attarder aux degrés intermédiaires, là où furent hissées des œuvres belles mais perfectibles. Dès lors viser l’azur.

Mallarmé est considéré par Queneau comme « parfaitement potentiel » 1. Rien d’invraisemblable qu’à des premiers jets aussi intelligibles que les poèmes de Musset ou de Leconte de Lisle, il ait administré dès 1860 un traitement oulipien 2 : qu’ensuite la contrainte formelle ait insufflé le mystère d’un supplément d’âme. Si dures en effet soient les contraintes, mieux elles égarent le vers par un jeu inédit de coupes, d’inversions, de rejets. Rompant quelque attache avec l’expé-rience humaine, n’engagent-elles déjà dans l’obscurité sans retour du poème ?

Il s’agira donc ci-après d’assimiler quelques strophes d’auteurs illustres à des manuscrits mallarméens inachevés. Puis, comme au tube à essai, divers traitements oulipiens y seront adminis-trés. Lesquels nous feront le mieux progresser en « mallarmi-tude » 3 ? À vous d’en juger, qui lirez ces Nouvelles d’Archimède et nos prochaines livraisons.

1 Cf. les « Œufs de Pâques », combinatoires un siècle avant « 100 000 milliards de poèmes » ; ou la réduction de sonnets en haïkus par Queneau ; ou encore « La couronne de Stèphe », numéro 106 de la Bibliothèque Oulipienne par Bénabou, Grangaud, Jouet, Le Tellier et Mathews.2 Lire « Selon Mallarmé » de Paul Bénichou (Gallimard 1995).3 Latitude supplémentaire à l’interprétation, on imitera la ponctuation très sobre de Mallarmé.

Mallarmiser Musset au moyen de contraintes « douces »

Première strophe de « La nuit de décembre »…Du temps que j’ étais écolier,Je restais un soir à veillerDans notre salle solitaire.Devant ma table vint s’asseoirUn pauvre enfant vêtu de noir,Qui me ressemblait comme un frère.

… et homophonie approximative :Du vent qu’agitait un collierRésistait au sort à ployerSans autre stèle qu’oblitèreDe vin affable l’encensoirAu coffre enchanté du savoirChimère comble et somme fière.

Deuxième strophe…Son visage était triste et beau :À la lueur de mon flambeau,Dans mon livre ouvert il vint lire.Il pencha son front sur sa main,Et resta jusqu’au lendemain,Pensif, avec un doux sourire.

Récrire selon Mallarmé (1)

… et puzzle des mêmes mots :Beau vint-il et son lendemainPencha lueur dedans sa mainMon visage ouvert mon sourireResta triste avec son flambeauSur un front pensif et jusqu’auDoux livre était-il à la lire.

Cinquième strophe…À l’ âge où l’on croit à l’amour,J’ étais seul dans ma chambre un jour,Pleurant ma première misère.Au coin de mon feu vint s’asseoirUn étranger vêtu de noir,Qui me ressemblait comme un frère.

… et inversion des genres :Toi juvénile oaristysAu dortoir d’où tu me trahisPleurant d’initial déboireÀ l’encoignure une lueurCerna sans terre ni couleurOmbre jumelle à mon histoire.

Mallarmiser Leconte de Lisle au moyen d’une contrainte « dure »

Deuxième et troisième strophes de « Midi » traduites chacune en palindrome phonétique :

L’ étendue est immense et les champs n’ont point d’ombre,Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.

Si la clarté, ma hideur qu’on s’enchante épi,Lit en l’arrêt d’un rêve art d’enfance et malice,Ci la messe en fendra vérin d’air ralenti,Lippe étanchant son creux diamétral calice.

Seuls, les grands blés mûris, tels qu’une mer dorée,Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;Pacifiques enfants de la terre sacrée,Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.

L’étendue à champs secs enserre au brasier l’eau ;Sauve aubade on mêle où buvaient cent troupeaux grêles.L’ergot pourtant s’est vu boule et monde ab ovo,Soleils arborescents, quais sans chahut, dentelles.

La suite dans notre prochain numéro. On examinera la syntaxe mallarméenne, prodigieusement fluide ou brisée selon les poèmes. Transduction, caviardage et autres contraintes seront appliquées à Antoine-Marin Lemierre, Albert Samain, Jean Moréas et Jules Laforgue.

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Bibelots, porcelaines, trophées au regard des badauds… quelqu’un de passage à Lille s’écria un jour : « Les fenêtres parlent ! »

L’entendant, Béatrice Auxent et Michel Brulin se dirent : « Chiche, amplifions à chaque printemps cette tradition ! » Voici très résumée la genèse des Fenêtres Qui Parlent, dont on vient de fêter les 10 ans, réjouissance imitée entre-temps en Belgique, au Québec, en Turquie.

L’édition 2011 proposait un texte de bd, « Beau comme la rencontre… », soumis à des plasticiens comme Ricardo Mosner des « Papous dans la tête » ou Étienne Lécroart de l’OuBaPo. La planche ci-dessus, accrochée à une fenêtre de Wazemmes, est due à Daniel Plaisance, de Montréal. Époustouflante réponse au cahier des charges, l’artiste a voulu qu’appa-raisse en filigrane le visage d’Isidore Ducasse, inspirateur du scénario.

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Docteur en histoire de l’art contemporain, membre associé du Centre d’Étude des Arts Contemporains (CEAC) - Lille 3

Par Nathalie POISSON-COGEZ

Si1Hans2Holbein illustre l’Éloge de la Folie, qu’Érasme dédie en 1511 à Thomas More, par une figure de femme

qui porte un bonnet à longues oreilles ornées de grelots 3, au XVIIème siècle, le pinceau de Diego Velasquez se focalise sur les nains de la cour d’Espagne, soulignant la singularité physique de ces êtres difformes. Plus tardivement, Francesco Goya, dans La Maison des fous 4, évoque plutôt la dimension asilaire de la question. Tandis que dans une approche teintée de positivisme scientifique, propre au XIXème siècle, doublée d’une perspective psychologique clairement roman-tique, Théodore Géricault réalise, vers 1820, la série dite des « portraits de fous ». Grâce à la complicité du Docteur Georget, chef de l’hôpital de la Salpetrière, l’artiste dresse le portrait des monomanes de l’envie, du jeu, du voleur d’enfant, du commandement militaire, dont les faciès hermétiques demeurent le témoignage des tourments intérieurs qui hantent ces corps meurtris… Si le vo-cabulaire associé à ces hommes – et ces femmes – en marge de la société : aliéné, bouffon, dément, fou, hystérique, idiot, insensé, niais, nigaud, possédé, schizophrène, sot… s’avère multiple, l’iconographie de la folie dans l’histoire de l’art, selon qu’elle figure la folie sous forme allégorique ou incarnée, révèle un certain nombre de constantes. Mais arrêtons-nous plus précisément sur le tableau de Jérôme Bosch : La Nef des fous 5.

Sur un frêle esquif de bois, dix personnages sont entassés. Parmi les protagonistes, un moine – identifiable à sa robe de bure et à la tonsure qui dégage son crâne lisse – fait face à une nonne munie d’un luth avec laquelle il partage une galette suspendue à un fil. Deux autres, nus, nagent

1 Érasme, Éloge de la folie, éd. Garnier-Flammarion, Paris, 1964, p. 38.

2 Ministère de la Culture. Festival d’histoire de l’art. La folie : artistes, création et beauté insensée. 27-29 mai 2011. Fontainebleau. http://www.culture.gouv.fr/mcc/festival-de-l-histoire-de-l-Art

3 Gallica.fr

4 1812-1814, Académie San Fernando, Madrid.

5 Vers 1450-1516, Musée du Louvre, Paris.

L’imagerie du fou

« Ce qui distingue le fou du sage, c’est que le premier est guidé par les passions, le second par la raison 1 ». À l’occasion du 500ème anniversaire de la publication de l’Éloge de la Folie d’Érasme, le thème de la folie a été abordé dans le cadre du premier festival d’Histoire de l’art qui s’est déroulé à Fontainebleau du 27 au 29 mai 2011 2. Nous proposons, par le biais de cet article, de revenir sur l’iconographie du fou dans l’histoire de l’art et plus précisément sur la Nef des Fous de Jérôme Bosch conservée au Musée du Louvre.

La Nef des fous Bosch Jérôme (dit), van Aeken Hieronymus (vers 1450-1516)

Localisation : Paris, musée du Louvre (C) RMN / René-Gabriel Ojéda

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dans l’eau noirâtre et tentent d’embarquer pour participer aux joyeuses ripailles. Jérôme Bosch dresse ici un portrait réaliste de la société de son temps : la débauche du clergé est accompagnée des dépravations de gras bourgeois et de paysans égarés. Les divers récipients : tonneaux et cruches, gobelets et écuelles témoignent de la beuverie qui justifie la posture du malheureux qui vomit vers la droite. L’artiste dénonce ainsi les péchés de gourmandise et de luxure qui mènent l’Église, et plus globalement les hommes, à la dérive et qui déclencheront la réforme luthérienne. Le titre du tableau, la Nef des fous, renvoie à l’ouvrage homonyme, Das Narrenschif f, du strasbourgeois Sébastien Brant 6 édité en 1494 à Bâle. Si « l’homme sensé arrive directement au but » 7, cette barque versifiée, évocatrice d’une volonté de mise à l’écart, cherche à atteindre, de façon plus qu’im-probable, l’île de Narragonie (narr = fou en allemand). La première édition de l’ouvrage est illustrée de gravures sur bois ornées de nombreuses figures en costumes de fous qui s’agitent en tous sens.

