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Les rats, la gazette et le laborantin...Sommaire complet en 4e page de couverture Lithothérapie : les pierres qui nous roulent. page 65 Les rats, la gazette et le laborantin une fable

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Science et pseudo-sciences n°303, janvier 2013 1

La santé mentale est évaluable etclassifiable.  page 18

Sommaire complet en 4e page de couverture

Lithothérapie : les pierres qui nousroulent. page 65

Les rats, la gazette et le laborantinune fable du 21e siècle, génétiquement modifiée

On ne considère plus guère les scientifiques comme des savants. C’est légitime,ils ne savent pas grand chose. Un groupe de scientifiques français a rapportérécemment qu’une alimentation par maïs transgénique cause chez le rat destumeurs et une mortalité prématurée, si l’on est suffisamment patient pour attendredeux ans, la durée moyenne de la vie d’un rat. Cette affirmation est basée sur deuxgroupes de dix rats. Cinq rats nourris au maïs OGM sont morts prématurémentalors que seuls deux ou trois sont morts parmi les dix rats contrôles nourris par unmaïs normal. Dans les dix autres groupes nourris par maïs OGM, la mortalité a été

soit d’un rat supérieure, soit égale, soit même infé-rieure au contrôle. Tout se joue donc sur trois rats,qui ont eu la malchance d’être là au mauvaismoment. Cette différence a suffi aux auteurs de

l’étude pour emboucher les trompettes de Jéricho, ameuter la grande presse, etparticulièrement une gazette hebdomadaire bienveillante, et s’en prendre au restedu monde qui ne les avait jusqu’ici pas pris au sérieux. Les scientifiques du restedu monde ont beau objecter que trois rats, ce n’est pas grand chose, et que dansle contexte, les résultats sont probablement le jeu du hasard. Ils ont eu aussi beaurappeler que ces résultats vont à l’encontre d’une évidence expérimentale négativedont les dossiers remplissent un immeuble de quatre étages. Rien n’y fera.L’angoisse s’est installée dans les chaumières et on va s’en occuper en haut lieu.1

Il ne fallait pas être grand devin pour prédire que l’effet recherché serait atteint :attiser les peurs et les angoisses à des fins politiques et idéologiques. La partieétait facile : la peur l’a emporté sur la raison, les affirmations tranchées et défini-tives ont davantage convaincu que l’expertise et le doute scientifique, le sensation-nel a davantage séduit les rédactions que l’information complète et objective.Mais il semble toutefois que bon nombre de citoyens, d’observateurs et de scien-tifiques aient eu le sentiment de s’être fait berner et manipuler... La Fontaine, quis’est également beaucoup intéressé aux rats, notait déjà dans sa fable « Le Rat etl’Huître » : « ceux qui n’ont du monde aucune expérience, sont aux moindres objetsfrappés d’étonnement : tel est pris qui croyait prendre. »

Science et pseudo-sciences1 Ce paragraphe est adapté d’un texte d’Alain de Weck publié sur notre site Internet.

ÉÉditorialditorial

« L’étude choc » sur les OGM. Analysed’une étude qui a défrayé la chronique. page 51

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La santé mentale est-elle évaluable ?La souffrance psychique ne serait pas évaluable, car trop subjective,toute classification des troubles mentaux ne serait que tentative idéolo-gique pour normaliser le bien et le mal à des fins politiques. Un héritagede Descartes est encore bien présent, et imprègne largement les concep-tions relatives à la santé mentale en France : c’est le dualisme, qui sépa-rerait un esprit immatériel, la chose pensante, d’un corps matériel.Pourtant, les avancées scientifiques qui ont déjà révolutionné la psychia-trie dans la plupart des pays du monde commencent enfin à s’imposer enFrance. Avec elles, la claire affirmation que la souffrance psychique peuts’évaluer et qu’il est donc possible de vérifier l’efficacité de différents trai-tements et prises en charge, de les comparer entre eux. De même, lestroubles mentaux font l’objet de descriptions et de classifications, étapesindispensables à une approche scientifique de cette branche de la méde-cine qu’est la psychiatrie. Que sont ces méthodes et catégories ? Quelle valeur leur accorder ?Comment faudrait-il les utiliser ?La souffrance psychique est bel et bien évaluable et mesurable(Franck Ramus) ....................................................................................19Utilité et dangers des catégorisations psychopathologiques(Jacques van Rillaer)............................................................................26Classifications internationales des troubles mentaux : vraieslimites et faux problèmes (Franck Ramus) .......................................32L’autisme d’un DSM à l’autre (Baudouin Forgeot d’Arc) ...................39Vers le DSM-5 : la classification des troubles de la personnalité(Jean Cottraux) .....................................................................................45

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« La souffrance psychique n’est niévaluable, ni mesurable ». En pro-nonçant cette phrase en 2004, devantune assemblée de psychanalystes,Philippe Douste-Blazy ne fit riend’autre que de répéter l’une destartes à la crème préférées des psy-chanalystes (toutes écoles confon-dues), qui leur sert de boucliermagique pour se soustraire à touteévaluation. C’est au nom de cet argu-ment qu’il décida le retrait du site duministère d’une évaluation collectivede l’INSERM portant sur différentesapproches thérapeutiques appli-quées au soin de troubles mentaux.Qu’en est-il en réalité ?

Commençons par remarquer que la souffrance psychique est déjà lar-gement évaluée et mesurée, dans le cadre des essais cliniques por-tant sur des médicaments. Personne, pas même un psychanalyste,

n’accepterait que l’on mette sur le marché un nouvel antidépresseur sansqu’il ait auparavant fait la preuve de son efficacité. C’est-à-dire sans qu’ilait été démontré que la souffrance psychique des individus prenant cemédicament diminue significativement plus que celle d’individus ayantdes troubles similaires prenant un placebo. La souffrance psychique estdonc évaluable et évaluée. Pourquoi la même évaluation de la souffrancepsychique que tout le monde exige et admet pour des médicaments neconviendrait-elle pas pour des psychothérapies ?

Le ressenti d’un individu n’appartient qu’àlui-même, mais peut s’exprimer

Le ressenti subjectif d’un individu n’appartient qu’à lui-même. Personned’autre que lui ne peut prétendre y avoir un accès direct, personne, pasmême un psychanalyste, aussi doué soit-il. Quelles que soient les affilia-tions théoriques, tout le monde admet que le seul moyen d’accéder partiel-lement à la subjectivité d’un autre est indirect et nécessite de se baser surce que l’autre veut bien exprimer de ce qu’il ressent. C’est pour cela quetous les psychiatres, psychologues, et autres psys commencent toujours par

La souffrance psychique est bel etbien évaluable et mesurable

Franck Ramus

Franck Ramus est directeur derecherches au CNRS, Institut d’Étudede la Cognition, École NormaleSupérieure. Il est également membredu comité de parrainage scientifique del’AFIS et de la revue Science etpseudo-sciences.

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écouter la plainte de leur patient, ce qu’il dit de son ressenti subjectif, sonhistoire, point de départ de toute analyse de sa situation. C’est l’occasionde dénoncer le monopole que la psychanalyse prétend avoir sur la subjec-tivité. Cette prétention est totalement usurpée : tous les thérapeutes s’in-téressent à la subjectivité de leur patient, seule une grande ignorance desautres approches thérapeutiques peut conduire certains psychanalystes àprétendre le contraire. Là où les options théoriques commencent à diver-ger, c’est dès lors qu’il s’agit d’aller au-delà de ce premier rapport verbal :comment peut-on obtenir plus d’informations, plus fiables, plus perti-nentes, sur l’état subjectif de l’autre ? Et surtout, de quelle manière luivenir en aide ?

Évaluer, c’est comparer « avant » et « après »La seule chose qui compte pour évaluer l’efficacité d’un traitement, c’estd’évaluer l’état du patient avant et après, et la possibilité de cette évalua-tion ne dépend pas de la nature du traitement. Il s’agit donc d’être capabled’évaluer, objectivement, de manière fiable, si le patient se sent mal, si lepatient se sent bien, s’il se sent mieux après qu’avant traitement. Etcomme expliqué plus haut, pour évaluer ce qu’il ressent, il faut le luidemander. C’est d’ailleurs ce que fait tout clinicien. Mais bien sûr, toute ladifficulté méthodologique réside dans la manière de le lui demander.

Le plus simple, c’est tout simplement de demander au patient « Commentallez-vous ? ». Ce à quoi il va donner une réponse verbale qui peut aller de« je suis au fond du trou et je ne vois aucun moyen d’en sortir » à « je suisau top de ma forme » en passant par « ça va ». Et il n’y a plus qu’à compa-rer la réponse qu’il donne avant et après traitement, pour se faire une idéede son amélioration ou non.

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Le premier problème avec cette évaluation va se poser dès lors que l’onveut comparer l’évolution d’un patient à celle d’un autre patient. Par exem-ple, un premier patient dira « je n’ai plus le goût de vivre » avant traite-ment et « ça va mieux » après. Un deuxième dira « je suis triste tout letemps » avant et « je vois les choses plus positivement » après. Lequel s’estamélioré le plus ? On voit bien que le problème réside en grande partiedans le fait qu’ils utilisent des mots différents, qui ne sont pas directementcommensurables.

Des échelles standardiséesLa réponse classique à ce problème est de standardiser le format desréponses que peuvent donner les sujets. Par exemple, on va lui proposer dechoisir sa réponse sur l’échelle suivante « je ne pourrais pas me sentir plusmal », « je me sens très mal », « je me sens mal », « je ne me sens pas trèsbien », « je me sens moyennement bien », « je me sens assez bien », « je mesens bien », « je me sens très bien », « je ne me pourrais pas me sentirmieux ».

Un autre intérêt de ce genre d’échelle est de réduire l’influence de la per-sonne qui pose la question. Car le clinicien qui interroge le patient peutinfluencer ses réponses de multiples manières, par son choix et sa formu-lation des questions, par son intonation, par des indices non verbaux, etc.,ce qui, en soi, n’est pas condamnable dans le cadre de la thérapie, mais qui,dans le but d’une évaluation, pose le problème de l’objectivité de la mesurede l’état du patient. Ce que l’on veut mesurer, c’est bien l’état du patient,pas l’influence du clinicien. Standardiser les questions et les réponses estune manière de diminuer l’influence du clinicien. Donner le questionnaireà remplir par écrit permet de la diminuer encore plus. Et faire administrerle questionnaire par une personne différente du thérapeute est le moyen leplus sûr d’empêcher les attentes de ce dernier d’influencer le résultat.

En associant un score à chaque réponse (de 1 pour « je ne pourrais pas mesentir plus mal » à 9 pour « je ne me pourrais pas me sentir mieux »), ildevient possible de soustraire les scores pré- des scores post-traitement, defaire des moyennes de scores des patients d’un groupe, et de comparer sta-tistiquement l’évolution de deux groupes. La quantification offre de touteévidence des avantages incomparables à l’évaluation purement qualita-tive. Et pourtant, elle n’a rien de sorcier. Elle n’est même pas réductrice : àpartir du moment où les réponses sont standardisées, leur quantificationne fait perdre aucune information (on peut toujours revenir à la forme ver-bale pour l’interprétation).

