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Les stratégies du développement durable

Les strategies du developpement durable

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Les stratégiesdu développement durable

Collection GRALE

Déjà publiés

Gabriel, O.lHoffmann-Martinot, V. (1999), Les démocraties urbaines.L'état de la démocratie dans les grandes villes de douze paysindustrialisés.Breuillard, M. (2000), L'administration locale en Grande-Bretagne entrecentralisation et régionalisation.Breuillard, M.lCole, A. (2003), L'école entre Etat et collectivités localesen Angleterre et en France.Guérard, S. (dir.) (2004), La démocratie locale.Guérard, S. (dir.) (2006), Regards croisés sur l'économie mixte.Bras, l-P.lOrange, G. (dir.) (2007), Les ports dans l'Acte II de ladécentralisation: nouveaux cadres institutionnels et difficultésd'adaptation.Merley, N. (dir.) (2007), Où vont les routes.Robbe, l-F. (dir.) (2007), La démocratie participative.Allemand, R.lGry, Y. (dir.) (2007), Le transfert des personnels TOS del'Education nationaleCités et Gouvernements Locaux Unis (2008), Premier rapport mondialsur la décentralisation et la démocratie locale, ouvrage coordonné par leGRALE sous la direction scientifique de G. Marcou.Allemand, R./Solis-Potvin, L. (2008), Egalité et non-discrimination dansl'accès aux services publics et politiques publiques territoriales.

Sous la direction de

Jacques FIALAIRE

Les stratégies

du développement durable

Ouvrage parrainépar la Maison des Sciences de l'Homme Ange Guépin de Nantes

L'HARMATTAN

@ L'Harmattan, 20085-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris

http://[email protected]

harmattan [email protected]

ISBN: 978-2-296-07618-1EAN:9782296076181

REMERCIEMENTS

La qualité de la présentation de cet ouvrage doit beaucoup au travail de miseen forme et au lien établi avec les auteurs, assurés par Hugues Roger,gestionnaire du laboratoire « Droit et Changement Social ». Pour cela nous luitémoignons notre profonde gratitude.

L'investissement intellectuel et l'échange scientifique interdisciplinaire quecouronne cet ouvrage ont été stimulés par le soutien constant manifesté par laMaison des Sciences de l'Homme Ange Guépin de Nantes, qui a accueilli durantl'année universitaire 2006-2007 le second cycle de séminaires sur « le concept etles stratégies du développement durable », dont les rapports constituent la trameessentielle du livre. Nous devons à ce titre exprimer toute notre reconnaissance àcette institution.

Nous remercions également le Groupement de recherches sur l'admi-nistration locale en Europe (Grale-CNRS) pour le soutien apporté à lapublication de cet ouvrage.

Souhir ABBES LEM,doctorante en économieMarcel AMBOMO DCS-CERP3E,doctorant en droit publicLuc BODIGUEL DCS-CERP3E, Chargé de recherche

CNRS en droit privéCaroline BARDOUL LCLet LERAD,doctorante en droit publicGoulven BOUDIC DCS-CERP3E,maître de conférences en

sciences politiquesMagali BOUDARD DCS-CERP3E,doctorante en droit publicJulie BULTEAU LEM,doctorante en économieAude CHASSERIAU CESTAN,docteur en géographie urbaineClaire CHOBLET LEM,doctorante en économieLaure DESPRES LEM,professeur émérite en économieJacques FIALAlRE Professeur de droit public à l'université

de Nantes, directeur du laboratoire « Droitet Chan!!ement Social»

Maria FRANCHETEAU DCS-CERP3E,docteur en droit publicPatrice GUILLOTREAU LEM,maître de conférences en économieEva GUY ARD DCS-CERP3E,doctorante en droit publicAntoinette HASTINGS- DCS-CERP3E, maître de conférences en

MARCHADIER droit publicCharles-Henri HERVÉ DCS-CERP3E,doctorant en droit publicPierre LEGAL DCS, maître de conférences en histoire

du droit. Doyen de la faculté de droit et desciences politiaues de Nantes

Patrick LE LOUARN DCS-CERP3E,professeur de droit public àl'université de Rennes-II

Olivier LOZACHMEUR DCS-CERP3E,docteur en droit publicArnauld LECLERC DCS-CERP3E,maître de conférences en

sciences politiauesGérald ORANGE Professeur de sciences de gestion,

directeur de l'IAE de RouenAndré-Hubert MESNARD CDMO,professeur émérite en droit publicSandrine ROUSSEAUX DCS-CERP3E, Chargée de recherche

CNRS en droit public

Les auteurs ayant collaboré à cet ouvrage

CDMO Centre de Droit Maritime et Océanique (universitéde Nantes, UFR Droit et sciences politiques)

CERP3E Centre d'Etudes des Régulations Publiques,aujourd'hui fusionné avec DCS (université deNantes, UFR Droit et sciences politiques)

CESTAN Centre d'Etudes sur les Sociétés, les Territoires etl'Aménagement (université de Nantes, Institut deGéographie et d'Aménagement Régional)

DCS Droit et Changement Social UMR CNRS 3128(université de Nantes, UFR Droit et sciencespolitiques)

LCL Laboratoire des collectivités locales (universitéd'Orléans, UFR Droit économie et gestion)

LEM Laboratoire d'Economie et de Management(université de Nantes, Institut d'Économie et deManagement)

LERAD Laboratoire d'Etude sur la Réforme Administrativeet la Décentralisation (université de Tours, UFRDroit économie et sciences sociales).

Liste des sigles des laboratoiresde rattachement des auteurs

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Sommaire

DE L'INTERNATIONAL AU LOCAL: QUELLE APPROPRIATION POSSIBLE

DU CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT DURABLE f p. 11

PARTIE l : LE DÉVELOPPEMENT DURABLE À L'ÉCHELLE

DE L'EuROPE ET DE LA PLANÈTE: QUELS MODÈLES f p. 25

- Le droit au développement confronté au développement durable p. 27- Développement urbain durable et politiques comparées p. 65- Développement durable et gestion comparée des réseaux urbains p. 99- La recherche d'un modèle de développement urbain durable p. 133

PARTIE II : DÉVELOPPEMENT DURABLE ET GRANDS ENJEUX

ENVIRONNEMENT AUX p. 157- Le développement durable et la maîtrise des pollutions p. 159- Le développement durable et la gestion des espaces maritimes p. 205- L'intégration du volet environnemental du développement durable dans lespolitiques publiques locales p. 245

PARTIE III: LE DÉVELOPPEMENT DURABLE, MOTEUR DU DÉBAT

PUBliC p. 273- Développement urbain durable et rénovation de la démocratie localereprésentative p. 275

- Quelle lecture et quelle résolution des conflits pour un développementdurable? p. 309

PARTIE IV: LE DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLE, CONTRIBUTION

À UNE THÉORIE DE L'IDENTITÉ p. 357- Développement urbain durable et identités culturelles: la ville et sonpatrimoine bâti et végétal p. 359

- Le développement durable et les identités territoriales p. 397

INTRODUCTION

De l'international au local: quelle appropriation possible duconcept de développement durable?

Jacques FIALAIRE*

Le développement durable peut être présenté comme une notion à viséeplanétaire dont la réalisation suppose « le respect simultané de trois critères:finalité sociale, efficacité économique, prudence écologique» 1. On a pu dire que«le développement durable se présente actuellement davantage commehypothèse heuristique de caractère négatif (on sait à peu près ce qui n'est guèredurable.. .), alors que les plus grandes difficultés se présentent poursubstantialiser positivement la notion »2.

On aimerait par cet ouvrage, contribuer à faire parvenir à un stade de maturitéles réflexions menées autour de la concrétisation du concept de développementdurable en référentiels de politiques publiques, en montrant comment unphénomène mondial a pu imprégner divers pans locaux de l'action publique.

Que la notion de développement durable ait pu être véhiculée depuis lesannées 1990 des scènes internationales vers des sphères locales relèveaujourd'hui du constat d'évidence. La place des collectivités territoriales dans lamise en œuvre des politiques de développement durable a été tôt reconnue àl'échelle internationale. Le chapitre XXVIII d'Action 21 issu du sommet de Riode 1992, demande que «toutes les collectivités locales instaurent un dialogueavec les habitants, les organisations locales et les entreprises privées afind'adopter un programme d'Action 21 à l'échelle de la collectivité.» Bien desobstacles semblent avoir été balayés depuis que dans la convention internationale« Habitat II » signée à Istanbul en 1996, les villes ont pu établir un partenariatdirect avec les Nations unies.

Reste que l'on ne peut se contenter d'un bilan quantitatif qui saluerait lamultiplication des Agendas 21 locaux. Encore faut-il tenter de comprendre

* DCS-CERP3E1. B.-L. BALTHAZARD, Le développement durable face à la puissance publique, L'Harmattan,« Questions contemporaines », 2005, p. 26.

2. Préface G. MONÉDIAIRE, in B.-L. BALTHAZARD, ibid, p. 9.

comment et pourquoi cette diffusion s'est opérée plus vite dans certains pays quedans d'autres.

Au-delà de cette première interrogation, d'autres questions plus profondessurgissent. On ne peut ignorer les divergences d'opinion sur la signification de lapropagation du concept et des stratégies du développement durable. Un courantdoctrinal soutient que «le concept de développement durable, tel qu'il estemployé dans les textes de droit interne, se réduit à un phénomène de mode ou,au mieux, à une caractérisation des politiques publiques3. » N'est-il pas en effetcourant de relever un emploi hypertrophié de ce vocable, se glissant dansquantité de plaquettes d'information, de documents administratifs oucommerciaux plus ou moins élaborés, sur le modèle de campagnes demarketing? On est alors tenté de penser que cette «durabilité» affichée n'ad'autre usage que cosmétique.

Le test de la pertinence de la notion de développement durable appliquée auxpays en voie de développement est ici salutaire. Comment parvenir à infléchirdes politiques de développement économique, faire prendre conscience desenjeux liés à la survie de la planète au profit des générations futures, lorsque lasurvie n'est pas assurée à l'espèce humaine présente? Redoutable questionquand on sait que l'idée de développement durable n'était pas présente dans larevendication des États africains en faveur d'un droit au développement, conçucomme un «droit collectif contrarié par un système de relations économiquesinternationales inégalitaires.» La confrontation s'est vérifiée au moment duSommet de Rio (1992), terrain de « négociations et de débats entre certains paysdu Nord partisans d'une protection totale de l'environnement, et les pays du Sudqui y voyaient un geste inamical visant à stopper leur développement. » Or l'onconstate que ces derniers, après des réticences, se sont approprié la notion dedéveloppement durable, plaidant même pour la reconnaissance d'une « relationpar la communauté internationale entre le droit à l'environnement et le droit audéveloppement» (Marcel Ambomo). Si les politiques publiques révèlent encoredes insuffisances au regard des critères du développement durable, le droitinternational de l'environnement n'est pas ignoré et se trouve même traduit dansplusieurs Constitutions d'États africains.

Dans l'Union européenne, le credo semble bien affirmé. La profession de foides institutions communautaires s'exprime lorsqu'elles assortissent l'attributiondes Fonds structurels à une condition générale de respect du développementdurable des territoires, option retenue depuis la réunion du Conseil européen deG6teborg en juin 2001 (Magali Boudard), et en ayant même affecté l'un de cesfonds au développement durable des villes et quartiers en crise (programmesURBAN).

On peut donc préférer la voie optimiste, consistant à rechercher les moyenspour concrétiser les objectifs du développement durable, au-delà des multiplesdéclarations d'intention à visée proclamatoire. Pour cela, il convient de prendre

3. Ch. CANS, «Le développement durable en droit interne: apparence du droit et droit desapparences », AJDA, 10 fév. 2003, p. 210.

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en compte les facteurs d'antagonisme internes à la notion, afin d'esquisserquelques voies de conciliation, dont la difficulté ne saurait être sous-estimée.Cela suppose d'identifier, pour s'y référer ensuite, quelques caractéristiquescommunes s'attachant à la notion de développement durable. Cet angle d'analysepeut nous permettre de faire émerger:

- quelques leçons à tirer de la diffusion du développement durable dans lesenceintes internationales, destinées à mieux inscrire ce concept dans lespolitiques publiques locales (I) ;

- les apports possibles d'un ancrage du concept dans les politiques locales,susceptibles d'enrichir en retour sa dimension mondiale (II) ;

- il restera alors à présenter l'architecture générale du présent ouvrage (III).

1. De «l'international» au «local»: quels enseignements?

Alors que l'action publique locale s'insère encore dans des logiquesinstitutionnelles faiblement réceptives aux objectifs du développement durable, àl'égard desquels bien des cadres juridiques demeurent décalés (B), l'affichage duconcept de développement durable gagne puissamment nombre de politiqueslocales, en mobilisant des ressorts extra-juridiques (A).

A. Des apprentissages assimilés hors du champ juridique

Force est de constater que le développement durable a fait son chemin dansl'action publique locale d'autant plus vite que celle-ci était moins bornée par descadres juridiques contraignants. La propagation du concept s'est appuyée surl'adoption de nouveaux choix d'architecture urbaine et sur leur valorisation,suivant des orientations de « marketing stratégique» des territoires.

1. La dimension globale du développement durable

Une réalité aux plans national et international

Le droit international traduit bien cette dimension désormais, y compris là oùrègne le libéralisme économique. Il suffit de relever que l'Accord instituantl'Organisation mondiale du commerce (OMC) de 1994 prévoit dans sonpréambule (alinéa 1er) que les objectifs de l'OMC doivent être réalisés, « tout enpermettant l'utilisation optimale des ressources mondiales conformément àl'objectif de développement durable, en vue à la fois de protéger et de préserverl'environnement et de renforcer les moyens d'y parvenir d'une manière qui soitcompatible avec leurs besoins et soucis respectifs à différents niveaux dedéveloppement économique.» Cette orientation est confirmée s'agissant de lapréservation de la santé des personnes et des animaux dans un autre accordconclu en 1994 sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires, dont lamise en œuvre révèle que la globalité de l'approche du développement durable ason prix. «L'approche précaution» révèle des incertitudes d'application,

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« l'anticipation des risques biotechnologiques dans le cadre de l'OMC s'avérantdifficile» (Maria Francheteau).

Au niveau national, la dimension globale du développement durable serencontre à travers l'établissement de la « gestion intégrée des zones côtières»(GIZC), qui tend à « renouveler le cadre de la gouvemance pour le littoral»(Olivier Lozachmeur).

Le « local» n'est pas en reste. Cette globalité du développement durabletrouve aujourd'hui sa traduction dans les politiques urbaines, reconfiguréesautour du concept de « ville compacte ».

Une transposition locale: le nouveau concept de « ville compacte»

Aussi divers puissent-ils être par leur ampleur, les aménagements urbains sontqualifiables de développement urbain durable au regard d'une communauté dedesseins. Il est relevé qu' « une conception urbaine environnementale durables'appuyant sur des notions de ville "courtes distances" ou ville "compacte", lequartier durable correspond souvent à l'image d'un "village urbain" incluant desdensités élevées, des mixités d'usages et de fonctions en lien avec lareconnaissance de la rue comme élément à la fois structurant et d'animation. Cemodèle suppose une utilisation plus efficace des sols qui s'appuie sur larecherche d'un équilibre entre le logement, l'emploi, les équipements de serviceet la promotion de la mobilité intermodale (marche, vélo, transports publics) »(Charles-Henri Hervé).

On a pu déceler aussi dans une période récente une influence de la notion dedéveloppement durable sur les régimes de protection des monuments historiqueset de leurs abords au travers du passage d'un « esprit monumentalo-centriste » auprimat en faveur d'une « gestion de l'espace urbain plus global» (Patrick LeLouarn).

Là où l'on ne parvient pas à forger un moule juridique approprié auremodelage du tissu urbain en « ville compacte », les aménageurs seront tentésde s'affranchir d'outils jugés trop rigides. Aux techniques de l'urbanismeopérationnel seront préférées des formules plus souples (plans-guide), commec'est le cas pour l'aménagement de l'Île de Nantes (Aude Chasseriau).

2. Le développement durable, intégré dans des stratégies decommunication et une «ingénierie» locale

Le développement durable a conquis une place privilégiée dans le « marketingstratégique» des territoires locaux, les collectivités territoriales françaisessuivant en cela maintes expériences étrangères. Ainsi le projet d'aménagement« du site de Hammarby Sj6stad à Stockholm, ancienne zone portuaire », a étéporté à la faveur de « la candidature de Stockholm aux Jeux olympiques de 2004,l'accent étant mis sur la construction d'un village et d'un stade olympiques quidevait avoir le moins d'impact possible sur l'environnement» (Charles-HenriHervé).

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De préférence aux instruments du droit de l'urbanisme, les objectifs dudéveloppement durable sont davantage portés en avant dans les Agendas 21locaux qui impulsent des stratégies volontaristes de développement, sans pourautant détenir une valeur juridique contraignante (Caroline Bardoul).

Cet attrait pour le développement durable comme composante du « marketingurbain» a été bien compris par les instances communautaires, qui ont forgé deslabels récompensant des «bonnes pratiques» repérées au plan local. Lapromotion du «tourisme durable» emprunte en partie cette voie (MagaliBoudard).

B. Des leçons restant à tirer dans l'espace juridico-institutionnel

1. La portée incomplète des normes protectrices supranationales: uneplace pour une «éthique» du développement durable?

Les enjeux du développement durable s'imposant à l'échelle planétaireappellent une réglementation internationale. Or celle-ci manifeste encore deprofondes faiblesses. En témoigne le rapport entre le droit français et laConvention d'Aarhus du 25 juin 1998 relative à l'accès à l'information, laparticipation du public au processus décisionnel et à l'accès à la justice enmatière d'environnement, entrée en vigueur à la fin de l'année 2001, qui lie laCommunauté européenne dans des engagements communs avec différents Étatsd'Europe de l'Est, sous l'égide de la Commission économique des Nations uniespour l'Europe. Un droit communautaire dérivé en découle, sous la forme de ladirective 2003/4/CE du 28 janvier 2003, relative à l'accès du public àl'information en matière d'environnement. En apparence l'ordre juridiquefrançais a achevé sa mue puisque la convention d'Aarhus a été publiée par ledécret n° 2002-1187 du 12 septembre 2002. Néanmoins il transparaît sur ce pointune concurrence entre deux systèmes de protection des droits fondamentaux, l'unbâti sur une source conventionnelle, l'autre sur une source constitutionnelle.Tranchant quelque peu avec les dispositions énergiques de la conventiond'Aarhus, l'article 7 de la Charte de l'environnement adossée à la Constitutiondepuis la loi constitutionnelle n° 2005-105 du 1ermars 2005 pose que «toutepersonne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéderaux informations relatives à l'environnement détenues par les autoritéspubliques. » Par cette référence à un «légicentrisme» étroit, le constituant donnepar avance un brevet de validité constitutionnelle à des normes de droit interne lecas échéant incompatibles avec la convention d'Aarhus, protégées par le jeu de lathéorie de la loi-écran. Toute réelle avancée du principe de participation lié audéveloppement durable est donc en France suspendue à une inclination nongarantie du Conseil constitutionnel à faire prévaloir «une interprétationconstructive [de cet article 7], intégrant les exigences posées par la conventiond'Aarhus et la possibilité de l'invoquer devant le juge administratif à l'encontre

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de normes de mise en œuvre qui lui seraient contraires, y compris les normesantérieures à la Charte» 4.

Si l'impact du droit international n'est pas garanti, une plus grande efficacitépeut-elle être recherchée par la diffusion auprès d'une large gamme d'agentséconomiques d'une « éthique» du développement durable? On serait tenté devoir là un mouvement naturel, tant le développement durable s'entend avant toutcomme un développement humain, lequel ne saurait se couper de ses racinesculturelles. L'éthique du développement durable y trouverait son socle. Maisparvient-elle pour autant à gagner un sens précis? Quels espaces doivent-ils êtreconservés? Quels autres sont à renouveler? Les contours de ce qui serait une« éthique» du développement durable restent encore impénétrables.

2. La nécessaire conciliation d'objectifs antagonistes liés à unenotion plurale: un appel à l'essor du débat public?

Le tiraillement entre les trois piliers du développement durable

Une première contradiction apparaît entre le souci de protection del'environnement et la recherche de l'équité sociale. Certains écoquartiers issusd'opérations de renouvellement urbain sont gagnés par un processus de« gentrification », lequel induit de nouvelles formes de ségrégation sociospatiale(Aude Chasseriau).

Également couplées en théorie en tant que formant deux des piliers dudéveloppement durable, la protection de l'environnement étalonnée selon desnormes européennes de qualité toujours plus exigeantes et le développementéconomique à un coût acceptable ne s'allient en pratique que très difficilement.De forts antagonismes s'observent couramment dans les politiques d'équipementdes collectivités territoriales où «les tensions budgétaires peuvent êtreoccasionnées par la pression en section d'investissement de dépenses obligatoirescorrélatives à l'exercice de compétences ayant un lien avec le développementurbain durable. L'obligation de renouvellement et le développement deséquipements de traitements et de recyclage des déchets sont notamment au cœurde ce problème. Les choix budgétaires peuvent donc traduire ces difficultés decorrélation des orientations politiques nationales ou locales avec la capacitéfinancière de la collectivité» (Antoinette Hastings-Marchadier).

Mais l'explication reste incomplète si l'on s'en tient au périmètre de telle outelle institution locale. Les conflits doivent être saisis à des échelles territorialessuffisamment larges. Telle analyse portant sur la protection d'un espace estuarienfait ressortir un déséquilibre entre le souci de préservation d'un patrimoinenaturel et les perspectives de développement économique d'un important port decommerce, en faveur de ce dernier (André-Hubert Mesnard).

4. K. FOUCHER, « La consécration du droit de participer par la Charte de l'environnement H, AJDA,

Il déco 2006, p. 2316.

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Une moindre maîtrise des instruments du calcul économique peut expliquer cedésavantage (Claire Choblet, Laure Després, Patrice Guillotreau).

Il est donc attendu des acteurs locaux qu'ils prennent l'initiative d'affirmerdes stratégies de développement durable. Or la démocratie locale représentativeest en crise (Arnaud Leclerc), et les procédés de démocratie locale participativese heurtent aux insuffisances de la mobilisation citoyenne (Goulven Boudic).

Démocratie « délibérative» ou «participative» ?

Un fort courant en science politique tend de nos jours à réhabiliter ladémocratie délibérative, allant jusqu'à proposer une « théorie de la délibérationpolitique »5. Pourraient ainsi être réunies les «conditions d'un bon débat ».« Une décision bien délibérée serait le critère de la bonne décision» (GoulvenBoudic).

Cette thèse est fortement contestée. Pour Pierre Rosanvallon, «l'idée dedémocratie procédurale ne suffira pas à surmonter le malaise politique que nousconnaissons »6. Dans sa version urbaine, le développement durable peut alorstirer partie des enseignements produits par les politiques de développement socialurbain. On peut alors penser que, même si le délitement du tissu urbain est telque « la participation-intégration n'est plus possible dans les quartiers dégradés»et que l'on est conduit à « reconstruire une participation-institution» (GoulvenBoudic), le développement durable appelle un sursaut de la démocratieparticipative, susceptible de faire émerger de nouveaux acteurs sur la scènelocale.

IL Les apports du « local» à la dimension mondiale du concept

Le développement durable tend à devenir un « agent mobilisateur» pour lesdécideurs et acteurs locaux. Il s'infiltre ainsi dans nombre de politiquespubliques, particulièrement dans le domaine de l'aménagement du territoire et del'urbanisme, mettant généralement ensemble une pluralité d'acteurs locauxpoussés à coopérer entre eux, à l'intérieur d'une nouvelle « territorialisation » del'action publique (A).

La gestion publique locale pourrait voir sa légitimité renforcée si elle parvientà accentuer ses efforts en faveur de l'intégration des objectifs du développementdurable, et plus particulièrement à garantir la préservation des ressources sur lelong terme (B).

5. Voir B. MANIN, Principes du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, 1995.6. P. ROSANVALLON,« Le nouveau travail de la représentation », Esprit, février 1998.

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A. Les progrès de la « territorialisation» de l'action publique

1. L'aménagement du territoire à l'heure du développementdurable

Une nouvelle conception des documents d'urbanisme, dont le contenu devientplus global et intègre des objectifs de développement durable, prévaut depuis laloi SRU du 13 décembre 2000, notamment en ce que « le plan local d'urbanisme(PLU) comprend un rapport de présentation, le projet d'aménagement et dedéveloppement durable (PADD) de la commune et un règlement ainsi que desdocuments graphiques» (C. urbanisme, art. R. 123-1). Surtout les objectifs deDUD transparaissent dans cette réforme au travers d'une déconnexion entre lesinstruments des politiques d'aménagement spatial (urbanisme, logement,transports). Cette transversalité est censée être assurée par la présence du PADDdont l'objet consiste à « définir, dans le respect des objectifs et des principesénoncés aux articles L. 110 et L. 121-1, les orientations d'urbanisme etd'aménagement retenues pour l'ensemble de la commune» (C. urban., art.R. 123-3).

Cependant, il a été montré que les contraintes liées à la prise en compte desobjectifs du développement durable (traduits dans le « plan d'aménagement et dedéveloppement durable») avaient été allégées depuis la loi urbanisme et habitatdu 3 juillet 20037. Cette réforme a limité le contenu du PADD, désormais réduitaux « orientations générales d'aménagement et d'urbanisme retenues pourl'ensemble de la commune» (C. urban., art. L. 123-1, al. 2), les prescriptions enétant exclues.

Des solutions à ce problème sont avancées localement à travers une utilisationcombinée du PADD du PLU et d'un instrument facultatif, l'Agenda 21 local. Ils'agit d'une « feuille de route qui définit les objectifs et les moyens de mise enœuvre du développement durable du territoire» 8. Cette formule est issue de l'undes programmes d'action retenu dans la Déclaration de Rio de 1992, lescollectivités locales du monde entier étant invitées à l'adopter. Des pouvoirslocaux peuvent alors tirer parti de la souplesse de l'Agenda 21 local, instrumentdécliné selon un processus de démarche de projet (passant par une phase initialede diagnostic d'état des lieux, puis une identification des objectifs prioritaires ets'achevant par une déclinaison du programme d'actions). Dès lors desinteractions sont possibles, alors que s'agissant du PLU, « les catégories dedocuments et leurs contenus sont strictement encadrés par le Code del'urbanisme» (Caroline Bardoul).

7. L. MOLINERO, « Considérations sur les effets contentieux du projet d'aménagement et dedéveloppement durable du plan local d'urbanisme », Mélanges MESNARD,L 'homme, ses territoires,ses cultures, LGDJ, coll. « Décentralisation et développement local », 2006, p. 181.8. M.-S. BOIZARD,« La mise en place d'un Agenda 21 intercommunal- Le cas de NantesMétropole », Mémoire de master II droit et administration des collectivités territoriales, universitéde Nantes, 2006.

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A plus long terme, on peut avancer, afin d'accentuer la prise en compte desobjectifs de développement durable, plusieurs propositions en vue de favoriserune gestion maîtrisée de l'espace périurbain, parmi lesquelles:

- la mise en place d'un SCOT élargi à l'échelle de l'aire urbaine ou du pays;- une préférence en faveur d'un PLU communautaire, dès que l'on a pu

atteindre une compétence communautaire complète de l'aménagement del'espace.

C'est qu'une référence simple au principe de subsidiarité nous apparaîtinsuffisante pour guider un schéma de répartition des compétences entre autoritéslocales suivant des objectifs de développement durable. Leur satisfactioncomplète ne peut passer que par un transfert intégral à l'échelle des structuresd'agglomérations des compétences en matière d'urbanisme et d'aménagementfoncier. Cela apparaît comme la solution essentielle pour maîtriser l'extensionpériurbaine.

2. Territoires locaux et culture

La thèse suivant laquelle le développement durable comporte une dimensionculturelle peut s'appuyer sur de lointains précédents. Des standardstransparaissaient déjà il y a un siècle dans les premiers «plansd'embellissement» des villes (Patrick Le Louarn).

L'existence de nos jours d'une dimension culturelle dans l'éthique dudéveloppement durable peut s'appuyer sur maints exemples locaux. Ici, lapréservation d'une identité culturelle génère des formes originales de protectiondu patrimoine urbain végétal, par l'essor d'une éducation à l'environnementorientée sur les parcs urbains, matérialisée notamment par des «journées del'arbre» (Pierre Legal). Là un standard minimal transparaît où« l'embellissement de la ville» prend place dans les orientations d'un plan locald'urbanisme communal. Ainsi « le PLU parisien a notamment prévu de préserverle patrimoine parisien et la végétation, d'une part en empêchant la démolition decertains immeubles, d'autre part en réalisant 30 hectares de nouveaux jardins»(Caroline Bardoul).

11ne faut toutefois s'attendre à vérifier que ponctuellement la prise en compted'un volet du développement durable qui viserait à la préservation d'une identitédes territoires. Ainsi en va-t-il de la politique relative à la protection du littoral(Olivier Lozachmeur), qui privilégie au regard des contraintes légales, uneconstructibilité limitée autour des bourgs, des villages et des hameaux, et non deslotissements, à la recherche d'une densification urbaine préservant les espacesruraux du mitage et les extensions urbaines de la déshumanisation.

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B. La pénétration des objectifs du développement durable, un renfortde légitimité apporté à la gestion publique locale?

1. Le bilan de la gestion pnblique locale à l'aune du développementdurable

Les orientations tirées du développement durable ont été intégréesprogressivement dans la gestion de différents services publics locaux organisésen réseau. «Depuis la loi sur l'eau de 1992, une prise en compte du voletenvironnemental du développement durable s'est imposée dans la gestion desservices d'assainissement, faisant de ces services techniques urbainsd'authentiques services publics environnementaux.» Pour cela, il a fallu un« dépassement de l'approche traditionnelle fondée sur la recherche d'un équilibreentre les prérogatives de la puissance publique et le respect du droit depropriété.» Mais «le caractère transversal de la notion de développementdurable pousse à approfondir ces exigences, afin d'intégrer une dimensioncitoyenne et un but d'équité sociale dans les conditions de gestion de cesservices »9.

Toutefois la remise en cause des modes classiques de régulation des servicespublics locaux reposant sur un fort pouvoir d'organisation revenant aux autoritéslocales, présente des risques. Ceci peut se vérifier à travers l'étude des effets dela libéralisation du marché intérieur de l'électricité parachevée par une directiveeuropéenne du 26 juin 2003 sur la situation des collectivités territoriales, renduesclients éligibles à compter du l er juillet 2004 et donc en capacité de choisir leursfournisseurs d'énergie. Il est relevé que «les relations entre les collectivitésterritoriales et EDF avaient donné lieu à des opérations de partenariat qu'il serasans doute délicat d'intégrer dans des appels d'offres. C'est le cas pour tout cequi a trait à la politique de la ville et au développement local, commel'accompagnement des clients en situation difficile, la limitation des effets duchômage et de l'exclusion ainsi que la lutte contre la dégradation des quartiers endifficulté» ID.