Au contraire, dans le tableau du Louvre, imperturbable, assis à califourchon sur une branche, tournant le dos à la scène, le fou est représenté par une figure isolée, qui pourrait illustrer le proverbe suivant : « la sagesse des hommes sensés est parfois à courte vue, alors que les fous voient loin ». De la main droite, le fou tient une écuelle et absorbe un breuvage dont les effets semblent moins euphorisants que sur ses compagnons d’infortune. Plus petit que les autres acteurs du tableau, il porte le costume propre à l’iconographie populaire : un capuchon (le coqueluchon) à oreilles d’âne, un vêtement à franges – évoquant les haillons de l’inconve-nance – ornées de grelots qui descendent sur des chausses hautes. Les couleurs de son vêtement sont étrangement austères car, traditionnellement, le costume du fou est plutôt bariolé, associant souvent le jaune et le vert, voire le rouge comme l’illustre Pablo Picasso dans La Famille de saltim-banques 8. De la main gauche, il tient – à titre d’attribut – la marotte qui, par procuration, semble interpeller le specta-teur de ses yeux ronds et narquois. Cet accessoire de fantaisie renvoie simultanément au sceptre du « fou du roi » et à la crosse épiscopale.

Par définition, le fol (du latin follis = ballon ou soufflets) est l’être vidé, le simple d’esprit. Or, au Moyen-Âge, le fou est considéré comme l’allié du diable. Au contraire, détour-nant le lien établi alors entre péché et folie, Jérôme Bosch démontre, dans son tableau, que se sont les hommes sensés

6 Sébastien Brant, La Nef des fous, La nuée bleue / DNA, Strasbourg, 2005.

7 Ibid., p. 439.

8 1905, Washington Gallery of Art.

qui se livrent aux excès et aux vices. Dans une perspective historique, finement analysée par Jacques Heers 9, le tableau renvoie aux Fêtes des fous et autres festivités du Carna-val qui permettent toutes les extravagances, la mise en avant de l’irrationnel et de l’éphémère en supprimant ou en inversant les règles de la vie ordinaire. Réminiscences des saturnales romaines, dont certains rituels consistaient à échanger les rôles entre maîtres et esclaves, les Fêtes des fous visaient plus précisément les dignitaires de l’Église en procédant à l’élection de l’Évêque de la Déraison, de l’Abbé de la Malgouverne, du Pape des Fous…

Écartant les figures fantastiques qui hantent d’autres de ces œuvres, Jérôme Bosch parvient cependant à créer ici un univers « hors norme ». En effet, c’est par l’assemblage d’éléments réalistes dont la présence simultanée, comme un inventaire à la Prévert, s’avère incongrue ainsi qu’au travers de la rupture d’échelle, comme la cuillère immense qui fait office de gouvernail, que se révèle le caractère fantastique de ce tableau. Paradoxalement, la folie qui se dégage de ce panneau est née d’une parfaite maîtrise de la pensée. Cette ingéniosité interpellera les surréalistes, et notamment André Breton qui qualifie le peintre de « visionnaire intégral ». S’opèrent alors des rencontres d’objets, d’éléments et de figures non pas fortuites mais intentionnelles : l’arbre de mai transformé en mat [de cocagne] dont les feuillages abritent la figure de la chouette. Ce double symbole de sagesse, tout comme de la nuit et de ses travers, est accom-pagné par la présence du croissant lunaire sur l’oriflamme rose, emblématique de l’aspect lunatique et imprévisible du tempérament des fous. Pour conclure, conscient de sa propre condition, le fou de cette nef picturale, incite le spectateur à méditer ces quelques vers de Sébastien Brant : « Voilà ma Nef des Fous/miroir de la folie./Chacun s’y reconnaît/en voyant son portrait/et il n’y voit partout que visages connus./En s’y regardant bien/on peut apprendre vite/qu’on est loin d’être un sage » 10.

Bibliographie :

Sébastien Brant, La Nef des fous, éd. La nuée bleue / DNA, Strasbourg, 2005.Roger-Henri Marijnissen, Peter Ruyffelaere, Bosch, Fonds Mercator, Anvers, 1987.Jacques Heers, Fête des fous et carnavals, réédition Hachette pluriel, Paris, 2007.Stéphanie Tesson, Bosch. Miroir aux fous, Les éditions du huitième jour, Paris, 2010.Claude Quetel, Images de la Folie, Paris, éd. Gallimard, 2010.

9 Jacques Heers, Fête des fous et carnavals, réédition Hachette pluriel, Paris, 2007.

10 Sébastien Brant, op. cit., p. 4.

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On trouve le terme de « meteorologia » dans le dialogue platonicien « Phèdre », à propos d’une « rêverie spécu-

lative concernant la Nature » 1. De même en serait-il de So-crate lui-même, dans la comédie d’Aristophane, Les Nuées. Celui-ci en parle comme d’un individu qui a le nez en l’air, d’un bavard, d’un être qui ne sert à rien 2. Or, on ne compte plus aujourd’hui les critiques faites sur les failles des services météo. Seraient-ils donc inutiles, ceux qui, tournant le regard vers le ciel, ne voient plus les chausse-trapes que leur réserve le monde d’ici-bas ?

La météo comme symbole

Il faut reconnaître que le concept a bien évolué depuis que l’art de « regarder en l’air » a pu accéder au rang et à la dignité de science 3.Car vouloir prévoir le temps est certainement aussi ancien que l’humanité elle-même, soucieuse de comprendre son à-venir proche ou plus lointain. On en trouve des traces en Chine ou en Inde, dans des traités que l’on situe entre le 1er millénaire et -500 ans avant JC. De plus, après la décou-verte d’autres continents aux XVème/XVIème siècles, se sont développées les expéditions commerciales, avec des besoins spécifiques de prévision météorologique. Progressivement sont donc apparues des pratiques de mesure, pour les différentes composantes de la météo (température, vent, nuages, pression atmosphérique etc.). On est alors passé historiquement d’un monde de stabilité, commandé par les quatre éléments aristotéliciens de l’eau, l’air, la terre et le feu à l’idée que ces éléments pouvaient être animés de mou-vement. Avec la révolution copernicienne d’une terre en rotation s’est développée la représentation d’une atmosphère elle-même mobile. Allant de pair avec ces développements scientifiques se sont multipliés les domaines d’application touchant à la prévision des différentes situations possibles, le tout à des échelles différentes, entre le très court-terme et les grandes périodes de la planète. De nos jours se dégagent donc des séries complexes de phénomènes, pertinentes pour telle ou telle pratique. Par exemple, on peut expliquer le mouvement de l’air à l’échelle planétaire, à partir d’inconnues comme la Pression (P), la Température (T), la Densité de l’air ( ), le Contenu en eau

1 270a.

2 Cité dans République, 488 e.

3 Source des informations qui suivent : art. Météorologie de Wikipedia.

(q), et les trois dimensions spatiales x, y et z 4. Ainsi se définissent des forces, prenant bizarrement le nom guerrier de « fronts » froids ou chauds, et commandant la pluie, les vents et les orages. C’est à ces combats épiques que nous pouvons assister chaque jour au journal télévisé, mais pour quels services rendus ?

Le court-terme ou les aléas de la vie humaine

Je n’insisterai pas sur le détail de ces services. Cela va de l’agriculture aux transports (routiers ou aériens), voire à des manifestations sociales ou culturelles (fêtes de plein-air, sports, etc.). Je voudrais simplement remarquer à quel point, précisément, cette quotidienneté en a été transformée. On en arrive alors à sacraliser à la fois le mal et son remède : une simple éruption volcanique au-dessus de l’Islande et voilà toute la « communauté internationale » affectée par l ’événement. Mais surtout apparaît l ’incontournable débat : pouvait-on prévoir cette éruption, et prendre ainsi les moyens de pallier les difficultés rencontrées ? On peut également songer aux embouteillages monstres occasionnés par les tempêtes de neige, ou encore aux Euros-tars interdits de trafic pour cause de perturbations neigeuses. Ici également est apparu le même débat sur le décalage entre l’apparente simplicité des phénomènes du ciel et la difficulté de les prévoir et de les réguler techniquement. Dans tous ces cas, auxquels on pourrait ajouter toutes sortes de catastrophes agricoles affectant les récoltes, ce qui n’était jamais qu’un événement particulier prend une dimension humaine engageant, par-delà le court-terme, une réflexion plus distanciée sur les palliatifs possibles. La question s’avère d’ailleurs difficile : la « simplicité » quotidienne du temps qu’il fait n’est qu’une apparence au regard de l’infinie complexité des événements qui le produisent. Le désir tech-nique de leur contrôle absolu et le principe de précaution, qui commande un tel contrôle, ouvrent sur des tâches tou-jours à reprendre.

Le moyen terme ou le contrôle des précipitations

Toutes ces situations sont bien connues, mais elles engendrent peu à peu une nouvelle conception de l’avenir immédiat, visant à gérer au mieux le fortuit. Et c’est justement là que l’on rencontre le temps du ciel, pour y vivre pleinement sa condition d’homme terrestre.

4 Ibid.

Du temps qu’il fait aux temps qui viennent…

Professeur émérite de philosophiePar Jean-Marie BREUVART

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Ce recours au « ciel » était autrefois considéré comme né-cessaire pour assurer le bonheur dans la sécurité. D’où la référence aux astres, aux « météores » précisément, et à tous les phénomènes aériens, mais également aux oiseaux qui sillonnent les airs et à tous les indices qui révèleraient la puissance du « il » tout puissant qui pleut ou qui tonne. Or, depuis le XVIIIème siècle, les sciences du ciel ont profon-dément modifié nos repères sécuritaires :

Le recours aux sciences pour rassurer sur le temps s’est surtout développé à partir de Franklin, lorsque l’on a considéré la météorologie comme relevant d’un système dont il fallait maîtriser les variables. Benjamin Franklin observe quotidien-nement le temps qu’ il fait de 1743 à 1784. Il remarque que les systèmes météorologiques vont d’ouest en est en Amérique du Nord. Il publie la première carte scientifique du Gulf Stream, prouve que la foudre est un phénomène électrique, relie les éruptions volcaniques et le comportement de la météo et spé-cule sur les effets de la déforestation sur le climat 5.

