Les panneaux publicitaires à Abidjan: miroirs des marques, marqueurs des consommations. Publicité, consommation et banalisation culturelle dans une Afrique en croissance

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    LESPANNEAUXPUBLICITAIRESABIDJAN: MIROIRSDESMARQUES,MARQUEURSDESCONSOMMATIONS

    Programme frique subsaharienne

    Hlne QUNOT-SUAREZ

    Publicit, consommation et banalisation culturelledans une Afrique en croissance

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    LInstitut franais des relations internationales (Ifri) est, en France, le principal centreindpendant de recherche, dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales.

    Cr en 1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilit publique (loide 1901). Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits et publiergulirement ses travaux.

    LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarche interdisciplina ire,dcideurs politiques et conomiques, chercheurs et experts lchelle internationale.

    Avec son antenne Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un des rares think tanksfranais se positionner au cur mme du dbat europen.

    Les opinions exprimes dans cette tude

    nengagent que la responsabilit de lauteur.

    Le programme Afrique subsaharienne est soutenu par :

    Droits exclusivement rservs Ifri, 2013

    ISBN : 978-2-36567-209-2ISSN : 1962-610X

    Site Internet : Ifri.org

    Ifri

    27 rue de la Procession75740 Paris Cedex 15France

    Tl. : +33 (0)1 40 61 60 00Email: [email protected]

    Ifri-Bruxelles

    Rue Marie-Thrse, 211000 BruxellesBelgiqueTl. : +32 (0)2 238 51 10Email: [email protected]

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    Table des matires

    INTRODUCTION................................................................................... 7UN MARCHE EN PROFONDE (RE)STRUCTURATION................................ 11

    Croissance et restructuration du march de la publicit .................. 11Une croissance conomique gnrale et multifactorielle ................. 11Un changement de perception ......................................................... 12 Mesurer le continent : une base de lactivit conomique......... 12

    Des tats africains de plus en plus impliqus .................................. 13

    Une concentration et une endognisation des producteurs de publicit : vers un oligopole ............................................................ 15Les panneaux publicitaires : des lments incontournables despaysages urbains africains ................................................................... 19

    Pourquoi les panneaux ? .................................................................. 19PEUT-ON PARLER DE PUBLICITEAFRICAINE? ............................... 25

    La publicit : un phnomne dabord occidental? ............................ 25Un phnomne n dans les socits industrielles ........................... 25Une fausse proximit ........................................................................ 26Un mme vocabulaire pour des ralits diffrentes ......................... 27Publicit et pratique des produits ..................................................... 30

    Les panneaux : un mdia aux usages varis ...................................... 33Quels usages ? ................................................................................. 33Des marchs publicitaires : un monde pluriel ................................... 38Un morcellement spatial ................................................................... 40

    PUBLICITE ET SYSTEME DE CONSOMMATION....................................... 45La publicit sur panneaux : signe dun nouveau systme de

    consommation ? .................................................................................... 45La consommation comme contrainte sociale ................................... 46Les lieux lgitimes ............................................................................ 47

    Acheter nest pas consommer............................................................. 51Apprendre consommer : un exercice dlicat ................................. 51Acheter et consommer dans une culture du manque ....................... 52Une culture pub ambige ........................................................... 54

    CONCLUSION .................................................................................... 59

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    Table des photos

    Photo 1 : Affiche de communication institutionnelle de lagenceVoodoo, 2009 .................................................................................. 18Photo 2 : Utilisation de jeux denfants locaux (campagne Voodoo auNiger) .............................................................................................. 18Photo 3 : Panneau publicitaire dcoup Maggi Chaque femme estune toile ..................................................................................... 22Photo 4 : Panneaux Coca-Cola clbrant le dpassement du milliard

    dAfricains....................................................................................... 23Photo 5 : Panneau Orange sur des voies passantes du sud de la villerappelant la crise politique traverse par le pays ............................. 23Photo 6 : Publicit pour les nouilles Maman .................................... 29Photo 7: Publicit destine aux jeunes adultes : jeux Lonaci ........... 31Photo 8 : Publicit destine aux jeunes adultes : boissonsnergisantes ................................................................................... 32Photo 9 : Publicit pour leau Cleste, avec packaging individuels.. 32Photo 10 : Visuels de la campagne dAlassane Ouattara en 2010 parlagence Voodoo............................................................................. 35Photo 11 : Exemple de panneau de communication tatique parlagence Voodoo............................................................................. 36

    Photo 12 : Campagne de lOnuci (Opration des Nations Unies enCte d'Ivoire) Abidjan ................................................................... 36Photos 13 : vnements abidjanais : le grand cart des codes de lacommunication sur panneaux .......................................................... 37Photo 14 : Publicit pour des produits ivoiriens, zone industrielle deYopougon, Abidjan .......................................................................... 38Photos 15 : Types de publicits par des entrepreneurs locaux pourdes produits utilitaires...................................................................... 39Photo 16 : Panneau en long pour loprateur Moov......................... 43Photo 17 : Panneau de vux dOrange pour lanne 2012, toujoursvisible en octobre 2012, voie rapide pour Yopougon ....................... 43Photo 18 : Panneau dgrad dans une zone populaire ................... 44Photo 19 : Publicit de loprateur de tlphonie MTN pour uneopration spciale Tabaski .............................................................. 50Photo 20 : Publicit pour un nouveau produit de petit-djeuner parNestl .............................................................................................. 53Photo 21 : Publicit de cosmtiques sur un immeuble en construction........................................................................................................ 55

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    Introduction

    Avec 5 % de croissance de son PIB en moyenne ces derniresannes, le continent africain, longtemps mpris par les investisseurset les observateurs conomiques internationaux, apparat maintenantcomme un continent dopportunits pour les affaireset un relais decroissance indniable pour des entreprises internationales affectespar la crise conomique mondiale.

    Comme nous allons le voir, ce dveloppement conomique

    est largement port par la consommation des Africains. Lexpansionrapide de marchs dont les marges de progression sont encoreimportantes a logiquement conduit une multiplication de la publicitdans les ples urbains les plus dynamiques du continent.

    En 2010, les dpenses publicitaires mondiales slevaient 700 milliards de dollars. Ce chiffre trs impressionnant fait de lapublicit un march majeur lchelle mondiale mais masque desdisparits rgionales trs importantes. Si elle est trs visible dans lepaysage urbain, la tlvision, dans la presse et sur les supportsmultimdias, la publicit reste cependant difficile mesurer sur lecontinent africain. Ainsi, lanalyse des marchs publicitaires en

    Afrique se heurte un manque de chiffre fiables et des statistiquesqui ne tiennent souvent pas seulement compte de lAfriquesubsaharienne mais y adjoignent, alternativement ou de manireconcomitante, le Maghreb et le Moyen-Orient1.

    De manire gnrale, le continent africain reste en retraitpuisquil reprsente un septime de la population mondiale maisseulement, au mieux, 5 % de lensemble des dpenses publicitairesmondiales. On attend cependant une croissance trs rapide etprenne, qui suit logiquement les volutions conomiques ducontinent, tires par les ressources naturelles, videmment, maisaussi et de manire peut-tre plus durable par la monte de

    classes moyennes . Celles-ci, quoique modestes, tendent consommer de plus en plus2. En consquence, ZenithOptimedia3calcule une croissance mondiale de 3,3 % des dpenses de publiciten 2010, tendant vers 4 % pour les annes suivantes. Dans le mme

    1Il arrive encore que lAfrique hors Maghrebsoit simplement inclue dans restedu monde ou juste oublie des statistiques.2Africas share of ad spend to grow significantly, National Mirror, 10 janvier 2013,http://nationalmirroronline.net/new/africas-share-of-ad-spend-to-grow-signifi-cantly/3Filiale de Publicis spcialise dans linvestissement et le conseil mdias.

    http://nationalmirroronline.net/new/africas-share-of-ad-spend-to-grow-signifi-cantly/http://nationalmirroronline.net/new/africas-share-of-ad-spend-to-grow-signifi-cantly/http://nationalmirroronline.net/new/africas-share-of-ad-spend-to-grow-signifi-cantly/
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    temps, la croissance des pays du Maghreb, Moyen-Orient etdAfrique sera de lordre de 6,4%4.

    Dune manire gnrale, les marchs africains sont donc trsattractifs. Ils restent cependant difficiles, nous le verrons, car les

    situations politiques et ltat des infrastructures peuvent tre encoredes freins au dveloppement. Par ailleurs, le continent est fragmenten 54 marchs nationaux, ce qui oblige les investisseurs autant dengociations avec les tats et dadaptations aux spcificits localestout en vendant leur image de marque internationale pour, quand celaest possible, crer des synergies entre les marchs, tels que tendent le faire actuellement les oprateurs de tlphonie5.

    Par ailleurs, ces marchs prsentent des spcificits, tellesque la concentration encore forte de la consommation dans les zonesurbaines ou le plus faible6 accs de la population aux mdias ou lInternet.

    Les marchs de consommation et en consquence de lapublicit tant encore majoritairement urbains, cest sur les grandesvilles, et en particulier Abidjan, que se focalise cette tude. Dans lesvilles africaines, la prsence massive de panneaux publicitairesfrappe le visiteur (voir photo de couverture). Comme partout dans lemonde, les panneaux occupent une place modeste sur le march dela publicit. Leur volume est extrmement stable, de lordre de 6%.Contrairement la publicit sur les mobiles et lInternet, ce type depublicit a une histoire plus longue et les citadins la pratiquent depuislongtemps. Enfin, cest un point important pour nous, dans descontextes de marchs de plus en plus fragments, ils sont un mdiapublicitaire qui doit toucher au contraire le plus grand nombre7. Ainsi protgs des segmentations de march, ils sont plusreprsentatifs des grandes tendances de la consommation dans lasocit.