Un autre problème potentiel avec la simple question « Comment allez-vous ? » est que c’est une question unique et globale, qui limite intrinsè-quement les informations qu’on peut en obtenir. Par ailleurs, la fiabilitéest limitée : sur une question unique, un sujet pourrait répondre n’im-porte quoi, soit parce qu’il n’a pas bien compris la question, soit parce quepile à ce moment-là, quelque chose lui passe par la tête qui biaise saréponse, etc.

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Treize questions couvrent les principauxsymptômes associés à la dépression, etpour chaque question, quatre réponses pos-sibles couvrant tout le spectre d’intensitépossible des symptômes.Le questionnaire0 Je ne me sens pas triste / 1 Je me senscafardeux ou triste / 2 Je me sens tout letemps cafardeux ou triste et je n’arrive pas àen sortir / 3 Je suis si triste et si malheureuxque je ne peux pas le supporter 0 Je ne suis pas particulièrement découragéni pessimiste au sujet de l’avenir / 1 J’ai unsentiment de découragement au sujet del’avenir / 2 Pour mon avenir, je n’ai aucunmotif d’espérer / 3 Je sens qu’il n’y a aucunespoir pour mon avenir et que la situation nepeut s’améliorer 0 Je n’ai aucun sentiment d’échec de ma vie/ 1 J’ai l’impression que j’ai échoué dans mavie plus que la plupart des gens / 2 Quand jeregarde ma vie passée, tout ce que j’ydécouvre n’est qu’échecs / 3 J’ai un senti-ment d’échec complet dans toute ma viepersonnelle (dans mes relations avec mesparents, mon mari, ma femme, mes enfants) 0 Je ne me sens pas particulièrement insa-tisfait / 1 Je ne sais pas profiter agréable-ment des circonstances / 2 Je ne tire plusaucune satisfaction de quoi que ce soit / 3Je suis mécontent de tout 0 Je ne me sens pas coupable / 1 Je mesens mauvais ou indigne une bonne partiedu temps / 2 Je me sens coupable / 3 Je mejuge très mauvais et j’ai l’impression que jene vaux rien 0 Je ne suis pas déçu par moi-même / 1 Jesuis déçu par moi-même / 2 Je me dégoûtemoi-même / 3 Je me hais 0 Je ne pense pas à me faire du mal / 1 Jepense que la mort me libérerait / 2 J’ai des

plans précis pour me suicider / 3 Si je lepouvais, je me tuerais0 Je n’ai pas perdu l’intérêt pour les autresgens / 1 Maintenant, je m’intéresse moinsaux autres gens qu’autrefois / 2 J’ai perdutout l’intérêt que je portais aux autres genset j’ai peu de sentiments pour eux / 3 J’aiperdu tout intérêt pour les autres et ils m’in-diffèrent totalement 0 Je suis capable de me décider aussi faci-lement que de coutume / 1 J’essaie de nepas avoir à prendre de décision / 2 J’ai degrandes difficultés à prendre des décisions /3 Je ne suis plus capable de prendre lamoindre décision 0 Je n’ai pas le sentiment d’être plus laidqu’avant / 1 J’ai peur de paraître vieux oudisgracieux / 2 J’ai l’impression qu’il y a unchangement permanent dans mon appa-rence physique qui me fait paraître disgra-cieux / 3 J’ai l’impression d’être laid etrepoussant 0 Je travaille aussi facilement qu’auparavant/ 1 Il me faut faire un effort supplémentairepour commencer à faire quelque chose / 2 Ilfaut que je fasse un très grand effort pourfaire quoi que ce soit / 3 Je suis incapablede faire le moindre travail 0 Je ne suis pas plus fatigué que d’habitude/ 1 Je suis fatigué plus facilement que d’ha-bitude / Faire quoi que ce soit me fatigue /Je suis incapable de faire le moindre travail0 Mon appétit est toujours aussi bon / 1 Monappétit n’est pas aussi bon que d’habitude /2 Mon appétit est beaucoup moins bonmaintenant / 3 Je n’ai plus du tout d’appétit Interprétation (le score varie de 0 à 39)0 à 3 : pas de dépression / 4 à 7 : dépres-sion légère / 8 à 15 : dépression d’intensitémoyenne à modérée / 16 et plus : dépres-sion sévère

Échelle de la dépression de Beck

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Ainsi, il est important de poser toute unesérie de questions au sujet, d’une partpour acquérir des informations précisessur tous les aspects jugés pertinents deson ressenti, d’autre part, pour accroîtrepar la redondance partielle des questionsla fiabilité des informations obtenues.

C’est ainsi que l’on en arrive à concevoirdes questionnaires, tels que l’ultra-clas-sique échelle de la dépression de Beck.Aaron Beck a rédigé treize questions quicouvrent les principaux symptômes asso-ciés à la dépression, et pour chaque ques-tion, quatre réponses possibles couvranttout le spectre d’intensité des symptômes.Pour chaque question, il est aisé de sesituer personnellement (même si parfoison hésite entre deux réponses, on se forceà choisir la plus proche de ce qu’on res-sent, cela affecte peu la précision de l’éva-luation). Et même s’il est possible d’avoirun symptôme élevé à une ou deux ques-tions pour des raisons idiosyncrasiques, ilest difficile de déclarer de nombreuxsymptômes sans être véritablement dansun état de dépression sévère, ce qui per-met d’avoir une mesure fiable de l’étatdépressif global du sujet.

On remarque au passage un deuxièmeavantage de la quantification, qui est depouvoir cumuler les réponses à plusieursquestions. On obtient ainsi un chiffre(entre 0 et 39 dans l’échelle de Beck) quia une bien meilleure fiabilité et une bienmeilleure précision que le score entre 1 et9 issu de la réponse à la seule question« Comment allez-vous ? ». Si l’on souhaitese servir de ces scores pour prendre unedécision (concernant une prise en charge,par exemple), on peut utiliser des seuils(par exemple, Beck suggère 16 commeseuil clinique de la dépression sévère).

La même approche s’applique pour tousles troubles et tous les types de souf-france psychique que l’on souhaite éva-luer (anxiété, phobies, obsessions…). Et

Science et pseudo-sciences n°303, janvier 2013 23

Quelques objections parfoisavancées...« L’homme ne peut pas être réduità un chiffre »Cette objection est souvent enten-due. L’utilisation d’évaluations quanti-fiées (comme le score total del’échelle de Beck) n’implique pas decroire que l’état subjectif de la per-sonne peut se résumer à un chiffre.On traite simplement le chiffrecomme une estimation imparfaited’un état particulier de la personne. Ilen est exactement de même lorsquel’on mesure un taux de glycémie, il nerésume pas à lui tout seul l’état desanté de la personne, ni même l’étatde son pancréas. Il fournit une indica-tion imparfaite et indirecte du fonc-tionnement de certaines cellules deson pancréas, à un instant donné,modulé par de nombreux autres fac-teurs (par exemple l’état nutritionnel,l’activité physique). Néanmoins, cechiffre est extrêmement utile pour sefaire une idée des risques pesant surla santé d’un individu, et des mesuresà prendre pour la préserver. Il permetaussi de quantifier l’efficacité de cer-tains traitements du diabète. La seulechose qui importe, c’est que le chiffreen question fournisse une estimationsuffisamment fiable d’un état de lapersonne et qui soit pertinente parrapport à sa plainte et par rapport autraitement qui lui est proposé. Leschiffres qui sortent des évaluationsde la souffrance psychique ne sont,de ce point de vue, pas différents deceux qui sont produits par toutes lesmesures physiologiques que l’onpeut faire sur l’organisme : ils sontcertes réducteurs, mais fiables, infor-matifs et utiles pour certains usages.C’est tout ce qu’on leur demande.

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aussi dans les cas où l’objet du traitementn’est pas la souffrance psychique, maisplutôt des capacités cognitives, des appren-tissages, des comportements, ou des para-mètres sociaux. C’est le cas typiquementpour l’autisme, les troubles du langage etdes apprentissages. Dans tous les cas, il estimportant de choisir les outils d’évaluationappropriés par rapport aux objectifs théra-peutiques du traitement. Sachant quechoisir des indicateurs cognitifs commeobjectif principal d’un traitement n’exclutabsolument pas de s’intéresser aussi à uneéventuelle souffrance psychique desmêmes individus, et de leur offrir un trai-tement approprié pour cela.

Le point plus général qu’illustre l’exemplede l’échelle de dépression de Beck, c’est quetout aspect de la subjectivité humaine peutêtre, dans une certaine mesure, objectivé etquantifié.

La principale limite à l’objectivation est ceque la personne veut bien communiquer deson état subjectif, et les mots qu’elle utilisepour le faire. Car s’il est une source deréduction et de déformation de la subjecti-vité, c’est bien le langage humain, avec sesmots imprécis, limités, discrets, qui taillentinévitablement en pièces un ressenti sub-jectif qui n’a aucune raison de se plier auxcatégories sémantiques de la langue. Maisle langage est le seul moyen d’accéder à lasubjectivité d’un autre, et cette limiteinfranchissable s’impose de manière égaleà tous les thérapeutes de toutes obé-diences. Une fois la subjectivité imparfaitement traduite en mots, l’étapeultérieure consistant à standardiser les mots utilisés et à les convertir enchiffres est extrêmement bénigne, bien moins réductrice que l’étape de ver-balisation.

On voit finalement qu’évaluer la souffrance psychique n’est pas quelquechose de si compliqué que cela, et ne repose pas sur des hypothèses extra-vagantes. C’est en fait très simple, et c’est très proche de ce que font tousles cliniciens tous les jours en posant des questions à leurs patients.Simplement, c’est une manière plus structurée de poser les mêmes ques-tions, qui permet d’avoir des résultats plus fiables, reproductibles, compa-rables, et quantifiables.

Science et pseudo-sciences n°303, janvier 201324

Quelques objections par-fois avancées...

« La psychanalyse fait du sur-mesure pour chaque individu, etne peut donc se prêter à desévaluations de protocoles stan-dardisés. »La psychanalyse n’a pas le mono-pole du sur-mesure, tous les psy-chothérapeutes pratiquent des thé-rapies personnalisées en fonctiondes besoins et des caractéristiquesdu patient. Contrairement auxaccusations récurrentes de certainspsychanalystes, aucune formeconnue de psychothérapie nedéroule aveuglément un protocolestandardisé identique pour tous lespatients.Mais en tout état de cause, le faitqu’un traitement soit totalementuniforme, ou au contraire totale-ment individualisé, n’a strictementaucune incidence sur la méthodolo-gie de l’évaluation, qui ne supposeaucune uniformité du traitement.Que chaque thérapeute fasse deson mieux avec chaque patient,cela n’entre nullement en conflitavec la possibilité d’évaluer l’étatdes patients avant et après, et defaire des statistiques sur desgroupes de patients.

