Les Sept Passiones de Prudence

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PIERRE-YVES FUX

LES SEPT PASSIONS DE PRUDENCE(Peristephanon 2. 5. 9. 11-14) Introduction gnrale et commentaire

Publie initialement sous forme de livre imprim en tant que volume 46 de la Collection PARADOSIS tudes de littrature et de thologie anciennes (fonde par Othmar Perler et dirige par Otto Wermelinger), avec lappui du Fonds national suisse de la recherche scientifique Editions universitaires Fribourg Suisse, 2003 Originaux, prts la reproduction, fournis par lauteur Impression : Imprimerie Saint-Paul Fribourg Suisse ISBN 2-8271-0957-3 ISSN 1422-4402 (Paradosis Fribg.)

Universit de Genve, 2003

05/04/2005

SOMMAIREPRFACEPREMIRE PARTIE

1

LES SEPT PASSIONS DE PRUDENCE (PERISTEPHANON 2. 5. 9. 11-14) INTRODUCTION GNRALEI. 1. a) CONTEXTE DE LA COMPOSITION DU PERISTEPHANON L'AUTEUR Vie de PrudenceNom, patrie ( 1-4) La Prfatio et les tapes de la vie de Prudence ( 5-8) Contemporains, collgues et compatriotes ( 9-14)

3 5 5 5

b)

uvres de PrudenceDiversit des uvres de Prudence ( 15-16) Organisation des uvres de Prudence ( 17-19) Le Peristephanon : titre ( 20-23), contenu et prsentation ( 24-26)

9

c)

Potique de PrudenceVariations formelles et jeux de sens ( 27-30) Descriptions et vocations ( 31-35) Prudence, pote alexandrin ( 36-38) Modles et sources ( 39-41)

13

2. a)

LA POSIE CHRTIENNE Origines de la posie chrtienneModles bibliques et sources liturgiques ( 42-44) Rencontre avec la posie profane ( 45-46) mergence d'une posie latine chrtienne ( 47-48) Orientations postrieures ( 49-50)

20 20

b)

Posie littraire chrtienneVers une christianisation de la culture ( 51-53) Pomes de virtuosit et pomes personnels ( 54-55) Pomes de combat ( 56-57) Pomes d'inspiration biblique ( 58-60) Synthse potique et asctisme ( 61-63)

24

c)

Posie liturgique chrtiennePour lembellissement du culte ( 64-65) Crations hilariennes ( 66-67) Pomes ambrosiens ( 68-70) Damase et la posie pigraphique ( 71-73)

28

3. a) b) c)

LE CULTE DES MARTYRS Expressions littraires du culte des martyrsDocuments ( 74-77) Passions littraires ( 78-80) Littrature de clbration ( 81-82)

32 32 35 38

Expressions plastiques du culte des martyrsArchitecture ( 83-85) Portraits de martyrs ( 86-87) Reprsentations du martyre ( 88-90)

Signification et enjeux du culte des martyrsExhortation au martyre, glorification des martyrs ( 91-93) Enjeux du culte des martyrs ( 94-96) Signification spirituelle ( 97-99)

II. 1. a)

CHRONOLOGIE ET ORGANISATION DU PERISTEPHANON LES POMES ANCIENS ET L'MERGENCE DU GENRE Peristephanon 2 (s. Laurent) et 14 (ste Agns)Anciennet et contemporanit de perist. 2 et 14 ( 100-103) Datation de perist. 2 et 14 ( 104-105) Antriorit de perist. 14 relativement perist. 3 et 6 ( 106-107), de perist. 2 relativement perist. 4 ( 108)

43 43 43

b)

Peristephanon 5 (s. Vincent) et 13 (s. Cyprien)Dpendance de perist. 5 relativement perist. 2 et 14 ( 109-112) Antriorit de perist. 5 relativement perist. 4 et 6 ( 113-115) Proximit de perist. 13 et 14 ( 116-117) Un groupe de quatre pomes ( 118-119)

46

c)

Peristephanon 10 (s. Romain)Proximit entre perist. 10 et perist. 2 et 5 ( 120-121) Perist. 10 : tragdie chrtienne ? ( 122-124) ; pome marginal ( 125-127) ; pome de transition ? ( 128-130)

51

2. a)

LES POMES ANCIENS ET LES SEPT PASSIONS Peristephanon 9 (s. Cassien), 11 (s. Hippolyte) et 12 (sts Pierre et Paul)Un triptyque ( 131-133) Paralllisme entre perist. 9 et 11 ( 134-137) Le voyage romain et son influence ( 138-140) Antriorit de perist. 9 et 11 relativement perist. 3 ( 141-143) Perist. 12 : pome central et pome part ( 144-146)

55 55

b)

Les sept PassionsAnciennet de sept pomes ( 147-148) Les sept Passions : ensemble organique ( 149-153), canon de martyrs ( 154-157) Reconstitution du recueil primitif ( 158-161)

61

c)

Le titre des pomes du PeristephanonPrsence de deux types de titres ( 162-163) Fidlit des copistes ( 164-167) Antiquit des titres ( 168-169) Authenticit des titres ( 170-173)

66

3. a)

LES POMES TARDIFS ET LE PERISTEPHANON Peristephanon 1 (martyrs de Calahorra), 3 (ste Eulalie), 4 (XVIII martyrs de Saragosse) et 6 (s. Fructueux et compagnons)Perist. 1, 3, 4 et 6 : hymnes hispaniques ( 174) Contemporanit des hymnes hispaniques ( 175-177) Datation de perist. 6 ( 178-179)

71 71

b)

Peristephanon 7 (s. Quirin de Siscia) et 8 (baptistre de Calahorra)Perist. 7 et 8 : pomes damasiens ( 180-182) Perist. 7 : hymnus romain ( 183-186) Perist. 8 : pome marginal ( 187-189)

73

c) 4. a)

Le Peristephanon et le CathemerinonLe modle des hymnes ambrosiennes ( 190-191) Deux recueils de douze pomes ( 192-196)

77 80 80

RCAPITULATION lments de datation des pomes du PeristephanonChronologie absolue : terminus post quem (398-399) ( 197), terminus ante quem (404) ( 198) Chronologie relative ( 199-200) Chronologie relative et/ou tapes ditoriales ( 201)

b)

Les sept Passions et leur ordre : vue synthtique ( 203-205)Forme du pome ( 203) Martyr clbr ( 204) Thmatique et rcit ( 205)

81

III. 1. a)

TRANSMISSION ET RCEPTION DU PERISTEPHANON TRADITION MANUSCRITE DU PERISTEPHANON Classement des manuscrits de PrudenceParticularits de la tradition manuscrite ( 206-210) Histoire et gographie de la tradition manuscrite ( 211-215) Qualit des deux classes et critres de rpartition ( 216-218)

83 83 83

b) c)

Ordre des pomes de Prudence dans les manuscritsuvres de Prudence ( 219-222) Pomes du Peristephanon ( 223-226)

86 89

Modifications et complments apports par la tradition manuscriteAjout de pomes pigraphiques ( 227-228) Intrt pour les mtres utiliss par Prudence ( 229-230) Scholies et commentaires ( 231-233)

2. a)

LE PERISTEPHANON AU COURS DE LHISTOIRE Le corpus prudentien, texte scolaire et modle littraireTmoignages antiques ( 234-237) Les VIIe et VIIIe sicles ( 238-240) Les IXe et Xe sicles ( 241-245) Le XIe s. et le Moyen-ge classique ( 246-248) La fin du Moyen-ge et les temps modernes ( 249-251)

91 91

b)

Les pomes lyriques de Prudence, source liturgiqueChant des pomes de Prudence ? ( 252-253) Reprise d'extraits dans les liturgies latines ( 254-255) Promotion du culte de martyrs ( 256-259)

100

c)

Le Peristephanon, document historiqueMartyrologes historiques ( 260-261) Collections hagiographiques modernes ( 262-263) Histoire culturelle ( 264-267)

103

3. a)

LE PERISTEPHANON AUJOURD'HUI Intrt du PeristephanonQue lire dans le Peristephanon ? ( 268) Lecture interdisciplinaire du Peristephanon : passages pertinents ( 269) ; exempla et motifs scripturaires ( 270) ; "catalogues" du Peristephanon ( 271) ; aspects de l'Antiquit tardive ( 272) ; religion paenne ( 273) ; archologie palochrtienne ( 274) ; christianisme antique ( 275-276) ; droit canon ( 277) ; culte des martyrs ( 278) ; passion des martyrs ( 279)

106 106

b)

tat de la rechercheOrientations de la recherche ( 280-283) Questions ( 284-287) Conclusion ( 288-290)

110 115 128 130 132 139 141 144

BIBLIOGRAPHIEGnralits ditions des uvres de Prudence tudes et autres ouvrages utiliss

APPENDICE A : liste des uvres de Prudence APPENDICE B : motifs propres aux "passions littraires" dans le Peristephanon APPENDICE C : titre des pomes dans la tradition manuscrite INDEX DES MANUSCRITS INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MDIVAUX INDEX DES AUTEURS MODERNES

SECONDE PARTIE

LES SEPT PASSIONS DE PRUDENCE (PERISTEPHANON 2. 5. 9. 11-14) COMMENTAIRE PERISTEPHANON 2 PREMIRE PASSION :Passion du bienheureux martyr Laurent (Passio Laurentii beatissimi martyris)(NOTICE) Le martyr Le pome Plan Mtre COMMENTAIRE

147 149149 153

PERISTEPHANON 5 SEPTIME PASSION :Passion de saint Vincent martyr (Passio sancti Vincenti martyris)(NOTICE) Le martyr Le pome Plan Mtre COMMENTAIRE

233233 237

PERISTEPHANON 9 TROISIME PASSION :Passion de Cassien d'Imola (Passio Cassiani Forocorneliensis)(NOTICE) Le martyr Le pome Plan Mtre COMMENTAIRE

321321 325

PERISTEPHANON 11 CINQUIME PASSION : Valrien, vque : Passion du bienheureux martyr Hippolyte (Ad Valerianum episcopum de passione Hippolyti beatissimi martyris)(NOTICE) Le martyr Le pome Plan Mtre COMMENTAIRE

345345 349

PERISTEPHANON 12 QUATRIME PASSION :Passion des Aptres (Passio Apostolorum)(NOTICE) Les martyrs Le pome Plan Mtre COMMENTAIRE

413413 417

PERISTEPHANON 13 DEUXIME PASSION :Passion de Cyprien (Passio Cypriani)(NOTICE) Les martyrs Le pome Plan Mtre COMMENTAIRE

433433 437

PERISTEPHANON 14 SIXIME PASSION :Passion d'Agns (Passio Agnes)(NOTICE) La martyre Le pome Plan Mtre COMMENTAIRE

