3

Click here to load reader

Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ? Réponse

  • Upload
    regis

  • View
    215

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ? Réponse

L E T T R E À L A R É D A C T I O N

Médecine palliative

65

N° 2 – Avril 2006

Med Pal 2006; 5: 65-67

© Masson, Paris, 2006, Tous droits réservés

Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ? Réponse

Régis Aubry, Hôpital Jean Minjoz, Boulevard Flemming, Besançon.

N

ous avons fait le choix de demander à Médecinepalliative de publier dans ce numéro une lettre adresséeà la SFAP par un collègue.

Celui-ci adhère à cette société mais il exprime des dou-tes quand au positionnement de la SFAP qu’il estime tropfavorable à la loi relative aux droits des malades et à lafin de vie.

Nous aurions pu répondre à notre confrère quenous ne partageons pas son opinion lorsqu’il écrit parexemple que les soins palliatifs sont un

acharnement

à

faire

vivre.J’aurais pu oser dire, en tant qu’ancien président de

la SFAP que celle-ci ne défend pas cette position.Nous avons choisi de considérer que la lettre de notre

collègue était une provocation à la réflexion et je doisdire que je suis d’accord avec lui pour penser que la loidu 22 avril 2005 n’est pas parfaite et qu’elle est criti-quable. Je propose même dans la suite de ce propos id’illustrer cette imperfection par un florilège de réflexionset de questions qui pourraient être autant d’interprétationsde la loi.

– On peut craindre en effet qu’une perversion du prin-cipe thomiste du double effet n’aboutisse à une accéléra-tion indue de certaines fins de vie. Derrière la décisiond’augmenter la dose de morphiniques par exemple, der-rière une intention avouée de calmer la douleur on peutimaginer en effet qu’il y ait une intention cachée, celle dedonner la mort, d’euthanasier. C’est la raison pour laquellela SFAP accompagne la loi en travaillant sur l’élaborationde bonnes pratiques cliniques.

– Une décision d’arrêt de traitement prise par un ma-lade conscient peut accélérer sa mort ; peut-elle équivaloirà un suicide ? La loi l’autorise à décider de l’arrêt de touttraitement qu’il considérerait comme une obstination dé-raisonnable. On peut admettre qu’une personne prenantune telle décision en mesure les conséquences et qu’elleen accepte l’issue éventuelle – la mort. On peut penseraussi qu’une personne prenant une telle décision souhaitecette issue, et qu’elle souhaite en hâter la survenue. Ellepourrait alors le faire légalement.

– Si la loi ne peut résoudre les conflits de valeur ; ellepeut les générer. On peut imaginer qu’un malade en fin

de vie refuse des morphiniques malgré des douleurs in-tenses. Le devoir du médecin est de lui assurer des soinspalliatifs dont fait partie intégrante la lutte contre la dou-leur. Il devra donc accepter la douleur de l’autre.

– La loi dit qu’un sujet conscient peut décider. Quandla personne est consciente, la question de sa capacité àcomprendre et à décider peut se poser. Chez une personneadulte, consciente, présentant un handicap « mental » légeret qui demanderait l’arrêt de traitements : qui va pouvoirjuger de la compétence de la personne, de la validité de lademande ? Qui peut affirmer qu’une personne malade, sesentant « condamnée » a réellement la « compétence » de dé-cider ? Mais qui peut affirmer le contraire ? La conscienceest un état, l’intelligence est une dynamique bien pluscomplexe que l’émotion ou l’angoisse peuvent modifier.

– Lorsque le malade est inconscient ou incapable, la loia fait le choix de désigner le médecin comme capable d’unedécision par substitution ou dérogation. Or, il est bien évi-dent que personne n’est en mesure de se mettre à la placed’autrui, pas plus le médecin que la personne de confiance,d’ailleurs. Rappelons tout de même que la loi précise quecette décision ne peut avoir lieu qu’après une procédure dediscussion collégiale et la prise en compte des éventuellesdirectives anticipées ainsi que de l’avis de la personne deconfiance. Le médecin ne doit pas respecter, au sens strict,la volonté du patient, mais la prendre en compte, et, souscertaines conditions précises, suspendre ou ne pas entrepren-dre un traitement le maintenant en vie. Ce n’est pas la de-mande de l’entourage qui s’impose. C’est l’équipe soignante,représentée par le médecin, qui engage le processus. C’est ence sens que la loi est très différente de ce que souhaitent lespartisans de la loi dite « Humbert » où les directives antici-pées, voire l’avis de la famille ou des proches s’imposeraientaux médecins. Le choix fait par le parlement français noussemble respectueux des limites de la notion de responsabilité(voir de culpabilité future) qui aurait reposé sur les épaulesde la personne de confiance. On peut toutefois regretter quela loi ne prévoit pas explicitement que le déclenchement duprocessus collégial puisse se faire, non seulement à l’initia-tive du médecin, mais aussi d’un autre membre de l’équipesoignante, de la personne de confiance, d’un membre de lafamille ou d’un proche.

