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LES ROMANS DE LA CORSE

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LESROMANSDELACORSE

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AngèlePaoliPaul-FrançoisPaoli

LesRomansdelaCorse

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de gravures représentant les paysages corses, l’expressionpercutantede«Corsicamania»pourtraduirelegoûtimmodérédesescompatriotespourlaCorse.

LesBritanniquesnesontpaslesseulsàéprouverunintérêtpour la Corse. Au sein de l’Europe germanophone, la Corsecompte aussi de nombreux adeptes. Parmi les voyageurs-écrivains les plus importants figure Ferdinand Gregorovius(1821-1891), originairedeNeidenburg, enPrusse-Orientale, etauteur d’une Histoire des Corses. L’ouvrage connut un telsuccès que l’imprimeur bastiais Ollagnier décida de publierl’œuvre complète de l’auteur, dont le célèbreCorsica (1854),qui relate lesmoments importants de son séjour en Corse, en1852.Envoiciunextrait:

«Quedecharmesonticilespromenadesdusoiretdumatinsurlerivage!Enfaisantquelquespasàpeineonsetrouveprèsdugrandélémentoudanslesmontagnes,làcommeiciséparédumonde,aumilieud’unebienfaisantesolitudedelanature. Au bord de la mer s’élèvent des bois touffusd’oliviers.Souventjem’ycouchaisauprèsd’untombeaudefamille (un petitmonument avec une coupolemoresque), etentouréd’unsilenceravissant,jeregardaispar-delàlesflotsles trois îles à l’horizon. Partout où l’on tourne les yeuxrègnentuncalmeetunrecueillementsolennels:desombresfalaises, couvertes de cactus épineux, des tours solitaires,riensurlesvagues,nullepartunhomme,unoiseau,àdroiteet à gauche de hautes montagnes inondées d’une chaudelumière.[…]Lecalmed’unegrandenatureinitienotreâmecommeàdesaintsmystères.JevoyaisàgauchelecouventdeSaint-Antoine au milieu des oliviers et des cyprès, deuxmoines assis devant le portique et des femmes, couvertesd’unvoilenoir,sortantdel’église;etcettescènefitrevivre

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en moi le souvenir d’un tableau représentant l’heure desvêpresenSicile.»

AprèsGregorovius,dont leCorsica est aujourd’hui encoreun ouvrage de référence pour les touristes germaniques,nombreux sont les scientifiques qui continuent à se rendre enCorse pour y concrétiser leurs recherches. Terra incognita, laCorse offre aux chercheurs une terre vierge à explorer et àexploiter.Entomologistes-collectionneurs de lépidoptères et decoléoptères, botanistes, médecins spécialisés dans lethermalisme,géologues,minéralogistes,zoologues…sillonnentl’île.Lesunsàlarecherched’espècesendémiques,lesautresàla recherche de roches rares ou d’eaux thermales aux vertusinsoupçonnées. La liste serait incomplète si l’on omettait designaler curistes, randonneurs et alpinistes, pêcheurs etchasseurs,peintresetartistes,sansoublier lesethnologuesquefascinent les bandits, les voceratrice et les signadore, lesconfrériesetlesritesmagiques.

Lesvillégiaturesd’étéetd’hiver,enmontagneetauborddemer, connaissent un développement considérable. Le tourismeprendsonessor.

C’est,semble-t-il,en1905qu’apparaîtpourlapremièrefoisl’expression«îledebeauté».Souslaplumed’uncertainHenriHaguet,auteurd’unVoyageàl’îledebeauté.L’expressionplaît.Elle circule. L’Ajaccien Sylvestre Frasseto s’en empare, quidonne le nomde «Corsica-île-de-beauté » à la fédération dessyndicats d’initiative de la Corse, dont il est le président-fondateur.«CorseîledeBeauté»s’imposeauxyeuxdumondecommeuneévidence.LaCorsepossèdedésormaislamarquequilacaractérise.AumêmetitrequeledrapeauàtêtedeMaurequiflotte,emblématique,au-dessusdesvillages.

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ThéodoredeNeuhoff,unroicorseduSiècledesLumières

Outre Jean-Jacques Rousseau et James Boswell, d’autresbelles figures contribuent à tirer l’île de l’ombre et àdépoussiérer les jugements sévères dont elle a fait l’objet.Ainsidel’éphémèremonarqueThéodoredeNeuhoff,dontunmanuscrit de la bibliothèque Méjanes, à Aix-en-Provence,livreleportrait:« Il était baron de Newoff en Allemagne, d’un espritsupérieur et entreprenant, sçavait [sic] plusieurs langues,montrait beaucoup de valeur, et de courage, bien faitd’ailleurs, poli et d’un maintien sérieux mais trop violentdanssesrésolutions.»Originaire de Westphalie, aventurier épris de révolution,«sincèrementattachéauxidéesdesLumières»,ThéodoredeNeuhofftentedes’imposercommechefdelarébellioncorsecontre Gênes. De leur côté, les Corses, désespérés de lasituation qui est la leur et de l’état d’asservissement danslequelilssonttenusparlaRépubliquedeGênes,voientdansl’arrivée de ce personnage « une faveur céleste » et enThéodoredeNeuhoff«unenvoyéduciel».SébastienCosta,grandchancelierduroideCorseThéodoredeNeuhoff,écritdanssesMémoires:« Pour moi, je le crois un nouveau Moïse, c’est-à-dire lelibérateurd’unpeuplenonmoinsesclavequelepeuplejuif;libérateur envoyé du Ciel, car, dans une situation aussidésespéréequelanôtreaujourd’hui,personned’autrequelecielnepouvaitnousdélivrer.Bref, jeconsidère l’arrivéedeThéodore dans les circonstances présentes comme unmiracleduCiel.»

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Lestoursgénoises

DèsledébutduXVIesiècle,en1505,laCorsetombesouslescoupsdesTurcs.Pourfairefrontàlamenace,laRépubliquedeGênesmetaupointunsystèmededéfense,latorregiana.«Enseptembre1531,l’OfficedeSaint-Georges1dépêcheenCorsedeuxcommissairesextraordinairesavecpourmissiondeconstruireouderéparerdesfortificationsafinderésisterauxbarbaresques:l’unestunCalvo,l’autreunDoria.Auvudeleurrapport,l’Officedécide,le17avril1532,d’éleverenCorsedestourslittorales.»2Sur 500 kilomètres de rivage s’échelonnent les tours. Ellescernent l’île d’un cordondedéfense commeautant de traitsd’union reliant les quatre citadelles de Bastia, de Calvi,d’Ajaccio et de Bonifacio. Elles communiquent entre ellespardes feux, selonun langagecodifié.«Un feuau sommetd’unedecestourssignifiait:lamerestlibre;deuxfeux:unnavire seprésente à l’horizon ; trois feux :deuxnavires.»3Lespremiersédificesontétéconstruitsàpartirde1510;lesderniersédificeslefurentautourde1620.«Enquinzeans,de1560 à 1575, vingt de ces petites forteresses furentconstruiteset,àlafindusièclesuivant,quatre-vingtsd’entreelless’érigeaientdanslacraintedel’envahisseur.»«Undocument, daté du 29 août 1617, dresse un inventairedétaillé de ces édifices construits sur le littoral.D’ungrandintérêt, cette pièce officielle fait apparaître le statut dechacunedes88 tours recensées.»Laconstructiondes toursétait financée par les populations autochtones (impôt sur lesel, par exemple) ou par certaines corporations. Ainsi,ponctuant l’extrémité du Cap Corse, la tour de la Giraglia,probablement la plus coûteuse de l’île, a-t-elle été financée

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parlestaxesprélevéessurletransportmaritimedesvins.Ces tours sont riches d’enseignement, tant sur le plan del’Histoirequedel’artmilitaired’uneépoque.«L’architecturedecestoursestunremarquabletémoignagedusavoir-fairegénoisenmatièred’architecturemilitaire.Onpeut apprécier les linteaux des portes et des fenêtres, lesvoûtes ou coupoles, les marches d’escaliers ou encore lesencorbellements.»4De formecylindriquepour laplupartd’entreelles, les tourss’élèvent surdeuxétages.D’unehauteurde12à18mètres,ellesontundiamètrede10mètresàlabase.Lepremierétagesert de logement aux torregiani, gardiens de la tour. Lesecondabritel’artillerie.Uneseuleouverture,donnantsurlerivage, était pratiquée dans l’épaisseur de la muraille. Onaccédait à l’intérieur de la tour par une échelle mobile.Essentiellement défensives, les tours communiquaient entreellesparunsystèmedefeuxdontlenombrevariaitselonqu’ily avait ou nondanger à l’horizon.Elles assuraient aussi unrôle économique, faisant office de grenier à victuailles. Laplupartd’entreellesabritaientaussiuneciterne.Bâtiesàl’intérieurdesvillages,oudisperséesdanslemaquis,les tours carrées, plus anciennes, servaient d’habitation auseigneur du lieu. Elles pouvaient également accueillir lapopulation,encasdedanger.Tomino, petit village haut perché sur un éperon rocheux duCap Corse offre l’exemple de deux tours, proches l’une del’autre, l’une ronde, l’autre carrée. La première, à vocationdéfensive, surveillait la mer, communiquait avec les tourslittoralesdesalentoursetservaitderefugeencasdedanger.Lasecondeaservid’hôpitalmilitaireauXVIIIesiècle.Malgré les efforts mis en place pour protéger l’île et sa

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population, nombre de villages firent l’objet de razziasincessantes entre 1530 et 1570.Les habitants, contraints dese replier vers l’intérieur des terres, construisirent desmaisons serrées lesunes contre les autres, en retrait surdesnids d’aigle, contraignant la population à se tourner versl’élevagedesbêtes.