463463 467

PREFACEVeritas coram potestates liberos reddit et uim dat martyrii. Mieux faire connatre une "Lgende dore" crite durant l'Antiquit tardive dans les mtres lyriques d'Horace : tel est l'objectif premier de ce Commentaire de sept pomes du Peristephanon de Prudence, prcd dune Introduction qui considre d'une part le contexte dans lequel fut produit ce recueil (chapitre 1), d'autre part, sa transmission et sa rception, jusqu' nos jours (chap. 3). Pourquoi sept pices sur les quatorze que comprennent les ditions modernes, et pourquoi les pomes 2, 5, 9 et 11 14 ? L intervient la "thse" nouvelle de cet ouvrage, celle de l'existence primitive d'un noyau de sept Passions, constituant un canon de martyrs (chap. 2). Deux lments m'ont amen laborer cette thorie : d'une part, l'examen dtaill des divers pomes du Peristephanon actuel, avec leurs datations respectives et leurs rapports mutuels ; d'autre part, le fait tonnant d'un dsordre au sein du recueil (et dans la tradition manuscrite), alors que le premier recueil lyrique de Prudence (le Cathemerinon) et mme l'ensemble de son uvre prsentent un ordonnancement remarquable des pices qui les composent. Or, sept pomes, les plus anciens, portent systmatiquement le titre Passio, alors que les pices plus rcentes ont celui d'Hymnus sans raison apparente. L'examen de ces titres (lexique, syntaxe) et de leur transmission dans une trentaine de manuscrits permet de conclure leur trs probable authenticit. Il n'y aurait l que fantaisie ou changement d'avis de l'auteur, si ces sept pomes n'avaient pas certains traits communs autres que leur anciennet : des caractres propres les faisant ranger en deux voire trois "sous-groupes" bien identifiables, et surtout, le fait que les martyrs clbrs sont pour la plupart illustres et clbrs universellement (contrairement ceux des Hymni). Les Passiones forment un ensemble comprenant des "types" de martyrs, un "canon" non seulement thmatique mais aussi formel rien de tel n'apparat dans les Hymni. Cette thse aboutit proposer une reconstitution de ce qua pu ou d tre ce recueil primitif. Paru en 2003 en tant que volume 46 de la collection PARADOSIS, tudes de littrature et de thologie anciennes, ce texte correspond la thse prsente la Facult des Lettres de l'Universit de Genve pour l'obtention du grade de Docteur, et soutenue le 12 avril 1997 (mention trs honorable). Pour la clart de la consultation, une traduction des pomes comments a t ajoute ; conscutivement, le commentaire a pu tre abrg. Quelques autres amnagement ont t oprs, y compris des complments, partiels, destins actualiser la bibliographie. La pagination de la prsente version est identique celle de la version imprime, dont les originaux prts la reproduction avaient t tablis par lauteur. L'essentiel de la thorie des "sept Passions" avait t labor durant une nuit de fvrier 1992, mais les pages qui suivent sont le produit de recherches, en partie interdisciplinaires, faites essentiellement entre 1990 et 1995. Ces pages ont t rdiges surtout l'occasion de voyages et sjours l'tranger : Scuola Normale Superiore de Pise (bourse d'change de l'Universit de Genve) ; Paris, cole Pratique

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des Hautes tudes, ainsi qu'cole Normale Suprieure (rue d'Ulm) et Universit Paris IVSorbonne (bourse de la Socit acadmique) ; Institut suisse de Rome, avec tudes la Scuola Vaticana di Paleografia ainsi qu'au Pontificio Istituto di Archeologia Cristiana (bourse du Fonds national de la recherche scientifique, qui a galement appuy limpression de cet ouvrage). Il sied de remercier ces institutions et qui m'ont plus brivement accueilli, qu'il s'agisse des collges Wadham et Christ Church d'Oxford, de l'Institut de Recherche sur l'Histoire des Textes (Paris) ou de l'Institut des tudes Augustiniennes (Paris, avec des remerciements au P. Georges Folliet). L'expression de ma gratitude va galement aux conservateurs des collections dont j'ai pu consulter des manuscrits1. Heureux qui, comme Ulysse a fait un beau voyage Cette thse qui m'a men dans les plus belles bibliothques d'Europe et jusque dans certaines catacombes romaines difficilement accessibles fut un beau voyage, mais la gratitude qu'il inspire ne va pas qu' des ports d'attache ou de passage, mais surtout des personnes qui furent et sont des amis, des matres, parfois l'un et l'autre. Je tiens adresser de vifs remerciements aux membres du jury de thse : au prof. Mudry, directeur, pour sa confiance, ses encouragements et son engagement ; au prof. Tilliette, prsident, qui a apport un soutien bienveillant et permanent ; au prof. Callu, auprs duquel la "thse" des sept Passions a vu le jour et connu sa premire mise l'preuve, dans un mmoire de D.E.A. de l'cole Pratique des Hautes tudes ("Mthodes de l'histoire et de l'archologie") ; au prof. Trnkle, enfin, dont plus d'un commentaire a t repris dans les pages qui suivent. L'Universit de Fribourg, au sein de laquelle j'ai pu pour la premire fois prsenter ce travail (Groupe suisse d'tudes patristiques) et tout particulirement le prof. Wermelinger m'ont apport un appui prcieux pour la publication de cet ouvrage. Bien auparavant, l'enseignement reu au sein de la Facult des Lettres de l'Universit de Genve, au-del de la seule unit de latin2, a beaucoup apport ce travail, bien des gards : qu'un hommage soit rendu ici MM. Hurst, Borgeaud, de Muralt, de Pury et Leukart, qui furent plus que des "professeurs", l'instar de M. Callu et aussi de M. Petitmengin, alors responsable de la bibliothque de l'cole Normale Suprieure, qui ma initi la palographie latine. Je tiens galement adresser un hommage posthume au prof. Reverdin, dont le soutien fut indfectible. Merci aussi Florence Bourgne, qui m'a introduit au monde d'Oxford et de Cambridge, et mes remerciements trs sincres aux familles Fusco, Kolde, Andrist, Solari, et bien sr ma propre famille. Sur ce, encore deux vux : celui d'avoir contribu par ce Commentaire ce que Prudence, l'"Horace chrtien", soit davantage tudi dans les lyces ou les universits et celui de prolonger ou de voir prolong un jour, par le commentaire ou la traduction, ce travail au reste du Peristephanon voire aussi au Cathemerinon. Tokyo, octobre 2002 et octobre 20031

Biblioteca Medicea Laurenziana (Florence), Bibliotheca Apostolica Vaticana (Rome), Bibliotheca Bodmeriana (Genve), Bibliothque municipale (Lyon), Bibliothque nationale (Paris), Bibliothque royale Albert-Ier (Bruxelles), Bibliothque de Ste-Genevive (Paris), Bodleian Library (Oxford), British Library (Londres), Burgerbibliothek (Berne), Stiftsbibliothek (S.-Gall), Univ. Library (Cambridge). 2 Il sied de remercier ici son responsable, le prof. Paschoud, pour les conseils qu'il m'a donns.

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PREMIRE PARTIE

LES SEPT PASSIONS DE PRUDENCE (PERISTEPHANON 2. 5. 9. 11-14) INTRODUCTION GNRALE

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Note liminaire Dans les pages qui suivent, les textes anciens cits le sont, sauf indication spciale, d'aprs les ditions indiques dans l'Index du Thesaurus lingu Latin (dont on a aussi repris les abrviations) ; hormis le cas des inscriptions ou extraits de manuscrits donns, l'orthographe a t normalise en reprenant les choix, parfois arbitraires mais largement rpandus, du Dictionnaire Latin Franais de Flix GAFFIOT, mais sans distinguer entre les lettres i et j, respectivement u et v. Pour les ouvrages modernes, les renvois sont faits la Bibliographie par nom d'auteur et anne de publication peu dentre elles vont au-del du XXme sicle, ces pages (hormis les traductions) ayant t pour lessentiel rdiges entre 1995 et 1997 ; dans certains cas spcifiques, des rfrences des articles rcents apportant dutiles complments ou confirmations ont t mentionns. Les autres abrviations suivent l'usage commun, avec cependant trois particularits : - les renvois internes au Commentaire (signe "" avec le passage concern) ; - les renvois internes l'Introduction, d'aprs la numrotation continue en paragraphes (et non les pages) ; (v. mention ici des liens hypertexte ?) - les renvois aux paragraphes de l'tude sur la langue du pote Prudence de LAVARENNE (Paris, 1933), par les mentions LAVARENNE . DECA renvoie au Dictionnaire encyclopdique du christianisme ancien (dir. DI BERARDINO, adapt. franaise VIAL, d. originale Genova 1983), Paris 1990. Pour les autres abrviations dinstrumenta et de collections, cf. p.ex. les pp. XXIII-XXXI de la Clauis Patrum Latinorum (E. DEKKERS et . GAAR, Steenburgis 31995), ouvrage abrg CPL.

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I.1. a)

CONTEXTE DE LA COMPOSITION DU PERISTEPHANONL'AUTEUR Vie de Prudence

Nom, patrie 1 Aurelius Prudentius Clemens : le nom du pote est transmis par les manuscrits1 ; aucun crivain ou document contemporain ne le mentionne2. Ce sont ses uvres qui nous renseignent sur sa vie, en particulier la Prfatio, ainsi que le Peristephanon. 2 Certains pomes du Peristephanon permettent de dterminer que Prudence fut originaire d'Hispania Tarraconensis, du bourg de Calagurris (Calahorra, patrie aussi de Quintilien), qui appartenait au conuentus Csaraugustanus et dpendait admistrativement de Saragosse3. L'origine hispanique de Prudence transparat dans le choix du sujet de ses pomes : outre l'illustre martyr Vincent, il a clbr ceux de Calahorra, de Saragosse, de Tarragone et de Mrida4. Il se prsente lui-mme comme un provincial (poeta rusticus), spar de Rome par les Alpes, par les Pyrnes et par l'bre5. 3 cette patrie locale, sa domus6, s'ajoute, plus universelle et probablement plus fascinante pour Prudence, celle de Rome : le Contre Symmaque, o il dveloppe une thologie politique, illustre bien ce patriotisme romain parfois extrme7 ; perist. 21

Prudence ne se nomme qu'une fois dans ses pomes (perist. 2, 582 Christi reum Prudentium), hormis d'ventuelles allusions cryptes (cf. 38 n. 106). 2 Le De viris illustribus de s. Jrme (en 392) nen fait pas mention ; Sidoine Apollinaire (en 472) et Gennade (fin du Ve s. ; cf. 235) sont les premiers citer son nom. La seule exception de taille, si lindication, non confirme, est authentique est une inscription sur une urne en terre cuite (dcouverte en 1952 Tortona, dans le Pimont ; LO PORTO 1957) qui contiendrait les os du pote : H(ic) PVLVIS AVR(elii) | PRVDEN(tii) CLEMENTIS | POET H(ominis) B(oni). Auquel cas, Prudence serait mort en Italie. 3 La question de la patrie de Prudence a suscit un dbat chez des auteurs espagnols, qui dfendent parfois la thse d'une origine de Tarragone ou surtout de Saragosse. On en a les dtails chez ORTEGA & RODRIGUEZ (1981, p. 4*-17* ; il ne faut cependant pas tenir compte de l'argument de la disposition des pomes, p. 14*-16*, l'ordre actuel des pomes, assez arbitraire, tant moderne [ds 1527] : cf. ci-aprs, 126. 251) ; cf. aussi LANA 1962, p. 3-10. 4 Cf. resp. perist. 5 ; 1 et 8 ; 4 ; 6 ; 3 (soit prs de la moiti du recueil). Les pices concernant les martyrs romains (perist. 2 ; 11 ; 12 ; 14, et indirectement perist. 7) sont moins nombreuses. 5 Cf. perist. 2, 537-540. L'expression audi poetam rusticum ( 2, 574) voque le fait que Prudence n'habite pas Rome (et nest pas une confession convenue de mdiocrit littraire). On a de mme, en perist. 13, 104 (), en fin d'une numration de peuples, la mention de l'Hispanie (Christum serit ultimis Hiberis), mise en vidence et vue comme loigne de tout. 6 Les pomes o Prudence voque son voyage Rome comprennent tous une mention de son retour : perist. 9, 106 domum reuertor ; 11, 179 quod ltor reditu ; 12, 65 tu domum reuersus. En perist. 9, 104, il est aussi question du dpart : post terga domum dubia sub sorte relictam. 7 Cf. KAH 1990, p. 247-251 (corrig par GNILKA, 1994) ; KLEIN 1986 ; ARGENIO 1973 ; CACITTI 1972 ; PASCHOUD 1967, p. 222 : "c'est chez Prudence que la thologie politique et le patriotisme romain et chrtien du sicle de Constantin atteignent leur plein dveloppement."

