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LES NOUVELLES QUESTIONS POSÉES À LA DÉMOGRAPHIE MÉDICALE Martine Burdillat La Découverte | Regards croisés sur l'économie 2009/1 - n° 5 pages 74 à 85 ISSN 1956-7413 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2009-1-page-74.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Burdillat Martine, « Les nouvelles questions posées à la démographie médicale », Regards croisés sur l'économie, 2009/1 n° 5, p. 74-85. DOI : 10.3917/rce.005.0074 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Sherbrooke - - 132.210.244.226 - 26/03/2013 11h00. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Sherbrooke - - 132.210.244.226 - 26/03/2013 11h00. © La Découverte

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LES NOUVELLES QUESTIONS POSÉES À LA DÉMOGRAPHIEMÉDICALE Martine Burdillat La Découverte | Regards croisés sur l'économie 2009/1 - n° 5pages 74 à 85

ISSN 1956-7413

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2009-1-page-74.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Burdillat Martine, « Les nouvelles questions posées à la démographie médicale »,

Regards croisés sur l'économie, 2009/1 n° 5, p. 74-85. DOI : 10.3917/rce.005.0074

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte.

© La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Martine Burdillat, secrétaire générale de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS).

La densité de médecins augmente sensiblement depuis 20 ans, puisqu’elle est passée de 266 à 340 médecins pour 100 000 habitants entre 1985 et 2008. À

l’inverse, la situation qui s’annonce pour les dix prochaines années sera mar-quée par une diminution du nombre et de la densité de médecins. Deux aspects de cette conjoncture retiennent l’attention.

On peut tout d’abord observer que c’est au moment où les médecins n’ont jamais été aussi nombreux que le constat de leur inégale répartition, et même de leur quasi absence dans certaines zones, occupe le devant de la scène. On peut aussi relever que le diagnostic assez consensuel d’une « crise de la démographie médicale » est fait aujourd’hui alors que, dans les années 1990, une situation démographique relativement moins bonne avait conduit à émettre le jugement inverse de « pléthore médicale ». Les décisions relatives à la diminution du nume-rus clausus et à la mise à la retraite anticipée des médecins qui avaient été prises alors ont abouti à un rationnement des ressources médicales. Aujourd’hui, c’est la nécessité d’augmenter le numerus clausus qui s’impose.

Le changement de point de vue est révélateur de la pertinence toute rela-tive que revêt le constat chiffré global en matière de démographie médicale. La formulation du problème diffère aujourd’hui car, si elle tient compte de la forte diminution des effectifs médicaux, elle ne s’y résume plus. La question démo-graphique cristallise maintenant les préoccupations d’un grand nombre d’ac-teurs. Les experts et les syndicats médicaux ne sont plus les seuls légitimes dans

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ce domaine : les représentants des professionnels, les élus locaux, les internes en médecine et les usagers font valoir des préoccupations qui transforment les termes du débat. De ce fait, les points de vue qui s’expriment et les indicateurs utilisés se sont, à 20 ans d’écart, considérablement modifiés.

Qui parle, et en quels termes, de démographie médicale ?

Le seul constat numérique ne suffit pas à motiver une décision en matière de démographie médicale. Les décisions dépendent des attendus auxquels ce constat est rapporté. La comparaison des deux graphiques ci-dessous en apporte l’illustration. Le premier, publié en 1988, projetait un nombre de médecins en 2031 un peu inférieur à 150 000. La crainte d’un excès du nombre de médecins fut alors exprimée ; elle entraîna une diminution du numerus clausus, qui resta inférieur à 4 000 jusqu’en 2000 (graphique 1). Le second schéma, produit en 2009, prévoit pour 2030 un nombre de médecins proche de 206 000. Pourtant, le diagnostic aujourd’hui formulé est celui d’une pénurie, et sert à justifier une augmentation rapide du numerus clausus, qui est fixé en 2009 à 7 400 (graphi-que 2).

Dans les années 1990, la question du nombre de médecins est très stric-tement reliée à celle des dépenses de santé et à la nécessité de préserver des possibilités de rémunération élevées pour les jeunes médecins. L’analyse large-ment partagée soutient que, pour parvenir à une diminution des dépenses et permettre le maintien des revenus des médecins, il est nécessaire de diminuer le nombre d’acteurs médicaux.