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généralPaolietàl’idéedeNationcorse,continuentdevoueràl’Étatdominantetàsalangue,unehaineféroce,indéracinable.L’extrait tiré deLaMaison des Viale en est un bon exemple.Cettehainerestesouventancréedanslecœuretdansl’espritdecertains insulaires. Pour s’en convaincre, relire à cet égardl’article«Altercolonialistes»,extraitduVaeVictisetautrestirscollatérauxdeMarcoBiancarelli:

« Si la France était simplement la France, et pas “laRépublique”, leproblèmecorseseraitd’uneclartéabsolue:qu’est-cequelaFranceestvenuefoutreenCorse?Quil’aappelée?Aunomdequoiunpeuplepeut-ilencoloniserunautre et lui imposer sa culture et sa langue ? Pourquoi ledroit des peuples n’est-il pas respecté par la France enCorse ? Mais voilà, la France ça n’est pas la France, laFrancec’est“laRépublique”.»

Suit une longue diatribe au cours de laquelle l’auteurexprimesonressentimentpolitiqueenvers«laRépublique»etl’arrogance qu’elle arbore pour incarner des pseudo-valeursqu’ellen’estpascapabledemettreenpratiqueetd’appliquer.EtMarcoBiancarellideconclure:

« LaRépublique, ça n’est nimon père, nimamère, nimapatrie, c’est uniquement un pacte égalitaire que je peuxpasser si l’on ne me demande pas de faire le sacrifice demon âme, si l’on ne me demande pas de céder materritorialité, mon appartenance indéfectible au peuple quiestlemien,àsaculture…»

De ces déchirements et de ces violences, de cette haine,l’enfantque j’étaisn’avaitnullementconnaissance. Je suppose

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aujourd’hui,enyréfléchissant,quemafamilleetmonentourageavaient fait, eux, le choix de la France. Et de la République.Sans pour autant que le sujet soit jamais abordé. Les chosessemblaientallerdesoi.Enfant,jevivaislaCorseaurythmedesretoursauvillageenpérioded’été.Laquestiondeladiasporaneseposaitpasalors,oubien,sielleseposaitpourlesadultesdemon entourage, je n’en avais pas conscience. La Corsem’«habitait»toutaulongdel’année.Ellefaisaitpartiedemoi,demespensées,demesaspirations.Etj’attendaisensilencelemomentde la rejoindrequandreviendrait le tempsdesgrandesvacances. Nul n’aurait pu me convaincre que l’île qui étaitmienneetquim’accueillaitàchaqueretour,pourraitunjourmerenier comme ne faisant pas partie d’elle. Imperméable auxdiscours politiques et hostile aux dérives qu’ils engendrent, jevivais,sûredemonbondroit,enbonsauvagequin’apas«étéappris»!LaFranceétaitmonpays,celuidemonécoleetdemesamies, celui de ma langue et de mes apprentissages. D’autresjeunes filles étaient corses comme moi et nous étionspareillementfièresdenotreîleetdenotrepays.Aucollège,puisaulycée,nousnourrissionssecrètementlamêmedilectionpournos professeurs aux patronymes corses. Autour de moi, mafamille et ses amis, dont bon nombre étaient Corses, étaientrépublicains et le sont restés. Mon père, premier magistratsyndiquédeFrance,grandadmirateurdeMeMoroGiafferrietfarouche opposant à la peine de mort, était fier de sesengagements,fierdumétierquiétaitlesienetdelajusticequ’ils’appliquaitàservirdesonmieux,avecconscience.NombredeCorses lui doivent d’ailleurs d’avoir échappé au pire, audéshonneur de la prison et à l’exil. Nombre de Corses luidoivent aussi d’avoir pu renouer avec la vie civique et d’avoirretrouvéuneformationetuntravail.

Commentmonpèreest-ilparvenuàconcilierlaCorseet la

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France?Jenelesauraijamais.Ilestmorttropjeune,bienavantquecesquestionssuscitentmonintérêt.Maisjenemesouvienspas de l’avoir jamais entendu s’insurger contre la France auprofitdelaCorse.Nil’inverse.IlétaitCorseetFrançais,plutôtdegauchequededroite.Ilparlaitcourammentcorse,dumoinsle bastiais de son enfance, mais jamais en la présence de sesenfants. En cela, il s’alignait, me semble-t-il, sur les us etprincipes de sa génération et de son époque. La question duparler corse ne le préoccupait pas outre mesure. Il défendaitdavantagel’idéededialectes,tousdifférentslesunsdesautresàl’intérieur de l’île, plutôt que celle de langue corse. Il aimaitl’italien et cultivait la poésie, qu’elle fût latine, italienne oufrançaise.Lorsqu’aujourd’huiencore,danssonvillage,ilarrivequelamémoiredemonpèresoitévoquée,c’esttoujoursavecunprofond respect. Tous au village l’appréciaient pour sonouvertured’esprit et pour sonhumanité.Quel regard, s’il étaitencorevivant,monpèreporterait-il sur la réalitéconfusede laCorse d’aujourd’hui ? J’en viens parfois à me dire qu’il estpréférable qu’il ne soit plus parmi nous. Les dérives violentesquiontaffectélaCorsedepuisl’affaired’Alerialuiontainsiétéépargnées.Ilenauraitsouffert.

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ArmoiriesdelaCorse,labannièreàtêtedeMaure

«ÀmortleMaure/AmourduMaure»Marie-JoséLoverini

«Devenuel’emblèmedelaCorse,Atestamoraest l’unedeses plus étonnantes métamorphoses. »2 Haine et amour duMaure…ambivalenced’unsentiments’adressanttoujoursaumêmeetquiluiment.Le Maure, au profil négroïde, est représenté par une têtecoupée. Selon la légende, il s’agirait du chef décapité d’unennemi maure vaincu lors d’une incursion barbaresque.Autour du cou, la Testa mora porte une rangée de grossesperles « comme pour dessiner le pointillé indiquant aubourreauladécoupe».Sonfrontestceintd’unbandeau,nouéàl’arrièreducrâne.L’écussonquisurmonteleblasonestornéd’une couronne royale (impériale ?), symbole du pouvoirsuprêmeexercésurl’îledeCorseparcepuissantpersonnage.Deuxmonstreshybridesinquiétants,mélangededragons,defaunesetd’hommes,entourentleMaureetprennentappuisurlemédaillon.Tousdeuxtiennentdansleurmainuneénormemassue. L’un deux tend dans l’autre main un rameau decorail. L’ensemble compose une scène héraldiquemystérieuse,agrémentéeparlaluxuriancevégétale.Certains historiens font remonter à l’époque féodale et àl’héraldiqueespagnole,l’histoiredelabannièrecorse.DepuisPierre III le Grand, roi d’Aragon de 1276 à 1285, lesétendards aragonais ont pris pour emblème le roi sarrasinvaincu.Sous ladominationdeVincentellod’Istria (v. 1380-1434), la Corse défend l’Aragon contre les Maures. Lepuissant seigneur de la Cinarca reçoit en échange de ses

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services,desarmes,desnavires,desarbalétrierscatalans,desmunitions et même de (vieilles) bannières à tête de Maure(disparuedesnouveauxétendards).Proclamé comte de Corse en juin 1407, capturé et faitprisonnier par les Génois, ennemis des Aragonais,VincentelloIerestjugéparleGrandConseildelaRépubliquede Gênes, et condamné à mort pour trente-trois années deguerres et de rébellions. Il est exécuté sur les marches dupalaisdesDogesle27avril1434.

1. Roger Caratini, Histoire de la Corse, Éditions Bordas,1981,p.20.2. Albert-Llorca (Martine, Olivesi (Jean-Marc), « Moresca,

imageetmémoireduMaure»,articleparudanslecataloguedel’exposition temporaire (10 juillet au 30 septembre 1998) aumuséedelaCorse,àCorte.