Le mythe commence alors à se dessiner d’une maîtrise totale des forces météorologiques à l’œuvre dans notre atmosphère, et qui étaient restées inaperçues au commun des mortels.Autre apport des sciences ; la possibilité d’une prévision à plus long terme : non plus seulement en finir avec le fortuit, mais anticiper sur les changements possibles, de manière à pouvoir gérer l’économie, nationale mais également mon-diale, en un sens plus rationnel. Ce sera, par exemple, la prévision d’une pénurie d’eau qui conduira à transporter sous nos climats tempérés des ban-quises entières. Ce sera encore la gestion et la protection des nappes phréatiques, en fonction des pluies ou de la sécheresse. Tel est également, de nos jours, le sens d’une bataille de l’eau, entre pays voisins, dont certains ont plus que d’autres accès aux mêmes fleuves 6. Plus généralement, c’est une prévision plus globale de ce qui risque d’arriver dans les pays dont les conditions atmosphé-riques pourraient entraver la production de biens alimentaires, avec une formation sur les palliatifs possibles 7. Pour résumer, on a quitté le royaume des artisans dans le domaine de la météo, limitant la prévision du temps aux

5 Ibid.

6 C’est sans doute le cas entre Israël et la Palestine, à propos du Jourdain. Remar-quons que la question de l’eau s’était déjà posée de manière aiguë à Jérusalem, au siècle dernier, comme l’atteste un ouvrage récent sur le problème de l’eau dans cette ville. Cf. V. Lemire, La soif de Jérusalem, Essai d’ hydro-histoire, 1840-1948, Publications de la Sorbonne, Fév. 2011. Certes, d’autres facteurs que le climat affectent en l’occurrence les réserves d’eau. C’était précisément le cas de Jérusalem, dont le relief empêchait de retenir les eaux de manière naturelle.

7 Sur ce thème de la prévision se développe actuellement le concept d’eau vir-tuelle (cf. Lysiane Roch et Corinne Gendron, « Le commerce de l’eau virtuelle : du concept à la politique », Géocarrefour [En ligne], vol. 80/4 | octobre 2005, mis en ligne le 1er juin 2009. URL : http://geocarrefour.revues.org/1259). C’est le concept selon lequel il faudrait prendre en compte, pour les prévisions mondiales en eau disponible, celle que contiendrait « virtuellement », par exemple, un kilo-gramme de viande de bœuf (soit l’équivalent de 13 000 litres d’eau consacrés à la nourriture d’un seul animal). Les pays défavorisés en eau pourraient ainsi compenser ce déficit par l’importation d’aliments, avec leur équivalent en eau virtuelle. Ce serait le cas de la Palestine, dont nous avons indiqué ci-dessus que l’accès aux eaux du Jourdain est plus difficile que pour Israël.

quelques jours à venir dans une région précise. On est pas-sé à un autre royaume : celui des experts, gérant ce temps comme une variable dont ils deviendraient peu à peu les parfaits contrôleurs.

Le long terme ou la difficile gestion de la complexité

C’est précisément cette science des experts qui permet d’entretenir, dans le public, la nouvelle utopie d’un monde dans lequel tous les obstacles rencontrés dans le court terme pourraient être surmontés, notamment les handicaps liés à la météorologie. Or, une telle utopie est en même temps quotidiennement contredite par les activités planétaires qui affectent la météo dans des proportions parfois impressionnantes, comme celles des inondations régionales apparemment de plus en plus fréquentes. Le travail des experts pose donc une question plus large encore, pour laquelle ne peut plus suffire une connaissance fondée sur l’observation des tendances climatiques passées et actuelles. Les aléas liés aux hasards anarchiques de la pro-duction économique mondiale, l’évolution démographique de continents entiers comme ceux de l’Asie ou de l’Afrique, les incertitudes sur un maintien de la couche d’ozone, tous ces facteurs débouchent sur la même impossibilité de défi-nir un « long terme » entièrement sécurisé sur un plan météorologique.

La planète terre ou le recours au droit international

Revenons sur l’exemple de l’eau. La difficulté est réelle d’assurer partout sur la planète une juste répartition de ces eaux tombées du ciel, avec le recueil systématique des eaux de pluie dans les régions soumises à la sécheresse 8. Comme le note E. Morin

Des politiques de l’eau peuvent déjà être mises en œuvre aux échelles locales, régionales et nationales. Une politique à l’ échelle de la planète nécessiterait un consensus des États et un Office mondial de l’eau doté de pouvoirs, ce qui ne peut être encore envisagé 9.

Car il se produit, avec la météo, le même phénomène que celui de l’accélération du « temps » déjà évoqué dans la même rubrique : dans les deux cas, chacun se sent livré au non-sens d’une infinie complexité qui découragerait d’agir. Mais ne serait-ce pas, en même temps, la peur du chaos à venir qui pourrait, en retour, provoquer le consensus des États souhaité par E. Morin ? En d’autres termes, le moment ne serait-il pas venu d’articuler à l’étude du temps qu’il fait un engagement pour les temps qui viennent, par une politique à l’ échelle de la planète ?

8 E. Morin, La Voie - Pour l’avenir de l’ humanité, éd. Fayard, 2011, p. 101.

9 Ibid.

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L’intensification du travail est un processus à l’œuvre dans la plupart des sociétés engagées dans la course permanente

à la croissance économique, accentuée par la crise et la crainte d’une relégation sur la scène internationale. Le modèle historique de développement des sociétés industrielles, fondé sur le système taylorien et le compromis fordiste, s’est couplé à partir des années 1980 avec une révolution managériale visant à déstabiliser les salariés pour les mobiliser totalement au travail, jusque dans leur subjectivité 1. Le verrou a sauté et les mondes du travail sont depuis traversés par une croyance selon laquelle l’intensification serait une des clefs de la per-formance économique. Il en est bien sûr autrement tant ses conséquences affectent le rapport au travail, sa qualité et son intelligibilité collective, tant elle est porteuse d’antagonismes sociaux. Si cette intensification se définit habituellement par une accélération du rythme de travail et par sa standardisation, il faut admettre qu’elle reste complexe à caractériser car elle repose en partie sur des données objectivables, mais qu’elle est aussi vécue subjectivement, liée au sentiment d’être mis sous pression. Ce qui nous intéresse ici, c’est qu’elle paraît être une des causes déterminantes de la dégradation des conditions de travail et des manières de vivre celui-ci.

Peu de secteurs d’activité peuvent prétendre y échapper, qu’il s’agisse d’entreprises privées, de services publics ou de milieux associatifs. L’enjeu est soit de satisfaire l’actionnariat et d’augmenter les performances d’une année sur l’autre, soit de devoir faire davantage en étant moins nombreux, comme dans la mise en œuvre de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), allouant des budgets restreints aux services publics et réduisant les effectifs. Dans le milieu hospitalier, par exemple, la volonté de réduire les coûts et d’accroître l’efficacité productive (par la tarification à l’acte) s’accompagne d’un non renouvellement des effectifs et d’une accentuation de la charge de travail. Ce mouvement est porté par le dogme managérial du changement permanent et de la gestion par l’urgence pour accroître la productivité du travail. Il s’appuie sur des restructurations, des externalisations, des réorganisations, des mobilités systématiques, des objectifs assignés à court terme. Changement et urgence sont devenus les normes pour une mobilisation permanente des individus, obligés de s’adapter sans savoir pour quelles raisons ni pour combien de temps, vivant leur situation comme instable et précaire. Cette pression provoque des situations de stress, de

1 Danièle Linhart, Le torticolis de l’autruche. L’éternelle modernisation des entreprises françaises, Paris, éd. du Seuil, 1991.

burn out, voire de suicides par vagues, comme ce fut récem-ment le cas à France Telecom, au technopole de Renault ou à la Poste, pour ne retenir que les exemples les plus médiatisés. Dans ces conditions, les travailleurs sont sommés de tenir des objectifs inatteignables, sont soumis à des contraintes temporelles qui réduisent leurs marges de manœuvre, et les empêchent de réfléchir sur leurs expériences et de s’organiser en conséquence. Il en découle des incapacités à penser le tra-vail, à s’accorder sur le sens qu’il revêt.

Des liaisons dangereuses entre intensification du travail et évaluation

L’intensification s’appuie en grande partie sur des techniques d’évaluation non concertées, souvent abstraites, qui n’intègrent que la dimension quantifiable du travail, pour établir des comparaisons par sites et/ou par individus sur la base d’indi-cateurs statistiques parfois ineptes, tels que le taux de réussite par établissement scolaire ou le taux de mortalité dans les hôpitaux. L’emploi de ces instruments d’évaluation caracté-ristique du New Public Management 2 s’effectue au détriment de ce qui fait sens pour les acteurs. Ainsi, depuis que la « tour-née du facteur » est soumise au régime d’une productivité horaire standardisée, les agents se trouvent dans l’incapacité de maintenir le minimum de lien social dans les zones géo-graphiques désertées qui donnait sens à leur métier 3. Il en est de même des aides soignantes qui ne disposent plus de temps pour rassurer les patients en parlant avec eux 4, ou des travailleurs sociaux soumis à des injonctions de traitement quantitatif des populations au détriment de suivis personna-lisés. Ce glissement vers une évaluation selon des critères non partagés finit par être vécu comme une forme de contrôle qui accentue le processus d’intensification. Le rapport au travail s’en trouve bouleversé : il ne s’agit plus tant de bien travailler que d’être rentable, performant et efficace. Bien sûr, les effets ressentis de l’intensification dépendent des statuts et des degrés de soumission à son égard. Les manières de concevoir une augmentation de la charge de travail dépendent ainsi des possibilités de construire ou non une

2 Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences-Po, 2005.

