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LES POÉTESSES PROVENÇALES > · Hifloire sommaire de la Littérature méridionale au Moyen Age, quelques lignes. Robert de la Busquette, dans son excellent ouvrage, si original,

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LES POÉTESSES

PROVENÇALES >

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J U L E S V É R A N

LES P O É T E S S E S

P R O V E N C A L E S

D U M O Y E N A G E

E T D E N O S J O U R S

L I B R A I R I E A R I S T I D E Q U I L L E T

278, Boulevard Saint-Germain PARIS (7)

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A LA MÉMOIRE

DE

CAMILLE CHABANEAU

MON MAITRE,

QUI ILLUSTRA

LA CHAIRE DE LANGUES ROMANES

DE L ' U N I V E R S I T É DE M O N T P E L L I E R

ET DE

JOSEPH ANGLADE MON CONDISCIPLE ET AMI

QUI OCCUPA BRILLAMMENT

LA CHAIRE DE LANGUES ROMANES

DE L ' U N I V E R S I T É DE T O U L O U S E

J . V .

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Copyright by Librairie Aristide Quillet, IQ46.

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INTRODUCTION

ECI eSt u n livre nouveau. C'eSt la première

fois qu'en France on aura consacré une étude d'ensemble que nous oserons qualifier d'importante aux poétesses provençales du Moyen Age, qui méritent, et pleinement,

de figurer avec honneur, on ne peut dire dans la Littérature française, mais dans la Littérature de

la France. Si, en effet, le provençal n'eSt pas la langue française, c'est une langue de France. Pour avoir vu

1 le jour à une époque où Toulouse et Avignon ne faisaient pas encore partie intégrante du royaume de France, l'œuvre des troubadours et troubadouresses n'en a pas moins été réunie à la Couronne de France, comme Avi- gnon et Toulouse.

Les œuvres des troubadouresses, des trobairitz, n'ont été réunies jusqu'ici que par un romaniSte allemand, Oscar Schultz, dont l'ouvrage, Die provenzalischen Dich-

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terinnen, qui date de 1888, n'a jamais été traduit en fran- çais et s'avère d'ailleurs incomplet.

Les Anthologies des Troubadours, dont nous ne man- quons pas, en français, en allemand, en italien, ignorent à peu près ces poétesses. C'est tout au plus si une ou deux s'y trouvent citées, la comtesse de Die et parfois Clara d'Anduze. M. Alfred Jeanroy, dans son grand ouvrage, qui fait autorité, la Poésie lyrique des Troubadours, leur consacre à peine deux pages ; J. Anglade, dans son Hifloire sommaire de la Littérature méridionale au

Moyen Age, quelques lignes. Robert de la Busquette, dans son excellent ouvrage, si original, les Béatrices, en nomme un certain nombre, mais en ordre dispersé et en de brèves citations. Seule, l' HiHoire littéraire de la France, le véné- rable et monumental ouvrage des Bénédictins, continué par l'Institut, leur fait une belle part, en consacrant à plusieurs d'entre elles des notices plus ou moins étendues et en donnant parfois, en français, des citations assez larges de leurs œuvres.

Ces poétesses, qui sont au nombre d'une vingtaine, n'ont probablement pas écrit beaucoup, et, d'autre part, il s'en faut que tout ce qu'elles ont pu écrire nous soit parvenu, la Littérature provençale du Moyen Age ayant été malheureusement très éprouvée dans ses productions, non seulement par les méfaits du temps, mais aussi par ceux des hommes — tempus edax, homo edacior. Si, en

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effet, de nombreux manuscrits se sont perdus par l'incurie de leurs possesseurs, d'autres ont été détruits dans le sac ou l'incendie des châteaux, aux diverses époques où la sottise et la brutalité des hommes s'offraient ce vilain jeu : croisade des Albigeois, guerres de religion, révolutions successives. Le chansonnier de Sault, en Provence, ne fut-il pas brûlé pendant la Révolution dans le château de ce pays par la populace qui voyait dans tous les vieux papiers des actes de propriété : l'éducation des révolutionnaires reste à faire. Du moins, tout ce qui a survécu de l'œuvre des trobairitz a-t-il été ici réuni. On reconnaîtra peut-être qu'il en valait la peine.

