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LES OUBLIÉS DE LA PSYCHANALYSE Gilles-Olivier Silvagni P.U.F. | Cités 2013/2 - n° 54 pages 33 à 41 ISSN 1299-5495 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-cites-2013-2-page-33.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Silvagni Gilles-Olivier, « Les oubliés de la psychanalyse », Cités, 2013/2 n° 54, p. 33-41. DOI : 10.3917/cite.054.0033 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Taichung Institute of Technology - - 163.17.131.247 - 30/04/2014 15h04. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Taichung Institute of Technology - - 163.17.131.247 - 30/04/2014 15h04. © P.U.F.

Les oubliés de la psychanalyse

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LES OUBLIÉS DE LA PSYCHANALYSE Gilles-Olivier Silvagni P.U.F. | Cités 2013/2 - n° 54pages 33 à 41

ISSN 1299-5495

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-cites-2013-2-page-33.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Silvagni Gilles-Olivier, « Les oubliés de la psychanalyse »,

Cités, 2013/2 n° 54, p. 33-41. DOI : 10.3917/cite.054.0033

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Les oubliésde la psychanalyse

Gilles-Olivier Silvagni

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Les oubliés de la psychanalyse

Gilles-Olivier Silvagni

Freud en son temps notait que pour entreprendre une psychanalyse, il ne fallait pas être trop malade, ni trop vieux. aux malades et aux vieux, il ajoutait les pervers. Plus tard, lacan ajouta qu’il ne fallait pas être trop bête. Et comme la psychanalyse s’exerce de nos jours dans les mêmes conditions que la médecine libérale du début du siècle dernier, nous ajouterons qu’il ne faut pas être trop pauvre : et voilà que le tout forme un tableau assez peu flatteur pour la psychanalyse. Pour un peu, elle paraîtrait avant tout réservée aux jeunes, de préférence bien portants intelligents riches et cultivés, ce qui expliquerait enfin son efficacité aux yeux mêmes de ses détracteurs les plus acharnés. Il semble donc qu’un tour d’horizon s’impose sur l’ensemble de ces questions, et d’autant plus que la psychanalyse évoluant comme toute notre société, elle s’adresse aujourd’hui à ceux dont on pouvait penser hier avec Freud qu’ils en étaient souvent écartés.

Ce que disait Freud dans son époque était sans aucun doute par-faitement exact s’agissant des personnes âgées et des malades, dans les conditions où vivaient ces personnes à la fin du xixème siècle en autriche- hongrie, lorsqu’une femme était vieille à quarante ans et un quinquagé-naire déjà en âge patriarcal. De nos jours, celles et ceux que l’on appelait sans plus de cérémonies il y a encore quelques années des « vieux » et que la langue de bois qualifie désormais de « troisième » voire de « quatrième âge », vivent dans des conditions d’hygiène, de confort et d’aisance par-faitement inimaginables du vivant de Freud : ils perçoivent une retraite, ont plus que jamais accès à la culture, disposent de temps libre, par-ticipent activement à la vie de la Cité et sont pris en charge dans un

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système de sécurité sociale et de solidarité nationale qui, pour insuffisant et perfectible qu’il soit, était proprement inconcevable au début du siècle dernier.

Il en va de même pour les personnes frappées de maladies redoutables comme la tuberculose, le diabète, ou le cancer. Ces pathologies mortelles à court terme à l’époque de Freud, devant lesquelles les médecins étaient désarmés et qui causaient des ravages chez les quadragénaires des années 1880, sont de nos jours sinon guéries au moins prises en charge avec effi-cacité par la médecine moderne. les personnes atteintes de ces grandes maladies sont désormais sous traitement avec une efficacité inespérée il y a peu encore. la qualité de vie des personnes en traitement, notion complè-tement ignorée il y a seulement quelques années, est devenue un objectif à part entière pour la médecine contemporaine. Ces personnes sont fré-quemment sous traitement durant des années quand ce n’est pas à vie, tout en restant actives et bien présentes dans notre vie quotidienne : nous croisons tous les jours sans nous en douter, des diabétiques qui s’injectent leur dose quotidienne d’insuline, des dyalisés, des cancéreux sous chimio, des personnes séropositives en multithérapie, ou encore atteintes de graves hépatites. au début du siècle dernier, durant les premières années de la psy-chanalyse, aucun de ces patients n’aurait survécu aux premières atteintes de ces grandes maladies.

lE DuR DÉSIR DE DuRER

Dans ces conditions l’opinion de Freud reste appropriée et judicieuse s’agissant de son époque, mais doit nécessairement être dépassée. au même titre que les conditions de vie et l’espérance de vie même ont aujourd’hui heureusement et de très loin dépassé l’espérance de vie des vieux et des malades de la prétendue « belle Epoque ».