Aubry R. Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ? Réponse. Med Pal 2006;

5: 65-67.

Adresse pour la correspondance :

Régis Aubry, USP et EMSP, Hôpital Jean Minjoz, Boulevard Flemming, 25030

Besançon.

e-mail : [email protected]

Page 2: Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ? Réponse

Médecine palliative

66

N° 2 – Avril 2006

Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ? Réponse

L E T T R E À L A R É D A C T I O N

– La loi donne de nouvelles responsabilités à la per-sonne malade. En fin de vie, que sait-on de l’effet de ladécision prise par une personne malade d’arrêter un trai-tement jugé déraisonnable par elle ? Peut-on affirmerqu’une telle décision accélère forcément la fin de sa vie ?Très souvent, on sait qu’on ne sait pas, on doute. Ce doutedoit être partagé et il rencontre en réalité celui de la per-sonne. Si cette loi oblige à un renforcement de l’humilitédu médecin, elle pourrait avoir comme conséquence uneaugmentation de la confiance. La confiance et l’espoir desuns se nouent dans l’humilité et le doute des autres.

– Qu’est-ce qui peut motiver une décision d’arrêt detraitement prise par un malade se sachant atteint d’unemaladie incurable ? Il est difficile de répondre à cettequestion. En tout cas, l’angoisse du mourir et l’envie dene pas vivre cette angoisse, la conviction que le bénéficedu traitement proposé est inférieur au risque, la douleur

et la souffrance de la consciencede sa finitude… sont de bonnesraisons qui peuvent conduire àune demande d’arrêt de traite-ment. La légitimité de toute de-mande d’arrêt de traitement nedoit pas être entendue commeune légitimation de l’arrêt. Unerelation d’authenticité entre lemalade et le médecin, une infor-mation donnée avec respect de lapersonne, la place laissée audoute, la place laissée au temps

pour le cheminement de la personne suite à l’informationdonnée, l’accompagnement de la personne dans sa souf-france… sont autant d’obligations que la loi aurait peut-être dû inscrire en clair pour avoir une fonction plus pé-dagogique.

– Est-ce une liberté supplémentaire que de pouvoirchoisir, puis décider d’arrêter pour soi un traitement jugépar soi inutile ? Est-ce que cette liberté octroyée par la loisignifie que l’on fait confiance à la personne pour être lemeilleur juge (ou le moins mauvais) de la futilité d’un trai-tement qui la concerne ? Il faut considérer que cela procèded’une logique prudentielle, de la recherche d’un équilibreentre autonomie, liberté, raison, respect, devoir et incerti-tudes. On peut donc parler de responsabilité accrue plusque de liberté supplémentaire pour la personne malade.

– L’information donnée, les attendus de la discussioncollégiale doivent être écrits dans un document qui de fait,devient opposable. On comprend que ce qui préside à celan’est pas uniquement de l’ordre de l’optimisation de lacommunication ou d’une démarche de qualité. S’agit-il dela matérialisation de la confiance ou de la méfiance ? Ilfaut que la justice puisse par exemple vérifier que la pro-cédure est conforme à la loi. On peut également considérer

que la responsabilité et le pouvoir médical sont pondéréspar l’obligation d’une procédure.

– À propos des directives anticipées : peut-on se faireà ce point confiance, que l’on puisse un jour savoir ceque l’on pensera demain ? Les directives anticipées sont-elles la matérialisation d’une eschatologie moderne dou-blée d’une angoisse et d’un désir de contrôle ? L’expé-rience prouve que notre vision de la fin de vie évolue aucontact de cette dernière. Prendre en compte les directivesanticipées à la lumière d’éclairages complémentaires estdonc une mesure sage.