C'est d'ailleurs toute la Littérature provençale du Moyen Age qui est très peu connue en France. Une brillante équipe de romanistes s'y eSt pourtant employée. Après le Choix des poésies originales des troubadours, de Raynouard, qui date de 1817, et le P amasse occitanien, de Rochegude, qui est de 1919, l'Hifloire de la poésie provençale, de Fauriel, l'Hifloire littéraire des trouba- dours, de Millot, les ouvrages déjà cités de M. Alfred Jeanroy et de J. Anglade, ceux de Paul Meyer, Antoine Thomas, etc., nous avons eu les Anthologies de M. Alfred Jeanroy, J. Anglade, Jean Audiau, et des éditions de plu- sieurs troubadours.

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L'ignorance dans laquelle on est en France de cette Littérature provient de ce que le Pouvoir central, qui a la charge de l'Instruction publique, n'a jamais voulu connaître que la langue et la littérature françaises.

On comprend qu'on ait agi ainsi dans les siècles passés, pendant les XVIIC et XVIII*, qui ont été aussi indifférents et même méprisants pour le vieux français que pour le vieux provençal : « Le XVIIC et le XVIIIe siècles, écrit M. Alfred Jeanroy, absorbés par l'étude de l'Antiquité, ont encore plus mal traité [que Montaigne] la littérature du Moyen Age. Ils ne l'ont pas seulement discutée ; ils ne l'ont pas connue ; ils n'ont pas voulu la connaître. Ils l'ont si bien refoulée dans l'ombre qu'elle n'en eft sortie que de nos jours. Rollin, le créateur de la pédagogie, Vaugelas, Ménage, le P. Bouhours, les premiers qui se soient occupés de philologie, parlent du Moyen Age comme d'une époque obscure, aussi peu étudiée qu'indigne de l'être. Le XVIIIc siècle s'est efforcé d'épaissir les ombres. Pour les Encyclopédistes, tout doit être nouveau : l'homme ne date que d'hier, et toute sa science, d'aujourd'hui. Voltaire lui-même, qui résume dans son œuvre immense tout le savoir de son temps, n'a rien lu. »

Au xixc siècle, la vieille Littérature provençale fut remise au jour par Raynouard. Mais si les travaux de ce dernier décidèrent de la vocation de provençalifte de Diez, qui fut aiguillé dans cette voie par Goethe, au cours

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de la visite que le jeune savant allemand fit au poète à Iéna en 1808, et s'ils furent également à l'origine des études provençales en France, le Gouvernement de la Restauration n'y prêta aucune attention, et pas davantage les Gouvernements qui suivirent dans le cours des xixc et xxe siècles. Les Manuels et Histoires de la Littérature

française dont le ministère de l'Instruction publique faisait choix, à toutes les époques, pour les élèves, accordèrent une certaine place aux trouvères et aux auteurs français du Moyen Age, mais on n'y trouva jamais qu'une brève mention des troubadours.

Dieu sait pourtant si cette Littérature provençale eSt digne d'intérêt, et pour elle-même, et pour l'époque dont elle eSt le reflet, en raison enfin du deStin qui fut le sien.

Comme nous l'avons écrit nous-même, si on veut bien nous permettre de nous citer, dans notre livre : De Dante à Miflral : « Quelle étrange et attachante histoire que celle de cette poésie ! Sa naissance est mystérieuse : comme une fleur qu'on n'aurait pas vue pousser, elle apparut tout à coup, sans qu'on puisse dire encore d'où elle était venue. Son existence fut courte et brillante. Sa fin fut tragique. Elle disparut dans un drame. Elle eSt la Poésie assassinée. »

Dans son discours aux Jeux Floraux de Montpellier, en 1878, MiStral s'exprimait ainsi :

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« Ce siècle des Troubadours, siècle de renouveau, d'élan, d'épanouissement, d'élégance, de gloire, et surtout d'indépendance, a été, on peut le dire, le grand siècle du Midi.

» Comment se voila donc cette flambée de soleil ? Comment s'éclipsa cette splendeur? Comment enfin s'arrêta cette ascension de notre race, de notre pure race, vers le soleil levant des nationalités ?