Reste qu’à l’heure où la psychanalyse est partout contestée, il peut sem-bler paradoxal sinon provocateur d’aborder le sujet peu connu et dou-loureux de celles et ceux que cette consigne dépassée par les progrès de la médecine semblerait trop souvent laisser de côté. Or il n’en est rien, et depuis des années, nombre de cabinets de psychanalystes se sont ouverts à ces nouveaux analysants que leur maladie, leur âge ou la combinaison de ces deux facteurs n’excluent en rien, et bien au contraire, des bénéfices de l’analyse.

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On ne s’étonnera pas cependant qu’aucun des habituels contempteurs de la psychanalyse ne se soit avisé de ce phénomène nouveau. C’est que ces esprits prévenus semblent complètement fermés à la raison première qui conduit vers la psychanalyse : la souffrance. Car c’est la souffrance qui est la voie royale conduisant vers les secours et les recours de la psychanalyse. C’est tout cela qui conduit vers la psychanalyse, et non quelque mode de salon mondain crevé de snobisme : le mal-être, le malaise, les perturbations, les souffrances psychiques intenses qui privent de toute joie de vivre, de tout espoir, de toute perspective et qui enferment et isolent dans la névrose, la dépression, l’échec permanent, la déchéance, la tristesse et la mélancolie.

Or le fait est que les réussites médicales de notre époque ont généré comme en contrepartie de leurs bienfaits, un temps de vie beaucoup plus long mais qui se traduit comme une vieillesse tout à la fois stabilisée et consi-dérablement prolongée. Et quand bien même, comme nous l’avons vu, la vie quotidienne des personnes âgés d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était il y a encore un demi- siècle, il n’en reste pas moins que cette vieillesse qui dure et dont on désire qu’elle dure, s’accompagne de nouvelles souffrances, mais aussi de nouveaux besoins qui viennent encore renforcer ce désir sublimement désigné par Paul Eluard : le dur désir de durer.

lorsque Freud écarte les personnes de plus de cinquante ans, il le fait pour deux raisons. la première, qu’il explicite, est inhérente aux condi-tions mêmes du déroulement d’une cure. Pour Freud, les personnes âgées de plus de cinquante ans présentent à cet âge avancé une perte de « plas-ticité psychique1 » comme il l’explique à plusieurs reprises, et ne seraient plus en état de franchir les premières étapes éprouvantes d’une cure. Il reconnaît lui- même pourtant que cette perte de souplesse intellectuelle est loin de toujours être le cas, et constate au contraire que certaines personnes âgées sont parfaitement en état d’entreprendre une cure.

néanmoins, il restera convaincu que ses contemporains sont atteints par une limite d’âge qu’il fixera à maintes reprises à la cinquantaine, en évo-quant aussi les maladies organiques liées à cet âge et à son époque.

Il y reviendra finalement alors qu’il est lui- même âgé de 76 ans, qu’il reçoit chaque jour un nombre important de patients et qu’il lui reste encore à écrire l’un de ses plus grands livres. Mais Freud est ainsi fait qu’il se consi-dère lui- même comme l’exception qui confirme la règle, depuis les ori-gines de la psychanalyse : comme le souligne avec humour le psychanalyste

1. In La Technique psychanalytique, Paris, Puf, 1973.

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Carlos Maffi2, les deux plus grands mystères judéo- chrétiens restent à ce jour l’Immaculée Conception et l’auto- analyse de Freud !

Reste que de nos jours, à l’époque du papy- boom, le nombre de plus en plus important de femmes et d’hommes âgés de soixante ans et plus qui se tournent vers la psychanalyse sans se formaliser des innombrables attaques dont elle fait l’objet, le font aussi dans un état d’esprit très spécifique. Ils sont tout à la fois beaucoup plus déterminés que des analysants bien plus jeunes et s’engagent dans l’analyse avec une volonté d’autant plus affirmée qu’ils sont les premiers conscients de ne plus avoir la vie devant eux.

