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gestion | juridique OptionBio | Mardi 25 mars 2008 | n°397 24 À l’horizon 2030, selon les projections de la Drees (Direction de la recherche, de l’éva- luation, des études et des statistiques), la densité devrait passer de 16,6 biologistes à 13 pour 100 000 habitants. Cette évolution serait consécutive à deux phénomènes : le vieillisse- ment des biologistes (l’âge moyen : 48 ans), et la féminisation de la profession (actuellement près de 50 % des biologistes sont des femmes). Panaroma de la biologie libérale en France En moins de 10 ans, la SEL (société d’exercice libéral) est devenue la structure de droit commun car elle permet notamment une exploitation multi- site, une mutualisation des fonctions comme la gestion du personnel, la réalisation d’investisse- ments plus importants, la création d’un réseau de laboratoires et l’entrée au capital de personnes morales. Cependant, cette montée en puissance des SEL (plus d’un laboratoire sur deux) n’a qu’un impact faible sur la restructuration quantitative des laboratoires, dont la densité reste la plus éle- vée d’Europe (3 fois supérieure à la moyenne). Au passage, il est à noter que si la moyenne nationale du chiffre d’affaires d’un laboratoire d’analyses de biologie médicale (LABM) est de 1 million d’euros, près de 70 % des laboratoires se placent en dessous. Cette atomisation a une explication historique. En effet, un laboratoire, à l’origine, était forcément de proximité du fait d’un encadrement juridique et économique très protecteur – un exercice très règlementé : locaux, matériel, personnel, accès à la profession ; – une situation de monopole d’exercice : prélè- vements, interdiction des tests extérieurs (home tests et doctor’s tests) ; – des transmissions très cadrées : interdic- tion de ramassage, interdiction de centre de prélèvements ; – une réglementation des structures d’exercice garantissant une indépendance professionnelle et la propriété de l’outil de travail. À ce cadre protecteur, a toujours été associée une forte “inertie d’évolution”, de part l’absence de décisions politiques, voire l’absence de réponses aux propositions faites par la profession. Une concentration inéluctable Pression des pouvoirs publics Cette pression s’exerce au regard de constats, tant d’un point de vue économique que d’un point de vue qualité, notamment en se basant sur le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Le point de vue économique prend en compte la croissance structurelle du marché, une producti- vité accrue du fait de la forte automatisation des LABM et la prospérité du secteur. La croissance du marché de la biologie médicale, qui “pèse” environ 6,5 milliards d’euros, s’explique notamment par le vieillissement de la population générale, la montée des pathologies de type obésité, allergie, etc., et le renforcement de la politique de prévention. À ceci s’ajoute la comparaison intra-européenne et la notion que la biologie française est la plus coûteuse, même si cette notion ne repose aujourd’hui sur aucune étude comparative vali- dée. Dans ce contexte, la pression des instances gouvernementales s’exprime par une politique volontariste de maîtrise des dépenses de biologie (révision du codage des actes biologiques NABM – nomenclature des actes de biologie médicale –, projet de financement forfaitaire à la pathologie, etc.), une politique incitative aux regroupements, sur un fond d’échecs des tentatives de régulation concertée. En matière de qualité, et bien que certains points du rapport de l’Igas puissent être discutés, la poli- tique pour l’avenir de la profession va dans le sens d’un renforcement du dispositif obligatoi- re : notamment la possibilité d’une accréditation obligatoire sous un délai de 5 ans, une autorisa- tion générale de fonctionnement limitée dans le temps et un renforcement du pouvoir des tutelles dans le cadre du contrôle de la qualité. Là encore, la mise en place effective de ces mesures ira dans le sens d’une concentration inéluctable des laboratoires. Pression européenne En janvier 2001, la Cour de justice européenne considère que la France fait entrave aux principes de liberté d’établissement et de libre prestation de service (articles 43 et 49 du Traité constitutionnel européen). La Cour conteste l’obligation d’avoir son siège d’exploitation en France et rejette le refus de remboursement des frais d’analyses réa- lisées par un laboratoire de l’Union européenne. La France avait alors justifié du bien-fondé de sa réglementation en faisant prévaloir de la garantie d’indépendance de l’exercice. Compte tenu des réglementations en vigueur dans les autres États membres, cet argumentaire n’étant pas jugé suf- fisant et finalement, en mars 2004, la France fut Le laboratoire d’analyses de biologie médicale en France n’a plus aujourd’hui son cadre juridique et économique très protecteur d’origine. Sous les pressions, qu’elles soient à l’échelle nationale ou européenne, des restructurations s’imposent, mais pour quel bénéfice ? Les biologistes en chiffres • Les biologistes en France sont au nom- bre de 10 500 environ. Les pharmaciens biologistes représentent entre 75 et 80 % de cet effectif, et environ 5 300 exercent en libéral. • Les ressortissants de l’Union euro- péenne étaient de 70 en 1997 ; ils sont actuellement au nombre de 113. Les regroupements des laboratoires favorisent-ils le risque de dérégulation ? Les formes d’exploitation en chiffres • En métropole, on compte un peu plus de 4 200 laboratoires d’analyses de biologie médicale. • Près de 55 % de ces laboratoires sont en SEL (2 300 environ contre 660 en 1997) ; 25 % sont en nom propre ; un peu plus de 10 % sont en SCP.