» La réponse, Messieurs, l'hifloire douloureuse de cet affreux désaflre, elle efl écrite en lettres sombres sur les tours incendiées et les châteaux démantelés de Toulouse, de Béziers, de Carcassonne et de Beaucaire. »

Antoine Thomas, qui, après avoir illustré la chaire de Langues romanes de l'Université de Toulouse, professa en Sorbonne, a écrit dans son beau livre, Francesco da Barbarino et la Littérature provençale au Moyen Age :

« L'invasion du Midi par les gens du Nord, en modi- fiant profondément l'état social du milieu où s'était jusqu'alors développée la Littérature provençale, a porté à celle-ci un coup fatal...

» Cette hifloire si courte de la Littérature provençale a quelque chose de touchant ; il s'en dégage je ne sais quelle impression douce et mélancolique qui nous pénètre intimement. Les troubadours sont comme ces poètes morts

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jeunes ou malheureux auxquels la poflérité se montre tout particulièrement sympathique, et dont les œuvres bénéfi- cient de la pitié qu'excitent leurs malheurs. La Littérature provençale a produit des œuvres qui peuvent se passer de considérations de ce genre ; elle n'a pas besoin de notre pitié pour éveiller notre admiration. Mais la sympathie que nous éprouvons pour elle avant même de la bien connaître doit avoir au moins un résultat : c'efl de nous

faire rechercher et étudier avec une pieuse curiosité les moindres monuments qu'elle nous a laissés. »

On vient de lire sous la plume de l'éminent proven- çalifte que fut Antoine Thomas les raisons qui nous ont fait « rechercher et étudier », pour notre part, dans la Littérature provençale, les œuvres des trobairitz.

Mais ce ne sont pas seulement les œuvres de ces poétesses qu'on trouvera rassemblées ici pour la première fois dans un ouvrage français. Nous avons voulu, et ce sera une autre nouveauté de ce livre, donner tous les renseignements possibles sur leur vie et sur les aventures auxquelles elles ont pu être mêlées.

Ces renseignements, nous les avons pris, et on ne peut les rechercher ailleurs, dans les Biographies des trouba-

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dours, écrites au XIIIC siècle en provençal, dues à plusieurs auteurs qu'on ne connaît pas, mais rédigées pour la plupart par le troubadour Uc de Saint-Cirq, et traduites et publiées pour la première fois en 1885, d'après les manuscrits, par Camille Chabaneau. On est unanime à ne pas accorder à ces Biographies, qui sont, en effet, souvent romancées, un grand crédit, mais on reconnaît qu'elles contiennent quelque part tout au moins de vérité, et c'eft bien suffisant pour ne pas les rejeter en bloc, comme on fait avec raison des Vies des anciens poètes provençaux, de Jean de Nostredame, qui ne sont qu'un tissu de fantaisies et de mensonges impudents.

Nous avons utilisé la plupart du temps le texte même de ces Biographies, qui, après avoir été publiées par Camille Chabaneau dans le tome X de YHifloire générale de Languedoc de Dom Vaissette, ont été réunies à part dans un volume d'un format des plus incommodes et tiré à un très petit nombre d'exemplaires. En aidant à comprendre les poésies des troubadours, ces Biographies jettent en même temps de précieuses clartés sur les idées, les mœurs, les goûts, la vie de la société à cette époque dans les Cours méridionales et sur la place qui y était faite aux femmes et aux poètes.

Aux Biographies il faut ajouter, comme source de renseignements sur les troubadours, les razos, c'est-à-dire les explications dont ceux-ci faisaient souvent précéder

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leurs chansons. Les auteurs des Biographies n'ont fait souvent que développer ces razos.

Enfin, nous n'avons pas été sans nous servir du précieux livre d'Antoine Thomas, paru en 1883, que nous avons déjà cité, sur Francesco da Barberino. Il s'agit de l'érudit italien de ce nom, qui a vécu de 1264 à 1309 et qui, sans parler d'un manuscrit perdu, Fiori di Novelle, a laissé deux livres, le Reggimento et les Documenti d'amore, qui contiennent de riches renseignements sur les troubadours et leurs œuvres, et même des poésies de quelques-uns d'entre eux par ailleurs inconnues.

