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Les Ouvriers de la Dernière Heure Mohandas K. Gandhi

Les ouvriers de la dernière heure

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Unto this last de John Ruskin paraphrasé par Gandhi.Dans un chapitre de son autobiographie intitulé " La Magie d'un livre " (4ème partie, chapitre XVIII), Gandhi nous dit comment il a découvert Unto This Last de Ruskin pendant un voyage en train en Afrique du Sud :" Impossible de m'en détacher. Dès que je l'eus ouvert, il m'empoigna. De Johannesburg à Durban, le parcours prend vingt-quatre heures. Le train arrivait le soir. Je ne pus fermer l'œil de la nuit. Je résolus de changer de vie en conformant ma nouvelle existence aux idées exprimées dans cet ouvrage. (...) Je crois que ce livre immense me renvoya alors, comme un miroir, certaines de mes convictions les plus profondes ; d'où la grande séduction qu'il exerça sur moi et la métamorphose qu'il causa dans ma vie. (...)Voici, tels qu'ils m'apparurent, les trois enseignements de cet ouvrage : 1. Que le meilleur de l'individu se retrouve dans le meilleur de la collectivité ; 2. Que le travail de l'homme de loi ne vaut ni plus ni moins que celui du barbier, dans la mesure où tout le monde a également droit à gagner sa vie par son travail ; 3. Qu'une vie de labeur - celle du laboureur ou de l'artisan, par exemple - est la seule qui vaille la peine d'être vécue.http://www.wikilivres.info/wiki/Commentaires_sur_Unto_This_Last_de_M._K._Gandhi#Les_Ouvriers_de_la_Derni.C3.A8re_Heure

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LesOuvriersdela

DernièreHeure

MohandasK. Gandhi

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LES OUVRIERS DE LA DERNIÈRE HEURE

Editeuroriginel:c

�NavajivanPublishingHouse

Ahmedabad380014Inde

sousle titre de« Sarvodaya» (engujarati)

« UntoThisLast» (enanglais)

c�

TraductionetprésentationYannFORGET

1993

Publiéenfrançaisà l’occasiondu

ColloqueGandhideMontpellierles31 janvier et1er février1998

organiséparl’Arche deLanzadel Vasto

et la Maisondela Paix deMontpellier.

Réviséen2002avecl’aide deLATEX 2� surDebianGNU/Linux.

Permissionvousestdonnéedecopieret dedistribuercedocumentpourtoutepublicationnoncommerciale.

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Tabledesmatières

Présentation 5

Gandhi,unepenséemoderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

LesOuvriersdela DernièreHeure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Préfacede l’auteur 15

I. LesRacinesde la Vérité 17

II. LesVeinesde la Richesse 23

III. Une Justiceéquitable 29

IV. Qu’est-ceque la vérité? 33

Conclusion 35

Glossaire 37

Bibliographie 39

En français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

En anglais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

En gujarati. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

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Présentation

Gandhi, unepenséemoderne

Dansun chapitrede sonautobiographieintitulé « La Magie d’un livre » (4èmepartie,chapitreXVIII), Gandhinousdit commentil a découvert « Unto This Last» deRuskinpendantun voyageentrainenAfrique du Sud1 :

Impossibledem’endétacher. Dèsqueje l’eusouvert,il m’empoigna.De Johannesburg à Durban,le parcours prendvingt-quatre heures.Le train arrivait le soir. Je ne pus fermer l’œil de la nuit. Jerésolusdechanger devie enconformantmanouvelleexistenceauxidéesexpriméesdanscetouvrage.(...) Je crois quecelivre immensemerenvoyaalors, commeun miroir, certainesdemesconvictionslesplusprofondes; d’où la grandeséductionqu’il exerçasurmoiet la métamorphosequ’il causadansmavie. (...)

Voici, telsqu’ils m’apparurent,lestrois enseignementsdecetouvrage:

1. Quele meilleurdel’individu seretrouvedansle meilleurdela collectivité;2. Quele travail del’hommedeloi nevautni plusni moinsqueceluidubarbier, dansla mesureoù

tout le mondea égalementdroit à gagnersavie par sontravail ;3. Qu’unevie delabeur— celledu laboureur ou del’artisan, par exemple— estla seulequi vaille

la peined’être vécue.

Gandhiestnéen1869,à Porbandar, un port du Gujarat,dansl’ouestdel’Inde. En 1889,il partàLondresfairedesétudesdedroit.

AprèsdesdébutsmédiocrescommeavocatauGujaratet à Bombay, il obtientdes’occuperd’uneaffaire en Afrique du Sud.C’est là qu’il formerasaphilosophieet la méthodequ’il nommerasatya-graha, l’attachementà la vérité.Vingt ansplustard,il revient enInde,accueillicommeun héros.

En1919,il lancelespremièrescampagnesdedésobéissancecivile surunegrandeéchelle,exempleencoreinégalédansl’histoire.Aprèsquelquetrenteannéesdeluttes,pendantlesquellesGandhieffectuede nombreuxjeûneset séjoursen prison,l’Inde obtientson indépendance,sansavoir utilisé la forcemilitaire. Mais celle-ci est amère: elle est obtenueau prix de la partition de l’Inde et du Pakistanqui résulteen unesanglanteguerrecivile : environ un million de morts,dix millions de réfugiésdesdeuxcotésde la frontière.Le 30 janvier 1948,il estassassinéparun fanatiquehindoumembred’uneorganisationintégristequi lui reprochelesconcessionsqu’il a faitesauxMusulmans.

Aujourd’hui,encoreetplusquejamais,soninfluenceenIndeetdansle mondeestimportante,sansêtretoutefoistoujoursreconnue.Dansdenombreuxdomaines,leshabitudesou leslois ontévoluédans

1. M. K. Gandhi,AutobiographieoumesExpériencesdeVérité, PUF, 1986,pages378-379.

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la directionpréconiséeparGandhi.Celivre enesttémoin.Nousavonsadmis,longtempsaprès,cequeprônaientRuskinet Gandhi,alorsqu’ils ontétédécriésenleur temps.

Aujourd’hui, la penséedeGandhipourrait-elleencoreapporterà la sociétéoccidentaleunélémentpositif nouveau? Pour une grandepartie de l’opinion, cettequestionest saugrenue,voire déplacée.Commentpeut-onprétendrequ’unephilosophievenantd’un paysendéveloppement,etdel’un deceuxqui rencontrentle plusdeproblèmeséconomiques,sociauxet culturels,pourraitapporterdessolutionsauxproblèmesdela sociétéoccidentale?

La penséede Gandhipeutparaîtreinutile et dépassée,mais je pensequecelle-ci est résolumenttournéeversl’avenir, etprétendsqu’elleapporteuneréflexion nécessaireà l’évolutiondumondeentier,et despaysoccidentauxenparticulier. C’estuneopinionpeutrépandueet contraireà la modeintellec-tuelled’aujourd’hui.Cecipourdeuxraisons: cettepenséeestencorepeuconnueendehorsd’un milieumilitant et dansl’ensemblemal comprisemalgréles trèsnombreusesétudeset bibliographiesqui luiont étéconsacré(plusde1200ouvrages!). D’autrepart, la prétenduesupérioritéde la civilisation oc-cidentalepar rapportaux civilisationsorientales,croyancerépandueparmi de nombreuxintellectuelsautantqueparmile grandpublic, renforcecetapriori.

Pourtantde nombreuxauteursont déjà montrél’intérêt universelde la philosophiede Gandhi.Déjàen1924,à l’aubedesluttesnon-violentespourl’indépendancedel’Inde, RomainRollandécrivaitquecettephilosophieest« le véhiculed’unenouvelle raisondevivre, de mourir, et d’agir pour toutel’humanité» etapporte« à l’Europeépuiséeunnouveauviatique»2.

On a souventprétenduquela penséedeGandhi,étantfondéesur l’hindouisme,était inapplicableailleursqu’en Inde.En fait, cetteidéereposesur uneprofondeméconnaissancede cettepensée.Bienquecertainsde sestraits soientpropresaux philosophiesde l’Orient, unegrandepartiede la théorieet de la pratiquedeGandhiestfoncièrementétrangèreà l’Orient, et à l’hindouismeenparticulier. Unsociologueindien,Asis Nandy, écrit: « La nature desréformessocialesqu’il proposaitet l’activismepolitiquequ’il exigeaitdesIndiensbouleversaientprofondémentlestendancesdominantesdela cultureindienne, spécialementcelledesHindous».La penséeetl’action deGandhi« constituaient,par rapportà l’éthos dominantde la civilisation indienne, uneattitude fondamentalementdéviante. »3 En effet,nousavonstendanceàoublierqueGandhia formésapenséeenAngleterre,enAfrique duSudetparlalectured’auteursoccidentaux: Ruskin,Tolstoï,Thoreau.

Jepenseégalementquela redécouvertedecesauteursà la lumièredel’interprétationgandhienneet del’évolution récentedu mondeseraitprofitableà la sociétéoccidentale.Certainesdeleursœuvressontintrouvablesaujourd’hui,en françaisenparticulier4. La Bible, et particulièrementle Sermonsurla Montagne,a aussiétéunesourceimportantedela penséedeGandhi.

Seuleunepetitepartiedel’œuvrelittérairedeGandhiaététraduiteetpubliéeenfrançais.Onpour-rait reprendre,trenteansaprès,l’argumentairedeprésentationde la collection« Penséegandhienne»dirigéeparLanzadel VastoauxEditionsDenoël.La plupartdeslivresdecettecollectionétantépuisés,il estdoncencorenécessairede« comblerunelacunedansl’histoire contemporaineetdansla sciencesocialemoderne».

« Le Français, est-il écrit, qui voudrait étudier la libération de l’Inde et la révolutionoriginaledontelle fut le fruit, manquedecertainsdocumentsdepremière main.

2. R. Rolland,MahatmaGandhi, Paris,Stock,1924,p. 1793. A. Nandy, Final Encounter:thepolitics of theassassinationof Gandhiin At theEdge of psychology. Essaysin Politics

and Culture, Delhi, Oxford University Press,1980.Traduit par JoëlDusuzeaudansMiroir de l’Inde. Etudesindiennesensciencessociales.Textesréuniset présentéspar RolandLardinois.Paris,MaisondesSciencesde l’Homme, 1989,p. 270,note5.

4. Voir la bibliographieenannexe.

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« Pour l’étudede la non-violenceet de toutessesimplicationset applications,quelques-unsdestextesfondamentauxquelesIndienset lesAnglaisontà leur dispositionlui fontdéfaut.

« La moitié peut-être [en fait plus de 90%!] de l’œuvre écrite de Gandhiest inéditeen France.Quantauxthéoricienslespluséminentsdumouvement,ils y restentinconnus,mêmedenom.»

Des50.000pagesenviron quereprésentecetteœuvre,unedizainedelivresenviron ontétépubliés,dont quatreseulementsontencoredisponiblesaujourd’hui! « Satyagrahain South-Africa», l’une desesœuvresmajeures,n’a jamaisété traduite.Une rééditionde certainsouvrages,ainsi que de nou-vellespublications,sontdoncnécessairespourpermettreauxlecteursfrancophonesdeconnaîtreet decomprendrela penséedeGandhi5.

Unepartiedesproblèmesdela sociétéoccidentale,commel’échecdenombreuxmouvementsré-formateurs,tientàl’ignorancedel’un desprincipesfondateursdecettepensée.La pertedela crédibilitédela politiqueaujourd’hui,commeentémoignentlesscandalesdecesdernièresannéesliésaufinance-mentdespartispolitiques,découledel’absenced’un minimumd’éthiquedansla conduiteet la gestiondesaffairespubliques.C’est dansce domainequela sciencepolitique de Gandhinousseraitle plusprofitable.Enfait, cen’estpasseulementcettepenséeetcetteœuvrequenousdevonsredécouvrir, c’estun ensemblede philosophies,d’auteursqui montrentquel’approcheexclusivementéconomiquedesproblèmesdesociétéestfondamentalementerronée.

JohnRuskinestle chefdecetteécole.L’un despremiers,il a dénoncéle capitalismesauvagequidétruitle tissusocialetcrééla pauvreté.Nousdevonsadmettrequele colonialismecultureloccidentalapropagéunevisionuniquementmercantiledesproblèmes,etabandonnerl’idée que« toutcequi accroîtla productionderessourcesdonnéesaccroît le bien-être »6.

L’idée que les biensmatérielssont importants,et qu’ils sont le point principal dont le bien-êtreet le bonheurdépendent,est le cœurde notreproblème.Par opposition,la penséede Gandhireposeavant tout sur uneéthique,unemoralereligieuse.Il affirme, « sansla moindre hésitation,maisaussientoutehumilité,queceuxqui disentquela religion n’a rien à voir avecla politique, nesaventpascequesignifiela religion »7. Et cettefoi esttout le contrairedel’intégrismequi resurgit aujourd’huidanscertainesreligions,dansle christianismeet l’islam enparticulier.