Cette approche fera l’objet de critiques. Dix ans plus tard, un rapport de l’Inspection générale des finances souligne en particulier que « la politique de démographie médicale est globale et conservatrice […]. Faute de référence à des besoins définis a priori, dans l’absolu, on est conduit à considérer que la situation actuelle est voisine de l’optimum. L’hypothèse que l’effectif [médical] soit, même à terme, très excessif, ou qu’il devienne très insuffisant du fait de l’exigence accrue de la population n’est pas envisagée, car aucun élément n’est disponible qui permettrait d’en discuter utilement […]. La conséquence la plus grave du défaut d’information sur les besoins est que la politique de démo-graphie médicale est trop exclusivement guidée par des objectifs budgétaires » [Malabouche, 1996].

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graphique 1 – Évolution du nombre de médecins (en milliers) de 2002 à 2050, selon l’hypothèse retenue pour le numerus clausus

Source : CNAMTS [1988].

graphique 2 - effectifs et densité de médecins en activité de 2006 à 2030

Sources : Fichier du Conseil national de l’ordre des médecins pour l’année 2006 (traitement Drees), projections de population Insee et projections Drees [Attal-Toubert et Vanderschelden, 2009].Champ : médecins en activité régulière ou remplaçants, hors médecins en cessation temporaire d’activité, France entière.

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Le défaut d’information en matière de régulation de la démographie médi-cale est souligné par plusieurs observateurs. Le rapport de la mission « démo-graphie des professions de santé », rédigé par le professeur Berland [2002], aboutit en 2003 à la création d’un Observatoire national de la démographie des professions de santé. Sur deux points, ce rapport débouche sur une inflexion qui permettra de renouveler le diagnostic démographique.

“ C’est au moment où les médecins n’ont jamais été aussi nombreux que le constat de leur inégale répartition, et même de leur quasi absence dans certaines zones, occupe le devant de la scène.

Il met tout d’abord en évidence la faible capacité des données rassemblées dans les divers fichiers administratifs à rendre compte de l’offre de soins réelle. Les fichiers de l’Ordre des médecins et du ministère de la Santé recensent l’un et l’autre des effectifs diplômés, mais les détenteurs de ces qualifications ont souvent adopté une activité de soins qui s’en éloigne. En second lieu, l’impor-tance de l’ensemble des professions de santé dans la prise en charge des patients est soulignée. Interroger la démographie médicale sous l’angle de l’offre de soins disponible pour les patients conduit donc à considérer comme primor-dial, d’une part, l’activité effectuée par les médecins plutôt que leur seul effectif, et, d’autre part, l’apport de l’ensemble des professionnels de santé. Le contenu du métier médical, les évolutions qui en affecteront les contours, et les glisse-ments de certaines tâches et prises en charge de patients assurées aujourd’hui par des médecins au bénéfice d’autres professions de santé deviennent autant de dimensions constitutives de la problématique démographique.

Dans le même temps, un ensemble d’acteurs prend la parole sur la question de la démographie médicale et en déplace les énoncés jusqu’alors essentielle-ment experts, administratifs, ou corporatistes [Deplaude, 2007].

Du fait de l’élargissement du cercle des participants au débat public, les constats convoqués – dont certains ont d’ailleurs été formulés depuis long-temps – acquièrent une portée inédite. Au-delà du nombre de médecins, l’at-tention des observateurs – en particulier celle des élus – se porte sur la mise en évidence de la répartition très hétérogène des effectifs sur le territoire. Les inégalités d’accès aux soins deviennent un angle de lecture privilégié de la démographie médicale. Les professionnels portent quant à eux une attention grandissante à la sécurité des actes et à la taille des équipes qui permettent de l’assurer. Ces points de vue sont porteurs d’enjeux nouveaux pour la décision politique, et ils appellent un renouvellement des observations.