    Cette analyse du march de la publicit, qui parat premirevue strictement conomique, permet une analyse des grandschangements luvre dans les socits africaines dans le domainede la consommation : quelles sont leurs habitudes, leurs attitudes

    4 ZenithOptimedia forecasts 4.1% growth in global adspend in 2013 , 3 dcembre2012,http://www.zenithoptimedia.com/zenithoptimedia-forecasts-4-1-growth-in-global-

    adspend-in-2013/5 Out-of-home advertising. Billboard boom , The Economist, 20 avril 2011,http://www.economist.com/node/185873056 Plus faible mais pas nul, le rattrapage tant extrmement rapide. Ainsi, pour latlphonie, on comptait un tlphone pour 1000 habitants en 1995 mais un pour troisen 2010 et actuellement plus dun pour deux. Voir: Hlne Qunot-Suarez, Tlphone mobile en Afrique. La rvolution silencieuse inThierry de Montbrial &Philippe Moreau Defarges (dir.), Ramses 2014 Les jeunes : vers lexplosion?,p. 204-209.7Paul F. Nunes & Jeffrey Merrihue, The Continuing Power of Mass Advertising ,MIT Solan Management Review, hiver 2007, http://sloanreview.mit.edu/article/the-continuing-power-of-mass-advertising/

    http://www.zenithoptimedia.com/zenithoptimedia-forecasts-4-1-growth-in-global-adspend-in-2013/http://www.zenithoptimedia.com/zenithoptimedia-forecasts-4-1-growth-in-global-adspend-in-2013/http://www.zenithoptimedia.com/zenithoptimedia-forecasts-4-1-growth-in-global-adspend-in-2013/http://www.economist.com/node/18587305http://www.economist.com/node/18587305http://sloanreview.mit.edu/article/the-continuing-power-of-mass-advertising/http://sloanreview.mit.edu/article/the-continuing-power-of-mass-advertising/http://sloanreview.mit.edu/article/the-continuing-power-of-mass-advertising/http://sloanreview.mit.edu/article/the-continuing-power-of-mass-advertising/http://sloanreview.mit.edu/article/the-continuing-power-of-mass-advertising/http://www.economist.com/node/18587305http://www.zenithoptimedia.com/zenithoptimedia-forecasts-4-1-growth-in-global-adspend-in-2013/http://www.zenithoptimedia.com/zenithoptimedia-forecasts-4-1-growth-in-global-adspend-in-2013/
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    face cette prsence de plus en plus grande des publicits et desmarques, du dsir et de linjonction de consommer? Le phnomnede la publicit en panneaux ouvre diffrentes lectures quipermettent de rpondreen partie ces questions complexes.

    De fait, la publicit est videmment le miroir des nouvellesconsommations africaines, portes par lmergence rapide desclasses moyennes. De manire moins visible, elle est galement unlment important de la structuration dun systme de consommationet de domination dont les caractres manifestement exognesinterrogent dans les contextes locaux. La publicit en panneaux ne ditpas seulement ce que les gens consomment, elle montre aussi lesstratgies daccaparement des espaces, des esprits desentreprises et des publicitaires pour crer des modes deconsommation, derrire lapparente adaptation locale, en ralituniversaliss et reproductibles. Plus quun miroir de laconsommation, les panneaux sont galement un lment de sa

    construction. Ils marquent lespace par des marques 8 et lestructurent selon des logiques propres.

    Cette recherche a donc pour but de faire un point sur ltat dumarch de la publicit sur le continent et en particulier en CtedIvoire, qui est notre tude de cas de rfrence. Nous nousinterrogerons ensuite sur lexistence ou non dune publicitspcifiquement africaine. Enfin, nous pointerons que le systmepublicitaire et limage quil renvoie du systme de consommation queles entrepreneurs appellent de leurs vux restent encore largementen dcalage avec les pratiques relles des Africains, ce qui cre desopportunits dinnovation mais aussi des tensions importantes, tant

    parce que la publicit cre, par dfinition, une urgencefantasmatique sans laquelle il nest pas de tension consumriste9que par lomniprsence de la publicit dans tous les lieux de la vie.

    8 Le passage langlais est dans ce contexte trs intressant car le substantif brand vient directement du verbe brand , marquer au fer rouge. Voir : Anne-Ccile Mermet, Redfinir la consommation pour repenser les espaces deconsommation , , Gographie et cultures, 77 | 2011, p. 3,http://gc.revues.org/7109 Marie Bnilde, On achte bien les cerveaux. La publicit et les mdias , Paris,Raisons dagir, 2007,p. 59.

    http://gc.revues.org/710http://gc.revues.org/710http://gc.revues.org/710http://gc.revues.org/710
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    Un march en profonde(re)structuration

    Le march publicitaire africain, largement dlaiss, faute dactivit etdintrt pour le continent dans les dernires dcennies, connat deschangements profonds et rapides. On assiste un renforcement dupoids des agences de publicit et une uniformisation des pratiquespar rapport au reste du monde.

    Croissance et restruc turat ion du marchde la publ ic i t

    Une croissance conomique gnraleet multifactorielle

    Laccroissement des dpenses publicitaires sur le continentafricain est multifactoriel. Il est dabord li, de manire logique, unemeilleure sant conomique du continent.

    La croissance rapide et rgulire de la richesse du continentest dsormais bien connue. Le PIB africain a cru en moyenne de 5 %ces dix dernires annes, avec des variations videmment fortesselon les pays10. Les lments constitutifs de cette croissance nesont cependant pas tous connus. Le boom des matires premires(les cours sont passs de 20 $ le baril de ptrole en 1999 plus de145 $ en 200811) et une meilleure intgration des revenus du secteursont videmment des lments importants. Un tiers seulement de lacroissance actuelle africaine est cependant lie ces matirespremires. Les deux autres tiers sont le fruit de la consommation etde la croissance des infrastructures et de limmobilieren particulier,ce qui permet de raisonnablement penser que le dcollage actuel

    pourra tre prenne, contrairement celui des annes 1970,exclusivement d lenvole des cours des matires premires etdonc particulirement fragile12.

    10Richard Roxburgh et alii, Lions on the move : The progress and potential of Africaneconomies, Rapport, McKinsey&Company, juin 2010,http://www.mckinsey.com/insights/africa/lions_on_the_move11Acha Leke et alii, Whats Driving Africas Growth?, McKinsey&Company, juin 2010,http://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/whats_driving_africas_growth12Ibidem.

    http://www.mckinsey.com/insights/africa/lions_on_the_movehttp://www.mckinsey.com/insights/africa/lions_on_the_movehttp://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/whats_driving_africas_growthhttp://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/whats_driving_africas_growthhttp://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/whats_driving_africas_growthhttp://www.mckinsey.com/insights/africa/lions_on_the_move
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    Un changement de perceptionLes chiffres ne permettent cependant pas dexpliquer toute lacroissance ni, surtout, le regain dintrt trs vif suscit par lecontinent ces dernires annes. Les investisseurs, Occidentaux

    comme Africains, qui plaaient leur patrimoine lextrieur ducontinent, ont longtemps considr avec quelque raison lecontinent africain comme risqu. Cette dangerosit ntait pallie quepar les immenses ressources en matires premires13. Cest donclogiquement ce type dactivits qui a prdomin et dont la visibilittait la plus grande. Par ailleurs, cela correspondait finalement assezbien la vision historique des colonisateurs pour qui lAfrique taitdabord un rservoir de ressources.

    Un changement de paradigme a paradoxalement t favorispar les difficults conomiques des pays occidentaux et par la criseconomique toujours actuelle qui les a particulirement frapps.Les pays du Nord , qui paraissaient srs aux investisseurs, sesont finalement eux aussi rvls risqus. LAfrique, avec sesmarchs naissants, lnorme potentiel dune population dont une partcroissante tend senrichir, mme modestement, est alors apparuecomme un dbouch prometteur aux activits conomiques. Cest cequi a conduit ce changement de perception, visible dans lesmdias, avec des revues aux titres vocateurs : Afrique 3.0 14ou LAfrique qui bouge15.

    Les investisseurs hsitent donc moins investir en Afrique.Ainsi lagence McKinsey rapporte que les rformes structurellesopres par les gouvernements africains ont permis de faire passerles investissements directs ltranger (IDE) de 9milliards de dollars

    en 2000 62 milliards en 200816. Par ailleurs, les risquesapparaissent maintenant acceptables et les perspectives decroissance des marchs sont infiniment plus positives : on estime defait que les dpenses globales des Africains en 2020 seront de lordrede 1400 milliards de dollars17.