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9.LaCorsecarolingienne

On entend parfois certains Corses dire que l’Histoire deFrancenelesconcernepas.EtquelesCorsesn’ontrienàvoiraveclesGaulois.S’ilestincontestablequelesCorsesn’ontpasdesanggauloisdans lesveines, iln’en restepasmoinsque laCorse, du VIII e au Xe siècle, est étroitement associée àl’Histoire des Carolingiens, eux-mêmes issus des Gaulois. Etdonc rattachée,plus largement, à l’Histoirede laFrance.Dansl’HistoiredelaCorsemédiévale,laCorsecarolingienneoccupeeneffetuneplacedepremièreimportance.Uneplacestratégiquefascinante, faite d’enjeux de pouvoirs et d’alliances. Il fautremonter au premier roi carolingien, CharlesMartel,maire dupalais,pourprendreconnaissancedesévénements.Etpoursuivrelescheminsdel’HistoireavecCharlemagne.

C’est en Neustrie (région nord-ouest du royaume franc),berceaudupouvoir familial desFrancs, qu’il faut se rendre etplusprécisémentàQuierzy-sur-Oise,dansl’Aisne.S’iln’estpascertainquecepetitvillagedePicardievitnaîtreCharlemagne,iln’en demeure pasmoins que le château deQuierzy, résidenceprincipale de Charles Martel, fut, en 754, le théâtre de laPromessedeQuierzy.Dequois’agit-ilaujusteetenquoicette«Promesse»concerne-t-ellelaCorseetlesCorses?

En 754, le fils de CharlesMartel, Pépin, dit « le Bref »,réunitauchâteaudeQuierzyuneassembléeàlaquelleestconviélepapeÉtienneII.Aucoursdecetteassembléeestexaminéelasituationetpriseunedécisionimportante.PépincèdelaCorseàlapapauté.Ilfautchercherlesraisonsdecettedécisiondansledésirdesdeuxpartiesdesauvegarder les régionsdévastéespar

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avaitmissurpieduneJustice,laGiustiziaPaolina,laquelleeutfortàfairepourfairereculerlavendetta.EnfinPaoliavaitbattumonnaieetilcréalesbasesdecequiallaitdevenirl’UniversitédeCorte.Uneébauchedesouverainetécorseétaitdoncnée,quiavait fait l’admiration de Rousseau et suscité l’intérêt del’Europeéclairée.FrédéricIIetCatherinedeRussieeux-mêmesontcommentél’actiondePaoliqui,ententantdecréerunpetitÉtat démocratique moderne, inspira aussi George Washingtonqui se recommanda de lui. Après Napoléon, Pascal Paoli estaujourd’hui encore leCorse le plus célèbre des États-Unis oùplusieursvillesportentsonnom.MaisquepouvaituntoutpetitpayscontrelapuissancemilitairedelaFrance?

Celle-ci,quiavaitétédéfaite lorsde lafameusebatailledeBorgo sur la côte orientale en 1768, prit sa revanche dans laCastagniccia,àPonteNovu,en1769.LesCorses,malarmésetmoins nombreux, furent défaits par les troupes du comte deVaux. Une défaite militaire qui entraîna la chute politique dePaoli.Celui-ci quitta laCorse pour l’Angleterre peu de tempsaprès.Paolinereviendrasursonîlequ’en1790pourunecourtepériodeetunnouveléchecpolitique.

Contrairement à ce que l’on imagine parfois, la«pacification»del’îlequisuivit ledépartdePascalPaoli,nesera pas une promenade. Les troupes françaises eurent fort àfairepour«pacifier»cepays,notammentdans leNiolo,paysdesbergersetcœurdelarésistancecorse.«LesCorsesméritentlegibet,maisilslesupportent»,diraunjourunofficiergénois.Les Français réalisaient que les Corses pouvaient êtred’excellents guerriers, ce que l’histoire commune et laparticipation desCorses à toutes les aventuresmilitaires de laFrance allait prouver par la suite.De fait, il fallut des annéesencore pour mater cette région où couvaient de régulièresrévoltes, sans doute plus instinctives et anarchiques que

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politiques. Les dernières furent écrasées sous l’Empire par legénéralMorand,dans lesannées1810.Mais les tempsavaientchangé.L’heure de la revendication nationale était passée.Lesélitescorses,ousil’onveut,les«notables»,avaientadhéréàlaRévolution française, d’une part parce qu’elles y retrouvaientl’esprit des Lumières auxquelles elles étaient favorables, maisaussi par intérêt, parce que la France, qui représentait unepuissanceconsidérable,leurdonnaitl’occasiond’unepromotionsociale. On oublie parfois qu’il y eut dans la Grande Arméeplusieurs milliers de soldats corses dont dix-sept généraux,parmi lesquels certains sont restés célèbres : ainsi le généralBenedetti.

UnegrandehistoirecommençaitentrelaFranceimpérialeetlaCorse,quiallaitpourtantconnaîtredesoragesetdespassagesàvide.Si lamonarchiedeJuillets’intéressapeuà laCorse, leSecond Empire en fit une sorte de « chouchoute ». Car c’estavec Napoléon III que commença une véritable idylle entre laFrance et la Corse. Le mythe ajaccien, notamment le fameuxchantL’Ajaccienne, crééen l’honneurde l’oncleNapoléon,entémoigne. Les historiens s’accordent à ce sujet : le SecondEmpire est l’époque où laCorse fait ses premiers pas dans lamodernitéetoù lesvoiesdecommunication,routesetcheminsdefer,semultiplient,désenclavantlesvillagesetlesvallées,oùl’onserendaitàpied,àdosd’âneoudecheval,commecelasepassedansColomba,lafameusenouvelledeMérimée.

De leur côté, les Corses vont s’intéresser à un pays censéleur vouloir du bien. Ils vont accepter progressivement lalégitimitéfrançaisealorsqu’ilsavaient toujoursrécusécelledeGênes.En témoignent cesCorsesqui s’engagentdans l’armée,cequ’ilsavaientdéjàcommencéde faire sous lamonarchieenparticipant à la conquêtede l’Algérie.Ainsi vont-ils s’illustrerdanslecadreduSecondEmpire,notammentàlaterriblebataille

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de Solferino, en 1868, qui vit la naissance de laCroix-Rouged’HenriDunanetquidégoûtaprofondémentNapoléonIIIdelaguerre. Le sacrifice du sang pour la France allait devenir unetradition.LesCorsesn’endeviennentpaspopulairespourautantsur lecontinentoù le sentimentanti-corsevasedévelopperaufuretàmesurequel’îleestperçuecommeunesortederéservenaturelle dubonapartismehonni par les républicains. Ici et là,notammentdanslapresse,onaccuselaCorsed’êtrerétrograde,les Corses d’être violents ou paresseux et qui plus est,superstitieux,etc.En1871,quandchutel’Empireetquelacotede Napoléon III est au plus bas, les manifestations«corsophobes»,enparticuliervenantdelagaucherépublicaine,se multiplient et vont friser ce que nous appellerionsaujourd’hui le racisme. Le journaliste Henri Rochefort s’yillustrera particulièrement en accusant les Corses d’être desvoyousportéssur lecultede laVierge.ÀMarseilleetàParis,les Corses sont devenus les boucs émissaires de la haine durégime.

Et si on se débarrassait de ce petit pays faisant figure decactusarchaïqueàl’èreduprogrèsindustriel?C’estàgauche,plusqu’àdroite,que l’idéeallait resurgir,notammentaudébutdu XXe siècle, sous la plume de Georges Clemenceau, quiproposera de revendre l’île àGênes pour un franc seulement !Une tentation qui, de temps à autre, refait surface au gré descirconstances. On se souvient des propos de Ségolène Royalqui, de retour des Antilles, en pleine campagne électorale de2007,selaisserapiégerparl’humoristeCanteloup.Celui-ci,sefaisant passer pour un journaliste canadien, l’appellera autéléphone et lui demandera ce qu’elle pensait de la Corse :«Pourquoipas l’indépendance?» suggéra le faux journaliste.« Chiche », dit-elle. On n’était pas très loin du fameux mot

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pourypasserleursvieuxjoursetymourir.Maislesforcesvivesnes’yprécipitentpas.