3 Marie Cartier, Les facteurs et leurs tournées. Un service public au quotidien, Paris, éd. La Découverte, 2003.

4 Anne-Marie Arborio, Un personnel invisible. Les aides soignantes à l’ hôpital, Paris, éd. Economica, 2002.

Les ressorts de l’intensification du travail.Éprouver les limites jusqu’à la cassure

Maître de conférences en sociologie du travailClersé, Faculté des Sciences Économiques et Sociales, Université Lille 1

Par Séverin MULLER

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activité convenable pour soi et pour les autres 5. La pression et le stress sont d’autant plus admissibles qu’ils s’accompagnent de gratifications matérielles ou symboliques, telles que les promotions professionnelles, les augmentations de salaires, etc., mais qui concernent bien souvent des activités valorisées socialement. À l’opposé, l’intensification du travail peut ne pas être réelle et pourtant vécue comme telle 6. C’est le cas pour l’ouvrier âgé que l’on maintient sur un poste pénible et cadencé alors qu’il est usé et que son ancienneté mériterait la gratification d’un travail plus paisible.

Une négation de la dimension collective du travail qui confronte l’individu à ses limites

Dans la mesure où elle empêche de « bien faire » son travail, l’intensité excessive de l’activité oblige à choisir les manières de faire les plus rapides, rarement les plus pertinentes. Or, les individus abordent ces situations sans être soutenus car la coopération et l’échange sont entravés par un management qui tend à nier la dimension collective du travail. Celui-ci peut alors produire de l’incompréhension mutuelle, du harcè-lement et de la souffrance. Les récentes enquêtes en sociologie du travail montrent que l’expérience collective et socialisatrice que pouvait être le travail (même dans ses formes les plus subordonnées et dégradées) s’est muée en une épreuve indi-viduelle. Cette individualisation de la relation au travail est passée par l’introduction des horaires variables, la généralisa-tion des entretiens individuels pour évaluer les performances, mais aussi les salaires, la carrière, sa place dans l’organisation. De fait, les collectifs qui se forment dans la pratique de la soli-darité, de l’entraide et de la transmission des savoirs, se sont affaiblis. Dans ce cadre, les difficultés liées à l’intensifica-tion du travail sont affrontées par les individus qui les vivent comme une cassure, le signe d’une incapacité personnelle. Les travailleurs ont à faire leur preuve en permanence avec la peur de se trouver en situation d’incompétence. À des situa-tions de précarité objective (liées aux contrats, aux statuts, etc. 7) s’ajoute une précarité subjective (liée au vécu du salarié). Ces expériences et ces ressentiments entraînent un recul de

5 Christian Baudelot, Michel Gollac, Travailler pour être heureux ? Paris, éd. Fayard, 2003.

6 Nicolas Hatzfeld, « L’intensification du travail en débat. Ethnographie et histoire aux chaînes de Peugeot-Sochaux », Sociologie du travail, n° 46, 2004, p. 291-307.

7 Robert Castel analyse cette précarité au travail et le risque de désaffiliation sociale qu’elle engendre : La montée des incertitudes : travail, protection et statut des individus, Paris, éd. du Seuil, 2009.

la solidarité au travail et la montée des conflits opposant des groupes qui en viennent à se méconnaître et se concurren-cer : les statutaires contre les intérimaires, les anciens contre les jeunes, les hommes contre les femmes, etc. Dans ce rapport aux tensions créées par les organisations du travail, on mobilisait jusqu’à la fin des années 1970 les notions col-lectives et politiques d’aliénation ou d’exploitation qui poin-taient la responsabilité des systèmes d’organisation. Autour de problèmes pourtant communs, mais devenus indicibles, on évoque aujourd’hui le harcèlement et la souffrance qui se traitent en termes de défaillance psychologique et d’inadap-tation des individus à ces systèmes. Certaines grandes entre-prises commencent à prendre la mesure des risques, pour leur image médiatique, des effets humains de cette course à l’intensification. Les solutions apportées, telles que la création de cellules d’écoute psychologique ou d’équipes de managers de proximité, soulignent pourtant leur incapacité à penser les causes du problème, tant cela remettrait en question les fondements du dogme.

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Depuis1quelques années, de plus en plus de villes fran-çaises se lancent dans des politiques de modération de

la circulation en généralisant les « zones apaisées » – zones 30, zones de rencontre et aires piétonnes – dans les quartiers et les rues où la vie locale domine. Concrè tement, leur objectif est de calmer les trois quarts des rues et que seuls les grands axes demeurent limités à 50 km/h.Plusieurs petites villes y sont déjà : Fontenay-aux-Roses, Nogent-sur-Marne, Sceaux, Villecresnes, Fontainebleau en région parisienne ou Lezennes (3 000 habitants) dans la métro pole lilloise. Et d’autres villes plus importantes s’y mettent. Lorient (58 000 habitants) est la première à avoir achevé récemment cette transformation. Et de grandes villes ont décidé d’y parvenir à marche forcée : Montreuil-sous-Bois, Dijon, Strasbourg, Grenoble, Toulouse… Lille se hâte plus lentement. La Grand’Place est en cours d’aménagement en zone de rencontre : l’axe qui traverse la place sera limité à 20 km/h, les feux seront supprimés et les piétons deviendront prioritaires. Nantes a fait de même, vingt ans plus tôt, dans son hypercentre : Cours des 50 Otages.

Une qualité de vie urbaine fortement améliorée

La principale motivation du passage en « ville 30 » est de réduire les accidents. Un piéton heurté à 30 km/h meurt dans 15 % des cas. À 50 km/h, le risque de décès est en revanche de 80 %. Un véhicule roulant à 50 km/h au lieu de 30 km/h a besoin d’une distance deux fois plus grande pour s’arrêter (26 m au lieu de 13 m) et l’écart se creuse encore par temps de pluie. De fait, les villes 30 connaissent une baisse spectaculaire des accidents et de leur gravité.Les avantages ne s’arrêtent pas là. La pollution est également fortement réduite, car les accélérations sont bien moindres et les arrêts moins fréquents, les carrefours à feux n’étant plus nécessaires dans les zones apaisées. Le bruit est aussi nettement atténué. Et il devient plus agréable de se déplacer à pied et surtout de rouler à bicyclette, ce qui favorise le report de la voiture vers les modes actifs. Dans le contexte actuel de montée rapide de l’obésité, c’est un argument… de poids. Enfin, moins de voitures, cela permet aussi de reconquérir les espaces publics au profit de tous. Bref, la qualité de vie urbaine en est fortement améliorée.Certes, il y a aussi quelques désavantages. Une réduction de

1 Centre lillois d’études et de recherche sociologiques et économiques, UMR 8019 du CNRS et composante de la MESHS (Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société).

40 % de la vitesse de pointe se traduit par une baisse de la vitesse moyenne des déplacements en voiture, mais d’envi-ron 10 % seulement, ce qui est finalement peu pénalisant. La modération de la circulation réclame aussi quelques amé-nagements : des seuils à l’entrée des quartiers, puis divers dispositifs pour rappeler régulièrement aux automobilistes la nécessité de ralentir : chicanes en alternant le stationnement, dos d’ânes, plateaux aux carrefours… Ce n’est pas très coûteux, mais la facture peut vite s’alourdir quand il faut les généraliser à toute la ville. Aussi est-il indispensable d’industrialiser le processus et de ne recourir à ces aménagements que lorsque c’est indispensable. Mieux vaut concentrer les moyens sur les grands axes et les places pour y ralentir le trafic aux endroits sensibles – très commerçants ou touristiques – et les doter d’aménagements cyclables et de trottoirs élargis.

Quand « le territoire s’épanouit »

Reste une question clef qui intéresse le chercheur en écono-mie des transports : est-il vraiment justifié de ralentir la ville ?Selon la théorie économique standard, la réponse est claire-ment négative. Les aménage ments de modération de la circu-lation font perdre du temps aux automobilistes et le temps, c’est de l’argent ! Le raisonnement est, tout de même, un peu plus subtil. Depuis cinquante ans, les statisticiens constatent que le « temps gagné » grâce à des transports urbains plus per-formants – voies rapides, RER, métros… – est en réalité utilisé pour aller plus loin. Les citadins consa crent toujours environ une heure par jour à leurs déplacements qu’ils limitent à 3,5 à 4 quels que soient les modes utilisés. Les économistes en déduisent que l’accessibilité du territoire s’accroît puisqu’on peut accéder, dans le même temps, à une diversité plus grande d’activités potentielles. En conséquence, le fonctionnement de tous les marchés s’en trouve amélioré : marchés des biens, des services, du travail… Il est, par exemple, plus facile pour un employeur de trouver le bon salarié ou pour un chômeur de trouver l’emploi qui lui convient.Certains économistes en déduisent que les désagréments de la vitesse en ville sont finale ment peu de choses par rapport à ses bienfaits : accroissement des échanges et augmenta tion de la productivité urbaine. Que la vitesse entraîne un étalement urbain et favorise la ségrégation sociale et l’entre soi n’est qu’un problème mineur : « le territoire s’épanouit » et « le bien-être s’améliore » préfèrent-ils affirmer 2. À l’inverse,

2 Jean Poulit, Le territoire des hommes. La création de richesse, d’emplois et de bien-être au sein d’une planète préservée, Paris, Bourin Éditeur, 2005, 349 p.