Gandhiestrevenuauxsourcesdel’hindouisme,commeFranzAlt proposederevenir auxsourcesdu christianisme.Ce dernierexplique: « Au cours desdernièresannées,il m’estapparuqu’il n’étaitplus possiblede séparer humanisme, religion, politiqueou développementpsychique. Ce n’est paslamêmechose, maisils sontindissolublementliés.Notreexistencereligieuse, politiqueetprivéeconstitueun tout. (...) Le schismele plus lourd de conséquencesqui ait affecté le christianismen’est pas laséparation del’Eglise opéréepar Luther, maisla scissionentre religionet politique. »8

Cetteargumentationestrepriseaujourd’huipardenombreuxauteurs,engénéralpeuconnuset endehorsdesmédias.RajniKothari,unauteurindien,écrit: « Endéfinitive, Gandhiavaitraison: politiqueet religionsontétroitementjumelées.Ou bienl’Etat estun instrumentdela moralité, ou bienil devientun instrumentd’uneaction— quecesoit le progrèsou la gloire nationale, ou la gloire dela personne

5. Voir la bibliographieenannexe.6. J.K. Galbraith,TheAffluentSociety, Harinonthsworth, PenguinBooks,1962,p. 122.Cité parT. N. Madan,Culture et

Development, Delhi, Oxford University Press,1983.Traduit par R. LardinoisdansCulture et Développementin Miroir del’Inde, op.cit., p. 361.Voir aussiJ.K. Galbraith,EconomicsandthePublicPurpose, London,AndréDeutsch,1974.

7. M. K. Gandhi,Autobiographie..., op.cit., p. 645.J’ai retraduitcepassage.L’édition anglaise(An Autobiographyor theStoryof myExperimentswith Truth, Ahmedabad,Navajivan,1927,rééd.1991,p. 420)dit : « I cansaywithouttheslightesthesitation,andyet in all humility, that thosewhosaythat religion hasnothingto do with politics do not knowwhatreligionmeans.»

8. FranzAlt, LesBéatitudes,l’arme absolue. La Politique selonle Sermonsur la Montagne, O.E.I.L., Paris,1983,pages23-24.

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qui est censéepersonnifier le destinde tout le peuple. Libéré desimpératifs moraux, l’Etat devienttotalitaire, quellequesoit saconstitution.»9 Ceciestégalementvrai pournosdémocraties.Cetarticlemontrebien les causesdesgravescrisesdu mondemoderne: intégrismescontredictaturesmilitaires,fanatismesreligieux contreoligarchiesd’Etat, etc. Il insistesur l’influence desleadersindiens,et deGandhienparticulier, pour« imprégnerla politiqued’un codemoral, pour lui associerle conceptdeservice, dedevoir ».10

La persistance,conscienteou inconsciente,d’une prétenduesupérioritéde notrecivilisation parrapportà d’autrescontribue à maintenirun préjugédéfavorableà l’égardde la penséede Gandhi.Cepréjugéest particulièrementfort contre la civilisation indiennesur le plan économiqueet social. Ilreposesuruneméconnaissancedecettecivilisation autantquesurun « racismeintellectuel».

Surle plansocial,nousopposonsle systèmedescastesauprincipedesdroitsdel’homme.En fait,cettesociété,mêmeavecsesinégalités,asouventunplusgrandrespectpourl’être humainquela sociétéoccidentale.Bienquela femmeneparticipepasà la vie publiquedansla sociététraditionnelleindienne(maiscelaesten train de changer),elle estmieux respectéeen tempsquepersonne.Par exemple,enInde,la prostitutionestrareet presqueexclusivementliée autourismeétranger, et la pornographieestquasimentinexistante.Danslesdomainesqui lui sonttraditionnellementréservés,commela chargedela maisonou l’éducationdesenfants,la femmeexerceuneautoritésanspartage.Et enhindi, tout motpeutêtremisauféminin!

La persistancede gravesproblèmeséconomiquesen Indevoudraitmontrerla supérioritédu ma-térialismeoccidental.Cesmêmesanalysessous-estiment,voire nient, le flux constantde richessesetdepersonnesqualifiéesdespaysdu Sudverslespaysoccidentaux,depuisle début de la colonisationjusqu’àce jour. On doit soulignerque l’indépendancedespaysdominésn’a pasarrêtéce flux. Plu-sieursauteursont bienmontrélescausesdu sous-développementéconomiquedecepays: la ponctionsurl’économieindiennedela puissancecolonisatricebritannique,puisdespayscapitalistesàcauseduprix trèsbasdesproduitsexportés.Eriksonécrit que l’Angleterre,en dépit de seslumièreset de sesidéauxélevés,a exploité et drainé le subcontinentindien dansquatre domainesde la vie nationale:l’économie, la politique, la culture et l’esprit.11 L’industrialisationet le développementéconomiquedel’Europeoccidentale,enparticulierde la Franceet de l’Angleterre,coïncidentavec le développementde leurspuissancescolonialesrespectives.Au XVIIème siècle,le niveaude vie despaysansindiensétaitsupérieurà celui d’aujourd’hui.Il n’y avait pasdefaminesenIndeavant l’installation du pouvoirpolitiquecolonial.La misèren’estapparuequ’avecla colonisation.Le problèmedémographiqueestuneconséquencedela misère,et nonunecausecomme,veulentle fairecroirebonnombred’Occidentaux.Biensûr, aujourd’hui,un cerclevicieux s’estinstallé,dontl’Inde abiendumalà sortir.

Enfin,le systèmesocialtraditionneldel’Inde n’a paspourobjectifunenrichissementéconomique,mais un développementspirituel. Le capitalismecommele marxismeaffirme que l’industrialisationdespaysdu Sudestnécessaireau bien-êtrede leur population.Ce queréfutetotalementGandhi.Lacroyancequi tient la possessiond’un bien-êtrematérielcommele but ultimeàatteindreestoriginairedel’Occident.L’objectif del’hindouismeest« la fondationd’unesociétéuniverselletotalementimprégnéedevaleurs religieusesuniversellementreconnues.(...) Chaqueindividu devrait ainsi associerdanssavie la quêtepersonnellede la connaissancede soi à unecontribution nécessaire au bien-être de tousdansla société.(...) Chaquemembre de la sociétédoit ainsi contribuer au maintiend’un ordre qui

9. R. Kothari,Démocratie et non-démocratie enInde, in Esprit,hors-sérien� 2, Paris,1985,page28.10. Ibid., page27.11.E. H. Erikson,La VéritédeGandhi.Lesoriginesdela non-violence., Paris,Flammarion,collection« Nouvelle biblio-

thèquescientifique», 1974,page248.Voir aussipages247à 261,et T. N. Madan,Miroir de l’Inde, op. cit., et B. Chandra,TheRiseandGrowthof EconomicNationalismin India, EconomicPoliciesof Indian NationalLeardership, 1880-1905,NewDelhi, People’s PublishingHouse,1966.

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constituela seulegarantiedesonpropre bien-être. »12

La sociétéoccidentaleestdonccaractériséeparunerecherchedu profit personnel.Cecomporte-mentestle plussouvent inconscientet serévèleà la rencontred’unesociétéqui a uneconceptiondebasedifférente.Celaexplique à la fois la fascinationdesOccidentauxpour la sociétéindienneet lechocpsychologiqueressentipareuxà la rencontredecettesociété.« Le refusdunesourcedemoralitéet d’autorité transcendanteà la personnehumaineet la promotiondel’hommecommecentre del’uni-vers ayantlà charge de le régenter, sontà la basede la conceptionoccidentaledu monde. »13 C’estaussila basedenosproblèmes! Devantl’impassedanslaquellenousnoussommesengagés,notreseulepossibilitéestdechercherdessolutionsà l’extérieurdenotresociété.

Voici unecitationanonyme tirée de« NotreAvenir à Tous»: « Nous,enAsie, à monsens,nouscherchonsun équilibre entre la vie spirituelleet la vie matérielle. J’ai observéquevousaviezessayédeséparer la religion del’aspecttechnologiquedela vie. N’est-cepaslà exactementl’erreur despaysoccidentauxqui mettentau point unetechnologie sanséthique, sansreligion.Si tel estle caset si nousavonsla possibilitéde prendre unenouvelleorientation,ne devrions-nouspasconseillerau groupechargé de la technologie de rechercher un typedifférent de technologie, fondénon seulementsur larationalité,maisaussisur l’aspectspirituel? »14 Cequi estvrai pourla scienceet la technologie,l’estaussipourl’économieet la politique.

D’autrepart,il estaujourd’huiadmisquelesressourcesdelaplanète,enparticulierénergétiques,nepeuventsouteniruneconsommationcomparableàcelledespaysoccidentauxpourl’ensembledel’hu-manité.« Un nombrecroissantd’observateurs s’accordentpourreconnaîtrequela situationcritiquedel’espècehumainejustifieun changementradical denosobjectifset desmoyensd’y parvenir. »15 L’airpur, l’eau potable,les terrescultivablesnesontpasinépuisables.Lesquantitésdisponiblesd’énergiesfossiles(pétrole,gaz,charbon,etc.)sontlimitées.La productiondedéchetsmetendangernotrefutur.Gandhiavait déjàprévucettesituationavantqu’ellefassel’objet decampagnesélectorales: « Sila Terreproduitassezpourlesbesoinsdechacun,elleneproduitpassuffisammentpour l’avidité detous.»16 Laprisedeconsciencedesproblèmesd’écologieestrelativementtardive enFranceencomparaisonavecd’autrespaysoccidentaux.Fait significatif, le rapportdela CommissionMondialesurl’environnementet le Développementn’a pasétépublié en France,et il estconsidérécomme« le documentle plusimportantdela décennie[1980-1990]sur l’avenir dumonde. »17

La penséedeGandhis’opposeprincipalementàcelledeDescartes.Pourcedernier, la moralen’estqu’unedesbranchesde la philosophie,alorsque la moraleest le fondementabsolude la penséedeGandhi.Descartesdifférencieunemoraleprovisoireetunemoraledéfinitive,et soutientquele progrèsde la sciencebénéficieà la morale.18 L’arme atomique,l’expériencedespayscommunisteset deschambresà gaznaziesnousmontrentoù celanousmène: à la négationdesDroits de l’Homme quifondentnosdémocratiesouà la destructiondel’humanité.Gandhi,parcontre,subordonnetoutprogrèsscientifiqueou techniqueaucontrôledela morale.

Si cecontrôlen’existepas,lesdécouvertesscientifiquesnesontpasutiliséespouruneplusgrandeconnaissancedel’être humain,maiscommepalliatif desproblèmessociauxou,pire,commesourcedeprofit auxdépensd’êtreshumainsou dela nature.Tout progrèsscientifiqueou techniquequi n’estpasaccompagnéd’unprogrèssocialetspirituelestunedéformationvicieusedenotrecapacitéintellectuelle.

12.R. Roy, Hindouismeet modernité, in Esprit,op.cit., pages33-34.13.RainashrayRoy, op.cit., page36.14.Notre Avenir à Tous, Rapportde la CommissionMondialesur l’Envirionnementet le Développement(CMED), Mont-

réal,Editionsdu Fleuve,1988,page131.Intervenantà l’audiencepubliquedela CMED. Djakana,26 mars1985.15.T. N. Madan,Miroir del’Inde, op.cit., page369.16.CitéparT. N. Madan,op.cit., page363.17.Notre Avenirà Tous, op.cit., 4èmepagedecouverture.18.cf. FrançoisVaillant,La Non-violence. Essaidemorale fondamentale., Paris,Le Cerf,1990.

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Tenterde résoudreun problèmepar uneavancéede la techniqueplutôt quepar un progrèssocialetspirituel, conduit à déplacerce problèmedansl’espaceou dansle temps.La technocratie,c’est-à-dire un systèmeoù les techniciensont une influenceprépondérante— c’est-à-direle nôtre...— nepeutengendrerunesociétéoù l’être humainestpleinementépanoui.La prépondérancedu matérielsurl’humain aboutità desaberrationsà touslesniveauxde la société.On nousfait mangerdu pétroleen« beefsteak» eton fait roulerdesvéhiculesavecducarburantproduitavecdesvégétauxqui pourraientêtreconsommés.On étudiela psychologiehumainegrâceà desexpériencessurdessourisencage.Ongreffe desorganesd’animauxsur le corpshumain.On oubliequel’hommen’estpasunemachinequifonctionnesi onlui fournit uncarburantchimiquementadéquat.Le mêmetypederaisonnementconduitinvariablementàdesconclusionserronées,àdesmonstruositésqui avilissentl’homme.LanzadelVastoécrit: « Lematérialismeestuneerreur qui consisteà traiter lesproblèmesdela vie etdel’esprit selondesméthodesqui ont fait leur preuvedansl’étudedeschosesdela matière. »19

Aujourd’hui, l’éthiqueet la moralereviennentenforcemalgrél’influencegrandissantedumatéria-lismedanstouteslessociétés.On peutassisterà la formationdeComitésd’Ethiquedanstouslespaysoccidentaux,et à la créationde banquesalternativesoù l’éthique, la solidaritéet la transparencesontprivilégiéesparrapportà la recherchedu profit.

Pourcomprendrela penséedeGandhi,commetoutepenséed’originenonoccidentale,nousdevonsdoncdissocierla notiondeculturedecelledecivilisation.La civilisationnepeutsedéfiniruniquementparun certainétatdela culture,dela science,dela technique,dela politique,del’économie,du socialou du droit. Si l’idée de civilisation estassociéeà uneidéede valeur, ce ne peut-êtrequede valeursmorales.Nousdéclaronsunesociétépositive ou évoluéeselondescritèrespropresà notrecivilisation,et qui n’ont rien d’universels.Si nousprenonscommecritèrel’évolution spirituellede sesmembres,la civilisation indienne,qui a pour leitmotiv la recherchede l’Absolu, nepeutêtrequ’une« grande»civilisation.Et Gandhi,l’un desesderniersrénovateurs,nepeutêtrequ’unhommedemorale.