De cet imbroglio, il ressort qu’il n’existe pas de solutionidéale.Maisdesissuesrationnellesàundramehistorique.Àcetégard, les nationalistes non indépendantistes ont raison derappelerquepourlepèredelapatrie,PascalPaoli,uBabbudiapatria, l’indépendance n’était pas une fin en soi. Dans saremarquable biographie Pascal Paoli2, l’historien Antoine-MarieGraziani insiste sur l’adhésiondePaoli à laRévolutionfrançaise avant que celle-ci prenne un tournant terroriste. Ilmontre à quel point Paoli, aussi respectueux fût-il de LouisXVI,étaitrépublicain.Nijacobin,nigirondin–républicainausens anglo-saxon :militant d’un État de droit et d’une nationdécentraliséesurunmodefédéral.En1802,autrementditsousNapoléon, qui est la bête noire des nationalistes, Paoli écritcettelettreaucolonelFeliceAntonioFerrandi:

« Notre patrie est maintenant libre, comme le reste de laFrance,pourquoineserais-jepascontent?Quellequesoitlamain qui la donne, qu’elle soit bénie ! Les Corses sontlibres. Hoc erat votis. Je fermerai les yeux pour le grandsommeil,contentetsansremords,pourmonactionpolitique.QueDieumepardonnelereste!»

Maisrevenonsauxannées1790,datecharnièredudestindelaCorse.Aprèsêtrerentréd’AngleterreetavoirrencontréLouisXVI, puis été reçu, le 26 avril, au club des Jacobins oùRobespierreferaundiscoursensonhonneur,PaolivaproclamersonadhésionàlaFrancequ’ilatraverséeenvenantdeParisetoùilaétéacclamé.«SelonBuonarroti,partoutoùilestpassé–Valence,Tournon,Avignon,Aix–lesmunicipalitésontrivalisédans la magnificence de leur accueil », écrit Antoine-Marie

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Graziani. À Tournon, le neveu de son ancien adversaire, lemaréchaldeVaux,vient s’excuser auprèsde luidecequ’avaitfait son oncle vingt et un ans auparavant. Toulon, où ilembarque, lui réserve un accueil triomphal !ÀMacinaggio, le14juillet,aprèsunexildevingtetunans,baisantlaterredesapatrie, il s’écrie : «Ômapatrie, je t’ai laissée esclaveet je teretrouvelibre!»Le20juillet,ilpublieunelettrecirculairedanslaquelle il affiche l’attachement de la Corse à la nouvelleFrance:

«L’augusteassembléequi travaillesansrelâcheàrefondrela vaste monarchie à laquelle, pour notre plus grandbonheur,noussommesindissolublementassociésetunis,m’aspécialement manifesté les dispositions les plusavantageusespournotrepaysenparticulier.»

Enfin,lejeudi9septembre1790,aucouventSanFrancescod’Orezza,Paoliaffirme,concernantlarelationàlaFrance:

«Nousnepourronsmieuxmontrernotrereconnaissance,quidoit être ineffaçable, pour un tel bienfait, qu’en jurant,maintenant, que pour la première fois légalement réunis,nouspouvonslefairelibrement,qu’enjurant,dis-je,àcettenoble nation, un attachement perpétuel et une adhésiontotaleàl’heureuseconstitution,quinousunitàellesouslesmêmesloisetsousunroicitoyen.»

Attachement,unionà laFrance,maisà laconditionque laFrancelaisselesCorseslibresdes’administrereux-mêmes.Uneformed’autonomiedonc,à l’intérieurd’unefédération,commele montre la distinction que fait Paoli, tout au long de sondiscours, lorsqu’il sépare les deux nations, la « nôtre » et la

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« française », ses « compatriotes » corses et ses « confrères »français, précise Antoine-Marie Graziani. On connaît la suitedes événements, qui sera dramatique: le durcissement de laRévolution qui entre en guerre contre l’Europe, laquelle estvoulue par les girondins. La mise à mort du roi qui choquePaoli, qui sans être un dévot – contrairement à son frèreClementequi entrera chez lesFranciscains– réprouvecet actequ’il juge sanguinaire.Et surtout la campagnedehainemenéecontreluiparceuxqu’ilqualifierad’anarchistesdusalutpublic,ces ultra-montagnards qui prétendent faire régner leur terreurantireligieuse et antiaristocratique jusqu’en Corse. La nationréconciliéede1790,celledelaFêtedelaFédération,n’estpascelle, hargneuse et antichrétienne de 1793, qui part bientôt enguerrecontrelaVendée.Paolin’estpasdecetteFrance-là.Maisiln’estpaspourautantindépendantiste,aussipatriotesoit-il,etilreporterasurl’Angleterresonprojetd’unionavecunegrandenation protectrice. Une Angleterre qui, en la personne du roiElliot, nommé vice-roi de Corse durant un laps de temps trèscourt,semontratoutaussiarroganteàl’endroitdesCorsesqueles soldats du roi Louis XV. Pauvres Corses, ballotés par lestourments de l’Histoire entre les puissants du jour ! Il est aupassage remarquable de constater que l’icône du nationalismecorse est celui qui alla le plus à contre-courant des atavismesinsulaires,notammentencombattant lavendetta,puisquePaoliappliqualapeinedemortjusquedanssonpropreclandèsqu’ilfut nommé général de la nation en 1755. Pareillement dans ledomaine économique. Paoli tentera de créer une monnaie, lazecca,quidevaitremplacerletrocprimitif.Enoutre,ilessaierade faire venir en Corse des commerçants juifs d’Italie afin dedévelopper les échanges monétaires et de stimuler l’espritd’initiative. Le paradoxe est que si on devait le classer surl’échiquier politique contemporain,Paoli serait un libéral bien

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LemythedeDéméter/Cérès

C’est en Sicile qu’il faut se rendre pour renouer avec lesracinesprofondesdumythedeDéméter.EnSicile, en effet,est toujours extrêmement vivace le lien étroit qui unit lafiguredelaMèreàDéméter,déessedelamoisson.Àl’origine,ilyalesterresfertilesdelaTrinacria.LesGrecsde Sicile prétendaient que c’était sur ces terres et non àÉleusis, en Attique, que Déméter avait fait don du blé auxhommes.C’estaussidanslarégiond’Enna,autourdulacdePergusa(aucentredelaSicile)quelatraditionsituelemythede l’enlèvementparHadès,dePerséphone, filledeDéméter.Déméter,quialongtempsprésidéàl’économieagricoledelarégion, représentait l’ordre matriarcal tel qu’il a perduré,inchangé, jusqu’aux temps modernes. Quant à Perséphone(Coréen latin),déessede la fécondité, elleest associéeauxritesinitiatiquesd’Éleusis,ritesdemortetderésurrection.DansleDeNaturalisHistoria,Plinel’Ancien(23aprèsnotreère-79aprèsnotreère)reprendàsoncomptecetteversiondumythe. Il affirme que non seulement Cérès (dans lamythologie grecque∆ημήτηρ,Déméter) trouva le blé – l’onse nourrissait jusqu’alors de glands –mais qu’elle enseignaen Attique et en Sicile comment moudre les grains pourobtenir la farineetcomment faire lepain.En transmettantàTriptolème,roid’Éleusis,laconnaissancedelacharrueainsiquediversestechniquesagricoles,Déméterjetalesfondationsdes civilisations méditerranéennes. Son savoir immense luivalutlaconsidérationdetousetfitd’elleunedéessehonoréeparleshommes.L’histoire de Cérès – et de sa fille Coré – fait l’objet chezOvide(43avantnotreère–v.17aprèsnotreère)d’unebien

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étrange métamorphose. C’est en effet dans le Livre V desMétamorphoses (v. 423-461)qu’Ovide raconte les aventuresde Cérès, déesse romaine de la moisson. Rendue folle dedouleurparleraptdeCoré(Perséphone),Cérès,oublieusedeses devoirs de déesse de la terre, arpente désespérémentl’universàlarecherchedesafille.Pluton(Hadès),l’auteurdurapt,consentàrendrelajeunefilleàsamère.MaisCoré,quiagoûtéaufruitdugrenadier(symbolefémininduvagin)estcontraintederetournerauxEnfersunepartiedel’année.Corépassera donc six mois de l’année avec son époux,abandonnant la terreàsastérilité.Lessixautresmois,Corérejoindra sa mère à la lumière. La terre abondera alors derichesses. De cette alternance naissent les saisons. À la viesouterrainedeCorécorrespondentl’hiveretledépérissementdelanature.Àsaviesurterrecorrespondentlerenouveauduprintemps et l’été. Les femmes de la Grèce antiquecommémoraientleraptdePerséphoneparlesThesmophories.Au cours de ces festivités d’octobre – dont les hommesétaientexclus–,lesfemmessacrifiaientdescochonsqu’ellesprécipitaient dans un puits empli de serpents. Elles jetaientaussi en offrande des branches de poirier et des gâteaux enformedevulve.Autroisièmejour,ellesouvraientlepuitsdel’année précédente. Ramenés à la lumière, les restes desoffrandespasséesétaientmélangésaublédesemenceafindefavorisersagermination.Au cours de son long récit, Ovide évoque un épisodeparticulier survenu pendant les pérégrinations de Cérès.L’épisodedelarencontre,àÉleusis,deladéesseCérèsavecMisméetAscalabos,sonfils.Cérès,assoifféeparsacourse,demande de quoi se désaltérer. On lui offre « une boissondouce, préalablement recouverte d’une couche de farine