Les politiques de modération de la circulation automobile sont-elles économiquement justifiées ?

Maître de conférences en économie à l’Université Lille 1, chercheur au Clersé 1

Par Frédéric HÉRAN

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chroniques d'économie politique coordonnées par Richard Sobel / LNA#58LNA#58 / chroniques d'économie politique coordonnées par Richard Sobel

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ralentir la ville, ce serait pénaliser durement l’activité économique et sociale.S’il n’est pas toujours aussi clairement affirmé, ce dis-cours reste largement impli-cite chez les décideurs et notamment chez les ingénieurs du corps des Ponts et Chaussées qui sont aux commandes de la plupart des organismes qui font la ville d’aujourd’hui : agences d’urbanisme, direc-tions des services techniques

des grandes villes, directions départementales des territoires et de la mer (ex DDE)…Pourtant, la modération de la circulation n’est pas une nou-veauté en Europe et la France peut bénéficier de l’expérience acquise par bien d’autres pays plus audacieux. De très nom-breuses villes aux Pays-Bas, au Danemark, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Belgique… l’appliquent depuis de nombreuses années sans être à l’agonie pour autant. Par exemple, en Alle magne, des villes telles que Hambourg, Brême, Berlin, Düsseldorf, Munich… se sont lancées, dès les années 80, dans des politiques de Verkehrsberuhigung, non sans une forte opposition du lobby automobile et des milieux économiques. Pour démontrer le bien-fondé de leur poli-tique, les villes ont réalisé de nombreuses études avant/après tout à fait concluantes (aucune étude complète de ce type en France à ce jour…). Et, avec le recul, force est de constater que le déclin annoncé par les opposants n’a pas eu lieu, bien au contraire : toutes ces villes se portent bien aujourd’hui.

Des villes moins ségréguées et plus égalitaires

Il est temps que les théories économiques rendent mieux compte du bilan coûts-avantages des politiques de modéra-tion de la circulation. Voici les principaux raisonnements qui peuvent y contribuer.Tout d’abord, il est inexact de considérer qu’en milieu urbain la vitesse accroît l’accessibilité. Si c’est vrai à court terme, à long terme, au contraire, la vitesse automobile engendre des villes dix fois moins denses que les villes pédestres d’antan. Ainsi, peut-on démontrer que, malgré des vitesses de dépla-cement bien supérieures en périphérie qu’au centre, l’acces-sibilité y est pourtant deux à trois fois moindre. Bref, pour

favoriser les échanges, la densité s’avère plus efficace que la vitesse. En centre-ville, la densité contraint certes à se dépla-cer lentement, mais tout ou presque est pourtant à portée de main 3.Ensuite, la vitesse est plus coûteuse que l’on croit. Elle permet, il est vrai, d’accéder en périphérie à des logements pavillon-naires bon marché et à des biens à petits prix dans les grandes surfaces. Mais elle impose aux ménages d’être motorisés et souvent même multi-motorisés (deux voitures ou plus). Si bien que plusieurs enquêtes concordantes montrent que le bilan est neutre : le total des dépenses de logement, de trans-port et de biens de grande consommation n’est pas moindre pour un citadin qui habite en grande périphérie que pour celui qui vit en proche périphérie ou même dans le centre 4.Enfin, les économistes peinent à monétariser les atouts des villes calmées. Outre la réduction des nuisances qu’on parvient déjà difficilement à cerner, nul ne sait mesurer ce qu’apportent des villes plus perméa bles aux modes alter-natifs à l’automobile, plus agréables à vivre et même moins ségréguées et plus égalitaires. Impossible d’isoler le rôle des transports dans la cohésion sociale qui est liée à de très nom-breux facteurs. Les économistes sont les pre miers à savoir et à rappeler que ce qui n’est pas évaluable tend à être négligé, mais aussi les premiers à négliger ensuite ce qu’ils ne savent pas évaluer !

Les politiques de modération de la circulation n’ont prati-quement que des avantages. Mais elles souffrent d’un désin-térêt certain de la part des chercheurs en économie, parce qu’elles entrent mal dans leur cadre de réflexion standard. En revanche, le péage urbain – qui réduit la congestion et favorise la vitesse – est un objet d’étude quasi magique, parce qu’il se plie aux contraintes du calcul économique. Las, des centaines de villes s’obstinent à modérer la circu lation, quand une poignée seulement a instauré un péage. Elles n’ont pas forcément tort.

3 Frédéric Héran, La ville morcelée. Effets de coupure en milieu urbain, Paris, éd. Economica, 2011, 218 p.

4 Annarita Polacchini, Jean-Pierre Orfeuil, « Les dépenses des ménages franciliens pour le loge ment et les transports », Recherche Transports Sécurité, n° 63, 1999, pp. 31-46.

chroniques d'économie politique coordonnées par Richard Sobel / LNA#58

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CyCLE UNIVERSITÉ

uRefonder l’université ?Mercredi 16 novembre 2011

9h/10h30 : y a-t-il un avenir pour l’Université ?Par Alain Caillé, Professeur de sociologie à l’Université de Paris-Ouest Nanterre La Défense, directeur-fondateur de La Revue du MAUSS.

Investir dans l’enseignement supérieur, c’est l’avenir, assuré-ment. Mais rien ne dit qu’à l’avenir il restera de type univer-sitaire, i.e. qu’il respectera le triple principe de l’autonomie du corps enseignant (universitas), de la complémentarité dialo-gique des savoirs (universitas scientiarium) et de la valorisation du savoir pour lui-même, au-delà de ses enjeux utilitaires et professionnels immédiats. L’est-il même encore ? En France, notamment, on voit mal ce qui subsiste de cet idéal huma-niste. On se demandera ce qu’il est nécessaire et possible d’en faire revivre.

10h45/12h15 : La question de la liberté académiquePar Olivier Beaud, Professeur de droit public à l’Université de Paris II (Panthéon-Assas), directeur de l’Institut Michel Villey.

La France a des universités, mais elle ignore l’existence de la liberté académique qui est une notion centrale pour com-prendre le métier d’universitaire. La présente conférence entend préciser le sens de cette notion, inventée par les Allemands (akademische Freiheit), exportée aux États-Unis (academic freedom) et assez malmenée en France par les récentes réformes universitaires. Elle voudrait aussi expli-quer en quoi le droit des libertés universitaires, autre nom pour la liberté académique, est mal protégé en France en raison d’une jurisprudence peu compréhensive du Conseil d’État et, plus récemment, du Conseil constitutionnel.

14h15/16h30 : Table ronde « Refonder l’université »Avec Denis Kambouchner, Professeur d’histoire de la philo-sophie moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Jacques Lemière, Maître de conférences, Institut de socio-logie et d’anthropologie, Université Lille 1, Philippe Rollet, Président de l’Université Lille 1, François Vatin, Professeur de sociologie à l’Université de Paris-Ouest Nanterre La Défense, directeur de l’école doctorale « Économie, Organisation, Société ».

Entrée libre sur inscription avant le 9 novembre : 03 20 43 69 69 ou [email protected]

CULTURE SCIENTIFIQUE

uPeut-on parler de culture scientifique ?Jeudi 24 novembre 2011

Journée organisée par l’Université Lille 1 avec le soutien du PRES Université Lille Nord de France et en parte-nariat avec l’Université de Toulouse, le Jardin des Sciences de l’Université de Strasbourg, l’Université Pierre et Marie Curie, l’Université de Nantes, l’OCIM-Université de Bour-gogne et l’Université de Limoges.

La connaissance scientifique est difficile d’accès car, pour la comprendre, il faut suivre un certain cheminement. C’est le rôle de l’école de donner aux élèves les moyens de suivre ce cheminement. Hors de l’école, on peut toujours faire de la vulgarisation, mais cela ne se borne pas à la bonne volonté des vulgarisateurs. En ce sens, la vulgarisation risque d’être un piège, autant pour ceux qui la font que pour ceux à qui elle s’adresse. C’est également dans ce piège que la culture scientifique pourrait tomber…

9h15 : Enseigner la science ou la montrer, quel lien ? Par Rudolf Bkouche, Professeur émérite, Université Lille 1.

10h30 : Quelle perception de la science dans la société ? Par Jean-Marc Lévy-Leblond, Professeur émérite, Univer-sité de Nice.

13h30 : Atelier 1  : Exploitation politique, économique de la science Avec Claudia Neubauer, Directrice de la Fondation Sciences Citoyennes et Bernadette Bensaude-Vincent, Professeur des universités, Université Paris 1/IUF.Atelier 2 : Comment parler de la science ? Avec Robert Halleux, Membre de l’Institut, membre de l’Académie Royale de Belgique, président du Centre d’His-toire des Sciences et des Techniques de l’Université de Liège, Bernard Maitte, Professeur émérite, Université Lille 1 et Franck Marsal, Directeur du Forum Départemental des Sciences.

15h : Rendu des ateliers

16h15 : Discussion et intervention du Forum Mondial Sciences et Démocratie

Inscriptions : Florence Ienna03 20 33 59 50 - [email protected]

JOURNÉES D’ÉTUDES

Retrouvez toutes nos conférences en vidéo sur le site : http://lille1tv.univ-lille1.fr/ différées d’un mois - Plus d’informations : culture.univ-lille1.fr

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cycle QUEL DEVENIR POUR LE TRAVAIL SOCIAL ?Octobre 2011 – avril 2012

RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE

En partenariat avec la Sauvegarde du Nord, l’Association Recherche Formation/École Européenne Supé-rieure en Travail Social du Nord-Pas de Calais (EESTS) et l’Union Régionale Interfédérale des Orga-nismes Privés Sanitaires et Sociaux du Nord-Pas de Calais (URIOPSS).