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INTRODUCTION

voque le rle providentiel de Rome, et le Peristephanon clbre, outre saints Pierre et Paul, les martyrs romains par excellence que sont saints Laurent et Agns, ainsi que d'autres, moins connus, qui reposent dans les catacombes romaines8. Prudence ne semble avoir visit la ville de Rome que tardivement et, ses dires, pour des motifs graves9 ; ce qui fut aussi un plerinage influena lhomme et lauteur10. 4 Le choix mme des martyrs clbrs dans le Peristephanon laisse entrevoir un patriotisme limit la partie occidentale de l'Empire11 ; s'il exalte Rome comme creuset des nations et terre des martyrs12, Prudence ne dit mot de Constantinople et ignore l'Empire d'Orient lorsquil numre les parties du monde13. Cette attitude de Prudence, partage par ses contemporains, apparat comme symptomatique de son temps : quand en 395 meurt Thodose14, l'Empire perd son dernier dirigeant unique et devient l'objet d'un partage dont l'Histoire montrera qu'il fut dfinitif. La Prfatio et les tapes de la vie de Prudence 5 Pome autobiographique et programmatique destin tre plac en tte des uvres de Prudence, la Prfatio apporte des renseignements prcis, comme l'anne de naissance de lauteur (348)15 et l'ge tardif auquel il compose ses pomes (56 ans)16.8 Cf. resp. perist. 12 ; 2 et 14 ; 7 et 11 (sur ces deux pomes, cf. ci-aprs n. 11). 9 Cf. 131 et n. 67. 10 Sur son chemin, Prudence a pri sur la tombe de s. Cassien

(perist. 9, 3-6). Rome, il allait souvent sur celle de s. Hippolyte (perist. 11, 178 oraui quotiens stratus), prit part aux ftes de sts Pierre et Paul (29 juin ; voque en perist. 12) et de s. Laurent (10 aot ; probable modle de la description du plerinage de s. Hippolyte, perist. 11, 195-230). Dautres pomes sont inspirs de souvenirs romains, voire suscits par ce voyage (perist. 7 ; 8 : cf. 180-187). 11 Seul s. Romain dAntioche (perist. 10, pome marginal : cf. 125-127) est un Oriental, alors que s. Quirin de Siscia (perist. 7) se situe la limite des deux moitis de lEmpire (mais il est enterr Rome) leur nom trs romain a-t-il jou un rle pour Prudence ? Par ailleurs, sil loue en perist. 13 s. Cyprien comme un Docteur de l'glise, il ne dit rien en perist. 11 des uvres (grecques) de s. Hippolyte (hrsiarque dont la conversion et le martyre, prs du port de Rome, lui valent une rintgration dans l'glise, avec le transfert de ses reliques Rome). 12 Rome est tte de l'humanit (perist. 2, 413-440) et cit des martyrs (perist. 2, 541- 544 ; 4, 62-64 ; 11, 1-6). La dvotion des Romains, cite en exemple (perist. 11, 231-236 ; 12, 65-66), est voque dans des descriptions autobiographiques (perist. 11, 175-230 ; 12, 57-64). 13 En perist. 13, le rayonnement de s. Cyprien est prsent comme universel (vv. 2 decus orbis et magistrum ; 4 ubique lingua pollet) du fait que ses uvres sont diffuses "du levant au couchant" (v. 102-103), c'est--dire en fait dans toute la latinit (v. 102-104 : Africa, Gaule, Grande-Bretagne, Italie, Hispanie). En perist. 4, 9-64, les villes du monde entier (v. 13-15 orbe de magno ciuitas quque) se limitent l'aire circumpyrnenne et au nord de l'Afrique, avec une mention de Rome. L au moins, le silence de Prudence marque une rticence : lomission des villes de Galice provient du fait quen 400 tous les vques y taient priscillianistes (cf. LANA 1962, p. 5-6 ; DECA, s.v. Priscillien-priscillianisme, p. 2107-2108 [Simonetti]). 14 C'est peu aprs, semble-t-il, que Prudence se retire du monde et entreprend la composition de son uvre ; sur les rapports entre le pote et l'empereur Thodose, cf. 6. 9. 15 Cf. prf. 24 oblitum ueteris me Sali consulis arguens.

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I. CONTEXTE

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D'autres indications, moins prcises, concernent sa carrire : aprs avoir gouvern deux villes importantes et y avoir rendu la justice, Prudence fut appel la cour de l'empereur, avec un rang de proximus17. Ce qui concerne sa jeunesse, hormis le fait de la pratique du droit (cf. prf. 13-15), est strotyp, peut-tre sur le modle du dbut des Confessions de saint Augustin18. 6 Prudence, g de 14 ans au dbut de la raction paenne de Julien l'Apostat, a pu tre concern d'assez prs par ses mesures contre les enseignants chrtiens19. Plus tard, sa formation rhtorique et son activit au service de l'tat n'ont pu ne pas influencer ses uvres. Il a probablement rsid Milan durant l'piscopat de saint Ambroise ; il a pu tre tmoin de ses luttes contre le dernier carr paen (affaire de l'autel de la Victoire en 383)20 et contre des hrtiques (entre 385 et 386, occupation de la basilique Porcienne revendique par l'impratrice-mre Justine, arienne)21, ainsi que de la dcouverte des restes de saints Gervais et Protais (en 386)22 ou de la pnitence publique de Thodose aprs le massacre de Thessalonique (en 390)23. 7 Prudence conclut la Prfatio par l'affirmation de sa conversion et de son dsir de plaire Dieu, sinon par ses mrites, du moins grce ses pomes, qu'il numre en voquant leur propos. On entrevoit dans le Cathemerinon la vie asctique qu'il mne, avec la clbration des heures (cath. 1-9), l'observation de jenes (cath. 7-8) et mme un rgime dnique fait de produits vgtaux, de lait et de miel (cf. cath. 3). 8 Comment interprter le programme potique indiqu comme un projet la fin de la Prfatio ? Ce passage servant de partitio, le programme devrait tre dj ralis, au moins en partie, quand lauteur en rdigeait le sommaire. La date de 404,16

Cf. prf. 1-3 per quinquennia iam decem, | ni fallor, fuimus ; septimus insuper | annum cardo rotat, dum fruimur sole uolubili. Prudence a 56 ans, et non 57 comme on l'crit souvent, et la Prfatio se donne 404 comme date de composition. 17 Cf. prf. 16-21 ; LANA (1962, p. 10-23) suppose que Prudence a t corrector de la Savia (ce qui est faux, cf. 183 et n. 147), puis "proxime" au scrinium libellorum. Cf. aussi ici 9. 18 Ces auteurs ont le mme regard svre sur l'cole (AVG. conf. 1, 9, 14-15 ; PRVD. prf. 7-9) et sur les dsordres de leur jeunesse (AVG. conf. 2, 1, 1 ; 2, 2, 2 ; PRVD. prf. 10-12), ainsi que sur la pratique de la rhtorique (AVG. conf. 4, 2, 2 ; PRVD. prf. 13-15). Il est possible que Prudence ait connu les Confessions, composes la mme poque (cf. PALMER 1989, p. 6-20). S. Augustin a peut-tre lu des pomes de Prudence, cf. 234 n. 40. 19 En voquant cet empereur, Prudence dit de lui-mme me puero, ut memini (apoth. 450). 20 Symmaque, prfet de la Ville, avait demand au nouvel empereur Valentinien II (g de 14 ans) le rtablissement dans la Curie de l'autel de la Victoire, enlev par Gratien (entre-temps assassin) l'anne prcdente. S. Ambroise lempcha, grce deux lettres (adresses Valentinien : AMBR. epist. 17 et 18) dont les arguments seront repris dans le Contre Symmaque. 21 Cf. AMBR. c. Aux. ; epist. 20 et 21. Ces vnements culminent durant la semaine sainte de 386, quand l'vque, assig avec les fidles dans la basilique, leur fait chanter les hymnes de sa composition. Prudence affirme son attachement l'hymnodie liturgique (cf. perist. 2, 513516 ; 12, 60), et reprend les thmes et parfois le mtre de la posie ambrosienne. 22 Cf. AMBR. epist. 22 ; AVG. conf. 9, 7, 16 (invention du corps de ces martyrs et introduction du chant des hymnes et des psaumes dans la liturgie, cf. 43 n. 120). 23 Cf. AMBR. epist. 51 ; PAVL. MED. uita Ambr. 24.

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donne dans la Prfatio24, correspond-elle la date de la rdaction du pome (et de l'achvement du corpus) ou un moment antrieur ? La datation haute de plusieurs pomes tardifs25 amne considrer que 404 marque le moment o le pote dcida d'organiser ce corpus partir de pomes antrieurs (et o il composa la Prfatio). Les premiers pomes datables de Prudence semblent effectivement avoir t crits lors de sa retraite en Hispanie26. La virtuosit du pote, qui recourt aux formes mtriques les plus diverses, donne penser quil avait crit des pomes dj avant sa pieuse retraite : pomes perdus comme un Hexaemeron que lui attribue Gennade27 , ou peut-tre renis du fait de leur nature profane ou de dfauts littraires. Contemporains, collgues et compatriotes 9 Prudence est d'origine hispanique, comme le pape Damase et l'empereur Thodose. Ce dernier, qui n'est l'an de Prudence que d'un an, a pu le connatre durant une "retraite" en Hispanie (entre 376 et 378) et lancer peu aprs sa carrire. Aprs les 20 ans de service, elle se serait acheve avant 398-399, qui correspond au terminus post quem des deux pomes les plus anciens du Peristephanon28. 10 Milan, Prudence a t marqu par la figure de saint Ambroise (cf. 6). Il deviendra plusieurs gards son mule. L'un et l'autre ont t hauts fonctionnaires en 374, Ambroise assistait en qualit de gouverneur de la province d'milie-Ligurie l'lection qui le fit vque de Milan et, ayant atteint le fate de leur carrire civile, ont servi Dieu et l'glise par des hymnes consacres aux heures ou ddies aux martyrs, et par des ouvrages polmiques. Prudence a peut-tre assist au baptme dAugustin par l'vque Ambroise lors de la vigile pascale de 387 avant den lire l'vocation dans les Confessions (9, 6, 14), composes entre 397 et 40129. 11 Prudence a pu frquenter des potes de cour tels Ausone30 et Claudien (avec lequel il polmique indirectement en perist. 14 : cf. 105). Il a peut-tre rencontr Rome31 Paulin de Nole, auquel il rend hommage dans un catalogue de plerins32.

24 Cf. 25

5 n. 15-16. Perist. 6, l'un des derniers pomes du Peristephanon, fut crit avant 404 (cf. 178-179). C. Symm. 2, compos avant le sac de Rome par Alaric (410), le fut aprs Pques 402 (allusion la bataille de Pollentia, o Alaric est dfait) ; or, ce livre, dont les dimensions sont presque le double de celles de c. Symm. 1, lui est clairement postrieur. On peut situer la composition du moins une premire rdaction de c. Symm. 1 en 391 (cf. CALLU 1981, p. 235-259), avec au moins une retouche en 399 (allusion des dispositions lgales contemporaines ; cf. 104 n. 10-11 ; cf. aussi PETRUCCIONE 1989 ; SHANZER 1989 ; DOEPP 1986). 26 C'est en part. le cas de perist. 2, pome ancien, crit Calahorra aprs 399 (cf. 100. 104). 27 Cf. GENNAD. uir. ill. 13 commentatus est autem in more Grcorum Hexaemeron de mundi fabrica usque ad conditionem primi hominis et pruaricationem eius. Cet ouvrage est voqu par Notker (840912), qui navait probablement sous les yeux que la notice de Gennade (cf. 242 n. 68). 28 Cf. 104-105 ; chronologie tablie par LANA 1962, p. 22-23 ; cf. aussi HARRIES 1984. 29 On a un cho des Confessions de s. Augustin dans la Prfatio : cf. 5 et n. 18. 30 Prudence limite volontiers ; cf. CHARLET 1980b.

