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Les politiques de regulation et le modh d'Edelman : une I analyse en fonction de la sant6 Frayois Riuest dans- I'industrie de I'amiante Sotiimaire. Le centre d'intkr6t de cet article rkside dans les politiques de regu- lation. I1 s'agit de mettre A contribution un modhle thkorique des politiques de rkgulation peu utilid, soit celui de Murray Edelman, en l'experimentant sur une politique elle aussi n6gligCe des chercheurs, soit l'intervention de l'Etat en matihre de santk au travail. Pour des raisons essentiellement d'ordrc pratique, nous concentrons notre analyse sur la regulation de I'empoussi6rage dans l'in- dustrie primaire de l'amiante au QuBbec. Quant au modele d'Edelman, qui postule que les politiques de rkgulation sont symboliques, il est disskquk et resume sous fonne de trois propositions principales. La premiere explique pourquoi l'Etat entreprend d'klaborer une politique de rkgulation ; la deuxieme montre comment s'exerce cette politique de rkgulation; et, la troisihme s'applique A ddgager les conskquenccs rkelles de cette politique de rkgulation sur ceux en fonction de qui elle existe. Notre examen empirique de chacune de ces propositions nous amhne h con- clure que seule la dewihme est vkrifike quant au fond, de facon relativement satisfaisante (cette proposition affirme que l'organisme rkgulateur sera domink par ceu qu'il veut contr6ler). Ainsi notre dtude de cas vient supporter un courant de penske trhs influent parmi les analystes des politiques de regulation. En dernier ressort, nous tentons de mettre en relief ce qui nous est apparu comme &ant l'idke la plus originale du modele des politiques de rkgulation d'Edelman. Abstract. This article is primarily concerned with regulatory policies. Murray Edelman's little-used theoretical model for regulatory policies is experimentally applied to the policy of state intervention in the field of industrial health, one which has also been neglected by researchers. For practical purposes, we have concentrated our analysis on dust-control regulations in Quebec's primary as- bestos industry. Edelman's model, which postulates that regulatory policies are symbolic, has been broken down and summarized within three main propositions. The first explains why a government attempts to draft a regulatory policy; the second shows how such a policy is applied; the third is concerned with the actual consequences of this policy for those affected by it. Our empirical examination of each of these propositions leads us to conclude that only the second can be substantially verified in a satisfactory manner (this proposition avers that the regulatory agency will be dominated by those it wishes to control). To this extent our case study provides support for a theory which Franqois Rivest est fonctionnaire au Gouvernement du QuGbec. II remercic AntlrP Blais. professeur ii l'Universit6 de Montrhal, pour son apport dam cette rwherche.

Les politiques de régulation et le modèle d'Edelman: une analyse en fonction de la santé dans l'industrie de l'amiante

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Les politiques de regulation et le m o d h d'Edelman : une I analyse en fonction de la sant6

Frayois Riuest

dans- I'industrie de I'amiante

Sotiimaire. Le centre d'intkr6t de cet article rkside dans les politiques de regu- lation. I1 s'agit de mettre A contribution un modhle thkorique des politiques de rkgulation peu utilid, soit celui de Murray Edelman, en l'experimentant sur une politique elle aussi n6gligCe des chercheurs, soit l'intervention de l'Etat en matihre de santk au travail. Pour des raisons essentiellement d'ordrc pratique, nous concentrons notre analyse sur la regulation de I'empoussi6rage dans l'in- dustrie primaire de l'amiante au QuBbec.

Quant au modele d'Edelman, qui postule que les politiques de rkgulation sont symboliques, il est disskquk et resume sous fonne de trois propositions principales. La premiere explique pourquoi l'Etat entreprend d'klaborer une politique de rkgulation ; la deuxieme montre comment s'exerce cette politique de rkgulation; et, la troisihme s'applique A ddgager les conskquenccs rkelles de cette politique de rkgulation sur ceux en fonction de qui elle existe.

Notre examen empirique de chacune de ces propositions nous amhne h con- clure que seule la dewihme est vkrifike quant au fond, de facon relativement satisfaisante (cette proposition affirme que l'organisme rkgulateur sera domink par ceu qu'il veut contr6ler). Ainsi notre dtude de cas vient supporter un courant de penske trhs influent parmi les analystes des politiques de regulation. En dernier ressort, nous tentons de mettre en relief ce qui nous est apparu comme &ant l'idke la plus originale du modele des politiques de rkgulation d'Edelman.

Abstract. This article is primarily concerned with regulatory policies. Murray Edelman's little-used theoretical model for regulatory policies is experimentally applied to the policy of state intervention in the field of industrial health, one which has also been neglected by researchers. For practical purposes, we have concentrated our analysis on dust-control regulations in Quebec's primary as- bestos industry.

Edelman's model, which postulates that regulatory policies are symbolic, has been broken down and summarized within three main propositions. The first explains why a government attempts to draft a regulatory policy; the second shows how such a policy is applied; the third is concerned with the actual consequences of this policy for those affected by it.

Our empirical examination of each of these propositions leads us to conclude that only the second can be substantially verified in a satisfactory manner (this proposition avers that the regulatory agency will be dominated by those it wishes to control). To this extent our case study provides support for a theory which

Franqois Rivest est fonctionnaire au Gouvernement du QuGbec. II remercic AntlrP Blais. professeur ii l'Universit6 de Montrhal, pour son apport dam cette rwherche.

LES POLITIQUES DE REGULATION

is highly influential among regulatory policy analysts. Finally, we have attempt- ed to highlight the most original idea in Edelman’s model of regulatory policies.

InterQt du modele d’Edelman et de la politique de regulation retenue pour examen

Les politiques de regulation sont devenues avec le temps un champ d’ac- tivite majeur des gouvernements. Les op6rations bancaires, les institutions financiitres, le transport, la concurrence economique, les relations de tra- vail, la sante et la dcurite, l’energie, la consommation et l’environnement constituent probablement les secteurs oh on retrouve le plus grand nom- bre de politiques r6gulatrices.l Leur ampleur est maintenant telle qu’il est permis de dire there are now very few, if any, private economic decisions that are not affected by one class of regulations or another B . ~

Les politiques de regulation se reconnaissent generalement par la pr6- sence d’un contrhle Btatique sur l’activite de groupes. Ce contrble vise a assurer que les groupes se comportent de facon conforme B une certaine re- presentation de 1’intCrbt public. I1 repose donc sur la formulation de rbgles de conduite et/ou de normes qui viennent prbter un contenu ponctuel au concept d’inter&t public, et sur la constitution d’un animateur et arbitre de l’application de ces rkglements, c’est-A-dire l’organisme rkgulateur.

Depuis quelques annhes, les politiques de regulation interessent un grand nombre de chercheurs, Bconomistes et politicologues en particulier, et plusieurs modkles theoriques des politiques de rhgulation sont apparus. Parmi les moditles qui ont le plus retenu l’attention, il convient de men- tionner ceux de George J. Stigler et Theodore J. Lowi.

Stigler remet carrkment en question le bien-fond6 des politiques de regulation.g I1 estime que les entreprises, souvent, recherchent la regula- tion parce qu’elle a pour condquence de restreindre la competition. Non seulement les politiques de regulation sont-elles inutiles, en ce sens qu’elles n’atteignent jamais leur objectif de protection des citoyens, mais en plus, elles sont contre-productives parce que l’interbt du citoyen serait mieux servi en laissant jouer le dynamisme nature1 des forces du marche. Quant 21 Lowi, sa proposition est beaucoup plus prudente puisqu’il con- siditre que rien de d6finitif ne peut &re conch au sujet des politiques de reg~lat ion.~ Celles-ci sont le lieu par excellence de la politique des

1 cette brkve nomenclature nous est inspirke par 8 Government Intervention *, Bclsiness Week, no. 2477 (April 4, 1977); voir plus particuliPremeiit pp. 53-6. 2 Albert Brekon, The Regulation of Priuute Economic Actioify (Montreal : C.D. Howe Research Institute Commentary Series, 1976), p. 1. 3 Voir G.J. Stigler, The Citizen and the State : Essays on Reguhtiun (Chicago : University of Chicago Press, 1975). 4 Voir T.J. Lowi, Distribution, Regulation, Redistribution : the Functions of Gov- ernment 8 , in Randall B. Ripley, Public Policies and their Politics (New York: W.W. Norton, 1966), pp. 27-40.

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PHANCOIS RIVEST

groupes, c'est-a-dire qu'elles sont l'expression des rapports de force exis- tant parmi les groupes concernks pour chaque politique de rkgulation. Lorsqu'il s'agit de rendre compte d'une politique de rkgulation, il faut donc, selon Lowi, s'en remettre B l'approche de l'hcole pluraliste.