Ces demandes nouvelles vont au reste exiger des psychanalystes d’exa-miner à nouveaux frais les questions qui se posent face à ces demandes d’un autre type. Car ce ne sont pas du tout des « clients » faciles, les vieux, et les psychanalystes devront montrer une écoute plus affinée et plus vigilante encore, tant la richesse de cette génération est grande et lourde d’une vie déjà fort longue, eux sont revenus des illusions médicamenteuses et des gourous comportementaux. Ils n’ont plus «le temps», mais ils ont encore du temps libre et disposent de tous les moyens qui font si cruellement défaut aux plus jeunes. Ils sont plus disponibles qu’ils ne l’ont jamais été et ne s’en laissent pas conter.

Ce qu’ils recherchent dans leur investissement psychanalytique, ce sont de nouvelles ressources : celles que leur propre travail de mémoire leur fournira en revenant et en explorant ce que leur vie leur a offert d’heurs et de malheurs, de réussites et d’échecs, de surprises et de déceptions. Et aussi les ressources indispensables à qui entend vivre pleinement et se préparer à la mort. C’est ainsi qu’une analysante avait expliqué sa demande alors inhabituelle pour une femme de soixante- dix ans atteinte d’une maladie qui allait l’emporter. aux questions de son analyste soucieux de bien com-prendre sa demande afin de déterminer s’il pourrait y répondre, elle lui dit : « Je veux être sûre de m’être vraiment rencontrée avant de me quitter ».

lES Mal aDES

la vieillesse, n’en déplaise aux magazines de mode, aux chirurgiens esthé-tiques et aux organisateurs de croisières, n’est pas une maladie. Cependant

2. Le Souvenir- écran de la psychanalyse. Freud, Klein, Lacan. Ruptures et filiations, Paris, Éditions du Félin, 2012.

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la maladie quant à elle, n’empêche pas de vieillir. les maladies au long cours, les maladies chroniques ou chronicisées par les progrès des traite-ments, portent le comble à l’injustice : se battre contre une maladie redou-table est très dur, bien plus que ne le suspectent les bien- portants qui sont aux malades sur ce point ce que les enfants sont aux vieillards.

Il en va pour les maladies chroniques comme pour la vieillesse : là aussi, et on ne peut que s’en réjouir, les progrès de la pharmacie et de la méde-cine ont permis d’allonger considérablement la durée et la qualité de vie, de telle sorte que des maladies mortelles hier souvent très courtes sont désormais contenues pendant de nombreuses années. Ce résultat n’est cependant obtenu qu’au prix de traitements dits « à vie » et à la condition expresse que ces traitements soient suivis avec une observance suffisante pour conserver toute leur efficacité.

Tout cet ensemble accablant d’épreuves que chaque personne vit dans un sentiment mêlé d’injustice et de culpabilité constitue une sorte de cercle infernal qui donne au mot « chronique » une signification particulière qui échappe généralement à la médecine, dans le même temps qu’elle déter-mine la révolte qui peut conduire à la psychanalyse en tant que tentative de briser un cercle vicieux, de sortir d’un enfermement.

Cette chronicité, entendue par la médecine comme un ensemble de manifestations pathologiques qui vont céder momentanément pour réap-paraitre plus tard et encore aggravées, est en effet insuffisante à décrire ce que vit une personne atteinte par la conjugaison d’une telle maladie et finalement de l’âge.

Pour le patient dit « chronique », ces épreuves tournent en boucle en une sorte de manège infernal où les mêmes symptômes viennent en réci-dive, chaque fois un peu aggravés, et détériorent peu à peu ce qu’il reste de santé à conserver. Mais le « chronique » ici n’est pas le seulement le retour du même en pire : c’est au surplus un enfermement dans une boucle d’où il devient impossible de s’échapper, dans le lieu de la maladie - le corps souffrant - et dans le temps de la maladie, qui se substitue peu à peu au temps de vie de la personne souffrante. Elle- même se trouve ainsi consignée et assignée en temps et en lieu sans destination ni appartenance, « en souffrance » exactement, en une situation insupportable que les mots « enfiermo » en espagnol ou « infirme » en français expriment avec une efficacité dévastatrice. Enfermé, immobilisé, sans avenir autre qu’un calen-drier de soins à venir, le malade chronique est tout autant prisonnier de sa maladie que de ses soins et traitements et du regard de son entourage.