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12 Prudence semble avoir dabord puis son inspiration dans les classiques (Virgile et Horace) et chez nombre de potes profanes (cf. 40-41) ; linfluence de ses contemporains fut surtout celle dAmbroise, qui lui fournit l'essentiel de ses thmes et par l'intermdiaire de l'vque de Milan33, puis de manire posthume, Rome de Damase, auteur d'pigrammes consacres aux martyrs34. 13 Bras droit de ce pape, saint Jrme, n probablement la mme anne que Prudence, nen fait pas mention dans son De uiris illustribus (notices relatives aux auteurs chrtiens) compos en 392. Prudence ne semble pas non plus connatre la Vulgate (ralise entre 391 et 406) l'poque o il compose ses pomes, mais il utilise apparemment une notice de la Chronique hironymienne comme source de perist. 735. 14 Les circonstances ont fait qu'aucun de ses contemporains ne nomme ou ne cite Prudence, alors que la premire mention son sujet, qui date de la fin du Ve s., sera des plus logieuses, et laissera croire qu'il est devenu un classique36. b) uvres de Prudence

Diversit des uvres de Prudence 15 Avec ses 3 762 vers, le Peristephanon totalise plus du tiers des 10 890 vers que comptent les uvres conserves de Prudence37. Comme Horace, Prudence a crit une partie de son uvre en hexamtres dactyliques, et plus de la moiti dans d'autres formes potiques38. Les pomes hexamtriques sont didactiques (Apotheosis, Hamartigenia, Psychomachia, Contra Symmachum)39 et pigraphiques (Dittochon). Parmi les autres pices, composes dans des mtres varis, on peut distinguer : les hymnes, regroupes dans des recueils (Cathemerinon, Peristephanon) ;31

S. Paulin assistait rgulirement la fte des Aptres, le 29 juin (cf. epist. 18, 1 ; 20, 2 nos ipsos Rom, cum sollemni consuetudine ad beatorum Apostolorum natalem uenissemus, tam blande quam honorifice excepit), dans les annes o le fit Prudence (cf. perist. 12). 32 Cf. perist. 11, 199-212 () et COSTANZA 1977 (et 1976 ; 1983). Parmi ses contemporains, Prudence imite aussi les auteurs (anonymes) des Carmina anti-paens (cf. POINSOTTE 1982). 33 Ambroise s'engagea pour Damase lors du concile d'Aquile (381) qui exigea de l'empereur qu'il luttt contre l'anti-pape Ursin (cf. AMBR. epist. 11). Les deux vques, fermes face au pouvoir civil, partagent aussi un intrt particulier pour la constitution d'une liturgie latine et pour le culte des martyrs (prises de position analogues contre le refrigerium, cf. 96). 34 Une inscription damasienne est mentionne et imite en perist. 11, 19-38 ; une autre est imite et transpose un autre martyr en perist. 5, 249-264 (). Sur cette influence et celles d'inscriptions profanes plus anciennes, cf. GOMEZ PALLARES 1996. Prudence sert aussi la politique de Damase et de son entourage, cf. 181-183. 185-187. 35 Cf. 183 et n. 147. 36 Cf. SIDON. epist. 2, 9 (dat de 472). ce sujet, cf. 235 et n. 41. 37 Les dimensions de l'uvre de Prudence sont comparables celles de l'ensemble des pomes conservs de Virgile (12 908 vv.) et d'Horace (6 527 vv.). 38 Satires et ptres d'Horace totalisent 2 792 hexamtres, pour 3 735 vv. constituant les Odes et les podes. Chez Prudence : 4 754 (pomes hexamtriques) et 6 136 vv. (pices lyriques). 39 Sur ces pomes, cf. FONTAINE 1981, p. 195-209.

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les pomes servant de cadre aux uvres de Prudence (Prfatio, Epilogus) ou de prface chacun des traits didactiques (prfationes, sans titre) ou encore l'ensemble de ces traits (Hymnus de Trinitate)40. L'uvre de Prudence est entirement "chrtienne" : ses pomes didactiques ont un contenu thologique et moral (Apotheosis : nature de Dieu en particulier, doctrine de la Trinit ; Hamartigenia : origine du mal ; Psychomachia : combat de l'me, et dans l'me, de Vertus et de Vices personnifis) ou polmique (Contra Symmachum : contre le paganisme) ; sa partie lyrique ou pigraphique est lie soit la prire et la liturgie (Cathemerinon : heures, circonstances de la vie chrtienne, ftes du Seigneur ; Peristephanon : martyrs), soit leur cadre (Dittochon, ainsi que perist. 8)41. 16 Un tel clectisme dans les sujets et dans les formes mtriques, mettant les ressources de la posie profane au service de la culture et de la pense chrtiennes, n'est pas sans voquer celui des premiers auteurs latins (Livius Andronicus, Nvius), polygraphes qui transposaient les genres littraires grecs au domaine romain. Ce qu'il y a de singulier chez Prudence est l'organisation de ses pomes varis en un ensemble structur tentative apparemment sans parallle dans l'Antiquit. Prudence ne se limitait donc pas donner une rponse concrte aux attaques diriges par ceux qui voulaient, pour diverses raisons, dissocier le christianisme de la culture latine, mais, sur le plan littraire mme, il introduisait un concept nouveau. Organisation des uvres de Prudence 17 Dans les meilleurs manuscrits42 et d'aprs les indications de la Prfatio 43, les pomes de Prudence ont la prsentation suivante, selon une disposition spculaire :, ,

Prfatio Epilogus Cathemerinon Peristephanon De Trinitate Romanus Apotheosis, Hamartigenia Contra Symmachum I & II Psychomachia, ,

Prfatio et Epilogus dlimitent un ensemble dont le Dittochon est implicitement exclu44 ; Cathemerinon et Peristephanon, respectivement suivi et prcd de pices de transition45, encadrent les cinq livres didactiques. La Psychomachie, cur de ce corpus40 En 41

fait, le De Trinitate semble avoir eu la fonction de pome de transition, cf. 129. Perist. 8 tait destin orner un baptistre ; le Dittochon (ou Tituli historiarum) est un ensemble de quatrains, lgendes pour une srie de reprsentations d'pisodes bibliques. 42 Mss des familles et , dfinies aussi par l'ordre des pomes, cf. 216-218. 223-226. 43 Cf. prf. 37-42 hymnis continuet dies | nex nox ulla uacet quin Dominus canat ; [= cath.]| pugnet contra hreses, catholicam discutiat fidem ; [= apoth. et ham. ; psych. ?]| conculcet sacra gentium, labem, Roma, tuis inferat idolis ; [= c. Symm.]| carmen martyribus deuoueat, laudet apostolos [= perist.]. 44 Le Dittochon est le seul pome ne pouvoir s'insrer dans la partitio de prf. 37-42, et il est rejet aprs l'Epilogus par de nombreux mss (cf. 222. 227). 45 De Trinitate et Romanus (perist. 10) ; cf. 128-130, en part. 129 n. 64.

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hexamtrique46 et de l'ensemble, apparat galement comme la charnire d'un diptyque : le premier des volets concerne l'glise devant Dieu et en butte un mal "intrieur", celui du pch et de l'hrsie (cath. ; apoth. ; ham.) ; le second montre l'glise face aux attaques des gentils (c. Symm. ; perist.) ; la Psychomachie unit et dpasse ces deux combats en plaant la lutte au cur de l'me humaine. 18 Si diverses lectures de cet ensemble peuvent tre proposes, il demeure certain que Prudence n'a pas dispos ses pomes de manire fortuite : l'existence d'un appareil de prfaces le laisse entendre, ainsi que le fait que l'auteur a laiss de ct certaines de ses uvres47. Il est non moins certain que ce "super-pome" n'a pas t conu comme tel ds le dbut, et que ce sont au moins en partie des livres l'origine indpendants qui y ont t rassembls ; les fortes irrgularits dans les dimensions des pomes constituent un indice de cela, notamment celles des livres du Contre Symmaque, un diptyque dont les volets ont respectivement 657 et 1 132 vers48. 19 De mme qu'il faut considrer les pomes du Peristephanon comme entits propres et comme lments d'un recueil, il convient d'examiner aussi bien l'conomie interne au Peristephanon que ses rapports avec le grand ensemble organis par le pote : des liens existent entre le Peristephanon et son pendant le Cathemerinon (place, forme et contenu49) ; en outre, l'opposition entre christianisme et paganisme idoltre qu'illustrent les rcits du Peristephanon se prolonge jusqu' l'poque de l'auteur, avec le Contre Symmaque (plac immdiatement avant le Peristephanon) ; enfin, le combat des martyrs se retrouve, allgoris, dans les descriptions et rcits de la Psychomachie. Le Peristephanon : titre 20 Peristephanon liber : ceux qui ne se limitent pas transcrire le grec traduisent par "Livre des Couronnes"50. Prudence mentionne plusieurs fois ce symbole du salut des martyrs, parfois avec insistance, mais non systmatiquement51 : il n'y a donc pas l de fil conducteur qui dnoterait un projet d'ensemble au titre prtabli52 ; du reste, un autre symbole important de la victoire des martyrs, la palme, apparat dans autant de pices du Peristephanon53 que celui de la couronne.46

La Psychomachie parachve un ensemble de pomes thologiques (l'Hamartignie est comme un "carnet d'tudes" pralable ce pome ; cf. FONTAINE 1981, p. 203) et annonce le Contre Symmaque (les luttes de la Psychomachie ont une allure de combat de Rome contre la barbarie, et le premier duel concerne du reste l'idoltrie ; cf. ibid., p. 209). 47 Ni le Dittochon, ni l'Hexaemeron (perdu) mentionn par Gennade (cf. 8 n. 27) ne sont voqus dans la Prfatio et ne font partie du grand ensemble qu'elle introduit. 48 Sur la gense de ce dsquilibre dans le Contre Symmaque, cf. 8 n. 25. 49 Cf. 192-196 : par symtrie avec le Cathemerinon, le Peristephanon a d comprendre 12 pices. 50 Cette interprtation est ancienne : Grgoire de Tours (glor. mart. 93) et, sa suite, Bde (martyrol., PL 94, 853a) et Adon (martyrol., PL 123, 235b) parlent de liber Coronarum. 51 On a des formes de corona et de coronare en perist. 2. 4-6. 8. 10. 14, mais non ailleurs. 52 Comme cest le cas pour lensemble du corpus (cf. 18), Prudence a probablement repris, pour partie au moins, des pomes ou des groupes de pomes originellement indpendants. 53 Cf. perist. 2, 32 ; 4, 77. 106 ; 5, 384. 539 () ; 6, 24 ; 7, 53 ; 8, 12.

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21 Le choix du terme permet un jeu de mots entre le nom commun "couronne" et le nom propre du Protomartyr, le diacre tienne54 (auquel il est fait allusion une fois dans le Peristephanon55). Le titre du recueil peut aussi tre entendu comme "Livre des tienne", le premier modle donnant par antonomase de Voss son nom ses mules et successeurs. Il convient donc de suivre l'usage actuel vitant la traduction un peu rductrice de "Livre des Couronnes", qui a pour dfaut supplmentaire de ne pas bnficier du touch of class que devaient comporter ces titres grecs pour les lecteurs latins auxquels taient destins ces pomes. 22 l'exception du Contra Symmachum et de la Prfatio, toutes les compositions de Prudence ont un titre grec. Par sa forme (translittration du grec, amalgame d'une prposition et d'un nom au pluriel : ), le titre Peristephanon est trs proche de celui de l'autre recueil lyrique, le Cathemerinon. Ces dsignations remontentelles l'auteur ? On peut rpondre par l'affirmative, dans la mesure o la forme grecque, donc rudite, de ces titres56 laisse supposer que le pote-diteur plutt qu'un copiste fut leur origine. Surtout, l'expression hymnis continuet dies de prf. 37 ("que de ses hymnes [mon me] emplisse continment les jours"), sans voquer tout le contenu du Cathemerinon (qui comporte aussi des pomes relatifs des ftes, et non seulement aux heures), en reflte prcisment le titre ( : "au fil des jours"). Enfin, pour trois des pomes didactiques, le titre grec transmis par les manuscrits est attest par Gennade dj. Cependant, ni ce tmoin de la fin du Ve s., ni le plus ancien manuscrit de Prudence ne mentionnent le titre des recueils lyriques57. 23 Pour des raisons pratiques, et selon un usage bien attest58, chaque pome recevait de son auteur un titre pour le dsigner et le distinguer des autres. Ce qui est vident pour les pices isoles ne l'est pas forcment pour les recueils : l'achitecture potique constitue par Prudence ne porte aucun titre. Si l'auteur n'a pas pu ou voulu donner de titre l'ensemble gnral, il est possible que les deux recueils lyriques, dont chaque pice devait dj avoir son titre propre, n'aient reu de dsignation gnrale grecque que par analogie et en vertu d'une tradition, dans une phase d'dition laquelle l'auteur n'avait plus ncessairement part. Le Peristephanon : contenu et prsentation 24 Dans sa forme habituelle, le Peristephanon se compose de quatorze pomes de dimensions et de contenus divers, ayant en commun la clbration de martyrs. La54

On a souvent le mme jeu tymologique dans les sermons de s. Augustin : cf. p.ex. serm. 304, 2 (rpt 4 fois) ; 204, 3 et [cod. Guelf. 24,1 p. 522, 14-15], o est donne l'tymologie grecque de Stephanus. D'autres encore rapprochent Stephanus et corona : HIER. adu. Iouin. 1, 35 Stephanus diaconus, qui primus martyrio coronatus est ; in Abd. 13 Stephanus martyrio coronatus. 55 Cf. perist. 2, 369-372 talemque et ille prtulit | oris corusci gloriam | Stephanus per imbrem saxeum | clos apertos intuens (comparaison entre les martyres de s. tienne et de s. Laurent). 56 Le recours une forme grecque est frquent chez les potes latins : cf. 171 n. 127. 57 Ce ms. est le ms. A, qui date du VIe s., cf. 207-208. Un peu rapidement, BROZEK (1983) ne considre comme authentiques que les trois titres cits par Gennade (uir. ill. 13). 58 Cf. 170-173 (possibilit que Prudence ait veill lui-mme donner un titre ses pomes).