ECOLE EUROPEENNE SUPERIEURE EN

TRAVAIL SOCIAL

Depuis 1957, la Sauvegarde du Nord se mobilise pour la création, la gestion et l’animation de dispositifs adaptés met-tant en œuvre des actions pédagogiques, éducatives et thérapeutiques autour de trois axes : la prévention, le soin et l’ insertion. La Sauvegarde du Nord accueille et accompagne des enfants,

des adolescents et des jeunes en grande difficultés familiales, sociales, scolaires, psychologiques ou psychiques, placés par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) ou de la Maison Départementale des Personnes Handicapées ; des adultes en difficulté d’ insertion sociale et profes-sionnelle dans le cadre de l’accompagne-ment social et de l’Insertion par l’Activité Économique (IAE) ; des familles dans le cadre de CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) ; des personnes en grande précarité dans le cadre de l’ac-cueil d’urgence.

L’École Européenne Supérieure en Travail Social (EESTS), gérée par l’As-sociation Recherche et Formation (ARF), forme depuis plus de 50 ans des travail-leurs sociaux dans l’ensemble de la région Nord-Pas de Calais (Lille, Maubeuge, St-Omer, Lens). L’axe formation initiale met en œuvre des formations d’ éduca-teur spécialisé et de moniteur éducateur. La formation continue développe des for-mations qualifiantes (Cadres, assistants familiaux…) et des formations adaptées aux besoins des professionnels et des insti-tutions du secteur social et médico-social.

Créée en 1948, l’Union Régionale Interfédérale des Organismes Privés Sanitaires et Sociaux regroupe la plu-part des associations et organismes privés à but non lucratif de l’action sanitaire, médico-sociale et sociale de la région Nord-Pas de Calais, soit 1127 associa-tions, établissements et services. Selon les demandes, elle intervient à différents niveaux en assurant la représentation des associations auprès des pouvoirs publics et en proposant des actions adaptées à leur développement et leur promotion.

Rarement, le travail social, comme pratiques collectives dont la tâche es-sentielle est de contribuer à la cohésion sociale, n’aura été aussi nécessaire. Ra-

rement, son devenir n’est apparu aussi incertain. Les conséquences sociales engendrées par le développement du chômage de masse ont radicalement changé le travail social dans ses mo-dalités d’organisation et d’interven-tion, comme dans la position de ses acteurs. Ces transformations sont-elles en mesure de produire aujourd’hui ses propres références et son propre développement ? Comment recons-truire une fonction essentielle à la vie démocratique sur une solidarité fondée comme une appartenance commune ?Comprendre ces transformations et prendre la mesure des débats qui tra-versent le travail social, tels sont les enjeux de ce cycle.

Youcef Boudjemaï

u Quel devenir pour le travail social ?Mardi 11 octobre à 18h30 Par Joël Roman, Philosophe, essayiste, directeur de la collection « Pluriel » chez Fayard, membre de la rédaction de la revue Esprit. Animée par youcef Boudjemaï, Directeur des Missions transversales, Sauvegarde du Nord.

u Le travail social face aux recom-positions de l’action publiqueMardi 22 novembre à 18h30En partenariat avec Citéphilo 2011Par Robert Lafore, Professeur de droit public, directeur honoraire de Sciences Po Bordeaux, Université de Bordeaux. Animée par Bruno Delaval, Direc-teur régional de l’URIOPSS Nord-Pas de Calais.

Le travail social, qui s’est structuré en diverses professions spécialisées au moment du développement massif de l’action sociale à compter des années 1950-1960, vit depuis deux décennies une forme de « crise ». Configuré dans

RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDEOctobre 2011 - avril 2012

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ses formes d’intervention et dans sa légitimité au sein d’un certain modèle d’action collective, il semble remis en cause par les recompositions qui affectent à la fois les collectivités pu-bliques en charge d’organiser l’action sociale, les organisations en charge de sa mise en œuvre et en conséquence les cultures des professionnels. Ces derniers vivent en tout état de cause ces mutations comme des atteintes à leur spécificité, toujours fortement revendiquée et, il est vrai, largement reconnue dans les constructions héri-tées. Sans que l’on puisse préjuger des conclusions à en tirer, il peut être utile de prendre du recul en revenant sur la situation du travail social dans le mo-dèle d’action qui l’a porté, en tentant de prendre la mesure des transforma-tions qui l’ont affecté, cela pouvant permettre de mieux situer les dépla-cements et les mutations dont il fait l’objet aujourd’hui.

uMutations de la société, logiques d’insertion et production normative du travail social Mardi 29 novembre à 18h30Par Bernard Eme, Professeur de socio-logie, Université Lille 1, Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et Économiques, UMR 8019 CNRS. Animée par youcef Boudjemaï.

Cf article p. 8 à 10

À SUIVRE :

u Les enjeux de la formation sociale en Europe Mardi 24 janvier à 18h30Par Dominique Susini, Président de l’Association Internationale pour la Formation, la Recherche et l’Inter-vention Sociale, administrateur per-sonne qualifiée à l’Union Nationale des Associations de FOrmation et de Recherche en Intervention Sociale. Animée par Bertrand Coppin, Di-recteur général de l’École Européenne Supérieure en Travail Social.

u Les formations en travail social : l’avenir du modèle français Mardi 7 février à 18h30Par Marcel Jaeger, Professeur titu-laire de la Chaire de travail social

et d’intervention sociale du Cnam (Conservatoire national des arts et métiers). Animée par Philippe Cro-gnier, Directeur de la recherche et de l’évaluation, Sauvegarde du Nord.

u Le travail social est-il évaluable ?Mardi 21 février à 18h30 Par Michel Chauvière, Directeur de recherche au CNRS, Centre d’Études et de Recherches de Science Adminis-trative (CERSA), Université Paris 2. Animée par Jean Pierre Blaevoet, Président de la Sauvegarde du Nord.

u Les associations d’intervention sociale à la recherche de nouvelles légitimitésMardi 20 mars à 18h30Par Henri Noguès, Économiste, pro-fesseur émérite, Universités de Nantes et Amiens, membre du LEMNA (Laboratoire d’Économie et de Mana-gement-Nantes-Atlantique), président de l’ADDES (Association pour le Déve-loppement des Données sur l’Économie Sociale). Animée par Alain Villez, Directeur adjoint de l’URIOPSS et conseiller technique à l’UNIOPSS.

À NOTER :

Journée d’études « Construire de nouvelles légitimi-tés pour le travail social » Jeudi 5 avril 2012

Plus d’informations : http://culture.univ-lille1.fr

Remerciements à Rudolf Bkouche, Jean-Marie Breuvart, Alain Cambier, Jean-Paul Delahaye, Frédéric Dumont, Bruno Duriez, Bernard Eme, Rémi Franckowiak, Robert Gergondey, Jacques Lemière, Robert Locqueneux, Bernard Maitte, Patrick Picouet, Nathalie Poisson-Cogez, Bernard Pourprix, Jean-François Rey, Bernard Vandenbunder (Espace Culture – Lille 1) ; Youcef Boudjemaï, Philippe Crognier (Sauvegarde du Nord) et Bertrand Coppin (ARF/EESTS Nord-Pas de Calais) pour leur participation à l’élaboration de ce cycle.

Retrouvez toutes nos conférences en vidéo sur le site : http://lille1tv.univ-lille1.fr/ différées d’un mois.

cycle RAISON, FOLIE, DÉRAISONS

Octobre 2011 – avril 2012

RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE

En partenariat avec le pôle de psy-chiatrie 59G21 (Faches-Thumesnil - Hellemmes - Lesquin - Lezennes - Mons - Ronchin) de l’Établissement Public de Santé Mentale (EPSM) Lille-Métropole et le Centre Colla-borateur de l’Organisation Mondiale de la Santé (CCOMS).

L’EPSM Lille-Métropole a pour mission la prise en charge des patients de la métro-pole lilloise souffrant de troubles de santé mentale. Avec plus de 60 dispositifs de prise en charge ambulatoire sur 82 com-munes, il met à la disposition des per-sonnes, au plus proche de leur domicile, des services et équipements de prévention, de diagnostic, de soins et de suivi.Le pôle de psychiatrie 59G21 a une pra-tique de santé mentale communautaire, citoyenne, intégrée dans la cité.Certifications : Haute Autorité de Santé (V2010) sans recommandation ni remarque ; Certification Iso 9001 version 2008.Plus d’informations : www.epsm-lille-metropole.fr

L’originalité de ce cycle est de dévelop-per deux thématiques : raison et folie et déraisons de la raison.D’un côté, on interroge la décision spé-culative et politique qui « lie et sépare à la fois raison et folie » dans les termes

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émérite à l’Université Lille 1, UMR « Savoirs, Textes, Langage » (CNRS, Universités Lille 1 et Lille 3), Centre d’histoire des sciences et d’épistémologie de Lille 1. Animée par Bernard Maitte, Professeur d’histoire des sciences et d’épistémologie, Université Lille 1.

u Anomie et irrationalité en économieMardi 13 mars à 18h30Par André Orléan, Directeur de recherche au CNRS, président de l’Association Française d’Économie Politique. Animée par Nicolas Postel, Économiste, Clersé, Université Lille 1.

uÉthique et rationalité Mardi 27 mars à 18h30Par Alexander Schnell, Philosophe, maître de conférences à l’Université Paris-Sorbonne, spécialiste de Husserl, Heidegger et de phénoménologie fran-çaise contemporaine (sous réserve). Animée par Jean-Marie Breuvart, Professeur émérite de philosophie.

u Aux origines irrationnelles de la rationalitéMardi 10 avril à 18h30 Par Claire Louguet, Maître de confé-rences en philosophie ancienne, UMR 8163 « Savoirs, Textes, Langage », Université Lille 3. Animée par Robert Gergondey, Mathématicien.