Une autre nouveauté encore de ce livre sera de mon-

trer par des textes, ce qu'on n'a guère fait jusqu'ici, que les troubadours n'étaient pas toujours à genoux, en adorateurs et en humbles servants ou soupirants, devant les femmes : « On pourrait, écrit Diez en parlant de leurs œuvres lyriques, se les représenter comme l'œuvre d'un seul homme. » Cette observation piquante n'eSt juSte que si on s'en tient aux poésies « courtoises » des trouba- dours, où on retrouve toujours, en effet, les mêmes senti- ments exprimés dans le même vocabulaire. Mais ils en ont écrit de bien différentes, où se traduisent clairement

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des appels sensuels, d'autres qui sont même franchement obscènes, d'autres enfin qui sont des satires violentes contre les femmes, sans parler des sirventès contre des princes, contre le clergé, contre les mœurs de l'époque. On trouvera ici quelques-unes de leurs satires contre les femmes, qui font diversion à la monotonie et au caractère artificiel ou conventionnel de leurs chansons d'amour.

Comment expliquer ces contrastes ? Très simplement. Ces poésies « courtoises » appartiennent à la poésie de cour ; elles étaient adressées par les troubadours à leurs « dames » et faites pour être lues et chantées dans les châteaux. Les autres étaient écrites pour le peuple et faites pour être chantées par les jongleurs sur la place publique. On eSt bien forcé de reconnaître cette double destination

des poésies des troubadours, car on n'imagine pas telles pièces de Guillaume de Poitiers, par exemple, que M. Alfred Jeanroy, dans l'édition qu'il a donnée des œuvres de ce troubadour, n'a pas osé traduire entièrement en français et dont il a remplacé certains couplets par des points, lues devant les châtelaines et un auditoire de dames de qualité, pas plus que certaines satires de Peire Cardenal et autres. Mais alors, ceci soit dit en passant, il faut bien admettre que le peuple comprenait fort bien la langue littéraire des troubadours, car, si entre les poésies courtoises et les autres, l'inspiration était différente, la langue était la même, et cette constatation suffirait à

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marquer le degré de culture du peuple méridional à cette époque.

Qu'était donc cette langue ? D'où venait-elle ? C'était le « roman )), fa langue romane, comme

l'appellent eux-mêmes les poètes et les écrivains du Midi au Moyen Age. Elle dérivait de la langue vulgaire, sermo vulgaris, sermo plebeius, la seule qu'avait parlée l'énorme majorité de la population de l'Empire romain, tandis que la langue officielle et littéraire de Rome et de l'Empire était la lingua latina. Ce vulgar latin, cet idiome popu- laire, qui ne fut jamais écrit et qu'on parlait, avec des différences, d'un bout à l'autre du monde romain jus- qu'aux embouchures du Danube, aux vie, vnc, et peut- être encore, suivant l'avis de Chabaneau, au vine siècle de notre ère, finit peu à peu par se différencier davantage à mesure que les nationalités qui le parlaient se formaient et se forgeaient en même temps une langue personnelle. Pendant longtemps encore cependant, chacune de celles- ci donna à cette langue issue du vulgar latin le nom de langue romane. Il y eut finalement ainsi autant de langues romanes que de nationalités; puis, les différences entre ces langues s'accentuant de plus en plus, on désigna cha- cune d'elles par des noms spéciaux: on dit le français, l'italien, le catalan, le provençal.

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Depuis la fin des troubadours, depuis, peut-on dire, le xive siècle, la langue provençale, privée de tout support politique qui aurait pu en assurer l'unité, s'est diversifiée suivant les régions en plusieurs dialectes, le terme de provençal ayant été réservé au dialecte parlé en Pro- vence même, et les dialectes eux-mêmes se sont subdi- visés en sous-dialectes. Le regretté Jules Ronjat a fixé cette géographie linguistique dans son grand ouvrage, un monument de science, la Grammaire hiflorique des parlers provençaux modernes, en quatre gros volumes, publiés, après la mort de l'auteur, par les soins de la Société des Langues romanes, de Montpellier. Mais les romanistes du monde entier continuent à désigner par le terme de provençal non seulement la langue des troubadours, mais toute la langue d'oc d'aujourd'hui, la langue d'oc vivante, écrite et parlée, dans toute l'étendue de son aire.