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prsentation des ditions imprimes59 est arbitraire concernant l'ordre des pomes variant fortement d'un manuscrit l'autre60, mais ne correspondant jamais l'ordre "standard" voire mme le contenu du recueil, dont il faudrait carter perist. 8 et 10. 25 Par leur genre littraire (et leur titre), leurs dimensions (18 et 1 140 vers) et d'aprs certains faits de la tradition manuscrite, ces deux pomes apparaissent en effet comme des cas extrmes ou des exceptions dans le Peristephanon. Aux divers indices qui concourent faire exclure perist. 8 et 10 du recueil (cf. 125-126. 188189), on peut ajouter la vraisemblance d'un scnario o le Peristephanon aurait 12 pices, comme son pendant le Cathemerinon61. Dans les pages qui suivent, il sera cependant tenu compte de ces deux pomes, ne serait-ce qu'en raison des rapports troits (thmatiques et stylistiques) qu'ils ont avec le reste du recueil actuel. 26 considrer la relative similarit qu'il devait y avoir entre les deux recueils lyriques de Prudence, on regrette l'ordre chaotique prsent par le Peristephanon : le Cathemerinon comporte une structure toute faite de correspondances, d'oppositions et de progressions entre les divers pomes qui le composent62, structure qui pouvait voire devait exister dans le Peristephanon, au vu des multiples combinaisons que permetrait la prise en compte de l'origine ou du statut des martyrs, ou de nombre d'autres caractres des sujets de ces hymnes, y compris le calendrier liturgique63. c) Potique de Prudence

Variations formelles et jeux de sens 27 La uariatio est l'un des principaux caractres du style de Prudence : pour dsigner un mme objet, il varie son expression64, jouant parfois avec la richesse du vocabulaire65 ; la synonymie peut aussi tre un pur moyen au service de l'abundantia (p.ex. expressions plonastiques comme mortis exitus66). On trouve aussi la figure inverse, consistant rpter un terme avec des sens diffrents, le jeu de mots servant souvent tablir une correspondance entre deux passages d'un pome67, avec parfois59

On trouve un sommaire du Peristephanon dans son tat moderne dans l'App. A, p. 129. Sur l'origine de la numrotation courante des pomes, cf. 126 n. 58 et 252. 60 Un relev de cet ordre selon les mss est donn au 226. 61 Sur les tapes de la constitution du Peristephanon, cf. 191-196. 62 Cf. SENG 2000 ; RECANATINI 1991 ; TOOHEY 1991 ; CHARLET 1982. 63 On peut ainsi rapprocher perist. 9 et 11 (cf. 137) ; cependant, Prudence ne souligne ou ne suggre aucunement le fait que la fte des martyrs de perist. 6 et 14 tombe le mme jour. 64 Ainsi, Prudence reprend testarum fragmenta (DAMAS. carm. 21, 5) en perist. 5, 257 fragmenta testarum ; 277-278 fragmina | testularum ; 322 stramenta testarum ; 553 fragmen testeum. 65 Ainsi, en perist. 11, 115-150, pour voquer les buissons pineux dchirant s. Hippolyte, on a siluas (v. 115), spes (v. 117), spinigeris stirpibus (v. 120), sentibus (v. 121), frondes (v. 122), uepribus (v. 128), dumos (v. 129), sudibus (v. 143), densa silua (v. 145), frondibus (v. 150). 66 Cf. perist. 5, 291 pulchroque mortis exitu () ; 528 mortis supremus exitus. 67 En perist. 11, Prudence compare ses recherches d'inscriptions dans les catacombes avec celles des fidles recueillant les restes du martyr, en jouant sur les sens de legere (lire, v. 12 ;

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la rcurrence d'une mme forme la mme place dans le vers68 cette manire d'tablir une corrlation existe aussi sans jeu de mots69. 28 Le jeu sur le sens des termes, uariatio smantique, est l'un des moteurs de l'action en perist. 2, o le martyr entretient un malentendu sur la nature des richesses de l'glise. Ce pome donne lieu une rflexion sur le langage, signe extrieur (paratre) projet sur la ralit profonde (tre) ; en un sens, c'est pour avoir us de mtaphores70 que le martyr est condamn une peine particulirement grave71. Le perscuteur fait mine de vouloir convaincre le martyr de la puissance de Vulcain en lui infligeant l'preuve du feu72 et Prudence, voquant le visage du martyr, laisse entendre que le miracle (visage illumin), symbolique, est rel, alors que la ralit positive (visage couvert de suie) n'est qu'une apparence rsultant d'un aveuglement73. Face l'historiographie, la posie chrtienne, qui transfigure l'apparence dans le sens de la vrit profonde, est ainsi lgitime et mme valorise. Pour Prudence, une reprsentation vocatrice actualise le pass disparu ou la ralit cache avec la peinture74 comme avec l'criture75. Il arrive aussi que la reprsentation devienne plus relle que son archtype, comme dans le cas du martyre de saint Hippolyte76.

ramasser, v. 140), de sequi (suivre une ligne d'criture, v. 18 ; suivre un chemin, une trace, v. 133) et du nom rare apex (forme d'une lettre grave, v. 12 ; pointe d'un rocher, v. 140) ; la forme oculis se retrouve dans les deux passages (vv. 17 dum lustro oculis ; 135 oculis rimantibus). 68 C'est le cas du nom lumen en fin de v., qui dsigne les yeux en perist. 5, 235 (tenditque in altum lumina) mais la lumire en perist. 5, 276 (Christum datorem luminis) ; entre ces deux passages, on a une expression ambivalente, liber usus luminis (perist. 5, 239). 69 Ce procd est frquent en perist. 14 : p.ex. opposition entre le pied de la martyre crasant le dmon et celui qui purifie le pote suppliant (vv. 112 pede proterit ; 133 pede tangere). 70 S. Laurent dveloppe une argumentation sur l'or vritable (mtaphores : perist. 2, 189-204), puis compare beaut ou corruption du corps et de l'me, temporaires et ternelles (perist. 2, 205-292), avant de reprendre la mtaphore sur les richesses de l'glise (perist. 2, 293-312). 71 Vex et humili, le prfet s'crie, avec une grandiloquence voquant le dbut de la 1re Catilinaire de Cicron : per tot figuras ludimur, | et uiuit insanum caput ! (perist. 2, 315-316). 72 Cf. perist. 2, 355-356 tunc, si libebit, disputa | nil esse Vulcanum meum ! Le martyr relve le dfi et affirme mme prfrer l'exprience sensible au raisonnement : cf. perist. 2, 403-404 fac periclum, quid tuus | Vulcanus ardens egerit ! 73 Cf. perist. 2, 361-384 phnomne visuel concernant aussi l'olfaction, cf. perist. 2, 385-392. 74 Cf. perist. 9, 19 historiam pictura refert ; 11, 127-128 rorantes saxorum apices uidi, optime papa, | purpureasque notas uepribus impositas (Prudence voit la fois les not du sang reprsent et celles de la peinture dpose par le pinceau). 75 Cf. perist. 11, 19 inuenio Hippolytum : cette expression indique la fois que Prudence trouve la tombe de s. Hippolyte, qu'il dcouvre son nom sur une inscription, et mme qu'il lit la forme Hippolytus, dbut du pome damasien appos dans les lieux qu'il mentionne (DAMAS. carm. 35, 1 Hippolytus fertur). 76 Les peintures reprsentant la mort de l'Hippolyte mythique sont mensongres (cf. c. Symm. 2, 54-56), alors que la fresque de s. Hippolyte reproduit un vnement rel (incarnant une fiction). Nomen est omen : le perscuteur demande "Quis dicitur ?" et, l'audition du nom de l'accus, dclare "Ergo sit Hippolytus" (cf. perist. 11, 85-87).

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29 Pour Prudence, le rel est complexe : ainsi, lidole paenne est la fois pur nant et mal redoutable77, et le drame de la passion du martyr se joue sur plusieurs niveaux (vnement historique avec un arrire-plan mtaphysique et eschatologique : lutte entre le Christ et le dmon78) et la force vritable rside dans l'me du martyr enchan et supplici. Le fait que la ralit la plus concrte se trouve dans le signe peut expliquer l'importance accorde la connotation des termes, aux symboles et la forme mtrique79 et structure des pomes, seuls80 ou ensemble (cf. 17-18). 30 La uariatio est au cur de la potique de Prudence : formelle, elle suggre l'insuffisance du signe (interchangeable), et en mme temps la puissance des moyens permettant de reprsenter le rel en le cernant. Dans le cas du jeu de mots et de la mtaphore, uariatio smantique, le rel est atteint par l'inadquation mme du langage. La force du langage est aussi manifeste par l'ironie tragique, laquelle Prudence recourt p.ex. en mettant des prophties involontaires dans la bouche d'un perscuteur81 ; il utilise lui-mme ironiquement les auteurs classiques, transposant par exemple au Christ les expressions que Virgile rapportait Jupiter, l mme o est voque la dfaite du dieu dchu, considr comme un dmon82. Descriptions et vocations 31 thope et ecphrasis sont deux procds que l'apprentissage de la rhtorique avait enseigns Prudence. Il fait discourir ses personnages (surtout les martyrs) afin de dvelopper une argumentation et montrer le sens de l'action, mais sa prfrence semble aller la description. L'ecphrasis reine est celle qui prend elle-mme pour objet77 Cf. perist. 5, 65-92 ; il s'agit d'un thme biblique 78

traditionnel ( 5, 67-76). Cf. perist. 5, 265-268 hc ille [= persecutor] uersutus uafra | meditatus arte struxerat, | sed Belzebulis callida | commenta Christus destruit. Cf. aussi perist. 2, 501-508 et 14, 112-118. 79 Prudence tient compte des conventions littraires, avec les genres ou les tons attachs aux mtres : perist. 1, consacr des soldats martyrs, est compos dans le mtre des Carmina triumphalia ; les pomes personnels que sont perist. 9, 11 et 12 sont en distiques. Pour critiquer implicitement un mariage mondain et clbrer des noces mystiques, Prudence reprend en perist. 14 la forme que Claudien avait cre pour un pome nuptial (cf. 105). 80 Perist. 12 est un double diptyque consacr aux aptres Pierre et Paul, avec l'vocation, pour chacun, de sa passion et de son sanctuaire. L'articulation des deux phases de la passion de ste Agns (exposition au lupanar ; dcapitation) est souligne en perist. 14, 61-63 primum sed Agnes hunc habuit gradum | clestis aul ; mox alius datur | ascensus ; le terme d'ascensus annonce le dnouement, avec la monte de l'me au ciel (perist. 14, 91-99), tandis que le motif de la double preuve / couronne est rcurrent (cf. perist. 14, 2. 7-9. 36-37. 119-123. 124. 127). 81 Cf. perist. 2, 345 (dcadence du paganisme) ; 349-352 (martyre exemplaire de s. Laurent). 82 Cf. perist. 2, 413-484 (mme jeu en psych. 1 qui reprend une invocation Phbus, VERG. n. 6, 56). Dans les dernires paroles du martyr sont reprises les prophties de Jupiter Vnus (cf. VERG. n. 1, 257-296), qui sont elles-mmes, rtrospectivement, empreintes d'ironie tragique, puisque la grandeur qu'il promet Rome aboutit, selon Prudence, son expulsion pour laisser la place au Christ. Tout au long de ce discours ne manquent pas les expressions double sens (p.ex. perist. 2, 445 error Troicus ; 456 errans Iuli ccitas) ou ironiques (p.ex. perist. 2, 443-444 fiat fidelis Romulus | et ipse iam credat Numa).