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La validité des échelles d’évaluationComme dans toute approche scientifique, la validité des échelles d’évalua-tion est elle-même une question empirique, qui doit être testée rigoureuse-ment. Par exemple, en administrant l’échelle de Beck à une large popula-tion, on peut observer la distribution des scores, identifier les personnesayant les scores les plus élevés, et déterminer si ces personnes, et seule-ment celles-ci, ont des symptômes dépressifs sévères selon les critèresdiagnostics usuels des psychiatres. Ces tests de sensibilité et de spécificitépermettent d’estimer la validité de toute échelle d’évaluation, et condui-sent soit à l’adopter, soit à la modifier, soit à l’abandonner.

Rien, absolument rien dans les thérapies psychanalytiques n’est incompa-tible avec la possibilité d’évaluer la souffrance psychique des patientsavant et après la cure analytique. Et il incombe à ceux qui disent que « lapsychanalyse, ça marche », d’expliquer quelles sont les méthodes qui leurpermettent d’aboutir à cette évaluation positive, et de s’exposer à un débatscientifique sur les limites de leur méthodologie.

La nouvelle gestion de soi : ce qu’il faut faire pour vivre mieux

Jacques Van RillaerPréface de Christophe André

Éditions Mardaga, 2012, 336 pages, 25 €Notre bonheur et notre contribution à celui des autres dépen-dent, pour une large part, de notre aptitude à gérer efficace-ment nos émotions, nos impulsions et nos actions.Cette apti-tude n’est pas une entité mystérieuse, la volonté, que cer-tains possèderaient et d’autres pas. Elle résulte d’un ensem-ble de comportements que chacun apprend dès l’enfance etqu’il peut continuer à développer à l’âge adulte.Pour apprendre à bien se gérer, il n’est pas nécessaire defaire de longues études de psychologie, mais il est très utile,voire indispensable, de comprendre certains processus psy-

chologiques. L’ouvrage présente les informations qui facilitent la modification d’habi-tudes néfastes, le changement de schémas de pensée, le contrôle d’impulsions dan-gereuses, la confrontation avec des situations stressantes, le développement d’activi-tés épanouissantes.Il fournit un cadre théorique qui permet d’articuler, de façon cohé-rente, les diverses façons d’agir sur soi-même. La perspective est celle de la psycho-logie scientifique. Les recommandations pratiques sont basées sur de nombreusesobservations cliniques et sur l’état actuel de recherches fondamentales.

Présentation de l’éditeurJacques Van Rillaer est docteur en psychologie, Professeur émérite à l’Université de Louvain-la-Neuve et aux Facultés universitaires St-Louis (Bruxelles). Il est l’auteur d’une dizaine d’ou-vrages, parmi lesquels Les illusions de la psychanalyse (Mardaga), Psychologie de la vie quoti-dienne (Odile Jacob) et co-auteur du Livre noir de la psychanalyse (Les Arènes). Il est membredu comité de parrainage scientifique de Science et pseudo-sciences.

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Science et pseudo-sciences n°303, janvier 201326

« Ce qui n’est pas fixé n’est rien.Ce qui est fixé est mort »

Paul Valéry [1]

Le mot « catégorisation »désigne deux opérations : laconstitution d’une catégorie

dans laquelle on range des élé-ments jugés de même nature (parexemple la définition de la dépres-sion par une série de comporte-ments typiques) ; le rangementd’un élément dans une catégorie(par exemple le fait de considérertel individu comme un déprimé).

Les catégories sont utilisées comme des entités exclusives, qui englobenttous les éléments présentant une propriété commune et excluent tous lesautres, ou comme des dimensions bipolaires, par rapport auxquelles toutélément peut être situé. Exemple du premier type : la catégorie des dépri-més (opposés aux non-déprimés). Exemple du second : la dimension dépres-sivité, variant de totalement déprimé à humeur neutre ou à extrêmementeuphorique.

La catégorisation accompagne toute perception. Elle assure de multiplesfonctions indispensables à la survie. Sans ce processus, nous ne pour-rions développer un savoir scientifique, ni même des connaissancesintuitives. La catégorisation permet de dégager des régularités, de trou-ver des relations de concomitance ou de causalité. Mais il y a un reversà la médaille. Les catégories présentent des degrés très variables d’éla-boration, d’adaptation aux faits et d’utilité. Certaines sont particulière-ment inadéquates.

Justifications de catégories psychopathologiquesDes catégories de troubles mentaux ont été proposées dès l’Antiquité. Unpapyrus égyptien décrit des troubles mentaux provoqués par le déplace-ment de l’utérus vers le haut. Les Grecs nommeront ces troubles l’« hysté-rie » (hustera = matrice). Dans le Corpus hippocraticum, on distingue enoutre l’épilepsie, la frénésie, l’agitation mentale sans fièvre, la mélancolie,les peurs excessives, les soucis excessifs [2].

Utilité et dangers des catégorisationspsychopathologiques

Jacques Van Rillaer

Jacques Van Rillaer est professeur émérite depsychologie à l'Université de Louvain et membredu comité de parrainage scientifique de l’AFIS. Ilvient de publier La nouvelle gestion de soi : Cequ'il faut faire pour vivre mieux (Éditions Mardaga).

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De nos jours, les principaux objectifs de l’identification de maladies phy-siques et mentales sont de faire des diagnostics et des pronostics, suivis,tôt ou tard, d’explications et de principes pour des traitements, des rem-boursements de soins, la sélection de personnel, etc.

Certaines classifications sont uniquement utilitaires. Ainsi, au XVIIIe siè-cle, Joseph Daquin – promoteur de méthodes humanitaires pour lesmalades mentaux – a défini six catégories permettant de répartir lesmalades dans des espaces séparés : fous furieux (ou « fous à lier »), foustranquilles (à enfermer sans attacher), extravagants (à surveiller constam-ment), insensés (à comportement imprévisible), imbéciles (à conduirecomme des enfants), fous en démence (ayant besoin de soins physiques) [3].

En 1843, un homme, qui avait tenté d’assassiner le premier ministreanglais, a été déclaré irresponsable et envoyé à l’asile plutôt qu’en prison.Le diagnostic psychiatrique sera ensuite de plus en plus utilisé pour éta-blir le degré de responsabilité et de culpabilité.

Des diagnostics peuvent avoir une fonction de contrôle social et de répres-sion. Cela a été le cas de la « drapétomanie » (du latin drapeta, esclave fugi-tif), la manie « irrationnelle » des esclaves de vouloir s’enfuir. Cette expres-sion a été inventée en 1851 par le médecin américain Samuel Cartwright,dans son rapport d’une enquête portant sur les coutumes des esclavesnoirs. La thérapie était simple : l’amputation des gros orteils, qui rendimpossible la course à pied [4].

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Peinture d’Eastman Johnson dans les années 1860) illustrant la fuite d’esclaves vers la liberté

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Les maladies mentalesJusqu’au siècle des Lumières, les explications rationnelles n’ont guère faitcontrepoids aux explications magiques et religieuses. Au XIXe siècle, desmédecins ont défendu des explications psychologiques et le « traitementmoral », tandis que d’autres s’intéressaient à l’anatomie cérébrale. C’est àcette époque que l’on a mis en évidence que la progression de la syphiliss’accompagne d’une détérioration mentale aboutissant à une psychose detype mégalomaniaque. L’agent infectieux a été identifié en 1905 et Wagnervon Jauregg est parvenu à arrêter l’évolution de la maladie par malaria-thérapie1 en 1917. À partir de 1943, la pénicilline a permis une thérapieefficace. C’est une des premières fois où l’on a pu parler d’une maladiementale avec un ensemble de symptômes résultant d’une cause somatique(à l’image du bacille de Koch pour la tuberculose).

De nos jours, nous identifions toujours davantage de troubles mentauxayant une cause somatique et pouvant être considérés comme des mala-dies ou des handicaps mentaux : épilepsie, démence alcoolique, démenced’Alzheimer, mongolisme, trouble bipolaire, certains types d’autisme, etc.

La méconnaissance de déterminants somatiques mène à des traitementsinadéquats et à de fausses explications d’échecs ou de réussites. Une illus-tration célèbre est l’Homme aux loups de Freud. Ce patient avait séjournéchez Emil Kraepelin, qui avait diagnostiqué une « psychose maniaco-dépressive ». Il avait ensuite consulté Freud, ravi de soigner un patient nonguéri par un adversaire. Freud a diagnostiqué une « névrose infantile » eta traité le patient pendant 4 ans et 5 mois (à raison d’un minimum de 6séances par semaine au prix de 40 couronnes, soit ± 1350 €, la séance). Letraitement psychologique a semblé un succès… mais le patient devaitrechuter périodiquement. Freud a chaque fois renvoyé le patient à des col-lègues, qui ont cru à leur tour à une guérison après quelques mois ouannées d’analyse. En réalité, le patient présentait typiquement le troublebipolaire – un trouble biologiquement déterminé – et passait continuelle-ment par trois phases : dépression, normalité thymique et euphorie. À lafin de sa vie, il disait à une journaliste qui l’avait retrouvé dans un asile :« Kraepelin est le seul qui a compris quelque chose »2.

Le grand capharnaüm des étiquetagesLes troubles psychologiques sans causes biologiques démontrées ne consti-tuent pas des entités naturelles. Des psychiatres constatent que certainscomportements se trouvent corrélés, mais les regroupements de ces compor-tements en syndromes demeurent discutables à l’infini. Exemple : en 1869,le neurologue américain George Beard regroupe des symptômes (fatigue,dépression, angoisse, troubles fonctionnels, etc.) sous le terme « neurasthé-

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1 La fièvre provoquée par l’inoculation de la malaria parvient à améliorer l’état des malades,la malaria elle-même étant contrôlée par la quinine – découverte qui valut le Prix Nobel à sonauteur.2 Pour l’exposé du cas, voir J. Bénesteau (2002) Mensonges freudiens. Mardaga, p. 279-285 ouM. Borch-Jacobsen (2011) Les patients de Freud, Éd. Sciences Humaines, p. 133-147.

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nie » [5]. En 1895, Freud propose de regrouper les symptômes en deux enti-tés : la « neurasthénie véritable » et la « névrose d’angoisse ». Il avance quecette distinction se justifie par deux étiologies bien distinctes. Il affirmeavoir constaté, dans tous les cas de neurasthénie, des pratiques masturba-toires et, dans tous les cas de névrose d’angoisse, des excitations frustrées,tout spécialement le coït interrompu [6]. Les recherches des psychiatres etdes psychologues d’orientation scientifique n’ont pas confirmé ces explica-tions. Il y a de nombreuses autres causes à la dépression et au syndrome defatigue chronique (les syndromes qui correspondent plus ou moins à la neu-rasthénie), ainsi qu’aux troubles anxieux que Freud regroupe sous l’éti-quette névrose d’angoisse (anticipations anxieuses, paniques, phobies,obsessions, paresthésies, etc.). Freud a tort de dire que la distinction qu’ilpropose se justifie essentiellement par l’existence de deux types de pra-tiques sexuelles qu’il qualifie de pathogènes. De façon générale, il convientd’en rester à des catégories descriptives tant que les causes ne sont pas clai-rement démontrées, ce qui est encore souvent le cas aujourd’hui.