À NOTER

Journée d’études « Raison et folie »Dans le cadre du cinquantième anni-versaire de la parution de l’ouvrage de Michel Foucault, « Histoire de la folie à l’ âge classique »Mardi 17 avril 2012

Plus d’informations : http://culture.univ-lille1.fr

Remerciements à Rudolf Bkouche, Youcef Boudjemaï, Jean-Marie Breuvart, Alain Cambier, Jean-Paul Delahaye, Frédéric Dumont, Bruno Duriez, Bernard Eme, Rémi Franckowiak, Robert Gergondey, Jacques Lemière, Robert Locqueneux, Bernard Maitte, Patrick Picouet Nathalie Poisson-Cogez, Bernard Pourprix, Jean-François Rey et Bernard Vandenbunder pour leur participation à l’élaboration de ce cycle.

Retrouvez toutes nos conférences en vidéo sur le site : http://lille1tv.univ-lille1.fr/ différées d’un mois.

mêmes employés par Michel Foucault (1961). L’âge classique, le siècle de la raison commencent par constituer un autre de la raison : le fou, renvoyé « au jardin des espèces ». Il faudra donc revisiter cette archéologie des dualismes mutilants : raison et folie, normal et pathologique, âme et corps, etc. La folie aujourd’hui s’aborde de manière préoccupante dans les politiques de santé mentale qui visent à criminaliser la folie : psychiatrie menacée d’un retour de l’enfermement et de la violence. Psychiatrie sinistrée mais qui est déjà sur la voie de la résistance, notamment dans la culture, comme l’atteste la présence de la mélancolie en son sein.Enfin, la rationalité elle-même n’est pas une donnée immédiate de la science. Elle se construit sur fond d’irrationa-lité. Là aussi, les dualismes familiers et stérilisants seront dissipés.

Jean-François Rey

u La raison et les normes Mardi 18 octobre à 18h30 Par Pierre Macherey, Professeur émé-rite de philosophie à l’Université Lille 3. Animée par Nabil El-Haggar, Vice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture, de la Communication et du Patrimoine Scientifique.

PREMIÈRE PARTIE : RAISON ET FOLIE

u Raison et folieUne présentation d’Histoire de la folie de Michel FoucaultMardi 8 novembre à 18h30Par Frédéric Gros, Professeur de phi-losophie, Université Paris Est-Créteil. Animée par Jean-François Rey, Pro-fesseur de philosophie honoraire.

Cf article p. 4-5

u Psychiatrie et résistanceMardi 15 novembre à 18h30En partenariat avec Citéphilo 2011Par Jean Oury, Psychiatre et psycha-nalyste et Pierre Delion, Professeur à la Faculté de médecine de Lille 2, responsable du service de pédopsy-chiatrie au Centre Hospitalier Régional Universitaire de Lille. Animée par Jean-François Rey.

La psychiatrie à visage humain demande une résistance à une simplification per-manente de toutes les complexités du monde. Que dire alors de la vie psy-chique des personnes présentant une grave souffrance psychique, et pour les-quelles la qualité de l’accueil sur me-sure est une des conditions essentielles de l’aventure des soins psychiatriques ? La psychothérapie institutionnelle et la psychiatrie de secteur ont profondé-ment transformé la psychiatrie asilaire. La liberté de circulation des personnes et des idées a constitué un des opéra-teurs principaux de cette avancée. Entendre à nouveau, et au plus haut niveau de l’État, parler de la personne schizophrène uniquement en terme de dangerosité reconstruit une psychiatrie sécuritaire qui est sans doute l’indice d’une régression sans précédent dans notre histoire contemporaine.

u Mélancolie dans la culture Mardi 6 décembre à 18h30Par Bernard Forthomme, Franciscain (Ordre des Frères Mineurs), professeur au Centre Sèvres (Paris VI). Animée par Jean-François Rey.

Cf article p. 6-7

À SUIVRE :

u Politique de la peur Mardi 17 janvier à 18h30Par Pierre Sadoul, Psychiatre. Animée par youcef Boudjemaï, Directeur des Missions transversales, Sauvegarde du Nord.

u Penser l’art et la folieMardi 31 janvier à 18h30 Par Éliane Escoubas, Professeur émérite de philosophie à l’Université de Paris-Est/Paris XII – Créteil, spécialiste de phénoménologie, philosophie allemande et philosophie de l’art et Alexis Forestier, Metteur en scène et musicien. Animée par Jean-François Rey.

DEUxIÈME PARTIE : LES DÉRAISONS DE LA RAISON

u Les déraisons de la raisonQuand la déraison sert la scienceMardi 14 février à 18h30Par Robert Locqueneux, Professeur

au programme / réflexion-débat / LNA#58

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Cycle proposé par Jean-Pierre Macrez et l’équipe « Question de sens » (Uni-versité Lille 1).

En partenariat avec le Centre Régional de Documentation et d’Information pour le Développement et la Solidarité Internationale.

Après le Indignez-vous de Stéphane Hessel, réagissez et engagez-vous

Le titre du livre de Stéphane Hessel est un appel à retrouver sa propre dignité en n’acceptant plus l’inacceptable. I l ex iste en ef fet des situat ions intolérables et une violence dans l’organisation des sociétés.Ce cycle de conférences se veut être une réflexion offrant les possibilités d’engagement pour lutter contre cet inacceptable dans un esprit de pro-fond humanisme : la considération et l’affirmation des valeurs de justice sociale et d’égalité fraternelle.La réflexion porte sur les valeurs fon-damentales des Droits de l’Homme. Ce cycle vous propose de rencontrer des conférenciers qui mènent réflexion autour de l’engagement et sont eux-mêmes engagés dans leur vie.

u « Le souffle de vie » Mercredi 19 octobre à 18h30 Par Guy Aurenche, Auteur de l’ouvrage éponyme préfacé par Stéphane Hessel (éd. Albin Michel, 2011).

Par-delà l’évocation des « quarante ans de combat » qu’il a mené comme avocat et à la tête de la Fédération

internationale de l’Action des Chré-tiens pour l’Abolition de la Torture, puis du CCFD-Terre solidaire, Guy Aurenche invite chacun à participer à l’instauration d’une société plus juste et plus fraternelle.Contre l’inacceptable, la résistance et la révolte s’imposent aux plans éthique et politique. « Un autre monde est possible » : équitable, solidaire et respectant toutes les cultures. En exigeant le respect absolu de la dignité humaine, la Déclaration Uni-verselle des Droits de l’Homme revêt pour Guy Aurenche un caractère sacré.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Guy_Aurenche

u L’Engagement politique et citoyenJeudi 17 novembre à 18h30 Dans le cadre de la semaine de soli-darité internationale Par Nabil El-Haggar, Vice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture, de la Communication et du Patrimoine Scientifique.

La notion d’engagement est si riche qu’elle renvoie à de multiples significa-tions. Dans tous les cas, l’engagement est indispensable pour préserver les valeurs auxquelles nous croyons et soutenir les causes que nous pensons être justes.Nous nous engageons à défendre des causes que nous avons choisies quel qu’en soit le coût, y compris le risque de se tromper et d’avoir à en assumer les conséquences. En fait, nous nous en-gageons avant tout pour être conforme avec notre propre vision du monde.

Nous nous engageons essentiellement pour nous-mêmes et cela nécessite du sérieux, du courage, de la conviction et surtout la liberté de donner de soi.

u S’engager pour la solidarité dès l’école !Jeudi 15 décembre à 18h30 Par André de Peretti, Ancien élève de l’École Polytechnique, docteur en lettres et sciences humaines et ancien directeur du département de psycho-sociologie de l’éducation à l’Institut National de Recherche Pédagogique.

La Solidarité peut être définie comme la conscience d’une communauté d’intérêt entre des personnes entraînant une obligation morale de se porter assistance mutuellement, mais aussi la contribu-tion financière, matérielle de certains membres d’une collectivité à l’assistance d’autres membres. André de Peretti apportera des éléments de réponse aux questions suivantes : comment les études et la solidarité en-trent-elles en dialogue ? L’école a t-elle un rôle à jouer dans la mise en place de relations solidaires ? La solidarité n’est-elle pas nécessaire à une bonne éducation ? Quelle capacité des jeunes à se mobiliser pour leur prochain ?

http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_de_Peretti

www.culture.univ-lille1.fr

Question de sens 2011-2012

L’Engagement

exposition / LNA#58

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LNA#58 / au programme / réflexion-débat

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En partenariat avec le Fresnoy, Studio national des arts contemporains et l’équipe de recherche MINT (Université Lille 1, CNRS, LIFL UMR 8022 & IRCICA, Inria Lille Nord-Europe) *.

Amphithéâtre de bols tibétains, le Damassama réserve au visiteur la place de chef d’orchestre, initiateur par sa gestuelle de réactions instrumentales (par

capteurs interposés) invitant à un cheminement musical personnalisé.

Le vécu de l’expérience sonore de l’instrument suscite l’écoute attentive, introspective des dimensions de soi, des autres et de l’environnement personnel.

De simples auditeurs, nous devenons instrumentistes et recréateurs de l’univers sonore.

Lors de l’intervention, les vibrations pénètrent le corps et y persistent, incitant à écouter le monde dans une réalité spirituelle dont nous sommes les auteurs sur l’instant.