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d’orgegrillée1».«Tandisqu’ellebuvaitlebreuvageoffert,unenfantàl’airduretimpudentsemitàriredecequ’ilappelaitsonavidité».Offensée,Cérèsréagitavecrage.Elle jettesurl’enfant«leresteduliquidemélangéàlafarined’orge».Lapotion « pénètre dans les pores du visage qui se couvre detaches ». Peu à peu, l’enfant change de forme, ses bras setransforment en pattes. Une queue vient s’ajouter à sesmembres.Soncorpss’amenuise,«ramenéàdesproportionsréduites, pourqu’il n’ait pasgrandepossibilitédenuire, et,dans sa taille amoindrie, ce n’est plus qu’un lézard. » Àl’approche de Mismé, éplorée, il fuit « et gagne unecachette ». Ascalabos, dont le nom grec signifie « lézardmoucheté»,voitsapeauseconstellerdegouttelettes.Cérès,danssacolère,vientdemétamorphoserAscalabosenstellion(appeléaussigecko).Lepetitlézardétoiléfiles’abritersouslespierres,sousleregardeffarédesamère.D’aucunsvoientdansl’aviditéaveclaquelleCérèschercheàétancher sa soif, l’avidité de son désir de retrouver cellequ’ellecherche.Danscecas, lerécitmythiqueraconterait laquêteéperdued’unemèrequigardeenellel’espoirdesevoirrendre l’enfant perdu mais « retrouvable », sous certainesconditions. Mais on peut également y lire le constat del’insuffisancematernelle. SiCérès a perdu son enfant, c’estpeut-être qu’elle n’a pas su lui faire donde l’amour qui lieunemère à sa fille. Par cemanque, elle a exposéCoré à laconvoitise de Pluton (Hadès). Elle n’a pas su protéger sonenfantdudésir«dudieudesmorts».

1.Lebreuvageàbasedefarined’orgegrillé,defromagerâpéet de vin de Pramnos qu’offre la vieille femme à Cérès est lekykéôn (χυχεών), boisson rituelle que buvaient les initiés aux

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15.LaCorseentrereligionetcriminalité

Corseduelle?Particulièrementsensibledansledomainedelareligion,ladualitéinsulaires’exprimeàtraverslaspiritualitéde la Corse. Traditions populaires, religion et superstitionsemblentsiétroitementimbriquéesqu’ilestsouventdifficilededistinguercequi,danscettetramefusionnelle,relèveduprofaneoudusacré.

Quand on évoque la Corse religieuse d’antan, on entendparler de signadore, de mazzeri et de streghe presque toutautant que de bénédiction du vin nouveau et de fontainessacrées,decatenacciu–commémorationdelaPassionduChrist– et d’hommages à laViergeMarie.Maisqu’elles soient liéesaux travaux de la terre ou aux miracles associés à la mortviolente, les pratiques profanes aux formes primitives variéesimprègnent les rituels religieux les plus anciens, hérités de lamartyrologiechrétienne.Peut-être,d’ailleurs,est-cel’inverseetne faut-il voir dans ce qui reste desmanifestations religieusesd’aujourd’huiqu’unerésurgencedesrituelspaïensd’autrefois?

Quoiqu’ilensoit,cequi frappe lorsque l’onvitenCorse,c’estlaplaceprivilégiéequ’occupelesacrédanslaviedetouslesjours.Toutaulongdel’année,laCorsevitetvibreaurythmedes fêtes religieuses. Célébrations et processions se succèdentau cours des saisons, résurgences de célébrations païennes.Ainsi les rituelsmagiques se fondent-ils aux rituels religieux.De sorte que s’attacher à vouloir dissocier authenticité etfolklore, patrimoine culturel et foi, demeure une entreprisedélicate,voire improbable.Quant auxmazzeri et autres espritsmarqués par les puissances nocturnes, leur présence dans la

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penséede laCorse reste vivace endépit desdoutesqu’elle nemanquepasdesoulever.Eneffet,siDorothyCarringtonévoquelonguement les pratiques des mazzeri, des lagramenti et desstreghe,d’autresattribuentl’existencedecesêtresinquiétantsàdes fables colportées par des ethnologues.Soucieuxd’enter laCorse sur de plus vastes ensembles, les ethnologues auraientpuisé en Afrique noire les rituels d’ordre magique. Puissantcreuset où le chamanisme se vit au quotidien, l’Afrique noireauraitconstituéunfondsprivilégiépropreàalimenterlesrécitstransmis en Corse au cours des veillées.Mais, que ces fablessoientfaussesouenpartievraies importepeu.Cequi importe,c’est qu’elles continuent de nourrir sensiblement l’imaginairecollectifinsulaire.

Autre dualité emblématique de la Corse, la rivalité entrereligionetcriminalité.DanssonMémoiresur laCorse,publiéen 1819 après un bref séjour en Corse, Ignace-Jean-FrançoisRéalier-Dumas, procureur général de Bastia en 1836, observeque«leCorseestplussuperstitieuxquereligieux.Ilaungrandrespectpourleculte;ilensuitscrupuleusementlespratiques».Et l’auteur d’ajouter: « Mais sa religion, tout extérieure, saits’accommoder avec la vengeance et l’assassinat. On a vu descomplices,pours’assurerl’undel’autre,entrerdansuneéglise,et prendre le ciel à témoin de leur affreuse alliance. » Cettealliance assumée par les Corses entre Dieu et le crime laisseperplexe.Ellesemblepourtanttoujoursd’actualité.Ilsuffitpours’enconvaincredeconsulter lespagesconsacréespar lapresseaux obsèques religieuses des victimes assassinées par lesmembresdeclansrivauxetdevoirsemasser,àl’égliseetautourdu cercueil, aux côtés de la famille endeuillée, lescommanditairesdu crime, regardsdissimulésderrièrede largeslunettes noires. En ultime adieu, serrés dans l’église comble,tous se lèvent et entonnent à l’unisson leDiuVi SalviRegina

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national.IlnesepassepasdejourenCorsesansqu’unvillagecélèbre

un saint patron ou une saintemartyre et que cette célébrationsoitl’occasiondemanifestationspopulairesetderéjouissancesspécifiques. Ilnesepasseguèrede joursnonplussansque lesangversééclabousselaunedeCorseMatinetquel’onassistepage après page au ballet des enquêteurs et de la policejudiciairesurleslieuxducrime.C’estpeut-êtreaucœurdecesantagonismes que se cache, mystérieuse et inaccessible, l’âmecorse. Du moins ce que notre sensibilité romantique peutimaginerqu’ilrested’elle.

Ainsi d’un meurtre qui s’est récemment produit dans laCorse du Sud, à Porticcio. Il offre à l’ethnologue (que je neprétendspas être) l’exemple intéressantd’unmeurtre accompliunJeudiSaint.Unefemmeassassinéeparballes.Uneancienneélue. Qui avait renoncé à ses engagements politiques et à sesresponsabilités. On s’émeut, sur l’île, de l’escalade de laviolence ; on s’émeut de ce que les tueurs n’observent plusaucunedesrèglesquirégissaientjadislesrèglementsdecompteet lesvendette.On s’émeutde ceque les tueursd’aujourd’huin’éprouvent ni ne manifestent aucun remords. On s’émeutqu’unefemmeaitétéexécutée.Defait,exécuterunefemme–desang-froidetavecpréméditation–aquelquechosed’effroyableet de véritablement subversif. Lemeurtre de cette femmen’estpourtant pas un cas unique dans l’île. Selon la journalisteAriane Chemin1, d’autres femmes avant elle ont été abattuesselon lesmêmesméthodes.Mais commettre une exécution unJeudiSaint,unjourparticulièrementvénéréparlacommunautéchrétienne corse, ne relève-t-il pas d’une extrême violence,d’une subversion d’autant plus inquiétante qu’elle semblereleverde laprofanation?Dansune îlequi resteattachéeà la

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Spadafutguillotinéle21juin1935àunanduFrontpopulaire!Qu’onysonge:ilnefallutpasmoinsdeplusieurscentainesdegendarmes débarqués du continent avec des automitrailleusespour mettre fin au règne facétieux de ce bandit mythique quirépandaitlaterreurdanslarégiondeVico.