Le but de cet article n'est cependant pas de faire le point sur ces modkles qui ont 6th abondamment comment&, mais plutdt de prendre en considkration un modele qui ne nous semble pas avoir connu la discus- sion qu'il mkrite. Ce modkle a 6th mis de l'avant par un politicologue amkricain influent, Murray Edelman. Tat dans sa carrikre, ce dernier a entrepris dktudier les politiques de rkgulation. Sa premikre oeuvre pu- blike, soit sa thbse de doctorat, portait sur la rCgulation de l'industrie de la radiodiffusion aux Etats-Urk6 Durant les annkes 50, il Ccrivit, entre autres, quelques articles sur l'administration des lois ouvriAres." Enfin, il fit, en collaboration avec un autre politicologue, une ktude approfondie des politiques de contrde des prix et des salaires que connurent quatre pays ouest-europkens entre 1948 et 1963.'

En 1964, Edelman publie un premier ouvrage essentiellement thkori- que : The Symbolic Uses of Politics.s Comme l'indique son titre, cet ouvrage tente de dkgager certains des aspects de l'utilisation des activitks politiques B des fins symboliques, et, pour Edelman, l'activit6 rbgulatrice est certes l'une des plus rkvklatrices parmi celles-ci.O

Trks brikvement, le modkle des politiques rhgulatrices qu'klabore Edelman postule que celles-ci ne font que masquer ce qu'elles prhtendent corriger. Leur effet rkel est d'htouffer la vigilance du groupe qui rkclamait les changements, ce qui, en retour, ne fait que renforcer la position domi- nante du groupe directement v id par la rhgulation 6tatique. C'est pour cela que la r6gulation est symbolique : elle gkn8re des rksultats tout autres que ceux publiquement escompths par le lhgislateur : e Every symbol stands for something other than itself B .lo

L'usage que l'on a fait de ce modhle particulier des politiques de rkgu- lation a 6th A l'image du sort qu'a connu le livre d'Edelman en gknkral. Les chercheurs intkresds par les politiques gouvernementales sont plu- tdt favorablement disposes A l'kgard des theses d'Edelman. Certains d'en-

5 Murra Edelman, The Licensing of Radio Services in the United States, 1927 to 1947 (Uriana : University of Illinois Press, 1950). 6 Murray Edelman, Interest Representation and Policy Choice in Labor Law Administration s, Labor Law Journal, 9, pp. 218-26 ; Labor Policy in a Democ- nacy B, Current History, 37, no. 216, 7 M. Edelman et R.W. Fleming, Tte Politics of Wage-Price Decision : A Four- Country Analysis (Urbana : University of Illinois Press, 1965). 8 Murray Edelman, The Symbolic Uses of Politics (Urbana : University of Illinois Press, 1964). 9 C'est B l'intbrieur des trois premiers chapitras de ce livre que l'on peut puiser r e qu'il convient d'appeler un modBle thbrique des politiques de rbgulation. 10

p. 96-100.

Edelman, Symbolic Uses, p. 6.

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tre eux, tel Anthony King, ont m6me explicitement recommand6 de pren- dre en hautc consideration u the extent to which policy-making is ‘sym- bolic’ in the way that Edelman has suggested >>.I1 D’autres, pour leur part, n’ont pas manque de se referer A Edelman, au stade de leurs con- clusions, lorsque le resultat de leurs recherches particulikres conferait une certaine vraisemblance h ses idees.” Cependant, personne ne semble s’2tre occup5 de sounettre a un examen approfondi les hypothkses d’Edel- man, et son modkle des politiques de rhgulation n’kchappe pas B cette rkgle d6p1orable.l3 I1 nous semble donc justifif5 d’Ctablir minutieusement ce qu’Edelman a dit sur un sujet en particulier, c’est-8-dire les politiques de regulation, et de verifier la pertinence de ses id6es A la lumikre dune 4tude de cas.

Le cas que nous analyserons s’inscrit dans le cadre de la politique de sant6 au travail du gouvernement du QuCbec. I1 s’agit dhtudier la regu- lation de l’empoussikrage dans l’industrie primaire de l’amiante. Les rai- sons de ce choix sont multiples.

I1 y a dabord le fait que ce sujet Gndficie de la rkcente kmergence a of a long overdue concern about the health and safety of workers ... >.14 Dans le cas present, ce nouvel interkt pour ces questions est trks bien servi par les recherches considerables du Cornit6 &etude sur la salubrite dans l’industrie primaire de l’amiante (CESIA), preside par le juge Rene Beau- dry.15 Les recherches de ce comite, combinees au livre de Pierre E. Trudeau sur la grkve de l’amiante de 19491° et aux entrevues que nous

11 Anthony King, On Studying the Inipaots of Public Policies : The Role of the Political Scientist D, in Matthew Holden Jr. et Dennis Dresang, What Guuernment Does (Beverly Hills : Sage Publications, 1975), p. 311. Charles 0. Jones &net le inZme avis dans An Zntroduction to the S t u d y of Public Policy (Belmont : Wads- worth Publishing Co., 1970), pp. 98-9. 12 Voir, par exemple, W.P. Irvine et R.E.B. Simeon, 8 The Prime Minister’s Mail-

Parker, Charging for the Social Services *, Journal of Social Policy, 5, no. 4, pp. 359-73. 13 Cette rbgle vaut en &pit de l’existence de certains travaw inspires des hypo- theses d’Edelman sur les politiques de r6gulation. Selon nous, le modele d’Edelman y est resum6 de facon beaucoup trop superficielle et approximative pour que ces tra- vaux puissent pretendre &re de veritables vkrifications du modele d’Edelman. Voir, par exemple, L.C. Pierce, Wage and Price Controls : Economic Necessity or Polit- ical Expediency 2 D in Holden et Dresang, What Gouernment Does, pp. 51-83; ou, J. Stephens, Medical Experiments on Humans and the Need for a Public Policy D,

in Ho!den et Dresang, What Government Does, pp. 124-50. 14 C.B. Doern, 8 The Political Economy of Regulating Occupational Health : The Ham and Beaudry Reports s, ADMINISTRATION PUBLIQUE DU CANADA, 20, no. 1 ( 1977), p. 2. 15 Quebec, Comitk d’htude sur la salubrit8 dans l’industrie de l’amiante ( prbsident : Ren6 Beaudry), Rapport final, v. I, 266 pp. ; v. 11, 397 p . ; v. 111, 109 pp. et Annere (edition revue du rapport prkliminaire, parue en nvrir 1976), 404 pp., Que- bec, ootobre 1976. 16

bag s, i bMINISTRATION PUBLIQUE DU CANADA, 19, no. 2 (1976), pp. 279-94; et R.A.

Pierre E. Trudeau, La grdue de E’amiante ( Montreal: Editions du Joiir, 1956).

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avons tenues avec quelque huit personnes tres bien plac6es pour con- n a h e la situation dans les mines d'amiante," nous ont permis de reconsti- tuer un portrait que nous estimons fidble de la regulation de l'empous- sibrage dans ces mines, des debuts de cette rhgulation jusqu'en 1975, an- n6e qui fut marqu6e par une grkve de sept mois dans la majorit4 des mines d'amiante du Qu6bec.

Notre Btude se termine donc B l'ann4e 1975 parce qu'il est encore beau- coup trop t& pour Bvaluer les retomMes r6elles de cette grbve sur la rbgulation de l'empoussikrage dans les mines d'amiante. Rappelons que la grbve de 1975 a provoqu6 la formation du CESIA dont les travaux ont su remuer les divers intervenants dans le secteur de l'amiante. D'ailleurs, le gouvernement qu6Mcois a adopt6 en juillet 1977 une norme d'empous- &rage pour l'industrie primaire de l'amiante largement inspirCe des re- commandations du CESIA.~* Cependant, en d6pit de l'adoption de cette norme, toutes les facettes de la politique de r6gulation du gouvemement pour ce secteur ne sont pas connues. L'annonce par le gouvernement qu6- Mcois en Mvrier 1977 de l'6laboration d'une politique globale de sant4 et de dcurit6 au travail est venue prolonger, pour les intervenants en sant6 au travail dans le secteur de l'amiante, la p6riode dincertitude qu'ils con- naissaient d6jB depuis la mise sur pied du CFSIA en juin 1975.'"

Cette politique de rbgulation n'a pas seulement l'avantage d'6tre bien documentde; elle nous permet Bgalement d'isoler les hypotheses d'Edel- man de l'interfkrence possible de certaines variables qui viendraient amoindrir la portke de nos r6sultats. Comme l'a indiquk Bruce Doern, les politiques de rhgulation en sant6 et dcurit6 au travail au Canada sont, d'ordinaire, tributaires d'un ensemble de facteurs, tels que les c o h au producteur engendrds par la rhgulation, l'dconomie concurrentielle, le niveau de chdmage, les ambiguitks du rkgime f6d6ral canadien dans le partage des pouvoirs, les dedoublements de juridiction entre ministkres,

17 M. le juge RenB Beaudry ; M. Jean Cuurnoyer, mimistre des Richesses naturelles de 1975 B 1976 ; M. Georges Courtemanche, inspecteur au service d'inspection des mines depuis 1952 ; M. Guy Gaboury, inspecteur au service d'inspection des mines de 1971 B 1975 ; M. Michel Lesage, mBdecin cadre de 1'Association des mines d'amiante du Quebec depuis 1975 ; M. Constantin Moscu, inspecteur au service d'inspection des mines de 1955 B 1975 ; M. Daniel Perlstein, sous-ministre aux Richesses naturelles depuis 1975 ; M. Louis-Georges Tanguay, inspecteur en chef au service d'inspection des mines depuis 1966. L'auteur remercie ces personnes de leur collaboration. 18 Gouvernement du Qukbec, arrhB-en-conseil no. 2303, du 13 juillet 1977, Rk le ment modifiant les Rdglements concernant la salubritc! et la sbcuritd du travail A n ; les mines et les cawikres. 19 Voir Jean-Claude Picard, * QuBbec songe B imposer B tout employeur une sorte de * contrat colleotif debase ., Le Deooir, 14 fkvrier 1977, pp. 1-2. Soulignons que le gouvemement du QuBbec a publik en octobre 1978 un Livre blanc s u r la sanitk et la skurit6 des travailleurs ; le gouvernement a kgalement rhaffirmb son intention d'adopter une loi cadre sur le sujet, ce qui devrait &tre fait en 1979.

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le peu d’ouverture du processus de regulation au Canada, et le degre dincertitude des connaissances scientifiques.2”

Or, la rkgulation de la santk au travail dans l’industrie primaire de l’amiante hchappe B bon nombre de ces facteurs. La responsabilite du gouvernement du Quebec y est incontestke et, B l’intkrieur de ce gouver- nement, le ministkre des Richesses naturelles a toujours joui d’une juri- diction h peu prks exclusive sur tout ce qui touche au secteur minier.” Alors que bien des responsables de services dinspection affect& B la santk et A la skcuritk au travail, ou ti I’environnement, n’hhsitent pas, pour excuser la porositk de leurs contrbles, d’invoquer la localisation hloignee dune entreprise ou son appartenance A la catkgorie des petites et moy- ennes entreprises, l’industrie primaire de l’amiante au Quhbec, essen- tiellement sise dans les Cantons de 1’Est et employant 6,000 personnes pour le compte de cinq entreprises gknkralement considkrkes comme pros- pkres, ne rkpond nullement a ces attributs.22 Ces m6mes responsables ne peuvent non plus plaider ignorance au sujet des mkfaits de l’amiante, puisque l’amiantose, la plus connue et la plus rkpandue des affections dues A I’amiante, est medicalement bien documentee depuis les annees 30, de m&me que la relation positive entre le niveau d’empoussikrage et la frkquence de cette maladie.23

Au Quebec, on pourrait dire que la regulation de I’empoussikrage dans l’industrie primaire de l’amiante commenqa h &re envisagke vers 1939, lorsque fut adopt6 le premier ensemble complet de << Rkglements con- cernant la salubrite et la skcurite du travail dans les mines )>. En effet, ces rkglements comprenaient quelques articles traitant de faqon gkndrale de

20 Voir Doern, Political Economy m ; et Science and Technology in the Nuclear Regulatory Process : The Case of Canadian Uranium Miners *, ADMINISTRATION PUBLIQUE DU CANADA, 21, no. 1 (1978), pp. 51-82. 21 D e n d r e appellation en liste du ministkre responsable des mines au sein du gou- vernement. Auparavant, il s’aait appelC le ministkre des Mines (1929-1935 ; 1938- 1939 et 1941-1961), le ministere des Mines et des PCcheries rnaritirnes (1940-1941 ), le ministhe du Travail, des Mines et des P6cheries (1939-1940), le niinisthre des Mines et P6cheries (1935-1938), le ministPre de la Voirie e.t des Mines (1928-1929), le ministere de la Colonisittion, des Mines et des P6cheries (1905-1928), le ministhre des Terres, des Mines et des Pbcheries ( 1901-1905), le dkparternent de In Colonisation et des Mines ( 1897-1901), le dkpartement des Terres de la Couronne ( 1883-1897). Pour 6viter toute confusion dans cet article, nous nous rCf6rerocs B ce ministere en tant que * ministhre responsable des mincs m. 22 Ce sont Ih les donnCes de 1974. Les cinq entreprises en question sont Asbestos Corporation ( 2,300 employbs), Bell Asbestos Mine ( 450 ), Canadian Johns-Manidle (2,100), Carey Canadian Mines (400) , et Lake Asbestos of Quebec (550) . Ces entreprises, toutes sous contr6le &anger, exploitent au total neuf mines. 23 Voir Burton Ledoux, * L’arniantose B East Broughton : Un village de trois niillc Lmes Ctouffe dans la poussihre n, Le Deooir, 12 janvier 1949, p. 5, et Gaston Ostiguy, Health Hazards of Asbestos Exposure, Preliminary Report, Science Council of Canada, 1976, p. 14.

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la nkcessitd d'assurer un ahrage adhquat dans les mines.'* Cependant, au- cune norme n'dtait suggkrhe en ce qui concerne les substances nocives, telles que l'amiante. De toute faqon, le service d'inspection des mines ne put disposer d'un ingknieur en ventilation, apte & mesurer l'empoussik- rage, avant 1948, et, dans les faits, la rkgulation de l'empoussikrage ne dkbuta rkellement qu'8 la fin de septembre 1949, lorsque l'une des onze mines alors existantes fut inspectke, pour la premiitre fois, par cet ingk- nieur en ventilation. Cette visite initiale amorqait un processus continu d'inspection des mines d'amiante pour l'empoussikrage. Le service d'in- spection des mines a Btk le maitre d'oeuvre de cette politique de rkgula- tion puisque c'est lui qui Ccrivait les ritglements devant Qtre soumis pour approbation au lieutenant-gouverneur en conseil, et puisqu'il jouissait d'une assez grande autonomie dans la dkfinition de ses prioritks.

Maintenant que les paramittres de notre ktude sont ddfinis et que cer- taines informations d'arrikre-plan, indispensables 8 la comprkhension du sujet, ont Btk apportkes, nous pouvons nous engager dans l'ktude de cas en tant que telle. Les trois hypothitses d'Edelman seront considhrhes dis- tinctement, l'knoncd de chaque hypothese &ant immddiatement suivi de sa dkmonstration.

Le modhle d'Edelman et la regulation de la sante au travail dans I'industrie primaire de I'amiante Fin premiere de I'intervention rhgulatrice: temporiser

Enonce' de Phypothdse La premiere hypothitse d'Edelman ddcrit la phase initiale d'une politique de rkgulation. Comme prkalable B l'intervention rkgulatrice, on retrouve l'expression ouverte d'un diffBrend et l'inkgalitk des forces en prksence. L'Etat ne s'implique qu'une fois cette condition de dkpart remplie. I1 publici~e'~ alors son action afin d'attknuer le ton des revendications.

Un phknomene des plus courants de la vie politique est bien celui oh deux groupes manifestent points de vue et intentions divergents, anta- gonistes m&me, sur un sujet auquel ils sont parties et sur lequel ils ont prise, quoique B des degrks diffkrents. La rkpartition des forces en prk- sence sera habituellement la suivante. D'un cBt6, un groupe peu nom- breux, sachant s'unir en temps opportun, bien organisk, disposant d'une information de premier ordre, ayant des droits et des exigences prkcises (soit en termes de libertd d'action, soit en termes de ressources), et dispo-

24 voir les articles 71, 74 et 75, p. 3726. 25

Arr&tk-en-conseil no. 2290, du 2 novembre 1939, Gazette officielle du Qubbec ;

Nblogisme que le lecteur voudra bien excuser.

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sant dun potentiel certain d’appliquer des sanctions : il est dvidemment le a groupe puissant >. De l’autre &t6 se trouve le groupe qui se sent me- nace par les gestes ou intentions du groupe puissant. I1 est beaucoup plus nombreux, d’organisation interne moins solide, voire improviske, limit6 dans son accbs B l’information, de composition plutdt hhtdrogbne et rallik B la seule fin de se protkger du groupe puissant. Dans le litige qui l’op- pose B celui-ci, il est le plaignant et celui qui tente d’en appeler de son sort auprbs de l’opinion publique.

A la condition expresse que la cause du groupe faible trouve preneur auprbs de l’opinion publique, 1’Etat intervient et tente d’arbitrer le diffk- rend. L‘intervention regulatrice n’est donc jamais preventive. Celle-ci s’actualisera sous la forme d’un texte lkgislatif quelconque et l’application des rbgles qui y sont Blabordes sera confiee A des fonctionnaires ou A une commission.20 L’Etat ne manque pas de publiciser son intervention afin que le public sache que le groupe faible est ddsormais protege et afin de mettre un terme aux hostiliths.

Application de l‘hypothdse En decembre 1948, le regroupement des syndicats de l’amiante, fragile et laborieusement remis en selle au cours des annkes d’aprbs-guerre, ou- vrait les nkgociations avec les compagnies minihres. En t6te de liste de ses demandes de modifications aux conventions collectives existantes figurait a I’hlimination de la poussibre d’amiante B l’inthrieur et A l’extk- rieur des moulins

Au cours des annees 40, certaines personnes de la region de I’amiante s’6taient inquihtkes au sujet de l’amiantose et avaient demand6 au gou- vernement de se pencher sur ce problbme. C’est ainsi qu’entre autres, les inspecteurs du ministbre du Travail et les hygihistes du ministbre de la Sante se rendirent B maintes reprises dans la region. Cependant, ces visi- tes, de m6me que les autres initiatives du gouvernernent,28 ne surent ap- porter auciin resultat tangible. Ces nCgociations permettaient donc aux syndicats 3e remettre la question de l’amiantose B l’ordre du jour.

Ce qui toutefois contribua au premier chef B faire de ce problbme un enjeu public fut la publication, le 12 janvier 1949, d’un long reportage de Burton Ledoux sur l’amiantose B East Broughton.20 L’annBe prkckdente, ce journaliste franco-americain avait acquis une certaine notoriete en publiant une longue Qtude sur le problbme de la silicose au Quebec dans

26 Que cet organisme Sgulateur soit une unit6 d’un ministdre ou un organisme * indkpendant B est sans importance pour Edelman. Voir Symbolic Uses, p. 43. 27 Histoire des nbgociations B, in Trudeau, Lo grhe, p. 214. 28 C’est-8-dire une reunion du cornitk des bills publics sur le sujet et un stage d’ktude offeFt 8 1111 avocat et 8 un mbdecin. Pour plus de dktails, voir Ledoux, a L’amiantose *, pp. 7-8 et Pierre LapoHe, c L’amiantose et la silicose Q la harre dc YAssemblhe lhgislative 8 , Le Deuoir, (17 fbvrier 1949), pp. 2 et 12. 29 Ledow, pp. 5-8.

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FHANCOIS HNEST

la revue ReZations.aO Cette ktude ktait centr6e sur une mine situke A Saint- RBmi d’Amherst. Aux dires de GCrard Pelletier, qui 6crivait ces lignes en 1956, a la dknonciation de la compagnie crda tout un scandale A 1’6~0- que B . ~ ~ Relations et Le Devoir ont d’ailleurs tenu au printemps 1978 A comm6morer l’importance historique du a scandale de la silicose B , ~ ? rk- vkl6 par Ledoux a dont l’article avait atterr6 l’opinion publique Effec- tivement, l’article de Ledoux eut un grand retentissement. L’affaire fut amplement comment& dans les journaux et A I’Assemblke lkgi~lat ive.~~ Elle provoqua une crise dans la direction de la revue Relations, le jdsuite directeur de la revue ayant autorisk la publication de cet article dtant li- mogk et muth a Winnipeg en juin 1948. Quant A la compagnie viske par Ledoux, elle entreprit presque aussitbt de raser ses installations.

Proscrit de Relations, Ledoux revenait B la charge, cette fois pour le compte du Devoir, avec une Btude similaire sur l’amiantose : < ... ce pro- cbs des conditions d‘hygibne dans les mines d’amiante causa tout de suite beaucoup d’kmoi EncouragC, Le Devoir ouvrit A partir du 24 janvier me chronique presque quotidienne intitul6e a L’amiantose )), qui sut retenir, et attiser peut-&tre, I’attention sur ce sujet. Au cours de la deu- xifime moitiC de fCvrier, cette attention se dkplap en faveur des pCripkties de la grbve de I’amiante elle-mGme, d6clenchCe le 13 fhvrier, et cette chronique disparut. Nkanmoins, l’article de Ledoux et la campagne du Devoir renforcbrent la dktermination des syndicats d’exiger 1’6limination de l’empoussikrage parce que, d‘une part, ils se savaient maintenant a appuyks de l’extkrieur B~~ et, d’autre part, c’6tait la premibre fois que I’ensemble des mineurs avaient accbs A des informations scientifiques s6- rieuses et brillamment vulgarisees sur la nature des problbmes de santk qui les rnena~aient.~’

:;O Burtoil Ledoux La silicose de Saint-Htmi d’Aniherst B 1’Ungava D, Relutiorcs, 8. I N ) . 87 (mars 1948), pp. 67-86. :31 G6rard Pelletier, a La g r b e d la presse D, in Trudeau, La grdoe, p. 281, note infrapagiiiale. 32 Sur la couverture du nuni&ro de mars 1978 de la revue Relutions, on peut lire : a 11 y a trente ans, ce mois-ci, paraissait le numtro le plus explosif de I’histoire de Relations . . . B. Ce iiumkro contient un article qui refait l’histoire de cet hvtnement : Jean-Pierre Richard, a Saint-RCmi d’Amherst il y a trente ans on : l’atroce surprise B,

Relations, no. 435 (mars 1978), pp. 77-81. Le Deooir a Cgalemcnt public! cet article, cn l’abrkgeant quelque peu, dans son Cdition du 13 avril 1978, sous le titre : a Saint- R&mi d’Amherst : I1 y a 30 am kclatait le scandale de la silicosc s, pp. 1 et 14. 33 Le Deooir, 13 avril 1978, p. 14. 34 Le Deooir affirme avoir publie a m e quinzaine d’articlrs B l’kpoque sur le sort des mineurs dc Saint-Rkmi d’Amherst *. Voir la note du Deuoir i l’article de J.-P. Richard, p. 1. 3.5 Pelletier, a La grhve et la presse * p. 281. 36 GCrard Pelletier, a L’amiantose, quinze jours aprks B, Lc Devoir, 29 janvier 1949,

:37 Les sections I et 111 de l’article de Ledoux, qui flit repris et distribui. par Le Deooir s o u s forme de brochures, tie traitaient que de cela. Voir Ledoux, a L’amian-

p. 2.

tosc m, pp. 5-6.

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L H POLlllQUES DE REGULATION

De fait, plusieurs tkmoignages concordent pour nous permettre d’af- firmer que, durant cette grkve de quatre mois et demi, c’est le grief en matikre de salubritk qui apparut comme le plus important aux yeux de l’opinion publique et qui, conskquemment, contribua le plus A lui g a p e r sa sympathie et son support.38

L’inkgalitk des forces en prksence nous semble manifeste. Sept entre- prises, pour la plupart intkgrkes A des rkseaux corporatifs d’envergure internationale, face A 5,000 mineurs regroupks en grande partie dans des syndicats affiliks A la Confkdkration des travailleurs catholiques du Ca- nada, centrale aux ressources plutdt limitkes.39 A s e d titre d’illustration, mentionnons le fait que les compagnies, tout en niant la nocivitk de l’a- miante, avaient entrepris depuis au moins 1948 de mesurer I’empoussik- rage sur leurs propriktks; pour leur part, les syndicats ne pouvaient s’of- frir aucune expertise pour kvaluer les torts causks par I’amiante sur la santk de leurs membres. I1 va sans dire que I’inkgalitk des deux groupes a 6tk accentuke et dramatiske par I’hostilitk envers les ouvriers des forces policikres dkpkchkes dans les localit& affectkes par la grkve.

Pourtant, en dkpit de tout cela, le gouvernement s’est refus& A adopter des mesures spkciales pour rkgler le problhme de l’empoussikrage dans les mines d’amiante. La stratkgie qu’il tint pour rassurer le public durant ce conflit fut d’amoindrir la gravitk du problkme et, aussi, de publiciser les demarches entreprises antkrieurement, 6voqukes ci-dessus.

Cette nkgation publique de la pertinence du problkme de la part du gouvernement n’en a pas moins empbchk le ministkre responsable des mines d’arreter un programme de regulation de I’empoussikrage pour les mines d’amiante, une initiative qui retardait de dix ans par rapport au mandat legal qui lui incombait en vertu des Rkglements de 1939. I1 fut dkcidk que l’empoussikrage de ces mines allait dksormais &re mesurk et que le service d’inspection guiderait son action sur la base de la norme internationale de 5 millions de particules par pied cube (m.p.p.c.). Le processus d’inspection commenqa quelques semaines aprks la grkve.

Cette intervention rkgulatrice en douce, dont aucun ministre d e 1’6~0- que n’a revendiquk la ~ a t e r n i t P , ~ ~ ne visait nullement A rksoudre le climat de tension engendrk par les suspicions du public A I’kgard de l’amiante.

38 C’est la question de l’amiantose qui, dans ce conflit industriel, avait soulevC davantage l‘opinion publique * - Andrk Roy, * L’arbitrage de I’amiante *, Relations. (mars 1950), p. 70. Pierre Vadboncoeur nous a fait part du m@me point de vue, dans des termes A peu prhs iden’tiques. Entretien t6lCphonique avec P. Vadboncoeur, le 7 juillet 1977. 39 CTCC - devenue la Confkdkration des syndicats nationaux ( CSN) en 1961. 40 Le ministre des Mines de l’kpoque, C.D. French, n’a as laissk de a mkmoires s,

ministre de la Santk l’ont fait, at ni l’un ni l’autre ne font la moindre mention de cette initiative du service d’inspection. Voir Antonio Barrette, Mkrnoires, tome 1 ( Montreal : Beauchemin, 1966), et Albiny Paquette, 33 onnkes d la Ldgislnture de Qu&bec (Mont- Laurier : dditeur Gilbert Paquette, 1977).

inais le ministre du Travail, que ce conflit placa continue1 Y emen(t sur la sellette, et le

299 ADhIINISTRATION PUBLIQUE DU CANADA

FHANCOIS RIVEST

Les motifs rkels de la mise en place de cette politique de rkgulation ktaient essentiellement organisationnels. I1 s’agissait pour le ministere responsable des mines et le service d’inspection d’occuper de faSon con- crete un champ de juridiction qu’ils monopolisaient formellement depuis plusieurs annkes, mais que les intrusions rkcentes des ministhres de la SantC et du Travail dans les mines d’amiante risquaient de remettre en cause. Ce danger ktait d’autant plus rkel que les manquements du service d‘inspection des mines et de son ministere dans ce dossier ne pouvaient Cchapper 8 aucun responsable averti du partage des compCtences entre ministkres au gouvernement du Qukbec.

Domination de I’organisme regulateur par le groupe puissant

Enonck de 2’hypothdse Cette deuxikme hypothese d’Edelman affirme que les organismes rhgu- lateurs u ... are to be understood as economic and political instruments of the parties they regulate ... L’administration au jour le jour de la politique de rhgulation laisse l’organisme rkgulateur et le groupe puis- sant seuls en presence. Ce dernier parvient a dominer l’organisme parce que, d’une part, celui-ci se retrouve avec des instruments lkgaux dkficients de m&me qu’avec des ressources humaines et budgktaires insuffisantes, et, d’autre part, certaines forces affectent la dktermination du personnel de l’organisme 8 s’acquitter de son mandat.

L’ambivalence des lkgislateurs face aux groupes en prksence leur a fait voter des textes de lois qui, A l’analyse, se rkvklent imprkcis et offrent maintes kchappatoires. Cette m&me ambivalence des commettants face A l’organisme contraint celui-ci A adopter un comportement prudent, voire timork, et 8 mettre de d t k les initiatives qui pourraient pr&ter 8 contro- verse. De plus, l’organisme manque de personnel et ne dispose pas de vbritable autonomie budgkaire, ce qui le rend d’autant inconfortable face aux pressions de l’extkrieur.

D’autres forces agissent sur la volont6 m&me du personnel de l’or- ganisme B accomplir son mandat, c’est-8-dire A appliquer des rkgles dont la finalit6 est d’aider le groupe faible. I1 sait pertinemment que sa IibertC d’action est toute relative, son mandat pouvant l’amener 8 heurter de front des intkr&ts tres rkels. En plus d’assumer par dkfinition le r81e du groupe faible, l’organisme ne peut faire autrement que d’assumer aussi le rdle du groupe puissant, et cela d’autant plus que ce groupe dispose des moyens pour se faire entendre avec promptitude et force. Pour guider son action, l’organisme doit donc s’identifier au groupe puissant et cela reprksente pour lui une premikre invitation 8 devenir ambivalent vis-A-vis ce

41 Edelman, Symbolic Uses, p. 58.

300 CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION

LES POLITIQUES DE REGULATION

groupe. D’autres facteurs trks concrets interviennent pour crker vkritable- ment une dynamique &attraction vers le groupe puissant. Parmi ceux-ci, notons les frkquentes rencontres entre membres de l’organisme et groupe puissant ou celui-ci a l’occasion de faire valoir sa vision des choses de mOme que l’importance de sa survie kconomique; entrent kgalement en ligne de compte les possibilitks en termes de dkbouchks de carrikre qu’en viennent A reprksenter les op6rations de ce groupe puissant pour les mem- bres de l’organisme.

En plus de cet attrait ressenti envers le groupe puissant, le travail du personnel de I’organisme est handicap6 par certaines tendances com- munes des groupes dans leur comportement. Ceux-ci, par exemple, re- cherchent l’unitk dans la penske et essaient de se dkfaire des agents de friction. Dans un groupe oh il y a hikrarchie, tel un organisme rkgula- teur, la tendance au conformisme des groupes est accentuke d’autant. Si les sugrieurs paraissent satisfaits de 1’6tat des choses, les subordonnks n’oseront pas provoquer les remises en question que leur dicte pourtant leur exp6rience pratique, sur le terrain, de la rhgulation.

Application de l‘hypoth2se42 Le CESIA a fait exkcuter par un groupe d’avocats une ktude juridique dk- taillhe des a Reglements concernant la salubritk et la skcuritk du travail dans les mines et les carrikres B , ~ ~ adoptks en vertu de la a Loi des mines B. Cette ktude a rkvklk que seize des vingt-cinq articles concernant la salubritk que comptent ces Rkglements ne sont pas valides. Soit qu’ils conferent des pouvoirs discrktionnaires, non autorisks par la loi des mines, aux inspecteurs, soit que leur formulation laisse place A trop d’imprkci- sions, ou soit les deux.

Les derniers a trouver trop skveres les rksultats de cette ktude ont bien dQ Ctre les inspecteurs eux-memes. Ce sont eux qui prkparent les rkgle- ments et ceux-ci sont leur outil de travail de base : ils sont donc bien plads pour savoir ce qu’ils contiennent. Or, < la question de l’imprkcision ktait connue de tous Lors des rencontres prhparatoires B la refonte des Reglements survenue en 1971, certains inspecteurs tentkrent d’amener le service d’inspection A rompre avec cette faqon de prockder, mais ils ne purent gagner A leur cause la majoritk de leurs confrkres. Cela s’explique facilement : ktant ceux qui font appliquer les rkglements, les inspecteurs essaient de s’octroyer la plus grande marge de manoeuvre possible et

42 Cette dhmonstration de la deuxiBme hypath8se d’Edelman repose essentiellement sur un examen du service d’inspection depuis 1970. Cependant, rien ne nous permet de croire que la situation au cows des ann6es antkrieures Ctait diffkrente. 43 Tels qu’ils apparaissent dans leur version remani6e de 1971, annee de leur sede refonte depuis 1939. Vmr Pierre-AndrB CBtd et al., Validitd et application des Rdgle- ments concernant la salubritd et la sdcuritd du travail duns les mines et carrikres, CESIA, document 3, QuCbec, octobre 1976, pp. 1-43 plus particulit.rement. 44 Entrevue avec M. Constantin Moscu, QuCbec, le 5 juillet 1977.

301 ADMINISTRATION PUBLIQUE DU CANADA

WHANCOIS HIVEST

a cherchent inhvitablement B faire des rkglements peu contraignants 2 .46

C’est dans la logique des choses que de vouloir s’hviter toute complication et c’est effectivement ce B quoi en est arrivh le service d’inspection : ni contravention ni poursuite n’ont jamais 6th signifihes aux entreprises d’ex- traction de l’amiante en vertu des articles concernant la salubrith dans les Rkglements.4*

En matihre d’empoussihrage des lieux de travail, le service d’inspection avait pousd la precaution jusqu’h omettre d’inclure dans les Rkglements des normes prkcises. Ainsi, la norme de 5 m.p.p.c. pour les poussikres d’amiante htait une norme interne, n’ayant aucunement force de loi. Com- ment s’ktonner dks lors que les recommandations du service d’inspection a Ctaient limitkes B l’expression d’un ensemble de voeux pieux

En dhpit du fait que le personnel des inspecteurs ait augment4 B un rythme voisin de celui de la fonction publique quhbtkoise, tous, inspec- teurs inclus, s’accordent pour dire que les inspections ne se faisaient pas en nombre s~ f f i s an t .~~ Au chapitre de l’empoussihrage, les quelque dix mines d’amiante du Quhbec, qui reprhsentent environ un cinquikme des mines quhWcoises, n’ont pu &re inspecthes pour empoussikrage plus dune fois aux deux ou trois ans pour chacune d’entre e l l e ~ . ~ ~ I1 est 6vi- dent que de tels intervalles faisaient que les recommandations adresskes aux compagnies restaient sans suitesw Entre 1970 et 1975, le service d’ins- pection a tenth de remhdier au problhme en augmentant de 2 B 5 le nombre d’inspecteurs sphcialisks en ventilation et empoussihrage, mais cela n’a pas permis d’acchlhrer la cadence des inspections de faqon satis- faisante.

Cette augmentation rapide, venue sur le tard, laisse prhsager que s’il l’avait vraiment voulu, le service d’inspection aurait pu disposer de res- sources budghtaires plus substantielles. Mais il semble que ce dernier ne voyait pas en grand, et, condquemment, les crhdits qui lui furent accor- d& augmenthent de faSon conservatrice.

Cette retenue du service d‘inspection dans l‘appropriation de moyens adCquats pour remplir son mandat lui a certainement 6th inspirhe en grande partie par le ministkre dont il relevait. Ce ministhre, dhs son stade embryonnaire des annhes 1880, a 6th faGonnC par des hommes animks d‘un m&me id6al : la mise en valeur des ressources miniPres du Quhbec.

45 Entrevue avec M . Guy Caboury, Montrbal, le 23 juin 1977. 46 Voir Quebec, CESIA, Annexe, pp. 18 et 376-7. 47 Ibid., p. 18. 48 I1 y wait 8 inspecteurs en 1949 et 18 en 1974. Entre 1955 et 1970, les effectifs de la fonction publique qubbbcoise sont passes de 28,000 i 70,000. Voir F. Rivest, La santk au travail : e‘tude d’une politique d e rkgulation, Universitb de Montrhl, thise de M.Sc. (science politique), janvier 1978, pp. 82-3. 49 Selon le tbmoignage de M. Caboury. Celui-ci, qui Btait inspecteur en ventilation, av‘iit pu retracer copie, dans les archives internes du senice d’inspection, de chacune tlcs visites aux mines d’amiante, effeotdes pour fins d’empoussi6rage. 50 Plusieurs des personnes que nous avons interviewkes ont reconnu ce fait.

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LES POLITIQUES DE REGULATION

Cet objectif, dont nu1 ne conteste le bien-fondk, et certes fort louable B une kpoque oh le dbveloppement minier ktait le fait de dizaines de petits prospecteurs/producteurs saisonniers entibrement soumis aux alhas du cours kconomique des mktaux produits, s’est transmis par osmose aux nou- veaux arrivants parmi le personnel du ministbre et est demeurk inchangk : a Ce ministere a toujours 6th mQ par la promotion du dkveloppement minier au Qubbec; a part ce mandat, on avait comme politique de ne pas avoir de politique )>.51 C’est ainsi que lorsque la richesse du sous-sol quk- bhcois commenp, au cours du xxe sibcle, A attirer des investisseurs im- portants qui ne tardbrent pas B concentrer l’activitk minibre en un nom- bre restreint d’entreprises, le ministere prit l’unique parti de se fkliciter de la tournure des kvhnements et nkgligea de s’engager skrieusement dans de nouvelles responsabiliths moins conformes a son idkal de base. La ra- tionalisation et l’essor du dkveloppement minier au Qukbec lui semblaient enfin assurks et, a son entendement, rien ne devait venir remettre en cause cet acquis. De parrain du dkveloppement minier qu’il ktait, le mi- nistere responsable des mines devint dans les faits parrain des entreprises qui assumaient A leur faGon ce dkveloppement.

C’est seulement dans cette optique que s’explique la volontk farouche du ministere responsable des mines de garder la main haute en matiere de santb au travail dans le secteur minier, alors que tous les autres sec- teurs d’activitk kconomique au Qukbec ktaient soumis A la juridiction du ministitre des Affaires sociales en ce domaine.62 En envahissant ce champ d’activitk pour lequel il n’avait aucune vocation, le ministbre responsable des mines permettait aux entreprises minibres de se soustraire a la juri- diction d’un ministere qui risquait d’6tre moins permkable A leur in- fluence.

Cette interprktation nous semble corroborke par le fait que l’adop- tion des tout premiers rbglements gouvernant certains aspects particuliers de la santk au travail dans le secteur des mines est intervenue en juin 1932,53 trois mois aprbs la parution du Quatribme Rapport de la Com- mission des assurances sociales, dont l’une des deux parties portait sur e l’hygiene industrielle B . ~ ~ Dans ce rapport, la Commission recomman- dait prkciskment au gouvernement de crker une nouvelle section d’hy- giitne industrielle, qui, a Par suite du grand dkveloppement de l’industrie minibre dans la Province et des dangers que cette industrie fait naitre

51 Entrevue avec M . Jean Cournoyer, MontrCal, le 22 juin 1977. 52 Voir Patrick Kenniff et Lorne Ciroux, Politiqucs et poisons : Aspects juridiques, Conseil des sciences du Canada, 1977, p. 7. 53 Rdglements pour la protection des ouuriers dans les exploitations souterraines, arr&tB-en-conseil 1302, du 2 juin 1932, Gozette officielle d u Q&bec ; voir p. 2320 i la section * Akrage 54 QuBbec, Commission des assurances sociales, prksident Edouard Montpetit, Quutridme Rapport, Deuxiime Partie, ministere du Travail, Qubbec, mars 1932, pp.

(art. 10-12).

113-27.

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FRANCOIS RIVEST

quant a l’hygikne, ... devrait ktendre son action aux mines et carrieres B . ~ ~

L‘ex-inspecteur Gaboury nous a d’ailleurs affirm6 que la version des faits que s’bchangeaient les inspecteurs entre eux, pour s’expliquer la presence du service dinspection en matikre de santB au travail, Ctait que u cela s’htait fait sous la pression des compagnies minikres qui voulaient em- p&cher tout autre service d’inspection de s’immiscer dans le secteur des mines Si tel a effectivement 6t6 le cas - ce qui est tout A fait vraisem- blable mais qu’aucun document kcrit ne pourra jamais confirmer - on ne peut douter que l’appartenance du service d’inspection A un ministkre subjuguk par l’imp6ratif de croissance 6conomique du secteur minier ait gravement restreint sa marge de manoeuvre.

La domination du service d’inspection a kgalement ktk assurke par l’attrait ressenti par les inspecteurs envers l’industrie privke. La loi des mines et les rkglements sur la salubritk, qui font gknkralement des exploi- tants miniers les uniques interlocuteurs des inspecteurs, tbmoignent au premier chef de cette attraction. Le fait que le service d’inspection n’ait de lui-m&me consenti aucun effort veritable pour se rapprocher des organisa- tions ouvrikres ne fait qu’ajouter A cet argument. L’attraction exerde par le groupe puissant est Cgalement confirmke par les affirmations de tous les inspecteurs comme quoi ils ne peuvent dissocier l’exercice de leurs fonctions de la survie 6conomique des entreprises visitkes, d’autant plus que les rkgions minieres sont habituellement trks dkpendantes de ces entreprises.

Enfin, un facteur clk dans la domination du service dinspection par les compagnies a 6th la prkpondkrance des ingknieurs miniers tant au service dinspection qu’au sein des compagnies. Non seulement cette pro- fession commune leur confkre-t-elle, A l’instar de toutes les professions, une certaine rbciprocitk d’esprit, mais en plus, le milieu des inghnieurs miniers en Amkrique du Nord prend l’allure dune a petite confr6rie B . ~ ’

Les conskquences de cet ktat de fait sur le travail des inspecteurs sont faciles B deviner. 11s traitaient avec les ing6nieurs des compagnies com- me on traite avec des amis, ce qui ktait loin d’dtre le cas avec les respon- sables ouvriers.

Resultante: Liberte de manoeuvre accrue pour le groupe puissant et contentement du groupe faible

Enonce‘ tle l‘hypothdse Comme la suite des 6vBnements conduisant A I’kbauche dune politique de rkgulation amkne les politiciens A penser dabord B rksoudre la tension

55 trait Q l’hygibne indushielle. 56 57

Ibid., p. 126. I1 s’agit de la recommandation no. 9 de la Commission en ce qui a

Entrevue avec hl. Guy Gaboury. Entrevue avec M . Jean Cournoyer.

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LES POLITIQUES DE REGULATION

plutdt que le problbme, et, comme le groupe puissant parvient a tirer profit des failles dans l’organisation de l’organisme rkgulateur et de cer- taines entraves au bon comportement des employks, les politiques de rkgulation sont symboliques. La conskquence rkelle de ce symbolisme est de renforcer le groupe puissant. Non seulement celui-ci peut-il compter, dans les faits, sur la mdme position de force dont il jouissait avant la rkgu- lation, mais aussi le cadre juridique de la rkgulation vient pr&ter un ca- ractere de lkgitimitk A cette position. De plus, cette position de force ne risque gukre d’dtre attaquke a nouveau puisque l’intervention rhgulatrice a permis d’accorder au groupe faible ce qu’il recherchait avec le plus daviditk : le sentiment d&tre protkgk de quelque manibre. La satisfac- tion qu’il Bprouve d’Ctre entendu apr& si haute lutte lui procure la sen- sation dune grande victoire. Le groupe faible s’efforcera de perp6tuer cette sensation et sera port6 A rejeter toute information qui pourrait re- mettre en question son bien-&tre. Enfin, le fait de voir 1’Etat s’kriger en protecteur du groupe faible met un terme au support actif du public en sa faveur et contribue m$me A atomiser le groupe faible.

Application de l‘hypothdse Durant toute la pkriode 1949-1974, les compagnies damiante ont conti- nu6 A ne faire, en matiere de dkpoussikrage, que ce qu’elles ont bien vou- lu faire. Les progrks effectivement enregistrks A ce chapitre5* ne doivent en rien a 4tre attribuks 21 l’action de l’inspectorat B . ~ : ) 11s sont dus ri des facteurs tels l’intkr6t 6conomique certain pour les compagnies de moder- niser leur Cquipement, ce qui implique l’installation de systemes de rkcupkration de l’amiante plus efficaces, ou encore, la rentabilith de la plupart des mines, qui a permis leur maintien ou transfert de propriktk i des groupes financiers puissants et, conskquemment, moins rkfractaires que d’autres a l’idke dinvestissements en dkpollution.

Quant au service dinspection, il pressait si peu les compagnies que a celles-ci visaient une norme d’empoussikrage plus astreignante que la ndtre B . ” ~ Cependant, ktant laisskes seuls juges de la situation, les com- pagnies avaient toutes les raisons d’&tre satisfaites du service dinspec- tion et ne se gCnaient nullement, en temps opportun, pour le faire savoir.

Ainsi, suite A la formation en 1965 dun a Comitk interministkriel d C - tude des lois et des rkglements concernant la skcuritk publique et la sk- curitk des travailleurs D, l’Association des mines d‘amiante du Quebec a fait parvenir au comitk une courte lettre dans laquelle elle dkclarait ne

58 Entre 1948 et 1975, les ingbnieurs de 1’Associatioii des mines d’amiante du Quk- bec ( A M A Q ) ont c a h k que l’empoussi6rage nioyen des moulins etait pass6 de 72 h 4 m.p.p.c., une diminution de 95%. Voir A&iAQ, La sulubritf duns les mines d’umiaitte, m h o i r e prCsent.4 au CESIA, le 21 novenibre 1975, p. 37. L’ordre de grandeur de cette diminution est gCn8ralement agr.46 dans les milieux inform& tant du gouvernement que des syndicats. 59 60

Entrevue avec M. le juge R e d Beaudry, MontrClal, le 21 juin 1977. Entrevue avec M. Guy Gaboury.

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FHANCOIS W E S T

voir aucun problitme particulier en cette matiitre. Concernant le service dinspection des mines, la lettre disait ceci :

Les compagnies-mernbres ... profitent de l’occasion pour rernercier le ministkre des Richesses naturelles de l’aide apportke de facon soutenue par ses experts en securite dans les mines ,.. Le personnel du ministere des Richesses naturelles a toujours joue son r6le avec competence et rnaintenu des normes &levees dans les conditions de travail. Nous lui exprirnons ici toute notre apprkciation et osons esp6rer que la prbvention des accidents dans les mines sera maintenue sous la juridiction du rniiiistkre des Richesses naturelles.81

Encore en 1976, I’AMAQ a fait entendre un son de cloche tout h fait simi- laire devant le CESIA :

Les compagnies rninieres se sont declarkes gkneralement satisfaites du systkme d’inspection et insistent pour que le ministere des Richesses naturelles continue d‘eff ectuer Pinspection de leurs entreprises ?i l’exclusion de tout autre ministhe ou organisme ,..a

L’attitude des mineurs de l’amiante vis-8-vis le service dinspection en a 6th une dindiffkrence. S’il est acquis que ceux-ci n’ont BtC protCgCs en rien par cette politique de rkgulation, il est tout aussi certain qu’ils n’en furent jamais dupes. La mise en place, A leur insu, de cette politique en 1949 n’a contribud en rien A leur faire llcher prise au sujet de a l’dlimina- tion de la poussihre s .

Lorsque, dans les derniers jours de juin 1949, la gritve prit fin, cette question, comme tant d’autres, n’dtait pas rCgl6e et elle fut soumise 8 l’arbitrage. Le rapport arbitral fut dkposC en dkcembre 1949. Les deman- des des ouvriers concernant l’empoussikrage Ctaient rejetkes. Les ouvriers dknondrent cette dkcision mais s’y conformirent. Ce rellchement dans leur attitude s’explique en bonne partie par le harassement provoquC par la grkve de 1949, longue et livrCe dam des conditions particuliitrement kprouvantes. A moins dune candeur h toute dpreuve, comment, par la suite, auraient-ils pu se sentir protCgks par des inspecteurs qu’ils ne voy- aient qu’une fois les deux ans, Ctant, de plus, a tenus ?I 1’Ccart des resultats des mesures d’empoussikrage s?03

Evaluation du modele Si Yon pr2te au mot a symbolique s le sens peu restrictif de quelque chose dinutile, on peut dire qu’effectivement la rkgulation de l’empoussikrage dans les mines damiante du Quebec entre 1949 et 1975 a CtC symbolique. Au point de depart, celle-ci a camoufld d’autres objectifs que celui par lequel elle se justifiait. L’incondquence du service d’inspection des mines

61 Me‘moire du Syndicat des M&aUos (FTQ) au CESU, janvier 1976, p. 8. 62 C‘est en ces termes que le CESIA rhsumait l’intervention de I’AMAQ au sujet de l’inspection lors de ses audiences. Voir le Rapport final du CESIA, vol. 1, p. 47. 63 CESIA, Annexe, p. 17.

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L U POLITIQUES DE REGULATION

a coiitinuellemeiit eiitravQ la bonne marche de cette politique, 8 tel point que la santd des travailleurs n’en a Mnhficid d’aucune manibre.

Cependant la question de savoir si cette regulation a Ctd symbolique au sens explicite oh I’entend Edelman acquiert une dimension beaucoup plus profonde et seul I’examen du bilan de chacune des hypotheses d’Edelman peut nous permettre d’y rkpondre.

En ce qui concerne le pourquoi de la rkgulation, nous avons vu que I’hypothGse d’Edelman ratait la cible sur le fond. L’intervention rhgula- trice n’a pas ktd mise sur pied par le gouvernement pour comprimer le malaise d’un public affect6 par les abus commis 8 I’endroit du groupe faible. Au contraire, le gouvemement a rhsistk A la demande populaire favorable 8 une action immediate en ce sens et s’est cantonnh dans l’hvo- cation de mesures qui n’avaient pas 6tB publiciskes 8 l’dpoque oii elles furent prises. La ddcision de mettre en branle cette politique rkgulatrice fut prise de fason obscure et rdpondait A des motifs organisationnels de la part du ministere responsable des mines. Celui-ci se devait d’occuper concretement un champ de sa juridiction menace par la crise engendrke par la gritve de 1949.

Cette premiere hypothese recouvrait 6galement l’idke importante qu’une politique de rkgulation n’est jamais prkventive, mais rdactive, c’est- 8-dire qu’elle survient A la suite d’kvdnements provocants, et cela, notre 6tude de cas le confirme.

La deuxibme hypothese postulait que l’agence rhgulatrice allait stre dominde par le groupe puissant; globalement, nous pouvons dire qu’elle est confirmde. Plusieurs des propositions d’Edelman se rdvitlent fondkes : vulndrabilitk et ambiguitd des instruments ldgaux, insuffisance du per- sonnel, tendance 8 I’immobilisme et attraction exerde par le groupe puissant. Notre jugement sur ce dernier hldment doit cependant &re nuand du fait que le service d’inspection n’a pas connu de transfert vraiment significatif cle son personnel au profit du groupe puissant.

Cette hypothese contient d’autres klhments qui, eux, sont apparus tr6s douteux, notamment celui de la vulnkrabilitd des ressources financihres de I’agence rkgulatrice, et cew se rapportant au conformisme des groupes. Le service d’inspedion ayant fait en sorte d’&tre dpargnk de toute forme de ressentiment 8 son Bgard de la part du groupe puissant, ses respon- sables n’ont probablement jamais hprouvd quelque inquietude au sujet du maintien de leurs ressources financi&res.84 De plus, le fait d’&e soumis au processus budghtaire rkgulier du gouvernement mettait le service d’ins- pection A l’abri de coupures radicales dans son budget. Quant au fonction-

64 D’autre part, on devine aishment que des rbcriminations en provenance du groupe faible Q l’kgard du service d’inspection auraient ntcessairement portk sur les manquements de celui-ci et se seraient traduites, eussent-elles port6 fruit, en des hausses de budget.

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nement du service dinspection, il n’a pas souffert de la tendance des groupes au conformisme. Aucun filtrage tendancieux et de nature discr6- tionnaire n’6tait exercC h la sClection du personnel et le climat interne de discussion Btait franc et ouvert, mQme en cas de ddsaccord avec l’ins- pecteur en chef. I1 est trbs rkvblateur, selon nous, que l’inspecteur Ga- boury, celui des inspecteurs qui a probablement le plus remis en question certaines des rbgles de conduite ou des directives du service dinspection, n’ait jamais 6tB rejetd, ni par ses collhgues, ni par l’inspecteur en chef.

L’examen empirique de cette hypothbse nous a permis de cerner deux 616ments importants de preuve qu’on ne retrouve pas dans les proposi- tions dEdelman. L’un, soit celui de la comp6n6tration du service dins- pection par les valeurs et les usages dune profession, se situe cependant dans la logique dEdelman. Par contre, l’autre kkment, soit celui de l’in- fluence nBgative du ministbre dont relevait le service dinspection, ne cadre gubre avec le sens gBn6ral de l’hypothbse d’Edelman.

En effet, pour Edelman, la domination de l’organisme r6gulateur s’expli- que essentiellement par le poids en propre du groupe puissant (si l’on fait exception des problhmes de fonctionnement propres aux groupes). Le groupe puissant exerce son influence soit directement soit par l’entremise des commettants politiques de l’organisme. Cependant, cette dernibre alter- native n’existe A vraiment dire que lors de la p6riode de gestation de l’organisme, lh oh le groupe puissant cherche A s’assurer que la loi sera permissive et que l’organisme ne sera pas sur6quip6. Par aprbs, les com- mettants politiques n’interviendront gubre plus dans le fonctionnement de l’organisme, ce qui, de toute faGon, arrange celui-ci.

Cela lui est nkcessaire et salutaire. L’organisme est trbs conscient du fait que sa simple mise sur pied, peu importe les limites de ses moyens, cons- titue aux yeux du personnel politique une victoire pour le groupe faible. Cette Ctape franchie, l’organisme rbgulateur ne pourra jouir du mkme sup- port car les pressions adverses au groupe faible auront davantage de poids auprbs du personnel politique. Pour Edelman, il ne peut gubre en &tre autrement : une fois la politique de rdgulation mise en place, l’am- bivalence des politiciens les incite naturellement A compenser le groupe puissant de cette victoire du lgroupe faible. La strat6gie de l’organisme est donc d’kchapper B ce mouvement rdgressif en adoptant ac a pattern of action which is not disturbing to these constituents [les commettants de l’organisme] and lets them turn their attention elsewhere B . ~ ~ Les politi- ciens ne font plus figure, dans la vie de l’organisme, que dintervenants conditionnels, c’est-h-dire d’acteurs qui n’entreraient en action qu’ad- venant les cas ob ils estimeraient que l’organisme se comporte de faGon indue avec le groupe puissant. Cela &ant plut8t le cas d’exception, l’or- ganisme, concrbtement, ne vit qu’en compagnie du groupe r6glementC. 65 Edelman, Symbolic Uses, p. 55.

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LES POLITIQUES DE REGULATION

Donc, si on envisage les choses A moyen et A long terme, il ressort de cette dkmonstration que le groupe puissant parvient seul A dominer l’or- ganisme et n’a pas besoin d’alliCs actifs pour ce faire. Or, dans notre Ctude de cas, faits et tkmoignages concordent pour attribuer un rdle d’appoint continu et non nhgligeable A la direction du ministbre responsable des mines dans la domination du service d’inspection, et cela va B l’encontre de ce que dit Edelman.

La troisibme hypothbse d’Edelman attribuait B la rhgulation la consk- quence principale de renforcer la position du groupe puissant tout en parvenant, par le symbolisme qu’elle irradiait, B contenter le groupe faible. Nous avons vu que tel n’ktait pas le cas. L’action si visiblement mediocre du service d’inspection des mines n’a pas permis aux entreprises d’extrac- tion de l’amiante de faire de celui-ci un rempart de leur libertk d’action, pas plus qu’elle n’a su assurer la soumission des mineurs face A la conti- nuation patente des abus dans l’empoussikrage des mines auxquels le ser- vice d’inspection prhtendait avoir mis un terme.

L’kchec de cette hypothbse d’Edelman peut &tre relativise du fait que ce qu’elle btablissait pour le groupe faible htait lik ktroitement A l’idke que l’amorce de la politique de regulation htait fortement publicishe et que ce dhploiement contribuait directement A rksoudre de fortes indcu- rites chez le groupe faible. En fin de compte, le contentement du groupe faible devant la politique de r6gulation s’expliquait par sa volontd de per- p6tuer le sentiment de rhconfort que lui avait procurk l’annonce de la politique de rhgulation, et par son manque d’aptitudes A percer l’hcran que dresse l’organisme de regulation autour des op6rations du groupe puissant, chacune de ces propositions agissant sur l’autre. Or, la politique de rhgulation de l’empoussikrage des mines d’amiante n’ayant pas Ctk publiciske, l’absence de contentement du groupe faible est comprehen- sible. Par contre, le modhle d’Edelman ne parvient pas A nous expliquer pourquoi les mineurs ont accept6 de se taire face A une politique qui ne les dupait nullement.

D’autres pourraient bgalement argumenter que l’hchec de cette hypo- thbse par rapport au groupe puissant n’est pas si hvident que cela. En prkvenant la prise en charge du problbme de l’empoussikrage par un ser- vice d’inspection concurrent qui aurait pu 6tre moins sensible aux argu- ments des compagnies minibres, le service d’inspection des mines n’avan- tageait-il pas ces dernibres?

Telle quelle, cette question ne peut que solliciter une rhponse affirma- tive. I1 faut cependant mettre en garde ceux qui seraient tent& de con- sidhrer les choses sous cet angle que ce genre d’a avantages > 6chappe a la logique d’Edelman, dont le modele des politiques de rhgulation fait totalement abstraction des facteurs de nature organisationnelle ou bu- reaucratique. De plus, une telle interpretation doit 6tre fondbe sur la

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prBmisse que le (ou les) service dinspection concurrent aurait effective- ment 4th plus strict avec les compagnies que le service d’inspection des mines, ce qu’aucune Btude, A notre connaissance, ne nous permet de pren- dre pour acquis. Souvenons-nous, d’ailleurs, que les inspecteurs du minis- tbre du Travail et ceux du ministhre de la Santk s’btaient rendus A plu- sieurs reprises dans la rkgion de l’amiante et dans les mines durant les annBes prbchdant la grBve et que ces dkmarches n’avaient pas apporth de rksultats concrets. La peur des compagnies minikres dktre prises en charge par d’autres services d’inspection que celui des mines pourrait davantage tenir de la peur de l’inconnu que d’autre chose.

Cela nous amkne donc A conclure qu’une seule des trois hypothkses d’Edelman est v4rifihe sur le fond, soit l’hypothkse de la domination de l’organisme rhgulateur par le groupe puissant. La premibre hypothbse ne s’est rkvhlhe probante, au mieux, qu’8 la moiti6, le caracthe rCactif de la rkgulation &ant confirmh, tandis que la troisikme p5chait par exag6ration marquee des consbquences de la r6gulation : notre Btude montre que ni le groupe puissant ni le groupe faible n’ont 6th affecths par cette politique de rbgulation et qu’en dhfinitive, le service d’inspection des mines a vkcu en vase clos.

En un sens, cet aboutissement de notre 6tude de cas ne devrait pas surprendre car, pour ce qui est des causes et des consBquences des poli- tiques de rhgulation, Edelman explorait un terrain peu dbfrich6. Par contre, l’hypothkse expliquant comment s’exerce la rhgulation est celle qui a le plus d’antkddants thkoriques. Elle s’imbrique dans le courant dit de a la captivith des organismes rhgulateurs P , courant qui explique les insuffisances des politiques de rkgulation par l’asservissement inkvi- table des organismes de rkgulation aux groupes d’inthr6ts qu’elles sont cendes surveiller.8B De fait, cette interprhtation de la fonction de rhgu- lation serait tellement rhpandue, selon R. J. Williams, qu’elle serait deve- nue a a standard explanation in the literature which acts as the starting point for any further research B . ~ ’

Est-ce A dire alors que le modde d’Edelman ne m6rite vraiment pas que l’on s’y arr6te puisque la seule hypothbse v6rifi4e semble Qtre plutbt courante et commune? Nous ne saurions endosser une telle opinion parce que nous croyons qu’EJelman a su traiter du problkme de la domination des organismes rhgulateurs dans une perspective originale et digne d’in- tBr&t.

Cette originalitk repose essentiellement sur le concept de l’ambiva-

66 Le represenbant le plus illustre de ce courant de pensee est probablement Marver €1. Bernstein, qui a expose son point de vue avec force d6tails clans Regulating Bus?- t ies by Independent Commission (Princeton : Princeton University Press, 1955). 67 Robert J. Williams, Politics and the Ecology of Regulation D, Public Adminis- tration, 54 (Fall 1976), p. 320.

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lence. Pour Edelman, l'ambivalence des gens est une donnke de base, un postulat : E( Every man does, in greater or lesser degree, share his adversary's view a .e8 Dans le cadre d'une politique de rkgulation, qui tou- jours vient souligner que deux groupes en opposition d'intkrbts sont quand mbme deux parties d'un tout, que leurs objectifs respectifs sont lkgitimes, et que l'un ne doit plus mettre l'autre en p6ri1, l'ambivalence des commettants politiques de l'organisme face aux groupes en presence, combinbe A celle du personnel de l'organisme, permet au groupe puis- sant, parce qu'il dispose des atouts pour se faire entendre, de retirer l'es- sentiel des benefices de la politique de rkgulation.

L'ambivalence du personnel politique fait qu'il n'ose heurter veritable- ment le groupe puissant, malgre qu'il ait reconnu l'existence d u n pro- blbme et tent6 d'aider le groupe faible. En dotant l'organisme rkgulateur de statuts ambigus, d'un personnel et d'un budget insuffisants, il en hypo- thbque skrieusement l'efficacitk. Quant au personnel de l'organisme, il ne devrait normalement pas Ctre ambivalent par rapport aux deux groupes en prksence, son mandat &ant d'appliquer des rbgles favorables au groupe faible. Cependant, A cause de l'attraction exerde par le groupe puissant, il ne tarde pas A devenir trhs ambivalent. L'ambivalence du personnel de l'organisme et l'ambivalence des politiciens sont 6videmment lourdes de condquences puisqu'elles sont responsables en bonne partie de l'absorp- tion de l'organisme par le groupe puissant.

Que ce soit l'ambiguitk des statuts, l'insuffisance du personnel, etc., au- cun de ces dlkments n'est A proprement parler spkifique A Edelman. Ce- pendant, lui seul a su les articuler autour de ce concept de l'ambivalence. En plus d'btre un apport neuf aux recherches thdoriques sur les politiques de rdgulation, cela constitue certes l'initiative la plus heureuse d'Edelman. L'ambivalence des tierces parties par rapport au groupe puissant et au groupe faible nous apparait comme un concept trks fdcond pour l'6tude des politiques de rdgulation.

68 Edelman, Symbolic Uses, p. 14.

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