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– UNIVERSITE MONTESQUIDROIT, SCIENCE POLIT
LES PRESCRIPTIONS ENDROIT DE LA FAMILLE
Mémoire réalisé en vue de l’obtention du master 2
approfondi - parcours droit
Mme Marie LAMARCHE
ANNEE
UNIVERSITE MONTESQUIEU BORDEAUX IV DROIT, SCIENCE POLITIQUE, ECONOMIE, GESTION, EDUCATION
LES PRESCRIPTIONS ENDROIT DE LA FAMILLE
Mémoire réalisé en vue de l’obtention du master 2 : recherche droit privé
parcours droit civil.
Présenté par :
Mr Cédric THIBAULT
Sous la direction de :
Mme Marie LAMARCHE
ANNEE UNIVERSITAIRE 2010-2011
EU BORDEAUX IV –ION, EDUCATION
LES PRESCRIPTIONS ENDROIT DE LA FAMILLE
: recherche droit privé
Je remercie tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à l’élaboration de ce mémoire et
tout particulièrement Mme Marie LAMARCHE pour son encadrement et ses conseils avisés.
SOMMAIRE
INTRODUCTION.................................................................................................................................1
PARTIE 1 - L’INSUFFISANCE DE LA PRESCRIPTION DE DROIT COMMUN DES DROITS
PATRIMONIAUX.................................................................................................................................7
Titre 1 - Une prescription de droit commun adapté au droit patrimonial de la famille................. 7
Chapitre 1 - L’adaptation des délais de prescription de droit commun au droit de la famille ........7
Chapitre 2 - L’adaptation du régime de prescription de droit commun en raison des rapports
familiaux ........................................................................................................................................ 22
Titre 2 - Un droit commun de la prescription insuffisant à l’égard des droits extrapatrimoniaux de
la famille .................................................................................................................................30
Chapitre 1 - Un droit spécial de la prescription cantonné aux droits patrimoniaux..................... 30
Chapitre 2 - Des droits subjectifs divergents par leur nature et leur régime : pour une
appréhension distincte de la prescription en droit de la famille ................................................. 33
Conclusion de la partie 1..........................................................................................................41
PARTIE 2 – UNE ABSENCE D’UNITE EN MATIERE DE PRESCRIPTION DES DROITS
EXTRAPATRIMONIAUX DE LA FAMILLE ................................................................................ 43
Titre 1 – une absence d’unité dans le champ d’application de la prescription ............................43
Chapitre 1 – Le maintien de l’imprescriptibilité au sein du droit extrapatrimonial de la famille .................44
Chapitre 2 – La prescription des droits extrapatrimoniaux de la famille ......................................................53
Titre 2 – une absence d’unité dans le régime de la prescription ................................................63
Chapitre 1 – Une absence de droit commun de la prescription des droits extrapatrimoniaux de la famille
.......................................................................................................................................................................64
Chapitre 2 – La nécessité des dispositions transitoire en droit de la famille ................................................70
Conclusion de la partie 2..........................................................................................................79
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................. 81
TABLE DES ABREVIATIONS
AJ fam.
Actualité juridique famille (éd. Dalloz)
Al. Alinéaart. ArticleAss. Assemblée Ass. plen. Assemblée plénière de la Cour de cassationbibl. drt. priv. Bibliothèque de droit privéBull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassationC. civ. Code civilCA Cour d’appelCass. civ. Chambre civile de la Cour de cassationCass. com Chambre commerciale de la Cour de cassation Civ 1re Première chambre civile de la Cour de cassationComm. Commentaire.Concl. ConclusionsCons. Const. Conseil constitutionnelConv. EDH Convention européenne des droits de l’homme et des libertés
fondamentalesCPC Code de procédure civileD. Recueil DallozDefrénois Répertoire du notariat Defrénoisdir. directionDr. fam. Droit de la familleéd. éditionGaz. Pal. Gazette du PalaisIbid. Au même endroitJCP G Semaine juridique, édition généraleJO Journal officielJuris-Data Décision de jurisprudence extraite des bases de données Juris-Data.L. LoiLGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudencen° numéroObs. observationsOrd. ordonnancep. pagePACS Pacte civil de solidaritéPUF Presse universitaire de FranceRép. Civ. Dalloz Répertoire civil DallozRJPF Revue juridique personne et familleRTD civ. Revue trimestrielle de droit civils. Et suivantsSect. sectionSomm. Sommairess. SousSupra Ci-dessusTGI Tribunal de grande instanceV. voir
1
INTRODUCTION
« Le temps, maître de tout, paraît devenir la chose du droit. Le droit façonne le temps,
le nie, le prohibe, l’accélère, le ralentit le suspend, l’arrête ; il fait le temps continu,
discontinu, simultané, successif, court, moyen, long, infini, indéterminé »1. Il en résulte que si
le droit appréhende le temps, à aucun moment il ne prend le temps de le définir. Il est vrai
qu’une telle question relève d’ordinaire, plus de la philosophie2 que du droit.
Etymologiquement le temps est issu du latin tempus3. Il se définit comme « la mesure de la
durée, obtenue en choisissant comme repère un événement ou en prenant comme unité la
durée d’un mouvement régulier et observable »4. Le temps prendrait deux formes, d’une part
un temps « vécu », et qui ne saurait retenir l’attention du juriste car il relève de la conscience
personnelle propre à chacun de nous5. D’autre part, il y a un temps que nous pourrions
qualifier « d’objectif »6 qui régit la vie de l’homme en société. C’est ce dernier qui nous
intéresse, car c’est lui qui fait l’objet d’une appréhension légale. Le droit appréhende le temps,
mais le subit aussi. Le temps est à la fois un cadre, un devenir et une structure7.
Tout d’abord un cadre, parce que « les phénomènes juridiques se situent dans le
temps »8, ils ont un point de départ, une « vie » et une fin qui les fixent sur l’axe du temps. Il
apparaît alors qu’il y a le droit dans le temps, mais aussi un temps du droit.
Puis, le temps est un devenir. Se pose alors la question de la loi dans le temps et des
conflits de loi dans le temps9. La loi, qui s’inscrit dans un cadre temporel, doit en appréhender
les aléas. Elle doit sans cesse évoluer, se remettre en cause pour être en adéquation avec la
société qu’elle régit. Et dans notre société contemporaine caractérisée par une forte inflation
législative et une internationalisation croissante, les conflits de loi dans le temps s’avèrent être
au cœur des préoccupations législatives. Pour saisir le présent, mais aussi le futur, le droit est
dynamique et perpétuellement en mouvement. Il est légitime que le droit cherche à être de son 1 Anne ETIENNEY, la durée de la prestation : essai sur le temps dans l’obligation, LGDJ, thèse, Paris, 2008, Bibl. dr. priv., t. 475, p. 1, n°1. 2 V. en ce sens, Henri BERGSON, Durée et simultanéité, éd. critique sous la dir. de Frédéric WORMS, PUF, 2009.3 Jean DUBOIS, Henri MITTERAND, Albert DAUZAT, Dictionnaire étymologique et historique du français, éd. Larousse, Paris, 1993, V. temps. 4 Noëlla BARAQUIN, Anne BAUDART, Jean DUGUE, Jacqueline LAFFITTE, François RIBES et Joël WILFERT, Dictionnaire de philosophie, Armand Colin, 2ème éd., 2000, V° Temps.5 V. en ce sens, Henri BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience, in Œuvres, PUF, 1963, cité par : Anne ETIENNEY, op. cit., thèse, p. 2. 6 Ibid. p.27 Anne ETIENNEY, op. cit., thèse, p. 3.8 G. HUSSERL, Recht und Zeit, éd. V. Klostermann, Frankfurt am Main, 1955, cité par Anne ETIENNEY, op. cit. Thèse, p.3.9 V° en ce sens, Paul ROUBIER, le droit transitoire : conflits des lois dans le temps, Dalloz, 2ème éd., 2008.
2
temps. Même si Eugène Ionesco disait à ce sujet que « vouloir être de son temps, c’est déjà
être dépassé »10.
Enfin, le temps est une structure. Il est à la fois un continuum et une succession11. Le
temps est une structure duale : chronométrique et chronologique. La chronométrie est un
« étalon » qui permet de mesurer quantitativement un événement, un phénomène juridique,
etc. La chronologie, quant à elle, permet de situer un phénomène dans la succession
d’instants12. Elle permet de déterminer par un point sur l’axe du temps une situation
déterminée. L’analyse du temps dans le droit le démontre. Par exemple la computation des
délais de prescription marque le point de départ d’un délai ; la prescription illustre une durée
et ses effets sur une situation donnée. La notion de prescription permet de rendre compte de
cette dualité structurelle du temps dans le droit. C’est ainsi que Anne ETIENNEY a souligné
que cette structure du temps pouvait être à la fois chronologique (par la détermination de son
point de départ) et chronométrique (par la durée de la prescription)13. De la même manière le
droit de la famille reprend cette dualité du temps. Il est à la fois chronologie par la
détermination du point de départ d’un acte ou d’une situation juridique (naissance, conclusion
d’un contrat ou d’une donation), mais aussi chronométrique par l’existence de situation
juridique (filiation, mariage, etc.).
Plus précisément, la notion de prescription recouvre deux acceptions. D’une part, elle
peut être acquisitive lorsque « l’écoulement du délai a pour effet de faire acquérir un droit
réel à celui qui, dans les faits, l’exerce »14. D’autre part, elle peut être extinctive, et dans ce
cas, « elle fait perdre un droit réel ou personnel du fait de l’inaction prolongée du titulaire du
droit »15. Mais la définition de la notion de prescription impose, au préalable, de prendre
position sur un débat doctrinal relatif à la nature juridique de la prescription. En effet, si la
notion de prescription a fait l’objet de nombreuses études16, elle n’en demeure pas moins au
cœur d’un vif débat sur sa nature juridique. C’est ainsi que plusieurs conceptions s’affrontent.
D’une part, la conception substantialiste de la prescription, considère que la prescription
10 Eugène IONESCO, Notes et contre-notes, Folio, 1991.11 Anne ETIENNEY, la durée de la prestation : essai sur le temps dans l’obligation, LGDJ, thèse, Paris, 2008, Bibl. dr. priv., t. 475, p. 4, n°712 Ibid., p.5, n°7.13 Ibid. 14 Lexique des termes juridiques, 15e éd., Dalloz, V. prescription acquisitive15 Ibid. V. prescription extinctive16 V° notamment, Monique BANDRAC, la nature juridique de la prescription extinctive en matière civile,Economica, thèse, Paris, 1986 ; Alexis COLLIN, Pour une conception renouvelée de la prescription, thèse Paris 11, 2008, Defrénois, Lextenso édition, Coll. Doctorat et notariat, t. 46, 2010 ; Marc BRUSCHI, La prescriptionen droit de la responsabilité civile, thèse Aix-Marseille, 1995, Économica, coll. Droit civil, série Etudes et recherches, 1997.
3
affecte le droit dans sa substance et conduit à l’éteindre17 ou à l’acquérir. D’autre part, nous
trouvons la conception processualiste qui s’est dégagée au fil de la distinction entre le droit et
l’action18. Selon cette dernière conception, la prescription n’affecterait que l’action, prise dans
sa conception résultant de l’article 30 du Code de procédure civile, et aucunement le droit. En
réalité, selon nous la prescription n’opère pas un choix définitif entre ces deux conceptions.
Elle alterne, selon les cas, entre les deux conceptions. C’est ainsi, par exemple, qu’en matière
d’obligation d’aliments la Cour de cassation a affirmé explicitement que la « prescription
libératoire extinctive de cinq ans prévue par l’article 2277 (anc.) n’éteint pas le droit du
créancier, mais lui interdit seulement d’exiger l’exécution de son obligation » 19. Cela
démontre bien qu’en cette matière, c’est la possibilité de recourir à la force publique qui est
affectée. A l’inverse, dans d’autres hypothèses la prescription affectera le droit dans sa
substance et c’est notamment le cas en matière de servitude. En effet, en cette matière le non-
usage de la servitude fait naître, au profit du bénéficiaire de la prescription, le droit de
demander en justice de faire sanctionner l’extinction du droit de servitude à l’égard du
propriétaire du fonds dominant20. Ces deux exemples montrent bien que la prescription est
selon les cas, soit processualiste, soit substantielle. Elle n’est donc pas l’une ou l’autre, mais
les deux à la fois.
Par contre, le Code civil français lors de la réforme de la prescription21 a pris le parti
de donner des définitions légales purement substantialistes de la prescription, en énonçant à
l’article 2219 du Code civil que la prescription extinctive est « un mode d’extinction d’un
droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps »22 ; et en
disposant à l’article 2258 que la prescription acquisitive est « un moyen d’acquérir un bien ou
un droit par l’effet de la possession […]». En tout cas, quel le que soit la définition retenue, la
prescription extinctive continue à avoir un rôle essentiel en matière civile. C’est ainsi qu’il est
reconnu à la prescription extinctive un rôle probatoire, puisqu’elle introduit une présomption
d’extinction de la dette. En effet, ce rôle est essentiel, car s’il n’existait pas, les débiteurs
devraient conserver indéfiniment la preuve de leur paiement23. Il est également reconnu à la
17 Monique BANDRAC, la nature juridique de la prescription extinctive en matière civile, Economica, thèse, Paris, 1986, p.22, n°6.18 Sur les différentes conceptions doctrinales relatives à la notion d’action : Georges WIEDERKEHR, la notion d’action en justice selon l’article 30 du nouveau Code de procédure civile, in Mélanges offert à Pierre HEBRAUD. Ed. Toulouse , Université des sciences sociales, 1981, p.949-958. 19 Cass. civ. 2re, 09 juillet 2009, n° 08-16894, Bull. Civ., II, n°194. 20 V. par exemple : Cass. civ. 25 janvier 1972, Bull. 1972, III, n°51.21 L. n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile22 Article 2219 du Code civil, introduit par la L. n° 2008-561 du 17 juin 2008.23 V. en ce sens. Jean-Philippe LEVY et André CASTALDO, histoire du droit civil, 2e éd. Dalloz, coll. précis de droit privé, 2010, p.1070, n°731
4
prescription un rôle de pacification et de sécurité juridique, puisqu’elle empêche toute
possibilité de contestation judiciaire, ce qui contribue aussi à satisfaire la paix sociale.
Sur la notion de famille, il faut bien comprendre que l’être humain est un animal
immature et social24. Tout d’abord un animal immature, car lorsqu’il est un enfant, il est
incapable de survivre seul. Il a besoin de la protection de ses parents, qui le nourrissent, le
logent et le vêtissent. D’autre part, il est un animal social, étant donné qu’il ne sait vivre qu’en
groupe en s’organisant avec ses congénères et choisissant ses modes de vie économique25.
Dès lors, la perpétuation de l’espèce humaine est rapidement apparue comme le but originaire
de la famille. Et c’est d’ailleurs cette fonction qui l’a conduite à devenir l’entité de base de la
société. C’est ainsi que la solidarité familiale extrêmement forte et vitale dans les sociétés
agraire, s’est révélée de moins en moins indispensable dans ses formes contemporaines. La
taille de la famille s’est également réduite pour laisser place à ce que les sociologues
qualifieraient de famille « nucléaire ». Cette dernière est composée exclusivement des père et
mère – voire d’un seul d’entre eux – et des enfants « dans la mesure où ils demeurent sous la
dépendance économique de leurs parents »26.
La famille est donc un carrefour d’influences venues de tous horizons (économiques,
sociales, religieuses, politiques, morales, etc.) mais elle peut être définie, dans une conception
traditionnelle, comme « l’ensemble des personnes qui sont unies entre elles par des liens de
sang (filiation), de mariage ou d’adoption »27. Au regard de cette définition, nous pourrions
nous demander si cette dernière n’est pas obsolète au regard des récentes évolutions de notre
société et notamment sur le point de savoir si la famille recouvre ou non les partenaires pacsés
et les concubins ? Pour ce qui est des partenaires, la loi du 15 novembre 199928, a introduit
une nouvelle forme légale de vie à deux, mais en ne l’envisageant que sous la forme d’un
contrat. Le législateur est revenu sur sa position par la loi du 23 juin 200629 en modifiant
l’essence du pacte civil de solidarité, comme l’atteste son inscription en marge de l’acte de
naissance (article 515-3-1 C. civ.). Il devient donc un véritable mode de conjugalité30 et à ce
titre, nous pouvons estimer qu’il constitue à l’égard de notre étude une forme de la notion de
24 V. Les membres de l’unité de droit familial du centre de droit privé de l’Université Libre de Bruxelles, Précis de droit de la famille, sous la dir. d’Alain-Charles VAN GYSEL, Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 153. 25 Ibid.26 Ibid.27 Ibid. p. 154.28 Loi n°99-944 du 15 novembre 1999, relative au pacte civil de solidarité.29 Loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.30 V. sur l’utilisation du terme « conjugalité » pour recouvrir les différents formes de la vie de couple, Philippe DELMAS SAINT-HILAIRE, Couples, patrimoine : les défis de la vie à deux, Defrénois, 1990, article 36682, p. 149.
5
famille. La famille désigne donc par définition, soit « l’ensemble des personnes qui sont unies
par un lien de sang et qui descendent d’un auteur commun […], soit elle désigne le groupe
restreint des père et mère et de leurs enfants (mineurs) vivant avec eux »31. Elle recouvre une
conception de la famille qui pourrait être schématisée par « deux cercles concentriques »32.
Une fois cette conception de la famille assimilée, le droit de la famille se présente
donc comme l’ensemble des règles juridiques applicables aux rapports familiaux et
sanctionnées par la puissance publique. Comme le souligne le Professeur Alain BENABENT,
« le fondement du droit de la famille résulte essentiellement de l’état sociologique de la
population à régir. C’est un droit qui est dépendant des bouleversements sociologiques. Il est
influencé directement par la morale et les conceptions religieuses qui sont en vigueur dans
une population à un moment donné » 33. Cela résulte du fait qu’avant d’être l’objet du droit
civil, la famille était régie par l’autorité ecclésiastique de telle sorte que le droit de la famille
se basait purement et simplement sur la doctrine religieuse en la matière. Et même si en
France, l’évolution a été dans le sens d’une laïcisation du droit de la famille, il n’en demeure
pas moins, que, dans de nombreux pays, la matière reste soumise au droit religieux, ce qui est
le cas, par exemple au Maroc34. Le droit de la famille est donc un droit très fortement
influencé par des conceptions morales et religieuses de la société qu’il régit. Ce constat est
extrêmement important, puisqu’il amène à une première remarque fondamentale : le droit de
la famille n’est pas un droit objectif et abstrait. En effet, sur un plan intrinsèquement
juridique, le droit de la famille se caractérise par une pluralité de droits subjectifs. Il est à la
fois composé de droits patrimoniaux et de droits extrapatrimoniaux. C’est la présence de ces
derniers qui rendent l’étude de la prescription intéressante au sein du droit de la famille.
Effectivement, ces droits extrapatrimoniaux étaient traditionnellement qualifiés
d’imprescriptibles, c'est-à-dire que ces droits ne peuvent pas se perdre ou s’acquérir par le
seul effet de l’écoulement du temps35. Mais la réforme de la filiation opérée par la loi du 03
janvier 1972 est venue bouleverser ce principe absolu en soumettant les actions relatives à la
filiation au délai de prescription trentenaire36. La réforme de la prescription civile du 17 juin
200837 a refondu l’ensemble de la prescription dans le but de « faciliter la vie économique et
31 Vocabulaire juridique, association Henri Capitant, sous la dir. de Gérard CORNU, 8e éd. PUF, 2000, V. famille.32 Jean CARBONNIER, Droit civil, introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, PUF, PUF Quadrige, 2004, p.758, n°38633 Alain BENABENT, droit civil, droit de la famille, Lextenso éditions, coll. Montchrestien, 2010, p. 10, n°13.34 Ibid.35 Jean HAUSER et Danièle HUET-WEILLER, Traité de droit civil, la famille : fondation et vie de la famille, 2e
éd. LGDJ, 1993, p. 284, n°520.36 Article 311-7 ancien, recodifié à l’article 321 du Code civil par l’ordonnance n°2005-759 du 04 juillet 2005.37 Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile.
6
les relations personnelles »38. Elle a touché tant la prescription extinctive qu’acquisitive.
Cette réforme a eu pour apport majeur d’abaisser le délai de droit commun de la prescription,
en le faisant passer de trente ans à cinq ans39. L’ancien délai de droit commun était considéré
comme inadapté à une société contemporaine où les transactions juridiques sont « souvent
éphémères et renouvelées »40. Toutefois, même si cette réforme s’est principalement
concentrée sur les rapports économiques en matière de prescription, cette réforme a quand
même eu quelques impacts en droit de la famille, notamment en matière de nullité du mariage.
Par ailleurs, la prescription de droit commun qui figure désormais dans le titre XX du livre 3
pour la prescription extinctive (article 2219 à 2254) et dans le titre XXI également du livre 3,
pour la possession et la prescription acquisitive (article 2255 à 2279)41, semble applicable à
l’ensemble du droit de la famille et ce, de manière unitaire. D’ailleurs, allant dans ce sens,
l’article 2232 du Code civil qui pose le mécanisme du délai butoir, précise bien dans la lettre
même de son alinéa 2, qu’il ne s’applique pas à l’état des personnes. Tout laisse à penser que
la prescription de droit commun du livre 3 s’appliquerait à l’ensemble du droit de la famille
de façon unitaire.
Toutefois, lorsqu’on analyse l’ensemble du droit de la famille et tout particulièrement
les droits extrapatrimoniaux, nous sommes amenés à nous demander si les prescriptions font
véritablement l’objet d’un traitement unitaire en droit de la famille ?
L’étude du droit commun de la prescription des droits patrimoniaux révèle son
incapacité à régir tel quel l’ensemble du droit de la famille (PARTIE 1). Dès lors, les
prescriptions doivent être appréhendées distinctement à l’égard des droits extrapatrimoniaux
de la famille (PARTIE 2), ce qui nous amène à révéler une absence d’unité au sein des
prescriptions en droit de la famille.
38 Isabelle CORPART, les retombées en droit de la famille de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, RJPF, n°9 septembre 2008, p. 8.39 Pour comparer avec les délais de droit commun dans les autres pays : En Allemagne le délai est de 3 ans, en Angleterre il est de 6 ans et enfin en Belgique il est de cinq ans ou trente selon la nature de l’action (V. Isabelle CORPART, les retombées en droit de la famille de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, RJPF, N°9 septembre 2008, p. 940 Isabelle CORPART, les retombées en droit de la famille de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, RJPF, N°9 septembre 2008, p. 9 ; V. également Jean-Claude BARDOUT, les conséquences de la réforme de la prescription en matière familiale, AJ Famille, 2008, p. 291, qui considère aussi que la prescription trentenaire était trop longue au regard « des nécessités de la vie économique ».41 Avant la réforme de la prescription du 17 juin 2008, la prescription faisait l’objet d’un titre unique, le titre XX intitulé « de la prescription et de la possession ». Cette réforme a pris le parti de distinguer la prescription acquisitive et extinctive en les traitant dans deux titres distincts.
7
PARTIE 1
L’INSUFFISANCE DE LA PRESCRIPTION DE DROIT COMMUNS DES DROITS PATRIMONIAUX
L’étude du Code civil nous révèle deux choses. Qu’il existe, d’une part, un droit
commun de la prescription dans son livre 3 intitulé « des différentes manières dont on
acquiert la propriété ». D’autre part, que si ce droit commun de la prescription appréhende le
droit de la famille, tant à l’égard de ses délais, qu’au regard de son régime ; celui-ci s’avère en
réalité cantonné textuellement aux droits patrimoniaux de la famille et ignore par la même le
pan des droits extrapatrimoniaux de la famille. Nous verrons, donc, que si la prescription de
droit commun à su s’adapter pour prendre en compte le droit de la famille (TITRE 1), celui-ci
est insuffisant à appréhender l’ensemble du droit de la famille (TITRE 2).
TITRE 1
UNE PRESCRIPTION DE DROIT COMMUN ADAPTE AU DROIT PATRIMONIAL
DE LA FAMILLE
L’étude des prescriptions en droit de la famille, et plus précisément de la prescription
extinctive, permet de révéler qu’il existe en droit civil de nombreuses dérogations tant sur les
délais de prescription (chapitre 1) que sur son régime (chapitre 2). L’existence de ces
dérogations démontre que le droit de la famille, n’est pas un droit purement abstrait et qu’il
prend en compte des phénomènes moraux, pour adapter ses mécanismes juridiques et les
rendre compatibles avec la réalité du terrain qu’il tente d’appréhender au fil de ses évolutions.
CHAPITRE 1
L’ADAPTATION DES DELAIS DE PRESCRIPTION DE DROIT COMMUN AU DROIT DE
LA FAMILLE
Dans une conception purement abstraite, le droit commun de la prescription touche les
rapports créanciers/débiteurs sans prendre en compte, en principe, leur « statut », c'est-à-dire
leur qualité autre, que celle qui s’attache au rapport d’obligation (ex : mineur, époux,
partenaire, incapable, etc.). Toutefois, une telle conception n’était pas apte à rendre compte de
8
l’ensemble de la réalité et notamment à l’égard des rapports familiaux. Le législateur a donc
introduit des dérogations au sein du droit commun de la prescription afin d’appréhender cette
nature intrinsèque des cocontractants. C’est ainsi que l’analyse du Code civil révèle
l’existence de dispositions tenant compte des rapports familiaux. Et nous verrons, donc, que
les rapports familiaux sont pris en compte en matière de cogestion (section 1), mais aussi en
matière successorale (section 2) et enfin en matière de filiation (section 3).
SECTION 1. - LA PRISE EN COMPTE DES RAPPORTS CONJUGAUX EN MATIERE DE
COGESTION.
La promotion de l’égalité des époux à conduit à un renforcement de leur collaboration
quant à la gestion de leur patrimoine commun et notamment lorsqu’il est question du
logement de la famille. En effet, la cogestion est un mécanisme juridique introduit à l’égard
de certaines opérations et qui conduit à rendre valable un acte, que si les deux époux y ont
consenti42. Ce principe de cogestion, introduit en droit de la famille à l’égard des seuls époux,
permet d’assurer un contrôle renforcé des actes de disposition portant sur le logement de la
famille. En ce sens, la cogestion est un mécanisme spécifique qui mérite une étude
approfondie (§1) et qui nous permettra de comprendre pourquoi en cette matière les délais de
prescription ont fait l’objet de dérogations (§2).
§1. LA SPECIFICITE DE LA COGESTION
L’article 215, alinéa 3 du Code civil pose la règle de la cogestion dans les régimes
matrimoniaux. En effet, cet article dispose que « les époux ne peuvent l'un sans l'autre
disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants
dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en
demander l'annulation : l'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a
eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime
matrimonial soit dissous ». Cet article fait partie, de ce que nous appelons le « régime
primaire impératif », c'est-à-dire que les époux, même d’un commun accord, ne pourront pas
conventionnellement écarter une telle disposition43. Elle s’applique à toutes les formes de
mariage : régime de la communauté légale réduite aux acquêts, séparation de biens, de
42 V. en ce sens, Isabelle DAURIAC, les régimes matrimoniaux et le pacs, 2e éd., LGDJ, 2010, p. 259, n°429.43 Mais ils pourront qu’en même prendre des dispositions pour l’aménager conventionnellement, dès lors qu’elles ne sont pas contraires à l’ordre public.
9
participation aux acquêts, etc. Elle a pour conséquence d’imposer à l’époux contractant de
recueillir l’accord de l’autre époux pour accomplir un acte de disposition44 portant sur le
logement de la famille45. Mais nous pourrions nous demander pour quelles raisons cette
exigence existe-t-elle ? La raison se trouve dans le fait que les époux, n’étant pas des
personnes étrangères l’une à l’autre et ayant des intérêts communs, la mise en œuvre d’une
action en nullité pour défaut « de consentement », peut entraîner la nullité de l’acte. La
spécificité de la cogestion se trouve dans « le souci de protéger le conjoint du contractant
sans favoriser la mauvaise foi des époux aux dépens de l’intérêt des tiers »46. En effet, en
matière de cogestion se pose le problème de savoir comment articuler ces différents intérêts
en jeu.
Cet article a une application générale du fait de son appartenance au régime primaire.
C’est-à-dire qu’il s’appliquera au logement de la famille, que ce dernier soit propre à l’un des
époux, commun, indivis, ou encore quel que soit le régime matrimonial adopté par les époux.
Mais nous pouvons constater que selon la nature du logement de la famille, que celui-ci soit
propre ou commun, la nature du consentement ne sera pas tout à fait la même. En effet, dans
l’hypothèse où le consentement émis porte sur un bien propre de l’autre époux, nous serons en
présence d’un consentement « autorisation ». Par contre, si le bien est un bien commun, le
consentement émis sera celui d’une copartie à l’acte47.
La sanction du non respect du principe de cogestion est la nullité de l’acte. Etant
donné que l’alinéa 3 de l’article 215 du Code civil vise à protéger l’époux « qui n’a pas donné
son consentement à l’acte ». Nous sommes, ici, en présence d’une nullité relative dont la
fonction première est de sanctionner une règle destinée à protéger celui dont l’intérêt était
protégé par la disposition qui a été méconnue48. Il en résulte que seul l’époux qui n’a pas
donné son consentement pourra agir en justice afin d’obtenir la nullité de l’acte49. La
prescription normalement applicable aux nullités relatives est celle de l’article 1304 du Code
44 Philippe MALAURIE et Hugues FULCHIRON soulignent à ce propos que la jurisprudence interprète restrictivement cette notion afin de ne pas soumettre l’ensemble « des activités juridique des époux à la cogestion » (P. MALAURIE et H. FULCHIRON, la famille, 4e éd., Defrénois, 2011, p. 703, n° 1835).45 Le logement de la famille constitue le lieu où se « concentrent effectivement les intérêts moraux et patrimoniaux de la famille » (Isabelle DAURIAC, les régimes matrimoniaux et le pacs, 2e éd., LGDJ, 2010, p. 42, n°53.46 Frédérique NIBOYET, l’ordre public matrimonial, thèse, Paris 10, 2006, LGDJ, 2008, p.24747 René CABRILLAC, Etude 105, in B. BEIGNIER, R. CABRILLAC et H. LECUYER (sous la direction de.), Lamy droit, régimes matrimoniaux, successions et libéralités.48 Laura SAUTONIE-LAGUIONNIE, la fraude paulienne, LGDJ, bibl. drt. priv. t.500, 2008, p. 428.49 Cass. Civ. 1re, 03 mars 2010, n°08-18.947, D. 2010. AJ 765 ; JCP 2010, n°487, p.906, obs. Georges WIEDERKEHR ; AJ fam., 2010, p.187, note François CHENEDE ; Civ. 1re 11 oct. 1989, D. 1990. 310, note Raymond LE GUIDEC, JCP 1990, II. 21549, note M. HENRY, JCP N 1990, II., 267,note G. VENANDET.
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civil. Depuis la loi du 03 janvier 196850, la prescription est quinquennale à l’égard des actions
en nullité relative. Pour autant, l’article 215 du code civil soumet l’action en nullité en matière
de cogestion à un délai de prescription d’un an, avec un double point de départ. C’est ainsi
que l’action doit être intentée, soit dans l’année à partir du jour où le conjoint a eu
connaissance de l’acte, soit dans l’année qui suit la dissolution du régime matrimonial. Dans
le premier cas, la preuve de la connaissance de l’acte portera sur celui qui se prévaut de la
déchéance51. Il faut toutefois préciser que la Cour de cassation exige que la preuve porte
également sur la connaissance « de la nature [d’acte] de disposition au sens de l’article
215 »52. Etant donné que l’article 215 du Code civil ne précise pas la nature juridique de la
prescription, nous pourrions penser que ce délai pourrait être un délai préfix53 insusceptible de
suspension ou d’interruption. Mais la Cour de cassation a eu la clarté d’esprit de qualifier ce
délai de délai de prescription54 et ainsi accorder à l’époux le bénéfice de la suspension55. Dans
la seconde hypothèse, le point de départ est reporté à la dissolution du régime matrimonial.
Mais ici se pose un premier problème. Qu’est ce qui est entendu par l’expression « dissolution
du régime matrimonial » ? Deux hypothèses doivent être envisagées. Soit, dans une acception
restrictive, ces termes désigneraient uniquement l’hypothèse du divorce. Soit, dans une
acception large, cette expression désignerait le divorce, mais aussi les changements de
régimes matrimoniaux56. Etant donné que le législateur a utilisé la formule large de
« dissolution », il faut, selon nous, en déduire que c’est la seconde hypothèse qui a été visé par
le législateur.
Nous pouvons également noter que l’article 1427 du Code civil prévoit un
allongement du délai à deux ans en matière de cogestion, lorsque le logement de la famille est
un bien commun dans le cadre du régime légal de communauté, c'est-à-dire lorsqu’il constitue
un acquêt au sens de l’article 1401 du Code civil. Dès lors, la protection du logement de la
famille sera renforcée en matière de régime de communauté légale. Ce qui pourra s’avérer
préjudiciable pour les intérêts d’un créancier qui n’aura pas pris les mesures nécessaires, pour
50 L. n°68-5 du 03 janvier 1968 relative aux incapables majeurs.51 Cass. Civ. 1re, 06 avril 1994 ; JCP 1995. I. 3821, n°1, obs. Georges WIEDERKEHR.52 Ibid.53 C'est-à-dire un délai qui est accordé à une personne, afin qu’elle accomplisse un acte, et à l’expiration duquel, il lui sera impossible de l’accomplir. La spécificité de ces délais préfix tient dans le fait qu’ils sont insusceptibles de faire l’objet d’une interruption ou d’une suspension. V. en ce sens, la définition donné par : le Lexique des termes juridique, 15e éd. Dalloz, 2005, V. Délai préfix.54 Cass., ass. plen. 03 avril 1987 : Bull. civ. n°2 ; R., p. 231 ; JCP 1987. II.20792, concl. CABANNES.55 Bénéfice que nous retrouvons dans la lettre même du texte, dès lors que celui-ci précise que l’action ne peut plus être exercée, après que le délai d’un an se soit écoulé à compter du jour où l’époux a eu connaissance de l’acte de disposition.56 Article 1397 du Code civil. Pour une analyse de l’ensemble, V. Janine REVEL, régimes matrimoniaux, Rep. Civ. Dalloz, mai 2009, n°69 et s. ; en ligne : www.dalloz.fr, consulter le : 02 juin 2011
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s’assurer que l’autre conjoint aura bien donné son accord à l’acte de dispositions, sur le
logement de la famille. En effet, par application de l’article 1427, l’époux qui n’aura pas
donné son accord disposera de deux ans au lieu d’un an (sous le jeu de l’article 215 du Code
civil) pour agir en nullité de l’acte. Il faut enfin souligner qu’en matière de cogestion les effets
de la nullité sont les mêmes que ceux de la nullité des actes juridiques en général57.
§2. UNE REDUCTION DES DELAIS DE PRESCRIPTION POUR UNE PROTECTION
ACCRUE DES TIERS CONTRACTANTS
Nous pourrions concevoir que la prescription de l’action en nullité soit prescrite, en
matière de cogestion, par un délai quinquennal, comme pour les autres hypothèses de nullité.
Or nous constatons ici que la prescription est fixée à un ou deux ans selon les cas58. La
réduction du délai de prescription peut être surprenante à deux égards. D’une part, cette
disposition porte sur le logement de la famille, le cadre de vie de la famille, le lieu de son
épanouissement. Il devrait donc requérir une plus grande protection sur le plan de la
prescription et pourtant le législateur prend le contre pied de cette logique et vient abréger le
délai de prescription. Frédérique NIBOYET n’hésite pas à souligner que « ce bref délai pour
agir forme un trait original de la nullité en droit matrimonial »59. Ce délai paraît être inspiré
moins par l’idée de protection des tiers que par le souci de préserver l’harmonie au sein de la
sphère conjugale en évitant que les conflits ne s’enlisent60. De plus, le fait que ce délai ne soit
pas soumis à la suspension de la prescription dans les rapports entre époux, telle qu’elle
résulte de l’article 2236, démontre que le législateur a bien souhaité stabiliser les situations
juridiques le plus rapidement possible.
D’autre part, ce qui peut surprendre c’est que la durée de la prescription varie, selon
que nous nous trouvions dans le champ d’application de l’article 215 (un an) ou dans celui de
l’article 1427 (deux ans). C'est-à-dire que si les époux sont sous le régime de la communauté
légale (1427 C.civ.), la protection du logement sera d’autant plus renforcée, lorsqu’il s’agit
d’un bien commun. Mais alors pourquoi cela ne s’applique-t-il pas également dans les autres
formes de mariage où le logement de la famille serait également un bien commun ? La seule
raison que nous pourrions avancer, même si sa pertinence n’est pas en dehors de toute
57 C'est-à-dire en la disparition rétroactive de l’acte juridique, V. en ce sens : Civ. 1re, 16 juillet 1998, Bull. Civ. I, n°251, p. 175 et 176.58 V. supra, §1.59 Frédérique NIBOYET, l’ordre public matrimonial, thèse, Paris 10, 2006, LGDJ, 2008, p. 242. 60 obs. Roger NERSON et Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI, RTD civ. 1982, p. 416.
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critique, c’est que le législateur a souhaité avantager le régime légal, parce qu’il est le plus
usité. Mais il aurait peut être été plus logique de distinguer au sein même du régime légal, le
fait que le logement de la famille constitue ou non un bien commun.
Quoi qu’il en soit, même si la sanction est encadrée dans des délais abrégés, la Cour de
cassation veille quand même au respect de la protection mise en place. C’est ainsi qu’elle a pu
affirmer, dans un arrêt du 02 juin 198161, que « si générale que soit cette dernière formule
[celle de l’article 1427, alinéa 2], elle ne peut avoir pour effet de priver le conjoint du droit
d’agir en nullité pendant les deux années qui suivent la réalisation de l’acte ». En l’espèce, le
bénéficiaire d’une promesse de vente, qui avait été consentie par un homme marié sur un
immeuble dépendant de la communauté, avait levé l’option un peu plus de deux ans après le
décès du promettant. Dès lors le délai de l’article 1427, alinéa 2 était expiré avant même que
la femme n’ait pu avoir la possibilité de remettre l’acte en cause. Dans cette décision, la Cour
de cassation s’éloigne d’une interprétation littérale de l’article 1427, alinéa 2 et évite ainsi de
priver le conjoint de la protection accordée par cet article. Dès lors, par cette décision, la Cour
de cassation participe à l’efficacité du dispositif protecteur en matière de cogestion.
D’autre part, il ne faut pas oublier non plus, que les époux ne sont pas des personnes
étrangères l’une à l’autre. Elles ont une communauté de vie qui induit des intérêts communs.
Partant de là, l’action en nullité intentée par l’un des époux peut permettre à l’autre de
remettre en cause un acte qu’il regretterait et dont il ne peut pas, lui-même, demander la
nullité (puisque nous sommes en présence d’une nullité relative invocable par le seul époux
qui n’a pas donné son consentement). C’est pourquoi, afin d’éviter qu’une entente frauduleuse
des époux puisse porter atteinte à la sécurité juridique du tiers contractant, la prescription se
voit abrégée par rapport à celle de droit commun en matière de nullité62. Il faut bien
comprendre que la cogestion, qui est accordée aux époux mariés, est un mode de protection
du conjoint et partant, il ne doit pas porter atteinte à la sécurité juridique des transactions
conclues avec les tiers. Par ce délai abrégé, le législateur a entendu assurer une protection du
conjoint tout en ne portant pas atteinte de manière significative aux droits des tiers
cocontractants.
Sur un plan chronologique, la prescription joue un rôle important dans la délimitation
du champ d’application temporel de la cogestion. En effet, elle permet d’assurer une
61 Cass. Civ 1re, 02 juin 1981, n° 79-14396, Bull. Civ., I, n°187, p. 153 ; Defrénois, 1981, 32750, p.1320, obs Gérard CHAMPENOIS.62 Frédérique NIBOYET, op. cit, thèse, LGDJ, p. 241.
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protection du logement de la famille63 et de limiter dans le temps les conséquences qui
découlent de la cogestion, notamment à l’égard des tiers. Et enfin, en limitant dans la durée le
risque d’une action en nullité, la prescription permet d’éviter que la cogestion ne compromette
le crédit du propriétaire.
Nous pouvons donc constater que la cogestion, du fait qu’elle implique l’accord de
deux personnes unies par le mariage, conduit à adapter la prescription de droit commun des
nullités relatives, afin de permettre de stabiliser et de sécuriser les situations juridiques au
profit des tiers contractants et de la paix des familles. Toutefois, les rapports familiaux
conduisent également à des adaptations de la prescription en matière successorale (section 2).
SECTION 2. - LA PRISE EN COMPTE DES RAPPORTS FAMILIAUX EN MATIERE
SUCCESSORALE.
Les successions constituent un domaine du droit patrimonial qui se caractérise par son
implication à la fois économique et familiale. A cet égard, l’option successorale fait l’objet
d’une dérogation, dès lors que son délai de prescription est décennal (§1). A l’inverse, le délai
de prescription des actions qui conduisent à remettre en cause les partages successoraux,
s’avère, quant à lui, abrégé (§2).
§1. UNE PRESCRIPTION DECENNALE EN MATIERE D’OPTION SUCCESSORALE
En matière d’option successorale, le législateur a souhaité, par la loi du 23 juin 200664,
instaurer un délai abrégé en portant sa prescription à dix ans. L’option successorale est une
faculté ouverte par la loi et qui permet à une personne de choisir entre plusieurs alternatives.
Ce droit d’option est un acte unilatéral qui présente la principale caractéristique d’être
librement ouvert aux successibles65. Cette liberté d’option découle du principe qu’il n’existe
pas en droit français d’héritier nécessaire, c'est-à-dire d’héritier qui serait tenu d’accepter la
63 Nous pouvons d’ailleurs nous interroger sur l’absence d’extension de cette règle aux partenaires unis par un pacte civil de solidarité. En effet, même si le Code civil ne prévoit aucune disposition sur le logement de la famille à l’égard des partenaires « pacsés », il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent également avoir un lieu de résidence dans lequel la famille va s’épanouir. Et nous pouvons être surpris que le logement de la famille ne fasse pas l’objet d’un traitement identique pour ces deux formes d’union au sein du Code civil.64 Loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, art. 1er. 65 Anne-Marie LEROYER, droit des successions, Dalloz, 2009, p. 258, n°325
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succession. Les héritiers bénéficiaires d’un droit d’option peuvent donc librement choisir
l’une des trois alternatives offertes par l’article 768 du Code civil66.
Avec la loi du 23 juin 2006, la prescription est devenue décennale à l’égard de l’option
successorale. Selon nous la justification à cette réduction se trouve dans une volonté
d’accélérer les liquidations successorales pour éviter que la succession reste pendant trop
longtemps sans titulaire véritable. Il y a donc ici une recherche de stabilité qui n’était pas
assouvie par l’ancien délai de droit commun de trente ans. Avec la réforme de la prescription
du 17 juin 200867, nous aurions pu penser que le législateur aurait harmonisé les délais et
réduit le délai de prescription de l’option à cinq ans. D’autant plus que la dixième proposition
de la commission des lois du Sénat, allait dans ce sens68. Mais il n’en fut rien. Malgré cette
réforme, la prescription est restée inchangée sur ce point. Cela pourrait s’expliquer par la
difficulté à dresser l’inventaire de certaines successions ou tout simplement de retrouver les
héritiers successibles. En effet, les inventaires contiennent « une estimation, article par
article, des éléments de l’actif et du passif »69 ce qui les rend parfois fastidieux à dresser et s’il
n’est que rarement obligatoire70, il s’avère, en pratique, bien souvent utile parce qu’il permet
au successible de prendre parti en toute connaissance de cause71. Rappelons au passage que
l’inventaire est nécessairement établi par un acte authentique, mais qu’il peut également être
dressé par un commissaire priseur, un notaire ou encore un huissier, alors qu’avant la loi de
2006, il ne pouvait être fait que par un acte notarié72.
Il faut également savoir que la prescription de l’option entraîne, depuis 200673, une
prise de position légale supplétive. En d’autre terme, celui qui n’aura pas opté dans les délais
impartis et aura laissé son droit se prescrire74, se verra imposé un choix parmi les trois de
l’article 768 du Code civil. Si l’héritier a laissé son droit d’option se prescrire, la succession
se retrouve alors sans titulaire véritable, ce qui constitue une situation qui ne saurait durer.
66 Ils peuvent : accepter la succession purement et simplement, y renoncer, ou encore accepter à concurrence de l’actif net, lorsqu’ils ont une vocation universelle ou à titre universel.67 Loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.68Jean-Jacques HYEST, Hugues PORTELLI et Richard YUNG (sénateurs), Rapport d’information de la commission des Lois du Sénat n° 338, Pour un droit de la prescription moderne et cohérent, Session ordinaire de 2006-2007, p. 10 ; en ligne : www.senat.fr/rap/r06-338/r06-3381.pdf, consulté le : 28 oct. 2010.69 Article 789, alinéa 1 du Code civil.70 Il est notamment obligatoire lorsque l’héritier a accepté à concurrence de l’actif net (article 789 du Code civil). 71 Raymond LE GUIDEC et Gérard CHABOT, succession : 2° transmission, Rep. Civ. Dalloz, décembre 2004 (dernière mise à jour déc. 2010), n°21. 72 Article 789, alinéa 2.73 Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, réforme des successions et des libéralités, article 1.74 Ce qui suppose que l’héritier n’est pas opté dans les délais, que un créancier, un cohéritier ou encore un héritier en rang subséquent, ne l’ait pas sommé de le faire (article 771, alinéa 2) et que le patrimoine est alors sans véritable titulaire.
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Dans cette hypothèse, la loi du 23 juin 2006 a prévu que l’héritier sera considéré comme
renonçant75. Cela permettra alors aux héritiers en rang subséquent de pouvoir opter. Il faut
bien comprendre ici, que la nécessité de ne pas laisser pendant trop longtemps la succession
dans l’incertitude quant à son ou ses titulaires, justifie cette dérogation en matière de
prescription.
Nous pouvons constater ici, que le délai de droit commun de la prescription est écarté
en raison des impératifs tenant au droit successoral, à savoir son attachement au droit de la
famille. Une dernière question se pose à nous en matière successorale, pourquoi la
prescription décennale est elle maintenue alors que la réforme de 2008 a conduit à un
abaissement du délai de droit commun à cinq ans ? Il faut bien voir que la réduction du délai
de prescription en matière successorale aurait permis d’accélérer le jeu de l’option, qui est
souvent bien long quand on sait qu’à chaque fois qu’un héritier renonce, il faut que l’héritier
subséquent prenne à son tour parti et ce jusqu’à ce qu’il ne reste plus d’héritier susceptible de
recueillir la succession76. D’autre part, la réduction du délai aurait permis de stabiliser plus
rapidement la situation. Par contre, cela aurait aussi eu pour inconvénient de réduire le délai
d’inventaire et de recherche des héritiers successibles, il aurait fallu accélérer de manière
significative le temps des inventaires et la recherche des héritiers ce qui, techniquement aurait
pu s’avérer très difficile pour les notaires chargés de liquider les successions.
D’autre part, la commission du Sénat chargée de rédiger le rapport d’information sur
la réforme de la prescription a souligné que les délais des actions relatives à l’état des
personnes venant d’être réformés, ils ne leur semblaient pas judicieux de les modifier une
nouvelle fois77. Il nous semble que ce raisonnement, même s’il n’est pas indiqué dans le
rapport, ait été étendu aux prescriptions relatives à la matière successorale, puisque cette
dernière a connu une réforme également par la loi du 23 juin 200678.
L’option successorale est dons soumise à un délai de prescription allongé, par
dérogation au droit commun de la prescription applicable en matière de droit patrimonial.
Mais elle n’est pas seule branche du droit des successions à être soumise à un délai
75 Article 780 alinéa 2 du Code civil.76 Selon l’article 811 du Code civil, lorsque le défunt est décédé sans héritier ou lorsque tous les héritiers successibles ont renoncé à la succession.77 Jean-Jacques HYEST, Hugues PORTELLI et Richard YUNG (sénateurs), Rapport d’information de la commission des Lois du Sénat n° 338, Pour un droit de la prescription moderne et cohérent, Session ordinaire de 2006-2007, p. 88 ; en ligne : www.senat.fr/rap/r06-338/r06-3381.pdf, consulté le : 28 oct. 2010.78 La réforme de la filiation qui est visée dans le rapport du Sénat (ci-dessus) a été faite le 04 juillet 2005 par l’ordonnance n°2005-759.
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dérogatoire. En effet, il en va de même pour l’action en réduction et l’action en complément
de part (§2).
§2. UNE DEROGATION JUSTIFIEE PAR UNE VOLONTE DE STABILITE ET DE
SECURITE JURIDIQUE DES SUCCESSIONS DEJA LIQUIDEES
Le Code civil permet à certains héritiers qui sont qualifiés d’héritiers réservataires
d’exercer une action en réduction79. Cependant, cette action est encadrée dans un délai de
prescription prévue par l’article 921, alinéa 2 du Code civil qui dispose que « le délai de
prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la
succession, où à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte
portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès ». Avant la loi
du 23 juin 2006, la prescription de cette action était de trente ans à compter de l’ouverture de
la succession. Ce délai était considéré comme beaucoup trop long au regard des nécessités
économiques80. En effet, il pouvait conduire à remettre en cause la libéralité trente ans, voir
quarante-huit ans après (si on est en présence d’un enfant mineur, le jeu de la suspension
conduisant à faire démarrer la prescription au jour de sa majorité).
Désormais avec la loi du 23 juin 2006, le délai de prescription de l’action en réduction
est de cinq ans à compter de l’ouverture de la succession. Toutefois, l’article 221 du Code
civil prévoit un second délai de prescription de deux ans qui courra à compter du jour où
l’héritier a eu connaissance de l’atteinte portée à sa réserve après l’ouverture de la succession.
Nous sommes, dans cette dernière hypothèse, en présence d’une cause de suspension
découlant de l’ignorance de l’héritier de l’atteinte qui est portée à sa réserve. Normalement
cette cause de suspension est régie par l’article 2224 du Code civil. En effet, une lecture a
contrario de cet article indique que la prescription ne court pas contre celui qui ignore les faits
qui lui auraient permis d’exercer son action. Si nous transposons ce principe à l’action en
réduction, normalement, l’héritier qui ignorait l’atteinte à sa réserve devrait bénéficier de la
suspension jusqu’à ce que le délai butoir de vingt ans de l’article 2232 du Code civil soit
atteint. Mais nous constatons une fois de plus que le droit des successions fait l’objet de
79 L’action en réduction permet aux héritiers réservataires de protéger leur réserve héréditaire en réduisant les dispositions à titre gratuite qui excèderaient la quotité disponible. Dans ce sens l’article 920 du Code civil dispose que « les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d’un ou plusieurs héritiers, sont réductible à la quotité disponible lors de l’ouverture de la succession ». 80 Jean-Claude BARDOUT, les conséquences de la réforme de la prescription civile en matière familiale, AJ famille, 2008, p. 291, qui considère que la prescription trentenaire était trop longue au regard « des nécessités de la vie économique ».
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dérogation en matière de prescription. Sans pour autant que celle-ci ne s’explique vraiment,
car il serait difficile d’expliquer pourquoi, en 2006, le législateur a soumis à deux ans et non à
cinq, l’action en réduction de libéralité tenant à l’ignorance. La seule explication possible
tiendrait dans une volonté de stabilité et de sécurité juridique de la libéralité qui aurait animé
le législateur désireux de ne pas voir, de trop longues années après, une libéralité contestée.
Il y a donc ici, une volonté de stabiliser une situation qui souvent dans la pratique fait
naître de lourds contentieux familiaux. Ce qui prouve que le législateur a fait vœux de
« pacification familiale », tout du moins, lorsque la succession implique des membres de la
famille, bien entendu.
Voyons à présent ce qu’il en est de l’action en complément de part de l’article 889 du
Code civil. Il constitue également une dérogation au droit commun de la prescription des
droits patrimoniaux puisqu’elle se prescrit par deux ans à compter du partage. L’action en
complément de part est une action qui peut être mise en œuvre par l’un des copartageant, qui
aurait subi une lésion de plus du quart de ce qu’il aurait du recevoir. Elle permet donc de
remettre en cause le partage de la succession. Et c’est pour cette raison que le législateur a
souhaité cantonner cette action dans un délai de prescription relativement court. Ainsi, la
stabilité de la situation est beaucoup plus rapidement acquise et évite ainsi la naissance de
contentieux délicats, plusieurs années après le partage et qui pourraient venir générer des
conflits au sein des héritiers.
Il y a ici une adaptation des délais de prescription qui s’explique par une volonté
commune de stabiliser et de sécuriser rapidement les successions afin que cette situation
juridique, bien souvent délicate pour les familles ne s’éternise pas ; tout en assurant aux
intéressés un délai suffisant pour agir pour la défense de leur droit. Voyons à présent
l’influence du lien de filiation sur le délai de prescription des créances alimentaires (section 3)
SECTION 3. - L’INFLUENCE DE LA FILIATION SUR LES DROITS DE CREANCES
ALIMENTAIRES
Il existe ici, un principe clairement établi depuis la loi du 07 juillet 1971, et qui
conduit à soumettre les créances périodiques81 à une prescription quinquennale82. Parmi elles,
81 C'est-à-dire celles qui se payent par année ou à des termes périodique plus courts : article 2235 du Code civil.
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nous intéressent les créances alimentaires (§1). Il existe également une action en lien avec les
créances alimentaires et qui nous intéresse en raison de son attachement avec le lien de
parenté, c’est l’action à fin de subsides (§2).
§1. LA PRESCRIPTION SINGULIERE DES CREANCES ISSUES DE L’OBLIGATION
D’ENTRETIEN
Les aliments sont des « prestations ayant généralement pour objet une somme
d’argent, destinée à assurer la satisfaction des besoins vitaux d’une personnes qui ne peut
plus assurer elle-même sa propre subsistance »83. Ils ont, notamment, pour fondements un
lien de filiation ou d’alliance84. C’est ainsi que « les enfants doivent des aliments à leurs père
et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin »85, ou encore que les gendres et belles-
filles doivent des aliments à leur beau-père et belle-mère dans le besoin, tant que dure le
mariage86. Presque toutes ces obligations alimentaires se produisent dans un « cadre
familial »87 et prennent le plus souvent la forme d’une somme d’argent88.
L’ancien article 227789 du Code civil prévoyait une prescription de cinq ans pour agir
en paiement d’aliments. Ce délai tranchait avec la prescription trentenaire de droit commun en
vigueur à l’époque. L’objectif poursuivi par cette réduction était d’empêcher la formation
d’une dette de capital qui pouvait être lourde à supporter pour le débiteur de l’obligation
d’entretien90. D’ailleurs à cette époque, la Cour de cassation était venue préciser que la
« prescription libératoire extinctive de cinq ans prévue par l’article 2277 (anc.) n’éteint pas
82 Article 2277 ancien, recodifié par la loi du 17 juin 2008 à l’article 2235 du Code civil.83 Lexique des termes juridiques, 15e éd. Dalloz, V. aliments.84 Muriel REBOURG, vocation alimentaire, in Droit de la famille, sous la dir. de Pierre MURAT, 5e éd. Dalloz action, 2010, n°311.10. 85 Article 205 du Code civil, introduit par la loi n°72-3 du 03 janvier 1972 sur la filiation.86 Article 206 du Code civil, introduit par la loi du 09 août 1919.87 Au passage, une question s’est posée de savoir si les grands-parents pouvaient être considérés comme des débiteurs de l’obligation d’entretien ? A priori la réponse devrait être négative puisque l’article 371-2 relatif à l’obligation d’entretien ne vise que les parents et non les grands-parents. Ces derniers ne sont donc pas en principe tenus à une obligation d’entretien. Cependant, il faut savoir que la Cour de cassation dans un arrêt du 06 mars 1990 (Cass. civ 1re, 06 mars 1990, n° 87-14293, Bull. civ., I, n°58, p. 43) a admis que les grands-parents peuvent être tenus à titre subsidiaire, d’une obligation d’entretien dans l’hypothèse où mes parents seraient dans l’impossibilité de la remplir en totalité. Avec la monté de la précarité et le fait récurent que les grands parents soient souvent plus riche que les parents, devraient multiplier l’hypothèse où les grands parents seront tenus à l’obligation d’entretien vis-à-vis de leur(s) petit(s) enfant(s). Cette position avait déjà été affirmée par la Cour de cassation un arrêt antérieur en date du 06 mars 1974 rendu par la première chambre civile (Cass. Civ. 1re, 06 mars 1974, n°72-11070, Bull. civ., I, n°77, p. 66).88 Il y existe à côté de ces obligations légales, la possibilité de prévoir conventionnellement des obligations alimentaires.89 Issu de la loi n°71-586 du 16 juillet 197190 Muriel REBOURG, régime juridique de l’obligation alimentaire, in droit de la famille, Dalloz action 5e éd., 2010, Sous la dir. de Pierre MURAT, p. 993, n°312.112.
19
le droit du créancier, mais lui interdit seulement d’exiger l’exécution de son obligation » 91 ;
la prescription a donc ici, une portée processuelle, c'est-à-dire qu’elle n’éteint que l’action et
non le droit. En d’autres termes, le débiteur d’aliments peut très bien redemander par la suite
des aliments, si les conditions pour les demander viennent à se représenter. Par ailleurs, il faut
bien reconnaître qu’avec la loi du 17 juin 200892 qui a ramené la prescription de droit
commun à cinq ans, il n’y a plus de véritable originalité de la prescription dans ce domaine.
Mais il existe, encore aujourd’hui, deux hypothèses où le lien de filiation va influencer la
prescription en matière d’aliments : l’obligation d’entretien et les actions à fins de subsides.
Au sein des aliments en général, il y a une créance qui nous intéresse tout
particulièrement et qui est qualifiée « d’obligation d’entretien »93. Elle se caractérise par son
unilatéralisme et par son régime dérogatoire au droit commun des aliments. En effet, l’action
en justice relativement à une obligation ne se prescrit pas par le délai de droit commun de cinq
ans (depuis la réforme de 2008). Si la filiation est établie tardivement, l’obligation d’entretien
produit des effets rétroactifs, mais à quelle date va-t-on faire débuter cette obligation ? Si nous
nous contentions des principes de droit commun applicables en matière de prescription des
droits patrimoniaux, l’obligation d’entretien, étant une forme d’obligation alimentaire, serait
soumise à la prescription de cinq ans et dès lors, nous ne pourrions percevoir que les aliments
à compter de l’assignation et ce par application de la maxime « aliments ne s’arréragent pas ».
Toutefois, la Cour de cassation94 a admis la possibilité de dérogation à cet adage selon
la nature de la créance en jeu. Et justement, dans un arrêt du 04 octobre 200595, la Cour de
cassation a estimé que les créances d’obligation d’entretien n’étaient pas soumises à l’adage
« aliments ne s’arréragent pas ». Nous pouvons donc en déduire que le point de départ est
donc la date de naissance de l’enfant ! Pour illustrer cette dérogation en matière d’obligation
d’entretien, prenons un exemple portant sur l’action en recherche de paternité alors que
l’enfant est majeur. La prescription des aliments pour l’obligation d’entretien n’existe pas de
manière autonome, elle est liée au droit auquel elle est attachée. L’établissement rétroactif de
la filiation a donc pour effet de permettre à son titulaire de réclamer le montant de la pension
91 Cass. civ. 2re, 09 juillet 2009, n° 08-16894, Bull. Civ., II, n°194. 92 Loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.93 Vocabulaire juridique, sous la dir. de G. CORNU, Travaux de l’association Henri CAPITANT, PUF, Quadrige, 8e éd., 2000, V. Entretien, : « devoir légal pour tout parent de subvenir à tous les besoins de son enfant, en assumant toutes les dépenses de nourriture, de vêtement, de logement, d’éducation, etc. » 94 Cass. Civ. 1re., 04 oct 2005 : Bull. civ. I, n°350 ; V. également en ce sens : Cass. civ. 1re, 28 janvier 2009, n°07-15243, Stéphane VALORY, un nouvel arrêt illustre les difficultés soulevées par les demandes en paiement d’aliments « rétroactives », RJPF n°3, mars 2009, p.32.95 Ibid.
20
qui lui est due depuis le jour de la naissance en vertu de l’obligation d’entretien. Une telle
solution a pour conséquence d’engendrer des dettes extrêmement importantes. Mais cette
solution n’est plus discutée dans son principe depuis un arrêt de la Cour de cassation du 08
mai 193496, confirmé par la suite par des arrêts du 12 juillet 1994 et 14 février 200697. Il faut
quand même préciser que ce principe joue, tant en matière d’établissement judiciaire de la
filiation, qu’en présence d’une reconnaissance. Et il faut aussi noter que ces arrêts sont
généralement des arrêts de cassation ce qui prouve une certaine résistance de la part des juges
du fond. Cependant, cette règle peut devenir discutable quand le débiteur de l’obligation
d’entretien ignorait l’existence de l’enfant. Les dettes d’aliments, issues de l’obligation
d’entretien, n’étaient pas connues par le débiteur et la conséquence est d’autant plus rude pour
lui, quand on sait que le montant de l’obligation d’entretien n’est pas susceptible de délai de
grâce et n’est pas soumis à la règle « aliments ne s’arréragent pas »98. Les juges du fond sont
maîtres de l’appréciation des ressources et des besoins qui permettront d’évaluer la
contribution : il faut donc jouer sur le tableau du calcul et non sur celui du principe. Voyons à
présent ce qu’il en est de la prescription des actions à fins de subsides (§2).
§2. LA PRESCRIPTION DE L’ACTION A FINS DE SUBSIDES
Les subsides constituent un « secours apporté à une personne en vue de subvenir à
son existence ; répondant à la même fonction que les aliments auxquels ils empruntent le plus
souvent leur forme (pension en argent), les subsides s’en distinguent en ce que leur octroi
n’est pas l’exécution d’un devoir de famille mais le substitut de celui-ci »99. L’action à fins de
subsides peut être définie comme le « droit, pour tout enfant dont la filiation paternelle n’est
pas établie, de réclamer en justice des subsides à celui qui a eu des relations avec sa mère
pendant la période légale de la conception sur la seule preuve de celles-ci […]»100. Cette
action a donc un fondement hybride : « mi-alimentaire », « mi-indemnitaire »101. L’ancien
article 340-4, alinéa 1, disposait que l’action à fins de subsides devait, à peine de déchéance,
être exercée dans les deux années qui suivaient la naissance de l’enfant. Considérée comme
96 Req. 8 mai 1934, DH 1934. p. 345, cité par Jean HAUSER, Effet rétroactif d’une paternité légalement établie, RTD civ. 1re, 14 février 2006.97 Cass. Civ. 1re, 14 févr. 2006, inédit, arrêt n° 269, Jean Hauser, Effet rétroactif d'une paternité légalement établie, RTD Civ. 2006 p. 297.98
Cass. civ 1re, 04 octobre 2005, Bull. civ., I, n°350.99 Vocabulaire juridique, sous la dir. de G. CORNU, Travaux de l’association Henri CAPITANT, PUF, Quadrige, 8e éd., 2000, V. subside.100 Ibid.101 Frédérique GRANET-LAMBRECHTS, actions à fins de subsides, in Droit de la famille, Dalloz action, 5e
éd., 2010, sous la dir. de Pierre MURAT. n° 214.09.
21
trop court pour agir, la loi du 29 décembre 1977 a étendu la durée à toute la minorité de
l’enfant, lorsqu’elle n’avait pas été exercée auparavant (anc. article 342 alinéa 2 C.civ.). Puis,
il va falloir attendre la loi de ratification du 16 janvier 2009 pour voir s’installer un équilibre
entre la prescription de l’action en recherche de paternité et celle de l’action à fins de
subsides. En effet, depuis cette loi, l’article 342, alinéa 2 du Code civil fixe la prescription de
l’action à dix ans à compter de la majorité de l’enfant, si elle n’a pas été exercée pendant sa
minorité.
Nous pouvons voir, ici, la nécessité d’une adaptation de la prescription de droit
commun des droits patrimoniaux, car avant la loi du 17 juin 2008102, si la prescription
trentenaire avait été retenue pour les actions à fins de subsides, il aurait été difficile de
prouver trente ans après la véracité des « relations avec [la] mère pendant la période légale
de […] conception »103. Si en 2008, le législateur avait ramené la prescription de l’action à
fins de subsides à cinq ans, nous aurions retrouvé l’incompatibilité des délais de prescription
entre l’action en recherche de paternité et celle de l’action à fins de subsides.
Il y a donc, ici, une influence directe de la paternité sur la durée de la prescription de l’action
à fins de subsides. Par contre, il faut noter que cette action est moins favorable que celle de
l’obligation d’entretien, au moins sur son montant. En effet, en matière de subsides le
jugement a un effet constitutif et non déclaratif. C’est ce qu’est venue préciser la Cour de
cassation dans un arrêt en date du 19 mars 1985104 lorsqu’elle a affirmé qu’en application de
l’effet constitutif du jugement, les subsides n’étaient dus qu’à compter de l’assignation.
Nous venons de voir que le délai de droit commun de la prescription des droits patrimoniaux
prévu par l’article 2224 du Code civil ne satisfaisait pas toutes les hypothèses du droit
patrimonial lorsque celui impliquait les rapports familiaux. En effet, la recherche de stabilité
et de sécurité juridique qui est accrue en matière de droit de la famille, a conduit à une
réduction des délais de prescription. A l’inverse, la proximité de certaines créances avec le
lien de filiation, a conduit le législateur a étendre la durée de la prescription. L’impact des
rapports familiaux a donc conduit à l’introduction de dérogations en matière de délai de
prescription, mais il ne faut pas s’arrêter là. En effet, le régime de la prescription de droit
commun des droits patrimoniaux s’avère insatisfaisant pour répondre aux contraintes du droit
de la famille, ce qui a conduit l’introduction d’un régime dérogatoire de la prescription à
l’égard des droits patrimoniaux de la famille (chapitre 2).
102 Loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.103 Article 342, alinéa 1 du Code civil.104 Cass. civ 1re, 19 mars 1985, D. 1985, J.533, note MASSIP ; JCP 1986, II, 26665, note JOLY.
22
CHAPITRE 2
L’ADAPTATION DU REGIME DE PRESCRIPTION DE DROIT COMMUN EN RAISON DES
RAPPORTS FAMILIAUX
Le régime de droit commun de la prescription des droits patrimoniaux appréhende les
rapports familiaux à deux égards. Tout d’abord, en adaptant les causes de suspension (section
1), mais aussi en réduisant fortement le jeu du délai butoir nouvellement introduit en droit
français (section 2)105.
SECTION 1. - DES CAUSES DE SUSPENSION INFLUENCEES PAR LE DROIT DE LA
FAMILLE
La suspension est un mécanisme destiné à protéger son bénéficiaire, du jeu de la
prescription. C’est ainsi que le Code civil prévoit une cause de suspension au profit des époux
et des partenaires unis par un pacte civil de solidarité (§1), alors qu’à l’égard des personnes
vulnérables, elle en cantonne singulièrement le bénéfice à l’égard des créances périodiques de
l’article 2235 (§2).
§1. L’EXISTENCE D’UNE CAUSE DE SUSPENSION ENTRE EPOUX OU PARTENAIRES
EN RAISON D’UNE IMPOSSIBILITE MORALE A AGIR.
Une cause de suspension entraîne l’arrêt provisoire du décompte du délai de
prescription ; et lorsque la circonstance qui a entraîné la suspension disparaît, le cours de la
prescription reprend son chemin là où il s’était arrêté. C’est l’article 2230 du Code civil qui
fixe l’effet de la suspension106. L’ancien article 2251 disposait que « la prescription courrait
contre toutes les personnes, à moins qu’elles ne soient dans une exception établie par la loi ».
C'est-à-dire que la suspension ne jouait que dans les hypothèses établies par la loi. En d’autres
termes « pas de suspension, là où la loi n’en a point fixée ». Très défavorable à l’égard de
certaines circonstances et surtout à l’égard du principe d’équité, la Cour de cassation en 1853
105 Nous ne traiterons pas ici, des causes d’interruption de la prescription, puisqu’il n’y existe pas de dérogations relatives au droit de la famille. 106 Article 2230 issu de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 « la suspension de la prescription en arrêt temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru ».
23
avait ainsi considéré que « la prescription ne court pas contre celui qui est dans
l'impossibilité absolue d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant, soit de la loi,
soit de la convention, soit de la force majeure »107. La loi du 17 juin 2008 est venue consacrer
l’adage « contra non valentem agere non currit praescriptio ». Selon l’article 2234 nouveau :
« la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir
par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ».
Comme le souligne très justement Jean-Jacques TAISNE108, la consolidation de cette
jurisprudence par la loi du 17 juin 2008 ne surprend pas, dès lors que « cette réforme s’inscrit
dans le chemin tracé par les principes d’Unidroit (article 10.2). Le cours de la suspension est
lié à la possibilité pour le créancier d’agir pour réclamer son dû »109. L’application de ce
principe aux droits patrimoniaux de la famille entraine certaines incompatibilités qui ont
conduit le législateur à adapter le régime de la prescription. C’est ainsi que l’article 2236 du
Code civil énonce que la prescription « ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi
qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ». Une telle cause de suspension
existait déjà avant la réforme de 2008. Elle figurait à l’article 2253 ancien du Code civil, mais
elle était cantonnée aux seuls époux. Ce cantonnement était logique puisque cet article 2253
ancien avait été introduit par la loi du 09 juillet 1975110, or à cette époque le pacte civil de
solidarité n’existait pas encore. Mais le législateur aurait pu lors de l’introduction du pacte
civil de solidarité, par la loi du 15 novembre 1999111, prendre une disposition pour étendre le
bénéfice de l’article 2253 ancien aux partenaires unis par un pacte civil de solidarité. Mais la
raison de cette omission tient dans le fait qu’au moment de son intronisation dans le Code
civil français, ce mode d’organisation de la vie à deux n’était envisagé que sous l’angle d’un
contrat et non comme un mode d’union au même titre que le mariage. Ce n’est qu’avec la
réforme de la loi du 23 juin 2006, qui a introduit la mention obligatoire de la déclaration de
pacte civil de solidarité en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire112, que le pacte
civil de solidarité est devenu un mode d’union et non plus un simple contrat113. En tout état de
cause, la réforme du 17 juin 2008 a replacé partenaires et époux sur le même pied d’égalité à
107 Cass. req., 22 juin 1853 : S. 1855, 1, p. 511. Pour des arrêts confirmant cette position : Cass. civ. 1re, 04 fév. 1986 : Bull. civ. 1986, I, n°16, p. 14 ; JCP G 1987, II, 20818, note Louis BOYER.108 Jean Jacques TAISNE, prescription : suspension de la prescription, Jurisclasseur, répertoire notarial, V. Prescription, fasc. n°20, articles 2233 à 2239, sept. 2009, n°92.109 Ce qui est logique, puisque la prescription extinctive sanctionne « l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps » : article 2224 du Code civil.110 Loi n°75-596, du 09 juillet 1975 portant réforme de la procédure civile.111 Loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 sur le pacte civil de solidarité.112 Article 515-3-1 introduit par la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.113 Philippe DELMAS SAINT-HILAIRE, Couples, patrimoine : les défis de la vie à deux, rapport de synthèse du 106e Congrès des notaires de France, Defrénois n°12, 2010, p. 1321.
24
l’égard du jeu de la suspension de l’article 2236 du Code civil, puisque désormais ces deux
modes de vie à deux en ont le bénéfice114.
En introduisant cette disposition, le législateur a fait vœu de bon sens. En effet, si nous
raisonnons sur le mariage, il n’est pas d’usage pour les époux, qu’ils se fassent d’autres procès
que celui de leur divorce. Plus généralement une telle disposition est une mesure prise « dans
l’intérêt de la paix des ménages »115. En effet, en l’absence d’une telle disposition, les époux
et les partenaires retomberaient sous le jeu du droit commun de la suspension et ils seraient
donc contraints d’intenter, pendant la durée de leur union, une action contre l’autre époux ou
partenaire afin d’interrompre la prescription ; ce qui aurait altéré singulièrement la paix du
foyer. Il est donc clair, ici, que si le régime de droit commun de la prescription n’avait pas
contenu cette disposition, il se serait avéré insatisfaisant à l’égard des relations familiales.
Toutefois, à la paix des familles, il existe une seconde raison à l’existence d’une suspension
entre époux ou partenaires. Celle-ci tient dans une volonté de protéger les droits du conjoint
ou du partenaire contre les « pressions » psychologiques ou encore l’impossibilité morale à
intenter une action contre l’autre conjoint ou partenaire116. Effectivement, il est très
facilement compréhensible que dans un couple, la nature du lien aura, d’un point de vue
moral, tendance à rendre très difficiles les actions en justice. Dès lors, la loi permet d’attendre
que cette relation trouve sa fin, pour que l’époux ou le partenaire qui a retrouvé sa pleine
autonomie puisse alors librement choisir d’agir ou non en défense de son droit117.
Il existe une autre hypothèse, où le régime de la suspension de la prescription est
affecté par l’union. C’est en matière successorale. En effet, l’article 780 du Code civil alinéa 3
dispose que « la prescription ne court pas contre l’héritier qui a laissé le conjoint survivant
en jouissance des biens héréditaires qu’à compter de l’ouverture de la succession de ce
dernier ». Cette disposition offre un bénéfice de suspension à l’égard de l’héritier qui laissera
le conjoint survivant en jouissance des biens. C'est-à-dire que la prescription est suspendue
pendant toute la durée de la jouissance desdits biens. Cela constitue un véritable avantage au
profit du conjoint survivant. Il faut toutefois noter que le bénéfice de cette disposition,
114 V. en ce sens. Isabelle CORPART, les retombées en droit de la famille de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, RJPF, n°9 septembre 2008, p. 12. 115 Jean Jacques TAISNE, prescription : suspension de la prescription, Jurisclasseur, répertoire notarial, V. Prescription, fasc. n°20, articles 2233 à 2239, sept. 2009, n°28, p. 7.116 Jean-Claude BARDOUT, les conséquences de la réforme de la prescription civile en matière familiale, AJ Famille 2008, p. 291.117
Même si elle ne nous intéresse pas en premier lieu, il faut qu’en même relever que la loi du 17 juin 2008 a introduit la possibilité de moduler conventionnellement les délais de prescription, ainsi que les causes de suspension (article 2254 C. civ.).
25
contrairement à l’article 2236, n’est pas étendu au partenaire survivant, probablement parce
que la durée ne fait pas partie « du caryotype du pacs »118.
Si les époux et les partenaires bénéficient d’une cause de suspension de la prescription,
ils n’en sont pas pour autant les uniques bénéficiaires au sein du droit de la famille.
Effectivement, les mineurs et les majeurs en tutelle bénéficient également en principe d’une
cause de suspension de la prescription, même si celle-ci est écartée à l’égard des « créances
périodiques » (§2).
§2. L’ATTENUATION DE LA SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION EN RAISON DE
L’INCAPACITE D’EXERCICE
Le principe est qu’à l’égard des mineurs non émancipés et des majeurs en tutelle, la
prescription est suspendue jusqu’à leur majorité ou la fin de leur mesure de protection (article
2235 C. civ). Ainsi, si une action n’a pas été exercée par leur représentant, ils ne subissent pas
les conséquences de l’inaction de celui-ci. Le fondement de cette suspension est le même que
ce soit pour les majeurs en tutelle ou les mineurs non émancipés. Il tient dans une incapacité
d’exercice, c'est-à-dire le « pouvoir de mettre en œuvre soi-même et seul ses droits et ses
obligations, sans assistance, ni représentation d’un tiers »119. Par conséquent, ne pouvant agir
par eux-mêmes, ils sont contraints de se faire représenter pour la défense de leurs droits.
Cette cause de suspension devrait donc connaître un domaine d’application le plus large
possible. Mais il n’en est rien. En effet, le principe énoncé par cet article est suivi de
nombreuses exceptions. C’est ainsi que la suspension est écartée « pour les actions en
paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers,
fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, les actions en
paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts »120.
Ici, nous allons nous intéresser au sort des pensions alimentaires qui sont le plus souvent le
moyen utilisé pour payer les aliments. En effet, les créances alimentaires, notamment, sont
des créances qui s’inscrivent, en général, dans un cadre familial. De plus, étant donné qu’elles
répondent à des impératifs de « survie », elles sont considérées comme « vitales » pour leur
créancier. Les mineurs ne disposant pas, en principe, de ressources propres, ces créances
118 Philippe DELMAS SAINT-HILAIRE, Couples, patrimoine : les défis de la vie à deux, rapport de synthèse du 106e Congrès des notaires de France, Defrénois n°12, 2010, p. 1322.119 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 15e éd., 2006, V. Capacité.120 Article 2235 C. civ.
26
constituent un moyen de subsistance pour leur quotidien. Le plus souvent, elles sont exécutées
sans que le moindre contentieux ne survienne.
Lorsqu’une question relative à la suspension se pose, il faut bien avoir à l’esprit qu’il
faut nécessairement faire un choix entre deux hypothèses. Soit nous décidons de protéger
l’incapable en sacrifiant le bénéficiaire de la prescription, par le jeu de la suspension. Soit on
décide de protéger l’incapable sans sacrifier le bénéficiaire de la prescription et dans ce cas
c’est la responsabilité du représentant qui est mise en jeu121. Pour les créances alimentaires
c’est la seconde hypothèse qui a été retenue. Etant donné que la justification de la réduction
du délai de prescription était fondé sur la volonté « d’éviter la ruine du débiteur par
l’accumulation des arrérages : le remboursement des créances doit être assuré par
les revenus et non par le capital »122, nous pourrions nous demander si la raison qui limite
l’étendue de la suspension, est la même ? La réponse est clairement positive, le caractère
nécessaire de ses pensions alimentaires, associé à l’incapacité de leur créancier aurait dû
conduire à admettre une dérogation à leur égard. Mais ce n’est pas le choix fait par le
législateur qui a préféré obliger le mineur ou le majeur en tutelle à agir contre son
représentant, plutôt que de lui accorder le bénéfice de la suspension.
Nous venons de voir que le régime de la suspension de la prescription appréhende les
rapports familiaux en instaurant des causes de suspension en raison de la qualité d’époux ou
de partenaire, mais aussi pour les mineurs et les majeurs en tutelle. Cependant, la prise en
compte du droit de la famille passe également par la réduction du domaine d’application du
délai butoir de droit commun (section 2).
SECTION 2. - UN DELAI BUTOIR DE DROIT COMMUN AU DOMAINE D’APPLICATION
LIMITE A L’EGARD DU DROIT DE LA FAMILLE
La réforme de la prescription a conduit à l’introduction en droit civil français, d’un
nouveau mécanisme juridique appelé « délai butoir » (§1), mais celui-ci connaît un champ
d’application très largement restreint à l’égard du droit de la famille (§2), ce qui nous conduit
à souligner une fois de plus la nature dérogatoire de ce droit de la famille.
121 Jean-Jacques TAISNE, Jurisclasseur, répertoire notarial, prescription fasc ; 20, article 2233 à 2239, sept. 2009, n°35.122 Jean-Jacques HYEST, Hugues PORTELLI et Richard YUNG, Rapport d’information du sénat, n°338, p. 52
27
§1. L’INTRODUCTION MALADROITE DU DELAI BUTOIR EN DROIT FRANÇAIS
Le législateur ne souhaitait pas retarder indéfiniment l’acquisition de la prescription. Il
a donc décidé d’introduire en droit civil français le jeu du délai butoir. C’est à l’article 2232
du Code civil que l’on peut trouver les dispositions qui s’y attachent. Il dispose ainsi que « le
report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir
pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du
jour de la naissance du droit »123. Ce délai butoir a pour fonction essentielle « de sécuriser les
relations juridiques en interdisant toute contestation passé le délai de vingt ans »124.
Cependant, il faut souligner dans la rédaction de l’article 2232, une confusion de la part du
législateur entre le temps de la prescription et le temps réel, c'est-à-dire celui qui est utilisé par
tout le monde et qui sert de référence. En effet, lorsque nous reprenons la définition de la
suspension de la prescription, nous pouvons constater qu’elle a pour effet de suspendre le
cours de la prescription et non de l’étendre. Dès lors, comment pourrait-elle atteindre un délai
de vingt ans si par le jeu de la suspension la durée de la prescription est suspendue ? En fait,
lorsque le législateur énonce que : « le report du point de départ, la suspension ou
l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription
extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit »125, en réalité, il a
entendu parler du temps réel qui court à compter de la naissance du droit et non pas celui de la
prescription. En fait, l’introduction du délai butoir en droit civil français a été faite de manière
malhabile. En effet, les principes européens, dont la technique est inspirée126, considèrent que
les causes de suspension de la prescription ont pour effet d’étendre le délai de la prescription
et non de suspendre ce délai. En droit européen, il y a donc confusion des deux délais dans les
formules utilisées. Par contre en droit français le législateur distingue les deux temps : le
temps de la prescription, et le temps réel. Dès lors, au moment de la rédaction de l’article
2232, il n’a pas songé à prendre en compte cette dissociation d’où cette confusion
terminologique.127. Or cela méconnaît le fondement même de la prescription qui est consacré
par l’article 2224. Le temps de la prescription est celui de l’inaction du titulaire du droit et
non le temps réel !
123 Marc MIGNOT, Le délai butoir : commentaire de l’article 2232 du Code civil issu de la loi du 17 juin 2008, Gaz. Pal. 2 février 2009, p. 408, n°7.124 Ibid., n°1.125 Article 2232 du Code civil. 126 Article 10-2,2°) : « en toute hypothèse, le délai maximum de prescription est de dix ans à partir du lendemain du jour où le droit pouvait être exercé ».127 C'est-à-dire celui qui est situé entre la naissance d’un droit et le moment où la prescription pourra produire son effet extinctif et le délai de la prescription.
28
Le délai butoir de l’article 2232 du Code civil est un délai de droit commun. C'est-à-
dire qu’en principe toutes les prescriptions sont visées, quelles que soient leurs sources tant
qu’il n’existe pas une disposition contraire128. Cependant, le délai butoir est en contradiction
avec le fondement moral de la prescription. La Cour de cassation, sur l’avant-projet de
réforme du droit des obligations et de la prescription avait clairement identifié l’opposition du
délai butoir avec le principe fondamental de la prescription, selon lequel, elle ne peut être
opposée à celui qui est dans l’impossibilité d’agir129. Le groupe de travail de la Cour de
cassation est même allé jusqu’à rappeler que le Conseil Constitutionnel, le 13 décembre 1985,
avait émis de sérieux doutes sur le caractère constitutionnel d’un tel mécanisme130.
Toutefois, si l’alinéa 1 de l’article 2232 affirme le principe du délai butoir, le
législateur s’est empressé de limiter son champ d’application (§2).
§2. L’INFLUENCE DES RAPPORTS FAMILIAUX SUR LA DELIMITATION DU DOMAINE
DU DELAI BUTOIR
La lecture de l’article 2232, alinéa 2 indique le domaine d’application de ce délai
butoir, ou plus précisément, vient limiter ce domaine. C’est ainsi qu’en matière familiale, le
jeu du délai butoir est écarté pour : les époux et les partenaires (article 2236 du Code civil) et
plus largement pour les actions relatives à l’état des personnes. Pourquoi le législateur a-t-il
procédé à cette exclusion ?
Pour les créances entre époux ou entre partenaires d’un pacte civil de solidarité, le
délai butoir ne s’applique pas. Cela s’explique très logiquement par le fait, que malgré la
croissance constante du nombre de divorce et de « dépacsage »131, il se peut encore que
l’union des deux individus dure plus de vingt ans. Or, si le délai butoir s’était appliqué, cela
aurait conduit à contre dire l’intérêt même de l’existence de la cause de suspension résultant
de l’article 2236 du Code civil. Les fondements de cette exclusion sont donc les mêmes que
128 Emile BLESSIG, Rapport n°847, AN, p. 42 ; En ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r0847.pdf ; consulté le 07 juin 2011.129 Rapport du groupe de travail de la Cour de cassation sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription du 15 juin 2007, n°96 ; en ligne :www.courdecassation.fr/institution_1/autres_publications_discoours_2202/travail_cour_10699.html#. ; consulté
le : 03 juin 2011.130 Cons. Const., 13 décembre 1985, n°85-198.131 C'est-à-dire la rupture du pacte civil de solidarité.
29
ceux qui ont commandé l’introduction en droit civil français de la suspension de l’article
2236, à savoir : la paix des ménages et la protection du droit d’agir des époux132.
Plus largement, le législateur a décidé de traiter différemment les effets de certaines
causes de suspension. Par exemple l’article 2236 n’est pas soumis au délai butoir alors que les
articles 2234, 2235 et 2237, eux, y sont soumis. Il nous semble que ce choix soit dicté
arbitrairement par le législateur, puisqu’il existe visiblement aucune raison objective à ce que
certains droits soient soumis au délai butoir et d’autres non133. Marc MIGNOT souligne que
deux solutions aurait permis d’éviter ce grief de l’arbitraire. D’une part, il aurait été possible
de faire jouer le « tout ou rien » c'est-à-dire que toutes les causes de suspension auraient été
logées à la même enseigne. D’autre part, il aurait été possible d’introduire un mécanisme de
hiérarchie basé sur le degré d’impossibilité à agir pour exercer son droit. En d’autres termes, il
aurait été question de distinguer les causes absolues, auxquelles le délai butoir ne se serait pas
appliqué, des causes relatives de suspension soumises au jeu du délai butoir134.
L’article 2232, alinéa 2 exclue également de son champ d’application les « actions
relatives à l’état des personnes ». Leur inscription dans la durée et leur attachement à la
personne humaine, ont conduit le législateur à l’exclure du champ d’application du délai
butoir.
Nous pouvons donc constater ici que le régime de droit commun de la prescription des
droits patrimoniaux connaît de nombreuses dérogations qui laissent à penser qu’il pourrait
exister un véritable « droit spécial » de la prescription extinctive des droits patrimoniaux de la
famille135. Mais l’exclusion des actions relatives à l’état des personnes (élément de droit
extrapatrimonial) du domaine d’application du délai butoir, jette la première pierre en
révélant, d’une part, que le législateur opère une confusion entre les droits patrimoniaux et les
droits extrapatrimoniaux, puisqu’il les soumet au même régime de prescription extinctive.
D’autre part, cela révèle également l’insuffisance de la prescription des droits patrimoniaux de
la famille à appréhender l’ensemble des droits constituant le droit de la famille (TITRE 2).
132 G. MARTY, P. RAYNAUD et Ph. JETAZ, les obligations, le régime, t. II, 2e éd., Sirey, 1989, n°338, p. 300, cité par : Marc MIGNOT, le délai butoir commentaire de l’article 2232 du Code civil issu de la loi du 17 juin 2008, Gaz. Pal. 26 févr. 2009, n°57, p. 2, §20. 133 Voir également dans le même sens Marc MIGNOT, Le délai butoir : commentaire de l’article 2232 du Code civil issu de la loi du 17 juin 2008, Gaz. Pal. 2 février 2009, p. 408, n°26.134 Ibid.135 Toutefois, vous l’aurez peut être remarqué, mais en matière de dérogation à la prescription des droits patrimoniaux, c’est exclusivement la prescription extinctive qui est affecté. En effet, en matière de prescription acquisitive, il n’existe assez curieusement aucune dérogation à l’égard du droit de la famille.
30
TITRE 2
UN DROIT COMMUN DE LA PRESCRIPTION INSUFFISANT A L’EGARD DES
DROITS EXTRAPATRIMONIAUX DE LA FAMILLE
Le droit de la famille se caractérise par son application, tant sur un plan patrimonial,
que extrapatrimonial. Partant de là, il s’avère que la prescription extinctive des droits
patrimoniaux de la famille, que nous venons d’analyser, s’avère insuffisante à rendre compte
de l’ensemble de cette matière. En effet, d’une part, le Code civil lui-même cantonne
l’application de la prescription de droit commun aux seuls droits et actions de nature
patrimoniale et d’autre part, la nature juridique des droits extrapatrimoniaux conduit
généralement à la qualifier d’imprescriptible. Il apparaît donc que le droit commun de la
prescription, que nous venons de dégager, est en réalité insuffisant pour recouvrir l’ensemble
du droit de la famille (chapitre 1), mais aussi que la qualification traditionnellement donnée
aux droits extrapatrimoniaux, d’être des droits imprescriptibles, s’avère également inexacte
(chapitre 2).
CHAPITRE 1
UN DROIT SPECIAL DE LA PRESCRIPTION CANTONNE AUX DROITS PATRIMONIAUX
Traditionnellement, lorsqu’une analyse de la prescription civile est effectuée, elle
s’opère par le prisme du droit des obligations et ignore par conséquent, la dichotomie des
droits subjectifs. Or le droit de la famille est un droit qui englobe à la fois les droits
patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux. Cette matière se caractérise donc par l’existence,
en son sein, d’une pluralité de droits subjectifs (section 1). Dès lors, l’analyse de la
prescription du livre 3 du Code civil conduit rapidement à la démonstration d’un
cantonnement de celle-ci aux seuls droits patrimoniaux (section 2).
SECTION 1. - UN DROIT DE LA FAMILLE CARACTERISE PAR UNE PLURALITE DE
DROITS SUBJECTIFS
En droit de la famille, il existe une pluralité de droits subjectifs. Ces droits subjectifs
sont des « prérogatives […] que le droit objectif consacre et sauvegarde au profit des sujets
31
de droit, ce qui explique l’expression de droits subjectifs. Les sujets de droit sont
essentiellement envisagés ici non pas comme des personnes soumises à un souverain, mais
comme les supports des prérogatives reconnues et protégées par le système juridique » 136 .
En d’autres termes, les droits subjectifs sont ceux qui sont attachés à une personne et qui lui
permette de jouir d’une chose, d’une valeur ou encore d’exiger d’une autre personne une
prestation137. Au sein de ces droits, si nous empruntions le terme mathématique adéquat, il
existerait des catégories de droit que nous pourrions qualifier de « sous ensemble ». C’est
ainsi que nous trouverions les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux. Les
premiers ont fait l’objet d’une analyse à l’égard de la prescription dans le premier titre de
cette partie. Mais, le droit de la famille n’est pas uniquement composé de droits patrimoniaux
et pour rendre compte des prescriptions dans cette matière, il convient de s’intéresser au rôle
celles-ci à l’égard des droits extrapatrimoniaux de la famille. Ces derniers sont certes des
droits subjectifs, mais ils se caractérisent par le fait qu’ils n’entrent pas directement dans le
patrimoine de leur titulaire et de ce fait, ne sont pas considérés comme étant dans le
« commerce ». Ces droits extrapatrimoniaux ne sont donc pas envisagés ou perçus comme
ayant une valeur pécuniaire, ou au moins dans leur fondement, ils ne sont pas envisagés
comme tels. Ces droits extrapatrimoniaux sont appelés ainsi par opposition aux droits
patrimoniaux dont « l’objet direct est d’assurer la protection d’un intérêt pécuniaire et qui
ont, en eux-mêmes, une valeur pécuniaire »138. En droit de la famille, les droits
extrapatrimoniaux sont constitués par leur attachement aux rapports familiaux c’est ainsi que
la catégorie des droits extrapatrimoniaux, envisagée dans une acception plus restreinte,
s’avère cantonnée aux droits des parents sur la personne et les biens de leur enfant (autorité
parentale) et à l’état des personnes envisagé dans le lien de filiation, etc. A la différence des
droits patrimoniaux, les droits extrapatrimoniaux sont généralement qualifiés par la doctrine :
« d’incessibles, intransmissibles aux héritiers et légataires du titulaires, insaisissables par ses
créanciers et imprescriptibles, qu’il s’agisse de prescription acquisitive ou extinctive »139.
Dans la qualification traditionnellement donnée, la notion de prescription n’aurait
donc pas sa place. Cela s’explique sûrement, pour une grande part, par les liens qui unissent
ces droits extrapatrimoniaux à la théorie de l’ordre public140. Par ailleurs, le fait que le droit
commun de la prescription se situe dans le livre 3 « Des différentes manières dont on acquiert 136 François TERRE, introduction générale au droit, 8e éd. Dalloz, 2009, p. 169, n°201. 137 Lexique des termes juridique Dalloz, 15e éd., 2005, V. Droit.138 François TERRE et Dominique FENOUILLET, droit civil les personnes, la famille, les incapacités, 7e éd. Dalloz, 2005, p. 55, n°52. 139 Ibid. p. 56140 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.552, n°895 ; ou encore Frédérique NIBOYET, L’ordre public matrimonial, thèse, Paris 10, 2006, LGDJ, bibl. drt. priv. t.494, 2008 ;
32
la propriété», conduit à un cantonnement textuel de la prescription aux droits patrimoniaux
(section 2).
SECTION 2. - UN CANTONNEMENT TEXTUEL DE LA PRESCRIPTION AUX DROITS
PATRIMONIAUX
Ici, nous allons démontrer que la prescription de droit commun est cantonnée
textuellement aux seuls droits patrimoniaux et que son extension aux droits extrapatrimoniaux
est textuellement rejetée. Le fondement de ce cantonnement textuel se trouve dans deux
articles, l’un pour la prescription extinctive (§1.) l’autre pour la prescription acquisitive (§2.).
§1. L’EXCLUSION TEXTUELLE DES DROITS EXTRAPATRIMONIAUX DU DOMAINE DE
L’ARTICLE 2224
En matière de prescription extinctive l’article 2224 du Code civil dispose que « les
actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le
titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Ici
deux sortes d’actions sont visées : les actions personnelles et les actions mobilières. Les
actions personnelles sont des actions en justice « par lesquelles on demande la
reconnaissance ou la sanction d’un droit personnel, quelle qu’en soit la source (convention,
délit, loi gestion d’affaires, enrichissement injuste, etc.) »141. Les droits personnels, objet de
cette action, sont les droits subjectifs d’une personne qui lui permettent d’exiger d’une
personne une prestation et qui prennent le plus souvent la forme de droits de créance142. Ces
droits ont donc une valeur pécuniaire qui s’intègre dans le patrimoine de leur titulaire. Il
apparaît alors, que si les droits extrapatrimoniaux ne sont pas des droits ayant une valeur
pécuniaire intrinsèque et qu’ils ne font pas partie du patrimoine de leur titulaire, alors ils ne
peuvent pas être assimilés aux droits personnels visés par l’article 2224 du Code civil. Mais le
sont-ils alors aux droits mobiliers ? Les droits mobiliers sont des droits qui portent sur un
meuble143. Les droits extrapatrimoniaux ne sont pas des droits qui portent sur des meubles
mais sur une personne. Ils ne sont donc pas non plus susceptibles de faire l’objet d’actions
mobilières. Par conséquent, l’article 2224 qui soumet la prescription extinctive aux seuls 141 Lexique des termes juridique, 5e éd., Dalloz, 2005, V. action personnelle.142 Ibid., V. Droit personnel.143 Ibid., V. Droit mobilier. En d’autres termes, il s’agit des droits qui portent sur un bien corporel c'est-à-dire un bien qui peut se transporter d’un lieu à un autre par eux-mêmes ou par l’effet d’une force étrangère. Mais il peut également s’agir d’un bien incorporel.
33
droits susceptibles d’une action personnelle ou mobilière, ne s’étend pas aux droits
extrapatrimoniaux. Voyons à présent ce qu’il en est de la prescription acquisitive (§2.).
§2. UNE EXCLUSION TEXTUELLE DES DROITS EXTRAPATRIMONIAUX DE LA
FAMILLE DU DOMAINE DE LA PRESCRIPTION ACQUISITIVE DE L’ARTICLE 2258
Le domaine de la prescription acquisitive est régi par les articles 2258 et 2260 du Code
civil. Le premier de ces articles énonce que « la prescription acquisitive est un moyen
d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit
obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise
foi ». Si nous nous contentions de ce seul article, le caractère général de l’expression « un bien
ou un droit » aurait permis de soumettre l’acquisition des droits extrapatrimoniaux au jeu de
la prescription acquisitive. Mais l’article 2260 est venu exclure cette possibilité en disposant
qu’on « ne peut [pas] prescrire les biens ou les droits qui ne sont point dans le commerce ».
C'est-à-dire qu’il n’est pas possible de soumettre au jeu de la prescription les droits
extrapatrimoniaux, puisque ces derniers ne sont pas susceptibles d’acquisition ou encore de
cession à titre onéreux et qu’ils ne sont donc pas dans le commerce.
Il est donc clair et net que les prescriptions tant acquisitives, qu’extinctives des articles
2219 à 2279 du Code civil ont uniquement vocation à régir les droits patrimoniaux144. Il
convient à présent de se demander pourquoi ces droits extrapatrimoniaux sont exclus du
champ d’application de ces articles ? Et si leur imprescriptibilité est absolue ? (chapitre 2).
CHAPITRE 2
DES DROITS SUBJECTIFS DIVERGENTS PAR LEUR NATURE ET LEUR REGIME : POUR
UNE APPREHENSION DISTINCTE DE LA PRESCRIPTION EN DROIT DE LA FAMILLE
La distinction entre les personnes et les choses n’est pas uniquement une distinction
que nous pourrions qualifier de « matérielle ». Mais elle exprime surtout une distinction
fondamentale qui place la personne comme une valeur supérieure145. Distinction que nous ne
pouvons donc pas ignorer et qui est représentée par la différenciation entre les choses dans le
commerce et celles qui sont hors du commerce. Les droits extrapatrimoniaux n’étant pas
144 V. en ce sens : René SAVATIER, parenté et prescription civile, RTD civ. 1975, p. 1145 V. en ce sens Alain SERIAUX, Les personnes, Que sais-je ?, PUF, 1994, p. 31.
34
cessibles et n’ayant pas de valeur pécuniaire, nous pouvons donc en déduire qu’ils sont « hors
du commerce » 146. Il faut donc en conclure qu’ils échappent à la prescription soit acquisitive,
soit extinctive qui serait l’attribut des droits patrimoniaux. D’ailleurs, avant147, comme
après148 l’introduction de l’article ancien 311-7 (321 nouveau) dans le Code civil149, la
jurisprudence continue à affirmer le principe de cantonnement de la prescription aux droits
patrimoniaux. C’est ainsi qu’elle affirme que « l’article 2262 du Code civil ne concerne que
les droits patrimoniaux à l’exclusion de l’état des personnes, lequel n’est pas disponible, et
met en jeu non seulement les intérêts moraux inhérents à la personnalité mais encore les
structures institutionnelles de la famille et de la société »150.
De toute manière, le fait de déclarer ces droits extrapatrimoniaux comme
imprescriptibles en principe, relève du bon sens. En effet, dans le cas contraire, nous aurions
le risque de voir une personne acquérir ou perdre au bout d’un temps plus ou moins long, des
droits essentiels pour son existence sur la scène juridique. Ce principe d’imprescriptibilité
nous le retrouvons énoncé sous l’article 2260 (ancien 2226) du Code civil sous les termes de
« on ne peut prescrire les biens ou les droits qui ne sont point dans le commerce »151. Une
question se pose alors. Est-ce que l’expression « les biens ou les droits qui ne sont point dans
le commerce » recouvre le même sens que celui de l’article 1128 du Code civil qui dispose
qu’il « n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des
conventions » ? Selon Rémy LIBCHABER, cette notion semble s’être fixée autour de la
notion de produits du corps humain152. Elle a certes fait l’objet d’études doctrinales153, mais
elle constitue une notion « molle », c'est-à-dire une notion au contenu incertain et variable154.
Finalement, la détermination des choses qui ne seront pas soumises au jeu de la prescription
ne peut pas être réduite au seul caractère patrimonial ou extrapatrimonial du droit ou de
l’action en cause, le fondement doit être recherché ailleurs.
Le principe selon lequel les droits extrapatrimoniaux sont insusceptibles de
prescription (soit acquisitive, soit extinctive) découle de l’idée que le temps ne peut pas faire
146 V. sur cette notion de chose hors du commerce : Isabelle MOINE DUPUIS, les choses hors commerce : une approche de la personne humaine juridique, préf. E. LOQUIN, thèse, Dijon, 1993, éd. LGDJ, 1997.147 Paris, 17 février 1961, D. 1961, somm. 102 ; Gaz. pal. 1961, 1, 253, concl. NEPVEU ; RTD civ. 1961, 294, obs. Henri DESBOIS.148 Paris 17 mai 1988, D.1988, IR, 174 ; RTD civ. 1989, 292, obs. Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI.149 Cet article, issu de la loi du 03 juillet 1972, a introduit en droit français la prescription des actions relative à la filiation. Il a été recodifié par l’ordonnance du 04 juillet 2005 à l’article 321 du Code civil.150 Paris 17 mai 1988, RTD civ, 1989, p. 292, obs. J. RUBELLIN-DEVICHI.151 Ancien article 2226 « on ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce » .152 Rémy LIBCHABER, les biens, Rép. civ. Dalloz, sept. 2009, n°84, p. 19.153 V. notamment, Isabelle MOINE DUPUIS, les choses hors commerce : une approche de la personne humaine juridique, préf. E. LOQUIN, thèse, Dijon, 1993, éd. LGDJ, 1997.154 Rémy LIBCHABER, op cit. , n°84, p. 19.
35
acquérir ces droits et de même ces droits ne peuvent pas s’éteindre par leur non usage155. Mais
alors, quelle est la raison de cette imprescriptibilité ? Tient-elle au caractère de ces droits ? Il
ne semble pas que l’impossibilité d’une évaluation pécuniaire puisse avoir pour conséquence
de fonder l’imprescriptibilité d’un droit ou d’une action156. Selon nous, c’est la fonction même
du droit en cause et les nécessités de l’ordre public qui s’y attachent, qui conduisent à affirmer
ou non le caractère imprescriptible de ces droits. En clair, les droits extrapatrimoniaux ne
sont pas tous imprescriptibles. Mais le fondement d’un principe d’imprescriptibilité est
généralement basé sur deux axes. D’une part, certains fondent l’imprescriptibilité sur le lien
unissant la personne à ses droits extrapatrimoniaux (section 1), d’autre part, certains la
fondent sur des considérations attachées à l’ordre public (section 2), mais ces deux
fondements ne sont pas susceptibles de fonder à eux seuls l’imprescriptibilité de principe de
ces droits extrapatrimoniaux.
SECTION 1. - L’INDISPONIBILITE DES DROITS EXTRAPATRIMONIAUX, UN
FONDEMENT INSUFFISANT POUR JUSTIFIER LEUR IMPRESCRIPTIBILITE
Deux courants doctrinaux sont relatifs à cette question et divergent sur le fondement
attribué à l’indisponibilité. Pour les premiers et les plus anciens157 l’imprescriptibilité serait
fondée sur l’indissolubilité du lien unissant la personne à ses droits subjectifs
extrapatrimoniaux. Pour les seconds158, c’est le lien biologique, qui lie la personne à ses droits
extrapatrimoniaux qui fonderait leur imprescriptibilité.
Si nous reprenons le premier courant doctrinal, les droits extrapatrimoniaux seraient
envisagés comme des « droits naturels antérieurs à toute convention et indépendant de tout
contrat »159. Ce seraient donc des droits naturels dont le titulaire aurait la liberté de les exercer
ou non. Or un grand nombre de droits extrapatrimoniaux (par exemple ceux qui sont relatifs à
l’état des personnes) s’inscrivent dans des « institutions de police civile »160.
Dès lors, le fondement de l’imprescriptibilité établit sur une liberté d’exercice d’un
droit s’avère insatisfaisant, lorsque ce droit est constitutif d’une institution de police, comme
155 V. en ce sens : Philippe MALAURIE et Hugues FULCHIRON, la famille, 4e éd., Defrénois, p.429, n°1075.156 Roger NERSON, les droits extrapatrimoniaux, thèse, Lyon, 1939, éd. Bosc frères M. et L. RIOU, p. 431 et 432, n° 195.157 Monique BANDRAC, la nature juridique de la prescription extinctive, thèse, Economica, 1986, n°139 et s., p. 138.158 Ibid., n°141, p. 140-141.159 Ibid., n°140, p. 139.160 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p. 556, n°904.
36
peut l’être l’état des personnes (et en son sein la filiation). Il y a alors une obligation d’utiliser
cet état qui efface alors la liberté d’usage à son titulaire161.
Tirant également leur argumentation du lien indissociable entre la personne et ses
droits extrapatrimoniaux pour justifier de l’imprescriptibilité, certains auteurs expliquent
l’imprescriptibilité de ces droits en la fondant sur l’existence d’un lien biologique162. L’idée
est simple, pour eux, la prescription ne saurait jouer puisque le fondement biologique
empêche en quelque sorte toute prise du temps dans la mesure où le droit extrapatrimonial (en
l’occurrence, ici, le lien de filiation lorsqu’il est établi) est liée à sa personne physique qui en
est titulaire. C'est-à-dire que tant que celle-ci existe, la prescription ne court pas. Par contre, il
apparaît très rapidement des insuffisances a cette argumentation car il est évident qu’un
certain nombre de droit extrapatrimoniaux de la famille ne se rattachent pas à un lien
biologique : le mariage, le divorce, le nom, le prénom, etc. Dès lors l’argument qui consiste à
fonder l’imprescriptibilité sur la permanence des critères biologiques déçoit, puisqu’elle ne
rend pas compte de l’ensemble de la réalité.
L’imprescriptibilité fondée sur l’indissociabilité entre la personne et ses droits
extrapatrimoniaux, nous conduit à nous interroger à présent sur la pertinence d’un fondement
basé sur l’ordre public (section 2).
SECTION 2. - LES FONDEMENTS TRADITIONNELS DE L’ORDRE PUBLIC
INSATISFAISANT POUR FONDER L’IMPRESCRIPTIBILITE DES DROITS
EXTRAPATRIMONIAUX DE LA FAMILLE
D’une part, l’imprescriptibilité pourrait se justifier par l’indisponibilité de ces droits.
Le but recherché est de mettre ces droits à l’abri des effets d’une modification volontaire et
subjective (§1). D’autre part, l’imprescriptibilité serait basée sur leur rattachement à l’ordre
public, c'est-à-dire que la prescription serait exclue afin d’assurer le respect de l’ordre
public163. En réalité, nous verrons que ni l’une, ni l’autre de ces deux théories ne permet de
fonder un principe d’imprescriptibilité des droits extrapatrimoniaux de la famille164.
161 Ibid.162 Monique. BANDRAC, la nature juridique de la prescription extinctive, thèse, Economica, 1986, n°141, p. 140-141.163 V. notamment, ibid., n°138, p. 138, 164 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.559, n°908.
37
§1. L’INDISPONIBILITE DES DROITS EXTRAPATRIMONIAUX INSUFFISANTE A
JUSTIFIER UN PRINCIPE D’IMPRESCRIPTIBILITE.
Pendant longtemps, la doctrine et la jurisprudence ont fondé le principe
d’imprescriptibilité en se basant sur le caractère indisponible des droits extrapatrimoniaux165.
L’idée était que l’état des personnes (élément des droits extrapatrimoniaux) n’était
indisponible et ne pouvait par conséquent « ni s’acquérir, ni se perdre par le seul effet du
temps »166. Les tenants de cette thèse envisagent la notion de prescription comme un élément
soumis à la volonté des individus. C'est-à-dire qu’ils peuvent soit renoncer à s’en prévaloir
(effet extinctif de la prescription), soit l’utiliser pour constituer des situations (effet créateur
de la prescription acquisitive)167. Par conséquent, ils opposent au jeu de la prescription le
caractère impératif de l’état des personnes et l’interdiction de modifier volontairement celui-
ci. Or une telle vision de la prescription a été remise en cause. Comme le souligne habilement
Monique BANDRAC168 « même s’il est généralement admis que la vraisemblable existence
d’une cause d’extinction distincte n’est pas étrangère au fondement de la prescription
extinctive, celle-ci est comprise aujourd’hui comme un fait extinctif autonome, et n’est plus
considérée, dans l’opinion dominante, comme une renonciation tacite, ni même comme une
présomption de renonciation »169. La prescription n’a donc pas toujours un fondement
subjectif et il faut donc reconnaître qu’elle n’est donc pas toujours soumise à « l’interdiction
des manifestations de volonté » qui fonde l’indisponibilité !170 Ainsi, si la prescription est
distincte de l’indisponibilité, l’imprescriptibilité n’est pas susceptible de se baser totalement
sur l’indisponibilité de ces droits.
Ce fondement pêche donc par son orientation subjectiviste. Dès lors pour justifier le
principe d’imprescriptibilité des droits extrapatrimoniaux, les auteurs se sont orientés vers le
caractère objectif de l’ordre public. Mais là encore, l’argumentation s’avère insatisfaisante
(§2).
165 Jean HAUSER et Danièle HUET-WEILLER, traité de droit civil : la famille, fondation et vie de la famille, 2e
éd. LGDJ, 1993, n°520, p. 284.166 Ibid.167 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.560, n°909.168 Monique BANDRAC, la nature juridique de la prescription extinctive, thèse, Economica, 1986. n°138, p.139.169 Cité par Monique BANDRAC, thèse préc. n°138, p.139 : V. PLANIOL et RIPERT, traité pratique de droit civil français, LGDJ, t.1, 2e. éd. par R. et J. SAVATIER, n°17, p. 15.170 Marc AZAVANT, thèse préc., n°910, p. 560.
38
§2. L’IMPERATIVITE DE L’ORDRE PUBLIC UNE JUSTIFICATION PARTIELLE DE
L’IMPRESCRIPTIBILITE DES DROITS EXTRAPATRIMONIAUX
Le respect de l’ordre public est avancé comme fondement de l’imprescriptibilité des
droits extrapatrimoniaux. C'est-à-dire que le caractère impératif de ces droits et le fait que leur
respect intéresse l’ordre public, conduit à les rendre imprescriptibles171. La Cour d’appel de
Paris dans un arrêt du 17 mai 1988172, donne une explication intéressante sur le fondement de
l’imprescriptibilité. Dans son attendu, la Cour affirme que « l’état des personnes n’est pas
disponible et met en jeu non seulement des intérêts moraux inhérents à la personnalité, mais
encore les structures institutionnelles de la famille et de la société »173. Ce qui est intéressant
ici, c’est que la Cour précise quelles sont les finalités poursuivies par le jeu de
l’imprescriptibilité en matière familiale. L’imprescriptibilité a pour vocation de protéger
l’ordre social, l’intérêt général et la conception que nous nous faisons de certaines institutions,
comme le mariage174. L’ordre public est donc intéressé au respect de ces droits
extrapatrimoniaux 175! La prescription est alors envisagée ici de manière objective par son
rattachement à l’ordre public. Elle est vue comme une « institution » en lien avec « le temps et
non comme l’expression d’une volonté subjective »176.
Toutefois, cette justification de l’imprescriptibilité fondée sur le respect de l’ordre
public n’est pas en dehors de toute critique. En effet, le raisonnement peut être retourné et
opposé aux tenants de cette théorie, dès lors que l’ordre public trouve parfois intérêt à ce que
certaines situations soient stabilisées et ne puissent plus être remises en cause. C’est ainsi
que certains auteurs177 soulevaient la question de savoir si « l’ordre public n’est-il pas
intéressé à la paix sociale et par conséquent à l’impossibilité de mettre en cause l’état
apparent d’une personne lorsque cette apparence s’est prolongée de nombreuses années et
171 M. PLANIOL et G. RIPERT, traité pratique de droit civil français, LGDJ, t. I, 2e. éd. par R. et J. SAVATIER, n°17, p. 15.172 Paris 17 mai 1988, RTD civ, 1989, p. 292, obs. J. RUBELLIN-DEVICHI.173 Ibid.174 Voir en ce sens Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty, 2002, p. 574, n°933.s175 V. également Roger NERSON, les droits extrapatrimoniaux, thèse, Lyon, 1939, éd. BOSC frères M. et L. RIOU, p. 431, n°195 : « Quelle est la raison de cette imprescriptibilité ? Tient-elle au caractère de ces droits ? Il ne semble pas que l’impossibilité d’évaluation pécuniaire d’un droit puisse avoir pour conséquence son imprescriptibilité ; l’indisponibilité des droits extrapatrimoniaux est d’autre part toute relative ; ce sont les nécessités de l’ordre public qui entraînent cette imprescriptibilité : c’est parce que le nom est immuable qu’il est imprescriptible ; c’est parce que l’état est une situation juridique au respect de la quelle l’ordre public est intéressé qu’il est imprescriptible ».176 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty, 2002, p. 561, n°912.177 PLANIOL et RIPERT, traité pratique de droit civil français, LGDJ, t.I, 2e. éd. par R. et J. SAVATIER, n°17, p 16.
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que des situations de famille durables se sont établies sur son fondement ? »178. La
prescription constitue donc un outil de stabilisation et de sécurisation des situations juridiques
qui s’inscrivent dans la durée. Dès lors, il devient difficile d’affirmer que les nécessités de
l’ordre public imposent l’imprescriptibilité absolue des droits extrapatrimoniaux de la famille.
Les éléments de stabilité et de sécurité juridique font partie de l’ordre public au même titre
que les moyens qui assurent son respect. L’ordre public ne peut donc pas être à lui seul, un
fondement au principe d’imprescriptibilité. Car si nous admettons la possibilité d’anéantir des
situation sous prétexte, qu’à l’origine, elles n’étaient pas fondées sur un droit véritablement
établi, cela conduirait à la ruine de la sécurité juridique dès lors que la prévision de l’avenir
serait très fortement compromise, non seulement pour les individus qui bénéficieraient de la
situation, mais aussi pour tous ceux qui, pensant traiter avec le véritable titulaire du droit ont
pu valablement croire que cette situation était juridiquement fondée 179 ! Et le même
raisonnement peut être utilisé tant pour la prescription acquisitive, qu’extinctive. D’ailleurs,
Marc AZAVANT relève dans sa thèse qu’une partie de la doctrine argue que la raison, qui
motive le principe général de la prescription des droits extrapatrimoniaux, tiendrait dans le
fait que l’ordre social n’aurait pas d’intérêt à remettre en cause des situations qui se sont
prolongées pendant trop longtemps et que ce principe était extensible au domaine des droits
extrapatrimoniaux et plus particulièrement à l’état des personnes180.
Pour autant, si la prescription est nécessaire en droit de la famille à l’égard des droits
extrapatrimoniaux, il ne faut pas non plus tomber dans le travers et considérer celle-ci comme
fondant le « nouveau principe directeur » des droits extrapatrimoniaux de la famille.
Le principe d’imprescriptibilité absolue des droits extrapatrimoniaux en matière
familiale avait déjà été remis en cause par la jurisprudence, avant l’adoption de la loi du 03
janvier 1972. C’est ainsi que la Cour de cassation dans un arrêt du 26 juin 1956181 avait été
amenée à procéder à une atténuation du caractère imprescriptible des droits extrapatrimoniaux
en distinguant selon que l’action avait un caractère moral (alors imprescriptible) ou
simplement pécuniaire (alors prescriptible). Puis par la loi du 03 janvier 1972, le principe
d’imprescriptibilité des actions d’état relatives à la filiation a été abrogé au profit de la
prescription trentenaire de droit commun à l’époque182. Le législateur de 1972 avait estimé
que « reconstruire consciencieusement une filiation qui était restée trente ans vide de toute
relation affective (ou même parfois près de cinquante ans, compte tenu de la suspension
178 Ibid.179 François TERRE et Dominique FENOUILLET, droit civil les personnes, la famille, les incapacités, 7e éd. Dalloz, 2005, p. 174, n°211. 180 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.562, n°14181 Cass. Civ. 26 juin 1956 : D. 1956, p. 605, note Philippe MALAURIE. 182 Article 311-7 ancien du Code civil.
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pendant la minorité de l’enfant) ne paraît pas présenter un intérêt social assez évident pour
justifier une dérogation au droit commun qui veut que le temps éteigne tous les litiges »183. En
matière extrapatrimoniale comme en matière patrimoniale, plus une situation de fait se
prolonge dans le temps, plus il devient probable qu’elle soit en fin de compte conforme au
droit, puisque personne ne la contredit. D’autre part, la prescription extinctive joue son rôle de
pacification : elle évite des contestations sur des faits anciens, dont la remise en cause, de trop
longues années après, pourrait causer plus de désordre que son maintien en l’état. C’est ainsi
que certains auteurs affirmaient que la raison, qui justifiait le fondement d’un principe général
de prescription en droit extrapatrimonial de la famille et notamment pour l’état des personnes,
trouvait son fondement dans la nécessité pour la « paix sociale » que certaines situations, ne
puissent pas être remises en cause, dès lors qu’elles se prolongent dans le temps184.
Aujourd’hui, la prescription des actions d’état relative à la filiation est tellement
ancrée dans notre système juridique que la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 novembre
1979, n’avait pas hésité à refuser d’appliquer une loi étrangère qui retiendrait
l’imprescriptibilité de ces actions185. Dans cet arrêt la Cour de cassation a estimé que la règle
de la prescriptibilité de l’état constituait le fruit d’une « conception fondamentale de note
droit qui ne pouvait s’effacer devant une règle contraire de droit étranger »186.
C’est ainsi que la Cour confirme le fondement d’ordre public de la prescription
puisque si elle constitue une conception fondamentale du droit français susceptible d’intégrer
notre ordre public international et de s’opposer ainsi à des dispositions étrangères contraires,
c’est bien parce qu’elle caractérise « un intérêt de bien commun »187. Il est, donc, également
important pour la « paix sociale » que des situations qui se sont inscrites dans la durée, ne
risquent pas d’être remises en cause à tout moment et perpétuellement. L’instabilité des
situations juridiques extrapatrimoniales serait aussi lourde de conséquence que celle des droits
patrimoniaux. Le temps conserve donc ici un rôle essentiel de stabilité et de sécurité juridique
et il faut donc noter l’existence d’exceptions apportées au principe d’imprescriptibilité à
l’égard des droits extrapatrimoniaux.
183 Exposé des motifs du projet de la loi sur la filiation, n°1624, p. 9 et rapport n°1926 de M. FOYER, président de la commission des lois de l’assemblée nationale, p. 47 : cité par M. AZAVANT, thèse. préc. p. 564, n° 916.184 V. Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.562, n°14, qui cite Louis JOSSERAND, Cours de droit civil français, 2ème éd., t.1, n°1032 : « Vraiment objecterait-on que l’état des personnes est imprescriptible ; le législateur a voulu éviter que ccet état pu être indéfiniment en question (…) »185 Cass. 1re civ. 13 novembre 1979, Bull. Civ, 1979, I., n°277, p.225. ; Defrénois, 1980, I, 1457, note Jacques MASSIP : « la règle de la prescriptibilité de l’état est d’ordre public international, de telle sorte que les législations étrangères qui édictent l’imprescriptibilité et qui seraient normalement applicables par le jeu de nos règles de conflit de lois, doivent être évincées au profit de la loi française. »186 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.564, n°917187 Ibid.
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CONCLUSION DE LA PARTIE 1
Le régime de droit commun de la prescription prévu par le livre 3 du Code civil
connaît de nombreuses dérogations, tant dans ses délais que dans son régime. Celles-ci
permettent d’adapter les prescriptions aux spécificités du droit de la famille. En effet, le droit
de la famille se caractérise principalement par la nature singulière du lien qui unit ses
membres. Qu’il soit un lien d’alliance ou encore un lien de filiation, les prescriptions des
droits patrimoniaux ne peuvent ignorer l’influence de ses rapports sur la détermination des
délais ou encore de son régime. C’est ainsi que le législateur a introduit des causes de
suspension destinées à protéger les époux ou les partenaires unis par un pacte civil de
solidarité (article 2236). Il a également prévu la suspension de la prescription du délai
d’option pour permettre au conjoint survivant de jouir des biens de la succession, sans que les
héritiers ne voient le jeu de la prescription jouer contre eux (article 780, alinéa 3 du Code
civil).
Par ailleurs, les rapports familiaux sont également pris en compte à l’égard des tiers
qui viendraient à contracter avec eux. C’est ainsi qu’en matière de cogestion portant sur le
logement de la famille (article 215, alinéa 3 du Code civil), le législateur a prévu une
prescription extinctive abrégée pour renforcer la sécurité juridique des transactions tout en
permettant à l’époux qui n’avait pas donné son accord de remettre en cause l’acte de
disposition litigieux.
Toutes ces dérogations laissent à penser qu’il pourrait exister un véritable droit spécial
de la prescription en droit de la famille. Toutefois, lorsque nous nous intéressons aux droits
qui composent le droit de la famille, ceux-ci ne sont pas uniquement de nature patrimoniale. Il
s’avère également extrapatrimoniaux. Or, une analyse textuelle du droit commun de la
prescription au sein du Code civil, conduit à le cantonner aux seuls droits patrimoniaux. Ainsi,
il s’avère qu’un pan entier du droit de la famille n’est pas appréhendé par les dispositions du
Code civil. De plus, l’étude de la notion de droit extrapatrimonial de la famille, nous conduit à
un constat, celle-ci est qualifiée, par la doctrine dominante, de droit : « incessible,
intransmissible, insaisissable et imprescriptible »188. Si la nature imprescriptible de ces droits
peut être comprise aisément, son fondement lui s’avère bien plus obscur. En effet,
l’imprescriptibilité de ces droits est généralement appuyée sur l’indissociabilité avec la
188 V. en ce sens : François TERRE et Dominique FENOUILLET, droit civil les personnes, la famille, les incapacités, 7e éd. Dalloz, 2005, p. 55, n°52.
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personne ou encore son attachement à l’ordre public. Si la première s’avère inexacte, le
second fondement bien qu’imprécis s’avère toutefois un peu plus convainquant. Mais cela ne
suffit pas, l’affirmation d’une imprescriptibilité absolue des droits extrapatrimoniaux de la
famille s’avère en réalité incomplète, puisque la loi du 03 janvier 1972, qui a introduit la
prescription au sein des droits extrapatrimoniaux, a démontré que les prescriptions n’étaient
pas étrangères aux droits extrapatrimoniaux de la famille ; mais bien au contraire participaient
même à la défense de la paix sociale et de l’ordre public. Si la prescription touche également
les droits extrapatrimoniaux de la famille, il nous reste donc à voir, comment cette notion est
appréhendée par le droit de la famille et si elle fait l’objet du même traitement qu’en matière
de prescription des droits patrimoniaux. (Partie 2).
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PARTIE 2
UNE ABSENCE D’UNITE EN MATIERE DE PRESCRIPTION DES DROITS
EXTRAPATRIMONIAUX DE LA FAMILLE
Les prescriptions, tant extinctives, qu’acquisitives, des droits extrapatrimoniaux de la
famille font l’objet d’un traitement singulier. Cela tient au fait que ces droits ont une nature
juridique distincte189. En effet, ces droits extrapatrimoniaux ont un objet et une fonction
distincte de celle des droits patrimoniaux. C’est ainsi que leur objet porte sur une personne et
non une chose et qu’ils ont également une proximité accrue avec l’ordre public et plus
précisément, qu’ils sont en lien avec des institutions de police, comme l’identification des
personnes (lien de filiation, régime matrimonial, etc.). Pour ces raisons, le législateur accorde
à leur égard un traitement singulier en matière de prescription tant sur l’étendue de son champ
d’application (titre 1) que dans son régime (tire 2).
TITRE 1
UNE ABSENCE D’UNITE DANS LE CHAMP D’APPLICATION DE LA
PRESCRIPTION
Le domaine extrapatrimonial de la famille est caractérisé par sa diversité de droit,
d’action et de situation juridique. Il faut donc accepter le fait que la divergence d’impératif
(d’objectif, de finalité) au sein de ses droits, conduit à un traitement plural au niveau de la
prescription190. C’est ainsi que la prescription au sein des droits extrapatrimoniaux de la
famille fait l’objet d’un traitement singulier dès lors qu’une partie d’entre eux demeure
imprescriptible (chapitre 1), mais au fil des réformes successives, la prescription accroit son
champ d’application pour assurer la stabilité et la sécurité juridique au sein du droit de la
famille (chapitre 2).
189 V. supra p. 31 : section 1 un droit de la famille caractérisé par une pluralité de droits subjectifs.190Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.554, n°896
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CHAPITRE 1
LE MAINTIEN DE L’IMPRESCRIPTIBILITE AU SEIN DU DROIT EXTRAPATRIMONIAL
DE LA FAMILLE.
Plusieurs domaines du droit de la famille sont encore aujourd’hui, en dehors du champ
d’application de la prescription. Le maintien de l’imprescriptibilité à l’égard des modes de
conjugalité (section 1) ou de la filiation (section 2) est fondé sur une volonté législative
d’assurer le respect des conceptions sociales de ces institutions.
SECTION 1. - L’EXCLUSION DE LA PRESCRIPTION POUR UNE PROTECTION
RENFORCEE DES CONCEPTIONS SOCIALES DU MARIAGE ET DU PACTE CIVIL DE
SOLIDARITE.
A l’égard de la prescription, ces deux formes d’union se caractérisent par leur
exclusion du champ de la prescription tant sur le plan de leur acquisition que de leur perte
(§1), nous verrons que cela peut s’expliquer par leur lien avec l’ordre public et le statut qui
leur est accordé (§2).
§1. L’IMPRESCRIPTIBILITE DU MARIAGE ET DU PACTE CIVIL DE SOLIDARITE, PRIS
EN TANT QUE SITUATIONS JURIDIQUES
Bien que le mariage soit considéré comme « la plus vieille coutume de l’humanité »191,
il n’en demeure pas moins qu’il ne fait toujours pas l’objet d’une définition légale et encore
moins unitaire au sein de notre droit192. Le Code civil donne toutefois des éléments techniques
qui peuvent aidés à sa définition. C’est ainsi que l’article 144 du Code civil laisse entendre
l’exigence d’une différence de sexe entre les époux ; que le mariage exige un échange de
consentement (article 145) et enfin qu’il soit soumis à un rite, « scellé par l’Etat »193 (article
165).
191 Jean CARBONNIER, Droit civil : introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, 1e éd., PUF, 2004, p. 1139, n° 522.192 Entendu dans un sens large incluant la doctrine et la jurisprudence. Pour une analyse plus poussée de la nature juridique et de la définition du mariage V. Marie LAMARCHE et Jean-Jacques LEMOULAND, mariage : 1° généralités, Rép. Civ. dalloz, 2010, p. 7, n°31 et s. ; V. également, Jean CARBONIER, op.cit., p. 1144, n°544.193 Jean CARBONNIER, op. cit, p. 1140, n° 522.
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Le Doyen Gérard CORNU a proposé de définir le mariage comme « l’union légitime
d’un homme et d’une femme en vue de vivre en commun et de fonder une famille, un foyer
(désigne l’institution même du mariage) »194. Mais ce terme est amphibologique et sert
également à désigner : « l’acte de formation du mariage (l’acte juridique solennel) qui
préside à sa formation (échange des consentements) »195. Enfin, ce terme désigne « l’état des
gens mariés : le statut d’époux »196. Sur un plan moral, le mariage est un moyen de lutte
contre les aléas de la vie et s’unir à une personne, même si le mariage s’est laïcisé, contient
encore aujourd’hui une grande part de conception religieuse197.
L’article 165 du Code civil fait de la célébration du mariage une condition de forme
impérative. Il exige que le mariage soit célébré publiquement devant l’officier d’état civil de
la commune où l’un des époux aura son domicile ou sa résidence. Par cette exigence de
forme, la qualité d’époux ne peut plus être obtenue par la simple possession d’état. Cette idée,
nous pouvions déjà la retrouver inscrite dans l’article 15, alinéa 2 du projet de l’an VIII qui
énonçait que « le commissaire du gouvernement doit poursuivre par la voie de la police
correctionnelle, et forcer de se séparer, ceux qui s’honorent ainsi du faux titre d’époux, et qui
couvrent leur concubinage du voile respectable du mariage »198. Si cet alinéa 2 avait été
retenu, il aurait été intéressant de s’intéresser sur la méthode qui aurait pu être employée pour
dévoiler ces situations et les sanctionner : « un policier pour chaque couple ? ». L’immixtion,
qu’une telle disposition aurait engendrée, a conduit à son exclusion lors de la rédaction du
Code civil. Avant même l’élaboration de ce dernier, il y avait déjà eu des précédents dans
lesquels les concubins avaient pu acquérir le statut d’époux par une possession d’état
prolongée199. Ce fut tout d’abord le cas dans la loi romaine, où le mariage était consensuel,
alors que le notre est solennel depuis le Concile de Trente. Le second précédent se trouvait en
matière de mariage protestant. En effet, la révocation de l’édit de Nantes, en 1685 les
obligeait à se marier en passant à l’église, ce qui était contraire à leur conviction. Cette
situation engendra de nombreux concubinages et à l’époque, il en découla de nombreux
enfants « naturels » (ce sont des enfants qui n’étaient pas qualifiés de légitime, c'est-à-dire
qu’ils n’étaient pas issus d’un mariage). Face à cette situation, les parlementaires ont donc
pris une disposition législative par laquelle ces enfants pouvaient se prévaloir d’une
possession d’état prolongée par laquelle leurs père et mère s’étaient comportés comme des 194 Gérard CORNU, Vocabulaire Juridique, association Henri CAPITANT, 8e éd. PUF, 2000, V. Mariage. 195 Ibid.196 Ibid.197 Jean CARBONNIER, op. cit., p. 1140, n° 522.198 Cité par Jean CARBONNIER, le mariage par les œuvres ou la légitimité remontante dans l’article 197 du Code Civil, in Mélanges MARTY, Université de Toulouse, 1978, p.261.199 Ibid. p.263.
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époux publiquement. S’ils en rapportaient la preuve, alors, ils pouvaient bénéficier des droits
de la légitimité à l’encontre des collatéraux200. C’est ainsi que Jean CARBONNIER nous
rappelle que sur la base de ses deux précédents, Portalis avait exposé une conception originale
du mariage « Ce ne sont point les cérémonies […] c’est la foi qui fait le mariage…, et le
terme concubinage ne doit pas toujours être pris dans un sens absolu, comme impliquant
quelque chose d’illicite ou de déshonnête en soi, mais uniquement comme adversatif du
mariage solennel. Quel est le but de nos lois, […] quand elles requièrent la solennité ?
Assurer les mœurs publiques ? Mais il suffit qu’il y ait engagement honnête, et non point
union furtive et passagère que seul le plaisir forme. »201. En d’autres termes, PORTALIS était
pour la possibilité d’une acquisition du statut d’époux, sans célébration. Et par conséquent,
une possession d’état prolongée constituée par le fait pour un homme et une femme de se
comporter comme des gens mariés, leur aurait permis d’acquérir l’état d’époux. Il y aurait
donc ici, la possibilité d’une prescription acquisitive de l’état d’époux. Ce que Jean
CARBONNIER veut faire comprendre ici, c’est que la possession d’état serait possible en
matière de mariage, mais le législateur français n’est pas ouvert à une telle idée et maintient
l’exigence d’une célébration pour exclure les effets d’une prescription acquisitive de la qualité
d’époux, par le jeu de la possession d’état prolongée. C’est d’ailleurs à ce titre, que Jean
CARBONNIER énonça dans son article aux Mélanges de Gabriel MARTY que « notre
juridisme éprouve toujours peine à accepter la possession d’état pour ce qu’elle est
réellement : une baie ouverte par le droit sur le non-droit »202. C’est ainsi que la possession
d’état d’époux, c'est-à-dire le fait pour un homme et une femme de s’être comporté
publiquement comme des gens mariés ne puissent pas constituer une preuve du mariage, ni
même un mode d’acquisition du mariage. D’ailleurs, l’article 194 du Code civil l’illustre bien,
puisqu’il dispose explicitement que « nul ne peut réclamer le titre d’époux et les effets civils
du mariage, s’il ne représente un acte de célébration inscrit sur le registre de l’état civil ;
sauf les cas prévus par l’article 46, au titre de l’état civil »203.
Pour ce qui est du Pacte civil de solidarité (ci-après : Pacs), c’est un mode plus récent
d’union qui fut introduit par la loi du 15 novembre 1999. L’ambition du Pacs était d’offrir aux
partenaires un statut qui, sans être identifié au mariage, garantirait une part de la sécurité
200 Ibid.201 Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil, que le fils de PORTALIS, Joseph-Marie, publia en 1844, in Jean CARBONNIER, le mariage par les œuvres ou la légitimité remontante dans l’article 197 du Code Civil, in Mélanges MARTY, Université de Toulouse, 1978, p.264. 202 Jean CARBONNIER, le mariage par les œuvres ou la légitimité remontante dans l’article 197 du Code Civil,in Mélanges MARTY, Université de Toulouse, 1978, p.265.203 L’article 46 du Code civil prévoit l’hypothèse où il n’existerait pas de registres, ou qu’ils auraient été perdus. Dans ces hypothèses, la preuve par la possession d’état sera possible.
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juridique qui est accordée aux époux204. Là aussi le législateur a posé en condition de forme à
l’article 515-3 du Code Civil. C’est ainsi que les partenaires, souhaitant conclure un pacte
civil de solidarité, doivent procéder à « une déclaration conjointe au greffe du tribunal
d’instance du ressort duquel elles fixent leur résidence commune »205. Ici, le formalisme est
certes beaucoup moins encadré qu’en matière de mariage, puisqu’il s’agit d’une simple
déclaration, alors qu’en matière de mariage c’est une célébration devant l’officier d’état civil
qui est exigée. Toutefois, le résultat est le même. Le législateur pose un formalisme solennel
qui empêche l’acquisition de la qualité de partenaire par la simple possession d’état prolongé,
tout comme pour le mariage. Or la prescription acquisitive nécessite la possession d’état. Ne
pouvant pas jouer, la prescription acquisitive est donc exclue en cette matière206. Voyons à
présent ce qu’il en est en matière de désunion (§2).
§2. L’ABSENCE DE PRESCRIPTION EXTINCTIVE EN MATIERE DE DESUNION
Dans ces deux formes d’union, la rupture du lien d’alliance ou de partenariat est
soumise également à un formalisme encadré. C’est ainsi qu’en matière de mariage, seul le
décès ou le divorce peut mettre fin à cette union207. La prescription extinctive ne saurait jouer
en cette matière et c’est d’ailleurs pour cette raison que même en présence d’une séparation de
fait, le statut de conjoint est conservé tant qu’aucune procédure de divorce n’a abouti208. Il en
va de même pour les partenaires unis par un pacte civil de solidarité. L’article 515-7 prévoit
trois causes de dissolution du Pacs : le décès, le mariage des partenaires ou de l’un d’eux et
enfin par déclaration conjointe ou décision unilatérale de l’un d’eux. Toutes ces hypothèses
sont formalisées et limitatives, c'est-à-dire que l’inaction de la qualité d’époux ou de
partenaire ne leur fait pas perdre leur état de personne mariée ou de partenaire. La prescription
extinctive ne peut donc pas avoir lieu ici. Cela peut s’expliquer, selon nous, pour deux
raisons. D’une part, admettre le principe suivant contredirait la sécurité de l’état civil, puisque 204 Ibid. p.1481, n°658.205 Article 515-3 du Code civil.206 Par depuis que la loi du 15 novembre 1999 a introduit une définition du concubinage au sein du Code civil en disposant que le concubinage est « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ». Le concubinage se retrouve donc comme le troisième mode d’union possible. Mais il se caractérise par le fait qu’il ne constitue pas une situation juridique et que par conséquent il n’existe pas à son égard de « ritualisation ». La formation du concubinage n’étant pas soumise à un acte solennel nous pourrions nous demander si la prescription peut avoir un rôle à jouer en cette matière. Car il faut bien savoir que même si le concubinage n’est pas une situation juridique, il peut qu’en même être pris en compte par la jurisprudence.207 Article 227 du Code civil.208 Cela est notamment visible à l’égard de la solidarité ménagère résultant de l’article 220 du Code civil. La Cour de cassation a énoncé à cet égard, que « l’obligation solidaire des époux dure jusqu’à ce que le divorce soit opposable aux tiers par accomplissement des formalités de mentions en marge prescrites par les règles de l’état civil » : Cass. civ. 1re, 07 juin 1989, D. 1990, p.21, note MASSIP.
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par le seul effet du temps une personne pourrait changer d’état, ce qui est contraire à la
fiabilité que requiert l’état civil. En effet, comment les autorités publiques pourraient-t-elles
avoir connaissance d’une rupture par le jeu de la prescription extinctive, si aucun formalisme
n’en permet la publicité ? D’autre part, cela protège également les conjoints ou les partenaires
entre eux, la communauté de vie n’étant pas obligatoire entre époux, admettre la prescription
extinctive pourrait conduire à leur faire perdre la qualité d’époux, dès lors qu’ils n’auraient
plus la possession d’état de gens mariés, tout du moins sur le plan de la publicité de celle-ci.
Il en va de même du droit de rupture au sein de ses unions. Admettre la prescription du
droit de divorce conduirait purement et simplement à écarter la possibilité de divorcer s’il
n’intervenait pas dans le délai imparti. Et dans cette hypothèse quel délai devrait être choisi :
cinq ans, dix ans ou trente ans ? Ou devrions-nous l’indexer sur la durée moyenne des
mariages ? La logique même du divorce commande son exclusion du domaine de la
prescription. Admettre le principe contraire reviendrait à enclaver les gens dans un mariage,
s’ils n’agissent pas en divorce dans le temps imparti. Toutefois, nous pouvons nous demander
si en matière de divorce pour faute la prescription extinctive ne pourrait-elle pas être
invoquée ?
En effet, le Code civil admet, à l’article 244, une prescription extinctive « tacite » en
matière de divorce pour faute. Nous employons délibérément le terme tacite, puisque d’une
part, cet article dispose que la « réconciliation des époux empêche d’invoquer les faits
allégués comme cause de divorce » ce qui laisse à penser que l’inaction de l’époux victime
constitue une forme de prescription extinctive, à ceci près qu’ici aucun délai ne serait
explicitement prévu.
Plus largement la question de la prescription en matière de divorce n’a jamais vraiment
fait l’objet d’une étude approfondie209 car avant la réforme de la prescription du 17 juin 2008,
les époux avaient jusqu’à trente ans, voir plus si nous tenons compte de la suspension entre
époux. Et c’est sans compter sur le jeu de la réconciliation de l’article 244 du Code civil.
Selon le Professeur Marc AZAVANT, la question de savoir si le divorce est prescriptible ou
imprescriptible doit être posée à l’aube de la fonction de la prescription au sein de l’ordre
public210. Selon lui, il faut admettre la prescriptibilité des actions en divorce, non pas par
dépit, « mais bien parce que […] la prescription nous semble imposée par les nécessités de
209 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.575, n°934210 Ibid. p. 575, n° 935.
49
l’ordre public tenant au divorce »211. Car selon lui, le divorce est vu comme « la négatif du
mariage, venant sanctionner les devoirs et obligations du mariage »212 et par conséquent,
admettre qu’aucun manquement ne serait prescriptible relèverait d’une conception trop
rigoureuse du mariage. Mais il nous semble que cette vision des choses est bien restrictive,
car en effet, le divorce tel qu’il est envisagé par le Professeur Marc AZAVANT n’englobe pas
l’ensemble de la réalité juridique, mais uniquement une partie : le divorce pour faute. Or il
existe d’autres formes de divorce et elles ne font pas toutes références à des fautes ou des
manquements aux obligations du mariage. D’autre part, la prescription ne porte pas sur le
divorce en lui-même mais sur la faute invocable pour fonder le divorce. Par conséquent, ce
n’est pas le droit de divorcer qui est prescriptible, mais uniquement les fautes invocables à son
appui. La nuance est légère, mais elle est lourde de conséquences, car admettre la prescription
du droit divorce en général aurait pour conséquence de conduire à être enclavé dans les liens
du mariage une fois la prescription extinctive écoulée. Ce qui sera d’autant plus grave si nous
prenons comme référence la prescription quinquennale !
Revenons à présent sur la notion de réconciliation213 de l’article 244 du Code Civil.
Cet article, sans préciser le temps requis, empêche celui qui se prévaut des fautes alléguées,
de s’en servir pour fonder un divorce pour faute. C'est-à-dire qu’une fois la réconciliation
établie, elle fait obstacle à l’utilisation en justice de ces fautes. La Jurisprudence est venue
préciser la notion de réconciliation en indiquant qu’elle suppose « non seulement le maintien
ou la reprise de la vie commune, mais encore la volonté chez l’époux offensé de pardonner en
pleine connaissance de cause les griefs qu’il peut avoir contre son conjoint, ainsi que
l’acceptation par ce dernier de ce pardon »214. Et d’ailleurs, la seule continuation ou la simple
reprise de la vie commune n’implique pas nécessairement la réconciliation215.
Toutefois, nous pouvons nous interroger sur la nature même cet effet extinctif, car si la
réconciliation empêche d’invoquer les faits anciens, l’article 244, alinéa 2 du Code civil
dispose que la survenance de faits nouveaux ou découverts depuis la réconciliation peuvent
alors conduire à réutiliser les faits anciens. En d’autres termes, les faits nouveaux annulent
l’empêchement constitué par la réconciliation à l’égard des faits anciens. Dans ce cas, si nous
admettons la prescription extinctive des fautes fondant le divorce, c’est une prescription d’une
211 Ibid.212 Ibid.213 Elisabeth FORTIS, Divorce, Rép. Civ. Dalloz, 2005, p. 79 et s.214 TGI Seine, 12 mars 1965 : Gaz. Pal. 1965. 1. p. 416.215 Cass. Civ. 2e, 04 avril 1962 : Bull. Civ., 1962, II, n° 370, p. 264.
50
nature particulière puisque celle-ci ne sera pas définitive, mais soumise à l’absence de
survenance de faits nouveaux !
Nous pouvons donc conclure ici que l’imprescriptibilité se justifie par la protection de
conception de ces modes légaux d’union, que sont le mariage et le pacte civil, mais aussi à un
souci de fiabilité de l’état civil. Le recours à une célébration en plus d’avoir pour but de
rendre publique cette union, permet d’éviter sa soumission à la prescription acquisitive. Et le
même raisonnement peut également être retenu pour le divorce ou la séparation des
partenaires qui sont en réalité des formalités de publicité de rupture qui évitent que le mariage
et le Pacs soient soumis à la prescription extinctive : c'est-à-dire la perte de la qualité d’époux
ou de partenaire par le seul effet de l’écoulement du temps. Il existe également d’autres pans
du droit extrapatrimonial qui demeurent imprescriptibles et c’est notamment le cas pour les
actions en rectification d’acte de l’état civil et la reconnaissance d’enfant (section 2).
SECTION 2. - LA RECONNAISSANCE ET LES ACTIONS EN RECTIFICATION D’ACTE DE
D’ETAT CIVIL PAR NATURE IMPRESCRIPTIBLES
La filiation connaît deux types de droit qui ne sont pas soumis à la prescription. C’est le
cas de la reconnaissance (§1) et des actions en rectification d’acte de l’état civil (§2).
§1. L’IMPRESCRIPTIBILITE DE LA RECONNAISSANCE D’ENFANT
La reconnaissance est une manifestation de volonté par laquelle une personne accepte
de tenir pour établie une situation de fait préexistante et qui constitue un mode
d’établissement de la filiation, qui se matérialise par une déclaration faite par acte authentique
et dans laquelle une personne affirme être l’auteur d’un enfant216. Cette reconnaissance est un
acte extrajudiciaire personnel et discrétionnaire217. C'est-à-dire qu’elle serait réservée aux
seuls père et mère et que ces derniers seraient les seuls juges de sa mise en œuvre.
216 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, association Henri CAPITANT, 8e éd., PUF, 2000. De plus, il faut noter que depuis la réforme du 04 juillet 2005 sur la filiation, la reconnaissance n’a pas changé de nature, mais a vu son champ d’application étendu à tous les enfants et plus uniquement au enfant naturelle comme c’était le cas auparavant.217 V. en ce sens Jean HAUSER et Danièle HUET-WEILLER, traité de droit civil : la famille, fondation et vie de la famille, 2e éd. LGDJ, 1993, Vol. 1, n° 731, p. 492.
51
La reconnaissance est souvent citée comme l’exemple de la portée limitée de la
prescription218. L’article 316 du Code Civil ne donne aucune indication sur l’existence d’une
quelconque prescription à l’égard de la reconnaissance. Faut-il en déduire que celle-ci serait
imprescriptible ? Ou est-ce que cette action pourrait-elle être soumise à la prescription ? La
réponse pourrait être très certainement positive. Il serait tout à fait possible que celle-ci soit
soumise à une prescription de cinq, dix ou même vingt ans, sur un plan purement théorique
cela ne poserait pas de problème. L’établissement de la filiation par l’acte de naissance est
soumis à un délai de trois jours219 et même si ce délai est plus un délai préfix qu’un délai de
prescription, il illustre au moins le fait que l’écoulement du temps est admis en tant
qu’obstacle en matière d’établissement de la filiation. Pour la reconnaissance, nous pourrions
tout à fait envisager que les père et mère, qui seraient restés inactifs pendant un temps plus ou
moins long, soient privés du droit de reconnaître un enfant.
Mais il ne nous semble pas judicieux que la prescription s’applique à la
reconnaissance. En effet, la reconnaissance a un caractère subsidiaire puisqu’elle ne peut être
mise en œuvre que si la filiation « n’est pas [déjà] établie dans les conditions prévues à la
section I », c'est-à-dire par désignation de la mère dans l’acte de naissance de l’enfant (article
311-25 C. civ.) ou par le jeu de la présomption de paternité (article 312 C. civ.). Elle se
caractérise également par son absence de contrôle à l’égard de son exactitude, c'est-à-dire
qu’aussi surprenant que cela puisse paraître, la reconnaissance ne peut pas être refusée par
l’officier d’état civil devant lequel elle est faite. Au mieux, ce dernier pourra seulement la
signaler au ministère public qui avisera alors de la contester ou non. Mais cela peut se justifier
par le fait que la reconnaissance impose à son auteur des obligations220 que n’accepterait pas
une personne qui ne serait pas le véritable père ou la véritable mère de l’enfant. Elles sont
d’ailleurs souvent contestées par leur auteur afin, justement, d’échapper aux charges qu’ils
regrettent d’avoir assumées221. La reconnaissance a donc un intérêt pécuniaire pour l’enfant,
surtout quand il est en bas âge. Dès lors, rendre imprescriptible la reconnaissance permet
d’ôter un obstacle à sa mise en œuvre.
218 Voir notamment, Jean HAUSER et Danièle HUET-WEILLER, op. cit. , n°521, p. 285. 219 Article 55 du Code Civil.220 Nomment une obligation d’entretien qui est établi par l’article 371-2 du Code civil.221 Jean HAUSER et Danièle HUET, traité de droit civil : la famille, fondation et vie de la famille, 2e éd. LGDJ, 1993, Vol. 1, n° 732, p. 494.
52
§2. UNE IMPRESCRIPTIBILITE AU SERVICE DE L’ORDRE PUBLIC DE L’ETAT DES
PERSONNES : ROLE D’IDENTIFICATION DE L’ETAT CIVIL ET ACTIONS EN
RECTIFICATION DE L’ETAT CIVIL.
L’acte de l’état civil est « un acte instrumentaire, dressé par l’officier de l’état civil ou
sous sa responsabilité, destiné à prouver l’état d’une personne »222. Il contient donc
l’ensemble des éléments qui permettent d’identifier et d’individualiser une personne dans la
société (date et lieu de naissance, filiation, nom, situation matrimoniale etc.)223. L’état civil a
donc un rôle d’identification qui intéresse en premier lieu l’Etat pour connaître ses
ressortissants224, mais il intéresse également les particuliers, dès lors qu’il constitue une
preuve des événements affectant leur vie (naissance, filiation, mariage, etc.)225. Par
conséquent, leur importance est fondamentale et cela explique clairement pourquoi,
l’impérativité anime ce domaine du droit. Il a pu être lu sous la plume du Doyen René
SAVATIER qu’il existait des actions qui pourraient être qualifiées « d’actions en déclaration
d’un état légalement préexistant »226. Ces actions sont celles que nous retrouvons dans le
Code civil pour la reconstitution judiciaire d’état civil (articles 46 C. civ.), pour les jugements
déclaratifs de naissance (article 55 C. civ.) ou encore de décès (article 88 C. civ.). Elles se
caractérisent, selon lui, par le fait qu’elles ne seraient pas soumises à la prescription et seraient
donc imprescriptibles227. Mais il ne précise pas quels sont les fondements de leur
imprescriptibilité. Nous savons que les hypothèses visées (articles 46, 55 et 88 C. civ.) portent
toutes sur le rôle d’identification qui est attribué à l’état des personnes. Or nous venons de le
dire, l’Etat est intéressé à l’identification de ses ressortissants, par conséquent, il a besoin
d’une image fidèle de la réalité et admettre la prescription des actions qui permettent à chacun
d’être doté d’un état civil, reviendrait à sacrifier purement et simplement la fonction
d’identification de l’état civil228. Dès lors, quel que soit le temps qu’a duré l’absence d’état
civil, l’impérativité de l’identification de l’état civil conduit à justifier l’imprescriptibilité des
actions permettant sa reconstitution. L’action en rectification de l’état civil constitue la clef de
222 Lexique des termes juridiques, 15e éd., Dalloz, V. acte de l’état civil ; Article 34 du Code civil. ; V. également Jean CARBONNIER, Droit civil, t. 1, Introduction. Les personnes. La famille, l'enfant, le couple, 2004, PUF Quadrige, n°256, p. 477. 223 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, association Henri CAPITANT, 8e éd., PUF, 2000, V. Registre de l’état civil et état civil. V. également, Anne BOURRAT-GUEGUEN, altération de l’institution familiale, in droit de la famille sous la dir. de Pierre MURAT, Dalloz action, 5e éd, Dalloz, 2010, p. 1474, n°522.70.224 Jean Philippe LEVY et André CASTALDO, Histoire du droit civil, 2e éd., Dalloz, 2010, p. 33, n°40.225 Ibid.226 René SAVATIER, Parenté et prescription civile, RTD civ 1975, p. 2, n°2.227 Ibid.228 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.577, n° 936.
53
voûte de l’exactitude de l’identification. Admettre la prescription de cette action reviendrait à
condamner l’Etat à se contenter d’un outil de police inexact229.
Nous venons de le voir, le droit de la famille connaît toujours des droits et actions
imprescriptibles. Que ce soient par le droit de reconnaissance, les actions en rectification ou
encore les statuts légaux de mariage et de Pacte civil de solidarité ; l’imprescriptibilité se
justifie toujours par la nature même de ses droits et action. Admettre le principe de
prescriptibilité à leur égard reviendrait à remettre en cause la conception que nous avons de
ces institutions. Toutefois, le droit de la famille n’est pas entièrement animé par le principe de
l’imprescriptibilité, depuis la loi du 03 janvier 1972, la prescription est une composante du
droit extrapatrimonial de la famille et contribue également à servir l’ordre public en
introduisant une stabilité et une sécurité des situations juridiques, afin de garantir la paix
sociale (chapitre 2).
CHAPITRE 2
LA PRESCRIPTION DES DROITS EXTRAPATRIMONIAUX DE LA FAMILLE
Les délais de prescription des actions relatives au droit de la famille (notamment l’état
des personnes : filiation, statut matrimonial, etc.) ont été récemment réformés.
Imprescriptibles jusqu’à l’adoption de la loi du 03 janvier 1972, les actions relatives à la
filiation sont devenues prescriptibles. Dans son rapport, la Commission des lois du Sénat avait
estimé que l’état des personnes venant d’être réformé230, les choix adoptés par le
gouvernement en matière de prescription n’étaient pas à remettre en cause231. Cela explique
en partie l’absence de disposition à l’égard du droit de la famille dans la loi de réforme de la
prescription civile du 17 juin 2008232. L’imprescriptibilité est au service d’un ordre public de
direction, elle a pour but de permettre la remise en cause des situations juridiques ou des
droits de manière constante, sans limite de temps. A l’inverse, la prescription constitue un
facteur, à la fois, d’apaisement et de dédramatisation du contentieux familial233. C'est-à-dire
229 Ibid. p. 577, n°937.230 Au moment de la rédaction du rapport d’information, l’ordonnance n° 2005-759 du 04 juillet 2005 venait juste d’être adoptée.231 Jean-Jacques HYEST, Hugues PORTELLI et Richard YUNG (sénateurs), Rapport d’information de la commission des Lois du Sénat n° 338, Pour un droit de la prescription moderne et cohérent, p.88. Session ordinaire de 2006-2007, déposé le 20 juin 2007, en ligne : www.senat.fr/rap/r06-338/r06-3381.pdf, consulté le : 28 oct. 2010, 232 Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.233 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.581, n° 940. ; V. également V. en ce sens. Isabelle CORPART, les retombées en droit de la famille de la loi n°2008-561 du 17
54
qu’au sein de cette matière, il y a une pluralité d’intérêt en jeu : l’intérêt à agir du titulaire du
droit, l’intérêt du groupement représenté par la famille et les tiers ayant un intérêt à agir, et
enfin, la défense de l’intérêt général (l’ordre public de direction234). En matière de droit
extrapatrimonial de la famille la prescription joue un rôle tantôt d’arbitrage, en avantageant
l’un ou l’autre de ces trois intérêts (section 1) tantôt, elle cherchera à trouver un juste équilibre
(section 2).
SECTION 1. - LES PRESCRIPTIONS, OUTILS D’ARBITRAGE
Les prescriptions constituent des outils juridiques qui permettent au législateur
d’influencer sur la protection d’un ou plusieurs intérêts qu’il entend protéger. C’est ainsi que
l’analyse des délais de prescription en matière de droit extrapatrimonial de la famille, et plus
précisément en matière d’union révèle qu’en matière de mariage, la prescription de la nullité
absolue a été maintenue à trente ans afin d’assurer une protection de l’ordre public de
direction (§1.). A l’inverse, le législateur va mettre délibérément la sécurité et la stabilité des
situations juridiques en avant, en réduisant les délais de prescription (§2.).
§1. LA PRESCRIPTION EN MATIERE DE NULLITE DU MARIAGE, ENTRE DEFENSE DE
L’ORDRE PUBLIC DE DIRECTION ET SECURITE JURIDIQUE
Autrefois imprescriptibles, les actions en nullité absolue du mariage sont, depuis la loi
du 03 janvier 1972235 soumises à la prescription trentenaire236, c'est-à-dire au délai de droit
commun en vigueur à cette époque. Or depuis la réforme de la prescription du 17 juin 2008237,
le délai de droit commun est désormais quinquennal. Nous aurions pu penser que le
législateur aurait saisi cette occasion pour unifier les délais de prescription en cette matière et
aurait, ainsi, soumis les actions en nullité absolue du mariage au délai de droit commun des
actions en nullité de l’article 1304 du Code civil. Ce n’est pas la voie qui a été choisie par le
législateur. Encore aujourd’hui, la prescription de ces actions est soumise au délai dérogatoire
juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, RJPF, n°9 septembre 2008, p. 8 ; Jean-Claude BARDOUT, les conséquences de la réforme de la prescription civile en matière familiale, AJ famille, 2008, p. 292.234 V. sur la notion d’ordre public en droit de la famille : Alain BENABENT, L’ordre public en droit de la famille, in L’ordre public à la fin du XXe siècle, Dalloz, 1996, p.27 et s.; Jean HAUSER, L’ordre public dans le droit de la famille, in les concepts contractuels français à l’heure des Principes du droit européen des contrats, Dalloz, 2003, p. 105 et s.235 Loi n° 72-3 du 03 janvier 1972 sur la filiation.236 Article 191 Code Civil 237 Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.
55
de trente ans. C'est-à-dire que le législateur a pris le parti de soumettre ces actions à une
prescription trentenaire afin de garantir le respect d’un Ordre public matrimonial de direction.
Les articles 144 et suivants du Code civil posent les conditions de formation du mariage. Elles
sont impératives et doivent être respectées à peine de nullité. Parmi ces conditions, il faut
distinguer d’une part, celles qui sont sanctionnées par une nullité absolue et qui traduisent leur
appartenance à l’Ordre public de direction matrimonial, c'est-à-dire qu’elles touchent à
l’essence même du mariage. Et d’autre part, celles qui sont sanctionnées par une nullité
relative et qui tiennent donc plus à une protection de l’époux (intérêt par là même à protéger :
l’intérêt de la famille).
Le maintien d’un délai de prescription allongé à l’égard de certaines de ces conditions
de formation traduit une volonté du législateur de faire prédominer le respect de l’ordre public
de direction sur ce que nous pourrions appeler la « paix des familles ». Deux questions
viennent à se poser : d’une part, qu’elles sont les causes de nullité soumises à cette dérogation
? Et d’autre part, pourquoi le mariage bénéficie-t-il d’une telle dérogation ? (A.). Par ailleurs,
la protection de l’institution matrimoniale peut également être assurée par le recours à la
théorie de l’inexistence, même si son recours ne s’avère que très exceptionnel (B.).
A. Une protection accrue de l’institution matrimoniale par le recours à une
prescription triennale
Aujourd’hui, le mariage n’est plus ce que nous pourrions qualifier de « modèle exclusif
de la vie à deux». Ce changement résulte de la convergence d’évolutions, à savoir : le
rétrécissement de la cellule familiale, le recul du mariage au profit d’autres modes de
conjugalité, l’augmentation du nombre de divorces, le développement des unions libres, etc.
Mais malgré ces évolutions, le mariage reste encore aujourd’hui, au cœur de notre société
avec encore en 2009 : 251 478 mariages238. Il intéresse donc, non seulement les époux, mais
aussi la société et c’est cela, qui peut expliquer la présence forte de l’Etat en cette matière, par
rapport, aux autres modes de conjugalité.
Voyons tout d’abord quelles sont les conditions de formation du mariage qui sont
sanctionnées par la nullité absolue. Le code civil nous donne sept causes de nullité absolue du
mariage. C’est ainsi que nous pouvons trouver : le défaut d’âge légal (art. 144 et 184 C. c.), la
238INSEE, en ligne: http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=bilan-demo&page=donnees-detaillees/bilan-demo/pop_age3b.htm ; consulté le : 25 mai 2011.
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bigamie (art. 147 et 184 C. civ.), l’inceste (art. 161, 162, 163 et 184 C. civ.), le défaut absolu
de consentement (art. 146 C. civ.), l’absence de l’un des époux au mariage (art. 146-1 C. civ.),
la clandestinité et l’incompétence de l’officier d’état civil (art. 191 C. civ.). Pour ces
hypothèses, les articles 184 et 191 du Code civil fixent à trente ans le délai pour agir en nullité
du mariage. Mais se pose alors la question de savoir pourquoi ce sont ces conditions qui sont
soumises à une prescription dérogatoire ? Et pourquoi le délai est-il fixé à trente ans ? Et bien,
lorsque nous étudions ces différentes conditions, nous pouvons constater qu’elles ont pour
point commun d’assurer la protection du mariage pris dans sa « moelle substance ». C'est-à-
dire que sans le respect de ces conditions, le mariage ne saurait être. Ces conditions de
validité participent à la définition même du mariage. En effet, les causes de nullité absolue en
matière de mariage touchent aux éléments substantiels qui permettent la qualification de
l’union.
La dérogation à la prescription quinquennale des nullités absolues, se motive aussi par
une volonté de contrôler la qualité de l’union en raison des effets tout à fait particuliers qui
sont attachés à cette union. Selon nous, trois raisons concourent à justifier cette dérogation du
délai de prescription des actions en nullité absolue du mariage. Tout d’abord, le mariage a
des conséquences sur l’état des personnes que les autres formes d’union, comme le Pacte civil
de solidarité et le concubinage, n’ont pas. C’est ainsi que le mariage attribue la présomption
de paternité au mari. L’article 312 du Code civil consacre la maxime « Pater autem is est
quem nuptiae demonstrant »239. Cette présomption repose sur le devoir de fidélité des époux
ou sur la communauté de vie existante entre eux. Mais c’est principalement parce que, le plus
souvent, le mari est effectivement le père de l’enfant, lorsque ce dernier vient à naître pendant
le mariage.
La seconde raison tient dans le fait que le mariage a également des effets en matière
d’acquisition de la nationalité française. En effet, même si l’article 21-1 du Code civil énonce
clairement que le mariage n’exerce de plein droit aucun effet sur la nationalité. Ce principe est
atténué très fortement par l’article 21-2 qui énonce que « l’étranger ou l’apatride qui
contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après le délai de quatre ans
à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration ».
239 « La mère est toujours connue avec certitude, même si elle a conçu dans la débauche ; quant au père, il est celui que désigne le mariage » Jean-Philippe LEVY et André CASTALDO, Histoire du droit civil, 2e éd. Dalloz, 2010, p. 173, n°132 ; Henry ROLAND, Lexique juridique : expression latines, 5e éd., Litec, Paris,2010, p. 208 et 260.
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Enfin, le mariage a des effets en matière successorale puisque l’article 732 du Code civil
reconnaît au conjoint survivant la qualité d’héritier dès lors qu’il dispose qu’« est conjoint
successible le conjoint survivant non divorcé »240.
Il est donc clair que les effets reconnus par le législateur au mariage, conduisent à
assurer un respect de l’institution et justifient par conséquent la dérogation en matière de
prescription des actions des nullités absolues du mariage.
La troisième et dernière raison qui explique cette dérogation, tient au rôle particulier
de l’officier d’état civil dans la célébration du mariage. En effet, l’Etat par l’intermédiaire de
l’officier d’état civil intervient dans la célébration du mariage. Il n’a pas un simple rôle passif
de constat, bien au contraire, il a un rôle actif et doit s’assurer de garantir le respect des
formalités de célébration, comme l’énonce l’article 63 du Code civil. Et nous pouvons donc
légitimement penser que c’est aussi pour assurer la crédibilité de l’institution, plus
précisément ici de la célébration, que le législateur a entendu maintenir à trente ans la
prescription pour certaines conditions de formation du mariage qu’il juge essentielles.
Il semble donc, au vu de ces éléments, qu’en maintenant à trente ans la prescription
pour causes de nullités absolues en matière de condition de formation du mariage, le
législateur a entendu assurer le respect d’un ordre public de direction réduit aux conditions
substantielles du mariage (noyau dur), mais aussi garantir la qualité des unions célébrées. Il
place ainsi l’intérêt général au dessus de la paix des familles pour ce qui est du respect de ce
noyau dur du mariage.
Pour ce qui est de la durée de la prescription en elle-même (30 ans), il aurait pu être un
peu plus long ou, au contraire, un peu plus court, mais foncièrement cela n’aurait pas changé
grand-chose et comme ce délai de trente ans était déjà bien inscrit dans les mœurs juridiques,
son maintien n’est pas à déplorer. Toutefois, lors de la loi de réforme de la prescription du 17
juin 2008, la Commission des lois du Sénat dans son rapport d’information241 avait interrogé
le Professeur Alain BENABENT. Ce dernier avait fait souligner qu’il serait judicieux de
soumettre les nullités relatives et les nullités absolues à un même délai de prescription. Selon
lui, cette uniformisation présenterait l’intérêt d’éviter tout risque de contentieux sur la nature
de la nullité applicable. Il lui a en effet semblé que la qualification de la nullité par le juge
240 Article introduit par la loi n°2001-1135 du 03 décembre 2001.241 Jean-Jacques HYEST, Hugues PORTELLI et Richard YUNG (sénateurs), Rapport d’information de la commission des Lois du Sénat n° 338, Pour un droit de la prescription moderne et cohérent, p. 90. Session ordinaire de 2006-2007, déposé le 20 juin 2007, en ligne : www.senat.fr/rap/r06-338/r06-3381.pdf, consulté le : 28 oct. 2010,
58
était, en pratique, souvent influencée par le délai de prescription susceptible de s’appliquer
selon la qualification retenue et qu’une divergence de durée était source d’un contentieux très
fourni sur la question242. Il est vrai que sur un plan purement pragmatique, cette différence de
délai génère du contentieux, puisque les avocats, qui ne seront plus dans le délai de
prescription quinquennal, chercheront à soulever les nullités absolues pour bénéficier du délai
dérogatoire de trente ans. Toutefois, admettre que la prescription de la nullité absolue en
matière de mariage soit également quinquennale, pourrait s’avérer relativement dangereux
étant donné que c’est un mode d’union qui est en jeu et non un simple contrat de droit
patrimonial ! Derrière la notion de mariage, il y a des conceptions religieuses et morales qui
ne peuvent pas être confondues avec l’argent.
B. La protection de l’institution matrimoniale par le recours à la théorie de
l’inexistence.
Encore aujourd’hui, il existe des hypothèses où le mariage est entaché de nullité, mais
pour lesquelles il n’existe toujours pas de disposition textuelle pour la sanctionner. C’est
notamment le cas lorsqu’un mariage est célébré entre deux personnes de même sexe243. Pour
ceux qui s’attachent à l’adage « pas de nullité sans texte »244, la doctrine a proposé de recourir
à la théorie de l’inexistence. L’idée est simple, le mariage sera considéré comme inexistant
s’il lui manque un élément constitutif245. L’attrait d’une telle technique à l’égard de la
prescription, tient dans le fait que cette théorie permet tout simplement de ne pas se soucier de
la prescription, puisque celle-ci n’a pas de raison de courir à l’égard d’une situation qui
n’existe pas. La jurisprudence en a récemment fait l’application à l’égard du mariage
homosexuel célébré à la mairie de Bègles le 25 mai 2004. Dans cette affaire, la Cour d’appel
de Bordeaux, le 19 avril 2005, a eu recours à la théorie de l’inexistence pour fonder
242 Ibid.243 Jean Philippe LEVY et André CASTALDO, histoire du droit civil, 2e éd., Dalloz, 2010, p. 94, n°84 : historiquement le mariage a toujours supposé la différence de sexe. « Les relations homosexuelles étaient soit combattues comme des crimes, soit ignorées par le droit. Ce principe n’est plus vrai. Quelques pays européens ont admis entre homosexuels le mariage proprement dit, qui est revendiqué par un actif groupe de pression. D’autres comme la France, n’ont pas osé aller jusque-là, mais la loi du 15 novembre 1999 a créé, pour les encadrer le Pacte civil de solidarité qui reproduit une partie des effets du mariage et tend du reste à s’en rapprocher »244 Henry ROLAND et Laurent BOYER, adages du droit français, 4e éd. Litec, Paris, 1999, p. 631, n° 317 ; JeanCARBONNIER, Droit civil, t. 1, Introduction. Les personnes. La famille, l'enfant, le couple, 2004, PUF Quadrige, n° 629, p. 1402245 Marie LAMARCHE - Jean-Jacques LEMOULAND, Mariage : sanctions de l'inobservation des conditions de formation, Rép. Civ. Dalloz, 2010, n°14 ; V. également, Jean HAUSER, mariage inexistant, RTD civ. 1999, p. 604.
59
l’annulation du mariage246. En effet, elle a considère que « la différence de sexe [était] une
condition de l’existence même du mariage, laquelle n’[était] pas réunie dans l’acte dressé
lors de la célébration du mariage entre Stéphane C. et Bertrand C […]. La célébration
organisée par eux le 05 juin 2004 devant l’officier de l’état civil de Bègles ne peut être
considéré comme un mariage. […] l’acte qui en a été dressé n’a pas d’existence juridique et
son écriture doit être annulée […] »247. A ce sujet, le Professeur Marc AZAVANT avait
justement noté que la notion d’inexistence semblait la plus appropriée pour assurer la
protection de la nature même du mariage et encore à ce jour, c’est bien de l’essence même du
mariage dont il était question248. Le mariage n’est pas un acte juridique tout à fait comme les
autres et cela n’est pas sans incidence sur les sanctions qui lui seront applicables en cas
d’inobservation de ses conditions de formation249. Cette remarque nous conduit à nous
demander pourquoi, le législateur n’a-t-il pas maintenu l’imprescriptibilité pour garantir la
protection de l’institution maritale ? Il est clair que l’imprescriptibilité est un outil
particulièrement efficace pour assurer le respect de l’ordre public de direction. Mais il a le
contrecoup d’être extrêmement lourd et compliqué dans sa mise en œuvre, lorsqu’il conduit à
l’annulation d’un mariage plusieurs décennies après sa célébration. C’est donc un choix de
politique juridique orienté vers la garantie d’une paix sociale, qui a conduit à introduire la
prescription en cette matière.
Nous avons pu constater que le droit civil avait introduit des dérogations au délai de
droit commun de la prescription extinctive, à l’égard des nullités absolues en matière de
mariage. Le but, ici, était clairement d’assurer un respect de l’ordre public de direction et de la
qualité des unions célébrées. Toutefois, en matière d’union, le législateur a pris le parti
d’instaurer une prescription quinquennale afin de favoriser la stabilité et la sécurité des
situations juridiques (§2.)
246 CA Bordeaux, 6e ch. Civ. 19 avril 2005, Juris-Data n°2005-270040 ; D. 2005, p. 1687, note Eric AGOSTINI ; Gaz. Pal. 01er et 02 juillet 2005, p. 2, note E.B ; Droit de la famille, 2005, comm. n° 124, p. 12, note Marc AZAVANT.247 Ibid.248 Marc AZAVANT, la nullité du mariage homosexuel confirmée en appel, Droit de la famille, 2005, comm. n° 124, p. 12.249 Jean-Jacques LEMOULAND, la nature juridique du mariage, in Droit de la famille, Dalloz action, sous la dir. de Pierre MURAT, 5e éd., Dalloz, 2010, p. 28.
60
§2. UNE PRESCRIPTION QUINQUENNALE POUR UNE STABILITE DES
SITUATIONS JURIDIQUES
Avant la loi du 4 avril 2006250 le délai de prescription des actions en nullité relative du
mariage était d'une année251. Mais depuis cette loi, l'article 183 du Code civil dispose que la
prescription de ces actions sera désormais de cinq ans. Par cette réforme, le législateur a opéré
une unification des délais de prescription à l’égard de l’ensemble des nullités relatives, mais a,
par la même, assimilé le consentement émis pour un mariage, à celui qui est émis pour un
contrat lambda. Ce qui s’avère difficilement soutenable, dès lors que le premier aura pour
conséquence d’affecter la vie de l’individu de manière significative, alors que le second ne
portera que sur une opération économique, n’affectant que le patrimoine de celui-ci. Mais le
choix d’un délai quinquennal, en matière de prescription des actions en nullité relative du
mariage, se justifie par une volonté législative d’assurer la stabilité et la paix des familles. Dès
lors, les époux ne pourront pas remettre en cause unilatéralement une union de trop longues
années après sa conclusion.
Par ailleurs, le délai de prescription quinquennal s’applique également à l’ensemble
des actions en nullité touchant les conditions de formation du Pacte civil de solidarité. En
effet, la lecture de l’article 515-2 du Code civil nous indique les cas d’empêchement à la
conclusion d’un Pacs, mais ne fixe aucun délai spécifique de prescription. Par conséquent, le
Pacte civil de solidarité étant envisagé comme un contrat, la prescription des actions en nullité
contractuelle s’applique aux actions en nullité du Pacs et, par conséquent, c’est le délai
quinquennal de l’article 1304 du Code civil qui viendra à s’appliquer. Toutefois, le Conseil
constitutionnel dans une décision en date du 09 novembre 1999 avait précisé « qu’eu égard à
la nature des empêchements édictés par l’article 515-2 du code civil, justifiés notamment par
les mêmes motifs que ceux qui font obstacle au mariage, la nullité prévue par cette disposition
ne peut être qu’absolue » 252. Ce qui sous entend, qu’au regard du Conseil constitutionnel, les
causes de nullité absolue du mariage et du pacs sont basées sur les mêmes fondements. Du
coup, avec la réforme de la prescription du 17 juin 2008, qui a maintenu le délai de
prescription des actions en nullité absolue du mariage à trente ans, nous pourrions nous
demander si l’action en nullité absolue du Pacte civil de solidarité ne devrait pas également
être soumise au délai de trente ans ? La décision du Conseil constitutionnel constitue une
250 Loi n° 2006-399, du 04 avril 2006, relative aux violences au sein du couple.251 Article 183 issue de la loi n°1803-03-17 promulguée le 27 mars 1803.252 Cons. Const. 09 novembre 1999, n°99-419 DC : JO 16 novembre 1999.
61
réserve d’interprétation de l’article 515-2. Il nous indique que cet article doit être interprété
par analogie aux dispositions qui seraient applicables à l’égard du mariage. L’article 184 du
Code civil dispose que l’action en nullité absolue du mariage, pour bigamie ou inceste, est
prescrite par un délai de trente ans. Nous pencherons donc en faveur de la première hypothèse
et préconiserons l’application du délai trentenaire pour la prescription des actions en nullité du
Pacte civil de solidarité.
Il est donc clair, ici, qu’en jouant sur la durée des délais de prescription, le législateur a
entendu favoriser tantôt le respect de l’ordre public de direction, tantôt la sécurité et la
stabilité des situations juridiques. Cependant, nous pouvons constater qu’en matière de
filiation, le législateur a fait preuve de conciliation en recherchant un équilibre parmi les
différents intérêts en jeu (section 2).
SECTION 2. - LA PRESCRIPTION, OUTIL DE CONCILIATION
Avant la loi du 03 janvier 1972, la filiation, en tant que composante de l’état des
personnes, était soumise au principe de l’imprescriptibilité. Il était considéré que nous ne
pouvions ni acquérir ni perdre une filiation par le seul effet de l’écoulement du temps. En
1972, le législateur est intervenu pour soumettre les actions relatives à la filiation, du moins
chaque fois que la loi ne prescrivait pas un délai plus court, à une prescription de trente ans.
L’argument législatif qui était avancé tenait dans le fait que le législateur ne souhaitait pas
« voir reconstruit une filiation qui était restée pendant trente ans vide de toute relation
affective »253. L’ordonnance du 04 juillet 2005 portant réforme de la filiation est venue réduire
le délai de prescription en l’abaissant à dix ans. Par cette réduction des délais de prescription,
le législateur a recherché un équilibre entre : la protection de l’ordre public de direction
familial, l’intérêt de l’enfant et celui des tiers ayant un intérêt à agir.
Ce délai nous semble raisonnable lorsque nous nous intéressons à ce qui est fait dans
d’autres pays comme au Québec, par exemple. En effet, la prescription en matière de filiation,
y est toujours de trente ans. Mais dans son article 530 alinéa 2, le code civil du Québec va
encore plus loin en disposant que « nul ne peut contester l’état de celui qui a une possession
d’état conforme à son acte de naissance ». Le législateur interdit à toute personne d’agir, dès
lors que la possession d’état est conforme au titre établissant la filiation. En France, c’est à
253 Rapport de la commission des lois de l’assemblée nationale n°1926, M. FOYER, p. 47. Cité par Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p. 564, n°916.
62
l’article 321 du Code civil que nous trouvons le droit commun de la prescription en matière de
filiation. Le délai de prescription est fixé à dix ans « à compter du jour où la personne a été
privée de l’état qu’elle réclame, ou a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté ». Mais
ce délai de « droit commun » de la filiation connaît des exceptions propres à cette matière. En
effet, dans ce domaine, le législateur a pris le parti de soumettre la durée de la prescription des
actions en contestation de la filiation en fonction de la « crédibilité » du lien de filiation.
C'est-à-dire que lorsque le titre établissant une filiation sera combiné à une possession d’état
de cinq années, par exemple, alors la contestation de la filiation ne sera plus possible
conformément à l’article 333, alinéa 2 du Code civil.
Cet exemple nous montre que la prescription des actions en contestation de la filiation fait
l’objet d’un traitement dérogatoire par rapport au droit commun de la prescription, tel que
nous le connaissons dans le droit patrimonial ou extrapatrimonial. Ici, la prescription est en
quelque sorte « indexée » sur l’existence d’une possession d’état. Et, lorsque la crédibilité du
titre est renforcée par une possession d’état, le législateur souhaite parvenir à une stabilisation
de la filiation, afin de garantir la paix de la famille. En d’autres termes, le législateur a
souhaité mettre un terme rapidement à la possibilité de remettre en cause une filiation, qui
s’avère fondée tant en fait qu’en droit. En d’autres termes, le législateur a entendu favoriser
le lien de filiation sociologique sur la réalité biologique. Car il faut bien comprendre que la
fonction d’identification sociale exige aussi que les signes identifiant une personne (son nom,
sa filiation) ne soient pas remis en cause, dès lors qu’elle aura servi à identifier la personne au
sein du corps social pendant de longues années254.
Une telle disposition permet de trouver, un équilibre entre : la défense d’un ordre
public de direction qui cherche à protéger le régime de la filiation en poursuivant les cas de
fraude ; et la stabilité des filiations. Toutefois, il faut faire attention à ne pas restreindre encore
plus ce délai au nom de la « paix des familles », car cela reviendrait purement et simplement à
remettre en cause le concept même d’ordre public de direction en droit de la famille.
Ce qui semble commun à l’ensemble de ces délais, c’est leur fondement. Car en dépit
de leur diversité, la même idée fondatrice paraît les inspirer : l’idée d’éviter les incertitudes
prolongées sur l’existence d’un droit ou d’une situation juridique afin d’assurer une stabilité à
la structure familiale. Et si la tendance du droit français contemporain s’oriente vers un
raccourcissement des délais de prescription, elle s’explique par le souci d’éviter la remise en
254 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.598, n°973
63
cause tardive des situations juridiques qui s’inscrivent dans la durée255. Il est donc clair que la
prescription en matière de droit de la famille a un rôle essentiel, celui d’arbitrer entre la
défense de l’intérêt public et la paix des familles. Même si nous avons tendance à mésestimer
un tel outil, il n’en demeure pas moins que la prescription constitue un outil juridique
déterminant en matière de politique familiale. La réduction de ses délais enferme les parties
dans un statu quo qui empêchera toute action contre eux. Mais à l’inverse, mettre une
prescription longue peut conduire à remettre en cause bien des années après des situations.
Cette conséquence dangereuse pour la paix des familles doit être cantonnée à des situations
spécifiques. Et en raison de la spécificité du droit de la famille qui touche directement aux
personnes, nous comprenons bien que le droit commun de la prescription, construit pour le
droit des obligations en 1804, n’avait pas vocation à se transposer tel quel en droit de la
famille. La prescription en droit de la famille se caractérise donc par son absence d’unité au
sein du domaine d’application de la prescription. Les impératifs de l’ordre public de direction
imposent le maintien de l’imprescriptibilité à l’égard de certains droits et situations juridiques.
A l’inverse, l’introduction de la prescription à l’égard de certains pans du droit de la famille a
nécessité une adaptation des délais de prescription. Mais le droit extrapatrimonial de la
famille a également influencé le régime de la prescription ce qui conduit à révéler l’absence
d’unité en son sein (titre 2).
TITRE 2
UNE ABSENCE D’UNITE DANS LE REGIME DE LA PRESCRIPTION
Nous venons de voir qu’en matière de délai de prescription, le droit de la famille se
caractérisait par le fait qu’il ne connaissait pas d’unité dans le champ d’application de la
prescription. Mais là où elle s’applique, son régime s’avère caractérisé de la même manière et
ne répond pas à un principe d’unité (chapitre 1) et les principes de droit transitoire s’avèrent
nécessairement adaptés en raison de la spécificité du droit de la famille (chapitre 2).
255 Ibid. p.565 et 566, n°918
64
CHAPITRE 1
UNE ABSENCE DE DROIT COMMUN DE LA PRESCRIPTION DES DROITS
EXTRAPATRIMONIAUX DE LA FAMILLE
Le droit patrimonial de la famille est régi par un droit commun de la prescription256,
mais nous avons vu que ces dispositions textuelles ne s’étendaient pas d’elles-mêmes aux
droits extrapatrimoniaux de la famille257. C’est le législateur, par l’adoption de dispositions
éparses, qui a soumis au mécanisme de la prescription tant acquisitive, qu’extinctive, les
droits extrapatrimoniaux de la famille. Nous verrons ainsi qu’il n’existe pas de délai de droit
commun des droits extrapatrimoniaux de la famille et d’unité dans le point de départ de ce
délai (section 1), mais aussi que les causes de suspension ne font pas non plus l’objet d’un
traitement unitaire, ce qui ne favorise pas l’adoption d’un régime de droit commun de la
prescription des droits extrapatrimoniaux de la famille (section 2).
SECTION 1. - L’ABSENCE DE DELAI DE DROIT COMMUN DE LA PRESCRIPTION DES
DROITS EXTRAPATRIMONIAUX
Il serait bien difficile, à présent, d’ignorer la place grandissante de la prescription au
sein du droit extrapatrimonial de la famille. En effet, nous venons juste de voir, qu’une grande
partie de ces droits (action en nullité du mariage, action en contestation ou en établissement
de la filiation, etc.) était justement soumise au jeu des prescriptions. Toutefois, l’analyse de
ces dispositions laisse perplexe sur l’existence d’un droit commun de la prescription des droits
extrapatrimoniaux. La loi de 1972 a été la première à introduire la prescription au sein du
droit de la filiation, il en a découlé que l’article 321 du Code civil constituerait aujourd’hui le
pivot d’un principe général de prescriptibilité des actions relatives à la filiation. Il
transmettrait à l’état des personnes un « parfum » de prescriptibilité »258. L’étude de la
jurisprudence relative à l’article 311-7 ancien, recodifié à l’article 321 du Code civil, montre
qu’elle a eu tendance à étendre son domaine d’application. C’est ainsi qu’en 1993, la Cour de
cassation a étendu le bénéfice de la prescription de l’ancien article 311-7 (à l’époque en
vigueur) à l’action en contestation de la possession d’état de l’ancien article 311-1 du Code
civil.
256 Composé par deux articles : les articles 2224 et s. pour la prescription extinctive et les articles 2258 et s. du C. civ pour la prescription acquisitive.257 V. supra section 2 : un cantonnement textuel de la prescription aux droits patrimoniaux, p.32.258 Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.565, n°918.
65
C'est-à-dire que si nous suivions la logique amorcée par la jurisprudence, l’article 321
du Code civil constituerait un droit commun de la prescription en matière d’état des
personnes. Or cette affirmation s’avère inexacte à plusieurs égards. Tout d’abord, nous
pouvons souligner que l’état des personnes ne se restreint pas uniquement à la filiation, mais
aussi aux modes de conjugalité (mariage et pacte civil de solidarité). Or la prescription des
actions en nullité du mariage, nous l’avons vu, se prescrit par des délais de cinq et trente ans
selon les hypothèses. Cela démontre bien que le législateur n’a pas souhaité faire du délai de
l’article 321, un délai de droit commun. Par ailleurs, en matière de prescription acquisitive des
droits extrapatrimoniaux, notamment pour l’acquisition du nom par la possession d’état
prolongé, la Cour de cassation dans un arrêt du 20 novembre 1974259 avait clairement énoncé
que « les juges du fond ne sont pas astreints, à cet égard, aux règles concernant la
prescription acquisitive de la propriété ». Elle soulève ici, un fait intéressant pour notre
argumentation, car en effet, à aucun moment le législateur n’a établi le délai requis pour le jeu
de la prescription acquisitive en matière de droit extrapatrimonial.
Par ailleurs, la Cour de cassation dans un arrêt en date du 10 janvier 1990260 avait
considéré que « la prescription de trente ans instaurée par l’article 311-7 du Code civil pour
les actions relatives à la filiation est soumise au droit commun de sorte que son cours est
suspendu pendant la minorité des intéressés ; qu’ainsi le second moyen n’est pas fondé ».
Cette décision est intéressante pour notre étude, puisque l’ancien article 311-7 ne précisait pas
si la prescription était suspendue en raison de la minorité, comme cela était le cas pour la
prescription en matière patrimoniale conformément à l’article 2252 (ancien)261. C'est-à-dire
que pour ne pas pénaliser les enfants mineurs, la jurisprudence s’est référée au droit commun
de la prescription pour pallier l’absence de disposition relative à la prescription au sein de
l’article 311-7 ancien du Code civil. Ce qui est encore plus intéressant ici, c’est que cette
décision, qui s’était bien inscrite dans les mœurs juridiques262 a été remise en cause par
l’ordonnance de réforme du 04 juillet 2005263 dès lors que cette dernière est venue modifier et
recodifier l’ancien article 311-7, devenu l’article 321 du Code civil, en précisant dans le texte
même, que la prescription en ce domaine, était suspendue pendant la minorité de l’enfant.
Nous constatons donc que le législateur ne fait pas référence au nouvel article 2235 du Code
259 Cass. civ. 1re, 20 novembre 1974 : Bull. civ. I, n°310, p. 266.260 Cass. Civ. 1re ,10 janvier 1990, n° 88-144.04, Bull.1990, I, n° 8, p. 7.261 Devenu l’article 2235 avec la loi de réforme de la prescription du 17 juin 2008.262 V. pour des décisions postérieures allant dans le même sens : Cass. civ 1re, 27 novembre 2001, Bull. civ., I, n°293.263 Ord. n° 2005-759, du 04 juillet 2005, portant réforme de la filiation.
66
civil qui pose le principe de suspension en raison de la minorité ; ce qui aurait constitué une
consécration de la jurisprudence. Le législateur a préféré préciser textuellement la suspension
sans faire référence au droit commun. Cela montre bien qu’en cette matière le législateur n’a
pas souhaité une généralisation de la suspension en raison de la minorité.
D’ailleurs, nous pouvons noter qu’en droit québécois, le Code civil du Québec prévoit
en son article 530, alinéa 2 que « nul ne peut contester l’état de celui qui a une possession
d’état conforme à son acte de naissance », nous pourrions alors penser qu’il existerait,
comme en droit français, une cause de suspension à l’égard de l’enfant mineur, mais il n’en
est rien. Aucune disposition législative n’est prévue à notre connaissance dans le code civil
québécois pour protéger les enfants mineurs des effets de la prescription ! Le législateur
interdit purement et simplement à toute personne d’agir dès lors que la possession d’état est
conforme au titre sans que la suspension en raison de la minorité ne puisse jouer. Le recours à
la possession d’état en matière extrapatrimoniale illustre bien la manière dont la jurisprudence
appréhende la notion de prescription. En matière extrapatrimonial, par exemple pour l’état des
personnes, la possession d’état ne peut pas à elle seule créer une situation juridique
« régulière ». Par exemple, une personne ne peut pas se prétendre mariée avec une autre par le
simple jeu de la possession d’état d’époux264. Le statut d’époux marié requiert le respect d’un
formalisme posé par les articles 165 à 171-8 du Code civil. Il faut bien comprendre qu’ici,
c’est l’impérativité attachée au statut de marié qui justifie ce formalisme renforcé. Toutefois,
le Code civil attribue parfois des effets à une possession d’état prolongée (par exemple :
article 311-1 et suivants.) et la jurisprudence tient compte du temps dans les contestations
relatives aux questions d’état. Elle pose en principe général la règle de l’imprescriptibilité
l’atténue parfois.
A présent, nous pouvons donc affirmer l’absence de régime de droit commun de la
prescription, tant acquisitive, qu’extinctive en matière de droit extrapatrimonial de la famille.
Et cette appréhension au niveau des délais de prescription, s’avère également vérifiée au
niveau de son point de départ, et de ses causes de suspension (section 2).
264 Roger NERSON, les droits extrapatrimoniaux, thèse, Lyon 1939, éd. BOSC frères M. et L. RIOU, p. 433 n°196.
67
SECTION 2. L’ABSENCE DE REGIME DE DROIT COMMUN A L’EGARD DES EVENEMENTS
AFFECTANT LE COURS DE LA PRESCRIPTION
Le régime de la prescription des droits extrapatrimoniaux se caractérise par son
absence d’unité en son point de départ (§1), mais aussi dans ses causes de suspension (§2).
§1. DES POINTS DE DEPART DIVERGENTS
Sur le point de départ de la prescription, en matière de filiation, l’article 321 du Code
civil dispose que les actions relatives à la filiation « […] se prescrivent par dix ans à compter
du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame, ou à commencé à jouir de l’état
qui lui est contesté […]». Cette formule existait déjà dans l’ancien article 311-7 et elle avait
déjà, à l’époque, levé un débat sur son interprétation265. En effet, deux courants doctrinaux
interprétaient différemment cette disposition textuelle. Les tenants du premier courant
soutenaient que la formule visée portait sur l’existence ou l’absence d’un acte juridique266.
Les tenants du second courant considéraient que la formule susvisée, se référait à l’existence
ou non d’une possession d’état267. Il faut toutefois noter que sur un plan purement pratique,
cette dernière proposition doctrinale risque de donner de grandes difficultés quant à la
détermination du point de départ du délai, dès lors que la possession d’état est basée sur une
situation de fait, et non sur un acte juridique dont la date serait clairement déterminée. D’autre
part, indexer ce type d’action sur la possession d’état pourrait allonger considérablement le
délai de prescription, voire même le rendre imprescriptible, si la possession de l’état venait à
ne jamais intervenir268.
Si nous écartons ces deux interprétations du point de départ de l’article 321 du Code
civil, la doctrine s’accorde pour considérer que la détermination du point de départ du délai de
prescription doit s’effectuer en fonction du type d’action269. En effet, si le Code civil avait
calqué le point de départ de la prescription sur le seul jour de la naissance, cela aurait conduit
265 Jean HAUSER et Danièle HUET-WEILLER, traité de droit civil : la famille, fondation et vie de la famille, 2e
éd. LGDJ, 1993, Vol. 1, n° 523, p. 287 ; Marc AZAVANT, l’ordre public et l’état des personnes, thèse, Pau, dacty., 2002, p.592, n°961266 Jacques MASSIP, George MORIN, Jean Luc AUBERT, la réforme de la filiation : commentaire de la loi n 72-3 du 3 janvier 1972, rep. not. Defrénois, 1972, n° 19, p. 108 et 109.267 Monique BANDRAC, la nature juridique de la prescription extinctive, thèse, Economica, 1986, n° 133, p. 133-134. 268 Marc AZAVANT, thèse préc., n° 967, p. 594.269 Voir en ce sens : Jean CARBONNIER, Droit civil : introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, 1e éd., PUF, 2004, p. 205.
68
indubitablement à méconnaître le rôle de la possession d’état en matière de filiation, dès lors
que l’établissement de la filiation par le recours à la possession d’état nécessite forcément un
retardement du point de départ de la prescription afin de tenir compte de la « dimension
temporelle » de la possession d’état270. La notion même de filiation imposait donc cette
dérogation quant à son point de départ, dès lors que les actions qui l’animent, ne fonctionnent
pas de la même manière et surtout ne répondent pas aux mêmes impératifs271.
En matière de mariage, il en va de même. La réforme de la prescription du 17 juin
2008 est venue retoucher le point de départ des actions en nullité du mariage pour les faire
commencer à courir à compter de la célébration du mariage272. C’est ainsi que la prescription
des actions en nullité du mariage n’est pas soumise à la suspension de l’article 2236 du Code
civil. En effet, sans cette disposition, si nous avions considéré que la prescription de droit
commun des droits patrimoniaux s’appliquait à celle des actions en nullité du mariage, la
prescription aurait été suspendue pendant toute la durée du mariage à l’égard des époux. Ce
qui aurait indubitablement conduit à des contentieux très lourds, plusieurs décennies après la
célébration du mariage. Mais il n’en est rien. Le législateur a fait vœu de bon sens en
introduisant cette disposition et en faisant courir le délai de prescription à compter de la
célébration du mariage. Nous pouvons toutefois constater, qu’une fois de plus le législateur
n’a pas fait référence à l’article 2236 pour exclure le jeu de la prescription entre époux. Il a
simplement indiqué que le point de départ était celui de la célébration du mariage. Par
conséquent, nous constatons une fois de plus que le législateur n’a pas souhaité voir
(consciemment ou non) le régime de droit commun des droits patrimoniaux étendu aux
actions en nullité du mariage.
Le droit extrapatrimonial de la famille connaît également des dérogations en matière
de cause de suspension de la prescription (§2)
§2. LES DEROGATIONS AUX CAUSES DE SUSPENSION DU DELAI DE PRESCRIPTION
Etant donné la forte présence de l’ordre public dans le droit extrapatrimonial de la
famille, nous aurions pu penser que la prescription aurait dû en cette matière s’écouler de
270 Marc AZAVANT, thèse préc., n° 970, p. 596.271 En effet, les actions en contestation et les actions en réclamation ne poursuivent pas les mêmes exigences. Les premières la volonté de stabiliser la filiation nécessite de fixer au plus tôt le point de départ de la prescription. Par contre, dans les actions en réclamation, l’absence de lien de filiation établi, conduit à retarder le point de départ, afin de permettre à la situation de se consolider.272 V. en ce sens les articles 181 et 191 du Code civil.
69
manière rigoureuse et impérative. Mais tel n’est pas notre droit. Le Code civil admet de
nombreuses causes affectant le cours de la prescription. C’est d’ailleurs pour cette raison que
certains auteurs ont souligné que le régime de la prescription s’harmonisait mal avec le
caractère d’ordre public de ces droits extrapatrimoniaux273. En effet, à l’époque où cette
disposition avait été adoptée274, le délai de prescription était de trente ans. Par conséquent, si
la suspension en raison de la minorité venait à jouer, cela conduirait à pouvoir exercer l’action
pendant un délai de 48 ans et plus généralement tous les délais seraient prolongés de 18 ans
dès lors qu’elles s’adresseraient à un mineur non émancipé.
Par ailleurs, si nous admettions une soumission de ces actions au droit commun de la
prescription 275 celle-ci pourrait également faire l’objet d’une renonciation, par application des
articles 2250 et suivants, ou encore, faire l’objet d’une convention en application de l’article
2254 du Code civil. En effet, depuis la réforme du 17 juin 2008, les parties ont la possibilité
d’abréger ou d’allonger par convention le délai de prescription (alinéa 1) ; ou encore de
prévoir des causes de suspension supplémentaire (alinéa 2). Cela est tout à fait envisageable
dès lors que le législateur n’a pas pris la mesure de cette disposition en excluant de son champ
d’application l’état des personnes. Ou tout simplement parce qu’il ne pensait peut être pas que
le droit extrapatrimonial de la famille pourrait venir s’engouffrer dans cette brèche. Nous
pourrions rétorquer que l’ordre public et l’indisponibilité de l’état des personnes s’opposerait
à cela, mais la conventionnalisation croissante du droit de la famille affaiblit très fortement cet
argument.
En tout cas, cela montre que le régime de droit commun de la prescription des droits
patrimoniaux, même s’il s’est adapté au droit de la famille, ne permet toujours pas de régler
toutes les questions relatives à la prescription des droits extrapatrimoniaux de la famille. Mais
l’absence d’unité au sein de la prescription en droit de la famille n’est pas suffisante à elle
seule pour représenter l’ensemble de la réalité juridique sur cette question. Il convient de voir,
pour terminer, que les principes de droit transitoire nécessitent également une appréhension
législative à l’égard du droit de la famille (chapitre 2).
273 V. notamment, Jean HAUSER et Danièle HUET-WEILLER, traité de droit civil : la famille, fondation et vie de la famille, 2e éd. LGDJ, 1993, Vol. 1, n° 731, p. 286.274 Loi n° 72-3, du 03 janvier 1972 portant réforme de la filiation.275 Ce que la doctrine a admis en considérant qu’à défaut d’indications contraire de la loi, il était admis que la prescription des actions relatives à la filiation était soumise aux règles de droit commun de la prescription : V. en ce sens : Jean CARBONNIER, Droit civil : introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, 1e éd., PUF, 2004, p. 205 ; Jean HAUSER et Danièle HUET-WEILLER, traité de droit civil : la famille, fondation et vie de la famille, 2e éd. LGDJ, 1993, Vol. 1, n° 522, p. 286.
70
CHAPITRE 2
LA NECESSITE DES DISPOSITIONS DE DROIT TRANSITOIRE EN DROIT DE LA
FAMILLE
Dans notre système juridique contemporain, caractérisé par la prolifération des
dispositions législatives, le droit transitoire apparaît comme un droit pacificateur276. Paul
ROUBIER indique dans son ouvrage sur le droit transitoire que « la matière de la
prescription est l’une des plus importantes du droit transitoire, et les solutions qui ont été
dégagées ont pu être transportées d’une manière générale dans toutes les hypothèses de
conflits de lois dans le temps relatifs à des délais »277. Nous ne pouvions donc pas passer à
côté d’une étude du droit transitoire de la famille278.
Dans cette matière, il existe des situations juridiques qui présentent plusieurs aspects.
D’une part, elles peuvent avoir un effet instantané, et dans ce cas, les questions de droit
transitoire ne se poseront pas, puisque l’ensemble de ses effets s’étant produit le jour même de
sa naissance, ils ne peuvent pas être affectés par les lois nouvelles sans qu’il y ait rétroactivité.
D’autre part, elles peuvent avoir des effets continus ou successifs, ce qui sera notamment le
cas, en matière de mariage, pacs, incapacité ou encore filiation ; Ce sont ces dernières
hypothèses qui nous intéressent dans le cadre de notre étude. Le droit transitoire se définit
communément comme l’ « ensemble des règles gouvernant l’application de la loi dans le
temps qui déterminent le domaine respectif de la loi ancienne et de la loi nouvelle et qui
résultent soit des dispositions spéciales de cette dernière, soit du système de solution des
conflits largement tributaire des recherches doctrinales »279.
L’article 2 du Code civil fixe la règle applicable à la loi dans le temps et affirme le
principe directeur de non-rétroactivité de la loi nouvelle. Or cette disposition ne suffit plus à
assurer, à elle seule, une transition pacifique des lois dans le temps. Il n’existe pas, en cette
matière, de « droit commun du droit transitoire » qui serait prévu par la loi. Il faut donc
s’attacher aux recherches doctrinales et aux dispositions prises par le législateur pour dégager
les principes dominants de cette matière et voir comment l’application des lois dans le temps
276 Thierry GARE, le droit transitoire de la réforme de la filiation, RJPF, 2006, n° 7-8 juillet/août, p. 6.277 Paul ROUBIER, Les conflits de lois dans le temps, Sirey, Paris, 1929, réédité sous le titre : Le droit transitoire, Dalloz-Sirey, Paris, 1960, p. 297, n°64.278 Pour une étude complète du droit transitoire de la famille, V. Nicolas BAREÏT, le droit transitoire de la famille, thèse, Pau, 2008, éd. Defrénois, Coll. de thèses, t. 45, 2010.279 Vocabulaire juridique, sous la dir. de G. CORNU, Travaux de l’association Henri CAPITANT, PUF, Quadrige, 8e éd., 2000, V. Transitoire.
71
s’opère en droit de la famille. C’est donc sur la base des apports doctrinaux que le législateur
prend, lors des réformes, des dispositions tendant à assurer cette transition pour pallier à
l’insuffisance de l’article 2. Le droit transitoire constitue, de ce point de vue, un véritable
« outil de politique législative, puisqu’il permet au législateur de définir plus ou moins
largement la sphère d’application du droit nouveau »280. Nous verrons donc comment est
appréhendé le droit transitoire par le législateur en matière de filiation (section 1), avant de
nous intéresser à ce qui est prévu à l’égard des modes d’union civile (section 2).
SECTION 1. - L’APPREHENSION LEGISLATIVE DU DROIT TRANSITOIRE EN MATIERE
DE FILIATION
La réforme de la filiation effectuée par l’ordonnance du 04 juillet 2005, constitue un
point de départ intéressant pour notre étude, dès lors qu’elle contient de nombreuses et
intéressantes dispositions transitoires en ses articles 20 et 21. Elle constitue donc un excellent
prisme pour l’analyse du droit transitoire en droit de la famille. Appréhender la prescription
en matière de droit transitoire implique de jongler entre trois hypothèses : la non-rétroactivité,
l’application générale de la loi nouvelle et enfin la survie de la loi ancienne281.
L’article 2 du Code civil dispose que « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a
point d’effet rétroactif », c'est-à-dire que la loi ne s’applique pas aux situations juridiques dont
les effets ont été entièrement consommés sous l’empire de la loi antérieure. Mais il existe des
cas où la situation juridique naîtra sous l’empire de la loi ancienne et produira des effets sous
l’empire de la loi nouvelle. Dans ce cas, se pose la question de savoir quelle sera la loi
applicable ? Il existe un principe d’effet immédiat de la loi nouvelle282 qui se fonde sur le fait
que la loi nouvelle est présumée meilleure que l’ancienne283 et il faut donc l’appliquer, même
si cela peut conduire à biaiser les prévisions des intéressés284.
Le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle a fait l’objet de plusieurs théories.
D’une part, il existait la théorie classique qui se basait sur la distinction entre : les droits
acquis, c'est-à-dire les droits qui étaient entrés dans le patrimoine de leur titulaire et dont les
280 G. CORNU, Droit civil, Introduction, Les personnes, Les biens, Montchrestien, 11e éd., 2003, n°379, cité par : Thierry GARE, le droit transitoire de la réforme de la filiation, RJPF, 2006, n° 7-8 juillet/août, p. 6.281 Ibid. p.77, n°120.282 Pour une analyse approfondie des fondements de la règle de l’effet immédiat de la loi dans le temps, V. Paul ROUBIER, le droit transitoire : conflit des lois dans le temps, 2e éd., Dalloz et SIREY, Paris, 1960, p. 340, n°70.283 François TERRE, introduction générale au droit, 8e éd., Dalloz, 2009, p. 435, n°511. 284 Ibid.
72
tiers ne pouvaient pas l’en priver ; et les droits « expectatifs », c'est-à-dire ceux qui pouvaient
par opposition aux droits acquis être anéantis par la volonté d’un tiers285.
D’autre part, il y a la théorie moderne élaborée par le doyen Paul ROUBIER. En
schématisant, la loi nouvelle marque une coupure dans le temps : le passé est régi par la loi
ancienne ; l’avenir est régi par la loi nouvelle. C’est cette dernière théorie doctrinale qui est
encore aujourd’hui utilisée en droit transitoire et pour faire vœu de synthèse, nous allons
reprendre la classification opérée par Paul ROUBIER et illustrer les adaptations faites par le
législateur en matière de droit de la famille au travers de l’exemple de la réforme opérée par
l’ordonnance du 04 juillet 2005 portant réforme de la filiation. C’est ainsi qu’en son article
20-I de l’ordonnance de 2005 fixe un principe général d’application de la loi nouvelle en
disposant que « sous réserve des dispositions de justice passées en force de chose jugée, la
présente ordonnance est applicable aux enfants nés avant comme après son entrée en
vigueur » 286, c'est-à-dire que la loi s’applique tant aux situations futures, qu’aux situations en
cours. Cette application générale est gouvernée par le principe d’égalité entre les enfants, car
admettre la solution inverse reviendrait à créer deux catégories d’enfants qui seraient
soumises à des statuts différents, ce qui s’avèrerait relativement complexe et inégalitaire287.
Mais ce qui est d’autant plus intéressant, c’est que le gouvernement est venu délimiter
la rigueur de la portée de cette application en posant dans un second paragraphe, cinq
exceptions au principe général de l’effet immédiat de la loi dans le temps288. C’est ainsi, par
exemple, que « les enfants nés avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance ne
peuvent pas s’en prévaloir dans les successions déjà liquidées » (art. 20, II, 1°) ; que l’article
311-25, qui dispose que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de
celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant », lorsqu’il s’applique aux enfants nés avant son
entrée en vigueur ne peut avoir pour effet de changer leur nom (art. 20-II, 3°), etc. La lecture
de ces dispositions doit tout d’abord nous conduire à nous féliciter du fait que le législateur ait
pris des dispositions transitoires dans cette ordonnance, afin d’éviter, ou plutôt afin de limiter
les incompatibilités et les conflits de loi dans le temps.
285 Ibid. p. 445 et 446, n° 521.286 Article 20, I, de l’ordonnance n° 2005-759, du 04 juillet 2005.287 V. en ce sens : Thierry GARE, le droit transitoire de la réforme de la filiation, RJPF, 2006, n° 7-8 juillet/août, p. 6.288 La 5e exception ayant été remplacée par une nouvelle, issue de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et l’intégration.
73
L’article 20-II de l’ordonnance de 2005 rappelle que « les enfants nés avant l’entrée
en vigueur de la présente ordonnance ne peuvent s’en prévaloir dans les successions déjà
liquidées ». Cette disposition consacre bien a priori un principe de non-rétroactivité. Principe
qui est consacré pour éviter l’insécurité juridique. Nous avons pu lire sous la plume de Paul
ROUBIER, que des lois peuvent avoir un effet rétroactif, c'est-à-dire qu’elles s’appliquent aux
litiges à venir, quand bien même, ils se fonderaient sur des faits antérieurs. Par contre les
litiges terminés ne pourraient pas être remis en cause sur la base de la loi nouvelle289.
Toutefois, une lecture a contrario de l’article 20-II, révèle que si les enfants nés avant l’entrée
en vigueur de l’ordonnance ne peuvent pas s’en prévaloir dans les successions déjà liquidées ;
ils pourront, cependant, s’en prévaloir dans les successions ouvertes et non liquidées290. Cela
revient à reconnaître à cette disposition un effet rétroactif partiel, puisqu’elle s’applique aux
enfants nés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance. Par contre, une difficulté demeure
encore aujourd’hui quant au concept de « succession déjà liquidée » qui ne fait pas l’objet
d’une analyse unitaire291.