Jusqu’au début du XXe siècle, les médecins utilisaient un petit nombre decatégories. Freud par exemple s’en tenait à une dizaine : neurasthénie,paranoïa, perversions (homosexualité, pédophilie, sadisme, etc.), névroseshystérique, phobique, obsessionnelle, narcissique, traumatique, de carac-tère. Kraepelin, dans le plus célèbre des manuels de psychiatrie de cetteépoque, distinguait les psychoses exogènes (troubles du métabolisme etd’infections, démence précoce, tumeurs cérébrales) et les psychoses endo-gènes (folie maniaco-dépressive, paranoïa, psychose d’involution, etc.). Lesutilisateurs de ces termes devenant de plus en plus nombreux, les signifi-cations sont devenues de plus en plus floues. Par exemple, le mot « hysté-rie » a fini par tout qualifier, depuis les possessions démoniaques jusqu’aurefus par une adolescente de se laisser embrasser sur la bouche par l’amide son père3.

Un outil imparfait mais nécessaireAux États-Unis, lors de la mobilisation de 1941, ce flou dans les diagnos-tics est apparu comme un problème : les psychiatres n’arrivaient à rangerdans leurs catégories que 10% des personnes malades qu’ils examinaient[7]. Dans le même temps, les recherches et les études épidémiologiquesbutaient sur l’absence de catégories claires, les scientifiques éprouvaientdes difficultés à discuter entre eux, faute d’une description partagée desconcepts et entités manipulées par les uns et les autres. C’est pourquoil’American Psychiatric Association (APA) a décidé d’établir et de publier en1952 un manuel présentant 106 catégories clairement définies : leDiagnostic and Statistical Manual of mental disorders ou DSM-I.

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3 C’est ainsi que Freud interprète la réaction de sa patiente Dora. Alors qu’elle avait 14 ans,un ami du père a essayé de l’embrasser en la serrant contre lui. Elle avait ressenti du dégoût.Diagnostic : « Le comportement de cette enfant de 14 ans est déjà complètement et totalementhystérique. Je tiendrai sans hésiter pour une hystérique toute personne chez qui une occasiond’excitation sexuelle provoque principalement ou exclusivement des sentiments de déplai-sir ». Fragment d’une analyse d’hystérie (1905). Tr., Œuvres complètes, PUF, VI, p. 208.

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Dans les années quisuivirent, plusieursrecherches ont portésur le degré deconcordance des diag-nostics psycholo-giques émis par diffé-rents thérapeutes surles mêmes patients.Par exemple, AaronBeck et ses collèguesont demandé à qua-tre psychiatres d’unhôpital universitairede diagnostiquer 153patients. L’accord aété de 70% pour ladistinction entre psy-chose et névrose,

mais beaucoup plus faible pour les autres catégories (par exemple, 38%d’accord pour « trouble de la personnalité ») [8].

La deuxième édition du DSM (1968) s’est voulue plus précise et en accordavec la 8e révision de la Classification Internationale des Maladies (CIM).Elle n’en restait pas moins fort décevante. Par exemple, Robert Kendell etses collègues ont demandé à des psychiatres anglais et américains de diag-nostiquer des patients (trois américains et cinq anglais) après avoir vu lesentretiens en vidéo. Un des patients a été étiqueté schizophrène par 69%des Américains et 2% des Anglais. Pour un autre, les chiffres étaient 85%versus 7%. Le diagnostic a été déterminé bien plus par la nationalité despsychiatres que par l’état des patients [9].

L’APA s’est remise au travail en vue d’éditer un manuel dit « a-théorique »,utilisable par tout psychiatre ou psychologue, quelle que soit son orienta-tion théorique. En effet, les deux premières éditions étaient empreintes dela théorie freudienne. Dans les suivantes, des termes ambigus comme« névrose » ou « hystérie » allaient disparaître au profit de concepts consen-suels soigneusement définis. Ce changement a suscité une vive oppositiondes freudiens orthodoxes. On les comprend : Freud écrivait, au sommet desa carrière, « notre technique a grandi avec le traitement de l’hystérie et ellene cesse d’être toujours réglée sur cette affection. » [10]

Le DSM-III (1980) était une édition qui en attendait d’autres. On lisaitdans la préface que ce n’était qu’une « version temporairement “arrêtée”dans un processus qui se poursuit ». Aujourd’hui, l’APA travaille au DSM-5, en tenant compte de milliers d’études réalisées depuis la première édi-tion sur les catégories utilisées. Il est certain qu’il sera un outil imparfait,mais amélioré et incontournable pour tous ceux qui veulent travaillerscientifiquement en psychopathologie.

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Pinel délivrant les aliénés à la Salpêtrière en 1795 (extrait d’un tableau de Tony Robert-Fleury)

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Des dangers descatégorisations

La catégorisation d’une personne peutprendre la forme d’une simplification cari-caturale. Elle peut alors induire ou renfor-cer des troubles comportementaux. Unepersonne diagnostiquée « personnalitéantisociale » par son entourage ou par unexpert ne peut pas facilement échapper àcet étiquetage, qu’il soit psychiatrique oupopulaire (« salaud », « monstre », etc.).Divers comportements, qualifiés de nor-maux lorsqu’ils surviennent chez d’autres,ne retiennent guère l’attention de l’entou-rage ou sont interprétés de façon à cadreravec le diagnostic. D’autre part, un compor-tement quelque peu déviant est d’embléeattribué à l’« être » (« profond » et perma-nent) de la personne, tandis que les condi-tions environnementales ne sont pas oupeu prises en compte. Le label apposé surun individu influence la manière dont lesautres le perçoivent et agissent à sonégard, il détermine la manière dont lui-même se perçoit et réagit.

En usant de catégories psychopatholo-giques, il faudrait toujours garder à l’espritles principes suivants : (a) ces catégories nesont que des façons d’organiser des infor-mations, elles sont relatives et amenda-bles ; (b) elles n’expliquent pas, par elles-mêmes, les comportements (on n’expliquepas l’angoisse de quelqu’un en disant qu’ilsouffre d’un « trouble anxieux »), elles nesont que des raccourcis sémantiques ; (c)leur utilisation est néfaste si elle conduit ànégliger la singularité de la personne et lescontextes qui la conditionnent.

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Références[1] Œuvres II. Gallimard, Pléiade, 1966,p. 697.[2] Gourevitch, D. (1983) La psychiatriede l’Antiquité gréco-romaine. In J.Postel & C. Quétel (eds) Histoire de lapsychiatrie. Privat, p. 13-32. 3] Ellenberger, H. (1963) Les illusionsde la classification psychiatrique.L’Évolution psychiatrique, 28 : 221-242.Rééd. in Médecines de l’âme. Fayard,p. 159-181. [4] White, K (2002) An Introduction tothe Sociology of Health and Illness.Sage, p. 42. [5] Sexual Neurasthenia (NervousExhaustion). New York : Treat, 1884.Tr., La neurasthénie sexuelle.L’Harmattan, 1999.[6] Du bien-fondé à séparer de la neu-rasthénie un complexe de symptômesdéterminé, en tant que “névrose d’an-goisse” (1895). Tr., Œuvres complètes,PUF, III, p. 29-58. [7] DSM-I (1952), p. VI.[8] Beck, A. et al. (1967) Reliability ofpsychiatric diagnoses. 2 : A study ofconsistency of clinical judgments andratings. Amarican Journal ofPsychiatry, 119 : 351-357. [9] Kendell, R. et al. (1971) Diagnosticcriteria of American and British psy-chiatrists. Archives of GeneralPsychiatry, 1971, 25 : 123-130. [10] Wege der psychoanalytischenTherapie (1919). Tr., Les voies de lathérapie psychanalytique. Œuvrescomplètes, PUF, XV, p. 106.

Pinel fait enlever les fers aux alié-nés de Bicêtre. Tableau peint parCharles-Louis Muller (1815-1892).

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Parmi les nombreux stra-tagèmes qu’utilisent lespsychanalystes pour ten-

ter d’échapper aux évaluationsde leurs pratiques, un argu-ment qui revient souvent est lacontestation des catégoriesdiagnostiques définies dans lesclassifications internationales.Selon eux, comme ils ne recon-naissent pas la validité de cescatégories, ils ne peuvent passe couler dans le moule de larecherche internationale surles troubles mentaux, ni en termes de recherche fondamentale, ni entermes de recherche clinique, et par conséquent on ne peut les évaluerselon les mêmes critères, CQFD. Cet article examine certains desreproches les plus couramment faits aux classifications des maladies, et enparticulier au DSM-IV.

Le DSM définit-il arbitrairementce qui est pathologique ?

En sciences, la normalité n’a aucune connotation prescriptive ou morale,c’est un concept purement statistique : c’est ce qui est observé chez la majo-rité des individus de la population. Par conséquent l’anormalité est ce quiest observé chez une minorité d’individus. Si l’on illustre ce point sur la dis-tribution des scores de quotient intellectuel (QI) au sein de la population(dont la moyenne est 100 et l’écart-type est 15 par construction), il est« normal » d’avoir un QI dans le milieu de la distribution (autour de 100),et il est « anormal » d’avoir un QI très faible ou très élevé.

La pathologie est un concept distinct, elle est définie (notamment dans leDSM-IV) comme étant ce qui dévie significativement de la norme et quiengendre de la souffrance chez le patient ou son entourage. C’est pour celaque, bien qu’il soit « anormal » d’avoir un QI très élevé, cela n’est pas consi-déré comme une pathologie (à la différence d’un QI très faible).

Il n’existe pas toujours dans la nature une frontière claire entre la bonnesanté et la maladie. Par conséquent, les seuils que l’on fixe entre le normalet le pathologique ont inévitablement une part d’arbitraire. Bien souventon fixe par convention le seuil à 2 écarts-types au-delà de la moyenne de lapopulation. Cela correspond au score de 70 pour le quotient intellectuel,

Classifications internationales des troubles mentauxVraies limites et faux problèmes

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en-deçà duquel on définit la « déficience intellectuelle ». Bien évidemment,les personnes qui ont un QI de 69 ne sont pas qualitativement différentesde celles qui ont un QI de 71. Tout le monde s’accorde à dire que les per-sonnes avec un QI de 85 fonctionnent normalement et que celles avec unQI de 50 ont de graves problèmes. Mais le seuil à 70 n’a rien de magique.Simplement, en pratique, il parvient relativement bien à identifier les per-sonnes qui ont des difficultés importantes et qui nécessitent une prise encharge particulière, avec néanmoins tous les problèmes inhérents auxeffets de seuil. Il en est exactement de même pour de nombreuses maladiessomatiques, par exemple le diabète, avec le problème de fixer le taux deglycémie à partir duquel une prise en charge médicale se justifie.

Ce qui est évident concernant les scores de QI, qui sont par nature unidi-mensionnels et quantitatifs, est également vrai pour de nombreuses mala-dies. Par exemple, l’autisme est défini sur trois dimensions (cf. article deBaudouin Forgeot d’Arc) et la sévérité du trouble varie continûment etindépendamment sur chacune des trois dimensions, de telle sorte qu’il n’ya pas de seuil naturel séparant les véritables troubles autistiques de sim-ples traits de personnalité un peu « bizarres ». De même, il existe tout uncontinuum de la dépression la plus sévère et chronique à de simples varia-tions passagères de l’humeur. Les mêmes considérations s’appliquent à laplupart des maladies somatiques (c’est-à-dire non psychologiques), pen-sons par exemple à l’hypertension artérielle, les cancers, ou la myopie.