OOO

LesOuvriers de la Dernière Heure

Gandhidécouvrit« Unto This Last » en mars1904en Afrique du Sudgrâceà un ami rencontrédansunrestaurantvégétarien,HenryPolakrédacteurenchefdu journal« TheCritic » àJohannesburg.Il décida,non seulement,de changerimmédiatementsaproprevie en accordavec l’enseignementdeRuskin,mais établit « Indian Opinion »20 dansune ferme où tous recevraient un salaireégal,sansdistinctiondefonction,deraceoudenationalité.Peudetempsaprès,Gandhiacquitcinquantehectaresà Phoenix,prèsdeDurban,où il installasafamille et toutesonéquipe.Quandle moteurde la pressetombaenpanne,il suppléaàla déficiencedela mécaniquegrâceàunepresseàmainetàla participationdetoutela communautéautravail del’impression.

Dans« Unto This Last », Gandhitrouva unegrandepartiede sesidéessocialeset économiques.Ruskinétaitconcernépar lesmêmesproblèmeset apportaitlessolutionsqui ont plu à Gandhicommesi ellesétaientlessiennes.Il dit aussi: « Trois modernesont marquémavie d’un sceauprofondet ontfait monenchantement:Raychandbhai21, Tolstoï,par sonlivre « Le RoyaumedesCieuxestenvous»,et Ruskinet son« Unto ThisLast ». »22 Par la suite,il lira deuxautresouvragesdeRuskin: « A Joyfor Ever » et « TheCrown of Wild Olive ». Gandhiadapta« Unto ThisLast» engujaratien1908sous

19.LanzadelVasto,LesQuatre Fléaux, tome1, Le Diabledansle Jeu, Paris,Denoël,1959,pages149-150.20. IndianOpinion: hebdomadairecrééet éditéparGandhienAfrique duSuden1904(N.d.T.).21.écrivaingujaraticonnupoursespolémiquesreligieuses22.Autobiographie..., op.cit., page114.

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LES OUVRIERS DE LA DERNIÈRE HEURE

le nomde« Sarvodaya», le bien-êtredechacun.C’estaussile nomqu’il donnaàsaphilosophie.ValjiGovindji Desaitraduisitcetteadaptationenanglaisen1951.Lesqualificatifsapplicablesà l’œuvredeRuskinle sontaussiàcelledeGandhi.Aussi,je parleraide« leur » livre.

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Ruskinestnéà Londresen1819.De samère,il tient unestricteéducationreligieuseévangéliste,et desonpère,sonintérêtpour lesvoyages,lespaysages,la peintureet l’architecture.A treizeans,ildécouvritlesœuvresdeTurnercequi déterminalespréoccupationsdetoutesavie : la perfectionet lavéritablebeautédetoutechosesetrouventdansles intentionsqui ont conduità saréalisation.L’annéesuivante,sonpèrel’emmèneenSuisse,où il découvreavecravissementlespaysagesalpestres.

En 1842,il obtientun diplômeuniversitaireà Oxford où il enseigneraplus tard.Sesécrits,nom-breuxet variés,traitentdepeinture,d’architecture,et de l’art italien, principalementdeVeniseet Flo-rence.Il a aussiécrit descontesmoraux,desessaisdegéologieet d’économiepolitique.Il effectuadenombreuxvoyagesenFranceet enItalie. Il estmort à Londresen1900.Pourplusdedétailssur la vieet l’œuvredeRuskin,onsereporteraauxbiographiesqui lui ontétéconsacréesetà l’excellenteéditionanglaisede« Unto ThisLast» enlivre depocheprésentéeparCliveWilmer.23

La premièreet la plus importanteclé de la politique de Ruskinse trouve dansl’instruction bi-bliquedesamère.Ruskina aussiétélargementinspiréparThomasCarlyle(1795-1881).« Unto ThisLast» estpubliépour la premièrefois endécembre1860dansle mensuel« Cornhill Magazine» sousformed’articles.Ruskindit lui-mêmequ’ils furent« trèsviolemmentcritiqués», obligeantl’éditeur àinterromprela publicationauboutdequatremois.Lescritiquesont vivementattaquécesessaiset lesabonnésenvoyèrentdeslettresde protestation.Mais Ruskincontre-attaqueet publie les quatreessaisen livre en mai 1862.Au début, « Unto This Last » sevendit mal. Par la suite,l’ouvrageatteintunecertainerenomméjusqu’audébut decesiècle.En 1910,plusde100.000copiesavaientétévendues,etle livre avait ététraduit en français,en allemand,en italien, et parGandhi,engujarati.Peuà peu,leséconomistesprofessionnelsont reconnusavaleur. A la fin de savie, Ruskinle considéraitcommelemeilleuret le plusvalablede toussesécrits.Ruskina euunelarge influencesur la législationsocialeeuropéenne.Clive Wilmer dit : « L’influencedeRuskinsur notre sociétéestincalculable. »24

Le but de « Unto This Last » estdouble: définir la richesse,et démontrerquecertainescondi-tions moralessontessentiellespour l’obtenir. Ce n’est pasun essaipour définir unenouvelle théorieéconomiqueou pourproposerdespolitiquesparticulières.C’estd’abordet avant tout unecritiquedescroyanceset desidéespopulaires.Leséconomistesavaientdéfini un « hommeéconomique» qui agit« invariablementpour obtenir la plus grandequantitéde nécessités,de facilités ou de luxe, aveclapluspetitequantitéde travail et d’effort physiquenécessairesdansl’état de connaissanceexistant».Autrementdit, il neseraitmotivé queparle désird’un gainmatériel.Ils n’imaginentpasqu’un tel êtreexiste,maisprétendentseulementqu’il estnécessaired’isoler l’objet deleur investigation,car« c’estlaméthodequela sciencedoit obligatoirementsuivre ». Leursbutssontdedécouvrircommentleslois dumarchépermettentauxpersonnesle souhaitantd’acquérirdesrichesses,et l’hommeéconomiqueleurfournit un bonmodèle.

Pour Ruskin,et pour Gandhi,c’est précisémentcela que la sciencene doit pasfaire. Si un telindividu n’existepas,commentcemodèlepourrait-il êtreutilisépourcomprendrelesactionshumainesdansla réalité? Plusque tout, dansle casde la naturehumaine,commentest-il possiblede séparerla compréhensiond’uneactiondesonjugementmoral? Cequeleséconomistesveulentapparemmentproposer, mêmesi cen’estpasleur intention,estquela sociétédanssonensembleprofitedel’avidité et

23.Voir bibliographieenannexe.24.J.Ruskin,Unto ThisLastandotherwritings, London,PenguinBooks,1985.IntroductiondeCliveWilmer, page30.

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dumatérialismedesindividuségoïstes.Il semblequ’ils recommandentunetelleconduite.Beaucoupdepoliticienset d’industrialisteslescomprennentcertainementdecettefaçon,et agissentseloncequ’ilsprennentpour leursconseils,cequi suffit à Ruskinet à Gandhipourdémontrerl’irresponsabilitédelaméthode.

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L’expression« UntoThis Last» apouroriginela paraboleduvigneron(Matthieu20.1-16).

Car le RoyaumedesCieuxestsemblableà un maître de maisonqui sortit dèsle matin, afin delouer desouvriers pour savigne. Il convint aveceuxd’un denierpar jour, et lesenvoyaà savigne. Ilsortit vers la troisièmeheure, et il vit d’autresqui étaientsur la placesansrien faire. Il leur dit: « Allezaussià mavigne, et je vousdonnerai cequi sera raisonnable. » Et ils s’enallèrent.Il sortit denouveauvers la sixièmeet la neuvièmeheure, et fit demême.

Etantsortit vers la onzièmeheure, il entrouvad’autresqui étaientsur la place, et leur dit : « Pour-quoi voustenez-vousici toute la journéesansrien faire? » Ils répondirent: « Personnene nousaloués.» « Allezaussià mavigne», leur dit-il.

Quandle soir fut venu,le maîtredela vignedit à sonintendant: « Appellelesouvriers,etpaie-lesle salaire, en allant desderniers aux premiers. » Ceuxde la onzièmevinrent, et reçurent chacunundenier. Lespremiers vinrent ensuite, croyant recevoir davantage; mais ils reçurent aussichacunundenier. En le recevant, ils murmurèrent contre le maître de la maison,et dirent: « Cesderniers n’onttravaillé qu’uneheure, et tu lestraitesà l’égal denous,qui avonssupportéla fatigueet la chaleurdujour. » Il répondità l’un d’eux: « Mon ami, je nete fais pastort. N’as-tupasconvenuavecmoi d’undenier? Prendscequi te revientet va-t-en.Jeveuxdonnerà cedernierautantqu’à toi. Nem’est-il paspermisde faire de monbien ce queje veux? Ou vois-tud’un mauvaisœil queje soisbon? Ainsi lesderniers seront lespremiers,et lespremiers seront lesderniers. »

Ruskintenaitla significationspirituelledecetexte pouradmise.Cequi comptedans« Unto ThisLast» estla significationéconomiquedel’enseignementduChrist.

L’appréciationdecepassagen’estjamaisdirectementdéclarée,maisunelectureattentive du livresuggèredeuxidéesdirectives.Premièrement,la relationéconomiqueentreunemployeuretsonemployéne doit pasêtrevuecommeunequestiondeprofit ou d’avantage,maisde justice.Ainsi, le maîtredemaisonpaietoussesouvriersde la mêmefaçon,nonparcequ’il sous-paie« ceuxqui ont supportélafatigueet la chaleurdu jour », maisparcequetousles hommesont desbesoinsidentiques.Ainsi, lajusticedoit êtrevuedansla reconnaissancedu besoinet dansla responsabilitéréciproque.Ensuite,laparabolesoutientcequi semblaitla plusexcentriquepropositiondeRuskin: le tauxdesalairedoit êtrefixepourun travail donné,quelqu’ensoit la qualité.Cequi estaujourd’huicommunémentadmis,bienquelestenantsdu libéralismesauvagesouhaitentremettreencauseceprincipe.

Gandhi,commeRuskin,a répététout au long de savie quel’être humainestfondamentalementmoral.Il nedéniepasqu’il estcapabled’avidité, d’immoralitéetdemanquedecœur. Il affirmesimple-mentquel’on nepeutcomprendrel’humanité,ni mêmela naturedela richesseou del’avidité, si l’onnereconnaîtpasquel’être humainestaussicapabled’abnégation,d’honneur, dejusticeetd’amour. Cequelesméthodesscientifiquesabstraitessemblentavoir découvert enlui neserapasseulementfaux(etdoncinutile), maisdécouragerasesvertusdansl’intérêt du progrèséconomique.Et l’individu, diviséentredesmotifs nobleset vils, apprendraquelesplusvils sontbénéfiquesà la société,et sesentiraenconséquencejustifiédanssonchoix égoïste.

« Unto This Last» estd’abordun cri decolèrecontrel’injustice et l’inhumanité.Lesthéoriesdeséconomistesont outragésesplus fortesconvictions morales.Il critique despenseursqui proclament

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avoir fondéunescience.Limiter le messagedu livre à dessentimentsmorauxseraitaccepterce quelui reprochentsesdétracteurs: d’être un sentimentalqui ne peut faire faceà la réalité.Mais le livreestaussiuneattaquedesméthodesphilosophiqueset scientifiquesqueles économistestiennentpouracceptées.Ruskinet Gandhirésistenttotalementà la tendancede la civilisation moderned’un pointde vue intellectuelautantquemoral. Ils contestentla méthode,particulièreaux tempsmodernes,quiconsisteàtravailler parspécialisation.La réalitéestdéforméequandon isolel’objet del’étudeetquandon détachelesconsidérationsmatériellesde la morale.Leur argumentpeut-êtrerelié avec leur objec-tion à la démocratielibérale,qu’ils décrivent commel’expressionpolitique d’une penséequi conçoitchaquehommecommela sommedesesintérêtspersonnels,détachéd’un contexte social.Ils voyaientla division du travail commeuneformed’esclavage.Ils nemettentpasseulementencauseunethéoriegénérale,maisdessituationsspécifiquementéconomiques.Cequi nousattiredans« Unto This Last»estla façonpréciseaveclaquelle,à l’analyses’ajoutel’ironie, la passionet l’imagination.

Le premieressaicommenceavecuneattaquedela notiond’hommeéconomique.Dansla plupartdesaffaireshumaines,il estnormalde regarderle gain personnelcommesecondairedansle servicedésintéressédesonprochain.La mêmechosedoit s’appliquerà l’industrie et aucommerce: le travaildu fabricantetdu vendeurdoit êtredepourvoir la communautéenbienset enservicesutiles.

Le secondanticipela charge desentimentalisme.A l’aide defablessimples,il montrequel’hon-neur dansles affairescommercialesest non seulementdésirable,maisessentielpour uneprospéritévéritable.Leséconomistesnecomprennentpascetargumentcarils isolentl’individu dela société.Lemodèleproposépour l’Etat estla cellule familiale où la survieet la prospéritésontprofondémentin-terdépendantes.Cequi conduitnaturellementà la considérationdela justerécompensedu travail dansle troisièmeessai.Le conceptde justiceabstraiteexiste derrièretoutesles transactionshumaines.Ceconceptestinné,et quandil estviolé, celui qui ensouffre sesentlui-mêmela victime d’un crime.Unsalaireinjusteestdoncuneformedevol.

Dansle dernieressai,sontesquissésquelques-unsdescritiquesécologistesauxcitésmodernes.Ildéfinit cequ’estun objetutile, cequen’avaientpasfait leséconomistesdu XIXème siècle.Puisvientla définition d’une véritablerichesse,à savoir, qu’elle ne se trouve pasdansla possessionde biensmatériels,maisdansle cœurd’individus« nobleset généreux».

Le textedeGandhiestbeaucouppluscourtqueceluideRuskin.Dansl’original, lesquatrechapitressontde taille sensiblementéquivalente.Dansla paraphrasedeGandhi,leur longueurestdécroissante.Il estaussitrèsdifférentpar le style,moinslittéraire,et le vocabulaire, fortementsimplifié. Gandhiasupprimétouteslesréférencesà d’autresécritsdonnésparRuskin,principalementceuxdeJohnStuartMill, AdamSmithetDavid Ricardo.Maisdespassagesentierssontidentiqueset l’analyseestla même.Gandhia ajoutéuneconclusionoù il adapteles argumentsde Ruskinà la situationde l’Inde. Aucunautrelivre,exceptéla BaghavadGita,n’a euuneinfluenceaussiimportantesurla penséedeGandhi.

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Il estremarquablequeles dysfonctionnementsactuelsdenotresociétéaientétési bienprévusetanalysésil y aplusd’un siècle.On peutexactementappliquerlescommentairesde« UntoThis Last»,écritspour le libéralismedu XIXème siècle,à l’économiedespayscapitalistesd’aujourd’hui.Ceux-ciont appliquéà leur systèmesocialcertainesdespropositionsde Ruskinet de Gandhi,commele tauxhorairefixe, le salaireminimum, le droit à certainsbesoinsessentiels.Mais l’idée que le niveaudesalairedoit fixe pour un tempsde travail équivalent est complètementpervertie dansleurs relationséconomiquesavec les paysdu Sud.Les échangessont totalementfausséspar le niveaudestaux dechange.Dansle casde l’Inde, la valeurde la roupiea étédiviséepar cinq en dix ans! Mais le prixdesmarchandiseset desserviceséchangés,fixé endevisesfortes,estrestéle même.Pire, lesprix des

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produitsvendusont augmenté,tandisqueceuxdesproduitsachetésont chuté.Lesconditionssesontencoreaggravéesaudésavantagedespayslespluspauvres.

Par contre,ce qui n’a paschangéestencorele fléauprincipal qui ravagela sociétémoderne: ladémoralisationdel’économieestlacausedesmauxdenotresociété,commel’apparitiond’unenouvellepauvreté,le chômagedontaucunremèden’endiguela croissancerégulière.

Il sembleaussique les communautésfondéespar Gandhien Afrique du Sud,« PhoenixSettle-ment » et « Tolstoy Farm », aient été inspiréespar une innovation de Ruskin: « The Guild of St.George ». L’œuvredeRuskinestdoncà l’origine de la plupartdesprincipeséconomiqueset sociauxdeGandhi,et deceuxqui l’ont suivi. C’estenconséquenceun ouvragefondamentaldansl’évolutiondesidéeset despratiquesalternativesdansla sociétémoderne.

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Préfacede l’auteur

En Occident,lesgenspensentgénéralementquele devoir d’un hommeestdepromouvoir le bon-heurde la majoritéde l’humanité,et le bonheurestsupposésignifier seulementsatisfactionphysiqueetprospéritééconomique.Si leslois demoralitésontbriséesdansla conquêtedu bonheur, celan’a pasbeaucoupd’importance.L’objet àatteindreétantla satisfactiondela majorité,lesOccidentauxpensentqu’il n’y aaucunmalsi celui-ci estatteintaudétrimentdela minorité.Lesconséquencesdecettelignedepenséesontinscritesengrandsurla facedel’Europe.

Cetterechercheexclusive d’un bien-êtrephysiqueet économiquesanstenir comptedela moralitéestcontraireàla loi divine,commequelqueshommessagesdel’Occidentl’ont montré.L’un d’euxétaitJohnRuskinqui exprime danssonlivre « Unto This Last » queles hommesne peuvent êtreheureuxques’ils obéissentà la loi divine.

De nosjours,nousIndiens,cherchonsà tout prix à imiter l’Occident.S’il estnécessaired’imiterles vertusde l’Occident, tousadmettrontquenousnousdevonséviter touteslesmauvaiseschoses,etlesstandardsoccidentauxsont,sansaucundoute,souventmauvais.

Les Indiensd’Afrique du Sudsontréduitsà unemisérablesituation.Nousnousexpatrionspourgagnerde l’argent,et en essayantde devenir richesrapidement,nousperdonsde vue la moralitéetoublionsque Dieu jugeratous nos actes.L’intérêt personnelabsorbenos énergies et paralysenotrecapacitéde discernemententrele bien et le mal. Le résultatest,qu’au lieu de gagnerquelquechose,nousperdonstoutbénéficeenrestantenpaysétranger, ouaumoins,nousn’enprenonspastout le profitescompté.La moralitéestun ingrédientessentieldanstoutesles confessionsdu monde,et autantquela religion, notrebonsensnousindiquela nécessitéd’observer la loi morale.D’aprèsRuskin,nousnepouvonsêtreheureuxqu’enrespectantcetteloi.

Platon,dansL’Apologie deSocrate,nousdonneuneidéedenotredevoir d’homme.Socrateétaitbon commesaparole.Jecomprends« Unto This Last » commeuneextensionde sesidées.Il nousdit commentleshommesdoivent seconduiredanslesdiverscheminsde la vie s’ils ont l’intention detransformercesidéesenactions.Cequi suit n’estpasunetraduction[en gujarati] du livre deRuskin,maisuneparaphrase,parcequ’unetraductionneseraitpasparticulièrementutile auxlecteursdeIndianOpinion.Mêmele titre n’a pasététraduitmaisparaphraséenSarvodaya[le bien-êtredechacun],cequiétaitle but deRuskinenécrivantcelivre.

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Chapitr e I.

LesRacinesde la Vérité

Parmi les désillusionsqui ont affligé l’humanitéà différentespériodes,la plus grandepeut-être— certainementla moinshonorableest l’économiemodernebaséesur l’idée qu’un moyen d’actionavantageuxpeutêtredéterminéendehorsdel’influenced’un caractèresocial.

Bien sûr, commedanstouteslesautresdésillusions,l’économiepolitiquea uneidéeplausibledesaracine.Lescaractèressociaux,dit l’économiste,sontaccidentelset desélémentsdérangeantsde lanaturehumaine.Maisl’avariceoule désirdeprogrèssontdesélémentsconstants.Laissez-nouséliminerlesélémentschangeants,etconsidéronsl’hommepratiquementcommeunemachineàfairedel’argent.Examinonsparquelleslois du travail, de l’achatet de la vente,la plusgrandequantitédevaleurpeutêtreaccumulée.Ceslois unefois déterminées,chaqueindividu pourraintroduireautantde caractèresocialperturbantqu’il le souhaite.

Ceciseraituneméthodelogiqued’analysesi lesélémentsaccidentelsintroduitsensuiteétaientdemêmenaturequelescaractèresexaminésenpremier. Supposantun corpsenmouvementinfluencépardesforcesconstanteset changeantes,le plussimplemoyend’observer sacourseestde tracerd’abordcelle-ci suivant les facteursconstants,puis d’introduireensuiteles causesde variations.Mais les élé-mentsperturbateursdu problèmesocial ne sontpasde mêmenatureque les élémentsconstants.Ilsaltèrentl’essencede l’objet examinéune fois qu’ils ont été introduits. Ils n’opèrentpasmathémati-quement,maischimiquement,introduisantdesconditionsqui rendenttoutesnosconnaissancesd’alorsinapplicables.

Jenedouteraispasdesconclusionsdela scienceéconomiquesi j’acceptaissestermes.Mais ellesne m’intéressentpasplus que les conclusionsd’une sciencede la gymnastiquequi soutiendraitqueleshommesn’ont pasdesquelette.On pourraitmontreraveccettesuppositionqu’il seraitbénéficederoulerlesgymnastesenboule,delesaplatirengalettesoudelesétirerencâbles.Cesrésultatsobtenus,le squeletteseraitréinséréà leurconstitution,entraînantdiversinconvénients.Le raisonnementpourraitêtreadmirable,les conclusionsvraies,et la scienceseulementdéficientedanssonapplication.L’éco-nomiepolitique moderneestbaséesur de semblablesraisonnements.Elle imaginel’homme commeun corpssansâme,et construitdoncseslois en conséquence,Commentde telles lois peuvent-elless’appliquerà l’hommeauquell’âme estun élémentprédominant?

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L’économiepolitiquen’estpasunesciencedutout.Elle n’estd’aucuneaidequandlesouvriersfontgrève.Lespatronsont unevuesurla question,lesouvriersuneautre.Et aucuneéconomiepolitiquenepeutcomprendrecela.Conflits aprèsconflits,on s’efforce vainementde montrerqueles intérêtsdes

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patronsnesontpasantagonistesà ceuxdesouvriers.En fait, rienn’entraînequedespersonnesdoiventêtreantagonistesparcequeleursintérêtsle sont.S’il n’y a qu’un morceaudepaindansunemaisonetquela mèreet l’enfantsontaffamés,leursintérêtsnesontpaslesmêmes.Si la mèrele mange,l’enfantle veut. Si l’enfant le mange,la mèredoit travailler le ventrevide. Cela n’induit pasqu’il y ait unantagonismeentreeux,qu’ils vont sebattrepour le pain,et quela mère,étantla plusforte, l’obtiendraet le mangera.De façonsimilaire, il n’est pascertain,parceque leurs intérêtssont divers,que despersonneséprouverontde l’hostilité pourd’autreset utiliserontla violenceou la rusepourobtenirunavantage.

Mêmesi l’on considèreleshommescommen’étantdirigésparaucuneautreinfluencemoralequecellesqui affecte les ratsou les porcs,on ne peutmontrer, d’une façongénérale,que les intérêtsdupatronet de l’ouvrier sontopposés.Parceque,selonlescirconstances,ils peuventêtredivergeantsounepasl’être.C’estenfait l’intérêt desdeuxquele travail soitcorrectementfait etquel’ouvrier obtienneun justesalaire.Mais dansla division desprofits, le gain de l’un peutêtreou ne pasêtrela pertedel’autre. Ce n’est pasl’intérêt du patronde payerun salairesi basqu’il laisseral’ouvrier maladeetdéprimé.Cen’estpasnonplus l’intérêt de l’ouvrier derecevoir un salairesi importantqu’il conduisele patronà la faillite. Un chauffeurnedésireraitpasunhautsalairesi la compagnieesttroppauvrepourgarderla machineenétat.

C’est pourquoitoute tentative de déduiredesrèglesd’action de la sommedesopportunitésestvaine.Caraucuneactionhumainen’a jamaisétédéfiniepar le Créateurcommeguidéepar la sommedesopportunités,maisparl’équilibre dela justice.Il adoncrendutouteslestentativespourdétermineruneopportunitétoujoursplus futiles. Aucun hommene peutsavoir quel serale résultatultime pourlui-mêmeou pourd’autresd’uneligne deconduitedonnée.Mais tout hommepeutsavoir, et la plupartdenoussavent,cequi justeet injuste.Et nouspouvonstoussavoir quelesconséquencesde la justiceserontfinalementlesmeilleurespossibles,à la fois pour lesautreset pournous-mêmes,bienquenousnepuissionsdireni quelestle meilleur, ni commentil viendra.

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Dansle termede justice,je veuxinclure l’affection— cellequ’un hommedoit à un autre.Toutesles relationsjustesentreun dirigeantet un exécutantdépendentfinalementde cela.Considérons,parexemple,la situationdesserviteursdomestiques.

Nous supposeronsque le maîtrede maisonessaieseulementd’obtenir autantde travail de sesserviteursqu’il le peut,au salairequ’il leur donne.Il ne leur permetjamaisd’être désœuvrés.Il lesnourrit et leslogeaussimal qu’ils puissentle supporter. En faisantcela,il n’y a aucuneviolation desapartdecequi estcommunémentappelé« justice». Il emploielesdomestiquespour la totalitéde leurtempset pour tout service,les limites desarigueurétantfixéespar la pratiquedesautresmaîtresdesenvirons.Si le serviteurpeutobtenirunemeilleureplace,il estlibre dela prendre.

Ceciestlavisionpolitico-économique decettesituationenaccordaveclesdocteursdecettesciencequi affirmequeparcetteprocédure,laplusgrandequantitémoyennedetravail seraobtenueduserviteur,etdoncle plusgrandbénéficepourla communauté,età traversla communauté,auserviteurlui-même.

Cen’estpourtantpasle cas.Cele seraitsi le serviteurétaitunemachinedontla puissancemotriceétaitlavapeur, lemagnétismeouquelqueénergiedontonpuissecalculerla force.Maisil estaucontraireunemachinedontla puissancemotriceestl’Ame. La forcedel’Ame entredanstoutesleséquationsdel’économistesansqu’il le sacheet falsifie touslesrésultats.La plusgrandequantitédetravail neserapasproduiteparcettecurieusemachinepourdel’argentou sousla contrainte.Elle seraobtenuequandla forcemotrice,disonsla volontéou l’esprit dela créature,estamenéeà saplusgrandepuissanceparsonproprecarburant,nommémentparl’affection.

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Il arrive souventquele maîtresoit un hommedebonsenset d’énergie, et quebeaucoupdetravailmatérielpuisseêtreobtenusousla contrainte.Il arrive aussique le maîtresoit indolentet faible, etqu’unepetitequantitédetravail, mal fait, puisseêtreproduiteparsonserviteur. Mais la loi universelledela questionestque,pourun maître,un serviteuret unequantitédonnéed’énergie et debonsens,leplus grandrésultatmatérielqu’ils peuvent obtenirne le serapaspar antagonisme,maispar affectionmutuelle.

Et cecineserapasmoinsvrai si l’indulgenceestabuséeousi la gentillesserencontrel’ingratitude.Carle serviteurqui, gentimenttraité,seraingrat,seravindicatif s’il esttraitérudement.Et l’hommequiestmalhonnêtepourun maîtrelibéral,serainjurieuxpourunmaîtresévère.

Danstousles caset avec toutesles personnes,le traitementgénéreuxproduirale résultatle plusefficace.Jeconsidèreici l’affectionentièrementcommeunepuissancemotrice,aucunementcommeunechosedésirableou nobleenelle-même.Jela regardesimplementcommeuneforceirrégulière,rendantfutiles touslescalculsdel’économisteordinaire.L’affectiondevientunevraiepuissancemotricequesitouslesautresmotifs et conditionsdel’économistesontignorés.Traitezle serviteuraimablementavecl’idée d’obtenirsagratitudeet sontravail pouracompte,et vousn’obtiendrez,commevousle méritez,ni gratitudeni travail pourvotrebienveillance.Maistraitez-leaimablementsansaucundesseinmatériel,et touslesobjectifséconomiquesserontremplis.Ici commepartout,qui sauverasavie la perdra,etquila perdrala trouvera.

Un autreexemplesimplede relationsentreun dirigeantet un exécutantestce qui existe entrelecommandantd’un régimentet seshommes.

Supposantquel’of ficier désiresimplementappliquerles règlesde disciplinepour rendrele régi-mentle plusefficaceavecle moinsd’effortspourlui-même,il neserapascapable,paraucunerègle,surceprincipeégoïste,dedévelopperla forcemaximumdesessubordonnés.Mais s’il a desrelationsper-sonnellesplusdirectesavecseshommes,plusdesoinspourleursintérêtsetun plusgrandattachementpourleurvie, il développeraleur forceeffectiveàundegréqu’onnepeutatteindrepard’autresmoyens,à travers leur affection pour saproprepersonneet leur confiancedanssoncaractère.Ceci s’appliqueplus strictementquandle nombreconcernéestplus grand: unecharge peutsouvent êtreréussiebienqueleshommesn’aimentpasleursofficiers.Unebataillea rarementétégagnées’ils n’aimentpasleurgénéral.

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Un groupedebandits(commeenHaute-Ecossedansles tempsanciens)peutêtreanimépar l’af-fectionparfaite,etalorschaquemembreestprêtàdonnersavie pourcelledesonchef.Maisungrouped’hommesassociéslégalementdansle but de produireet de vendren’est habituellementpasanimépar de tels sentiments,et aucund’eux n’est prêt à donnersavie pour celle de sonchef Un serviteurou un soldatestengagépour un salaireet unepériodedéfinis.Mais un ouvrier l’est pour un salairevariablesuivantla demandedetravail, etavecle risqued’êtremisauchômagesuivantlesaléasducom-merce.Danscesconditions,aucuneformed’affectionnepeutexister, seulementuneformeexplosived’aversion.Deuxchosesseulementrentrentenconsidérationenla matière:

1. Commentle niveaudesalairepeutêtrerégulépournepasvarieravecla demandedetravail.

2. Commentest-il possiblequedesgroupesd’ouvrierssoientengagéset maintenus,quelquesoitl’état ducommerce,àuntauxfixedesalairesansaugmenteroudiminuerleurnombre,pourleurdonnerun intérêtpermanentà l’établissementoù ils sontemployés,commecelui desserviteursd’unevieille

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familleou commel’ espritdecorps1 dessoldatsdansun régimentd’élite.

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I. Un fait curieuxdansl’histoire deserreurshumainesestla négationparl’économistedela possi-bilité detelssalairesfixesnevariantpasavecla demandedetravail.

NousnevendrionspasnotrePremierMinistre auxenchères,si nousétionsmalades,nousnecher-cherionspasun médecinqui prendraitmoinsquele prix habituel; enlitige, nousneréduirionspasleshonorairesde l’avocat; pris sousunepluie battante,nousne marchanderionspasle prix fixé avec leconducteurde bus ou de taxi. Le meilleur travail estet a toujoursété,commetout travail doit l’être,payéàunsalairefixe.Le lecteurrépondrapeut-êtrestupéfait « Quoi! Payerle bonet le mauvaistravaildemême? »

Certainement.Vouspayezà salaireégal,sanshumeur, lesbonset les mauvais prêtres,travaillantsurvotreâme,lesbonset lesmauvaismédecins,travaillant survotrecorps; bienmieux,vouspouvezpayeràsalaireégal,sanshumeur, lesbonset lesmauvaisouvrierstravaillant pourvotremaison.

« Oui, mais je choisismon médecinsuivant ce que je pensede la qualité de son travail. » Detoutesfaçons,vouschoisissezvotremaçon.Le propredu bonouvrierestd’êtrechoisi.Le bonsystèmerespectanttout travail estceluioù,cetravail étantpayéà unsalairefixe, le bonouvrierseraemployé etle mauvaisserasanstravail. Le mauvaissystèmeestceluioù le mauvaisouvriera la possibilitéd’offrirsontravail à moitié prix, et doncprendla placedu bonouvrierou le forceà travailler pourun salaireinsuffisant.

II. Cetteégalitédesalaire,donc,estle premierobjetquenousavonsà découvrir, le secondestdemaintenirun nombreconstantd’ouvriersautravail, quellequesoit la demandealéatoirepour l’articlequ’ils produisent.

Le salairequi permetà un ouvrierdevivre estnécessairementplusélevé si sontravail estsoumisàdesinterruptionsques’il estassuréet continu.Dansle derniercas,il obtiendraun revenuplusfaible,maisfixe.L’assuranced’un travail régulierpourl’ouvrier est,commepoursonpatron,intéressantesurle long terme,bienqu’ellenepermettepasdegrosprofits,deprendredegrandsrisquesoudespéculer.

Le soldatestprêt à donnersavie pour sonchef. Il a doncun honneurplus grandque l’ouvrierordinaire.En réalité,le devoir dusoldatn’estpasdetuer, maisd’êtretuépourla défensedesautres.Laraisonpourlaquellele mondehonorele soldatestquesavie estauservicedel’Etat.

Celaestvrai égalementpourle respectquenousdonnonsaujuge,aumédecinou auprêtre,fondéfinalementsurleur sacrifice.L’hommedeloi s’efforceradejugeravecimpartialité,enviendracequ’ilpeut.Le médecinsoignerasespatientsavecsoin,quellesqu’ensoientlesdifficultés.Le prêtreinstruirasacongrégationet la dirigeraversle droit chemin.

Touslesmembreseffectifsdecessoi-disantprofessionsd’étudessontdansl’estimedupublicplusquele dirigeantd’unefirmecommerciale,carcelui-ciesttoujoursprésuméagirégoïstement.Sontravailpeutêtretout à fait nécessaireà la communauté.Mais samotivation estcomprisecommetotalementpersonnelle.Le premierobjectif du commerçantest,danstoutessesaffaires,d’obtenir le maximumdeprofit pour lui-mêmeet de laisserle minimum pour le consommateur(du moins le public le pense).Se faire reconnaîtrepar un statutpolitique est le principe nécessairede son action.Le commerçantle revendiqueet lesconsommateursl’adoptentréciproquement.Proclamentpar la loi de l’universquel’attitude d’un acheteurestdemarchanderet quecelled’un vendeurestdetricher, le public condamneinvolontairementl’hommedecommercepoursacomplaisanceavecsapropresituationet le considèrepourtoujourscommeappartenantàun gradeinférieurdela personnalitéhumaine.

1. En françaisdansle texte.

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Et ils doiventfaireavec.Ils aurontàdécouvriruneformedecommercequi n’estpasexclusivementégoïste.Ou plutôt ils doiventdécouvrirqu’il n’y a jamaiseuet qu’il nepeutexisterd’autresformesdecommerce,quecequ’ils ontappelécommercen’étaitqu’unetromperie.Dansle vrai commerce,commedansla prédicationou le combatconformesà la vérité, il estnécessaired’admettred’idéed’unepertevolontaireoccasionnelle.Cetargentdoit êtreperdu,aussibienquedesvies,dansun sensdedevoir. Lemarchépeutavoir sesmartyrscommel’Eglise, et le commercea sonhéroïsmeautantquela guerre.

Cinq grandesprofessionsintellectuellesexistentdanstouteslesnationscivilisées:

La professiondu Soldatestdedéfendre la nation.

CelleduPrêtreestdel’ instruire.

CelleduMédecinestdela garder enbonnesanté.

CelleduJugeestd’y rendre la justice.

CelleduCommerçantestdela pourvoir.

Le devoir de tousceshommesestà l’occasionde mourir pour elle. Car l’hommequi ne sait pasréellementquandmourir nesaitpascommentvivre.

Observez quela fonctiondu commerçantestdepourvoir la nation.Ce n’estpasplussafonctiond’obtenirun profit pourlui-mêmequecelledu prêtred’obtenirsonsalaire.Cesalaireestun accessoirenécessaire,mais non le but de sa vie s’il est un vrai prêtre,pasplus que les honorairessont le butde la vie d’un vrai médecin.Le profit n’est pasnon plus le but de la vie d’un véritablecommerçant.Pourtousles trois, si ce sontdeshommesde vérité, leur travail doit êtrefait quelquesoit leur profit— mêmepour rien, ou pour le contraired’un profit ; la fonction du prêtreétantd’instruire, celle dumédecindesoigneretcelleducommerçantdepourvoir. Il doit appliquertoutesasagacitéetsonénergiepour produirele mieuxpossibleles objetsqu’il vend,et les distribuer au plusbasprix où ils sontlesplus nécessaires.Parcequela productiond’un objet courantdemandele concoursd’un grandnombrede vies et de mains,le commerçantdevient le maîtreet le responsabled’un grandnombrede gensplus directementqu’un officier militaire ou qu’un prêtre.S’il faillit, la responsabilitédesconditionsdevie despersonnesengagéesdanssoncommercelui revient engrandepart.Sondevoir devient, nonseulementde produireles biensles meilleurset les moins chers,mais ausside rendrel’emploi despersonnesengagéesdansla productionle plusbénéfiquepourelles.

Cesdeux fonctionsdemandentpour leur plein exercicela plus hauteintelligenceautantque lapatience,la gentillesseet le tact.Le commerçantdoit mettretoutesonénergie commele soldatou lemédecindoivent le faire,pourdonner, si nécessaire,leurvie commeil peutleurêtredemandé.

Il doit principalementveiller à deuxchoses: premièrement,sesengagements; deuxièmement,laperfectionet la puretédesobjetsqu’il produitet qu’il vend.Plutôtqued’accepterunedétériorationouunealtération,de demanderun prix exorbitantet injuste,il doit faire facesanspeurà touteformededétresse,depauvretéetdetravail qui seraitnécessairepourmaintenircettequalitéet sesengagements.

Danssafonction de responsabledespersonnesqu’il emploie,l’homme de commerceest investid’une autoritéet d’une responsabilitéde chef de famille. Souvent,quandun jeuneentredansun éta-blissementcommercial,il estsoustraità l’autorité desafamille. Sonpatrondoit devenir sonpère,carcelui-ci n’est plus là pour lui fournir une aide pratiqueet constante.Ainsi le seul moyen pour quele patronsoit justeavec sesemployés,estqu’il sedemandes’il prendde tellesdécisionset s’il agitréellementaveceux,commeil le ferait avecsespropresenfants.

Supposonsque le capitained’une frégateprenneson proprefils commemarin. Il doit toujourstraiter les hommesdont il a la charge commeil traiteraitsonfils. Supposonsqu’un chef d’entrepriseprennesonfils commesimpleouvrier. Il doit toujourstraiterchacundesesemployéscommeil traiterait

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sonfils. Ceciestla seulerèglevéritable,efficaceet pratique,qui peutêtredonnéedansle domainedel’économie.

Le capitained’un bateaudoit être le dernierà le quitter en casde naufrageet doit partagerlamoindrenourritureencasdefamine.De même,encasdecrise,le chefd’entreprisedoit ensupporterles conséquencesavec sesemployés,et mêmeprendresur lui plus qu’il ne leur demande,commeunpèresesacrifieraitpoursesenfantsdansunefamine,un naufrageou unebataille.

Tout ceci sembletrès étrange.Mais la seuleréelle curiositéen la matièreest que cela ne soitpastoujoursainsi.Car tout celaestvrai pratiquementet endernierressort,touteslesautresdoctrinesétantimpossiblesenpratiquedansun étatprogressifdevie nationale,Toutela vie quenouspossédonsmaintenantcommenationestmiseen dangerpar quelquesespritsforts et quelquescœurspleinsdefoi dansles principeséconomiquesenseignésparnotremultitude.Mais cesprincipesconduisentà ladestructionnationale.Quelsquesoientlesmodeset lesformesdedestructionauxquellesils conduisent,j’espèredansla raison,détailléedansle prochainchapitre.

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Chapitr e II.

LesVeinesde la Richesse

Un économisteordinaireferait, enquelquesmots,la réponsesuivanteà nosaffirmations: « Il estvrai quecertainsavantagesde naturegénéraleseraientobtenuspar le développementdesaffectionssociales.Mais les économistesne prennentjamaiscesavantagesen considération.Notre scienceestsimplement« unesciencequi permetdedevenir riche ». Loin d’êtreerronée,elle est,parexpérience,pratiquementefficace.Les personnesqui suivent sespréceptesdeviennentriches,et cellesqui s’enécartentdeviennentpauvres.Tousles capitalistesd’Europeont acquisleur fortuneen suivant les loisdenotrescience.Il estvaind’apporterdesastuceslogiquescontrela forcedesfaitsaccomplis.Tousleshommesd’affairessaventparexpériencecommentl’argentestgagnéet commentil estperdu.»

Excusez-moi.Leshommesd’affairesgagnenteffectivementdel’argent,maisils nesavent,ni s’ilsle font grâceà de noblesmoyens,ni si leursgainscontribuent au bien-êtrenational.Ils connaissentrarementla significationdu mot « riche». Et s’ils la connaissent,ils neprennentpasencomptele faitquece soit un mot relatif, qui implique sonopposé« pauvre» autantquele mot « nord » impliquesonopposé« sud». Leséconomistesécrivent commes’il était possible,ensuivant certainspréceptesscientifiques,quetousdeviennentriches; alorsquela richesseestunepuissancecommecelledel’élec-tricité, agissantseulementà traverslesinégalitésou lesnégationsd’elle-même.La forcedela piècedemonnaiequevousavez dansvotre pochedépendentièrementde sonabsencedansla pochede votrevoisin.S’il n’en voulait pas,ellenevousseraitd’aucuneutilité. Le degrédepuissancequ’elle possèdedépendprécisémentdesonbesoinparvotrevoisin, et l’art dedevenir riche,dansle sensordinairedel’économiemercantile,estdoncégalementetnécessairementl’art degardervotrevoisin pauvre.

Jesouhaitequele lecteurcomprennela différenceentrelesdeuxéconomiesauxquelleslestermes« politique» et « mercantile» peuventêtreattachés.

L’économiepolitiqueconsistesimplementen la production,la préservation et la distribution, auxmomentset aux lieux les plus appropriés,de chosesutiles ou agréables.Le fermier qui récoltesonfourrageau bon moment; le maçonqui fait desbriquesavec un mortier de bonnequalité; la femmeau foyer qui prendsoin desmeublesde son salonet gardesacuisinede tout déchet; toussont deséconomistespolitiquesdansle vrai sensfinal, accroissantcontinuellementla richesseet le bien-êtredela nationdontils sontmembres.

Maisl’économiemercantilesignifiel’accumulation,danslesmainsdequelquesindividus,dedroitslégauxoudepouvoirs surle travail desautres.Toutescesprétentionsimpliquentprécisémentautantdepauvretéoudedettesd’un côtéquellesimpliquentderichesseoudedroitsdel’autre.L’idéederichesseparmi les hommesactifs desnationsciviliséesréfèregénéralementà cetterichessecommerciale.Etenestimantleurspossessions,ils calculentplutôt la valeurde leurschevauxet de leurschampspar la

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quantitéd’argentqu’ils peuventenobtenir, quela valeurdeleur argentparle nombredechevauxet dechampsqu’ils peuventseprocurer.

La propriétéréelleestdepeud’utilité poursonpossesseurtantqu’elle n’estpasaccompagnéedupouvoir commercialsurle travail. Supposonsqu’unhommeaunegrandequantitédeterresproductivesetderichesgisementsd’or danssonsol,destroupeauxdebétailsansnombre,desmaisons,desjardinsetdesentrepôts; etsupposez,aprèstout,qu’il nepuisseobteniraucunemployé.Pouravoir desemployés,quelques-unsdesesvoisinsdoiventêtrepauvreset vouloir sonor ou sonblé.Si personnen’en veut,sipersonnen’acceptede travailler soussesordres,il devra donclui-mêmecuire sonpain, fabriquersesvêtements,labourersonchampetgardersestroupeaux.Sonor nelui serapasplusutile quedescaillouxjaunesdanssonchamp.Sesprovisionspourrirontcaril nepeutlesconsommer. Il nepourrapasmangerni porterplusdevêtementsqu’unautrehomme.Il devramenerunevie simplededur labeurmêmepourseprocurerun confortordinaire.

Jeprésumequeles hommesles plus cupidesde l’humanitén’accepteraient,danscesconditions,cettesortederichessequ’avecpeud’enthousiasme.Cequi estréellementdésirésousle nomderichesse,estessentiellementle pouvoir sur les hommes: danssonplus simplesens,le pouvoir d’obtenir, pournotrepropreavantage,le travail d’un employé, d’un commerçantou d’un artiste.Et ce pouvoir de larichesseestbiensûrplusou moinsgrandendirecteproportiondela pauvretédeshommessurlesquelsil estexercé,et en proportioninversedu nombrede personnesqui sontaussirichesquenous,et quisontprêtesà donnerle mêmeprix pourun articledont l’of fre estlimitée. Si le musicienestpauvre,ilchanterapourunpetit salaire,aussilongtempsqu’uneseulepersonnepeutle payer. Maissi plusieurslepeuvent,il chanterapourcellequi lui offrira le plus.Ainsi, l’art dedevenir riche,dansle senscommundu terme,n’estpasseulementl’art d’accumulerbeaucoupd’argentpournous-mêmes,maisaussiceluidedécouvrircommentnotrevoisinpeutn’enobtenirquele moinspossible.Entermesexacts,c’estl’artd’établir le maximumd’inégalitésennotrefaveur.

L’affirmationabsurdeet irréfléchiequedetellesinégalitéssontnécessairementavantageusesestlaracinedela plupartdessophismeset desinterprétationspopulaireserronéesdansle domainedel’éco-nomie.Carle résultatd’uneinégalitédépendd’aborddesméthodesaveclesquelleselle fut obtenue,etensuitedesintentionsauxquelleselle estappliquée.Desrichessesinjustementacquisesnuisentà coupsûrà la nationoùellesexistentdurantleuracquisition; et injustementdirigées,nuisentplusencoredu-rantleurexistence.Maisdesrichessesjustementacquisesprofitentà la nationpendantleuracquisition;etnoblementutilisées,l’aident plusencoreparleurexistence.

Ainsi la circulationdela richessedansla nationressembleà celledu sangdansle corps.Il existeun flux qui vient desémotionsstimulantesou d’un exercicesalutaire,et un autrequi vient dela honteou dela fièvre.Dansle, corps,uneeffusionapportela chaleuret la vie, etuneautrela putréfaction.Demêmequ’unemauvaiserépartitionlocaledusangentraîneunediminutiondela santégénéraleducorpsphysique,touteslesactionsmorbidesde la richesseentraînerontun affaiblissementdesressourcesducorpspolitique.

Supposonsdeuxmarinsnaufragéssurunecôteinhabitéeet obligésdesesuffire à eux-mêmesparleurpropretravail pendantplusieursannées.S’ils gardenttousdeuxla santéet travaillent constammentetamicalementensemble,ils pourronteux-mêmesconstruireunemaison,etavecle temps,posséderontencommunquelquesterrescultivéeset desprovisionsstockéespourun usagefutur. Toutesceschosesserontdesrichessesoudespropriétésréelles.Et s’ils ont tousdeuxdurementtravaillé, ils aurontchacundroit àunepartouunusageégaldecesrichesses.Leuréconomiepolitiqueconsisteraitsimplementdansla préservationattentive et la justedivisiondeleurspossessions.

Pourtant,il sepeutqu’auboutdequelquetemps,l’un d’euxnesoitpassatisfait deleurassociation,Ils pourraientdoncdiviser la terreenpartségales,afin quechacunpuissedésormaisvivre et travailler

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sur sapropreterre.Si, aprèsleur séparation,l’un d’eux tombemalade,et ne peut travailler sa terreau momentcritique,pour semerou récolterpar exemple,il demanderanaturellementà sonvoisin desemerou derécolterpour lui. Mais soncompagnonpourraitdire,entoutejustice: « Jeferai cetravailsupplémentairepour toi. Mais tu doismepromettred’en faireautantpourmoi à un autremoment.Jecompteraicombiend’heuresje travaillerai danstonchamp,et tu devrasmedonnerunepromesseécritede travailler le mêmenombred’heuresdansle mien, si jamaisj’ai besoinde ton aide,et si tu peuxme l’apporter. » Si la maladiede l’homme handicapéseprolonge,et qu’en diversescirconstances,ilacquiertl’aide desonvoisinpendantplusieursannées,il devradonner, àchaqueoccasion,unepromesseécritede travailler souslesordresdesoncompagnonpour le mêmenombred’heuresqu’il a étéaidé,aussitôtqu’il enseracapable.

Quellesserontlespositionsdesdeuxhommesquandl’invalideseracapabledetravailler?

Considéréscomme« polis » ouétat,ils serontpluspauvresqu’ils nel’auraientétédansdescondi-tions normales.Leur richesseauradiminué de la quantitéque le travail de l’homme maladeauraitproduitedansl’intervalle. Sonami pourraitavoir travaillé avecuneénergie accruepar l’augmentationdesbesoins,maissapropreterreaurainévitablementsouffert dela diminutiondesontravail. Et la pro-priététotaledesdeuxhommesseramoindrequ’elle n’auraitétési tousdeuxétaientdemeurésactifsetenbonnesanté.

Mais leurs relationsserontaussiprofondémentaltérées.L’hommemaladen’aurapasseulementpromissontravail pour plusieursannées,maisil auraaussiépuisésapart de provisions.Il seradoncdépendantde sonvoisin pour sa nourriturependantun certaintemps.Pour celle-ci, il devra encorepromettresonpropretravail.

Supposonslespromessesécritesentièrementtenues.Celuiqui aprécédemmenttravaillé pourdeuxpeutmaintenant,s’il le veut,sereposercomplètement.Restantinactif, il peutnonseulementforcersoncompagnonà tenir sespromessesprécédentes,maisaussilui en imposerde nouvelles,à un montantarbitraire,pourla nourriturequ’il doit lui avancer.

Il n’y auraitpasla moindreinégalité(dansle sensordinairedu mot) danscetarrangement.Maissi un étrangerarrive sur la côteà ce stadeavancéde leur économiepolitique, il trouverait un hommecommercialementricheet l’autrecommercialementpauvre.Il verrait,nonsanssurprise,deuxhommesvivantséparément,l’un passantsesjoursdansl’oisiveté,l’autre travaillant pourdeuxdansl’espoir deretrouver sonindépendancedansun futur éloigné.

Jesouhaitequele lecteurnotespécialementle fait quel’acquisitiond’unerichessemercantilequiconsisteenun droit sur le travail signifieunediminutionpolitiquedela richesseréellequi consisteenpossessionssubstantielles.

Prenonsun autreexemple,plusprochedu déroulementordinairedesaffairesdu commerce.Sup-posonsquetrois hommes,plutôt quedeux,formentunepetiterépubliqueisolée,et soientobligésdeseséparerpourcultiver différentesterresà quelquedistancelesunsdesautres,chacunproduisantunedenréedifférente,et chacunayantbesoindu produit récoltépar lesautres.Imaginonsquele troisièmehomme,pour gagnerdu tempspour les trois, transportesimplementles produitsd’une fermeà uneautre,et reçoitenéchangeunepartdechacundesbienstransportés.

Si ce transporteurapportetoujoursà chaqueendroitet au bonmomentce qui estprioritairementvoulu, lesopérationsdesdeuxautresfermiersprospéreront,et le plusgrandprofit possibleenproduitsou enrichessesseraatteintparcepetit arrangement.Mais si le transportentrelespropriétairesterriensn’estpossiblequegrâceau transporteur, et si celui-ci gardeles articlesqui lui ont étéconfiésjusqu’àunepérioded’extrêmenécessitépoursespartenaires,il peutalorsdemanderauxfermiersendétresse,en échangede leursbiens,qu’ils lui apportentle restede leur production.Il estaiséde voir ques’ilutilise ingénieusementsesopportunités,il posséderabientôt la plus grandepart dessurplusproduits

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par sesdeuxcompatriotes.Enfin, dansuneannéede pénurie,il pourratout acheterpour lui-mêmeetmaintenirdèslors lespropriétairescommesesouvriersou sesserviteurs.

Ceseraitun casderichessecommercialeacquisedanslesplusexactsprincipesdel’économiepo-litique moderne.Mais danscecasaussi,il estclair quela richessedel’Etat ou celledestrois hommesconsidéréscommeunesociété,seracollectivementmoindrequ’ellen’auraitétési le commerçants’étaitcontentéd’un justeprofit. Lesopérationsdesdeuxfermiersaurontétérestreintesaumaximum.Lesli-mitationsd’approvisionnementdesdenréesnécessairesauxmomentscritiques,ajoutéesaumanquedevitalité conséquentà la prolongationd’uneluttepourunemeilleureexistence,aurontdiminuélesrésul-tatseffectifsdeleur travail. Et lesprovisionsaccumuléesparle commerçantneserontpaséquivalentesàcellesqui auraientrempli lesgreniersdesfermierset le sien,s’il avait étéhonnête.

En conséquence,quel quesoit le profit ou la quantitéde richessenationale,la questionseréduità un problèmeabstraitde justice.La valeur réellede la richesseacquisedépenddu signemoral quilui estattaché,demêmequ’unequantitémathématiquedépenddu signealgébriquequi lui estassocié.Touteaccumulationdonnéede richessecommercialepeut indiquer, soit desindustriesprospères,desénergiesprogressivesetdesingénuitésproductives,soituneluxuremortelle,unetyranniesansmercietunequerelleruineuse.

Et cesattributsnesontpasseulementdesqualitésmoralesdela richessequeceluiqui la recherchepeutdédaigner, selonsonbon plaisir. Ce sont littéralementdesattributs matérielsde la richesse,dé-préciantou augmentantla significationmonétairedela sommeenquestion.Unemassed’argentestlerésultatd’uneactionqui, durantsonaccumulation,a créé,si elle estjuste,ou détruit,si elle estinjuste,dix fois la quantitéoriginale.

En conséquence,l’idée quedesdirectionspeuventêtredonnéespour l’accumulationderichessessanstenir comptedessourcesmorales,est peut-êtrele plus insolentet le plus futile de tout ce queles hommesont transmisà travers leurs vices.Aussi loin que je le sache,il n’existe pasde rapporthistoriquede quelquechosed’aussidisgracieuxpour l’intelligence humainequel’idée modernequele principecommercial« Achèteau coursle plus baset revendau plushaut» représenteun principevalabled’économienationale.Acheteraucoursleplusbas?Oui,maispourquoile coursest-ilsi bas?Lecharbondeboispeutêtrebonmarchéparmilesruinesdevotremaisonaprèsun incendie; et lesbriquespeuventêtrebradéesdansvotrerueaprèsuntremblementdeterre; maisl’incendieet le tremblementdeterreneserontpasenconséquencedesbénéficesnationaux.Revendreauplushaut?Oui,maispourquoile prix est-il si élevé? Vousavezbienvenduvotrepainaujourd’hui.Mais est-ceà un hommemourantqui vousadonnésadernièrepièceet qui n’auraplusjamaisbesoindepain? Ou àun hommerichequi,demain,achèteravotre fermepardessusvotre tête? Ou à un soldaten routepour piller la banqueoùvousavezmisvotrefortune?

Cela,vousne pouvez pasle savoir. Vousne pouvez êtresûr qued’une chose: nommément,quevotreactionestjusteet loyale,cequi esttout cequi vousconcernepour l’entreprendre; soyezsûrquevousavezfait votrepartenapportantfinalementdansle mondeun étatdechosesqui n’engendrerapasle pillageou la mort.

Nous avons montréque la valeur principalede l’argent consistedansson pouvoir sur les êtreshumains; quesanscepouvoir, degrandespossessionsmatériellessontinutiles,etquepourunepersonnepossédantun tel pouvoir, comparativementnonnécessaires.Mais le pouvoir surlesêtreshumainspeutêtreacquispard’autresmoyensqueparl’argent.

Cepouvoir morala unevaleurmonétaireaussiréellequecellereprésentéepardesmonnaiesson-nantes.Une main d’hommepeutêtrepleined’or invisible, et unepoignéeou un signede cettemainpeutêtrepluspuissantqu’unepluie delingots.

Voyonsplus loin. Si la richesseapparenteéchouedanssonpouvoir, elle cessetotalementd’être

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unerichesse,carsonessenceconsistedanssonautoritésurleshommes.Aujourd’hui, il n’apparaîtpasqu’enAngleterre,sonautoritésurleshommessoit absolue.

Finalement,depuisquel’essencedela richesseconsisteenunpouvoir surleshommes,nes’ensuit-il pasque,plus nobleset plus nombreusesserontles personnessur lesquelleselle a un pouvoir, plusgrandeserala richesse? Il peut mêmeapparaître,aprèsquelquesconsidérations,que les personneselles-mêmes,etnonl’or et l’argent,sontla richesse.Lesvraiesveinesdela richessesontenchairetensang,nonenpierre.L’achèvementfinal detouterichesseestla créationdu plusgrandnombrepossibled’êtreshumainspleinsdevie, auxyeuxbrillantsetaucœurjoyeux.Dansuneépoquefutureencorenonenvisagée,je peuxmêmeimaginerquel’Angleterre,plutôtqued’ornerlesturbansdesesesclavesavecdesdiamantsdeGolkonda,etparlà montrersarichessematérielle,pourraitaumoins,commeunemèrechrétienne,acquérirlesvertuset lestrésorsd’unemèrenonchrétienne,etêtrecapablededirigersesfilsversle futur, endisant« CesontMES joyaux».

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Chapitr e III.

UneJusticeéquitable.

Quelquessièclesavant l’ère chrétienne,un marchantjuif, connucommeayantrassemblél’unedesplus grandesfortunesde sontemps(et réputéaussipour sagrandesagacitépratique),a laisséàseshéritiersquelquesmaximesgénéralesqui ont étépréservéesmêmejusqu’ànosjours.Ellesétaientrespectéespar les Vénitiensqui avaient placéune statuede ce marchantà l’angle de l’un de leursprincipauxbâtiments.Cesécritssontensuitetombésendésuétude,étantopposésàl’esprit ducommercemoderne.

Il a écrit, parexemple: « L’obtentionde trésorspardesmensongesestunevanitéjetéeauxyeuxdeceuxqui cherchentla mort.» Il aajouté,avecla mêmesignification: « Lestrésorsdeméchanceténeprofitentenrien.Mais la véritédélivredela mort.» Cesdeuxpassagessontànoterpourleursassertionsquela mort estla seuleissueréelleà la sommedesacquisitionsderichessespartoutecombineinjuste.Si nouslisons,à la placede « mensonge», titre falsifié, faux prétexte ou publicité trompeuse,nouspercevonsplusclairementla relationdecesphrasesavecle commercemoderne.

L’hommesagea dit encore: « Celui qui oppressele pauvrepour accroîtresesrichessesdevien-dra sûrementpauvre.» Et encoreplus fortement: « Ne vole pasle pauvreparcequ’il estpauvre; nin’opprimel’affligé enfaisantdu commerce.CarDieu détruiral’âme deceuxqui lesontdétruits.»

Voler le pauvreparcequ’il estpauvreestspécialementla forme mercantiledu vol, consistantàprendrel’avantagedesbesoinsdel’hommepourobtenirsontravail ou sapropriétéàun prix réduit.Levoleurordinairedesgrandscheminsvole le riche,maisle commerçantvole le pauvre.

Mais lesdeuxpassageslesplusremarquablessontlessuivants:

« Le riche et le pauvrese sont rencontrés.Dieu est leur créateur. Le riche et le pauvresesontrencontrés.Dieu estleur lumière.»

« Ils sesontrencontrés.» Ceci pour dire que,aussilongtempsquele mondedure,l’action et laréactiondela richesseet dela pauvretésontseulementassignéescommeuneloi du monde,commeleflot du ruisseauversla mer. « Dieu estleur créateur». Aussicetteactionpeutêtre,soit justeet noble,soitbouleversanteetdestructive.Elle peutêtrela ragedesflotsdévastateursoul’écoulementdela vaguebienfaisante.L’un ou l’autre de ceseffets seproduit suivant la connaissancequele riche et le pauvreontqueDieuestleur lumière.

Le courantdesruisseauxestuneimageparfaite de la richesse.Où la terredescend,l’eau coule.Ainsi la richessedevrait aller où elle estnécessaire.Mais la dispositionet l’administrationdesrivièrespeuvent êtrealtéréespar la préméditationhumaine.Quele torrentsoit unebénédictionou unemalé-diction dépenddu travail et de l’intelligence administrative de l’homme.Descentainesde régionsdu

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monde,avecunsolricheetunclimatfavorable,sontdevenuesdesdésertsparla ragedeleurspropresri-vières; etnonseulementdesdéserts,maisfrappéesparla peste.Le torrentqui, droitementdirigé,auraitcoulédechampenchampdansunedouceirrigation,purifié l’air, apportéleur nourritureauxhommeset auxbêtes,et portéleursfardeauxpoureuxensonsein,maintenantenvahit la plaineet empoisonnele vent: sonhaleineempesteet saforceaffame.De cettemanière,les lois humainespeuventguiderleflot dela richesse.Si le torrentestparfaitementdirigéparla tranchéeet limité parla digue,il deviendral’eau devie, la richessedanslesmainsde la sagesse; si, aucontraire,il estlaissésanscontrôleà sonpropreflot, il produirala dernièreet la plusmortelledesplaiesnationales: l’eau deMarah,qui nourritlesracinesdu mal.

La nécessitédeceslois dedistribution oudecontrainteestcurieusementignoréedansla définitionordinairede sa propre« science» par l’économiste.Il l’appelle « la sciencequi permetde devenirriche ». Mais il existedenombreuxartset sciencesqui permettentde devenir riche.EmpoisonnerlesgenssurdegrandespropriétésétaitlargementemployéauMoyen-Age.L’altérationdela nourrituredesgensdepetitespropriétésestlargementutiliséeaujourd’hui.Touscesmoyensfont partiedessciencesou desartsqui permettentdedevenir riche.

Ainsi l’économisteenappelantsascience,« unesciencequi permetdedevenirriche»,doit préciserles limitations du caractèrede sascience.Présumonsqu’il veutdire qu’elle estcelle « qui permetdedevenir richepardesmoyensjustesou légaux». Danscettedéfinition,quesignifie lesmots« juste»et « légal »? Car desprocédéspeuvent être légaux,sansqu’ils soient,d’aucunemanière,justes.Si,en conséquence,nousgardonsseulementle mot « juste» dansnotredéfinition, il s’ensuitque,pourdevenir riche scientifiquement,nousdevrions devenir richesavec justice— et doncsavoir ce qui estjuste.C’est le privilège despoissons,desratset desloups,de vivre suivant les lois de l’of fre et de lademande.Maisc’estla distinctiondel’humanitédevivre suivantcellesdu droit.

Nousdevonsdoncexaminerquellessontleslois dela justiceconcernantle paiementdu travail.

Le paiementen argent,commeil estdit dansle précédentchapitre,consistesimplementen unepromesseà une personnetravaillant pour nous,que pour le tempsou le travail qu’il passeà notreserviceaujourd’hui,nouslui accorderonsun tempsou apporteronsun travail équivalentà sonservicequandil le demanderaà toutmomentfutur.

Si nouspromettonsdelui donnermoinsdetravail qu’il nousdonne,nousle sous-payons.Si nouspromettonsdelui donnerplusdetravail qu’il nousdonne,nousle surpayons.

En pratique,quanddeuxhommessontprêtsà travailler et qu’un seulveutcetravail, ils seconcur-rencentmutuellement,etceluiqui obtientle travail estsous-payé.Maisquanddeuxhommesveulentletravail etqu’unseulestprêtà travailler, lesdemandeurssurenchérissentl’un surl’autre,et l’ouvrier estsurpayé.Le principecentrald’un paiementdroit et justesesitueentrecesdeuxsituationsd’injustice.

Le travail droitementdirigé estbénéfiquecommel’est unesemence,et le fruit (ou intérêtcommeon l’appelle) du travail donnéen premier, ou avancé,devrait êtrepris en compteet équilibrépar unequantitésupplémentairede travail dansle remboursementsubséquent.En conséquence,la forme ty-piquedemarchandagesera: si vousmedonnezuneheureaujourd’hui,je vousdonneraiuneheureetcinqminutessurdemande; si vousmedonnezunkilogrammedepainaujourd’hui,je vousdonneraiunkilo et centgrammessurdemande,etc.

Maintenant,si deuxhommessontprêtsà travailler, et si j’en emploieun qui offre son travail àmoitié prix, il seraà moitié affaméet l’autre auchômage.Mêmesi je paiele salairedû à l’ouvrier quej’ai choisi,le secondserasanstravail. Maismonouvrierpourravivre,et j’auraisfait un justeemploidemonargent.Si je paiele salairedûàmonouvrier, je nepourraispasamasserdesrichessessuperfluesetgaspillerl’argentdansle luxe,et ajouterà la massedepauvretédansle monde.L’ouvrier qui reçoitunsalaireéquitableagiraavecjusticeenverssessubordonnés.Ainsi le torrentdela justicenesécherapas,

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maisaccumulerauneforceens’écoulant.Et unenationavecun tel sensde la justiceseraheureuseetprospère.

Ainsi, nousvoyonsqueleséconomistessetrompentenpensantquela compétitionestbonnepourunenation.La compétitionpermettraseulementà l’acheteurd’obtenirun serviceinjustementbonmar-ché,et le richedeviendraplusriche,et le pauvrepluspauvre.A long terme,celanepeutqueconduirela nationà la ruine.Un ouvrierdoit recevoir un justesalaireenaccordavecsescapacités.Il y auraalorsunesortede compétition,maisles personnesserontheureuseset pleinesde talents,car ellesn’aurontpasàseconcurrencerlesuneslesautres,maisdevrontaccroîtreleurstalentspourêtreemployées.C’estle secretdel’attractiondesemploisgouvernementauxdanslesquelsle salaireestfixé suivant le gradedespostes.Un candidatn’a pasàoffrir sontravail pourunmoindresalaire,maisseulements’il estpluscapablequesescompétiteurs.Le casestle mêmedansl’arméeou la marine,où il y apeudecorruption(sic). Mais dansle commerceet l’industrie règneunecompétitionoppressantequi a pour résultatlafraude,la querelleet le vol. Desbiensdemauvaisequalitésontmanufacturés.L’industriel, l’ouvrier, leconsommateur, chacunestguidéparsonpropreintérêt.Celaempoisonnetouteslesrelationshumaines.Lesouvriersont faimet font grève,Lesindustrielsdeviennentmalhonnêteset lesconsommateursaussinégligentl’aspectéthiquedeleur proprecomportement.Uneinjusticeconduità beaucoupd’autres,età la fin, l’employeur, l’exécutantet le consommateursontmécontentset vont à la ruine.La richessemêmedesgensagit parmieuxcommeunemalédiction.

Riendansl’histoire n’estaussidisgracieuxpourl’intelligencehumainequenotreacceptationdeladoctrinehabituelledeséconomistescommeunescience.Jeneconnaisaucunprécédentdansl’histoired’unenationétablissantunedésobéissancesystématiqueaupremierprincipedesareligion déclarée.

Les écritsquenousestimons(verbalement)commedivin, non seulementdénoncentl’amour del’argentcommel’origine detouslesmaux,etcommeuneidolâtrierépugnantedeladéité,maisdéclarentquele servicedeMammonestl’opposépréciset irréconciliabledu servicedeDieu. Et toutesles foisqu’ils parlentde richesseet de pauvretéabsolues,ils déclarentmalédictionaux richeset bénédictionauxpauvres.

La véritableéconomiepolitique est l’économiede la justice.Les gensserontheureuxtant qu’ilsapprennentà rendrejusticeetàêtredroit. Tout le resten’estpasseulementvain,maisconduittoutdroità la destruction.Enseigneraux gensà devenir richespar n’importe quelsmoyensest leur rendreunimmensepréjudice.

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Chapitr e IV.

Qu’est-ceque la vérité?

Nousavonsvu commentles idéessur lesquellesestbaséel’économiepolitique sontfourvoyées.Traduitesen action,ellesne peuvent querendrela nationet l’individu malheureux.Elles rendentlepauvrepluspauvreet le richeplusriche,etni l’un ni l’autrenesontplusheureuxpourcela.

L’économieneprendpasencomptela conduitedeshommes,maisaffirme quel’accumulationderichessesestun signedeprospérité,et quele bonheurdesnationsnedépendquedeleur richesse.Plusil y a d’industries,dit-elle, le meilleurc’est.Leshommesquittentdoncleur fermeet leur village avecsonair frais et viennentdansles villes, où ils vivent diminuésau milieu du bruit, de la noirceuretd’exhalationsmortelles.Cequi conduità la détériorationphysiquede la nation,et accroîtl’avariceetl’immoralité. Si quelques-unsparlentd’agir pouréradiquerle vice, lessoi-disanthommessagesdirontqu’il estabsolumentinutile quele pauvrereçoive uneéducation,et qu’il vautmieuxlaisserleschosestellesqu’ellessont.Ils oublientpourtantquelesrichessontresponsablesde l’immoralité despauvres,qui travaillentcommedesesclavespourleurfournir leursluxes,etqu’ils dontaucunmomentàeuxpourleur propreamélioration.Parcequ’ils envient lesriches,lespauvresessaientaussidedevenir riches,etquandils échouentdansleursefforts, ils sontencolère.Ils perdentainsi tout bonsens,et essaientdegagnerdel’argentparla fraude.La richesseet le travail sontdoncstérilesdetousfruits ouutiliséspoursequereller.

Le travail dansle sensréel du termeest celui qui produit desarticlesutiles, qui soutiennentlavie humaine,tels quela nourriture,les vêtementsou les maisons,et rendentles hommescapablesdeperfectionnerle plus possibleles fonctionsde leur proprevie, et d’exerceruneinfluencequi facilitela vie desautres.L’établissementdegrandesindustriesdansle but dedevenir richeconduitaupéché.Beaucoupdegensamassentdesrichesses,maispeuenfont un bonusage.La richesseaccumuléequiconduità la destructiond’une nationne lui estd’aucuneutilité. Les capitalistesdestempsmodernessontresponsablesdela largepropagationdesguerresinjustesdontl’avidité del’humanitéestl’origine.

Certainespersonnesdisentqu’il n’estpaspossiblede transmettrela connaissancepouraméliorerla conditiondesmasses.Laissez-nousvivrecommeil noussemblebonetamasserdesrichesses,disent-elles.Mais cetteattitudeest immorale.Si un hommejusteobserve desrèglesd’éthiqueet n’est pasinfluencépar l’avidité, il auraun espritdiscipliné,il suivra le droit chemin,et il influenceralesautresparsesactes.Si les individus qui constituentunenationsontimmoraux,la nationl’est aussi.Si nousnouscomportonsselonnotrebon vouloir, et qu’en mêmetemps,nousreprochonsà notrevoisin seserreurs,le résultatnepeutêtrequeregrettable.

Nous voyons donc que l’argent est seulementun instrumentqui causela misèreautantque lebonheur. Danslesmainsded’un hommejuste,il permetla culturedela terreet la récoltedela moisson.

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Les agriculteurstravaillent avec un contentementinnocentet la nation est heureuse.Mais danslesmainsd’un hommecorrompu,l’argentpermetla productiondela poudreàcanonqui détruitceuxqui laproduisentautantquesesvictimes.En conséquence,IL N’Y A DE RICHESSEQUE LA VIE. Le paysle plus riche estcelui qui nourrit le plus grandnombred’êtreshumainsnobleset heureux.L’hommele plusricheestcelui qui, ayantamélioréaumaximumdesaproprevie, a aussila pluslarge influenceserviablesurla vie desautres,à la fois parlui-mêmeetparsespossessions.

Nousnesommespasici pourencouragernotrepropreindulgence,maispourquechacundenoustravaille en accordavec sescapacités.Si un hommevit dansl’oisiveté,un autredoit travailler deuxfois plus. C’est la racinede la détressedu pauvreen Angleterre.Certainstravaux commela tailledesbijoux sont futiles, d’autresdestructifscommela guerre.Ils apportentunediminution du capitalnational,et nesontpasbénéfiquespourle travailleur lui-même.Leshommessemblentemployés,maisenréalité,ils sontinactifs.Lesrichesoppressentlespauvresparunemauvaiseutilisationdesrichesses.Lesemployeurset lesemployéssontà couteauxtirésentreeux,et leshommessontréduitsauniveaudebêtes.

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Conclusion

Le livredeRuskinainsiparaphrasén’estpasmoinsuneleçonpourlesIndiensquepourlesAnglaisà qui il étaitpremièrementadressé.En Inde,denouvellesidéessontdansl’air. Lesjeuneshommesquireçoivent uneéducationoccidentalesontpleinsd’esprit.Cetespritdevrait êtredirigé dansde bonnesdirections,autrementil nepeutquenousnuire.« Vivel’indépendance! » estunslogan.« Industrialisonsle pays! » enestunautre.

Mais nouscomprenonsavec difficulté ce queveut dire le swaraj, l’indépendance.Le Natal, parexemple,enbénéficie,maissonindépendancepourrit le payscarcepaysaccablelesNoirs et opprimelesIndiens.Si parchance,ceux-ciquittaientle Natal,lesBlancssebattraiententreeuxetapporteraientleur propredestruction.Nous pourrions,au contrairedu Natal, avoir notre indépendancecommeleTransvaal,où l’un desdirigeants,le GénéralSmuts,trahit sespromesses,dit unechoseet en fait uneautre.Il sepassedesservicesdespoliciersanglaisetemploiedesAfrikanersàleurplace.Jenecroispasquecelaaideraaucunedesnationalitésdansle long terme.Deshommeségoïstespilleront leur proprepeuple,quandtouslesétrangersserontdépossédés.

En conséquence,l’indépendancen’est passuffisantepour rendreunenationheureuse.Quellese-rait le résultatde l’autonomieaccordéeà unebandede voleurs? Ils ne serontheureuxques’ils sontplacéssousle contrôled’un hommesageet justequi nesoit pasun voleur lui-même.LesEtats-Unis,l’Angleterreet la France,parexemple,sontdesEtatspuissants,maisriennepermetdepenserqueleurscitoyenssontréellementheureux.

Swaraj signifieenréalitécontrôledesoi. Celui capabledesonproprecontrôleobserve les règlesdemoralité,ne tricheet nementpas,rendsondevoir enverssesparents,safemmeet sesenfants,sesemployéset sesvoisins.Un tel hommejouit deswaraj,où qu’il vive.

Unenationjouit deswaraj si ellepossèdeun grandnombredetelscitoyens.

Il n’est pas juste qu’un peupleen dirige un autre.Le pouvoir britanniqueen Inde est un mal,maisnecroyonspasquetoutserabienquandlesBritanniquesquitterontl’Inde. L’existencedupouvoirbritanniquedansle paysestdueànotredésunion,ànotreimmoralitéetànotreignorance.Si cesdéfautsnationauxétaientvaincus,nonseulementlesBritanniquesquitteraientl’Inde sansuncoupdefeu,maisnousjouirionsd’un réelswaraj.QuelquesIndiensstupidess’excitentet jettentdesbombes,maissi tousles Britanniquesdu paysétaienttués,les assassinsdeviendraientles dirigeantsde l’Inde qui n’auraitquechangédemaîtres.Lesbombesjetéesaujourd’huisurlesAnglaisserontdirigéescontrelesIndiensquandles Anglais ne serontplus là. C’est un Françaisqui a assassinéle Présidentde la Républiquefrançaise.1 C’estun Américainqui a assassinéle PrésidentCleveland.N’imitons pasaveuglémentlesOccidentaux.

1. En 1894(N.d.T.).

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Si l’indépendancenepeutêtreobtenueentuantdesAnglais,ellenele serapasplusenconstruisantdevastesindustries.L’or et l’argentpeuventêtreaccumulés,maisils neconduirontpasàl’établissementdel’indépendance.Ruskina prouvécelaà la perfection.La civilisation occidentaleestun jeunebébé,âgédeseulementcinquanteoucentans.Et elleadéjàréduitl’Europeàuneconditionpitoyable.Prionsquel’Inde soit sauve du destinqui a submergé l’Europe,où lesnationsempoisonnéessontsurle pointdes’attaquerlesuneslesautres,etnegardentle silencequ’àcausedel’entassementdesarmements.Unjour, il y aurauneexplosion,etalorsl’Europeseraunvéritableenfersurterre.2 LesracesnonblanchessontconsidéréescommedesproieslégitimespartouslesEtatseuropéens.Quoi d’autrepouvons-nousattendreoù la cupiditéest la passiondirigeantedansle cœurdeshommes? LesEuropéenss’abattentsur les nouveauxterritoirescommedescorbeauxsur un morceaude viande.Jesuisconduità penserquececiestdûà leur industriedeproductiondemasse.

L’Inde doit vraimentobtenir son indépendance,maiselle doit l’obtenir par de justesméthodes.Notre indépendancedoit êtreun réelswaraj,qui nepeutêtreobtenuni par la violence,ni par l’indus-trialisation.L’Inde était auparavant uneterred’or, car les Indiensavaientalorsun cœurd’or. La terreestencorela même,maisc’estundésert,carnoussommescorrompus.Elle nepeutredevenir uneterred’or quesi le métalde basequi estnotreactuelcaractèrenationalest transmutéen or. La pierreduphilosophequi peuteffectuercettetransformation3 estun petitmotdedeuxsyllabes: satya(vérité).SichaqueIndienestattachéà la vérité,le swaraj viendraànousdesonpropreaccord.

2. A peinedix ansplustard,éclataitla PremièreGuerreMondiale! (N.d.T.).3. Les institutions,dit HerbertSpencer, sontdépendantesdu caractère.Mêmesi ellessontchangéesdansleursaspects

superficielles,ellesnepeuvent l’être dansleurnatureessentielletantquele caractèrenechangepas.

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Glossaire

La transcriptionsdesmotsindiensestcellehabituellementutiliséeenInde,enanglais,sanssignesdiacritiques.

– AfrikanerBoër. ColonsnéerlandaisinstallésenAfrique duSud.

– AhmedabadVille du Gujaratoù Gandhiinstallasonashramen1915,importantcentreindustrieltextile.

– ashramRefuge,lieu d’accueil,communautéreligieuse.

– avidiya Ignorance.

– Bapu« Père», surnomdonnéà Gandhi.

– BoërAfrikaner. Voir cemot

– dhoti Vêtementindientraditionneldeshommes,qui remplacele pantalon.

– Gangotri,JamnotriCélèbreslieux depèlerinageshindousdansl’Himalaya.

– Gîta Livresacrédel’hindouisme.

– Gujarat Etatdel’ouestdel’Inde, capitaleGandhinagar.

– gujarati Langueindo-européenneparléeauGujarat,languenataledeGandhi.

– hindi Langueindo-européenneparléedansle norddel’Inde et languenationale.

– IndianOpinionHebdomadairequeGandhidirigeaenAfrique duSud.Il devint le porte-paroledela causedesIndiens.

– khaddi,khaddarTissufilé et tisséavecdesméthodesartisanales; lesvêtementsfaitsaveccetissu.

– kranti Révolution.

– MahatmaGrandeâme,titre donnéàGandhiparTagore.

– ManouLe premierhommepourlesHindous.

– Natal Etatdela RépubliqueSud-africaine,capitaleDurban.

– PhoenixFermefondéeparGandhiprèsdeDurban,enAfrique du Sud.

– PorbandarVille nataledeGandhi,surla côteouestdu Gujarat.

– sari Vêtementtraditionneldesfemmes.

– sarvodayaLe bien-êtredechacun.

– satyaVérité.

– satyagrahaAttachementà la vérité,résistancenon-violente.

– SegaonVillageoù vécutGandhidanslesannées30prèsdeWardha.

– SevagramLittéralementvillagedeservice; nomdonnéparGandhià l’ashramoù il vécutprèsdeWardha.

– shantiPaix.

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– ShantidasServiteurdepaix; surnomdonnéàLanzadel VastoparGandhi.

– Smuts,Général Hommepolitiquesud-africain,qui fut l’adversairedesIndiensde ce paysdansleur lutte pourunereconnaissancedeleursdroits.

– swadeshiDe fabricationlocale; un desprincipesdela philosophiedeGandhi.

– swaraj Autonomie,indépendance.

– TransvaalEtatdela Républiquesud-africaine,capitaleJohannesburg.

– vidyaSavoir, connaissance.

– WardhaVille du centredel’Inde, dansl’Etat du Maharashtra.

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Page 43: Les ouvriers de la dernière heure

LES OUVRIERS DE LA DERNIÈRE HEURE

En anglais

Ici, nesontrépertoriésquelesouvragescitésdansle texte etceux,parmilesplusimportants,dontaucunetraductionfrançaisen’estdisponibleenlibrairie àcejour. La quasi-totalitédesécritsdeGandhiontététraduitsenanglaisetpubliésparNavajivanPublishingHouse,Ahmedabad(Inde).

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