La prise en compte du développement durable dans la gestion des servicespublics locaux en Europe laisse entrevoir un bilan mitigé. Ainsi en Espagne, « Latarification de l'eau ne prend en considération que le coût des infrastructures etservices relatifs à l'eau c'est-à-dire le captage, la potabilisation, l'assainissement,la distribution... mais l'eau en elle-même, en tant que ressource naturelle estgratuite. Or, cette gratuité est en totale contradiction avec le principecommunautaire de récupération des coûts des services c'est-à-dire y compris descoûts pour l'environnement et les ressources» (Eva Guyard). Par contre enFrance et en Italie, le prix facturé à l'usager intègre tous les coûts.

9. 1. FIALAIRE,« Gestion des services publics d'assainissement et développement durable », LamyCT, sept. 2006, na 16, p. 76.10. M.-C. BÉGuÉ, « Développement urbain durable et politique énergétique locale: élémentsjuridiques d'un défi majeur », Pouvoirs locaux, na 71 Ill, 2006, p. 119.

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2. Une soft law ajustée aux territoires locaux?

Actuellement les solutions pour combler les imperfections de l'encadrementnormatif du développement durable sont d'ordre pragmatique. Si des normesréglementaires nationales encadrent site par site les modes de « gouvernance »,faisant participer acteurs publics et acteurs privés à la mise en œuvre des sitesclassés en zones Natura 2000, un droit local peut être émis par les comités depilotage de ces zones Il, définissant les règles de gestion appropriées. Lapropagation des objectifs du développement durable peut ensuite trouver desrelais adéquats dans des documents cadre de type « chartes », exprimant uncontexte de «liberté locale où prévalent l'engagement volontaire et lacontractualisation » (Luc Bodiguel).

Plus globalement, la multiplicité des acteurs et des ressorts des politiques deDUD conduit à placer la réflexion sur le terrain de la « gouvernance », entenducomme « décrivant de nouveaux styles de décision, plus ouverts et négociés enapparence, fruits d'adaptations contingentes de systèmes politiques pris dans desenvironnements en mutation.» Cette notion introduit surtout l'idée que « lepouvoir exercé sur une collectivité ne saurait être efficace qu'à condition den'être pas comme une action purement unilatérale s'imposant aux membres dugroupe social, mais au contraire comme le produit de l'implication des membresde la société dans les choix les concernant »12.

III. Plan de l'ouvrage

Faisant suite à un premier cycle de séminaires tenus à la MSH Ange Guépinde Nantes (de février à juin 2006) durant lequel il s'est agi principalement deposer le concept de développement durable13, en l'abordant dans un premiertemps principalement à travers son pilier environnemental, le deuxième cycle deséminaires consacré au « concept et aux stratégies de développement durable»(qui s'est également déroulé à la MSH Ange Guépin de septembre 2006 à

11. Dénommé « document d'objectifs» par la loi (C. env., art. L. 414-2).12. G. TIMSIT, « L'administration au miroir des mots », in collectif, À propos de l'administration

française, 1998, Documentation française, p. 216.

13. On retrouvera le contenu des conférences présentées au cours de ce premier cycle deséminaires dans des publications sous deux formes:Des dossiers doctrinaux :

- Un volet consacré au « développement urbain durable» (DUD) figure dans J'ouvragesuivant: L 'homme, ses territoires, ses cultures, Mélanges en l'honneur d'André-HubertMESNAlW, LGDJ, coll. « décentralisation et développement local », 2006 ;

- Une somme de contributions a été rassemblée dans le n° 13 des Cahiers Administratifs etPolitistes du Ponant (revue de l'IFSA OUEST), parue en juin 2006.

Des articles individuels parus dans des revues périodiques:

- La communication d'A.-S. CHAMBOST« Les enjeux de la consultation populaire en milieuurbain dans les premiers temps de la Révolution », est parue à l'Annuaire des collectivitéslocales du Grale, CNRSÉDITIONS,2006 ;

- La communication d'E. GUISELIN« DUD et référendum Jocal» est parue au JCP-A du30 octobre 2006, p. 1254.

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juin 2007), constitue l'essentiel de la matière réunie dans le présent ouvrage. Unequestion centrale perce: le développement durable induit-il une transformationdes stratégies de l'action publique, et si oui en quoi?

Pour y répondre, il est apparu utile d'enrichir l'étude de la notion sur plusieursregistres:

- L'ouverture à des approches internationales et de politique comparée(partie I). La notion de «développement urbain durable» s'est largementnourrie du fruit d'expériences initiées dans des pays d'Europe du Nord offrantdes modèles de «villes durables» (Charles-Henri Hervé), ou plaçant la« durabilité » au cœur de politiques de renouvellement urbain (cas du Royaume-Uni abordé par Aude Chasseriau). Elle est aussi portée à une échellesupranationale par la Communauté européenne, faisant surgir des conceptsdérivés tels celui de « tourisme durable» (Magali Boudard). Mais les objectifsdu développement durable ne peuvent rencontrer partout des circonstances aussifavorables à leur mise en œuvre. Ces objectifs ont dû aussi être confrontés audroit au développement en faveur des pays du Sud (Marcel Ambomo) et auprincipe de libre concurrence défendu par des organisations internationalescomme l'OMC (Maria Francheteau).

- La prise en compte des grands enjeux environnementaux identifiés par larecherche scientifique et technologique (partie II). Si les nouveaux dispositifspréconisés pour amplifier la lutte face au changement climatique varient, unpoint commun réside dans la recherche d'un élargissement des acteurs et desfonctions économiques concernées, incluant la consommation des ménages(Sandrine Rousseaux, Gérald Orange). Des impacts profonds sont produits surcertaines politiques publiques qui sont appelées à s'ajuster à des espacesterritoriaux spécifiques, dans un but de protection accrue du patrimoine naturel(André-Hubert Mesnard), et se doter d'outils de gestion intégrée (OlivierLozachmeur)

- La place et les modalités du débat public (partie III). Afin d'évitercertaines perceptions naïves faisant du développement durable un moteurdynamisant le débat public, ont été intégrées des analyses de science politiqueévaluant à la lumière des expériences, les capacités de « renouveau de ladélibération» (Arnaud Leclerc) et d'essor de la démocratie participative(Goulven Boudic). Avec une touche d'euphémisme, on pointera l'existence defortes marges de progrès, lesquels aboutiraient à mieux intérioriser lesdimensions du développement durable dans le processus de décision en droitbudgétaire local (Antoinette Hastings-Marchadier) et dans la gestion des conflits(Claire Choblet, Laure Després, Patrice Guillotreau).

- Les référentiels identitaires induits par l'éthique du développementdurable (partie IV). Des éclairages ont pu être apportés au moyen d'une« historicisation» de la réflexion sur le développement durable. Dans un cadreurbain, on a pu questionner les changements affectant les acteurs de politiquestournées vers la préservation du patrimoine historique, en raison de leurancienneté bien établie (Patrick Le Louarn), mais aussi l'influence de lasensibilité du public promeneur fréquentant les espaces verts sur les choix

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d'entretien de « l'arbre urbain» (Pierre Legal). Le développement durable peutêtre aussi un vecteur de revitalisation du sentiment identitaire dans les espacesruraux. Le renouvellement des politiques de protection de l'environnement prendcela en compte en donnant une place accrue à la participation des acteurs locaux(Luc Bodiguel).

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Partie I

Le développement durable à l'échelle del'Europe et de la planète: quels modèles?

LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT CONFRONTÉ AU DÉVELOPPEMENT

DURABLE

- Droit au développement et développement durable en Afriquefrancophone

MarcelAi\1BOMO

- Droit international économique et droit international de l'environnement:quelle conciliation? L'exemple de l'anticipation des risques biotechnologiquesdans le cadre de l'OMC

Maria FRANGlE1EAU

DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLE ET POLITIQUES COMPARÉES

- Développement urbain durable et politique de régénération urbaine auRoyaume-UniAude CHASSERIAU

- Les politiques communautaires de soutien au « tourisme durable»Magali BOUDARD

DÉVELOPPEMENT DURABLE ET GESTION COMPARÉE DES RÉSEAUX

URBAINS

- Une politique des transports durables au sein de l'UE: la question de latarification au coût socialSouhirABBES

- Gestion des services d'eau et d'assainissement et développement durable:approche comparée entre la France, l'Italie et l'EspagneEva GUYARD

LA RECHERCHE D'UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLE

- Le développement urbain durable en Europe du NordCharles-HenriHERVÉ

LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT CONFRONTÉ AUDÉVELOPPEMENT DURABLE

Droit au développement et développement durable en Afriquefrancophone)

Marcel AMBOMO.

Droit au développement - développement durable - loin d'être un jeu demots, la réflexion qu'inspirent ces deux expressions conduit indubitablement aucœur de la nouvelle problématique internationale du développement durable2telle que dégagée au Sommet de Rio en 1992. Il faut bien reconnaître qu'unecertaine conception de l'économie et du progrès est à l'origine de la plupart desproblèmes écologiques. Dans cette perspective, l'environnement et ledéveloppement apparaissent étroitement liés. Et la problématique s'énonce endes termes fort simples: si l'environnement n'est pas protégé, le développementsera compromis; sans développement il ne sera pas possible de protégerl' environnemene. S'agissant de l'Afrique, la justification dans le passé d'un droitau développement par les pays africains (I) exclut-elle pour autant le passage audéveloppement durable? À ce propos, il serait intéressant de savoir si ces paysont opéré et réussi le passage d'un modèle de développement qui accordait lapriorité à l'économie, à un autre modèle plus intégrateur des exigencesenvironnementales (II) ?

.DCS-CERP3E

1. Cette expression désignera dans le cadre de cette étude les pays suivants: le Bénin, le BurkinaFaso, Je Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, la Guinée Équatoriale, le Mali, leNiger, la République Centrafticaine et le Tchad.

2. Publié en 1987 par la Commission mondiale pour l'environnement et le développement, lerapport Notre Avenir à Tous (ou Rapport BRUNDTLANDdu nom de la présidente de la commission,la norvégienne Gro Harlem Brundtland), définit le développement durable comme « undéveloppement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générationsfutures de répondre aux leurs. »3. Voir notamment, G. MARTIN, Le Droit de l'Environnement. De la responsabilité pour fait depollution au droit de l'environnement, Lyon, Publications périodiques spécialisées, 1978, p. 128 ets. ; A. MEKOUAR,« Le droit de l'environnement dans ses rapports avec les autres droits humains »,in Études en droit de l'environnement, Rabat, Éditions OKAD, 1988, p. 61. ; A. STEER,« L'unionde l'environnement et le développement », Finances et développement,juin 1992, p. 18 et s.

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1. La justification du droit au développement en Afrique

Depuis plus de quatre décennies, le développement constitue le leitmotiv desrevendications des pays africains devenus indépendants au détour des années1960. Ce terme implique une transformation qualitative des structureséconomiques, politiques, et sociales avec pour objectif le bien-être humain. Danscette perspective, le droit au développement est porteur de la même aspiration,celle du bien-être, voire du mieux-être. Cette aspiration, née dans un contextehistorique et politique particulier (A), a reçu un prolongement sur le planjuridique international (B).

A. Le contexte historique et politique

Le contexte est marqué essentiellement par deux mouvements: une phase delutte pour l'indépendance (1) d'une part, et la phase de réclamation et dereconnaissance du droit au développement, d'autre part (2).

1. L'accession à la souveraineté

Dans son article 1, paragraphe 2, et dans son article 55, la Charte des Nationsunies avait proclamé le principe de l'égalité des droits des peuples ainsi que deleur droit à disposer d'eux-mêmes. On peut dès lors considérer que la charte,instrument juridique régissant les rapports entre les États membres del'Organisation des Nations unies, a établi ce principe en tant que normeimpérative de droit international contemporain ayant force obligatoire pour tousles membres. La proclamation de ce principe a marqué un tournant importantdans l'histoire du colonialisme.

Le principe de l'autodétermination est né de la diffusion des idées et desopinions libérales dans l'Europe du XIx" siècle. La montée des nationalismes quia caractérisé les relations internationales à la fin du XIX. et au début du xx. siècleallait lui insuffler un élan nouveau. De plus, au lendemain de la Seconde Guerremondiale, dans les colonies françaises comme ailleurs les injustices et leshumiliations font peu à peu place aux luttes de libération nationale. Cette guerrea constitué un moment déterminant pour le monde colonisé, notamment africain,à cause de l'aide qu'il a apportée à la métropole.

L'après-guerre se caractérise par un contexte de moins en moins favorable àla colonisation - du moins dans sa forme classique - connue depuis la fin du XIX.siècle. La Charte de l'Atlantique (1941), qui reconnaissait le droit des peuples àchoisir leur forme de gouvernement, était une pierre dans le jardin colonial. Deplus, la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par les Nationsunies4, et qui consacre entre autres les idéaux de justice et liberté, reprend ceprincipe.

4. Le 10 décembre 1948, les 58 États membres qui constituaient l'Assemblée générale des Nationsunies ont adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme à Paris au Palais de Chaillot[Résolution 217 (III)].

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Longtemps rétive à envisager l'indépendance de ses colonies africaines, laFrance opère un tournant dans sa politique coloniale au milieu des années 1950.La loi-cadre Deferre (1956) prépare l'émancipation de l'AOF (AfriqueOccidentale Française) et l'AEF (Afrique Équatoriale Française) et instaure lesuffrage universel, un collège électoral unique, et accroît le pouvoir législatif dechaque territoires. Un pas supplémentaire est franchi en 1958 avec la création dela Communauté Française. Moins de deux ans plus tard, tous les États accédaientà l'indépendance.

Le rôle des Nations unies a été à cet égard décisif. En dehors de nombreusesrésolutions adoptées en vue de l'émancipation des peuples colonisés, la Chartedes Nations unies est un instrument juridique d'une importance fondamentale etson affirmation du principe de l'égalité des peuples et de leur droit à disposerd'eux-mêmes a marqué un tournant dans l'acceptation de ce principe commepartie intégrante du droit contemporain. Dès lors, il ne pouvait y avoir de doutequ'il existe pour ces peuples un droit à l'autodétermination, et que celui-cicomporte des droits et obligations internationaux6. Dès lors, le droit le plusrevendiqué et le plus popularisé en Afrique aux lendemains des indépendancesfut sans conteste le droit au développement.

2. La phase de réclamation et de reconnaissance du droit audéveloppement

Dès leur naissance, les États africains ont été confrontés aux difficultés liéesau sous-développement qui caractérisaient toutes les colonies. Une foisindépendants, les nouveaux États se sentirent investis d'une mission, celle desurmonter les faiblesses dont ils héritaient. Ce fut l'occasion d'exprimer desrevendications que justifiaient les torts et les retards subis durant la colonisation.La naissance du concept de « droit au développement» s'est réalisée durant lagrande phase historique des décolonisations en chaîne des années 1960. Le droitau développement fut un thème de revendication du tiers-monde soucieux deparachever son émancipation politique par sa libération économique.

Ce droit au développement était revendiqué au bénéfice de chaque peuple, entant que droit collectif contrarié par un système de relations économiquesinternationales inégalitaires. Les dirigeants atricains pensaient en effet que ledécollage économique de leurs pays était conditionné par la conquête de leurindépendance économique et leur libération des sujétions bilatérales oumultinationales inégales. C'est dans ce contexte que fut créé le « Groupe des77 »7, la plus grande coalition du tiers-monde aux Nations unies. Elle donna les

5. A. HUGON,Introduction à l'histoire de l'Afrique Contemporaine, Armand Colin, 1998, p. 55-56.6. F. ABDULAH,in Droit International. Bilan et perspectives, tome II, Ed. Pedone, 1991, p. 1288.7. Le Groupe des 77 est une coalition des Pays en Développement, conçue pour promouvoir lesintérêts économiques de ses membres, et créer une capacité de négociation accrue auxNations unies. Créée par 77 pays, l'organisation a grandi et compte aujourd'hui 113 pays membres.Le groupe fut fondé le 15 juin 1964 par la Déclaration commune des 77 pays à la Conférence desNations unies sur le Commerce et le Développement (Cnuced). La première rencontre

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moyens au monde en développement de formuler et de promouvoir ses intérêtséconomiques collectifs, et œuvra à l'établissement d'un dialogue économiqueNord-Sud et à des réformes structurelles de l'économie internationale.

Au-delà de cette solidarité se manifeste désormais sur le terrain juridique unerevendication nouvelle dont l'Afrique est à l'origine, à savoir l'émergence dudroit au développement sus-cité. C'est en effet M. Keba M'Baye, alors Premierprésident de la Cour Suprême du Sénégal, qui a été le promoteur de l'expressiondans son cours inaugural8 intitulé « Le droit au développement comme un Droitde l'homme », à la session de 1972 de l'institut international des droits del'homme de Strasbourg. Un tel droit fait partie, selon K. Vasak, de la troisièmegénération des droits de l'homme9.

Ce droit a été décliné par la suite comme un droit à la vie, le droit à un niveauminimal d'alimentation, d'habillement, de logement et de soins médicaux, etc. Àpartir des travaux de la commission des droits de l'homme (1977), il a fait l'objetde la résolution 34/36 de l'Assemblée de Nations unies en date du 23 novembre1979 qui souligne que « le droit au développement est un Droit de 1'homme» etque « l'égalité des chances en matière de développement est une prérogative desnations aussi bien que des individus qui les composent ».

Le contexte de la naissance du droit au développement allait conditionner, parla suite, la nature de ce droit. Au demeurant, certains auteurs n'ont voulu voirdans le droit au développement qu'un droit tout au plus individuel, reconnu àl'être humain à l'égard de la communauté nationale à laquelle il appartient. Iln'était nullement indifférent de savoir si le droit au développement avait pourtitulaire l'État ou l'individu, au-delà du premier réflexe qui consiste à le rattachersystématiquement aux droits de l'homme.

Le droit au développement avait été défini par un avant-projet sur les droits del'homme établi par la Fondation internationale pour les droits de l'hommecomme « le droit qu'ont tout homme ou tous les hommes pris collectivement, à lajouissance, dans une proportion juste et équitable, des biens et services produitspar la communauté à laquelle ils appartiennent.» Cette définition circonscritainsi le droit au développement au cadre national, dans une relation entrel'individu et l'État dont il est le ressortissantlO.

En réalité, la dimension internationale du droit au développement n'est riend'autre que le droit à une part équitable du bien-être économique et social dumonde. Elle reflète une revendication essentielle de notre temps, car les quatrecinquièmes de la planète n'admettent plus que le cinquième restant continue debâtir ses richesses sur leur pauvretéll. Ce droit peut avoir pour bénéficiaire l'Étatou l'individu. Mais pour qu'il ait sa signification en droit international, dans un

d'importance eut lieu à Alger en 1967, où fut adoptée la Charte d'Alger et où les bases desstructures institutionnelles permanentes furent posées. http://fr.wikipedia.org8. Cours reproduit dans la Revue des droits de l 'homme, vol. V, n° 2-3, 1972, p. 505-534.9. M. BENNOUNA,Droit international du développement, « tiers-monde et interpellation du droitinternational, Mondes en devenir », Berger-Levrault, 1983, p. 20.JO. M. BEDJAOUJ,Droit international, Bilan et perspectives, Tome II, Ed. Pedone, 1991, p. 1252.II. Ibidem.

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ordre juridique encore largement marqué par son caractère interétatique, le droitau développement devait être approché dans sa dimension internationale, la seuleà permettre de situer la nature véritable des problèmes et des solutions qu'il doitcomporter.

Sur le plan juridique, le problème du développement constitue un défi à lacommunauté internationale, puisque la Charte des Nations unies a fait dudéveloppement un phénomène international par excellence. À cet égard, larésolution 12 du 4 décembre 1986 portant «Déclaration sur le droit audéveloppement» a bien réalisé l'ancrage international de ce droit, sans pourautant bien sûr exonérer l'État de ses propres responsabilités à l'égard de sesgouvernés. Bien que ce droit fasse appel à la coopération et à la solidaritéinternationale, il apparaît par ailleurs comme un impératif de la souveraineté.

Car, il y a là un rapport nécessaire entre souveraineté authentique et droit audéveloppement, entre souveraineté véritable sur les richesses du pays et droit audéveloppement de ce pays. Ce qui donne toute sa pertinence à l'affirmation deG. Scelle qui déclarait que l'État a « l'obsession du territoire ». Et l'adoption dela résolution 1803 qui proclame la souveraineté permanente des États sur leursressources naturelles 13 vise cet objectif. En d'autres termes, il n'y a pas desouveraineté ni d'indépendance de l'État s'il ne possède pas la souveraineté deses ressources 14.

Ainsi, était reconnu, il est vrai dans des textes internationaux épars, le droit audéveloppement. Toutefois, ce droit en tant que discipline autonome n'émergeraque plus tard avec la naissance du droit international du développement.

B. Le prolongement juridique international: le Droit internationaldu développement (DID)

La notion de droit international du développement s'est dégagéeprogressivement de la pratique disparate des États et des organisationsinternationales. Les pays du tiers-monde par leur lutte constante en faveur d'unsystème international économique plus égalitaire ont œuvré à l'émergence de cedroit. Une meilleure appréhension de sa réalité passe par l'étude de ses sources etde sa consécration d'une part (1), et par ses caractères et son objectif, d'autrepart (2).

12. Résolution AG/41/128 du 4 décembre 1986 portant Déclaration sur le droit au développement.13. La résolution 1803 (XVII) de l'Assemblée générale en date du 14 décembre 1962 proclame la« souveraineté permanente sur les ressources naturelles» et déclare que « la souverainetépermanente sur les ressources naturelles constitue un élément fondamental du droit des peuples àdisposer d'eux-mêmes ».14. On aura bien compris que la conception restrictive de la notion de souveraineté est justifiée parle contexte de l'étude et l'analyse de la résolution 1803 qui confère aux États la souveraineté surleurs ressources naturelles. Car en droit international la notion de souveraineté recouvre une réalitébeaucoup plus vaste.

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1. Les sources et la consécration du droit international dudéveloppement (DID)

Le droit international du développement peut être considéré commel'aboutissement, sur le plan juridique, des revendications exprimées par les payspauvres dans le cadre du droit au développement. L'héritage historique de cedroit constitue bien entendu sa première source. Après l'accession des nouveauxÉtats à l'indépendance et après leur admission aux Nations unies, la majorité àl'Assemblée générale de l'organisation passe des mains de l'Occident à celle dutiers-monde, si bien qu'à partir de 1960 l'idéologie de la décolonisation estdevenue l'une des poutres maîtresses de la doctrine de l'Organisation des Nationsunies (ONU).

Cette idéologie a été indissolublement liée à celle du développement. Cespays tenteront alors de faire accepter par le reste de la communauté internationalel'affirmation que la décolonisation appelle la coopération et qu'à l'inverse ladécolonisation ne peut s'effectuer sans le développement. Cette thèse apparaîttrès nettement dans la fameuse «Déclaration sur l'octroi de l'indépendance auxpays et peuples coloniaux »15, adoptée au lendemain de l'entrée à l'ONU desnouveaux États africains et de la majorité qui en est résulté à l'Assembléegénérale.

Les Nations unies accueillent de plus en plus favorablement lesrevendications des pays du tiers-monde. Tel est le cas de la résolution 1803(XVII) (voir supra), relative au principe de la souveraineté permanente sur lesressources naturelles. En plaçant sous l'empire du droit international tous lesconcours extérieurs apportés aux pays en voie de développement, l'indépendanceest incontestablement l'un des facteurs principaux qui ont rendu possiblel'apparition du droit international du développementl6.

À partir de 1960, l'ONU et les institutions spécialisées accordent de plus enplus d'importance aux problèmes du développement. La gamme des questionsexaminées ne cesse de s'élargir et de se diversifier. L'institution insiste sur lesidées « d'approche globale» et« d'action concertée »17.Par ailleurs, l'apparitionde la solidarité entre les pays du tiers-monde (Groupe des 77) dès juillet 1962 à laConférence du Cairels qui avait adopté une Déclaration à ce propos, constitue le

15. Résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960. G. FEUER,Droit international du développement,

2" édition, Dalloz, 1991, p. 9.16. Ibidem.17. Résolution 1515 (XV) du 15 décembre 1960.18. La solidarité entre pays du tiers-monde s'est affirmée avec éclat pour la première fois lors de laConférence de Bandoeng. Elle n'a cessé depuis lors d'inspirer l'action des pays du Groupe des 77.La Conférence de Bandoeng a marqué le réveil des peuples colonisés et l'affirmation par le tiers-monde, de son existence en tant que tel avec ses problèmes propres. Les idées de solidarité entrepays en développement et d'action collective ont été vigoureusement amplifiées par le Mouvementdes Non-Alignés au cours des sept conférences des chefs d'État et de gouvernement tenues àBelgrade (1961), au Caire 1964, à Lusaka (1970), à Alger (1973), à Colombo en 1976, à La Havaneen (1979) et à New Dehli (1983).

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premier document définissant une position commune sur les problèmes dedéveloppement.

Cette conférence a insisté sur la nécessité d'institutionnaliser à la fois l'étudedes problèmes de développement et l'action des pays du tiers-monde, et elle ademandé que les problèmes du développement économique et social soientrésolus dans un esprit de coopération internationale et dans le cadre des Nationsunies. Cette Déclaration fut accueillie avec satisfaction par l'Assembléegénéralel9, au moment même où celle-ci décidait de convoquer la premièreCNUCED (Conférence des Nations unies pour le Commerce et leDéveloppement), qui fut déterminante pour la consécration du Droit internationaldu développement (DID).

L'année 1964 allait s'avérer capitale pour l'histoire du droit international dudéveloppement. Ce fut la convocation à Genève de la première CNUCED et laconstitution de celle-ci en organe permanent de l'ONU20. Sous l'influence de sonpremier Secrétaire général, M. Raul Prebisch, la conférence de Genève prônel'adoption de règles nouvelles, dérogatoires au droit international commun pourle commerce des pays en développement et pour le financement de leurdéveloppement. Les germes du futur droit du développement se trouvent danscette conférence.

La doctrine y voit l'émergence d'un nouveau système juridique et laformulation de l'expression de « droit international du développement ». Cetteexpression avait été lancée au lendemain de la Conférence de Genève, on entrouve les premiers éléments dans un article de septembre 1964 « La conférencede Genève, amorce d'un mouvement irréversible21 ». L'idée a été ensuiteprécisée par M. Virally, dans une étude intitulée « Vers un droit international dudéveloppement »22.

Michel Virally suggère de partir des règles et des pratiques existantes quiconstituent actuellement le « droit international des inégalités dedéveloppement» ; à partir de là il faudra chercher, avec les moyens fournis par ledroit international, les adaptations nécessaires23. Le droit international dudéveloppement faisait ses premiers pas, et allait évoluer dans le sillage du droitinternational. Toutefois, ce nouveau droit possède des caractéristiques propres etpoursuit des objectifs précis.

2. Les caractères et les objectifs du DID

Le droit international du développement développe, schématise la vision dumonde et des relations internationales telle que perçue par les pays pauvresnouvellement promus acteurs sur la scène internationale. Ses caractères enportent largement les stigmates:

19. Résolution 1820 (XVII) du 18 décembre 1962.20. Résolution 1995 (XIX) du 30 décembre 1964.21. A. PHILIP,Développement et civilisation, septembre 1964, p. 52.22. AFDJ, 1965, p. 3.23. M. FLORY,Droit international du développement, PUF, 1977, p. 30.

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. Tout d'abord, il s'agit d'un « droit orienté ». L'orientation donnée à ce droitpar les pays du tiers-monde a pris dans un premier temps une forte colorationidéologique. Pour eux, le droit international classique est par essence un droitconservateur, en ce qu'il vise essentiellement à maintenir et à gérer l'ordreexistant sans le transformer fondamentalement.

Dans un deuxième temps, l'idée de droit orienté a pris une signification plustechnique, qui s'est traduite par la mise au point des mécanismes juridiquesparticuliers, susceptibles de donner une effectivité plus immédiate à l'action pourle développement dans des domaines tels que les transferts de technologie,l'assainissement financier et monétaire, la stabilisation des recettes d'exportation,les préférences douanières, etc.24

. Il s'agit aussi d'un « droit composite». À la différence de la plupart des

disciplines juridiques, le droit international du développement ne forme pas unensemble homogène, systématique et unifié. Il se présente comme une mosaïqued'éléments, avec des règles relevant d'ordres juridiques différents: le droitinternational et le droit interne.. Et pour finir, ce droit est un « droit contesté ». Dans la mesure où, sur biendes points, le droit international du développement est avant tout un droit voulupar le tiers-monde, sa réalisation se heurte souvent aux réticences des paysindustrialisés occidentaux.

Ce droit vise à remettre en cause le libéralisme économique international,auquel les pays occidentaux restent attachés. Ainsi se précise la nature du droitinternational du développement: un droit au service d'une finalité qui est, àl'échelle des relations internationales, la lutte contre le sous-développement et larecherche d'une véritable indépendance pour les pays pauvres. La réalisation decet objectif majeur nécessite la refonte totale du système économiqueinternational, d'où l'appel de la part de ces pays à un Nouvel Ordre ÉconomiqueInternational (NOEl).

La demande d'un renouvellement de l'ordre économique internationalremonte au début des années 1970, période au cours de laquelle les pays pauvresen arrivèrent à la conclusion que l'ordre économique mis en place au lendemainde la Seconde Guerre mondiale se déploie inéluctablement à leur détriment. Lasixième session extraordinaire de l'Assemblée générale, qui s'est tenue du 9 avrilau 1ermai 1974, va adopter les textes d'une déclaration et d'un programmed'action relatifs à l'instauration d'un NOEI25.

Malheureusement, les actions et recommandations du NOEl n'aboutiront pas,le Droit international du développement se soldera par un échec. Il s'en est suiviun repli de ces États sur eux-mêmes, avec une dimension plus nationale donnée àla lutte pour le développement. Dès lors, le cheval de bataille en matière dedéveloppement devient économique, avec une mobilisation sans précédent desressources naturelles.

24. G. FEUER, op. cil. p. 24-25.

25. Résolutions 3202 (SVI) et 3202 (SVII)

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IL Le développement durable en Afrique

Il est indispensable de s'interroger, de savoir où en est l'Afrique depuis Rioen matière de développement durable. Du bel unanimisme consacré lors de cetteConférence, il en est ressorti un souhait, fort opportunément formulé par leProfesseur Chapuis lorsqu'il déclare que le développement durable devraitdésormais constituer la « matrice conceptuelle »26de toute politique. Il est vraique les pays africains sont restés prudents face à cette notion. Ils l'appréhendentcomme une tentative de limiter leurs moyens de développement. Quoi qu'il ensoit, près de quarante ans après les indépendances, des signes d'inquiétude sontapparus dans le modèle de développement des pays africains. En conséquence, ledéveloppement durable devrait y constituer un impératif (A). Au-delà de cettenécessité, quelle est aujourd'hui la réalité de cette notion en Afrique? (B).

A. L'impératif du développement durable en Afrique

L'accession à la pleine souveraineté a permis aux pays africains de mettre enœuvre des politiques de développement dont l'objectif affirmé était de sortir de lapauvreté. Ils concrétisaient ainsi le droit au développement tant revendiqué aprèsles indépendances. Malheureusement, l'accent mis sur l'aspect quantitatif dudéveloppement fait planer de nombreuses menaces sur leur environnement (1). Ilest à noter, tout de même, une prise de conscience de l'importance del'environnement dans ces pays (2).