    Mesurer le continent :une base de lactivit conomiqueSi lAfrique effraie encore parfois, cest souvent par mconnaissancedu terrain. Il est vrai que les investisseurs qui y travaillent rencontrentdes difficults particulires. Ainsi, pour les publicitaires et les

    13 Africa one of the last frontiers for advertising industry , How we made it inAfrica, Blog, 23 fvrier 2011,http://www.howwemadeitinafrica.com/africa-one-of-the-last-frontiers-for-advertising-industry/8085/14 Afrique 3.0 , Courrier international, hors-srie, n2013-2, mars 2013.15 L'Afrique qui bouge ,Alternatives Internationales, hors-srie n13, mai 2013.16 Checking Africas vital signs, McKinsey & Company, juin 2010,http://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/checking_africas_vital_signs17Africa one of the last frontiers, op. cit.

    http://www.howwemadeitinafrica.com/africa-one-of-the-last-frontiers-for-advertising-industry/8085/http://www.howwemadeitinafrica.com/africa-one-of-the-last-frontiers-for-advertising-industry/8085/http://www.howwemadeitinafrica.com/africa-one-of-the-last-frontiers-for-advertising-industry/8085/http://www.howwemadeitinafrica.com/africa-one-of-the-last-frontiers-for-advertising-industry/8085/http://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/checking_africas_vital_signshttp://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/checking_africas_vital_signshttp://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/checking_africas_vital_signshttp://www.howwemadeitinafrica.com/africa-one-of-the-last-frontiers-for-advertising-industry/8085/http://www.howwemadeitinafrica.com/africa-one-of-the-last-frontiers-for-advertising-industry/8085/
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    investisseurs, la scurisation de lenvironnement des affaires doitpasser par une mesure des activits18or

    On a zro donnes. Les questionnaires auxconsommateurs, cest bien, mais a reste dclaratif et on

    ne propose que des choix de rponses Le problme des publicitaires est assez emblmatique car leur

    activit et celle des annonceurs passe par des arsenaux demesures que les divers pays du continent peinent encore fournir.Ce problme est cependant loin dtre strictement africain, commelindique la phrase clbre de John Wanamaker, le pionnier dumarketing 19:

    La moiti de largent dpens par un annonceur lesten pure perte, mais on ne sait pas de quelle moiti ilsagit

    De mme, pour la publicit out of home dont font partie les

    panneaux, les valuations dimpact sont extrmement difficiles mener. Depuis quelques annes cependant, des mesures plus fiablessont peu peu labores et rassurent les publicitaires qui peuventtravailler avec des outils quils matrisent20. Plus que des chiffresvrifis, il semble que ce sont ces outils ainsi que le vocabulaire auxquels ils sont habitus qui rassurent les publicitaires et lesannonceurs, en recrant un environnement de travail connu.

    Dune manire plus inconsciente, la question des mesures estgalement essentielle car elle permet dtayer lide quelaugmentation de la croissance et de la consommation conduit uneamlioration de la vie quotidienne des Africains, ide formule de

    longue date, par Baudrillard : outre le fait que les chiffres sontncessaires pour travailler, ils sont galement rassurants car ilsrendent une situation inconnue mesurable et moralement bonne21:

    Lanalyse commande bien sr quon fasse le constat delabondance par les chiffres, le bilan du bien-tre. Maisles chiffres ne parlent pas deux-mmes, et ne secontredisent jamais. Seules les interprtations parlent,parfois ct, parfois lencontre des chiffres.

    Des tats africains de plus en plus impliqusChiffre ou non lappui, dune manire gnrale, ce sont les

    investisseurs qui ny sont pas qui peroivent le plus ngativement

    18 Entretien avec Caroline Barbin-Siraudin, Category Business Manager, Nestl,Abidjan, octobre 2012.19 Repris dans Marie Bnilde, On achte bien les cerveaux. La publicit et lesmdias, Paris, Raisons dagir, 2007, p. 29.20 Africascope de TNS Sofres, au secours des mdia-planners africains ,25 septembre 2009,http://pigepub.afrikblog.com/archives/2009/09/25/15203738.html21Jean Baudrillard, La socit de consommation, Paris, Gallimard, Folio Essai, 1987(1redition 1970), p. 62.

    http://pigepub.afrikblog.com/archives/2009/09/25/15203738.htmlhttp://pigepub.afrikblog.com/archives/2009/09/25/15203738.htmlhttp://pigepub.afrikblog.com/archives/2009/09/25/15203738.html
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    lAfrique, alors que ceux qui sont dj sur le continent sont beaucoupplus positifs, selon une rcente tude dErnst & Young. Ainsi, 86 %des entreprises interroges qui ont dj une activit sur le continentpensent que lattractivit de lAfrique va encore samliorer ces troisprochaines annes, contre seulement 47 % des entreprises qui nysont pas tablies22.

    De fait, nombre de pays africains sont trs rsilients et mettenten place des cadres politiques et conomiques pour attirer lesinvestisseurs. Ainsi, en Cte dIvoire, la dernire crise conomiquena pas rellement frein linvestissement, mme son paroxysme,o le pays a toujours connu 2 3 % de croissance. Fin 2012, lacroissance tait 8,5 %, ce qui permet denvisager une consolidationde la sortie de crise pour 201323. Par ailleurs, le cadre lgislatif desaffaires est favorable dans le pays, grce un code delinvestissement rcent et trs incitatif 24.

    Lthiopie, elle, met en avant de manire trs active sa largemain duvre et ses savoir-faire pour attirer les entreprises textilesen se fondant sur des comptences locales dans le domaine dutextile et de la cordonnerie. Cest ce qua bien compris par exemple legant du prt--porter H&M en envisageant de sy installer25.

    Comme dautres pays du continent, lthiopie tente descuriser son march pour le rendre attractif, en proposant desmesures gouvernementales pro-investissements telles quun arsenallgislatif avantageux, des exemptions de taxes ou la gratuit dellectricit par exemple.

    On assiste donc un changement de paradigme :

    actuellement le dveloppement conomique du continent sembledevoir passer par linitiative prive, dont le succs doit crer une cercle vertueux capitaliste. Cest un changement majeur parrapports aux discours de laide des annes 2000, qui prnait ledveloppement des pays africains par la fameuse bonnegouvernance 26dont, quinze annes plus tard, on ne sait gure cequelle recouvre rellement. Ce glissement est le rsultat dunevolution conomique relle du continent mais surtout dun

    22 Africa 2013. Getting down to business , Ernst & Young attractiveness survey,2013, http://www.ey.com/ZA/en/Issues/Business-environment/Africa-Attractiveness-

    Survey23 Entretien avec Oumar Sylla, Charg de projets, AFD Cte dIvoire, Abidjan,octobre 2012.24 Entretien avec Jean-Francois Amavi, Responsable de lappui aux entreprises,Chambre de Commerce et dIndustrie en Cte dIvoire, Abidjan, octobre 2012.25 Aprs la Chine, l'thiopie est-elle la nouvelle "usine du monde" ? , Lil de laRdaction , TV5monde.org, 21 aot 2013, http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Ethiopie-la-mort-de-Meles-Zenawi/p-26136-Apres-la-Chine-l-Ethiopie-est-elle-la-nouvelle-usine-du-monde-.htm26 Hlne Qunot, La construction du champ politique local Accra (Ghana) etOuagadougou (Burkina Faso). Le cas de la politique de gestion des dchets , Thsede doctorat, IEP de Bordeaux, Bordeaux, 2010, p.39-45.

    http://www.ey.com/ZA/en/Issues/Business-environment/Africa-Attractiveness-Surveyhttp://www.ey.com/ZA/en/Issues/Business-environment/Africa-Attractiveness-Surveyhttp://www.ey.com/ZA/en/Issues/Business-environment/Africa-Attractiveness-Surveyhttp://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Ethiopie-la-mort-de-Meles-Zenawi/p-26136-Apres-la-Chine-l-Ethiopie-est-elle-la-nouvelle-usine-du-monde-.htmhttp://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Ethiopie-la-mort-de-Meles-Zenawi/p-26136-Apres-la-Chine-l-Ethiopie-est-elle-la-nouvelle-usine-du-monde-.htmhttp://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Ethiopie-la-mort-de-Meles-Zenawi/p-26136-Apres-la-Chine-l-Ethiopie-est-elle-la-nouvelle-usine-du-monde-.htmhttp://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Ethiopie-la-mort-de-Meles-Zenawi/p-26136-Apres-la-Chine-l-Ethiopie-est-elle-la-nouvelle-usine-du-monde-.htmhttp://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Ethiopie-la-mort-de-Meles-Zenawi/p-26136-Apres-la-Chine-l-Ethiopie-est-elle-la-nouvelle-usine-du-monde-.htmhttp://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Ethiopie-la-mort-de-Meles-Zenawi/p-26136-Apres-la-Chine-l-Ethiopie-est-elle-la-nouvelle-usine-du-monde-.htmhttp://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Ethiopie-la-mort-de-Meles-Zenawi/p-26136-Apres-la-Chine-l-Ethiopie-est-elle-la-nouvelle-usine-du-monde-.htmhttp://www.ey.com/ZA/en/Issues/Business-environment/Africa-Attractiveness-Surveyhttp://www.ey.com/ZA/en/Issues/Business-environment/Africa-Attractiveness-Survey
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    changement deperception27de la part des investisseurs trangers etdes bailleurs.

    Certes le continent dcolle et son activit conomique prendde plus en plus dimportance lchelle mondiale. Mais ces

    changements ne sont pas entirement nouveaux et ne justifient entout cas pas eux seuls ce virage 180 dun afro-pessimisme teintde croyances les plus rtrogrades sur lAfrique ternelle un afro-optimisme aveugle. Cet afro-optimisme prend le risque docculter lefait que le continent reste le plus pauvre du monde et que prs dunhabitant sur trois ny mange pas sa faim28. Par ailleurs, nous yreviendrons, mettre laccent sur linitiative prive revient trop souvent sous-estimer limportance des institutions publiques dans le soutien un dveloppement la fois durable et juste.

    Une concen trati on e t u ne endognisati on desprodu c teu rs de pub lic it: vers un ol igop ol e

    Dans ce milieu africain conomiquement trs actif, les agences depublicit africaines ont pour caractristique doprer dans un marchpeu rgul. Il en rsulte la prsence dun grand nombre dacteurs trsdiffrents : majors internationales du secteur, grandes agencesafricaines, prsentes dans plusieurs pays, et petites agences artisanales locales.