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les constats démographiques qui retiennent l’attention

Du fait du vieillissement de la population médicale aujourd’hui en activité, un nombre important de cessations d’activité interviendra dans les quinze prochaines années. Plus d’un médecin en activité sur trois est âgé de plus de 55 ans (34,1 % au 1er janvier 2008) et l’âge moyen des médecins atteint presque 50 ans. Les arrivées de nouveaux médecins seront en nombre inférieur à celui des départs, sous l’effet de la diminution importante du numerus clausus qui a succédé à la tendance inverse à l’origine du « papy doctor boom » actuel (gra-phique 3).

graphique 3 - Évolution du numerus clausus depuis sa création

En effet, le relèvement du numerus clausus, compte tenu de la durée de for-mation des médecins, ne peut produire ses effets qu’au terme de dix à douze ans. Ce n’est que vers 2020 que le nombre de sorties d’activité deviendra inférieur au nombre d’entrées. D’ici là, les effectifs de médecins en activité diminueront, ainsi que leur densité (c’est–à-dire leur nombre rapporté à la population) puis-que la population devrait s’accroître pendant cette période (graphique 4).

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graphique 4 - les entrées et les sorties d’activité des médecins de 2007 à 2030

Source : Drees [Attal-Toubert et Vanderschelden, 2009].Champ : médecins en activité régulière ou remplaçants, hors médecins en cessation temporaire d’activité, France.

Cette situation pourrait se traduire par des disparités accrues de réparti-tion des ressources médicales entre les territoires et entre les différents métiers, voire des ruptures locales de l’offre de soins.

La forte croissance des effectifs n’a pas profité de façon homogène à tous les territoires

Le fait que les médecins, qui n’ont jamais été aussi nombreux qu’aujourd’hui, soient néanmoins en nombre insuffisant dans certains territoires, dans certaines structures et dans certaines spécialités démontre sans appel que le volume des effectifs ne garantit pas à lui seul la disponibilité des ressources soignantes.

L’analyse rétrospective de l’évolution de la répartition des ressources médica-les révèle que l’importance des effectifs médicaux ne bénéficie pas de façon homo-gène à l’ensemble du territoire. Ainsi, l’augmentation de près de 15 % des effectifs de médecins spécialistes entre 1995 et 2005, qui se traduit aujourd’hui par la plus forte densité médicale jamais enregistrée en France, s’est certes concrétisée par un resserrement des disparités régionales, mais celles-ci restent marquées (carte 1).

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Carte 1 – densité et effectifs de médecins par département au 1er janvier 2008

Source : Drees [Sicart, 2008]

La problématique des flux de médecins l’emporte sur le suivi du stock

La diminution régulière du numerus clausus depuis sa création jusqu’en 1995 visait à restreindre le stock de médecins. Mais il est indéniable que les tra-ductions locales de ces décisions, c’est-à-dire l’identification des catégories de médecins et des territoires qui devaient subir l’effet de cette diminution, n’ont pas été anticipées.

Une série de facteurs expliquent l’hétérogénéité des flux au sein des diffé-rentes spécialités et des territoires. Dans un contexte de libre choix de la spé-cialité, du lieu d’installation et de l’exercice, les comportements des profession-nels de santé n’épousent pas spontanément les besoins de santé publique ou d’aménagement du territoire. L’attrait des conditions de vie joue certainement en faveur des zones méridionales, mais cela n’explique pas tout. Faute de s’être munis d’indicateurs permettant de fixer un « bon » niveau d’effectif médical, au

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niveau national et a fortiori au niveau local 1, les décideurs n’ont pas pu orienter les comportements. La configuration des structures et des équipements hos-pitaliers a alors déterminé les décisions d’installation. Les travaux de la com-mission sur la démographie hospitalière réunie sous la présidence du profes-seur Berland ont ainsi mis en évidence l’attractivité exercée par les équipements et les corrélations existant entre leur implantation et la localisation des effectifs [Berland, 2006]. Les structures hospitalières offrent en effet des postes salariés, des conditions collectives d’activité (équipes et plateaux techniques), et pour les médecins exerçant en secteur libéral, des opportunités d’activité mixte et un environnement soignant collectif (médical et médico-social) indispensable pour la plupart des prises en charge.

“ L’augmentation globale du nombre de médecins ne garantit pas leur répartition équitable entre les différents métiers.