Fauriel exagère lorsqu'il avance que depuis la Croisade des Albigeois le provençal cessa d'être cultivé, d'être une langue écrite et qu'il est devenu simplement l'idiome des masses « dans la bouche desquelles il devait se corrompre et se dénaturer de plus en plus. »

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Il n'en est pas moins vrai cependant que la langue provençale, la langue d'oc, pour l'appeler d'un terme générique en raison de sa différenciation en plusieurs dialectes, ne cessa jamais, contrairement à ce que dit Fauriel, d'être écrite. Si le « Collège de la Gaie Science », fondé à Toulouse en 1322, ne réussit pas à donner une nouvelle vie à la poésie morte des troubadours, les ouvrages écrits en langue d'oc ne manquèrent point pour cela. Sous le titre de Parnasse provençal, le P. Bourgerel, de l'Oratoire, a publié une Bibliographie provençale de 1500 à 1800, qui, si elle ne compte pas des chefs- d'œuvre, ne laisse pas d'être assez imposante : chansons, odes, récits, romans, sermons, vies de saints, comédies, tragédies, ouvrages didactiques.

Nous pouvons y ajouter d'autres exemples. La Biblio- thèque Nationale possède un manuscrit provençal du xive siècle, qui est une traduction de l'ouvrage médical d'Abal- Qasim-Az-Zahravi (1013-1106), connu en Europe pendant le Moyen Age sous le nom d'Albucasis, le plus grand chirurgien de la race arabe, un des noms les plus estimés de la renaissance de la médecine hispano-mauresque. Raynouard put avoir communication de ce manuscrit qui lui permit, a-t-il dit, d'ajouter à son Lexique de la langue romane « un grand nombre de mots d'Histoire naturelle, de Pathologie et de Thérapeutique. »

Un poème provençal, dont nous avons été le premier

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à annoncer la découverte et à en donner une analyse dans le Temps du 20 juillet 1920, racontant la bataille de Roncevaux et la mort d'Aude, se trouve dans un manus- crit du xive siècle. M. Mario Roques l'a publié dans Romania (1932) ; il compte 1.800 vers. Le même manus- crit commençait par un autre poème provençal sur Roland en 1.600 vers, dont M. Mario Roques a publié une analyse d a n s l ' H o m e n a l e o f r e c i d o a M e n é n d e z P i d a l ( 1 9 2 5 ) .

O. Schultz a publié en allemand une édition de la Chronique du faux-Turpin en provençal, d'après le m a n u s c r i t d e L o n d r e s ( B r i t i s h M u s e u m , A d d i t . 1 7 . 9 2 0 )

qui fut écrit au xive siècle. Il s'agit d'une traduction provençale du roman latin présenté faussement comme l'œuvre de Turpin et composé vers la fin du XIIe siècle : Hifloria Karoli Magni et Rotholandi.

On voit que la langue provençale à cette époque encore était employée à de grands sujets.

Fauriel se trompe encore lorsqu'il dit que la langue des troubadours devait « se corrompre et se dénaturer de plus en plus. » Mais non : elle évolua, simplement. En 1859, elle produisait le plus beau fruit qu'elle eût jamais porté : Mireille ! Et, après le premier poème de Mistral, qui éblouit le monde, d'autres chefs-d'œuvre du poète de Maillane et d'autres grandes ou brillantes œuvres des nouveaux poètes provençaux vinrent affirmer la triom- phale vitalité de la langue provençale.

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Fac-similé d 'une page du manuscri t original

de Mireille (de Frédéric Mistral)

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Il est dans le provençal moderne une expression originale et charmante pour traduire « l'arc-en-ciel. » C'est l'arc-de-sedo, l'arc-de-soie. Les poétesses de langue d'oc modernes, en donnant la main à travers les siècles aux troubadouresses du Moyen Age, ne tendent-elles pas un arc-de-soie dans le ciel du Midi ? Mais c'est encore la

première fois qu'on fera connaître au grand public fran- çais ces poétesses qui n'étaient connues jusqu'ici, plus ou moins, et plutôt moins que plus, que d'un public assez restreint.

Entre elles et leurs devancières du Moyen Age, il y a bien des différences. Ce n'est ni la même inspiration, ni le même art. Est-il besoin de dire que nos contemporaines ont une bien autre richesse d'idées et de sentiments que la femme du XIIe siècle ? Leur champ de vision s'est tellement élargi et leurs sources de sensibilité se sont tellement multipliées ! Leur vie, si différente ! La poésie des trobairitz ne va ni très haut, ni très loin. Elle n'a ni profondeur ni horizon. Elle est, au surplus, esclave d'un style et d'un vocabulaire de convention. La poésie des femmes d'aujourd'hui a d'autres ailes. Intime ou aérienne, elle évolue en liberté, sachant s'échapper, quand elle le veut, de la prison de l'amour pour épouser toutes les beautés du monde et s'élever parfois jusqu'aux régions

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les plus élevées du domaine des idées. Il est amusant de comparer les coutumes des châtelaines du XIIe siècle aux coutumes de nos contemporaines, mais comparer leurs âmes et leur art est une bien autre joie, une joie de l'esprit.

1 N o u s a v o n s v o u l u l ' o f f r i r a u x l e c t e u r s d e c e l i v r e .

Pour le texte des trobairitz, nous avons suivi généra- lement celui de Raynouard, en y apportant parfois des corrections qui nous ont paru s'imposer, à quoi nous avons procédé soit en préférant le texte d'O. Schultz, soit en suivant notre propre inspiration, soit en adoptant les suggestions de M. René Lavaud, que nous remercions ici d'avoir bien voulu, en outre, nous accorder son aide

précieuse pour éclaircir et traduire certains passages ou termes obscurs, qui ne sont point rares chez les troubadours.

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LES TROUBADOURS

L'AMOUR

ET

LES FEMMES

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LES TROUBADOURS

L'AMOUR ET LES FEMMES

L n'est pas dans notre propos de nous étendre sur la conception de l'amour chez les troubadours. On pourra s'en référer aux ouvrages de M. Alfred Jeanroy : les Origines de la Poésie lyrique au Moyen Age et la Poésie

lyrique des troubadours ; à ceux de J. Anglade : les Troubadours et YHiJïoire sommaire de la

Poésie méridionale au Moyen Age, et, s'il nous est permis de nous citer après ces maîtres, à notre livre :

De Dante à Miflral.

Si la poésie provençale fit de l'amour le thème principal de ses variations, elle enseignait par ce jeu aimable le courage, la fierté, la fidélité, la noble tenue, la courtoisie. Les lois de l'amour étaient les lois mêmes de l'honneur. L'amour était la voie fleurie de la perfection morale.

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L'amour, imploré et pratiqué avec patience, discrétion, humilité, devait être, en outre, très pur. La règle était celle-ci, qu'on trouve formulée dans le Breviari d'Amor, cette sorte d'encyclopédie provençale de la fin du XIIIe siècle, œuvre du moine Matfre Ermengaud : « Un véri- table amant ne doit demander à sa dame rien qui puisse entacher son honneur, son mérite ou sa réputation. »

Un troubadour est même allé jusqu'à prétendre que l'amour rendait chaste : « Amour n'eft pas un péché, écrit Montanhagol, mais une vertu qui rend bons les méchants et meilleurs les bons et met tous les jours l'homme sur la voie du bien. Et d'amour procède chafleté, car qui s'applique à l'amour ne peut ensuitç mal agir. »

L'amour est non seulement la source du courage, de l'honneur, de la courtoisie, de la vertu, il est aussi la source de l'inspiration littéraire : Amor facit versus. Bernard de Ventadour le dit en propres termes :

Non es meravilha s'eu chan Melhs de nul autre chantador, Car plus trais mos cors ves Amor E melhs sui faitz a son coman.

( Ce n'efl pas merveille si je chante mieux que nul autre chanteur, car mon cœur s'élance avec plus de force vers Amour, et je suis mieux disposé à son commande- ment.)

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La femme qui inspirait un tel amour devait être revêtue de toutes les qualités, et des plus hautes. Le poète les lui donnait. A la conception idéaliste de l'amour correspon- dait la conception idéaliste de la femme aimée, qui était présentée comme une merveille de sagesse et de beauté. Dans les chansons des troubadours, elle réunit la perfection physique et la perfection morale.

Les troubadours aimaient à appeler leur Dame d'un nom symbolique. C'est ce qu'on appelait les « senhal » : Beau-Regard, Beau-Rayon, Belle-Vue, Plus-que-char- mante, Mon-Désir, Pure-Joie, Mieux-que-bien, Mieux- que-dame, Par-dessus-tout, Bel-Espoir, Belle-Attente, Beau-Paradis, Noblement-conquise, Beau-Manteau, Belle- Escarboucle, Beau-Salut, Plus-que-Beauté, etc.

Nous n'insistons pas davantage sur la conception et le traitement de l'amour chez les troubadours, mais ce que nous en avons dit sera suffisant, sans doute, pour la compréhension de leurs œuvres lyriques, et tout de même des œuvres des trobairitz, les unes et les autres roulant toutes autour de l'amour.

Ce serait cependant une erreur de croire que les trou- badours se sont tous et toujours tenus à cette conception idéaliste de l'amour où l'on serait tenté de voir briller un

rayon platonicien. Le Breviari d'Amor a beau édicter :

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« Il vaut beaucoup mieux attendre le plaisir d'amour que de le prendre... ; l'amour est passé sitôt qu'on en a pris son saoul », et le troubadour Uc Brunet écrire : « Une fois le désir accompli, l'amour meurt », on trouve chez les troubadours des impatiences amoureuses sur la nature desquelles il est difficile de se tromper, car elles s'expri- ment clairement.

Arnaud Sabata fait cette franche déclaration à sa Dame

dans la chanson qu'il lui envoie :

Je suis*un fidèle ami, belle Dame, mais ami novice encore. N'âllez pas croire que je veuille toujours deman- der, jamais ■■obtenir ; je ne veux point de l'amour sans ses plaisirs. J'aime à chanter et à rire ; je veux l'amour avec ses jouissances.

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Montanhagol lui-même, l'homme qui disait, comme on l'a vu, que « d'amour naît chasteté », écrit ailleurs :

Je ne sais pourquoi elle va différant le bonheur de son amant, la dame qui le connaît pour son vrai serviteur. Trop retarder en amour, c'efl folie.

Cercamon :

Verrai-je jamais l'heure où je pourrai coucher auprès d'elle ? Non, car elle ne fait rien pour moi. Elle comblerait

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tous mes désirs si elle m'accordait seulement un baiser... Si elle me faisait le très grand plaisir de me laisser coucher auprès d'elle, le mal dont je souffre serait guéri !

Bernard de Ventadour, un des plus gracieux poètes provençaux :

Je voudrais bien la trouver seule, dormant ou feignant de dormir, pour lui voler un doux baiser, puisqu'il ne sert de rien de le lui demander. Pardieu, Dame, nous profitons peu d'amour, le temps s'en va, et nous perdons le meilleur.

Arnaut Daniel, que Dante admirait tant :

Ah ! si j'étais près de son corps, non de son âme et qu'elle consentît à me cacher dans sa chambre !

Arnaut de Mareuil, l'ami de la comtesse de Burlatz mariée à Roger II, vicomte de Béziers :

Verrai-je jamais en ma vie le jour ou le soir, où, soit furtivement, soit a loisir, je pourrai contempler entre mes bras votre noble et jolie personne, pleine de mérites, et baiser doucement vos yeux et votre bouche ; de cent baisers.. je n'en ferais qu'un...

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Raimon Jordan :

Je l'aime et la désire tant, que, si j'étais surpris par la mort, je ne prierais pas Dieu de m'accueillir en son paradis : je ne lui demanderais que le temps de passer une nuit avec elle.

Rigaut de Barbezieux a des songes significatifs :

Ma Dame ne peut m'en vouloir si je l'aime et si je la désire, et qu'elle n'aille pas me haïr pour cela ! elle doit, au contraire, m'en savoir gré. La nuit, quand je pense dormir, en esprit je vais coucher auprès d'elle : je crois la tenir entre mes bras, et de la joie que j'ai je gémis et je soupire.

Sordel se vante de ses bonnes fortunes :

Je ne m'étonne pas que les maris soient jaloux de moi, tant je connais la science d'amour. Il n'y a pas au monde de dame assez vertueuse pour se défendre contre le charme et la douceur de mes prières. Il ne faut pas blâmer ceux qui se plaignent de moi,. tous les maris dont la femme me reçoit ont à souffrir ; et, pourvu qu'elles se dévêtent en ma compagnie, peu m'importent leurs chagrins ou leurs mésaventures.