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ainsi, non seulement les maladies chroniques « à longue durée » - celles que l’administration désignent sous l’acronyme alD, qui sont au nombre actuel de 30, prises en charge à 100% par la Sécurité Sociale du fait de leur mauvais pronostic - qui vont se prolonger des années durant ne sont pas incompatibles avec une cure psychanalytique, mais elles en sont une véritable indication pour peu que les personnes concernées aient la volonté de s’y engager.

Il en va de même du danger permanent pour une personne en trai-tement, d’une non- observance thérapeutique qui résiste à tous les efforts de la volonté, des rationalisations et des tentatives de persuasion d’une assistance psychologique combinée à un entourage dévoué et vigilant : rien n’y fait, le traitement est mal suivi, irrégulièrement, avec les conséquences que l’on connaît sur l’efficacité des médicaments employés dans le trai-tement et le risque de voir se développer des résistances médicamenteuses. les médecins en ville s’en désespèrent tandis que les hospitaliers s’en exas-pèrent, et ne sont pas loin de considérer ces patients qui ne prennent pas leurs traitements, y compris hélas les traitements anti- rejets des greffes chirurgicales, comme de véritables irresponsables.

a elle seule, cette non- observance mortifère constitue un motif urgent d’entreprendre un travail analytique qui seul permet le dévoilement de ce qui est refusé dans ces actes d’apparence irrationnelle, qu’il s’agisse de la maladie elle- même ou du greffon pourtant vital.

Il est sur ce dernier point très regrettable que les pertes de terrain de la psychanalyse l’amène à n’être plus présente que clandestinement dans l’hopital public. D’autant que le dispositif psychanalytique s’exporte sans aucun problème hors du cabinet du psychanalyste et mieux même : en revenant à l’hôpital, la psychanalyse ne ferait rien d’autre que revenir à son lieu originaire. Faudrait- il qu’elle s’en souvienne...

les associations sont une bonne passerelle, qui permettent tout à la fois la présence de l’analyste au lit du patient hospitalisé, voire dans un lieu réservé, tout en permettant de contourner le problème de l’argent via l’intervention dite humanitaire ou caritative : en milieu hospitalier, aucun soin n’est payant, mais aucune aide ni aucune intervention de soutien n’est jamais pour autant perçue comme «gratuite»: c’est un des mystères de l’hô-pital que d’être un lieu hors la cité marchande et l’on se souviendra que dès l’origine, Freud et les premières organisations psychanalytiques recevaient sans faire payer certains patients.

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ET lES PERVERS ?

les pervers sont pour Freud parmi ceux qui, au même titre que les malades et les vieux, ne peuvent pas bénéficier d’une psychanalyse. Il considère que les pervers sont à ce point narcissiques qu’il n’y a plus de possibilité de transfert autre que négatif, c’est- à- dire exclusivement dirigé vers eux- mêmes, et que pour cette raison l’analyse est impossible quand bien même ils en éprouveraient le désir.

Si l’on veut bien comprendre ce que signifiait Freud en excluant les « per-vers » des personnes susceptibles d’accéder à une psychanalyse, il faut évi-demment s’intéresser à ce que Freud entendait exactement par ce mot. Et il ne le faut pas seulement dans un souci d’historiographie, afin notamment de re- situer les déclarations de Freud à ce sujet dans son époque, et d’éviter les anachronismes calamiteux qui foisonnent chez les contempteurs de Freud. Ceux- ci ne cessent de valider leur mauvaise opinion de la psychanalyse en critiquant Freud, sa vie et son œuvre, à partir de données et de conceptions qu’ils exportent de notre époque pour les confronter à une pensée conçue dans la Vienne impériale de la fin du xixe siècle. Il le faut aussi, et c’est autrement plus important que la correction des erreurs involontaires ou non qui foisonnent dans ces ouvrages à la mode, parce que cette notion de « pervers », dans le même temps qu’elle a beaucoup évolué entre les années 1900 et notre début du xxie siècle n’a pas toujours gagné en vertus de tolé-rance, de bienveillance, de lucidité ou de respect de l’autre.

Et bien au contraire, hélas, si l’on se réfère aux innombrables dérapages auxquels nous venons d’assister durant le long débat autour du droit au mariage. Des perversions sexuelles comme la zoophilie et l’inceste ont été appelés à la rescousse contre l’égalité du droit au mariage par d’éminents théologiens voire par quelques éminences peu habitées par la charité chré-tienne, où les mots de pervers et de perversion ont fait florès.

Il faut se reporter aux propos textuels de Freud entre 1904 et 1912 pour mesurer l’avance de ce penseur sur les institutions religieuses qui viennent de s’exprimer un siècle plus tard.

Quand Freud parle de « pervers » ce qu’il en dit permet de repérer quelques caractéristiques qui explicitent pour nous lecteurs de l’an 2013, ce qu’il a effectivement en tête : de différencier les pervers « positifs » des autres « pervers » quant à leur rapport à la psychanalyse. le but de l’analyse qui est « la libération d’une être humain de ses symptômes névrotiques » nécessite que « le patient vienne volontairement et souffre de son état pour

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que l’analyse ait des chances de réussir ». Or ce qui fait défaut à un « per-vers » c’est précisément qu’il ne souffre pas de son état. C’est d’ailleurs cette exception « sauf s’il est malheureux » qui confirme la règle avec cette obser-vation qu’il ne faut surtout pas prendre pour une plaisanterie que, « mis à part certains type de masochistes les pervers ont rarement une raison de commencer une analyse » !

Voilà d’ailleurs qui donne à l’approche freudienne toute sa cohérence thérapeutique, en même temps qu’elle nous indique clairement que pour Freud les pervers « positifs » sont ceux qui souffrent de leur état que la morale dominante, que la société dont ils sont contemporains, reprouvent et du temps de Freud, répriment. Ces « pervers » homosexuels qui sont visés par l’alinéa 75 du code pénal impérial de l’autriche- hongrie dont Freud et toute l’élite de l’époque essaient en vain d’obtenir l’abrogation, sont ceux qui souffrent de la stigmatisation dont ils sont les victimes, de la condamnation morale qu’ils intériorisent.

Ce qui fait dire à Freud en un de ses raccourcis géniaux qui aujourd’hui plus que jamais, dans une société où la majorité se déprend peu à peu de la dictature de la norme, définit admirablement le but que se fixe la psy-chanalyse : ce que l’analyse peut leur procurer n’est pas une guérison mais « elle peut pourtant réconcilier le pervers avec lui- même : le but de l’analyse n’est pas la normalité mais de faire des personnes cohérentes et de résoudre leur conflit3 ».

les personnes qui vivent mal une sexualité différente, loin d’être des oubliés de la psychanalyse, sont aujourd’hui celles et ceux qui démentent le plus radicalement que la psychanalyse soit en aucun cas une approche normative et encore moins adaptative.

Ils ont cependant tout à fait leur place dans notre propos, tant il est vrai, malheureusement, que la psychanalyse les a souvent rejetés, considé-rant longtemps, à l’instar de la psychiatrie américaine, que l’homosexualité était une pathologie (non plus seulement, si l’on ose dire, une perversion, mais une maladie supposément guérissable !). Il fallut d’ailleurs longtemps pour que l’homosexualité cessât d’être un motif d’interdiction d’exercer cette profession au sein des principales sociétés de psychanalyse en France comme ailleurs.

3. In Les Premiers psychanalystes. Minutes de la societé psychanalytique de Vienne, Paris, Gallimard, 1983.

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Les oubliésde la psychanalyse

Gilles-Olivier Silvagni

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Encore faudrait- il se souvenir de ce que le psychanalyste François Péraldi signalait quant au vocable « homosexualité », qui ne désigne nullement une perversion, mais une arme dont se servent les « pervers authentiques »… pour contrôler socialement certains individus.

Et de définir dans le même mouvement la perversion hélas si répandue mais qui seule est en effet complètement hors de portée de la psychana-lyse, celle du pouvoir et du contrôle sur un peuple de normosés, celle qui « consiste en la volonté de maîtriser n’importe quel autre, afin d’en jouir absolument à son gré.4 »

4. « le Désir de la chose. lettres de François Péraldi à Jean Forest », Revue Mœbius, no 38, automne 1988, pp. 7-27.

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