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Lille 1 Johann Wolfgang von Goethe, Faust II, 1832 « Les hommes déprécient ce qu’ ils ne peuvent comprendre ». « Les frontières », « Les secrets de la matière », « À propos de la science » Rendez-vous d’Archimède / Polar/jazz, 79 jours - Globalization World Tour, Les déracinés du nouveau monde, Annette entre deux pays Spectacle vivant / Pratiques artistiques Théâtre, danse, concerts, exposition, écriture / À propos de la culture Parution collection Les Rendez-vous d’Archimède / Dossier L’université française, enjeux et défis ! l e s n o u v e l l e s d le journal culturel de l’Université des Sciences & Technologies de Lille Archimède AVR MAI JUIN # 48 2008

les nouvelles d'Archimède #43 · Je veux « l’État chez lui et l’Église chez elle », disait d’ailleurs un certain croyant qui s’appelait Victor Hugo. La laïcité et la

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Page 1: les nouvelles d'Archimède #43 · Je veux « l’État chez lui et l’Église chez elle », disait d’ailleurs un certain croyant qui s’appelait Victor Hugo. La laïcité et la

Lille 1

Johann Wolfgang von Goethe, Faust II, 1832

« Les hommes déprécient ce qu’ils ne peuvent comprendre ».

« Les frontières », « Les secrets de la matière », « À propos de la science » Rendez-vous d’Archimède / Polar/jazz, 79 jours - Globalization World Tour, Les déracinés du nouveau monde, Annette entre deux pays Spectacle vivant / Pratiques artistiques Théâtre, danse, concerts, exposition, écriture / À propos de la culture Parution collection Les Rendez-vous d’Archimède /

Dossier L’université française, enjeux et défis !

l e s n o u v e l l e s

dle journal culturel de l’Université des Sciences & Technologies de Lille

’ A r c h i m è d ea v rm a ijuin

# 4 8

2008

Page 2: les nouvelles d'Archimède #43 · Je veux « l’État chez lui et l’Église chez elle », disait d’ailleurs un certain croyant qui s’appelait Victor Hugo. La laïcité et la

De la laïcité

À Rome, le chef de l’État a affirmé que « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’ instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé ». À Riyad, il a parlé de « Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme ». Dans les deux cas, le pacte républicain tacite, qui impose aux détenteurs de l’autorité politique, dans leurs actes et dans leurs propos, une neutralité philosophique absolue sur la question du fondement et de la morale, a été violé. La laïcité est sans doute l’une des plus belles œuvres politiques que la France ait donné au monde. Il est précisé, dans le premier article de la loi de 1905, que la conscience doit être libre et le libre exercice des cultes garanti. Dans le deuxième article, la loi stipule que la croyance religieuse n’engage que les croyants. Aucun type de conviction ne doit donc jouir d’une reconnaissance publique, ni d’un quelconque financement public. La République doit donc s’abstenir de se prononcer sur cette question, comme d’ailleurs sur l’athéisme. Car son silence signifie neutralité et garantit la liberté de conscience pour tous. Comme le dit fort bien Henri Pena-Ruiz : « ce qui concerne certains ne peut s’imposer à tous, ni être à la charge de tous. Bref, la religion n’est pas un service public » 1.Je veux « l’État chez lui et l’Église chez elle », disait d’ailleurs un certain croyant qui s’appelait Victor Hugo.La laïcité et la loi de 1905, non seulement ne sont pas disqualifiées, mais elles sont au cœur de la modernité.

De l’université

Pendant la longue période de contestation de la loi dite LRU sur les universités, un riche débat a pu avoir lieu entre étudiants, enseignants-chercheurs et personnels des universités.Néanmoins, ce débat est loin d’être suffisant pour faire émerger une vision et un projet partagés de l’université en France. Laquelle reste donc orpheline d’une réforme globale pouvant apporter des réponses à des questions récurrentes et lui donnant tous les moyens nécessaires pour relever, dans les meilleures conditions, ses défis. Seule une réforme qui mettrait l’université, la recherche et l’enseignement supérieur au cœur de la République pourrait permettre un développement ambitieux de l’université. Afin de contribuer à cette réflexion, ce numéro des Nouvelles d’Archimède propose un premier dossier « L’université française, enjeux et défis ! ». Le prochain dossier fera appel à des contributions d’étudiants et de personnels des universités 2.

À propos de la culture

Une université se doit d’être un lieu libre de réflexion, de recherche, de création, d’éducation et de diffusion des savoirs. C’est dans ce lieu que les diverses approches de la connaissance et les différentes cultures peuvent exister librement en dehors de toute logique de rentabilité. Cette conviction est à l’origine du colloque international « À Propos de la Culture » que nous avons organisé en 2004, qui a donné lieu à trois jours de réflexion et de débat entre les intervenants, avec un public aussi nombreux que divers, dont bon nombre de lycéens et d’étudiants. La restitution de ces travaux a permis l’édition d’un ouvrage collectif, en deux tomes : à paraître début mai.

Propos de saison

L’équipe

Françoise POinTarD directrice de l’Espace CultureDelphine POirETTE chargée de communicationEdith DELBarGE chargée des éditions et communicationjulien LaPaSSET concepteur graphique et multimédiaaudrey BOSquETTEassistante aux éditionsmourad SEBBaT chargé des relations jeunesse/étudiantsmartine DELaTTrEassistante projets étudiants et communicationDominique HaCHE responsable administratifangebi aLuwanGa assistant administratifjohanne waquETsecrétaire de directionantoine maTriOnchargé de mission patrimoine scientifiqueDominique warTELLE accueil - secrétariatjacques SiGnaBOurégisseurjoëlle mavETcafé culture

Nabil EL-HAGGARVice-président de l’Université des Sciences et Technologies de Lille,chargé de la Culture, de la Communication et du Patrimoine Scientifique

1 Henri Pena-Ruiz, La religion n’est pas un service public, Libération, 15 février 2008.

2 Si vous souhaitez vous exprimer sur ce sujet, vous pouvez contacter au préalable le service communication de l’Espace Culture : [email protected]

À propos de la science

4-5 Au-delà des rivalités trans-Manche : science et société, quelques pistes par Gérard Toulouse

Les frontières

6-7 De la longue durée en Asie centrale : ou comment délimiter un espace- temps sans limites par Catherine Poujol

Rubriques

8-9 Vivre les sciences, vivre le droit… par Jean-Marie Breuvart 10-11 Paradoxes par Jean-Paul Delahaye12-13 Humeurs par Bernard Maitte 14-15 L’art et la manière par Corinne Melin 16-17 Jeux littéraires par Robert Rapilly 18-20 Mémoires de science par Bernard Maitte33-34 Repenser la politique par Alain Cambier

Dossier « L’université française, enjeux et défis ! »

22 Les enjeux et les défis de l’Université par Valérie Pécresse23-24 Les défis culturels de l’université par Nabil El-Haggar25-27 La LRU : une loi peu courageuse, dangereuse et anti-humaniste par Bernard Maitte28-29 Des réformes de l’université par Rudolf Bkouche30 Éléments de réflexion sur la demande de professionnalisation par Marnix Dressen31 Milton Friedman, Katrina et la LRU par Jean Gadrey

Libres propos

35-38 Qu’est-ce que filmer ce qui, du lieu, a eu lieu ? Présentation de « En remontant la rue Vilin », film de Robert Bober (1992) par Jacques Lemière39-40 Pierre Bourdieu, entre notoriété et reconnaissance par Marie-Anne Lescourret

Au programme

41-42 Rendez-vous d’Archimède : Cycles « Les frontières », « Les secrets de la matière », « À propos de la science »43 Soirée Polar/jazz44-45 Spectacles : « 79 jours – Globalization World Tour » / « Les déracinés du nouveau monde »46 Mise en voix : Annette entre deux pays47-49 Pratiques artistiques : théâtre, danse, concerts, exposition, écriture50-51 Collection Les Rendez-vous d’Archimède : nouvelle parution À propos de la culture

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LNA#48 / édito sommaire / LNA#48

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LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE

Directeur de la publication : Philippe ROLLETDirecteur de la rédaction : Nabil EL-HAGGAR

Comité de rédaction : Rudolf BKOUCHEYoucef BOUDJEMAI

Jean-Marie BREUVARTAlain CAMBIER

Jean-Paul DELAHAYEBruno DURIEZ

Rémi FRANCKOWIAKRobert GERGONDEY

Jacques LEMIÈREBernard MAITTECorinne MELINRobert RAPILLY

Jean-François REY

Rédaction - Réalisation : Delphine POIRETTEEdith DELBARGEJulien LAPASSET

Impression : Imprimerie DelezenneISSN : 1254 - 9185

À noter page 43 :CONCERT Polar/jazz ou l’Université du Crime

À propos de la science

4-5 Au-delà des rivalités trans-Manche : science et société, quelques pistes par Gérard Toulouse

Les frontières

6-7 De la longue durée en Asie centrale : ou comment délimiter un espace- temps sans limites par Catherine Poujol

Rubriques

8-9 Vivre les sciences, vivre le droit… par Jean-Marie Breuvart 10-11 Paradoxes par Jean-Paul Delahaye12-13 Humeurs par Bernard Maitte 14-15 L’art et la manière par Corinne Melin 16-17 Jeux littéraires par Robert Rapilly 18-20 Mémoires de science par Bernard Maitte33-34 Repenser la politique par Alain Cambier

Dossier « L’université française, enjeux et défis ! »

22 Les enjeux et les défis de l’Université par Valérie Pécresse23-24 Les défis culturels de l’université par Nabil El-Haggar25-27 La LRU : une loi peu courageuse, dangereuse et anti-humaniste par Bernard Maitte28-29 Des réformes de l’université par Rudolf Bkouche30 Éléments de réflexion sur la demande de professionnalisation par Marnix Dressen31 Milton Friedman, Katrina et la LRU par Jean Gadrey

Libres propos

35-38 Qu’est-ce que filmer ce qui, du lieu, a eu lieu ? Présentation de « En remontant la rue Vilin », film de Robert Bober (1992) par Jacques Lemière39-40 Pierre Bourdieu, entre notoriété et reconnaissance par Marie-Anne Lescourret

Au programme

41-42 Rendez-vous d’Archimède : Cycles « Les frontières », « Les secrets de la matière », « À propos de la science »43 Soirée Polar/jazz44-45 Spectacles : « 79 jours – Globalization World Tour » / « Les déracinés du nouveau monde »46 Mise en voix : Annette entre deux pays47-49 Pratiques artistiques : théâtre, danse, concerts, exposition, écriture50-51 Collection Les Rendez-vous d’Archimède : nouvelle parution À propos de la culture

En couverture :Jean-Jacques Dellus in « Compétent dans sa branche »,DVD d’Olivier Bosson, 2004.

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Au-delà des rivalités trans-Manche : science et société, quelques pistes

Par Gérard TOULOUSEPhysicien, École Normale Supérieure, Paris

L’offre d’écrire ici m’est venue en lieu et temps propices. De fait, pour un chercheur français, où pourrait-on

mieux (sinon dans les pages du journal culturel de l’Uni-versité des Sciences et Technologies de Lille) aborder com-paraisons et perspectives franco-britanniques ? Et, pour ma génération, est-il tâche plus pressante que de s’employer à expliciter, au bénéfice des générations montantes, certains enjeux majeurs pour l’avenir ?Le processus de la construction européenne – ce projet pionnier visant à remplacer la guerre par le droit, à l’échelle d’un continent si souvent ravagé dans le passé – est un pré-cieux héritage reçu des générations antérieures, et un réel motif de fierté. Au sein de l’Europe, la Grande-Bretagne et la France, alliées et/ou rivales, forment à l’évidence une paire singulière : premiers États-nations unifiés, anciens empires coloniaux, membres permanents du Conseil de sécurité, dotés du feu nucléaire et de forces armées surabondantes. Or, selon l’expérience passée et l’observation présente, dans les relations du couple franco-britannique subsistent plu-sieurs facteurs d’une dynamique perverse, apte à déliter et détruire. Ces éléments nocifs et leurs engrenages, il nous revient de contribuer à les déceler et démonter, au moins dans notre champ de compétence « science et société ». En somme, il s’agit de mieux élucider le monde afin de ne pas éluder les responsabilités qui s’ imposent, une fois découvertes. Pour commencer, quelques pistes pratiques.

À l’automne 2007, l’association Euroscience a célébré son dixième anniversaire. Son ambition est d’être « la voix de la science en Europe » (Europe au sens large incluant Russie, Caucase, Balkans). Pour information, consulter son site : www.euroscience.org, où se trouve un éclairant docu-ment en français, Naissance et développement d’Euroscience, rédigé par une éminente personnalité fondatrice, Françoise Praderie, astronome parisienne. La courte liste des présidents de la jeune Euroscience comporte le biologiste français Claude Kordon, puis le physicien britannique (ayant acquis aussi la nationalité française) Jean-Patrick Connerade et enfin le géophysicien espagnol Enric Banda, ex-dirigeant de la Fondation européenne de la science (sise à Strasbourg).La langue de travail d’Euroscience étant l’anglais, il est nor-mal que nos collègues britanniques aient, depuis l’origine, piloté les activités de communication. Les liens avec l’im-portante revue Nature sont mutuellement bénéfiques.Une avancée décisive à mettre au crédit d’Euroscience est la création des congrès bisannuels ESOF, forums ouverts de la science européenne, dont voici la série : Stockholm

(2004), Munich (2006), Barcelone (2008), Turin (2010). Avec environ deux mille participants divers, dont quelques centaines de journalistes, ces rencontres offrent un cadre idéal pour mettre en débat tous les thèmes « science et so-ciété », devant des auditoires où se mêlent les divers secteurs sociaux (public, marchand et tiers).

Les Conférences Pugwash pour la science et les affaires mondiales ont célébré en 2007 leur cinquantenaire. Un évé-nement fondateur fut le manifeste Russell-Einstein (1955), suivi, deux ans plus tard, par la tenue à Pugwash (bourgade située en Nouvelle-Écosse) de la première de ces rencontres visant à rétablir un canal de dialogue et d’échange au-dessus des lignes de fracture politique. Noter qu’en 1995, cinquante ans après Hiroshima, Pugwash reçut le prix No-bel de la paix (partagé entre l’organisation et son principal animateur historique, Jo Rotblat). En 1975, le lauréat fut Andrei Sakharov ; en 1985, l’Internationale des médecins contre la guerre nucléaire ; en 2005, l’Agence internationale pour l’énergie atomique. Aviez-vous remarqué la continuité de cette périodicité décennale ? Méconnaissance révélatrice, peu parmi nous semblent en être conscients. Le siège central de Pugwash International est à Londres : quelques pièces minuscules, encombrées d’archives, aux abords du British Museum. Le contraste entre rayonnement spirituel et précarité temporelle est là saisissant. D’autres bureaux sont à Genève, Rome et Washington. Le site de Pugwash : www.pugwash.org est une mine d’informa-tions. En cliquant sur « National Groups », vous observerez qu’une quinzaine de groupes nationaux ont des pages abri-tées, et la comparaison entre les rubriques United Kingdom et France est instructive. En bref, historiquement, si pour Euroscience la France a joué un rôle phare, pour Pugwash ce fut à l’évidence la Grande-Bretagne.Les raisons sont donc fortes pour faire dorénavant usage intelligent de nos complémentarités. Pareille motivation conduisit Pugwash-UK et Pugwash-France à se rapprocher, et à porter un projet collectif pour ESOF-2008 à Barce-lone : « Politique fondée-sur-l’évidence ou évidence fondée-sur-la-politique ? Prises de décision sur les armes nucléaires en Europe ». Cette session d’inspiration trans-Manche, associant Euroscience et Pugwash, est conçue comme un jalon sur une longue route.

La Société européenne de physique décerne, tous les trois ans, un Prix général, la Cecil F. Powell Memorial Medal, dont le lauréat a pour mission de prononcer une allocution

En conférence le 24 avril

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LNA#48 / cycle À propos de la science cycle À propos de la science / LNA#48

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Page 5: les nouvelles d'Archimède #43 · Je veux « l’État chez lui et l’Église chez elle », disait d’ailleurs un certain croyant qui s’appelait Victor Hugo. La laïcité et la

sur le sujet de « physique et société ». Désigné en 1999, lors du congrès tenu à Londres dans le cadre prestigieux de Church House (où se firent les premières réunions du Conseil de sécurité des Nations Unies après-guerre), j’avais choisi de présenter, au seuil du nouveau siècle, un survol comparatif du rôle des Académies et sociétés savantes quant à la prise en charge des problèmes éthiques en science (y compris la protection des lanceurs d’alerte, ces gens qui profèrent des vérités gênantes, à bon escient). Deux publications subsé-quentes, parues sous les titres de The Century of Evaluation 1 et Ethics enters the 21st century 2, sont accessibles via Internet. L’exposé apportait des compléments aux enquêtes abordées dans mon ouvrage antérieur Regards sur l’ éthique des sciences 3. Grosso modo, les comparaisons avec les Académies et so-ciétés savantes, anglo-saxonnes ou scandinaves, en termes de dynamisme et d’ouverture, n’étaient pas à l’avantage des institutions scientifiques françaises, trop souvent vétustes et étriquées. De manière générale, les composantes du tiers secteur dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche restent en France peu développées (malgré des efforts louables çà et là).En résumé, si l’on compare leurs effectifs, ressources et ac-tivités, la Royal Society of London et l’Institute of Physics sont des institutions nettement plus vibrantes et vigoureuses que l’Académie des sciences et la Société française de physi-que. Le Wellcome Trust, puissante fondation active dans le domaine biomédical, n’a pas d’équivalent commensurable en France. Ainsi, sans surprise, le système britannique est-il, selon maints critères, jugé plus performant. Sur la base de ces constats, je voudrais ci-dessous prendre un peu de distance et de recul.

Ce qui est bon pour la science est-il bon pour la société ? Si un pays offre des conditions plus favorables à ses cher-cheurs, ceux-ci en font-ils bon usage, au service de l’humanité ? En somme, peut-on faire confiance, et dans quelle mesure, à telle ou telle communauté scientifique, à son sens des res-ponsabilités ?Si les réponses à ces interrogations tendent à être négatives, alors les divers carcans hexagonaux (Institut de France, bu-reaucratie étatique, archaïsmes sociaux, etc.) peuvent paraî-tre justifiés au titre de moindre mal, comme des moyens de modérer la course galopante des sciences et techniques, et contenir leurs pulsions de transgression.Pareil questionnement me semble légitime et mériter un examen de conscience approfondi (en continuité avec l’ad-mirable chapitre de l’historien Marc Bloch, rédigé pendant

l’été 1940, voir son œuvre posthume L’ étrange défaite). Mieux vaut se garder d’énoncer une réponse hâtive. Voici plutôt quelques faits à prendre en considération. Aux États-Unis, un complexe militaro-industriel-scientifique (décrit dès 1961 par le général président Eisenhower) ne cesse de rappeler combien la science et la technologie ont joué un rôle essentiel pour établir la supériorité militaire de leur nation. Et de marteler sans relâche que le maintien de leur « leadership » et « global dominance » exige de veiller à constamment accroître leur avance dans le domaine de la recherche et de l’innovation. La plupart des organisations scientifiques relaient avec complaisance ce discours, jugé bon pour la profession. En Grande-Bretagne et en France, à leur niveau plus modeste, le mot d’ordre est de « tenir son rang », « garder sa place », en agitant le spectre du dé-clin. Et s’observe la tentation (même au pays d’Astérix) de rivaliser en zèle afin de s’attirer les faveurs de la puissance hégémonique. Bon pour la profession ? Trop indigne vrai-ment ? Pour y réfléchir et réagir, retour plus haut vers les pistes pratiques.

1 Europhysics News, Nov.-Déc. 1999, pp. 127-129.2 Physics World, Nov. 1999, pp. 13-14.3 Éd. Hachette-Littératures, 1998.

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De la longue durée en Asie centrale :ou comment délimiter un espace-temps sans limites

Par Catherine POUJOLProfesseur d’histoire et de civilisation de l’Asie centrale à l’INALCO *, Paris

Bien qu’étant, depuis des siècles, un objet de fascination et de mythification, fermée puis redécouverte de façon

cyclique, l’Asie centrale doit s’étudier de façon rationnelle et efficace, comme une entité géo-historique bien différenciée, avec ses spécificités culturelles, économiques, politiques, ethniques et sociales.

L’ Asie centrale, « notion relative » qui recouvre plusieurs États et sous-unités régionales, change de limites selon l’acception qu’on lui donne. Une définition géographique et stratégique large inclut nécessairement le nord de l’Afghanistan, la région autonome du Xinjiang-ouïgour en République populaire de Chine, ainsi que la Mongolie. Une définition historique, s’inspirant d’un thème récurrent dans la littérature médiévale locale, met en évidence la persistance de la frontière culturelle façonnée par l’Amou-Daria, l’Oxus des Grecs : au-delà du fleuve, au nord, le Touran, futur Turkestan colonial russe, en deçà, au sud, l’Iran...

Toutefois, si son assise historico-culturelle dépasse les limites qui sont celles des nouveaux États indépendants d’aujourd’hui : le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékis-tan, le Tadjikistan et le Turkménistan, l’Asie centrale, dans sa définition restreinte, présente une cohérence indéniable qui lui vient de son passé russe et soviétique qui l’a dotée de ses frontières nationales actuelles. Tout d’abord, l’Asie centrale relève d’une géographie par-ticulière, contraignante, contrastée, brutale. Explorateurs, agents diplomatiques, savants et militaires ont de tout temps décrit la force de la géographie dans une région du monde pourtant dévolue au passage des hommes, des marchandi-ses et des idées. Mettant en scène la fureur des éléments, la contrainte de l’eau qui s’impose par sa rareté dans l’infini des steppes, comme par sa présence faisant s’étirer l’oasis au détour du vide des déserts, le vertige des distances, l’as-pect répétitif des immensités presque dépourvues d’arbres, ils ont salué le savoir-faire des populations qui, depuis plu-sieurs millénaires avant notre ère, ont maîtrisé les technolo-gies d’irrigation artificielle indispensables à leur survie et à leur rayonnement politique et culturel 1.

La force de la géographie, c’est la première chose qui frappe lorsque l’on survole les territoires qui séparent la barrière de l’Oural des contreforts du Pamir ou de l’Indoukouch, cependant qu’entre les langues de sel qui soulignent les col-lines du désert de Karakoum, les lacs violacés, tant l’eau

y est mauvaise, et les hautes chaînes de montagne qui se multiplient en direction des frontières chinoise et afghane, il existe l’espace serein et ordonné des champs de coton, des routes bordées de mûriers, des bosquets de saules aux abords des villages. Les géographes musulmans du temps des Abbassides ne s’y sont pas trompés lorsque, à l’instar d’Ibn Hawqal, ils tenaient la Sogdiane et les régions autour de Boukhara pour les lieux les plus agréables du monde où la nature avait été domptée par les hommes 2. Ceci laisse entrevoir comment l’homme a fait plier le paysage à ses conceptions de la vie agricole et urbaine, ou s’est adapté aux espaces steppiques en pratiquant le pastoralisme extensif. Succession d’images sublimes et inhumaines, les immensités centrasiatiques lui ont forgé un univers mental particulier enraciné dans une géographie sacrée 3 où le passé affleure le présent, où le visible ne dit rien des esprits qui l’habitent.

L’ Asie centrale, c’est aussi une histoire extrêmement riche et tumultueuse, un conservatoire vivant des traditions religieuses et profanes, des mouvements politiques, dy-nastiques et sociaux, des f lux commerciaux, culturels, empilés par le temps, amalgamés, digérés.

Aucun espace n’illustre avec autant de pertinence le concept Braudélien de la longue durée 4. Elle s’y déploie avec d’autant plus d’ampleur que l’équation espace/temps lui est large-ment favorable : immensité des territoires, faible densité humaine et architecturale, prégnance des délimitations géographiques, culturelles, ethniques et sociales, profusion des représentations. Tout cela se conjugue à une profondeur archéologique, historique, pluriculturelle notoire, suggérant une étonnante continuité.

Pourtant, si l’on s’interroge sur la perception de la longue durée en Asie centrale, une réponse vient à l’esprit, inscrite précisément dans la continuité : la rupture et ses contours, la rupture dans l’espace, comme la rupture assumée dans le tissu du temps. En Asie centrale, ces phénomènes de ruptures récurrents, paradoxaux et antinomiques entretien-nent la longue durée en l’inscrivant dans une problémati-que de limites, de fronts et de frontières : le vide/le plein, l’urbain/le rural, le cultivé/le désertique, les hautes terres/les basses terres, le sacré/le profane, le permis/l’illicite, le visible/l’invisible, sans oublier les habitants de ces régions et les lignes de fractures qui les divisent : urbains/ruraux, ex-nomades/sédentaires, hommes/femmes, jeunes/vieux,

En conférence le 29 avril

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croyants par tradition/militants religieux, vivants/ancêtres, et les inscrivent dans le temps : le jour/la nuit, l’hiver/l’été, le présent/le passé, le quotidien/le festif, le vécu/sa mémoi-re.