1. L'exercice du droit au développement: limites et dangers dumodèle de développement actuel

La bataille pour le développement, menée par les pays africains, s'estrapidement déportée sur le terrain économique, avec une place importanteréservée à la croissance économique. Les stratégies nationales de développementle démontrent largement. En matière stratégique, l'import-substitution27 adoptéepar ces pays avait pour objectif de produire localement les produits deconsommation importés auparavant de la métropole. Cette technique constituaitun moyen pour ces pays de lancer leur développement économique et de réduireleur dépendance par rapport aux anciennes métropoles coloniales, à travers ladiversification de leurs structures productives28. Ils en ont, pour un premier tempstout au moins, tiré quelques avantages avec l'émergence de quelques industriescomme les minoteries, les conserveries de fruits et légumes.

On peut noter également le développement d'autres activités industriellescomme la fabrication des matières agricoles, d'articles de quincaillerie,

26. SMD DUBOIS, Droit de l'Organisation mondiale du commerce et protection del'environnement, Bruylant, 2003.27. H. BEN HAMMOUDA,L'Afrique, l'OMC, et le Développement, Maisonneuve et Larose, Paris,2005, p. 165.28. Ibidem.

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d'industries de peinture, de vernis, etc. Malheureusement ces retombées n'aurontpas duré, et cette politique d'import-substitution se soldera par un échec. Demême la relance par l'agriculture échouera. La révolution agricole29 compte tenudes importantes mutations en terme culturel mais aussi en terme de coûtsfinanciers et technologiques, ne sera pas finalement d'un grand secours.

Il n'empêche que les appels à l'ouverture économique3D en vue de doper lacroissance31 se sont multipliés. Car pour certains (OMe), la démonstration estfaite que la croissance économique entraîne le développement. La croissanceéconomique était l'un des critères majeurs d'appréciation du développement. Labonne tenue des agrégats macroéconomiques a constitué, pendant des années, uncritère d'appréciation du développement des pays africains, à l'exclusion de toutautre critère social, humain ou environnemental. La croissance désigneuniquement l'augmentation des quantités productives indépendamment de leurqualité et de leur impact social et écologique, alors que le développementenglobe la croissance mais la dépasse qualitativement en ayant pour objectif lebien-être humain. Aujourd'hui, les analystes postulent une autre vision de lacroissance du fait des coûts sociaux et écologiques qu'elle a entraînés32.

Le pouvoir magique de la croissance longtemps vanté n'opère plus devant lesdifficultés économiques de l'Afrique dont la croissance demeure pourtantpositive33. Nonobstant le caractère positif des chiffTes, on observeparadoxalement une augmentation de la pauvreté. De plus, telle qu'elle a étépratiquée et magnifiée depuis longtemps, la croissance a fini par constituer unemenace pour l'environnement.

Les pays africains n'échappent pas à la logique productive, devenue le signedu temps. L'exemple du CILLS34 en matière de développement agricole est trèssymptomatique. Le CILLS créé en 1973 et le Club du Sahel ont été finalementconvaincus que l'objectif de développement stratégique de la région devrait êtrel'autosuffisance alimentaire. La stratégie, définie par les donateurs (OCDE et

29. La révolution agricole désigne les grands bouleversements de la technique et des usagesagraires qui, dans l'Europe, à des dates variables et selon les pays, marquèrent l'avènement del'exploitation contemporaine. http://conte. u-bordeaux./r30. FOCUS, Bulletin d'information, OMC, mai- juin 2000, n° 46, p. 5.31. La croissance économique se définit comme un processus quantitatif qui se traduit parl'augmentation, au cours d'une longue période, d'un indicateur représentatif de la production desrichesses des pays, le plus souvent le produit intérieur brut (PIB) en volume, voire le produitnational brut (PNB). Cette définition est purement quantitative. Le PIB correspond à la productionannuelle d'un pays, et indique l'augmentation de la production de la richesse économique d'uneannée à l'autre. J.-M. HUART,Croissance et développement, Bréal 2003, p. 12.32. Se reporter, entre autres, aux analyses du mensuel Silence, « objectif croissance vers unesociété harmonieuse », Parangon, Lyon, 2003; J.-M. HARRIBEY, « Une contradictioninsurmontable », le Monde Diplomatique, décembre 2002; Richard DOUTHWAITE,« The Growthillusion », Gabriola Irland, (Canada) New society publishers, 1999.33. Réunis le 12 septembre 2006 à Paris les ministres des Finances de la zone franc ont constatéune hausse de l'activité économique en zone franc de 4 % en 2005, et la croissance économiquedevrait être comprise entre 3,2 % et 4 %. http://www.rfi.fr/Fichiers/MFI.34. Le Comité interÉtats de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILLS), regroupe de nombreuxÉtats parmi lesquels certains d'Afrique francophone, tels que le Bénin, le Burkina Faso, leCameroun, le Mali, le Niger et le Sénégal.

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institutions internationales), reposait sur la croissance de la production ruraleexclusivement par des moyens extensifs, dans des conditions qui ontprogressivement mis en danger l'équilibre écologique de la région.

La catastrophe est due à la destruction du capital foncier. Dans cette extensionde la superficie, la responsabilité des cultures d'exportation est mise en cause, auSénégal par exemple. L'arachide et le coton occupent une place importante dansces régions, et la « rentabilité» implique l'extension des surfaces cultivées. Lesconséquences qui en résultent sont désastreuses. Les études sur la désertificationde bassin arachide du Sénégal par tranches l'ont prouvé35.

Il faudrait aussi relever, la baisse de certaines ressources naturelles. Cettebaisse est liée forcément à la sollicitation dont ces ressources font l'objet. Lesactivités motrices de la croissance en Afrique, quand celle-ci existe, puisentéminemment dans les ressources naturelles. On peut citer par exemple les mines,en particulier le pétrole et d'autres activités comme l'agriculture d'exportation(relativement riche - cacao, café - ou pauvre, arachide)36.S'agissant du pétrole,l'utilisation irrationnelle, la gestion patrimoniale de cette ressource menacegravement sa durabilité dans certains pays comme le Cameroun et le Gabon.

Dans le domaine forestier, d'importants progrès ont été réalisés en vue de larénovation des législations forestières, l'objectif étant d'orienter la gestion de cesecteur vers un développement socio-économique durable. Malheureusement cesréformes n'écartent pas pour autant les menaces qui pèsent sur ces forêts, et au-delà sur l'écosystème. Car ces forêts du fait de leur biodiversité constituent desécosystèmes uniques. Seul l'aspect économique revêt de l'importance pour lesdifférents acteurs. Les exploitants veulent réaliser le maximum de profit, et l'Étatencaisser la rente forestière.

2. La prise de conscience environnementale africaine

Il est indéniable que l'influence juridique internationale a été déterminante.Néanmoins on observait déjà un développement juridique et institutionnel sur leplan national.

L'influence juridique internationale (Rio)

La prise de conscience africaine relativement à l'exigence de la protection del'environnement ne s'est pas opérée spontanément, comme une illuminationsoudaine. La prise de conscience environnementale de l'Afrique a été le fruitd'une somme de contraintes et d'expériences de désastres écologiques extra-continentaux d'une part, mais aussi d'un travail méthodique de réexplication dela problématique écologique entrepris à l'échelle internationale, mettant en reliefles avantages d'un développement écologiquement équilibré, d'autre part3?

35. S. AMIN,La faillite du développement en Afrique et dans le Tiers-Monde, Une analysepolitique, l'Hannattan, 1989, p. 135.36. Ibidem.37. M. KAMTO,Droit de l'environnement en Afrique, EDICEF/AUPELF, 1996, p. 34.

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Le début de la décennie 1990 constitue un tournant majeur dans le discoursenvironnemental en Afrique. La préparation de l'événement majeur qu'aconstitué le Sommet de la Terre à Rio du 3 au 14 juin 1992 en est véritablementle déclic. La plupart des institutions, des structures ministérielles compétentes enmatière d'environnement ont été créées à la fin des années 1980 ou au début desannées 1990. La rénovation des textes existants ou même l'adoption de nouvelleslois sont intervenues à la même période, voire un peu plus tard pour certains pays(voir infra).

Le nouveau paradigme du développement durable consacré juridiquement àRio véhiculait une nouvelle problématique du développement qui concernait cespays au premier chef. Non seulement la donne internationale changeait enmatière de protection de l'environnement, mais aussi des contraintes extérieuresdurent bousculer l'attitude plus ou moins laxiste des pays africains en matière deprotection de l'environnement.

La plupart des institutions multilatérales ou bilatérales d'aide audéveloppement ont créé en leur sein des structures chargées spécifiquement desquestions environnementales notamment, de veiller à la prise en compte del'impact sur l'environnement de tous les projets de développement financés parelles38. Dorénavant, ces pays se devaient d'introduire un volet, une visionenvironnementale dans leur politique de développement.

Cette nouvelle vision du développement était loin d'être consensuelle. Lesnégociations et les débats lors du Sommet de Rio ont été difficiles entre certainspays du Nord partisans d'une protection totale de l'environnement et les pays duSud qui y voyaient un geste inamical visant à stopper leur développement.L'environnement devenait de ce fait un enjeu de développement pour les paysafricains et les autres pays du Sud. L'un des textes qui cristallisa cette oppositionest la Déclaration sur les forêts: les États forestiers invoquaient leurs droitssouverains39 à exploiter leurs ressources naturelles, au contraire des paysindustrialisés qui insistaient sur l'importance globale des forêts et la nécessité deprendre des décisions au niveau international à ce sujet, pour le bien del'humanité.

Les divergences sont restées tellement fortes que la Déclaration adoptée estdépourvue d'une valeur juridique contraignante40 et revêt beaucoup plus unaspect moral. Cette Déclaration constitue une invite à une prise de conscience del'importance de l'environnement. En définitive, il revient à chaque État deprendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection de ces écosystèmesparticuliers. Quoi qu'il en soit une nouvelle donne s'imposait, et l'environnementinvestissait désormais la sphère politique nationale.

38. M. KAMTO, op. cil. p. 35.

39. Résolution 1803 (XVII) de l'Assemblée générale des Nations unies en date du 14 décembre1962: « Souveraineté permanente sur les ressources naturelles ».40. La formulation retenue, très alambiquée traduit l'impossible consensus. Les États se sontcontentés d'une Déclaration dont le titre est d'une prodigieuse ambiguïté: « Déclaration deprincipe, non juridiquement contraignante mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur lagestion, la conservation et l'exploitation écologiquement viable des forêts ». Rio 3-14 juin 1992.

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Le développement juridique et institutionnel national

La prise de conscience de l'importance environnementale en Afrique s'esttraduite par l'adoption de nouvelles législations, ou l'amendement deslégislations anciennes, et aussi par la consécration des institutions nouvelles. Leslégislations majeures en matière de protection de l'environnement sontconsacrées à la protection de la nature, avec une prédominance pour leslégislations forestières. Cet état de fait est compréhensible, dans la mesure où lesforêts constituent la caractéristique physique majeure de ces pays.

Au Cameroun, la révision de la loi sur les forêts de 1981 a donné naissance àla loi de janvier 199441. D'une manière générale, la législation réformée a pourobjectif d'assurer une meilleure protection du patrimoine forestier national, laprotection de l'environnement et de la biodiversité. D'autres législations existentnotamment en matière d'hygiène et de salubrité42, des établissements dangereuxinsalubres et incommodes43, de la collecte, du transport et du traitement desdéchets industriels, des ordures ménagères, et des matières de vidangessanitaires 44 .

Au Bénin, la législation porte sur la protection de la nature et l'exercice de lachasse45.En 1994, le Burkina Faso se dote d'un Code de l'environnement46.Cetexte vient s'ajouter à d'autres notamment celui relatif à la conservation de lafaune et l'exercice de la chasse47. On retrouve les mêmes grandes lignes enmatière législative dans la plupart des pays. Dans le domaine forestier en Côted'Ivoire, au Congo48même si ce dernier adoptait en 1991 une loi sur la protectionde l'environnement.

Les autres pays ne sont pas en reste: tel est le cas du Gabon49 qui se dote enplus en 1993 d'une loi relative à la protection et à l'amélioration del' environnement5o. Au Mali, la législation adoptée ne s'écarte pas vraiment desschémas précédents. Ce pays adopte deux lois majeures, une sur la pêche51 et uneautre portant Code forestier52. On le constate, les pays africains sans évoquer

41. Loi n° 94-01 du 20 janvier 1994 fixant le régime des forêts, de la faune et de la pêche.42. Arrêté n° 1/10/1937 fixant les règles d'hygiène et de salubrité à appliquer dans le territoire duCameroun.43. Décret n° 76-372 du 27 septembre 1976 portant réglementation des établissements dangereux,insalubres ou incommodes.44. Note circulaire n° 069/MSP/DMPHP/SHP A du 20 août 1980 relative à la collecte, au transportet au traitement des déchets industriels, ordures ménagères et matières de vidange.45. Ordonnance n° 80-8 du Il février 1980 portant réglementation sur la protection de la nature etl'exercice de la chasse.46. Loi n° 002/94 ADP du 19 janvier 1994 portant Code de l'environnement.47. Ordonnance n° 68-59PRES AGRI EL EF du 31 décembre 1968 sur la conservation de la fauneet l'exercice de la chasse en Haute-Volta, amendée par la loi n° 18/73/AN du 29 novembre 1973 etl'ordonnance n° 74/064 PRES du 27 septembre 1974.48. Loi du 4 janvier 1974 portant Code forestier, modifiée par les lois n° 32/82 du 7 juillet 1982 etn° 6/83 du 27 janvier 1983.49. Loi d'orientation en matière d'eaux et forêts du 22 juillet 1982.50. Loi n° 16/93 du 26 août 1993, relative à la protection et à l'amélioration de l'environnement.51. Loi n° 63-7/AN-RM du Il janvier 1963 sur la pêche en République du Mali.52. Loi n° 68-8/AN-RM du 7 février 1968 portant Code forestier.

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parfois le terme « environnement» avaient adopté des législations de protectionde celui-ci, même si la quintessence de ces dernières se réduit au domaineforestier.

La prise de conscience environnementale s'est traduite aussi par la mise enplace de nouvelles institutions. Certains pays, tel que le Bénin ont mis sur piedune Agence Nationale de l'Environnement (ANE). C'est aussi le cas auCameroun avec l'Agence Nationale d'Appui au Développement Forestier(Anafor). Cette institution a pour objet, directement ou indirectement, d'appuyerla mise en œuvre du programme national de développement des plantationsforestières privées et communautaires53.

Toutefois, le ministère de l'Environnement et des Forêts apparaît comme lemaître d'œuvre de la politique forestière nationale54. Tous les pays se sont dotésd'un ministère de l'environnement, mais pas du développement durable pourl'instant55. Est-ce la preuve de la difficile acceptation de ce concept dans cettepartie du continent?

B. La réalité du développement durable en Afrique

Nul ne saurait nier l'importance de la terminologie institutionnelle dans laréalisation de toute politique. Néanmoins, seule la pratique est déterminante àl'épreuve des faits, dans la mesure où elle permet de juger du niveaud'intégration des concepts (en l'occurrence du développement durable), et de laréalisation des objectifs politiques y afférant.

Relativement au développement durable, où en est l'Afrique dansl'intégration et la réalisation des objectifs liés à ce concept? À ce propos, quelaccueil ce concept a-t-il reçu de la part des pays africains (1) ? Par ailleurs,comment ces derniers entendent-ils le traduire dans les faits (2) ?

1. L'accueil du concept de développement durable

Dès le départ, l'Afrique a observé une attitude ambiguë, voire hostile face à laconsécration du concept de développement durable. Cette attitude à certainségards a pu prêter à équivoques. Elle a pu accréditer une certaine thèse quiconcluait à l'indifférence, voire à l'hostilité des États africains aux problèmesd'environnement. Certes, en tant que continent sous-développé et dans

53. Art. 3 du décret n° 2002/156 de juin 2002.54. Décret du PR, n° 92/265 du 28 décembre 1992 portant organisation du ministère del'Environnement et des Forêts.55. La terminologie du développement durable est pour le moment absente de la dénomination dela plupart des structures ministérielles de protection de l'environnement. Selon les pays, onretrouve le ministère de l'Environnement et de la Protection de la nature au Sénégal, le ministère del'Environnement, de l'Habitat et de l'Urbanisme au Bénin, le ministère de l'Environnementtogolais et de la Protection forestière, le ministère de l'Environnement, de la Protection de lanature, de la Recherche et de la Technologie au Gabon, le ministère de l'Environnement et del'Assainissement au Mali, ou le ministère de l'Environnement et du Cadre de vie au Burkina Faso.

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l'ensemble faiblement industrialisé, l'Afrique a tendance à différer la lutte contrela pollution industrielle et d'autres formes de nuisances liées en particulier àl'essor des villes56.

Mais l'Afrique a très tôt mis l'accent sur la protection de la nature et desressources naturelles. Son intérêt pour ces aspects du problème del'environnement est de loin antérieur à l'organisation des grandes conférencesonusiennes consacrées à la protection de l'environnement. Sans remonter à lapériode coloniale qui avait vu la naissance des premiers instruments de protectionde l'environnement, d'une valeur juridique somme toute douteuse, c'est dansl'ordre conventionnel classique qu'il convient de rechercher le droit positifafricain en matière de protection de la nature et des ressources naturelles57, (voir

infra).L'attitude africaine décriée à Rio traduit le scepticisme et la suspicion des

pays africains relativement au concept du développement durable. Lesnégociations chaotiques, qui eurent lieu lors de cette Conférence, préfiguraient ladifficile appropriation par les pays africains du concept de développementdurable. Les pays africains percevaient cette notion comme une tentative despays du Nord de limiter leur développement, ces derniers y étant déjà parvenus.Par ailleurs, ils y voyaient en toile de fond, à terme, la remise en cause de leursouveraineté. Le problème posé était celui de la conciliation entre d'une part leurvolonté légitime de se développer, et d'autre part, la nécessité de protégerl'environnement.

Ces États insistent d'autant plus sur la relation entre le droit àl'environnement et le droit au développement que la reconnaissance d'une tellerelation par la communauté internationale, en particulier par les pays développés,pourrait leur permettre de réaliser des objectifs qu'ils n'avaient pu atteindre parle biais du Nouvel Ordre Économique International (NOEI)58. Droit àl'environnement et droit au développement présentent en effet des similitudesd'approche en terme de rapport Nord-Sud et de doctrine de solidarité.

Le droit au développement impose d'éliminer, au niveau international, tousles obstacles d'ordre juridique qui se dressent devant les efforts des peuples poursortir du sous-développement; surtout, comme le droit à l'environnement vusous l'angle du principe de la responsabilité commune mais différenciée promupar la Déclaration de Rio, il met à la charge des pays développés des effortsfinanciers plus importants. Quant à la solidarité, elle trouve, en matière deprotection de l'environnement comme en matière de développement, sonfondement dans l'exigence pour les acteurs internationaux de déployer une actioncollective par voie de concertation et de négociation59.

56. M. KAMfO,« Les conventions régionales sur la conservation de la nature et des ressourcesnaturelles en Afiique et leur mise en œuvre», RJE 4-I99I.57. Ibidem.58. Ibidem.59. Ibidem.

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2. La matérialisation du développement durable en Afrique

Trois critères peuvent être retenus pour l'appréciation du développementdurable en Afrique. Le premier est celui de la législation. Dans ce domaine,l'essentiel de la législation en vigueur dans les différents pays a étéprécédemment abordé (voir supra). Il s'agit essentiellement des législations liéesà la protection de la nature et des ressources naturelles.

Ce réflexe est commandé par l'environnement physique et l'aspect culturel,compte tenu du rapport étroit qui lie les populations à la nature. Ces pays se sontdotés des législations forestières, des législations qui réglementent la chasse,parfois ont adopté des Codes de l'environnement, avec l'ambition affichée d'unegestion durable des ressources forestières. Cet effort législatif se retrouve aussiau niveau continental, et régional.

Les conventions adoptées pour la plupart avant la consécration internationaledu développement durable poursuivent toutefois le même objectif. Ellesobéissent à la même logique que les lois nationales, à savoir la protection de lanature et des ressources naturelles. Il s'agit pour l'essentiel des conventionsafricaines relatives à la protection des espèces et écosystèmes continentaux. On yretrouve des conventions édictant des mesures normatives. Tel est le cas de laConvention d' Alger60. C'est en réalité la seule convention régionale africaine deportée générale en matière de protection de la nature et des ressources naturelles.Elle s'occupe en effet de tous les aspects de la conservation de la diversitébiologique6! .

Certaines conventions ont un caractère sous-régional très marqué. C'est le casde la Convention sur les Formalités de chasse applicables aux touristes entrantdans les pays du Conseil de 1

,Entente 62 . Il en est de même de l'Accord portant

réglementation commune sur la faune et la flore, signé le 3 décembre 1977 àEnugu (Nigeria). Aux termes de cet accord, conclu entre les États membres de laCommission du bassin du lac Tchad63, les États parties doivent coopérer pourpréparer une liste commune des espèces protégées fondée sur l'annexe de laConvention d'Alger.

Un autre accord se révèle très intéressant, du moins au niveau de sesdispositions. C'est l'Accord de coopération et de conservation entre Étatsd'Afrique centrale sur la conservation de la faune sauvage64. Selon les signatairesde cet accord, la nécessité de la conservation de la faune sauvage tient au fait quecelle-ci «constitue, par sa beauté et sa variété, un élément irremplaçable des

60. Cette convention, en gestation dès 1960, a été techniquement préparée par l'Unioninternationale pour la conservation de la nature (UICN) en liaison avec un groupe de travail del'OUA, et a été adoptée le 15 septembre 1968 par le ye sommet ordinaire de l'Organisationpanafricaine. Elle est entrée en vigueur le 7 mai 1969.61. M. KAMTO,op. cit.62. Le Conseil de l'Entente est une organisation politique sous-régionale de l'Afrique de l'Ouestregroupant le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Niger et le Togo.63. Il s'agit du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad.64. Cet accord a été signé à Libreville le 16 avril 1983 entre le Cameroun, le Gabon, la Républiquecentrafricaine et le Soudan.

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systèmes naturels, qui doit être protégé par les générations présentes et futures ».On le constate, le souci de la gestion durable de l'environnement était déjàprésent dans ces instruments juridiques.

Au vu de ce qui précède, la législation environnementale paraîtmatériellement fort limitée. Le développement durable qui devrait être une notiontransversale, revêt dans la vision africaine une vision restreinte. Car, des pansentiers du domaine environnemental n'y sont pas pour l'instant intégrés. Lesréglementations nationales souffrent de nombreuses lacunes en matière depollution, pollution de l'air, pollution par les hydrocarbures. La politiqued'habitat ou d'aménagement urbain, la gestion des territoires, la politique destransports et bien d'autres n'intègrent pas pour l'instant le critère de la durabilité.

Un autre domaine qui met les pays africains sur le devant de la scène comptetenu de leurs ressources naturelles, est celui des biotechnologies. Le videjuridique constaté dans les différentes législations démontre que ces pays sontincapables pour l'instant de se protéger des activités de biopiratage qui tendent àse développer. Il est vrai que dans le domaine des OGM des législationscommencent à se mettre en place65, face à la pression de certains promoteurs ducoton transgénique (Btll) présenté comme la solution pour soutenir laconcurrence internationale.

Ensuite, sur le plan institutionnel, au sommet de l'administration del'environnement se trouve un ministère de l'Environnement qui est en quelquesorte la clef de voûte du système dans tous les pays. Les directions des différentsministères consacrés à la protection de la nature s'occupent d'un aspectparticulier qui cadre très souvent avec la dénomination du ministère. On recensepar exemple la Direction de l'Environnement dans tous les pays, la Direction desEaux, des Forêts de la Pêche, ou de la Conservation du sol (Bénin, Cameroun), laDirection de l'Habitat et de la Construction... On assiste donc à une approcheinstitutionnelle très classique, basée sur une gestion primaire de l'environnement.

Enfin, l'existence de la volonté politique est réelle. Les autorités politiquesdans certains pays ont intégré les préoccupations environnementales dans les loisfondamentales. C'est le cas de l'article 15 de la Constitution malienne qui déclareque « Toute personne a droit à un environnement sain. La protection, la défensede l'environnement et la promotion de la qualité de la vie sont un devoir pourtous et pour l'État66.» De même le constituant camerounais de 199667 aconstitutionnalisé le droit à un environnement sain, qui ouvre très largement lavoie à la réception des normes et principes relatifs à la préservation del' environnement68.

65. «Environnement et Commerce» Perspectives pour l'Afrique de l'Ouest, Institut desNations unies pour la Fonnation et la Recherche (Unitar), 2006.66. Loi fondamentale du 25 février 1992.67. Préambule de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996.68. 1.-Cl. THEUWA,« Les préoccupations environnementales en droit positif camerounais », RJE,1/2006, p. 21. D'autres États africains tels que le Bénin (Art 27, loi na 90-32 du Il décembre 1990portant Constitution de la République du Bénin) ou le Congo (Art. 46, 47, 48 de la Constitution du15 mars 1992).

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Il faudrait par ailleurs noter que ces pays sont parties à la plupart des accordset conventions internationaux relatifs à l'environnement, tels que la Conventiondes Nations unies sur les changements climatiques, la Convention sur la diversitébiologique, la Convention de Bâle, la Convention des Nations unies sur les luttescontre les désertifications69... Tout cet arsenal juridique national et internationalaurait dû orienter les politiques stratégiques environnementales de ces pays.

Malheureusement de nombreuses lacunes persistent. Les politiques mises enplace, d'un développement qui se veut durable, sont demeurées le plus souventsectorielles et partielles. L'absence de concertation aux différents niveaux quiregroupent à la fois les populations, la société civile, les ONG, l'État et lesdifférents partenaires au développement, n'a pas favorisé le développement dessynergies entre les intervenants, d'où les incohérences dans les actions menéessur le terrain.

Ainsi, de nombreuses inadéquations sont très souvent relevées entre lesorientations, les stratégies d'intervention et la nature des contraintesenvironnementales. L'approche verticale de la structure administrative, avec unecentralisation excessive est sans doute une des raisons de l'échec de ce nouveauparadigme que constitue le développement durable. En outre, l'insuffisance desdonnées fiables, l'absence d'indicateurs d'impact et de suivi de l'état del'environnement, constitue de sérieux handicaps pour une gestion efficace desressources et de l'environnement7o.

On l'aura constaté, en Afrique le problème ne se situe pas réellement auniveau de l'arsenal juridique, pas tellement non plus au niveau de la volontépolitique, mais plus au niveau de la méthode. Il est temps d'adopter en la matièrenon seulement une réelle politique de gouvernance, mais aussi de managementenvironnemental, si l'on veut rendre opérationnels et concrets les objectifs dedéveloppement durable tels que définis dans l'Agenda 2 FI. Malheureusement, ilfaut bien reconnaître que l'Afrique se trouve à un stade expérimental dans ledomaine du développement durable.

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LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT CONFRONTÉ AUDÉVELOPPEMENT DURABLE

Droit international économique et droit international del'environnement: quelle conciliation?

L'exemple de l'anticipation des risques biotechnologiquesdans le cadre de l'OMC

Maria FRANCHETEAU.

C'est lors de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et ledéveloppement (CNDED), également appelée Sommet de la Terre, qui s'estdéroulée du 3 au 14 juin 1992 à Rio de Janeiro au Brésil, que la nécessitéd'intégrer les préoccupations d'environnement au processus de développement,est officiellement consacrée. Le principe 4 de la Déclaration de Rio surl'environnement et le développement, adoptée le 13 juin 1992 lors de ce sommet,dispose en effet que « pour parvenir à un développement durable, la protection del'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et nepeut être considérée isolément» J .

Aussi les instruments juridiques internationaux devraient-ils désormaisintégrer la préoccupation de développement durable, véritable matriceconceptuelle2 inspiratrice du droit international de l'environnemene. Lesinstruments, qui ont pour objet la protection de l'environnement, signés lors de laCNDED, s'inscrivent de facto dans l'objectif de développement durable: on peutciter la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques,adoptée le 9 mai 1992 mais ouverte à la signature lors de ce sommet4, ainsi que

.DCS-CERP3E

I. La Déclaration de Rio peut être consultée à partir de l'adresse Internet suivante:http://www.un.org.2. P.-M. Dupuy, «Où en est le droit international de l'environnement à la fin du siècle? »,RGD/P, n° 4, 1997, p. 873-903, p. 889.3. Voir P. DAILLIERet A. PELLET,Droit international public, 7° éd., LGDJ, 2002,1510 p., p. 1305.4. La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques peut être consultée àpartir de l'adresse internet suivante: http://unfccc.int.

la Convention sur la diversité biologique du 5 juin 19925, D'autres instrumentsjuridiques internationaux, adoptés après le Sommet de la Terre, y font égalementréférence. Tel est le cas des instruments juridiques ayant pour objet la protectionde l'environnement: ainsi, par exemple, le Protocole de Cartagena sur laprévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversitébiologique, adopté à Montréal le 29 janvier 20006, plus succinctement appeléProtocole Biosécurité, se réfère expressément au développement durable àl'alinéa 9 de son préambule: celui-ci dispose que « les accords sur le commerceet l'environnement devraient se soutenir mutuellement en vue de l'avènementd'un développement durable. »

D'autres instruments juridiques internationaux qui n'ont pas pour objet laprotection de l'environnement, également adoptés après le Sommet de la Terre,se réfèrent expressément au développement durable, tel l'Accord instituantl'Organisation mondiale du commerce (OMC) adopté en 1994, à l'alinéa 1erdeson préambule7. Certes, en droit international public, les éléments cités dans lepréambule d'un instrument juridique ne possèdent pas de force juridiqueobligatoireS, Toutefois, ils en constituent un élément d'interprétation9, L'une desmanifestations de l'intégration de l'objectif de développement durable dans lecadre de l'OMC est l'Accord sur l'application des mesures sanitaires etphytosanitaires (Accord SPS), également adopté en 1994 H). Faisant partie ducorpus juridique de l'OMCll, il prévoit à l'alinéa 1erde son préambule, qu'aucunmembre de l'OMC « ne devrait être empêché d'adopter ou d'appliquer desmesures nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des

5. La Convention sur la diversité biologique peut être consultée à partir de l'adresse Internetsuivante: http://www.cbd.int.6. Le protocole Biosécurité peut être consulté à partir de l'adresse Internet suivante:http://www. biodiv. org.7. L'al. premier du préambule de l'Accord instituant l'OMC dispose que «ses partiesreconnaissent que leurs rapports dans le domaine commercial et économique devraient être orientésvers le relèvement des niveaux de vie, la réalisation du plein emploi et d'un niveau élevé ettoujours croissant du revenu réel et de la demande effective, et l'accroissement de la production etdu commerce de marchandises et de services, tout en permettant l'utilisation optimale desressources mondiales conformément à l'objectif de développement durable, en vue à la fois deprotéger et préserver l'environnement et de renforcer les moyens d'y parvenir d'une manière quisoit compatible avec leurs besoins et soucis respectifs à différents niveaux de développementéconomique ». L'Accord instituant l'OMC peut être consulté à partir de l'adresse Internetsuivante: http://www.wto.org.8. Voir P. DAILLIER et A. PELLET, op. cit., p. 132. Voir aussi: M. KAMTO, «Les nouveauxprincipes du droit international de l'environnement », RJE, l, 1993, p. 11-22, p. 20;M.-P. LANFRANCHI, «L'Organisation mondiale du commerce et la protection del'environnement », p.127-143, in S. MALJEAN-DuBOIS (dir.) et J. BOURRINET(préf.), L'outiléconomique en droit international et européen de l'environnement, Aix-en-Provence, CERIC,Paris, La Documentation française, 2002, 513 p., p. 127-128, 130, 137.9. Voir P. DAILLIERet A. PELLET,op. cit., p. 132.10. L'Accord SPS peut être consulté à partir de l'adresse Internet suivante: http://www.wto.org.11. Tous les accords de l'OMC adoptés en 1994 font partie du corpus juridique de rOMC. Ainsi,en devenant membre de rOMC, un État adhère automatiquement à ce corpus et devient État partieà tous les accords de l'OMC.