    Les grandes agences internationales, telles que le groupePublicis, travaillent depuis longtemps en Afrique mais avaient pour

    habitude de dlguer leur travail des agences locales, commelindique un article de lhebdomadaire sur la publicit AdvertisingAgecitant lun des membres de lagence29:

    It used to be that, when clients wanted to work with us inAfrica, we'd find a local partner and assign the work tothem.

    Mais laugmentation du volume dactivits a t forte et trsrapide. Face de nouvelles opportunits, les grandes agences ontsouhait garder le contrle de ces activits en simplantantdirectement sur le continent ou en achetant des agences. Larticle

    27 Ernst & Youngs attractiveness survey. Africa 2013. Getting down to business,Ernst & Young, 2013,http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/The_Africa_Attractiveness_Survey_2013/$FILE/Africa_Attractiveness_Survey_2013_AU1582.pdf28 Hlne Qunot-Suarez, La croissance de lAfrique est-elle une vue delesprit? ,Actuelle de lIfri, n 12, juin 2012,http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7227&id_provenance=103&provenance_context_id=129Emma Hall, Marketers, Agencies Eye Booming Africa for Expansion , 13 juin2011, http://adage.com/article/agency-news/marketers-agencies-eye-booming-africa-expansion/228127/

    http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/The_Africa_Attractiveness_Survey_2013/$FILE/Africa_Attractiveness_Survey_2013_AU1582.pdfhttp://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/The_Africa_Attractiveness_Survey_2013/$FILE/Africa_Attractiveness_Survey_2013_AU1582.pdfhttp://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/The_Africa_Attractiveness_Survey_2013/$FILE/Africa_Attractiveness_Survey_2013_AU1582.pdfhttp://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7227&id_provenance=103&provenance_context_id=1http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7227&id_provenance=103&provenance_context_id=1http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7227&id_provenance=103&provenance_context_id=1http://adage.com/article/agency-news/marketers-agencies-eye-booming-africa-expansion/228127/http://adage.com/article/agency-news/marketers-agencies-eye-booming-africa-expansion/228127/http://adage.com/article/agency-news/marketers-agencies-eye-booming-africa-expansion/228127/http://adage.com/article/agency-news/marketers-agencies-eye-booming-africa-expansion/228127/http://adage.com/article/agency-news/marketers-agencies-eye-booming-africa-expansion/228127/http://adage.com/article/agency-news/marketers-agencies-eye-booming-africa-expansion/228127/http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7227&id_provenance=103&provenance_context_id=1http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7227&id_provenance=103&provenance_context_id=1http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/The_Africa_Attractiveness_Survey_2013/$FILE/Africa_Attractiveness_Survey_2013_AU1582.pdfhttp://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/The_Africa_Attractiveness_Survey_2013/$FILE/Africa_Attractiveness_Survey_2013_AU1582.pdf
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    prcdemment cit indique galement quen janvier, Wires & PlasticProducts(WPP)30a pris des parts dans Ogilvy South Africa et acquis50 % de Mindshare South Africa ; Ogilvy a cr une joint-ventureavec le knyan Scangroup. De la mme manire, Publicis arcemment chang les quipes dirigeantes de ses agences pourquelles soient compltement locales.

    Cette volution rsulte du changement de modleconomique voqu plus haut mais galement du fait quil est de plusen plus facile de trouver des publicitaires africains de qualit. De fait, ct de la concentration de ces grandes agences, dautres agences importantes, totalement africaines, mergent et connaissent un grandsuccs. Ainsi, par exemple, en Cte dIvoire, lagence de publicit etde communication31Voodoo, dirige par Fabrice Sawegnon, a t encharge de la campagne prsidentielle dAlassane Ouattara etsoccupe des campagnes dOrange, dans un contexte trsconcurrentiel entre les agences32. Laccroissement conomique de

    lAfrique a donc modifi le march de la publicit, conduit uneconcentration des grandes agences par rachats et prises de parts et,en consquence, une large unification culturelle.

    Cette concentration des agences a conduit desconvergences culturelles. De fait, ces agences de publicit ontlargement les mmes codes et les mmes techniques, identitrenforce par le fait que les grandes multinationales imposent cesagences des cahiers des charges trs lourds pour respecter lunit etlidentit graphique de la marque travers le monde. Ainsi, Orangeest connue pour avoir un cahier des charges extrmementcontraignant, qui contribue la grande unit de visuels entre les pays

    et lidentification immdiate de la marque. Cest donc uneunification qui prvaut. Les agences telles que Voodoo revendiquentleur vibration 33 africaine (

    30Entreprise qui regroupe plusieurs de nombreuses agences de publicit.31 La plupart des agences importantes sur le continent sont engages dans lapublicit, la communication et, souvent, les mdias.32 Prsidentielle 2010 en CI : la bataille Euro RSCG/Voodoo , L'observatoire desmdias, de la pub et des grandes campagnes com en CI, 20 octobre 2010,http://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2010/10/20/presidentielle-2010-en-ci-la-bataille-euro-rscg-voodoo.html33 Voodoo Group, We Thrive to Transform Africa, document interne Voodoo, nondat.

    http://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2010/10/20/presidentielle-2010-en-ci-la-bataille-euro-rscg-voodoo.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2010/10/20/presidentielle-2010-en-ci-la-bataille-euro-rscg-voodoo.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2010/10/20/presidentielle-2010-en-ci-la-bataille-euro-rscg-voodoo.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2010/10/20/presidentielle-2010-en-ci-la-bataille-euro-rscg-voodoo.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2010/10/20/presidentielle-2010-en-ci-la-bataille-euro-rscg-voodoo.html
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    Photo 1, p. 18) et sont, nous le verrons, trs cratives, mais cepositionnement doit tre remis en perspective quand les campagnesde publicit concernent de grandes marques internationales.

    Lvolution est donc paradoxale. Les agences promeuvent

    une identit africaine qui leur permet de faire des publicits adaptes(Photo 2,p.18)34:

    Le march a volu rapidement. Avant, on avait desfiliales des grands groupes comme McCann ou Ocan. Ila fallu se positionner vis--vis deux. Il y avait trop detranscription par rapport lEurope. On a eu des pubsCoca avec de la neige ! On veut avoir un langage plusproche des populations locales, avec des rfrentslocaux. On utilise par exemple la base de donne desjeux denfants

    Pourtant, la force conomique de ces grandes agencesafricaines est fonde sur des marchs mondialiss tels que, pourVoodoo, la communication dOrange, trs formate et verrouille.

    Cette situation oligopolistique classique lchelle mondialesintgre cependant une situation africaine complexe, marquenotamment par une part importante dactivits informelles et laprsence de multiples petites agences locales. Ces agences plus artisanales et parfois plus informelles sont videmment critiquespar les membres des plus grandes agences35:

    [La publicit] est un secteur dynamique, en pleinevolution, mais malheureusement encore informel.Beaucoup de gens crent des agences la maison. Celadstructure le march. Beaucoup dannonceurs

    abandonnent les agences classiques qui pourraient leurfaire de vraies campagnes et voient des particuliers, descousins et des amis pour faire des campagnes qui engnral sont non signes36. Cela se fait mme dans desgrands groupes, mais je ne veux pas citer de noms .

    Les petites agences rpondent cependant, nous allons le voir, de rels besoins dacteurs locaux dont la communication et lescodes sont trs diffrents de ceux ports par les grandes entreprisesinternationales.

    34Entretien avec Konan Agara Yao, Directeur des tudes, des mdias et de la veillestratgique, Voodoo Group, Abidjan, octobre 2012.35 Linformel dstructure le march publicitaire, L'observatoire des mdias, de lapub et des grandes campagnes com en CI, 27 janvier 2009,http://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/27/l-informel-destructure-le-marche-publicitaire.html36Toutes les campagnes majeures indiquent, sur les panneaux, le nom de lagencede cration.

    http://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/27/l-informel-destructure-le-marche-publicitaire.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/27/l-informel-destructure-le-marche-publicitaire.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/27/l-informel-destructure-le-marche-publicitaire.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/27/l-informel-destructure-le-marche-publicitaire.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/27/l-informel-destructure-le-marche-publicitaire.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/27/l-informel-destructure-le-marche-publicitaire.html
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    Photo 1 :Affiche de communication institutionnelle de lagence Voodoo, 2009

    Source : Voodoo, sorciers de la pub ou sorciers tout court , L'observatoiredes mdias,de la pub et des grandes campagnes com en Cte dIvoire, 29janvier 2009,http://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/29/voodoo-sorciers-de-la-pub-ou-sorciers-tout-court.html

    Photo 2 :Utilisation de jeux denfants locaux (campagne Voodoo au Niger)

    Source : Voodoo Group : We Thrive to Transform Africa, document interneVoodoo, non dat, avec laimable autorisation de lagence.

    http://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/29/voodoo-sorciers-de-la-pub-ou-sorciers-tout-court.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/29/voodoo-sorciers-de-la-pub-ou-sorciers-tout-court.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/29/voodoo-sorciers-de-la-pub-ou-sorciers-tout-court.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/29/voodoo-sorciers-de-la-pub-ou-sorciers-tout-court.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/29/voodoo-sorciers-de-la-pub-ou-sorciers-tout-court.htmlhttp://babiwatch.ivoire-blog.com/archive/2009/01/29/voodoo-sorciers-de-la-pub-ou-sorciers-tout-court.html
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    Les panneaux pub lic itaires : des lmentsinco ntou rnables des paysages urbains

    afr icains

    Alors mme que les panneaux ne comptent que pour 6 % environ delactivit publicitaire globale lchelle mondiale, ils sontomniprsents dans les villes africaines et leur part reste trs stable.Certes, leur prsence sexplique par la facilit plus grande aveclaquelle il est possible de les implanter dans un pays o lescontraintes rglementaires ne sont pas toujours aussi fortes et/ouappliques quen Occident. Mais leur omniprsence sexpliquegalement par leur rle symbolique : ils permettent aux marquesdoccuper lespace, au sens le plus propre du terme.

    Pourquoi les panneaux ?Dabord, ils sont rentables, en particulier du fait de la faible

    rgulation des rgies37publicitaires38:

    Si le crneau de laffiche est aussi investi [ Abidjan],cest parce quil est trs rentable. Avec des grillestarifaires non rglementes, les agences daffichagespratiquent des prix du plus raisonnable au plus exagr.Un panneau 43 ou 52,5 sur les murs stratgiquesdes quartiers hupps dAbidjan pour 15 30 jours, seloue entre 500 000 et 3 millions de FCFA [entre 760 et

    4500 environ]. Entre les extrmits des prix,senrichissent clandestinement certaines personnes qui,parce quelles disposent dun immeuble pensent avoirtous les droits .

    En plus de leur faible cot, les panneaux offrent une bonnecouverture des consommateurs potentiels car, en Afrique, lesmarchs de consommation restent extrmement urbains etproduisent encore lessentiel desrichesses produites et consommessur le continent39. Pour les publicitaires, le travail par les panneauxest galement intressant car ils sont trs polyvalents et permettentaux agences de varier les campagnes : institutionnelles, politiques,commerciales. Ces panneaux sont particulirement intressants

    tudier car cest un des supports de publicit les plus dmocratiques:les entreprises plus modestes peuvent y avoir accs. Les panneaux

    37Une rgie publicitaire est lintermdiaire entre les annonceurset les entreprises demdias qui souhaitent mettre disposition des espaces publicitaires.38 Vers la fin de laffichage sauvage en Cte dIvoire, Les Afriques,http://www.lesafriques.com/media-et-communication/vers-la-fin-de-l-affichage-sauvage-en-cote-d-i.html?Itemid=30839 Checking Africas vital signs, McKinsey & Company, juin 2010,http://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/checking_africas_vital_signs

    http://www.lesafriques.com/media-et-communication/vers-la-fin-de-l-affichage-sauvage-en-cote-d-i.html?Itemid=308http://www.lesafriques.com/media-et-communication/vers-la-fin-de-l-affichage-sauvage-en-cote-d-i.html?Itemid=308http://www.lesafriques.com/media-et-communication/vers-la-fin-de-l-affichage-sauvage-en-cote-d-i.html?Itemid=308http://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/checking_africas_vital_signshttp://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/checking_africas_vital_signshttp://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/checking_africas_vital_signshttp://www.lesafriques.com/media-et-communication/vers-la-fin-de-l-affichage-sauvage-en-cote-d-i.html?Itemid=308http://www.lesafriques.com/media-et-communication/vers-la-fin-de-l-affichage-sauvage-en-cote-d-i.html?Itemid=308
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    sont alors plus petits, ou dans des zones conomiquement moinsintressantes. Par ailleurs, ces petites entreprises profitent elles aussidu flou qui rgne Abidjan dans ladministration des rgiespublicitaires, qui a permis une multiplication des panneaux et uneplus grande varit de tarifs.

    Mme sils paraissent traditionnels , en comparaison avecdautres supports tels que la publicit sur les tlphones mobiles, lespanneaux publicitaires, restent cependant dactualit car ils offrentdes possibilits particulires par rapport aux autres mdias. Lapublicit sur les tlphones et lInternet est en pleine explosion maiselle ne permet souvent pas de proposer des visuels marquants. Parailleurs, elle est bien cible mais ne permet pas de visibilit gnrale de la marque.

    La tlvision, elle, est un march publicitaire complexe. Lespublicits sur les chaines nationales sont toujours plbiscites et

    restent trs importantes. Cependant, le taux dquipementgrandissant en dcodeurs et chaines par satellites a profondmentmodifi le march : la part de march des chaines nationalesdiminue. Par ailleurs, les publicits diffuses sur ces chanesinternationales ne sont pas spcifiques au march africain et rendentles spots locaux moins visibles40.

    Enfin, les annonces dans la presse sont coteuses, pour unerentabilit de moins en moins leve. La presse reste un lment deprestige, les clients exigeant dailleurs pour cette raison que cescampagnes existent41, mais elle est assez peu rentable : les cots depublication sont levs et le lectorat, par ailleurs assez modeste, estfragment car la presse est trs politise.

    Par ailleurs, les panneaux sont, selon les publicitaires,esthtiques. A dfaut dtre toujours bien accueillis par lesAbidjanais, ils permettent du moins aux publicitaires dexprimer leurcrativit et de proposer des visuels trs marquants42 tels que la Tantie Maggi (

    40Entretien avec Konan Agara Yao, Directeur des tudes, des mdias et de la veillestratgique, Voodoo Group, Abidjan, octobre 2012.41Ibidem.42Entretien avec Emmanuel Guena, publicitaire, Studio 57, Paris, septembre 2012.

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    Photo 3, p.22) la sortie dun des ponts de la ville :

    Les annonceurs adorent la tl mais ils ont tort.Limage de marque, ce nest plus par la tl. Despanneaux de 50 ou 80 m2, a a plus de gueule, cest plus

    noble .Ce lien des panneaux avec la cration artistique est dailleurs

    historiquement trs fort en Occident, o les affiches se sontdveloppes dans les annes 1860 avec des artistes reconnus telsque Toulouse-Lautrec43.

    Le caractre marquant des panneaux ainsi que leur tailleparfois trs importante permettent donc de proposer des visuelsimpressionnants et de grande qualit, ce qui valorise limage desmarques. Les annonceurs assoient de la sorte leurs produits et leurvisibilit au sein de lespace urbain. On note ainsi la trs grandeprsence dans le paysage urbain de marques bien tablies telles que

    Coca-Cola ou Orange. Leurs publicits ne portent pas toujours surdes produits mais sont plutt axes sur la mise en avant des valeursde la marque, telles que la solidarit pour Orange ou la convivialitpour Coca-Cola. Le panneau rpond alors un enjeu depositionnement des marques et de renforcement de limageinstitutionnelle, sans bnfice commercial direct. De fait, cet enjeu deprsence dans le paysage urbain est particulirement important dansles grandes villes africaines rputes tre les plaques tournantes delactivit conomique du continent, comme cest le cas dAbidjan, entermes de consommation et de dynamisme conomique. Elles sontdes rservoirs de modernit 44. Ainsi Abidjan est particulirementouverte au monde, en lien constant avec une importante diaspora

    trs connecte aux rseaux sociaux et qui, bien des gards, faitla mode 45et se positionne donc comme un prescripteur en matirede consommation.

    Louverture de la ville linternational impose dutiliser descodes connus des voyageurs, pour quils peroivent une continuitdes messages, mais aussi assez ivoiriens pour que cesmessages puissent ses diffuser dans les zones plus rurales. Ltat occupe le terrain de la mme manire avec de la communicationinstitutionnelle, par laquelle les agences de communication ontcommenc dans les annes 1980, bien avant lessor actuel de lapublicit46. Cette multiplicit cre un milieu trs complexe o les

    usages des panneaux et les rfrentiels utiliss sont trs varis.

    43 Myriam Tsikounas, La publicit, une histoire, des pratiques , Socits &Reprsentations, 2010/2, n 30, p. 206.44 Hlne Qunot, La construction du champ politique local Accra (Ghana) etOuagadougou (Burkina Faso). Le cas de la politique de gestion des dchets , Thsede doctorat, IEP de Bordeaux, Bordeaux, 2010, p.114.45Entretien avec Konan Agara Yao, Directeur des tudes, des mdias et de la veillestratgique, Voodoo Group, Abidjan, octobre 2012.46 Entretien avec Martine Ducoulombier, directrice, Dialogue Production, Abidjan,octobre 2012.

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    Photo 3 :Panneau publicitaire dcoup Maggi Chaque femme est une toile

    Le panneau, de grande taille et de forme originale, est plac au dbouchdun des ponts dAbidjan et donc incontournable pour les habitants.

    Source : Lauteur, Abidjan, octobre 2012

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    Photo 4 : Panneaux Coca-Cola clbrant le dpassement du milliarddAfricains

    Source : Lauteur, Abidjan, octobre 2012

    Photo 5 : Panneau Orange sur des voies passantes du sud de la villerappelant la crise politique traverse par le pays

    Source : Lauteur, Abidjan, octobre 2012

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    Peut-on parler de publicit africaine ?

    La p ub li c it: un phnomnedabord occidental?

    Un phnomne n dans les socits industrielles

    LAfrique qui consomme semble nouvelle aux yeux desOccidentaux dont la perception, nous lavons vu, a t longue changer. Il nen reste pas moins que lhistoire de la consommation estvidemment trs ancienne en Afrique et ne dbute pas larrive desOccidentaux. Marie-Emmanuelle Chessel47, reprenant le travail deFranck Trentmann, rappelle utilement que :

    Avant mme larrive des Europens au dbut du XVIesicleet avant lindustrialisation textile en Angleterre auXVIIIe , les Indiens produisent et vendent dj descotonnades partout en Afrique et en Asie

    La publicit sest, elle, historiquement dveloppe en Occident

    dans les annes 1830, en parallle de lindustrialisation rapide ducontinent europen et au moment o se dveloppaient les premiersmarchs de consommation de masse. Elle est lie un changementdes modes de distribution, en particulier lmergence des grandsmagasins qui modifient profondment lacte dachat en lenracinantdans un lieu et en crant limpulsion dachat, que montre parexemple Zola dans Au Bonheur des Dames (1883), en marquant lepassage dun systme de vente se basant non plus sur le besoinmais sur le dsir des acheteuses. Cest cet lment qui imposelmergence de la publicit, pour crer et entretenir ce dsir.

    Lanalyse de lhistoire de la publicit met en avant le lien troitde celle-ci avec la presse, ds la Gazettede Renaudot48. Publicit etinformation ont donc de longue date t lies, dans les journauxvidemment, mais galement dans laffichage, rest longtemps lemonopole de ltat et de lglise : Bernard Cathelat rappelle que

    47 Marie-Emmanuelle Chessel, O va l'histoire de la consommation ? , Revued'histoire moderne et contemporaine, 2012/3, n 59-3, p. 151.48 Un mlange des genres critiqu ds la cration de la Gazette: StphaneHaffemayer, Thophraste Renaudot (1586-1653) : les ides humanitaires dunhomme de communication, communication de colloque, 2006,http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/63/73/14/PDF/RenaudotColloqueNV.pdf

    http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/63/73/14/PDF/RenaudotColloqueNV.pdfhttp://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/63/73/14/PDF/RenaudotColloqueNV.pdfhttp://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/63/73/14/PDF/RenaudotColloqueNV.pdfhttp://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/63/73/14/PDF/RenaudotColloqueNV.pdfhttp://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/63/73/14/PDF/RenaudotColloqueNV.pdfhttp://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/63/73/14/PDF/RenaudotColloqueNV.pdf
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    laffiche franaise la plus ancienne, qui date du XVme sicle,annonce un plerinage49. Sur des supports identiques, donc unjournal ou bien un panneau les contenus peuvent trecompltement diffrents, informatifs dans certains cas, strictementpublicitaires dans dautres. Dans tous les cas cependant, cest laction de rendre public qui prime50. Cet usage vari despanneaux que nous dtaillerons plus loin dans cette tude estessentiel parce que, de fait, les publicits profitent de cette histoire :lusage de lcrit, qui peut apparatre comme un frein dans dessocits o le taux dillettrisme est encore important, est dans lesfaits un facteur plutt positif car il renforce le poids des messages51.Par ailleurs, comme les panneaux ne sont pas seulement utilisspour des publicits mais galement pour des messagesinstitutionnels, un flou existe entre linformation et la rclame. Ce flouentre politique, publicit et propagande profite sans doute auxpublicitaires qui utilisent des fins videmment diffrentes des

    outils identiques, ce qui rend la lecture critique parfois difficile.

    Une fausse proximitUne des difficults de lanalyse du march de la publicit sur

    le continent africain est que beaucoup de phnomnes qui paraissentidentiques aux volutions occidentales ont dans les faits desdynamiques trs diffrentes. Ainsi, le phnomne doligopolisation des agences de publicit ne procde pas desmmes dynamiques. En France, par exemple, la concentration desagences de publicit les mmes qui sont actuellement actives enAfriquesest effectue de manire brusque dans les annes 1970

    et dans un contexte de crise conomique qui a conduit la mort desstructures les plus fragiles52. Dans le contexte africain, le phnomnede concentration est trs diffrent parce quil procde justement dungrand dynamisme conomique. Cest pour gagner en rentabilit queles majors rachtent ou contrlent les agences locales. Lesagences locales qui disparaissent sont certes plus vulnrablesconomiquement mais sont surtout celles qui ne rpondent pas lademande dun march africain dont les codes se mondialisent.

    Par ailleurs, le march publicitaire occidental s est dveloppdans un contexte dtats forts, dont la volont est de rguler lesactivits et les messages publicitaires, sur lalcool ou la vitesse parexemple, mais aussi sur le nombre et les surfaces de publicits

    49Bernard Cathelat, Publicit et socit, Paris, Payot, col. Petite bibliothque, 2001(1red. 1968), p. 54.50 Myriam Tsikounas, La publicit, une histoire, des pratiques , Socits &Reprsentations, 2010/2, n 30, p. 197-198.51 crit des slogans publicitaires dailleurs souvent contests par crit par lesmilitants anti-publicit : Clara Lamireau, Haro sur laffichage! Agir par crit contrela publicit dans lespace public parisien, Quademi, 2010/2, n 72, p. 19-30.52 Myriam Tsikounas, La publicit, une histoire, des pratiques , Socits &Reprsentations, 2010/2, n 30, p. 203.

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    (limitation du nombre de spots par films, contrle strict de la taille etdu nombre des panneaux publicitaires dans les zones urbaines parexemple). En Afrique, cette rgulation est le plus souvent plus faiblevoire inexistante. Si le vocabulaire est le mme, les dynamiques sontl aussi trs diffrentes. Pourtant, la question de la place de ltatdans les rgulations conomiques et publicitaires est tout faitcentrale. Dune part, comme nous lavons dit, les tats peuventautoriser ou non certains types de publicit et tirer des revenus decette activit. Dautre part, la consommationest un acte dune portebien suprieure au simple acte dachat parce que les politiquesconomiques gnrales mises en place ont pour finalit de contrlerplus ou moins directement les manires de consommer53. Ainsi,dans le contexte actuel de crise conomique et de recherchedsespre de croissance , consommer apparat comme unsoutien citoyen la relance de lconomie souhaite par lesdirigeants politiques54. Dans le cas dtats faibles, le risque est grand

    que les rgulations de la publicit soient difficiles mettre en uvre,voire indsirables.

    Un mme vocabulaire pour des ralits diffrentesTout comme la notion de classes moyennes africaines, la notion depublicit pose question en Afrique. Il ne sagit pas de nier sa ralitmais dinterroger deux points: la validit de la notion dmergence qui lui est attache et la question de la structurationdes catgories.

    Tout dabord, les publicits africaines taient trs nombreusesdans les annes 1970, avant leffondrement de la plupart des

    conomies du continent55. Cette prsence importante de lapublicit est mettre en parallle avec lexistence dune classemoyenne, diffrente de lactuelle mais croissante et socialementstructurante. Les classes moyennes ivoiriennes des annes 1970appartiennent au secteur public et aux grandes entreprises prives56.

    53 Alain Chatriot & Marie-Emmanuelle Chessel, L'histoire de la distribution : unchantier inachev , Histoire, conomie & socit, 2006/1, 25e anne, p. 67-82,p. 76.54 Dveloppements critiques de ce thme dans : Pierre Rabhi, Vers la sobritheureuse, Paris, Babel, 2013.55Entretien avec Solo Soro, journaliste, France Inter, Paris, septembre 2012.56 La dvaluation du Franc CFA en 1994 a considrablement affaibli le pouvoirdachat des salaris africains. Par ailleurs, les ajustements structurels, qui ont limitles postes publics, ont contribu informaliser les activits des Africains.Actuellement, une grande partie de la classe moyenne africaine est impliquedans une activit informelle, pour complter le revenu dune activit formelle quioffre certes un statut mais pas un salaire suffisant : Hlne Qunot-Suarez, Consommer dans un environnement incertain : le paradoxe des classes moyennesafricaines , Note de lIfri, mars 2012, www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7063.Par ailleurs, leffondrement de la premire classe moyenne estli cette dcennie perdue et aux recettes de la Banque mondiale et du Fondsmontaire international (blocage des salaires des fonctionnaires, absence derecrutement, etc.).

    http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7063http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7063http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7063http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7063http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7063
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    Ainsi, dans la bande-dessine succs Aya de Yopougon57, qui sedroule dans ce quartier populaire dAbidjan en 1978, le pre delhrone est cadre la Solibra, la principale brasserie du pays. Lespublicits de lpoque videmment datestelles que celle pour laRenault 4, sont cres pour le march local et utilisent desarguments tels que la facilit rparer ou lusage sur routes nongoudronnes58.

    On note par ailleurs pour cette priode une grande varit destypes de publicit, dont la publicit vestimentaire59 ainsi que lespublicits sur le lieu de vente (PLV) qui, si elles existent toujours,tendent dcrotre ou tre utilises pour dautres campagnes,telles que les campagnes politiques ou institutionnelles.

    Dans les exemples prcdents, la publicit a accompagn ledveloppement des produits et de la consommation. La dynamiqueactuelle est largement inverse : les publicits dessinent les contours

    de ce que doit tre la consommation sur le continent africain. strictement parler, le continent nest pas encore un march mature : ilest un dbouch pour les entreprises qui ont besoin de diversifierleurs lieux de vente. Certains produits, tels que la tlphonie, ont tune relle rvolution sur le continent et ont rpondu des besoins(de communication, de fluidit des transferts dargent) trs importantsdes populations locales. Dautres se dveloppent contre dessystmes locaux prexistants, tels que le dentifrice, alors que dessolutions alternatives et locales existent60. Cette dynamique nest niexclusive lAfrique ni rcente: ds la fin du XIXme sicle, JuliusMaggi inondait le continent de ses fameux cubes , dont il se vendtoujours 16 milliards dunits par an, au dtriment dpices locales,

    moins chres et plus nutritives61

    mais socialement moins modernes ou valorisantes62. Elle saccentue cependant et montreque, si les publicits et les publicitaires saffichent commeafricaines, les produits, eux, sinscrivent dans un march global, dontla demande nest pas encore visible partout en Afrique. La logique deconsommation, souvent mise en avant et qui met les consommateursau centre des dynamiques, ne doit pas masquer la logique

    57Marguerite Abouet & Clment Oubrerie, Aya de Yopougon, 6 t., Paris, Gallimard,coll. Bayou, 2005-2010.58Publicit pour la Renault 4 de 1965 :http://www.dailymotion.com/video/x5rvc_pub-

    renault-4-afrique_auto59Beaucoup dAfricains achtent du tissu (les pagnes) quils font coudre par la suite.Il est donc frquent, pour des vnements particuliers (lections, venue dunepersonnalit) que des pagnes soient imprims par les organisateurs puis achets etcousus par les participants.60 Emma Hall, Marketers, Agencies Eye Booming Africa for Expansion ,13 juin 2011.61 Le Maggi en Afrique , Karambolage, Arte, mission du 5 dcembre 2010,http://www.arte.tv/fr/l-objet-le-maggi-en-afrique/3572870,CmC=3572876.html62 La notion dachat valorisant est dveloppe en particulier dans PierreBourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, ditions de Minuit,1979.

    http://www.dailymotion.com/video/x5rvc_pub-renault-4-afrique_autohttp://www.dailymotion.com/video/x5rvc_pub-renault-4-afrique_autohttp://www.dailymotion.com/video/x5rvc_pub-renault-4-afrique_autohttp://www.dailymotion.com/video/x5rvc_pub-renault-4-afrique_autohttp://www.arte.tv/fr/l-objet-le-maggi-en-afrique/3572870,CmC=3572876.htmlhttp://www.arte.tv/fr/l-objet-le-maggi-en-afrique/3572870,CmC=3572876.htmlhttp://www.arte.tv/fr/l-objet-le-maggi-en-afrique/3572870,CmC=3572876.htmlhttp://www.dailymotion.com/video/x5rvc_pub-renault-4-afrique_autohttp://www.dailymotion.com/video/x5rvc_pub-renault-4-afrique_auto
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    dexpansion conomique qui met, elle, les entreprises et la crationde marchs au centre de lanalyse.

    Les marchs de consommation des pays africains ne sedveloppent pas avec la consommation de produits locaux,

    contrairement ce qui sest historiquement pass pour les paysoccidentaux. Tout en se rjouissant de laugmentation de lactivitconomique, on peut regretter que cette volution du continent passepar ladoption dun modle de consommation qui, sil est gnralis,est dabord import et pose le problme de son adaptation auxcontextes locaux et de son appropriation par les Africains, enparticulier les plus modestes.

    Photo 6 : Publicit pour les nouilles Maman

    Source : lauteur, Abidjan, octobre 2012

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    Publicit et pratique des produitsLes ressorts utiliss par la publicit en Afrique reprennent destechniques de marketing trs bien connues. Elles utilisent en

    particulier des thmes classiques tels que la famille. Ce sont ainsi lesfemmes qui portent les publicits alimentaires, quelles soientprsentes directement, comme dans la publicit Maggi, ouindirectement, par la satisfaction des enfants, comme dans lapublicit pour les nouilles Maman (sic)ci-dessus.

    On notera dans cette publicit, outre lutilisation du rouge et orqui voque trs directement Maggi, un positionnement beaucoup plusclassique que les publicits pour la tlphonie ou les sodas parexemple (voir Photo 7, p.31 et Photo 8, p.32). Dans la publicitMaman, on note une rfrence claire une famille traditionnelle etune part importante du visuel occupe par le produit. Chez Coca-

    Cola, les publicits, nous lavons vu, ne portent pas directement surle produit. Chez Orange, hors les cas o la promotion portedirectement sur un terminal mobile, la charte de la marque interdit lareprsentation dun tlphone sur les panneaux.

    Le positionnement des publicits pour les jeunes adultes nediffre gure de celui des autres continents. Cest un des pointsmajeurs dargumentation du publicitaire Emmanuel Guna, enparticulier propos de la jeunesse63:

    Partout, les jeunes veulent tous la mme chose : trecool, couter de la musique, plaire aux filles. Les codesde la publicit, a ressemble nimporte o.

    On notera de fait le caractre festif (et lintgration dumultimdia avec la rfrence Facebook) dans la publicit de laSocit ivoirienne de jeux, et la connotation sexuelle de la publicitpour XXL Energy produite par la Solibra ci-dessous,qui fait cho toutes les publicits pour la jeunesse ailleurs dans le monde. Il existeune diffrence de taille, cependant : la publicit pour les boissonsalcoolises est autorise en Cte dIvoire et les boissonsnergisantes sont moins soumises aux rgulations quen France parexemple.

    Les publicits prsentes sont donc africanises parfoisavec beaucoup de talent mais prsentent des produits non

    spcifiquement africains. Ces produits proposent mme des usagescompltement nouveaux, qui en remplacent dautres pourtantfonctionnels. Ainsi, leau en gobelets plastiques, comme le propose la

    63Entretien avec Emmanuel Guena, publicitaire, Studio 57, Paris, septembre 2012.

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    marque Cleste (Photo 9,p.32), fait une concurrence directe leauen sachet habituellement utilise en Cte dIvoire64.

    Les codes utiliss par la plupart des panneaux, en particulierdans le centre-ville, sont donc trs classiques et sont, bien des

    gards, une simple manire africanise de faire la publicit deproduits mondialiss et de dvelopper des modes de consommationstandardiss. Mais loriginalit du march de la publicit sur lecontinent africain ne se lit pas seulement dans la forme desmessages : elle se lit de manire plus complexe dans la structuremme du march et de loffre.

    Photo 7: Publicit destine aux jeunes adultes : jeux Lonaci

    Source : Lauteur, Abidjan, octobre 2012

    64 Beaucoup de conditionnements sont en sachets sur les marchs. Il peut sagirdune dose de concentr de tomate, de boissons locales, telles que le jus degingembre, ou simplement deau. La plupart des sachets sont artisanaux, la qualit et la propret de leur contenu sont donc sujets caution. Leau, elle, est propose ensachets artisanaux mais galement dans des sachets industriels dun demi -litre, pluschers et gnralement de meilleure qualit. Boire au sachet nest cependant gurelgant et il est possible que ce soit le geste de boire plus hyginique ici parexemple qui soit vis par les petits conditionnements de Cleste, plutt que laqualit de leau en elle-mme.

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    Photo 8 : Publicit destine aux jeunes adultes : boissons nergisantes

    Source : Lauteur, Abidjan, octobre 2012.

    Photo 9 : Publicit pour leau Cleste, avec packaging individuels

    Source : Lauteur, Abidjan, octobre 2012

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    Les panneaux : un mdia aux usages varis

    Loffre publicitaire par les panneaux est en fait constitue dunemultitude doffres qui coexistent et conduisent les Abidjanais vivredans un systme pluri-discursif complexe, tant pour la langue quepour le type de message diffus. Contrairement dautres pays, telsle Cameroun, la Cte dIvoire na pas, dans la publicit, de systmeplurilinguistique : le franais est utilis en premire intention parlensemble de la population65:

    Le dioula, le bt, le baoul, on ne sen sert pas. Cafait un peu villageois. Cest seulement pour les films desensibilisation

    Cette situation nest pas exclusive la Cte dIvoire mais elle est

    spcifique. Au contraire, au Sngal, le wolof tend simposercomme langue nationale aux dpends du franais. Le Cameroun estpar dfinition un pays plurilinguistique. De mme, des pays tels quele Kenya o langlais est bien implant, utilisent, de manireinformelle, plus volontiers le kiswahili dans les rapportsinterpersonnels. Il existe des publicits employant la langue derue , le nouchi, mais elles restent anecdotiques et sontgnralement bilingues. La position particulire de la Cte dIvoire et en particulier de la trs cosmopolite mtropole abidjanaise vis--vis du franais en fait un cas dtude o les comparaisons entre lestypes de publicits sont faciles.

    Le systme des panneaux abidjanais est vari au moinstrois gards. Dune part, les panneaux ont des usages beaucoup pluslarges que les publicits commerciales, dautant que leurmultiplication du fait de lincurie rgnant au sein des rgies en fait unmdia facile daccs. Dautre part, au sein du groupe des publicitscommerciales cohabitent un grand nombre dacteurs privs dont lataille, les objectifs et lorigine sont trs diffrents, ce qui influe sur lestypes de publicit. Enfin, Abidjan est une ville trs morcele car ellese situe sur une lagune. Les quartiers, qui se sont dvelopps surdes les ou des presqules sont physiquement spars par des brasde mer. Leur communication est donc difficile. Ce morclementspatial a conduit une autonomie des diffrents quartiers et en

    consquence un morclement des types de publicit propossaux consommateurs.

    Quels usages ?Lubiquit des panneaux dans la ville ainsi que la facilit dlaborationdes affiches quils portent (au contraire des publicits tlvises par

    65 Entretien avec Martine Ducoulombier, directrice, Dialogue Production, Abidjan,octobre 2012.

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    exemple) en font des supports privilgis de la communicationinstitutionnelle et politique ct des publicits en tant que telles. Onpeut donc dterminer au moins trois usages ces panneaux :commercial, de communication institutionnelle (action dugouvernement, campagnes de sensibilisation des institutionsinternationales, ONG et glises), et de communication politique(campagnes lectorales).

    Les marques utilisent les panneaux pour de la communicationcommerciale, pour une promotion par exemple, mais galement pourrepositionner ou renforcer leur image. Les limites entre linstitutionnel,le politique et le commercial sont gnralement trs floues dautantque les thmes dvelopps dans la publicit tendent de maniregnrale dteindre sur la communication politique. Cest ce quemontre par exemple Marie-Ccile Naves propos de la notion de diversit , dabord utilise dans le monde publicitaire puis reprisedans largumentaire politique66. Les agences de publicit actives en

    Cte dIvoire sont dailleurs gnralement des agences decommunication. A titre dexemple, cest Voodoo qui a assur lacampagne du candidat Ouattara (voirPhoto 10,p.35).

    Cette campagne se prolonge avec une srie de panneauxdinformation (Photo 11, p.36) sur les activits du gouvernementOuattara dont le slogan est Ltat travaille pour vous .

    Dans un contexte o certains Abidjanais nont pas accs latlvision, ces campagnes, qui montrent les chantiers entrepris parles pouvoirs publics, ont une valeur dinformation, voire, comme pourles marques, de branding 67:

    Les entreprises de tlphonie ne font que de laprsence. Ils nont plus dmontrer quils sont l. Ilsveulent toucher lmotivit. Cest ce quefait Orange. Est-ce que a marche ? Du temps dHouphout, dans FratMat68, on avait tous les jours en tte du journal unedevise positive. La rptition de ce genre de motifs finitpar les marquer. Au moins mcaniquement. Orange faita depuis 5 ou 6 ans. Ils dveloppent lide quesadresser Orange, cest sadresser de bons citoyens.Et je pense que les Ivoiriens apprcient, ils sont trsreligieux et a, cest une forme de morale.

    Cette fonction informative des panneaux est galement

    utilise par les instances internationales pour communiquer sur leursactivits. LaPhoto 12,p.36,prise dans une gare de taxis, montre quel point les discours cohabitent et, sans doute, saffaib lissentmutuellement tant leurs univers sont diffrents.

    66Marie-Ccile Naves, Comment le marketing politique et publicitaire construit lamythologie de la diversit , Mots. Les langages du politique, 1/2012, n 98, p. 95-102,www.cairn.info/revue-mots-2012-1-page-95.htm67 Entretien avec Martine Ducoulombier, directrice, Dialogue Production, Abidjan,octobre 2012.68Surnom du journal Fraternit Matin, le quotidien ivoirien de rfrence.

    http://www.cairn.info/revue-mots-2012-1-page-95.htmhttp://www.cairn.info/revue-mots-2012-1-page-95.htmhttp://www.cairn.info/revue-mots-2012-1-page-95.htmhttp://www.cairn.info/revue-mots-2012-1-page-95.htm
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    Enfin, les panneaux permettent dannoncer des vnements,quils soient internationaux ou plus locaux, avec parfois, comme cestle cas dans lexemple de lensemble de photos p.37, des chartesgraphiques et des codes visuels aux antipodes les uns des autres.

    Les Abidjanais doivent faire face, outre une multiplicationtrs importante des panneaux, cette multiplicit de leur usage. Celapose la question de la formation des consommateurs, pour sparerinformation et publicit.

    Photo 10 : Visuels de la campagne dAlassane Ouattaraen 2010 parlagence Voodoo

    Source : Voodoo Group, Prsentation, document interne, non dat, aveclaimable autorisation de lagence, voodoo-communication.com/

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    Photo 11 : Exemple de panneau de communication tatique parlagence Voodoo

    Source : Lauteur, Abidjan, octobre 2012

    Photo 12 : Campagne de lOnuci(Opration des Nations Unies en Cte d'Ivoire) Abidjan

    Source : Lauteur, Abidjan, octobre 2012

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    Photos 13 : vnements abidjanais : le grand cart des codes de lacommunication sur panneaux

    Source : lauteur, Abidjan, octobre 2012

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    Des marchs publicitaires : un monde plurielLe march ivoirien, comme lensemble des marchs africains, necompte pas seulement de grandes entreprises internationales. On

    trouve des industries de bonne taille qui diffusent localement leursproduits, en particulier des produits alimentaires et dhygine.Nombreuses dans la zone industrielle de Yopougon, elles ont choiside diffuser directement leurs produits et den assurer la promotion.Les codes publicitaires choisis sont beaucoup plus classiques, avecen particulier une grande place donne la prsentation du produitdans les visuels et les slogans (Photo 14,p.38).

    Les panneaux, plus petits gnralement que leshabituels 43, sont galement utiliss par les commerants pourpromouvoir leur marque. On retrouve l aussi une tradition si ce nestafricaine du moins tablie en Afrique, qui est de mettre en valeur le

    produit que ce soit dans les magasins, sur les devantures ou sur lesaffiches69:

    Les entreprises locales ne font pas de la publicit, ellesfont de la rclame .

    Photo 14 :Publicit pour des produits ivoiriens,

    zone industrielle de Yopougon, Abidjan

    Source : Lauteur, Abidjan, octobre 2012

    69 Entretien avec Martine Ducoulombier, directrice, Dialogue Production, Abidjan,octobre 2012.

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    Photos 15 :Types de publicits par des entrepreneurs locaux

    pour des produits utilitaires

    Source : Lauteur, Abidjan, octobre 2012

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    Les pratiques marketing des PME sont malheureusement maltudies en Afrique70. On peut cependant tenter une comparaisonutile avec les petites entreprises europennes, o71

    La fonction commerciale parat relativement peu

    sophistique dans la petite entreprise car il existe unergularit dans la relation avec la clientle .

    De fait, il sagit pour beaucoup dentrepreneurs de fidliserplus que de conqurir, en se basant sur le produit (et non sur limage)pour se diffrencier de la concurrence72. Cest lide, historiquementtrs prsente au sein des petits entrepreneurs franais, quun bonproduit na pas besoin de publicit pour se vendre73. Mais la fluiditdes marchs africains est beaucoup plus grande et leur mergenceprend pied dans une mondialisation dj bien tablie.

    Il est galement possible que cette importance donne auproduit soit lie la manire dacheter des Africains en gnral74.

    Ainsi, le caractre pictural des publicits permet aux consommateursnon ou peu lettrs davoir accs linformation. Le positionnementdOrange, par exemple, qui ne montre aucun tlphone dans sespublicits, moins que la publicit porte sur une vente de terminal,peut donc paratre paradoxal dans ce contexte. Il est possible quecette position rende plus difficile la conqute de nouveaux marchsdans des zones plus rurales et moins lettres. Dans le mme temps,lintrt port la rputation de la marque et la construction dun ethique propre Orange peut rpondre la pratique de nombreuxAfricains qui, dautre part,inscrivent lacte dachat dans un processusde renforcement du lien social.

    Un morcellement spatialAbidjan, construite sur une lagune, est particulirement morcele(voir carte p.42). Le quartier des affaires, Le Plateau, est unepresqule relie la zone portuaire au sud et au quartier populaire deTreichville par seulement deux ponts et quelques navettes maritimes.Le quartier le plus peupl de la ville, Yopougon, est lui aussi spardu reste de la ville par un bras de mer. Il en rsulte que les axes decirculation de la ville (ponts, autoroutes urbaines), peu nombreux,sont trs emprunts, ce qui cre de lgendaires embouteillages mais

    70Samba Dankoco Ibrahima & Issa Harouna Ali, Les pratiques du marketing dansla petite entreprise au Sngal , Market Management, 2009/1 Vol. 9, p. 114,http://www.cairn.info/revue-market-management-2009-1-page-113.htm71Ibidem, p. 117.72Ibidem, p. 125.73 Myriam Tsikounas, La publicit, une histoire, des pratiques , Socits &Reprsentations, 2010/2, n 30, p. 201.74 Mireille Lecarme-Frassy, Marchandes dakaroises entre maison et march :approche anthropologique, Paris, LHarmattan, coll. tudes africaines , 2000,p. 60 ; Hlne Qunot-Suarez, Consommer dans un environnement incertain : leparadoxe des classes moyennes africaines , Note de lIfri, mars 2012, p. 17-26,www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7063

    http://www.cairn.info/revue-market-management-2009-1-page-113.htmhttp://www.cairn.info/revue-market-management-2009-1-page-113.htmhttp://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7063http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7063http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7063http://www.cairn.info/revue-market-management-2009-1-page-113.htm
  • 8/13/2019 Les panneaux publicitaires Abidjan: miroirs des marques, marqueurs des consommations. Publicit, consommation et banalisation culturelle dans une Afriqu

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    H. Qunot-Suarez / Les panneaux publicitaires Abidjan

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    favorise encore la publicit sur panneaux du fait du flux trs dense decitadins.

    Les plus grands panneaux et les plus internationaux sont surle front de lagune, au sortir des ponts et sur les trs grands axes, tels

    que le rond-point de la Solibra, passage oblig partir de laroport,au sud-est de la ville. Cest l que lon trouve par exemple la publicitMaggi prsente plus haut ainsi que de trs longs panneaux Coca-Cola, Orange ou Moov dont la taille est adapte aux dplacementsen voiture (Photo 16,p.43).

    Cette prolifration de panneaux sapparente unecolonisation visuelle de lespace urbain: il est impossible dchapper ces publicits et leur discours. Par ailleurs, outre lincitation laconsommation, elles constituent une privatisation, c'est--dire uneappropriation par les marques des paysages de la ville. Cette privatisation , nous le verrons, doit tre questionne.

    Dans les quartiers plus populaires, cependant, la situation estdiffrente. Dune part, le contrle sur les panneaux est moindre, cequi engendre des accumulations trs importantes de publicits. Parailleurs, ces publicits vantent des produits sensiblement diffrentsdu centre-ville : on trouve moins de tlphonie mais beaucoup plusdagro-alimentaire et de produits de beaut par exemple. Il faut noterpar ailleurs que ces publicits sont souvent anciennes (Photo 17,p.43)ou en mauvais tat (Photo 18,p.44), ce qui montre un manquede rgulation publique et peut-tre un manque dintrt desannonceurs pour des espaces non-internationaliss et peufrquents par les lites conomiques.

    Enfin, cest un point important, il existe des espaces o lapublicit semble manquer. Des panneaux existent, mais pas dans laproportion tout fait impressionnante du centre ville. Ainsi le marchdAdjam, alors que cest un des principaux du pays, comptequelques publicits, mais