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une reprsentation, une uvre d'art : cest le cas en perist. 9 et 11, avec la description de fresques reprsentant la passion du martyr. Prudence dcrit aussi des sanctuaires, dont les lments (lumire, couleur) rpondent souvent la fois un ralisme sensible et une signification symbolique, comme pour la progression quasi initiatique, sous terre, jusqu'au tombeau lumineux de saint Hippolyte, ou la contemplation des reflets d'un plafond orn sur l'eau d'une vasque baptismale83. Le regard de Prudence est contemplatif, et l'vocation des objets les plus humbles, comme des luminaires (torches, cierges, lampes huile)84 ou une porte condamne au moyen de verrous85, permet de suggrer la prsence de tels objets par la prcision de la description, avec l'usage de termes techniques dont la raret est source de posie (cf. 41) ; les dtails mentionns peuvent en outre avoir une certaine valeur symbolique. 32 On a souvent voulu que Prudence ft attir par les descriptions sanguinolentes en raison de son temprament d'Espagnol (!). En fait, la description des souffrances et de la mort du martyr n'est jamais l'essentiel d'un pome : la prsence (non systmatique) d'un tel motif n'est souvent qu'un faire-valoir pour les paroles du martyr, comme en perist. 2 et 10. La clbration des martyrs nest pas, pour Prudence et ses lecteurs, prtexte se complaire, la manire des spectateurs des jeux du cirque, dans une fascination malsaine attitude explicitement condamne par le pote86. La description des souffrances des martyrs et du sang qu'ils versent s'explique par des motifs esthtiques, thiques et symboliques : il s'agit d'un objet sensible "extrme" (douloureux et laid)87, diamtralement oppos au locus amnus (pris du pote, qui l'associe parfois paradoxalement au monde de la mort88) ; en outre, la reprsentation de l'horrible le transfigure et manifeste la puissance de l'art, avec la catharsis des passions89 ; enfin, le sang vers par les martyrs reprsente physiologiquement leur me90, symboliquement leur sacrifice91, sacramentellement83

Cf. perist. 11, 153-194 (en part. 155-168. 183-188) ; 12, 37-44. Cf. FONTAINE 1964b : "Pas plus que le souci du spectacle ne doit laisser oublier ce dont il est signe, le passage cette signification ne doit sabstraire des ralits vues et entendues." 84 Cf. cath. 5, 13-24. 85 Cf. perist. 2, 477-480. 86 Cf. 266 n. 139. 87 C'est l un dfi pour l'artiste ; sur cette esthtique de l'horrible, cf. ci-aprs et 88-90. 88 En perist. 5, 237-324, le martyr est jet dans un cachot, lieu infernal qui devient un locus amnus, avec fleurs, parfums, chants ; en perist. 12, 31-44, la spulture de s. Pierre, caractrise par la prsence d'un baptistre, est un lieu idyllique, avec le murmure d'un ruisseau, des arbres, et l'vocation d'un berger abreuvant ses brebis. 89 Cette transfiguration du rel est prsente comme un phnomne miraculeux, dans le cas de la passion de s. Laurent : seuls les baptiss y ont accs (cf. perist. 2, 361-392). Prudence suggre peut-tre ainsi l'existence d'une beaut cache dans la narration des souffrances des martyrs, de mme qu'existait la manifestation d'une gloire inaccessible aux paens. Dans le cas de perist. 9, la gloire d'un martyr faible apparat dans le fait qu'il soulage les propres souffrances du pote ; celui-ci prouve la catharsis de ses passions en contemplant la fresque reprsentant s. Cassien, et la suppression de leur cause grce l'intercession du martyr. 90 Cf. p.ex. perist. 9, 89-92 (l'me sort du corps par o le sang s'coule).

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celui du Christ la passion duquel ils s'associent92, si bien que le rcit parfait que fera l'ange au Jugement dernier sera, pour saint Romain, le dcompte minutieux des blessures et de chaque goutte de sang vers (cf. perist. 10, 1121-1130). 33 Si Prudence inclut l'horrible dans sa posie, c'est semble-t-il dabord par got de la description (got du dtail vocateur et puissamment suggestif) et par got du contraste, l'insoutenable tant comme le prix du bonheur plnier ; ce bonheur est souvent voqu dans l'pilogue des pomes, avec la description de la gloire cleste du martyr93 ou, en perist. 3, avec trois tableaux trs suggestifs94. Cette esthtique du contraste et en quelque sorte du paradoxe reflte l'thique sous-jacente aux rcits de martyres, o l'action la plus glorieuse consiste ptir, et o la beaut rside dans l'horreur des supplices : pulchra res ictum sub ense persecutoris pati (perist. 1, 28 : "cest une belle chose que de subir le coup du glaive dun perscuteur"). L'association, frquente95, de l'or et de la pourpre synthtise parfaitement cette tension. 34 La fresque de la passion de saint Hippolyte exprime non seulement l'vnement qu'elle narre et la qute de Prudence qu'elle reflte96, mais aussi le style du pote : perist. 11, 124 multicolor fucus digerit omne nefas ("le fard aux multiples couleurs a distribu tout le sacrilge" : varit ; maquillage dcoratif servant en mme temps d'"criture" narrative ; narration embrassant l'ensemble de la passion) ; 125 picta super tumulum species liquidis uiget umbris ("au-dessus du tombeau, une image peinte tire sa vigueur de l'clat des ombres" : vigueur des contrastes et des paradoxes) ; 126 effigians (reprsentation en forme de portrait) ; 127 uidi (tmoignage personnel) ; 129130 docta manus uirides imitando effingere dumos | luserat ("une main experte reprsenter les verts halliers en les imitant avait produit un ornement" : imitation raliste prsentant en mme temps un caractre de jeu esthtique savant). 35 S'il aime se borner la mention de traits saillants propres voquer le tout, Prudence recourt parfois au contraire l'accumulation d'lments proches ou htroclites, marquant l aussi son refus d'une description classique d'un ensemble unique, fixe et uniforme. Plutt que d'voquer une foule, il nonce un catalogue97, une srie d'exemples98 ; il recourt plusieurs fois, en perist. 5, l'numration asyndtique de trois termes plus ou moins htrognes pour dsigner une ralit complexe99. Les termes numrs, disposs symtriquement ou en crescendo, se

91 Cf. p.ex. perist. 1, 93

22-24 ; sur le martyre en tant que sacrifice, cf. PETRUCCIONE 1995.

92 Cf. perist. 5, 299. 339-340 ; 11, 141-144.

Cf. p.ex. perist. 2, 553-560 ; le renversement des conditions mondaines est dj voqu par le martyr propos des pauvres vertueux et des riches corrompus (cf. perist. 2, 203-312). 94 Cf. perist. 3, 161-170 (essor dune colombe lorsque lme quitte le corps de la martyre) ; 176-180 (linceul de neige sur la martyre) ; 191-207 (splendeur dune basilique, fleurs colores). 95 Cf. Comm., 2, 275-276. 96 Cf. Comm., 11, 155-158. 97 Cf. les ex. relevs au 271. 98 Cf. perist. 11, 65-76. 99 Cf. Comm., 5, 61.

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prtent des jeux sur leurs sonorits ou leurs connotations ainsi qu des effets de uariatio synonymique ou au contraire de contraste. Prudence, pote alexandrin 36 Comme les potes hellnistiques, Prudence vit dans une civilisation qui, dans son extrme maturit, a dj subi des bouleversements et garde une richesse culturelle presque touffante et prcaire la fois : luniversalit et la permanence de ce patrimoine immense ne sont pas assurs, car la langue se transforme et le savoir tend se confiner dans des cercles cultivant un raffinement ingal. Les connotations des formes littraires sont si fortes, du fait de leur emploi rpt, que la seule manire possible de les utiliser encore semble tre le jeu avec leur sens, le mlange ou la superposition des genres, la varit des tons100. Parfois, le pote esquisse une rflexion sur son art, au moyen de la mtaphore101, en se livrant des jeux mimtiques sur la forme et le contenu102, ou par des mises en abyme103. En outre, la manire des constructeurs baroques reprenant des lments architectoniques et dcoratifs des ordres classiques pour les dtruire tout en les maintenant (par la dformation et le mouvement), Prudence se sert abondamment de ses modles littraires pour obtenir une uvre paradoxalement nouvelle ; en perist. 14, comme Claudien, il dtruit la strophe pour employer catastichon des vers qui ne l'avaient jamais t, alors que dans une para-tragdie (perist. 10), il regroupe les trimtres iambiques en strophes de cinq vers. La rcente hymne ambrosienne n'chappe pas ce traitement : pour clbrer le mme martyr que son modle (saint Laurent), Prudence fait sauter la structure nouvelle (mais fixe) de huit strophes de quatre vers pour faire atteindre son pome une longueur de prs de 600 vers (perist. 2). Cette crativit formelle s'accompagne de l'usage relativement frquent de mots rares voire de nologismes104. 37 Chez Prudence, la surabondance est non seulement le fruit de l'accumulation de sicles de littrature latine, mais aussi celui de la rencontre entre culture grcoromaine et pense chrtienne. Sans se confiner la virtuosit et lart pour lart (tels100 Sur le , cf.

PAVL. NOL. carm. 21, 84-86 (pome polymtrique) congrua suasit | gratia multimodis illuso carmine metris | distinctum uariis imitari floribus hortum ("une reconnaissance lgitime ma convaincu dimiter un jardin orn de fleurs diapres au moyen dun chant embelli par une multiplicit de mtres"). 101 Cf. 28. 34. 102 Cf. 28 n. 74-75. 103 Cf. p.ex. perist. 3, 136-140, citation du chant triomphal de la martyre (cf. perist. 3, 141-142 hc lta canebat) qui forme aussi une strophe du pome ; contemplant ses blessures, la martyre s'crie : scriberis ecce mihi, Domine, | quam iuuat hos apices legere, | qui tua, Christe, tropa notant ! (perist. 3, 136-138 : "Voici que tu es inscrit sur moi, Seigneur : que jaime lire ces traits qui marquent tes victoires, Christ !"). La martyre semble prendre du recul et se retrouve dans la mme situation que le lecteur, qui se rjouit paradoxalement d'un rcit cruel et voit, derrire la passion d'une victime des perscuteurs, le triomphe du Christ. 104 Une liste des mots rares (sans autre occurrence ailleurs chez Prudence) est donne la fin de la Notice de chaque pome comment ; ceux-ci sont spcialement nombreux en perist. 2.

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les profanes Ausone et Claudien), il cherche produire du neuf en synthtisant deux mondes jusqu'alors distincts, dont chacun est nanmoins assum. Ainsi, quand Prudence s'adresse au martyr qu'il va chanter avec les termes convenus des invocations aux Muses105, il nonce, au premier degr, une vritable prire un tre personnel (les Anciens ne l'avaient peut-tre plus fait depuis Hsiode) ; par un renversement, le pote honore le martyr plus qu'il ne respecte la tradition littraire. Alors que ses prdcesseurs se pliaient l'usage, sans attacher d'importance excessive au contenu de leurs vers, Prudence revivifie un motif cul, se montrant la fois pleinement chrtien et respectant, avec plus de sincrit et de profondeur que ses modles, l'usage paen qu'il transfigure. Il en va de mme pour la manire dont il se met en avant dans ses uvres : certes parfois en pote, souvent en suppliant, toujours en homme de prire, qui n'apparat que pour mieux diriger les regards sur le martyr et mme, en un sens, pour inviter le lecteur oublier le pome afin d'accder une communion plus parfaite avec le martyr, par la prire. En ce sens, Prudence dpasse la dfinition commune de l'alexandrinisme. 38 De ce mouvement, il garde nanmoins un got pour la virtuosit qui culmine dans l'nigme. Prudence serait-il all jusqu' cacher son nom dans ses pomes106 ? Mme si ce nest probablement pas le cas, il demeure que p.ex. l'vocation du sol sur lequel repose le bout de la corde par lequel saint Hippolyte sera attach aux chevaux sauvages s'apparente aux savantes obscurits d'un Lycophron107. Il faut se garder de parler, comme LAVARENNE pour les passages difficiles, de ngligence du pote : son esthtique est celle du clair-obscur, et le contraste entre des passages l'expression fluide et d'autres plus rocailleux, ou entre des formules lapidaires et une abundatia dbordante, est en principe aussi un effet de l'art. Modles et sources 39 L'alexandrinisme implique un rapport une tradition littraire omniprsente et en mme temps sans cesse dforme (cf. 29-30. 36-37). Le XIXe s. a inflig Prudence le mme traitement parfois rducteur que celui qu'ont pu subir les auteurs latins classiques, tudis comme imitateurs des Grecs. Ainsi, BERGMAN, au dbut du XXe s., joint un index imitationum son dition. La Quellenforschung reste cependant de mise avec Prudence, o les rminiscences littraires sont un jeu auquel il se livre parfois sur un mode quasi humoristique108, parfois avec une subtilit redoutable109.105 Cf. perist. 10, 1-30, en part. 1-15. 106

Cf. MALAMUD 1989, p. 45 : anagramme d'Aurelius Prudens et allusion Clemens dans les derniers mots de l'Hamartignie : pna leuis clementer adurat deviendrait Aurelio Prudente se clamante (rien ne le signale dans les mss ; CAMERON [1995] refuse donc cette hypothse). 107 Cf. perist. 11, 101-102 sequitur qua puluere summo | cornipedum refugas orbita trita uias ("par l o, sur la surface poussireuse, la trace souvent imprime par ceux dont le pied est de corne suit les chemins qui se drobent"). 108 Cf. perist. 2, 316 et uiuit insanum caput (cf. le uiuit ? de la 1re Catilinaire) ; 419-420 mundum Quirinali tog | seruire et armis cedere (cf. le cicronien cedant arma tog, avec un sens diffrent) ; 3, 35 femina prouocat arma uirum (cf. le dbut de l'nide, bien que uirum soit ici un gn. plur.).