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animaux ou à la préservation des végétaux» sur son territoire1Z, plussuccinctement, des mesures sanitaires et phytosanitaires (mesures SPS). Ainsi,qu'ils aient été adoptés pendant ou après le Sommet de la Terre, et qu'ils aientpour objet la protection de l'environnement ou la libéralisation des échanges demarchandises, certains instruments juridiques internationaux prévoient l'objectifde développement durable.

Néanmoins, des moyens doivent également être prévus afin que les Étatspuissent effectivement le réaliser. L'adoption de mesures de précaution par lesÉtats en est un. En effet, comme MM. P. Daillier et A. Pellet le soulignent à justetitre, le développement durable «trouve son prolongement et sa concrétisationdans le principe de précaution» 13. Ce dernier, ou « l'approche de précaution»aux termes de l'article 1erdu Protocole Biosécurité, est défini au principe 15 de laDéclaration de Rio. Celui-ci dispose que:

Pour protéger l'environnement, des mesures de précaution doivent être largementappliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommagesgraves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit passervir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visantà prévenir la dégradation de l'environnement.

Plusieurs instruments juridiques internationaux donnent le droit à leurs Étatsparties d'adopter et d'appliquer des mesures de précaution. Tel est le cas duProtocole Biosécurité, qui prévoit que son objectif est, «conformément àl'approche de précaution consacrée par le Principe 15 de la Déclaration de Rio »,« de contribuer à assurer un degré adéquat de protection pour le transfert, lamanipulation et l'utilisation sans danger des organismes vivants modifiésrésultant de la biotechnologie moderneI4, qui peuvent avoir des effetsdéfavorables sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique,compte tenu également des risques pour la santé humaine, en mettant plusprécisément l'accent sur les mouvements transfrontières» 15 des organismesvivants modifiés (OVM) entrant dans le champ d'application du ProtocoleI6.

12. Voir aussi l'article 5.1 de l'Accord SPS.13. Le principe de prévention est aussi un principe nécessaire à la réalisation du développementdurable. Voir P. DAILLIERet A. PELLET,op. cil., p. 1307.14. Le Protocole Biosécurité définit un organisme vivant modifié, comme «tout organisme vivantpossédant une combinaison de matériel génétique inédite obtenue par recours à la biotechnologiemoderne» (article 3 g)). Il définit par ailleurs la biotechnologie moderne, comme« l'application detechniques in vitro aux acides nucléiques, y compris la recombinaison de l'acidedésoxyribonucléique (ADN) et l'introduction directe d'acides nucléiques dans des cellules ouorganites », «la fusion cellulaire d'organismes n'appartenant pas à une même familletaxonomique », « qui surmontent les barrières naturelles de la physiologie de la reproduction ou dela recombinaison et qui ne sont pas des techniques utilisées pour la reproduction et la sélection detype classique» (article 3 i)).15. Voir l'article 1erdu Protocole Biosécurité.16. Précisons que selon l'article 5 du Protocole Biosécurité, ce dernier ne s'applique pas auxmouvements transfrontièrs d'OVM qui sont des produits pharmaceutiques destinés à l'homme,relevant d'autres accords ou organismes internationaux pertinents, tel l'Organisation mondiale de lasanté (OMS). Il s'applique toutefois aux OVM destinés à être introduits intentionnellement dansl'environnement des parties importatrices, tels les OVM agricols. Il s'applique aussi aux OVM

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Cela peut être le cas des OVM qui sont commercialisés et exportés vers leterritoire des parties au Protocole, pour y être par exemple introduitsintentionnellement dans leur environnement, notamment aux fins del'agriculture; il en va de même de ceux qui sont destinés à être utilisésdirectement pour l'alimentation humaine ou animale, ou à être transformés, sur leterritoire des parties importatrices. Ce sont plus précisément les articles 10.6 etII.8 du Protocole qui donnent le droit à ses parties d'adopter des mesures deprécaution, et plus particulièrement des mesures visant à anticiper les risques queles OVM pourraient véhiculer pour l'environnement et la santé. S'agissant desOVM agricoles, l'article 10.6 dispose que:

L'absence de certitude scientifique due à l'insuffisance des informations etconnaissances scientifiques pertinentes concemant l'étendue des effetsdéfavorables potentiels d'un OVM sur la conservation et l'utilisation durable de ladiversité biologique dans la Partie importatrice, compte tenu également desrisques pour la santé humaine, n'empêche pas cette Partie de prendre comme ilconvient une décision concernant l'importation de cet OVM, pour éviter ouréduire au minimum ces effets défavorables potentiels.

Presque dans les mêmes termes, l'article II.8 prévoit, concernant les OVMalimentaires, que « l'absence de certitude scientifique due à l'insuffisance desinformations et connaissances scientifiques pertinentes concernant l'étendue deseffets défavorables potentiels d'un OVM sur la conservation et l'utilisationdurable de la diversité biologique dans la Partie importatrice, compte tenuégalement des risques pour la santé humaine, n'empêche pas cette Partie deprendre comme il convient une décision concernant l'importation de cet OVM,pour éviter ou réduire au minimum ces effets défavorables potentiels. »

De même, l'Accord SPS donne le droit aux membres de l'OMC d'adopter etd'appliquer des mesures SPS de précaution, à condition qu'ils respectent lesprescriptions cumulatives de son article 5.7: en effet, « dans les cas où lespreuves scientifiques pertinentes sont insuffisantes, un Membre peutprovisoirement adopter des mesures SPS », notamment mais pas uniquement, surla base des renseignements pertinents disponibles, y compris ceux qui émanentdes organisations internationales (01) compétentes ainsi que ceux qui découlentdes mesures SPS appliquées par d'autres Membres. Dans de telles circonstances,« les Membres s'efforcent d'obtenir les renseignements additionnels nécessairespour procéder à une évaluation plus objective du risque et examinent enconséquence leur mesure SPS dans un délai raisonnable ». Les mesures deprécaution adoptées par les parties au titre des articles 1er, 10.6 et 11.8 duProtocole Biosécurité, comme celles adoptées par les membres de l'OMC au titrede l'article 5.7 de l'Accord SPS, ont pour obj ectif commun la réalisation dudéveloppement durable.

Or, bien que le Protocole Biosécurité et l'Accord SPS autorisent leurs Étatsparties à adopter et appliquer des mesures de précaution afin de protéger

destinés à être utilisés directement pour l'alimentation humaine ou animale, ou à être transformés,ou OVM alimentaires.

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l'environnement et la santé sur leur territoire, les deux instruments juridiquesinternationaux ne s'inscrivent pas dans la même démarche. Le ProtocoleBiosécurité est le protocole additionnel à la Convention sur la diversitébiologique: il s'inscrit dans le droit international de l'environnement et vise ainsià intégrer des préoccupations environnementales et sanitaires dans lesmouvements transfrontières des OYM, tels que dans les échanges commerciauxinternationaux dont ils font l'objet. L'Accord SPS, quant à lui, fait partie ducorpus juridique de l'OMC, OJ ayant pour objectif la libéralisation des échangesde marchandises telles que les OYM: il s'inscrit dans le droit internationaléconomique et entend ainsi autoriser les membres de l'OMC à protégerl'environnement et la santé sur leur territoire, mais conditionne ce droit afin depréserver l'objectif de l'al. En d'autres termes, dans un souci d'assurer unéquilibre entre les droits et les obligations des Membres au titre de l'Accord SPS,ceux-ci ne peuvent envisager une telle protection que si les mesures qu'ilsadoptent et appliquent en ce sens ne restreignent pas le commerce internationalplus qu'il n'est requis17, ces mesures pouvant, directement ou indirectementl'affecter 18.

On perçoit donc déjà les difficultés qu'un État, qui serait à la fois Partie auProtocole Biosécurité et membre de l'OMC, serait susceptible de rencontrerlorsqu'il doit concilier le droit international de l'environnement et le droitinternational économique, dans lesquels le Protocole et l'Accord SPS s'inscriventrespectivement, afin de parvenir à réaliser le développement durable.

Cela apparaît très clairement dans les relations que ces deux instrumentsjuridiques internationaux entretiennent, et au regard de leur impact sur lesmesures d'anticipation des risques biotechnologiques que les parties pourraientadopter au titre du Protocole.

Certes, conscient des difficultés souvent rencontrées par de nombreux accordsmultilatéraux sur l'environnement (AME) lorsqu'ils interfèrent avec des accordscommerciaux tels que ceux de l'OMC, le Protocole Biosécurité tente d'yremédier dans trois alinéas inscrits dans son préambule. Il prévoit que « lesaccords sur le commerce et l'environnement devraient se soutenir mutuellementen vue de l'avènement d'un développement durable »19.Pour cela, le Protocolene doit d'une part, « pas être interprété comme impliquant une modification desdroits et obligations d'une Partie en vertu d'autres accords internationaux envigueur »20, comme ceux qui pourraient découler pour elle de l'Accord SPS, entant que membre de l'OMC. D'autre part, le préambule du Protocole « ne visepas à subordonner ce dernier à d'autres accords internationaux »21, tels lesaccords de l'OMC, et par exemple l'Accord SPS.

Le Protocole s'attelle ici à un exercice d'équilibrisme entre des enjeuxenvironnementaux et sanitaires, et des enjeux économiques ou commerciaux.

17. Voir l'article 5.6 et la note de bas de page n° 3 de l'Accord SPS.18. Voir l'article 1.1 de l'Accord SPS.19. Voir l'al. 9 du préambule du Protocole Biosécurité.20. Voir l'al. 10 du préambule du Protocole Biosécurité.21. Voirl'al. 11 du préambule du Protocole Biosécurité.

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Comme nous le verrons, c'est un équilibre difficile à réaliser au regard desdispositions de l'Accord SPS. Certes, ce dernier offre aux membres de l'OMCquelques possibilités d'anticiper les risques sanitaires et phytosanitaires (risquesSPS) que les OVM pourraient véhiculer (I).

Toutefois, les conditions d'adoption et d'application des mesures deprécaution qu'il prévoit, notamment à son article 5.7, sont suffisamment strictespour affirmer que les possibilités d'anticipation des risques biotechnologiquesdans le cadre de l'OMC sont restreintes (II). Le droit international économique etle droit international de l'environnement se conciliant difficilement, il pourradonc être également malaisé de parvenir au développement durable, comme leProtocole Biosécurité le souhaite.

1. Une anticipation des risques biotechnologiques possible dans lecadre de l'OMC

Les mesures d'anticipation des risques biotechnologiques adoptées par lesparties au titre des articles 10.6 et Il.8 du Protocole Biosécurité doivent toutd'abord être appréciées au regard des prescriptions cumulatives prévues àl'article 5.7 de l'Accord SPS. Ce dernier en prévoit quatre, mais nous ne nousréférerons qu'à la première de ces prescriptions, c'est-à-dire à celle qui permet dedéclencher l'adoption des mesures SPS de précaution. Aux termes de cetteprescription, l'insuffisance des preuves scientifiques pertinentes, qui pourraitressortir de l'évaluation des risques effectuée avant l'adoption de toute mesureSPS, comme l'article 5.1 de l'Accord SPS l'exige22, peut être productrice d'effetsjuridiques: elle permet en effet aux membres de l'OMC d'adopter des mesuresafin d'anticiper les risques SPS des OVM. L'article 5.7 ouvre donc la voie àl'anticipation des risques biotechnologiques dans le cadre de l'OMC.

Les articles 10.6 et 11.8 du Protocole envisagent également une tellesituation: ils prévoient l'hypothèse selon laquelle l'évaluation des risqueseffectuée par les parties ne permet pas de conclure au caractère suffisant desinformations et connaissances scientifiques pertinentes. Ici encore, l'insuffisancede telles informations et connaissances peut être productrice d'effets juridiques:elle autorise les parties au Protocole à adopter des mesures d'anticipation desrisques biotechnologiques, tant en ce qui concerne les risques SPS des OVMagricoles que ceux des OVM alimentaires. Les articles 10.6 et 11.8 iraient doncdans le sens de l'article 5.7 de l'Accord SPS. Cela laisserait préjuger de laconformité des mesures d'anticipation des risques biotechnologiques adoptéespar les parties au titre du Protocole, à la première prescription de l'article 5.7, etdonc d'une conciliation possible entre les deux instruments juridiquesinternationaux.

22. L'article 5.1 de l'Accord SPS dispose que les membres de l'OMC doivent faire en sorte queleurs mesures SPS « soient établies sur la base d'une évaluation des risques pour la santé et la viedes personnes et des animaux ou pour la préservation des végétaux, selon qu'i! sera approprié enfonction des circonstances », compte tenu des techniques d'évaluation des risques élaborées parles 01 compétentes.

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Néanmoins, l'interprétation que les organes de règlement des différends del'OMC ont faite de l'article 5.7, peut nous amener à penser que la conciliationentre le Protocole Biosécurité et l'Accord SPS, donc entre le droit internationalde l'environnement et le droit international économique, serait limitée, voirefortement compromise (II).

II. Une anticipation des risques biotechnologiques compromisedans le cadre de l'OMC

Deux raisons, relatives à la première prescription de l'article 5.7 de l'AccordSPS, compromettent l'anticipation des risques biotechnologiques dans le cadrede l'OMC. D'une part, l'Organe d'appel (OA) a considéré l'insuffisance despreuves scientifiques pertinentes de manière restrictive, en excluant l'incertitudescientifique qui peut pourtant en découler, des facteurs permettant de déclencherl'adoption de mesures SPS de précaution (A). D'autre part, l'OA a réfuté touteautonomie au principe de précaution en droit international, et de fait, au regard del'Accord SPS (B).

A. Le rejet de l'incertitude scientifique comme facteur déclenchantl'anticipation des risques biotechnologiques

Bien qu'elle puisse découler d'une insuffisance de preuves scientifiquespertinentes, l'incertitude scientifique ne peut, selon les organes de règlement desdifférends de l'OMC, constituer un facteur permettant de déclencher l'adoptionde mesures SPS de précaution. Pour l'OA, les notions «d'insuffisance depreuves scientifiques pertinentes» et « d'incertitude scientifique» ne sont pasinterchangeables. La position de l'OA pourrait s'expliquer par le caractère étenduque l'incertitude scientifique peut revêtir, et ainsi par le grand nombre de casauxquels elle pourrait s'appliquer, qui permettraient de justifier l'adoption demesures SPS de précaution. Ainsi, l'incertitude scientifique pourrait mêmerenvoyer à « l'incertitude qui subsiste toujours sur le plan théorique» ce qui, del'avis de l'OA, n'est pas le genre de risque qui doit être évalué aux termes del'article 5.1 de l'Accord SPS23. L'incertitude scientifique ne pourrait doncpermettre l'adoption de mesures d'anticipation des risques biotechnologiques ;seule une insuffisance de preuves scientifiques pertinentes ressortant del'évaluation des risques le peut.

Il peut certes être permis d'envisager que les mesures d'anticipation desrisques biotechnologiques adoptées par les parties au titre des articles 10.6et Il.8 du Protocole Biosécurité, puissent être reconnues comme conformes à lapremière prescription de l'article 5.7 de l'Accord SPS, parce qu'ils admettentqu'une insuffisance d'informations et de connaissances scientifiques pertinentes

23. Voir OMC,Rapportde l'OA, CE - Mesurescommunautairesconcernantles viandeset lesproduits carnés (Hormones), WTIDS26/AB/R, WTIDS48/AB/R, 16janvier 1998, paragraphe 183.Voir aussi: OMC, Rapport de l'OA, Australie - Mesures visant les importations de saumons,WTIDSI8/AB/R, 20 octobre 1998,96 p., paragraphe 125, p. 43.

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permet l'adoption de telles mesures. Or, les articles 10.6 et 11.8 font aussiexpressément référence à « l'absence de certitude scientifique », en tant queconséquence d'une telle insuffisance. Cela n'est pas sans rappeler le principe 15de la Déclaration de Rio, qui consacre l'approche de précaution: celui-ci seréfère expressément à « l'absence de certitude scientifique absolue ». De fait, lesmesures d'anticipation des risques biotechnologiques adoptées par les parties autitre des articles 10.6 et Il.8, risqueraient de ne pas être considérées commeconformes à la première prescription de l'article 5.7, compromettant par làmême, l'anticipation des risques biotechnologiques dans le cadre de l'OMC.

Néanmoins, la vision de l'OA concernant la portée de l'insuffisance despreuves scientifiques pertinentes est restrictive, sinon tronquée. En effet, dessituations d'incertitude scientifique peuvent naître lorsque les preuvesscientifiques sont insuffisantes, comme les articles 10.6 et 11.8 du ProtocoleBiosécurité le prévoient expressément et à juste titre. L'OA n'a-t-il d'ailleurs paslui-même fait référence à « l'incertitude scientifique» dans l'affaireCommunautés européennes - Mesures communautaires concernant les viandes etles produits carnés (Hormones), plus succinctement appelée affaire Hormones?En effet, il admet que parfois, l'existence même d'opinions dissidentes exposéespar des scientifiques compétents qui ont mené des recherches sur la question àl'examen, peut être révélatrice « d'une certaine incertitude dans la communautéscientifique »24. Il admet aussi que parfois, les divergences peuvent indiquer queles opinions scientifiques sont à peu près également partagées, ce qui peutdénoter « une forme d'incertitude scientifique »25. Il serait donc possibled'admettre que l'incertitude scientifique puisse constituer un facteur permettantde déclencher l'adoption de mesures d'anticipation des risquesbiotechnologiques.

Cependant, cela ne pourrait être admis que partiellement, le degré même del'incertitude existante devant être pris en compte. Il y aurait tout lieu de penserque pour pouvoir déclencher l'adoption de mesures d'anticipation des risquesbiotechnologiques, l'incertitude scientifique ne doive pas être absolue, maisplutôt relative. On peut en effet aisément concevoir qu'une incertitudescientifique absolue, telle celle envisagée par le principe 15 de la Déclaration deRio, puisse être incompatible avec une situation dans laquelle les preuvesscientifiques sont insuffisantes. Cela apparaît d'ailleurs clairement à la lecture dela seconde prescription de l'article 5.7 de l'Accord SPS, qui exigerait des partiesau Protocole Biosécurité qui adoptent des mesures d'anticipation des risquesbiotechnologiques, qu'elles le fassent sur la base des renseignements pertinentsdisponibles, y compris ceux qui émanent des 01 compétentes26 et qui découlent

24. Voir OMC, Rapport de l'OA, Hormones, op. cit., paragraphe 194. Voir aussi: P. KOURILSKYet G. VINEY, Le principe de précaution, Rapport au Premier ministre, Paris, Odile Jacob, LaDocumentation ftançaise, janvier 2000,405 p., p. 61-63.25. Voir OMC, Rapport de l'DA. Hormones, op. cit., paragraphe 194.26. L'article 5.7 de l'Accord SPS fait ici entre autres référence à la Commission du CodexAlimentarius, à l'Office international des épizooties (OIE), et aux 01 internationales et régionalescompétentes opérant dans le cadre de la Convention internationale pour la protection des végétaux(CIPV) (al. 6, préambule). L'objectif est d'harmoniser les mesures SPS le plus largement possible.

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des mesures SPS appliquées par d'autres parties27. Il faut néanmoins préciser queles articles 10.6 et 11.8 du Protocole Biosécurité font uniquement référence àl'absence de certitude scientifique sans lui attribuer un degré quelconque, ce quin'est pas neutre: cela pourrait en effet dénoter la volonté des parties au Protocolede prévenir toute contestation de leurs mesures d'anticipation des risquesbiotechnologiques devant les organes de règlement des différends de l'OMC, aumotif qu'elles auraient été adoptées en situation d'incertitude scientifiqueabsolue.

On pourrait donc envisager plusieurs hypothèses, au cas où une mesured'anticipation des risques biotechnologiques adoptée par une Partie au ProtocoleBiosécurité, viendrait à être contestée devant les organes de règlement desdifférends de l'OMC. Si la Partie en question avançait le fait que sa mesure a étéadoptée au titre du principe 15 de la Déclaration de Rio, elle aurait peu dechances d'être validée, d'autant que le principe 15 a valeur de droit déclaratoirepuisqu'il est inscrit dans la Déclaration de Rio : il n'est donc pas contraignantpour les États, contrairement aux articles 10.6 et 11.8 du Protocole, qui eux, ontde facto valeur conventionnelle et force obligatoire parce qu'inscrits dans ledispositif même du Protocole. Pour avoir quelques chances de voir sa mesured'anticipation des risques biotechnologiques considérée comme conforme à lapremière prescription de l'article 5.7 de l'Accord SPS, la Partie en questionaurait donc tout intérêt à avancer, devant les organes de règlement des différends,le fait qu'elle a été adoptée au titre des articles 10.6 ou 11.8, qui plus est, parceque les informations et connaissances scientifiques pertinentes relatives auxrisques biotechnologiques redoutés sont insuffisantes.

Il n'en reste pas moins que la vision de l'OA concernant la portée del'insuffisance des preuves scientifiques pertinentes, et donc de l'incertitudescientifique, est tronquée. Outre le fait qu'une telle incertitude peut découlerd'une telle insuffisance, trois raisons permettraient peut-être de reconnaîtrecomme conformes à la première prescription de l'article 5.7 de l'Accord SPS, les

Pour cela, les membres de l'OMC doivent établir leurs mesures SPS sur la base de normes,directives ou recommandations internationales, dans les cas où il en existe (article 3.1), sauf s'ilssouhaitent introduire ou maintenir des mesures SPS qui entraînent un niveau de protection SPS plusélevé que celui qui serait obtenu avec des mesures fondées sur ces normes, directives ourecommandations internationales, s'il y a une justification scientifique (article 3.3). Précisons que

les mesures SPS qui sont conformes à ces dernières sont réputées être nécessaires à la protection dela vie et de la santé des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux, et présuméesêtre compatibles avec les dispositions de l'Accord SPS et du GA TT de 1994 (article 3.2).27. L'article 5.7 de l'Accord SPS fait ici implicitement référence à l'équivalence des mesures SPS.En effet, les membres de l'OMC doivent accepter les mesures SPS d'autres Membres commeéquivalentes, même si ces mesures diffèrent des leurs ou de celles qui sont utilisées par d'autresMembres relatives au commerce du même produit; néanmoins, le Membre exportateur doit pourcela démontrer objectivement au Membre importateur qu'avec ses mesures, le niveau approprié deprotection SPS dans le Membre importateur sera atteint. L'Accord SPS prévoit qu'à cette fin, unaccès raisonnable doit être ménagé au Membre importateur qui en fait la demande pour desinspections, des essais et d'autres procédures pertinentes (article 4.1). De plus, il prévoit que lesMembres doivent se prêter, sur demande, à des consultations, afin de parvenir à des accordsbilatéraux et multilatéraux sur la reconnaissance de l'équivalence de mesures SPS spécifiées(article 4.2).

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mesures d'anticipation des risques biotechnologiques adoptées par les parties auProtocole Biosécurité conformément à l'approche de précaution consacrée par leprincipe 15 de la Déclaration de Rio, c'est-à-dire en situation d'absence decertitude scientifique absolue. La première raison tient au fait que le principe 15,et donc l'approche de précaution qu'il consacre, à mettre en œuvre en l'absencede certitude scientifique absolue, est expressément cité à l'article leT duProtocole, donc dans son dispositif. Les éléments compris dans le dispositif d'untraité ont un caractère juridiquement obligatoire28. Dans la mesure où l'objectifdu Protocole se conforme à l'approche de précaution consacrée par le principe15, ce dernier pourrait donc indirectement acquérir une valeur conventionnelle29et une portée obligatoire. De fait, l'absence de certitude scientifique absolue, quipermet de mettre en œuvre l'approche de précaution consacrée par le principe 15,pourrait être admise comme facteur pouvant déclencher l'adoption de mesuresd'anticipation des risques biotechnologiques par les parties au Protocole.

La deuxième raison tient au fait que le principe 15 souffre d'une ambiguïté. Ilprévoit que des mesures effectives visant à «prévenir la dégradation del'environnement» doivent être adoptées « en cas de risque de dommages gravesou irréversibles» 30. On pourrait donc supposer que l'incertitude scientifique àlaquelle il renvoie soit davantage relative qu'absolue3!. Comment pourrait-on eneffet conclure à la gravité ou à l'irréversibilité des risques de dommages enl'absence de certitude scientifique «absolue », d'autant que «la science, enconstante évolution, ne cesse de remettre en cause des résultats considéréscomme acquis »32? On pourrait même aller plus loin, et affirmer que l'existencede risques de dommages graves ou irréversibles supposerait que l'on puisseadopter des mesures de prévention, et non d'anticipation des risquesbiotechnologiques. D'ailleurs, le principe 15 lui-même prévoit expressément queles mesures de précaution ont pour objectif de «prévenir» la dégradation del'environnement. Enfin, la troisième raison tient au fait que le principe 15consacre une approche de précaution, et non un principe de précaution. Plusincitative qu'impérative pour les parties au Protocole, l'approche de précaution

28. Voir P. DAILLIERet A. PELLET,op. cit., p. 132.29. P. KOURILSKYet Mme G. VINEY affirment, à propos du principe de précaution, que lorsqu'ilest énoncé par un traité ou une convention internationale, il devrait acquérir la valeur normative quis'attache à ces instruments. Cependant, la façon dont il est exprimé atténue sensiblement cetteportée car il est presque toujours présenté, non pas comme une règle d'application immédiate,s'imposant aux citoyens et dont les juges doivent tenir compte dans leurs décisions, mais commeune simple directive destinée à orienter l'action politique, c'est-à-dire à inspirer le législateur etl'autorité réglementaire. Voir P. KOURILSKYet G. VINEY,op. cit., p. 122.30. Plus précisément, le principe 15 de la Déclaration de Rio dispose que « pour protégerl'environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selonleurs capacités» et qu' « en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence decertitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption demesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement. »31. Voir par exemple: L. LUCCHINI, « Le principe de précaution en droit international del'environnement: ombres plus que lumières », AFDJ, XLV, Paris, CNRS, 1999, p. 710-731, p. 725.32. A.-C. Kiss et I.-P. BEURlER,Droit international de l'environnement, Paris, Pédone, « Étudesinternationales n° 3 », 3" éd., 2004, 502 p., p. 137.

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peut être considérée comme une « version adoucie» ou souple de la précaution:l'approche de précaution tendrait ainsi à « ouvrir la voie» à l'anticipation desrisques biotechnologiques, alors que le principe de précaution tendrait davantageà l'imposer aux parties. De plus, les mesures d'anticipation des risquesbiotechnologiques adoptées sur la base du principe de précaution, pourraientdavantage restreindre les activités économiques que celles qui sont adoptées surla base d'une approche de précaution. Aussi la mise en œuvre du principe deprécaution pourrait-elle se heurter à un refus d'application de la part de certainsÉtats qui pourraient le juger trop radicap3. C'est ce qui a par exemple amené lesÉtats-Unis à affirmer, dans l'affaire Hormones et plus récemment encore, dansl'affaire Communautés européennes - Mesures affectant l'approbation et lacommercialisation des produits biotechnologiques, que nous appellerons plussuccinctement Produits biotechnologiques, que la précaution pourrait être perçuecomme une approche plutôt que comme un principe34. C'est aussi ce qui pourraitexpliquer qu'à son article 1er, le Protocole Biosécurité ne conforme pas sonobjectif au principe, mais à l'approche de précaution.

On peut aussi penser que c'est ce qui a pu conduire les organes de règlementdes différends de l'OMC à réfuter toute autonomie au principe de précaution endroit international, et par là, toute autonomie par rapport à l'Accord SPS. C'est ladeuxième raison qui pourrait nous amener à dire que l'anticipation des risquesbiotechnologiques pourrait être restreinte dans le cadre de l'OMC, et de fait,qu'une conciliation sur ce point, entre le droit international économique et ledroit international de l'environnement, pourrait être compromise (B).

B. La non-reconnaissance de l'autonomie du principe de précautionpar rapport à l'Accord SPS

C'est dans l'affaire Hormones que l'OA s'est exprimée pour la première foissur le principe de précaution, et sur sa pertinence pour l'interprétation de

33. Par exemple, dans le domaine des pêches, MM. J.-P. REVÉRET et J. WEBER affirment que dans

son acception la plus radicale, le principe de précaution peut donner lieu à l'interdiction d'unetechnique de pêche sous l'effet d'un moratoire. Ainsi, sans se référer expressément au principe deprécaution, la Résolution 44/225 de l'AG de l'ONU en date du 22 décembre 1989 en est unemanifestation assez radicale, lorsqu'elle recommande que des moratoires sur l'utilisation de grandsfilets pélagiques dérivants soient décrétés au niveau mondial. Voir J.-P. REVÉRETet J. WEBER,« L'évolution des régimes internationaux de gestion des pêches », p. 245-258, in O. GODARD(dir.),Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, Paris, Maison des sciences del'homme, INRA, 1997,351 p., p. 254. Voir aussi: O. GODARD,« L'ambivalence de la précautionet la transformation des rapports entre science et décision », p.37-83, in O. GODARD(dir.), Leprincipe de précaution dans la conduite des affaires humaines, op. cit., p. 45. Voir ONU, AG,Résolution 44/225 sur la pêche aux grands filets pélagiques dérivants et ses conséquences sur lesressources biologiques des océans et des mers, Quarante-quatrième session, 22 décembre 1989,http://www. un. org.34. Voir OMC, Rapportde l'OA, Hormones,op. cit., paragraphe122; OMC, Rapportdu GS,Communautés européennes -Mesures affectant l'approbation et la commercialisation des produitsbiotechnologiques, WT/DS2911R, WT/DS292/R, WT/DS293/R, 29 septembre 2006, 1219 p.,paragraphe 7.81, p. 383. Rappelons cependant que les États-Unis ne sont pas parties au ProtocoleBiosécurité.

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l'Accord SPS. Sans surprise, le Groupe spécial CGS) a adopté une positionidentique dans l'affaire Produits biotechnologiques. L'enjeu que l'OA devaitrelever était de savoir si le principe de précaution était un principe juridiqueautonome en droit international, et par là même, autonome par rapport à l'AccordSPS. En d'autres termes, l'OA devait se demander si ce principe possédait parlui-même une valeur normative permettant son application directe sans le supportd'aucun texte35, ou s'il ne devait être appliqué qu'avec le support d'un instrumentjuridique, tel que l'Accord SPS. C'est une question qui n'est pas dénuéed'enjeux. En effet, si l'OA reconnaissait l'autonomie du principe de précautionen droit international et par rapport à l'Accord SPS, ce principe pourrait« influencer la détermination de la portée des obligations contenues »36dans cetinstrument juridique, et par exemple celles prévues à son article 5.7. Celapermettrait ainsi de justifier des dérogations plus ou moins importantes37 auxobligations prévues par l'Accord SPS. A contrario, la non-reconnaissance parl'OA de l'autonomie du principe de précaution, ne devrait pas risquer demodifier la portée des obligations contenues dans l'Accord SPS, telles lesprescriptions de son article 5.7. Ainsi, si une mesure d'anticipation des risquesbiotechnologiques adoptée par une Partie au Protocole Biosécurité venait à êtrecontestée devant les organes de règlement des différends de l'OMC, celle-ci neserait jugée qu'au regard de l'Accord SPS et non au regard d'un principeautonome en droit international. Cela permettrait de ne pas trop ouvrir le champdes possibilités d'anticipation des risques biotechnologiques au détriment de laliberté des échanges des OVM.