Arrêtons-nous un instant sur cette figure emblématique.André Spada, qui fut berger et charbonnier, n’était pas néviolent,aussifrustefût-il!Illedevintaufuretàmesured’unehistoirechaotique.Engagévolontairedansl’arméefrançaiseen1917, il déserte et se trouve condamné. Puis il est gracié ets’engage dans les troupes coloniales en Syrie, dans le djebeldruze.DeretourenCorse,ilassisteunsoir,danssonvillagedeLopigna, aunordd’Ajaccio, à l’irruptiondegendarmes censésvenirarrêterundesesamisquiclamesoninnocence.Spadas’enmêle et la rixe tourne mal. Il tue un gendarme et prend lemaquis. Il vivra ainsi des années durant, caché, commettantd’autres crimes pour venger des proches. Si on ajoute à cettepanoplie le fait que l’homme, très brutal,menaça de son armepuisviola la femmequ’ilprétendaitaimerpassionnément,sansdoute lors de leur première rencontre, et fut très affecté, aprèsdesannéesde fidélité,qu’elle lequittâtpourunautre,ona làune figurequi aurait fascinéaussibienMérimée,queFlaubertouBalzac.

« Ces histoires de bandits bercèrent mon enfance », écritLuciaMolinelli-Cancellieri,dontlepèrefutl’avocatdeSpada.Elleraconte:

«Unescaliersecretàdoubleissue,etquiexisteencore,avaitd’ailleurs été construit dans la demeure de ma tante àLucciana, village natal de mon père, pour assurer leurretraite. Il servit plus d’une fois à protéger leur fuite. Cartout Corse considérait comme un devoir sacré de soutenir

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ces hommes en perpétuel danger de mort, que le sens del’honneur avait précipités dans le malheur et dont lesexploitsétaientchantésdansleslamentiàtraverstoutel’île.Mais, poursuit l’auteur, après la guerre de 14-18, on vitapparaître une nouvelle race de hors-la-loi. Les banditspercettori, prenant exemple sur le gangstérisme et le“milieu” des grandes villes qui commirent les piresexactions. Les mœurs de l’apache avaient succédé auxtraditionspatriarcalesd’autrefois.»

Ce qui fait écrire à l’historien Jacques Gregori, dans saNouvelleHistoiredelaCorse,que«lebanditismeétaitdevenucommercial puisque hold-up, racket, chantage, cambriolage,prostitutiondétrônaientl’artisanatduvieuxbrigandage».

Loin de nous la volonté d’idéaliser les bandits d’honneur.Ceux-ci pouvaient être redoutables et cruels comme tous lescriminels,mais leurs objectifs étaient en partie immatériels ousymboliques.Lafameuse«susceptibilitécorse»apeutêtresonorigine dans une confiance excessive accordée à l’oralité.L’hommecorsecroitauxsermentsetauxengagements,enamitiécommeenamour,et lebanditd’honneur,auXIXesiècle,qui,àl’instardeSpada,vouaitauxarmesàfeuunvéritableculte,étaitaussi celui qui se targuait de venger les manquements à laparole. Arrêtons-nous un instant sur ce culte des armes. LaCorseestlaseulerégiondeFranceoùlespistoletsetlesfusilscrachent le feu le 31 décembre au soir et c’est un spectaclecocassequed’assister,danssonproprevillage,àdestirsenl’airà quelques mètres d’une gendarmerie dont les fonctionnairesfont semblantdedormir.La fascinationque le cultedesarmesentraînepeut suggérerunecertaine relativisationde lavieet iln’est pas faux de dire que lesCorses, à cet égard, sontmoinsjudéo-chrétiensquepaïens.

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Trop souvent, et c’est presque devenu une habitude, lescontinentauxmontrentlesCorsesdudoigt,commes’ilsétaientles plus mauvais élèves de la République. Certains donnentmêmel’impressiondesedéfoulersurcettepetiterégioncenséeconcentrer tous les attributs du Mal français. Comme si lacorruption n’était pas endémique aussi dans le Var ou àMarseille. Comme si l’incivilité et la vulgarité n’étaient pasdevenues banales, un peu partout sur le continent. C’est laSeine-Saint-DenisetlaGuyanequiontaujourd’huilapalmedesagressionssexuellesetnonlaCorseoùcegenredeméfaitsestplutôt rare. Que des individus sans scrupules et impulsifssouillentl’îledeleurscrimesàrépétitionnedoitpascontribueràjeterl’opprobresurlesCorsesdansleurensemble.Qu’aurait-on dit si la navette Bastia-Ajaccio avait été rackettée par desvoyous, comme ce fut le cas du TER des quartiers Nord deMarseille, au mois de juillet 2011 ! Il est vrai que certainsaimentvoirlesCorsesenvoyous.Maisdesvoyouscorses,ilyaenassezcommecelapourqu’onn’enrajoutepas.

Il serait néanmoins vain de ne pas voir l’évidence.Depuisune trentaine d’années, la Corse contemporaine est redevenueune terrede sang.LaCorse est la région laplus criminelledeFrance(etsansdouted’Europe)avecunemoyennededix-septmeurtres ou tentatives de meurtre pour 100 000 habitants.Pourquoi ce retour de la violence extrême ? Il est difficile del’expliquer à partir d’un schéma unique. On peut considérertoutefois que si la Corse était assez paisible depuis laLibération,c’estaussiquelacriminalitécorses’exportaitsurlecontinent, notamment à Paris et à Marseille. Or, depuis lesannées 1980, les voyous corses ont tendance à « rentrer aupays»– si l’on en croit JacquesFollerou etVincentNouzillequi ont consacré à ce thème un livre très documenté2 – et à

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noble par les notables de Bastia et du Cap Corse, lespopulations villageoises d’origine italienne – majoritairementlucquoise et pisane –, étaient considérées, elles, avec le plusgrandostracisme.Unbienétrangeparadoxe!

Depuis ces dernières décennies, la langue corse a refaitsurface, retrouvantun regaind’énergie et devigueurgrâce auxefforts d’intellectuels, d’écrivains et d’universitaires attachés àdéfendre leur langue.Enseignée comme languevivantepardesprofesseurs certifiés de corse, elle fait désormais partie ducursusscolaire.Obligatoireenprimaire,elleestaunombredesmatièresoptionnellesenlycée.Étudiéeàl’UniversitédeCorte,elle est aussi pratiquée au quotidien sur les ondes par lesjournalistes de la radio régionale. Sur certaines trancheshoraires.

Mais qu’a de commun cette langue avec la langue corsed’hier ? Certains vieux Corses considèrent avec mépris cettelangue « pidgin » artificielle, passablement francisée, ouitalianisée, qui court dans les médias. Ils préfèreraient savoirmorte leur langue maternelle plutôt que de cautionner cenouveau«dialecte»danslequelilsneseretrouventpas.

D’autresCorses en viennent à demander que leurs enfantssoient dispensés de cours de corse dans les établissementsscolaires.Nonpastantpourdéfendrel’hégémoniedelalanguefrançaisequepourdéfendrecequ’ilsappellentle«vrai»corse.Àleursyeux,seulestauthentiquelecorsequiseparledelonguedateenfamilleetauvillage.C’estaussileseulquileursembledignederépondreàladéfinitiondelanguecorse.Cetteattitude,quand bien même elle serait légitime, nous paraît cependantexcessive.Quellequesoitlalangueétudiée,ilestinconcevablede prétendre qu’un enseignement puisse altérer un savoirancestral. À moins qu’il s’agisse d’un savoir figé, destiné àfigurer, comme tant d’autres, dans des archives que plus

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personneneconsulte.Langue écrite, langue orale ? S’il est vrai que l’oralité a

longtempspréexisté,enCorse,audétrimentdelalangueécrite;s’ilestvraiaussiquelalangueorale,longtempsfaçonnéeparlestraditions agro-pastorales de l’île et par les échangescommerciauxaveclaToscane,enamodelélesculturesainsiquelesmodesdepensée,decommunicationetdetransmissionentreles différentes régions insulaires, il n’en demeure pas moinsqu’ilexisteunelanguecorseécrite.Endépitde–oumalgré–cequ’affirment certains villageois pour qui seule la langue oraleconstitueuneréalitéàlaquelleilssedisentattachés:«Moi,medisait tout récemment une hôtelière de Zicavu, le corse, je leparle. Mais je ne sais ni le lire ni l’écrire. D’ailleurs, ici, auvillage, dans notre famille, il en est ainsi pour chacun d’entrenous.»