Cette installation a été conçue au Fresnoy, Studio national des arts contempo-rains, par l’artiste Léonore Mercier, grâce à la collaboration des chercheurs lillois.

* Université Lille 1, CNRS, Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille & Institut de Recherche sur les Composants logiciels et matériels pour l’Information et la Communication Avancée, Institut national de recherche en informatique et automatique Lille Nord-Europe.

« Le damassama », Léonore MercierInstallation, 2011Photo : Olivier Anselot

DAMASSAMA Installation artistique de Léonore MercierDu 4 octobre au 10 novembre

Vernissage : mardi 4 octobre à 18h30Entrée libre

exposition / LNA#58

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LNA#58 / au programme / réflexion-débat

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Expositions du PRES Université Lille Nord de France dans le cadre de l’Année Internationale de la Chimie

L’UNESCO a déclaré 2011 « Année Mondiale de la Chimie » afin de rendre hommage aux grands services rendus par cette discipline au bien-être de l’humanité.Dès les premiers temps de « l’alchimie », le Nord de la France a toujours été au cœur de ces évolutions. L’histoire de la chimie dans la région est celle de liens forts entre l’Université et l’Industrie. Depuis Kuhlmann et Pasteur, les progrès se sont réalisés au service des intérêts scientifiques et économiques locaux.

Cette exposition propose de rendre compte de cette riche his-toire. À travers objets, documents d’archives ou photos, venez découvrir la richesse d’une science qui a su dompter l’énergie de la terre, comme utiliser, aujourd’hui, les ressources vertes.

Cette histoire est également celle d’hommes de notre région, les « ch’timistes » qui, à leur façon, ont su comprendre, trans-former et utiliser les richesses de notre territoire.

Cette exposition sera aussi visible du 12 au 16 octobre, dans le cadre de la Fête de la Science, sous le chapiteau du « village des ch’timistes » à Lille .

DE L’OR NOIR à L’OR VERT :

uL’Université Lille 1 présente ses collections d’anciens appareils scientifiquesDu 6 au 27 septembre 2011 Entrée Libre

Au début des années 2000, le président de l’Université Lille 1 a confié à l ’Association de Solidarité des Anciens de l ’Université l’inventaire des anciens appareils de physique : appareils d’observation et de mesure utilisés en enseignement ou en recherche à l’ancienne Faculté des Sciences de Lille ou aux débuts de l’Université Lille 1.

Dès 2004, une exposition de 60 appareils, couplée avec le cycle « Mesure » organisé par l’Espace Culture, a fait connaître cette activité à la communauté scientifique.L’ASA fête cette année son 20ème anniversaire. À cette occasion, avec l’aide de l’Espace Culture, elle présente une exposition en montrant l’activité de son équipe « patrimoine ».

Sont exposés 120 appareils choisis pour leur beauté, leur ancienneté et/ou leur originalité, la plupart antérieurs à 1914.Un diaporama réalisé par le Service Enseignement et Mul-timédia présentera 350 des 820 appareils actuellement inventoriés avec, pour chacun d’eux, une brève explication de leur fonctionnement. Lors des visites organisées, quelques appareils pédagogiques anciens seront montrés en fonc-tionnement.

De 10h à 17h - Visites guidées sur inscription à l’Espace Culture

la saga de la chimie dans le nord de la FranceEt la galerie des grands « ch’timistes »

DU 21 NOVEMBRE AU 16 DÉCEMBREVernissage : lundi 21 novembre à 18h30Entrée libre

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La science est à la fois un processus de connaissance et de compréhension du monde, et un phénomène social.

Ce dernier aspect a pris de plus en plus d’importance avec le développement technique qui tend à redéfinir l’ensemble de la société, autant le rapport des hommes au monde que le rapport des hommes entre eux. Ce sont ces aspects que les deux ouvrages À propos de la Science nous invitent à parcourir.

À propos de la science : Autour de la matière

Le premier tome, plus particulièrement consacré aux sciences de la matière et du mouvement, propose des articles sur l’histoire des sciences et son actualité, telle l’intelligence artificielle.Les sciences sont un domaine difficile d’accès et il n’y a pas de voie royale. En dehors des enseignements spécialisés, il est important que des scientifiques apportent un éclairage général qui, s’il ne saurait se substituer à l’étude d’un domaine de la science, permette à chacun de le cerner sans être obligé d’entrer dans ses arcanes. C’est ce que proposent ces écrits sur les sciences de la matière et de la lumière, sur l’astronomie, le mouvement, la mesure ou sur ce personnage emblématique de la science contemporaine qu’est Einstein.

À propos de la science : Science et société

Ce second tome est consacré aux sciences de la vie et de la terre, à certains aspects de la philosophie des sciences et à des questions éthiques et politiques.Les sciences de la vie, dès qu’elles abordent l’étude de l’homme, peuvent conduire à des intrusions dans l’intimité humaine, en particulier avec les neurosciences. Si la science, avec le développement des techniques qu’elle a permis, a renforcé les moyens d’action sur le monde, ce dévelop-pement technique agit à son tour sur les hommes ; en ce sens le développement scientifique soulève des questions éthiques et politiques.

Retrouvez toutes les informations sur ces ouvrages et la collection complète sur :http://culture.univ-lille1.fr/publications/la-collection.html

En vente à l’Espace Culture et en librairie, en consultation à l’Espace Culture et à la Bibliothèque Universitaire de Lille 1.

Nouvelles parutions : « à propos de la science » Autour de la matière (tome 1) et Science et société (tome 2)

Ouvrages collectifs dans la collection « Les Rendez-vous d’Archimède », éd. L’Harmattan. Dirigés par Nabil El-Haggar et Rudolf Bkouche.

PRÉSENTATION DES 2 TOMES LUNDI 7 NOVEMBRE À 17H30Espace Rencontres du Furet de Lille - Entrée libre

En présence de Philippe Rollet, Président de l’Université Lille 1Nabil El-Haggar, Vice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture, de la Communication et du Patrimoine ScientifiqueRudolf Bkouche, Professeur émérite, Université Lille 1et des auteurs.

à propos de la scienceAutour de la matière

Sous la direction de Nabil El-Haggar et Rudolf Bkouche

à propos de la scienceScience et société

Sous la direction de Nabil El-Haggar et Rudolf Bkouche

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).g e n d aA Retrouvez le détail des manifestations sur notre site : http://culture.univ-lille1.fr ou dans notre programme trimestriel.

L’ ensemble des manifestations se déroulera à l’Espace Culture de l’Université Lille 1.

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Espace Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’AscqDu lundi au jeudi de 9h30 à 18h et le vendredi de 10h à 13h45Café : du lundi au jeudi de 9h45 à 17h45 et le vendredi de 9h45 à 13h45

Du 6 au 27 septembre Exposition Patrimoine scientifique avec l’ASA

Mardi 4 octobre 18h30 Lancement de saison 2011/2012

Du 4 oct. au 10 nov.Installation artistique « Damassama » de Léonore MercierVernissage le 4 octobre à 18h30

Le 11 octobre 14h30 Conférence de l’UTL

Mardi 11 octobre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « Quel devenir pour le travail social ? » par Joël Roman

Mercredi 12 octobre 18h30 Café langues avec la Maison des Langues (Lille 1)

Jeudi 13 octobre 19h Théâtre/cirque « Par le Boudu » de et par Bonaventure Gacon *

Mardi 18 octobre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « La raison et les normes » par Pierre Macherey

Mercredi 19 octobre 18h30 Question de sens : « Le souffle de vie » par Guy Aurenche

Lundi 7 novembre 17h30 Présentation des ouvrages « À propos de la science » (tomes 1 et 2)Collection Les Rendez-vous d’Archimède (Furet - Lille)

Les 8, 15, 22 et 29 nov. 14h30 Conférences de l’UTL

Mardi 8 novembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « Raison et folie - Une présentation d’Histoire de la folie de Michel Foucault » par Frédéric Gros

Mercredi 9 novembre 19h Concert : Ictus « Piano ! – Pascal Dusapin » (avec l’Opéra de Lille) *

Mardi 15 novembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « Psychiatrie et résistance » par Jean Oury et Pierre Delion

Mercredi 16 novembre 9h Journée d’études : Cycle « Université » « Refonder l’université ? »

18h30 Café langues avec la Maison des Langues (Lille 1)

Jeudi 17 novembre 18h30 Question de sens : « L’engagement politique et citoyen »par Nabil El-Haggar

Du 21 nov. au 16 déc.Exposition « De l’or noir à l’or vert : la saga de la chimie dans le nord de la France » - Vernissage le 21 nov. à 18h30

Mardi 22 novembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « Le travail social face aux recompositions de l’action publique » par Robert Lafore

Mercredi 23 novembre 19h Projection-débat « Ce gamin, là » de Renaud Victor *

Jeudi 24 novembre 9h Journée d’études « Peut-on parler de culture scientifique ? »

Mardi 29 novembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « Mutations de la société, logiques d’insertion et production normative du travail social » par Bernard Eme

Les 6 et 13 décembre 14h30 Conférences de l’UTL

Mardi 6 décembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « Mélancolie dans la culture » par Bernard Forthomme

Mercredi 7 décembre 18h Rencontre sur l’histoire de la danse contemporaine avec Danse à Lille

19h Danse « Synapse » par la Cie akoma névé *

Mercredi 14 décembre 19h Concert « Sinyaya Kozha » (Une peau bleue) par le théâtre de chambre - 232U *

Jeudi 15 décembre 18h30 Question de sens : « S’engager pour la solidarité dès l’école ! » par André de Peretti

Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59Mail : [email protected] Internet : http://culture.univ-lille1.fr