C'est la position que l'OA a adoptée dans l'affaire Hormones, et que le GS arécemment reprise dans l'affaire Produits biotechnologiques. Trois raisonsprincipales ont été avancées pour justifier leur refus de reconnaître l'autonomiedu principe de précaution en droit international. La première tient à lamultiplicité des définitions du principe de précaution et à l'impact qu'elle peutavoir sur son contenu: une telle multiplicité peut avoir pour conséquenced'entourer ce principe d'une certaine imprécision. Certes, de nombreuxinstruments juridiques internationaux contiennent des dispositions appliquantexplicitement ou implicitement le principe de précaution; la plupart d'entre ellesrelèvent du droit international de l'environnement3s. Toutefois, des questionssubsistent en ce qui concerne la définition et la teneur précise du principe deprécaution39, d'autant que les références à ce dernier dans les différentsinstruments juridiques mettent en lumière une variabilité de conceptions à sonégard: ces instruments renvoient aussi bien à la conception radicale40, qu'aux

35. Voir P. KOURILSKYet G. VINEY,op. cit., p. 120.36. H. RUIZ-FABRI, « La prise en compte du principe de précaution par l'OMC », RJE, numérospécial, 2000, p. 55-66, p. 57.37. Voir P. KOURILSKyet G. VINEY,op. cit., p. 120-121.38. Voir OMC, Rapport du GS, Produits biotechnologiques, op. cil., paragraphe 7.88, p. 385.39. Voir Ibid., paragraphe 7.88, note de bas de page n° 265, p. 386.40. La conception radicale du principe de précaution, notamment défendue par certainesassociations de protection de l'environnement, ne conditionne pas, sinon peu, sa mise en œuvre.Ainsi, cette conception renverserait la charge de la preuve, ce qui ferait naître une présomption de

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conceptions intennédiaire41 ou souple42 du principe de précaution. Cette diversitédes conceptions n'est pas dénuée de conséquences notamment sur la définitiondu principe de précaution lui-même, d'autant que la plupart des instrumentsjuridiques n'en donnent qu'une définition très vague qui n'est d'ailleurs pasconstante, ou ne font que le signaler sans même le définir43. La deuxième raisontient au fait que les juridictions internationales n'ont exprimé aucune opiniondéfinitive quant à la nature et la valeur du principe de précaution, et n'ont passtatué sur son fondement à l'occasion de plusieurs différends. En effet, aucunejuridiction internationale n'a jusqu'à maintenant reconnu le principe deprécaution en tant que principe de droit international général ou coutumier44.Ainsi, la Cour internationale de justice (CH) a évité de se prononcer sur leprincipe de précaution à deux reprises: dans l'affaire portant sur la Demanded'examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l'arrêt rendu par la Courle 20 décembre 1974 dans l'affaire des essais nucléaires (Nouvelle-Zélandec. France), opposant la Nouvelle-Zélande à la France en 199545; dans celle

risques SPS. De plus, elle percevrait le principe de précaution comme un moyen de parer au « pirescénario» possible et de reconnaître le « risque zéro» comme justifiant l'adoption de mesures deprécaution. Enfin, elle ne prendrait pas en compte, dans la gestion des risques, l'impactéconomique potentiel que les mesures de précaution pourraient avoir. On peut donc aisémentconcevoir que l'Accord SPS n'adhère pas à la conception radicale du principe de précaution.41. La conception intermédiaire du principe de précaution conditionne sa mise en œuvre, ce quiamènerait à penser que l'Accord SPS pourrait y adhérer. Ainsi, cette conception permet la mise enœuvre de ce principe dans les cas où le risque est, lors de la prise de décision, scientifiquementcrédible, voire plausible. De plus, elle tendrait à privilégier les mesures positives, notamment lesrecherches qui permettent d'évaluer le risque de plus en plus précisément. Cela va dans le sens del'article 5.7 de l'Accord SPS, qui prévoit que les membres de l'OMC ayant provisoirement adoptédes mesures SPS de précaution, doivent s'efforcer d'obtenir les renseignements additionnelsnécessaires pour procéder à une évaluation plus objective des risques. Néanmoins, l'adhésion del'Accord SPS à la conception intermédiaire du principe de précaution est à relativiser. En effet,contrairement à cette conception, qui pourrait l'admettre, l'Accord SPS admettrait de manière trèslimitée que des facteurs autres que des facteurs économiques, tels des facteurs sociaux, puissentêtre pris en compte dans l'évaluation coûts/efficacité des mesures SPS de précaution. De plus, laconception intermédiaire du principe de précaution laisserait au juge la possibilité de répartir lacharge de la preuve en fonction des moyens dont chacune des parties au différend dispose pourapporter cette preuve, ce qui n'est pas admis au titre de l'Accord SPS.42. La conception souple du principe de précaution conditionne assez fortement sa mise en œuvre,ce qui amènerait à dire que l'Accord SPS y adhérerait. Ainsi, cette conception rejette toute idéed'un renversement de la charge de la preuve, et par là, toute idée d'une présomption de risquesSPS. De plus, en rejetant le « risque zéro» comme justification à l'adoption de mesures deprécaution, et donc en fixant un seuil de risque en deçà duquel les États ne pourraient adopter detelles mesures, cette conception limiterait les possibilités d'anticipation des risques SPS, àl'existence d'un certain degré de risques redoutés, ce que l'Accord SPS semble égalementadmettre. Enfm, comme ce dernier, la conception souple du principe de précaution exige de prendreen compte et de mettre en balance les coûts économiques, tant de la réalisation des risques SPS, quede la mise en œuvre des mesures de précaution.43. Voir P. KOURlLSKYet G. VINEY,op. cil., p. 16, 121-122.44. Voir OMC, Rapport du GS, Produils biotechnologiques, op. cil., paragraphe 7.88, p. 385.45. cn, Demande d'examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l'arrêt rendu par la Cour le20 décembre 1974 dans l'affaire des essais nucléaires, (Nouvelle-Zélande c. France), Ordonnancedu 22 septembre 1995, 24 p., http://www.icj-cij.org. Sur cette affaire, voir notamment: P. SANDS,

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opposant la Hongrie à la Slovaquie en 1997 à propos d'un projet d'aménagementd'écluses sur le fleuve Danube, affaire connue sous le nom de Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie)46. Toutefois, on peut se demander si la visionde la CIJ n'est pas pour le moins restrictive, et si cette dernière ne pouvait pasinvoquer ou statuer sur le fondement du principe de précaution, du moins surcelui d'une approche de précaution, dans la mesure où celui-ci est directementassocié à la préoccupation de développement durable47. Dans cette dernièreaffaire, la CIJ elle-même se réfère au concept de développement durable, en tantque norme susceptible de justifier un comportement vigilant des États, pourconcilier les exigences de leur développement et la protection de leurenvironnement48. Enfin, la troisième raison tient au fait que la doctrine estpartagée quant à la nature et la valeur du principe de précaution. En effet, sicertains auteurs, tels MM. P. Sands et J. Abouchar, considèrent que le principe deprécaution existe en tant que principe de droit international coutumier49, d'autresauteurs, tel M. P.-M. Dupuy, considèrent toutefois qu'il n'a pas atteint le statutde principe de droit international général50. Pour ce dernier, « ce qui entrave sansdoute la consécration définitive du principe de précaution comme norme de droitinternational général, tient à deux éléments. Le premier est l'absence dedéfinition univoque de son contenu. Le second, par voie de conséquence, est la

« L'affaire des Essais nucléaires II (Nouvelle-Zélande c. France): contribution de l'instance audroit international de l'environnement », RGDIP, 1997-2, p. 447-474.46. CH, Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), 25 septembre 1997,http://www.icj-cij.org. Voir aussi: S. MALJEAN-DuBOIS,« L'arrêt rendu par la Cour internationalede justice le 25 septembre 1997 en l'affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros(Hongrie/Slovaquie) », AFD/, XLIII, Paris, CNRS, 1997, p. 286-332.47. Voir P.-M. Dupuy, op. cit., p. 889. Voir aussi: P. DAILLIERet A. PELLET, op. cil., p. 1307 ;L. LUCCHINI,op. cit., p. 713.48. Voir CH, Gabcikovo-Nagymaros, op. cit., paragraphe 140.49. Dans l'affaire Produits biotechnologiques, le GS cite à titre d'exemples: O. McINTYRE etT. MOSEDALE,« The Precautionary Principle as a Norm of Customary International Law», Journalof Environmental Law, n° 9, 1997, p.221-241, p. 222-223; J. CAMERON, W. WADE-GERY etl ABOUCHAR,« Precautionary Principle and Future Generations », in E. AGIus et al. (eds.), FutureGenerations and International Law, London: EarthScan Publications, 1998, 256 p., p. 96 ;P. SANDS, Principles of International Environmental Law, 2e éd., Cambridge University Press,2003, 1246 p., p.279. Voir OMC, Rapport du GS, Produits biotechnologiques, op. cit.,paragraphe 7.88, note de bas de page n° 215, p. 306-307.Ainsi M. L. LUCCHINInote par exemple que MM. J. CAMERONet l ABoucHAR, qui font partie d'uncourant doctrinal largement, mais non exclusivement anglo-saxon, se fondent sur des textesinternationaux ainsi que sur certaines législations ou décisions judiciaires nationales pour admettrela nature coutumière du principe de précaution. Voir L. LUCCHINI,op. cil., p. 718.50. Dans l'affaire Produits biotechnologiques, le GS cite à titre d'exemples, L.-M. JURGIELEWICZ,Global Environmental Change and International Law : Prospects for Progress in the Legal Order,Lanham, MD : University Press of America, 1996, 290 p., p. 64; P.-M. Dupuy, op. cit., p. 889-890; l-O. MCGINNIS, « The Appropriate Hierarchy of Global Multilateralism and CustomaryInternational Law: The Example of the WTO », Virginia Journal of International Law, vol. 44,n° l, 2003, p.229-284, p.260-261. Voir OMC, Rapport du GS, Produits biotechnologiques, op.cit., paragraphe 7.88, note de bas de page n° 267, p.386-387. On peut également citer M. L.LUCCHINI, qui se rattache à cette tendance. Voir L. LUCCHINI, op. cit., p. 718.

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difficulté qu'il y a à cerner ses implications concrètes et ses répercussionséconomiques, à définir à vrai dire dans chaque cas considéré »51.

Si la non-reconnaissance de l'autonomie du principe de précaution en droitinternational, et de fait par rapport à l'Accord SPS, par l'OA dans l'affaireHormones et le GS dans l'affaire Produits biotechnologiques, constitue une« soupape de sécurité» pour les obligations contenues dans cet accord, il pourraitêtre difficile de reconnaître la conformité des mesures d'anticipation des risquesbiotechnologiques adoptées par les parties au titre des articles 10.6 et II.8 duProtocole Biosécurité, à la première prescription de l'article 5.7 de l'Accord SPS.

Or, la position des organes de règlement des différends à l'égard du principede précaution est discutable. Certes, la formulation très variable du contenu de ceprincipe peut empêcher la reconnaissance de son autonomie en droitinternational. Néanmoins, l'imprécision d'autres principes tels le principe dupollueur-payeur, n'a pas constitué un tel obstacle52. En effet, bien que le principedu pollueur-payeur soit énoncé dans des termes variés dans de nombreuxinstruments juridiques53, tel qu'au principe 16 de la Déclaration de Rio54, et quesa portée exacte soit difficile à cerner55, il revêt un caractère obligatoire en tantque principe général de droit, notamment en raison de la généralisation de sonapplication dans les droits internes des États, et en tant que normeconventionnelle très habituelle et règle coutumière56. De plus, son sens général

5i. P.-M. Dupuy, op. cit., p. 889-890. Rappelé, par exemple, dans: E. BROSSET,« Le principe deprécaution. Les risques de la systématisation économique », p. 53-69, in S. MALJEAN-DuBOIS(dir.)et J. BOURRlNET(préf.), L'outil économique en droit international et européen de l'environnement,op. cit., p. 62.52. Voir E. BROSSET,op. cit., p. 62.53. Le principe du pollueur-payeur a été établi par l'OCDE, comme principe économique visant àaffecter des fonds à la préservation de l'environnement ainsi qu'aux mesures de contrôle, maiségalement dans le but d'encourager une utilisation rationnelle des ressources environnementales.Ainsi, les premiers instruments juridiques internationaux à expliquer les composantes du principedu pollueur-payeur sont les recommandations du Conseil de l'OCDE en date du 26 mai 1972 et du14 novembre 1974, portant sur les Principes directeurs relatifs awe aspects économiques des

politiques de l'environnement sur le plan international, et sur la mise en œuvre du principepollueur-payeur. Voir P. DAILLIERet A. PELLET,op. cit., p. 1298-1299. Voir aussi: A.-c. KIss etI.-P. BEURIER,op. cit., p. 144.54. De nombreux instruments ayant trait à la protection de l'environnement mentionnent leprincipe du pollueur-payeur, sans toutefois en déterminer son contenu. C'est notamment le cas dela Déclaration de Rio qui, à son principe 16, dispose que « les autorités nationales devraients'efforcer de promouvoir l'internalisation des coûts de protection de l'environnement et l'utilisationd'instruments économiques, en vertu du principe selon lequel c'est le pollueur qui doit, en principe,assumer le coût de la pollution, dans le souci de l'intérêt public et sans fausser le jeu du commerceinternational et de l'investissement ». Certains auteurs, tels A.-C. KIss et J.-P. BEURlER,estimentque la formulation prudente du principe 16 laisse planer des doutes sur le caractère du principe dupollueur-payeur, qui semble être davantage un objectif économique qu'une règle de droitinternational. Voir A.-C. KISS et I.-P. BEURIER, op. cit., p. 144. Voir aussi: P. DAILLIER etA. PELLET, op. cit., p. 1298; P.-M. Dupuy, op. cit., p. 891 ; H. SMETS, « Le principe pollueur-payeur, un principe économique érigé en principe de droit de l'environnement? », RGDIP, 1993/2,p. 339-364.55. Sur les raisons qui peuvent expliquer les difficultés qu'il y a à cerner la portée du principe dupollueur-payeur, voir notamment: P. DAILLIERet A. PELLET,op. cil., p. 1299-1300.56. Voir Ibid., p. 1283, 1298.

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est clair: il s'agit du principe selon lequel l'opérateur d'une activité dangereusequi cause un dommage à l'environnement doit réparer les conséquences de celui-ci51.Il devrait en aller de même pour le principe de précaution, le sens général dece dernier étant également clair: il s'agit, en l'absence de certitude scientifique,d'adopter des mesures afin d'anticiper la survenance de risques potentiels - pourl'environnement ou la santeS - en l'occurrence de risques biotechnologiques.C'est ce que les articles 10.6 et 11.8 du Protocole Biosécurité, le principe 15 dela Déclaration de Rio, ainsi que de nombreux autres instruments juridiquesinternationaux59 prévoient, bien qu'en des termes relativement différents. Soninscription dans divers instruments, notamment à valeur conventionnelle, permetpar ailleurs au principe de précaution d'acquérir une certaine légitimité sur leplan international. Il appartient, de ce fait, au droit international public. Celadevrait permettre de lire l'Accord SPS, comme tout autre accord de l'OMC, enne «l'isolant pas cliniquement du droit international public )}60.C'est ce quel'OA avait affirmé dans l'affaire États-Unis - Normes concernant l'essencenouvelle et ancienne formule, plus communément appelée affaire Essence, àpropos du Gatt de 1994. Ainsi, le droit international public étant composé dedivers instruments juridiques, tels la Déclaration de Rio, la Convention sur ladiversité biologique ou encore le Protocole Biosécurité, faisant référence auprincipe de précaution, l'Accord SPS devrait être interprété à la lumière de cedernier.

Notons cependant que dans l'affaire Produits biotechnologiques, le GS adécidé de ne pas interpréter l'Accord SPS à la lumière de la Convention sur la

57. Voir Ibid., p. 1298.58. Voir C. NOIVILLE, « Principe de précaution et Organisation mondiale du commerce - Le cas ducommerce alimentaire », JDI, n° 2,2000, p. 263-297, p. 269.59. On peut entre autres citer: le Protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent lacouche d'ozone du 16 septembre 1987 (préambule, paragraphe 6) ; la Déclaration ministérielle deLondres de la deuxième Conférence internationale sur la protection de la mer du Nord du25 novembre 1987 (point 7); la Convention de Bamako sur l'interdiction d'importer des déchetsdangereux et le contrôle de leurs mouvements transfrontières en Afrique du 30 janvier 1991 -article 4, alinéa 3 f; la Convention d'Helsinki sur la protection et l'utilisation des cours d'eautransfrontières et des lacs internationaux du 17 mars 1992 (article 2); la Convention-cadre desNations unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992 (article 3, alinéa 3) ; la CDB du5juin 1992 (préambule, alinéa 9) ; la Convention de Paris pour la protection du milieu marin del'Atlantique du Nord-est du 22 septembre 1992 (article 2, alinéa 2 a»; le Protocole d'Oslo à laConvention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, de 1979, relatif à unenouvelle réduction des émissions de soufre du 14juin 1994 (préambule, alinéas 3 et 4) ;l'Amendement à la Convention de Barcelone pour la protection contre la pollution de la MerMéditerranéedu 10juin 1995- article4, alinéa3 a); l'Accord de New York sur les stocks depoissons grands migrateurs ou chevauchants différentes zones maritimes du 4 août 1995 (article 5,alinéa c, et article 6) ; l'Accord des Nations unies aux fins de l'application des dispositions de laConvention des Nations unies sur le droit de la mer du JO décembre 1982 en date du 4 août 1995(article 6) ; la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants du 22 mai 2001 -article 8, alinéa 7 a). Pour une liste plus complète des instruments juridiques concernés, voirA.-C. KIss et J.-P. BEURIER,op. cit., p. 136-138.60. OMC, Rapport de l'OA, États-Unis - Normes concernantl'essence nouvelleet ancienneformules, WT/DS2/ABIR, 29 avril 1996, 32 p., Section III B., p. 18. Voir aussi: OMC, Rapport duOS, Produits biotechnologiques, op. cit., paragraphe 7.49, p. 373.

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diversité biologique et du Protocole Biosécurité. La raison invoquée est purementformelle, puisqu'elle a trait à l'état des signatures et de la ratification de cesinstruments par les États parties au différend61 : si tous étaient membres del'OMC, tous n'avaient en revanche pas signé ou ratifié ces deux instrumentsjuridiques. Or, selon la Convention de Vienne sur le droit des traités, « un traiténe crée ni obligations ni droits pour un État tiers sans son consentement »62.

Seul l'Accord SPS était donc applicable aux relations entre les parties audifférend. Cela excluait par là même toute interprétation de ce dernier à lalumière de la Convention sur la diversité biologique et du Protocole Biosécurité,et ainsi, du principe de précaution, non sans subordonner, une fois encore, laréalisation du développement durable, à l'existence de risques biotechnologiquesavérés.

Dès lors, on constate que bien qu'elles s'accordent sur certains points, lesrelations entre l'Accord SPS et le Protocole Biosécurité sont assez conflictuelles.Certes, l'Accord SPS offre quelques possibilités d'anticipation des risquesbiotechnologiques dans le cadre de l'OMC, en autorisant les parties au Protocoleà adopter des mesures en ce sens, lorsque les preuves scientifiques pertinentesdécoulant de l'évaluation des risques effectuée sont insuffisantes. Toutefois, lespossibilités d'anticipation des risques biotechnologiques offertes par l'AccordSPS dans le cadre de l'OMC sont limitées. Les organes de règlement desdifférends de l'OMC ont en effet restreint la portée d'une telle insuffisance, enexcluant l'incertitude scientifique des facteurs permettant l'adoption de mesurespoursuivant cet objectif. Le champ d'adoption de telles mesures est d'autant pluslimité que les organes de règlement des différends n'ont pas reconnu l'autonomiedu principe de précaution en droit international, et par là, son autonomie parrapport à l'Accord SPS. Cela restreint la marge de manœuvre des parties quisouhaitent anticiper les risques biotechnologiques. Aussi le droit internationaléconomique et le droit international de l'environnement se concilient-ilsdifficilement sur ce point, ce qui n'est pas sans compromettre la réalisationeffective du développement durable.

61. Au le' mars 2007, la Convention sur la diversité biologique comptait 168 signatures et190 parties contractantes, et le Protocole Biosécurité, 103 signatures et 139 parties. L'état dessignatures et de la ratification de ces deux instruments juridiques peut être consulté à partir del'adresse internet suivante: http://www.biodiv.org.62. Voir l'article 34 de la Convention de Vienne. Il s'agit du principe de la relativité des traités,qui découle de la maxime pacta tertUs nec nocent nec prosunt. Voir P. DAILLIERet A. PELLET.op.cit., p. 242-243. La Convention de Vienne peut être consultée à partir de l'adresse internet suivante,http://untreaty. un. org.

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DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLEET POLITIQUES COMPARÉES

Développement urbain durable et politique de régénérationurbaine au Royaume-Uni

Aude CHASSERIAU'

En tant que géographe, il importe d'aborder la question du DUD et des projetsurbains du point de vue des transformations du tissu urbain et de la morphologiedes villes. L'éclairage géographique peut être intéressant dans le sens où ilapporte une analyse concrète des transformations à l' œuvre dans les villes et deleurs conséquences, notamment sociales dans la structure urbaine. Basé sur untravail de recherche en cours, nous présentons ici le processus et les politiques dela régénération urbaine, comment celle-ci œuvre pour et constitue un élément despolitiques de DUD actuelles.

Si le concept de développement durable, appliqué aux villes, a longtempsconcerné principalement des questions environnementales (gestion des déchets,de la pollution, préservation de l'environnement...), il s'insère aujourd'hui danstoutes les problématiques d'aménagement et de développement de la ville. Lesdéfinitions globales du développement durable ont progressivement évolué du« répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générationsfutures à répondre aux leurs» vers des définitions plus développées intégrant desquestions plus sociales (développement social et économique basé sur la notionde solidarité et associant efficacité économique, équité sociale et qualitéenvironnementale). La définition que donne notamment Roberto Camagni dansson ouvrage de 1997 est particulièrement éclairante, car il aborde plusieurs pointsimportants. Le développement urbain durable «est un processus basé surl'apprentissage collectif, la capacité de règlement des conflits et la volonté dedessein stratégique, et non sur l'application d'un modèle optimal prédéfini. Ils'agit de considérer ensemble les différents systèmes composant la ville (lesystème économique, le système social, le système physique - built and culturalheritage - et le système de l'environnement), dans leur coévolution et leurs

. CESTAN

interactions dynamiques [...], et non simplement de faire la somme d'aspects etd'objectifs différents ».

Cette définition est très intéressante car elle reprend plusieurs élémentsimportants de la gestion de la ville qui, justement, dans le cadre d'un projeturbain, dans le cadre de l'application concrète du DUD dans un projet urbain,peuvent se révéler plus difficiles à mettre en place qu'ils ne l'ont été à énoncer. Ils'agit tout d'abord de l'idée du collectif: la ville n'est plus décrétée par lesnotables, les édiles. On entre dans l'idée d'une multiplicité d'acteurs etd'intervenants, de la participation de tous. C'est cependant une constituantecomplexe qu'il faut effectivement apprendre. Et les exemples de projets urbainssont suffisamment nombreux pour nous montrer tous les déboires de la gestioncollective de ce genre d'outils. Il s'agit ensuite de l'idée de la stratégie, que l'onpeut raccrocher à la planification et qui doit dépasser le simple aspectarchitectural et physique de la ville: l'association du physique, de l'économiqueet du social, dans le but non pas de créer un bel élément architectural mais unquartier de ville qui fonctionne. Et là encore, face à des investisseurs qui veulentdu rendement, face à des municipalités en quête d'image, cette idée n'est pastoujours facile à faire passer dans un projet urbain.

Mais surtout, il s'agit de l'idée de ne pas se baser sur l'application d'unmodèle optimal prédéfini. Autrement dit, un projet urbain qui se veut durable nedoit pas appliquer des formules toutes faites, des opérations clés en main, maisintégrer suffisamment les spécificités locales pour, sans chercher à être unique etoriginal, cadrer avec le lieu, son environnement et ses habitants. Et c'estprobablement là que le bât blesse: en observant les grands projets urbains qui sedéveloppent dans la plupart des villes, force est de constater que l'on y retrouveles mêmes éléments, plus ou moins adaptés à l'histoire locale. Ce sont les parcsde loisirs, la culture contemporaine, les grands équipements, le tertiaire de hautrang, la mise en valeur des fronts d'eau.

Aujourd'hui, dans toutes les villes, on « fait» du développement urbaindurable. Les politiques nationales et locales sont là pour encadrer et inciter audéveloppement durable: Agenda 21, démarches HQE, etc. La planificationurbaine est d'ailleurs une obligation réglementaire européenne qui se base sur« la gestion urbaine durable, les transports urbains durables, la constructiondurable et l'urbanisme durable ». Dans cet ensemble, la notion de régénérationurbaine vient se placer comme un outil intéressant en faveur du développementdurable. C'est en effet un phénomène qui touche la plupart des villes et qui setraduit par un certain nombre de politiques urbaines, de projets urbains etd'opérations diverses. C'est la raison pour laquelle on parle souvent de« politiques de régénération ». Toutefois, au-delà des seules politiques et desprojets, il s'agit réellement d'une nouvelle phase de l'urbanisme et de laplanification urbaine. En parlant ici de régénération, nous parlons donc avant toutd'un processus en cours de transformation des villes et pas uniquement despolitiques qui sont impulsées dans ce cadre.

Il est aussi important de différencier régénération et renouvellement urbain, enpréférant le premier terme. Le terme de régénération est issu du vocable anglo-

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saxon urban regeneration, qui est effectivement le premier à être apparu (en tantque terme d'urbanisme, faisant référence à un processus spécifique et à despolitiques), dans les années 1960-1970. Il s'agissait d'un ensemble de politiquesvisant à contrecarrer les effets de la crise industrielle dans les anciens quartiersindustriels et dans les petites villes monofonctionnelles du nord de l'Angleterre.Le but était de requalifier les espaces, en particulier les friches industrielles, derevitaliser l'économie et d'aider les populations locales. Petit à petit, l'expressionde régénération s'est étendue à des espaces urbains en crise, sans pour autant quecelle-ci soit liée à la désindustrialisation. En France, le terme de régénérationurbaine est vraiment apparu dans la littérature scientifique à la fin des années1990 et s'est très vite vu remplacer par celui de renouvellement urbain. La raisonmajeure est que l'on a appliqué le concept à la question des quartiers d'habitatsocial alors en crise. Très vite, pour certains, la régénération correspond àl'aspect physique de l'entreprise, la requalification des friches industrielles,tandis que le renouvellement urbain fait office de politique globale, à la foiséconomique et sociale, en faveur des quartiers en difficulté. En abordant ici laquestion des projets de régénération urbaine, nous nous intéressons avant toutaux quartiers centraux et péricentraux de la ville et laissons volontairement decôté la question des quartiers d'habitat social. Au-delà d'un choix d'objetd'étude, la raison en est que ce terme correspond mieux, selon nous, à l'originedu concept britannique. Il permet aussi de ne pas réduire la question durenouvellement de la ville à celui des quartiers en difficulté. Quant au choix de laterminologie, c'est aussi une précaution. Avec les lois, les politiques,l'engouement pour ces politiques, le terme de renouvellement urbain est devenuun véritable « fourre-tout », approprié par les politiciens et leurs discours. Il y adonc derrière ce mot des connotations auxquelles il faut prendre garde.L'expression de régénération urbaine, consacrée par Claude Chaline en 1999dans son ouvrage du même nom, paraît plus appropriée d'un point de vuescientifique.

Enfin, d'un point de vue pratique, la comparaison entre la France et laGrande-Bretagne conduit à s'orienter vers des vocables comparables. À ce titre,la comparaison France - Grande-Bretagne est particulièrement intéressante. Laquestion de la régénération urbaine s'est posée plus précocement au Royaume-Uni qu'en France, l'industrialisation et la désindustrialisation y ayant été plusprécoces historiquement, et les Anglais ont donc une longueur d'avance sur lesFrançais de ce point de vue. De plus, le sujet n'est pas du tout abordé de la mêmefaçon dans les deux pays et, par conséquent, la place faite au DUO non plus. LaGrande-Bretagne est passée par des phases d'urbanisme beaucoup plus libéralesqu'en France où l'État et les collectivités ont toujours été très présents. Parconséquent, nous présenterons ici alternativement des exemples issus des casd'études de la recherche: Nantes et le projet urbain de l'Île de Nantes pour laFrance; et Sheffield avec ses deux projets de la Lower Don Valley et du CityCentre pour la Grande-Bretagne.

Il est clair que dans ces deux exemples, le développement durable a une placede choix et fait partie des objectifs primordiaux des projets urbains, dans le

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discours des élus et des acteurs. Malgré cela, les contraintes de terrain, lesintérêts des acteurs, les réalités économiques et politiques font que ces objectifsne sont pas toujours suivis, notamment sur la question des identités localesspécifiques. C'est ainsi que nous revenons à la définition de Camagni et auproblème de l'uniformisation des villes que pourraient entraîner les processus derégénération urbaine, et la compatibilité de cette uniformisation avec undéveloppement urbain réellement durable.

Pour ce faire, nous commencerons une présentation du contexte et de la réalitéde la régénération urbaine, suivie de celle des projets urbains de Nantes etSheffield pour finir sur la question des conséquences identitaires et sociales deces projets.

1. La régénération urbaine: éléments de contexte et réalités

Le contexte de la régénération urbaine correspond véritablement auxtransformations urbaines majeures au cours de l'histoire, c'est-à-dire celles quicommencent avec l'industrialisation puis le passage à la désindustrialisation. Ils'agit de toutes les évolutions économiques mais aussi sociales et urbanistiquesen général qui vont affecter la ville et provoquer des adaptations ou destransformations plus ou moins réussies.

Si l'on s'attarde sur la dimension économique de la ville, la ville étant alorsun espace économique où se développent des activités visant à la production derichesses, les principales transformations sont d'abord celles de l'industrialisationpuis celles de la désindustrialisation et du passage à une économie basée sur letertiaire. En effet, la ville médiévale puis la ville classique est avant tout tournéesvers des activités de négoce, qu'il soit terrestre, fluvial ou maritime. Ledéveloppement de l'industrie, à partir du XVllIesiècle impose une adaptation dutissu urbain. La forte croissance de l'industrie et l'économie qui se baseprogressivement sur cette activité majeure conduisent dans la ville à unespécialisation des espaces: en fonction des sources d'énergie, des matièrespremières, et de l'espace disponible, de grands secteurs se retrouvent voués àl'industrie. Si l'on prend l'exemple de Nantes, historiquement, Nantes est un portfluvial et maritime avec une importante activité commerçante. La fortune desNantais se bâtit d'ailleurs sur cette activité et c'est progressivement le capitalaccumulé par les armateurs et les négociants locaux, qui est réinvesti dansl'industrie. Celle-ci se développe le long des cours d'eau, la Loire et l'Erdreprincipalement.