Certains voudraient limiter la définition des maladies à celles pour les-quelles une cause ou un mécanisme pathologique est clairement identi-

fié [1]. Mais cela revient àconfondre classifications noso-graphique (des troubles) etétiologique (des causes).

Classifier les maladies est unpréalable, qui définit les enti-tés sur lesquelles on peut fairede la recherche dans le but d’endéterminer les causes. La com-préhension des causes peutconduire à remanier la classifi-cation nosographique et à larapprocher d’une classificationétiologique (c’est le but ultime),mais on ne peut faire de la clas-sification étiologique un préa-lable ni un impératif. Ne recon-naître que les maladies dontles causes sont connues condui-rait à ne pas identifier et nepas prendre en charge la plu-part des patients !

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En somme, il n’y a pas de définition naturelle de la maladie. D’un point devue purement scientifique, à la limite, on pourrait totalement se passer deseuils. Les seuils existent essentiellement pour des considérations pra-tiques, ils sont nécessaires pour prendre des décisions : déclencher (ou pas)une prise en charge, choisir un traitement A ou un traitement B, déciderde rembourser (ou pas) un acte, etc.

Les catégories diagnostiques du DSM sont-ellesarbitraires et manquent-elles de validité ?

Tout le monde est d’accord pour dire que les catégories diagnostiques défi-nies dans les classifications sont imparfaites (et certaines plus que d’au-tres). C’est pour cela qu’elles ne sont pas figées et qu’on les révise réguliè-rement en fonction de l’état des connaissances. C’est tout l’enjeu desconcertations actuellement en cours en vue du DSM-V et de la CIM-11.Pour une discussion éclairée des enjeux de ces révisions dans le domainede la psychiatrie, on lira avec intérêt l’article de Michael Rutter (2011), leplus éminent pédopsychiatre britannique [2], et celui de Baudouin Forgeotd’Arc dans ce numéro.

Parmi les reproches couramment adressés à ces catégories diagnostiqueson trouve le fait que chaque catégorie recouvre une population hétérogène(c’est flagrant pour l’autisme, notamment en raison des variations induitespar le niveau intellectuel), et le fait qu’elles ont des frontières incertaines,avec un recouvrement parfois important (le cas le plus connu étant lacomorbidité – ou association – notoire entre dépression et troublesanxieux). Ces faits sont bien connus et peuvent, ou pas, signaler la faiblevalidité de certaines catégories diagnostiques. Le même problème existedans de nombreuses maladies somatiques, par exemple les jaunisses.

Là encore, il faut comprendre que ces catégories n’existent pas dans lanature. Elles sont imposées par l’homme, qui trouve utile de désigner parun même nom des profils de dysfonctionnements ayant d’importants traitsen commun, et ce notamment parce que les personnes présentant des trou-bles similaires ont souvent des besoins similaires et vont pouvoir bénéfi-cier d’approches thérapeutiques similaires. L’hétérogénéité de chaque caté-gorie et le recouvrement entre catégories n’est pas en soi un argumentdéterminant contre la validité des catégories. Ce qui importe, c’est dedéterminer, en fonction des données épidémiologiques, physiologiques etcliniques, s’il est plus avantageux d’un point de vue médical d’élargir unecatégorie, de regrouper des catégories ou, au contraire, de les subdiviser,plutôt que de conserver les catégories actuelles. Il est également envisagé,pour le DSM-5, de compléter les diagnostics par des données dimension-nelles (des profils quantitatifs), ce qui pourra être très utile, tout ensachant que ces dernières ne pourront pas totalement remplacer les caté-gories pour certains usages, en particulier pour la prise de décision.

Une autre caractéristique des troubles mentaux définis dans les classifica-tions internationales est que, contrairement à la plupart des maladies

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somatiques, leurs définitions ne font généralement pas référence à descauses. Ce choix délibéré découle simplement du fait que, pour la plupartdes troubles mentaux, les causes ne sont connues que de manière très par-tielle, et même lorsqu’elles sont connues en moyenne, il est excessivementdifficile de les établir pour un patient donné. Et pourtant, les patients ontbesoin d’aide (c’est pour cela qu’ils consultent), ils ne peuvent pas attendrequelques décennies que la recherche ait avancé ! Les troubles mentauxsont donc définis sur la base des symptômes plutôt que sur la base desmécanismes pathologiques, ce qui les distingue partiellement des maladiessomatiques.

Certains considèrent qu’on ne peut pas définir des maladies sur la base desymptômes, en l’absence de causes connues [1]. On n’est pas obligé de par-tager cette vision étroite de la notion de maladie. Chaque maladie s’ex-prime à de multiples niveaux de description (moléculaires, cellulaires, phy-siologiques et, pour les troubles mentaux : cognitifs, comportementaux etphénoménologiques). Il n’existe pas un unique niveau privilégié auqueltoutes les maladies seraient définissables de manière pertinente. Ce quiimporte, c’est de définir chaque maladie au niveau qui permet d’apporterla réponse la plus cohérente. Il y a toutes les raisons de penser que lesniveaux cognitifs, comportementaux et phénoménologiques sont lesniveaux de description les plus pertinents pour la plupart des troublesmentaux.

On peut imaginer que les traitements des troubles mentaux seraient plusefficaces s’ils étaient guidés par une connaissance précise des mécanismespathologiques sous-jacents. En théorie, c’est certain, c’est tout l’enjeu de lafuture médecine personnalisée. En pratique, c’est impossible dans la plu-part des cas avec les connaissances disponibles actuellement. Les traite-

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ments, qu’ils soient psychothéra-piques ou médicamenteux, sontdonc prescrits largement dansl’ignorance des mécanismes sous-jacents. Il n’en reste pas moins quecertains sont efficaces, en moyenne,sur une proportion importante depatients, alors même qu’il est cer-tain qu’il existe une grande variétéde mécanismes au sein même despatients à qui le traitement réussit.Ce qui est en soi une confirmationpartielle de la pertinence des caté-gories telles qu’elles sont définies.

Par exemple, la schizophrénie est un trouble d’origine complexe, impli-quant une multitude de facteurs de susceptibilité sur de multiples gènes,ainsi que des facteurs environnementaux (comme le cannabis). Chaquepatient possède donc une combinaison unique de facteurs génétiques etenvironnementaux. Faut-il définir une catégorie diagnostique pour cha-cun ? Ce serait absurde, alors même que les antipsychotiques apportentdes bienfaits importants à la plupart d’entre eux. De même, l’autisme a descauses tout aussi complexes et hétérogènes que la schizophrénie. Et pour-tant, les approches psychothérapiques et comportementales passées enrevue par la Haute Autorité de Santé1 en mars 2012 semblent réussir àenviron 50 % de ces enfants, toutes causes confondues. Peu importe queleur sillon temporal supérieur (ou d’autres régions de leur cerveau) soitperturbé par des facteurs génétiques influençant la synaptogénèse ou lamigration neuronale, ou par un virus ou par une hypoxie à la naissance, cequi compte du point de vue des cliniciens, c’est que les enfants qui ont desdéficits cognitifs similaires répondent positivement à un certain type derééducation et d’éducation qui leur permet de développer certaines compé-tences cognitives, et ce malgré leurs perturbations cérébrales.

Ainsi, de la même manière qu’il serait absurde de vouloir définir différem-ment les maladies coronariennes selon qu’elles soient dues à du cholesté-rol, au tabagisme, à des facteurs génétiques ou à une combinaison com-plexe des trois, il est absurde de vouloir absolument limiter la définitiondes troubles mentaux à des mécanismes pathologiques bien identifiés.

Mais bien entendu, il est important de continuer les recherches pour déter-miner ces mécanismes, et dans les cas où la découverte de types de méca-nismes différents permettrait d’envisager des traitements différents ausein d’une même catégorie diagnostique, il conviendra de réfléchir s’il estplus opportun de subdiviser la catégorie, ou simplement de compléter lediagnostic par un test permettant de déterminer le mécanisme patholo-gique et le traitement le plus adapté.1 Voir le dossier de Science et pseudo-science n°300, avril 2012 : « Autisme, le jour se lève pourles approches scientifiques ».

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Les catégories diagnostiques du DSM biaisent-elles les recherches et déterminent-elles ce

qu’elles peuvent trouver ?Il est vrai que les recherches scientifiques doivent se baser sur des hypo-thèses précises, le plus souvent du type « les patients avec tel trouble onttelle particularité (démographique, environnementale, cognitive, cérébrale,ou génétique), comparés à des sujets témoins ». Ce qui suppose de s’ap-puyer sur des catégories diagnostiques définies au préalable ; il n’est doncpas étonnant que la plupart des recherches portent sur les catégories défi-nies dans les classifications internationales.

Mais il ne faudrait pas croire pour autant que cela a pour effet de rendreces catégories plus « réelles » et de les figer, bien au contraire. Il ne suffitpas de formuler une hypothèse pour qu’elle soit confortée par les données !Les cimetières de la science sont remplis d’hypothèses qui n’ont pas sur-vécu à la confrontation aux données. Lorsqu’une catégorie diagnostiques’avère trop hétérogène ou incohérente, on échoue à lui trouver des basescognitives, cérébrales et génétiques stables, qui résistent à l’analyse statis-tique. Ce qui conduit les chercheurs à proposer de l’abandonner, la redéfi-nir ou la subdiviser en catégories plus fiables et surtout plus en accordavec les données recueillies. Ce qui importe, c’est de faire de la rechercherigoureuse, basée sur des données objectives, reproductibles, et de faireévoluer les théories et les classifications pour les faire coller de mieux enmieux aux données. C’est le principal moteur de changement des versionssuccessives des classifications internationales. Autrement dit, les classifi-cations des maladies définissent le « réverbère » au pied duquel la plupartdes scientifiques cherchent. Mais elles ne garantissent pas d’y trouverquelque chose, et lorsque les résultats sont négatifs, les chercheurs s’éloi-gnent tôt ou tard du réverbère et finissent par en définir de nouveaux.

De fait, il existe déjà de nombreuses données (cognitives, cérébrales, géné-tiques) à l’appui d’une bonne partie des catégories du DSM-IV et de laCIM-10. En même temps, elles questionnent souvent les catégories à leursfrontières, et c’est tant mieux. Pour donner un exemple, les données céré-brales et génétiques sur l’autisme montrent à la fois que la catégorie diag-nostique « autisme » (à la Kanner) est bien ancrée dans une réalité biolo-gique, sinon on n’aurait pas les données convergentes que l’on a déjà, maisque cette réalité biologique est encore plus compatible avec une catégorieplus large, que l’on appelle aujourd’hui « troubles du spectre autistique ».Le DSM-5 doit en tenir compte.