Les regroupements des laboratoires favorisent-ils le risque de dérégulation ?

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OptionBio | Mardi 25 mars 2008 | n°39724

À l’horizon 2030, selon les projections de la Drees (Direction de la recherche, de l’éva-luation, des études et des statistiques),

la densité devrait passer de 16,6 biologistes à 13 pour 100 000 habitants. Cette évolution serait consécutive à deux phénomènes : le vieillisse-ment des biologistes (l’âge moyen : 48 ans), et la féminisation de la profession (actuellement près de 50 % des biologistes sont des femmes).

Panaroma de la biologie libérale en FranceEn moins de 10 ans, la SEL (société d’exercice libéral) est devenue la structure de droit commun car elle permet notamment une exploitation multi-site, une mutualisation des fonctions comme la gestion du personnel, la réalisation d’investisse-ments plus importants, la création d’un réseau de laboratoires et l’entrée au capital de personnes morales. Cependant, cette montée en puissance des SEL (plus d’un laboratoire sur deux) n’a qu’un impact faible sur la restructuration quantitative des laboratoires, dont la densité reste la plus éle-vée d’Europe (3 fois supérieure à la moyenne). Au passage, il est à noter que si la moyenne nationale du chiffre d’affaires d’un laboratoire d’analyses de biologie médicale (LABM) est de 1 million d’euros, près de 70 % des laboratoires se placent en dessous.Cette atomisation a une explication historique. En effet, un laboratoire, à l’origine, était forcément de

proximité du fait d’un encadrement juridique et économique très protecteur – un exercice très règlementé : locaux, matériel, personnel, accès à la profession ;– une situation de monopole d’exercice : prélè-vements, interdiction des tests extérieurs (home tests et doctor’s tests) ;– des transmissions très cadrées : interdic-tion de ramassage, interdiction de centre de prélèvements ;– une réglementation des structures d’exercice garantissant une indépendance professionnelle et la propriété de l’outil de travail.À ce cadre protecteur, a toujours été associée une forte “inertie d’évolution”, de part l’absence de décisions politiques, voire l’absence de réponses aux propositions faites par la profession.

Une concentration inéluctablePression des pouvoirs publicsCette pression s’exerce au regard de constats, tant d’un point de vue économique que d’un point de vue qualité, notamment en se basant sur le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).Le point de vue économique prend en compte la croissance structurelle du marché, une producti-vité accrue du fait de la forte automatisation des LABM et la prospérité du secteur. La croissance du marché de la biologie médicale, qui “pèse” environ 6,5 milliards d’euros, s’explique notamment par le vieillissement de la population générale, la montée des pathologies de type obésité, allergie, etc., et le renforcement de la politique de prévention.À ceci s’ajoute la comparaison intra-européenne et la notion que la biologie française est la plus coûteuse, même si cette notion ne repose aujourd’hui sur aucune étude comparative vali-dée. Dans ce contexte, la pression des instances gouvernementales s’exprime par une politique volontariste de maîtrise des dépenses de biologie (révision du codage des actes biologiques NABM – nomenclature des actes de biologie médicale –,