Ce sont surtout les Îles de Loire qui au XI~ siècle accueillent les principalesindustries: les chantiers navals, les biscuiteries, les raffineries de sucre...Viennent s'ajouter les quartiers d'habitat ouvrier dans le péricentre et les anciensfaubourgs. De vastes espaces se spécialisent donc dans certaines parties de laville. Sheffield connaît la même spécialisation le long de la rivière Don,notamment dans la partie aval, la Lower Don Valley où se développe uneimportante industrie de l'acier et de l'inox, basée sur les matières premières

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disponibles et surtout sur des savoir-faire (invention de différents convertisseurspour l'acier, découverte de l'inox, savoir-faire de la coutellerie).

D'autres évolutions notamment urbanistiques comme le fonctionnalismed'après-guerre conduisent là encore à la spécialisation de certains espaces. Lefonctionnalisme prône la séparation des activités et le zonage urbain. À lareconstruction, nombre de villes connaissent alors une dichotomie radicale: d'uncôté les zones d'activités, notamment industrielles, et de l'autre les zonesrésidentielles, avec le centre-ville qui reste dédié à la fonction marchande et auxloisirs.

La désindustrialisation fait son apparition en Angleterre dès l'entre-deux-guerres mais est surtout manifeste dans les années 1950. Elle est la conséquencesoit de délocalisations en périphérie des villes mais aussi dans d'autres pays pluscompétitifs, soit de déclins et crises de certaines branches d'activitéstraditionnelles. En France, la désindustrialisation s'affiche surtout à partir desannées 1960-1970. On passe donc progressivement à une économie basée sur letertiaire. Ces activités n'ont pas les mêmes besoins en espace, en bâtiments, enlocalisations que les anciennes activités industrielles. Par conséquent onprivilégie de nouveaux emplacements, de nouvelles zones d'activité.

À cela s'ajoutent de nombreuses évolutions sociales et urbaines: révolutionsdans les transports, avènement de l'automobile individuelle, changements demodes de consommation... Ces évolutions se traduisent notamment par une fortepéri urbanisation, aussi bien des activités que des populations. L'étalementurbain est particulièrement fort dans les dernières décennies du xxe siècle, denouvelles centralités périphériques se développent autour des centrescommerciaux extérieurs, tandis que les centres-villes déclinent et perdentpopulations et activités. Puis avec la crise des années 1970, la montée duchômage et de la précarité, vient la crise des grands ensembles d'habitat social, laghettoïsation de certaines populations dans les cités et les banlieues.

Si l'on s'attarde principalement sur le tissu urbain central et péricentral, toutesces évolutions conduisent à des dysfonctionnements importants dans la ville. Onparle d'ailleurs, dans la période des années 1980-1990 de « ville en crise ». Faceà l'industrialisation, la ville s'est adaptée et spécialisée. Face à ladésindustrialisation et aux autres évolutions, activités et populations ont délaisséles anciennes localisations spécialisées pour défricher plus loin des terrainsvierges plus aisément utilisables et correspondant mieux aux nouveaux enjeuxéconomiques et sociaux. La ville se distend, on y perd les liens, la structurationentre quartiers. Quant aux anciens espaces spécialisés, ils sont abandonnés, sedégradent et entraînent la dégradation autour d'eux des quartiers adjacents. C'estle phénomène d'apparition des friches urbaines, le principe du cycle de vie desespaces urbains, notamment industriels.

La friche est l'état de l'espace urbain en fin de cycle, quand les activités sontparties. Mais si l'on considère que l'espace urbain connaît plusieurs cycles, lafriche n'est qu'un état temporaire. En effet, le phénomène n'apparaît pas avec ladésindustrialisation: il existe à toutes les époques, au fur et à mesure desévolutions et des transformations de la ville. Les friches apparaissent et

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disparaissent au gré de la pression foncière et du marché immobilier. Il existeainsi un jeu d'équilibre entre espaces utilisés et espaces vacants, en fonction del'offre et de la demande.

Pourtant, à partir des années 1960, le phénomène de friche prend unedimension particulière. Avec la désindustrialisation, un très grand nombre deterrains, souvent assez vastes et parfois pollués, sont libérés dans le péricentre ousur l'extérieur de la ville. On a soudainement une très grande quantité de frichesque le marché peine à absorber, d'autant plus que l'on est dans le contexte de lapéri urbanisation. On parle alors d'un blocage de la digestion des frichesindustrielles. C'est donc à partir de ce moment que le terme même de « friche»passe du vocabulaire agricole au vocabulaire de l'urbanisme. Ainsi à Nantes, surles Îles de Loire comme à Sheffield le long de la rivière Don, les trichesindustrielles se multiplient et peinent à trouver une requalification.

C'est donc dans ce contexte de transformation du tissu urbain et de la ruptured'équilibre dans le fonctionnement et le renouvellement des espaces que sedéveloppe la notion de régénération urbaine. L'idée, qui apparaît tout d'abord enGrande-Bretagne, est de lutter contre la dégradation des espaces anciennementspécialisés et contre la fuite vers la périphérie des activités et des populations. Larégénération urbaine intervient donc en fin de cycle de vie afin d'en susciter unnouveau: elle est en quelque sorte le lien entre deux cycles de vie pour un mêmeespace.

Face aux différents dysfonctionnements de la ville, notamment les frichesmais aussi l'étalement urbain, la crise des centres-villes et, par le biais durenouvellement urbain en France, la crise des quartiers d'habitat social, larégénération a pour but de fonder une nouvelle approche de la ville sur lesmouvements qui se mettent en place à la fin du xxe siècle: le retour au centre,recréer la ville sur la ville, densifier l'urbain, la ville compacte. L'idée est bien deréutiliser les espaces laissés vacants pour densifier la ville et stopper l'extensiondes agglomérations, avec des objectifs de développement durable: éviter unetrop grande spécialisation des espaces afin d'éviter de retomber dans un cyclemono fonctionnel résultant, lors du prochain changement social et économiquemajeur, en une nouvelle crise urbaine.

Ici viennent s'insérer les enjeux classiques du développement urbain durable:mixité sociale et fonctionnelle, transports en commun, aménagement des espacespublics pour recréer du lien social... Cela se traduit par des politiques, au niveaunational comme au niveau local, la loi SRU par exemple, mais aussi, à Lille, villepionnière en la matière, la politique de ville renouvelée qui s'articule au niveaude toute la communauté urbaine; et surtout, dans la plupart des villes, cela setraduit par des grands projets urbains qui visent à reconquérir les principalesfriches urbaines tout en produisant de nouveaux quartiers.

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II. Les projets de régénération urbaine à Nantes et à Sheffield

L'exemple est pris ici de deux villes avec leurs grands projets urbains, afin demieux cerner les détails de la régénération urbaine, notamment les enjeux, maisaussi les outils, les acteurs, les éléments divers en faveur du développementurbain durable.

A. Le cas de Sheffield

Pour Sheffield, la régénération urbaine s'est effectuée en deux temps. La villeest restée très spécialisée dans l'industrie de l'acier et de la coutellerie, malgréune diversification tertiaire, notamment au travers de l'université et du grandcentre hospitalier. Mais la qualité et les savoir-faire dans le domaine del'industrie à Sheffield ont permis de maintenir cette activité à un bon niveau,malgré la concurrence internationale, jusqu'au début des années 1980. Parrapport au reste de l'Angleterre, Sheffield ne connaît la crise industrielle quetardivement, mais par contre, celle-ci est très brutale. Sheffield devientrapidement une zone sinistrée dans la première moitié de la décennie 1980 (cequi donnera lieu au tournage de films comme Les Virtuoses ou The Full Monty).Les conséquences sociales de la crise sont énormes et la ville connaît un déclinphysique, économique et social. Tout est à reforger.

Sheffield est l'une des premières villes à profiter des organismes mis en placepar la politique nationale, c'est-à-dire les UDC, Urban DevelopmentCorporations, des organismes type SEM qui sont en charge de la régénérationdans certains secteurs. Le premier projet à Sheffield concerne la Lower DonValley. C'est l'objectif primordial qui doit redonner vie à la ville entière. Il s'agiten effet de cette grande vallée à l'est de la ville qui accueillait, le long de larivière Don, une vaste zone industrielle avec forges, aciéries... Elle représentepar conséquent une vaste zone en friche qu'il est important de requalifier pourl'image mais aussi pour améliorer les services de la ville, trouver une nouvelleidentité, un nouveau souffle économique. Le projet se tourne vers les loisirs et lesport. Nombre d'articles ont été écrits au sujet de la régénération de Sheffield parle sport. On a en effet construit dans la Lower Don Valley un énorme stadepouvant accueillir des manifestations nationales et internationales dans le but depromouvoir l'image de Sheffield. À ses côtés s'installent des établissements dejeux, cinémas, restaurants et un grand centre commercial périphérique estconstruit - celui-ci manquait à l'équipement d'une ville telle que Sheffield, de lataille de Nantes en termes de population mais beaucoup plus petite en termes derayonnement - appelé Meadowhall. Une ligne de transport en commun, leSupertram, réhabilitation du tramway, dessert, à partir du centre-ville, toute cettevaste zone dédiée au sport et aux loisirs.

L'idée de la revitalisation économique par de nouvelles activités entre tout àfait dans des enjeux de durabilité mais l'urbanisme et les solutions paysagèresproposées dans cette vaste zone laissent toutefois perplexe: urbanisme du centrecommercial à la façon des parcs d'attraction, vastes parkings et grandsétablissements... Il reste une bonne partie des traces du passé industriel

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(bâtiments, matériel industriel) et une activité industrielle a été maintenue et doits'étendre sous forme de zone industrielle. C'est l'idée de la mixité fonctionnelle.

Une fois ce souffle économique rendu à la ville, la seconde priorité a été celledu centre-ville. La culture anglo-saxonne a toujours été d'habiter en dehors ducentre, celui-ci étant réservé aux commerces et aux bureaux. Toutefois, cela rendle centre-ville désert le soir, d'autant plus qu'en journée aussi la fréquentation abaissé. La volonté a donc été de recréer une envie de centre-ville en termes defréquentation mais aussi en termes de logements: habiter en ville ne doit pas êtreuniquement pour les étudiants ou les populations pauvres. Tout un programme adonc été mis en place pour développer des logements de standing dans le centre-ville ou à proximité, pour développer des attractions telles que les jardins d'hiveret améliorer l'attractivité du commerce par des aménagements de l'espace public(piétonisation des rues, aménagements...) La ligne du Supertram traversed'ailleurs le centre-ville pour rejoindre ensuite l'université plus à l'ouest. Quantaux bâtiments industriels du centre ou du péricentre, notamment autour dusecteur de la gare ferroviaire, ils sont progressivement réutilisés, démolis etremplacés pour certains, dans l'objectif de développer un nouveau quartierd'activité industrielle: le quartier des industries culturelles, Cultural IndustriesQuarter. Ces ensembles regroupent télévisions et radio locales, industries de lamusique, du cinéma. . .

Au-delà des partis pris pour requalifier ces différents espaces, un aspectimportant est à noter: celui de la participation des habitants. Elle ne concerne pasdirectement les deux projets cités, puisque pour l'un comme pour l'autre, lesrésidents de ces quartiers sont assez rares. Il s'agit plus de l'ensemble desquartiers résidentiels qui entourent le centre-ville et que l'on nommeNeighbourhoods. Depuis quelques années, sous l'impulsion du gouvernementBlair, la régénération des quartiers résidentiels, notamment les plus précaires, estmise en œuvre par les habitants eux-mêmes, réunis en associations (le termeassociation n'est pas forcément adéquat puisqu'il ne correspond pas à ce que l'onentend en France; il reste cependant le terme le plus proche du point de vue de latraduction) ou communities. Il s'agit de l'Urban Renaissance qui tend àremplacer le terme de régénération dans les discours. L'idée n'est plusd'impulser des transformations au niveau des collectivités ou de l'État mais biende laisser les communities impulser elles-mêmes les changements et postulerpour des subventions. On est là dans un modèle de participation des habitantsinconnu en France: il ne s'agit plus de consulter la population sur un projet maisde la laisser construire le projet. Cette recherche étant encore en cours, nous nepouvons l'approfondir actuellement.

B. Le cas nantais

À Nantes, les enjeux n'ont pas été les mêmes qu'à Sheffield. Certes, la ville asouffert de la désindustrialisation et surtout de la crise des chantiers navals quiont fermé en 1987. Même si la ville a connu des années grises, sa diversificationlui a permis de ne pas sombrer comme Sheffield dans une grave crise

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économique et sociale. Pourtant, la vaste friche des chantiers navals, à proximitéd'un centre-ville qui perd de son intérêt face aux nouvelles centralitéspériphériques de l'agglomération, a suscité beaucoup de questionnements. Sansrefaire l'histoire de la friche des chantiers Dubigeon, il est important de notertoutefois qu'elle a plus ou moins encombré la municipalité qui ne savait quoi enfaire jusqu'à l'émergence du projet Île de Nantes à la fin des années 1990. L'idéeétait surtout que face à l'entité géographique que représente cette grande île sur laLoire, il n'était pas de mise de ne s'intéresser qu'à la reconquête de la friche.Progressivement, entre l'étude Perrault en 1992 et le marché de définition de l'Îlede Nantes en 1999, s'est mis en place l'idée d'un vaste projet d'ensemble devantredonner une cohérence à cet espace hétéroclite. L'Île de Nantes (ce nom a étéchoisi pour le projet afin de mieux cerner son objet même mais il entredifficilement dans le discours de la population) a en effet une histoire longue quiexplique cet état de fait. Il s'agit tout d'abord d'un chapelet d'îles qui ont étéregroupées par comblements successifs des boires et bras de Loire au cours duXIXeet du début du xxe siècle. L'île unique qui en résulte se compose alors detrois quartiers distincts: au centre, autour de la ligne de tramway, un ancienfaubourg commerçant, quartier résidentiel mixte; à l'ouest, un secteur trèsindustriel; à l'est, un secteur tertiaire, Beaulieu, urbanisé dans les années 1960-1970. Ainsi, lorsque la municipalité achève, à la fin des années 1990, le chantierdu tramway et celui de la rénovation du secteur Madeleine - Champ-de-Marsl'idée d'un grand projet pour l'Île de Nantes devient possible.

Il s'agit bien ici de recréer de la ville sur la ville, de remettre de la cohérenceet de la cohésion dans un vaste territoire, de retisser des liens entre les quartiers,de produire un nouvel espace, un nouveau territoire urbain à proximité du centre-ville et de profiter de l'espace libre pour étendre des activités congestionnéesdans le centre. Le projet va donc bien au-delà de la simple requalification d'unefriche. Les opérations prévues doivent se faire avant tout sur le long terme. Lemarché de définition proposé par la municipalité (aujourd'hui repris par lacommunauté urbaine) ne concerne que l'aménagement des espaces publics, avecune maîtrise d'ouvrage sur 10ans, l'équipe lauréate étant celles des architectesassociés Chemetoff et Berthomieu. Du point de vue du développement durable,le projet reprend là encore des objectifs classiques: mixité fonctionnelle etsociale (par l'implantation de logements sociaux sur le territoire mais aussidirectement au sein des immeubles construits), densification de la ville,développement des espaces publics, développement des transports en commun(notamment le busway). La ville de Nantes y installe aussi un certain nombred'équipements. C'est d'ailleurs ainsi qu'elle a opéré un levier économique pourattirer des investisseurs sur ce terrain, en implantant le nouveau palais de justicepar exemple. Un certain nombre d'équipements de loisirs et de culture sontprévus sur le site des chantiers navals, de même qu'un grand ensemble detertiaire de haut rang, Euronantes, qui doit être relié au quartier de la gare TGV etdu secteur Madeleine - Champ-de-Mars.

Là encore, il est toutefois possible de discuter des partis pris et des choixeffectués dans le cadre de ce projet. Mais ce qui est intéressant dans ce projet

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c'est le principe du plan-guide, établi par l'équipe d'architectes, et le principed'une gestion par la négociation, deux éléments qui rejoignent les objectifs et lesenjeux du développement durable. En effet, pour l'Île de Nantes, le projetproposé par les architectes a été celui d'un plan-guide, c'est-à-dire un livret decartes accompagné d'un cahier des charges ne reprenant que des grandesorientations, dans le but d'orienter le développement et le projet sans pour autantle figer dans l'espace et le temps. L'idée est celle d'une gestion souple, évolutive,pouvant s'adapter aux changements économiques, sociaux, politiques... Parconséquent, le plan est revu et transformé régulièrement, sans pour autant perdresa cohérence de départ. Pourtant, ce plan n'a aucune valeur réglementaire etobligatoire. Ce n'est pas un document légal comme une procédure de ZAC ou dePLU. Par conséquent la gestion du projet ne peut se faire uniquement par le plan-guide. L'autre outil indispensable est donc celui de la négociation. Une SEM aété créée en 2001 pour gérer le projet, la SAMOA, et c'est elle qui négocie. Eneffet, le marché de définition et le contrat des architectes ne concernent que lesespaces publics. Ils ont défini des orientations pour les parcelles alentours maisen aucune façon le contenu des opérations qui s'effectuent par des investisseursprivés (ou publics s'il s'agit de l'implantation d'équipement). Lorsqu'unpromoteur se présente pour occuper et construire une parcelle, il faut alorsnégocier pour lui faire accepter les conditions du plan-guide, ce qui apparemmentjusqu'à aujourd'hui s'est effectué sans réelle difficulté.

On voit bien dès lors l'évolution d'un urbanisme sur plans rigides etopérations pré définies vers un urbanisme plus souple et négocié entre les acteurs,dans le sens d'un développement plus durable.

Les conclusions présentées ici ont pour but d'ouvrir des pistes de réflexion etde débat, des questionnements quant aux rapports entre les projets derégénération urbaine et les enjeux et objectifs du développement durable. Troisinterrogations seront ainsi posées.

Le premier questionnement concerne avant tout les aspects sociaux de cesgrands projets. Certes, en Angleterre, les communities s'insèrent dans leprocessus de régénération et assurent une grande partie de la renaissance desquartiers. Mais il s'agit des quartiers péricentraux. Le centre et les grands projetsde régénération urbaine ont tendance à contribuer à l'augmentation de laségrégation sociospatiale par un phénomène de gentrification ouembourgeoisement des quartiers régénérés. Ce sont généralement des quartiersanciennement ouvriers, par exemple pour l'Île de Nantes, où l'on construit entotale opposition avec l'histoire locale des logements de standing sur la Loire, ou,à Sheffield, le long du Canal Basin. Il y a certes des objectifs de rendementd'investissement et un jeu du marché immobilier qu'il est difficile decontrecarrer. Toutefois, le phénomène n'est pas nouveau, avecl'embourgeoisement récent des centres, et ces grands projets, malgré la mixitésociale affichée, tendent à renforcer ce mouvement. Est-ce durable?

Dans un second temps, il est clair que les grands projets qui sont développéspar les villes ou les communautés urbaines, s'ils ont un certain nombre d'enjeuxdurables et sociaux, sont avant tout des projets commerciaux. Les municipalités

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investissent beaucoup pour avant tout développer l'image de la ville et la hisser àun rang particulier dans la compétition internationale. Il s'agit dès lors de grandesopérations de marketing urbain, où l'on fait appel à des architectes de renom et àdes grandes opérations architecturales marquantes. L'objectif des élus est devendre leur ville, aux investisseurs, aux touristes... Pour Nantes, le grand projetde l'Île de Nantes est une vitrine énormément mise en avant, notamment autravers de l'opération du centre tertiaire Euronantes. Cet objectif marketing est-ilcompatible avec les objectifs et la philosophie du développement durable?

Enfin, le dernier questionnement concerne l'uniformisation des villes et leproblème des identités locales, qui rejoint dès lors la question de la préservationdu patrimoine local. En effet, si on regarde uniquement Nantes et Sheffield, onretrouve les mêmes éléments de base des projets: la culture, les loisirs, letertiaire supérieur. À Sheffield, on construit un quartier d'industries culturelles, àNantes, c'est une fabrique de musiques contemporaines. Les discours des élusont beau vanter l'unicité et l'originalité de leurs projets, les éléments onttendance à s'unifier. Si on regarde ailleurs, ne serait-ce que pour Euronantes, onretrouve Euralille à Lille et à Marseille, Euroméditerranée. Dans cette volonté demarketing urbain, on cherche finalement à avoir les mêmes produits que lesautres villes mais cela tend à gommer les spécificités locales. Pourtant, lesquartiers concernés sont généralement marqués par une forte identité locale,souvent ouvrière et populaire. La nouvelle ville que l'on crée dans ces endroits,avec des logements de standing, de l'art moderne, du tertiaire supérieur, n'asouvent plus rien à voir avec la vie locale qui s'y déroulait auparavant, si ce n'estque l'on garde effectivement un patrimoine bâti, comme la structure des nefsDubigeon sur l'Île de Nantes. Mais qui saura dans quelques décennies que lesstructures métalliques du toit de la fabrique de musiques contemporaines étaientcelles d'ateliers de construction navale? On tend ainsi vers un modèle de villerenouvelée, de ville régénérée qui, en s'adaptant au terrain et à quelquesparticularités locales (l'éléphant et les machines de l'Île de Nantes sont construitsavec les techniques de construction des coques de bateaux), se retrouvefinalement dans toutes les cités et perd alors de son intérêt. Dans ce contexte, oùest la durabilité ?

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DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLEET POLITIQUES COMPARÉES

Les politiques communautaires de soutienau « tourisme durable»

Magali BOUDARD*

Si la définition du tourisme peut sembler évidente, tant le concept est parlantpour chacun d'entre nous, il convient cependant, préalablement à toute réflexionde fond sur le sujet, d'en donner une définition précise.

Ainsi, le tourisme comprend les activités déployées par les personnes au coursde leurs voyages et de leurs séjours dans des lieux situés en dehors de leurenvironnement habituel à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs. Parailleurs, les visiteurs qui passent au moins une nuit dans un moyend'hébergement collectif ou privé dans le lieu visité sont des touristes!.

S'interroger aujourd'hui sur le tourisme, c'est se pencher sur ce que l'onconsidère comme la « super-industrie du xx! siècle »2. Les tendances indiquentque le tourisme conventionnel a augmenté au cours des quinze dernières annéeset continue à augmenter.

Cette activité économique de premier plan se distingue par sa transversalité,touchant une multitude de secteurs, d'acteurs, d'intérêts et d'objectifs différents.En conséquence, elle ne peut manquer de provoquer des effets très particulierssur nos milieux de vie et particulièrement sur notre environnement, d'autantqu'au fil du temps, de pratique élitiste, le tourisme est devenu un phénomène demasse. Dès lors, les impacts de cette activité, de ponctuels et limités dans letemps et l'espace, se sont accentués et généralisés.

Le tourisme occupe aujourd'hui une place prépondérante dans l'avenir dessociétés et des populations. On a maintes fois, au cours des dernières décennies,insisté sur la nécessité et l'urgence de rendre les activités humaines plus viablessur tous les plans et particulièrement sur le plan écologique.

.DCS-CERP3E

1. Rapport présenté par F. CHAUSSEBOURG,Conseil économique et social, Le tourisme, un atout àdévelopper, Séance des 25 et 26 juin 1996, JO n° 4314, p. 9.2. C. HERNANDEZ-ZAKlNE.Fascicule 507 JCN Environnement, Tourisme et environnement,Version 4/2004, p. 4

Plus qu'aucune autre activité, le tourisme se nourrit d'environnement. Il estnotamment source de production massive de déchets et de pollution, ce qui estaggravé par l'accroissement saisonnier de la densité de population, lequelalourdit de plus le fardeau sur les infrastructures locales.

Les relations entre tourisme et environnement s'avèrent en conséquence, dansla plupart des cas, particulièrement tumultueuses. Il faut dire que, pourl'essentiel, les emprises touristiques se sont développées et se développent encoredans des milieux tels que le littoral et la montagne, c'est-à-dire des milieux ditsgénéralement fragiles. Le tourisme privilégie les paysages de qualité, voirespectaculaires. Ainsi, les sites naturels fragiles constituent par évidence desattractions touristiques.

Cet état de fait génère des frictions entre les différentes vocations attribuéesau site. Promoteurs du tourisme et de la conservation de la nature entretiennentdes relations oscillant entre la coexistence (situation rarement statique) et leconflit (particulièrement lorsque le tourisme et ses répercussions sont néfastespour la nature).

Une relation symbiotique entre acteurs, basée sur de nouveaux modes degestion touristique, constitue l'objectif à atteindre3. C'est cet objectif que sefixent les politiques de développement durable du tourisme.

Il s'agit maintenant de comprendre comment tourisme et développementdurable peuvent être associés.

Dans le contexte que l'on vient d'exposer, et comme dans la majeure partie denos activités, productrices de fortes nuisances, le concept de développementdurable s'est immiscé dans la gestion des activités touristiques.

Rappelons la définition du développement durable donnée en 1987 par lerapport de Mme Brundtland, alors Premier ministre de Norvège et présidente dela commission des Nations unies sur l'Environnement et le développement:

Un processus de changement par lequel l'exploitation des ressources, l'orientationdes investissements, les changements techniques et industriels sont en harmonie etrenforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins des hommes.

Le tourisme durable s'inscrit dans une perspective globale qui cherche àfusionner le développement durable et l'industrie touristique. Il tâche d'établir unéquilibre entre une variété de préoccupations économiques, socioculturelles etécologiques aux paliers international, national et local4.

Si l'on se place du point de vue de l'Europe communautaire, la Commissioneuropéenne5 définit le tourisme durable comme un tourisme économiquement etsocialement viable sans atteinte à l'environnement et à la culture locale. Ce quise traduit par une réussite économique; une conservation, une préservation et undéveloppement de l'environnement, ainsi qu'une responsabilité envers les

3. Voir note 2.4. Voir note 2.5. Communication ITom the commission to the council, the European parliament, the Europeaneconomic and social committee and the comittee of the regions. Basic orientations for thesustainability of European tourism. Communication of the European communities. Brussels,21.11.2003. COM(2003) fmal.

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valeurs sociales et culturelles6. Le développement du tourisme durable est lié àune progression en qualité plutôt qu'en quantité. Sa prémisse fondamentale estque les visiteurs d'aujourd'hui ne devraient aucunement compromettrel'appréciation des générations futures7. Le tourisme durable est undéveloppement touristique qui minimise ses incidences négatives et maximise sesincidences positives sur l'environnement socioculturel et écologique, grâce à laplanification et à la gestion8.

Le but est de passer de l'aménagement pur et dur du territoire à son« ménagement »9, Ce qui implique l'abandon d'un tourisme de type « fordiste»et des « produits touristiques» en faveur des « lieux touristiques ». Malgré lesapparences, nous sommes loin de banales considérations sémantiques.

À travers le concept de développement durable, on a « découvert» que leprogrès technique n'est pas nécessairement en opposition avec le maintien d'unebonne qualité environnementale, voire avec son amélioration.

Le tourisme, non sans paradoxe, peut être analysé, tour à tour, comme facteurde dégradation de l'environnement10 et comme source de préservation de celui-ci. Promouvoir le tourisme durable, c'est faire le choix de la seconde option. Oncherche à « vivre des valeurs» Il, pas seulement à « voir ». Bref, on introduit uneéthique dans le tourisme1z.

Le tourisme durable, même armé des meilleurs sentiments, ne sauraitcependant représenter la panacée universelle. Les discours euphorisants sur letourisme durable ne parviennent pas à compenser les défaillances etmanquements d'une recherche touristique embryonnaire.

Ceci étant, en devenant un cadre récurrent de l'action politique, le tourismedurable permet d'estomper la frontière entre environnement et aménagement.Rappelons qu'initialement, dans le meilleur des cas, les questions

6. On retrouve ici les termes employés par l'article premier de la Charte du TO de l'OMT adoptéeen 1995.7. Voir note 2.8. Le tourisme durable dans les régions naturelles (99.01.05). Document de travail préparé pour ledialogue sur l'écotourisme durable dans les régions naturelles d'Amérique du Nord, 27 et 28 mai1999. Commission de coopération environnementale. Montréal, Canada. Le développement del'écotourisme durable dans les régions naturelles d'Amérique du Nord: contexte, enjeux etpossibilités.9. F. POTIER et F.DEPRAS, « Le tourisme à l'épreuve du développement durable », RevueTerritoires. Tourisme participatif, équitable, durable. Du nouveau sous le soleil. JI' 449, Cahier 2,juin 2004, p. 13.ID. Comme le rappelle l'ouvrage coordonné par M. STOCK,Le tourisme. Acteurs, lieux et enjeux,Belin. Sup. Géographie, 2003 : « cette transformation du milieu par le tourisme, fut, pendantlongtemps, célébrée comme des preuves du génie humain et de sa capacité à maîtriser la nature laplus rétive ».1I. Lire l'article de R. NIFLE, « Le tourisme des valeurs. Une approche qui change tout pour lesterritoires ». http://journal.coherences.com12. Lire l'article « L'éthique dans le tourisme. La nécessité d'un engagement politique des États ».in B. DUCRET, Cahiers Espaces na 67, p. 48 à 52. Soulignons sur la question de l'éthique dans ledomaine du tourisme, que l'OMT a approuvé un Code mondial d'éthique du tourisme à l'occasiond'une AG à Santiago du Chili, en septembre-octobre 1999.

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environnementales étaient considérées comme des «suppléments d'âme» enmatière de planification.

Malgré l'ampleur des carences constatables à l'heure actuelle, le tourismedurable semble être la meilleure solution - sinon l'unique solution - pourl'avenir. Si l'on peut émettre des doutes concernant sa rentabilité, force est deconstater que le tourisme durable est le meilleur gage d'une rentabilité durable,de la préservation de l'activité elle-même car il permet de préserver l'attractivitéet donc le succès d'une destination.

Avant d'aborder plus précisément le cœur de notre sujet, il est nécessaire deprocéder à un éclaircissement terminologique rapide au sujet de diverses notionsqui se présentent parfois - de manière erronée - comme synonymes du tourismedurable.

Ainsi, on assimile souvent le tourisme durable à l'écotourisme. Ce dernier estun marché à créneaux à l'intérieur du tourisme durable. Il s'agit de tourismedurable dans les régions naturellesl3. L'écotourisme est une composante dusecteur touristique et une sous-composante du tourisme durable. L'écotourismeest axé sur le contact avec la nature (observation d'oiseaux, d'écosystèmes,randonnée pédestre, ateliers éducatifs, etc.) et des cultures humainestraditionnelles. La démarche du tourisme durable est plus large que l'écotourismecar elle vise l'ensemble de l'industrie touristique, elle traite aussi bien desespaces naturels que des espaces ruraux ou urbains, elle intègre la notion depatrimoine culturel et architectural et préconise une modification à partir dudomicile des touristes et non pas seulement dans les pays visités. Pourl'anecdote, on peut relever trente-cinq termes liés à celui d'écotourisme, ceconcept étant, si l'on peut dire, utilisé « à toutes les sauces »14 : tourisme vert,tourisme écologique, tourisme doux... Ces termes ont en commun certainsconcepts généraux mais ne sont pas nécessairement synonymes.