– Que serait la confiance si le médecin était habiliténon seulement à donner des soins mais aussi à donner lamort ? Les partisans d’une légalisation de l’euthanasieont-ils imaginé cette question ? Quel regard porterait-onsur le médecin si celui-ci avait, au sens légal du terme, latriple habilitation suivante : donner la vie, lutter contrela maladie, donner la mort ?

Il y a fort à parier que symboliquement cette habili-tation légale serait assimilée à un pouvoir : le pouvoir dedonner la vie et celui de donner la mort. Fort de ce pou-voir, le médecin pourrait faire peur. Quel sentiment am-bivalent habiterait la personne atteinte d’une maladie in-curable, sentant sa mort approcher et sachant que celuiqui la soigne pourrait devenir celui qui la tue ?

Peut-on avoir totalement confiance en celui qui s’en-gage, au motif compassionnel, à donner la mort ?Jusqu’où va cette confiance quand de tels pouvoirs sontmis en face d’une telle fragilité ? Plus généralement : soi-gner est-il compatible avec tuer, donner la mort ? La re-lation de confiance, au cœur du soin, peut-elle s’envisagerquand le soignant porte en lui de tels possibles ?

J’arrête ici cette litanie critique parce qu’au fond, ceque je pense est différent : ce n’est pas la loi qui est cri-tiquable, c’est ce que les hommes peuvent en faire.

Notre collègue a donc posé des questions intéressan-tes. Qu’il m’excuse parce que les réponses que je lui faissont plus compliquées encore que ces questions.

Je terminerai ce propos par un couplet pour l’engage-ment et le débat.

La raison d’être de l’engagement à la SFAP a été, est, etje l’espère sera la prédisposition au débat. Pour débattre, pouréchanger des idées, il faut refuser toutes les certitudes et tou-tes les postures idéologiques absolutistes. Quelles certitudespourrions nous avoir d’ailleurs, nous qui sommes confrontésen permanence à la singularité, à l’altérité, nous qui sommesconvoqués par la question des limites – limites du savoir,limites de la vie, limites de soi… La seule chose qui nous faitavancer c’est le doute et la foi que nous avons… en l’homme,en la différence qui le définit ; la seule valeur qui est aussinotre référence inébranlable est l’humanisme.

Faut-il rappeler que la SFAP a consacré son congrèsannuel en 2004 à Besançon sur le thème suivant :

Qu’est-ce qui peut motiver une décision d’arrêt de traitement prise par un malade se sachant atteint d’une maladie incurable ?

Page 3: Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ? Réponse

Med Pal 2006; 5: 65-67

© Masson, Paris, 2006, Tous droits réservés

67

www.masson.fr/revues/mp

L E T T R E À L A R É D A C T I O N

Régis Aubry

l’euthanasie et la mort désirée, questions pour les soinspalliatifs

. Que ce congrès a donné lieu a des débats jugéspassionnants par les 2000 participants et reproduits dansun ouvrage co édité par la mutualité Française et laSFAP.

La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des mala-des et à la fin de vie présente sur un plan juridique etmédical trois mérites : s’inscrivant dans le sillage de laloi de 4 mars 2002, elle renforce sensiblement les droitsdes malades leur permettant de s’opposer à l’obstinationdéraisonnable ; elle encadre les bonnes pratiques médi-cales par des procédures de limitation ou d’arrêt de trai-tement, fondées sur la transparence, le dialogue et la col-légialité médicale ; elle veille à accroître l’offre de soinspalliatifs, non seulement en obligeant les médecins à yrecourir dans les établissements de santé et les réseauxmais en les étendant aux établissements médico-sociaux.Tout en écartant le statut quo, la loi refuse de légaliser

l’euthanasie. Un patient ne peut pas obtenir du médecinune injection létale.

Ce sont toutes ces raisons qui ont fait que la SFAP asalué le vote de cette loi comme une avancée.

Enfin : est-il nécessaire derappeler le contexte dans lequella mission parlementaire qui aabouti à cette loi a été créée ? Jene parle pas de la difficile histoirede vie et de souffrance de VincentHumbert. Je fais référence à l’uti-lisation médiatique et politi-cienne de cette souffrance qui asoulevé l’émotion dans tout lepays, nuisant gravement à la santé du débat.

En écho au titre de la lettre de notre collègue et en con-clusion de ce propos, je pense que le mouvement des soinspalliatifs a un avenir, pourvu qu’il accepte lui-même le débat.

Ce n’est pas la loi qui est critiquable, c’est ce que les hommes peuvent en faire.