projet de financement forfaitaire à la pathologie, etc.), une politique incitative aux regroupements, sur un fond d’échecs des tentatives de régulation concertée.En matière de qualité, et bien que certains points du rapport de l’Igas puissent être discutés, la poli-tique pour l’avenir de la profession va dans le sens d’un renforcement du dispositif obligatoi-re : notamment la possibilité d’une accréditation obligatoire sous un délai de 5 ans, une autorisa-tion générale de fonctionnement limitée dans le temps et un renforcement du pouvoir des tutelles dans le cadre du contrôle de la qualité. Là encore, la mise en place effective de ces mesures ira dans le sens d’une concentration inéluctable des laboratoires.

Pression européenneEn janvier 2001, la Cour de justice européenne considère que la France fait entrave aux principes de liberté d’établissement et de libre prestation de service (articles 43 et 49 du Traité constitutionnel européen). La Cour conteste l’obligation d’avoir son siège d’exploitation en France et rejette le refus de remboursement des frais d’analyses réa-lisées par un laboratoire de l’Union européenne. La France avait alors justifié du bien-fondé de sa réglementation en faisant prévaloir de la garantie d’indépendance de l’exercice. Compte tenu des réglementations en vigueur dans les autres États membres, cet argumentaire n’étant pas jugé suf-fisant et finalement, en mars 2004, la France fut

Le laboratoire d’analyses de biologie médicale en France n’a plus aujourd’hui son cadre juridique et économique très protecteur d’origine. Sous les pressions, qu’elles soient à l’échelle nationale ou européenne, des restructurations s’imposent, mais pour quel bénéfice ?

Les biologistes en chiffres• Les biologistes en France sont au nom-

bre de 10 500 environ. Les pharmaciens

biologistes représentent entre 75 et

80 % de cet effectif, et environ 5 300

exercent en libéral.

• Les ressortissants de l’Union euro-

péenne étaient de 70 en 1997 ; ils sont

actuellement au nombre de 113.

Les regroupements des laboratoires favorisent-ils le risque de dérégulation ?

Les formes d’exploitation en chiffres

• En métropole, on compte un peu plus de

4 200 laboratoires d’analyses de biologie

médicale.

• Près de 55 % de ces laboratoires sont

en SEL (2 300 environ contre 660 en

1997) ; 25 % sont en nom propre ; un

peu plus de 10 % sont en SCP.

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condamnée. Celle-ci intègre alors les réformes dans le cadre de la loi de finances de la Sécurité sociale de 2006 et définit alors les conditions autorisant les laboratoires à opérer en France, ainsi qu’une commission ad hoc pour étudier les demandes.Des demandes sont actuellement en cours et, sous réserve d’obtenir cette autorisation, ces laboratoi-res des États membres pourront donc “ramasser” des analyses, installer des centres de prélèvement sur le territoire français et être remboursés par la Caisse d’assurance maladie nationale.Toutefois, en avril 2006, la Commission euro-péenne a considéré que le système français restait encore trop contraignant et a adressé un nouvel avis motivé pour non-exécution de l’arrêt rendu par la Cour de justice.

Quelle forme de regroupement ?Les lois successives de Murcef et Dutreil-Jacob ont apporté un certain nombre d’outils juridiques

de concentration. Et l’on voit aujourd’hui des mon-tages allant de l’utilisation de sociétés financières (holdings) professionnelles françaises, c’est-à-dire une évolution dans un cadre maîtrisé, à l’utilisation de sociétés financières étrangères, c’est-à-dire évoluant vers une dérégulation de l’actionnariat. Aussi, dans le contexte de dérégulation actuel, tout laisse à penser que l’enjeu n’est pas la détention du capital et des droits économiques mais l’exer-cice du pouvoir, sans perdre de vue que si le rôle intellectuel du biologiste ne trouve (ou ne retrouve) pas sa place, la biologie court le risque de ne plus être considérée comme un acte médical. |

ROSE-MARIE LEBLANC

consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

SourceCommunication de Catherine Aigle, juriste du cabinet Rivière (avocats de Lyon), lors des 12es Journées de biologie d’Aquitaine, Arcachon, juin 2007.