Ces processus sont structurants ; la cartographie hospitalière, qui reflète l’histoire sanitaire française, constitue l’arrière fond avec lequel la régula-tion démographique devra composer (ou qu’elle devra infléchir). De la même façon, les capacités de formation universitaire et d’encadrement des internes en médecine, qui résultent de l’histoire des spécialités et d’arbitrages historiques, sont réparties de façon très hétérogène entre les régions. Toute politique qui consisterait à redistribuer les numerus clausus et les internes dans l’optique de rééquilibrer la démographie doit tenir compte des ressources universitaires et de stages actuelles [ONDPS, 2006-2007].

Les médecins exercent des métiers différents qui ne présentent pas tous la même attractivité

La désaffection que rencontrent certains modes d’exercice exige l’adoption de mesures qui ne soient pas seulement quantitatives. L’exemple de la médecine générale permet de l’illustrer.

Alors que l’on dénombre plus de 100 000 diplômés de médecine générale, seuls un peu plus de la moitié d’entre eux se consacrent à l’exercice de la méde-cine de premier recours, dite « de famille ». Les exercices particuliers (MEP)

1. Les comparaisons internationales ne permettent pas, pour les pays bénéficiant de niveaux de déve-loppement comparable, de statuer véritablement sur l’incidence du niveau des ressources médicales sur l’état de santé des populations.

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sont facilités par les passerelles universitaires qui permettent d’aller de la méde-cine générale vers une médecine plus spécialisée, comme par exemple la méde-cine du sport. Les exercices particuliers sont également favorisés par l’existence de passerelles hospitalières grâce auxquelles nombre de diplômés en médecine générale exercent désormais, en tant que salariés, en oncologie, psychiatrie, néphrologie, gériatrie… Ces médecins généralistes ne participent dès lors plus à l’offre de soins en tant que médecins de famille.

“ Une densité élevée de médecins peut très bien aller de pair avec une forte part de médecins pratiquant des honoraires qui ne les rendent pas économiquement accessibles à l’ensemble des assurés.

Les raisons pour lesquelles les diplômés de médecine générale n’exercent pas ce métier ou ne l’exercent qu’un certain temps sont bien connues [Bloy et Schweyer, 2006-2007]. Elles relèvent pour une part de la moindre valeur de cette spécialité au sein des hiérarchies médicales et d’une image souvent dépré-ciée aux yeux des pairs. Plus fondamentalement, le référentiel professionnel qui a caractérisé l’exercice de cette médecine est en cause. L’exigence de concilia-tion entre vie professionnelle et vie privée, ainsi que le souhait de ne pas exercer de façon isolée, percutent frontalement le modèle d’exercice traditionnellement associé au médecin généraliste (solitaire et toujours accessible). Notons que pour des raisons similaires à celles évoquées pour la médecine générale (manque de visibilité du métier, pénibilité de l’exercice, lourdeur des gardes, incertitude sur les trajectoires professionnelles), certaines autres spécialités connaissent elles aussi aujourd’hui des problèmes de recrutement ou de fidélité dans l’exercice qui rendent aiguë la question du renouvellement de leurs effectifs.

Ainsi, l’augmentation globale du nombre de médecins ne garantit pas leur répartition équitable entre les différents métiers. Les décisions publiques ne permettent que partiellement d’encadrer ce phénomène. L’ouverture d’un nom-bre plus important de postes en médecine générale depuis quatre ans s’est certes bien traduite bien par l’augmentation du nombre d’internes en médecine géné-rale (2 591 postes pourvus aux épreuves classantes nationales en 2008 contre 1 232 en 2004 [Vanderschelden, 2009]), mais la médecine générale reste la seule spécialité dans laquelle des postes ouverts restent vacants (même si le nombre de postes non pourvus est en diminution sur la période – 20 % en 2008 contre 33 % en 2004). Mettre fin à cette vacance en rapprochant plus drastiquement le nombre de postes offerts du nombre de candidats ne saurait constituer une solu-tion, notamment aux yeux des étudiants en médecine qui restent très attachés

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à la possibilité de choisir leur métier. De plus, l’engagement dans un internat de médecine générale ne garantit pas que les diplômés exerceront effectivement la médecine de proximité ou de premier recours qui est pourtant l’exercice visé par les politiques mises en place.

La disponibilité des soins pour les patients ne dépend pas que de la démographie médicale

La préoccupation de l’effectivité de la prise en charge des patients n’a pas jusqu’à présent inspiré le traitement de la question de la démographie médi-cale. Toutefois, les élus des collectivités locales et les représentants des patients portent aujourd’hui cette préoccupation, et font valoir les effets des pénuries médicales localisées sur leurs administrés. Ces phénomènes, qui ne concernent encore qu’une faible partie de la population, sont difficiles à détecter au niveau national. Les observations régionales les laissent également dans l’ombre, car le critère de la densité ne permet pas de faire apparaître les tensions au niveau infra-régional. La variabilité des densités est en effet très forte selon les dif-férents types de territoires, et au sein même de territoires appartenant à une même catégorie, comme les territoires dits « ruraux ».

Le même constat s’applique aux ressources hospitalières. Le taux de vacance des postes de praticiens hospitaliers reste insensible à l’augmentation des postes ouverts au recrutement. Il affecte avec une ampleur inégale les différentes caté-gories d’établissements : le taux de vacance est toujours moins élevé dans les CHU que dans les autres établissements. Enfin, les spécialités médicales sont diversement affectées par ce phénomène, les spécialités les plus touchées étant la psychiatrie, l’anesthésie réanimation, la chirurgie, la médecine d’urgence et la radiologie. L’offre médicale peut rester assez insensible à la demande quand les opportunités d’emplois qui s’ouvrent sont en concurrence avec des exerci-ces de la médecine offrant des rémunérations et des conditions de travail plus attractives.

Il faut enfin souligner l’importance pour le diagnostic démographique des données relatives au secteur de conventionnement des médecins. Les dimen-sions économiques de l’accès aux soins constituent désormais une clef d’appré-ciation de la politique de démographie médicale. Les collectifs représentant les patients se sont saisis de cet enjeu [Collectif interassociatif sur la santé, 2008].

En effet, les honoraires pratiqués affaiblissent le lien entre démographie médicale et disponibilité effective de l’offre de soins. Une densité élevée de médecins peut très bien aller de pair avec une forte part de médecins pratiquant

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des honoraires qui ne les rendent pas économiquement accessibles à l’ensemble des assurés. Or, selon un rapport de l’IGAS, le montant des dépassements dans le secteur à honoraires libres a doublé en moins de quinze ans en valeur réelle [Aballea et al., 2007]. Pour les médecins actifs toute l’année, le montant des dépassements est passé de 763 millions d’euros en 1990 à 1,578 milliard d’euros en 2005, en euros constants. Cette croissance résulte à la fois d’une hausse du taux de dépassement des spécialistes à honoraires libres, qui passe de 29 % en 1995 à 47 % en 2004, mais aussi de l’augmentation de la part des praticiens en secteur à honoraires libres. Ces évolutions et ces taux présentent des disparités importantes entre les spécialités et les régions, comme au sein d’une même spécialité.

Le même constat s’applique aux praticiens exerçant à titre libéral dans les établissements de santé publics et privés, de sorte que la probabilité pour un patient de se voir demander un dépassement d’honoraires au cours d’un épi-sode de soins est supérieure à 50 %. La présence d’effectifs médicaux suffisants tant au niveau national qu’au niveau local est donc une condition nécessaire mais insuffisante pour garantir l’accès concret aux soins. Le coût des soins pour les patients pourrait constituer à l’avenir une grille de lecture majeure de l’éva-luation des politiques de la régulation démographique des effectifs médicaux et de leur répartition.

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Berland Y. (2002), Rapport de la mission « Démographie des professions de santé », novembre.

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Bloy G. (2008), « Une médecine générale durablement dépréciée ? Enquête sur une évi-dence », in ONDPS, Rapport annuel 2006-2007 de l’ONDPS. Tome 1 : La médecine générale.

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Malabouche G. (1996), Rapport d’enquête sur l’efficacité et les limites de la politique de régulation de la démographie médicale, rapport de l’Inspection générale des finan-ces, septembre.

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