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PUBL I CAT I ONS DE LA FACULTÉ DES LETTRESET SCIENCES HUMAINES DENICE 1989 Jorge Luis BORGES Les Références d e l ' ombre Jordi BONELLS Association desPublications denice Diffusion LesBellesLettres

Les références de l'ombre : Jorge Luis Borges

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Page 1: Les références de l'ombre : Jorge Luis Borges

PUBLICATIONS DE LA FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DE NICE

1989

Jorge Luis BORGES

Les Références

d e l'ombre

Jordi BONELLS

Association des Publications de nice Diffusion Les Belles Lettres

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LES REFERENCES DE L'OMBRE : JORGE LUIS BORGES

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PUBLICATIONS DE LA FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DE NICE

Directeur: Antoine THIVEL

ADMINISTRATION

Faculté des Lettres 98, boulevard Edouard Herriot - 06200 NICE France

IMPRESSION

Faculté des Lettres Jean-Claude CHARLET

DIFFUSION

Société d'Edition "Les Belles Lettres" 95, boulevard Raspaill - 75006 PARIS

C.C.P. 336-57 P Paris

© Jordi Bonells - Association des Publications, 1989.

"La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les "copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective" et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, "toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le contentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite" (alinéa 1er de l'article 40)."

"Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal."

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La critique peut être considérée comme une entreprise d'éclaircissement, voire même de vérité. Ce texte sur le texte aurait pour fonction de mieux nous aider à pénétrer dans l'oeuvre, de nous conduire toujours au plus près du sens, quelque soit le "sens" que nous donnions à ce terme.

En lisant Jorge Luis Borges, aussi bien ses écrits "critiques", que ses textes littéraires, nous ressentons l'inquiétude de celui qui se sent "pris", et qui ne peut échapper à cette emprise qu'en abandonnant sa tâche : le lire c'est s'y perdre.

Ainsi, nous nous trouvons devant une impasse : ou bien nous acceptons l'égarement, et toute parole extérieure au texte nous est interdite ; ou bien nous balisons notre parcours pour éviter notre perte, et alors toute parole nous semble vaine. C'est que l'oeuvre de Borges interdit tout regard "critique" qui ne soit autorisé par l'oeuvre elle- même. Dès lors, tout ce qu'on en dira sera automatiquement nié par elle, l'est dèjà avant même que nous puissions en dire quoi que ce soit, et n'a d'autre portée que celle, aléatoire, de notre propre autorité, dénoncée comme non pertinente par l'objet que nous cherchons à nous approprier. Que faire ? Car si nous acceptons sa grille critique comme étant la seule grille possible, nous risquons de ne pouvoir rien dire d'autre qui ne soit déjà dit par l'oeuvre elle même, rendant inutile, parce que redondante, toute parole sur sa parole... Mais ne feignons pas plus de désarroi qu'il n'y en a. Car si Borges semble disqualifier toute entreprise d'éclaircissement, il revendique, au contraire, les entreprises d'obscurcissement. La seule critique possible est celle qui conduit à plus d'incertitude, à plus de mystère : au lieu de nous rapprocher d'un sens qui serait contenu univoquement dans l'oeuvre, elle devrait nous en éloigner, en dévoilant, justement, la dimension équivoque de sa multiplicité de sens.

Lire c'est donc, pour Borges, recréer une magie, celle qui est déjà contenue dans les mots qui composent le livre. Le monde de l'art est celui de l'oscillation, de l'indétermination. Tout ce que l'auteur sait sur son oeuvre est contenu en elle. Ni lui, ni le lecteur ne peuvent aller au- delà de ce savoir. Le premier trace un labyrinthe de sable, sur lequel une infinitude de parcours peuvent être suivis, chacun d'eux étant identique et différent à n'importe quel autre parcours. Mais le labyrinthe, lui, reste indifférent à tout effort, car il sait que nul ne pourra atteindre le centre, puisque le centre est partout.

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Peut-on, dès lors, appliquer à Borges ses propres critères de lecture? Pouvons-nous tenir le pari de porter sur Borges un regard borgésien ? Certainement, mais à condition de considérer avec Meinong, a qui Borges renvoie souvent, qu'il y a des objets mentaux dont la référence est la propre représentation.

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PARCOURS DE L'OBSCURITE

On ne parcourt pas l'oeuvre de Jorge Luis Borges sans que les sillons qu'elle trace s'enfoncent, chaque fois plus profondément, en nous-mêmes. On n'en sort pas indemne. Car, par delà le labyrinthe ludique du récit ou du poème, surgit toujours, d'une manière obsédante et répétitive, la même question : quelle est la nature du fait littéraire, du fait poétique ? ou, ce qui pour Borges revient au même, quelle est la nature de notre propre identité ? Double face d'une seule et unique interrogation à laquelle il donne toujours une même réponse, sous forme de certitude et d'énigme, qui n'est pas faite pour nous tranquilliser : la question de la nature renvoie à celle de l'origine. Il faut, nous dit Borges, que la littérature retourne à l'obscurité dont elle est issue, que chaque oeuvre se veuille et soit retour vers cette origine fondatrice, concluant, à chaque fois, l'aventure littéraire initiée par Homère. Chaque écrivain, chaque poète, se doit de conclure la littérature en se concluant lui-même comme oeuvre.