De même, l’article 20-II-3°) dispose que « l’application de l’article 311-25 du Code
civil292 tel qu’il résulte de la présente ordonnance, aux enfants nés avant son entrée en
vigueur ne peut avoir pour effet de changer leur nom ». Cet article porte sur la conséquence
de l’établissement de la filiation sur le nom293. En effet, lorsque nous reprenons la loi du 04
mars 2002 relative au nom de famille294, nous constatons qu’elle a permis aux parents, à
l’égard desquels la filiation est établie au plus tard le jour de la naissance ou par la suite mais
simultanément, de choisir le nom de leur enfant (Article 311-21 du Code civil). En l’absence
289 Paul ROUBIER, le droit transitoire : conflit des lois dans le temps, 2e éd., Dalloz et SIREY, Paris, 1960, p. 263, n°59.290 V. en ce sens, Nicolas BAREÏT, le droit transitoire de la famille, thèse, Pau, 2008, éd. Defrénois, Coll. de thèses, t. 45, 2010, p. 73, n°114.291 Thierry GARE, le droit transitoire de la réforme de la filiation, RJPF, 2006, n° 7-8 juillet/août, p. 8 : En effet, selon Thierry GARE, deux conceptions peuvent être envisagées à l’égard de cette notion. D’une part, nous pouvons considérer que la succession sera liquidée dès lors que les droits des héritiers seront déterminés dans leur montant. D’autre part, la succession est considérée comme liquidée dès lors qu’est intervenu un acte de partage (ce qui suppose une pluralité d’héritier). Par contre s’il n’y a qu’un seul héritier, alors il sera retenu la date : de l’acte de notoriété, la date de l’état liquidatif ou encore la date de la mise en possession effective (cass. 1re civ. 25 févr. 2003, n°01-03.158, Bull. civ. I, n°59.)292 Cet article dispose que « la filiation est établie, à l’égard de la mère par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant ».293 Nicolas BAREÏT souligne habilement dans sa thèse (le droit transitoire de la famille, thèse, Pau, 2008, éd. Defrénois, Coll. de thèses, t. 45, 2010, p. 74-75, n°116.) qu’il existe deux courants doctrinaux qui s’opposent sur le droit transitoire des lois relatives au nom des personnes. En effet, certains estiment que le nom constitue une situation juridique dépendante de la filiation et que par conséquent la loi nouvelle qui s’applique à la filiation affecte également le nom. D’un autre côté, d’autres auteurs considèrent que le nom est autonome à l’égard de la filiation. Sur le choix entre ces deux hypothèses, nous nous joignons à la position prise par Nicolas BAREÏT qui porte sur le second courant. En effet, le principe d’immutabilité du nom est gouverné par les nécessités d’identification de la personne et que par conséquent il ne doit pas être affecté par tous les changements législatifs qui pourraient survenir, sous peine de perdre tout intérêt.294 Loi n°2002-304 du 04 mars 2002 relative au nom de famille et complétée par la loi n°2003-516 du 18 juin 2003 relative à la dévolution du nom de famille.
74
de déclaration conjointe, l’enfant prendra le nom du parent à l’égard duquel sa filiation est
établie en premier (article 334-1 du Code civil). Dès lors, l’article 311-25 donne un avantage
considérable à la mère, lorsque la déclaration n’aura pas été faite conjointement et nous
comprenons donc pourquoi, le législateur a pris la précaution de préciser qu’il n’y avait pas de
rétroactivité à l’égard du nom, c'est-à-dire qu’un nom déjà acquis ne pourra pas être remis en
cause par une loi postérieure295.
En matière de filiation, il peut également être question de situations où l’un des
protagonistes (enfant, parents ou représentant) voit la prescription jouer à son égard. Parmi
ces hypothèses, il peut être intéressant de se poser la question de savoir comment en matière
de filiation, la prescription, par le jeu de la possession d’état, peut-elle affecter l’action en
contestation de l’état régie par l’article 333 du Code civil ? La détention d’un titre et d’une
possession d’état pendant cinq ans fait obstacle à toute action en contestation, sauf pour le
ministère public qui conserve encore la possibilité d’agir en justice296 (art. 333, alinéa 2 C.
civ.). Mais les dispositions transitoires n’indiquent rien sur le fait de savoir si l’enfant ou le
parent pourrait invoquer, une possession d’état de cinq ans pour bloquer toute action en
contestation, à compter du 1er juillet 2006297 ? Si nous nous référons aux principes du droit
transitoire, tels qu’ils nous sont exposés par Paul ROUBIER298, il peut être considéré que la
loi nouvelle, qui abrège un délai requis pour bénéficier de la prescription, ne peut pas
s’appliquer au délai en cours sans risquer d’être rétroactive. C'est-à-dire que si nous tenions
compte du délai qui avait couru sous l’empire de la loi ancienne, nous accorderions des effets
extinctifs ou acquisitifs à des faits qui n’en avaient pas eus jusque là, ce qui serait contraire au
principe de prévisibilité du droit. La meilleure solution, si tant est qu’il en existe une, tiendrait
dans le fait de faire courir le nouveau délai de prescription à compter de l’entrée en vigueur de
la loi nouvelle299. Toutefois, si le délai qui était fixé par la loi ancienne venait à expirer avant
que le nouveau délai ne soit écoulé dans son intégralité, alors, la raison commande de
295 Nicolas BAREÏT, le droit transitoire de la famille, thèse, Pau, 2008, éd. Defrénois, Coll. de thèses, t. 45, 2010, p. 74, n°116.296 L’article 333, alinéa 2 du Code civil ne précise pas le délai de prescription de l’action du Ministère public. Mais si nous considérons que l’article 321 du Code civil s’applique en tant que droit commun de la filiation et qu’il fixe le délai de prescription à 10 ans, nous pouvons en déduire que l’action du Ministère public sera alors limitée à 10 ans.297 Date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2005-769 du 04 juillet 2005, portant réforme de la filiation : article 21 « la présente ordonnance entre en vigueur le 1er juillet 2006 ».298 Paul ROUBIER, le droit transitoire : conflit des lois dans le temps, 2e éd., Dalloz et SIREY, Paris, 1960, p. 293 et s.299 C’est d’ailleurs ce qui a été choisi pour la loi de réforme de la prescription du 17 juin 2008, puisque celle-ci prévoit en son article 26, II, dispose que « les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’applique aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure »
75
maintenir le délai prévu par la loi ancienne. Car admettre le contraire reviendrait à contredire
le but de la loi, à savoir, abréger le délai de prescription.
Il est clair qu’admettre le principe contraire et tenir compte du temps déjà écoulé sous
l’empire de la loi ancienne, pourrait contredire les impératifs de sécurité juridique, mais cela
aurait aussi pour effet contraire de priver la personne de toute possibilité d’agir en justice. En
effet, son droit à agir viendrait à être prescrit avant même d’avoir pu agir et comme en droit
français, le droit à agir est une faculté discrétionnaire, nous ne pouvons pas forcer une
personne à agir avant l’expiration du délai de prescription. Du coup, tenir compte du temps
déjà écoulé pour faire obstacle à l’engagement d’une action contredirait le principe même du
droit à un procès équitable reconnu par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits
de l'homme300.
Enfin, la durée de la prescription peut être allongée. Cela peut surprendre étant donné
la volonté du législateur de réduire les délais de prescription. Pourtant, l’ordonnance du 04
juillet 2005 a conduit à allonger le délai de prescription de l’action en recherche de paternité
en le portant de deux ans à dix ans (art. 328 du Code civil301). L’ordonnance du 04 juillet
2005 a prévu à l’article 20-IV que : « sous réserve des décisions de justice passées en force de
chose jugée, les actions prévues par les articles 327302 et 329303 du Code civil, tels qu’ils
résultent de la présente ordonnance, peuvent être exercées, sans que puisse être opposée la
forclusion tirée de la loi ancienne, lorsque, à la date de l’entrée en vigueur de cette
ordonnance, la prescription prévue par l’article 321, tel qu’il résulte de la même ordonnance,
n’est pas acquise. L’action doit alors être exercée dans le délai restant à courir à la date
d’entrée en vigueur de la présente ordonnance, sans que ce délai puisse être inférieur à un
an ». En d’autres termes, si la prescription décennale est acquise, les actions ne peuvent plus
être exercées ; ce qui constitue qu’une mise en œuvre du principe d’application immédiate de
la loi nouvelle dans le temps.
Par contre, si la prescription n’est toujours pas acquise, alors la loi ancienne ne pourra
pas être opposée aux titulaires de l’action ; le nouveau délai de prescription commençant alors
à courir à compter de la date d’entrée en vigueur. Par contre, le délai déjà écoulé sera pris en
compte. C'est-à-dire que si le délai de prescription avait déjà commencé à courir avant
l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ; dans ce cas, le délai global de prescription ne pourra
pas dépasser dix ans. Mais que se passe-t-il, par exemple, si le délai de prescription déjà
300 Du 04 novembre 1950 et entré en vigueur le 03 septembre 1953.301 Ancien art. 313-2 du Code civil.302 Déclaration extrajudiciaire de paternité hors mariage et action en recherche de paternité.303 Sur la présomption de paternité
76
écoulé était de neuf ans et onze mois ?304 Si le législateur avait appliqué le principe à la lettre,
l’intéressé n’aurait eu qu’un mois pour agir, sans quoi la prescription aurait été définitivement
acquise. Mais le système qui a été fixé par l’ordonnance du 04 juillet 2005 prend, sur ce point,
des distances avec le système traditionnel en établissant que le délai restant à courir ne doit
pas être inférieur à un an305. Ainsi, dans notre exemple, l’intéressé disposera alors de onze
mois supplémentaires pour agir, c'est-à-dire le mois restant de la prescription ancienne, plus
onze mois supplémentaires pour avoir un délai total d’un an minimum pour agir. La loi a donc
prévu ici, un véritable délai « de sauvetage » de l’action en justice.
Enfin, pour terminer sur ce point, l’ordonnance du 04 juillet 2005 a également prévu
une exception essentielle à l’égard des instances introduites avant le 1er juillet 2006. Ces
actions seront poursuivies et jugées conformément à la loi ancienne et ce, même si l‘on se
trouve déjà en appel ou en cassation (article 20-III du Code civil). Cette disposition permet de
maintenir la loi applicable au jour de l’introduction de l’instance et ainsi d’écarter la loi
nouvelle qui interviendrait en cours d’instance : on fige la loi applicable. Cependant, cette
disposition qui paraît de prime abord avantageuse, peut également se retourner contre les
intéressés, dès lors qu’ils ne pourront pas non plus se prévaloir de dispositions avantageuses
qui s’appliquent depuis le 1er juillet 2006306.
SECTION 2. - L’APPREHENSION LEGISLATIVE DU DROIT TRANSITOIRE EN MATIERE
D’UNION CIVILE
Voyons à présent ce qu’il en est pour les situations juridiques de natures contractuelle
et extracontractuelle en cours de constitution. Pour cela nous allons nous intéresser au mode
de vie à deux que constituent le Pacte civil de solidarité et le mariage. Le principe de droit
transitoire qui s’applique tient dans le fait que la régularité de la situation doit être appréciée
conformément à la loi en vigueur au moment de son accomplissement307. C'est-à-dire qu’ici,
le principe de non rétroactivité s’oppose à ce que l’application de la loi nouvelle s’applique
dès lors que les conditions, qui étaient posées par la loi ancienne, ont déjà été réalisées. Il en
résulte que pour le mariage, c’est la loi en vigueur lors de la célébration qui doit permettre de
304 Exemple inspiré de l’article de Frédérique GRANET-LAMBRECHTS et Jean HAUSER, Le nouveau droit de la filiation, Dalloz, 2006, p. 27 et 28.305 Nicolas BAREIT, le droit transitoire de la famille, thèse, Pau, 2008, éd. Defrénois, Coll. de thèses, t. 45, 2010, p. 82, n°127.306 V. en ce sens : Frédérique GRANET-LAMBRECHTS et Jean HAUSER, Le nouveau droit de la filiation, Dalloz, 2006, p. 26.307 Ibid. p. 447, n° 523.
77
déterminer les conditions de fond du mariage et donc la prescription applicable308. Par contre,
pour les conditions de formes, c’est plutôt le principe des lois de procédures qui sera
appliqué309. « C’est ainsi qu’une loi nouvelle à un effet immédiat sur la procédure en cours.
Les conditions de forme du mariage ne seront donc pas globalement celles exigées par la loi
en vigueur au jour de la célébration, mais celles prescrites par la loi en vigueur lors de l’acte
nécessaire pour la formation du mariage »310.
Il en va de même pour la validité du mariage. Elle doit être appréciée d’après la loi en
vigueur lors de sa conclusion311. Il en résulte qu’elle ne saurait donc pas affectée lorsqu’une
loi introduit une nouvelle cause de nullité du mariage et inversement, la nullité pourrait très
bien être prononcée d’après la loi en vigueur lors de la formation du lien alors même qu’une
loi nouvelle l’a faite disparaître. Pour éviter des situations paradoxales, certaines décisions ont
admis que la nullité du mariage ne pouvait pas être prononcée en vertu d’une loi ancienne,
lorsque la loi nouvelle ne la prévoyait plus312.
Par contre pour les situations en cours, la question qui se pose est de savoir, si une loi
nouvelle peut s’appliquer à une situation qui s’est constituée sous l’empire de la loi ancienne
et qui continue à avoir des effets après l’entrée en vigueur de cette loi nouvelle ? Le principe,
ici, est celui de l’effet immédiat de la loi nouvelle. Mais il faut distinguer ici, le fait d’être en
présence d’une situation juridique extracontractuelle ou contractuelle.
Pour les situations extracontractuelles, une application stricte de ce principe aurait
conduit au maintien de la loi ancienne pour les effets de cette situation juridique, la loi
nouvelle s’appliquant alors que pour les effets des situations juridiques nées après l’entrée en
vigueur de la loi nouvelle. Un tel système aurait généré de lourds contentieux et c’est donc
une autre solution qui leur a été appliquée. C’est ainsi que les effets du mariage sont soumis à
la loi nouvelle dès son entrée en vigueur. Il y a dissociation entre les effets anciens régis par la
loi ancienne et les effets nouveaux qui, eux, sont régis par la loi nouvelle. Les obligations
personnelles des époux pourront se trouver, donc, modifiées par une loi nouvelle. Par
308 Civ. 21 mai 1810, S. tables 1810, V° Mariage, n°3 et 409.309 Jean-Jacques LEMOULAND, nature juridique et liberté du mariage, in droit de la famille, 5e éd., Dalloz, 2010, p. 36, n°110.41.310 Ibid.311 Ibid.312 Ibid. ; Mais ces dernières années le législateur n’a pas hésité à prendre des dispositions dérogatoires qui consacrent expressément un effet rétroactif aux dispositions d’une loi nouvelle lorsqu’elles permettaient de rendre valide un acte qui ne l’était pas sous l’empire de la loi ancienne. Ce fut notamment le cas lors de l’adoption de la loi du 03 janvier 1972. Elle validé les reconnaissances d’enfant adultérins qui étaient jusque là illicites (article 12, alinéa 3).
78
exemple, lorsque l’ordonnance du 23 mars 2006313 a ajouté un alinéa 2 à l’article 1422 en
disposant que les époux ne pourront pas non plus, l’un sans l’autre, affecter l’un des biens de
la communauté à la garantie de la dette d’un tiers ; c’était en vue de l’appliquer aux effets du
mariage, à compter du 25 mars 2006.
Par contre pour les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle, le
principe diverge encore. Ici, le principe de l’effet immédiat de la loi dans le temps connaît une
dérogation à l’égard des contrats, puisque les effets de ces derniers continuent à être soumis à
la loi ancienne314. Mais en droit de la famille se pose la question du Pacte civil de solidarité et
ici, la réponse est beaucoup moins évidente qu’à l’égard du mariage. En effet, tout dépend de
la nature juridique qui est retenue à son égard315. Si c’est un mode d’union au même titre que
le mariage, alors la réponse sera identique et le principe d’application immédiate de la loi
dans le temps jouera et la loi nouvelle qui modifiera les obligations personnelles des
partenaires, s’appliquera à ces derniers, dès son entrée en vigueur. Par contre, que se passe-t-il
si le pacte civil de solidarité est considéré comme un contrat316 ? L’article 515-1 du Code
civil, non modifié par la loi de 2006, continue à définir le Pacte civil de solidarité comme un
contrat. Mais c’est un contrat aux effets singuliers puisqu’il organise la vie commune de deux
personnes, tout comme le mariage. Il faut donc en déduire que c’est un acte juridique à la
nature juridique ambiguë. Or en droit transitoire, lorsque nous sommes en présence d’un
contrat, la loi applicable est celle en vigueur au jour de la conclusion du contrat, que ce soit
pour apprécier la validité des conditions de forme ou de fond317. Et il en va de même pour ses
effets, puisqu’ils sont « déterminés par la loi en vigueur au moment où ils ont été formés »318.
Par conséquent, lorsque nous sommes en présence d’un Pacte civil de solidarité,
l’appréciation des devoirs et obligations personnelles des partenaires doit donc se faire par
rapport à la loi en vigueur au jour de la conclusion du Pacte civil de solidarité 319.
313 Ord. n° 2006. 346, du 23 mars 2006, relative aux sûretés, art. 50-II314 V. en ce sens : Cass. com. 15 juin 1962, Bull., III, n° 313, p.258 : « attendu que les effets d'un contrat sont régis, en principe, par la loi en vigueur a l'époque ou il a été passe »315 Malgré l’intervention législative du 23 juin 2006, les opinions demeurent divergentes sur cette question. 316 Hubert BOSSE-PLATIERE, La nature juridique et évolution du PACS, in droit de la famille, 5e éd., Dalloz, 2010, p. 482, n°150.21.317 Paul ROUBIER, le droit transitoire : conflit des lois dans le temps, 2e éd., Dalloz et SIREY, Paris, 1960, p. 190.318 Ibid. p.360 et 361, n°75.319Il faut également noter que c’est la solution qui a été adoptée par l’article 47 –V-2° de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 qui dispose que « les articles 515-5 et 515-5-3 du Code civil ne s’appliqueront de plein droit qu’aux pactes civils de solidarité conclus après l’entrée en vigueur de la présente loi. […] ». Le législateur a donc appliqué ici le principe de droit transitoire relatif au contrat, mais en laissant la possibilité aux partenaires d’y déroger par convention modificatrice (même article).
79
Pour conclure, sur ces développements relatifs au droit transitoire en droit de la
famille, nous reprendrons une formule, des Professeurs Frédérique GRANET-
LAMBRECHTS et Jean HAUSER320 qui ont très justement fait remarquer que dans les
dispositions de droit transitoire de l’ordonnance du 04 juillet 2005, le gouvernement a su
préserver, par ces dispositions transitoires, le droit d’agir sans retarder pendant trop
longtemps l’effet de la loi nouvelle, « ce qui pourrait apparaître comme le but légitime d’un
droit des conflits de lois »321. A présent, il est donc clair que le principe de l’article 2 du Code
civil relatif au principe de non-rétroactivité de la loi dans le temps, n’est pas suffisant à lui
seul pour répondre aux exigences du droit de la famille en matière de droit transitoire. D’une
part, parce que le droit de la famille recouvre à la fois des situations juridiques qui se
constituent dans la durée, mais aussi dans le temps. Et d’autre part, parce que le principe
d’égalité impose un traitement unitaire, notamment en matière de filiation à l’égard des
enfants – qui implique un effet rétroactif de la loi dans le temps –, mais également une
appréhension au point de vue du droit transitoire.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que le législateur, lorsqu’il opère une réforme en
droit de la famille, doit impérativement prendre des dispositions transitoires qui permettront
d’assurer une transition paisible des lois dans le temps et ce pour la paix des familles et la
paix sociale.
CONCLUSION DE LA PARTIE 2
Les droits extrapatrimoniaux de la famille ne font pas l’objet d’un traitement unitaire à
l’égard de la prescription. En effet, à leur égard il existe un principe d’imprescriptibilité qui
s’explique par un souci de protéger les conceptions fondamentales de ces droits
extrapatrimoniaux (mariage, Pacte civil de solidarité, reconnaissance d’enfant, rectification de
l’état civil, etc.). Le législateur n’a pas souhaité les soumettre au jeu de la prescription afin de
ne pas permettre à leur titulaire de les perdre ou de les acquérir par le seul effet du temps.
Mais il ne faut pas croire que l’ensemble du droit extrapatrimonial de la famille soit soumis à
cet impératif de préservation de l’ordre public de direction. En effet, l’ordre social a parfois
intérêt à ce que des situations qui se sont inscrites dans le temps, bénéficient de la sécurité
juridique et de la stabilité qu’offre la prescription, tant acquisitive qu’extinctive.
320 Frédérique GRANET-LAMBRECHTS et Jean HAUSER, Le nouveau droit de la filiation, Dalloz, 2006, p. 26.321 Ibid.
80
Toutefois, il s’avère qu’à l’égard des droits extrapatrimoniaux, les prescriptions ne
soient pas soumises à un droit commun, au même titre que celles des droits patrimoniaux.
Cela s’explique notamment par les finalités différentes qui sont poursuivies par ces droits
extrapatrimoniaux. Il peut aisément être compris que les impératifs de la prescription en
matière de filiation ne seront pas les mêmes qu’en matière de mariage ou de Pacte civil de
solidarité. Dès lors, il n’existe pas encore aujourd’hui à leur égard de droit commun de la
prescription. Enfin, la prescription de ces droits doit également être appréhendée par le
législateur en adoptant des dispositions de droit transitoire, qui seront nécessaires pour
permettre une transition optimum des lois dans le temps.
81
CONCLUSION GENERALE
L’étude des prescriptions en droit de la famille nous a révélé que la prescription de
droit commun a fait l’objet de nombreuses adaptations, afin d’appréhender les rapports
familiaux. C’est ainsi que nous constatons qu’au-delà d’adaptations purement techniques,
c’est la notion même de droit de la famille et la nature singulière de ces rapports qui sont
révélées au grand jour. En effet, des époux ou des partenaires qui contractent entre eux, ne
peuvent pas être appréhendés de la même manière que deux particuliers qui n’ont aucun lien
d’union entre eux. La communauté de vie affecte la nature de leur rapport. Une vision
purement objective, dépourvue de toute conception morale ne saurait appréhender de telles
situations juridiques. En effet, le droit de la famille, même s’il n’est à cet égard envisagé que
sous un angle patrimonial révèle déjà la place dominante de la morale en son sein. Et ce
constat s’avère renforcé par l’analyse de la prescription à l’égard des droits
extrapatrimoniaux. Effectivement, même si la notion de droit extrapatrimonial de la famille
est généralement présentée comme dominée par un principe d’imprescriptibilité, la
prescription extinctive y joue quand même un rôle de pacification salvateur qui vient stabiliser
et sécuriser les situations juridiques qui s’inscrivent dans le temps. Cette vision de la
prescription n’est pourtant pas complète, puisqu’en réalité, les droits extrapatrimoniaux de la
famille n’y sont pas tous soumis. En effet, l’imprescriptibilité de certains droits
extrapatrimoniaux de la famille rappelle que ces droits ont une conception morale, mais aussi
un objet tout à fait singulier : la personne. De plus, les droits extrapatrimoniaux (filiation,
nom, etc.) permettent l’identification des individus et intéressent donc par la même leur
titulaire, mais également tout le corps social et donc plus largement l’Etat. L’imprescriptibilité
des droits extrapatrimoniaux permet donc d’assurer le respect de l’impérativité de
l’identification des personnes.
Il en résulte que les prescriptions en droit de la famille ne font finalement pas l’objet
d’un traitement unitaire. Il faut distinguer le droit spécial de la prescription des droits
patrimoniaux de la famille qui se rattache au droit commun de la prescription (tel qu’il est
entendu dans le livre 3 du Code civil) ; de la prescription des droits extrapatrimoniaux de la
famille qui se caractérise par une absence d’unité dans son domaine d’application et même
dans son régime. Nous pouvons donc révéler que le droit de la famille ne connaît finalement
pas une prescription, mais des prescriptions. Cette difficulté d’appréhender la prescription en
droit de la famille n’est finalement que le reflet de son sujet : la complexité de l’homme.
82
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Note VENANDET (G.), JCP N 1990, II., 267
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Cass. Civ. 1re, 06 mars 1974, n°72-11070, Bull. Civ., I, n°77, p. 66.
Cass. Civ. 1re, 20 novembre 1974, Bull. civ., I, n°310, p. 266.
Cass. Civ. 25 janvier 1972, Bull. civ., III, n°51.
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CA Paris 17 mai 1988
88
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89
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION.................................................................................................................................1
PARTIE 1 - L’INSUFFISANCE DE LA PRESCRIPTION DE DROIT COMMUN DES DROITS
PATRIMONIAUX.................................................................................................................................7
Titre 1 - Une prescription de droit commun adapté au droit patrimonial de la famille........ 7
Chapitre 1 - L’adaptation des délais de prescription de droit commun au droit de la
famille ................................................................................................................................. 7
Section 1 – La prise en compte des rapports conjugaux en matière de cogestion ....... 8
§1 – La spécificité de la cogestion ...................................................................... 8
§2 – Une réduction des délais de prescription, pour une protection accrue des
tiers contractants.............................................................................................. 11
Section 2 – La prise en compte des rapports familiaux en matière successorale ....... 13
§1 – Une prescription décennale en matière d’option successorale .............. 13
§2 – Une dérogation justifiée par une volonté de stabilité et de sécurité
juridique des successions déjà liquidées .......................................................... 16
Section 3 – L’influence de la filiation sur les droits de créances alimentaires............. 17
§1 – La prescription singulière des créances issues de l’obligation d’entretien
.......................................................................................................................... 18
§2 – La prescription de l’action à fins de subsides ........................................... 20
Chapitre 2 - L’adaptation du régime de prescription de droit commun en raison des
rapports familiaux............................................................................................................. 22
Section 1 – Des causes de suspension influencées par le droit de la famille............... 22
§ 1 – L’existence d’une cause de suspension entre époux ou partenaires en
raison d’une impossibilité morale à agir .......................................................... 22
§ 2 – L’atténuation de la suspension de la prescription en raison l’incapacité
d’exercice.......................................................................................................... 25
90
Section 2 – Un délai butoir de droit commun au domaine d’application limité à l’égard
du droit de la famille .................................................................................................... 26
§ 1 – L’introduction maladroite du délai butoir en droit français.................... 27
§ 2 – L’influence des rapports familiaux sur la délimitation du domaine du
délai butoir........................................................................................................ 28
Titre 2 - Un droit commun de la prescription insuffisant à l’égard des droits
extrapatrimoniaux de la famille .......................................................................................30
Chapitre 1 - Un droit spécial de la prescription cantonné aux droits patrimoniaux ........ 30
Section 1 – Un droit de la famille caractérisé par une pluralité de droits subjectifs... 30
Section 2 – Un cantonnement textuel de la prescription aux droits patrimoniaux..... 32
§ 1 – L’exclusion textuelle des droits extrapatrimoniaux du domaine de
l’article 2224 .................................................................................................... 32
§ 2 – Une exclusion textuelle des droits extrapatrimoniaux de la famille du
domaine de la prescription acquisitive de l’article 2258 ................................. 33
Chapitre 2 - Des droits subjectifs divergents par leur nature et leur régime : pour une
appréhension distincte de la prescription en droit de la famille ..................................... 33
Section 1 – L’indisponibilité des droits extrapatrimoniaux, un fondement insuffisant
pour justifier leur imprescriptibilité ............................................................................. 35
Section 2 – Les fondements traditionnels de l’ordre public insatisfaisant pour fonder
l’imprescriptibilité des droits extrapatrimoniaux de la famille.................................... 36
§ 1 – L’indisponibilité des droits extrapatrimoniaux insuffisante à justifier un
principe d’imprescriptibilité ............................................................................. 37
§ 2 – L’impérativité de l’ordre public une justification partielle de
l’imprescriptibilité des droits extrapatrimoniaux ............................................ 38
Conclusion de la partie 1..................................................................................................41
91
PARTIE 2 – UNE ABSENCE D’UNITE EN MATIERE DE PRESCRIPTION DES DROITS
EXTRAPATRIMONIAUX DE LA FAMILLE ................................................................................ 43
Titre 1 – Une absence d’unité dans le champ d’application de la prescription ...................43
Chapitre 1 – Le maintien de l’imprescriptibilité au sein du droit extrapatrimonial de la
famille ............................................................................................................................... 44
Section 1 – L’exclusion de la prescription pour une protection renforcée des
conceptions sociale du mariage et du Pacte civil de solidarité.................................... 44
§ 1 – L’imprescriptibilité du mariage et du pacte civil de solidarité, pris en tant
que situations juridiques .................................................................................. 46
§ 2 – L’absence de prescription extinctive en matière de désunion................ 47
Section 2 – La reconnaissance et les actions en rectification d’acte de l’état civil, par
nature imprescriptibles ................................................................................................ 50
§ 1 – L’imprescriptibilité de la reconnaissance d’enfant.................................. 50
§ 2 – Une imprescriptibilité au service de l’ordre public de l’état des
personnes : rôle d’identification de l’état civil et actions en rectification de
l’état civil........................................................................................................... 52
Chapitre 2 – La prescription des droits extrapatrimoniaux de la famille ......................... 53
Section 1 – Les prescriptions, outils d’arbitrage .......................................................... 54
§ 1 – la prescription en matière de nullité du mariage, entre défense de l’ordre
public de direction et sécurité juridique .......................................................... 54
A. – Une protection accrue de l’institution matrimoniale par le recours
à une prescription triennale ................................................................. 55
B. – La protection de l’institution matrimoniale par le recours à la
théorie de l’inexistence ........................................................................ 58
§ 2 – Une prescription quinquennale pour une stabilité des situations
juridiques .......................................................................................................... 60
Section 2 – La prescription, outil de conciliation ......................................................... 61
92
Titre 2 – Une absence d’unité dans le régime de la prescription .......................................63
Chapitre 1 – Une absence de droit commun de la prescription des droits
extrapatrimoniaux de la famille........................................................................................ 64
Section 1 – L’absence de délai de droit commun de la prescription des droits
extrapatrimoniaux ........................................................................................................ 64
Section 2 – L’absence de régime de droit commun à l’égard des événements affectant
le cours de la prescription ............................................................................................ 67
§ 1 – Des points de départ divergents.............................................................. 67
§ 2 – Les dérogations aux causes de suspension du délai de prescription ...... 68
Chapitre 2 – La nécessité des dispositions transitoire en droit de la famille ................... 70
Section 1 – L’appréhension législative du droit transitoire en matière de filiation..... 71
Section 1 – L’appréhension législative du droit transitoire en matière d’union civile 76
Conclusion de la partie 2..................................................................................................79
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................. 81
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................. 82