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Voilà, n'est-ce pas, qui rompt avec l'uniformité et la monotonie de la poésie des troubadours, telle que jusqu'ici on l'a partout présentée.

D'autre part, les troubadours ont écrit des satires très violentes contre les femmes. En veut-on quelques échan- tillons ?

De Peire Cardenal, un grand troubadour :

Je tiens pour un sot et un musard celui qui se lie avec l'amour,. car c'efl celui qui s'y fie le plus qui a la plus mauvaise part. Tel croit se chauffer qui se brûle. Les biens d'amour viennent tardivement, et le mal vient chaque jour; ce sont les sots, les félons, les hypocrites qui obtiennent leur part d'amour, et voilà pourquoi je lui romps compagnie.

Raimbaut d'Orange, aimé de la comtesse de Die, qui avait bien raison de se plaindre de lui s'il mettait ses actes d'accord avec ses paroles, écrit ces vers :

Si vous voulez conquérir les femmes, quand vous pensez qu elles puissent vous faire honneur, si elles vous font une réponse laide et discourtoise, mettez-vous à les menacer ; si elles vous font une réponse plus désagréable,

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donnez-leur du poing au milieu des narines ; si elles sont dures, soyez-le aussi ; avec un grand mal, vous aurez un long repos.

Nous pourrions citer encore une chanson amère du troubadour Puycibot, mais celui-ci l'avait composée à la suite de l'inconduite de sa femme. Voici, au surplus, l'histoire de ce troubadour, qui est intéressante non seule- ment par elle-même, car elle forme un petit roman curieux, et assez immoral, mais encore parce qu'elle montre bien ce que nous avons dit et dont on a pu déjà se rendre compte, à savoir que les troubadours n'étaient pas tous les purs idéalistes qu'on pourrait croire d'après leurs chansons « courtoises », et que le monde où ils vivaient n'exhale pas toujours un parfum de vertu.

Cet Aubert de Puycibot naquit aux environs de Limoges, dans le château de ce nom, dont son père était seigneur. Dès son enfance, il fut mis au couvent de Saint- Léonard et voué à l'état religieux. Il y fit de bonnes études, mais n'y prit point la vocation de moine. L'amour des femmes l'en fit sortir : e per voluntat de fenlna, isic del moneflier. Il chercha asile chez le seigneur Savaric de Mauléon, bien connu pour sa bonté et sa générosité. Une fois équipé convenablement, il se répandit dans les cours et composa, dit son biographe, maintes bonnes chansons. Il devint amoureux d'une belle et noble personne, qui

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refusa de l'écouter à moins qu'il ne fût fait chevalier et ne l'épousât. Savaric de Mauléon fut encore là pour l'armer chevalier, à quoi il ajouta des terres et des rentes.

Aubert de Puycibot put alors épouser sa Dame. Hélas ! Bientôt après, il s'aperçut qu'elle le trompait. Que faire ? Une chanson. Puycibot la fit, après quoi il partit pour l'Espagne. Après y avoir séjourné quelque temps, il revint en France. S'étant arrêté dans une ville, il entra, le soir, toujours per voluntat de femna, dans une maison louche où se trouvait, lui avait-on dit, une jolie femme. Coup de théâtre ! C'était sa propre femme, qui, abandonnée par son amant, en était venue à vendre ses charmes. La rencontre fut, paraît-il, pénible pour tous les deux. Le biographe le dit : « E can la vi, fon gran dol entr'els e gran vergonha. » Mais peine et honte furent sans doute vite bues, car le troubadour n'en passa pas moins la nuit avec sa femme. Cependant, le lendemain matin, ayant considéré sa situation d'un œil plus froid, et la voluntat de femna étant apaisée, Puycibot conduisit sa femme dans un couvent et la fit enfermer. Quant à lui, s'il faut en croire son biographe, il demeura si triple de cette aventure qu'il renonça à écrire des vers.

Répétons-le : d'une part, l'œuvre des troubadours n'eft pas toute dans leurs chansons, ces poésies accompagnées

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Le texte, composé en caractère Granjon, corps 14, les bandeaux, l e t t r ines et culs-de- lampe ont été tirés par L ' I M P R I M E R I E D E C O M P I E G N E .

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