Donc non, le DSM ne crée pas des choses qui n’existent pas. La plupart descatégories existantes sont déjà bien assises empiriquement. D’autres sontaméliorables, certaines sont inadéquates, et elles devront donc être révi-sées en fonction des données. Les classifications orientent parfois lesrecherches dans des voies sans issue, mais cela ne peut durer qu’un temps ;tôt ou tard, les données finissent par le révéler et suggérer les modifica-tions nécessaires. Par ailleurs, si un chercheur est en désaccord avec cer-

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taines catégories actuelles, rien ne lui interdit d’en définir de meilleures,de tester leur validité et de montrer éventuellement qu’elles produisentdes résultats plus cohérents.

Des classifications qui s’améliorent régulièrement Pour conclure, c’est bien parce que les classifications internationales s’ap-puient sur les connaissances scientifiques et sont révisées régulièrementen fonction de leur évolution, que chaque version successive est meilleureque la précédente et qu’on a toute raison d’être optimiste pour les sui-vantes. Les classifications des maladies suivent le même processus auto-correcteur que la science en général. Par ailleurs, les reproches qui sontfaits à la classification des troubles mentaux par le DSM-IV sont lesmêmes que ceux qui peuvent être faits à toutes les classifications de toutesles maladies, et sont inhérents à la nécessité pratique de définir des seuils

pour la pathologie et des frontières entrecatégories. Il serait déraisonnabled’avoir envers les classifications destroubles mentaux des exigences diffé-rentes de celles que l’on a pour les autresmaladies. Il faut connaître les limites deces classifications, comprendre pourquoielles existent, les utiliser à bon escient ettravailler à les améliorer.

Remerciements à Philippe Domenechpour ses commentaires sur une précé-dente version.

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Bibliographie[1] Foncin, J. F. (2008). Réflexions à partir del’importance de la notion de cause dans la clas-sification des « maladies ». In D. Prat, A.Raynal-Roques & A. Roguenant (Eds.), Peut-onclasser le vivant ? Linné et la systématiqueaujourd’hui (pp. 99-105). Paris : Belin.[2] Rutter, M. (2011). Research Review : Childpsychiatric diagnosis and classification :concepts, findings, challenges and potential.Journal of Child Psychology and Psychiatry,52(6), 647-660. doi : DOI 10.1111/j.1469-7610.2011.02367.x

Peut-il y avoir une exception française en médecine ?Imaginez que dans une spécialité médicale, n’importe laquelle, disons, par exemple, la diabétologie,les spécialistes français s’honorent d’avoir une classification des maladies franco-française. Une clas-sification basée sur des idées sur les causes du diabète différentes de celles communément accep-tées dans la recherche médicale internationale, et conduisant à définir les multiples formes de diabètedifféremment des critères préconisés dans la Classification Internationale des Maladies éditée parl’Organisation Mondiale de la Santé. Qu’en penseriez-vous? Aimeriez-vous être soigné(e) par ces dia-bétologues français? [...] C’est pourtant exactement ce qui se passe au sein de la psychiatrie fran-çaise. La 5e édition de la Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent(CFTMEA) vient d’être publiée, à destination des psychiatres français souhaitant pratiquer une psy-chiatrie française, avec des critères diagnostiques fondés sur une théorie psychanalytique des trou-bles mentaux tombée en désuétude dans le monde entier, sauf en France et dans quelques pays sousinfluence française. Cette classification débouche sur des modes de prise en charge et sur des pra-tiques thérapeutiques tout aussi franco-français, et qui, dans le cas de l’autisme par exemple, sontrejetés par la quasi-totalité des associations de patients, et ont fait l’objet de plusieurs condamnations,notamment par le Conseil de l’Europe en 2004, par le Comité Consultatif National d’Ethique en 2005,par un groupe de spécialistes internationaux de l’autisme en 2011, et sont exclues de la recomman-dation de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé en 2012. Et pourtant, la CFTMEA continue àêtre largement utilisée par des psychiatres français (particulièrement en pédopsychiatrie), les diagnos-tics inappropriés continuent à être formulés et les pratiques contestées perdurent. [...]

Extrait d’un texte de Franck Ramus publié sur Lemonde.fr, 26/09/2012 (http://franck-ramus.blogspot.fr/)

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Depuis la publication des critèresproposés pour le DSM-5, la futureclassification américaine des trou-bles mentaux attendue pour 2013,les modifications concernant l’au-tisme ont suscité beaucoup de pas-sion et ont agité les revues spéciali-sées et la presse grand public : dis-parition du syndrome d’Asperger,possibilité du retrait du diagnosticpour une proportion importantedes personnes concernées. Essa-yons d’y voir plus clair sur lanature et les enjeux des change-ments en cours.

L’autisme a été décrit il y a plus de 60 ans, simultanément en Autrichepar Hans Asperger et aux USA par Léo Kanner. Pour Kanner, « letrouble fondamental est l’incapacité des enfants à établir une relation

ordinaire avec les gens et les situations, depuis le début de leur vie ». Ildécrit également des particularités du langage, une mémoire excellente,des troubles alimentaires, des réactions anormales au bruit, des comporte-ments répétitifs avec une aversion au changement, une limitation dans lavariété des activités.

Ce qui est frappant au premier abord, à la relecture de cette description,c’est sa grande actualité, à la fois dans l’interprétation générale (« l’incapa-cité des enfants à établir une relation ordinaire ») et dans certains détailsparfois si étonnants (« une manie de faire tourner les objets »). Pourtant,dans bien des cas, les choses sont moins claires : les préoccupations de cettefamille, les particularités de cette personne, est-ce bien en rapport avec ceque décrivait Kanner, ou est-ce autre chose ? Si le médecin n’avait pasbesoin d’apprendre ni de transmettre, peu importeraient les motsemployés. Mais la similarité entre des cas ouvre d’importantes perspec-tives : pouvoir répéter les observations, comparer les situations et les évo-lutions permet de communiquer et d’envisager d’améliorer les connais-sances et les possibilités d’intervention. Le développement des classifica-tions répond à ce besoin d’une définition qui permette une reconnaissancefiable. Une définition abstraite (par exemple : « l’autisme est une absence

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L’autisme d’un DSM à l’autre Baudouin Forgeot d’Arc

Baudouin Forgeot d’Arc est psy-chiatre au Programme Autisme del’Hôpital Rivière-des-Prairies àMontréal (Canada) et chercheur aucentre de recherche en santé mentalede l’Université de Montréal.

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ou une altération de l’instinct social ») peut exprimer de façon essentiellenotre compréhension d’un trouble, mais elle laisse une large place à l’inter-prétation et donc aux différences entre les utilisateurs, perdant ainsi de safiabilité et donc de son utilité. L’idée que la façon la plus fiable de définircliniquement un trouble était un ensemble de critères descriptifs s’est pro-gressivement imposée.

Brève histoire de la définition de l’autismeAprès la description initiale de l’autisme au milieu du XXe siècle, le terme« schizophrénie de l’enfant » reste largement utilisé pour désigner un largeensemble de troubles incluant l’autisme. La reconnaissance de l’autisme entant que diagnostic distinct vient avec le DSM-III, troisième classificationde l’association américaine de psychiatrie, en 1980. Le principe d’utilisa-tion est le suivant : une série de six critères descriptifs s’appliquent. Lediagnostic est porté si tous les critères sont remplis. Le diagnostic neconcerne donc que les manifestations très prototypiques. Ainsi, un déficitglobal du développement langagier est exigé, ainsi que des particularitésprécises du langage (« écholalie différée, inversion pronominale, langagemétaphorique »). Cette approche apparaissant trop restrictive, la versionrévisée (DSM-III-R) apporte la possibilité de ne remplir qu’une partie descritères, ce qui élargit le concept diagnostique.

Le DSM-IV est publié en 1994. L’autisme est alors inclus dans un nouveaugroupe appelé « troubles envahissants du développement » (TED), compre-nant en particulier deux autres troubles du spectre de l’autisme – le syn-drome d’Asperger et le TED-non spécifié. Les symptômes des TED sontdéveloppés au sein de trois domaines d’altérations souvent résumés en :« communication, socialisation, imagination ». De nombreux critères sontproposés et seule une proportion est requise pour le diagnostic. Les critèressont également plus larges que ceux duDSM-III. Ces modifications font quesont davantage inclus dans le spectreles individus avec des formes moins pro-totypiques, en particulier ceux sans défi-cience intellectuelle, avec une perturba-tion du fonctionnement social.

Dans le même temps, l’autisme devientplus connu du public et des médecins etla fréquence du diagnostic augmente :avec une fréquence des personnes ayantun diagnostic de trouble du spectre del’autisme qui dépasse 2 % de la popula-tion d’après certaines études récentes,on parle parfois d’épidémie. Pourtant, sila fréquence du diagnostic a considéra-blement augmenté, il n’est pas clair quele nombre de personnes atteintes ait

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Egon S

chiele (1890–1918)

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changé : une reconnaissance plus grande du public et des professionnels,l’utilisation du diagnostic pour établir l’éligibilité à des services et à descompensations, ajoutés à l’élargissement du concept de TED au-delà dutrouble autistique proprement dit, pourraient expliquer cette augmenta-tion, en particulier par la substitution du diagnostic de TED à d’autresdiagnostics (par exemple déficience intellectuelle, autres troubles neurodé-veloppementaux, troubles de personnalité). Certains professionnels ontproposé l’insertion dans les manuels diagnostiques d’avertissementscontre le surdiagnostic, ou encore des conférences pour « rééduquer les cli-niciens sur l’utilisation appropriée des critères ». Il ne s’agit pas que d’unedérive de praticiens peu formés : même les experts diffèrent considérable-ment dans leur application des critères actuels (même si cette variabilitéest réduite par l’utilisation d’outils standardisés).

Ainsi, alors que l’autisme de Kanner, jusqu’au DSM-III, était un troublerare et très caractérisé, les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont, audébut du XXIe siècle, des troubles fréquents et certainement beaucoup plushétérogènes. En plus d’avoir favorisé la surinclusion et l’inflation diagnos-tique, sont également reprochés aux critères diagnostiques du DSM-IV unemauvaise sensibilité pour les femmes et dans certaines cultures, ainsiqu’une sensibilité différente selon les âges, responsables d’un manque destabilité du diagnostic dans le temps. Dans le même temps, c’est sur ces cri-tères que se sont considérablement développées nos connaissances surl’autisme, ses facteurs biologiques et ses particularités psychologiques1.

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1 Voir le dossier de Science et pseudo-science n° 300, avril 2012 : « Autisme, le jour se lève pourles approches scientifiques ».

Chat en cage, G

ottfried Mind (1768-1814) A

rtiste suisse souvent présenté comm

e autiste

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Vers une nouvelle classification La révision du manuel diagnostique de l’Association PsychiatriqueAméricaine (APA) a compris une remise à plat des différents diagnosticspsychiatriques. Il est probable que, comme la précédente version, cetteclassification s’imposera comme référence pour la communication interna-tionale pour plusieurs années. Après consultation d’experts désignés parl’association, réunions de groupes de travail et revue des données actuelles,l’APA a proposé des révisions, dans plusieurs phases successives de consul-tations et discussions [1]. L’association affirme que les révisions sont gui-dées par « l’utilité clinique », les « preuves scientifiques », cherchent autantque possible à assurer la « continuité avec l’édition précédente » sans pourautant se contraindre à la suivre « là où l’organisation ou les critèresétaient problématiques ». Les exigences de la clinique et de la recherche nesont pas toujours les mêmes dans un tel processus, à tel point qu’on pour-rait se demander s’il ne serait pas préférable d’utiliser une classificationpour la clinique (regroupant les patients selon la probabilité de besoinscommuns) et une pour la recherche (regroupant les patients selon la pro-babilité d’une origine commune). Pourtant, une telle dissociation compli-querait considérablement le transfert des connaissances scientifiques. Cesconséquences ne feraient que s’ajouter aux coûts inévitables d’un tel chan-gement, à la fois pour la clinique et la recherche. Du côté de la recherche,comment assurer la continuité et interpréter des travaux effectués avecune définition obsolète ? Du côté de la clinique, il faudra, partout où la nou-velle version va être utilisée, développer de nouveaux outils de diagnostic,former les professionnels.

L’autisme version DSM-5.0Parmi les changements prévus avec l’arrivée du DSM-52, plusieurs concer-nent l’autisme [2]. On note d’abord la disparition du terme de TED (trou-bles envahissants du développement) et l’insertion du terme de TSA (trou-bles du spectre de l’autisme), déjà largement utilisé en pratique. Alors quele groupe des TED comprenait cinq diagnostics différents, TSA serait unseul diagnostic. La disparition annoncée du syndrome d’Asperger soulèvedes protestations. Entré dans le DSM en 1994, le syndrome d’Asperger dési-gnait en pratique, parmi les personnes du spectre autistique, celles quin’ont ni atteinte du langage, ni déficience intellectuelle. Ces « aspi » sont-ilsvraiment un groupe distinct de l’autisme ? Sur le plan génétique, l’héréditéplaide pour des origines communes entre autisme et syndrome d’Asperger.En cognition, même si certaines études ont rapporté un plus fort niveau defonctionnement intellectuel verbal chez les personnes avec syndromed’Asperger que chez les personnes avec autisme, la recherche ne permet pasde conclure sur les rapports entre syndrome d’Asperger et autisme.Ensuite, le devenir des enfants avec syndrome d’Asperger semble similaireà celui d’enfants avec un diagnostic d’autisme ayant ensuite développé unlangage. Enfin, leurs besoins sont très variables et ne sont pas systémati-

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2 http://www.dsm5.org/about/Pages/faq.aspx#12

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quement différents de ceux des per-sonnes autistes de même niveau defonctionnement. La prise en compteplus individuelle des besoins ne néces-site pas forcément la multiplicité desqualificatifs diagnostiques : la mentionde la sévérité des atteintes dans les dif-férents domaines, proposée dans leDSM-5, pourrait être une réponse perti-nente sur ce point. Dans ce contexte, lesyndrome d’Asperger semble décrireune partie du spectre autistique, plutôtqu’un trouble distinct.

Il est toutefois possible que des diffé-rences ne soient pas apparues dans lesétudes à cause de la définition inutilisa-ble du syndrome d’Asperger dans leDSM-IV. À l’aune du DSM-IV, en effet,plusieurs des patients décrits par HansAsperger… n’auraient pas un syndromed’Asperger, mais un autisme ! Puisquele DSM-IV n’a pas su saisir la particu-larité de cette description, une optionaurait été d’améliorer cette définition.La disparition annoncée du syndromed’Asperger a un impact affectif clairdans la communauté des personnesconcernées et il est possible que le nomd’Asperger reste longtemps associé àl’autisme avec langage et fonctionne-ment intellectuels préservés [3]. Dansl’éternel match entre les « agrégeurs »qui ont tendance à regrouper autantque possible les troubles qui se ressem-blent et les « séparateurs », adeptes desclassifications à ramifications multi-ples, les agrégeurs remportent lamanche du DSM-5. La compréhensiondes points communs au spectre y gagne,mais il faudra trouver d’autres outilspour penser l’hétérogénéité au sein duspectre de l’autisme.

Il se pourrait par ailleurs que la popu-lation définie avec le DSM-5 soit diffé-rente de celle définie avec le DSM-IV(voir encadré).

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Une classification qui identifiemoins de personnes atteintes ? La possibilité de perte de diagnostic arécemment fait l’objet d’un débat : en appli-quant les critères proposés pour le DSM-5sur plusieurs centaines de dossiers, deschercheurs de l’université de Yale ont rap-porté des conséquences importantes [4] :tandis que peu d’enfants non diagnostiquésavec le DSM-IV se voyaient attribuer undiagnostic avec les nouveaux critères, seu-lement 60 % de ceux qui avaient un diagnos-tic avec le DSM-IV le conservaient. Ainsi, le seuil diagnostic du DSM-5 semblaitbeaucoup plus exigeant. Les individus avecun diagnostic de trouble autistique selon leDSM-IV conservaient davantage leur diag-nostic que ceux avec un diagnostic de syn-drome d’Asperger ou de TEDns. Le groupede travail du DSM-5 a aussitôt critiqué laméthode de l’étude, notamment la perti-nence du groupe étudié et l’interprétationdes critères, en l’absence d’outil développépour les appliquer. Enfin, les auteurs del’étude n’ont pas évalué les diagnostics alter-natifs, en particulier pour les individus qui« perdraient » le diagnostic de TED. En effet,le DSM-5 voit notamment la naissance d’un« trouble de la communication sociale »,exclusif du TSA, qui pourrait correspondre àune partie du groupe ayant actuellement undiagnostic de TED. Il se pourrait donc que la population définieavec le DSM-5 soit différente de celle définieavec le DSM-IV. Notons que, même si elle était confirmée,cette discontinuité ne reflèterait pas forcé-ment la mauvaise qualité de la nouvelleapproche, mais constituerait une nouvelletendance : à l’inflation de prévalence asso-ciée à la surinclusion du DSM-IV, aux substi-tutions diagnostiques en faveur du TED, suc-céderait le mouvement inverse ? Dans un telcas, il ne faudrait pas négliger l’impact duchangement sur le système : alléger lacharge sur le système en réduisant le surdia-gnostic serait bénéfique, mais priver de ser-vices des individus avec des atteintes n’attei-gnant pas les seuils pour le diagnostic pour-rait se révéler dans certains cas dramatique.

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Il est probable que dans la pratique, les conséquences n’apparaîtront queprogressivement : en effet, on peut supposer que l’influence de l’ancienneclassification restera sensible longtemps après son remplacement, en par-ticulier chez les cliniciens déjà expérimentés. Un changement de classifica-tion n’est ainsi complètement appliqué que par les nouveaux cliniciens quisont formés sur les nouveaux critères et leur utilisation.

ConclusionUne classification est une structure cognitive établie en fonction d’un but.Concernant les troubles mentaux (ou quel que soit le nom qu’on veuille don-ner aux situations qui conduisent à consulter un psychiatre), le but est depermettre aux psychiatres de relier au mieux des situations particulières àdes populations pertinentes, en fonction de l’état des connaissances. LeDSM, classification de l’association américaine de psychiatrie, a une placemajeure dans l’élaboration des connaissances actuelles en psychiatrie et estde ce fait incontournable. Nous avons tenté d’expliquer le contexte, leschangements apportés et leurs conséquences dans le champ de l’autisme. Il

apparaît que la classification des mala-dies mentales a des implications qui vontbien au-delà du cabinet médical, en par-ticulier sur les possibilités offertes auxpersonnes atteintes. Dans ce contexte, oncomprend l’inquiétude des usagers à laperspective de voir les frontières entreTSA et autres troubles se déplacer. Pourbeaucoup de familles et de personnesconcernées, le risque est énorme. Pourrépondre à cette inquiétude, les autoritésdoivent faire évoluer l’attribution dessupports, non en fonction de l’inclusiondans un groupe diagnostique plus oumoins avantageux, mais en fonction desbesoins, évalués de façon individuelle.

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Références[1] Swedo SE, Baird G, Cook EH Jr, Happé FG,Harris JC, Kaufmann WE, King BH, Lord CE,Piven J, Rogers SJ, Spence SJ, Wetherby A,Wright HH. “Commentary from the DSM-5Workgroup on Neurodevelopmental Disorders”.J Am Acad Child Adolesc Psychiatry. 2012Apr ;51(4) :347-9. [2] “DSM-5 diagnostic criteria for autism spec-trum disorder”. J Am Acad Child AdolescPsychiatry. 2012 Apr ;51(4) :368-83. Epub 2012Mar 14.[3] http://www.nytimes.com/2012/02/01/opinion/i-had-asperger-syndrome-briefly.html[4] McPartland JC, Reichow B, Volkmar FR.“Sensitivity and specificity of proposed DSM-5diagnostic criteria for autism spectrum disorder”

Autisme, le jour se lèvepour les approches scientifiques

Dossier complet dans Science et pseudo-sciences n°300(avril 2012). Au sommaire : La Haute Autorité de Santé prend position sur les traitements del’autisme (Bertrand Jordan) / Autisme et psychanalyse : de bons etde moins bons arguments (Franck Ramus) / Psychologues, psy-chiatres, psychothérapeutes : les différents intervenants (BrigitteAxelrad) / Les approches scientifiques de l’accompagnement thé-rapeutique (Maria Pilar Gattegno) / Des psychomotriciens dans lepacking et la « pataugeoire-thérapie » (James Rivière) / Des expli-cations charlatanesques (Bertrand Jordan) / L’autisme, un troublede la cognition sociale ? (Baudouin Forgeot d’Arc) / Autisme : lamaman est acquittée... (Gilbert Lelord).

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La personnalité se définitcomme l’intégration stable etindividualisée d’un ensemble

de comportements, d’émotions et decognitions, fondée sur des modes deréactions à l’environnement quicaractérisent chaque individu(Cottraux et Blackburn, 2005).C’est notre signature comporte-mentale qui fait dire aux autres :« c’est bien vous ! ». La personnalitéinclut à la fois le tempéramentd’origine génétique et le caractèrequi résulte des apprentissages etdes événements de vie de chacun.

Les psychologues représentent lapersonnalité sous la forme de traitsqui vont de la normalité à la patho-logie : c’est ce que fait le modèle àcinq facteurs OCEAN : Ouverture,Contrainte, Extraversion, Agréa-bilité, Neuroticisme (affect négatif).

Les psychiatres ont isolé des types de personnalité : ce que fait, en particu-lier, le DSM-IV détaillé plus loin. Quant aux psychothérapeutes, ils décri-vent les troubles de la personnalité en termes de processus cognitifs, émo-tionnels et comportementaux qui sous-tendent et maintiennent la répéti-tion de scénarios de vie par lesquels le patient se met lui même en échec(Cottraux, 2001). Ces trois approches sont compatibles entre elles car ellesdécrivent les troubles de la personnalité selon des angles différents. Unebonne classification a pour tâche de concilier ces points de vue en ne rete-nant ce qui est démontré par la recherche clinique.

L’axe II du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSMpour Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) s’efforce desortir le trouble de personnalité des stéréotypes sociaux du « bon et mau-vais caractère », mais sa classification demeure un fait de culture plus quede nature car elle repose sur un consensus d’experts. Le passage à partirde 2013 du DSM-IV au DSM-5 a donné lieu à de nombreuses publicationsscientifiques contradictoires (Regier et al. 2011).

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Vers le DSM-5La classification des troubles de la personnalité

Jean Cottraux

Jean Cottraux est psychiatre honoraire desHôpitaux, titulaire d’une habilitation à laDirection de Recherche, ancien chargé decours à l’Université Lyon 1. Il est égalementDirecteur scientifique de l’InstitutFrancophone de FORmation et deRecherche en THérapie Comportementale etCognitive (Ifforthecc). Jean Cottraux est l’au-teur de nombreux ouvrages, dont Les psy-chothérapies comportementales et cognitives(Masson, 2011) et Psychologie positive etbien être au travail (Elsevier Masson, 2012)

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Les troubles de la personnalité selon le DSM-IVLe DSM-IV, en place depuis 1996, propose six critères d’ensemble pourclassifier les troubles de la personnalité et distingue ensuite dix troublesclassés en trois-sous-catégories (voir encadré).

Une étude de l’OMS effectuée sur treize pays (Huang et al., 2009) qui uti-lisait les critères du DSM-IV, a montré, sur les 21 162 personnes étudiéesavec un inventaire de personnalité, que 6,1 % de la population mondialepourraient présenter un trouble de la personnalité.

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Six critères d’ensembleCritère A. Les traits représentent une déviationimportante par rapport à ce que la culture àlaquelle appartient l’individu attend de lui et ils semanifestent dans au moins deux des quatredomaines suivants : cognition, affectivité, relationsinterpersonnelles, ou contrôle des impulsions.Critère B. Les traits de personnalité doivent êtrerigides et se manifester dans de très nombreusessituations.Critère C. Ils conduisent à unedétresse des perturbations dansles relations sociales et profession-nelles.Critère D. Le pattern est stable etpeut être retracé depuis l’adoles-cence, ou le début de l’âge adulte.Critère E. Ils ne doivent pas résul-ter d’un autre trouble psychiatrique.Critère F. Ils ne résultent pas d’unétat de dépendance (addiction),d’un abus de substance ou d’une maladie médi-cale.Dix types de troubles de la personnalité Ces dix types sont classés en trois sous-catégo-ries et une catégorie résiduelle : le trouble de per-sonnalité non spécifié.Groupe A : Distant (excentrique, bizarre)1. La personnalité paranoïaque : méfiance soup-çonneuse envers les autres dont les intentionssont interprétées comme malveillantes.2. La personnalité schizoïde : détachement desrelations sociales et restriction de la variété desexpressions émotionnelles.

3. La personnalité schizotypique : gêne aiguëdans les relations proches, distorsions cognitiveset perceptuelles et conduites excentriques.Groupe B : Impulsif (dramatique, émotionnel).4. La personnalité antisociale : mépris et trans-gression des droits d’autrui.5. La personnalité borderline : impulsivité mar-quée et instabilité des relations interperson-nelles, de l’image de soi et des affects.

6. La personnalité histrionique :réponses émotionnelles excessiveset quête d’attention.7. La personnalité narcissique : fan-tasmes ou comportements gran-dioses, besoin d’être admiré etmanque d’empathie.Groupe C : Anxieux et peureux.8. La personnalité évitante : inhibi-tion sociale, sentiments de ne pasêtre à la hauteur et hypersensibilitéau jugement négatif d’autrui.

9. La personnalité dépendante : comportementsoumis et « collant » lié à un besoin excessifd’être pris en charge.10. La personnalité obsessionnelle compulsive :préoccupation de l’ordre, de la perfection et ducontrôle.

Le trouble de personnalité non spécifié corres-pond à plusieurs traits subliminaires de différentstypes ou à un type qui n’appartient pas aux dixtypes ci-dessus : par exemple la personnalitépassive agressive ou la personnalité dépressive.

Les troubles de la personnalité selon le DSM-IV (1996)

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Les évolutions proposées pour le DSM-5L’enjeu était de limiter le nombre de troubles de personnalité et surtout dedéfinir des dimensions de personnalité, sans enfermer comme le faisait leDSM-IV les patients dans une dizaine de « cases » contestables. En parti-culier, une onzième case : « trouble de personnalité non spécifié » se trou-vait être la plus utilisée dans certaines études ce qui mettait en doute lapertinence de la classification établie par le DSM-IV.

De plus, la plupart des troubles de personnalité sont comorbides : en par-ticulier la personnalité histrionique recoupe largement la personnalité bor-derline (Skodol et Bender, 2009).

Science et pseudo-sciences n°302, janvier 2013 47

De nouveaux critèresCes nouveaux critères se substitueraient aux sixprécédents.A. Altération du soi (identité et direction de soi) etdu fonctionnement interpersonnel (empathie ouintimité).B. Un trait pathologique ou plus, ou bien desfacettes correspondant à des traits.C. L’altération de la personnalité et l’expressiondes traits sont relativement stables dans le tempset constants à travers les situations. D. L’altération de la personnalité et l’expressiondes traits ne sont pas mieux compris comme nor-maux en considérant le stade du développementou le contexte socioculturel.E. L’altération de la personnalité et l’expressiondes traits ne sont pas seulement dus à l’effetdirect d’une substance (ex : addictions) ou à unétat qui relève de la médecine générale (ex :traumatisme crânien). Six troubles de personnalitéSeulement six troubles de la personnalité ont étéconservés : antisocial, évitant, borderline, narcis-sique, obsessionnel-compulsif et schizotypique.Voir en exemple, dans l’encadré « Trouble narcis-sique de personnalité » avec les critères qui défi-nissent ce trouble.Échelle des niveaux de fonctionnement de lapersonnalité Altération du soi (identité et direction de soi) et dufonctionnement interpersonnel (empathie ou inti-mité). Les cinq niveaux de sévérité : 0 = Pas d’al-

tération, 1 = Légère altération, 2 = Altérationmodérée, 3 = Sérieuse altération, 4 = Altérationextrême.Cinq traits et les vingt-cinq facettesÉvaluation : 0. peu, 1. légèrement, 2. modéré-ment, 3. très descriptif.Émotion négative– Émotions labiles, angoisse, peur de la sépara-tion, persévération, soumission, hostilité, ten-dances dépressives, suspicion, affectivité res-treinte ou manque total de restriction affective.Détachement– Affectivité restreinte, tendances dépressives,suspicion, retrait, anhédonie (absence de capa-cité à ressentir du plaisir), évitement de l’intimité.Antagonisme– Manipulation, tromperie, grandiosité, recherchede l’attention, manque d’égards, hostilité.Désinhibition/Compulsivité– Irresponsabilité, impulsivité, distractibilité, prisede risques.– À l’opposé conformisme rigide ou absencetotale de conformisme.Psychoticisme– Expériences et croyances bizarres.– Excentricité.– Dérégulation cognitive et perceptive.

Propositions d’évolution du DSM-5pour les troubles de la personnalité

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Les tendances actuelles ont été publiées sur le site du DSM-5 en date du21 juin 2012. Selon le DSM-5, un trouble de la personnalité correspond àune altération du fonctionnement du soi (self) et du fonctionnement inter-personnel et à la présence de traits pathologiques. Le diagnostic repose sursix critères, et seulement six troubles ont été conservés. Cinq traits (oudomaines) de personnalité et vingt-cinq facettes permettent d’assurer leurdiagnostic. Une échelle permet de mesurer l’importance de l’altération dufonctionnement de la personnalité : l’échelle des niveaux de fonctionne-ment de la personnalité représentée dans le tableau (voir encadré).

Le trouble de personnalité narcissique qui avait été au début éliminé vientd’être rajouté au DSM-5 à la suite de discussions très serrées. Il aurait étédommageable de l’éliminer car les patients qui en sont porteurs viennentsouvent consulter pour une dépression, après un échec personnel ou pro-fessionnel.

C’est parmi elles que se trouvent les personnes qui exercent le harcèlementmoral sur les autres, les leaders pathologiques qui créent sans cesse desconflits de pouvoir au travail, car ils ont des idéaux exigeants et une hauteopinion d’eux-mêmes. Ils font souvent souffrir les autres, même s’ils souf-frent peu en dehors des épisodes de dépression où se révèlent leurs senti-ments profonds de non-valeur et d’incompétence.

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Comment établir le diagnostic ?L’approche standard proposée par le DSM-5suit les étapes suivantes :

1. Est-ce qu’il existe une altération du soi etdes relations interpersonnelles ou non ?

2. Si oui, évaluer le niveau d’altération du soi(identité ou direction de soi) et des relationsinterpersonnelles (empathie ou intimité) avecl’échelle des niveaux de fonctionnement de lapersonnalité.

3. Est-ce qu’un des six types de trouble de lapersonnalité est présent ?

4. Si oui, enregistrer ce type et la sévérité del’altération.

5. Si non, est-ce qu’un trait spécifique est pré-sent parmi les cinq traits ?

6. Si oui, enregistrer le domaine du trait et leniveau d’altération. La présence d’un ou plu-sieurs traits spécifiés remplace la catégorie :trouble de personnalité non spécifié du DSM-IV. Le nouveau nom pour cette catégorie est :trouble de personnalité avec un trait spécifié(en anglais PDTS, en français TPTS).

7. Si l’un des six troubles de personnalité estprésent enregistrer les différentes facettesque comportent le ou les traits pathologiques.

8. S’il n’y a ni un des six troubles, ni un trou-ble de personnalité avec un trait spécifié :évaluer les domaines et les facettes de person-nalité si cette démarche apparaît utile pourcomprendre le cas.

ConclusionLe DSM-5 représente un tournant radical caril réduit le nombre de troubles de la person-nalité de dix à six et propose, en plus de cessix types, une approche dimensionnelle. Cettenouvelle classification est en train d’être tes-tée sur le terrain. Mais on peut déjà observerqu’elle n’est pas simple, et sera très exigeantepour le clinicien.

Science et pseudo-sciences n°302, janvier 2013 49

RéférencesAmerican Psychiatric Association, DSM-IV. Manuel diagnostique et statistiquedes troubles mentaux, trad. fr. de J.-D. Guelfi, Paris, Masson, 1996.DSM-5 : http://www.dsm5.org/propose-drevision/Pages/PersonalityDisorders.aspxCottraux J et Blackburn IM :Psychothérapie cognitive des troublesde la personnalité, Masson, Paris, 2006.Cottraux J, La répétition des scénariosde vie, Odile Jacob, Paris, 2001.Huang Y, Kotov R, de Girolamo G, Preti,Angermeyer A M,, Benjet C,Demyttenaere K, de Graaf R, Gureje O,R Nasser Karam A, Lee S, Lépine JP,Matschinger H, Posada-Villa J, SulimanS, Vilagut G, Kessler RC : « DSM–IVpersonality disorders in the WHO WorldMental Health Surveys » ; The BritishJournal of Psychiatry, 2009, 195, 46–53.Regier DA, Narrow WE, Kuhl EA, KupferD : The conceptual evolution of DSM-5,American Psychiatric Association,Whashington DC, 2011.Skodol AE, Bender DS :The Future ofPersonality Disorders in DSM-V?American Journal of Psychiatry2009 ;166 :388-391.

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Dossier coordonné par Brigitte Axelrad

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