Nous nous concentrerons pour notre part sur le concept de tourisme durabletel que défini précédemment.

Les termes du sujet étant clairement définis, il s'agit maintenant d'aborder unpoint fondamental: quels sont les enjeux pour l'Union européenne (UE) entermes de promotion du tourisme durable?

Le tourisme est l'un des secteurs les plus importants et les plus en expansionde l'économie mondiale, certes, mais aussi, voire surtout, de l'UE. L'Europeconstitue la première destination touristique mondiale. Les arrivéesinternationales en Europe ont grimpé de 25,3 millions en 1950 à 414 millions en2003, et l'on prévoit d'atteindre les 717 millions en 2020, ce qui signifie unquasi-doublement en deux décennies15.

13. Voir note 2.14. À ce sujet, lire « Tourismes participatif, équitable, durable. Du nouveau sous le solei! ». RevueTerritoires n° 449, Cahier n° 2, juin 2004, p. 9.15. The European Tourism industry. A multi-sector with dynamic markets. Structures,developments and importance for Europe 's economy, European Commission, Enterprisepublications, Report prepared for the enterprise DG (Unit D.3) of the European Commission,R. LEIDNER,March 2004.

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En 2005, le secteur du tourisme dans l'UE employait environ 7 millions depersonnes dans quelque 2 millions d'entreprises, la plupart petites et moyennes,et représentait 5 % du PIB, dans sa définition la plus stricte (hôtels, restaurants,cafés, bars, agences de voyages et tours opérateurs). Dans sa définition la pluslarge (comprenant des secteurs connexes tels que le transport), il représentait plusde Il % du PIB et plus de 20 millions d'emplois16.

L'introduction de l'euro, la libéralisation des différents secteurs de transportet l'avancement du processus d'intégration sont autant d'éléments qui vontfaciliter encore les déplacements à l'intérieur de l'Union. La mise au point denouvelles technologies de l'information va permettre, pour sa part, de toucherd'autres marchés touristiques et de simplifier la planification des vacances.Enfin, l'adhésion des pays d'Europe centrale ouvre les portes de nouveauxmarchés.

L'élargissement progressif de l'Union à de nouveaux États membres à fortpotentiel touristique va très certainement, dans l'avenir, contribuer à renforcerencore le poids économique du secteur et son importance pour la croissanceeuropéenne.

Il faut aussi compter avec le vieillissement graduel de la population de l'UE etses conséquences sur le marché touristique en termes notamment de saisonnalité,d'immobilier et de services. Ainsi, la part de personnes de plus de 65 ans, de16,2 % en 1999, passera à 26,3 % en 204017.

Parallèlement, on assiste à une demande croissante au niveau européen d'uneidentification de lignes directrices stratégiques et de mesures nécessaires à laréalisation d'un développement touristique durable. Ainsi, en 1999, les formes« alternatives» ou « non conventionnelles» de tourisme affichaient déjà un tauxde croissance près de trois fois supérieur à celui du tourisme classique. Ce quin'est pas sans être lié au fait que selon une étude Eurobaromètrel8, premièreétude sondant les attitudes des citoyens vis-à-vis de l'environnement dans lesvingt-cinq pays de l'Union élargie, neuf Européens sur dix estiment que lesdécideurs politiques devraient porter autant d'attention aux problèmesenvironnementaux qu'aux facteurs économiques et sociaux lors des décisions.Par ailleurs, l'environnement est en train de devenir, s'i! ne l'est déjà, unecomposante incontournable de la stratégie des entreprises et des collectivitésterritoriales.

La rencontre des ministres européens du Tourisme à Lille en novembre 2000a permis de dessiner les contours d'un tourisme durable européen. Depuis, lesinitiatives se sont multipliées. Pourtant on ne constate toujours aucun

16. Données du ministère français des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer,www.europe-international.equipement.gouvjr. Voir aussi les données de la Résolution(2004/2229(INI» du Parlement européen sur les nouvelles perspectives et les nouveaux défis pourun tourisme européen durable.17. The European Tourism industry. A multi-sector with dynamic markets. Structures,developments and importance for Europe 's economy, European Commission, Enterprisepublications. Report prepared for the enterprise DG (Unit D.3) of the European Commission,R. LEIDNER.March 2004.18. « Les attitudes des citoyens européens à l'égard de l'environnement »,janvier 2005.

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changement significatif des pratiques non durables de consommation et deproduction au sein du tourisme européen. Ce dernier n'est toujours pas adaptéaux principes fondamentaux de la durabiIité, notamment au regard des transports,de la répartition saisonnière des loisirs touristiques et de leurs conséquences nondurables du point de vue économique, social ou environnementaI. Les mesurespréconisées, souvent pleines de bonne volonté, n'ont pour la plupart aucun effetnotable. Malgré les initiatives en cours (guides de bonnes pratiques, chartes,principes...), aucune modification significative des modèles de consommation etde production n'est observable dans le tourisme européen 19. Les raisons citéessont les suivantes: pas d'incitation suffisante pour une transposition desdirectives sur le terrain, aucune internalisation des coûts socio-économiques etenvironnementaux, des comportements de consommation individuels, desmessages souvent complexes.

Le bilan concret de l'action européenne en matière de tourisme reste assezpauvre et le tout manque sérieusement de lisibilité, l'essentiel de l'actioncommunautaire intéressant le tourisme s'opérant dans le cadre des décisions, despolitiques et des interventions développées dans d'autres champs de compétence.

Une question centrale se pose désormais pour le développement de l'industrietouristique européenne: comment l'activité touristique et sa progression attenduepour les vingt prochaines années peuvent-elles être gérées de manière à respecterles limites des ressources, et la capacité de ces ressources à se régénérer, tout engarantissant une réussite commerciale20 ?

Pour la Commission européenne2!, assurer la durabilité économique, socialeet environnementale du tourisme européen est crucial, dans l'optique d'unecontribution au développement durable aussi bien en Europe que pour le mondeentier, et pour la viabilité, la progression continue, la compétitivité et le succèscommercial de ce secteur économique de haute importance22.

Depuis le milieu des années 1990, le développement du tourisme durable estdevenu une priorité dans les discours des institutions européennes. La difficultévient des modalités de concrétisation des objectifs, sachant que l'Europe estcaractérisée par sa diversité, ce qui entraîne la nécessité de définir pour un certainnombre de zones des challenges spécifiques.

Beaucoup d'initiatives sont en cours de promotion et de réalisation. Ce qui nesuffit pas à cacher le fait que les relations entre l'UE et le secteur du tourismerestent difficiles.

19. À ce sujet, consulter le site www.enviropea.com. article « Communication de la CommissionCOM(2003)716. Orientations de base pour la durabilité du tourisme européen: rien d'exceptionnelsous le soleil de Bruxelles ».20. Voir note 10.21. Communication from the Commission to the Council, the European Parliament, the Europeaneconomic and social committee and the committee of the regions, « Basic orientations for thesustainability of European tourism », Commission of the European communities. Brussels, 21 novo2003 COM (2003) final.22. Rappelons à ce sujet que l'objectif du Conseil européen de Lisbonne (23-24 mars 2000) est defaire de l'Europe l'économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde. Or on reconnaîtsans difficultés l'importance du tourisme comme secteur économique.

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Si le tourisme est concerné par de nombreuses initiatives et programmescommunautaires, il ne constitue toujours pas à ce jour une politiquecommunautaire avec des objectifs et une stratégie propre, et, en vertu du principede subsidiarité, il relève avant tout de l'action des États membres. Cependant, lepoids économique de ce secteur pousse les institutions communautaires àintervenir. Le tourisme est un secteur transversal qui est concerné par denombreuses politiques européennes (transport, logement, emploi, environnement,aménagement du territoire...), ce qui implique une prise en compte croissante auniveau de l'Union.

La question de la compétence de l'UE en matière de tourisme est loin de fairel'unanimite3. Les tentatives d'émergence de véritables programmescommunautaires consacrés au secteur, comme le programme PHILOXENIA, ontavorté du fait des positions divergentes des États. Beaucoup répugnent à toutetentative d'institutionnalisation d'une politique communautaire du tourisme. LeTraité CE, en l'état, ne permet pas à la Communauté de mener une politiquepropre du tourisme. C'est le traité de Maastricht qui en premier parle de mesuresdans le domaine du tourisme, comme complément des objectifs communautaires,grâce à l'introduction d'une disposition, la lettre u de l'article 3, laquelle autorisela Communauté à prendre dans le cadre d'autres politiques des mesuresd'orientation et de développement de ce secteur. C'est ainsi que s'appliquent autourisme les dispositions relatives à la libre circulation des personnes, desmarchandises et des services, aux petites et moyennes entreprises, à la politiquerégionale... La Commission ne peut proposer de mesures en faveur du tourismeque sur la base de l'article 308 du Traité de Maastricht, qui prévoit que le Conseildoit statuer à l'unanimité, sur proposition de la Commission et après consultationdu Parlement européen. Or, la mésentente Nord/Sud a longtemps freiné toutetentative communautaire en matière de tourisme.

C'est finalement le concept de développement durable, qui, en s'immisçantdans le domaine du tourisme, va opérer une sorte d'impulsion et permettre denouvelles opportunités. La construction du tourisme européen est en route, autourdu thème consensuel du «durable ». Depuis ce début de XXI" siècle, nousassistons à une plus grande mobilisation des institutions européennes autour desnouvelles perspectives pour le tourisme européen, envisagé comme durable.Autour d'une foison de communications et résolutions, un véritable plan d'actioneuropéen va se dessiner, même si celui-ci reste caractérisé par un éparpillementde mesures.

Qu'en est-il, derrière ces démonstrations de bonne volonté, des réalisationsconcrètes?

Afin d'en juger, nous allons maintenant proposer des exemples de politiquesde soutien au tourisme durable menées par l'UE. Il est bien entendu impossiblede prétendre à l'exhaustivité, notamment en raison de l'éparpillement desmesures et de l'intérêt très relatif de certaines d'entre elles. Nous avons donc fait

23. Lire notamment J.-Cl. GUICHENEyet G. ROUZADE « Tourisme et politique communautaire: un

double paradoxe », 21 octobre 2003.

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le choix de présenter quelques axes d'action privilégiés en nous basant sur lesorientations récentes que l'UE a choisi de promouvoir. Ainsi, la Commission aprésenté une communication24, le 17 mars 2006, intitulée « Une nouvellepolitique européenne du tourisme: renforcer le partenariat pour le tourisme enEurope ». Il s'agit de répondre aux défis actuels auxquels le secteur touristiqueest confronté et d'exploiter pleinement son potentiel. Pour cela, la Commissionvise plusieurs domaines d'action, notamment des mesures d'intégration, quipasseront par une amélioration de la réglementation existante. Le but est d'éviterde cumuler les charges administratives qui peuvent nuire à la compétitivité dusecteur, d'assurer la promotion du tourisme durable et l'amélioration de sacompréhension et de sa visibilité. Le mot d'ordre, c'est l'optimisation du cadred'action existant.

De cette « nouvelle politique européenne du tourisme », nous retiendrons pournotre part trois axes principaux que nous étudierons successivement:

- la promotion du tourisme durable et la coordination des politiques;- les actions spécifiques menées en faveur de la durabilité du tourisme

européen, basées sur le partenariat et la création de réseaux;

- l'utilisation optimale des instruments financiers disponibles, en faveur dutourisme durable.

I. La promotion d'outils basés sur la responsabilisation desacteurs, le volontariat et le partenariat

La promotion de ce que l'on nomme traditionnellement les « bonnespratiques» laisse supposer que tout l'essor de notre tourisme conventionnelrepose bel et bien sur de « mauvaises pratiques»... Dès lors, comment assurer ladiffusion et la généralisation des « bonnes pratiques» ?

Il est fondamental d'assurer la coordination des acteurs du tourisme afin depermettre l'échange d'expériences et de bonnes pratiques. C'est ce qu'affirmaitdéjà la Présidence portugaise à l'occasion du séminaire de Vilamoura enmai 2000: « Il faut articuler les activités développées dans les institutionsnationales, régionales ou locales, mettre l'accent sur les bonnes pratiquesexistantes et assurer, par le biais des mécanismes adéquats, la mise en œuvre desdifférentes politiques communautaires qui, chacune dans leur cadre, peuventfavoriser le tourisme. »

Le travail de recherche sur la définition des paramètres, des outils de mesureet systèmes d'évaluation, tant de l'état d'une variable donnée que de l'effet desmesures prises pour l'améliorer, est une priorité. Cela passe dans un premiertemps par l'élaboration d'indicateurs.

Par quels moyens peut-on mesurer et comparer les succès du tourismedurable? Le touriste peut-il être certain que des destinations dites « durables» lesont effectivement, et qu'il ne s'agit pas seulement d'une étiquette collée sur unproduit pour mieux « surfer» sur la vague du développement durable?

24. COM (2006) 134 final (non publié au JO).

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A. Les initiatives des acteurs institutionnels

Depuis le début des années 1990, l'OMT25 encourage l'emploi des indicateursdu tourisme durable, instruments essentiels pour la prise de décisions, laplanification et la gestion au niveau des destinations26. Sur ce point, laCommission européenne a entrepris la promotion de la mise en œuvre dedonnées fiables et harmonisées.

L'Agence Européenne de l'Environnement27 a établi des indicateurs clés ettravaille aux mécanismes susceptibles de lier tourisme et environnement dansune approche intégrée. Cette Agence a un rôle crucial à jouer dans la collected'informations qui permettront d'évaluer l'efficacité des mesures. C'est la plaquetournante du réseau européen d'information et d'observation de l'environnement.

Eurostat élabore également une méthodologie afin de mesurer ledéveloppement durable du tourisme et de sélectionner des indicateurs à même defournir une aide précieuse.

Le Parlement européen invite parallèlement la Commission et les Étatsmembres à mettre en place au niveau européen un groupe de contact associant lesÉtats membres et les voyagistes afin de coordonner les informations et deproposer des actions.

L'unité tourisme (DG Entreprise) a également un rôle essentiel: articulation,suivi, diffusion des mesures et politiques ayant des répercussions sur le tourismeet décidées dans des DG ou conseils où le secteur n'est pas directementreprésenté.

B. L'Agenda 21 pour le tourisme européen

Au-delà de ces actions particulières, est en chantier la création d'uninstrument essentiel: l'Agenda 21 pour le tourisme européen. Un groupe detravail « Tourisme durable» élabore un Agenda 21 pour un tourisme durableeuropéen, lequel vise à guider et à appuyer, à travers les indicateurs de tourismedurable, la mise en œuvre d'Agendas 21 locaux ainsi qu'à coordonner l'actiondes États membres pour l'échange de bonnes pratiques. Le but est de stimuler lesefforts de toutes les parties, au travers de tous les niveaux territoriaux etadministratifs. Cet Agenda devrait être finalisé courant 2007.

L'Agenda 21 s'adresse aux acteurs publics et privés, agentssocio-économiques et représentants de la société civile. Il est indispensable quele caractère intersectoriel du tourisme soit pris en compte dans les modes detravail, par une coopération formalisée et active entre les différents acteurs etaussi les différentes directions européennes concernées. Les objectifs et mesuresd'action prioritaires à l'attention des acteurs publics ont pour objet de mettre en

25. Organisation Mondiale du Tourisme.26. www.world-tourism.org27. L'ABE est le principal organisme public européen spécialisé dans la fourniture d'informationsfiables et indépendantes sur l'environnement aux décideurs politiques et au public. Elle a été crééeen 1993 et est opérationnelle depuis 1994 à Copenhague. C'est un organe communautaire ouvert àtoutes les nations qui partagent ses objectifs.

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place des procédures et systèmes à même de placer les questions de préservationau centre du processus de décision et d'identifier les mesures nécessaires àl'instauration d'un tourisme de préservation28.

Il s'agit:

- d'évaluer la capacité du cadre actuel des législations, de l'économie et de lavolonté de mettre en place un tourisme de préservation;

- d'évaluer les impacts économiques, sociaux, culturels et environnementauxdu tourisme;

- d'entreprendre la formation, l'éducation et la prise de conscience dupublic; de planifier le développement du tourisme durable;

- de faciliter l'échange d'informations, des compétences, des technologiestouchant au tourisme durable entre pays développés et pays en voie dedéveloppement;

- de faire participer tous les secteurs de la société;- de concevoir de nouveaux produits touristiques fondés sur les principes du

développement durable;

- d'évaluer les progrès accomplis en matière de tourisme durable;- d'établir des partenariats en vue de développement durable.Quant aux acteurs privés, l'Agenda préconise de minimiser les déchets, de

gérer l'énergie, les ressources en eau potable, les eaux polluées, les substancesdangereuses, les transports non polluants, de planifier et de gérer l'utilisation dessols, de sensibiliser employés et clients aux problèmes d'environnement.

Comme tout Agenda 21, l'Agenda 21 européen pour le tourisme n'a aucuneportée juridique. Il doit permettre aux États comme aux professionnels dutourisme qui le souhaitent de s'engager dans une démarche de tourisme durable,en intégrant des contraintes environnementales dans leur approche publique,industrielle et commerciale.

La mise en place d'un réseau de territoires pilotes devrait constituer le supportconcret de la mise en œuvre de l'Agenda 21 européen du tourisme. Lesdestinations non durables, parce qu'inscrites dans une logique de concurrence,seront ainsi encouragées à agir en faveur de la durabilité. Les territoires pilotesdevront être variés afin de refléter la diversité des expériences et des stratégiesexistantes au niveau européen. Ainsi, les destinations considérées pourrontconcerner diverses échelles: ville, parc naturel, région...

Quelles que soient la nature des territoires et leur dimension, ils devrontrespecter les critères de l'Agenda 21, à savoir les quatre objectifs stratégiquesconcomitants suivants qui prennent en considération toutes les dimensions dudéveloppement durable (environnement, économie, socioculturel et éthique) ets'appliquent au secteur du tourisme pour l'Europe:

- prévenir et réduire les impacts territoriaux et environnementaux dutourisme dans les destinations;

28. C. HERNANDEZ-ZAKlNE, « Tourisme et Environnement », Jurisc/asseur Environnement,Fascicule 507.

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- maîtriser la croissance des transports liés au tourisme et ses effets négatifssur l'environnement;

- encourager un tourisme favorable à un développement local durablemaîtrisé par les acteurs du secteur ;

- promouvoir un tourisme responsable, facteur de développement social etculturel.

Si ces territoires pilotes ne sont pour le moment qu'en phase de détermination,des réseaux de territoires aux pratiques qui se veulent exemplaires existentcependant déjà.

Un certain nombre de partenaires ont commencé depuis un moment déjà àrépondre aux challenges.

IL Les actions spécifiques menées en faveur de la durabilité dutourisme européen, basées sur le partenariat et la création deréseaux

La Commission estime que le développement de labels, de chartes et deguides d'opérateurs touristiques, de même que d'outils de mesure et d'évaluationpeut aider grandement à la sensibilisation au tourisme durable. Un rôlefondamental est joué par l'éducation pour la promotion d'un tourismeresponsable. Il faut rompre avec les messages compliqués, élaborés au plus hautniveau, et qui ne passent pas le niveau régional ou local pour parvenir auxcitoyens.

Réaliser un développement touristique durable, c'est toucher le plus de ciblespossibles, en favorisant les prises de conscience.

A. La préférence pour la soft law

Afin d'assurer une grande diffusion des principes du tourisme durable, il estun outil privilégié: l'utilisation des méthodes dites de « soft law».

La soft law tient une place déterminante en droit international del'environnement. Pour le droit du tourisme durable, très récent, il est vital desuivre cette voie pour pouvoir émerger dans un domaine où jusque-làl'environnement et le social étaient laissés à la discrétion des États et des acteursprivés29. Au lieu d'imposer des comportements, il s'agit d'imprégner lesconsciences et d'inciter à l'action. Le principe est: « le contrat plutôt que lacontrainte. » Les objectifs du tourisme durable ne pourront être atteints sans unediversification des modes d'intervention. L'approche classique des questionsd'environnement, approche administrative et réglementaire, est ainsi peu à peucomplétée par une approche plus économique, reposant sur divers outilsincitatifs.

29. C. HERNANDEZ-ZAKINE,« Tourisme et Environnement », Jurisc/asseur Environnement,Fascicule 507.

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Parmi ces derniers, les labellisations et certifications revêtent une placeparticulière. Les initiatives, qu'elles soient publiques ou privées, se multiplient.Au-delà de l'environnement, elles visent plus largement le tourisme durable,s'attachant à la promotion de pratiques et de modes de productionécologiquement responsables et équilibrés.

D'ailleurs, l'UE, en l'absence de fondement juridique propre, ne peut imposerdes mesures ni aux États ni aux entreprises touristiques. Elle ne peut qu'inciter.

La Commission préfère de plus ce genre d'outils aux instrumentsréglementaires, dont les résultats sont généralement peu concluants. Ainsi, lesmesures de protection de l'environnement sont de plus en plus prises sur la basedu volontariat, notamment à travers la création de nouveaux marchés pour lesfournisseurs de biens ou services.

Aujourd'hui, les acteurs du tourisme détiennent la responsabilité de définirdes lignes directrices. Ils doivent conduire leurs opérations d'une manièreéconomiquement viable qui prenne en compte les problèmes environnementauxet sociaux. C'est à l'Union d'aider et d'encourager chaque acteur à assumer sesresponsabilités30: application des instruments communautaires, échange debonnes pratiques, coopération, partenariat, expertise...

La production d'une information transparente participe au changement deshabitudes de consommation. Certains outils rendent les efforts visibles etretiennent l'attention des consommateurs soucieux de durabilité.

Dans un communiqué de presse en date du 29 mai 2001, l'AgenceEuropéenne de l'Environnement affirmait que « l'Europe ne réalisera sesobjectifs de développement durables et environnementaux qu'à condition que lapolitique générale sur le niveau et l'évolution des schémas de production et deconsommation s'avère plus efficace. » Or, c'est le but même des programmes decertification que nous allons étudier à présent.

B. Le recours aux systèmes de certification européens

Il existe un grand éventail de systèmes de certification européens. SelonEugenio Yunis, directeur du développement du tourisme durable à l'OMT :

L'Europe est la région la plus avancée pour ce qui est des initiatives decertification de la durabilité. Sa position d'avant-garde représente un défi et uneresponsabilité car les systèmes développés en Europe inspirerontvraisemblablement d'autres régions. L'Europe a donc l'obligation morale de faireun parcours sans faute dans ce domaine.

La mise en commun d'expériences s'est avérée particulièrement utile pour lespays participants d'Europe centrale ou de l'Est où les systèmes de certification dela durabilité sont encore peu ou pas développés.

30. Communication from the Commission to the Council, the European Parliament, the Europeaneconomic and social Comittee and the Comitte of the regions, « Basic orientations for thesustainability of European tourism, Commission of the European communities. Brussels »,21 sept.2003. COM (2003) 716 fmal.

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Un label ou une marque « chapeau» pour destinations touristiques permet auclient de mieux s'orienter et représente aussi un élément de marketing pour ledéveloppement durable. La réflexion sur les écolabels dans le domaine dutourisme en est encore à ses débuts. L'écolabel est une attestation qu'un produitrépond à des critères de qualité préalablement définis, avant la délivrance dulabel, certifiant une qualité supérieure à tous les produits similaires.

L'écolabelling semble constituer un grand pas vers « l'écologisation» dutourisme, ceci dit, son impact reste nécessairement mesuré.

En effet, l'attribution du label relevant d'une démarche volontaire, le champd'application des règles se trouve limité à ceux qui les acceptent. De plus, leseffets bénéfiques ne se manifesteront que si le choix des consommateurss'oriente de manière suffisamment nette en faveur des produits labellisés. Onpeut aussi craindre l'influence des principaux groupes d'intérêt sur les critèresd'octroi du label. On peut redouter que ne soit présenté aux touristes qu'unsimulacre de « certifié conforme» labellisé. D'ailleurs, plusieurs expériencesd'écocertification ont révélé le caractère potentiellement discriminant del'attribution des écolabels. De plus, certaines valeurs ne peuvent être traduites pardes indicateurs, c'est le cas notamment de la notion de « caractère remarquable»du paysage. On ne doit pas oublier l'importance des appréciations qualitatives,suivant l'évolution des mentalités et des goûts.

Malgré tout, force est de constater que c'est en général un instrumentmotivant pour les partenaires et relativement efficace. C'est pourquoi l'UE achoisi d'étendre son propre label écologique3! au secteur du tourisme,encourageant ainsi la promotion du tourisme durable. L'Europe étend lanormalisation de produits à tous les domaines d'activités. Stratégiquement, celasuit la ligne directrice déterminée par le sixième Programme d'action NotreFutur, Notre Choix.

L'avantage d'une norme, c'est sa clarté; l'inconvénient, sa rigidité.L'écolabel semble être une bonne solution, qui concilie aspect pédagogique etrigueur, et qui présente l'avantage d'être plus lisible qu'une politique de tourismedurable « traditionnelle ».

Depuis le 1ermai 2003, les professionnels européens du tourisme peuvent,dans une démarche entièrement basée sur le volontariat, obtenir le labelécologique européen en récompense de leurs performances environnementalesexemplaires. C'est la première fois depuis la création de l'écolabel en 1992 quela Commission européenne adopte des critères écologiques applicables au secteurdes services. Depuis le 1er mai 2003, un hôtel, une auberge de jeunesse ou unrefuge de montagne peuvent l'adopter.

Le label écologique européen est pour les professionnels de l'hébergementtouristique l'occasion de démontrer leur estime de l'environnement. Il permetégalement aux touristes soucieux de la protection de ce dernier d'avoir un repère

31. Voir notamment Europa Environnement, Édition du 14 de novembre 2003 : « Labelécologique européen. Une fleur pour un tourisme plus vert. »

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fiable afin de choisir en toute conscience. Le symbole stipule aux consommateursque les produits « fleuris» sont respectueux de l'environnement.

Or, une étude32 démontre que 42 % des touristes préfèrent opter pour unlogement respectueux de l'environnement, tandis que 46 % souhaitentpromouvoir activement la protection de l'environnement, à travers leursvacances.

Selon Margot Wallstrom, commissaire à l'environnement33 :

Un secteur touristique prospère n'est pas incompatible avec un environnementsain et le respect de la nature. [...]. Du point de vue commercial, il est logiquepour les fournisseurs de séjours de demander l'écolabel, il est bon que lesconsommateurs recherchent la fleur au moment de réserver leur séjour.

L'intérêt pour l'écolabel européen pour le tourisme grandit rapidement depuisson lancement en 2003. Le secteur de l'hébergement touristique est en effet déjàle troisième groupe le plus important. Les jeux Olympiques de Turin durantl'hiver 2005 ont largement contribué à sa croissance à travers son utilisationmassive, laquelle a fait l'objet d'un affichage marketing à la hauteur del'événement concerné. La Commission européenne entend d'ailleurs bien jouersur la corde sensible de l'argument marketing pour mettre le secteur touristiquesur le « droit chemin ».

L'écolabel semble combiner à lui seul deux des impératifs du développementdurable, le changement des modes de production et de consommation. LaCommission européenne planche de ce fait sur l'introduction de nouveauxsecteurs, tel celui du camping.

Tout opérateur touristique peut obtenir le label écologique européen. Pour cefaire, il doit toutefois satisfaire à de strictes normes minimales en matière deperformance environnementale et sanitaire, dont trente-sept obligatoires,drastiques et précises. Parmi elles figurent l'utilisation de sources d'énergierenouvelable, une réduction globale de la consommation d'énergie et d'eau,l'adoption de mesures visant à réduire les déchets, l'élaboration d'une politiqueenvironnementale... Rappelons à ce sujet que le renforcement de la part desénergies renouvelables est l'une des préoccupations majeures de l'DE.

Viennent ensuite des critères optionnels (au nombre de quarante-sept), définisavec un système de points, qui viennent valider des bonnes pratiques telles quel'équipement en électroménager de classe A, consommant moins d'énergie, oul'extinction automatique des lampes dans les chambres.

Les professionnels du tourisme ont ainsi l'occasion de mettre le doigt surleurs faiblesses écologiques et économiques, et d'y remédier. En consommantmoins d'énergie et d'eau, ils y gagnent en termes de rentabilité tout encontribuant à la sauvegarde de l'environnement.

Gunther Motzke, directeur d'un complexe touristique d'une station de skinorvégienne, explique les avantages qu'il attend de l'attribution du label:

32. « German Traveller Analysis », 2002.33. Propos relevés dans un article de S. TouBoUL, « L'écolabel européen pour des hébergementstouristiques », mis en ligne sur www.novethic.fr le 26 juin 2003.

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Nos infrastructures sont principalement fréquentées par des étrangers et les labelsexistants n'étaient pas reconnus comme nous l'attendions de la part desconsommateurs. Maintenant que l'UE s'ouvre à de nouveaux pays, il est capitalpour nous de faire connaître notre engagement écologique auprès de l'industriedes voyages dans son ensemble et de ses clients à travers l'Europe élargie. Cueillircette fleur était pour nous une étape logique dans la poursuite de ces objectifs.

La Commission européenne a publié le 14juin 2006 une Décision34 danslaquelle elle effectue un premier bilan de la mise en œuvre de l'écolabel et traceles perspectives de développement et d'amélioration de cette initiative. Lesservices d'hébergement touristique sont en pointe dans la diffusion du label. Unobjectif de trente-cinq nouvelles catégories de produits a été fixé d'ici 20 Il. Yfigurent notamment les services de transport de passagers, les composantes deconstruction ou la climatisation... autant de domaines qui intéressent le secteurtouristique. La Commission souhaite augmenter de 50 % chaque année la valeuret le nombre d'articles porteurs de l'écolabel et de le faire mieux connaître. Pourcela, elle vise que 50 % des consommateurs européens reconnaissent le logo dulabel écologique européen comme un label d'excellence environnementale.Constatant la multiplicité des labels écologiques nationaux, elle souhaiteexploiter les synergies et coopérer avec ces différents systèmes dans laperspective d'une refonte d'ensemble du système du label écologique.

Repenser l'écolabelling est en effet nécessaire. Il existe environ 40 labelsécologiques pour le tourisme en Europe, dont la plupart sont peu efficaces, dufait de leur manque de visibilité. En effet, les critères et procédures de sélectionsont de différents niveaux, de même que la fiabilité et la qualité. Il est importantde ne pas dupliquer les systèmes de normes et d'inspection existants en matièrede qualité. Une multiplication des labels à l'échelle d'une destination peuts'avérer inefficace et déroutant pour le touriste.

VISIT est un projet financé par PUE et qui réunit de nombreux labelsécologiques utilisés en Europe sur une base régionale, nationale ou internationaleet garantissant les produits touristiques. Il promeut des labels écologiques enrenforçant l'efficacité des labels écologiques existants.

VISIT a commencé en 200 I à coopérer avec les dix principaux labelsécologiques en Europe afin de développer des standards basiques communs quicomprennent des principes et exigences en accord avec les standards générauxISO 14024 pour les labels écologiques. Les labels écologiques certifiés parVISIT aident à identifier les labels qui garantissent une grande performance deleurs produits.