Pourtant,dèsleXIXe siècle,chroniqueurset journalistessesont employés à fixer la langue dans les écrits qu’ils faisaientcirculer dans les almanachs et les journaux.L’exemple le plusconnu est celui du journaliste Santu Casanova, fondateur, en1896, d’A Tramuntana, revue entièrement rédigée en languecorse. Certains écrivains d’aujourd’hui ont renoué avec cettepratique et proposent chroniques et billets écrits en languecorse.L’écrivainetuniversitaireJacquesFusinametsaplumeauservice de Corse Matin et l’on peut y lire régulièrement ses« prose minute », enlevées et accessibles à tous. Quant aulinguisteJean-MarieArrighi, ilconsacrepour la revueCorsicadepassionnantsbilletssurl’histoiredesmots,leurétymologie,leur évolution à travers temps et environnement et leursdifférentsemploisdanslalangue.

Linguistes et historiens des langues, écrivains etuniversitairescontribuentparleursécritsàfixerlalangueetses

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règles et à en permettre ainsi la lecture.Mais quelle langue ?Celle du Nord ou celle du Sud ? Ce n’est pas tout à fait lamême.LeparlerhéritédesbergersduNiolun’estpasceluidesdescendantsdesnavigateursduCapCorseetceluidelaCinarcan’estpasnonplusceluidelaBalagne.Et,àl’intérieurmêmedeces deux régions de la Corse du Sud et de laHaute-Corse, ilexiste des variantes notoires venues des microrégions, toutcommeilenexiste,d’ailleurs,entrelesiciliendeCataneetceluid’Agrigente;oumêmeentrelesdifférentsquartiersd’Agrigente.A fortiori entre la langued’Agrigente tellequ’elle a étéparléeparl’écrivainPirandelloetcellequepratiqueaujourd’huiencoreson cousin, l’auteur de romans policiers Andrea Camilleri.Mais, à la différence des parlers siciliens dont lemètre étalonlinguistique demeure l’italien, la langue corse n’a pas devéritableréférent.Sielledevaitenavoirun,ceseraitàcoupsûrl’italienetnonlefrançais.Encorefaudrait-ilqueles insulairesd’aujourd’hui acceptent de voir leur languemise sur le mêmepalier que les différents dialectes italiens encore vivaces à cejour. Ou alors, comme le suggère Marco Biancarelli1,« inventons-nousunautredestin, et la langueprendra laplacequ’elle doit prendre, si c’est nécessaire, dans cette autredynamique».

Sansdouteexiste-t-ildesauteurs,romanciersetpoètes,quipratiquentdansleursécritslecorsedeleurrégion.Oncomprendaisément leur préoccupation. Par-delà la volonté affirmée dedéfendre la langue corse, par-delà l’acharnementmis à vouloirquesoitreconnueune«littératurecorse»,c’estleplussouventla revendication d’une nation corse qui se profile et quis’affirme.Carl’existenced’unenationpassenécessairementparlareconnaissanceetparlapratiqued’unelangue.Or,lalanguemajoritairement parlée sur l’île est le français. Une réalité qui

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telle autre encore s’arroge tous les rôles en même temps,assumantainsilesdimensionspsychologiquespropresàchacundesstatuts.Iln’estpasétonnantdanscecas,quel’onsetrouveconfronté, en Corse plus que n’importe où ailleurs, à unesymbiose de névroses dont il demeure difficile de déjouer /dénouerlesfils/Fils!

Ainsi relève-t-on dans tout village des exemples de mèresabusives, castratrices et cruelles.Certainesmères, en l’absencedu père (dans le Cap Corse, l’absence était souvent liée auxvoyagesaulongcours),séquestrentleursfils.Ellesl’écrasentetl’émasculent. Semblables en cela à la Médée mythique, lesmèrescorsesneconfisqueraient-ellespasleurs«medeas»(motgrecpourtesticules)àleursrejetonsmâles,lescontraignantàlavirginitéetà l’infantilisme.Certainsserévoltentavantqu’ilnesoittroptardpoureux,prennentleurdistanceavecleurmèreetrompenttoutlienaffectifavecl’îlenatale.Cetactedeviolenceenverssoi-mêmeetenvers lessiensn’enestpasmoinsunactede survie nécessaire et un acte novateur. Une autre vie estpossible, ailleurs, loin de lamère et de son emprise demantereligieuse. D’autres fils, plus faibles, se soumettent au bonvouloirdelamèreetàsonautorité.Renonçantàtouteformederévolte,lemalheureuxserepliesurlui-mêmeetfinitparneplusexister.Satisfaite, lamèrepeutgardersonrejetonauprèsd’elleetlefairevivreselonsesdesiderata.Ilestaiséd’imaginerquellesera la vie de celui qui a été longtemps séquestré, une foisdisparussesgéniteurs!

Onpeutpenserqu’unpareilcomportementtiresesoriginesde situations antérieures non élucidées. Sans doute semblablemère se venge-t-elle inconsciemment des déceptions vécues àl’intérieur du mariage ou des insuffisances secrètes de sonépoux.Quellemeilleurevengeancepourpunirlepèrequecellequi consiste à asservir le fils ? Un moyen pour la mère

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d’exprimer,dans l’anéantissementde l’enfantmâle, sahaineetsondégoûtenversl’époux,derenvoyeràlafacedupèrel’imagedégradéedesaproprevirilité!Acontrario,ilsepeutaussiqueles voyages au long cours aient constitué un alibi confortablepour nombre d’époux désireux de se protéger d’une empriseféminine redoutable. Quoi qu’il en soit, il faut que la mèreaccomplissesavengeance.Toutemèreméditerranéenneneporte-t-ellepasenelle,inscritesdanssesfibres,lestracesdeMédée,la plusméditerranéenne desDéesses-Mères et la plus tragiqued’entreelles?

Peut-êtreexiste-t-ilaussiquelqueliensecretentreMédéelamagicienne et les streghe et les signadore corses ? Créaturesdont« laprincipaleactivitéétaitdepénétrerdans lesmaisons,généralement de nuit », les « streghe » (sorcières), sousl’apparence de chats ou de belettes, suçaient le sang deshumains, en particulier celui des enfants nouveau-nés. Unemanière,selonl’écrivainRoccuMultedo,auteur,en1975,d’unouvrageconsacréaumazzérisme–Lemazzérismeetlefolkloremagique de la Corse – d’expliquer un taux de mortalitéinfantileexcessivementélevédansl’île.Quantauxsignadore(ilexiste aussi des signadori, notamment chez les bergers), ellessontnettementmoinsinquiétantes.Assimiléesauxguérisseuses,elles délivrent du « mauvais œil » celui ou celle qui esttouché(e), exécutant l’ochju, série d’opérations magiques quis’accompagnentdeformulesincantatoires–incantesimi–etdusignedelacroix.SelonDorothyCarrington,silesfemmessontsinombreusesàs’adonneràdesactivitésdetypemagique,c’estavant tout parce que cela leur « permettait d’échapper à lacontrainte et à la subordination que leur imposait une sociétédominéeparleshommes».RevoilàposéeetévoquéelaquestiondelavirilitédelaCorse.

Peut-être les femmes qui pratiquent encore l’incantesimo

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sont-elles les représentantes de l’ultime avatar des Déesses-Mèresprimitives?Carsil’Histoireaprogressivementeffacélesmarques d’appartenance de Médée aux divinités chtoniennesagrairesdemortetderésurrection–pourneretenirdel’amantedeJasonquel’imagemauditedelamèreinfanticide–,ellen’ena pas moins donné naissance à une multitude de divinitésmagiciennes et sorcières, expertes dans l’art de concocter des«médecines » dont elles vont se servir pour protéger et pourguérir des maux ceux qui ont été atteints par les puissancesmaléfiques.LemytheorigineldelaMédéeSolaire,descendanted’Hélios,asubidemultiplestransformationsetdégradationsaucoursdesonévolution.LessorcièresdeMéditerranéeseraientlevivanttémoignagedesplusrécentesmétamorphoses.

PourenreveniràLorenzideBradi, ilestindéniablequelavisionidéaliséequiestlasiennecomportedestraitspropresàlaréputation faite aux femmes corses : de caractère fier etvolontaire, la femme corse est énergique et courageuse,combative. Face aux âpretés de la vie, elle fait front, sanssourciller. C’est là un constat que l’on peut faire à maintesreprises autour de soi, en observant les femmes de famillesproches.Maisnepeut-onendireautantdesfemmesdeGéorgie,duCaucase,deSlovénie,deCalabreoudebiend’autres lieuxencore ? Il n’est pas certain que cette énergie farouche soitl’apanage exclusif de la femme corse. Il suffit de parcourir lalittérature contemporaine étrangère pour se persuader ducontraire.