En Asie centrale, de fait, l’étymologie latine du limès, « che-min, passage », prend un sens emblématique dès lors qu’il ne s’agit pas simplement de délimiter un espace apparemment sans limites, mais de lui appliquer des barrières visibles ou non, un système de représentations convenu, ou un code de comportement permettant de passer d’un point à un autre, de l’espace privé, familial à l’espace communautaire, de la zone cultivée à la zone steppique, du désert à la ville, du lieu connu à l’inconnu. Le tout s’inscrit nécessairement dans une problématique du temps court, construit, conventionnel, séquence infinitésimale structurant la longue durée.

De cette façon, si la question des frontières ou des limites qui organisent l’espace centrasiatique s’inscrit dans le temps long, elle s’articule également en fonction de temps circons-crits, différents ou interrompus. Jusqu’au premier tiers du XXème siècle, deux temps économiques conditionnaient les activités humaines en Asie centrale, le temps des sédentaires, rapide, évolutif, basé sur les échanges, le rythme des saisons agricoles et celui des pasteurs transhumants, paradoxalement plus statique, plus lent, une fois la migration saisonnière effectuée. Ces deux temps, précis et contraignant, ont donc été associés à un espace dont les limites ont augmenté ou régressé, en fonction des différents pouvoirs, ce qui n’exclut pas qu’ils aient été constamment en relation et qu’ils conti-nuent à l’être, ce qui n’empêche pas non plus qu’ils puissent être organisés de façon semblable, malgré des apparences trompeuses.

Ces deux « espace-temps géo-économiques », en symbiose comme en rivalité, qui se partagent l’Asie centrale sur la longue durée, ont été fréquemment déconstruits par des opérations de conquête de moyenne ou de grande envergure. Les ruptures historiques ont impliqué une reconstruction de l’espace-temps, lequel, après une période donnée de tran-sition, a toujours repris ses marques tout en assimilant, à terme, les éléments constitutifs du « Temps nouveau ».

L’histoire intellectuelle et politique s’appuie précisément sur les articulations provoquées par l’irruption plus ou moins violente du « Temps nouveau » dans le « Temps précédent », formant des poches de « temps résiduel » que l’histoire des mentalités permet d’appréhender d’une façon particulière-

ment pertinente. Une fois rapportée au facteur temps, l’histoire sociale, cultu-relle et mentale des populations d’Asie centrale relève d’une géographie des limites et des frontières, visibles et invisibles qui, paradoxalement, réduit plus encore les différences entre le monde du pastoralisme des steppes, même dans sa forme contemporaine rémanente, et celui des oasis agricoles. L’ap-proche privilégiant le rapport entre les frontières spatiales et les limites sociales permet de recréer du sens et du lien dans un espace qui cherche aujourd’hui à se fractionner selon des lignes nationales antagonistes et concurrentes, tout en se positionnant dans un futur dont la légitimité est ancrée dans un passé mythifié et recomposé. Rien n’est simple en

* Institut National des Langues et Civilisations Orientales.

1 Poujol C., « Géographie sacrée de l’Asie centrale » In Hommes et Terres d’Islam, Mélanges offerts à Xavier de Planhol, sous la direction de D. Balland, Tome I, 2000, p. 449.2 Miquel A., La géographie humaine du monde musulman jusqu’au milieu du XIème siècle, III ; Le milieu naturel, Paris, 1980 (Civilisations et sociétés).3 Poujol C., art.cit., pp. 449-469.4 Braudel F., Écrits sur l’ histoire, éd. Flammarion, Paris, 1985.

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Le mobile : L’objet par excellence

Il est banal de définir notre époque comme celle de la mo-bilité. Mais de quelle mobilité parle-t-on ?La mobilité la plus visible est certes celle qui nous fait nous remuer dans les exercices de jogging, mais également dans les transports. Plus profondément, on pourrait distinguer encore, si j’ose dire, deux niveaux plus cachés de mobilité : celui des émotions dans les contacts, et celui, le plus pro-fond, d’une mobilité des esprits, soumis aux lois économi-ques du marché ou aux séductions politiques. L’Internet serait sans doute la meilleure illustration d’une telle mobilité. Nous y convoquons immédiatement, pour notre plus grand plaisir, tous les concepts et les routes que nous désirons à chaque instant. Rappelons les termes les plus utilisés dans la pratique de l’informatique. En un clic, nous passons d’un endroit, voire d’un univers, à un autre. Nous le faisons en empruntant des liens qui, assez parado-xalement, nous libèrent de toute contrainte. De puissants moteurs de recherche nous aident ainsi à surfer librement sur le « filet » du Net. Or, cette fluidité mentale ne peut se réaliser qu’en s’appuyant sur des instants bien précis. C’est dans le désir même de tout posséder à chacun de ces instants que nous évoluons d’une possession à l’autre, au gré des images et de tout ce qu’elles évoquent. En fait, c’est une possession sans cesse différée qui reste le véritable « moteur » de notre recherche. Vivre l’instantané, c’est à la fois suivre ces routes et les aban-donner pour d’autres, d’instant en instant. Or, ce que P. Virilio appelait naguère l ’art du moteur 1

trouve maintenant à s’exercer sur des supports itinérants, que ce soit le portable ou le mobile, objets dans lesquels leurs constructeurs ont infusé ce que l’on pourrait appeler l’esprit Internet. En contraste, l’infrastructure hard de leur libre fonctionnement, l’espace de communication soumis à un quadrillage toujours plus poussé, permettent de multiplier à l’infini ces objets, en les réduisant à un « point » fragile dans un océan d’interrelations multiples à la fois réel et inconnu comme tel. Ce qui est visé par le constructeur, ce n’est pas seulement de réduire la taille de l’objet aux dimensions d’une main, c’est d’y condenser tout son espace à vivre, au contact d’un monde à la fois toujours le même et toujours changeant. On pourrait emprunter ici aux psychopédagogues le concept bien connu d’ « objet transitionnel » : le « doudou » de fixation de tous les désirs, l’objet que l’on peut réduire à sa plus simple expression sans jamais le détruire pour autant.

Le « mobile » serait, sous cet angle, l’objet transitionnel par excellence. Par sa technologie, il remplit à la perfection cette fonction de cristallisation des désirs, en répondant instan-tanément à toutes les situations désirantes, et ce à l’échelle du « monde » ainsi possédé.Cette fonction du mobile s’accompagne cependant d’un changement radical dans la façon même de penser : contrai-rement au « doudou », tous les mobiles se ressemblent. Le « mobile » serait donc à la fois ce qui est le plus personnel, voire le plus verrouillé, et en même temps le plus commun dans l’acte même de vibrer aux autres émotions en une rhé-torique commune, symbolisée par le texto. C’est donc dans l’acte le plus individuel d’une émotion per-sonnelle que se manifeste en même temps l’universel d’une technologie enserrant tout l’espace terrestre. Nos émotions sont alors dilatées à l’échelle du monde, et cela sous la forme la plus individualiste qui soit de notre désir : celui, faustien, de posséder le monde à soi seul.

La grande fracture des générations

La question se complique cependant par la cohabitation de multiples générations. L’enracinement dont parlait en son temps la philosophe Simone Weil 2 était l’idéal recherché par les générations plus anciennes, ayant connu la pire des mo-bilités, celle des deux dernières guerres mondiales, mobilité contrainte des convois et migrations de toutes sortes. De ce point de vue, la culture, définie depuis longtemps par H. Arendt comme étant « en crise », pouvait jouer le rôle de stabilisateur. Être cultivé, cela signifiait retrouver dans le magma des multiples mouvements la référence unique d’un regard concret, « enraciné » dans une histoire bien précise. La culture aurait ainsi un certain « poids » stabilisateur, un centre de gravité autorisant une mémoire fidèle d’humanité.On peut, de ce point de vue, considérer le « devoir de mémoire » comme le dernier avatar de cette recherche constante de sta-bilité dans l’évolution même de l’humanité. Il y aurait alors une sorte de connivence entre les générations passées et celles d’aujourd’hui. Être fidèle à ce passé, ce serait sortir du piège de l’instantané que nous offre la technologie, pour retrouver, par exemple, dans le flux des images, celles, plus anciennes, qui nous ont faits ce que nous sommes actuellement. C’est précisément un tel désir de stabilisation qui conduit sans doute un certain nombre d’hommes d’aujourd’hui à s’inté-resser à l’histoire, et singulièrement à celle de leurs familles, dont chacune est alors considérée à la fois dans sa spécificité et dans son contexte social.

Du dernier cri de l’objet... Jusqu’au dernier souffle du sujet ?

PhilosophePar Jean-Marie BREUVART

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Or, la technologie appliquée aux objets n’emprunte-t-elle pas un chemin opposé ? Ce serait un refus de cette stabilité, vécue comme une pesanteur. Le mouvement se manifeste ainsi comme une façon commode de vivre en a-pesanteur, dans un monde sans mémoire et sans qualité. Vivre en a-pesanteur, cela signifie communiquer sans attache à un passé, dans une actualité intense et toujours différente. L’image télévisuelle que se partagent des millions de per-sonnes se diffracte en réalité dans des actes multiples de « zappage ». Images publiques et photos privées s’entre-mêlent ainsi, traçant pour chacun des chemins imprévisi-bles, hors des « sentiers battus » par les siècles.Il y aurait donc les générations « enracinées » et les généra-tions volontairement « déracinées » : libérées de tout « devoir de mémoire », acceptant librement d’être à la fois partout et nulle part dans l’espace et dans le temps. Ne serait-ce pas le sens profond de la nouvelle fracture intergénérationnelle ? Non plus seulement la classique difficulté à se comprendre mutuellement, mais l’opposition entre deux modèles de vie à jamais irréconciliables : celui de l’adhésion fidèle à une culture donnée, et celui d’un refus tout aussi fort de cette même culture. Certes, il y a ceux, utopistes, qui pensent qu’un plus de technologie finira bien un jour par le plus d’une politique de civilisation. Selon cette optique, la multiplication même des mouvements s’accompagnerait de rencontres nouvelles, de découvertes de différences, ramenant finalement chacun à lui-même, dans une volonté de faire coïncider en soi l’uni-versalité de la communication et l’universel de la morale. En revanche, la logique même du marché semble conduire à développer, non seulement le mouvement des rencontres et des événements divers, mais ce que j’appellerais une « mobi-lité de la mobilité », une accélération du mouvement dictée par la poussée technologique, encouragée également par la pression sociale et politique visant à plus de changement.Il est vrai que l’on peut constater des moments d’apparente réconciliation entre tous. Ce sont les grands rites communs, par exemple tout événement sportif ou médiatique faisant vibrer ensemble toute la planète. C’est sans doute la raison pour laquelle le réseau des mobiles lui-même peut être sa-turé, lorsque la communion est celle d’un seul instant, au passage à l’année nouvelle par exemple.Reste alors à continuer de vivre, en oubliant, jusqu’à « l’évé-nement » suivant, cet instant de communion. Entre les deux, il n’y aurait guère que la vie elle-même, vivant son propre souffle en une solitude extrême. Sans même aller

jusqu’à l’ennui « mortel », chacun en reste à la question d’un lien culturel qui ne se réduirait pas à de simples éclairs instantanés.

Le droit comme appel à patience intergénérationnelle

Devant une telle désagrégation de la personne, le droit ap-paraîtra à la fois comme le seul recours, et comme un pallia-tif dérisoire. Il s’agit au moins de maintenir la mobilité dans des limites qui laissent leur place aux désirs les plus vitaux, et finalement les plus universels.Certes, on ne peut réglementer par une loi le foisonnement même des mobiles couplé à celui d’Internet ; on ne peut non plus surveiller la quantité quasi infinie d’actes quoti-diens de communication. Reste simplement au législateur à sauvegarder l’essentiel : la capacité pour chacun de définir le sens qu’il veut donner à ces actes, sans céder à l’obsession d’accélération « tétanisée » qu’engendre quasi nécessairement la société marchande. Cela suppose sans doute à la fois un meilleur contrôle des modalités de publicité et de crédit, et une redéfinition d’espaces culturels bien localisés, en al-ternative par rapport à ce que naguère on avait appelé la communication anonyme.Car, il reste finalement, dans le tourbillon même des offres qui nous sont faites, la nécessité d’une respiration, d’un rythme qui fasse revenir chacun à soi-même, pour avancer à la fois vers la vie désirante et sa satisfaction. Tel est après tout le sens de la loi, et de l’homme politique qui veille à en maintenir l’esprit : permettre une authentique cohabita-tion entre générations, en veillant à ce que ne s’éteigne, en aucune, l’espoir de vivre.

1 P. Virilio, L’art du moteur, Galilée, 1993. Cf. également, du même auteur, La vitesse de libération, Galilée, 1995, et toute la réflexion sur la dromologie comme art de la course.

2 S. Weil, L’enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’ être humain, écrit à Londres en 1942, et publié ensuite en 1950 chez Gallimard.

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Professeur à l’Université des Sciences et Technologies de Lille *

Paradoxesrubrique de divertissements mathématiques pour ceux qui aiment se prendre la tête

* Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille,UMR CNRS 8022, Bât. M3

Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine de nombreux progrès mathématiques. notre but est de vous provoquer et de vous faire réfléchir. Si vous pensez avoir une explication des paradoxes proposés, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à l’Espace Culture de l’uSTL ou à l’adresse électronique [email protected]).

LE PARADOxE PRéCéDENT : LES VENDREDIS 13

Rappel de l’énoncé

La fréquence des vendredis 13 mérite d’être étudiée avec soin. Le bon sens souffle qu’il n’y a aucune raison pour que le 13 d’un mois soit plus souvent un vendredi qu’un lundi ou que n’importe quel autre jour de la semaine.

Une règle de 3 conduit à l’affirmation que « le 13 d’un mois est un vendredi une fois tous les sept mois en moyenne » et, qu’en conséquence, leur fréquence par an est de 12/7, c’est-à-dire 1,7142857.

C’est faux ! Il y a plus de vendredis 13 que de lundis 13, de mardis 13, de mercredis 13, de jeudis 13, de samedis 13 et de dimanches 13.

Le nombre moyen de vendredis 13 chaque année est précisé-ment : 1,72 et non pas 1,7142857.

Saurez-vous expliquer pourquoi ?

Voici un indice : l’explication est liée au fait – paradoxal lui aussi – que le 6 octobre 1582, aucun enfant ne vit le jour en Espagne, au Portugal et en Italie.

Solution

Virginie Delsart et Nicolas Vaneecloo ont trouvé la solution et me l’ont fait parvenir à peine le précédent numéro paru : bravo. Jef van Staeyen a aussi trouvé la solution en faisant un calcul à la main.

L’explication de ce paradoxe du calendrier demande un peu d’attention et un retour en arrière dans le temps. Comme vous le savez sans doute, le calendrier Julien (du nom de Jules César), qu’on utilisait en Europe jusqu’en 1592, avait le défaut de proposer trop d’années bissextiles. Dans ce ca-lendrier, les années bissextiles sont toutes les années multi-ples de 4. Ce trop grand nombre d’années bissextiles avait créé un décalage entre l’année officielle et l’année véritable

(et donc les saisons), ce qui finissait par être gênant. Le pape Grégoire XIII, conseillé par le savant Aloysius Lilus, imagina donc de modifier la règle des années bissextiles. Dans le nou-veau calendrier Grégorien qu’il promulgua, la règle est :

- une année est bissextile si c’est un multiple de 4 qui n’est pas un multiple de 100, à l’exception des années multiples de 400 qui restent bissextiles.

Il en résulte par exemple que 1900 et 2100 ne sont pas bis-sextiles, mais que 2000 l’est.

Pour le démarrage du nouveau calendrier, on remit l’année officielle en phase avec les saisons et il fut donc décrété que l’on passerait directement du 4 octobre 1582 au 15 octobre 1582. En Espagne, au Portugal et en Italie, qui suivirent la réforme de Grégoire XIII, il n’y eu donc aucune naissance le 5 octobre 1582, et il n’y en eu pas plus d’ailleurs durant toute la période du 6 au 14 octobre de la même année qui, en quelque sorte, n’existe pas.

Le calendrier Grégorien possède une caractéristique remar-quable : il est périodique. Précisément tous les 400 ans, il recommence exactement selon la même séquence, de jours, de semaines et de mois. La raison en est simple : le nombre de jours dans une période de 400 ans est un multiple de 7. Montrons-le.

Le nombre d’années bissextiles en 400 ans est 100 - 3 = 97. En 400 ans, le nombre de jours est donc 97 x 366 + 303 x 365 = 35502 + 110595 = 146097 = 20871 x 7. Il y a donc exactement 20871 semaines dans une période de 400 ans du calendrier Grégorien.

Pour savoir si le vendredi 13 est plus fréquent que le lundi 13 ou un autre jour, il faut donc parcourir les 400 années d’un cycle du calendrier Grégorien et faire le compte. L’information que le 1er janvier 2000 est un samedi est utile pour ce calcul.

Un programme d’ordinateur de quelques lignes (ou un patient calcul à la main) conduit au résultat suivant. Lors du déroulement d’une période de 400 ans du calendrier Grégorien :

Par Jean-Paul DELAHAYE

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le nombre de lundis 13 est 685le nombre de mardis 13 est 685le nombre de mercredis 13 est 687le nombre de jeudis 13 est 684le nombre de vendredis 13 est 688le nombre de samedis 13 est 684le nombre de dimanches 13 est 687

(Le total 685 + 685 + 687 + 684 + 688 + 684 + 687 vaut 4800, ce qui est bien le nombre de mois nécessaires pour faire 400 ans.)

Les vendredis 13 sont donc bien les plus fréquents !

Note : concernant les jours supprimés, l ’histoire est un peu compliquée car l’adoption du calendrier Grégorien ne fut pas simultanée, même en Europe. En France, par exemple, les jours supprimés furent ceux situés entre le dimanche 9 décembre 1582 et le lundi 20 décembre 1582. Dans le Royaume Britannique, le calendrier Grégorien ne fut adopté qu’en 1752. Ce retard obligea à supprimer non plus 10 jours, mais 11, qui furent ceux placés entre le mercredi 2 septembre 1752 et le jeudi 14 septembre 1752.

NOUVEAU PARADOxE : UN CALCUL RéVOLUTIONNAIRE

- Calculer la racine carrée d’un nombre n de 80 chiffres n’est pas très simple, même si on sait que l’entier n est un carré parfait (n = m2).

- Calculer la racine treizième d’un nombre n de 100 chiffres est encore plus compliqué, même si on sait que n est une puissance treizième exacte d’entier (n = m13). C’est même certainement impossible de tête.

- Que penser alors du calcul de la racine 1789-ème d’un nombre n de 7000 chiffres, même en sachant que n est une puissance 1789-ème exacte (n = m1789). Réussir un tel calcul de tête constituerait une révolution !

Cela semble paradoxal, mais le troisième exercice est le plus simple : vous pouvez d’ailleurs le faire vous-même.

Le second calcul est difficile sans papier, mais quelques amateurs de calcul mental en sont capables. Le premier exercice, lui, n’est, semble-t-il, pas humainement possible de tête : même les plus grands calculateurs prodiges de l’his-

toire n’ont jamais réussi l’extraction de la racine carrée de nombres de 80 chiffres.

Ce qui semble le plus difficile à première vue est en réalité le plus facile : c’est le paradoxe de la fausse difficulté.

Vous devez expliquer pourquoi il en est ainsi, et découvrir la méthode permettant de calculer la racine 1789-ème d’un nombre de 7000 chiffres.

Si vous trouvez cela trop compliqué, attaquez-vous d’abord au paradoxe lexical suivant. Pourquoi est-il faux que la ra-cine treizième du nombre a est le nombre b qui, multiplié treize fois par lui-même, donne a ?

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Nous avions laissé le lecteur sur l’évocation d’une ten-sion entre l’homogène des dossiers propre au monde

administré et le singulier de la rencontre. Il reste, dès lors, à rappeler l’ancienneté de cette question et, surtout, les tentatives courageuses et opiniâtres, le plus souvent à contre courant, qui ont animé et qui animent toujours des lieux d’enseignement, d’éducation et de soin. Depuis notre dernière rubrique, nous avons tous en tête l’appel au plus haut sommet de l’État à une évaluation du travail ministériel que les media unanimes ont rapproché des bulletins trimestriels des collégiens. Infantilisation ou absence d’une culture de l’évaluation à ce niveau ? On sem-ble avoir oublié ce qu’avait souligné Freud à propos des trois « métiers impossibles » : éduquer, soigner, gouverner, trois pratiques dont on ne peut évaluer finement les effets que sur une longue durée et avec des critères à élaborer de l’intérieur, suivant une dynamique institutionnelle sur laquelle il convient de porter l’attention.

Classiquement, on se référera à la distinction que faisait, il y a un demi-siècle, le psychiatre catalan François Tosquel-les, nourri de son expérience libertaire et analytique : il y a les établissements où nous travaillons (écoles, cliniques, hôpitaux, centres d’accueil, foyers, maisons, etc.) et ce qui structure, traverse, enveloppe ces établissements que l’on appelle institution. Il s’agit d’un très vieux mot qu’il fau-drait entendre, mais c’est impossible, comme un gérondif anglais. C’est un processus, c’est-à-dire un événement, une histoire, mais une histoire qui fait trace. Dans l’insti-tution, il y a l’instituant et l’institué. Quand vous prenez vos fonctions pour la première fois dans un établissement ou, comme on dit encore, dans une « structure », vous découvrez de l’institué, c’est-à-dire du donné, un état de choses et des lieux à un moment déterminé. L’instituant est du côté non du donné, mais du construit : c’est la vie qui traverse la structure à partir d’une pratique collective. Le type idéal de l’institution dans cette acception, c’est le moment où les États Généraux du royaume de France, en 1789, s’instituent en assemblée nationale constituante. L’exemple est massif et intimidant et semblerait vouloir dire que l’institution, c’est la révolution permanente. Pas nécessairement ! D’ailleurs, ce n’est pas dans un contexte révolutionnaire qu’on parlait au Moyen Âge, chez les lettrés, d’ « instituer la vie » (instituere vitam). Instituer la vie (processus génético-physico-chimique, en tant que tel anonyme), c’est d’abord nommer et présenter celui qui

vient au monde, le neos, comme le disaient les Grecs. Ins-titution, nomination, mais aussi inscription en un sens, la plupart du temps, non plus seulement symbolique, mais rigoureusement empirique : écriture sur un registre pa-roissial ou d’état civil. Inscription symbolique du vivant dans la chaîne des générations, dans l’ordre généalogique. Cette institution de la vie continue tout au long de l’exis-tence. Car la famille est institution, comme l’école, raison pour laquelle on avait, jusqu’à une date récente, retenu le beau nom d’instituteur. Il est donc de toute première importance que l’institution reste vivante, ne se nécrose pas, sous quelque nom que vous lui donnerez : administration, bureaucratie, pratico-inerte, etc. Or, c’est bien lorsque l’ins-titution se cloisonne, se referme, s’homogénise, se totalise, se réifie, qu’apparaissent les premiers symptômes, les pre-mières souffrances.

J’ai déjà mentionné le primat de l’administration homogène sur la rencontre singulière. C’est dire l’importance de la fonction d’accueil dans un établissement de soins. Ici, nous pensons aux cliniques de soins psychiques dont la clinique de La Borde reste à cet égard encore pionnière. L’accueil, ce peut être une assemblée générale hebdomadaire des person-nels et des pensionnaires où les nouveaux venus ou les visi-teurs sont plongés directement dans des discussions fines et animées sur la vie de l’établissement, ses projets, ses équi-pements, son fonctionnement. À l’issue d’une telle réunion, immergé dans un flot d’informations et d’affects, le « nou-veau » se présente à son tour. Accueil aussi tout au long du parcours. Accueil dans des lieux distincts, chacun avec sa touche « pathique ». Et ici, il faudrait pouvoir évoquer plus longuement ce travail minutieux où la « pathoplastie » est à la psychiatrie ce que l’asepsie est à la chirurgie. Toute la dimension du pathique, de l’éprouvé (pathein), voire du souffrir (pathologie) est évidemment, la plupart du temps, mise entre parenthèses, évacuée, comme dans les exper-tises où l’on fait comme dans une recherche universitaire : on thématise. Il n’y a pas que les chercheurs qui théma-tisent. C’est devenu un exercice obligé : on évalue comme on thématise. Alors qu’il faudrait, comme le recommandait Levinas, « faire valoir le privilège de l’interlocuteur sur le thème ». Faire droit au pathique, faire droit à l’interlocuteur. Au registre du pathique, de la pathoplastie : la distinctivi-té, le fait que certains patients élisent tel coin plutôt qu’un autre. Encore faut-il que cette distinctivité existe, soit pré-servée, ménagée. L’homogène, c’est aussi l’homogène des

La souffrance au travail : éléments d’analyse institutionnelle *

Par Jean-François REYPhilosophe, professeur à l’IUFM de Lille

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couloirs et des portes, des couleurs, de telle sorte que tout y revient au même. Aucune affinité élective avec un lieu par-ticulier, appelé dans ce cas précisément : impersonnel. Sauf à y rencontrer de l’autre, de l’altérité, c’est-à-dire encore de la distinctivité. Tout dépend alors de ce sur quoi repose la distinction. Est-elle de nature biographique ou est-elle de nature hiérarchique ?

C’est ici que l’investissement de chacun se heurte à un cloi-sonnement invisible. Celui des statuts. Il convient de faire une distinction capitale entre fonction et statut. Il n’y a rien de pire que quelqu’un qui se prend pour ce qu’il est, c’est-à-dire pour son statut, véritable position fétiche. On pourrait aussi bien l’appeler principe d’identité si l’expression n’avait pas une dignité philosophique. Appelons-la « principe de Fernand Reynaud ». Dans un de ses sketches, celui-ci répète sans arrêt : « je ne suis pas un imbécile puisque je suis douanier ! ». Dans nos établissements universitaires, beau-coup passent leur temps à se rabattre sur leur statut. C’est ici que nous avons à être attentifs à ce qui se passe ailleurs, pas si loin. Dans la psychothérapie institutionnelle, lorsqu’un soignant cesse d’être un pur psychiatre pour organiser, par exemple, une simple écoute musicale dans un coin protégé de la clinique, il arrivera peut être que quelque chose bouge chez un patient pour qui les soins classiques étaient restés sans effet. Tel autre proposera une balade en vélo ou la visite d’une exposition. Autrement dit, chacun est porteur de beaucoup plus que des années de formation universitaire qui lui ont conféré son titre et son statut. Or, de telles compétences non-universitaires, non évaluées, voire inévaluables, peuvent très bien rester inemployées ou clan-destines. La souffrance, dans ce cas, viendra de cette clan-destinité même, de cette absence de sollicitation. Dans ce cas, l’institution n’institue plus, elle se fige en titres, statuts, carrières. L’effet de cette vision statutaire des compétences est de bloquer les échanges, de mutiler les rencontres. Bien sûr, on contourne sans cesse ces barrières. Mais elles sont dans la tête de ceux qu’on a formé à les édifier et à les dé-fendre. Telles sont les raisons pour lesquelles, en ce qui me concerne, je reste attaché à toute tentative pour dissocier la hiérarchie « subjectale », ou fonctionnelle, de chacun de la hiérarchie statutaire qui sert de refuge et d’alibi à l’irrespon-sabilité et à la résistance au changement.

On aura compris, je l’espère, que, à rapprocher ainsi les dis-ciplines, les champs et les cultures, surtout celles qui ne se

* Cet article a été publié en deux parties (retrouvez la première partie dans le n° 47 des Nouvelles d ’Archimède ou sur le site de l ’Espace Culture : www.univ-lille1.fr/culture rubrique Publications, la revue).

rencontrent que furtivement, on se voue nécessairement à l’interdisciplinarité, dont l’avènement, fût-ce à contre cou-rant, d’une véritable psychopédagogie institutionnelle serait un premier acte. Les outils, les dispositifs pour traiter la souffrance au travail existent. Ils n’attendent que leur prise en mains résolue dans nos différents établissements de formation.

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Les coupes sévères du budget de la culture annoncées fin 2007 (6 à 7 % : grandes institutions, 30 % : Direction

Régionale des Affaires Culturelles, etc.) indiquent que l’avenir proche risque d’être bien difficile. Et il le sera surtout pour les petites et moyennes structures. (Les 6-7 % en moins des grandes institutions seront vite absorbés dans l’activité globale). Est-ce que cela signifie (en partie) qu’il y a trop d’offres et pas assez de demandes ? Faut-il alors accroître la diversité de l’offre ? Faut-il aller vers une mutualisation de certains équipements ? Comment penser ces mutations à l’échelle régionale, départementale, locale ? Faut-il prendre en compte et valoriser la diversité (au sens anthropologi-

Par Corinne MELINHistorienne d’art contemporain

« Sans titre », photographie de Pierre M

ichel, janvier 2007

que) des agents culturels sur nos territoires et au regard des pays européens ? Si la culture est placée sous l’ère du change-ment, ne peut-on modifier la façon dont se pensent et s’éla-borent les politiques culturelles ? En faisant en sorte, par exemple, que l’agent culturel participe à leurs constitutions ? Comment alors développer une participation citoyenne à la culture ? Encore, ne faudrait-il pas que la culture s’érige en un droit afin que le flou qui la caractérise s’estompe ? Et si nous prenions ces risques ?

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Altitude et profondeur /

Marcel BénaBou

(La Bibliothèque Oulipienne, n°103)

L’ inv e n t e u r d e l’alexandrin greffé, de la locurime, de la littérature dé-f initionnelle, des bris de mots, de l’acrostiche univer-sel, de l’alexandrin oral, des locutions

introuvables, c’est Marcel BénaBou. Écoutons-le, imparable, nous convaincre que si un feuillet de Lulli culmine au zénith, une page à juppé plonge aux abysses… Dès lors, nous aurons compris pourquoi architectes et maçons ont si solidement arrimé le beffroi de l’hôtel de ville de Lille !Vous en doutez ? Démonstration sur le champ.

Littera-ture

Aux origines de la littérature il y a, comme chacun sait, des lettres. Ou plutôt, au commencement de la littéra-ture, il y a – chacun peut le voir à l’œil nu – le mot littera, qui désigne en latin la lettre. De cette réalité difficilement contournable, il a été fort continûment – mais fort diversement – tenu compte dans l’histoire plusieurs fois millénaire de la littérature. Ainsi est née très tôt l’idée que les lettres ne peuvent être sans influence sur la nature des mots dans la composition desquels elles entrent, et qu’à ce titre elles ont la capa-cité d’imiter, ou de mimer, les objets qu’elles nomment. On s’est donc beau-coup intéressé, chez les linguistes comme chez les écrivains (et pas seulement chez les poètes), à la valeur phonétique des lettres. Mais on n’en a pas négligé pour autant l’aspect visuel des choses. De Platon à Claudel en passant par la Cabale et Mallarmé (pour ne citer que les noms les plus marquants), nom-breux ont été ceux qui, hantés par la nostalgie des hiéroglyphes égyptiens ou des idéogrammes chinois, ont établi

un lien très fort entre les objets et leur représentation graphique. En apostille à cette vénérable lignée, je souhaite ins-crire les très modestes remarques qui suivent : elles proposent une classifi-cation des mots de la langue française selon la forme des lettres qui entrent dans leur composition.

Cette classification s’appuiera exclu-sivement sur l’examen des consonnes. Il est en effet traditionnellement admis que les consonnes constituent la char-pente, l’élément stable des mots, les voyelles ayant surtout pour fonction de permettre la flexion. Une vérité que Claudel a exprimée un peu différem-ment : « La consonne est l’élément essentiel ; c’est elle qui donne au mot son énergie, son dessin, son acte, la voyelle représentant l’élément unique-ment musical. » (Paul Claudel, Œuvres en prose, La Pléiade, 1991)

Une série de définitions

On partira de la constatation élé-mentaire suivante : au point de vue typographique, et en se limitant stric-tement aux caractères d’imprimerie dits « bas de casse », les consonnes du français peuvent se regrouper en trois classes :1) les consonnes à hampe : b, k, f, h, k, l, t ;2) les consonnes à queue ou jambage : g, j, p, q, y (quand il est consonne) ;3) les consonnes sans hampe ni jam-bage : c, m, n, r, s, v, w, x, z.On appellera « consonnes d’altitude » les consonnes de la première classe, « consonnes de profondeur » celles de la seconde et, tout naturellement, « consonnes de surface » celles de la troisième.

(…)

Comportement des diverses catégories de mots

Selon la catégorie à laquelle ils ap-partiennent, les mots présentent des différences de comportement notables, que l’on peut ainsi caractériser :- un mot élevé est susceptible de voler (surtout s’il a des l) ;

- un mot profond est susceptible de plonger, voire de couler ;- un mot plat est susceptible de flotter.Exemples :- l’abeille et la libellule volent ;- un bateau vole, une flotte vole ;- un avion, ou plus généralement l’avia-tion, flotte ;- parmi les oiseaux, il y a ceux qui, com-me la hulotte, volent, ceux qui, comme le moineau, flottent, et ceux qui, comme le papegai, plongent ;- un navire, un vaisseau, une embar-cation flottent ; le comportement de la barque pose un problème : on ne peut pas sérieusement dire si elle vole, si elle flotte, ou si elle coule.

Quelques conséquences des consta-tations précédentes :- le beffroi de l’hôtel de ville de Lille (surtout si on y met de Gaulle) est prêt à s’envoler ;- la cave de la mairie d’arras est flot-tante ;- le garage du pape à gap ou à prague plonge.

(…)

De la définition

Il semble raisonnable, par souci d’homogénéité, de définir des mots d’une catégorie donnée en n’utilisant que des mots de même catégorie.Exemples :bluff : fable failliblediable : futilité abbatiale due au folklorefidélité : habitude futilehallali : buffle affolé et étouffémémoires : réminiscences acrimonieu-ses consacrées à crier casse-cousarcasme : semonce ricaneusescénario : romance révérencieusetabloïd : libelle débile de faible fiabilité

Exercice : donner une définition ho-mogène des quelques mots suivants : kabbale, kabuki, libido, blablabla, habitat, badaud, édilité, additif, ballade, boutade, khalife.

[…]

Marcel Bénabou

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les nuAges de pAris /

François caradec

(Maurice Nadeau, 2007)

À parcourir l’article foisonnant du site www.oulipo.net/ sur François caradec, né en 1924, on le découvrira Régent d u c o l l è g e d e ‘Pa t a ph y s i q u e , Papou sur France-

Culture, Oulipien depuis 1983, biogra-phe d’Isidore Ducasse, d’Alfred Jarry, de Raymond Roussel, d’Alphonse Allais, bibliographe de Boris Vian, historien de la bd, auteur de bandes dessinées en prose, d’ouvrages érudits sur les Pastiches et Mystifications et sur l’argot moderne, éditeur des œuvres complètes d’Allais, mais aussi d’ écrivains oubliés.

Rue de Verneuil

À la maison des Écrivainsnous étions aujourd’hui quatre.

J’apprends que dans un étage erreune jeune et belle étrange.

Elle arrive de sa Bohèmeelle est seule et cherche un pot.

Si j’étais certain qu’elle m’aimej’irais bien lui porter moi.

Entendez-vous, rue de Verneuil, les « rimes voilées » de Caradec répondre à l’ injonction poétique de Mallarmé : dire la chose sans la nommer ?

Publiés en 2007 chez Maurice nadeau (135, rue Saint Martin 75004 Paris), les nuages de Paris rendent hommage à quelques poètes qui aujourd’ hui ne reconnaîtraient plus leur ville : Coppée, Queneau, Perec (cf. article de Jacques Lemière page 35). Cependant, extra-ordinaire Lectrice ou Lecteur, tu aimeras encore longtemps les nuages qui passent… là-bas… les merveilleux nuages de Paris de François Caradec.

Ci-dessus : François Caradec & les oulipotes.

Haut : Assis : Bénabou, Caradec, Salon.Au second plan : Le Tellier, Beaudouin, Jouet, Garréta.

par Robert Rapilly http://robert.rapilly.free.fr/

Le point du jour

Je vous parle d’un temps que vous n’avez pas connudu lever du jour quand la nuit devient grisequand les premiers cafés fument sur le zincet passent à bicyclette les patrouilles du sommeilles camions cahotant vers les Halleslaissant leurs empreintes de choux-fleurs et de pommessur le pavé luisant de la rosée urbainequand derrière les portes cochères entrouvertes les concierges engourdiestraînent sur le trottoir les poubelles bruyantesque fouillent les chiftirs à la lueur des lanternesquand le jour est un espoir qui naîtcelui d’une caresse et peut-être d’un cride l’aventure inattendue de la vie quotidienne.

Le Bac à fleurs

Comme une puce entre deux onglescomme le xylophage entre l’arbre et l’écorcecomme deux entre un et troiscomme un vers de Roussel entre parenthèsescomme le temps écoulé entre 13 h 59 et 14 heurescomme une jeune femme entre deux âgescomme un brin d’herbe entre deux pavés

coincé entre deux immeubles au 22 rue du Bacun minuscule fleuristeune demi-porte un quart de vitrine six tulipesun pot de réséda.

François Caradec

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Les sciences contemporaines se sont spécialisées en disciplines précises et relativement étanches. Il existe

cependant des notions transfrontalières qui peuvent relier des aspects éloignés les uns des autres, les présenter à des niveaux différents et permettre de découvrir de fécondes connivences. C’est le cas de la symétrie. En effet, l’immen-se diversité des phénomènes étudiés par les sciences et les variétés changeantes qu’elles décrivent peu-vent révéler à l’examen des identités ou des parentés de structure exprimées par des lois de symétrie. Ces lois, si générales, s’appliquent à des objets de natures, d’échelles, de niveaux très diffé-rents. Et, même lorsqu’elle s’avère incapable de décrire correctement le phénomène étudié, la notion de symétrie reste souvent d’une grande utilité, si l’on veut bien admettre que décrire et analyser une dissymétrie ne peut se faire qu’en prenant la mesure de son écart par rapport à un idéal de sy-métrie. Rappeler la manière dont fut construite cette notion dans les sciences exactes et naturelles, dont furent dé-nombrés les groupes de symétrie, dont ils furent appliqués, me semble pertinent à une époque où la science internationale souffre d’une dangereuse uniformisation et où les discours ministériels – mais pas seulement – prônent d’asservir la recherche scientifique au dictat de l’application.

Dans la science moderne, celle des « mécènes », qui se développe à partir du XVIIème siècle, les contextes dans lesquels fut pensé le concept de symétrie sont particulière-ment divers. C’est en relation à la fois avec le platonisme, l’aristotélisme et l’atomisme antiques et médiévaux – et avec une bonne dose de mysticisme – que Johann Ke-pler pose, dans la Strena (1609), le problème de la forme hexagonale des flocons de neige, celle des cristaux de quartz, mais aussi l’aspect rhomboédrique des pépins de grenades. C’est par l’observation au microscope de la croissance cristalline des sels que Robert Hooke, dans la Micrographia (1660), déduit l’hypothèse de leur structure, constituée selon lui par l’empilement de petites sphères encore inaccessibles à la vue. Christiaan Huygens développe ces prémices en 1690 dans son Traité de la

lumière : il veut y expliquer par sa théorie ondulatoire de la lumière la biréfringence de la calcite, récemment décou-verte. Il remarque que le dédoublement des rayons réfractés est lié à la forme extérieure rhomboédrique du cristal : un tel rhomboèdre posé sur une droite tracée sur une feuille de papier dédouble cette droite, mais le dédoublement est

maximal quand la droite est bissectrice des angles ob-tus de la base du cristal, nul quand elle est bis-

sectrice à des angles aigus… et comme les clivages de la calcite se font toujours de

manière rhomboédrique, Huygens in-fère que biréfringence, forme cristal-line, clivages symétriques sont dus à un assemblage tripériodique de petites masses, possédant la même symétrie. Cette conjecture lui per-met de calculer des conséquences, de vérifier quelles biréfringences doivent posséder des lames parti-culières taillées dans le cristal et de postuler que les cristaux de quartz,

de mica doivent être biréfringents. Cette théorie physique explicative

et prédictive tombera dans l’oubli, condamnée qu’elle est par Isaac Newton,

qui use de son autorité pour affirmer – à tort constateront les physiciens un siècle plus

tard – que les prédicats de Huygens ne sont pas vérifiés par l’expérience.

Les chimistes puis les naturalistes du XVIIIème siècle vont prendre le relais de la construction de la notion de symé-trie. Ces derniers le font dans l’ignorance des travaux effec-tués par les physiciens du XVIIème : Romé de l’Isle se place dans la filiation du sensualisme, tiré de John Locke, pour tenter d’ordonner les collections amassées dans les cabi-nets de curiosité. Il privilégie l’étude des qualités sensibles des cristaux et, parmi elles, les formes, et s’aperçoit, en les mesurant systématiquement à l’aide d’un goniomètre, que les minéraux d’une même espèce présentent toujours des faces qui, quels que soient leurs développements respec-tifs, font entre elles des angles constants (1783). Il justifie cette « première loi », empirique, de la cristallographie en supposant, comme le chimiste G.F. Rouelle l’avait fait avant lui, que les cristaux sont constitués de corpuscules groupés entre eux pour former des petites parties possé-dant toutes les propriétés du cristal, les « molécules inté-grantes ». Celles-ci s’assemblent en des empilements qui

Histoire de la construction des groupes de symétrie

Professeur d’histoire des sciences et d’épistémologie à l’Université de Lille 1

UMR Savoirs, Textes, Langage

Par Bernard MAITTE

1.

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emplissent l’espace. Il dénombre six types de catégories dif-férentes de « molécules intégrantes », caractérisées par leurs géométries : celles de polyèdres convexes.

René-Just Haüy ignore tout d’abord les travaux de Romé. Il veut étendre aux minéraux la classification de Linné, ba-sée sur la répartition des pétales de fleurs. Cette orientation est confirmée chez lui par la lecture du chimiste Bergman : après lui, il étudie la calcite, ses formes, ses clivages, fait dé-pendre celles-là de noyaux polyédriques qui s’accroissent par lames dans les trois directions de l’espace. Il est arrivé à ce stade de sa réflexion quand il lit Romé. Il retient alors – sans citer son contemporain et rival – l’idée d’un empilement périodique de molécules intégrantes, détermine celles-ci en brisant par clivage tous les minéraux qui tombent sous son marteau (« cristalloclaste » lui lancera Romé), observe les stries d’accroissement, les inclusions dans les cristaux qui ne se clivent pas, parvient à inférer qu’il y a sept types de polyèdres qui emplissent l’espace. Les relations qu’il déve-loppe avec les physiciens de l’époque l’amenant à considé-rer, lui aussi, que la structure de la matière est discontinue (formée de petites masses séparées les unes des autres), il explique que les molécules intégrantes (carbonate de cal-cium pour la calcite) peuvent être brisées. Se produit alors ce qu’il appelle « l’analyse » du minéral, c’est-à-dire ici la sépa-ration du carbonate et du calcium, qui ne remplissent pas l’espace. De cette idée, Haüy tire l’explication de l’inclinai-son des faces des minéraux (ce sont des marches d’esca-lier invisibles à l’œil nu, comme l’avait postulé Rouelle). Il démontre aussi, par un travail géométrique formel, que l’on peut passer des sept types de molécules intégrantes à toutes les formes observées en « tronquant » leurs sommets, leurs arêtes selon une « loi de symétrie ». Il met tout ceci en forme dans son Traité de Minéralogie de 1802. Cette « victoire de l’esprit géométrique (Monge) » admet quelques exceptions : la cobaltine (qui cristallise selon des tétraèdres), certaines formes du quartz… peuvent déroger à la règle : elles ne pos-sèdent que la moitié ou le quart de la symétrie prévue par la « loi ». Elles constituent, selon Haüy, de « merveilleuses exceptions » (appelées mérièdries – hémiédries ou tétartoédries). Haüy étend son travail en étudiant les propriétés physiques des minéraux et en les reliant aux formes. C’est le cas de l’anisotropie optique (biréfringence de la calcite, pour laquelle il réhabilite les mesures de Huygens), des propriétés pyroélectriques de la tourmaline, des figures de corrosion…

Le travail d’Haüy va trouver un autre développement dans la « Naturphilosophie » allemande. Celle-ci, à la suite de Leibniz, Kant, Schelling, postule – contre la vision discontinuiste newtonienne – une matière continue, divi-sible à l’infini, siège de forces contradictoires, attractives et répulsives s’exerçant dans tout l’espace. En 1804, Samuel Weiss traduit le Traité de minéralogie d’Haüy et, dans un avant-propos original, fait des faces cristallines les lieux où ces forces s’équilibrent. Puisque ces faces se répètent systé-matiquement, Weiss a l’idée de représenter cette répartition – qui est aussi celle des forces – par des « axes de symétrie ». Il entreprend de définir les axes de symétrie compatibles avec les cristaux, combine les axes concourants, parvient par cette hypothèse à expliquer les « merveilleuses exceptions » (les mérièdries), propose une classification selon les axes et distingue sept systèmes cristallins (différents de ceux de Haüy) dans lesquels tous les cristaux doivent se ranger. En 1822, Mohs et, en 1830, Hessel complètent ce travail. Ce dernier (mais ses travaux ne seront pas connus avant la fin du XIXème siècle) arrive à déterminer trente-deux classes de symétrie, réparties dans les sept systèmes de Weiss.

Les cristallographes français vont toujours se refuser au XIXème siècle à considérer les travaux allemands « appuyés sur une philosophie idéaliste ». Ils n’utiliseront pas le concept d’axe de symétrie. Après la mort de Haüy, pour expliquer l’existence des mérièdries, son élève Gabriel Delafosse déve-loppe (1840), dans la tradition discontinuiste, la notion de réseau cristallin, distingue les points, rangées, mailles réti-culaires selon lesquelles des molécules polyédriques se répé-teraient. Il entame le dénombrement de ces mailles, simples ou multiples, possibles. Le dénombrement sera complet avec Auguste Bravais (1848) : il parvient à dénombrer 14 « modes de réseaux » différents… mais il veut alors mettre à l’abri sa considération mathématique de la répartition régu-lière d’un système de points de l’hypothèse discontinuiste, voire atomiste. C’est qu’au milieu du XIXème siècle, avec les succès de l’équivalentisme, de la théorie ondulatoire de la lumière, de la naissance de la thermodynamique, des théories électrique et optique, la vision newtonienne perd du terrain au profit de conceptions continuistes – sans pour cela que les Français daignent prêter attention aux travaux des cristallo-graphes allemands « incompréhensibles ». Mais les Allemands lisent les Français. En 1879, Sohncke combine le dénom-brement incomplet des classes de symétrie par Mohs et les réseaux de Bravais pour construire la notion de « groupe de symétrie ». En 1885, Schoënfliess (Allemand) et Fedorov

1 René-Just HaüyIl mesure avec un goniomètre de Carangeot les angles de la calcite.

2 Scalénoèdre de calcite.

3 Explication de la forme d’un scalé-noèdre de calcite : Réseau tripériodique de « molécules intégrantes » et décroissance.

2. 3.

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(Russe), indépendamment l’un de l’autre, se posent par jeu le problème de la partition régulière de l’espace. Sans figu-re, par un travail uniquement formel, ils dénombrent 230 groupes d’espaces se répartissant dans les 32 classes et les 7 systèmes. Ils détruisent aussi 17 groupes plans… dont on s’aperçoit ensuite qu’ils sont tous présents dans les pavages de l’Alhambra de Grenade, construits au XIVème siècle par les artisans arabes…

Nous sommes à la fin du dénombrement des groupes de symétrie. Un autre travail avait été mené indépendam-ment, et selon d’autres approches, par les mathématiciens à partir des travaux d’Évariste Galois (1830). En physique et en sciences naturelles, de Kepler à Sohncke, l’étude de la symétrie avait toujours été menée de pair avec celle des propriétés physiques et chimiques des cristaux. En 1811, Biot avait étudié la biréfringence des lames cristallines et découvert la polarisation rotatoire, Arago avait relié formes et pouvoir rotatoire du quartz. En 1824, Fresnel et Arago avaient relié biréfringences et systèmes cristallins, Fresnel avait caractérisé les cristaux biaxes. Les conductibilités ther-miques et électriques avaient été étudiées en fonction des orientations. Ce sont toutes ces approches qui permettent à Karl Nauman de proposer, en 1833, son « Principe de symé-trie » : « Les éléments de symétrie de toute propriété physique d’un cristal doivent inclure les éléments du groupe à centre de ce cristal ». Ceci signifie que la propriété physique observée doit avoir au moins la symétrie du cristal. Dès lors, on peut rechercher les symétries possibles du cristal à partir des pro-priétés physiques mesurées, quand les formes extérieures sont absentes, ou encore rechercher les conditions nécessaires (mais non suffisantes) à l’apparition d’une propriété.

En 1880, Pierre et Jacques Curie reprennent les études effec-tuées près d’un siècle plus tôt par Haüy sur la pyroélectricité de la tourmaline. Ils les généralisent par un raisonnement sur la symétrie et ajoutent une découverte expérimentale : en comprimant un cristal pyroélectrique selon un axe d’hé-miédrie, des charges électriques opposées apparaissent aux deux extrémités, et réciproquement. Ils nomment piézoélec-tricité le phénomène découvert et dénombrent 20 classes de symétrie sur les 32 qui peuvent être piézoélectriques, mais ne le sont pas forcément. Le pourquoi de cette restriction n’est pas alors envisagé : l’étude reste empirique. Pierre Curie va, seul, se lancer dans l’étude des raisons que pos-sède cette propriété de se manifester ou non. En 1894, il arrive à ses fins en renversant le problème : il n’étudie plus

les propriétés physiques que manifestent les corps, mais la symétrie des phénomènes physiques eux-mêmes. Il démon-tre que c’est « la dissymétrie qui crée le phénomène ». Ce qui est maintenant connu comme le « Principe de Curie » mar-que une profonde rupture : la symétrie perd alors sa forme, ne s’applique plus à l’étude des formes, mais devient outil de raisonnement, un peu comme, chez Archimède, la ba-lance permet la naissance d’un raisonnement dans lequel la forme s’est ensuite inscrite mentalement et produit des idées. La recherche des invariants va prendre un nouvel élan après Einstein (1905), Poincaré (1908) et avec l’application des groupes de symétrie dans les études radiocristallogra-phiques (Von Laüe 1912, Debye 1924). Ces études sont les premières applications concrètes de l’utilité du dénombre-ment des 230 groupes démontrés par jeu en 1885. La ra-diocristallographie, qui pénètre aujourd’hui toutes les disci-plines des sciences exactes et naturelles, permet un nombre considérable d’applications, n’aurait pu se développer sans cette recherche fondamentale, uniquement ludique… et qui aurait pu alors évaluer son importance future ?

Partie de l’observation, la notion de symétrie a pu, nous l’avons vu, se construire grâce à l’expression de différences, voire d’oppositions, entre des approches prenant sens dans des contextes culturels et des problématiques différents. La vue a ensuite été intégrée dans une structure mentale intériorisant des représentations géométriques. L’esprit hu-main a pu alors l’étendre à d’autres significations, à d’autres champs de la science et en féconder la recherche scientifique. Avec la symétrie, une structure unique décrit un ensemble de phénomènes variés, qui semblaient totalement étrangers les uns des autres. La fécondité de cette démarche a à voir avec la recherche d’une perfection, avec la recherche du beau. Actuellement, ce sont les écarts à cette perfection qui sont étudiés systématiquement avec gourmandise. La recherche de « ruptures de symétrie » est à son tour féconde… mais elle implique évidemment, elle aussi, de partir de la symétrie.

4 & 5 « Loi de symétrie » de Haüy :« troncatures » effectuées sur

les sommets et sur les arêtes de « molécules intégrantes ».

4. 5.

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Les enjeux et les défis de l’Université par Valérie Pécresse

Les défis culturels de l’université par Nabil El-Haggar

La LRU : une loi peu courageuse, dangereuse et anti-humaniste

par Bernard Maitte

Des réformes de l’université par Rudolf Bkouche

Éléments de réflexion sur la demande de professionnalisation

par Marnix Dressen

Milton Friedman, Katrina et la LRU par Jean Gadrey

dossier

p. 22

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p. 25

p. 28

p. 30

p. 31

Photos du dossier : Eric Bross - Cellule communication - USTL (excepté p. 24 : Julien Lapasset - Espace Culture - USTL)

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« L’université française,

enjeux et défis ! »

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Un statut moderne pour nos universités

La loi sur l’autonomie des universités a fêté ses six mois de mise en œuvre le 11 février dernier. Elle s’installe progressivement : toutes les universités ont changé leurs statuts pour adopter de

nouveaux conseils d’administration plus restreints, les contacts entre entreprises et établissements se multiplient pour monter des fondations. D’ici cinq ans, toutes les universités auront accédé à l’autonomie. Cette loi, longtemps différée, était nécessaire pour offrir à nos universités la souplesse, la réactivité, la liberté dont elles avaient besoin pour affronter dans de bonnes conditions la compé-tition mondiale de la connaissance.

Une nouvelle mission d’insertion professionnelle

Mais, plus qu’un simple lieu de transmission du savoir, l’université doit aussi devenir un véritable tremplin pour l’emploi. C’est pour cela que la loi du 10 août 2007 lui donne deux missions particulières : l’orientation et l’insertion professionnelle. L’orientation d’abord, car un cursus uni-versitaire ne peut pas être choisi par défaut. Un futur étudiant doit être informé, dès le lycée, sur les filières, les aptitudes requises, les débouchés, les taux de réussite. L’insertion professionnelle ensuite, car l’université ouvre la voie à tous les champs de métier, pas seulement l’enseignement. Les étudiants doivent donc acquérir, en premier cycle, les outils – culture générale, expression écrite et orale, langue étrangère, nouvelles technologies, indispensables à la vie en entreprise. De plus, dans chaque université s’installe un bureau d’aide à l’insertion professionnelle, chargé notamment d’organiser les stages des étudiants dans les entreprises.

Lutter contre l’ échec

Ainsi définies les missions de l’université, l’objectif est d’accompagner les étudiants vers la réussite. Nous devons cesser la pratique de la sélection par l’échec, qui voit chaque année 50 % des étudiants échouer aux examens. Afin d’amener, conformément aux objectifs de Lisbonne, 50 % d’une classe d’âge vers un diplôme d’enseignement supérieur, il était indispensable de revoir nos méthodes d’en-seignement. C’est chose faite avec le plan « réussir en licence », qui indique clairement les priorités : réduire de 50 % en cinq ans le taux d’échec en première année ; organiser des cours de méthode, ajouter cinq heures hebdomadaires d’encadrement pédagogique, de langues et de nouvelles tech-nologies, organiser un tutorat pour les élèves dès qu’ils rencontrent des difficultés, instaurer un professeur référent pour chaque élève, afin que celui-ci ait un interlocuteur privilégié qui le guide dans ses choix et évalue avec lui son parcours.

Créer des campus d’excellence

Enfin, les universités doivent devenir des lieux de vie où les échanges sont aussi importants que les enseignements dispensés. C’est pour cela que le Président de la République a décidé d’affecter le fruit de la vente des actifs de l’État dans EDF à la réalisation de dix campus d’excellence : universités, grandes écoles, laboratoires se rassemblent pour proposer, sur un même site, les infrastructures des campus du XXIème siècle. Il s’agit, à partir des structures existantes ou par des créations architectu-rales, de proposer des sites de haut niveau, tant par les projets scientifiques, que par les normes en-vironnementales utilisées, la variété des activités, la qualité et le nombre des logements, les réseaux de communication, etc. L’opération campus va redonner à la France le visage de l’innovation et de l’attractivité.

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Les enjeux et les défis de l’université

Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherchePar Valérie PéCRESSE

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d’une réforme de cette institution pluriséculaire, alors que les réponses ne peuvent venir que d’une réflexion plus globale, la tendance générale est aux réponses adaptatives morcelées, éparpillées et principalement soucieuses des exigences du « marché ». Dans un pays où un étudiant d’université ne coûte que 7210 € à l’État contre 10 000 € pour un lycéen et 13 560 € pour un élève de classe préparatoire, nombreux sont les universitaires qui ne doutent pas de la nécessité de réformer l’Université française. Il est vrai que l’État n’incite pas à une réflexion collective efficace qui pourrait enrichir ladite réforme. Mais il est aussi vrai que la « Communauté universitaire » ne se donne pas les moyens nécessaires pour mener une réflexion profonde et durable autour des questions essentielles pour une réforme qui permettrait à l’Université française d’avancer. Dès lors, une question s’impose : pourquoi la communauté universitaire est-elle souvent bien plus dans le réagir que dans l’agir ? Cette communauté d’élite sait pourtant qu’être dans « le réagir » est une autre manière de subir.

Une université qui se respecte n’a d’autre choix que de préserver son âme en tant que lieu libre de réflexion, de recherche, de création, d’éducation et de diffusion des savoirs. C’est dans ce lieu que les diverses approches de la connaissance et les différentes cultures peuvent exister librement en dehors de toute logique de rentabilité. L’université devrait donc être un lieu privilégié capable de mettre à disposition de l’intelligence du public, de tous les publics, les possibilités d’apprendre à regarder, écouter, apprécier, critiquer, évaluer les sciences et les techniques, la qualité d’un texte, d’une mise en scène, d’une interprétation, d’une œuvre artistique, etc.Ce sont des outils nécessaires pour accéder à l’intelligibilité et partager, dans la différence et la pluralité, la vision des autres. En plus de son rôle de production et de diffusion de savoir, il lui est demandé de préserver la place de la pensée et du débat d’idées, de ne pas négliger le rapport entre savoirs, arts, recherche, création et éducation et d’occuper la place qui lui revient dans la Cité, d’assumer son rôle social, culturel, éthique et politique.

À l’image de la démarche sélective face à l’ensemble des disciplines culturelles, une part non négligeable d’universitaires ne s’intéresse, dans les savoirs et les connaissances, qu’à la partie qui lui est nécessaire pour exceller dans sa spécialité.

Depuis 1992, l’Université des Sciences et Technologies de Lille développe une politique culturelle qui articule

les relations entre éducation, art, science et culture en affirmant sa spécificité universitaire dans un véritable engagement intellectuel. Cette politique se traduit notamment par la mise en place d’un lieu de réflexion, d’échange et de débat, un soutien à la pratique artistique en amateur, la valorisation de la culture scientifique, une sensibilisation aux formes d’art les plus contemporaines et un accompagnement à la réalisation de projets étudiants et associatifs.

De l’université

La société de masse, écrit Edward Shies, « advient clairement quand la masse de la population se trouve incorporée à la société ». L’université française s’insère dans cette problématique. Elle est dans une phase de transformation importante sous la pression d’exigences diverses. Elle s’interroge sur sa raison d’être et son développement futur. Elle fait son bilan et réévalue ses missions face aux défis de la société, tant au niveau local que global. La culture qu’elle propose de transmettre à la société est aussi concernée par le rapport, aussi complexe que conflictuel, de la société à la culture.Les savoirs et les connaissances sont, aujourd’hui, une exigence sociale pour le développement et le bien-être des sociétés. Cela engendre non seulement une demande croissante de formation supérieure, mais aussi la nécessité d’une coopération importante entre les différentes disciplines, les divers centres de production de culture et de connaissance, entre les différents savoirs (scientifique, artistique, technique). L’enseignement ne peut plus s’organiser selon le principe de l’apprentissage passif de notions établies, mais selon la nécessité d’apprendre à apprendre de façon globale et contextuelle. Rappelons que « l’hyperspécialisation » et la compartimentation disciplinaire défavorisent l’accès aux connaissances majeures.

L’université est appelée de toute part, en interne et en externe, à l’efficience et à l’efficacité. Face aux défis et aux difficultés

« La culture, c’est aussi ce qui désadapte l’homme, le tient prêt pour l’ouvert, pour le lointain, pour l’autre, pour le tout. (…) L’ éduca-tion, au sens fort du mot, n’est peut-être que le juste mais difficile

équilibre entre l’exigence d’objectivation, c’est-à-dire d’adaptation, et l’exigence de réflexion et de désadaptation.

C’est cet équilibre tendu qui tient l’ homme debout. » Paul Ricœur Histoire et vérité

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Les défis culturels de l’université

Vice-président de l’Université des Sciences et Technologies de Lille, chargé de la Culture, de la Communication

et du Patrimoine Scientifique

Par Nabil EL-HAGGAR

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C’est ainsi que la recherche et l’enseignement risquent de ne garder de leurs missions que l’aspect « formateur » qui sait répondre aux critères de l’efficacité technique et de la rentabilité économique sans se soucier du culturel, c’est-à-dire de l’éducation d’un regard critique sur les savoirs, condition sine qua none pour une prise de recul nécessaire et pour donner un sens à l’entreprise de la connaissance. Or, nous savons que « ce culturel qui met de la distance entre l’homme et le vital indispensable à la survie humaine » 1 est en conflit avec « l’utile » et l’immédiateté. « D’une culture adaptée au temps présent, on passe à cet extrême, la culture adaptée à l’ instant présent, c’est-à-dire une façon grossière de s’emparer de l’utilité momentanée. Si l’on croit que la culture a une utilité, on confondra rapidement ce qui est utile avec la culture. La culture généralisée se confondra avec la haine de la vraie culture » 2.

Bien que la spécialisation soit indispensable pour qu’un travail de recherche universitaire ou de création artistique aboutisse, et que les cloisonnements disciplinaires soient parfois nécessaires, il nous appartient de mesurer les enjeux des savoirs et des connaissances et de pouvoir leur accorder un regard critique malgré la pression sociale et les contraintes internes et externes nées de la rentabilité et de l’efficacité. Il faut comprendre les enjeux des cloisonnements disciplinaires aussi bien que ceux des ouvertures, des décloisonnements et de la transdisciplinarité.

Organiser le débat et la rencontre est essentiel au développement de la culture dans toutes ses dimensions. C’est ainsi que, par son rôle de diffusion de la culture et du savoir, l’université permet la réflexion sur l’art, la recherche, le savoir et la connaissance qui sont dépositaires d’un pouvoir qui n’est ni neutre, ni objectif. L’université et les universitaires ne peuvent donc se soustraire à la responsabilité éthique et civile de l’œuvre artistique, scientifique et technique.Parce que nous sommes toujours appelés à porter un regard critique sur ce que nous étudions, cherchons, inventons et créons, une condition s’impose donc à nous : une prise de recul nécessaire. Tant que cette démarche fait défaut, la « rencontre » résultante de la confrontation, et partie intégrante du processus de créativité et d’intelligibilité, est un leurre.C’est pourquoi il est urgent qu’une refondation des politiques publiques de la culture soit opérée. Il est indispensable de mettre fin aux cloisonnements disciplinaires, de reconsidérer sérieusement la place de la pensée, des savoirs et des

connaissances dans notre approche de la culture. Il faut veiller à la permanence du rapport entre éducation et culture.

Le Campus

Pour montrer que la culture est inhérente à l’université et, par là même, mettre en évidence le rayonnement culturel des universités, il est commun de citer les campus de grandes universités américaines, telle l’université de Harvard. Évidemment, ce campus avec sa bibliothèque, la Widener Library, qui compte 15 millions de volumes en accès libre – soit la deuxième bibliothèque du monde – ses trois musées, le Fogg Museum spécialisé dans la peinture classique et moderne, le Arthur Sackler Museum dans l’art de l’Antiquité, de l’Asie et du monde musulman, et le Busch-Reisinger Museum dans la peinture allemande et nord-européenne, 275 salariés et un budget annuel de 21 millions de dollars, est un exemple qui fait rêver toutes les universités du monde.

Ce que l’on sait moins est que la culture est aussi présente et non moins structurante sur l’ensemble des campus américains. Prenons l’exemple de l’université de l’Illinois, « une université publique à budget moyen et aux coûts de scolarité ‘raisonnables’ en comparaison avec lesdites grandes universités. Sa bibliothèque, la septième aux États-Unis, compte 10 millions de livres, son complexe d’arts créé en 1969, Le Krannert Center for the performing Arts présente 150 spectacles par an, tourne avec 87 salariés à temps plein et propose une saison professionnelle aux étudiants avec le mot d’ordre : ‘Venez comme vous êtes. Repartez transformés’. Son musée universitaire d’un budget annuel de 1,5 million de dollars. Sa collection augmente au rythme de deux cents acquisition par an.Harvard comme l’Illinois, deux universités aux antipodes du modèle universitaire américain, mettent en lumière une même réalité : une vie culturelle riche, diverse, active existe sur tous les campus. Les universités ne sont pas à la marge du système culturel américain, elles en sont le centre ». 3

Rêver fait du bien, réaliser ce rêve, c’est encore mieux !

1 Hannah Arendt, La Crise de la culture, éd. Gallimard, coll. Idées, Paris, 1985.2 Friedrich Nietzsche, La Volonté de puissance, tome II.3 Frédéric Martel, De la culture en Amérique, p. 367, éd. Gallimard, Paris, 2006.

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« L ’enseignement français est depuis longtemps réputé dans le Monde pour sa haute qualité et sa valeur culturelle.

Chaque année nos universités accueillent un très grand nom-bre d’ étudiants étrangers. Notre enseignement secondaire jouit d’un semblable prestige. Enfin, l’enseignement primaire, organisé par Jules Ferry, fut l’une des grandes œuvres de la IIIème République. Il se propose de donner à tout homme, aussi humble que soit son origine, le minimum de connaissances indis-pensables pour faire de lui un citoyen conscient, pour enrichir son esprit et élargir son horizon. Enfin, l’enseignement technique, organisé après la guerre 1914-1918, a connu un rapide déve-loppement ». C’est par ce paragraphe que commence le projet de réforme de l’enseignement rédigé par une commission réunissant des Professeurs des Universités, du Collège de France, des enseignants du secondaire, du technique, du primaire, des inspecteurs, des responsables des principales directions du ministère de l’Éducation Nationale, des représentants du ministre et présidée successivement par le physicien Paul Langevin, puis par le psychologue et péda-gogue Henri Wallon. Ce texte devait passer dans l’histoire sous le nom de « Plan Langevin-Wallon ».

Que s’est-il passé pour que, soixante ans plus tard, ces lignes paraissent à ce point emphatiques et inadaptées ? Aujourd’hui, des élèves peuvent entrer en sixième sans savoir lire, entrer à l’Université, baccalauréat en poche, sans avoir acquis la struc-ture de la langue française, sans savoir rédiger ou prendre des notes…, et que dire de leur connaissance de l’histoire, de la littérature française, de la géographie, des sciences ? Cer-tes, la France a changé, l’éducation n’est plus aussi valorisée, les valeurs marchandes distillées par télévision, baladeurs, portables, internet… remplacent l’humanisme, mais aussi les réformes stupides ou démagogiques se sont succédées : ré-futation des méthodes d’apprentissage, qui avaient fait leurs preuves, méthode globale de lecture importée des USA alors que la structure de la langue anglaise (à laquelle la méthode est adaptée) est très différente de la structure du français, réforme dite des « mathématiques modernes » mal mise en œuvre car reflétant la recherche d’une impossible théorie scientifique de la connaissance, contresens sur ce que sont les techniques nouvelles, démagogie surtout, traduite dans la sectorisation de l’éducation et dans l’objectif fixé d’amener 80 % de la classe d’âge au baccalauréat. Remplacer par une exigence quantitative celle d’une qualité minimale… Nous voici donc avec, à la fois, des bons élèves et de moins bons qui sortent du bac, et ceci doit être considéré lors de tout projet

d’une indispensable réforme de l’Université : il faudrait, parallèlement à celle-ci, redonner force aux enseignements primaire et secondaire…

« Les besoins nouveaux de l’ économie moderne posent la néces-sité d’une refonte de notre enseignement qui, dans sa structure actuelle, n’est plus adapté aux conditions économiques et sociales. Cette inadaptation de l’enseignement à l’ état présent de la société a pour signe visible l’absence ou l’ insuffisance des contacts entre l’ école à tous les degrés de la vie. Les études primaires, secondaires, supérieures sont trop souvent en marge du réel. L’école semble un milieu clos, imperméable aux expériences du monde. Le divorce entre l’enseignement scolaire et la vie s’accentue par la permanence de nos institutions scolaires au sein d’une société en voie d’évolu-tion accélérée. Ce divorce dépouille l’enseignement de son caractère éducatif. Une réforme est urgente, qui remédiera à cette carence de l’enseignement dans l’ éducation du producteur et du citoyen et lui permettra de donner à tous une formation civique, sociale, hu-maine ». C’est encore le plan « Langevin-Wallon » qui dres-sait le constat, il soulignait que des organismes, créés à des époques différentes pour des buts variés, se concurrencent inutilement. Le plan précisait « à tous les degrés, l’enseigne-ment méconnaît dans l’ élève le futur citoyen. Il ne donne pas une importance suffisante… à la culture méthodique de l’es-prit critique, à l’apprentissage actif de l’ énergie, de la liberté, de la responsabilité. Or cette formation… est l’un des devoirs fondamentaux d’un état démocratique et c’est à l’enseignement public qu’ il appartient de remplir ce devoir ». Nous sommes loin, en 2008, d’avoir atteint cette exigence humaniste. Le plan Langevin-Wallon a été, en son temps, couvert d’éloges, à tel point qu’il a disparu sous ceux-ci, tout comme, qua-rante ans plus tard (1984), le « rapport Kastler » de l’Acadé-mie des Sciences qui voulait faire sortir l’éducation scien-tifique du « dressage aux normes actuelles » de la science et rétablir dans l’enseignement scientifique l’apprentissage à une pensée vivante.

Auprès de ces deux grands projets humanistes, la triste loi Liberté et Responsabilité des Universités – des mêmes mots pour des sens diamétralement opposés – manque particu-lièrement de souffle. Elle n’envisage pas les contenus mais les structures et établit des contrôles méfiants et tatillons là où il faudrait donner un élan de liberté. Voyons ceci d’un peu plus près : je délaisserai, dans ce petit papier, bien des aspects néfastes comme ceux du manque cruel de moyens et de la gouvernance… Une des grandes difficultés de l’en-seignement supérieur tel qu’il existe dans notre pays est la

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La LRU : une loi peu courageuse, dangereuse et anti-humaniste

Professeur à l’Université de Lille 1UMR Savoirs, Textes, Langage

Par Bernard MAITTE

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coexistence de filières sélectives et non sélectives. Les sé-lectives sont les grandes écoles, les écoles d’ingénieurs, les IUT, les formations de droit, de médecine, de pharmacie, toutes formations qui ne prétendent pas former à la recher-che mais assurer un débouché professionnalisé, pratiquent à l’entrée un « numerus clausus ». Les non sélectives sont les Universités des sciences et technologies et de lettres et sciences humaines. S’y retrouvent pêle-mêle des étudiants motivés et tous ceux qui, ayant obtenu leur baccalauréat dans les conditions rappelées précédemment, cherchent une sécurité sociale, font l’Université faute de mieux, dégrais-sent les statistiques du chômage. Ce sont pourtant les Uni-versités de sciences et de lettres qui doivent conduire à la recherche scientifique, aux doctorats. Comment résoudre ce paradoxe ? Reprenons, une fois encore, le plan « Langevin-Wallon » : « Le premier principe [sur lequel doit s’appuyer la reconstruction de notre enseignement]… est [celui] de justice. Il offre deux aspects non point opposés mais complémentaires : l’ égalité et la diversité. Tous les enfants, quelles que soient leurs origines… ont un droit égal au développement maxi-mum que leur personnalité comporte. Ils ne doivent trouver d’autre limitation que celle de leurs aptitudes… L’organisation actuelle de notre enseignement entretient dans notre société le préjugé antique d’une hiérarchie entre les tâches et les tra-vailleurs… L’ équité exige la reconnaissance de l’ égale dignité de toutes les tâches sociales, de la haute valeur matérielle et morale des activités manuelle, de l’ intelligence pratique, de la valeur technique ». Dès lors, une réforme de l’Université doit bâtir une orientation permettant de tenir compte de ces différences de capacités (« égalité » n’est pas synonyme de « identité »), l’orientation doit être telle, je cite encore « Lan-gevin-Wallon » que la « formation du travailleur ne nuise pas à la formation de l’ homme. Elle doit apparaître comme une spécialisation complémentaire d’un large développement hu-main… La culture générale représente ce qui rapproche et unit les hommes tandis que la profession représente trop souvent ce qui les sépare. Une culture générale solide doit donc servir de base à la spécialisation professionnelle et se poursuivre pendant l’apprentissage de telle sorte que la formation de l’ homme ne soit pas limitée et entravée par celle du technicien. Dans un état démocratique, où tout travailleur est citoyen, il est in-dispensable que la spécialisation ne soit pas un obstacle à la compréhension de plus vastes problèmes et qu’une large et solide culture libère l’ homme des étroites limitations de technicien. C’est pourquoi… l’ école… doit éveiller le goût de la culture… et permettre le perfectionnement continu du citoyen ». Contre ces principes humanistes, la LRU vise à adapter les seules

formations de sciences exactes et naturelles et de sciences humaines aux besoins immédiats du patronat, ceci dans un monde en constante évolution, où il importerait plus que jamais de mettre en perspective le sens des mutations en cours ! L’instauration d’un précariat permettra de rejeter les travailleurs devenus inadaptés par l’évolution des techno-logies et de les remplacer par les nouveaux formés… Voici les risques que la LRU fait courir à l’éducation donnée par les Universités, risques bien amorcés d’ailleurs par les réfor-mes successives. Mais la recherche en court d’autres, bien plus sensibles encore.

La recherche universitaire actuelle n’a pas trop à rougir. Malgré les faibles moyens qui lui sont attribués, son niveau mondial n’est pas à dédaigner, pour un pays qui n’attire plus beaucoup de chercheurs étrangers (rappelons que la recher-che aux États-Unis d’Amérique repose essentiellement sur des chercheurs venus du monde entier et que l’enseignement supérieur des USA est peu apte à mener à cette recherche). Les principales difficultés que rencontre le recrutement à la recherche en France sont dues à la dualité filières sélectives et non sélectives rappelée ci-dessus. Les chercheurs viennent le plus souvent de filières non sélectives et ont subi une formation (dont on ne voit pas encore les dégâts), telle celle du LMD, où les enseignements sont atomisés, où la synthèse est dédaignée. Mais aussi, les conditions maté-rielles dans lesquelles se déroulent les thèses (prévoir « un présalaire considérant enfin l’ étudiant comme un travailleur, qu’ il est en réalité » disait le plan Langevin-Wallon) sont telles que le thésard n’ayant pas obtenu une des trop peu nombreuses bourses doit ou se consacrer à un sujet étroi-tement finalisé, mais financé par le privé, ou trouver par ailleurs (emplois secondaires) les moyens de subsister. Cette précarité se renforce encore après la thèse : alors que tous les enseignants-chercheurs de ma génération étaient em-bauchés comme titulaires de l’enseignement supérieur pour préparer leur thèse, les docteurs actuels doivent entrer en post-doc (non rémunéré), publier, développer souvent leur individualisme, pour pouvoir espérer, au mieux, après l’âge de trente ans, un poste payé moins de deux mille euros par mois. 2000 euros, à bac + dix ! Comment lutter, dans ces conditions, contre la désaffection que subissent les filières de sciences fondamentales ? La LRU ne prend pas en compte ce problème ou, tout au moins, essaye de le traiter en exigeant que toutes les recherches soient finalisées au profit immédiat de l’industrie.

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Formons l’hypothèse réaliste que les inspirateurs de la loi ne sont pas stupides. Ils savent que la recherche appliquée dans les industries françaises n’est pas une des forces de notre pays. Ceci est largement dû à ce que les industries – sauf de très grandes – les PME, les PMI, ne développent pas de recherche. Le but visé par la loi est donc de mettre à la dis-position de ce privé les moyens matériels et humains de la recherche publique, s’y appuyant sur les thésards précaires et les laboratoires. Cette orientation est à très courte vue. D’abord parce que le capitalisme industriel fait place au capitalisme financier, ensuite parce que la recherche fina-lisée ne peut se penser sans une recherche qui ne l’est pas. Un point d’histoire pour ces apprentis sorciers qui ne jurent que par l’application et mettent en place ces dispositifs opa-ques d’évaluation (ANR-AERES). Les USA (puisque c’est leur référence, commençons par eux) ont voulu, dans les années 65-75, permettre à la recherche de vaincre le can-cer : ils ont dépensé pour cela plus que pour la conquête de la lune. Ce fut un échec. Ce plan fut arrêté. Le cancer n’est pas vaincu. Parions que la victoire contre cette maladie viendra d’un domaine où on ne l’attend pas. Il y a toujours un grand décalage entre les recherches fondamentales et leurs applications : qui pensait que le « calcul à l’envers » de Planck (1900) pour rendre compte de l’émission du corps noir conduirait à tous les développements de la mécanique quantique, sur laquelle reposent bien des percées technolo-giques contemporaines ? Qui aurait pensé que les crépiteurs de Hertz (1885), conçus pour mettre à l’épreuve les équa-tions de Maxwell, conduiraient à l’invention de la radio et de la télévision un demi-siècle plus tard ? Qui aurait cru que le dénombrement « par jeu » des groupes de symétrie (1875) permettrait le développement de la cristallographie à partir de 1925 et que cette science envahirait tous les domaines de la physique, de la chimie, de la biologie, des sciences de la terre, tandis que l’idée de symétrie ouvre sa richesse trans-frontalière à une science trop enfermée entre ses disciplines ? Frédéric et Irène Joliot-Curie ne croyaient-ils pas découvrir une simple curiosité en mettant en évidence la radioactivité artificielle ? Et quelles sont, encore aujourd’hui, les applica-tions de la Relativité Générale formulée en 1915 ? Les ANR et AERES auraient recalé les Planck, Hertz, Fedorov, Joliot, Curie, Einstein… La recherche a besoin, à la fois, de voies nouvelles et de recherches finalisées. Une voie nouvelle ne peut être prévue, l’État doit donc accepter de financer en prenant le risque de financer « pour rien » ; des résultats importants ne sont jugés tels qu’après coup, les démarches innovantes ne sont que très peu citées dans les années qui

suivent leur formulation. Par contre, un domaine en déve-loppement finalisé sur lequel se concentre une multitude de chercheurs conduit à de nombreuses publications et ci-tations. Recherches fondamentales et recherches finalisées se fécondent réciproquement. Les LRU, ANR, AERES ne s’intéressent qu’aux secondes, préfèrent le court terme, alors qu’une recherche à la mode est une recherche du passé.

Je vais arrêter ce papier déjà trop long. La LRU ne mon-tre aucun courage politique pour traiter les problèmes dont souffrent notre Éducation Nationale et nos Universités. Elle est dangereuse pour la recherche fondamentale. C’est une loi anti-humaniste. Voici trois des raisons qui font qu’elle s’inscrit dans la longue liste des réformes qui, depuis 1967 (Réforme Fouchet), contribuent à détruire l’enseignement supérieur en France. Il est temps et nécessaire de réformer celui-ci : comme pour le plan Langevin-Wallon, une analyse et une réflexion de fond doivent être menées sur tous nos degrés d’enseignement, sur la recherche, sur la dangereuse uniformisation des normes internationales sur lesquelles celle-ci repose actuellement. Cela nécessite de penser, cela nécessite de débattre et de confronter, cela exige de laisser toute sa place au rêve et à l’utopie. Est-ce d’actualité ?

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Cette accumulation de réformes masque la grande transformation sous-jacente, la marchandisation du

système éducatif, marchandisation qui se joue sur deux thèmes : la production des rouages de la société économico-marchande (ce que l’on appelle la professionnalisation) et la transforma-tion de l’enseignement en un vaste marché de l’éducation, les élèves et les étudiants étant réduits aux rôles de clients. Le fonctionnement du système éducatif nous apprend qu’il n’est point besoin de privatiser pour marchandiser.Le système fonctionne d’autant mieux que la contestation frappe à côté et permet ainsi aux réformateurs de se présenter en adeptes de la modernité, de la Modernité faudrait-il écrire, tant cette notion, idéologisée, reste brumeuse dès que l’on donne au terme de modernité une autre signification que sa signification chronologique.

De la dernière réforme des universités, la LRU, nous retien-drons ce que nous considérons comme le point principal, la transformation des universités en entreprises, le président d’une université devenant un chef d’entreprise. En fait, il s’agit moins d’une nouveauté que de la consécration légale d’une idée plus ancienne qui s’inscrit dans la conception mercantile qui marque l’époque contemporaine. L’univer-sité-entreprise serait ainsi plus apte à accomplir les tâches que l’on attend d’elle, production des ressources humaines et marchandisation au sens évoqué ci-dessus. La question est ici moins celle des différents ministres qui, quelles que soient leurs obédiences, mettent en place cette transforma-tion, que celle des universitaires qui, non seulement, se sont montrés incapables de résister à cette transformation, mais trop souvent courent derrière ces réformes, sacrifiant ainsi au culte de la Modernité. Que signifie alors le terme d’en-seignant-chercheur inventé par un Premier ministre jaco-bin qui avait le sens de l’État et qui considérait encore que l’université était un lieu de transmission des connaissances et d’invention du savoir ? Mais il est vrai qu’on ne parlait pas encore de formation 1. Il n’est pas question de regretter ce Premier ministre qui fut celui de la mise en place de la Vème République et dont le gouvernement procéda à l’une des premières réformes de modernisation de l’université avec le morcellement de l’enseignement 2, annonciateur des

bouleversements ultérieurs. Si la réforme Fouchet qui a suivi proposait une nouvelle structuration de l’enseignement supérieur, elle marquait un arrêt de la démocratisation de l’enseignement, ce qui allait, au fil du temps, conduire à une dégradation des enseignements primaires et secondaires. Il faut noter qu’en même temps que cette dégradation se produisait une arrivée en masse à l’université de lycéens mal formés, ce qui ne pouvait que dégrader l’enseignement uni-versitaire et, par conséquent, renforcer la sélection. Sélection, mot tabou, que certains soutiennent au nom de la défense du niveau, et que d’autres abhorrent au nom de la démocratisation, ce qui, dans les faits, revient au même.

En ouvrant les portes de l’université en même temps que l’enseignement secondaire se dégradait, on leurrait les étu-diants qui ne comprenaient pas les raisons du grand nombre d’échecs. Quant aux universitaires, ils étaient condamnés à l’alternative suivante : soit maintenir un enseignement de type universitaire, ce qui ne pouvait que conduire à l’échec la grande majorité des étudiants, soit transformer leur ensei-gnement pour le mettre au niveau de leurs élèves. Dans ces conditions, la dénonciation de la sélection par les divers mouvements étudiants, qui reprennent les mêmes antiennes à chaque réforme, est à côté. Lutter contre la sélection ne peut se réduire à dénoncer une sélection uni-versitaire moins drastique qu’on le pense. Dans les conditions actuelles, si l’université pratiquait la sélection, peu d’étu-diants passeraient le cap de la première année, quel que soit le nom que l’on donne à cette première année. Et n’est-ce pas une forme de sélection beaucoup plus dure que de laisser passer des étudiants qui se retrouve ront en difficulté dans les années qui suivent ? Mais, de cela, on ne veut rien voir. Et, comme le dit un de ces thuriféraires qui réduit la socio-logie aux relevés statistiques, tout va bien 3. Eh bien non, ça va mal. Et la LRU n’est qu’un ajout à un enseignement qui n’enseigne plus grand-chose.

Ce n’est pas la seule université qui est en cause, c’est le sys-tème éducatif dans son ensemble. On ne peut attendre que des étudiants marqués par la faiblesse de l’enseignement scientifique au collège puissent arriver à l’université, prêts à

Les universités, et plus généralement ce que l’on appelle le système éducatif, sont soumises périodiquement à des réformes qui reflètent essentiellement les idéologies au pouvoir du moment. Ces réformes sont essentiellement des réformes de structures, ce qui laisse entières les questions d’enseignement et de recherche. Mais est-ce l’objectif des réformes de prendre en charge ces questions ?

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Des réformes de l’université

Professeur émérite, USTLPar Rudolf BKOUCHE

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suivre un enseignement universitaire 4. Il suffit de regar-der les programmes de collège pour comprendre le boulet que traîneront avec eux les élèves dans les enseignements ultérieurs. S’en sortiront quelques privilégiés, ceux dont les familles possèdent un capital culturel permettant à leurs enfants d’acquérir ce que l’école ne leur apporte plus. Ceux qui critiquent à tout va l’École de Jules Ferry ne veulent pas voir que de cette École ne reste que l’aspect de reproduction des élites, dès lors que l’instruction a été mise de côté au nom d’une éducation dite « citoyenne ».

On comprend alors que si les élèves qui réussissent, c’est-à-dire ceux qui ont au moins la mention « Bien » au bac-calauréat, se retrouvent dans les filières sélectives (classes préparatoires, IUT, BTS), ceux qui entrent à l’université vont se perdre dans un enseignement qu’ils ne sont pas pré-parés à recevoir. Reste alors l’échec ou la fausse réussite 5, ce qui ne vaut guère mieux. La lutte contre la sélection ne peut être que le combat pour une école de l’instruction, ce qui suppose une refonte des programmes de l’enseignement primaire et secondaire, en débarrassant l’enseignement des scories que sont les diverses doctrines pseudoscientifiques 6 ou moralisantes qui se sont imposées depuis plusieurs années, mettant à mal la transmission des connaissances.

On peut alors signaler que cette mise à mal de la transmis-sion des connaissances se produit dans une société que l’on se complaît à appeler la « société de la connaissance », mais il est vrai que celle-ci renvoie moins à l’homme qu’aux merveilleu-ses machines inventées par l’homme, comme si celui-ci délé-guait à ces machines le pouvoir de produire de la connaissance. C’est alors l’homo sapiens qui est remis en question, réduit à n’être que le serviteur de ces machines qu’il a construites mais qui lui apparaissent comme supérieures 7.

Alors, à quoi sert l’école, si ce n’est à conduire les nouvelles générations à s’asservir à la machine pour mieux devenir ce que l’on attend d’elles, les ressources humaines dont a be-soin le nouveau Leviathan qui s’appelle l’économie de mar-ché. Ainsi, la société de la connaissance n’est qu’une forme de présentation savante de l’économie de marché dont on nous répète qu’elle est la marque indépassable de notre temps. On peut alors espérer que les pesanteurs du milieu enseignant, à défaut de reconstruire une université du savoir et de la pensée, seront le grain de sable qui pourra s’opposer à cette dégradation de l’homo sapiens.

1 Rappelons que la loi Savary transformait les UER (Unité d’Enseignement et de Recherche) en UFR (Unité de Formation et de Recherche), changement de nom qui n’est pas anodin. Heureusement, nombre d’universitaires ne l’ont pas com-pris ou n’ont pas voulu le comprendre. Heureuses pesanteurs sociologiques !

2 Ainsi le découpage des gros certificats de Calcul Différentiel et Intégral, de Physi-que Générale ou de Chimie Générale, pour ne donner que quelques exemples.

3 Eric Maurin, La nouvelle question scolaire. Les bénéfices de la démocratisation, éd. du Seuil, Paris, 2007.

4 Je ne parle ici que de l’enseignement scientifique, mais les enseignements litté-raires ne valent pas mieux.

5 Un recteur de Lille proclamait, à l’époque où un ministre de l’Éducation Na-tionale lançait à la cantonade le slogan des 80 % au niveau du baccalauréat, que cela signifiait qu’on en recevrait huit sur dix. On y arrive, mais qu’est-ce que cela prouve, qu’on a reçu huit candidat sur dix ?

6 Rudolf Bkouche, Pseudosciences, Les Nouvelles d’Archimède 47, janvier-mars 2007.

7 Gunther Anders, L’Obsolescence de l’Homme (sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle) (1956), traduit de l’allemand par Christophe David), éd. de l’Encyclopédie des Nuisances, éd. IVEA, Paris, 2001.

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Sur le premier point, l’enjeu me semble devoir être de leur transmettre des connaissances et, si possible, une

solide culture générale, des méthodes et problématiques d’analyse de la réalité. Il convient de leur apprendre à cultiver un regard critique, c’est-à-dire à envisager les différents aspects d’une question et à « dénaturaliser » les réalités sociales. « Le bon sens » n’a pas, en principe, de place à l’université, sauf bien sûr comme objet d’étude. Notre posture intellectuelle est que les phénomènes sociaux ne sont jamais évidents, il convient de toujours se poser la question du pourquoi, du pour qui et du comment, de leur généalogie, de leur fonction et mode de fonctionnement, de leurs effets, notamment sur les rapports multimodaux de domination entre groupes sociaux, entre sexes, entre groupes divers. Faire comprendre que ce ne sont pas les « races » qui créent le racisme, mais le racisme qui crée les « races », fait probablement progresser dans la compréhension du social. Il convient donc de déconstruire le monde social, non pour le détruire, mais en vue de comprendre l’articulation de ses composantes. La discipline à laquelle je me rattache me rend probablement sensible à ces questions. Les spécialistes des sciences de la matière ou de la nature exprimeraient sans doute d’autres soucis ou exprimeraient autrement les mêmes soucis.

On le voit, on est loin d’une démarche monomaniaque de professionnalisation. Je conviens cependant volontiers qu’aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire de notre université européenne, environ sept siècles, l’Université a rempli cette fonction professionnalisante, et c’était même sa raison d’être vis-à-vis des clercs, des médecins, des juristes. Depuis le XVIIIème siècle, de grandes écoles forment des ingénieurs et, plus tard, l’université a entreprise de préparer aussi au professorat, notamment à l’agrégation (philo, let-tres, histoire, etc.). Aujourd’hui, les masters recherche sont aussi des cursus professionnalisants puisqu’ils préparent lé-gitimement au métier d’enseignant-chercheur ou de chercheur.

Ce qui est nouveau, me semble-t-il, est qu’à partir des an-nées 80, la combinaison entre la montée d’un chômage de masse durable, d’une part, et la massification des publics

étudiants, d’autre part, a généré une insistante demande de professionnalisation précoce, rapide, voire exclusive de tou-te autre préoccupation. La demande de professionnalisation émane, il est vrai, des entreprises trop heureuses d’externa-liser sur l’université, sur l’État et sur la collectivité, la mis-sion de former leur personnel, fonction qu’elles assumaient bien plus volontiers dans la situation antérieure. Cette quasi-sommation à la professionnalisation émane souvent aussi des étudiants eux-mêmes et de leurs parents. De façon contre-intuitive par rapport à ce à quoi on pouvait s’atten-dre, loin de favoriser les luttes collectives pour un partage des richesses et du travail, la montée du chômage a plutôt exacerbé la concurrence entre salariés et entre futurs salariés. Ils s’orientent vers des cursus leur permettant d’accroître leur chance de trouver un emploi. Dans ces conditions, aux yeux de beaucoup d’entre eux, une bonne formation est donc une formation qui répond aux attentes des employeurs et qui est sélective (la rareté du diplôme en fera tout le prix du point de vue des employeurs et du salarié).

Constatons que cette insistante exigence des employeurs et des jeunes intervient alors que les rapports de force sociaux entre les détenteurs du capital (patrons et actionnaires) et le travail (les salariés auxquels il convient d’ajouter les futurs salariés) se sont considérablement transformés si on les compare avec la situation qui prévalait approximativement jusqu’au milieu des années 70. Le capitalisme semble ne plus se heurter à des alternatives, les organisations syndicales perdent beaucoup de terrain, les partis de l’opposition institutionnelle renoncent à affirmer une réelle différence. Et, sauf en cas de plans de li-cenciements collectifs, depuis la fin des années 70, les conflits du travail visibles ont beaucoup régressé dans les entreprises privées. Bref, le paysage sociopolitique s’est considérablement transformé. La demande de professionnalisation, sous la for-me sous laquelle nous la recevons, est au moins partiellement produite et, en tout cas, impactée par cette évolution.

Devons-nous nous centrer sur l’attente de nos publics réels et potentiels ? Oui et non. Oui, car ne pas l’entendre c’est condamner nos disciplines à disparaître faute d’étudiants en nombre suffisant et à laisser presque tout le terrain aux écoles de gestion (écoles formelles ou informelles qui, tels les

À mes yeux de sociologue, ce n’est pas principalement le rôle de l’université de professionnaliser les étudiants, même si elle ne peut pas se désintéresser de cette question. Il me semble qu’eu égard à ses apprenants, le rôle de l’université est double :1. Les former sur le plan intellectuel, 2. Contribuer à en faire des citoyens.

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éléments de réflexion sur la demande de professionnalisation

Enseignant-chercheur à l’IUT « A » Université de Lille 1

Par Marnix DRESSEN

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coucous, pondent partout leurs œufs dans le système uni-versitaire et… dans les esprits). En l’absence de rapports de force permettant de renverser la vapeur, s’arc-bouter sur une conception ancienne de l’université, risque de conduire à la quasi-disparition de nombre de disciplines, à commencer, craignons-le, par la sociologie dont le regard critique dérange. Elle paye aussi l’absence de moyens qui lui sont attribués et son image trop déconnectée des préoccupations de son pu-blic potentiel. C’est pourquoi – principe de réalité –, en ré-ponse au caractère de plus en plus clairsemé de nos publics, il convient notamment de se battre pour plus de moyens (ceux-ci devraient au minimum égaler ceux qui sont attribués aux IUT). Il faut aussi réfléchir à la construction de « formations » qui répondent au moins à deux critères : exigence dans le ni-veau de l’enseignement (celui-ci doit demeurer élevé) et ingé-nierie pédagogique permettant la mise en place de diplômes attractifs pour nos publics potentiels. Enseigner la sociologie, pourquoi pas ? Mais, si nous voulons attirer des étudiants, ne vaut-il pas mieux enseigner la sociologie et l’anthropologie des quartiers (populaires ou bourgeois), formation qui pourra intéresser des employeurs comme les collectivités locales qui ont besoin de connaître les populations dont elles ont la charge ? Ce n’est, bien sûr, qu’un exemple. La mission est lourde car la construction de ces formations exige beaucoup de prises de contacts, de négociations et d’adaptation, voire de reconversion de la part des enseignants.

Disons maintenant pourquoi il ne faut pas, selon moi, ré-pondre mécaniquement aux attentes des publics potentiels sur la professionnalisation. Ce ne serait pas rendre service aux étudiants. Ils ne seraient pas armés intellectuellement pour comprendre les faits auxquels ils seront confrontés. Ajoutons que les employeurs les plus avertis savent bien que des étudiants étroitement professionnalisés ou des salariés par trop spécialisés ont une capacité d’adaptation assez li-mitée. Il est, en outre, parfaitement contradictoire d’affir-mer qu’il faudra, à l’avenir, de plus en plus fréquemment ac-cepter de changer de fonction professionnelle plusieurs fois au cours de sa vie et, en même temps, mettre un accent aigu sur la professionnalisation des jeunes. Il faut, au contraire, les armer intellectuellement et humainement, ce qui sera le meilleur gage de leur adaptation et de leur participation active à un monde qui bouge très vite. C’est bon pour eux, pour leur capacité à comprendre le monde qui les environne et sa complexité, c’est bon pour la société qu’ils construisent et construiront. Et si c’est mauvais pour les institutions éco-nomiques, il convient de se demander pourquoi…

La seconde fonction de l’Université, qui n’est pas sans lien avec la précédente, est de former des citoyens conscients de leur responsabilité collective et non des consommateurs in-dividualistes qui menacent toujours de se comporter, par-tout et en toutes circonstances, comme visant à minimi-ser leur investissement et à maximiser leurs avantages sans égard pour leur responsabilité sociale. En d’autres termes, il n’y a pas, à mes yeux, d’enseignement universitaire digne de ce nom sans une vision humaniste : confiance dans l’Hom-me, une certaine dose d’optimisme stratégique, la nécessité de participation à un effort collectif de construction des solidarités et de réduction des inégalités, d’avoirs, de savoirs et de pouvoirs.

Trois mois après l’ouragan Katrina qui a dévasté la Nou-velle-Orléans en août 2005, le très influent économiste

ultra-libéral Milton Friedman, 93 ans, écrit dans le Wall Street Journal un article qui fait grand bruit. « Les écoles de la Nouvelle-Orléans sont en ruine, tout comme les habita-tions des enfants qui les fréquentaient… C’est une tragédie. Mais c’est aussi une opportunité pour réformer radicalement le système éducatif ».

Comment ? Au lieu de dépenser des milliards de dollars dans la reconstruction et l’amélioration du système public existant, il faut mettre en place des écoles sur la base de fonds privés, le gouvernement se limitant, au-delà de sub-ventions pouvant inciter des capitaux privés à s’engager, à distribuer des « vouchers » (l’équivalent scolaire des chè-ques-restaurant) aux familles. Ces dernières peuvent alors les dépenser selon les règles d’un marché concurrentiel de l’éducation.

Des « think tanks » (littéralement « réservoir à idées ») conser-vateurs saisissent au vol la proposition de Milton Friedman et s’abattent sur la Nouvelle-Orléans avec, comme cadeau, quelques dizaines de millions de dollars promptement déblo-qués par l’administration Bush. Ils élaborent, sur les ruines matérielles et humaines de la ville meurtrie, un ambitieux plan de remplacement des « public schools » par des « charter schools », écoles privées, souvent à but lucratif.

Alors que les digues de la ville ne sont pas encore réparées et que l’électricité fonctionne toujours mal, la réforme scolaire est entreprise au pas de charge. Avant Katrina, il y avait 123 écoles publiques et 7 écoles privées. Deux ans plus tard, il reste 4 écoles publiques contre 31 charter schools. Les enseignants étaient représentés par un syndicat puissant. Leurs 4 700 membres sont tous licenciés. Seuls quelques jeunes sont réembauchés, à des salaires inférieurs. Pour l’un des principaux think tanks libéraux, l’American Enterprise Institute, « Katrina a accompli en une journée… ce que les partisans de la réforme scolaire en Louisiane n’avaient pu réaliser depuis des années ».

Parmi les messages de Milton Friedman, qui mourut un an plus tard, retenons celui-ci : rien ne vaut une bonne crise ou un désastre national pour vendre des biens publics à des intérêts privés. Mais il faut faire vite, pendant que les citoyens sont sous le choc. L’histoire montre toutefois que

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Milton Friedman, Katrina et la LRU

Professeur émérite d’économiePar Jean GADREY

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d’autres crises, désastres ou guerres ont, à l’inverse, conduit à réduire l’influence des intérêts privés, parce qu’alors des mouvements sociaux influents avaient pris la main.

Que vient faire la médiocre LRU dans cette histoire ? Aucun cyclone ne menace nos universités et le rapport des forces en France n’est pas celui qui existe aux États-Unis. Mais, dans de nombreux cas, on observe que les libéraux s’y prennent de la façon suivante pour déréguler les services publics. D’abord, on en organise l’asphyxie financière, for-me de démolition moins radicale qu’un cyclone, mais assez efficace. Les services publics ainsi mis à la diète forcée vont mal. Le public les critique pour leurs défaillances. Leurs responsables, par exemple les Présidents d’université, sont à la recherche de solutions alternatives. Ils commencent eux-mêmes, faute de mieux, à faire payer les usagers de plus en plus cher, à rendre payants des services jusqu’alors gratuits, et à se tourner vers des financements privés.

C’est alors que débarquent des réformistes libéraux qui viennent d’accéder au pouvoir. Ils se disent, dans la lignée des thèses de Friedman, qu’il faut faire vite, pendant que les résistances semblent affaiblies. Ils ont la solution. En France, une privatisation brutale des universités ne passerait pas. Mais, à défaut, on vise, comme première étape, une « auto-nomie », d’abord financière, plus large ensuite, élément clé de l’introduction d’une logique concurrentielle entre les établissements. Les financements privés des entreprises et des fondations renforceront cette logique, et ils iront évi-demment aux établissements qui sont déjà les plus cotés et les plus riches. Aux États-Unis, les dons versés à une poignée d’universités d’élite dépassent le total perçu par 80 % des 800 collèges et universités du pays.

D’autres étapes sont prévues. Car la fascination pour un modèle américain « à la Friedman » est forte chez les libé-raux français. Il y aura donc d’autres réformes dans cette voie… sauf si des mouvements sociaux d’ampleur reprennent la main, ce qu’ils ont commencé à faire.

L’analyse précédente est critique. Elle est dépourvue de toute proposition en vue d’autres réformes. Je voudrais tou-tefois conclure en affirmant que le couple qui, selon moi, devrait être placé au cœur de projets alternatifs est celui que forment l’égalité et la démocratie dite participative. C’est ce couple qui est menacé par les projets libéraux et mar-

chands, producteurs d’inégalités et de ploutocratie. C’est lui qui pourrait donner du sens à un autre enseignement supérieur. Car, s’il est vrai que les inégalités qui y règnent en France sont sans commune mesure avec celles qui exis-tent aux États-Unis, elles sont, et depuis longtemps, fortes, repérables selon diverses variables, comme la participation des enfants des catégories populaires aux diverses filières, ou les disparités des coûts publics par année d’études ou par filières. Une partie des inégalités repérables dans l’en-seignement supérieur se forme en amont, c’est vrai. Mais, s’agissant de l’effort public pour les diverses formations, il est inacceptable que l’on en fasse plus, parfois beaucoup plus, pour ceux qui sont déjà les plus avantagés. Il s’agit typiquement de discrimination négative, celle qui creuse les écarts éducatifs au lieu de les réduire. L’une des grandes valeurs fondatrices des services publics, qui est de favoriser l’égalité, est alors bafouée.

Quant à la démocratie participative, elle n’est pas négligea-ble dans les universités, mais elle est peu encouragée, et il semble même qu’elle ait régressé s’agissant de l’intervention étudiante dans la gestion, l’orientation, les contenus de l’enseignement, etc. Faut-il alors s’étonner lorsque certains mouvements de protestation prennent des formes « incon-trôlables » ? Les services publics français, qui ont de grands mérites par ailleurs, ont longtemps considéré l’usager comme un administré, pas comme un acteur. L’université se com-porte-t-elle mieux que beaucoup d’autres ?

Blog : http://www.alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey

Publications et interventions en ligne :http://www.univ-lille1.fr/clerse/site_clerse/pages/accueil/fiches/Gadrey.htm

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Les limites du volontarisme politique

Les limites du volontarisme en morale ont été pointées depuis longtemps. Faire dépendre l’attitude morale

d’un pur rapport entre soi et soi-même, de la fermeté des résolutions que l’on peut prendre en se prenant soi-même à témoin, ne conduit qu’à l’impasse. Car, comme l’avait sou-ligné St-Augustin, dans la solitude de l’intimité, le vouloir est toujours velle et nolle, vouloir et ne pas vouloir en même temps : « D’où vient ce fait monstrueux ? […] L’âme com-mande que l’âme veuille, qui n’est pas autre qu’elle-même, et néanmoins elle ne fait rien » 5. Plutôt que de compter sur la pureté de sa volonté pour éviter les fautes, il vaut mieux se mettre d’abord en condition pour ne pas les commettre. En ce sens, Rousseau avait parfaitement compris le problème en affirmant : « J’en ai tiré cette grande maxime de morale, la seule peut-être d’usage dans la pratique, d’éviter les situations qui mettent nos devoirs en opposition avec nos intérêts » 6. Nous pouvons mesurer ici toute la distance qui peut séparer la stérilité d’un volontarisme purement moral de l’efficacité d’une approche éthique des problèmes de la conduite hu-maine. Le traitement éthique pose la question des condi-tions dont toute volonté est tributaire. Or ce qui fait défaut au volontarisme politique est aussi une approche éthique des situations humaines.

Du décisionnisme à l’aventurisme politique

Le concept d’éthique relève étymologiquement de la notion grecque d’éthos qui désignait le caractère moral des hommes forgé par l’habitude et il renvoie au puits de légitimité que constituent les mœurs pour l’action politique. Celle-ci ne peut être efficace si elle prétend reposer exclusivement sur le libre arbitre d’un seul homme qui ferait de son Moi sou-verain l’unique principe. Toute politique qui se fixe « l’élec-trochoc » comme méthode de thérapie en vient à remettre

en cause ce qui constitue les mœurs aussi bien collectives que privées, c’est-à-dire l’esprit d’une nation, et joue ainsi à l’apprenti sorcier. Tout changement implique nécessaire-ment que quelque chose demeure, à l’aune de quoi il peut alors être mesuré. Or, c’est l’éthos républicain lui-même qui semble aujourd’hui remis en question par un décisionnisme exacerbé. On croit parfois poser des fondations alors que l’on ne fait que déconstruire et ruiner. Sous prétexte de mo-dernisation, des principes fondamentaux – comme le rôle irremplaçable du juge, le sens de la continuité de l’État, le respect de la laïcité inscrite dans la constitution, l’autono-mie des rouages de l’administration, la place du service pu-blic, etc. – sont ainsi mis en péril. Prétendre qu’agir consiste à choquer – dans tous les sens du terme – ne conduit qu’à une conception disruptive du fonctionnement de l’État qui lui ôte alors le sens dont il se réclame : « Le pouvoir le plus immense est toujours borné par quelque coin… Il y a dans chaque nation un esprit général, sur lequel la puissance est fondée ; quand elle choque cet esprit, elle se choque elle-même, et elle s’arrête nécessairement », remarquait Montesquieu 7. Le triomphe du décisionnisme politique ne remet pas seulement en question les statuts, les fonctions et les institutions elles-mêmes, mais il conduit surtout à l’aventurisme politique. Moderniser ne peut consister à pré-tendre que tout pourrait sortir de tout, au gré des saccades d’une volonté qui se justifierait en se réclamant d’un état d’urgence permanent qu’elle aurait elle-même décrété, sans rien hiérarchiser. Le sens des événements n’est pas suspendu à l’idée censée les produire, mais renvoie au projet concret d’un avenir qui s’élabore et mûrit dans la coexistence sociale et le creuset collectif. Comme le disait Merleau-Ponty, il est indispensable de « distinguer l’aventurier de l’homme d’État, l’imposture historique et la vérité d’une époque » 8.

Par Alain CAMBIERDocteur en philosophie,

professeur en classes préparatoires, Faidherbe - Lille

« Si je veux, j’ordonne ; ma volonté tient lieu de raison » 1 : la formule en impose et illustre bien le volontarisme politique qui était censé servir de clef de voûte à la monarchie absolue. mais celle-ci relevait, en réalité, du règne de l’imaginaire, puisque faire croire que le destin d’un pays puisse relever de la volonté d’un seul homme – fût-il le roi – revenait à entre-tenir la pire des superstitions 2. Pourtant, aujourd’hui, le volontarisme politique est de nouveau revendiqué comme une panacée. que ce soit sur le plan économique ou politique – aller chercher la croissance économique « avec les dents », réaliser la rupture, etc. –, les « je veux » se multiplient, de manière obsessive, dans les discours officiels 3. Comme s’il suffisait de vouloir pour pouvoir… En proclamant que tout est possible, on commet un déni de réalité dangereux. Plus qu’une méprise sur la nature de l’action politique, ce volontarisme politique met au jour, jusqu’à la caricature, les travers de notre constitution actuelle. C’est pourquoi certains pointent une dérive vers une « monarchie élective » 4. mais le volontarisme dont il est ici question ne fait-il pas planer une menace plus pernicieuse encore que celle d’une régression monarchique ?

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Un volontarisme envahissant

Le risque de l’aventure politique est d’autant plus grand lorsqu’on cherche à incarner, à soi seul, l’action politique : en réduisant les contre-pouvoirs 9, en forçant la main du Parlement, en corrompant le rôle même qu’en démocratie l’opposition doit jouer, en abaissant la fonction ministérielle au profit de conseillers personnels, voire en prétendant faire évaluer les « performances » de l’action ministérielle par un organisme privé. L’aveu d’impuissance dans certains do-maines 10 renforce la tentation de s’immiscer dans d’autres qui ne sont pas de son ressort. Or, la conséquence s’avère redoutable : en voulant s’occuper de tout, en faisant tout re-lever de son pouvoir discrétionnaire, le volontarisme peut se montrer liberticide. Souvenons-nous encore de ce que disait Montesquieu : « La monarchie se perd lorsque le Prince veut tout faire par lui-même ; qu’il ambitionne les détails ; que là où il ne peut pas agir, il ne veut pas qu’on agisse, et que là où il ne peut pas examiner, il ne veut pas qu’on examine ; lorsqu’il croit qu’il montre plus sa puissance en changeant l’ordre des choses qu’en le suivant ; lorsqu’il ôte les fonc-tions naturelles des emplois pour les donner arbitrairement à d’autres ; lorsqu’il est trop jaloux de ses tribunaux et de ses grands et pas assez de son Conseil ; en un mot, lorsqu’il est plus amoureux de ses fantaisies que de ses volontés » 11. La confusion des genres n’est pas seulement une faute de goût, elle se transforme en faute politique quand elle conduit à la confusion des ordres 12.

Dérive monarchiste ou populiste ?

Dans la monarchie absolue, le souverain puisait sa légitimité non seulement du paroxysme de puissance politique dont il disposait, mais avant tout du principe de représentation dans lequel il se drapait. Sa volonté relevait de son métacorps royal incarnant la puissance publique. Cette représentation exi-geait un genre supérieur d’existence qui puisse coïncider avec cet être public qu’il s’agissait de donner à voir. C’est pour-quoi des mots comme grandeur, majesté, gloire, dignité et honneur pouvaient, dans le cadre de la monarchie, avoir un sens et faire la différence avec le simple despotisme. Or, en entretenant la confusion entre chef d’État et chef d’entre-prise, la dimension même de l’action politique se retrouve réduite à une technique de management exclusivement adap-tée à la sphère privée. En outre, en prétendant se mettre en scène « tel qu’il est », la fiction politiquement fondatrice sur laquelle repose la légitimité du pouvoir d’État n’opère plus

et laisse place, sous prétexte de transparence, à la « starifi-cation » aveuglante, par la presse people, de la gestuelle tri-viale de l’individu censé représenter la puissance publique. Montesquieu affirmait que le principe de la monarchie est l’honneur, celui de la république la vertu, mais il faut ajouter que le principe de la démocratie moderne repose justement sur le caractère inappropriable du pouvoir, sur son caractère infigurable, son impersonnalisation.

Si la démocratie prend le contre-pied de la monarchie en vidant le pouvoir de tout titulaire propre, elle ne peut que se situer aux antipodes d’un régime qui prétend faire de la volonté personnelle d’un seul le centre de gravité de toute la vie politique d’un pays. Mais si la démocratie remet égale-ment en question le principe de représentation iconique sur lequel la monarchie absolue s’articule, elle ne peut non plus trouver son compte dans un imaginaire de pacotille 13, c’est-à-dire dans la mise en scène idolâtre des arcanes du pouvoir et de ses rodomontades.

1 Cf. la formule latine : « Sic volo, sic jubeo, stat pro ratione voluntas ».2 Cf. Spinoza, Traité politique, chapitre 6, §§ 3-4.3 « Quand il y a une volonté politique à la tête du pays, c’est la France qui se remet en marche », discours du 18 janvier à Sens.4 Expression utilisée par Laurent Joffrin, directeur du journal Libération ; thèse également soutenue par Patrick Rambaud dans son ouvrage sorti chez Grasset le 30 janvier. Cf. également l’appel du 14 février « Pour une vigilance républicaine », publié dans Marianne n° 565. Rappelons cependant que Maurice Duverger avait déjà, en son temps, qualifié la Vème République de « monarchie républicaine ».5 Saint-Augustin, Confessions, VIII.6 Rousseau, Les Confessions, II.7 Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence.8 Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception.9 Cf. notre théorie des média-corps que nous avons développée dans Qu’est-ce que l’Etat, éd. Vrin, Coll. Chemins Philosophiques.10 « Le débat sur le pouvoir d’achat est absurde. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Que je vide les caisses déjà vides », conférence de presse du 8 janvier. Il s’agit d’un aveu d’impuissance dont le volontarisme devrait tirer des leçons d’humilité et qui est révélateur, a posteriori, de l’imposture de promesses irresponsables.11 Montesquieu, Œuvres complètes, éd. La Pléiade, II.12 Au sens pascalien du terme : respectivement la chair, l’esprit et la charité. 13 Qui confond Realpolitik et reality show, dans le seul but de divertir pour empêcher de réfléchir.

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1. Le film de Robert Bober (1992) et le projet perec-quien les lieux (1969-1980)

C’est le surlendemain de la mort de Georges Perec, en mars 1982, que Robert Bober se rend rue Vilin1. C’est dix ans plus tard, en 1992, qu’il réalise En remontant la rue Vilin.

Georges Perec et Robert Bober étaient amis et avaient tra-vaillé ensemble : mieux, ils s’étaient connus autour de pro-jets cinématographiques. Ce fut Récits d’Ellis Island (1978-1980), projet qu’ils ont porté ensemble (idée de Bober, textes de Perec, film de Bober et Perec). Quelques années plus tôt, c’est déjà un pro-jet de film de Bober, en même temps qu’un livre de Perec, W ou le souvenir d’enfance, qui les fait, en 1975, se rencontrer : « Quand je préparais Réfugié provenant d’Allemagne, apa-tride d’origine polonaise, j’ai lu W. J’ai failli alors ne pas réaliser le film, tant les préoccupations de Perec étaient proches des miennes. Je l’ai rencontré peu de temps avant le tournage et il semblait très intéressé par ce que je souhaitais faire, ce qu’ il me confirma après le visionnement du film, en me proposant un jour de travailler ensemble » 2.

Robert Bober réalise le film En remontant la rue Vilin à partir, notamment, d’archives laissées par Georges Perec dans son projet de faire l’observation de douze lieux parisiens. L’en-treprise a pour titre « les lieux », un « projet de douze ans », planifié pour les années 1969 à 1980 : observer ces douze lieux à plusieurs reprises, non seulement pour en relever les transformations objectives, mais pour mettre également en travail la subjectivité de celui qui les observe et de celui qui s’en souvient.Georges Perec s’explique de ce projet dans deux pages (77 et 78) de son ouvrage Espèces d’espaces (1974), dont un passage est cité dans le film : « En 1969, j’ai choisi dans Paris 12 lieux (des rues, des places, des carrefours, un passage), ou bien dans lesquels j’avais vécu, ou bien auxquels me rattachaient des sou-venirs particuliers. (…) Ce que j’en attends, en effet, n’est rien d’autre que la trace d’un triple vieillissement : celui des lieux eux-mêmes, celui de mes souvenirs, et celui de mon écriture ». Lisons Perec précisant sa méthode : « J’ai entrepris de faire, chaque mois, la description de deux de ces lieux. L’une de ces descriptions se fait sur le lieu même et se veut la plus neutre possible : assis dans un café, ou marchant dans la rue, un carnet et un stylo à la main, je m’efforce de décrire les maisons, les magasins, les gens que je rencontre, les affiches, et, d’une manière générale, tous les détails qui attirent

mon regard. L’autre description se fait dans un endroit diffé-rent du lieu : je m’efforce alors de décrire le lieu de mémoire, et d’ évoquer à son propos tous les souvenirs qui me viennent, soit des événements qui s’y sont déroulés, soit des gens que j’y ai rencontrés. Lorsque ces descriptions sont terminées, je les glisse dans une enveloppe que je scelle à la cire. À plusieurs reprises, je me suis fait accompagner sur les lieux que je décrivais par un ou une ami(e) photographe qui, soit librement, soit sur mes indications, a pris des photos que j’ai alors glissées, sans les re-garder (à l’exception d’une seule) dans les enveloppes corres-pondantes (…). Je recommence chaque année ces descriptions en prenant soin, grâce à un algorithme auquel j’ai déjà fait allusion (bi-carré latin orthogonal, celui-ci étant d’ordre 12), premièrement, de décrire chacun de ces lieux en un mois différent de l’année, deuxièmement, de ne jamais décrire le même mois un même couple de lieux » 3.Cette entreprise, qui n’est pas sans rappeler dans son principe les « bombes du temps », durera donc douze ans, jusqu’ à ce que tous les lieux aient été décrits deux fois douze fois ».

À mi-parcours de « l’entreprise », qui prévoyait la rédaction de 288 textes, Georges Perec s’en détache (après sept ans, selon Bober), mais laisse 133 enveloppes, cachetées à la cire, qui contiennent des notes d’observation de ces lieux, ainsi que ces photographies, dont la réalisation a été confiée, par lui, à des amis photographes. Parmi ces notes d’observation et ces photographies, on trouve celles qui concernent la rue Vilin, une rue du quartier po-pulaire de Ménilmontant, à Paris : une rue classée en 1863, déclarée insalubre en 1963 et définitivement détruite en 1982 pour être remplacée, dans le cadre d’une opération dite « d’aménagement concerté » (Z.A.C.), par un parc urbain. Mais aussi une rue particulière pour Georges Perec puisqu’il l’habita jusqu’à l’âge de six ans, dans une enfance doublement frappée par les drames de la seconde guerre mondiale et des camps d’extermination : une enfance placée sous une double perte, celle de son père, mort au front de 1940, et celle de sa mère, déportée sans retour en 1943, morte à Auschwitz. Bober rappelle que, quand Perec a écrit la série des Lieux, il l’a commencée et terminée par la rue Vilin, « le dernier texte portant le titre ‘Travail égale torture’ ». Le film de Robert Bober nous confie que la seule photographie que Perec ait regardée, parmi toutes celles qu’il a glissées sans les regarder dans les enveloppes, c’est celle de l’entrée du petit salon de coiffure de sa mère, au numéro 24 de la rue Vilin. Et le film nous montre une photographie de Perec se refu-

Qu’est-ce que filmer ce qui, du lieu, a eu lieu ?Présentation de En remontant la rue Vilin, film de Robert Bober (1992)

Institut de Sociologie et d’Anthropologie, Clersé, Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et Économiques – programme de recherche Culture(s),

Patrimoine(s), Mémoire(s) – Université des Sciences et Technologies de Lille (USTL, Lille 1)

Par Jacques LEMIÈRE

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sant à entrer à ce numéro 24 : « Je ne suis pas entré », écrit Georges Perec dans ses notes du moment, notes que l’on entend, lues par M. Cuvelier, dans le texte du film de Robert Bober 4.

2. Georges Perec, de la rue Vilin (1936) à la rue Vilin (1980), en passant par le roman « la disparition » (1969)

Né à Paris le 7 mars 1936 de parents juifs polonais émigrés en France, orphelin de son père en 1940 et de sa mère en 1943, l’enfant est élevé dans la famille de son père. Le jeune homme fait des études de lettres et de psychosociologie, cette dernière discipline laissant des traces dans son œuvre, qu’elle soit littéraire (Les choses) ou cinématographique (Un Homme qui Dort). Étudiant, tout en exerçant de petits mé-tiers de la sociologie, il écrit, entre 1954 et 1962, plusieurs livres qui ne seront pas publiés. Son premier roman, Les Choses (1965), examine la « société de consommation » naissante au travers de la description de jeunes gens qui vivent en faisant des enquêtes de sociologie et qui sont exposés à cette advenue des « choses » : ce « roman de ton flaubertien, rigoureux et implacable » est « d’emblée un succès public, et d’estime » (Jacques Jouet 5). En 1966, le petit livre Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? est un témoignage de la lourde contrainte qui pèse, entre 1954 et 1962, sur les jeunes hommes qui ne veulent pas partir en Algérie, pour y faire, dans le cadre d’un long service militaire obligatoire, la guerre coloniale. Un homme qui dort (1967), que Perec portera lui-même au cinéma, avec l’aide de Bernard Queysanne, traite de la tentation « du détachement, de l’absence au monde, de l’ inexistence » chez un personnage – un jeune étudiant en sociologie qui devrait pourtant, un beau matin, se rendre à un examen de sociologie, pour y traiter « de l’opposition entre Marx et Tocqueville, ou de la rivalité de Max Weber avec [le marxiste hongrois] Lukacs » (citation du film). On y trouve présent le thème perecquien du sentiment « d’ être sans passé, sans origines, dépourvu de mémoire » (Jacques Jouet).

La disparition (1969) est une œuvre qui diffère des précé-dentes au sens où, sur le plan formel, elle est marquée par la rencontre de Georges Perec avec l’OULIPO, L’Ouvroir de Littérature Potentielle, un groupe d’écrivains qui réfléchit et pratique l’écriture sous contraintes, notamment mathé-matiques et algorithmiques. Avec La disparition, Georges Perec se donne la contrainte de ne jamais employer, dans ce

texte, la lettre E qui est cependant la lettre la plus fréquente dans la langue française (dans cette dernière phrase, la lettre E est présente 28 fois, dont 4 dans les seuls prénom et nom de Georges Perec) 6.Dans son livre plus tardif (1975), W ou le souvenir d’enfance, évoqué plus haut, l’auteur nous apprendra que dans le nom hébraïque qui donne origine à Perec, et qui est Peretz (ce qui signifie « trou » en hébreu), la lettre E peut être absentée de ce nom sans en altérer le sens. Un lien est donc établi entre la disparition de la lettre E dans le roman « La disparition », la disparition de la lettre E dans le nom de famille de Perec, et la disparition de ses parents, au front de la guerre de mai et juin 1940, pour l’un, et dans les camps d’extermination, pour l’autre : W ou le souvenir d’enfance alterne chapitres fic-tionnels et chapitres autobiographiques, « les deux directions menant à un même point, situé au cœur des camps d’extermi-nation » (Jacques Jouet). Ce lien entre les deux disparitions (celle des parents, celle de la lettre E dans le nom de famille) est, de surcroît, attesté par la dédicace sur laquelle s’ouvre son livre W : « pour E », qui sera entendu « pour eux ». Le film de Robert Bober approfondira l’examen de cette relation, en allant interpréter jusqu’à la graphie de Georges Perec, dans ses notes d’observation de la rue Vilin.

3. « faut que j’aille voir avant que tout ça ne dispa-raisse ! » (Raymond Queneau)

En 1973, « La boutique obscure, 124 rêves » rappelle l’expé-rience que Perec a de la psychanalyse, et « Espèces d’espaces », en 1974, on l’a dit, l’histoire de Perec avec la sociologie. Imaginaire et banalité quotidienne sont les deux sources d’inspiration du romancier, et « Espèces d’espaces » peut être lu aujourd’hui, par le sociologue ou l’ethnologue, comme une leçon d’observation de cette banalité quotidienne 7. Les questions de Perec/écrivain seront toujours celles qu’il pose dans ses « Récits » d’Ellis Island, à New York (1980), questions citées au début du film de Robert Bober : « Com-ment décrire ? Comment raconter ? Comment regarder ? », ceci valant pour ce qui existe encore et qu’on a sous les yeux (même si nos yeux ne savent pas voir), mais encore plus pour ce qui a eu lieu et qui a disparu : à Ellis Island, le centre d’enregistrement et de tri des immigrants aux États-Unis ; à Paris, dans le quartier populaire de Ménilmontant, la rue Vilin… la rue Vilin qui n’a pas seulement disparu quand elle a été rasée pour faire place à un parc, mais qui avait déjà disparu, en un sens, quand Perec y retourne au

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début du projet littéraire des Lieux : « La rue Vilin était un lieu appelé à être détruit, et elle ne ressemblait en rien à celle où il avait vécu enfant » 8.

D’où l’importance, pour Perec, de la leçon de Raymond Queneau (un des grands inspirateurs de l’OULIPO) : « faut que j’aille voir avant que tout ça ne disparaisse ! ». D’où le projet, évoqué plus haut, de cet enregistrement des douze lieux parisiens, qui devait être aussi, pour Perec, un grand projet autobiographique.La suite de l’œuvre de Perec continue cette exploration lit-téraire de la mémoire. Je me souviens (publié en 1978 – et plus tard porté à la scène par le grand acteur Sami Frey) est une recherche, par l’écriture, sur le souvenir personnel en tant qu’il est aussi articulé à des repères (historiques et politiques, artistiques, publicitaires, sociologiques) de la mémoire collective, de ce qui fait le souvenir commun d’un pays et/ou d’une génération. En 1978 est également publié La vie mode d’emploi, livre sous-titré « romans » (au pluriel), qui mobilise plus d’une centaine d’histoires qui sont autant de destins d’hommes et de femmes du siècle. Georges Perec meurt précocement, à 46 ans, à Ivry, le 3 mars 1982, après avoir encore publié Un cabinet d’amateur et La clôture et autres poèmes, mais sans avoir pu mener à terme d’autres projets comme Esther (un grand roman fa-milial) et 53 jours, qui paraîtra inachevé, de manière pos-thume, en 1989. La destruction de la rue Vilin, par les bulldozers de l’opéra-tion « de restructuration urbaine », s’acheva, ironie de l’his-toire, dans les jours mêmes qui suivirent la mort de Perec.

4. Comment, par le cinéma, dire, du lieu, ce qui a eu lieu ?

Le film En remontant la rue Vilin articule donc la réflexion de Perec sur l’observation des lieux et la banalité des com-portements quotidiens dans la ville (Espèces d’espaces), à l’examen de la faille personnelle qui est dite par Georges Perec dans W ou le souvenir d’enfance. Superbe hommage de Robert Bober à Georges Perec, le film, dans son esprit comme dans sa forme, est extrême-ment fidèle à l’œuvre de Perec lui-même. Si on retient le jugement final que Jacques Jouet porte sur cette œuvre, à savoir qu’elle se tient sur les doubles versants du formel et de l’historique, de l’intime et du collectif, du ludique et du tragique, on peut assurément dire que Robert Bober a réussi un film qui retrouve ce système de dualités.

C’est aussi, doublement, un film sur ce qui a eu lieu : la rue Vilin, mais aussi l’œuvre de Georges Perec, et, dans cette œuvre, ce qui procédait de la singularité de sa vie. Et si, pour Perec, au début du projet littéraire des Lieux, la rue Vilin de l’enfance a disparu, pour Bober, (qui se rend rue Vilin, on l’a dit, le surlendemain de la mort de Georges Perec), c’est la disparition de son ami qui est au cœur du projet du film En remontant la rue Vilin, au cœur de la dis-parition/reconstitution (cinéphotographique) de la rue.

Ce film-hommage sera donc, dans une visée, disons, de transmission, et « de culture générale », une très belle intro-duction à l’œuvre de Perec, et, assurément, une incitation à la lire. Dans un usage « pour sociologues et ethnologues », il est plus précisément une invitation à s’instruire, dans Espèces d’espaces, de ces pages qui sont des leçons pour ce qu’on pourrait appeler l’observation plate, l’observation du plus banal : l’observation la plus difficile aussi, parce qu’obser-vation de ce qu’en général on ne sait pas voir, ou plus voir. Avec cette attention portée aussi, dans l’acte d’observer, à l’infrastructure matérielle qui fait la forme des lieux (une rue, des immeubles, des façades, des enseignes, des fenêtres, des volets…), en deçà de la définition du lieu qui, dans l’ac-ception sociologique, ne saurait, évidemment, exempter la présence de ceux qui les peuplent et les interactions entre ceux qui les habitent : les lieux, comme système de relations sociales, sont d’abord des lieux comme structures et comme formes.

Plus profondément, ce film est une réflexion cinématogra-phique sur la question : qu’est-ce que filmer ce qui a eu lieu ? Ici, sur la question : comment, par les moyens du cinéma (et l’articulation particulière du cinéma avec la photographie 9), dire, du lieu, ce qui a eu lieu. La rue Vilin n’existe plus aujourd’hui (sauf dans la mé-moire de ceux qui l’ont connue directement) que par les images des albums de photographes (et pas seulement ceux que Perec y a fait travailler : Robert Doisneau, et d’autres, y ont promené leur regard et leurs objectifs) et, comme le rappelle le film à son début, dans les images qui en furent tournées par le cinéma français : un film avec Harry Baur, Casque d’Or avec Simone Signoret, Jules et Jim de François Truffaut (dont Bober a été assistant) ; et enfin Un Homme qui Dort, de Bernard Queysanne et Georges Perec, pour le plan final de ce film.

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C’est en fidélité et en partage de l’obsession perecquienne du travail sur la mémoire, et sur la mémoire des lieux 10, que Robert Bober a pu ajouter aux précédents un film qui, cette fois, s’engage dans un essai, rare et systématique, de reconstruction mémorielle d’une rue (et de cette rue-là), par assemblage des photographies retrouvées de cette rue, quelle qu’en soit l’origine :« La reconstitution de la rue est une sorte de miracle, la réso-lution d’un puzzle, un hommage à Perec, tout en introduisant mes propres préoccupations. Je pouvais donner à voir cette rue à ceux qui y ont vécu, qui ne peuvent qu’en parler, qui ont peut-être vu ici ou là une photo de Ronis ou de Doisneau, ou la faire exister pour ceux qui n’y sont jamais allés. J’ai souhaité montrer le moment où je mets ensemble les pièces de ce puzzle, en filmant les mains qui font se rejoindre les volets, les gouttiè-res, sans qu’ il y ait la volonté d’un raccord parfait entre toutes les photographies : c’est comme une déambulation chaotique. Il manque cependant la présence essentielle de Perec, comme il manque aujourd’hui la vraie rue » 11.

Le film se tient dans la confrontation des traces (dans l’objec-tivité qui est rendue possible par les archives, le cadastre, les notes de Perec, les diverses photographies) et de la dimension fictionnelle de la mémoire. Il est structuré par la position de surplomb du récit que « l’enquêteur Bober » peut constituer à partir de ce qu’il sait, par son enquête, de l’histoire de la rue Vilin comme de la relation subjective de Perec à cette rue, dans son effort d’y faire « retour » en même temps que d’en faire l’observation la plus attentive.Jamais, pourtant, le récit du cinéaste (et ami) n’abdique sa propre subjectivité et ne cesse lui-même d’être un récit à la première personne : « Je n’aime pas beaucoup l’ idée que le documentaire, ce serait le ‘cinéma du réel’. Il y a la même mé-diation du récit dans le documentaire que dans la fiction » 12.

En remontant la rue Vilin est ainsi une belle et décisive contribution aux questions que pose au cinéma tout projet de « filmer la mémoire ».

Février 2006 13

1 Introduction à « L’histoire, avec sa grande hache », entretien de 1996 avec Robert Bober, dans L’ historien et le f ilm, de Christian Delage et Vincent Guigueno, éd. Gallimard, 2004.

2 Avant de réaliser ces films, « Robert Bober, né le 17 novembre 1931 de parents émigrés juifs polonais, a été successivement tailleur, potier, éducateur, assistant de François Truffaut, puis réalisateur pour la télévision et écrivain » (L’historien et le film, op. cité).

3 Espèces d’espaces, Galilée, 1974.

4 « Retourner dans cette rue était une démarche difficile pour lui : il y avait certai-nement un manque que W n’avait pas réussi à combler. Arrivé devant le numéro 24, où sa mère tenait un salon de coiffure, il n’est d’ailleurs pas entré. C’est dans la démarche littéraire des Lieux, en mêlant la rue Vilin à d’autres rues de Paris qu’ il a vaincu cette angoisse » (Robert Bober, entretien, L’historien et le film, op. cité).

5 Article « Georges Perec » du « Nouveau dictionnaire universel des œuvres et des auteurs », V. Bompiani et R. Laffont éditeurs, 1994.

6 En écho de cette « disparition » de la lettre E, Perec la fera revenir dans un texte entièrement dédié à ce retour, Les revenentes, puisque le E y exclut les autres voyelles.

7 C’est ce que nous avons fait, ce semestre, à l’Institut de Sociologie et d’Anthro-pologie de Lille 1, dans trois groupes de « Méthodes qualitatives » (de Licence 5 de Sociologie) qui ont travaillé sur les fenêtres (décoratives, déclaratives et/ou mobilisatrices) des rues de villes du Nord.

8 Robert Bober, entretien, L’historien et le film, op. cité.

9 Et avec le dessin de l’architecte, aussi. Sur la photographie et le cinéma, écou-tons Robert Bober : « La photographie, c’est une manière de retenir une certaine mémoire, d’arrêter le temps. Le cinéma, c’est la mise en récit » (entretien, L’historien et le film, op. cité).

10 Non seulement fidélité à cette préoccupation constante de Perec, mais partage total avec Perec de cette préoccupation, puisqu’on la retrouverait, non seulement dans leur film commun Récits d’Ellis Island, lieu où Perec est emmené par Bober, dont le grand-père s’est précisément fait refouler en 1900 au centre de contrôle de l’immigration d’Ellis Island, mais aussi dans le film antérieur de Robert Bober, Réfugié provenant d’Allemagne, apatride d’origine polonaise, où le cinéaste se rend à Radom, en Pologne, dans la rue et dans la maison où sa famille avait vécu, avant l’exil.

11 Robert Bober, entretien, L’historien et le film, op. cité.

12 Robert Bober, entretien, L’ historien et le film, op. cité. Bober ajoute cette illustration : « Prenons l’exemple d’un lynchage : à partir du scénario établi, on peut tout filmer du point de vue de la foule qui lynche, ou bien de la famille du lynché, ou encore du lynché lui-même : c’est le choix du réalisateur. Dans mon travail, c’est pareil ; tout est dans la manière d’ écouter et de regarder, et donc dans la façon dont j’ inscris le spectateur dans une scène de lecture ».

13 Merci aux participants de la rencontre du 2 février à l’Espace Culture de l’Uni-versité de Lille 1 pour leurs questionnements sur les démarches croisées de Georges Perec et de Robert Bober, qui m’ont conduit à enrichir une première version de ce texte, qui y avait été présentée, ainsi qu’à Blandine Mortain et Claude Bonnette-Lucat pour leurs remarques sur cette première version.

Photographies : Ville de Paris – Direction de l’aménagement urbain

On devine encore l’inscription « Coiffure Dames » sur la façade de la maison en briques (à droite), petit salon de coiffure de la mère de Perec.

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La grande notoriété n’apparaît-elle pas une fois en-core comme le pire ennemi de la connaissance, de

la reconnaissance scientifique ? Il en va de Bourdieu comme de Rubens et de Claudel. Nul n’ignore qu’il est un sociologue, ou plus exactement un intellectuel, et même un intellectuel engagé, de la même façon qu’on sait des deux autres respec-tivement que le premier a peint des femmes plantureuses et que le second est un auteur « catho ». Le nom de Pierre Bourdieu est, de nos jours, régulièrement évoqué, quand il s’agit de ses pairs, les intellectuels donc, surtout en raison de leur silence : Bourdieu faisant figure de dernier héri-tier de Sartre, celui des jugements et actions politiques, de « l’engagement ». Et la comparaison s’impose vite entre le philosophe haranguant Billancourt du haut d’un tonneau, et le sociologue amaigri, le cou ceint d’un cache-nez écos-sais, parlant dans un porte-voix aux occupants de l’École Normale Supérieure rue d’Ulm, en janvier 1998. Comme si Bourdieu, depuis la publication de La Misère du Monde 1, depuis sa « consécration » médiatique à La Marche du siè-cle, l’émission phare de la 2ème chaîne dans les années 90, était à ce titre et en premier lieu le remplaçant de celui qu’il surnommait « l’intellectuel total » parce qu’il s’exprimait sur tout et partout.

Or Bourdieu, très tôt, s’est démarqué de cette figure arché-typique de l’intelligentsia à la française : s’il y est encore assimilé, c’est en raison d’analogies grossières, ignorantes des modalités particulières de sa présence publique. Cette dernière, par ailleurs, occulte l’œuvre du sociologue, dont pourtant nombre de notions et concepts sont passés dans le « langage ordinaire », notamment ceux dont traitent ses premiers ouvrages, Les héritiers 2 et La reproduction 3. Mais justement, ces textes, qui dénoncent les mécanismes de pré-servation de la société de classes, en raison de l’échec d’une école qui perd dans cette enquête sa réputation d’émancipa-trice, ces textes, qui signent la première reconnaissance de Bourdieu, contribuent aussi à lui assurer une réputation de marxiste. Non sans que l’effacement progressif du nom de son compagnon d’écriture et de recherche, et de ses succes-seurs, ne lui taille en sus une figure d’autocrate, « tirant la couverture à lui » au terme d’un travail collectif d’enquête.Ces idées et images reçues, qui font de Bourdieu un intel-lectuel médiatique, marxiste et dominateur, masquent une œuvre importante par son caractère fondateur, vaste par les domaines qu’elle explore, une présence conséquente spéci-

fique dans la cité, dans la stricte application de ce que le penseur, sapant la dichotomie ordinaire « de la pensée et de l’action », appelle « le sens pratique ».

En effet, Bourdieu, premier titulaire d’une chaire de socio-logie au Collège de France, Normalien, est, comme nombre de sociologues des années 50, agrégé de philosophie. Quand il commence de l’étudier et de l’appliquer, la sociologie n’est pas encore une discipline universitaire : ce qui compte en l’occurrence n’est pas tant la reconnaissance institutionnelle que la constitution d’un « corpus », c’est-à-dire de thémati-ques portées par des œuvres et explorées selon des métho-des. Or, sans surprise, la sociologie qui prévaut au sortir de la guerre est importée des États-Unis, avec ses problémati-ques tirées de l’économie et de la politique, et sa fameuse méthode statistique – chiffrée donc – qui lui sert de caution scientifique. L’une des réussites de Bourdieu est d’avoir im-posé la sociologie comme discipline à part entière, au mo-ment de la création de la VIème section de l’EPHE sous la houlette de Fernand Braudel. À la demande de l’héritier de l’école des Annales, il y assure un enseignement intensif qui débouche sur le « manuel » Le métier de sociologue 4, écrit avec Jean-Claude Passeron et Jean-Claude Chamboredon.

La sociologie de Bourdieu s’impose par une originalité née de sa combinaison créative de modèles antérieurs et éprou-vés. Lui-même se donne pour ancêtres majeurs Durkheim le « positiviste » et Max Weber l’humaniste. À l’un, il em-prunte sa conviction de la détermination sociale de l’indi-vidu, au second, son approche dite « compréhensive » des sciences humaines, la part laissée au sujet et à son histoire dans l’appréhension du monde. Il complète avec la phéno-ménologie du corps de Merleau-Ponty, l’ethnologie de Lévi-Strauss, la pensée relationnelle de Cassirer, et son propre bagage philosophique, dont Leibniz est l’étoile. C’est dire qu’il s’oppose résolument au modèle quantitativiste américain. Il se distingue également de ses confrères et contemporains par le choix de ses thématiques. Les précédents s’attachent au monde industriel, à ses pratiques, son organisation, la société et la politique qu’il engendre, globalement envisagées. Les questionnements de Bourdieu proviennent de la volonté de comprendre son expérience personnelle : ce qui justifie, plus finement que sa scission de la société entre dominants et dominés, d’un côté, sa réflexion sur la violence symbolique – celle qui s’exerce avec l’accord implicite de celui qui en

Pierre Bourdieu, entre notoriété et reconnaissance

Docteur (HDR) en philosophie, professeur associé à l’Université Marc Bloch de Strasbourg

Par Marie-Anne LESCOURRET

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pâtit – et, d’un autre côté, son exigence de la réflexivité, de la mise au clair par le sociologue lui-même des conditions de possibilité de son discours. À ce titre, Bourdieu fait de la sociologie un complément nécessaire de la théorie critique (kantienne) de la connaissance, quand le rapport transcen-dantal s’effectue non plus avec le sujet, ni avec le langage, comme c’était le cas dans la « grammaire » wittgensteinienne, mais avec la société comme détermination du premier et du second. De là surgit un autre objet de la sociologie bour-dieusienne, le langage, dont il relève, dès ses premières en-quêtes lilloises, la portée politique.

Si bien que c’est en fonction de ces exigences « méthodi-ques » renouvelées, qui combinent et la statistique, et la réflexivité, et la compréhension du symbolique, que Bour-dieu va étudier des domaines jusque-là dédaignés par ses confrères, soit les études, les écoles, les élites, l’art, la mode, la presse, non sans que ses ouvrages sur l’Homo academicus 5 ou La noblesse d’ état 6 ne le fassent passer pour un qui « cra-che dans la soupe ».

Mais Bourdieu n’est nullement l’homme des manichéismes confortables. On l’a certes beaucoup vu, lors des grandes grèves de 1995, auprès des manifestants. On le verra en-core dans la dernière partie de sa vie et de son engagement, contre le libéralisme, contre la 3ème voie de Giddens, en-voyant notamment une vidéo de soutien aux organisateurs de l’anti-Davos ; il est également auprès de José Bové, auprès des « collectifs » (DAL, ATTAC), qui remplacent dans la revendication une gauche défaillante. Bourdieu toutefois n’en fustige pas moins le populisme, préférant, à toute ex-pression univoque, donner aux partis les moyens de l’analyse de leur situation : comme il l’avait fait dès son premier livre sur la Sociologie de l’Algérie 7. De sorte que, six ans après sa mort, il laisse non seulement le vide d’une parole publique informée, éclairée, mais aussi une œuvre correspondante, laquelle, exploration des déterminismes sociaux, pourrait bien nous placer sur les chemins de la libération.

Marie-Anne Lescourret est l’auteur d’une biographie de Pierre Bourdieu (parue aux éditions Flammarion en mars 2008).

1 Paris, éd. Seuil, 1993.2 Paris, éd. Minuit, 1964.3 Paris, éd. Minuit, 1970.4 Paris, éd. Mouton-Bordas, 1968.5 Paris, éd. Minuit, 1984.6 Paris, éd. Minuit, 1989.7 Éd. Que sais-je ? 1958.

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Cycle

Les frontièresOctobre 2007 – mai 2008

RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE

u Détroits internationauxMardi 1er avril à 18h30Par Vincent Herbert, Maître de conférences en géographie, membre du laboratoire de recherche « Institut des Mers du Nord », Université du Littoral Côte d’Opale. Animée par Patrick Picouet, Géographe, maître de confé-rences à l’USTL, chargé de cours à l’IEP de Lille.

Les détroits internationaux : diversité spatiale, complexité territorialeLes détroits internationaux sont des espaces complexes aux nombreuses interactions. Ils forment une double interface et matérialisent souvent un seuil physique, une frontière admi-nistrative ou culturelle. Le détroit peut aussi être considéré comme un lien entre deux territoires, il peut former le « trait d’union » et constituer le maillon essentiel de l’organisation de certains espaces maritimes et littoraux étroits. On peut donc le comprendre comme étant une portion spécifique de l’espace terrestre et maritime. Dans ce cadre, il devient un objet d’étude riche en thématiques comme les aménage-ments littoraux, la diversité des activités ou les f lux de populations…

u L’actualité de la frontièreMercredi 2 avril à 18h30Par Claude Raffestin, Professeur honoraire de géographie à l’Université de Genève. Animée par Patrick Picouet.

Force est de prendre conscience de l’actualité de la frontière, sans cesse renouvelée par toutes sortes d’événements. L’Europe n’a pas cessé de remanier les siennes au cours du XXème siècle. La constatation est banale, certes, mais elle l’est déjà beaucoup moins quand on considère que les changements de frontières sont autre chose que des modif ications de lignes sur des cartes. En fait, l’effacement d’anciennes frontières et l’inscription de nouvelles s’accompagnent tou-jours de souffrances. La machine de l’histoire inscrit sur le corps des hommes et de la Terre des cicatrices que nous ne comprenons jamais si nous ne regardons que la carte.

u Frontières spatiales, limites sociales en Asie Centrale, entre le visible et l’invisibleMardi 29 avril à 18h30 Par Catherine Poujol, Professeur à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), Paris, his-toire et civilisation de l’Asie Centrale. Animée par Vincent Herbert.

Cf. article p. 6-7.

u Frontière et vécuMardi 13 mai à 18h30Par Claudio Magris, Écrivain, germaniste, professeur à la Faculté de lettres de l’Université de Trieste. Animée par Patrick Picouet.

La conférence d’Edgar Morin « Quel avenir pour le monde ? » initialement programmée le mardi 27 mai à 18h30 est reportée (date à préciser).

Remerciements à Sabine Duhamel, Peggy Hellequin, Vincent Herbert, François Moullé, Patrick Picouet et Jean-Pierre Renard pour leur participation à l’élabo-ration de ce cycle.

Plus d’informations : www.univ-lille1.fr/cultureProgramme détai l lé disponible à l ’Espace Culture.

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Cycle

Les secrets de la matièreOctobre 2007 – mai 2008

RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE

u La matière, XVIIème-XIXème sièclesMardi 22 avril à 18h30Par Bernard Maitte, Professeur d’histoire et d’épistémo-logie des sciences à l’Université de Lille 1 - UMR Savoirs, Textes et Langage.Animée par Robert Locqueneux, Professeur émérite à l’Université de Lille 1 et historien de la physique.

Pour Descartes, il ne peut y avoir d’atomes, seuls l’étendue et le mouvement local ont une existence. Newton s’oppose à cette conception : la matière est constituée de petites masses, très éloignées les unes des autres, en équilibre grâce à l’ac-tion de forces répulsives et attractives. Le XVIIIème siècle discute ces « grands systèmes » et explore d’autres voies. À la suite de Locke se développe un empirisme non mécanique. Pour Leibniz, la matière est composée de monades, qui sont des forces, des capacités d’agir et de penser, sans étendue. Pour Kant, la matière est divisible à l’infini, est le siège de forces répulsives et attractives, qui se combattent. Je mon-trerai que ces conceptions antagonistes de la matière seront d’une grande fécondité en mécanique, en optique, en élec-tricité et magnétisme...

u L’esthétiqueMardi 6 mai à 18h30Avec Georges Didi-Huberman, Philosophe et historien de l’art, enseignant à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et Alain Fleischer, Écrivain, cinéaste et artiste, di-recteur du Fresnoy, Studio national des arts contemporains (sous réserve).

Remerciements à Rudolf Bkouche, Jean-Marie Breuvart, Alain Cambier, Gilles Denis, Françoise Dubois, Rémi Franckowiak, Robert Gergondey, Jacques Lemière, Robert Locqueneux, Bernard Maitte, Bernard Pourprix, Bernard Vandenbunder, Jean-Pierre Vilain et Georges Wlodarczak pour leur participation à l’élaboration de ce cycle.

Plus d’informations : www.univ-lille1.fr/cultureProgramme détai l lé disponible à l ’Espace Culture.

Cycle

À propos de la scienceOctobre 2007 – mai 2008

CAFÉ-SCIENCES

u Expertise et démocratie Jeudi 24 avril à 18h30Avec Roland Schaer, Agrégé de philosophie, directeur Sciences et société à la Cité des sciences et de l’industrie, Paris et Gérard Toulouse, Directeur de recherche à l’École Nor-male Supérieure, Paris. Animé par Jean-Paul Delahaye, Professeur d’informatique à l’USTL, LIFL.

Cf. article de Gérard Toulouse p. 4-5.

u CONFÉRENCE

La science spéculative ?Mardi 20 mai à 18h30Par Jean-Paul Delahaye, Professeur d’informatique à l’USTL, Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille. Animée par Rudolf Bkouche, Professeur émérite de l’USTL.

La science examine, raisonne, prouve ; elle ne fait pas d’hy-pothèse et se refuse à la spéculation. En fait, dans de nom-breux domaines, la science explore des éventualités, propose des tentatives d’explication qu’elle n’a les moyens ni de prouver, ni de mettre à l’épreuve : elle s’adonne bien à ce qu’il faut appeler de la spéculation. Est-ce légitime et cela participe-t-il du fonctionnement normal de la science ? Nous réfléchirons à cette question en prenant appui sur quelques exemples : (a) en cosmologie à propos du principe anthropique ; (b) en physique sur la question des modèles ultimes de la physique ; (c) en évoquant certains raisonnements probabilistes concer-nant le devenir de l’humanité, la simulation et l’Intelligence artificielle.

Remerciements à Rudolf Bkouche, Jean-Paul Delahaye, Ahmed Djebbar, Bruno Duriez, Christian Gorini, Robert Locqueneux, Bernard Maitte, Bernard Pourprix et Bernard Vandenbunder pour leur participation à l’élaboration de ce cycle.

Plus d’informations : www.univ-lille1.fr/cultureProgramme détai l lé disponible à l ’Espace Culture.

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Vous avez toujours vu le Nord comme un plat pays aux paysages sages, avec ses paisibles canaux, ses gentils estaminets, ses habitants calmes et débonnaires.

Eh bien, sous l’apparence douce et tranquille se cache le crime. Trois auteurs ont mené l’enquête pour qu’éclate la vérité. Lucienne Cluytens, Sandrine Rousseau, Emmanuel Sys nous livrent leurs rapports avec une précision et une pertinence toutes scientifiques, qui se révèlent déjà dans les ti-tres Les peupliers noirs, La Morte du canal et Les épluchures à la Lilloise.

Avec stupéfaction, nous découvrons l’envers du décor. Le meurtre se déploie de la maison de retraite de Hénin-Beaumont aux quartiers bourgeois de Lille, aux lotissements de Villeneuve d’Ascq, et il faut toute la lucide fermeté des enquêteurs pour dénouer les complexes intrigues des assassins.

Les auteurs présenteront les résultats de leurs travaux à l’occasion de la publication d’ouvrages de fiction et vous aurez le loisir de les interroger pour leur faire avouer l’horrible réalité dissimulée.

Pour faire vibrer ces aveux, leur donner résonance, nous avons invité le groupe Op! Trio. Mais, eux, ne sont pas très sages non plus. Attachés aux racines du jazz, ils nous proposent une découverte de thèmes et de pièces parfois conçus « à rebrousse-poil », dans un nouveau climat musical.

Jérémie Ternoy au piano, Guy Gilbert à la batterie et Christophe Hache à la basse et contrebasse feront vibrer l’univers noir, trouble, saccadé du roman policier.

Voilà une soirée, un événement à ne pas manquer, car vous pourrez parcourir le vrai visage des auteurs, sans cagoules. En toute liberté, ils assumeront la portée de leurs révélations et défendront leurs démoniaques thèses.

Alors, le plat pays aux sages paysages dévoilera enfin son vrai visage…

18h30 : rencontre d’auteursAvec Lucienne Cluytens, auteur de « Les peupliers noirs »,Sandrine Rousseau, auteur de « Épluchures à la Lilloise »,Emmanuel Sys, auteur de « La Morte du canal »

En présence de Gilles Guillon des éditions Ravet-Anceau.

20h : concert Op! Trio

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79 Jours – Globalization World Tour

Il est utile, il est nécessaire de battre tambour dans ce nouveau monde, cet « Open World » pour alerter notre « petit monde » des périls qui le menacent, incendies locaux, pauvreté,

chômage, embrasement planétaire du climat, brasier des inégalités entre le Nord et le Sud, régression du « cerveau disponible », démembrement de nos valeurs, de nos modes, de nos très anciennes solidarités.

Open World s’engage allègrement dans cette alerte générale, avec un projet théâtral à deux dimensions « 79 jours » et « Les déracinés du nouveau monde ».

Le premier volet « 79 jours » est un spectacle rageur et cynique qui décrit par le menu les ravages économiques, sociaux, écologiques mis en jeu par les multinationales, par le libéralisme érigé en modèle indépassable.

Spectacle dynamique et festif, aussi musical que visuel, il est sans pitié et nous fait rire.

Spectacles

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Les déracinés du nouveau monde

« Les déracinés du nouveau monde », second volet, est un poème visuel sur l’exode, le voyage, le déracinement, la ligne imaginaire, symbolique mais terriblement réelle : la frontière. Au sol, un trait, une frontière. Partition à une seule ligne pour une symphonie de trajectoires entrecroisées. Ils arrivent des quatre coins du monde et, en passant cette li-gne, ils cherchent tous quelque chose de différent : fuir une dictature, survivre à la guerre, tenter d’échapper à la misère, aux ravages climatiques… Ou alors, ils sont des vacanciers modernes. Ou alors, ils voyagent sans bouger de chez eux, ont accès à la quasi-intégralité de la planète, grâce à Internet. Ou alors, … Ou alors, … Autant de parcelles d’humanité ayant toutes une chose en commun : l’envie ou le besoin d’aller voir de l’autre côté, de trouver un ailleurs, qui serait mieux, forcément mieux.

Spectacle poétique, musical, renforcé par la présence verticale d’un duo d’acrobates et par la musique jouée en live.

De la poésie à la politique, de la douceur à la rage, de l’ horreur à la beauté… : deux spectacles, deux univers radicalement différents pour envisager « le grand village mondial » entre théâtre et musique.

Lundi 28 avril à 19h

Par open World - coMpagnie les TaMBours BaTTanTs

Mise en scène : Grégory Cinus

Entrée gratuite sur réservation

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De Jacques JouetPar la Compagnie L’ Amour au travail

Entrée gratuite sur réservation

Avec Jehanne Carillon, Christian Girault, Patrick Palmaro, Mélanie VaugeoisAu trombone : Damien Verherve Musique : Hervé Lavandier

La frontière fascine, la frontière assassine. Mémoire longue de ces frontières verrouillées, de ces murailles bétonnées, de ces rouleaux de fils barbelés qui enferment les nations et sectionnent les

populations. Les cadavres flottant dans le détroit de Gibraltar, les corps déchirés de l’ancien mur de Berlin nous rappellent sans cesse que la traversée d’une frontière est rarement un anodin passage, mais bien un enjeu vital, hier comme aujourd’hui.

« Annette entre deux pays » de Jacques Jouet révèle, de manière saisissante, les temps forts de cette traversée des frontières, vécue par quatre personnages en quête d’un père disparu de l’autre côté des confins, de l’autre côté de la vie.

Le passeur, la mère, la fille et un garçon qui se joint à eux illustrent, avec force et émotion, cette quête d’un au-delà des limites, ruptures, déchirures d’un monde délaissé pour un monde espéré, là tout près, de l’autre côté.

Vont-ils réussir, vont-ils échouer ? Loin d’être un saut tragique, souvent avec humour, et toujours avec justice, l’auteur nous invite à partager ce parcours, à nous associer à cette traversée, à nous conduire vers un ailleurs inattendu et magnifié.

Photo : François Berton

Annette entre deux pays Mercredi 14 mai à 19h

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THÉÂTRE

Les pas perdus

D’après le texte de Denise Bonal *Direction : Jean-Maximilien SobocinskiMercredi 23 avril à 19h

La salle des pas perdus, la gare, le café de la gare des lieux où l’on rencontre, lieux des souffrances des espoirs, de la vie… Nous avons, avec comme point de départ le texte de Denise Bonal, pris toutes les libertés. Liberté d’improviser avec les mots ou sans les mots Liberté de se tromper Liberté de prendre et de réinventer des personnages. Au final, un montage d’improvisations, des bouts de texte une trame qui nous ressemblera évidemment Forcément. L’atelier au service du devenir, du questionnement, des rencontres.

La présentation de l’atelier aura lieu dans un espace éclaté. On pourra voir des moments encore très fragiles. Car le but n’est pas la présentation d’un spectacle, mais d’une étape finale, ultimes essais, comme pour se donner confiance en l’avenir… en nous… Avec lydie, marie, mélodie, aurélie, darina, rémi, thierry, benjamin…

* Les pas perdus, Denise Bonal, éditions théâtrales, 2001.

Pratiques artistiques / ateliers de l’ustl Entrée libre

Expressions, créativité, imagination, création se conjuguent à tous les temps, dans ces ateliers de pratiques artistiques au long cours.

Les territoires sensibles de l’écriture, du théâtre, des musiques, de la photographie, de la danse sont explorés, traversés, accaparés par des dizaines de tenaces voyageurs, passeurs des innombra-bles frontières de l’art. Car ce qui les réunit, cette année, c’est le thème essentiel de la frontière, frontière du temps et de l’espace, frontière entre soi et l’autre, frontière entre le semblable et le différent. mais surtout frontière des techniques, du savoir-faire, pour faire vibrer l’imagination et la création partagée.

Héléana G

remelle

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à explorer… où être un peu plus regar-dant, sortir un peu du champ, pourrait être vraiment intéressant, allez savoir… Ébauche de mise en forme, de mise en scène, juste pour voir ce que ça pourrait donner…

CONCERTS

Cette année : deux orchestres – acousti-que et électrique – qui ont fait le choix de privilégier un travail sur l’improvi-sation libre sous ses différents aspects : rythmique, mélodique, travail sur le timbre… L’instrumentation inédite de ces orchestres procure une sonorité d’en-semble originale.

Workshop acoustiqueDirection : Olivier BenoitLundi 5 mai à 12h30

Clarinette, guitare acoustique, violon, alto, contrebasse, piano : avec Barbara Dang, Ida Karlsson, Anne Larue, Xa-vier Leleux, Amandine Oney, Marie Schmidt.

Workshop électriqueDirection : Olivier BenoitMercredi 7 mai à 12h30

Saxophone ténor, tuba/trombone, guitare électrique, piano, contrebasse, batterie : avec Nicolas Delaby, François Ella-Meye, Benoît Ganoote, Xavier Leleux, Maxime Morel, Jérémy Platey.

DANSE

Par le Collectif w2YDMercredi 23 avril à 21h

Quatre individus évoluent dans une salle de jeux qui devient la scène.Ils se donnent à voir dans la projection de leurs fantasmes. Lapin.Des êtres dont le narcissisme tend à de-venir aliénation.Des êtres ensemble face à face, face au public, mais chacun devant son propre miroir. Spéculum.Les personnages se dévoilent peu à peu questionnant leur rapport à l’image, à l’identité et à leurs frontières.

http://w2YD.free.fr

Par Alice LefrancProduction w2YD - David CordinaMercredi 28 mai à 21h

Riens de grave (du tout) : Prendre corps, prendre voix, trouver sa place, trouver sa voie… Vaste programme pour un petit format.Conseils, critiques, mots d’ordre, en-couragements, reproches, modèles ne manquent pas, se suivent et ne se res-semblent pas, entrent en résonance. Trafic d’influences. On pourrait pres-que s’y prendre à force. Il va falloir s’y retrouver, pourtant, là-dedans, à un moment…À tout prendre, entre ce qu’on nous dit, ce que ça nous fait, ce qu’on en fait vraiment, il y aurait comme un espace

Renaud Toullec

Vincent Kaci

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ÉCRITURE

Quelques extraits…

Direction : François Fairon Jeudi 15 mai à 19h30

Le silex a laissé place aux Rolex, sortez les Kleenex

Parce qu’ il serait laxiste d’accepter avec affection ces extraterrestres, les ex-fennecs de Bruxelles exécutent leurs exactions sous Plexiglas et taxent de déjections ceux qui ne peuvent exister qu’ à l’extérieur. Perplexe, on laisse aux slovaques la dextre et complexe exécution de l’exil. Pour que l’extradition ne vire pas à l’explosion, la direction autri-chienne examine l’extension de l’expansion d’un œil réflexe. Réduits à des pixels, espérant un extra de flexibilité pour une extatique liberté non excisée, les exclus expa-triés constatent avec réflexion qu’on les annexe sous le tippex, leur dernière réaction étant de retourner vers l’exit.

Exercice sur les sons en « ex » à partir d’un article sur l’expansion de l’espace Schengen par Dorothée Descamps.

Espèces d’espaces façon Georges Perec

Bâiller près des corneilles, attendre, rêvasser, patienter, contre ses paupières lutter, pas dormir, pas dormir, bâiller de plus belle, voir s’entrebâiller la porte, s’ écarter, monter, slalomer, coude-à-couder, se ratatiner, raser les murs, s’accrocher (si on peut), le lais-ser s’ élancer, avancer et freiner, descendre, marcher, horloger d’un coup d’oeil, trotter, trottinetter mais faute de trottinette ne pas trottinetter, avancer, entendre tululuter, laisser passer la blouse blanche, écouter le bleu qui clignote déjà loin, respirer les fumées noires, bleues, grises, blanches... dégriser.Traverserbrouhahater, retrouver, saluer, papopliter, piplépapotergrimper grimper grimper soufflerescalier escalier escalier, s’escaler soufflerescalader souffler, arriverexpirer, inspirer, ouvrir un cahier. Espèces d’espaces façon Georges Perec. Arrivée au campus par Nisa Adron.

1 Adams R., Éssais sur le beau en photographie, 1981, Fanlac, 1996, trad. Carole Naggar.2 Ibid., p. 33.3 Ibid., p. 35.4 Ibid., p. 34.

EXPOSITION PHOTOGRAPHIQUE

Frontières et photographie

Direction : Antoine Petitprez et Phi-lippe TimmermanDu 15 mai au 30 septembreVernissage le 15 mai à 18h

Les frontières du paysage et de la photo-graphie selon Robert Adams

Selon le photographe américain Robert Adams 1 : « les images du paysage ont trois vérités à nous offrir : géographique, autobiographique et métaphorique » 2.Le lieu géographique est le lieu qui existe sur une carte de géographie. La photo-graphie qui montre une vérité géogra-phique est une image documentaire. La photographie révèle alors les qualités ob-jectives d’un lieu comme, par exemple, le relief d’une région ou encore le type de végétation que l’on trouve à un endroit particulier. L’écueil de cette démarche, c’est l’indifférence ou l’ennui car, com-me le dit Robert Adams : « Si une image dont le sujet est la géographie n’implique pas quelque chose de plus permanent qu’un bout de terrain donné, alors l’image ne nous retiendra que brièvement ; nous lui préférerons probablement le lieu lui-même […] » 3. Pour Adams, l’art du paysage révèle une dimension autobio-graphique : « Il y a toujours dans l’art du paysage, un aspect subjectif, quel-que chose dans l’image qui nous en dit autant sur la personne qui tient l’appareil que sur ce qui est devant l’objectif » 4.

Cette réflexion du photographe améri-cain à propos du paysage peut s’étendre d’une manière plus générale à un ques-tionnement au sujet de la photographie et de ses frontières.Entre objectivité et subjectivité, de l’objet réel aux formes métaphoriques, les étu-diants présenteront leurs photographies sous la forme d’une exposition.

Renaud T

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Le tome 1 traite trois thèmes : La construction européenne au risque de ses cultures ?, Universalité et particularité et Culture et barbarie.

Bien que la culture soit un enjeu fondamental de la démo-cratie, la question culturelle reste trop souvent absente des débats sur la construction européenne. Nous partageons pourtant une histoire commune faite d’apports culturels très divers. La construction européenne doit-elle se faire au risque de ses cultures ?

Le culte de la particularité conduit souvent à l’autisme culturel. Mais la prétention à l’universalité peut aussi bien vider une culture de sa richesse spécifique que l’amener à soumettre le monde à l’aune de ses valeurs…

La culture ne nous met pas nécessairement à l’abri de la barbarie. Les millénaires de culture qui ont produit ce que nous sommes aujourd’hui ont été portés par ce que l’on pourrait appeler « la violence barbare » de la vie. Face aux violences actuelles de tous ordres, faut-il interpréter la culture comme une capacité nouvelle de vivre ouvertement à la fois avec, pour et contre la barbarie ?

Martine Aubry, maire de LillePier Ugo Calzolari, recteur de l’Université de BologneAlain Cambier, philosophe, professeur en KhâgneFrançoise Collin, philosopheAlain David, professeur au lycée Montchapet de DijonMichael Daxner, professeur de sociologie et des études juives à l’Université d’OldenburgPierre Macherey, philosophe, professeur émérite à l’Université de Lille 3Ivan Renar, sénateur du Nord, vice-président de la commission des Affaires Culturelles du SénatJean-François Rey, philosophe et enseignant à l’IUFM de LilleMonique Sicard, chercheur en histoire et philosophie de l’image au CRAL-CNRS/EHESSEnzo Traverso, maître de conférences à l’Université de PicardieJacques Verger, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Paris IV-Sorbonne

ISBN : 978 - 2 - 296 - 05218 - 5Prix : 20 euros206 pages

Collection Les Rendez-vous d’ArchimèdePrésentation de l’ouvrage collectif « À propos de la culture » Tomes 1 et 2

Dirigé par Nabil El-Haggar, Vice-président de l’USTL, chargé de la Culture, de la Communication et du Patrimoine Scientifique

Lundi 5 mai à 17h00Espace Rencontres du Furet de LilleEntrée libre

En présence de Philippe Rollet, Président de l’USTL, Nabil El-Haggar, Vice-président de l’USTL et des auteurs.

Ce livre, qui restitue les travaux présentés dans le cadre du colloque « À propos de la culture » et des conférences sur le thème « Culture

et ville », est le 18ème titre de la collection Les Rendez-vous d’Archimède. Il occupe sans nul doute une place particulière dans cette collection car il questionne un postulat fondateur de notre projet : la culture en tant que figure symbolique de l’ambition démocratique. Au fil de la lecture des textes proposés, réunis en deux tomes, cet ouvrage met en évidence la complexité de l’accès à la culture et la place qu’elle occupe dans une société de consommation, d’image et de médiatisation à outrance.C’est certainement une illusion que de prétendre, à travers un colloque et des conférences, cerner cette question si complexe, qui passionne depuis toujours, et continue à susciter un intense débat. Néanmoins, la multiplicité des intervenants et des champs disciplinaires donne une grande richesse à cet ouvrage.

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Le tome 2 aborde les problématiques suivantes : L’instrumen-talisation de la culture, Transmission et création et Culture et ville.

Depuis que la culture est convertie en communication es-thétique ou en sacralisation de résultats, elle est devenue un enjeu des pouvoirs économiques et politiques. Elle peut être un moyen de normalisation de l’homme et prendre des formes aliénantes, d’où l’incon-tournable question de l’instrumenta-lisation de la culture mais aussi de l’instrumentalisation de l’art. L’uni-formisation de la société de masse, la globalisation marchande ont indé-niablement appauvri les différences et les pluralités. Comment peut-on résister à cette instrumentalisation de la culture ?

La transmission des acquis culturels est la condition nécessaire à la continuité de l’histoire mais aussi un préalable in-dispensable au processus de création. L’exemple d’une école pilote au Moyen Orient et l’expérience du Fresnoy à Tourcoing illustrent cette réflexion sur le thème transmission et création.

À l ’heure de la mondialisation, la question de la relation entre culture et ville se pose forcément. D’une part, la ville a toujours été le lieu d’épanouissement des individus et des cultures et, d’autre part, la culture est parfois à l’origine de trans-formations urbaines. En ce qui concerne le rapport entre culture et développement local, Bruxelles, Roubaix et le site du Grand-Hornu en Belgique, présentent des cas particu-lièrement intéressants.

En guise d’épilogue de cet ouvrage, nous avons choisi le témoignage poignant que Taslima Nasreen nous a livré.

Jérôme André, responsable de la conservation du musée Grand-Hornu – BelgiqueAlain Cambier, philosophe, professeur en KhâgneInès Champey, critique d’artMichel David, directeur général Ville Renouvelée et Culture de la ville de RoubaixThierry de Duve, historien de l’art et philosophe, professeur à

l’université de Lille 3Nayla Farouki, philosophe, historienne des sciences et des idéesAlain Fleischer, artiste, directeur du Fresnoy – TourcoingRobert Gergondey, mathématicien à l’Université de Lille 1Haifa Hajjar Najjar, psychologue, direc-trice de Ahliyyah School for Girls, Am-man (Jordanie)Jean-Marc Lachaud, philosophe, pro-fesseur d’esthétique à l’Université Paul Verlaine-Metz Gaëtane Lamarche-Vadel, philosophe, écrivain, professeur à l’École Supérieure Nationale d’Arts de DijonTaslima Nasreen, écrivain, Prix Andreï Sakharov du Parlement européen et Prix Unesco pour la toléranceJordi Pascual, chercheur en politiques culturelles, gouvernance et développe-ment localChristian Ruby, docteur en philosophie, enseignant, ParisHenri Simons, directeur de l’Atomium, professeur à l’IHECS et à La CambreDaniel Vander Gucht, sociologue, pro-

fesseur à l’Université libre de BruxellesJoëlle Zask, philosophe, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille

ISBN : 978 - 2 - 296 - 05219 - 5Prix : 28,50 euros - 298 pages

Retrouvez toutes les informations sur cette collection sur : http://www.univ-lille1.fr/culture

Ces ouvrages sont en vente au Furet, à la FNAC, en librairie, à l’Espace Culture et en consultation à la Bibliothèque Universitaire de l’USTL.

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livier Bosson, 2004

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.g e n d aA retrouvez le détail des manifestations sur notre site : www.univ-lille1.fr/culture ou dans « l’in_edit » en pages

centrales. L’ ensemble des manifestations se déroulera à l’Espace Culture de l’uSTL.

Avr

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2008

Espace Culture - Cité Scientifique 59655 villeneuve d’ascqDu lundi au jeudi de 11h à 18h et le vendredi de 10h à 13h45

Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59 www.univ-lille1.fr/culture - mail : [email protected]

Les 1er, 22 et 29 avril 14h30 Conférences de l’UTL

Mardi 1er avril 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Les frontières » « Détroits internationaux » par Vincent Herbert

Mercredi 2 avril 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Les frontières » « L’actualité de la frontière » par Claude Raffestin

Lundi 21 avril Soirée Polar/jazz 18h30 rencontre d’auteurs 20h concert Op! Trio

Mardi 22 avril 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Les secrets de la matière » « La matière, XVIIème - XIXème siècles » par Bernard Maitte

Mercredi 23 avril 19h « Les pas perdus » - Atelier théâtre 21h « Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer les images » - Atelier danse

Jeudi 24 avril 18h30 Café-sciences : Cycle « À propos de la science » « Expertise et démocratie » avec Roland Schaer et Gérard Toulouse

Lundi 28 avril 19h Spectacles : « 79 jours - Globalization World Tour » « Les déracinés du nouveau monde » par Open World - Compagnie les Tambours Battants *

Mardi 29 avril 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Les frontières » « Frontières spatiales, limites sociales en Asie Centrale, entre le visible et l’invisible » par Catherine Poujol

Lundi 5 mai 12h30 Concert workshop acoustique 17h Présentation de l’ouvrage « À propos de la culture » - tomes 1 et 2 Collection Les Rendez-vous d’Archimède (Furet - Lille)

Les 6 et 13 mai 14h30 Conférences de l’UTL

Mardi 6 mai 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Les secrets de la matière » « L’esthétique » avec Georges Didi-Huberman et Alain Fleischer (sous réserve)

Mercredi 7 mai 12h30 Concert workshop électrique

Mardi 13 mai 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Les frontières » « Frontière et vécu » par Claudio Magris

Mercredi 14 mai 19h Mise en voix : « Annette entre deux pays » par la Cie L’Amour au travail *

Du 15 mai au 30 septembre Exposition « Frontières et photographie » - Atelier photo Vernissage le 15 mai à 18h

Jeudi 15 mai 19h30 « Quelques extraits… » - Atelier écriture

Mardi 20 mai 18h30 Conférence : Cycle « À propos de la science » « La science spéculative ? » par Jean-Paul Delahaye Mercredi 28 mai 21h « riens de grave (du tout) » - Atelier danse

Vendredi 20 juin 12h Fête de la musique