Toute la démarche de Borges, en tant qu'écrivain, semble guidée par cette tension du retour sur soi, du cycle conclu et toujours à conclure, du cercle fermé sur lui-même et toujours se fermant : l'écriture n'est que cela, ne peut être que cela. L'écrivain s'écrit en écrivant, sa trajectoire individuelle se confond avec celle de son oeuvre :

"...ce que l'écrivain laisse derrière lui, ce n'est pas ce qu'il a écrit mais sa propre image"

Comme dans l'eucharistie, le poète est celui par qui le miracle a lieu. Encore faut-il voir comment, car chaque oeuvre, contenant et mettant en jeu toute la littérature, est quête d'une origine et en même temps quête de sa propre fin (finalité et conclusion).

1 Cf. Conversations avec J. L. Borges à l'occasion de son 80 anniversaire, présentées par Willis Barnstone, Ed. Ramsay, Paris, 1984, p. 93.

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Si Borges nous subjugue et nous inquiète, c'est parce qu'il semble aller jusqu'au bout de son attitude, en établissant une étroite solidarité entre vie et écriture : puisqu' Homère est celui par qui l'aventure commence, puisqu'il a été voulu aveugle par ceux qui lui ont donné vie, toute écriture ne peut être que retour vers l'obscur, y compris comme cécité. On se rappelle la phrase de Matisse, "si tu veux être peintre, commence par te couper la langue" ; Borges dirait, au contraire, "si tu veux être écrivain, commence par te crever les yeux". Nous trouverons toujours chez lui, cette présence de l'obscurité, comme réalisation inéluctable du destin, comme expression de cette jonction entre l'individu et l'écrivain. Il le rappellera, d'ailleurs, en faisant souvent état de la triple filiation qui est la seule à pouvoir expliquer ce qu'il est devenu lui-même comme oeuvre :

° familiale : sa grand-mère paternelle, son père et lui-même ont plongé, assez tôt, dans la cécité ;

° professionnelle : José Mármol, Paul Groussac et Jorge Luis Borges, les trois directeurs de la Bibliothèque Nationale et les trois aveugles ;

° littéraire : il se complait à rappeler le parallèle entre l'obscurité d'Homère, celle de Milton ou de Joyce et la sienne.

Borges veut être - parce qu'il ne peut pas échapper à ce vouloir - maillon d'une chaîne, moment d'une répétition infinie. "Pas un seul fait qui ne puisse être le premier d'une série infinie", pas un seul homme, pas une seule oeuvre qui ne soit répétition de la première oeuvre, du premier homme. Il prend appui en cela sur Emerson, Valery ou Shelley, qui signalaient la probabilité d'un seul livre, d'un seul écrivain La différence, la pluralité sont une fiction, un mirage, une erreur. C'est ce que les habitants de ce monde idéal qu'est Tlön savaient :

1 Cf. La cifra, Alianza Ed. , Madrid, 1981, p. 60. Sauf indication contraire, les traductions sont de nous.

2 Cf. Otras inquisiciones, 1952, in Obras Completas (O.C.), Ultramar, Buenos Aires, 1977, pp. 639 et ss.

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"toutes les oeuvres sont issues d'un même auteur, atemporel et anonyme".

Bref, être écrivain aveugle comme décision pour ne pas subir le poids écrasant de la détermination. L'inéluctable devient chez Borges volonté. Il ne peut être que ce qu'il est et, par conséquent, il vaux mieux que le destin devienne acte délibéré. Le savoir se transforme donc en vouloir, en accomplissement guidé d'une destinée :

"Je me suis toujours considéré comme un écrivain, même avant d'écrire. Disons plutôt que, même en n' ayant encore rien écrit, je savais que je le ferais... J'ai toujours su que mon destin était dans la littérature... .

Destin qu' il accomplit comme un héritage, puisque c'est son père qui devait, en premier, le réaliser :

Dès mon enfance, quand mon père devint aveugle, il fut tacitement convenu que je devais accomplir la destinée littéraire que les circonstances lui avaient refusée. C'était quelque chose qui allait de soi (et ces choses-là sont bien plus importantes que celles qui sont simplement exprimées).

Il en va de même avec sa cécité. Malicieusement, il rappellera que l'accident à l'origine de son infirmité, surviendra la même année que la mort de son père, en 1938 ; sorte de clin d'oeil du destin à un moment où, de toutes manières, son cheminement vers l'obscur - Borges était déjà atteint d'une très forte myopie -, ne faisait plus de doute pour lui :

1 Cf. Ficciones, 1944, in O. C., op. cit., p. 439. 2 Cf. R. Burgin, Conversation avec J. L. Borges, Gallimard, Paris, 1972, p. 21.

3 Cf. Livre de Préfaces, suivi de Essai d'autobiographie, Gallimard, Paris, 1980, pp. 240-241.

4 Ibid. p. 273. Cf. aussi E. R. Moncgal, J. L. Borges, biographie littéraire, Gallimard, Paris, 1983, pp. 372-78.

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"Là où nous avons à la fois l'obscurité et la lumière, nous avons aussi l'inextricable", écrivait Samuel Beckett. Si la lumière réside dans l'ineffable, l'œuvre de l'Argentin Jorge Luis Borges nous mène au plus profond de cette quête permanente d'un sens qui n'a que la nuit comme issue. L'écrivain est porteur d'une tension nocturne qui ne trouve sa réalisation que dans l'écriture. Le travail critique ne peut consister qu'à se nier en tant que tel, à la recherche, non de la clarté, mais de cette obscurité qui mène à l'origine de ce qu'est l'œuvre - une origine que Jorge Luis Borges met en scène dans une incessante répétition. C'est pas à pas que l'on s'efforce ici de saisir un parcours qui ne mène nulle part, car il est justement le lieu où naît la littérature.

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