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40 Horace est lun des grands modles de Prudence : on le voit avec la nature des mtres choisis, et la bipartition d'une uvre entre pomes hexamtriques et pices lyriques de formes varies110. Comme il est normal, mme et surtout pour un auteur chrtien, partir du IVe s., le modle potique par excellence reste Virgile111, aux cts dautres auteurs classiques112 ou contemporains (profanes ou chrtiens, cf. 11-12), dont on a nombre de rminiscences lexicales ou thmatiques chez Prudence. 41 D'un autre ordre est l'inspiration biblique, trs prsente dans certains passages113. Enfin, on constate que, conformment au got des anciens, affleure ici et l le vocabulaire technique qui, par sa singularit ou sa raret, peut prendre une valeur potique , emprunt notamment au droit114 (que Prudence a pratiqu : cf. prf. 13-18), la critique littraire115, la mdecine116 et aux arts appliqus117. 2. a) LA POESIE CHRETIENNE118 Origines de la posie chrtienne

Modles bibliques et sources liturgiques 42 Un lieu commun de l'histoire de la littrature veut qu'avant l'dit de Milan, les chrtiens n'aient pas produit de textes potiques parce qu'ils n'en prouvaient pas le besoin. En fait, l'glise possdait ds les origines un tel corpus, hrit de l'criture : les Psaumes, le Cantique des Cantiques, les cantiques du Pentateuque et du Livre de Daniel notamment. Le Nouveau Testament contient aussi des pices de type hymnique, qu'il s'agisse des chants de l'vangile selon saint Luc (Magnificat, Benedictus, Nunc dimittis) ou de pomes crits par saint Paul (I Cor. 13) ou du moins cits dans ses ptres119. Bien qu'ils ne rpondent pas aux canons de la mtrique grco-latine, ces textes, par leur contenu et mme par leur forme, ne se rduisent pas de la prose (sinon peut-tre une prose d'art rythme, disposer per cola et commata).109 Cf. 30 n. 82. 110 Cf. 111

15. 17. Sur les parallles textuels avec Horace, cf. OPELT 1970 et STRZELECKI 1935. Cf. RICHARD 1969, SCHWEN 1937, MAHONEY 1936, DEXEL 1907. 112 Cest le cas de Lucrce (E. RAPISARDA 1950 et B RAKMAN 1920), Properce (SHACKLETON BAILEY 1952), Catulle (BATINSKY 1998), Ovide (EVENPOEL 1982 et SALVATORE 1959, ainsi que PALMER 1989, p. 111-121), Stace (VALMAGGI 1893), Juvnal (GNILKA 1990 et HANLEY 1962), Snque et Lucain (sur ces deux auteurs, cf. SIXT 1892). 113 Cf. CHARLET 1983 et GRASSO 1972 ; ignorant apparemment la Vulgate et la Septante (il nest pas sr quil ait su le grec, cf. C. RAPISARDA 1948), il se sert d'une Vetus Latina. 114 Cf. perist. 5, 101-102. 115 Cf. perist. 2, 315. 317-324 ; 13, 11. 17. 116 Cf. perist. 2, 145-156. 205-216. 237-244. 249-260. 264. 281-284 ; cf. KUDLIEN 1962. 117 Cf. perist. 2, 477-480 ; 12, 49. 118 On considrera ici les principales orientations de la posie chrtienne jusqu'au dbut du Ve s., surtout dans la mesure de leurs liens avec le Peristephanon et les autres pomes de Prudence. 119 Cf. N.T. Phil. 2, 6-11 ; Col. 1, 15-20 ; I Tim. 16 ; II Tim. 2, 11-13.

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43 Il est dj question chez Pline le Jeune de tels pomes, utiliss par les chrtiens de Bithynie dans leur liturgie120. Les hymnes chrtiennes les plus anciennes se distinguent des pomes vtrotestamentaires par un contenu thologique qui s'ajoute au lyrisme de la prire121. La place centrale des Psaumes dans la prire personnelle et dans la liturgie (notamment la premire partie de la messe, accessible aux catchumnes) garantit la continuit avec l'ancienne Alliance avec une lecture chrtienne qui y reconnat nombre de prophties relatives au Christ. De l'hritage hbraque fut galement conserve l'acclamation sraphique du Livre d'Isae122, ainsi que celle de l'allluia ; l'hbreu (ou l'aramen) a aussi t maintenu avec les termes hosanna, maranatha ou ephata. Assez tt, la liturgie chrtienne recourra au grec, langue de la Septante, y compris dans la partie occidentale de l'Empire. Un tel conservatisme linguistique sera trs fort Rome, o il faut attendre le pape Damase pour que la liturgie soit transpose en latin le grec tant parfois maintenu, comme dans le Kyrie. 44 Hrite, la liturgie nest pas en soi objet d'une cration artistique, et la traduction nest pas ncessaire a priori : la liturgie sadresse non dabord la communaut, mais Dieu. Dans le paganisme romain aussi, pour d'autres raisons le respect scrupuleux de la formule reue est gage d'efficacit du rite , la liturgie ne se prtait pas la cration, conservant mme des textes presque inintelligibles123. Les potes nintervenaient dans le culte que dans des circonstances solennelles, o leurs uvres, offrandes collectives, taient destines une reprsentation unique (p.ex. le Carmen sculare d'Horace ou, dans l'Athnes classique, les tragdies) ; rien de tel n'existait dans le christianisme, mais rien nempchait la production de pices liturgiques ou duvres portant sur des thmes cultuels et religieux ; le modle des Fastes d'Ovide pouvait tre rutilis, et sera repris, mutatis mutandis, dans le Peristephanon de Prudence124. La semi-clandestinit et la discipline de larcane expliquent

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Cf. PLIN. epist. 10, 96, 7 affirmabant autem hanc fuisse summam uel culp su uel erroris, quod essent soliti stato die ante lucem conuenire carmenque Christo quasi deo dicere secum inuicem. Tertullien, qui voque ce texte (en 197), parle de ctus antelucanos ad canendum Christo ut deo (apol. 2, 6). La question du mode d'excution de la posie liturgique (individuel, collectif ou en churs alterns ; rcitation, psalmodie ou chant) est dlicate, les usages pouvant changer selon le lieu, l'poque, et probablement aussi les circonstances et le type de pome. Prudence fut peut-tre tmoin de l'introduction du chant liturgique Milan, par l'vque Ambroise (cf. AVG. conf. 9, 7, 15 tunc hymni et psalmi ut canerentur secundum morem orientalium partium, ne populus mroris tdio contabesceret, institutum est : ex illo in hodiernum retentum multis iam ac pne omnibus gregibus tuis et per cetera orbis imitantibus). Cf. DECA, s.v. chant et antienne, p. 461-462 (Chupuncgco). 121 Cf. FONTAINE 1981, p. 27-29. 122 Le Sanctus est repris de V.T. Is. 6, 3 (cf. aussi N.T. apoc. 4, 8 et Matth. 21, 9) ; de mme, on reprendra l'acclamation anglique Gloria in excelsis Deo (cf. N.T. Luc. 2, 14). 123 Cf. p.ex. le chant des frres Arvales, dont l'nonc, l'poque impriale o il fut grav, est d'un archasme la limite de l'intelligibilit (cf. CIL VI 2104). Le chant des Saliens semble avoir t moins intelligible encore, pour les Romains eux-mmes ; il fut l'objet d'un commentaire d'lius Stilon, matre de Varron et de Cicron. 124 PALMER (1989, p. 111-121) insiste sur cette analogie, peut-tre avec quelque excs.

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peut-tre le fait que rien de tel nait t cr plus tt ; cest du temps de Prudence que le christianisme et sa liturgie deviennent (et se veulent) un lment de la culture. Rencontre avec la posie profane 45 Le judasme hellnis avait donn aux chrtiens la Septante, puis les Oracles sibyllins, quils reprirent et augmentrent, oprant une premire rencontre, limite, entre une forme culturelle grco-romaine (l'hexamtre dactylique) et un contenu prophtique et apocalyptique biblique. Religion nouvelle, le christianisme se fondait sur une tradition ancienne et culturellement trangre la plupart de ses adeptes. Sous linfluence de la liturgie, conservatrice, la production potique grco-latine du christianisme reste le plus souvent coupe des courants littraires profanes. Le plus ancien pome chrtien conserv en langue latine est un Psaume (non mtrique) la Vierge prcd d'une invocation au Pre et au Christ125 ; sa forme alphabtique, typiquement hbraque on l'observe dans plusieurs Psaumes 126 se retrouve aussi dans des hymnes chrtiennes en grec, conserves sur papyrus, qui l'allient l'emploi du mtre anapestique emprunt la posie profane127. 46 Toutefois, une profonde mfiance rgnait chez les chrtiens face aux potes : la mythologie scrit gnralement en vers et maille la plupart des pomes, commencer par la rituelle invocation initiale telle ou telle divinit. On trouve encore chez Prudence des invectives contre les potes menteurs128. Dans la partie occidentale de l'Empire, l'mergence d'une posie chrtienne tait en outre freine par l'emploi du grec dans la liturgie et par la place relativement restreinte, par rapport l'Orient, qu'elle faisait aux hymnes129. Aussi les premires figures de potes latins chrtiens sont-elles toutes ou presque postrieures la Paix de l'glise. mergence d'une posie latine chrtienne 47 Le tmoignage de Tertullien laisse cependant entendre qu' la fin du IIe s. dj il existait une posie latine chrtienne : si scnic doctrin delectant, satis nobis litterarum est, satis uersuum est, satis sententiarum, satis etiam canticorum, satis uocum, nec125

Il est donn par un papyrus de la fin du IIIe ou du dbut du IVe s., dit dans JbAC 19 (1967) 212-213. Les trois hymnes De Trinitate (PL 8, 1139 ; cf. CPL 99) de Marius Victorinus (env. 275 - 363) lui sont de peu postrieures. 126 Cf. V.T. psalm. 36. 110. 111. 118. 144. D'autres psaumes alphabtiques (psalm. 9. 24. 33) ne sont pas indiqus comme tels dans le Psautier iuxta Hebros de s. Jrme. Sur les pomes abcdaires, cf. ci-aprs 50 ; 65 et n. 161 ; 66 ; DECA s.v. abdcaires, p. 3-4 (Peretto). 127 Cf. P. Oxy. 15, 1786 (s. IIIex) ; P. Amherst 1, 2 (s. IVin). Plus tard, on a des pomes alphabtiques en hexamtres dactyliques, p.ex. Abraham et Le Seigneur ceux qui souffrent ("Codex des visions", P. Bodmer 29 ; s. IVex Vin). 128 Cf. p.ex. c. Symm. 2, 39-40 uos pictorum docuit manus adsimulatis | iure poetarum numen componere monstris ; 45-48 sic unum sectantur iter, sic cassa figuris | somnia concipiunt et Homerus et acer Apelles | et Numa, cognatumque malum pigmenta camen | idola. conualuit fallendi trina potestas. Habilement, Prudence ne cite pas ses propres sources littraires latines. 129 Cf. 43 n. 120.