Il semble parfois plus simple de rameuter les souvenirs defamillepourseconvaincrequ’ilexisteunetypologiedominantedelafemmecorse.Ainsidecettecousine,issuedumêmegironfamilialqueceluidenotrepropremère,quipassaitseshiversàla ville sans bas ni manteau ; qui se privait de toutes lesdouceurs de la vie pour serrer ses économies et pour pouvoir

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pourdeGaulleetprédilectionpourBonaparte…Autrementdit,cet homme éminemment respectable par certains aspects, n’estpas sans nourrir une face ombreuse, comme si deux êtrescohabitaientenlui.Certesles«DocteurJekylletMysterHyde»sontuniversels,maispeut-êtrelesCorses,dufaitdeleuridentitédédoubléeparl’invasion,lesont-ilsdavantagequed’autres.

Ledéfiàl’égarddelaloimaisaussil’amourdel’ordreetdel’État, et parfois les deux ensemble, sont des traits que l’onretrouve souvent.Militaires, fonctionnaires,magistrats, tant deCorsesl’ontété!Maisaussiavocats troubles,voyous,caïdsetpoliticienséquivoques!

Prenons un autre personnage très célèbre dont l’originecorse est peu connue puisqu’il s’agit d’AlainDelon. Celui-ci,onnelesaitpastoujours,avaitunemèrecorseissueduvillagedePrunellidiFiumorbo,prèsdeGhisonaccia.AlainDelonn’ajamais revendiqué sonorigine insulaire, sonpère était françaisdesouche.MaisilatoujoursassumédesliensparticuliersavecdesCorsesquis’étaientfaitunnomdansleMilieu,notammentaveclafamilleGuerinideCalenzana.Celle-ciaidaDelonàsonretourd’Indochineoù il s’était engagédans l’armée, aumilieudes années 1950.Après une adolescence transgressive, il avaittenté à l’âge de seize ans de faire un « casse » avant des’engager…Plustard,onlesait,c’estunautrepersonnagequiva surgir, discourant volontiers sur la grandeur gaullienne,achetantl’enregistrementoriginaldel’Appeldu18juin,amideJean-MarieLePenetnostalgiquedelaFranceimpérialedontilfut un rejeton en tant que soldat. Un goût de l’ordre quin’empêche pas l’entretien de relations avec des individus à lamarge de la légalité. Souvenons-nous notamment de l’affaireMarkovic,en1968.

Cequ’ilyad’étonnantdansleparcourscinématographiquede cette vedette qui s’est imposée par une beauté aussi

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spectaculaire qu’ambigüe, mi-ange, mi-démon, c’est larécurrencede thèmesoù lecultedesarmes, l’amitiévirile,unefascinationpourlaviolenceetlamort,sontobsédants.

DepuisPlein Soleil jusqu’au Samouraï en passant par LeClandesSiciliensetLeCerclerouge,sansoublierLaPiscine,ouMortd’unpourri,AlainDelonestl’acteurfrançaisquialepluscôtoyélamortàl’écran,qu’illadonne,maissurtoutqu’illasubisse!Onpeutdifficilementmourirplussouvent,commeillefaitchezMelvilledansLeSamouraïetLeCerclerouge,chezDeraydansLaPiscine,chezLautnerdansMortd’unpourriouchezRenéClémentdansPleinsoleil!Iln’a,enoutre,échappéàpersonne,que l’acteura incarné ladouble facettedu flicetduvoyou,celuiquifaitrégnerl’ordre,dansFlicstorydeDerayoudans Un Flic de Melville, ou celui qui le défie. Jean-PaulBelmondo, son célèbre rival, a tout autant joué les flics et lesvoyous,toutefoisiln’yapas,dansleparcoursdecedernier,lafrappe de lamort,mais bien davantage de la fantaisie et de lagouaille.

IlestunfaitquelesCorsesfichésaugrandbanditismesontplusnombreuxquelesAuvergnats!Toutefois,n’exagéronsrien.Cedualismegoûtde l’ordre /défide la loiestuniversel.Maispeut-être est-il plus fort chez les Corses ? À cet égard, lesfiguresantithétiquesdePasqua–l’hommed’Étatquin’estpasexempt d’une part d’ombre – et Delon, ex-marginal devenumilitant de l’Ordre, nous paraissent emblématiques. Étrangespersonnages qui n’ont rien en commun, excepté cetteambivalence.Où,ailleursqu’enCorse,sinonpeut-êtreenSicile,serencontrentàcepoint,lecultedelaViergeetceluidesarmes,lapassiondelaforceetlegoûtdelajustice,l’admirationpourlepouvoiretlapassiondel’illégalité,lebesoinobsessionneldereconnaissancesocialeetlatendanceàl’individualismeleplusasocial, la chaleur et la générosité et la violence sanguinaire ?

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Freudsoutenaitqu’onnepouvaitpsychanalyseruncatholique.Quisaits’iln’enauraitpasditautantdesCorses?

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LeRomandePrague,HervéBentégeat.LeRomandel’Élysée,Françoisd’Orcival.LeRomandeTolède,BernardBrigouleuxetMichèleGayral.LeRomandel’Italieinsolite,JacquesdeSaint-Victor.Le Roman du Festival de Cannes, Jacqueline Monsigny etEdwardMeeks.

LeRomandesamoursd’Elvis,PatrickMahé.LeRomandelaBourgogne,FrançoisCéséra.LeRomandeRio,AxelGyldén.LeRomandelaPologne,BeatadeRobien.Les Fabuleuses Histoires des trains mythiques, Jean-PaulCaracalla.

LesRomansdeVenise,GonzagueSaintBris.LeMystèredesTuileries,BernardSpindler.LeRomandelaVictoire,BertranddeSaint-Vincent.LeRomandeQuébec,DanielVernet.LeRomandeMai68,Jean-LucHees.LeRomand’Israël,MichelGurfinkiel.LeRomandeBruxelles,José-AlainFralon.LeRomandePékin,BernardBrizay.Obama,LeRomandelanouvelleAmérique,AudreyClaire.LeRomandemescheminsbuissonniers,Jean-PierreFleury.LeRomandudésert,PhilippeFrey.LeRomand’unpianiste,MikhaïlRudy.LeRomandeBretagne,GillesMartin-Chauffier.LeRomandeMadrid,PhilippeNourry.LeRomandeCuba,Louis-PhilippeDalembert.LeRomandeMarrakech,Anne-MarieCorre.LeRomanduMexique,BabetteStern.Le Roman du Vatican secret, Baudouin Boallert et BrunoBartoloni.

LeRomandeNice,JeanSiccardi.

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LeRomandeSaint-Tropez,NicolasCharbonneau.LesAmoursdeHollywood,PierreLunel.LaGrandeÉpopée de la traversée de laManche, Albéric dePalmaert.

LeRomandelachansonfrançaise,DavidLelait-Helo.LeRomanduJardinduRoy,PhilippeDufay.LeRomandel’âmeslave,VladimirFédorovski.LeRomanduloup,Claude-MarieVadrot.LeRomandel’Indeinsolite,CatherineGolliau.LeRomanducinémafrançais,DominiqueBorde.Le Roman de Belgrade, Jean-Christophe Buisson, prix de laFondationKarić2010.

LeRomandeTolstoï,VladimirFédorovski.LeRomandelaRomeinsolite,JacquesdeSaintVictor.LeRomandeSaigon,RaymondReding.LeRomandeNapoléonIII,ChristianEstrosietRaoulMille.LeRomandeBiarritz,SylvieSantini,prixdesTroisCouronnes2010.

LeRomandel’Orientinsolite,BernardSaintBris.LeRomandesmaisonscloses,NicolasCharbonneauetLaurentGuimer.

LeRomandeSissi,ElisabethReynaud.LeRomandesMarins,LaurentMérer.LeRomandesProvences,JeanSiccardi.LeRomandeHemingway,GérarddeCortanze.LeRomandespapes,BernardLecomte.LeRomandesmortssecrètesdel’Histoire,PhilippeCharlier.LesRomansduMontSaint-Michel,PatricedePlunkett.Le Roman de la Louisiane, Jacqueline Monsigny et EdwardMeeks.

LeRomandel’espionnage,VladimirFédorovski.LeRomanduJuifuniversel,ElenaBonner,AndréGlucksmann.

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Le Roman de Raspoutine, Vladimir Fédorovski, Grand PrixPalatineduromanhistorique2012.

LeRomandesaventuriers,FrançoisCérésa.Le Roman du Siècle rouge, Alexandre Adler, VladimirFédorovski.

LeNouveauRomandel’Eĺyseé,Françoisd’Orcival.LeRomandelaSyrie,DidierDestremau,ChristianSambin.

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CompositionetmiseenpagesréaliséesparCompo66–Perpignan

250/2012

ÉditionsduRocher28,rueduComte-Félix-Gastaldi

98000Monacowww.editionsdurocher.fr

ImpriméenFranceDépôtlégal:mai2012N°d’impression: