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Les refuges de pierre

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T5 - Les refuges de pierre

Jean M. AuelLes Enfants de la Terre*****Les refuges de pierre(The Shelters of Stone 2002)Traduction de Alexis Champon

1Rassembls sur la corniche calcaire, les Zelandonii les regardaient approcher. Personne ne leur adressait de geste de bienvenue, et certains, sans tre vraiment menaants, tenaient leur lance prte. La jeune femme pouvait presque sentir leur peur, cette rticence les accueillir quelle avait remarque chez dautres peuples rencontrs pendant leur Voyage. Du bas du sentier, elle en vit dautres accourir sur la corniche. Ce nest pas particulier ce peuple, cest toujours comme cela au dbut, pensa-t-elle, un peu mal laise cependant, car ils taient beaucoup plus nombreux quelle ne sy attendait.Lhomme de haute taille descendit du jeune talon. Bien quil ne ft, lui, ni rticent ni mal laise, il hsita un moment, la bride de son cheval la main, puis se retourna et dcouvrit quelle restait en arrire.Ayla, tu veux bien tenir Rapide? Il a lair nerveux, dit-il en levant les yeux vers labri. Eux aussi, jai limpression.Elle hocha la tte, se laissa glisser du dos de la jument et prit la corde. Outre lagitation que suscitait en lui la prsence de tous ces inconnus, le jeune cheval brun profond tait encore troubl par sa mre. Elle ntait plus en chaleur mais lodeur de sa rencontre avec ltalon du troupeau flottait encore autour delle. Ayla tint Rapide prs delle, laissa la jument louvette avancer et resta entre les deux animaux. Whinney tait maintenant habitue rencontrer des humains et ne montrait dhabitude aucune nervosit, mais elle semblait inquite, elle aussi. La foule qui se pressait sur la corniche aurait inquit nimporte qui.Quand le loup apparut, Ayla entendit des cris dpouvante slever du groupe mass devant la caverne... si on pouvait parler de caverne. Jamais elle nen avait vu de pareille. Loup se pressa contre sa jambe et tendit le cou, mfiant et protecteur. Elle sentait les vibrations de ses grognements, pourtant discrets. Il se dfiait davantage des tres humains que lorsquils avaient entam leur long Voyage, un an plus tt, mais il ntait alors quun louveteau, et depuis lpisode des Femmes-Louves chasseuses de chevaux, il adoptait envers Ayla une attitude plus protectrice.En gravissant la pente vers le groupe qui sagitait, lhomme semblait dpourvu de crainte mais Ayla se flicitait de rester derrire et de pouvoir observer ces gens avant de les rencontrer. Elle attendaitelle redoutaitce moment depuis plus dun an car les premires impressions comptaient beaucoup... de part et dautre.Une femme jaillit du groupe, qui demeura fig, et se prcipita vers lhomme. Jondalar reconnut aussitt sa sur, mme si la petite fille stait panouie en une jolie jeune femme pendant ses cinq ans dabsence.Jondalar! Je savais que ctait toi! Tu es enfin de retour! scria-t-elle en se jetant dans ses bras. Il la serra contre lui puis la souleva et la fit tourner.Folara, je suis si heureux de te revoir! Il la reposa, la tint bout de bras.Comme tu as grandi! Tu ntais quune gamine quand je suis parti, tu es devenue une belle femme, ajouta-t-il avec dans lil une lueur un peu plus que fraternelle.Elle lui sourit, plongea le regard dans ses yeux dun bleu incroyablement clatant et fut captive par leur magntisme. Elle se sentit rougir, non sous le compliment, mais cause de lattirance quelle prouvait pour cet hommefrre ou nonquelle navait pas vu depuis tant dannes. Folara avait entendu parler de ce grand frre aux yeux extraordinaires, capable de charmer nimporte quelle femme, mais elle navait gard que le souvenir dun compagnon attentionn, toujours prt partager les jeux ou les activits quelle lui proposait. Ctait la premire fois que, jeune femme, elle tait expose aux effets du charme de Jondalar. Remarquant sa raction, il sourit de son trouble.Elle se dtourna, porta les yeux vers le bas du sentier, prs de la petite rivire.Qui est cette femme, Jond? demanda-t-elle. Et do viennent ces animaux? Les animaux fuient les hommes, pourquoi ceux-l ne la fuient-ils pas? Cest une Zelandonii ? Elle les a invoqus? (Elle frona les sourcils.) Et o est Thonolan?Elle retint sa respiration en voyant lexpression de douleur qui assombrissait les traits de son frre.Thonolan voyage maintenant dans le Monde dAprs. Et sans cette femme, je ne serais pas ici.Oh! Jond! Quest-il arriv?Cest une longue histoire et ce nest pas le moment de la raconter, rpondit-il.Il navait pu retenir un sourire en lentendant lappeler Jond: ctait le diminutif quelle lui avait donn.Je navais pas entendu ce nom depuis mon dpart, reprit-il. Maintenant je sais que je suis rentr. Comment vont les autres? Mre? Willamar?Ils vont bien tous les deux. Mre nous a fait peur il y a deux ans mais Zelandoni a fait appel sa magie, et elle est en bonne sant, maintenant. Viens voir par toi-mme, conclut Folara en prenant son frre par la main pour linviter gravir le reste de la pente.Jondalar se retourna et fit signe Ayla quil reviendrait bientt. Il naimait pas la laisser seule avec les btes mais il fallait quil voie sa mre, il fallait quil voie par lui-mme quelle allait bien. Cette peur dont lui avait parl Folara le proccupait, et il fallait en outre quil parle des animaux. Ayla et lui avaient fini par se rendre compte que, pour la plupart des hommes, des animaux qui ne les fuyaient pas reprsentaient un phnomne la fois trange et effrayant.Les humains connaissaient les animaux. Tous ceux quAyla et lui avaient rencontrs pendant leur Voyage les chassaient; la plupart les honoraient, rendaient hommage leurs esprits dune manire ou dune autre. Aussi loin que remontait leur mmoire, ils avaient observ les animaux avec soin. Ils connaissaient les territoires quils affectionnaient, les nourritures quils aimaient, leurs migrations saisonnires, leur priode de reproduction et leur saison de rut. Mais nul navait jamais essay de toucher dune manire amicale un animal vivant. Nul navait jamais essay dattacher une corde au cou dune bte pour la mener. Nul navait jamais essay dapprivoiser un animal, ni mme imagin que ce ft possible.Aussi contents fussent-ils de voir un parentparticulirement un parent que peu dentre eux espraient revoir un jourrentrer dun long Voyage, ces animaux apprivoiss constituaient pour eux un spectacle si insolite que leur premire raction tait la peur. Ctait trange, inexplicable, cela dpassait leur exprience ou leur imagination, cela ne pouvait tre naturel. Cela venait forcment dun autre monde. La seule chose qui empchait bon nombre dentre eux de senfuir ou de tenter de tuer ces btes terrifiantes, ctait le fait que Jondalar, quils connaissaient tous, tait arriv avec elles, et quil montait maintenant le sentier depuis la Rivire des Bois, avec sa sur, lair serein sous la lumire vive du soleil.Folara avait fait preuve de courage en se prcipitant vers lui, mais elle tait jeune, elle avait lintrpidit de la jeunesse. Et elle tait si heureuse de retrouver son frrequi avait toujours t son prfrquelle navait pu attendre. Jondalar ne lui ferait jamais aucun mal, et lui-mme navait pas peur de ces animaux.Du bas du sentier, Ayla regarda hommes et femmes lentourer, lui souhaiter la bienvenue par des sourires, des embrassades, des tapes dans le dos, des serrements des deux mains, et un dluge de mots. Elle remarqua particulirement une trs grosse femme, un homme aux cheveux bruns que Jondalar pressa contre lui, ainsi quune femme dge mr quil embrassa avec chaleur et dont il entoura les paules de son bras. Sans doute sa mre, se dit Ayla, qui se demanda ce que cette femme penserait delle.Ces gens taient sa famille, ses parents, ses amis, ceux avec qui il avait grandi. Elle, elle ntait quune inconnue, une trangre inquitante qui amenait dtranges animaux, qui apportait des coutumes trangres menaantes et des ides scandaleuses. Pourquoi laccepteraient-ils? Et que se passerait-il sils la rejetaient? Elle ne pouvait retourner chez elle, son peuple vivait plus dune anne de marche vers lest. Jondalar avait promis quil laccompagnerait si elle voulait repartir ou si elle y tait contrainte, mais ctait avant quil retrouve les siens, avant quil soit accueilli aussi chaleureusement. Quallait-il dcider maintenant?Sentant quelque chose la pousser derrire elle, elle tendit la main pour caresser lencolure muscle de Whinney, reconnaissante la jument de lui rappeler quelle ntait pas seule. Whinney avait longtemps t son unique amie lorsquelle vivait dans la valle, aprs avoir quitt le Clan. Ayla navait pas remarqu que la bride stait dtendue quand Whinney stait rapproche, et elle laissa Rapide prendre un peu plus davance. Dordinaire, la jument et son poulain trouvaient un rconfort mutuel dans la prsence lun de lautre, mais les chaleurs de Whinney avaient perturb leurs habitudes.Dautres Zelandoniicomment pouvaient-ils tre si nombreux?regardrent dans sa direction. Jondalar parla avec animation lhomme aux cheveux bruns puis adressa un signe Ayla et sourit. Il descendit le sentier, suivi de la jeune fille, de lhomme aux cheveux bruns et de quelques autres. Ayla prit une longue inspiration et attendit.A leur approche, le loup gronda plus fort et elle se pencha pour le maintenir contre elle. Tout va bien, Loup. Ce ne sont que les parents de Jondalar, murmura-t-elle. La pression apaisante de la main dAyla signifiait quil devait cesser de se montrer menaant. Elle avait eu du mal lui apprendre ce signe, mais cela en valait la peine, surtout maintenant. Elle regrettait de ne pas connatre une pression de la main qui la calmerait, elle.Les membres du groupe qui accompagnait Jondalar sarrtrent quelque distance, sefforcrent de ne pas montrer leur agitation, de ne pas regarder les animaux qui les fixaient ouvertement et de conserver leur sang-froid mme quand ces tranges cratures sapprochrent deux.Je pense quil faudrait commencer par les prsentations rituelles, Joharran, dit Jondalar en se tournant vers lhomme brun.Comme Ayla lchait les brides pour se prparer une prsentation rituelle, qui exigeait un contact des deux mains, les chevaux reculrent mais le loup demeura prs delle. Elle dcela une lueur dapprhension dans le regard de lhomme brun, dont elle devinait pourtant quil ne devait pas avoir peur de grand-chose, et jeta un coup dil Jondalar en se demandant sil avait une bonne raison de vouloir procder tout de suite aux prsentations. Elle examina linconnu avec attention et se rappela soudain Brun, le chef du Clan o elle avait grandi. Puissant, orgueilleux, intelligent, habile, lui non plus ne craignait pas grand-chose, sauf le Monde des Esprits.Ayla, voici Joharran, Homme Qui Ordonne de la Neuvime Caverne des Zelandonii, fils de Marthona, ancienne Femme Qui Ordonne de la Neuvime Caverne, n au foyer de Joconan, ancien Homme Qui Ordonne de la Neuvime Caverne, rcita lhomme blond avec srieux. Sans oublier frre de Jondalar, Voyageur des Terres Lointaines, ajouta-t-il dun ton enjou.Sa plaisanterie dtendit latmosphre, suscita quelques brefs sourires. En principe, pour une prsentation rituelle, il fallait numrer tous les noms et liens dune personne pour tablir clairement son rangtoutes les faons de la dsigner, tous ses titres et exploits, tous ses parents et relations, en mentionnant leurs titres et exploitset certains le faisaient. Mais en pratique, hormis dans les grandes crmonies, on ne citait que les plus importants. Il ntait pas rare, toutefois, que des jeunes gens, en particulier des frres, se permettent des ajouts factieux la longue et parfois ennuyeuse rcitation des liens de parent, et Jondalar rappelait ainsi son frre les annes passes, avant quil ne porte les lourdes responsabilits de chef.Joharran, voici Ayla des Mamuto, membre du Camp du Lion, Fille du Foyer du Mammouth, Choisie par lEsprit du Lion des Cavernes, et Protge de lOurs des Cavernes.Lhomme aux cheveux bruns franchit la distance qui le sparait de la jeune femme, tendit les deux mains, la paume tourne vers le haut, en signe de bienvenue et damiti. Il ne connaissait aucun des liens voqus et ne savait pas lequel tait le plus important.Au nom de Doni, la Grande Terre Mre, je te souhaite la bienvenue, Ayla des Mamuto, Fille du Foyer du Mammouth, dclara-t-il.Ayla lui prit les deux mains et rpondit:Au nom de Mut, Grande Mre de Tous, je te salue, Joharran, Homme Qui Ordonne de la Neuvime Caverne des Zelandonii. Et frre du voyageur Jondalar, ajouta-t-elle en souriant.Joharran saperut dabord quelle parlait bien sa langue, quoique avec un accent curieux, puis il remarqua ses vtements et son allure tranges, mais il lui rendit son sourire, en partie parce quelle avait montr quelle avait compris la plaisanterie de Jondalaret quelle avait fait savoir Joharran que son frre comptait beaucoup pour ellemais surtout parce quil navait pu rsister son sourire.Ayla tait une femme attirante tous points de vue: lance, elle avait un corps ferme et bien fait, une longue chevelure blonde lgrement ondule, des yeux bleu-gris clairs, et des traits fins, bien quun peu diffrents de ceux des femmes zelandonii. Elle rayonnait dune telle beaut que Joharran retint sa respiration. Jondalar avait toujours admir le sourire dAyla, et il constata avec grand plaisir que son frre ny tait pas insensible.Joharran vit alors ltalon trotter nerveusement vers son frre et lana un regard vers le loup.Jondalar me dit quil faut trouver un... euh, un endroit pour ces btes... A proximit, sans doute.Pas trop prs, pensa-t-il.Les chevaux ont juste besoin dun terrain herbeux prs dun point deau, rpondit Ayla. Mais il faudra demander aux autres de ne pas trop sapprocher deux au dbut si Jondalar ou moi ne sommes pas avec eux. Whinney et Rapide sont troubls par les inconnus jusqu ce quils shabituent eux.Trs bien, rpondit Joharran. Ils peuvent rester ici, si cette petite valle leur convient.Ce sera parfait, dit Jondalar. Mais nous les emmnerons peut-tre en amont, un peu lcart.Loup a lhabitude de dormir mes cts, reprit Ayla. Il est trs protecteur envers moi et risque de se manifester si on nous spare.Joharran plissa le front, ce qui accentua sa ressemblance avec Jondalar et fit sourire Ayla. Toutefois, Joharran semblait srieusement inquiet: ce ntait pas le moment de sourire.Jondalar avait lui aussi remarqu lair soucieux de son frre.Ce serait le bon moment pour prsenter Joharran Loup, suggra-t-il.Une lueur proche de la panique salluma dans les yeux de lhomme brun mais, avant quil pt protester, Ayla lui prit la main. Se penchant vers Loup, elle passa un bras autour du cou de lanimal pour faire taire un grognement naissant: si elle-mme percevait la peur de Joharran, cette crainte navait pu chapper au loup.Laisse-le dabord renifler ta main, dit-elle. Cest sa faon de procder aux prsentations rituelles.Lexprience avait appris lanimal quil tait important pour Ayla quil accepte dans sa meute dhumains ceux quelle lui prsentait de cette faon. Bien que lodeur de peur lui dplt, il flaira la main de lhomme pour se familiariser avec lui.As-tu dj touch la fourrure dun loup vivant? demanda Ayla en levant les yeux vers Joharran. Tu remarqueras quelle est grossire, dit-elle en enfonant les doigts du frre de Jondalar dans les poils emmls du cou. Il est encore en train de faire sa mue, et cela le dmange. Il adore quon le gratte derrire les oreilles, continua-t-elle en lui montrant comment faire.Joharran sentit le pelage mais plus encore la chaleur de lanimal et se rappela tout coup que ctait un loup vivant. Et pourtant, cet animal se laissait volontiers toucher.Ayla observa que la main de Joharran ntait pas trop raide et quil essayait vraiment de gratter Loup lendroit indiqu.Fais-lui de nouveau renifler ta main.Joharran approcha la main du museau, puis carquilla soudain les yeux.Ce loup ma lch! sexclama-t-il sans trop savoir si cela prsageait le meilleur... ou le pire.Il vit alors le carnassier donner de petits coups de langue sur le visage dAyla, qui semblait ravie.Oui, cest trs bien, Loup, le complimenta-t-elle en lui bouriffant les poils.Elle se releva, se tapota les paules. Lanimal bondit, posa ses pattes aux endroits indiqus et, quand Ayla renversa la tte en arrire, il lui lcha le cou puis lui enserra le menton dans sa gueule avec un grognement, et cependant une grande douceur.Jondalar remarqua lexpression sidre de son frre et des autres, se rendit compte de ce que cette dmonstration damour animal pouvait avoir deffrayant pour ceux qui ne comprenaient pas. Joharran le regardait, la fois inquiet et stupfait.Quest-ce quil lui fait?Tu es sr quelle ne risque rien? demanda Folara presque en mme temps.Ayla ne risque rien, rpondit Jondalar. Il laime, il ne lui fera jamais aucun mal. Cest la faon dont les loups montrent leur affection. Il ma fallu un moment pour my habituer, et je connais Loup depuis aussi longtemps quelle... depuis lpoque o ctait un louveteau turbulent.Ce nest pas un louveteau! Cest un norme loup! scria Joharran. Le plus grand que jaie jamais vu! Il pourrait lgorger!Oui. Je lai vu gorger une femme... Une femme qui tentait de tuer Ayla. Loup la protge.Les Zelandonii qui observaient la scne poussrent un soupir de soulagement collectif quand le loup reposa les pattes avant sur le sol et se posta de nouveau prs dAyla, la gueule ouverte, la langue pendant sur le ct, les crocs dcouverts. Il avait ce que Jondalar appelait son sourire de loup, comme sil tait content de lui.Il fait a tout le temps? voulut savoir Folara. A... tout le monde?Non, rpondit Jondalar. Seulement Ayla, et moi quelquefois, quand il est particulirement heureux, et uniquement si nous ly autorisons. Il est bien lev, il ne fait de mal personne... moins quAyla ne soit en danger.Et les enfants? salarma Folara. Les loups sen prennent souvent aux jeunes et aux faibles.Loup aime les enfants, se hta dexpliquer Ayla. Il les protge, en particulier les plus petits et les plus faibles. Il a t lev avec les enfants du Camp du Lion.Il y avait au Foyer du Lion un enfant chtif et de sant fragile, enchana Jondalar. Vous auriez d les voir jouer ensemble. Loup faisait toujours trs attention.Cest une bte peu ordinaire, dit lun des Zelandonii. On a peine croire quun loup puisse se conduire... si peu comme un loup.Tu as raison, Solaban, acquiesa Jondalar. Sa conduite nous donne cette impression mais, si nous tions des loups nous-mmes, nous ne serions pas de cet avis. Il a t lev avec des humains et, daprs Ayla, il les considre comme sa meute. Il les traite comme sils taient des loups.Est-ce quil chasse? senquit lhomme que Jondalar avait appel Solaban.Oui, rpondit Ayla. Parfois il chasse seul, pour lui-mme, parfois il nous aide chasser.Comment sait-il ce quil doit chasser ou non? demanda Folara. Ces chevaux, par exemple.Les chevaux font aussi partie de sa meute, expliqua Ayla. Tu remarqueras quils nont pas peur de lui. Et il ne chasse jamais les humains. Sinon, il peut chasser ce quil veut, moins que je ne le lui interdise.Et il tobit? demanda un autre Zelandonii.Oui, Rushemar, dit Jondalar.Lhomme secoua la tte, tonn: il avait peine imaginer que quiconque puisse exercer une telle domination sur un prdateur aussi puissant.Alors, Joharran, reprit Jondalar, tu penses quon peut faire monter Ayla et Loup? Le chef rflchit puis acquiesa.Mais sil y a des difficults...Il ny en aura pas, affirma Jondalar, qui se tourna vers Ayla. Ma mre nous a invits loger chez elle. Folara vit encore avec elle mais elle a sa propre pice, de mme que Marthona et Willamar, nos parents. Il est parti faire du troc. Elle nous laissera son espace central. Bien sr, nous pouvons loger avec Zelandoni au foyer des visiteurs, si tu prfres.Je serai heureuse dhabiter chez ta mre, rpondit Ayla.Bien! Mre propose que nous attendions dtre installs pour finir les prsentations rituelles. Moi, je nai pas besoin dtre prsent, et il est inutile de rpter la mme chose chacun alors que nous pouvons le dire tous en une seule fois.Nous prvoyons dj une fte de bienvenue pour ce soir, dit Folara. Et sans doute une autre plus tard, avec toutes les Cavernes voisines.Japprcie la prvenance et la sagacit de ta mre, Jondalar. Ce sera en effet plus simple de rencontrer tout le monde en mme temps, mais tu pourrais quand mme me prsenter cette jeune femme.Folara sourit.Ctait mon intention. Ayla, voici ma sur Folara, Protge de Doni, de la Neuvime Caverne des Zelandonii ; fille de Marthona, ancienne Femme Qui Ordonne de la Neuvime Caverne; ne au foyer de Willamar, Voyageur et Matre du Troc; sur de Joharran, Homme Qui Ordonne de la Neuvime Caverne; sur de Jondalar...Impatiente den finir avec les formalits, Folara abrgea:Elle sait qui tu es, et jai dj entendu ses noms et ses liens. (Elle tendit les deux mains vers Ayla.) Au nom de Doni, la Grande Terre Mre, je te souhaite la bienvenue, Ayla des Mamuto, Amie des chevaux et des loups.La foule qui se tenait sur la terrasse rocheuse ensoleille recula vivement en voyant la femme et le loup monter le sentier avec Jondalar et le petit groupe qui les accompagnait. Parvenue sur la corniche, Ayla dcouvrit lespace de vie de la Neuvime Caverne des Zelandonii et fut tonne.Elle savait que le mot caverne ne dsignait pas un lieu mais le groupe qui y vivait, mais ce quelle voyait ntait pas une caverne comme elle limaginait. Une caverne, pour elle, ctait une cavit ou une srie de cavits, dans une paroi rocheuse ou une falaise, ou encore sous terre, avec une ouverture sur lextrieur. Lespace de vie de ces Zelandonii stendait sous une norme saillie qui avanait partir de la falaise calcaire. Ctait un abri protgeant de la pluie et de la neige mais ouvert la lumire du jour.Les hautes falaises de la rgion avaient autrefois constitu le fond dune mer disparue. Les coquilles des crustacs qui vivaient dans cette mer staient accumules sur ce fond et avaient fini par se changer en carbonate de calciumen calcaire. Au cours de certaines priodes, pour diverses raisons, certaines des coquilles avaient produit dpaisses couches de calcaire plus dures que dautres. Quand la terre avait boug et soulev le fond marin, le transformant en falaises, le vent et leau avaient rod plus facilement la pierre relativement tendre, creusant de larges espaces et laissant entre eux des saillies de pierre plus dure.Bien que les falaises fussent cribles de grottesphnomne courant pour les formations calcaires, ces saillies plutt rares constituaient des abris de pierre qui offraient des lieux de vie trs propices et avaient t utiliss comme tels pendant des milliers dannes.Jondalar entrana Ayla vers la femme mre quelle avait vue du bas du sentier. De haute taille et dun port plein de dignit, elle les attendait patiemment. Ses cheveux, plus gris que chtains, taient tresss en une longue natte enroule derrire sa tte. Ses yeux au regard direct taient gris, eux aussi. Quand ils furent devant elle, Jondalar entama les prsentations rituelles:Ayla, voici Marthona, ancienne Femme Qui Ordonne de la Neuvime Caverne des Zelandonii ; fille de Jemara; ne au foyer de Rabanar; unie Willamar, Matre du Troc de la Neuvime Caverne; mre de Joharran, Homme Qui Ordonne de la Neuvime Caverne; mre de Folara, Protge de Doni; mre de...Il faillit prononcer le nom de Thonolan, hsita puis enchana:Jondalar, Voyageur de Retour. Il se tourna vers sa mre.Marthona, voici Ayla du Camp du Lion des Mamuto, Fille du Foyer du Mammouth, Choisie par lEsprit du Lion des Cavernes, Protge par lEsprit de lOurs des Cavernes.La femme tendit les deux mains.Au nom de Doni, la Grande Terre Mre, je te souhaite la bienvenue, Ayla des Mamuto.Au nom de Mut, Grande Mre de Tous, je te salue, Marthona de la Neuvime Caverne des Zelandonii, et mre de Jondalar, dit Ayla tandis que les deux femmes se prenaient les mains.En coutant Ayla, Marthona avait t tonne par la faon trange dont elle prononait leur langue; elle avait aussi remarqu quelle la parlait bien cependant, et avait attribu cette singularit un lger dfaut dlocution, ou laccent dune langue totalement inconnue parle dans une lointaine contre. Elle sourit.Tu viens de loin, Ayla, tu as laiss derrire toi tout ce que tu connaissais et aimais. Si tu navais pas renonc tout cela, Jondalar ne serait pas de retour mes cts. Je ten suis reconnaissante. Jespre que tu te sentiras bientt chez toi ici, et je ferai tout ce que je pourrai pour taider.Ayla sentit que la femme tait sincre. Sa simplicit, sa franchise ntaient pas feintes; elle tait heureuse du retour de son fils. Ayla fut soulage et touche par la chaleur de cet accueil.Depuis que Jondalar ma parl de toi, je suis impatiente de te connatre... et un peu effraye aussi, rpondit la jeune femme avec la mme franchise.Je ne te le reproche pas. A ta place, jaurais eu moi aussi des craintes. Viens, je vais te montrer o vous pourrez laisser vos affaires. Vous devez tre fatigus et vous aimeriez srement vous reposer avant la fte de bienvenue de ce soir.Marthona les emmenait vers lespace situ sous le surplomb quand Loup se mit geindre, poussa un jappement de chiot, tira les pattes avant, larrire-train et la queue dresss en une posture joueuse.Quest-ce quil fait? stonna Jondalar.Ayla regarda Loup, surprise elle aussi. Il rpta le mange et soudain elle sourit.Je pense quil essaie dattirer lattention de Marthona. Il croit quelle ne la pas remarqu, il veut lui tre prsent.Moi aussi, je veux faire sa connaissance, dclara Marthona.Tu nas pas peur de lui! Il le sent!Jai observ, je nai vu aucun motif davoir peur.La mre de Jondalar tendit la main vers le loup, qui la renifla, la lcha, puis se remit geindre.Je crois que Loup veut que tu le touches. Il aime quon le gratte derrire les oreilles. Comme a.Ayla prit la main de Marthona, la guida.Tu aimes a, hein... Loup? Cest comme a que vous lappelez?Oui. Cest le mot mamuto pour dire loup, expliqua Ayla. Cela nous a paru le nom idal pour lui. Jondalar posa sur sa mre un regard impressionn.Jamais je ne lavais vu se lier si vite damiti avec quelquun.Moi non plus, dit Ayla en regardant Marthona gratter lanimal derrire les deux oreilles. Il est peut-tre heureux de rencontrer enfin quelquun qui na pas peur de lui.Comme ils pntraient dans lombre du surplomb, elle sentit la temprature baisser subitement. Parcourue dun frisson de peur, elle leva les yeux vers lnorme plaque qui saillait de la falaise et se demanda si elle pouvait scrouler. Mais, quand ses yeux se furent accoutums cette lumire moins vive, elle eut un autre sujet dtonnement: lespace sous labri de pierre tait immense, bien plus vaste quelle ne lavait imagin.En chemin, elle avait remarqu des surplombs semblables le long de la rivire, dont plusieurs manifestement habits, mais aucun de cette dimension. Tout le monde dans la rgion connaissait le vaste abri sous roche et le grand nombre de personnes quil accueillait. La Neuvime Caverne tait la plus grande de toutes les communauts se donnant le nom de Zelandonii.Regroupes dans la partie est de lespace protg, adosses la falaise ou plantes au milieu de la terrasse, des constructions individuelles, souvent de bonne taille, avaient t difies avec des pierres et des montants de bois couverts de peaux. Ces peaux taient dcores de dessins danimaux magnifiquement reprsents, de symboles abstraits peints en noir ou en diverses teintes clatantes de rouge, de jaune et de brun. Les habitations taient disposes suivant une courbe face louest, autour dun espace dcouvert prs du centre de la terrasse abrite, o sentassaient une multitude dobjets et de gens.En regardant plus attentivement, Ayla dcouvrit que ce quelle avait dabord pris pour un fouillis bigarr se divisait en parties consacres des tches diffrentes, les parties voisines tant souvent alloues des tches du mme ordre. Limpression initiale de dsordre et de confusion ntait due quau grand nombre dactivits quon y menait.Ayla vit des peaux mises scher sur des chssis, de longues hampes de lance quon redressait en les appuyant contre une traverse soutenue par deux poteaux. Ailleurs, on avait empil des paniers divers stades de fabrication, et des lanires schaient entre des paires de poteaux en os. De longs cheveaux de corde taient accrochs des chevilles enfonces dans des poutres, au-dessus de filets inachevs tendus sur un cadre et de filets termins formant de petits tas par terre. Des peaux, dont certaines teintes de diverses couleurs, notamment dans de nombreuses nuances de rouge, taient dcoupes prs dun autre endroit o pendaient des vtements en partie monts.Sur un autre cadre vertical, on avait tendu un grand nombre de cordes minces, qui dessinaient un motif avec les cordes quon glissait horizontalement entre elles. Ayla eut envie de sapprocher pour regarder, elle navait jamais rien vu de tel. Ailleurs, on fabriquait divers objetslouches, cuillres, bois, armesavec des morceaux de bois, de pierre, dos, dandouiller et de dfense de mammouth. La plupart taient gravs et orns parfois de dcorations peintes. Il y avait aussi de petites sculptures qui semblaient navoir aucune utilit. On les avait faonnes pour elles-mmes, ou pour quelque usage quAyla ignorait.Elle vit des herbes et des lgumes suspendus en haut dun large chssis aux nombreuses traverses et, plus prs du sol, de la viande qui schait sur des rteliers. Un peu lcart des autres activits, une zone tait parseme dclats de pierre tranchants: le domaine dhommes comme Jondalar, pensa-t-elle, des tailleurs de silex fabriquant des outils, des couteaux, des pointes de sagaie.Et partout o elle regardait, des hommes, des femmes. La communaut qui vivait sous le grand abri rocheux tait de taille loccuper. Ayla avait grandi dans un clan comptant moins de trente membres. Au Rassemblement qui se tenait tous les sept ans, deux cents personnes environ se runissaient pour une courte priode, et cela lui paraissait alors un nombre considrable. Si la Runion dt des Mamuto regroupait davantage de participants encore, la Neuvime Caverne des Zelandonii, comptant plus de deux cents individus vivant dans un mme lieu, tait plus nombreuse elle seule que le Rassemblement du Clan!Toute cette foule rappela Ayla la fois o, avec le clan de Brun, elle stait avance parmi les clans runis; et elle sentit une multitude dyeux sur elle. Elle remarqua que tous regardaient ouvertement Marthona conduire Jondalar, une jeune femme et un loup son foyer, et quaucun ne baissait ou ne dtournait les yeux. Elle se demanda si elle shabituerait vivre avec tous ces gens autour delle, tout le temps; elle se demanda mme si elle en avait envie.2Lnorme femme leva les yeux quand le rideau de cuir tendu devant lentre scarta, puis se dtourna tandis que la jeune trangre blonde sortait de la demeure de Marthona. Elle tait assise sa place habituelle, un sige taill dans un bloc de calcaire, assez solide pour supporter sa masse. Capitonn de cuir, il avait t fabriqu spcialement pour elle et se trouvait l o elle le dsirait: vers le fond de la terrasse stendant sous le surplomb rocheux, mais assez prs du centre pour quelle et vue sur presque tout lespace de vie du groupe.Elle paraissait mditer, mais ce ntait pas la premire fois quelle se plaait cet endroit pour observer discrtement une personne ou une activit. Les membres de la Neuvime Caverne avaient appris ne pas troubler ses mditations, sauf en cas durgence, surtout quand elle portait lenvers son pectoral divoire. Lorsquelle en montrait le ct dcor de symboles et danimaux gravs, tout le monde pouvait laborder, mais la face lisse et nue incitait au silence et signifiait quelle ne voulait pas tre drange.Les membres de la Caverne taient tellement habitus la voir assise l quils ne la remarquaient presque plus, malgr sa prsence imposante. Elle en profitait sans scrupules. Chef spirituel de la Neuvime Caverne des Zelandonii, elle sestimait responsable du bien-tre de son peuple et pour remplir son devoir avait recours tous les moyens que son cerveau ingnieux pouvait concevoir.Elle regarda la jeune femme quitter labri et se diriger vers le sentier qui menait la valle; elle remarqua laspect tranger de sa tunique de cuir. La doniate nota galement quelle se dplaait avec la souplesse que confrent la force et la sant, avec une assurance paradoxale chez une femme aussi jeune, exile de surcrot parmi de parfaits inconnus.Zelandoni se leva, sapprocha de la construction, lune des nombreuses demeures de diverses tailles parpilles dans labri. Devant le rabat qui sparait lhabitation prive de lespace commun, elle tapota une plaque de cuir brut, entendit un bruit de pas touff par des chausses. Le grand homme blond dune beaut stupfiante carta le rideau. Ses yeux bleus parurent surpris puis tincelrent de plaisir.Zelandoni! Comme je suis content de te voir! dit-il. Mre nest pas l pour le moment.Quest-ce qui te fait croire que je viens voir Marthona? Cest toi qui es rest absent cinq ans, rpliqua-t-elle dun ton sec. Abasourdi, il ne sut que rpondre.Alors, tu vas me laisser plante l, Jondalar?Oh... Entre, bien sr, invita-t-il, une expression soucieuse effaant son sourire.Il scarta pour la laisser passer, et ils sexaminrent un moment en silence. Quand il tait parti, elle venait de devenir Premire parmi Ceux Qui Servent la Mre; elle avait eu cinq ans pour tablir sa position et navait pas manqu de le faire. La femme quil avait connue tait maintenant obse, deux ou trois fois plus large que la plupart des autres femmes, avec des fesses et des seins volumineux. Zelandoni avait un visage rond et lisse qui surmontait un triple menton, des yeux bleus perants auxquels rien ne semblait chapper. Grande et forte depuis toujours, elle portait sa corpulence avec une grce, un maintien qui affirmaient son prestige et son autorit. Il manait delle une aura de pouvoir qui imposait le respect.Tous deux rompirent le silence en mme temps.Est-ce que je peux tapporter... commena Jondalar.Tu as chang...Pardon, sexcusa-t-il, pensant lavoir interrompue. Il se sentit gn puis remarqua lbauche dun sourire et une lueur familire dans les yeux de Zelandoni; alors il se dtendit.Je suis content de te voir... Zolena.Son sourire revint quand il posa sur elle ses yeux irrsistibles, pleins de chaleur et damour.Tu nas pas tellement chang, dit-elle, se sentant ragir au charme de Jondalar et aux souvenirs quil voquait. Cela faisait longtemps quon ne mavait appele Zolena... Si, en fait, tu as chang. Tu as mri. Tu es plus beau que jamais...Il sapprtait protester mais elle secoua la tte.Ne dis pas le contraire, tu sais que cest vrai. Mais il y a une diffrence. Tu as lair... comment dire? Tu nas plus ce regard affam, cette envie que toute femme voulait satisfaire. Je crois que tu as trouv ce que tu cherchais. Tu es heureux comme tu ne las jamais t.Je nai jamais rien pu te cacher, rpondit-il avec un plaisir presque enfantin. Cest Ayla. Nous prvoyons de nous unir aux Matrimoniales de cet t. Nous aurions pu le faire avant de partir, ou mme en chemin, mais jai prfr attendre dtre ici pour que tu passes toi-mme la lanire autour de nos poignets et que tu fasses le nud pour nous.Le simple fait de parler dAyla lavait transfigur, et Zelandoni eut une brve vision de lamour quasi obsessionnel quil prouvait pour cette femme. Cela linquita et rveilla en elle son instinct protecteur envers son peupleet tout particulirement envers cet homme, en sa qualit de porte-parole, de reprsentante et dinstrument de la Grande Terre Mre. Elle connaissait les puissantes motions contre lesquelles Jondalar avait d lutter en grandissant, et quil avait fini par apprendre matriser. Mais un amour aussi intense pouvait lui faire mal, peut-tre mme le dtruire. Elle voulut en savoir plus sur cette jeune femme qui le fascinait ce point. Savoir quelle emprise elle exerait sur lui.Comment peux-tu tre si sr que cest elle quil te faut? O las-tu rencontre? Que sais-tu delle?Jondalar perut linquitude de Zelandoni, et quelque chose dautre qui lalarma. Cette femme occupait le plus haut rang dans la Zelandonia et ntait pas Premire pour rien. Il ne fallait pas la dresser contre Ayla. Son principal souciet celui dAyla, il le savaitpendant le long et difficile Voyage avait t de savoir si elle serait ou non accepte par son peuple. Malgr les qualits exceptionnelles de la jeune femme, il prfrait garder secrtes certaines choses la concernant. Elle rencontrerait assez de difficults avec plusieurs personnes, probablement, sans risquer en plus de sattirer linimiti de cette femme. Ayla avait besoin plus que quiconque du soutien de Zelandoni.Il posa les mains sur les paules de la doniate et chercha un moyen de la persuader non seulement daccepter Ayla mais encore de laider. En la regardant droit dans les yeux, il ne put sempcher de se rappeler lamour quils avaient partag autrefois et il comprit soudain que seule une franchise absolue, aussi pnible ft-elle, lui permettrait datteindre son but.Jondalar tait un homme secret qui ne montrait rien de ses sentiments, et ainsi avait-il appris contrler ses motions. Ce ntait pas facile den parler qui que ce ft, mme quelquun qui le connaissait bien.Zelandoni... reprit-il dune voix radoucie, Zolena... Tu sais que cest toi qui mas gch pour les autres femmes. Je ntais quun jeune garon, tu tais la femme la plus excitante quun homme puisse esprer. Je ntais pas le seul me troubler, la nuit, en rvant de toi, mais tu as fait en sorte que ces rves deviennent ralit. Je brlais pour toi, et quand tu es devenue ma femme-donii, je narrivais pas me rassasier de ton corps. Le dbut de ma vie dhomme fut plein de toi, mais cela ne sest pas arrt l. Je voulais plus, et toi aussi, malgr tous tes efforts. Bien que ce ft interdit, je taimais, et tu maimais. Je taime encore. Je taimerai toujours.Mme plus tard, aprs tous les ennuis que nous avions causs tout le monde, aprs que mre meut envoy vivre avec Dalanar, personne, mon retour, na autant compt que toi, mes yeux. tendu prs dune autre femme, je te dsirais, et je dsirais plus que ton corps. Je voulais un foyer avec toi. Je me moquais de la diffrence dge, de linterdiction faite tout homme de tomber amoureux de sa femme-donii. Je voulais passer ma vie avec toi.Regarde ce que tu aurais eu, Jondalar, dit Zolena, plus mue quelle ne laurait imagin. Je ne suis pas seulement plus ge que toi, je suis si grosse que je commence avoir des difficults pour me dplacer. Jen aurais davantage si je ntais pas reste pleine de force. Tu es jeune, agrable regarder, les femmes ont envie de toi. La Mre ma choisie. Elle devait savoir que je finirais par lui ressembler. Cest fort bien pour une Zelandoni, mais dans ton foyer, je naurais t quune vieille femme obse et toi un homme jeune et beau.Crois-tu que cela ait de limportance? Zolena, jai d maventurer au-del de la Grande Rivire Mre avant de trouver une femme qui puisse se comparer toi. Tu nimagines pas comme cest loin, mais je referais le voyage... Je remercie la Mre davoir trouv Ayla. Je laime comme je taurais aime. Sois bonne pour elle, Zolena... Zelandoni. Ne lui fais pas de mal.Justement. Si elle est celle quil te faut, si elle peut se comparer moi, elle ne pourra pas te faire de mal et je ne pourrai pas lui en faire non plus... Jai besoin de le savoir, Jondalar.Ils levrent les yeux quand le rideau de lentre scarta. Ayla entra dans lhabitation avec des sacs de voyageur et vit Jondalar tenant par les paules une femme norme. Il la lcha, lair dcontenanc, honteux presque, comme sil avait t surpris en train de commettre une faute.Quy avait-il dtrange dans la faon dont Jondalar regardait cette femme? Malgr son obsit, il y avait quelque chose dattirant dans son port, et une autre facette de sa personnalit ne tarda pas se rvler quand elle se tourna vers Ayla avec une assurance qui tait signe de son autorit.Observer une expression ou une posture dans ses dtails pour en saisir le sens tait une seconde nature chez la jeune femme. Le Clanceux avec qui elle avait grandine sexprimait pas principalement avec des mots. Tous communiquaient par signes, par gestes, par des nuances dexpression ou de position corporelle. Quand elle vivait avec les Mamuto, son aptitude interprter le langage du corps avait volu; elle lui permettait de dchiffrer aussi les signes et les gestes de ceux qui utilisaient un langage parl. Ayla sut tout coup qui tait linconnue et comprit quil venait de se passer entre cette femme et Jondalar quelque chose dimportant qui la concernait. Elle sentit quelle allait affronter une preuve dcisive mais nhsita pas.Cest elle, nest-ce pas, Jondalar? dit Ayla en sapprochant.Elle quoi? rpliqua Zelandoni. Ayla soutint son regard sans ciller.Tu es celle que je dois remercier. Avant de rencontrer Jondalar, je ne comprenais pas les Dons de la Mre, en particulier le Don du Plaisir. Je navais connu que la souffrance et la colre, mais il a t doux et patient, et jai appris dcouvrir la joie. Il ma parl de la femme dont il avait t llve. Je te remercie, Zelandoni, davoir prodigu ton enseignement Jondalar pour quil puisse mouvrir au Don. Mais je te suis galement reconnaissante pour une autre chose, bien plus importante, et plus difficile pour toi. Merci davoir renonc lui pour quil puisse me trouver.Zelandoni tait sidre, sans le montrer. Les paroles dAyla ntaient pas ce quelle sattendait entendre. Les yeux rivs ceux dAyla, elle tenta de la sonder en profondeur, de percevoir ses sentiments, de saisir la vrit. La comprhension que la doniate avait du langage corporel ntait gure diffrente de celle dAyla, quoique plus intuitive. Sa capacit linterprter provenait de lobservation de dtails infimes, dune analyse instinctive, et non, comme dans le cas dAyla, de la connaissance, tendue un autre domaine, dune langue apprise ds lenfance. Pourtant, cette perception ntait pas moins fine. Zelandoni ne savait pas comment elle savait, mais elle savait.Il lui fallut un moment pour remarquer un dtail curieux. Bien que la jeune femme parlt couramment le Zelandonii elle le matrisait comme sa langue maternelle, il ne faisait aucun doute que ctait une trangre.Celle Qui Servait avait une certaine habitude des visiteurs parlant avec un accent, mais celui dAyla avait une qualit trangement exotique, diffrente de tout ce quelle avait entendu. Sa voix tait agrable, assez grave, mais un peu rauque, et elle butait sur certains sons. Zelandoni se rappela la remarque de Jondalar sur la dure de son Voyage, et une pense lui traversa lesprit: cette femme avait accept de parcourir une trs longue distance pour laccompagner chez lui.Ce fut seulement alors quelle saperut quAyla avait des traits indniablement trangers; elle seffora didentifier ce qui la rendait diffrente. Elle tait attiranteon ne pouvait attendre moins dune femme que Jondalar avait ramene chez lui. Son visage semblait un peu plus large que celui des femmes zelandonii, mais bien proportionn, avec une mchoire nettement dessine. Elle tait un rien plus grande quelle-mme, et sa chevelure dun blond assez fonc tait veine de mches claircies par le soleil. Ses yeux bleu-gris recelaient des secrets, une volont forte mais dnue de malveillance.Zelandoni opina du chef, se tourna vers Jondalar.Elle fera laffaire.Il poussa un soupir, promena son regard dune femme lautre.Comment as-tu devin que ctait Zelandoni? Vous navez pas encore t prsentes, nest-ce pas?Ce ntait pas difficile. Tu laimes encore, et elle taime.Mais... mais... comment... bredouilla-t-il.Ne sais-tu pas que jai vu ce regard dans tes yeux? Ne suis-je pas bien place pour comprendre ce quprouve une femme qui taime?Certains seraient jaloux en voyant quelquun quils aiment regarder quelquun dautre avec amour, observa Jondalar.Zelandoni souponna quil pensait lui-mme en disant certains.Elle voit un homme jeune et beau et une vieille femme obse, intervint-elle. Cest ce que verrait nimporte qui. Ton amour pour moi ne la menace pas, Jondalar. Si ta mmoire taveugle encore, je ten suis reconnaissante.Sadressant Ayla, elle poursuivit:Je ntais pas sre ton sujet. Si je sentais que tu ne lui convenais pas, je mopposerais ce que tu tunisses lui.Rien ne saurait men empcher.Tu vois? fit Zelandoni en se tournant vers Jondalar. Je tavais dit que, si elle tait digne de toi, je serais incapable de lui faire du mal.Tu pensais que Marona tait la femme quil me fallait? repartit-il avec une pointe dirritation, commenant penser quentre ces deux femmes il navait plus son mot dire. Tu nas soulev aucune objection quand je lui ai t promis.Cela ne comptait pas. Tu ne laimais pas, elle ne pouvait te faire du mal.Les deux femmes le regardaient, et, bien quelles fussent trs diffrentes, leurs expressions taient si semblables quelles donnaient limpression de se ressembler. Jondalar se mit rire.Je suis content de savoir que les deux amours de ma vie vont devenir amies. Zelandoni haussa un sourcil, lui lana un regard svre.Quest-ce qui te fait croire a? bougonna-t-elle.Mais elle se sourit elle-mme en sortant.Jondalar prouva des sentiments mls en la voyant sloigner et se rjouit cependant que cette puissante femme ft dispose accepter Ayla. Sa sur stait montre amicale envers elle, sa mre galement. Toutes les femmes qui comptaient pour lui semblaient prtes accueillir Ayla, du moins pour le moment. Sa mre avait mme dit quelle ferait tout son possible pour quAyla se sente chez elle.Le rideau de cuir de lentre scarta de nouveau et Jondalar stonna de voir entrer celle qui il tait prcisment en train de penser. Marthona portait une outrelestomac dun animal de taille moyennepleine dun liquide qui imprgnait suffisamment la membrane presque impermable pour la teindre en violet. Le visage de Jondalar sclaira dun sourire.Mre, tu as apport un peu de ton vin! Ayla, tu te rappelles le breuvage que nous avons bu avec les Sharamudo? Le vin dairelles? Maintenant, tu vas goter celui de Marthona. Elle est connue pour son vin. Quels que soient les fruits utiliss par les autres, leur jus tourne souvent laigre, mais ma mre sait comment viter cela. (Il sourit Marthona.) Peut-tre quun jour elle me rvlera son secret.Marthona lui rendit son sourire mais ne fit aucun commentaire. A son expression, Ayla comprit quelle possdait une technique bien elle et quelle savait garder les secretspas seulement les siens. Elle devait en savoir beaucoup. Il y avait une profondeur cache chez cette femme, malgr la franchise de ses propos. Et, bien quelle ft amicale et accueillante, Ayla savait que la mre de Jondalar rserverait son jugement avant de laccepter totalement.Elle pensa soudain Iza, la femme du Clan qui avait t comme une mre pour elle. Iza, elle aussi, connaissait beaucoup de secrets, et cependant, comme le reste du Clan, elle ne mentait pas. Avec un langage de gestes, des nuances exprimes par des postures et des expressions, on ne pouvait mentir. Cela se serait vu aussitt. Mais on pouvait sabstenir de parler de quelque chose. Ctait permis, dans lintrt dune certaine intimit.Ce ntait pas la premire fois quelle se souvenait du Clan depuis leur arrive. Le chef de la Neuvime Caverne, le frre de Jondalar, Joharran, lui avait rappel Brun, le chef de son clan. Pourquoi les parents de Jondalar me rappellent-ils le Clan? se demanda-t-elle.Vous devez avoir faim, dit Marthona.Oh oui! rpondit son fils. Nous navons rien mang depuis ce matin. Jtais tellement press darriver et nous tions si prs que je nai pas voulu faire halte.Si vous avez port toutes vos affaires lintrieur, asseyez-vous et reposez-vous pendant que je vous prpare manger.Marthona les conduisit vers une table de pierre, leur indiqua des coussins, leur versa chacun une coupe de liquide rouge sombre puis regarda autour delle.Je ne vois pas ton animal, Ayla. Je sais que tu las amen ici. Faut-il lui prparer un repas? Quest-ce quil mange?Je lui donne en gnral ce que nous mangeons et il chasse aussi pour se nourrir. Je lai fait venir ici pour quil sache que cest son nouveau foyer, mais la premire fois que je suis redescendue dans la valle, o sont les chevaux, il ma accompagne et a dcid de rester l-bas. Il va et vient sa guise, moins que je ne le veuille prs de moi.Comment sait-il que tu le veux prs de toi?Ayla a un sifflement spcial pour lappeler, expliqua Jondalar. Nous sifflons aussi les chevaux. (Il prit sa tasse, gota le vin, eut un soupir approbateur.) Maintenant, je sais que je suis vraiment rentr. (Il but de nouveau, ferma les yeux pour mieux savourer.) Il est fait avec quels fruits, mre?Surtout du raisin. Cest une baie ronde qui pousse en grappes sur de longues plantes grimpantes, uniquement sur les pentes protges exposes au sud, prcisa Marthona lintention dAyla. Il y a un endroit quelques heures dici, au sud-est, o je vais toujours jeter un coup dil. Certaines fois, le raisin ne pousse pas bien du tout, mais nous avons eu un hiver clment voil quelques annes, et lautomne suivant les grappes taient grosses, trs juteuses, sucres mais pas trop. Jai ajout des baies de sureau et des mres, pas trop non plus. Ce vin a t trs apprci. Il est un peu plus fort que d'habitude. Il ne men reste pas beaucoup.Ayla huma larme fruit en portant la coupe ses lvres. Le liquide avait un got aigrelet auquel elle ne sattendait pas aprs lavoir renifl. Elle retrouva la brlure de lalcool quelle avait sentie pour la premire fois avec la bire de bouleau fabrique par Talut, le chef du Camp du Lion, mais le breuvage de Marthona ressemblait davantage au jus dairelles ferment des Sharamudo, qui tait rependant plus sucr dans son souvenir.Elle navait pas aim la morsure de lalcool quand elle en avait fait lexprience pour la premire fois, mais tous, au Camp du Lion, semblaient beaucoup apprcier la bire de bouleau; alors, pour sintgrer au groupe, elle stait force en boire. Au bout dun certain temps, elle sy tait habitue, tout en souponnant les autres daimer la bire non pas tant pour son got que pour limpression forte, quoique dconcertante, quelle provoquait. En boire trop lui tournait la tte et la rendait trop amicale, mais dautres devenaient tristes ou furieux, voire violents.Ce vin-l avait cependant quelque chose en plus et Ayla pensa quelle pourrait apprendre lapprcier.Il est trs bon, dit-elle. Je nai got jamais... je nai jamais rien got de tel, se corrigea-t-elle, un peu gne.Elle se sentait laise avec le zelandonii, la premire langue parle quelle et entendue aprs avoir vcu avec le Clan. Jondalar la lui avait apprise alors quil se remettait des coups de griffe dun lion. Mme si elle prouvait encore des difficults avec certains sonsmalgr tous ses efforts, elle ne parvenait pas bien les prononcer, elle commettait rarement de telles erreurs dans lordre des mots. Elle jeta un coup dil Jondalar et Marthona, mais ils navaient apparemment rien remarqu. Elle se dtendit, regarda autour delle.Ayla tait entre et sortie plusieurs fois sans examiner la demeure de Marthona. Elle prit cette fois le temps de le faire avec attention et fut tour tour tonne et ravie. Ctait une construction intressante, semblable celles quelle avait vues dans la grotte des Losaduna, avant de traverser le glacier du haut plateau.Les deux ou trois premiers pieds des murs extrieurs taient en calcaire. Des blocs assez gros avaient t grossirement quarris et placs de chaque ct de lentre, mais les outils des Zelandonii ne permettaient pas de tailler la pierre avec habilet. Le reste des murs tait constitu de pierres brutes. Elles avaient peu prs toutes les mmes dimensionsdeux ou trois pouces de large, un peu moins en profondeur, de dix douze pouces de longueurmais des pierres plus grosses et plus petites taient ingnieusement imbriques en une structure serre.On mettait de ct des pices en forme de losange, on les classait par taille puis on les disposait cte cte dans le sens de la longueur. Les murs pais taient forms de couches superposes dans lesquelles chaque pierre se logeait dans les creux laisss par les pierres de la couche infrieure. On ajoutait parfois des petites pierres pour combler les trous, en particulier autour des gros blocs de lentre.Les pierres dessinaient un lger encorbellement, chaque couche dpassant quelque peu la prcdente. Les pierres taient choisies et disposes avec soin pour que leurs irrgularits contribuent lcoulement de lhumidit extrieure: pluie pousse lintrieur de labri par le vent, brouillard ou neige fondue.Il ne fallait ni mortier ni boue pour boucher les trous ou renforcer la structure. La rugosit du calcaire empchait les pierres de glisser; elles tenaient en place par leur propre poids et pouvaient mme accueillir une poutre de genvrier ou de chne, insre dans le mur pour soutenir dautres lments de construction ou des tagres. Les pierres simbriquaient si parfaitement quelles ne laissaient passer aucun rai de lumire et quaucune rafale de vent hivernal ny trouvait douverture. Leur disposition tait en outre agrable lil, surtout vue de lextrieur.A lintrieur, le mur coupe-vent disparaissait presque entirement derrire des panneaux de peau brutedu cuir non trait qui devenait dur et raide en schant, attachs des poteaux de bois enfoncs dans la terre battue. Ces plaques de cuir partaient du sol mais dpassaient les murs de pierre et atteignaient jusqu huit ou neuf pieds de hauteur. Leur partie suprieure tait richement dcore lextrieur. Un bon nombre des panneaux taient galement orns danimaux et de marques nigmatiques lintrieur, mais avec des couleurs moins vives. Comme la demeure de Marthona sadossait la paroi lgrement incline de la falaise, le mur du fond tait en calcaire massif.Ayla leva les yeux et ne vit pas dautre plafond que le dessous du surplomb rocheux, tout l-haut. Sauf quand des courants dair la rabattaient, la fume des feux slevait au-dessus des panneaux et drivait sous la haute saillie, laissant lair parfaitement respirable. Le surplomb protgeait les Zelandonii des intempries, et, si on shabillait de vtements chauds, les habitations pouvaient tre confortables mme par temps froid. Elles taient assez vastes et ne ressemblaient pas aux espaces exigus, ferms, faciles chauffer mais souvent enfums quAyla avait vus au cours de son voyage.Si les panneaux de cuir protgeaient du vent qui pouvait sengouffrer lintrieur de labri, ils servaient avant tout dlimiter un espace personnel et prserver une certaine intimit en protgeant les occupants sinon des oreilles du moins des regards des voisins. Certains lments suprieurs des panneaux pouvaient tre ouverts pour laisser passer la lumire ou permettre une conversation si on le souhaitait, mais, quand ils restaient ferms, la courtoisie exigeait du visiteur quil se prsente lentre et demande tre admis, au lieu dentrer sans prvenir.Baissant les yeux, Ayla dcouvrit sur le sol un assemblage de pierres. On pouvait briser les blocs calcaires des grandes falaises de la rgion en suivant les lignes de leur structure pour en dtacher de fragments plats. A lintrieur de lhabitation, le sol de terre battue tait pav de ces dalles calcaires et recouvert de nattes tresses avec de lherbe et des roseaux, ou de tapis de fourrure soyeuse.Elle ramena son attention sur la conversation de Jondalar et de sa mre. En buvant une gorge du vin, elle remarqua que sa coupe tait faite dune corne creusede bison, sans doutecoupe non loin de la pointe puisque le diamtre en tait assez rduit. Ayla souleva la coupe pour regarder en dessous: le fond tait en bois, il avait t taill pour quon puisse lenfoncer dans lembout circulaire, un peu plus petit. Elle vit sur le ct ce quelle prit dabord pour des raflures mais un examen plus attentif lui rvla la reprsentation dun cheval vu de profil, dlicatement grav.La jeune femme reposa la coupe, sintressa la plate-forme autour de laquelle ils taient assis. Ctait une mince plaque de calcaire reposant sur un cadre de bois muni de pieds, le tout maintenu par des lanires. Une natte dune fibre assez fine la recouvrait, orne de dessins suggrant des animaux, selon des lignes et des formes abstraites en plusieurs nuances dun rouge teint. Quelques coussins taient disposs autour, dont deux ou trois en cuir du mme rouge.Deux lampes de pierre taient poses sur la table. Lune, magnifiquement sculpte, avait la forme dune boule creuse munie dune poigne dcore; lautre se rduisait une cuvette grossire, taille au centre dun bloc de calcaire. Toutes deux contenaient du suifde la graisse animale quon avait fait fondre dans de leau bouillanteet des mches, deux pour la lampe grossire, trois pour lautre. Ayla eut limpression que la lampe inacheve avait t fabrique depuis peu, pour donner un peu plus de lumire vers le fond de labri, et naurait quun usage temporaire.Lespace intrieur, divis en quatre parties par des cloisons mobiles, tait bien rang, clair par plusieurs autres lampes de pierre. Les cloisons de sparation, pour la plupart dcores, taient elles aussi constitues de cadres de bois, tendus pour certains de panneaux opaques, gnralement en cuir brut. Quelques-uns, translucides, taient faits dintestins de gros animaux, dcoups, drouls et sches plat.A lextrmit gauche du mur du fond, formant un angle avec un panneau extrieur, elle avisa une cloison particulirement belle qui semblait constitue de cette matire quon pouvait dtacher en larges plaques du ct intrieur des peaux danimaux si on les laissait scher sans les racler. On y avait dessin, en noir et en diverses nuances de jaune et de rouge, un cheval ainsi que des formes nigmatiques composes de lignes, de points et de carrs. Ayla se souvint que, lors des crmonies, le Mamut du Camp du Lion utilisait un cran semblable, mais dont les animaux taient uniquement peints en noir. Fabriqu avec la peau intrieure dun mammouth blanc, il reprsentait ses yeux son bien le plus sacr.Sur le sol, devant la cloison, on avait tendu une fourrure gristre dans laquelle Ayla reconnut une peau de cheval avec son pais pelage dhiver. La lueur dun petit feu provenant sans doute dune niche creuse dans le mur, derrire, clairait la cloison en mettant en valeur ses dcorations.Des tagres en plaques de calcaire plus minces que les dalles du sol et disposes intervalles irrguliers sur le mur de pierre, droite de la cloison, supportaient divers objets et ustensiles. Ayla distingua des formes vagues par terre, sous ltagre la plus basse, l o linclinaison du mur tait la plus forte et laissait un peu despace libre. Elle identifia sans peine lusage dun grand nombre dustensiles, mais certains taient sculpts et peints avec une telle habilet quils constituaient aussi des objets de beaut.A droite des tagres, une cloison en cuir, perpendiculaire au mur de pierre, dlimitait un coin et le dbut dune autre pice. Les cloisons ne faisaient que symboliser la sparation des salles. Par une ouverture, Ayla vit une plate-forme surleve, couverte de fourrures. Une pice dormir, pensa-t-elle. Une seconde pice dormir tait dlimite par des cloisons qui la sparaient la fois de la prcdente et de la salle dans laquelle ils se tenaient.Lentre de lhabitation avait t mnage dans les panneaux de cuir monts sur bois, face au mur de pierre. Devant les pices dormir, se trouvait une quatrime salle, o Marthona prparait manger. Contre le mur de lentre, des tagres de bois permettaient de ranger des paniers, des bols, des botes superbement dcores de formes gomtriques et de reprsentations ralistes danimaux, peintes, sculptes ou tresses. Par terre, prs du mur, Ayla apercevait de grands rcipients, certains ferms par un couvercle, dautres rvlant leur contenu: lgumes, fruits, crales, viande sche.Lhabitation comportait quatre cts qui dessinaient un rectangle approximatif, encore que les murs extrieurs ne fussent pas droits ni les espaces intrieurs tout fait symtriques. Ils sincurvaient pour suivre les contours de la terrasse et laisser de la place aux autres constructions.Tu as apport des changements, mre, remarqua Jondalar. Cela me parat plus grand que dans mon souvenir.Cest plus grand, confirma Marthona. Nous ne sommes plus que trois, maintenant Folara dort l... (Elle indiqua la seconde pice dormir.) Willamar et moi avons lautre pice. (Elle tendit le bras vers la pice au mur de pierre.) Ayla et toi, vous utiliserez la pice principale. On peut rapprocher la table du mur pour gagner de la place et installer une plate-forme, si vous voulez.Aux yeux dAyla, la demeure de Marthona tait trs spacieuse, bien plus grande que les espaces de vie individuels de chaque foyerchaque familledans la hutte semi-souterraine du Camp du Lion, moins vaste cependant que la grotte de la valle o elle avait vcu seule. Mais, la diffrence de cette dernire, la hutte des Mamuto ntait pas une formation naturelle; les habitants du Camp du Lion lavaient fabrique eux-mmes.Son attention fut attire par la cloison qui sparait lespace cuire de la pice principale. Elle tait plie en son milieu, et Ayla se rendit compte quelle tait compose de deux crans translucides, relis de manire originale. Les perches de bois qui constituaient lintrieur du cadre et les pieds des deux panneaux taient fichs dans des rondelles en corne de bison creuse. Ces anneaux formaient, en haut et en bas, une sorte de gond qui permettait de replier lcran double. Ayla se demanda si dautres cloisons avaient t fabriques de la mme faon.Curieuse de voir comment il tait install, elle regarda lintrieur de lespace cuire. Marthona tait agenouille sur une natte prs dun foyer entour de pierres. Alentour, on avait balay les dalles du sol. Derrire la mre de Jondalar, dans un coin sombre clair par une seule lampe de pierre, dautres tagres supportaient des coupes, des bols, des plats et des ustensiles. Ayla remarqua des herbes et des lgumes sches suspendus aux traverses dun cadre de bois. Sur une plate-forme, prs de ltre, Marthona avait dispos des bols, des paniers et un grand plat de viande frache coupe en petits morceaux.La jeune femme se demanda si elle devait proposer son aide, mais elle ne savait pas o les choses taient ranges ni ce que Marthona prparait. Elle laurait plutt gne quaide. Il vaut mieux attendre, dcida-t-elle.Elle regarda Marthona embrocher la viande sur quatre btons pointus et les placer au-dessus de braises rouges, entre deux pierres creuses dencoches. Puis, avec une louche taille dans une corne de bouquetin, elle versa dans des bols de bois le liquide contenu dans un panier tress serr. A laide de pinces flexibles, constitues dun bois souple recourb en U, elle enleva deux pierres lisses du panier cuire, en ajouta une brlante, tire du feu, puis apporta les deux bols Ayla et Jondalar.Ayla remarqua les globes de petits oignons et autres bulbes dans le riche bouillon, et saperut quelle mourait de faim, mais elle attendit pour voir comment procdait Jondalar. Il prit son couteau manger, une petite lame de silex pointue sertie dans un manche en bois de cerf, piqua un bulbe. Il le porta sa bouche, mastiqua un moment puis avala une gorge de bouillon. Ayla fit de mme.Dlicieux, le bouillon avait un got de viande, mais il ny avait pas de viande: rien que des lgumes, un mlange dherbes au got inhabituel pour le palais dAyla, et une chose quelle narrivait pas identifier. Cela ltonnait car elle parvenait presque toujours reconnatre les ingrdients dun plat. Marthona ne tarda pas leur apporter la viande, rtie sur les btonnets, et qui avait elle aussi un got inhabituel et dlicieux. Ayla eut envie de demander ce que ctait mais tint sa langue.Tu ne manges pas, mre? dit Jondalar en piquant un autre morceau de lgume.Folara et moi avons mang plus tt. Jai prpar beaucoup de nourriture, je mattends toujours au retour de Willamar. Je nai eu qu rchauffer le bouillon et faire cuire la viande daurochs marine dans le vin.Cest donc cela, le got, pensa Ayla, qui but une autre gorge du liquide rouge. Il y en avait aussi dans le bouillon.Quand Willamar doit-il rentrer? demanda Jondalar. Je suis impatient de le voir.Bientt. Il est parti faire du troc aux Grandes Eaux de louest, pour rapporter du sel et tout ce quil pourra obtenir, mais il sait que nous devons nous rendre la Runion dt. Il sera de retour avant. A moins que quelque chose le retarde. Je lattends dun moment lautre.Laduni des Losaduna ma dit que les siens font du troc avec une Caverne qui extrait du sel dune montagne. On lappelle la Montagne de Sel.Une montagne de sel? Jignorais quon trouvait du sel dans les montagnes. Je crois que tu as beaucoup dhistoires raconter et que personne ne saura dmler le vrai du faux.Jondalar sourit mais Ayla eut la nette impression que sa mre doutait, sans lexprimer clairement, de ce quil venait de dire.Je ne lai pas vue moi-mme mais je pense que cest vrai, rpondit-il. En tout cas, ils ont du sel, et ils vivent trs loin dune eau sale. Sils avaient d faire un long voyage pour se le procurer, ils nen auraient pas t aussi prodigues.Le sourire de Jondalar slargit, comme sil venait de penser quelque chose de drle.A propos de long voyage, jai un message pour toi, mre, de la part de quelquun que nous avons rencontr en chemin, quelquun que tu connais.Dalanar? Jerika?Eux aussi ont un message pour toi. Ils seront la Runion dt. Dalanar essaiera de persuader un jeune Zelandonii de rentrer avec eux. La Premire Caverne des Lanzadonii grandit. Je ne serais pas surpris quils en fondent bientt une deuxime.Il ne devrait pas tre difficile de trouver quelquun, commenta Marthona. Ce serait pour cette personne un grand honneur. tre le Premier, le Premier et le seul Lanzadonii.Comme ils nont encore personne Qui Serve la Mre, Dalanar veut que Joplaya et Echozar sunissent aux Matrimoniales des Zelandonii, poursuivit Jondalar.Un pli barra le front de Marthona.Ta proche cousine est une belle jeune femme. Singulire mais belle. Aucun jeune homme ne peut dtacher ses yeux delle quand elle vient aux Runions des Zelandonii. Pourquoi choisirait-elle Echozar alors quelle peut avoir nimporte quel homme?Non, pas nimporte quel homme, objecta Ayla.Marthona se tourna vers elle, remarqua la lueur farouche, dfensive de son regard. La jeune femme rougit et dtourna les yeux.Elle ma dit quelle ne trouverait jamais un homme qui laimerait autant quEchozar, ajouta-t-elle.Tu as raison, Ayla, dit Marthona. Il y a des hommes quelle ne peut pas avoir. (Elle glissa un bref coup dil son fils.) Mais Joplaya et Echozar me semblent... mal assortis. Elle est dune beaut stupfiante, et lui... et lui pas. Nanmoins lapparence nest pas tout; quelquefois mme, elle ne compte pas pour grand-chose, et Echozar me donne limpression dun homme gentil et affectueux.Bien que Marthona ne let pas vraiment dit, Ayla savait que la mre de Jondalar avait vite saisi la raison du choix de Joplaya: la proche cousine de Jondalar, fille de la compagne de Dalanar, aimait un homme quelle ne pourrait jamais avoir. Comme personne dautre ne comptait pour elle, elle stait rabattue sur le seul dont elle savait quil laimait. Ayla comprit que Marthona ntait pas trop contrarie, en ralit. La mre de Jondalar aimait les belles choses et il lui semblait logique quune belle femme sunisse un homme qui lgalait en ce domaine, mais elle avait conscience que la beaut du caractre comptait davantage.Jondalar ne parut pas remarquer la lgre tension entre les deux femmes, occup quil tait se rappeler les mots exacts quon lavait pri de rpter sa mre, de la part dune personne dont Marthona navait jamais mentionn le nom devant lui.Le message que jai pour toi ne vient pas des Lanzadonii. Pendant notre Voyage, nous avons vcu avec un autre peuple, plus longtemps que je ne lavais prvu, dailleurs, mais cest une autre histoire. Le jour de notre dpart, Celle Qui Sert la Mre ma dit: Lorsque tu verras Marthona, dis-lui que Bodoa lui envoie ses amitis.Jondalar avait espr susciter une raction chez sa mre, si digne et si matresse delle-mme, en prononant un nom appartenant au pass. Il y voyait une plaisanterie anodine dans leur petit jeu de sous-entendus, dallusions voiles, et il ne sattendait certes pas ce quil provoqua. Marthona carquilla les yeux et blmit.Bodoa! O Grande Mre! Bodoa?La main sur la poitrine, elle semblait prouver des difficults respirer.Mre! a va? dit Jondalar, se levant dun bond. Je suis dsol, je ne voulais pas te causer un tel choc. Est-ce que je dois aller chercher Zelandoni?Non, non, a va, le rassura Marthona, qui prit une longue inspiration. Mais jai t stupfaite: je pensais ne plus jamais entendre ce nom. Je ne savais mme pas quelle tait encore en vie. Tu... tu las bien connue?Elle ma racont quelle et toi aviez failli contracter une double union avec Joconan, mais elle exagrait peut-tre, ou ne se souvenait plus trs bien. Comment se fait-il que tu naies jamais mentionn son nom?Ayla lana son compagnon un regard interrogateur: elle ignorait quil navait pas tout fait cru les propos de la SArmuna.Son souvenir tait trop douloureux, rpondit Marthona. Bodoa tait comme une sur. Jaurais t heureuse de cette double union mais notre Zelandoni sest prononce contre, en arguant quon avait promis loncle de Bodoa quelle retournerait l-bas aprs sa formation. Tu dis quelle est maintenant Celle Qui Sert? Alors, il valait peut-tre mieux quelle parte, finalement, mais elle tait furieuse, lpoque. Je lai supplie dattendre le changement de saison pour tenter de traverser le glacier mais elle na pas voulu mcouter. Je suis heureuse dapprendre quelle a survcu, et contente de savoir quelle menvoie ses amitis. Tu penses quelle tait sincre?Jen suis sr, mre. Elle ntait pas oblige de rentrer, en fait. Son oncle avait dj quitt ce monde, sa mre aussi. Elle est devenue SArmuna, mais sa colre la conduite faire mauvais usage de son tat. Elle a aid une crature cruelle devenir Femme Qui Ordonne, sans savoir quel degr de vilenie cette Attaroa sabaisserait. SArmuna rachte ses fautes, maintenant. Je crois quelle a accompli sa tche en aidant sa Caverne surmonter les annes difficiles, mais elle devra peut-tre en assumer la responsabilit en attendant que quelquun dautre en soit capable, comme tu las fait, mre. Bodoa est une femme remarquable, elle a mme dcouvert un moyen de transformer la boue en pierre.La boue en pierre? Jondalar, tu parles comme un conteur! Comment puis-je te croire si tu racontes de telles sornettes?Crois-moi, je dis la vrit. Je ne suis pas devenu un conteur qui va de Caverne en Caverne, enjolivant histoires et lgendes pour les rendre plus captivantes... Jai fait un long Voyage, jai vu beaucoup de choses.Jondalar glissa un regard Ayla avant de poursuivre:Si tu ne lavais vu de tes yeux, aurais-tu cru quun humain peut monter sur un cheval ou gagner lamiti dun loup? Jai dautres choses te dire que tu trouveras difficiles croire, et certaines choses te montrer qui te feront douter de tes propres yeux.Trs bien, tu mas convaincue. Je ne mettrai plus tes propos en doute... mme si jai du mal les croire.Sur ce, Marthona sourit, avec un charme espigle quAyla ne lui connaissait pas. Un instant, elle parut plus jeune dune dizaine dannes, et Ayla comprit de qui Jondalar tenait son sourire.Marthona prit sa coupe de vin, la vida lentement puis encouragea le jeune couple finir de manger. Quand ils eurent termin, elle dbarrassa les bols et les btonnets, donna Jondalar une peau souple et humide pour quil essuie leurs couteaux manger avant de les ranger, puis leur resservit boire.Tu es rest longtemps parti, dit-elle son fils. (Ayla eut le sentiment quelle choisissait ses mots avec soin.) Je comprends que tu dois avoir beaucoup dhistoires raconter sur ton Voyage. Toi aussi, Ayla. Il vous faudra du temps pour les raconter toutes, et jespre que vous comptez rester... un moment. (Elle lana Jondalar un regard appuy.) Tu peux rester ici aussi longtemps que tu le voudras, mais ce lieu te semblera peut-tre trop petit pour nous tous... aprs un certain temps. Tu souhaiteras peut-tre tinstaller dans un endroit toi... pas trop loin... plus tard...Oui, mre, rpondit Jondalar avec un sourire clatant. Ne crains rien, je ne repartirai pas. Je suis chez moi. Jai... nous avons lintention de rester, moins que quelquun y voie une objection. Est-ce cela que tu veux entendre? Ayla et moi ne sommes pas encore unis mais nous le serons bientt. Jen ai dj parl Zelandoni, elle est passe juste avant que tu ne reviennes avec le vin. Jai prfr attendre dtre ici pour que ce soit elle qui noue la lanire autour de nos poignets aux Matrimoniales de cet t. Je suis las de voyager, conclut-il.Marthona sourit de bonheur.Ce serait merveilleux de voir un enfant natre dans ton foyer, peut-tre mme de ton esprit, Jondalar.Se tournant vers Ayla, il dclara:Je le pense aussi.Marthona esprait avoir correctement interprt ce que son fils sous-entendait mais ne posa pas de question. Ctait lui de faire lannonce. Elle aurait prfr quil ne se perde pas en subtilits pour une question aussi importante que lventualit dune naissance.Tu seras sans doute heureuse dapprendre que Thonolan a laiss un fils de son esprit, sinon de son foyer, dans au moins une Caverne, peut-tre plus. Une Losaduna nomme Filonia, qui lavait trouv plaisant, sest aperue peu aprs notre arrive quelle tait enceinte. Elle a maintenant un compagnon et deux enfants. Laduna ma racont que, lorsque le bruit sest rpandu quelle tait grosse, tous les Losaduna en ge de sunir ont trouv une raison de lui rendre visite. Elle a fait son choix, mais son premier enfant, une fille, elle la appele Thonolia. Jai vu la fillette. Elle ressemble beaucoup Folara quand elle tait petite... Dommage quils habitent si loin, et de lautre ct dun glacier. La distance est longue, encore que, sur le chemin du retour, elle mait paru courte aprs mon interminable Voyage.Il sinterrompit, pensif, puis reprit:Je nai jamais trop aim voyager. Je ne serais pas all aussi loin si je navais eu Thonolan pour compagnon...Il remarqua tout coup lexpression de sa mre et se rendant compte quil parlait de son frre, cessa de sourire.Thonolan est n au foyer de Willamar, dit-elle, et aussi de son esprit, jen suis sre. Il ne tenait jamais en place, mme quand il tait bb. Il voyage encore?Ayla nota nouveau le caractre indirect des questions que Marthona posait ou, parfois, sous-entendait. Elle se souvint que Jondalar avait toujours t un peu dconcert par la curiosit sans dtour des Mamuto, et eut une soudaine rvlation. Ceux qui se donnaient le nom de Chasseurs de Mammouths, ceux qui lavaient adopte et dont elle avait appris les usages, taient diffrents du peuple de Jondalar. Bien que, pour le Clan, tous ceux qui ressemblaient Ayla fussent les Autres, les Zelandonii diffraient des Mamuto, et dans dautres domaines que la langue. Elle aurait assimiler les usages des Zelandonii si elle voulait trouver sa place chez eux.Jondalar prit sa respiration et se rendit compte que le moment tait venu de parler sa mre de Thonolan.Je suis dsol, mre. Thonolan voyage maintenant dans le Monde dAprs, murmura-t-il en lui prenant les mains.Les yeux clairs de Marthona montrrent la profondeur du chagrin quelle prouvait davoir perdu son plus jeune fils, et ses paules parurent saffaisser sous un lourd fardeau. Elle avait dj subi la perte dtres chers, mais jamais celle dun enfant. Ctait plus dur encore, lui semblait-il, de perdre quelquun qui aurait d avoir toute la vie devant lui. Elle ferma les yeux, tenta de matriser son motion puis redressa les paules et regarda le fils qui tait revenu auprs delle.Tu tais avec lui?Oui, rpondit-il, sentant de nouveau sa peine. Un lion des cavernes... Thonolan la suivi dans un dfil... Jai essay de len dissuader mais il ne ma pas cout.Jondalar luttait pour rester matre de lui, et Ayla se rappela la nuit o elle avait tenu contre elle et berc comme un enfant cet inconnu accabl de douleur. Elle ne connaissait mme pas sa langue, mais les mots ne sont pas ncessaires pour comprendre le chagrin. Tendant la main, elle lui toucha le bras afin de lui faire savoir quelle tait l pour le soutenir, sans simmiscer dans ce moment entre mre et fils. Marthona remarqua que le geste dAyla paraissait aider Jondalar. Il prit de nouveau une longue inspiration.Jai quelque chose pour toi, mre, annona-t-il. Il se leva, alla chercher son sac de voyageur, en tira un premier paquet puis, aprs rflexion, un second.Thonolan avait trouv une femme et il tait tomb amoureux. Ctait une Sharamudo, un peuple qui vit prs de lembouchure de la Grande Rivire Mre, l o elle est si large que lon comprend pourquoi elle tire son nom de la Grande Mre. Les Sharamudo sont en fait deux peuples. La moiti shamudo vit sur terre et chasse le chamois dans les montagnes; les Ramudo vivent sur leau et pchent lesturgeon gant dans la rivire. En hiver, les Ramudo rejoignent les Shamudo, chaque famille dun groupe tant lie une famille de lautre, comme dans une union. On dirait deux peuples diffrents mais leurs liens troits en font les deux moitis dun mme peuple.Jondalar prouvait des difficults expliquer cette culture unique et complexe.Thonolan aimait tellement cette femme quil tait prt vivre avec les siens. Il est devenu shamudo en sunissant Jetamio.Quel beau nom! dit Marthona.Elle tait belle. Tu laurais aime.tait?Elle est morte en tentant de donner vie un enfant qui aurait t le fils du foyer de Thonolan. Il na pas support de la perdre. Je crois quil a voulu la suivre dans le Monde dAprs.Lui qui tait toujours si heureux si insouciant...Je sais, mais la mort de Jetamio la transform. Il ntait plus insouciant mais dune folle imprudence. Comme il ne voulait plus rester chez les Sharamudo, jai tent de le convaincre de rentrer avec moi, mais il a insist pour aller vers lest. Je ne pouvais le laisser partir seul. Les Ramudo nous ont donn une de leurs piroguesils fabriquent des bateaux extraordinaireset nous avons descendu le courant, mais nous avons tout perdu dans le delta de la Grande Rivire Mre, l o elle se jette dans la mer de Beran. Jai t bless, Thonolan a failli tre englouti par des sables mouvants; un camp de Mamuto nous a secourus.Cest l que tu as rencontr Ayla?Jondalar jeta un coup dil la jeune femme, revint sa mre.Non, rpondit-il... Aprs que nous avons quitt le Camp du Saule, Thonolan a dclar quil voulait remonter vers le nord avec les Mamuto pour chasser le mammouth pendant leur Runion dt, mais je ne sais pas sil en avait vraiment envie. Ctait uniquement pour continuer voyager.Jondalar ferma les yeux, soupira, reprit le fil de son histoire:Nous traquions un cerf, ce jour-l, et nous ne savions pas quune lionne le chassait aussi. Elle a bondi au moment mme o nous lancions nos sagaies. Nos sagaies sont arrives les premires mais la lionne a emport le cerf. Thonolan a dcid de le rcuprer: il tait lui, disait-il, pas elle. Je lui ai conseill de ne pas se battre avec une lionne et de lui abandonner lanimal, mais il a insist pour la suivre jusqu sa tanire. Nous avons attendu un moment et, quand la lionne est partie, Thonolan est entr dans le dfil pour prlever sa part de viande. Or la lionne avait un compagnon qui nentendait pas nous laisser le cerf. Le lion a tu Thonolan et ma bless grivement.Tu as t bless par un lion?Sans Ayla, je serais mort. Elle ma sauv la vie. Elle ma tir des griffes de ce lion et elle a soign mes blessures. Elle est gurisseuse.Marthona regarda la jeune femme puis son fils avec tonnement.Elle ta tir des griffes du lion?Whinney ma aide, et je naurais rien pu faire si Jondalar avait t attaqu par un autre lion que celui-l, expliqua Ayla.Jondalar devina la perplexit de sa mre et craignit que ces explications ne rendent lhistoire encore moins plausible.Tu as vu comme Loup et les chevaux lcoutent...Tu ne veux pas me faire croire que...Dis-lui, Ayla.Ctait un lion que javais recueilli quand il tait tout petit, commena la jeune femme. Il avait t pitin par des cerfs et sa mre lavait laiss pour mort. Il ltait presque. Moi, je les chassais, les cerfs, jessayais den faire tomber un dans ma trappe. Jai russi. En retournant ma valle, jai trouv le lionceau, et je lai ramen aussi. Whinney ntait pas trs contente, lodeur de lion leffrayait, mais je suis parvenue ramener le cerf et le petit lion ma grotte. Je lai soign, il a guri, et comme il tait encore trop jeune pour se dbrouiller seul, jai d lui servir de mre. Whinney a appris elle aussi soccuper de lui... (Un souvenir la fit sourire.) Ctait si drle de les voir ensemble quand il tait petit...Marthona regarda Ayla et eut une rvlation.Cest ainsi que tu fais? Pour le loup? Pour les chevaux? Ce fut au tour dAyla dtre tonne: personne navait encore fait le lien aussi rapidement.Bien sr! sexclama-t-elle, ravie que Marthona comprenne. Cest ce que jessaie dexpliquer tout le monde. Si tu prends un animal trs jeune, si tu le nourris, si tu llves comme ton propre enfant, il sattache toi, et toi lui. Le lion qui a tu Thonolan et bless Jondalar tait celui que javais recueilli. Il tait comme un fils pour moi.Mais il tait devenu adulte? Il vivait avec une lionne? Comment as-tu russi lui arracher Jondalar? questionna Marthona, encore incrdule.Nous avions lhabitude de chasser ensemble, le lion et moi. Quand il tait petit, je partageais avec lui le gibier que javais tu, et plus tard, devenu grand, il me donnait une part de sa chasse. Il faisait toujours ce que je lui demandais. Jtais sa mre. Les lions coutent leur mre.Je ne comprends pas non plus, avoua Jondalar, voyant lexpression de Marthona. Ctait le plus gros lion que jaie jamais rencontr, mais Ayla la arrt net alors quil allait me bondir dessus une seconde fois. Je lai vue souvent monter sur son dos. Tous les Mamuto prsents la Runion dt ont vu Ayla sur ce lion. Je lai vue de mes yeux, et jai encore du mal le croire.Je regrette seulement de ne pas avoir pu sauver Thonolan, dit Ayla. Jai entendu un homme crier, mais, le temps que jarrive sur les lieux, Thonolan tait dj mort.Ces mots replongrent Marthona dans son affliction, et ils demeurrent silencieux, enferms tous les trois dans leurs propres sentiments.Je suis heureuse quil ait trouv quelquun aimer, murmura-t-elle au bout dun moment. Jondalar prit le premier paquet quil avait tir de son sac.Le jour o Thonolan et Jetamio se sont unis, il ma dit que tu savais quil ne reviendrait pas, et il ma fait promettre de retourner ici un jour. Et de te rapporter quelque chose de beau, comme Willamar le fait toujours. Quand Ayla et moi sommes repasss chez les Sharamudo, sur le chemin du retour, Roshario ma donn ceci pour toi. Cest elle qui a lev Jetamio aprs la mort de sa mre. Elle a dit que Jetamio y tait trs attache, dit-il en tendant le paquet sa mre.Marthona rompit la corde noue autour de la peau de chamois et crut dabord que cette peau, si souple, si belle, tait le cadeau, mais quand elle louvrit, elle eut le souffle coup en dcouvrant un collier superbe. Il tait fait de dents de chamois, de canine de jeunes animaux, dun blanc parfait, perces a la racine, disposes par ordre de taille, symtriquement, et spares par des morceaux darte centrale de petit esturgeon, avec au milieu un pendentif de nacre en forme de bateau.Il reprsente le peuple que Thonolan avait choisi de rejoindre: les Sharamudo, leurs deux cts. Le chamois de la terre pour les Shamudo, lesturgeon de la rivire pour les Ramudo, et le bateau pour les deux. Roshario tenait ce que tu possdes quelque chose qui avait appartenu la femme choisie par Thonolan.Des larmes que Marthona ne pouvait retenir roulrent sur ses joues tandis quelle contemplait le magnifique cadeau.Jondalar, quest-ce qui lui faisait croire que je savais quil ne reviendrait pas?Quand nous sommes partis, tu lui as dit Bon Voyage, pas Jusqu ton retour. Une nouvelle crue inonda les yeux de Marthona et dborda.Il avait raison. Je ne pensais pas quil reviendrait. Javais beau me raconter le contraire, jtais sre que je ne le reverrais jamais. Et quand jai appris que tu partais avec lui, jai cru que javais perdu deux fils. Je suis triste que Thonolan ne soit pas revenu avec toi, mais en mme temps si heureuse que toi au moins tu sois rentr...Ayla ne put elle non plus contenir ses larmes en voyant la mre et le fils streindre. Elle comprenait maintenant pourquoi Jondalar ne pouvait rester avec les Sharamudo alors que Tholie et Markeno le pressaient de le faire. Elle savait ce que ctait que de perdre un fils. Elle avait devin quelle ne reverrait jamais le sien, mais si elle avait su comment il allait, ce qui lui tait arriv, quel genre de vie il menait, elle aurait t contente.Le rideau de cuir de lentre se releva.Devinez qui est l! scria Folara en se prcipitant lintrieur. Elle tait suivie, plus calmement, par Willamar.3Marthona se leva en toute hte pour accueillir lhomme qui venait dentrer et le serra contre elle avec chaleur.Je vois que ton gant de fils est revenu! sexclama-t-il. Je naurais jamais cru quil deviendrait un tel voyageur. Jai entendu tellement de choses au sujet de ce quil a rapport que je pense quil aurait d faire du troc au lieu de tailler le silex.Willamar se dbarrassa de son sac et donna laccolade Jondalar.Tu nas pas rapetiss, ce que je vois, dit-il avec un grand sourire, parcourant du regard les six pieds six pouces de lhomme aux cheveux blonds.Jondalar lui rendit son sourire. Ctait toujours ainsi que Willamar le saluait: par une plaisanterie sur sa taille. Mesurant lui-mme plus de six pieds, Willamarqui avait t lhomme de leur foyer tout autant que Dalanarne faisait pas prcisment figure de nabot, mais Jondalar tait aussi grand que lhomme qui Marthona tait unie lorsquil tait n, avant quils ne rompent le lien.O est ton autre fils, Marthona? demanda Willamar, toujours souriant.Il remarqua alors le visage mouill de larmes de sa compagne et prit conscience de sa dtresse. Lorsquil vit la mme douleur dans les yeux de Jondalar, son sourire seffaa.Thonolan voyage maintenant dans le Monde dAprs, murmura Jondalar. Je disais justement ma mre... Il vit le Matre du Troc plir, vaciller comme sous leffet dun coup.Mais... mais il ne peut pas tre dans le Monde dAprs, balbutia-t-il, hbt. Il est trop jeune. Il na pas encore trouv une femme avec qui fonder un foyer. (Sa voix devenait plus aigu chaque phrase.) Il... il nest pas encore revenu chez les siens.Cette dernire objection tait presque un gmissement plaintif.Willamar avait toujours eu beaucoup de tendresse pour les enfants de Marthona, mais, quand ils staient unis, Joharran, lenfant quelle avait donn au foyer de Joconan, tait presque en ge de rencontrer sa femme-donii, presque un homme. Leurs rapports se plaaient sur le plan de lamiti. Et, mme si Willamar stait pris daffection pour Jondalar, qui ttait encore, Thonolan et Folara taient les vritables enfants de son foyer. Il tait convaincu que Thonolan tait aussi le fils de son esprit parce que lenfant lui ressemblait maints gards; en particulier, il aimait voyager et cherchait toujours dcouvrir de nouveaux endroits. Il savait quau fond de son cur Marthona avait craint, quand Thonolan tait parti, de ne plus le revoir, mais il ny avait vu que les apprhensions naturelles dune mre. Willamar stait persuad que Thonolan reviendrait, comme lui-mme lavait toujours fait.Il semblait abasourdi, sous le choc. Marthona lui versa une coupe du liquide rouge tandis que Jondalar et Folara le faisaient sasseoir sur lun des coussins, prs de la table de pierre.Bois un peu de vin, lui conseilla Marthona en sinstallant ct de lui.Il prit la coupe et la vida, sans donner limpression de savoir ce quil faisait, puis regarda fixement devant lui.Ayla aurait voulu laider. Elle songea aller chercher son sac remdes pour lui prparer un breuvage apaisant, mais il ne la connaissait pas, et il recevait dj les meilleurs soins possibles en pareille circonstance: lattention de ceux qui laimaient. Elle se demanda ce quelle prouverait si elle apprenait soudain la mort de Durc. Elle savait quelle ne le reverrait jamais, mais elle pouvait au moins limaginer grandissant, avec Uba pour laimer et veiller sur lui.Thonolan avait trouv une femme aimer, dit Marthona pour rconforter Willamar. Jondalar ma apport un objet qui lui appartenait. Elle prit le collier pour le lui montrer mais il continuait fixer le vide, indiffrent ce qui lentourait. Il eut un frisson, ferma les yeux. Au bout dun moment, il parut se rendre compte que Marthona lui avait parl et se tourna vers elle.Ce collier appartenait la compagne de Thonolan, dit-elle en le lui tendant. Il reprsente son peuple, qui vit prs dune rivire... la Grande Rivire Mre.Alors, il est all jusque l-bas, fit Willamar dune voix creuse.Plus loin, mme, dit Jondalar. Nous avons descendu la rivire jusqu la mer de Beran, et nous avons continu au-del encore. Thonolan voulait aller vers le nord pour chasser le mammouth avec les Mamuto.Willamar tourna les yeux vers lui avec une expression attriste et perdue, comme sil ne comprenait pas tout fait ce quon lui disait.Jai aussi quelque chose qui appartenait Thonolan, continua Jondalar en prenant lautre paquet sur la table. Cest Markeno qui me la remis. Il tait son compagnon crois, membre de sa famille ramudo.Il ouvrit le paquet envelopp de cuir souple et montra Willamar et Marthona un outil fabriqu avec une ramure de cerfune sorte dlan dont on avait coup les branches au-dessus de la premire fourche. Un trou dun pouce et demi de diamtre tait perc juste en dessous. Ctait le redresseur de sagaie de Thonolan.Il connaissait en effet lart de courber le bois, en gnral aprs lavoir chauff avec des pierres brlantes ou de la vapeur. Loutil assurait une meilleure matrise quand on exerait une pression pour redresser les hampes tordues afin que les sagaies volent droit. Il tait particulirement utile prs de lextrmit dune lance, l o la main navait pas prise. En passant cette extrmit dans le trou, on bnficiait dun effet de levier qui permettait de la redresser. Bien quappel redresseur, loutil servait aussi plier du bois pour fabriquer des raquettes, des pinces, ou nimporte quel objet en bois courb.Son manche, solide et long dun pied, tait orn de symboles, danimaux et de plantes de printemps. Ces gravures reprsentaient beaucoup de choses selon le contexte; elles taient toujours plus complexes quelles ne le paraissaient. Toutes ces images honoraient la Grande Terre Mre et, en un sens, servaient ce quElle permette aux esprits des animaux dtre attirs par les sagaies redresses avec cet outil. Elles comportaient aussi un aspect mystique et sotrique, car ces gravures ntaient pas de simples reprsentations; mais Jondalar savait que son frre les avait aimes pour leur seule beaut.Le regard de Willamar fut attir par la ramure de cerf perce. Il tendit la main pour la prendre en disant:Ctait Thonolan?Oui, confirma Marthona. Tu te rappelles quil a courb du bois avec cet