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fabul, sed ueritates, nec stroph sed simplicitates. Il se peut mme que l'on clbrait les martyrs par des hymnes, comme le suggre un passage d'interprtation dlicate : sophia in exitibus cantatur hymnis ; cantatur enim et exitus martyrum130. 48 Le premier pote latin chrtien dont on ait conserv l'uvre et le nom pourrait tre Commodien ; ses curieux hexamtres fonds sur l'accentuation (respect des six ictus) et le nombre des syllabes plus que sur la quantit illustrent soit lvolution du genre psalmique primitif vers des formes profanes adaptes la langue contemporaine (en datant cet auteur du milieu du IIIe s.), soit au contraire une dsagrgation des formes littraires classiques (si on le date du Ve s.) 131. Commodien est l'auteur d'une collection de pomes d'dification acrostiches ce qui l'apparente au genre du psaume abcdaire et certaines formes potiques hellnistiques , et d'un livre contre les juifs et les paens. Ce dernier pourrait annoncer les livres didactiques de Prudence (crits en hexamtres classiques, avec une longueur comparable : env. 1 000 vers) ; surtout, l'acrostiche inverse de ses derniers vers (Commodianus mendicus Christi) voque une conception de l'uvre potique comme humble offrande spirituelle Dieu, que l'on retrouve chez Prudence132. Probablement Syrien domicili Carthage, juif converti au christianisme, Commodien n'a pas t form par la lecture des classiques latins, contre lesquels il lui arrive de tonner133. trange pour les lettrs romains, son uvre restera marginale ; il faudra attendre Gennade pour en trouver une attestation, qui est aussi un jugement svre134. Orientations postrieures 49 Une posie latine chrtienne de forme classique apparat avec la Paix de l'glise. Elle se dveloppe dans plusieurs directions, ranges ci-aprs dans les catgories de "posie littraire" et "liturgique". Prudence se rattache la premire, mais marque le dbut d'une convergence avec la posie "liturgique" (cf. 61-62). 50 Lactance avec les distiques lgiaques de l'Oiseau Phnix et Juvencus avec sa mise en hexamtres de l'vangile constituent les reprsentants les plus anciens de la premire catgorie, qui s'carte nettement de la liturgie et tend convertir au christianisme des formes littraires profanes : pyllion crypto-chrtien et pope biblique. La seconde tendance est illustre par la tentative de saint Hilaire de donner130 Cf.

resp. TERT. spect. 29, 4 ("au cas o plaisent les leons de la scne, nous avons assez de lettres, assez de vers, assez de sentences, assez mme de chants, assez de paroles et non pas fabuleux mais vridiques, non pas tortueux mais sincres") et scorp. 7, 2 ("la sagesse dans le trpas est chante par des hymnes ; mme le trpas des martyrs est chant"). 131 La datation haute semble la plus probable ; cf. F ONTAINE 1981, p. 41-44 ; OPELT garde une position plus dubitative, cf. DECA, s.n. Commodien, p. 524-525. Cf. CPL 1470-1471. 132 La sphragis concluant perist. 2 est analogue : Christi reum Prudentium (perist. 2, 582). 133 Cf. COMM. apol. 583-586 Vergilius legitur, Cicero aut Terentius idem ; | nil nisi cor faciunt, ceterum de uita siletur. | quid iuuat in uano scularia prosequi terris | et scire de uitiis regum, de bellis eorum ? Cf. ci-dessus n. 128 et ci-aprs n. 159. 134 Cf. GENNAD. uir. ill. 15 ; il n'est pas question de Commodien dans le De uiris illustribus hironymien (crit en 392) que complte Gennade la fin du Ve s.

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des pices liturgiques en gardant la strophe alphabtique des formes potiques empruntes la littrature grco-romaine (en l'espce des mtres lyriques assez recherchs). Ces potes sont parmi les premiers reprsentants dune "conversion" mutuelle de la romanit et du christianisme (qui tend alors devenir la religion de l'Empire), dans une symbiose qui assurera la prennit de l'hritage de l'Antiquit. b) Posie littraire chrtienne

Vers une christianisation de la culture 51 La posie "littraire", dpourvue de fonction dans le cadre ecclsiastique, a pour destination premire la lecture ; son support ordinaire est le livre en cela, elle se distingue des pices inscrites dans la pierre ou chantes dans la liturgie. Quasi profane par sa destination mais chrtienne par son sujet, elle s'inscrit dans la continuit d'une tradition potique paenne, la christianisant parfois de manire crypte (Oiseau Phnix de Lactance ; centons virgiliens). 52 Les frontires de cette posie chrtienne caractre littraire sont assez dlicates dfinir. On ne peut y ranger les productions profanes d'un Ausone pourtant chrtien, bien que "mondain" : les quelques passages de l'Ephemeris o il voque une dvotion assez distraite et peu convaincue135 ne mritent en effet gure plus d'entrer dans la catgorie de la posie littraire chrtienne que le pastiche de prire aux aptres Pierre et Paul et d'autres saints que l'on trouve dans le pome que le paen Claudien adresse au magister equitum Jacques136. 53 Alors que les auteurs de posie liturgique sont tous des clercs, les potes "littraires" appartiennent parfois au clerg (saint Hilaire, Juvencus, saint Paulin de Nole) mais peuvent aussi tre des lacs (Lactance, Proba). Pour Lactance et Juvencus, la mise en uvre d'une posie chrtienne vise aussi emporter la conviction de ceux qui gardaient leurs liens avec le paganisme par attachement lhritage culturel (voire thique et politique) de la religion ancestrale ; Prudence aura la mme proccupation. Pomes de virtuosit et pomes personnels 54 Lactance offre le premier et lun des meilleurs exemples de la tendance "littraire" de la posie latine chrtienne. Modr envers une tradition paenne ct135

Le pote dit qu'il fait sa prire aprs sa toilette matinale (AVSON. 2, 2, 1-2 puer, eia, surge et calceos | et linteam da sindonem ; 15-16 Deus precandus est mihi | ac Filius summi Dei), et, celle-ci acheve, affirme : satis precum datum Deo, | quamuis satis numquam reis | fiat precatu numinis. | habitum forensem da, puer (2, 4, 1-4). Il rapproche ailleurs une manire de trinquer et la Trinit (18, 1. 18) : ter bibe, uel totiens ternos : sic mystica lex est ter bibe, tris numerus super omnia, tris Deus unus (retractatio dvote chez PRVD. cath. 3, 16-20 fercula nostra Deum sapiant, | Christus et influat in pateras, | seria ludicra uerba iocos, | denique quod sumus aut agimus, | trina superne regat pietas). 136 Cf. CLAVD. carm. min. 50, 1-6 per cineres Pauli, per cani limina Petri, | ne laceres uerus, dux Iacobe, meos. sic tua pro clipeo sustentet pectora Thomas | et comes ad bellum Bartholomus eat, sic ope sanctorum non barbarus irruat Alpes, | sic tibi det uires sancta Susanna suas ; suivi de 8 vv. analogues, dont le dernier rpte le v. 2.

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de laquelle est dsormais tolr le christianisme, aprs la plus sanglante des perscutions, il est moins svre encore l'gard de la posie (vecteur traditionnel de la mythologie), laquelle il reconnat le droit de voiler la vrit au profit de la beaut137 affirmant en mme temps la licit d'une posie d'inspiration chrtienne : si uoluptas est audire cantus et carmina, Dei laudes canere et audire iucundum sit138. Lactance est certainement l'auteur du pome en distiques lgiaques intitul De aue Phnice139, crypto-chrtien. Le recours au voile de l'allgorie y est gage de continuit esthtique avec la tradition paenne, tout comme le symbole ambigu du phnix, utilis par les no-platoniciens paens comme par les chrtiens ; nigmatique et prcieux, le pome appartient au courant no-alexandrin qui marquera encore la posie latine du temps de Prudence, prs dun sicle plus tard. Le symbolisme de lOiseau Phnix participe de la mme logique que les lectures chrtiennes de pomes classiques, dont celle de la Quatrime glogue de Virgile, qui apparat dans le milieu constantinien. 55 Dans le genre de la posie personnelle, on peut aussi ranger certaines pices pigraphiques du pape Damase, dont la profession de foi en six hexamtres qui constitue sa propre pitaphe140. C'est avec saint Damase qu'atteint son apoge le genre pigraphique chrtien, apparu au cours du IVe s. avec la conversion massive des milieux lettrs ; il fut galement illustr par les pitaphes mtriques composes par saint Ambroise141 et on est la limite de la posie hagiographique par saint Augustin (en l'honneur du diacre Nabor, assassin par les donatistes)142 et par saint Jrme (en l'honneur de sainte Paule, clbre pour son ascse)143. Pomes de combat 56 Durant l'Antiquit tardive, tout pome sujet chrtien, par son existence mme, est engag, ne serait-ce quau titre de la christianisation de la culture. Tel est le137

Cf. LACT. inst. 1, 11, 25 cum officium poet in eo sit, ut ea qu uere gesta sunt in alias species obliquis figurationibus cum decore aliquo conuersa traducat. En gnral, cf. FONTAINE 1981, p. 54-56. 138 L ACT. inst. 6, 21, 9 ("S'il y a un charme entendre les chants et les chansons, qu'il soit plaisant de chanter et d'entendre les louanges de Dieu !"). 139 Le pome est attribu Lactance par les mss ; cf. aussi GREG. TVR. stell. 12. Cf. CPL 90. 140 Cf. DAMAS. carm. 12. Damase a aussi compos les pitaphes de sa mre (carm. 10) et de sa sur (carm. 11, o il exprime ses sentiments intimes, cf. v. 13-15 sed dolui, fateor, consortia perdere uit. | nunc ueniente Deo nostri reminiscere uirgo, | ut tua per Dominum prestet mihi facula lumen ; Il le fera ailleurs, mais comme le premier des fidles vnrant un saint, cf. 71-73). 141 Il a compos deux distiques pour son frre Satyrus (cf. PL 16, 1289-1290 ; DIEHL, n 2165) : Vranio Satyro supremum frater honorem | martyris ad luam detulit Ambrosius. hc meriti merces, ut sacri sanguinis humor | finitimas penetrans alluat exuuias. Il sagit du 4e pome ambrosien transmis par la Sylloge de Lorsch (cf. 70 et n. 173). 142 Cf. AVG. anth. 484a (CPL 357) Donatistarum crudeli cde peremptum | infossum, hic corpus pia est cum laude Nabori. | ante aliquod tempus cum Donatista fuisset, | conuersus pacem, pro qua moreretur amauit. | optime purpureo uestitur sanguine causa. | non errore perit, non se ipse furore peremit, | uerum martyrium uera est pietate probatum. | suscipe litterulas primas : ibi nomen honoris. Il s'agit d'un pome acrostiche (diaconus), comme l'taient ceux de Commodien (cf. 48). 143 Cf. HIER. epist. 108, 33 (pomes de 5 et 6 hexamtres, pour la tombe et le caveau).

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cas des hymnes de saint Ambroise, qui sont aussi une arme de guerre contre l'arianisme (cf. 65). Les pomes de Prudence (sauf le Cathemerinon et le Dittochon) attaquent le paganisme ou l'hrsie, surtout le Contre Symmaque, qui reprend en vers la controverse entre saint Ambroise et Symmaque (affaire de l'autel de la Victoire) ; cest aussi le cas du Romanus contra gentiles (perist. 10) et de lensemble du Peristephanon, en particulier perist. 2 (exaltation de la vocation chrtienne de Rome). 57 Les dernires dcennies du IVe s. ont livr trois pomes satiriques contre des aristocrates paens, uvres de snateurs chrtiens, dont s'inspire l'occasion Prudence144. Le Carmen ad senatorem se prsente comme une lettre adresse un ami pass du christianisme au culte isiaque, pour lui reprocher surtout son inconstance ; le Poema ultimum (PS.-PAVL. NOL. carm. 32) comprend d'abord une vive condamnation des pratiques et des divinits paennes, ainsi