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Les Études du CERI N° 123 - mars 2006 Les politiques de lutte contre le chômage à Shanghai depuis les années 2000 Anne Rulliat Centre d'études et de recherches internationales Sciences Po

Les politiques de lutte contre le chômage à Shanghai ... · été menés avec Qin Bei, Ren Yuan, Pu Xingzu, Yuan Zhigang, Lu Ming en juin 2004, puis de nouveau en octobre 2005

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LesÉtudesduCERI

N°123-mars2006

Lespolitiquesdeluttecontrelechômage

àShanghaidepuislesannées2000

AnneRulliat

Centred'étudesetderecherchesinternationales

SciencesPo

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Anne Rulliat

Les politiques de lutte contre le chômage à Shanghai depuis les années 2000

Résumé Durement touchée par les restructurations des entreprises d’Etat dès le début des années 1990, la municipalité de Shanghai est à l’avant-garde des politiques de lutte contre le chômage à tel point que l’on désigne souvent ses réussites par l’expression « le modèle de Shanghai » (Shanghai moshi). La ville connaît un chômage multiforme depuis le début des années 2000 : il ne concerne plus seulement les ouvriers des entreprises d’Etat, mais toutes les catégories de la population et notamment les jeunes. Partant de l’expression de « modèle de Shanghai », cette étude décrit la genèse du chômage à Shanghai et l’origine des mesures adoptées depuis plus de dix ans. Du chômage structurel massif des années 1996-1997 au chômage plus conjoncturel de ces dernières années, la municipalité a développé tout un arsenal de programmes en évolution constante. Parmi eux, on distingue des mesures propres au cas chinois, et adaptées à l’organisation de la société, mais aussi un grand nombre de mesures similaires à celles adoptées dans les pays de l’OCDE. Contredisant le discours libéral de marchandisation du travail, ces mesures témoignent d’un volontarisme étatique fort dans les politiques de l’emploi. Le maintien de la stabilité sociale joue ici le rôle de « mètre étalon » pour évaluer l’efficacité des politiques publiques.

Anne Rulliat

Shanghai’s Fight against Unemployment since 2000

Abstract The city of Shanghai, which has been hard hit by the various reorganizations of state enterprises since the early 1990s, is a forerunner in policies to battle unemployment, to the extent that its achievements are often referred to by the expression « the Shanghai model » (Shanghai moshi). The city has been experiencing a variety of forms of unemployment since the year 2000, affecting not only workers in state enterprises but all categories of the population, particularly young people. This study examines « the Shanghai model », first describing the causes of unemployment in Shanghai, and then tracing the development of the measures taken in the past ten years or so. From the widespread structural unemployment in the years 1996-1997 to the more contextual unemployment in recent years, the city has devised a whole array of measures that are constantly evolving. Some are specifically adapted to the organization of Chinese society, but a number of others are similar to those adopted in OECD countries. In opposition to the liberal discourse on the mercantilization of labor, these measures demonstrate a strong state voluntarism in employment policies. The preservation of social stability serves as a yardstick to gauge the effectiveness of these public policies.

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Lespolitiquesdeluttecontrelechômage

àShanghaidepuislesannées2000

AnneRulliatLamiseenplaced’une«sociétéharmonieuse»(hexieshehui)estdepuislafindel’année2004 le leitmotiv du discours politique chinois. Loin des idéaux d’égalité, une sociétéharmonieuseestavanttoutunesociétéstable.Lespolitiquesdel’emploietlesmesurespourcontrerlechômagesontcrucialespouratteindrecetobjectifalorsquelestensionssocialessontdeplusenplusexacerbées.Danscetteperspective,laquestionduchômageestunréeldéfipourlesdirigeantschinois.Lespolitiquesde l’emploietdumarchédu travailontpris leur essor enChine, etplusparticulièrement à Shanghai, dans les années 1990, années de rupture avec l’économieplanifiée, et de transition vers une «économie socialiste demarché», s’accompagnant delicenciementsmassifs.Pourfairefaceàcevéritablebouleversement,lamunicipalitédeShanghaiamisenplacedes dispositifs de prévention des éventuelles réactions violentes d’une populationmécontente. Le but du gouvernement était d’apaiser les conflits générés par une tellesituation.Aufildesannées,cesdispositifssesont transformésetmultipliés,pours’adapterauxnouvellescatégoriesdechômeurs.L’étudedespolitiquesdel’emploiadoptéesàShanghaiprésenteuntripleintérêt:d’abord,ellesont étéparticulièrementnombreuses et variées. Ensuite, cettemunicipalité témoigned’une certaine manière de l’ensemble des problèmes qui se posent en Chine : elle aégalementunevaleurprédictivepourlesgrandestendancesdel’emploidanslepays.

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Lavillesertenquelquesorted'indicateurdecequiestpossible,etdecequinel’estpas:onentendsouventdire,tantdelapartdechercheursquedecadresdelamunicipalité:«siShanghai n’arrive pas à résoudre un problème, alors, les autres régions de Chine n’ontaucunechancederéussir».Chauvinismeshanghaienouréelleefficacitéd’unemunicipalitéinnovante? Lesdeux sansdoute. Enfin,plusieursmesures testéesavec succèsàShanghaiontétéétenduesàd’autresrégions.Le phénomène du chômage en Chine est multiforme : le groupe des personnes sansemploi est en effet composé d’individus dans des situations très différentes. L’économiechinoise fonctionne encore de manière duale, par l'opposition ville/campagne enparticulier. Le système de livret de résidence (hukou) assigne les individus à leur lieud’habitation,empêchantlamobilitédelaforcedetravail.S’ils’estquelquepeuassouplicesdernièresannées, lehukou restecontraignant,et il est trèsdifficilepourunrésidentde lacampagnededevenirofficiellementunrésidenturbain.AShanghai,commedanstouteslesgrandesvillesdeChine,cettedualitéestàl’origined’unedifférencedestatuts,enparticulierentre les travailleursmigrantsoriginairesde la campagne,et les travailleursurbains.Cetteétudeneconcernequelesrésidentsurbains,maislaquestiondestravailleursmigrantsseratoutefois envisagée dans une perspective comparative, pour évaluer l’influence de leurprésencesurlechômagedesShanghaiens.Lesdispositifsmis enplaceàShanghaiparaissent résulter, enparticulier à leursdébuts,bien plus d’une succession empirique de problèmes inédits à affronter, que d’une idéeaprioridecequepourraitoudevraitêtrel’interventiondel’Etat.Audépart,cettedernièreselimite exclusivement aux employés licenciés des entreprises publiques. Ils constituent lepremier groupe de notre expertise. L’apparition, ces dernières années, du chômage desjeunesaobligélamunicipalitéàélargirlespectredesespolitiquesdel’emploietàtrouverdes remèdes aux nouvelles formes du chômage, et notamment celui des jeunes, quiconstituentledeuxièmegroupeauquelnousnoussommesattaché.Nous nous appuyons ici sur une enquête de terrain effectuée à l’école du Parti de lamunicipalité de Shanghai, qui forme les cadres et les fonctionnaires de la collectivité.L’enquête a d’abord permis d’interroger les participants à ces formations, cadres oufonctionnaires, en prise directe avec les réalités. Nous avons également participé à cesformations, qui abordent les thèmes importants des politiques actuelles, et de l’idéologieofficielle.Plusieurscoursontainsiabordélaquestionduchômage.Parailleurs,nousavonsmenéplusieursentretiensaveclepersonneldubureaudutravailetdelasécuritésociale,dela commission de l’éducation, et avec des chercheurs, qui nous ont permis d’enrichir etd’éclaircir les informations recueillies dans divers périodiques chinois ou dans despublications municipales sur ce thème1. Enfin, les témoignages de chômeurs sont venus

1LesentretiensmenésàShanghaiavecdescadresàchaqueéchelonadministratif(comitédequartier,bureaude rue, district, municipalité) ont été confrontés avec les analyses des chercheurs (Académie des sciencessociales, université Fudan et leurs publications) et les entretiens avec les chômeurs. Un certain nombre dechercheurs,etplusencoredefonctionnairesquenousavonsrencontréspourdesentretiensontdemandéàresteranonymes.Nous avons voulu respecter leur souhait, ce qui explique pourquoi dans cette Etude nous faisonssouventréférenceaux«chercheurs»,sanspréciserleurnom.Al’universitéFudan,desentretiensontnotammentété menés avec Qin Bei, Ren Yuan, Pu Xingzu, Yuan Zhigang, Lu Ming en juin 2004, puis de nouveau enoctobre 2005.A l’Académiedes sciences sociales de Shanghai, des entretiens avecM.ZhouHaiwanget sescollègues du Centre d’études sur la population ont été menés aux mêmes périodes. Des chercheurs etenseignantsdel’écoleduPartiontégalementétéinterviewésàl’été2004.

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compléter l’enquête.Politiques,chercheursetchômeurssont le terreaudece travail.Si lephénomèneduchômagetouchedesdizainesdemillionsdepersonnesdans lemonde,ets'il est devenu l’un des problèmes essentiels de tous les pays européens, le sujet resteextrêmementsensibleenChine,et les fonctionnairesde lamunicipalité répugnentà livrerdesanalysesdépassantlapropagande.Uncadrenousaainsidéclaré:«lorsqu’ondécritlesréussites et les échecs de nos politiques à un étranger, ce dernier écrit uniquement desarticlesconsacrésauxéchecs».Cetteremarquesoulignecombienlescadressontconscientsde l’ampleurduproblèmemaiségalementde leurspropres faiblesses. Il s’agitdedonnerunebonneimagedelaville,desauverlesapparencesfaceauxétrangers.LECHOMAGEASHANGHAI:UNPHENOMENEMULTIDIMENSIONNELLecontexted’apparitionduchômageenChine:entreinexistenceetfloustatistique•AbsencedechômageenChinecommuniste?Levocabulairepour«direlechômage»

Lanotionmêmedechômageaévoluéaufuretàmesuredel’avancementdelapolitiquede réforme et d’ouverture entamée en 1978, et elle tend à se rapprocher peu à peu desstandardsinternationaux,telsceuxduBureauinternationaldutravail(BIT).Danslesystèmed’économieplanifiéemisenplacedèslesannées1950,letravailétaitundroitetundevoirpourl’ensembledelapopulation.Lesdifficultésétaientdedeuxordres:d’unepart, l’organisationde l’allocationde la forcede travail entre lesdifférents secteursd’activités était inefficace; d’autre part, la productivité en subissait les conséquences, etdemeuraittrèsfaible.Ilyavaitlàungaspillagediffusdelaforcedetravail:lechômageétaitcaché. En 1958, la République populaire proclamait : «la Chine a complètement faitdisparaîtrelechômage».Acetteépoqueletermedechômagen’existaitpaspuisquechaquediplômésevoyaitattribuerunpostedetravailparlegouvernementetleconservaittoutesavie.Lesstatistiquesduchômagen’avaientdoncpaslieud’être.Pourtant,àlafindesannées1970,l’expression«enattented’emploi»(daiye)–signifiantquecettesituationnepeutêtrequetemporaire–fitsonapparition.Etaudébutdesannées1980, lorsque les jeunes instruitsenvoyésà lacampagnependant laRévolutionculturelleobtinrentl’autorisationderentrerdansleurvilled’origine,leproblèmeduchômageurbaincommençaàsefairesentir,notammentàShanghai.Lesystèmedecollectestatistiqueétaitencoreprimitif,maisondisposaitdéjàdequelquesévaluations du nombre de jeunes «en attente d’emploi» au niveau local. En 1985, leministèreduTravailcommençaàcollecterdemanièresystématiquelesstatistiquessurcespersonnes tandis que les chiffres des années précédentes avaient tous été publiés aposteriori.C’estaussiaudébutdesannées1980quelegouvernementcommençaàélaborerun système administratif à deux échelons pour «gérer» ces chômeurs. La fonction était

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double:ledénombrementdeschômeursetleservicepourl’emploi.Danslesannées1990c’est exactement ce système qui fut développé en multiples branches et échelons par lamunicipalitédeShanghai,permettant ainsiunquadrillagedecettepopulation sur leplanstatistiqueetsurleplandesservicesqu’elleluiavaitfournis.Sien1993,laChineremplaçal’expression «enattented’emploi»par le termede «chômage» (shiye, littéralement, «enmanque d’emploi»), plus conforme aux standards internationaux, laméthode de collectestatistique resta lamêmependant quelques années. Le calcul du taux de chômage ne sefondaitquesurlespersonnesquis’étaientfaitenregistrercommetellesauprèsdesservicesdutravaildubureauderue,maisladifférenceentrelespersonnes«enattented’emploi»etleschômeursétaitténue.Pourlespremiers,l’individusetrouvaitdansunesituationpassiveàl’égarddutravail:ilétaitsansemploi,ilattendaitdes’envoirattribuerun.Lesseconds,enrevanche,avaientperduleurtravail,maisilssetrouvaientparlaforcedeschosesdansunedynamiqueplusactive,caronneleurenattribueraitpasund’office:ilsdevraientchercherpareux-mêmes.Aux catégories de sans-emploi s’ajoute celle des xiagang, laquelle signifie littéralement«horsdesonposte».Cetermedésignelesemployéslicenciésdesentreprisespubliquesquiontthéoriquementmaintenuunlienavecleurancienneunitédetravailetbénéficientd’uneallocation. Ils sont pour ainsi dire au chômage puisqu’ils n’ont aucune chance d’êtreréintégrésdansleursanciennesfonctions.«En attente d’emploi», «au chômage», «hors de son poste», autant de termes pourdésigner les individus sans travail, disponibles et recherchant un emploi. Cescatégorisations, l’incertitude de leurs définitions, doublées d’un appareil statistique peufiable,constituentautantdesourcesdedifficultéspourcernerquantitativementlechômageenChine.•Uneévaluationproblématique

Dans les pays occidentaux, les controverses qui se développent périodiquement surl’évaluation du nombre de chômeurs, sur l’importance du chômage «camouflé» ou àl’opposé, des «faux» chômeurs, alimentent les débats politiques et les analyses deschercheurs.Silamesureduchômage,enFranceparexemple,faitl’objetd’approximations,d’erreursoudemanipulations,leproblèmeestencoreplusaiguàl’échellechinoise.AShanghai, lacollectestatistiques’appuiesur leséchelonsadministratifsde laville,dudistrict,dubureauderue,etducomitéderésidents(cartes1et2,figure1)2.Cettestructurepermetégalement la répartitiondes tâchesdans lamiseenplacedepolitiquespubliques.L’enregistrement du chômage se fait de manière volontaire auprès du bureau de rue quiétablitune listedeschômeurs àpartirdecesdéclarations.Ces informations sontvérifiéesparl’assistantd’emploi3quiestleresponsabledesquestionsdel’emploiauseinducomitéderésidents,àl’échelonleplusbas.Ilreçoitlalistedeschômeursenregistrésetvérifiesonexactitude dans son quartier. Les chiffres sont ensuite transmis au district puis à lamunicipalitéquipubliechaqueannéeletauxdechômage.Cettecollectestatistiquesemble

2Lescartes,figuresettableauxsontreportésenAnnexeàlafindel’Etude.

3Lerôledesassistantsd'emploiestdéveloppédanslatroisièmepartiedel'Etude.

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être assez fiable, mais elle se limite au chômage urbain enregistré, et ne donne qu’unevisionpartielled’unphénomènebeaucouppluscomplexe.Comparéeauxrestructurationsmassives des entreprises publiques à Shanghai, la croissance du taux de chômage estfinalementtrèsréduite(figure2).LacomparaisondestauxdechômageurbainenregistrésdansdifférentesvillesouprovincesdeChine révèlequemalgré les succèsqueShanghaidit avoir remportés sur le chômage,son taux demeure un des plus élevés. On peut envisager plusieurs explications à cela.D’unepart,lenombre importantd’entreprisespubliquesquiyétaientimplantéesexpliquele très grand nombre de personnes licenciées. D’autre part, l’existence à Shanghai d’undispositifdeprotectionsocialeplusavancéquedans lesautresprovincespoussepeut-êtreunplusgrandnombred’individusàs'yfaireenregistrercommechômeurs(tableau1).Par ailleurs,des évaluationsduchômagepar sondageouéchantillonnage sont réaliséesdepuis quelques années. Ces chiffres sont sans doute les plus réalistes, mais on trouvenéanmoins des disparités. Les rapports internes du bureau du travail de la municipalitédonnent les chiffres suivants: 7,8% en 2001, 7,84% en 2002 et 7,5% en 2003. Leséchantillons de personnes interrogées varient légèrement, et concernent environ20000individus.Lesmêmesévaluationsavaientétéréaliséessurunéchantillonde10%delapopulationlorsdugrandrecensementde2000.Letauxdechômageobtenuétaitalorsde9,66%,soitledoubleduchômageenregistré.Pourcetteenquête,lespersonnesdeplusde15ansayanteffectuéplusd’uneheurede travail rémunérédans lasemaineprécédentl’enquêteétaientconsidéréescommeayantunemploi.Leniveaurelativementélevédecetauxdechômageurbainréelrestedoncproblématique:ilsupposequetouteunepartdelapopulationpossédantunemploiprécaireouà tempspartielsoitconsidéréecommeayantunemploi.Cecritère,donnéparlamunicipalitépourdéfinirl’emploi,estauxantipodesdel’idée que la population shanghaienne se fait du travail. Ceux qui effectuent des «petitsboulots» d’une ou deux heures par semaine ne considèrent pas avoir un emploi. Lesmentalitésont certesévoluéàShanghai,mais l’idéed’un travail stable, comme ilpouvaitl’êtredansuneentreprisepublique,restelemodèlederéférencepourévaluerlaréalitéd’unemploi.Lescontroversesrécurrentessurlenombreexactdechômeursnesontdoncpasunproblème purement technique. C’est une question dont les termes varient selon lecontexte:les frontières entre emploi, chômage et inactivité se sont brouillées. A cescatégories s’ajoute la question du sous-emploi lié au travail temporaire, informel, etc.Nedonnantpastoujoursaccèsàunstatutdechômeurindemnisé,cessituationssontdifficilesàévaluer.Cettecollectestatistiqueaété formaliséepours’inscriredésormaisdansun«systèmedeprévisionduchômage»permettantd’anticiperaumieuxlesévolutionsdumarchédutravailet d’obtenir les taux de chômage les plus exacts possibles. Ce système a été instauréofficiellement à Shanghai en décembre 2001. Cette évaluation du bureau du travail estréaliséeencollaborationavecdescentresderecherchedepuisfin2005.Ces statistiques complètent les deux types d’évaluation existantes:celle du chômageannuelenregistré(quin’évaluelenombredechômeursqu’audernierjourdel’annéesanstenir compte des variations saisonnières) et celle réalisée tous les dix ans, lors durecensement national, par un échantillonnage de 1% de la population. Ce système deprévisions’accompagned’uneévaluationdutauxréelduchômageparsondageauprèsdedixmillefoyersdanssixbureauxderuedifférents.Cesystèmedevraitégalementoffrirdes

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statistiquesplusdétailléessurladurée–courteou longue–duchômageetsurceuxqu'iltouche–lesjeunesoulesactifslesplusâgés,etc.Lamiseenœuvresembleencoredifficile,notammentdupointdevuedelarégularitédesévaluations et des différents départements impliqués. Pourtant, une évaluation et desprévisionsplusexactespermettraientà lamunicipalitéd’êtreplusréactiveauxévolutions.En effet, alors que la municipalité a encore du mal à élaborer un modèle structuré dereprésentationduchômage,commentpeut-ellemettreenœuvredespolitiquesadaptées?•L’apparitionduchômageàShanghai:unhéritagedel’économieplanifiée

Shanghaiestunedesvilles lesplus importantesdeChine:c’est lebastionde l’industrieoù le nombre d’ouvriers est le plus élevé. Fin 2004, elle comptait une population de17millionsdepersonnes,dont13,5millionsdétenaientunpermisderésidenceshanghaien.Lavilleacompté jusqu’à90%d’employés travaillantdans lesentreprisespubliques.En1997,cechiffreétaitencorede67,3%.Oncomprenddoncbienpourquoilavilleaétésilourdementtouchéeparlechômagelorsdesrestructurations.Entre1990et1996,plusd’unmillion de personnes ont perdu leur «bol de riz en fer», leur emploi à vie. En effet, ladécision prise en 1993 de créer un système moderne d’entreprises a abouti à lamultiplication des «licenciements». Au milieu des années 1990, avant même que lesystèmedesécuritésocialesoitfinalisé,lesentreprisesdusecteurpublicontdûsedéfairedeleursemployéssurnuméraires,sanspouvoirnéanmoinslicencierleursemployéspurementetsimplementcommel’auraientfaitdesentreprisesprivées.Ilssontentrésdanslacatégoriedesxiagang,despersonnes«horsdeleurposte»etdanslesfaits,leursituations’apparenteàcelledetravailleursayantétélicenciés.Jusqu’en2001àShanghaiet2003ailleursenChine,nous l’avonsvu,ces licenciésdesentreprisespubliquesont fait l’objetd’unecomptabilitéséparée:nichômeurs,nitravailleurs.Enavril1995,leconseildesaffairesd’EtataapprouvélerapportduministèreduTravailsur le projet de réemploi, fournissant ainsi un cadre aux gouvernements locaux, auxentreprises et aux centres d’assurance sociale pour mettre en place des programmes decréation d’emplois et de formations. Ce cadre a constitué une étape importante de lanaissancedespolitiquesdel’emploienChine.Shanghais’estdonctrouvéeenpremièrelignedèsledébutdesrestructurations,dufaitdunombreimportantdesesxiagangetdesmesuresoriginalesqu’elleaadoptéespourtenterderemédier au problème. En fait, depuis l’apparition du chômage dans les statistiques desannées1980,lesmesuresprisesparlamunicipalitéconcernentsurtoutlesxiagang.Eneffet,onévaluequ’ilsreprésententuntiersdesemployésdesentreprisespubliquesoucollectives,soitenvironunneuvièmedelapopulationtotaledelaville.Lenombrecumulédexiagangà Shanghai a ainsi atteint1,6millionen2002, cequi témoignedu soucidesautoritésderemédieraurisqued’instabilitésociale.Dès les premières restructurations et jusqu’à aujourd’hui, nous l’avons dit, lesrecommandations des autorités shanghaiennes aux échelons inférieurs–directeursd’entreprises publiques ou responsables de districts–se sont résumées en unmot:«stabilité».NousavonsmenéplusieursentretiensàShanghaiquiontconfirmécetteantienne. Le directeur du département des finances du district de Xuhui précise que cedernierfinancelesmesuresdestinéesauxxiagangdudistrictdanslamesureoùl’entreprise

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qui les employait en relevait fiscalement. Les directeurs d’entreprises publiques enrestructuration disposent d’une assez grande latitude dans la mise en œuvre de cespolitiques, la seule exigence de la municipalité étant:«pas de manifestations» (bu zhunnaoshi).L’und’euxnousaexpliquéquel’ampleurdesmanifestationsplusoumoinshostilesetdesplaintesde leursemployésetouvriers influaitdirectementsur l’avancementde leurcarrière.Enfin,ilssontsoumisàdenombreusescontraintes,souvent liéesàcetteexigencedestabilité.Ainsi,leslicenciementsnedoiventseproduireniaumomentduNouvelanoude la fête du travail, ni pendant la tenue d’événements politiques importants. Selon ledirecteur d’une entreprise publique en cours de restructuration, les représentants desservicesdesdépartementsdelamunicipalitéconcernés(départementdubudget,bureaudutravail,départementdesbiensde l’Etat,etc.)viennent régulièrement les rappelerà l’ordre,mais ne leur proposent jamais de solution concrète. Leur responsabilisation semble doncêtreuneréalité,maisleslaissepourpartiedésemparés.Shanghai, par sa structure industrielle, est une des villes les plus touchées par cesrestructurationsetn’estpasépargnéeparlesmanifestationsviolentesd’ouvriersmécontents.Pourtant,globalement,elleréussitàmaintenirunesortedepaixsociale,quiluivautd’êtreérigéeenmodèleparlesdirigeantsnationaux,quiinvitentlesautresprovincesàl'imiter.Laréforme des entreprises d’Etat à Shanghai comporte trois étapes:la réaffectation desemployéssurnumérairesà l’intérieurde l’entrepriseoudansd’autresbranchesdugroupe,l’établissementdecentresderéemploipourpréparerlesxiagangàentrersurlemarchédutravail,etenfinl’inventiond’unenouvellecatégoried’individus:lesxiebao.LarestructurationdesentreprisespubliquesàShanghai•Laréaffectationdesemployéssurnuméraires

Lapremièrephasederestructurationdesentreprisespubliquesestthéoriquementlamoins«douloureuse»:elleconsisteà répartir lesemployéssurnumérairesen leursein. Ellesontsouvent été restructurées en liquidant les secteurs trop improductifs et en réorganisant lessecteurs concurrentiels en sociétés, et sont devenues de grands groupes industriels auxnombreuses filiales. La première étape consiste donc, dans la mesure du possible, àproposerdenouveauxpostesdanslessociétésfiliales.Lesemployéssignentalorsuncontratde travail (généralement à durée déterminée) avec la nouvelle société.Cette méthode derestructuration reste largement empreinte des modes d’action de l’économie planifiée etconsistesurtoutàencouragerlesentreprisesà«digérer»leursemployéssurnumérairesparelles-mêmes.Maisl’effetdecesprogrammesresteassezlimité.

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•Lescentresderéemploi

Enmatièredepolitiquedel’emploi,lapremièreinnovationdeShanghaiaétélacréationdecentresderéemploi,en1996.Cescentresontd’abordétécrééspourdeuxsecteurs-clésdel’industried’EtatàShanghai:letextileetleséquipementsélectriques.L’annéesuivante,l’expérienceaétéétendueàneufautressecteursindustriels.Financésselonlarègledestroistiers(untiersparl’entreprise,untiersparlamunicipalitéetuntiersparla«société»–lesfonds d’assurance chômage), ils sont établis soit par secteur d’activité, soit par secteurgéographique. Les xiagang y bénéficient de formations particulières pour retrouver unemploioucréeruneactivité.En1998, legouvernementcentrala reconnul’efficacitédesmesuresshanghaiennesetaencouragé toutes lesprovincesà imiter l’expériencepourgérer la transitiondesemployésentre leur ancienne unité de travail et la société. Selon une fonctionnaire du bureau dutravaildeShanghai, leur réussite s’expliquepar le faitque lescentresderéemploiontétéétablis en dehors des locaux de l’usine et en dehors de ceux de la municipalité. Le«divorce»entrel’entrepriseetlexiagangestainsiclairementétabli.Laconfusiondeslieuxdans les autres provinces chinoises (comme au Liaoning) expliquerait leurs nombreusesdifficultés.Sansconsidérercettesimplequestiondelocalisationcommelaclédusuccèsdescentresde réemploi àShanghai, il semblequ’ellene soitpasànégliger. Eneffet, l’aspectpsychologiquedelarelationdesouvriersàleurentrepriseestcapitalpourcomprendreleursréactionsfaceauchômageetleurscomportementslorsdelarecherched’unnouvelemploi.Les centres de réemploi sont conçus commeune étape de transition entre une forme depaternalismed’Etat et la «jungle»dumarché. Ilsn’ontpasvocationàdurer.AShanghai,tousontétéfermésàlafindel’année2001,commeprévulorsdeleurcréation.Lescentresd’autres provinces devaient fermer fin 2003, mais en 2005 la fermeture était encoreprogressive.Ilconvientd’êtreprudent:lasortieducentrederéemploinesignifiepasquelexiagangaretrouvéunemploi.Laformulerésumantleurdevenirestlasuivante:«ungroupeà la retraite,ungroupeguidé sur lemarché,ungroupedexiebao» (tuiyangyipi, youdaoyipi, xiebao yipi). Fin 2001, la répartition des xiagang sortant des centres était lasuivante:15%avaientatteintl’âgedelaretraite,35%avaientretrouvéunemploiet50%avaientobtenulenouveaustatutdexiebao.Ainsi,sansqu’unnouveau«bolderizenfer»n’ait été créé, la majorité des licenciés des entreprises d’Etat n’ont pas été véritablementabandonnésauxloisdumarché.•Alarecherchedesxiagang disparus:lesxiebao ,unesous-catégoriedexiagang ?

Siladuréedeviedescentresderéemploiestlimitée,lesemployésetouvrierslicenciésnedisparaissentpaspourautantaveclafermeturedescentres.Unenouvellecatégoriedesans-emploiestapparue,entrechômeursdéguisésettravailleursprécaires.La nouvelle étiquette que l’on attribue à certains xiagang est le xiebao. Ce nouveau«statut» et les mesures l’accompagnant ont, là encore, été initiés à Shanghai. Le termexiebao est l’abréviation de l’expression «maintien par accord des relations d’assurancesociale». Il se distingue de la dénomination «maintien des relations de travail», quis’appliqueauxxiagangordinairesdans lamesureoùcesystèmepermetdecouper le lienavec l’entreprise. Celle-ci paie en une fois à l’organisme d’assurance sociale les frais

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d’assurancemaladieetlescotisationspourlaretraitedel’employé,quin’estpasautoriséàretournerdanssonentreprised’origine.L’entrepriseetlamunicipalitéaccordentceprivilègeàcertainsxiagangpourlesrendreplusconcurrentielssurlemarchédutravail.Cetavantagen’est pas exclusif d’autres mesures:formations, programmes de réemploi, et en cas dedifficultésparticulières,obtentiond’uneallocationauprèsdudistrict.Toutefois,danschaqueentreprise,ilsfontl’objetd’unquotadiscutéenaccordaveclamunicipalité.Eneffet,untropgrandnombredexiebaoprovoqueraitundéséquilibredumarchédutravail,désavantageantles chômeurs ordinaires. Le xiebao doit répondre à des conditions d’âge:il concerne leshommesnésavant1957,etlesfemmesnéesavant1962.Lerèglementsurlesxiebaoestparuen1997.Chaquecasfaisaitl’objetd’unaccordentreles trois parties:l’ouvrier licencié, l’entreprise, et le centre de réemploi. L’esprit de cettemesureétaitderésoudrelesquestionsd’assurancemaladieetvieillessedesxiagangafindelesencourageràchercheruntravailpareux-mêmes,enparticulierpouroccuperuntravaildans le secteur informel, secteur qui, par définition, ne pouvait contribuer à l’assurancemaladieouvieillessedesesemployés.Cet ancien système de xiebao a été adapté en 2002. Fin 2001, lorsque les centres deréemploi ont disparu, la restructuration des entreprises publiques à Shanghai a étéconsidéréecommeglobalementterminée.Leslicenciementsàgrandeéchelleappartenaientcertes au passé, mais quelques entreprises avaient encore des employés et des ouvrierssurnuméraires«en stock».Théoriquement,cesouvriersdevaiententrerdirectement sur lemarchédutravailsanspasserparlacase«centrederéemploi».Poureux,lamunicipalitéaprévu un nouvel accord de xiebao, selon lequel les assurances vieillesse et maladie sontfinancées,àpartségales,parl’entrepriseetparl’employé.Enfait,larépartitionvarieselonles situations:elledépendenparticulierdescapacités financièresde l’entreprise.Commedansl’anciensystème,lasommeestverséeàl’organismedesécuritésocialeenuneseulefois;lemontantestfixéparledistrictetl’entreprise.Cesnouveauxxiebaon’obtiennentpasd’argent de la part du district dans le cadre de l’accord; ils n’ont accès qu’à des aidesrelevantdusecoursd’urgence,oudurevenuminimumencasdegrandesdifficultés.Malgrécetavantagequi les rendconcurrentielssur lemarchédu travail, tous lesxiebaon’ontpasretrouvéunemploi,etleurintégrationdanslesstatistiquessembleproblématique.Enthéorie,depuislafermeturedescentresderéemploifin2001,iln’existeplusdifférentescatégories de chômeurs et les xiagang ont «disparu», autant des textes que du discours(meiyouzhegegainianle).Officiellement,onnepeutappartenirqu’àdeuxcatégories:onestchômeur(shiye)ouenposte(zaiye).Enréalité,lesxiebaonesontpascomptabilisésdanslesstatistiquesduchômage.Defait,certainsontretrouvédutravail.Maiscettepopulationencore troppeuconcurrentiellesur lemarchédu travailn’apascomplètement réussiàseréinsérer dans une activité qui soit source de revenus stables. Les xiebao ne peuvent pasbénéficierdel’allocationchômage.Lorsqu’ilsnesontpassansemploi,cesontgénéralementdestravailleursprécaires.Alors que la «disparition» des xiagang, qui semblait relever d’une normalisation de lacatégorisation du chômage, aurait dû permettre une analyse statistique plus fine duphénomène,iln’enestrien.Lacatégoriedesxiebaoresteinsaisissable,carellecomprendautant d’individus ayant retrouvé un véritable emploi, que d’inactifs vivant des aides del’Etat,etenfindepersonnesoccupantdesemploisprécairesouàtempspartiel.La réforme du système d’emploi et la redéfinition des relations de travail font partieintégrante de la restructuration du secteur d’Etat. Des contrats de travail sont peu à peu

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signés entre les entreprises et les ouvriers. Dès lors, la question des licenciements desouvriersetdesemployésbénéficiantd’uncontratdetravails’inscritdansuncadrelégaletnenécessiteplusdemesuresdites «de transition». Le licenciéobtientunecompensationfinancièreproportionnelleàsonanciennetédansl’entreprise.Pourlesentreprisespubliques,l’ouvrier licencié a le choix:signer un nouvel accord de xiebao, ou obtenir uneindemnisationselonsonanciennetéetbénéficierdel’assurancechômageselonladuréedecotisation.Cesdeuxsolutionssontexclusivesl’unedel’autre.Danscenouvelaccorddexiebao,lesfraisd’assurancemaladieetderetraitesontfinancésenpartieparl’entreprise,enpartieparl’employé.Danslesfaits,sil’entrepriseestriche,ellepaiel’intégralitédelasomme,sinon,ilarrivequel’employés’enacquitte.Maiscenouveaucontratsoulèvedenombreusescontestations:sil’employémeurtavantl’âgedelaretraite,les familles réclament qu’on leur rende les sommes versées; d’autre part, l’assurancemaladiedesenfantsn’estpasinclusedanslenouveauxiebao.Enfin,certainsemployésquiontchoisidecoupertouterelationavecl’entrepriseetpréférépartiravecunepetitesommed’argent regrettent enpartie leur choix. Eneffet, lapréparationde l’Expositionuniversellequi se tiendraàShanghaien2010 faitaugmenter leprixdu foncier. Lamunicipalité rasecertainesusinesetcèdeleterrainàprixfort.Lesanciensemployésontl’impressiond’avoirétéflouésetréclament«leurpartdugâteau».Leursrevendicationsconstituentunemenaced’instabilitépourlamunicipalité.Comme les centresde réemploi, les accordsdexiebao sontundispositif transitoirequiprendrafinlorsquelapopulationconcernéeatteindral’âgedelaretraite.Bienqu’ellesoitdemoins en moins nombreuse, elle reste une des cibles principales des politiques destimulationdel’emploiàShanghai.Larécenteapparitionduchômagedesjeunes•Unphénomènedifficileàadmettrepourlamunicipalité

En Chine, et à Shanghai en particulier, lorsqu’on aborde le sujet du chômage et despolitiques publiques mises en place pour le résorber, on pense surtout aux xiagang:desquadragénairesetquinquagénaires,pluscommunémentappelésles«40-50»4.Pourtant,audébutdesannées2000,lapresseacommencéàfaireétatdecasdechômagedesjeunes.Ils’agissaitalorsd’unphénomèneencoremalcernéetrarementchiffré.Ilafalluattendrequelquesannéespourdisposerdesprofilsdecesnouveauxchômeurs:desjeunespeu qualifiés d’une part, et des diplômés de l’université d’autre part, ces derniers étantparadoxalementbeaucoupplusétudiés.Lapressedésignecenouveaugroupedepopulationpar l’expression «20-30». Il arriveégalementque leschercheurs l’emploient.Enrevanche, les fonctionnairessoulignentqu’ils’agitd’unusageabusifetqueleurssupérieurseninterdisentl’emploi.Eneffet,l’expression40-50étantdevenue trèspopulaire, l’additiondes20-30donne l’impressionque,de l’âge

4Cetermedésignelesfemmesâgéesde40à49ans,etleshommesâgésde50à59ans.

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de sortie du système scolaire à celui de la retraite, toute la population shanghaiennerencontre des difficultés pour trouver un emploi. Cette formule n’est donc pas employéedanslediscoursofficiel.Si le chômage des xiagang est un phénomène notoire dont l'ampleur est égalementreconnuepar lamunicipalité, cettedernièreconsidère leproblèmecomme transitoire. Lephénomèneestmissurlecomptedeserrementsdelapolitiqueéconomiquedupassé.Leproblèmeduchômagedesjeunes,enrevanche,révèle lesdysfonctionnementsdumarchédu travail actuel, l’inadaptation des formations, ou des problèmes de société dus àl’applicationduplanningfamilial.Ilnepeutêtreattribuéauxaléasdel’économieplanifiée.Il révèle également l’absence d’une stratégie globale pour traiter le chômage:lamunicipalitéestcertesréactivefaceauxnouvellesdifficultés,maisellen’anticipepas.Alorsqu’elle croyait avoir résolu la question des xiagang, elle s’est laissée «surprendre» par lechômagedesjeunes.Lesrapportsofficielslaissentencorerelativementpeudeplaceàcenouveauphénomène.Un rapport internede laCCPPC5de lavillepublié en2004et traitant spécifiquementdel’emploiàShanghaiconsacreàpeinequelques lignesàcenouveautypedechômage,quisoulignentquelechômagestructureldes40-50commenceàs’atténuer,etqu’ilseraittempsdesepréoccuperduchômagedesplusjeunes.Ilestd’autantplussurprenantquecerapportn’étudiepasdavantage laquestion,qu’ilaétépubliéaumomentoù lesmédias rendaientcomptedeplusenpluslargementdecephénomène.•Uneoriginedémographique?

La principale difficulté rencontrée pour évaluer le chômage des jeunes réside dans ladéfinitionduterme«jeunes»afindepouvoircomparerlesdonnées.Lestranchesd’âgedespopulationsétudiéesvarient:20-39ans,moinsde35ans,13-35ans,20-25ans,ouencore15-35ansselon ladéfinitionduBureaunationaldelastatistiquechinois.D’autressourcesévoquent simplement «les diplômés», accentuant encore le flou de la définition.Or cesgroupesrecouvrentdesprofilstrèsdifférents.Eneffet,dansungroupede«jeunes»de15à35ans,ontrouvedesindividussortantdusystèmescolairesansdiplôme,desdiplômésdel’enseignementsupérieur,ainsique,etc’estcequibiaisel’analyse,desjeunesxiagang.Cethèmeduchômagedesjeunesestapparudanslesmédiasaudébutdel’année2000,dateàlaquelleils’estaggravé.Alafinde2001,40%duchômageenregistrétouchaitdesindividusde16à25ans,alorsqu’ilsnereprésentaientque30%delapopulation.A Shanghai, le problème tire en partie son origine du mini baby-boom du début desannées1980,liéauretourenvilledesjeunesinstruits:leurrelégationdanslescampagnesjusqu’à la fin des années 1970 avait en effet différé mariages et installations dans la viefamiliale.Lamiseenœuvredelapolitiquedeplanningfamilialdatedecetteépoqueetlesannéessuivantesontconnuunreculnetdunombredenaissances.Lechômageactueldesjeunesseraitd’aborddûàlastructuredelapopulation:legrandnombrede jeunesdiplômésnepeutêtre absorbépar lemarchéde l’emploi.Vu souscetanglestrictementstatistiqueetmécanique,cechômagenesauraitêtreunproblèmedurable.

5Conférenceconsultativepolitiquedupeuplechinois.

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D’après les chercheurs, à l’exception des années 2000-2003, où la population active aencorenettementaugmenté,latendanceestplutôtàlabaisse.Apartirde2006,lenombrede Shanghaiens en âge de travailler commença à baisser. En effet, la ville connaît undéveloppementsimilaireàceluidecertainspaysoccidentauxetelleestlaseuleenChineàprésenterunaccroissementnaturelnégatif. Lapopulationyestdoncvieillissante. Si cettesituation inquiète les chercheurs à cause des phénomènes liés au vieillissement de lapopulation(notammentlefinancementdusystèmedeprotectionsociale),ilestplutôtbienaccueilli par les analystes du chômage, selon lesquels cette réduction de la populationactiveœuvrera«naturellement»pouruneréductionduproblème.Cette caractéristique est propre à Shanghai:à l’échelle du pays entier, la pression surl’emploi est encore extrêmement forte et l’économiste Hu Angang considère qu’elle nes’atténuerapasavant20206.La réduction de la population active étant une manière de réduire cette pression, lerecours à la préretraite (neitui) est assez fréquent, tant pour licencier des employéssurnumérairesquepourlaisserdesplacesauxjeuneschômeurs.AShanghai,cettecessationanticipéed’activité, loind’être interprétéecommeunavantage social, relèveen faitde lalogique d’exclusion. La baisse du niveau de leurs revenus conduit les jeunes retraités àoccuperdesemploiscachés.Unexempleintéressantnousaétérelatéparuneemployéedel’universitéFudan.Aprèsavoirtravaillépendantvingtansàl’accueildesétudiantsétrangers,elleaétéencouragéeàquittersonemploipourlaisserlaplaceàdejeuneschômeurs.Sonsalaire s’élevait à 1200yuans par mois, et elle bénéficiait en outre de 700yuans deprimesdiverses.Aprèsavoirprissapréretraite,elleperçoit1200yuansparmois.Lecentredesétrangers a recrutépour la remplacerde jeuneschômeurspayés700yuansparmois,pourdescontratsdecourtedurée.Ces jeunesnon formés s’adaptentdifficilement à leursnouveaux postes, entraînant ainsi un turn-over important du personnel. Dans le mêmetemps,lapréretraitéeatrouvédutravaildansuneagenceimmobilière,quiluiapportedesrevenus plus confortables. L’ampleur de phénomènes similaires n’est sans doute pasnégligeableetcontribueaudétournementdesmesuresmisesenplaceparlamunicipalité.Elle permet certes de réduire le chômage apparent, mais elle conduit à une doubleprécarisation:celledesjeunesretraitésd’unepart,etcelledeschômeursleursuccédantdel’autre.Maisconfrontéàcetexemple,un fonctionnairedubureaudu travailsoutientqu’iltémoigne au contraire de la véritable marchandisation du travail. Selon lui, les jeuneschômeurs employés reçoivent le salaire exact correspondant à leur emploi, jusque-làsurvalorisé!•Lechômagedesjeunes:êtrediplôméounepasl’être

Aujourd’hui, d’après les statistiques, le chômage touche tous les jeunes, qu’ils soientdiplômésounon.Maisunegrandeconfusionrègnedanscedomaineentrelesstatistiques,lediscours,etlaréalité.D’aprèslesfonctionnairesdubureaudutravailetdelacommissionde l’éducation, le chômage des jeunes peu ou pas diplômés ne pose pas de vraiproblème.Selon eux, ceux-ci entreraient directement en concurrenceavec les travailleurs

6HuA.(2002):13.

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migrants pour les emplois simples et trouveraient facilement du travail, pour peu qu’ilsveuillent bien en accepter les conditions. Or selon nos observations sur le terrain, il nesemble pas que les jeunes Shanghaiens soient prêts à effectuer les travaux généralementlaissésauxmigrants.Unargumentavancéàplusieursreprisesestlesuivant:ilsontgrandidansuncontextebiendifférentdeceluiqu’ontconnuleursparents,celuidelaréforme.Cesderniers, ayant connu toutes les vicissitudes du régime, préfèrent entretenir leur enfant(unique laplupartdu temps),plutôtque levoiroccuperunposte «dégradant».Plusieursjeunesquenousavonsrencontrésetquiontvécuunepériodedechômagedéclarentêtre«restés à la maison» sans se faire enregistrer comme chômeurs auprès des services dubureau du travail:obtenir une faible allocation demande d’effectuer de nombreusesformalités.Dèslors,lechômagedesjeunesestrarementenregistré.Parailleurs,desenquêtesdeterraineffectuéespardifférentschercheursconfirmentquelafaiblesseduniveaudeformationconstituebienunhandicappours’insérersurlemarchédel’emploi.Ainsi,uneenquêteeffectuéeen2001dansledistrictdeZhabei(oùprèsde50%deschômeurssontdesjeunesdemoinsde25ansalorsquecettetranched’âgecorrespondàpeineà20%delapopulationdudistrict)montreque37,4%d’entreeuxontunniveaucollègeouinférieur,52,8%sontdesdiplômésdecollègesetlycéesprofessionnels,6,8%sont diplômés d’un lycée d’enseignement général, et seuls 3% ont fait des étudessupérieures7. Les recherches de l’Académie des sciences sociales confirment ces chiffres.Toutefois, la tendanceà l’augmentationduniveau d’étudesdeschômeurs estbien réelle.Mais il demeure que le niveau de formation est inversement proportionnel au taux dechômage.D’après le recensement de 2000 effectué à Shanghai, le taux de chômage desétudiantsdiplômésdesecondcycle(2,89%)estinférieuràceluidesétudiantsdiplômésdepremier cycle (3,39%), lui même inférieur à celui des étudiants diplômés des filièrescourtesdel’enseignementsupérieur(6,22%)8.Pourtant, la question du chômage des diplômés de l’université est abordée de manièrebeaucoupplusouverte,carsileproblèmeestréel,ilestd’unecertainemanièreplusflatteur.AShanghai,plusde98,5%d’uneclassed’âgeentreàl’écolesecondaire,etplusde50%àl’université,cequiplace lavilleauxpremiers rangsdesstatistiques (en2002, lamoyennenationaleétaitde15%).Pourfairefaceàl’augmentationdunombred’étudiantsarrivantàl’âged’entrée en faculté, lesuniversitésontélargi le recrutementen1999.L’année2003marque l’arrivée sur le marché du travail de ce premier groupe d’étudiants. Certainschercheurs ont critiqué cet élargissement, selon eux inapproprié dans la mesure où lemarchén’arrivepasàabsorbercettemaind’œuvreexcédentaire.Onad’ailleursvuà son sujet réapparaître l’expression «enattented’emploi»qui avaitdisparu. Elle n’apparaît pas dans les statistiques officielles mais on trouve dans la pressel’expression«jeunesenattented’emploi» (daiyeqingnian). Lacommissionde l’éducationl’utiliseofficiellementpourlesdiplômésdel’annéedontellealacharge.Cettecommission 7«Qingnianshiyeduizhiyejiaoyuqishi:Shanghaizhabeiqushiyeqingniandediaochafen»(Laformationprofessionnelleetlechômagedesjeunes:enquêtedansledistrictdeZhabei),inJiaoyufazhanyanjiu(ExploringEducationDevelopment),n°8,2003.

8 Environ 100000 étudiants sortent chaque année des 55 établissements d’enseignement supérieurshanghaiens:37000diplômésdeformationscourtes,48000diplômésdepremiercycleet15000desecondettroisièmecycles.

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amis enplacedébut2004, à titre expérimental,unenregistrementdes jeunes enattented’emploi(daijiuyedengji).Eneffet,unétudiantdiplôméenjuinetnetrouvantpasd’emploin’est pas comptabilisé immédiatement dans les statistiques du chômage. Il est considérécomme étant en attente d’emploi jusqu’à la fin de l’année civile. Pour la commission,l’expressiondésignedonc«undiplômédel’enseignementsupérieurayantlavolontéetlescapacitésd’occuperunemploimaisn’enayantpasencore trouvéun; il se trouveàuneétape transitoire entre l’écoleet la société, cen’estpasdu “vrai” chômage»9.A la findumois de décembre, s’il n’a toujours pas trouvé d’emploi, il entre dans les statistiques duchômage enregistré (dengji shiye). Cette définition laisse l’observateur pour le moinsperplexedans lamesureoùlafrontièreentrel’individuenattented’emploietlechômeurestextrêmementmince10.Maiscesnuancessémantiquessontsignificativesdelaperceptionqu’ellesrévèlent.Traduisent-ellesunevolontéde«minimiser»unproblèmegrandissantenle cachant sous cette dénomination, ou plutôt une volonté de traiter différemment cenouveaupublicdechômeursetdemettreenplacedesdispositifsspécifiquesencréantunecatégoriedeplus?Ilestencoretroptôtpourinterpréterlamanièredontlamunicipalitévaagir pour lutter contre ce chômage d’un nouveau type. La mise en place de stagesprofessionnelsdécriteplusloinestpourlemomentlaméthodeprincipaledeluttecontrelechômagedesjeunes.Ellemetencausel’inadaptationdesformationsaumarchédutravail,notammentlaformationofferteparlesécolesprofessionnelles.Lesautresrecommandationsconcernent surtout l’éducation et le changement desmentalités car tant le mondeuniversitairequelescadres(fonctionnairesouhommespolitiques)tendentàmettreencausel’étatd’espritdesjeunesShanghaiens,quiestpoureuxinadaptéaumarchédutravail.Peuqualifiés, sans expérience, ils attendent d’obtenir des postes valorisants, bien rémunérés,quelemarchénepeutleuroffrir.C’estpourquoilesagencespourl’emploiontpourprioritéd’expliquer,deguideretderaisonnerlesjeuneschômeurs.Orsilaquestiondesmentalitésn’est pas négligeable, on peut douter que des leçons de morale résolvent les véritablesproblèmesdumarchédel’emploi.

9EntretienavecM.WangYadong,commissiondel’éducationdeShanghai,le17juin2004;voirégalementl’articledu20février2004dujournalshanghaienWenhuibao.

10Dans lesdeuxcasquoiqu’il en soit, il ne toucheaucune indemnitépuisque lemontantde l’allocationchômagedépenddeladuréedescotisations,commenousleverronsplusloin.

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NAISSANCEDEPOLITIQUESPUBLIQUESUn rapport de laCCPPCde Shanghai11 définit de nouveau lamarchandisation commel’objectifdesréformes,leurbutultime.Seloncerapport,lemarchédutravailestquasimentinstauréàShanghai,etleshabitantsdelavilleontglobalementacceptécetteidée.Pourtant,loindes’enremettreàuneprétendue«maininvisible»,lamunicipalitéamisenplacedespolitiquesvolontaristespour«guider»lessans-emploietlesaideràretrouverdutravail. A l’instar des dispositifs mis en place dans les pays de l’OCDE, la municipalité aétabli une série de mesures actives et passives destinées aux chômeurs. Ces mesurescomportent des spécificités propres à la ville bien qu’elles s’inspirent de pratiquesétrangères.L’unedesparticularitésdel’expérienceshanghaienneentermesdepolitiquedel’emploiestlaresponsabilisationdetousleséchelonsadministratifsdanslaluttecontrelechômage,de sorte qu’en 2000, la municipalité de Shanghai a mis en place un système deresponsabilité gouvernementale de stimulation de l’emploi (cujin jiuye de zhengfu zerentixi). Ce système est né avec l’objectif de création nette de 300000 postes en trois ans(2000, 2001, 2002). En 2003 et 2004, les objectifs étaient respectivement de 400000 et500000. Quels que soient le résultat et l’appréciation des observateurs à l’égard de cescréationsd’emploi, ilapparaîtque lamunicipalitédeShanghai imprime samarqueà tousles nouveaux dispositifs. Ce système de responsabilité se manifeste surtout parl’établissement d’objectifs à atteindre. Fixés par la municipalité, leur réalisation et leurfinancement sont en général confiés aux districts et aux bureaux de rue. Lamunicipalitérépartitlesobjectifsentermesdenombredecréationsdepostesàatteindreannuellement,selon la situation de chaque district. Cela donne à la politique de l’emploi un «goût deplanification». Précisons que tous les types d’emplois sont comptabilisés:les emploisinformels,lesemploiscréésparlegouvernement,lesemploisdanslesentreprisesprivées,lesemploisdanslesentreprisesàcapitauxmixtes.La question du financement des politiques de l’emploi est un point crucial etparticulièrementdifficileàéclaircirtantlessourcessontvariées.Malgréunentretienréaliséau département des finances, il nous a été impossible d’avoir une vue d’ensemble de larépartitiondesdépensesconcernantl’emploi.Eneffet, suiteàlaréformeadministrativede1997 (deux niveaux de gouvernement, trois niveaux de gestion), les niveaux locaux ontobtenuplusd’autonomie.Cettedécentralisationdupouvoirs’estdoncaccompagnéed’unedécentralisationdesfinances.Lesdistrictsetlesbureauxderuedoiventdésormaisfinancerlespolitiques(notammentdel’emploi)décidéesparlamunicipalité.Cettedernièreinventeles politiques, et le district doit lesmettre enœuvre. L’existence de plusieurs règlementsdéfinissant le fonctionnement et le financement des dispositifs de stimulation de l’emploiparticipe de la confusion due à la multiplicité des sources de financement:un «fondsspécialpourstimulerl’emploi»estalimentéparlebudgetdudistrict,lefondsdestimulationde l’emploi de la municipalité, et «d’autres sources». Le directeur du département des

11Rapportsur«L’expériencedeShanghaipourstimulerl’emploi»,documentàdiffusionlimitée,nonpublié,2004.

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finances du district de Xuhui s’avère incapable de donner la proportion de son budgetconsacrée à l’emploi et au chômage. D’une part, il semble que la répartition soitparticulièrement complexe car provenant de divers canaux. D’autre part, ces chiffres dubudgetsontenpartiesecretsenraisondelacompétitionentrelesdistricts.Eneffet,suiteàladécentralisation,chaqueéchelondoitobtenirlui-mêmesonfinancementparlacollectedesimpôts.Entermesdestimulationdel’emploi,chaquebureauderuecontribueactivementàattirerlesinvestissements,encouragerlesentreprisesàs’installeretdonccréerdesemplois.Lesresponsablessemblentvouloiréviterqueleursvoisinsconnaissentlesmoyensdontilsdisposent.Dans lamesureoù lesdistrictsont tousdescapacités financièresdifférentes, ilsbénéficientd’unecertainelatitudedanslamiseenplacedesprogrammes.Leprogrammedestagesprofessionnelspourlesjeunesillustrecettesituation:ledistrictdeXuhui,plusricheque les autres, complète le dispositif en offrant 100yuansmensuels supplémentaires auxstagiaires.Il semblerait que 10% des finances de ce district soient directement consacrées auxquestions de l'emploi et du chômage. Ce chiffre ne comprend pas l’argent donné auxbureauxderuepourlesservicesdel’emploi,l’argentprovenantdesdiversesfondations,lesaidesponctuellesattribuéeslorsduNouvelan,etc.Globalement,onpeutdirequeledistrictfinance les programmes de stimulation de l’emploi:salaires, formations, etc. Cettedécentralisation des tâches a permis de responsabiliser chaque échelon administratif etd’accroîtrel’efficacitédelamiseenœuvredesmesuresdeluttecontrelechômageetd’aidesociale. Néanmoins, cette organisation comporte également des inconvénients. Elle aprovoqué une certaine rivalité entre les districts, chacun cherchant à réinsérer «ses»chômeursou«ses»xiagang surlemarchédel’emploi,accentuantalorslesdifférencesdetraitement des chômeurs d’un district à l’autre et le manque de cohérence globale dudispositif.DespolitiquesactivesvariéesLespolitiquesdel’emploiontpourvocationdefaciliterl’accèsouleretouràl’emploidepublics «en difficulté». A Shanghai comme ailleurs, ce public en difficulté estessentiellement constitué de deux groupes:les xiagang-xiebao et les jeunes. Comme laquestion des jeunes n’a été prise en compte que tardivement, les mesures qui leur sontdestinées sont encore peu nombreuses et touchent un public restreint, alors que lespolitiques visant les chômeurs plus âgés sont beaucoup plus variées. Cependant, latendance est à la généralisation des mesures préférentielles:les dispositifs mis en placeaujourd’hui sont accessibles à tous alors qu’ils étaient auparavant réservés à des groupesparticuliers(lesxiebaooulesjeunes).Les politiques actives de l’emploi sont «dégressives» en fonction des compétences deschômeurs.Lepublicayantlemoinsdedifficultésprofiteenprioritédes indicationssurlespostesdisponiblesetd’uneaidepourretrouverunemploi.Ladeuxième sériedemesuresconcernedesformationsprofessionnalisantesayantgénéralementpourvocationd’aideràlacréation d’entreprises. Pour les personnes ayant encore plus de difficultés, en particulier

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celles qui ne disposent pas de fonds propres, la municipalité a mis en place les«organisationsinformellesdutravail».Enfin,pourlespersonnesnepouvants’intégrerdansaucun des programmes, la municipalité a «inventé» des emplois dans les organisationsd’intérêtpublicqu’ellefinance.L’organisationdespolitiquesactivesàShanghainesemblepass’articulercommedansdespayscomme laFrance,où l’ondistingueclairement lesmesuresdu secteurmarchanddecelles du secteur non marchand. Ici, les mesures adoptées semblent essentiellementdestinéesau secteurmarchand,mais laplupartdes services fournis sont «achetés»par lamunicipalité.Onconstatedoncune formedechevauchementdesdispositifs, cequi rendleur hiérarchisation particulièrement ardue. Cet ensemble de mesures révèle surtout lesinvestissementsconsidérablesdelavillepourcréerdel’activitépourleschômeurs.•L’aideàlacréationd’entreprise:lesorganisationsinformellesdutravail

Leprogrammedesorganisationsinformellesdutravail(feizhengguilaodongzuzhi)estundes projets phares de la municipalité de Shanghai et a attiré l’attention du Bureauinternationaldutravailquiapubliéplusieursrapportssurcedéveloppementdel’économieinformelle à Shanghai comme moyen de contrer la montée du chômage12. L’expression«modèle de Shanghai» reprise dans la presse chinoise et par les instancesgouvernementalespourexhorterlesautresvillesàimitercetteexpériencevientd’ailleursduBIT. Tous les fonctionnaires du bureau du travail de Shanghai ont à cœur de rappelerl’intérêtquecetorganismeaportéauxréussitesdelaville.L’expression d’emploi informel est apparue dans les textes relatifs à Shanghai en 1996.Plusprécisément,enoctobre1996,lorsquelebureaudugroupedirecteursurlesquestionsderéemploideShanghai (Shanghaishizai jiuyegongcheng lingdaoxiaozubangongshi)apublié les «Recommandationsà titreexpérimental pourencourager lesxiagang à exercerdes activités informelles». Les organisations informelles concernent essentiellement lesservicesdeproximité (shequ fuwu) et lesentreprises familiales (jiatinggongye).Au fildesannées, leconcepts’estpréciséets’estaccompagnéd’ungrandnombredemesurespourfaciliterleurmiseenœuvre.Le terme même «d’informel» est problématique à Shanghai, dès lors que ce pan del’économie fait l’objet de soutien, de règlements et de surveillance de la part del’administration. Certes, ces organisations informelles du travail ne sont pas enregistréesauprèsdubureauducommerceetdel’industriecommetouteentrepriseprivée,etnepaientpasdetaxes,maisleurexistenceestencadréeetdeplusenplusnormalisée.Ellesn’ontrienàvoiravecceszonesgrisesdel’économie,quiexistentparailleursenChine,etquiflirtentavecl’illégalité.Enfait,l’emploiinformelshanghaienseraitplusprochedecequ’onappelleenFranceles«emploisatypiques»(tempspartiel,CDD,intérim,etc.).Lesorganisationsinformellesdutravailbénéficientd’unesériedemesurespréférentiellesdugouvernementpourfavoriserleurcréationetassurerleursuivi:-ellesbénéficientd’unecouverturesocialegrâceàdescotisationsinférieuresàcellesdusecteurformel;

12Howell,2002.

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-ellessontexemptéesd’impôtspendanttroisans;-lamunicipalitéproposedessessionsdeformationgratuitesselonlesbesoins;-la municipalité se porte garante des prêts contractés pour créer une activité, pour unmontantmaximalde500000yuans. La sommequ’il estpossibled’emprunterdépenddunombredepostescréés;-en 2000, un groupe de 500 «experts» bénévoles, organisé en coopération avec ledépartement de la propagande, a été mis en place pour apporter soutien et conseil auxcréateursd’entreprise.Ces500spécialistesétaientà70%despatronsd’entreprisesprivées,ayantexpérimentélesmêmesdifficultés.Ledéveloppementde l’économie informelleposeunevraiequestion idéologique.Cettenouvellemanièredecréerdesemplois–quenousdevrionsplutôtqualifierd'activités–visesurtoutunpublicdexiagang,auquelilestdifficiledefairecomprendrequ’unemploidansle secteur informel est aussi un emploi. Aujourd’hui, les fonctionnaires arguent queShanghaidoitsaréussiteauchangementdementalitédesapopulation.Plusieursentretiensavec d’anciens xiagang traduisent cependant plus une résignation(«nous n’avons pas lechoix»,«ilfautbienmanger»)qu’uneadhésioncomplèteàleurnouveaustatut.Pourtant,selonlestextes,l’aideaccordéeàcesorganisationsinformellesesttransitoire:lebutultimeestquecesnouvellesactivitésrejoignentlesecteurformel.Maisilsembleencoremanquer un «pont» entre l’informel et le formelcar d’après la publication du BIT citéeprécédemment, seules 25%des organisations informelles auraient réussi à se reconvertirdans le secteur formel en 2001. Ce chiffre diffère sensiblement d’un rapport interne dubureaudutravaildeShanghai,selonlequelletauxdetransformationétaitde3%en2000et3,6%en2001.Lamajoritédesprojetsontéchouéàsetransformerenpetitesentreprises,etuntiersontfait faillite. Cette proportion est très proche de celle observée dans le secteur formel. Lesdifficultés résident essentiellement dans le manque de formation de ces petits patronspotentielsquin’ontpourlaplupartaucuneconnaissanceengestion,sanscompterquelesaidesapportéesnesontpastoujourssuffisantes.Quoiqu’ilensoit,encasd’échec,autermedes trois ans, il est possible de postuler une nouvelle fois, et il est relativement faciled’obtenir de nouveau tous les avantages. En cas de reconversion réussie dans le secteurformel,peud’entreprisespayentlestaxes,etellesbénéficientdel’indulgencedesservicesdelamunicipalité.Lerésultatdecedispositifestdoncmitigé,maisdupointdevuede lastabilité, l’objectifestatteint.Plusieurs fonctionnairesconcèdentque finalement le résultatimporte peu:les chômeurs sont «occupés», ce qui contribue à maintenir la stabilité.Finalement, le gouvernement dépense plus pour «occuper» les chômeurs que s’il leurdonnaitunesimpleallocation.Eneffet,laplupartdesprojetsnepeuventsetransformernirésister sans soutiengouvernemental. Lamunicipalité investitdoncdanscedispositif sanssouciderentabilité.Si les organisations informelles du travail sont lamesure phare de lamunicipalité pourlutter contre le chômage, il reste des mesures plus classiques telles les subventions àl’emploi.Ils’agitd’unepartd’aidesàlacréationd’emploisproprementditedanslesecteurformel, et d’autre part de la réinsertion des chômeurs. En 2003, un règlement de lamunicipalité a disposé qu’une subvention de 2000yuans par an serait accordée à touteentreprise offrant un contrat de plus d’un an à une personne en grande difficulté pourtrouverunemploi(jiuyetekunrenyuan).S’ils’agitd’unchômeurenregistré,2500yuansde

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plusserontoctroyésautitreduremboursementdesfraisdesécuritésociale.Ledistrictoffreenoutreuneindemnitédetransportetderepasàcenouveautravailleur.Lesxiebao,décritsplushaut,étaientvraisemblablementlesciblesprincipalesdecedispositif.Pourtant,lestatutdexiebaoestensoiuneformedesubventionàl’emploicarilréduitlecoûtdutravail.Lesentreprises privées semblent particulièrement apprécier cette main d’œuvre bon marché.Uneenquêteréaliséeen200213auprèsd’unpaneld’entreprisesprivéesàShanghai révèlequelesjeunesretraitésetlesxiebaoreprésentaient30%desemployés,constituantainsilaressourceprincipaledemaind’œuvredesemployeursprivés.Les entreprises peuvent aussi bénéficier d’exonérations fiscales. Mais la municipalitédélimiteprécisémentlescontoursdecettepolitique.Ainsi,seuleslesentreprisesdeserviceset les entreprises commerciales embauchant un chômeur ou un xiebao peuvent enbénéficier. De plus, dans le secteur des services, certaines activités sont exclues de lamesure:lapublicité, les saunas, les salonsdemassages, lesbars Internet.On levoit, cesincitationsàl’embauchesontrestrictives,etlegouvernementresteparticulièrementvigilantà l’égard des emplois qui pourraient dériver vers des activités de prostitution ou dedélinquance.•Le«projetdes40-50»etsonadaptationàunnouveaucontexte

Si les mesures mises en place par la municipalité s’adressent à tous, chaque année,l’accentestmissurunecatégoriedepersonnes,ousurunthèmeparticulier.Ainsienest-ildu«projetdes40-50»(40-50gongchengou40-50xiangmu).L’expressionestapparuetrèstôtdanslalittératuremaiscen'estqu'en2001queceprojetestnéàShanghai.Il vise à accorder des politiques préférentielles et des services aux créateurs potentielsd’activités. Les journaux multiplient les reportages sur les chômeurs ayant réussi leurreconversion pour devenir de petits patrons, s’enrichir et employer d’autres xiagang. Lesentreprises créées dans le cadre du projet des 40-50 relèvent en grande partie desorganisations informelles du travail. Ce dispositif s’appuie davantage sur la société, lesintervenantsduprojetn’étantpastousdesfonctionnairesdelamunicipalité.Ainsi, leprojetdes40-50s’accompagne-t-ilàShanghaidu«modèleopérationnelàcinqpersonnes» (wuren yunzuo moshi). Pour créer une activité, cinq personnes sontimpliquées:leconcepteurduprojet,l’adjudicateur,lesponsor,celuiquiexécuteleprojet,et l’évaluateur. Auparavant, l’entière responsabilité du projet reposait sur les instancesadministratives,maisaveccesystème,lesmécanismesdumarchéontétéintroduitsdanscemodede fonctionnement. Leprojet est établi en fonctiondesbesoinsdumarchéetde lasociété,etaprèsavoirétéapprouvéparl’administration,unappeld’offrespermetdechoisirlapersonneoulegroupequivalemettreenœuvre.Ilseraalorsfinancéparlamunicipalité,unorganisme social,ouunepersonneprivée.Quantà lasurveillanceetà l’évaluation, lamunicipalitélesconfiegénéralementàunebanque,unexpertouunorganismedeconseil.Cesactivitéssontadaptéesaumarchémaislamunicipalitéenestsouventlacommanditaire.

13HuaQ. (2003), «2002nianbenshibufen siyingqiye rengongchengbenchouyangdiaochaqingkuang»(Résultats de l’enquête sur le coût du capital humain dans les entreprises privées de la ville en 2002) , inShanghaiLaodongBaozhang(TravailetProtectionSocialeàShanghai),n°13:13.

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Concrètement, ces nouvelles activités sont liées au développement des services deproximité, aux travauxd’intérêtpublicet aux industriesurbaines. Lecontenude l’activitétend à s’améliorer depuis peu. Il est passé du lavage de voitures, de la vente de piècesdétachées, du développement de photos, à l’entretien du matériel informatique et à laréparationdetéléphonesportables.L’administrationn’estplusenpremièrelignedanslamiseenplacedecesprojets,mêmesi elle reste très présente; elle se borne à fournir un certain nombre de services, ànormaliseretgérer.Aujourd’hui,ledispositifdes40-50tendàs’élargiretpeutbénéficieràtoutcréateurpotentield’entreprisequelquesoitsonâge.Lecontenutechnique–deplusenplusspécialisé–decesnouveauxemploisesteneffetplusattractifpourlesjeunes.Leprojetchangealorsdenometonparlede«microentreprises»(weixiaoqiye)etde«miniprojets»(mini gongcheng).Pouraccompagner la croissancedecesmicroentreprises, la teneurdesmesuresnechangepas:lamunicipalitégarantit lesprêts, lesbanquesaccordentdes tauxpréférentiels,des«pépinièresd’entreprises»sontcréées,etc.Cette évolution témoigne de l’adaptation des dispositifs au changement de la structured’âgedeschômeurs.•Lesorganisationsdutravaild’intérêtpublic

Si les frontières des dispositifs précédemment décrits sont fluctuantes, le dispositif desorganisationsdutravaild’intérêtpublicrelèvedirectementdusecteurnonmarchand,etsapriseenchargeestentièrementassuréeparlesfinancespubliques.Lesaidesàl’emploidusecteurnonmarchandentretiennentunlienétroitaveclespolitiquessocialesd’insertionetde luttecontre l’exclusion.A l’instardesTUCoudesCES14misenplaceenFrance ilyaquelquesannées, lamunicipalitédeShanghai joueunrôlemajeurdans l’accèsà l’emploidespopulationslesplusendifficulté,enassurantlapriseenchargedelatotalitédescoûts(salaires et assurances). Les aides à l’emploi dans ce secteur associent dans une mêmemesureledéveloppementd’activitésnouvellesetlesoutienàl’intégration.La municipalité crée ces organisations du travail d’intérêt public (gongyixing laodongzuzhi)ensoutenantledéveloppementd’activitésnouvellesquicorrespondentàdesbesoinssociaux non satisfaits. Dans la mesure où l’administration est le maître d’œuvre de cescréationsd’emploi,l’expression«legouvernement"achète"despostesdetravail»afaitsonapparition tantdans lapressequedans les textesofficiels (zhengfugoumaigangwei).Sonutilisation pourrait être une manière d’introduire un aspect de l’économie de marché (laventeetl’achat)dansundispositifdontlesprincipesvontjustementàsonencontre.Cesactivités sontdestinéesauxpersonnesqui sont incapablesde trouverdu travailparelles-mêmes (jiuye tekun renyuan). C’est le dernier niveau de l’accès à l’emploi. Si lesindividusnepeuventtrouverd’emploiparcemoyen,alorsilneleurrestequel’accèsauxminimassociaux.Lesemploisquileursontréservéssontdésignésparleterme«lesquatreprotections» (sibao:baoyang, baolü, baoan, baojie), c’est-à-dire l’aide aux personnes,l’entretiendesespacesverts,lasécuritéetlenettoyage.

14LesTravauxd’utilitécollective,lesContratsemploisolidaritésontdesexemplesdecontratsaidésinitiésenFrancerespectivementen1984et1990.

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Plus récemment, le «programme des 10000 emplois» (wanren jiuye xiangmu), lancéofficiellementle8janvier2004,aviséàcréer10000postesdanslessecteurssuivants:-aideauxpersonnesâgées;-entretiendesespacesverts;-aideauxhandicapés;-assistantdansl’administrationfiscale;-servicedesœuvrescaritativesduquartier;-surveillancedesmarchés;-auxiliairedecirculation;-assistantd’entretiendesbâtiments;-assistantpourl’hygiène,lapropreté,etl’environnement;-surveillancedel’environnement;-entretiendescoursd’eau;-désinfection.Aprèssélection,uncontratdetravailàpleintempsrémunéré800yuansparmoispourlesemploisdeservices,et1000yuansparmoispourlesemploisdegestion,estproposéauxcandidats. Ces emplois font partie d’un programmepropre à Shanghai, largement inspirédesexpériencesprécédentes.Ilssontfinancésà40%parlamunicipalité,età60%parledistrict.Ceprogrammeestpourtantinsuffisant,d’autantquelespersonnesquis’yinscriventsontencorebeaucoupplusnombreusesquelenombredeplacesdisponibles.Desurcroît,ilexiste encoreune inadéquationentre les souhaitsdescandidatset lespostesdisponibles.Ainsi,presqueaucunchômeurnepostulepourêtreauxiliairedecirculation;ilnes’agitqued’unchoixpardéfaut.Ces emploisde services sontviables s’ils répondent àdesbesoinsréelsdesconsommateursoudelasociété.Orleprogrammedes10000etceluides«quatreprotections» semblent fonctionner comme des «éponges à chômeurs»,et le secteur desservicesdevientunsecteurrefuge.Selon les fonctionnaires du bureau du travail, l’effet de substitution à des emploispermanentsestpeuressenti,maiscesmesurespourraientêtredétournéesde leurobjectif.Deplus,cettecréationd’emploisestsouventartificielleetnetraduitenrienundynamismedumarché du travail:une société de gardiennage ayant besoin de deux vigiles préférerarecruterunchômeurgrâceauxpolitiquespréférentiellesdugouvernementplutôtquedelechercher sur le marché de l’emploi. Plus grave, certains risquent de licencier leurs deuxvigiles,pourenembaucherd’autresquileurreviendrontmoinscher.Lesystèmedesxiebao,enparticulier,pervertitlemarchédutravail.De la même manière, l’intervention à outrance des services de la municipalité influenégativementsurlemarchéémergentdesservicesdeproximité.Aujourd’hui,parexemple,touslesbureauxderueetlescomitésderésidentsétablissentleurspropresservicesd’aidesaux personnes sous la forme d’emplois informels. Mais lorsque les entreprises essaientd’entrer sur ce marché, elles se heurtent aux résistances des gouvernements locaux. Lesbureauxderueconsidèrentquecesentreprisesviennentconcurrencerlesservicesqu’ilsontmisenplace.Deplus,lespersonnesforméespourlesentreprisessontfinalementrecrutéespar les services créés par le bureau de rue.Cela constitue une perte pour l’entreprise entermes de ressources humaines, et un gain pour le bureau de rue. D’un côté, legouvernement localencourage ledéveloppementdesservicesdeproximité,d’unautre, ilentraveledéveloppementdumarché.

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Les administrationsdeséchelons lesplusbasde lamunicipalitéentrentenconcurrencepourprésenterunbilanconformeauxattentesdeleurssupérieurs.Cephénomèneestsansdoute un effet secondaire du système de responsabilisation de tous les échelonsadministratifs,audétrimentd’uneréglementationmunicipaledusecteurdesservices.Les chercheurs shanghaiens, et notamment les économistes, tendent à critiquer cefonctionnement qui contredit les canons de la libéralisation et de la marchandisation dutravail. En revanche, les fonctionnaires ont une analyse plus pragmatique, et considèrentque,quellesquesoientlesdéviationsdusystèmeetlesinvestissementsdelamunicipalité,dèslorsquelastabilitéestmaintenue,cequiestlecas,l’objectifprincipalestatteint.•Lesformationsetlesstages

Alorsquelafaiblesseetl’obsolescencedelaqualificationsontsouventinvoquéescommefacteursexplicatifsdesdifficultésàretrouverunemploi,lebureaudutravaildeShanghaiapromuunesériedemesurespermettantlaformationdeschômeurs.Là encore, la municipalité prend à sa charge le financement de ces formations et onretrouve l’expression «le gouvernement achète les résultats des formations» (zhengfugoumaipeixunchengguo),similaireàcelleconcernantl’achatdepostesdetravail.Cette politique de formation cible uniquement le public des jeunes chômeurs et desjeunesxiebao.Comme ledit crûmentun fonctionnairedubureaudu travail, iln’yapasd’espoir d’améliorer les capacités de travail des chômeurs les plus âgés:ce serait uninvestissementàperte,ilssontdoncorientésdirectementversdestravauxd’intérêtpublic.Les jeuneschômeurs, eux,ne sontpasencouragés àentrerdirectement sur lemarchédutravailmaisàsuivreuneformation.Legouvernementremboursel’intégralitédesfraisetlesjeunesontdroitàunesessiondeformationparan.Parexemple,danssonquartier,M.HuaNanjing, assistant d’emploi, leur recommande des formations relatives aux téléphonesportablesauCentredes techniquesde l’information.Aprèsune telle formation, les jeunespeuventexercerdifférentsmétiersdanscesecteurenexpansion:créerleurpropreactivitéoudeveniremployésdansunmagasinouuneusinedetéléphonesportables.Comme le chômage des jeunes est une préoccupation récente des autoritésshanghaiennes, cenouveaupublicnebénéficiepasencored’uneaussi grandevariétédemesures que celle dont ses aînés ont joui. Mais Shanghai a adopté en février 2002 undispositifdestagesenentreprisesdestinéauxjeunesde16à25ans,chômeursouétudiantsshanghaiens.Partantduconstatdel’inadaptationdesjeunesaumarchédutravail(manquedecompétencestechniques,d’expérienceprofessionnelle),lebureaudutravailpromeutlesstagesenentreprisesafindelesrendreplusconcurrentiels.Lamunicipalitéadoncautoriséun certain nombre d’entreprises à devenir des bases de stages (jianxi jidi). Ces derniersdoiventsedéroulerdansdesentreprisesdepointedansleursecteur(secondaireoutertiaire),des entreprises célèbres, des joint-ventures, ou des firmes multinationales. Les entreprisespubliquesn’ontpasledroitderecevoirlesstagiaires.La municipalité joue un rôle actif, non seulement dans l’habilitation des entreprises àrecevoirounondesstagiaires,maisaussidanslechoixdestâchesetdesfonctionsquileursontconfiées.Lagestiondesstagesestentièrementdéléguéeàdesagences(shehuizhongjiejigou),quelamunicipalitérémunèrepourcesservices.

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Lespostulantsfontl’objetd’unesélectionàl’issuedelaquelleilspeuventfaireunstagedetroisàsixmois(lesstagesnepeuventenaucuncasdurerplusd’unan).Lefinancementdecette opération est entièrement à la charge de la municipalité et provient des fonds del’assurancechômagedudistrict.Lestagiaireadroitàuneallocationdontlemontants’élèveen principe à 70% du salaire minimum à Shanghai, soit actuellement 420yuans. Parailleurs,uneallocationde100à200yuansestaussiverséeà l’entreprisepourcouvrir lesfraisqu’iloccasionne,etpourdédommagerlemaîtredestage.Enfin,lamunicipalitéprendenchargelesfraisd’assurancesocialeinhérentsauposte.Plus intéressant, l’agence sous-traitante (les agences pour l’emploi, les instituts deformation,lessociétésdeconseils)est financéepar lebureaudutravaildelamunicipalitépour ses services et selon son «rendement», c’est-à-dire en fonction du nombred’entreprises qu'elle trouve qui acceptent des stagiaires. Si l’agence trouve plus de cinqpostes (soit une base de stage pour plus de dix stagiaires), elle perçoit 5000yuans parentreprisetrouvée.Pourmoinsdecinqpostes,ellereçoit3000yuansparentrepriseenplusdes200yuansattribuésautitredusuividechaquestagiaire(fraisdefonctionnement).Il semble que ce dispositif soit une manifestation de la transition vers l’économie demarché. La municipalité trouve donc un compromis entre le marché qu’elle utilise pourfaire fonctionner ledispositif etuneprééminencedurôlede l’Etatquicontinueà fixer lesorientationspour lessecteurs susceptiblesdedevenirdesbasesdestages. Lamunicipalitésouhaite présenter cette mesure comme profitable aux trois parties:le gouvernementrésorbe une partie du chômage des jeunes au bénéfice de la stabilité sociale et dudéveloppement économique, l’entreprise donne une bonne image sociale en «payant sadette»à lasociété toutenrecrutant lesmeilleursdeses stagiaires,et le jeuneacquiertdel’expérienceetdevientainsiplusconcurrentielsurlemarchédutravail.Notre analyse des chiffres rapportés dans les publications du bureau du travail et dubureaudesstatistiques15metendoutel’efficacitédecetraindemesures.Lesservicesdelamunicipalité se félicitent pourtant déjà du résultat obtenu et commencent à étendre ledispositif.Alafindel'année2002,118entreprisesétaientdevenuesdesbasesdestages;en2005,ellesétaient311etleurnombredevraitêtreportéà1000rapidement.Leprogrammeserapoursuiviàplusgrandeéchelle,etleministèreduTravailchinoisrecommandedéjààtouteslesprovincesdesuivrel’exempleshanghaien.SelonlebureaudutravaildeShanghai,30% des stagiaires sont embauchés par l’entreprise à l’issue de leur stage, et les autresobtiennentunemploidansl’année.Les articles consacrés aux stages dans les publications du bureau du travail nereconnaissentpasdeproblèmesmajeursdanslefonctionnementdudispositifdestages.Leséchecs sont généralement attribués au «mauvais état d’esprit» des jeunes stagiaires. Al'inversede leursaînés,cesderniersn’auraientpas l’amourdu travail (jingye jingshen),etrefuseraientd’exécuterdestâchestropsimplesouingrates,voirequitteraientl’entreprisesicelle-cineprometpasde lesembaucherà l’issuedustage.Lesentreprises regrettentaussileurmanquededisciplineet leur absencede respect à l’égardde leurenvironnementde

15 2003 Shanghai jingji nianjian, Annuaire économique de Shanghai, Shanghai, Shanghai jingji nianjianchubanshe,2003:497et2005Shanghaijingjinianjian,AnnuaireéconomiquedeShanghai,Shanghai,Shanghaijingjinianjianchubanshe,2005:558.

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travail.Nombreuxsontceuxquiabandonnentleurposteavantlafindustage.Fin2002,letauxd’abandonétaitde27,3%mais il tendraitàbaisser.Certainschercheurs,notammentdeFudanetdel’EcoleduParti,recommandentlàencored’éduquercesjeunesauxréalitésdumondedutravail.Il convient de rappeler que chaque nouveau groupe de chômeurs se trouve dans uncontextepsychologiqueparticulieretsusciteuneréponsede lamunicipalitéen termesdedispositifs. Lesproblèmesne sontpas traités sur le long termemaisau furetàmesuredeleurapparition.Lesdispositifssontensuiteajustésen fonctiondesnouvellesexigences,cequi crée de nouveaux problèmes. L’exemple des stages est très révélateur. Alors que cesystème pouvait être considéré commeune manière d’intégrer en douceur le marché dutravail,depuis2004, seuls les étudiantsdéjàdiplôméspeuventypostuler, afindenepasperturberlesenseignementsdispensésàl’université.Cetterestrictionmontreàquelpointlamunicipalitéalesoucideréglerlesproblèmesaufuretàmesuredeleurapparition.Ilressortenfindel’ensembledecespolitiquesactivesqueShanghaiamisl’accentsurlastimulation de l’emploi des populations défavorisées (ruoshi qunti). Sous ce vocableaseptisé, se cache la précarité d’une population urbaine marginalisée:les chômeurs, lesxiagang,lesxiebao,lespersonneshandicapées,lesindividusquisortentdeprison,certainespersonnesâgées.L’ensembledesmesuresdestinéesàcesindividuspeuconcurrentielssurlemarchédutravailrévèleuneimplicationextrêmementfortedelamunicipalité.Pourautant,l’apparition du chômage des jeunes diplômés oblige désormais la municipalité àprofondémentremettreencausel’intégralitédesonsystème.Despolitiquespassivesenrégression•Lesaidessocialesdestinéesauxgroupesdéfavorisés

L’accélérationde la réformedesentreprisespubliquesaentraîné la find’un systèmedeprotection sociale attaché à l’unité de travail. La Chine a dû construire un mode deprotectionsocialeexterne,dontlafinalisationajouéunrôleextrêmementimportantdanslemaintiendelastabilitésocialeàShanghai.Lesystèmed’indemnisationduchômageaétéinitiéen1986maiss’estlimitéàquelquesgrandesvillesdontShanghai,oùlebénéficedesallocationschômageatrèsviteétéaccordéà tous les chômeurs, quel que soit le secteur dans lequel ils travaillaient. En 1999, unrèglement aprécisé lesmodalitésdecotisation et d’obtentionde l’allocationchômage.Acettedate, la gestiondes fondsde l’assurancechômagea étécentraliséeauniveaude lamunicipalité, alors qu’elle était auparavant déléguée à chaque district. Cette évolution apermisunmeilleurajustementde la répartitiondes fonds.Ledroità l’allocationchômagedépend désormais de la durée de cotisation16. Mais aujourd’hui, l’indemnisation deschômeurs n’est pas placée au premier titre des dépenses et ces dernières peuvent êtredivisées en trois parties:indemnisation des chômeurs, financement des formations, et 16Unmoisd’allocationpourunandecotisation,deuxmoispourdeuxans,puisdeuxmoissupplémentairesparannéedecotisation.Laduréemaximaledubénéficedecetteallocationchômageestdedeuxans.

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programmes de stimulation de l’emploi. Le souci de l’administration est de circonscrirel’assurance chômage à une aide d’urgence et d’encourager les individus à se réinsérerrapidementdanslemarchédutravail.Larépartitiondesdépensesdecefondsd’assurancechômage traduitbien lavolontéde lamunicipalitédeprivilégier lespolitiquesactivesparrapportauxpolitiquespassives.Pourtant,lelienentrelefondsdel’assurancechômageetlefinancementdesprogrammesde stimulationde l’emploimanqueencorede fluidité, et lagestion comme la répartition posent de nombreux problèmes. Ce fonds d’assurancechômagedépenddubureaudutravailetdelasécuritésociale.Maistouteslesaidesrelevantdes politiques passives ne sont pas financées par le bureau du travail.Une partie d’entreelles sont en effet gérées par le bureau des affaires civiles. Ainsi, seule la moitié deschômeursenregistrésbénéficientde l’allocationchômage tandisque lesautresontparfoisdroit auxaidesdubureaudesaffaires civiles, relevantdu secours social (shehui jiuji).Parailleurs, la municipalité soutient la création de fondations diverses afin de trouver lesfinancements complémentairesde l’aide socialemunicipale (associationscaritatives, fondsd’aidepourlespersonnesâgées,fondationd’aideauxouvriersendifficulté).Enfin,30%desrevenus de la loterie (fuli caipiao) contribuent à l’aide sociale. Quelles que soient lescontroversessur lemodèleàappliquerenmatièredeprotectiondeschômeurs (niveaudeprélèvementproblématique,allocationchômagetropfaible),ledispositifdemeureenpointepar rapport aux autres provinces, notamment parce qu’il n’existe pas encore de modèleunifiéàl’échelledelaChine.•Denouvellescatégoriesd’assuréssociaux

Unecatégoried’assuréssociauxinventéeàShanghaiestcelledes«professionnelslibres»(ziyouzhiyezhe).Cettecatégorieconcerneenprincipe lesprofessions libérales, et seulesles personnes disposant d’un revenu provenant de ces professions peuvent adhérer audispositif.Nousavonspuconstaterlorsd’unevisitedanslesservicesdubureaudutravailetde la protection sociale du bureau de rue KangJian du district Xuhui, que les conditionsd’obtention de l’assurance des professions libérales ne sont pas aussi restrictives. Il suffitfinalement de payer les cotisations pour être couvert, et il est inutile de fournir unequelconque preuve de revenus. Les vraies professions libérales sont encore rares àShanghai, et ces «professionnels libres» constituent une population recelant une part dechômagecaché. Il s’agitde jeuneschômeursoude travailleursprécairesdont lesparentspaientlesfraisd’assurancesocialeafind’assurerleuravenir.Les avis divergent quant à l’ampleur de ce phénomène et son interprétation. On peutconsidérercechômagecachécommeunproblèmeenpuissanceque l’onsaisitmal (c’estl’avis des chercheurs, notamment du professeur Ren Yuan à Fudan). Mais du côté desfonctionnaires, sans approuver ce détournement du système, on préfère l’ignorer car ilpermetd’assurerlaprotectionsocialedecesindividus;legouvernementaccomplitdoncsamission.

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•Desaidesattribuéescontrequelquesheuresdetravaild’intérêtgénéral

Lerevenuminimum(dibao),crééàShanghaien1993,estattribuéauxindividuslesplusen difficulté. C’est un filet protecteur qui empêche que les personnes sans repères nesombrent tout à fait.Aujourd’hui, la tendanceest à la responsabilisationdesbénéficiairesdes aides sociales. Au fil des années, les conditions d’éligibilité se sont durcies, et sontdevenuesplustransparentes.Eneffet,lestensionsetlesjalousiesprovoquéesparl’obtentionou le refus du revenu minimum étaient nombreuses. Désormais, le nom des famillesbénéficiantdecetteaidesocialeestpublié.En outre, si le montant du revenu minimum est fixé par lamunicipalité, le nombre debénéficiairesestfixéparledistrict.Ainsi,undistrictplusrichepourra-t-ilsepermettred’enfaire profiter un public plus large. A la fin de 2001, 338000personnes (Shanghaiensrésidentsurbains)percevaient le revenuminimum,parmi lesquelles60%appartenaient àdes familles dont les deux parents étaient xiebao, xiagang, chômeurs, ou à des famillesmonoparentales. En 2003, elles étaient 431600, représentant 4,32% de la populationshanghaienne.Sionajoutel’améliorationdelaprotectionaccordéeparlamunicipalitéàlaprécarisationdu travail entraînantunepaupérisationpartiellede lapopulation, lenombred’individusconcernésaugmentetrèsrapidement.Ainsi,depuislemoisd’août2005,leseuilau-dessousduquelunindividupeutprétendreaurevenuminimumestpasséde290yuansà300yuans,cequiaaugmentéde30000lenombredebénéficiaires.Lerevenuminimumsedistinguedel’allocationchômagecarils’agitd’uneassistance,etnon d’une assurance. Cette allocation peut donc couvrir un ensemble de personnesdépassantleseulgroupedeschômeurs:c'estunesortederevenuminimumgaranti.Leprincipedecedispositifestde«couvrirtoutceuxquidoiventl’êtreetnepasentretenirles paresseux» (yingbao jinbao, buyang lanhan). L’obtention de ce revenu minimum aévolué avec les politiques de stimulation de l’emploi. Aujourd’hui la tendance est àl’activation des dépenses passives. Pour ce faire, en échange de ce revenu minimum, lebénéficiairedoitfournirenvironquaranteheuresdetravauxd’intérêtgénéraltouslesmois,ce qui évite l’inactivité totale. La distribution de ces tâches, adaptées aux capacités dechacun, se fait au niveau du quartier sous la responsabilité du département des affairesciviles. Ilpeuts’agirdepatrouillerdans lequartierpoursurveiller lesalléesetvenuesdesrésidentsoudespopulationsétrangèresauquartier,d’assumerlesfonctionsdevigile,ouparexempled’écrirelesinformationsconcernantlequartiersurletableaud’affichagepublic.Par ailleurs, depuis 2002, avant de faire une demande pour bénéficier du revenuminimumoupourobtenirsonrenouvellement,l’individudoitsignerune«doublepromessed’emploi»(jiuyeshuangxiangchengnuoshu).Ledemandeurs’engageàaccepterletravailqu’onluiproposera,etlamunicipalités’engageàluiproposerdutravail.Certainsdistrictsontmêmepromuleslogan:«sil’onn’estpasdifficile,enunesemaineonobtientunposte»(butiao bujian,yizhou shanggang). Le public concerné par ces mesures de stimulation del’emploiadoncl’obligationd’accepterlesoffresd’entréedansdesdispositifsdepolitiquesactivesdel’emploi,souspeinederadiation.Onpeutseposerlaquestiondel’originedecesemplois car il semble évident que la municipalité n’est pas en mesure de tenir un telengagement. Le développement de ces emplois dits d’intérêt public, «achetés par lamunicipalité», adéjàpermisde trouverdespostes àplus80000personnesendifficulté.Les initiatives sont certes nombreuses, et les travaux d’intérêt public, de même que les

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services de proximité, sont des gisements qui n’ont pas encore été totalement exploités.Cependant, il est difficile de faire la part des choses entre la réponse à des problèmessociaux–dansunsoucidestabilité–etl’essord’unvéritablesecteuréconomique.Poursuivant sa politique dite d’incitation à l’emploi des populations en difficulté, lamunicipalité de Shanghai a été amenée à modifier les critères d’obtention et surtout deretrait du revenu minimum, lesquels tendaient à créer des «trappes à inactivité»17. Lesystèmedurevenuminimums’accompagneeneffetdetouteunesériedemesuresannexes(allocations pour la scolarité des enfants, pour le logement, etc.), et le bénéfice de ces«prestations sociales» est réservé aux personnes situées en dessous d’un certain seuil derevenus.Parailleurs, lesemploisqui leursontproposésrelèventdesemplois«informels»oud’intérêtpublic,etsontfaiblementrémunérés.Lesréformesmisesenœuvrerécemmenttentent d’éliminer les facteurs dissuadant la reprise du travail. Il s’agit d’abord d’unmécanismed’intéressement,quiprévoitundroitaucumulpendantunecertainepériode:lebénéficedurevenuminimumestretiréprogressivement.Enoutre,leplafondd’obtentiondecerevenuminimumestréévaluélorsquelapersonnetravaille.Decettemanière,lareprised’une nouvelle activité permet une augmentation très nette des revenus familiaux. Ledispositifderevenuminimumévoluedoncversunnouveaudispositif,luiaussiparticulieràShanghai,ditde«sortieduminimum»(tuodi).En somme, la municipalité de Shanghai manifeste une préférence pour les politiquesactives, malgré leur coût souvent plus élevé que celui des politiques passives. Cevolontarismeétatiqueapourbutdegarantirlastabilitésociale,enproposantdesactivitésàtousleschômeurs,sanssesoucierdeleurrentabilitééconomique.LEMYTHEDELAMARCHANDISATIONDUTRAVAIL:UNDANGERPOURLASTABILITEOfficiellement, lesquestionsd’emploietdechômagedevraientserégulernaturellementetprogressivementparl’instaurationd’unmarchédutravail.Danslaréalité,lamunicipalitédeShanghain’abandonnepasl’instaurationdecemarchédutravailauxseulsprincipesdulibéralisme.Ilyaunecontradictionmajeureentrelediscoursofficieldelamarchandisationdutravail,etlespolitiquesdeluttecontrelechômagedesjeunesetdesxiagang.Unanalysesémantiquedestermesemployéspermetdeserendrecomptequ’ils’agitpourlamunicipalitéde«construire»(jianshe)oude«cultiver»(peiyu)cemarchédutravail.Lesmesures décrites précédemment révèlent bien la participation active de la municipalité.Chaque année, les dirigeants exigent que le taux de chômage soit maîtrisé et fixent deslimiteschiffrées.Cesdéclarationsressemblentàunrituel, fondésurdesprévisionsdont laréalisation semble assurée. Elles donnent l’impression que les services de lamunicipalité

17Onparlede«trappeàinactivité»pourdécrireunesituationoùlareprised’unemploifaiblementrémunéréparunallocataireduminimumsocialconduitàunestagnation,voireunebaisseduniveaudevie,detellesortequ’ilpréfèreresterdansledispositifd’assistance.

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maîtrisentletauxduchômageetontvéritablementlesmoyensdelecontrôler.Parailleurs,degrandsprogrammesannoncentlenombredecréationsd’emploisprévupourlesannéesàvenir:cesobjectifssonttoujoursatteintsetgénéralementdépassés.Unrapportdel’AcadémiedessciencessocialesdeShanghaisurlechômage18résumeenun titre imagé la manière dont la municipalité shanghaienne conçoit sa relation aumarché:«Le gouvernement:le marché ne fait pas de sentiment, mais on peut être plushumaindanslamanièredelefairefonctionner».Cetteformulerésumeassezbienlafaçondont l’Etat intervient sur les effets négatifs du marché. Deux exemples illustrent cettemarchandisation contrariée du travail à Shanghai. D’une part, la fonction d’assistantd’emploi,quisembleincarnerles«sentiments»dontlegouvernementditfairepreuvepourprémunir ses administrés des effets négatifs de la marchandisation. D’autre part, laconcurrence «imaginée» des travailleurs migrants au détriment des Shanghaiens, quidémontrebienl’absenced’unevéritablemarchandisationdel’emploi.Lesassistantsd’emploi:pare-feucontrelecapitalismesauvage?En2002,lamunicipalitédeShanghaiaencoreinnovédansledomainedesapolitiquedel’emploi,eninventantunnouveauposte:lesassistantsd’emploi(jiuyeyuanzhuyuan).Au-delà des politiques passives et actives mises en place par lamunicipalité, répondant à lamême logique que les politiques de l’emploi des pays développés, le réseau d’assistantsd’emploirevêtuncertainnombredespécificitéslocales,etsonrôleneressembleenrienàcequepeutfaireunfonctionnairedel’ANPEenFrance,parexemple.•Fonctionsetstatut:undispositifinédit

La fonction d’assistant d’emploi a été créée à Shanghai en avril 2002, dans le but departiciperauxactionsdestimulationdel’emploi,et3500assistantsd’emploiontprisleursfonctions,unparcomitéderésidents.Lestatutdecepersonnelesttrèsparticulier.Lecomitéde résidents est théoriquementuneorganisationnongouvernementale,dont lesmembressont élus. La pratique est plus complexe:retraités bénévoles, cadres de la municipalité,personnel du bureau de rue le composent. Les rémunérations de chacun sont trèsdifférentes.AShanghai,sonfinancement(lesindemnitéspourleprésident,levice-président,lesmembresetlesfraisdefonctionnement)estinscritaubudgetdudistrict,maisdistribuéparlebureauderue.Enrevanche,lesindemnités(onneparlepasdesalaires)desassistantsd’emploisontdélivréesparlebureaudutravailetdelasécuritésociale,maiscepostenebénéficiepasdebudgetde fonctionnement.Lerôledesassistantsd’emploiestainsidéfinipar le bureau du travail:ils sont intégrés dans le quartier, sont proches des habitants, et

18YinJ.(éd.)(2004),2004Shanghaishehuilanpishu:xiaokangshehui;congmubiaodaomoshi(LivreBlancdu développement de la société shanghaienne 2004:société de modeste aisance;de l’objectif au modèle),Shanghai,ShanghaiShehuiKexueyuanChubanshe:97.

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assumentactivementleursresponsabilités,ilssontàlafois«porte-paroledugouvernement»et«porte-paroledelapopulation»,permettantauxgensdetrouver,àleurporte,uneaideenmatièredeprotectionsocialeetd’emploi.Cesassistantsd’emploiappartiennentforcémentàlacatégoriedesxiebao.Pouraiderlespopulations en difficulté, la municipalité a choisi d’employer des chômeurs. Elle a donctrouvé un emploi à 3500 personnes, qui assistent elles-mêmes la population dans sarecherche d’emploi. M. Hua Nanjing, assistant d’emploi du comité de résidentsChangQingfang(districtdeXuhui,bureauderuedeKangJian19),expliquelamanièredontilaobtenuceposte.Ancienresponsabledesachatsd’uneentreprisepublique,ilétaiten2002représentant des propriétaires du quartier et s’occupait de l’amélioration del’environnement. Il était bien connu des cadres qui l’ont encouragé à se présenter à ceposte. Il apasséunentretienavec ladirectricedes servicesdu travail etde laprotectionsocialedubureauderue,quiaretenusacandidature.Les assistants d'emploi dépendent donc du bureau du travail. Avant de prendre leurfonction, ils ont reçu deux formations, l’une au niveau de la municipalité et l’autre auniveaududistrict,quiconcernentsurtoutlasituationdel’emploiàShanghaietlesmesuresmises en œuvre pour résoudre le chômage, jusqu’à la fin de 2002, date à laquelle lamunicipalité a organisé une formation supplémentaire en psychologie pour qu’ilsapprennentàs’adresserauxchômeurs.Lesquatrefonctionsdesassistantsd’emploisontlessuivantes:- la fonction de propagande, qui consiste à informer les populations concernées desnouvellesmesuresmisesenplaceparlamunicipalitéafinderetrouverunemploi;- la fonctiond’enquête,quiest très importante:lesassistantsd’emploisontenpremièreligne pour transmettre les statistiques aux échelons supérieurs. Lors de leur prise defonctionsen2002,ilssesontrendusdanstouslesfoyersdeleurquartierpourenquêtersurla situation professionnelle de chacun. Ils ont constitué un fichier qu’ils mettent à jourrégulièrement.Lesstatistiquesdelamunicipalitésontélaboréescommesuit:lechômeursefaitenregistrerauprèsdesservicesdutravaildubureauderue.Lebureauderuetransmetlalisteàl’assistantd’emploiquivérifiel’exactitudedesrenseignementsetfaitunrapportsurlasituationréelleaubureauderue.Parailleurs,l’assistantd’emploirendcompteàl’échelonsupérieurdesdonnéeschiffréessur:1-leschômeurs,2-lesxiebao,3-lespersonnessanstravail,4-lespréretraitésetemployéssurnuméraires,5-leshabitantsduquartierdontilalacharge,6-lespersonnespourlesquellesilatrouvéunemploi,7-lespersonness’étantrenseignéesauprèsdelui;- la fonction de protection, qui consiste à protéger les droits des habitants dont il a lacharge et à les aider à faire valoir leurs droits lorsqu’ils travaillent, ou lorsqu’il s’agitd’obtenirdesaidessociales;

19LebureauderuedeKangJianestunbureauderuemodèle.Sonmodede fonctionnementaeneffet faitl’objetdedifférentesétudes.QuantàMonsieurHuaNanjing,ilaégalementfaitl’objetdenombreuxarticlesdanslesjournaux,aétédécoré,ets’estvuconfierlaresponsabilitédetouslesassistantsd'emploidubureauderue.

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- la fonctiondedéveloppementdepostesde travail,quiest le cœurde leurmission. Ils’agitde trouverdes emplois à ceuxquin’enont pas. Leurpublic cibleest constituédessans-emploilesplusendifficultés:leschômeurs,lesxiebaolesmoinsqualifiés.Enoutre,deplus en plus de jeunes ont recours à leurs services. Concrètement, cela consiste pourl’assistantd’emploiàallervoirlesentreprises,lesrestaurants,lessociétésd’entretiendesonquartier pour leur demander si elles seraient susceptibles de recruter un chômeur endifficulté.Sonemploirevientfinalementàactiversonréseauderelations,ouàenconstruireunnouveaupourtrouverdutravailauxchômeursdesonquartier.Ildoitaussi«défendre»ceuxquisontleplusendifficultéauprèsdesemployeurs.Demanièregénérale,lesemploisqu’il trouve sont des emplois peu qualifiés et peu rémunérés (1000yuans par mois enmoyenne).L’assistantd’emploieffectueunvraitravaildeterrain,etn’utilisepas,semble-t-il,tous les nouveaux moyens que vante pourtant la municipalité (mise en réseau des offresd’emploi,Internet,etc.).•Lafigureduhéros:l’assistantd’emploi,unhommecommelesautres?

LediscoursdeHuaNanjing,lesnombreuxarticlesprésentantlerôled’assistantd’emploidans la presse, et surtout les publications du bureau du travail exaltent l’image du hérosdévoué. Malgré leur rôle crucial pour le quadrillage de la société et le maintien de lastabilité, les assistants d’emploi recevaient en 2004 un salaire extrêmement faible(600yuansparmois).Depuisjanvier2005,leurrétributionaétéalignéesurlessalairesduprogrammedes10000emplois.Ilsgagnentdésormais1000yuansparmois.HuaNanjingnesemblepass’enplaindreetdéclareavecfiertéquelasociétél’aaidépendantdesannées,etquec’estdoncàsontourd’aidersessemblables.Ilmontre lesdossiersqu’ilacompiléspourrecenser lapopulationduquartier,etenregistrer lasituationdechacun.Pourcela, ilutilisedesfeuillesdepapierusagées,carlecomitéderésidentsapeud’argent.L’ensembledesarticlesfaisantréférenceauxassistantsd'emploidécritleurcourageetleurabnégationpouraider lespopulationsendifficulté. Levocabulaireemployén’estpassansrappelerladescriptiondecertainshérosdel’imageriemaoïste: «IlestnéaveclanouvelleChine,abaignédanslalumièredelanouvellesociétédèssonenfance,eton

luiaapprisàservirlepeuple…»;

«J’aiprisconscienceque laqualitédemontravail influençaitdirectement l’imagequ’a lepeupledugouvernementetdupartietdoncinfluençaitlastabilité»;

«Moiaussijesuisunexiagang,jesaiscombienilestdifficilederetrouverdutravail,sijenelesaidepas,quilesaidera?»;

«Oui, la camaradeShen Juxiangest entièrementdévouéeauParti, elledéborde d’attentionpour leshabitantsdesonquartier,(...)ellemériteletitrede"sentinelle"etde"soldatdugénie"surlefrontdelabatailledel’emploietdelaprotectionsociale»20.

Selon leurs témoignages, le dévouement des assistants d’emploi semble tel qu’ilsn’auraientpasdejourderepos:ilsseraientprêtsàrendreserviceàtoutmoment,endossantlerôledeprotecteursdespopulationslesplusfragilescontrelamarchandisationforcéede 20Fu,2004.

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l’emploi.Leurfonctionaétéimposéeparlegouvernementmaisilssontparfaitementancrésdans la réalité. Appartenant à la génération des 40-50, les assistants d’emploi ont été aucœurdel’évolutiondelasociété,etcelaleurconfèreunecertainelégitimité.•Luttercontrelechômagepourlastabilitésocialeduquartier

Les entretiens menés auprès des assistants d’emploi et les articles de presse que nousavonsconsultésfontressortirnonseulementl’imageduhérosquenousvenonsd’évoquer,maiségalementl’importancedutravailetdurôledeliensocialquelespouvoirspublicsleurconfèrent.Pourlespopulationsendifficulté,letravailesteneffetsurtoutunliensocial,quiévite l’exclusion. Les personnes sans emploi sont souvent décrites comme s’adonnant àl’alcool, promptes à la violence (conjugale, ou parfois contre les assistants d’emploi eux-mêmes), se désintéressant de leur famille, d’où l’importance de leur réinsertion dans lasociétéparlebiaisdutravail.Lesassistantsd’emploiontlaresponsabilitédeschômeurs,deshabitants lespluspauvresetdespersonnes sortantdeprison.Vusouscetangle, leur rôlesemble s’apparenter aux fonctions des travailleurs sociaux en France. Leur dévouementsupposé, qui les pousserait à s’impliquer de manière très personnelle dans leur travail,rappelle en revanche le rôle que peuvent jouer les bénévoles des associations caritativesdans les pays occidentaux. Leur fonction semble donc être typique de l’expérienceshanghaienne.Lesassistantsd’emploiontunrôleclédans lequadrillaged’unesociétédont lastabilitédépend,semble-t-il, largementde l’emploi. Si les rapportsqu’ils remettent fontunportraitquasiidylliquede leur fonction,mais surtoutdes résultatsqu’ilsobtiennent, lesdifficultésdemeurent.M.HuaNanjingreconnaîtquelorsdesaprisedefonction,l’accueilqueluiontréservé les famillesaété très timide.Lespremièresprisesdecontactonteffectivementétédifficiles car leshabitants lui reprochaientdevenir s’immiscerdans leurs affairesetd’êtreimpuissantàrésoudreleursproblèmes.Lesmanifestationsviolentesdechômeursdésespérésexistent encore, et il semble que les assistants d’emploi ne soient pas particulièrementformés pour faire face à cette violence. Comme ce sont d’anciens chômeurs, on attendd’euxqu’ilscomprennent,du faitde leurpropreexpérience, lespersonnesdont ilsont lacharge. Le profil des assistants d’emploi pose de réelles questions. En effet, commentd’ancienschômeurssansformationparticulière(àl’exceptiondetroissessionsdequelquesjours), peuvent-ils résoudre les problèmes des habitants de leur quartier? Commentpeuvent-ils répondre aux exigences des cadres qui fixeraient, semble-t-il, desquotas:trouverunemploipourdixchômeursparan?Vus lesmoyensmisenœuvre, lesassistantsd’emploin’ont souventd’autres solutions quede se rendreeux-mêmesdans lescentres d’information sur l’emploi pour en rapporter les offres aux chômeurs de leurquartier…Le dispositif des assistants d’emploi est donc encore assez imparfait, et lamunicipalité,prenant conscience qu’il ne suffisait pas d’avoir été chômeur pour aider efficacement leschômeurs,amultiplié lesformationsàleurattention.Leurréseaus’estétenduauxdistrictsdebanlieueeten2005oncomptait5000assistantsd'emploiàShanghai,cequitémoignedelaprééminencequelamunicipalitéassigneàleurrôle.

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L’arrivée des travailleurs migrants sur le marché du travail:une concurrence déloyalepourlestravailleursurbains?Lenombrede travailleursmigrants àShanghai acrûdemanière spectaculairedepuis ledébut des années 1980, la main d’œuvre surnuméraire des campagnes affluant dans lamétropolepoury tenter sa chance.Les seules statistiquesdisponibles les concernant sontdesévaluations faitesàpartirdesondagesetd’échantillonnagesde lapopulation.Dans lamesureoù ilsnepossèdentpasdehukouurbain, ilestdifficilede lescomptabiliser.Pour2005etlesannéessuivantes,lebureaudutravailaévaluéàneufmillionsdepersonneslapopulationshanghaienneenâgedetravailler,etàcinqmillionslapopulationmigrante.•MigrantsetShanghaiens:concurrenceourépartitiondestâches?

La population shanghaienne tend à accuser les travailleurs migrants d’être la cause duchômage:«ils volent le travail des Shanghaiens». En acceptant de travailler pour dessalairesmoinsélevés,sansprotectionsocialenigarantie,cettemaind’œuvrecorvéableetmalléable a la préférence des patrons.Cet argument que l’on entend fréquemment de labouchedesShanghaienstémoignedeleurmépris,d’autantmoinsjustifiéquelestravailleursmigrantsn’occupentpaslesmêmespostesquelestravailleursurbains(tableau2).Lephénomènes'inscritdansuncadrespécifiquemaisrappellelesanalysesmenéessurlamain d’œuvre immigrée dans les pays occidentaux, et l’on peut facilement remplacer«travailleurs nationaux» par «travailleurs shanghaiens», et «travailleurs immigrés» par«travailleursmigrants»danslesarticlessurlaFrance: «Danstouslescas,ilestapparuquelamaind’œuvreimmigréerendaitdifficile,mêmeenpériodede

chômage,sonremplacementmassifpardesnationaux. (…)Sansmêmeavoiràplacer ledébatsur le

terraindelajustice,onpeutconstaterquelaréductiondelapopulationimmigréeneconstituepasuninstrumentd’actioncontrelechômage»21.

En fait, lestravailleursmigrantsàShanghaioccupentlaplupartdu tempsdespostespeuqualifiés dont les Shanghaiens ne veulent généralement pas. De nombreux exemplesreflètent cette situation et influencent l’élaboration des politiques préférentielles pour leschômeurs,cequiestproblématique.•L’impossiblereconquêtedespostesoccupésparlesmigrants

Rappelons qu'à Shanghai, les mesures en faveur des chômeurs sont destinées auxhabitantsde laville (possédantunhukouurbainàShanghai) à l’exclusiondes travailleursmigrants.Toutefois,l’étatd’espritdestravailleurslocaux,etenparticulierceluidesanciensemployés du secteur public, les pousse à n’accepter un poste que s’ils le considèrent

21Freyssinet,2004.

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«honorable», cequiexpliquequecertainesmesuresde lamunicipalitépour le réemploides chômeurs ne puissent atteindre leur objectif. Par exemple, les étals desmarchés desfruitsetlégumessonttraditionnellementtenuspardestravailleursmigrants.Aumomentdesgrandesvaguesdelicenciementsdesannées1997-1998,lebureauderuedeWujiaochangaexpulsétouslestravailleursprovinciauxpourlaissercesemploisauxnouveauxchômeursduquartier.Lespetitesboutiquesontétéréparéesauxfraisdelamunicipalitéetattribuéesàdes xiagang. Ces derniers ont ensuite sous-loué leurs étals aux travailleurs migrants. Letravail de collecte des déchets, traditionnellement mal perçu, est aussi exclusivementl’apanagedestravailleursmigrants.Aumilieudesannées1990,unedistinctionofficielleétait faiteentre lesemploisdédiésaux travailleurs migrants et ceux destinés aux Shanghaiens, mais ces mesures se sontprogressivement atténuées. D’après les textes, les employés nonshanghaiens d’uneentreprise ne devraient pas dépasser un tiers du nombre total des salariés, mais cetterestriction a été supprimée en 2004. On peut d’ailleurs s’interroger sur la manière deprocéderdesentreprisesdeconstructionavantcettedate…Larègleenvigueurdepuis2004estlasuivante:l’offred’emploiestpubliée,etsiaprèsuncertaintempsaucunShanghaiennes’estprésenté,l’entrepriseestautoriséeàrecruterunnonshanghaien.Lediscoursofficiel,relayé tant par des chercheurs que par les fonctionnaires du bureau du travail, veut qu’àtermelestravailleursmigrantsetles travailleurslocauxseretrouventsurunpiedd’égalité,enconcurrencesurlemarchédutravail.Celaestcensérévélerlavraievaleurdutravaildesunsetdesautres.Pourtantlesmesuresquelamunicipalitémetenplacevontdanslesensinversedecediscours:seloncertainschercheurs,lamunicipalitépassedesaccords,leplussouventtacites,plusrarementécrits,aveclesentreprisespourqu’ellesrecrutentenprioritédestravailleurslocaux.Lesentreprisesytrouventleurcompte,puisqu’ellespeuventobtenirdesavantagesdelamunicipalitéenéchange.•Versune«sélection»desmigrants,auservicedesShanghaiens?

La politique de la municipalité de Shanghai à l’égard des travailleurs migrants est, elleaussi,contradictoire.D’unepart,lavilleabesoindecettepopulationquiestàl’originedesa croissance économique exponentielle, et d’autre part cette population est accuséed’occuperlesemploisquel’onpourraitréserverauxShanghaiens.Lamunicipalitéestdoncsoucieuse de limiter l’arrivée de travailleurs migrants par des mesures à la foisadministratives (accès limité à certains postes) et économiques (prélèvements nouveauxpourlesemployeursdetravailleursmigrants).Lesdéclarationsdesresponsablesdubureaudu travail et leurs publications soulignent que ces mesures sont transitoires. Ce sont des«moyensde fortune»permettantd’apaiserlestensionsdumarchédutravailquidevraientdisparaîtreprogressivement.Mais derrière ces contradictions apparentes, la municipalité défend simplement sesintérêtsdemanièrepragmatique:l’idéeestd’attirerlestravailleursmigrantsayantunefortevaleurajoutéedeforcedetravail(diplômésd’université,talentsmanquantàShanghai,etc.)oucapablesdecréerdesentreprises.Certainschercheurssuggèrentdefairevenirdejeunestravailleursmigrants,plusvolontairesquelesShanghaiens,quicréeraientdesentreprisesetemploieraientlestravailleurslocaux.

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Sicettepolitiqueprévalaiten2004,elleareculéunanaprès.Ainsi,entrejuinetoctobre2005, le nombre de «talents»22 provinciaux ayant obtenu un permis de résidence àShanghaiabaissédemanièresignificative,entraînantundébatentrelesfonctionnairesdelamunicipalité qui souhaitent protéger «leurs» Shanghaiens d’une part, et d’autre part leschercheursetlesconsultantsconscientsdesconséquencespossiblessur ledéveloppementetledynamismedeShanghai.Les rapports de lamunicipalité ont donc généralement tendance à critiquer la pressionexercéepar les travailleursmigrantsetprônent sa réductionen limitant leur arrivée.Or sil’onanalyse leproblèmed’unemanièremoinsshanghaio-centrée,onpeutconsidérerquelesmesuresprisesparlamunicipalitédeShanghaipourleréemploide«ses»chômeursnuitàl’emploidestravailleursmigrants,enparticulierdanslesecteurdesservicesdeproximité,et vadoncà l’encontrede la justice sociale.Quel que soit leniveaudequalificationdestravailleursnonshanghaiens, lemarchédu travailsemble fragmenté.Si lediscoursofficielresteen faveurde l’instaurationd’unmarchédu travail fondésur laconcurrenceentre lestravailleurs,lespratiquesdelamunicipalitélecontredisent.CONCLUSIONLesquestionsde l’emploietduchômageont jusqu’àprésentété traitéesàShanghaiparl’adoption d’une série de mesures hétéroclites (allocations pour les chômeurs, mesuresd’incitation à l’embauche, aides à la création d’emplois d’utilité publique, dispositifs deformations, etc.)dont le catalogue s’est étofféd’année enannée,et continueà s’enrichir.Aujourd’hui, le défi que doit relever la municipalité ne réside plus simplement dans lagestionpacifiquedelatransitionversl’économiedemarché.Ilfautdésormaisenvisagerlaluttecontrelechômage,quitouchetouteslestranchesd’âge,surlelongterme.La manière d’aborder le problème du manque d’emploi des deux groupes les plussensibles – les xiagang et les jeunes – témoigne de deux appréhensions sensiblementdifférentesdel’actionàmener.Maislesdispositifsmisenplacetémoignentdel’évolutionde l’actionde l’Etat,quicibledansunpremier tempsdespublics identifiésavantd’élargirlescritèresd’éligibilitéafindeprendreencompteunplusgrandnombredesans-emploi.Ilyalàuneglobalisationdel’actionmenée.Le traitementde laquestionstructurelledesxiagangconsisteàsolder lepassif laisséparl’économieplanifiée.Lemotclédenombreuxprogrammesest «transition»,qu’il s’agissed’une transition vers le marché, ou d’une activité de transition qui leur est fournie enattendant qu’ils prennent leur retraite. Les fonctionnaires envisagent la question avecoptimismecarilsconsidèrentqueletempsrègleranaturellementlaquestion.Enrevanche,lechômagedesjeunessoulèvedevéritables interrogationspourl’aveniret

22 La définition statistique des «talents» recouvre l’ensemble des personnes ayant un niveau d’études aumoinségalaudazhuan(formationcourtedel’enseignementsupérieur).

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placelaChinefaceàdesproblèmessimilairesàceuxrencontrésparlespaysoccidentaux.Ilremetenquestionlastructurationmêmedumarchédel’emploi,ainsique l’adaptationdusystème éducatif aux besoins du marché du travail. Ce nouveau chômage oblige nonseulement lesautoritésàaffiner leursdispositifs,maissurtoutà lesenvisager sur ladurée.Pour le moment, nous l’avons vu, les mesures sont encore balbutiantes, et d’ampleurlimitée.LesdispositifsmisenplaceàShanghaiattestentduvolontarismedelamunicipalitépourprotéger la société du «toutmarché». En apparence, la «logique économique» entre enconflitavecla«logiquepolitique»,etlescadresshanghaiensontfaitlechoixdepréserverlastabilitésociale,véritableboussolequiguidelespolitiquesdel’emploi,quelqu’ensoitleprixéconomique.Silesgouvernementsoccidentauxsubissentlapressionde leurélectoratpour trouver des méthodes efficaces de lutte contre le chômage, en Chine, même s’iln’existepasdedémocratieélectorale, lapressionsurlesautoritéslocalesen lamatièreestbienréelle.AShanghai,lesdirigeantslocauxsontévaluésselonleurcapacitéàmaintenirlapaixsociale.Cettecapacitéalliéeàlacroissancedel’économielocaleestdéterminantepourleurcarrière,etlesdispositifsvisantàatténuerleseffetsdelamarchandisationdutravailetàluttercontrelechômagevisentaussiàatteindrecetobjectif.Lesfinancesconfortablesdelaville laconduisentàêtrepeuregardantesur lanaturedesemploiscrééset leurviabilitéàlong terme.Danscetteperspective,si l’onmesure la réussitedespolitiquesde l’emploiàl’aunede lastabilitésociale,onpeutconsidérerqueShanghaiaatteintsesobjectifs. Ilestalorspermisdes'interrogersurcetteréussitedumodèledeShanghaietsursanatureexacte.S’ils’agit«d’occuperlesinactifs»,lemodèleestunvéritablesuccès.Enrevanche,onpeutdouterqu'unevéritablemarchandisationsoitàl’œuvre.Lesinvestissements–quenouspourrionspresquequalifierd’achats–delamunicipalitédeShanghaivontdanslesensdecertainesrecommandationsdel’économisteHuAngang,notammentcelledelancerun«NewDealàlachinoise»23.Selonlui,lecoûtdelaréformedoitêtreprisenchargepar legouvernement. Il suggèred’utiliser l’argentgagnégrâceauxréformeséconomiques,auxrestructurationsdesentreprisespubliques,pourindemniserlesxiagang. Hu Angang n’utilise d’ailleurs pas l’expression «indemniser les xiagang», mais«acheterlesxiagang».Cetteformulationestparticulièrementintéressantecar,nousl’avonsvu,elleestutiliséeàShanghaipourdécriredifférentsdispositifs:«legouvernementachètedespostespour leschômeurs», «legouvernementachète les résultatsde formation»,etc.Elletraduitainsilamanièredontlamunicipalitéprendàsachargeunepartiedescoûtsdeseffetssecondairesdelamarchandisationdel’emploi.Au fur et à mesure de l’évolution du marché du travail, les origines du chômageressemblentdeplusenplusàcellesdespaysoccidentaux,etlorsquelescausesdiffèrent,lesproblèmes restent les mêmes. Les cadres chinois s’inspirent donc des méthodesoccidentales, etonnecompteplus lenombrededélégationsdubureaudu travailqui serendentenEuropeoudanslespaysasiatiquesvoisinspourétudierl’efficacitédesmesuresadoptées et imiter celles qui leur semblent les plus pertinentes. Les fonctionnaires sontextrêmementdemandeursenmatièredecoopérationetrevendiquentvolontiersl’inspirationd’origine étrangère de leurs politiques. Les formations sont ainsi issues de l’expérienceallemande,etlacréationdemicroentreprisesvientdepratiquesfrançaises.

23Hu,2002.

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LepaysagedespolitiquesdeluttecontrelechômageàShanghai,outrele«quadrillagedela société» qui repose sur les assistants d’emploi, paraît assez similaire à celui que nousconnaissonsenEurope.Cequadrillagen’empêchepourautantni l’emploi,ni lechômagecachés. Les relations entretenues par les assistants d’emploi avec la population lesconduisentàtairecertainessituationsetà«résister»aucontrôledel’Etat.Finalement,l’Etatà Shanghai se transforme en Etat administrateur, et c’est là encore ce modèle qui est«imaginé»àl’échelledupays.Au-delàdespolitiquesdel’emploietdespolitiquessocialesérigéesenmodèle,nombreusessontlespratiquesshanghaiennes,ou«testées»àShanghai,quisontparlasuiteétenduesaupaysentier.Mais si Shanghai sert de modèle au reste du pays, il convient de souligner que l’aired’influencedesdispositifsvolontaristesest leplussouvent limitéeaux travailleursurbains.On ne peut donc parler d’un marché du travail à Shanghai, mais au moins de deux.L’application d’un «modèle de Shanghai» à la Chine entière est donc problématique.Nombredecaractéristiquesdumarchédel’emploiendeveniràShanghaietdespolitiquessociales mises en œuvre sont éloignées des situations auxquelles les cadres d’autresprovincesdoiventfaireface.Dansuneperspectivecomparative,onpeutmentionner icilecontrastequiexisteaveclesprovincesduNord-Est,leLiaoningnotamment,oùen2004letaux de chômage enregistré dépassait encore les 6%. Les mouvements de protestationsd’ouvriers licenciés demeurent encore assez nombreux dans ces provinces, alors queShanghaibénéficiedesecteursdepointequiluipermettentdefinancerdesprogrammesetd’acheterlapaixsociale.Quoi qu’il en soit, cette prégnance du «cas shanghaien» demeure un phénomèneintéressant à étudier. A l'heure où les hommes politiques ayant effectué leur carrière àShanghai quittent peu à peu le gouvernement central, il sera intéressant d'observer si àl’avenirlescadresshanghaienscontinuerontdemenerdespolitiquesinnovantes,ousiseulela présence de leurs pairs dans les plus hautes instances du pouvoir leur a donné cettecapacité.

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Elémentsdebibliographie

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Annexes

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Carte1DivisionadministrativedeShanghai:districtsurbainsetpériurbains

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Carte2Division administrative de Shanghai : districts urbains

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Figure1L’organisationadministrativeàShanghai

Source : Shanghai Almanach 2003

Figure2

LechômageurbainenregistréàShanghaide1978à2004

2,3

3,2

0,20,4

0,60,9

1,31,5 1,4

1,7

2,4

2,8 2,7 2,7 2,83,1

3,5

4,3

4,8 4,9

4,5

2,9

0

1

2

3

4

5

6

1978

1980

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

Années

Taux de chômage (%)

Source : Shanghai Statistical Yearbook, 2002 et Rapport sur la société shanghaienne, 2005

Shanghai compte 18 qu et 1 xian

Municipalité de Shanghai

District (qu ou xian)

bourg bureau de rue Shanghai en compte

99 Shanghai en compte

132

comité de villageois

comité de résidents

Shanghai en compte 3 393

Shanghai en compte 2 044

Les comités sont, à la différence des trois échelons supérieurs, des organisations dites « populaires », dont les membres sont élus. La réalité est plus complexe.

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Tableau1Tauxdechômageurbaindansdifférentesprovincesen2002

Taux de chômage enregistré (%)

CHINE 4,3

Shanghai 4,9

Pékin 1,4

Liaoning 6,5

Zhejiang 4,2

Anhui 4,1

Guangdong 2,9

Chongging 4,1

Shandong 3,6

Source : China Statistical Yearbook, 2003

Tableau2Répartitiondel'emploidestravailleursshanghaiensetmigrantsen2000

Activité Répartition des travailleurs

shanghaiens (%)

Répartition des travailleurs migrants

(%)

Total 100 100

Responsable dans une administration ou une entreprise 3,4 0,6

Technicien spécialisé 12,8 3,8

Employé de bureau 11,8 0,0

Employé dans le secteur commercial 22,4 13,9

Métier de l’agriculture, de la pêche, et de la forêt 11,3 7,3

Métier de la production des transports et des équipements 38,2 2,9

Autres activités difficiles à classer 0,1 11,1

Employé du secteur manufacturier — 25,8

Employé du bâtiment — 19,5

Employé du secteur de la restauration — 6,6

Emploi de service aux citadins — 6,9

Collecte des déchets — 1,6

Source : Rapport 2004 sur la société shanghaienne, d’après les chiffres du recensement