Depuis 2002, une organisation VISIT est établie afin de continuer le travail duprojet comme entité juridique, à travers des procédures d'accréditation.

Une association VISIT est en place depuis 2004, c'est la première associationde ce type en Europe. La « fleur» et VISIT envisagent une coopération pourexploiter les synergies potentielles.

34. JO Ll62 du 14 juin 2006.

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Au-delà de la promotion d'initiatives volontaires, l'DE offre aussi un cadre etun soutien financier important au tourisme durable.

III. L'utilisation optimale des instruments financiers disponibles,en faveur du tourisme durable

Compte tenu de l'absence d'un budget spécifique au tourisme, l'unitétourisme de la DG Entreprise n'est pas en mesure de financer des projetstouristiques. Face à l'absence de politique communautaire du tourisme, c'estdans le cadre des programmes financés par les fonds communautaires qu'il estpossible de constater la prise en compte du tourisme durable. II faut distinguer lesfonds relevant de la branche environnementale et les fonds relevant de lapolitique de cohésion économique et sociale, les Fonds structurels. À côté de celafigurent encore les initiatives communautaires qui agissent sur le tourisme etl'environnement.

Nous allons nous pencher sur le financement au travers des Fonds structurels.Afin de mener à bien l'effort de cohésion économique et sociale, l'DE a créé

des instruments financiers, les Fonds structurels. Ce sont des instrumentsfinanciers que l'DE utilise pour améliorer la situation économique générale dansles régions moins développées ou défavorisées de son territoire. Tant lesadministrations publiques que les entreprises privées peuvent en bénéficier. LesFonds structurels financent des investissements dans des domaines variés et demultiples projets sont éligibles.

Avant 1993, le lien entre l'activité financée et l'environnement n'étant pasexigé, on a forgé une mauvaise image des Fonds structurels. À partir durèglement n° 2081/93 du 20 juillet 1993, qui s'inspire du Ve Programme d'action

pour l'environnement, l'action des Fonds structurels s'est intégrée dans le cadredu développement durable avec l'environnement comme élément central. Ainsi,toute activité touristique qui désire recevoir un soutien communautaire doit enprincipe prendre en compte le facteur environnemental. De plus, le règlementn° 1260/1999 rappelle le principe d'intégration en vertu duquel chaqueprogramme financé par les fonds doit tenir compte des préoccupationsenvironnementales.

Les Fonds structurels sont les principales sources de financement de l'DE enfaveur du tourisme, en particulier dans les zones les moins prospères. Leur apportest loin d'être négligeable, avec des effets de levier importants notamment pourles investisseurs publics. Ceci dit, tout dépend de la capacité des opérateurs àgénérer des projets éligibles et à les faire cofinancer par l'DE. L'approche desfonds est particulièrement pertinente au sens où elle met l'accent sur les défisd'une région, sur la cohérence de la formulation des objectifs et les priorités. Or,l'DE a choisi de faire du tourisme un vecteur de développement et privilégie lefinancement de projets à vocation touristique. Le tourisme a déjà grandementbénéficié du soutien financier offert par les divers instruments financierseuropéens durant la période 2000-2006. Durant la période 2007-2013, les Fondsstructurels et d'autres programmes européens soutiendront financièrement le

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développement des entreprises, des services et de l'infrastructure du tourismedurable.

Nous allons nous pencher plus particulièrement sur cinq fonds: le FEDER(Fonds européen de développement régional), le FSE (Fonds social européen), leFEADER (nouveau Fonds européen agricole pour le développement rural), leFEP (Fonds européen pour la pêche) et le Fonds de cohésion.

Le FEDER constitue la principale source de financement de la promotion dutourisme de façon directe ou indirecte. C'est d'ailleurs de manière générale lefonds le plus important en masse financière mobilisable. La réforme de 1988 en afait l'instrument par excellence de la programmation. C'est la « chevilleouvrière» du développement économique. Il finance la coopérationtransfrontalière, transnationale et interrégionale. Son but est de favoriser l'essoréconomique des régions afin de réduire les écarts de développement au sein del'Europe. Le règlement n° 1261/1999 du Parlement européen et du Conseilprécise que son intervention doit s'inscrire dans la stratégie globale et intégrée dedéveloppement durable. Les collectivités territoriales en ont vite compris l'intérêtet voient en lui un appui décisif pour assurer le financement de leurs projets35.Conformément aux nouveaux objectifs, le FEDER soutiendra des formes detourisme plus durable en vue d'améliorer le patrimoine culturel et naturel, ainsique des réseaux innovants, des stratégies transfrontalières et l'échangeinterrégional d'expériences.

Le FEADER soutient le développement rural et l'accélération de l'adaptationdes structures agricoles. Un certain nombre de mesures ont pour objet de faire lelien entre agriculture et environnement et le tourisme peut y trouver sa place.Ainsi en va-t-il des mesures visant des opérations de diversification des activitésagricoles et le développement d'activités économiques. Le fonds offtira unsoutien pour améliorer le paysage rural, revaloriser le patrimoine culturel afin dedévelopper le tourisme rural. Le tourisme de montagne par exemple trouverafacilement sa place dans le cadre des zones défavorisées. Les zones ruralesoffrent des opportunités qui pourraient revêtir une importance grandissante pourles nouveaux États membres et les pays candidats.

Le FSE a pour but de promouvoir l'emploi, de lutter contre le chômage, ladiscrimination et l'exclusion sociale. Il est depuis sa création intégré à unelogique régionale. Il est appelé à financer des projets ciblant des programmeséducatifs et la formation en vue d'améliorer la qualité de l'emploi dans le secteurdu tourisme. En matière de formation, le tourisme est considéré comme unsecteur pilote.

Le FEP propose l'écotourisme comme nouveau domaine capable d'absorberles pêcheurs affectés par la restructuration du secteur de la pêche. La pêche àpetite échelle et l'infrastructure touristique bénéficieront d'aides.

Le Fonds de cohésion, mis en place en 1993, concerne les États membres dontle PIB est inférieur à 90 % de celui de l'UE. Les infrastructures d'environnement

35. Lire à ce sujet Europe, le temps des régions par CI. Du GRANRUT,Collection« Décentralisation et développement local », 2e édition LODJ, 1996.

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et de transport qui revêtent une importance fondamentale majeure pour letourisme durable seront financées.

À ce sujet, le Parlement européen36 rappelle que « le transport est un secteurfondamental pour le tourisme ». Le tourisme repose en effet sur le transport etc'est grâce à lui qu'il est devenu un secteur économique de premièreimportance37.

Dans le Livre Blanc sur « La réglementation européenne des transports pour2010 »38 et son plan d'action, la Commission européenne décrit l'évolutioninégale des différents modes de transport et ses conséquences sociales,environnementales et économiques comme l'un des problèmes majeurs de lapolitique européenne des transports39. Le but de cette politique est désormais derevenir à une relation équilibrée entre les différents modes de transport. Pourcela, on promeut essentiellement le « changement modal », le développement dela tarification et des infrastructures de transport, la promotion et l'utilisation desvoitures et carburants plus propres, la promotion de l'utilisation des transports encommun.

Divers projets allant dans ce sens ont déjà été financés et d'autres le serontpour la période 2007-2013. Les programmes d'action pour les transportss'attachent à couvrir tout l'éventail des éléments constitutifs d'une mobilitédurable: investissement accru dans les infrastructures et transports publics, voiespiétonnes, pistes cyclables, politiques d'aménagement du territoire étudesd'impact.. .

Les Fonds structurels tentent de contribuer à augmenter les possibilitésd'emploi, la qualité de vie générale, la régénération commerciale et touristiquedes régions qui connaissent un retard de développement. Outre l'aide accordéeaux entreprises du secteur touristique, ils financent des projets qui apportent unavantage indirect. Les bénéficiaires en sont généralement des organismes publicsou semi-publics tels que des villes, des provinces, des organisationsreprésentatives ou des offices du tourisme. Les investissements sont destinés àrenforcer l'attrait des régions pour les visiteurs. Exemples: investissements dansle patrimoine culturel, mise en réseau et coopération des acteurs touristiques. lisont pour vocation de répondre à des objectifs prioritaires, lesquels sontréorganisés à chaque période, en fonction des besoins et des priorités. Ainsi, pourla période 2007-2013, les fonds seront concentrés sur trois objectifscommunautaires: convergence, compétitivité régionale et emploi, coopérationterritoriale.

36. Résolution sur les nouvelles perspectives et les nouveaux défis pour un tourisme européendurable (2004/2229(INI)) adoptée le 8 septembre 2005.37. The European Tourism industry. A multi-sector with dynamic markets. Structures,developments and importance for Europe 's economy, European Commission, Enterprisepublications, Report prepared for the enterprise DG (unit D.3) of the European Commission,R. LEIDNER,March 2004.38. European transport policy for 2010.' time to decide.39. Voir « Revitalising the railways ». Georg JARZEMBOWSKI.The parliament magazine. 1ssue198,28 february 2005, p. 44-45.

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Les Fonds structurels sont mis en œuvre au sein de programmes. Il existaitpour la période 2000-2006 des programmes d'initiatives communautaires, telqu'INTERREG III, qui soutenait toute coopération transfrontalière,transnationale et interrégionale destinée à développer et à aménager le territoireou encore les programmes LEADER + pour favoriser le développement dans leszones rurales. Les initiatives communautaires financent les mesures visant àrésoudre des problèmes de développement particuliers et récurrents dans lesrégions d'Europe. Les programmes concernés sont pris à l'initiative de l'UE maismis en œuvre par les autorités compétentes des États membres.

Diverses activités touristiques peuvent par ailleurs bénéficier d'aides à traversdes programmes européens dans des domaines aussi variés que la protection del'environnement, la réhabilitation du patrimoine naturel, les technologies del'information et de la communication. D'une manière générale, l'aide estapportée à des projets qui impliquent un partenariat entre des structures(entreprises, organismes, associations...) de deux États membres au moins. Cesderniers programmes sont essentiellement gérés au niveau de la Commission(DG entreprise, unité tourisme).

Conclusion. L'UE confrontée à de nouveaux défis d'importance:quel avenir pour le tourisme durable?

L'UE est confrontée à de nombreux problèmes posés par l'élargissement de lacommunauté vers l'Europe centrale et orientale. L'adhésion de nouveaux pays,dont le niveau de richesse se situe en dessous de la moyenne communautaire, vaen effet entraîner un accroissement des disparités régionales et sociales, denouvelles inégalités territoriales et l'aggravation de la pauvreté (écarts derichesse multipliés par deux et baisse de la moyenne du PIB de 12,5 %) et del'exclusion sociale.

L'UE doit redéfinir ses objectifs pour répondre aux besoins d'une Europe àvingt-sept. Il est attendu de cet élargissement un processus de rattrapageéconomique et une coordination plus transversale entre tous les acteurs sociauxeuropéens4o. Cet élargissement entraîne plusieurs épreuves à surmonter41 :

En matière de développement durable, pour la période 2000-2002, le soutienfinancier structurel aux projets pour l'environnement a atteint trois milliardsd'euros par an, dont les deux tiers provenaient du FEDER et un tiers du Fonds decohésion. De plus, du fait du cofinancement, les interventions européennesorientent fortement celles des États membres, sans parler des investissementsprivés.

Cette politique de cohésion est cependant appelée à évoluer pour offrir uncadre adapté aux besoins évolutifs des nouveaux États membres et pour

40. Lire à ce sujet « L'Union européenne après l'élargissement» par J. FAYOLLE. Chroniqueinternationale de l'IRES, N° 93, mars 2005.41. Les perspectives financières européennes 2007-2013, M. LAFFINEUR et S. VINÇON. LaDocumentation française, coIlection des « Rapports officiels ». Rapport au Premier ministre, Paris,2004.

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contribuer au dynamisme de l'UE. Compte tenu du très faible niveau de revenusdans les nouveaux États membres, tous les États remplissent les critèresd'éligibilité au Fonds de cohésion et la quasi-totalité de leur territoire remplit lescritères d'éligibilité à l'objectif I des Fonds structurels destinés aux régions enretard de développement. Beaucoup de projets dans les pays d'Europeoccidentale ne devraient donc pas voir leur financement renouvelé et lesnouveaux financements seront nécessairement limités. Certaines actions visant letourisme durable devraient donc se voir entravées.

Un autre souci semble se présenter aujourd'hui. Nombreux sont ceux quis'inquiètent de l'avenir des politiques de développement durable, à l'occasion decritiques de ce qui serait un « passage au second plan» de la politiqueenvironnementale, dans le cadre de la révision de la Stratégie de Lisbonneprésentée en février 2005 par la Commission Barroso. De vives critiquesaccusent la Commission de vouloir négliger les dimensions sociales etenvironnementales de la Stratégie de Lisbonne.

David Wilkinsen, chercheur au European Policy Center, estime quel'environnement risque d'être relégué au second plan - loin derrière les objectifsde croissance et d'emploi - dans la nouvelle mouture de l'Agenda. En effetpriorité est accordée à la compétitivité, d'où un assouplissement inévitable de laréglementation environnementale, au détriment des objectifs de développementdurable.

En accordant la priorité à la croissance et à l'emploi et en introduisant unedistinction entre les objectifs à court terme (croissance économique et emploi) età long terme (volets social et environnemental), la proposition de révision de laStratégie de Lisbonne est clairement en contradiction avec la philosophie dudéveloppement durable. Aucun sentiment d'urgence n'est mis en avant ou mêmeévoqué.

M. Barroso entend pour sa part convaincre ses détracteurs qu'il n'existe pasde contradiction entre, d'une part, son engagement résolu en faveur de lacroissance économique et de l'emploi, et d'autre part sa détermination à mettreen œuvre des mesures fortes en matière sociales et de développement durable.L'avenir nous montrera si la durabilité reste à la place qui doit être la sienne, aucœur des préoccupations.

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DÉVELOPPEMENT DURABLEET GESTION COMPARÉE DES RÉSEAUX URBAINS

Une politique des transports durables au sein de PUE:la question de la tarification au coût social

Souhir ABBES'

Le transport est une activité de première importance, et un système detransport efficace est une condition nécessaire de la prospérité économique. Laplace des transports dans l'activité économique est assez évidente. Ils contribuentà la création d'emplois et sont un facteur de croissance. Au fil du temps et avecl'élargissement de l'Union européenne, cette croissance économique s'estassociée à une croissance des infrastructures des transports. Les retombéespositives des systèmes de transports sur l'activité économique ne sont pas sansinconvénients. En effet, la perte de temps qu'ils occasionnent conduit à uneutilisation inefficiente des ressources rares dont ils sont très dépendants. Enoutre, 70 % de la pollution de l'air est causée par les transports qui contribuentaussi indirectement à la pollution des sols et de l'eau. Enfin, les transportsnuisent à la viabilité à cause du bruit et des accidents.

Les infrastructures des transports produisent donc des externalités négativesqui, par définition, touchent à la durabilité. Les coûts de ces externalités sont trèsélevés (presque 10 % du PIB européen), en particulier dans le cas du transportroutier. Il existe plusieurs moyens qui permettent de réduire les coûts externes,tels que les interdictions, la fixation des normes sur les émissions, etc. Afin decorriger les externalités, les économistes utilisent l'instrument tarifaire etintègrent les coûts qui résultent de l'usage de l'infrastructure dans le système detarification. Pour assurer une exploitation optimale des infrastructures detransport, la théorie économique recommande l'application de la tarification aucoût marginal social de court terme qui consiste à internaliser les coûts decongestion, les coûts environnementaux et ceux des accidents. Toutefois, dans lecas où les rendements d'échelle sont croissants dans l'infrastructure, latarification au coût marginal engendre un déficit d'exploitation. Dans ce cas, leséconomistes recommandent la tarification au coût marginal social de long terme.

.LEM, Institut d'Économie et de Management de Nantes-IAE. Tel: +33240141732.

Courriel : souhir.abbes@univ-nantesjr

Dans l'objectif d'instaurer un système de transport européen durable, laCommission européenne a proposé dans son Livre Blanc de 1998 d'appliquerdans tous les modes de transport la tarification au coût marginal social de courtstermes recommandé par la théorie économique. Faire payer à chaque usager del'infrastructure les coûts qu'il occasionne permet, d'une part de s'orienter vers ladurabilité environnementale des transports et d'autre part, de respecter le principede l'équité sociale. En outre, la prise en compte des externalités dans le systèmede transport favorise l'allocation optimale des ressources et permet de développerun système de transport économiquement efficace. Enfin, le fait d'adopter uneapproche de tarification commune dans tous les modes permet de revitaliser lesmodes peu polluants tels que le transport maritime. Cependant, le caractèrethéorique du Livre Blanc de l'UE n'est pas sans inconvénients. La tarification aucoût marginal social de court terme se heurte à des problèmes d'efficacitééconomique, d'équité sociale, d'application et d'acceptabilité.

1. Le transport et le développement durable

Il est impossible d'imaginer une économie forte et créatrice de valeur sans unsystème de transport suffisamment développé et suffisamment efficace.L'importance du secteur de transport dans l'économie peut être mesurée en termede contribution directe au PIB, en terme d'effectifs employés ou encore à traversles externalités positives que créent les infrastructures. Toutefois, l'impact destransports sur l'environnement et sur les activités sociales est varié et complexe.Les transports sont des grands consommateurs des ressources rares (pétrole,espaces), ils sont source de pollution et nuisent à la santé humaine.

A. La place des transports dans l'économie

Les êtres humains sont foncièrement mobiles. Dans la plupart des sociétés, lamobilité revêt une grande importance chez l'individu et est essentielle pour desraisons sociales et économiques. Les transports constituent un secteuréconomique important, car ils contribuent directement et indirectement à lacréation d'emplois, et à la production de recettes d'exportation: ils contribuentau solde de la balance des biens et services dans des proportions variables d'uneannée à l'autre.

En outre, la relation entre les transports et la croissance peut être constatée parl'effet qui résulte de la réalisation des infi:astructures, et de l'activité que suscitecette réalisation. Une autre relation qui pourrait être établie entre les transports etla croissance, et qui fait depuis quelques années un champ de recherche endéveloppement rapide, passe par les effets d'externalités que peut entraîner unmeilleur réseau de transport.

Les déplacements physiques de biens et de personnes sont donc générateursd'externalités positives concourant au développement économique des territoires.Mais cette mobilité induit également des externalités négatives telles que leréchauffement climatique, les nuisances sonores, l'insécurité, l'encombrement, la

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surconsommation de ressources non renouvelables et la consommation d'espace,conséquences qui touchent à la durabilité.

B. La durabilité des transports

La durabilité, appliquée à n'importe quelle activité humaine, est vue commeayant trois composantes:

. La première est la durabilité économique qui suppose la créationd'incitations à répondre de façon efficiente aux besoins, c'est-à-dire favoriser unegestion optimale des ressources humaines, naturelles et financières afin depermettre la satisfaction des besoins des communautés humaines et ce,notamment, par la responsabilisation des entreprises et des consommateurs auregard des biens et des services qu'ils produisent et utilisent, ainsi que parl'adoption de politiques appropriées (principe du pollueur-payeur, internalisationdes coûts environnementaux et sociaux, écofiscalité, etc.).. La seconde est la durabilité environnementale qui suppose l'encouragementdes activités plus viables en intégrant, dans l'ensemble des actions descommunautés humaines, la préoccupation du maintien de la vitalité et de ladiversité des gènes, des espèces, et de l'ensemble des écosystèmes naturelsterrestres et aquatiques, et ce, notamment par des mesures de protection de laqualité de l'environnement.

. Enfin, la troisième composante est la durabilité sociale qui centre

l'attention sur l'équité sociale. Ceci implique que les actions de développementdevraient être entreprises dans un souci d'équité intra et intergénérationnelle,compte tenu des besoins des personnes concernées. Lors de la CNDED en 1992,les gouvernements nationaux ont souscrit au programme Action 21, où l'ondéclare que les différents secteurs de l'activité humaine doivent être développésde manière soutenable. Appliqué au secteur des transports, le concept dedéveloppement durable se décline sous la forme de mobilité dite durable ousoutenable. C'est en 1991 qu'un document de la CEMT1 «officialise» letransport durable en le définissant comme devant « contribuer à la prospéritééconomique, au bien-être social, et ce, sans nuire à l'environnement et à la santéde l'homme. »

1. Les conséquences économiques

Les systèmes de transport du monde sont très dépendants des ressourcesrares: ils sont presque entièrement alimentés par le pétrole. Cette ressourcereprésente presque 99 % de la consommation d'énergie par les transports. Dansles pays de l'OCDE, les transports consomment environ 60 % des produitspétroliers. Le pétrole est essentiellement une source d'énergie non renouvelabledont le rythme de consommation est plus rapide que celui de la mise en point etla commercialisation des substituts renouvelables. Les encombrements routiers

1. Conférence européenne des ministres des Transports (1991).

101

amplifient les effets négatifs du transport en augmentant le coût de la livraisondes marchandises et nuisent à la productivité de l'activité humaine.

En outre, ces encombrements amplifient les effets négatifs du transport enfaisant fonctionner les véhicules à des vitesses inférieures à leur niveau optimal,et donc consommer plus de carburant, et conduisent de ce fait à une utilisationinefficiente de cette ressource rare.

2. Les conséquences environnementales

Le principal impact écologique du transport résulte du rejet de dioxyde decarbone dans l'atmosphère, conséquence à peu près inévitable de la combustionde carburants fossiles. 70 % de la pollution atmosphérique provient destransports.

Les modes de transport aériens et terrestres n'occasionnent pas directementune pollution de l'eau, mais le transport peut affecter de diverses façons laqualité de l'eau: l'huile du moteur et les produits chimiques dangereux sontrejetés par les véhicules routiers en fonctionnement normal et bien plus encoredans des situations exceptionnelles, notamment les accidents. En outre, letransport est un grand consommateur de terrain. À l'extérieur des zones urbaines,l'infrastructure de transport peut perturber ou détruire des habitats naturels etnuire à l'équilibre écologique.

3. Les conséquences sociales

Dans les pays de l'OCDE, 16 % de la population est, en raison du transport,exposée à des niveaux de bruit suffisants pour perturber sévèrement le sommeilet la communication, et contribuer à causer en conséquence des maladies. Uneautre conséquence est les accidents causés par cette activité: les estimations descoûts sociaux des transports ont montré que les accidents représentent lacatégorie la plus génératrice de coûts.

Donc aux termes de la définition du développement durable, le système detransport ne s'oriente pas vers la durabilité du point de vue de la consommationdes ressources naturelles (impact sur l'environnement) et ses coûts économiqueset sociaux. Afin de trouver des solutions permettant de répondre aux principes dela durabilité dans les transports, il fallait passer par une analyse des différentscoûts qu'engendre cette activité afin d'examiner l'ampleur de ces effets négatifset de trouver les solutions appropriées pour les réduire.

IL Les coûts des transports

La connaissance des coûts de transport est indispensable au décideur. À unniveau microéconomique, des informations fines sur les coûts, sur les paramètresdont ils dépendent et sur leurs lois de variation sont des bases incontournablespour la prise des décisions de la part des agents publics ou privés: choix

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d'investissement, décision de gestion de la part des entreprises, etc. À un niveaustratégique, la connaissance globale des coûts éclaire les débats publics sur leschoix entre modes de transports, sur les niveaux globaux d'investissement et latarification, ou sur ce que devraient payer les usagers des transports, compte tenudes coûts qu'ils font supporter au reste de la collectivité.

D'un point de vue théorique, les coûts qui résultent d'une activité économiquepeuvent être classés selon deux catégories: les coûts supportés par le fournisseurde l'infrastructure (coûts de construction, d'entretien, etc.) sont qualifiés de coûtsinternes, alors que les coûts externes représentent les nuisances imposées par lesusagers de cette activité à la collectivité. Ainsi, les coûts externes sont les coûtséconomiques qui ne sont normalement ni pris en compte par les marchés ni dansles décisions des usagers de transport. Les coûts externes des transportscomprennent ainsi les coûts d'environnement (pollution de l'air, de l'eau,bruit.. .), les coûts de congestion, des accidents et d'utilisation des espaces, etc.Les coûts sociaux résultent de la somme des coûts internes et externes.

En supposant que le produit des infrastructures est le trafic écoulé par unité detemps, on procédera dans la suite à une analyse des principaux coûts internes etexternes engendrés par les transports routiers, car ils sont très élevés par rapport àceux des autres modes de transport. On s'intéressera en particulier aux coûtsmarginaux2 qui sont théoriquement la base d'une tarification optimale.

A. Les coûts internes

Les coûts d'usage se composent de coûts fixes (CF), englobant les coûts deconstruction des infrastructures, et de charges variables (CV), englobant lesdépenses de gestion (telles que l'entretien) et le renouvellement desinfrastructures. Les coûts fixes dépendent uniquement de la capacité alors que lescoûts variables varient en fonction du trafic.

Ces coûts d'usage sont supportés par le gestionnaire de l'infrastructure(pouvoirs publics ou opérateurs plus ou moins liés à l'État par des contrats deconcessions). Le coût interne Ci peut donc s'écrire de la façon suivante dans le

cas du transport routier:

Ci(q,Q) = CF +CV

q est le trafic

Q est la capacité maximale de la route

CF est le coût de construction de la route de capacité Q

CV est la charge annuelle de capital comprenant l'amortissement économique etl'entretien, cette charge qui est fonction de la dégradation de la route dépendévidemment du volume du trafic.

2. Le coût marginal est le coût imposé par un véhicule supplémentaire qui entre dans le trafic.

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On peut, à partir de là, définir le coût marginal interne de court terme:

dCi dCV.fi . .

d fi- =- qUI est une onctlOn crOIssante u tra IC q .dq dq

B. Les coûts externes3

Les coûts externes négatifs représentent les coûts imposés par les usagers del'infrastructure de transport au reste de la collectivité sous forme de congestion,d'insécurité et de nuisances. Ils sont en général estimés en valeurs marginales.

1. Le coût de congestion

En dehors des dépenses à la charge de l'exploitant de l'infrastructure, lesusagers du transport y perdent du temps et font perdre aux autres voyageurs dutemps; ce temps peut être assimilé à un coût, par l'intermédiaire de la notion dela valeur du temps. Le temps perdu dans un transport n'est pas une donnée fixemais dépend du trafic. On exprime souvent ce fait en disant que le transport estun bien à qualité variable avec le trafic ou soumis à encombrement (Lévy-Lambert, 1968). Cette dépendance à l'égard du trafic s'exprime différemmentselon les modes: dans le transport routier, plus la route est congestionnée, plusles voyageurs y perdent du temps et plus le coût de congestion est élevé.L'analyse de la relation entre le trafic et la vitesse de circulation débouchesouvent sur l'équation suivante:

hLCe(q)=-

v(q)

Lorsque le trafic augmente, la vitesse de circulation v( q) baisse. Le coût de

congestion est d'autant plus élevé que la vitesse de circulation est faible. Le coût

de congestion Ce(q) est donc croissant avec le trafic q. Soit h, le coût unitaire

du temps du voyage (ou la valeur du temps pour l'usager) et L la distance duvoyage, le coût de congestion est évidemment croissant avec ces variables. Ainsi

le coût marginal de congestion dCe (q) / dq est croissant en fonction du trafic.

2. Les coûts environnementaux

Comme on l'a déjà mentionné, les transports ont de nombreuses conséquencessur l'environnement: le bruit et les émissions des véhicules nuisent à la santé, etréduisent la qualité de l'air. La traduction en termes monétaires des effets destransports sur l'environnement est une nécessité pour prendre des décisionscohérentes. Lorsqu'une pollution augmente, les dommages supplémentaires

3. Une partie des développements analytiques de cette section est reprise de QUINET (1998).

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qu'elle entraîne croissent généralement de manière plus que proportionnelle. Lavalorisation des effets externes suit donc une courbe marginalement croissante. Àl'inverse, les premières mesures de lutte contre une pollution, qu'elles secontentent de la protection ou visent des limitations d'émissions, sont souventbeaucoup plus efficaces que celles que l'on pourra mettre en œuvre pouréradiquer les derniers niveaux de nuisance. La courbe des coûts d'évitement enfonction du niveau de nuisance est donc marginalement décroissante.

Figure 1Évaluation du coût des dommages et du coût de leur évitement

C"",",",,,'"uld,1"",,=,,", d.. du",,,,ug'

No N""u..d,pull..",,"

E3 C,,'f"'.., de1".,,,=,,,,,po~p"=

do NO,

l'obJ=<ifN'

ITIIJ C"... "'laide.

donm..,,",

Les coûts d'évitement sont toujours mesurés en fonction d'un objectif àatteindre - par exemple un niveau NI de pollution. La valeur obtenue ne prenddonc pas en compte les coûts correspondant aux nuisances résiduelles, situées endeçà de l'objectif fixé (le coût marginal externe Ce (q) correspond donc dans ce

cas à l'aire située en dessous de la courbe du coût marginal d'évitement et limitéepar NI et NO : aire hachurée horizontalement). À l'inverse, la valorisation desdommages intègre l'ensemble des nuisances subies (aire hachurée verticalementdans le graphique). L'évaluation du coût marginal du dommage environnementaldiffère donc selon la méthode utilisée, et il est d'autant plus grand que le niveaude nuisance est élevé.

3. Les accidents

Le coût d'insécurité peut être défini comme la différence entre le coûtsupporté par la collectivité d'un accident causé par un usager de l'inftastructurede transport, et la dépense prise en charge par cet utilisateur. Concrètement cecoût d'insécurité consiste en une évaluation monétaire des dégâts matériels etimmatériels. La prise en compte des externalités d'insécurité dans les transports

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pose des problèmes particuliers qui ont été analysés en particulier par Jansson(1994). Considérons la situation où il y a un seul type de trafic4. Soient:

q : le trafic

r(q): le risque d'accidents qui dépend du trafic

b: la disposition à payer (en moyenne) par l'automobiliste pour annuler lerisque

c: le coût d'un accident supporté par le reste de la collectivité (perte deproduction, frais éventuels d'ambulance, de soins, etc., s'ils ne sont pas supportéspar 1' automobiliste).

Alors le coût total des accidents est:Ca(q) = (b + c)rq

Les analyses statistiques d'accidents ne font pas apparaître de variation nettedu taux d'accident en fonction du trafic, et le taux r est souvent considéré commeconstant, même si certains auteurs considèrent qu'il serait normal que le nombred'accidents varie comme le carré du trafic: c'est ainsi que varie la probabilité derencontres entre véhicules dans une hypothèse de mouvement aléatoire.

III. La tarification au coût marginal social dans le secteur destransports

La tarification dans les transports remplit essentiellement deux fonctions:premièrement, elle rationalise l'allocation des ressources rares (pétrole,infrastructure, espace, faune. . .), deuxièmement, la tarification constitue unmoyen qui sert à récupérer les investissements dans les infrastructures et ungénérateur (direct ou indirect) de fonds pour le développement des secteurs liésaux transports, d'où l'importance de l'instrument tarifaire. Théoriquement, latarification optimale est celle qui repose sur les coûts et qui maximise le bien-êtresocial: il s'agit de la tarification au coût marginal social. Pour cette raison, cesystème de tarification a été recommandé par la Commission européenne afind'être appliqué dans l'ensemble du secteur de transports dans l'Unioneuropéenne.

L'analyse des conséquences de cette tarification sous différents axes(conséquences économiques, environnementales et sociales) montre que sonapplication n'oriente pas les transports vers la durabilité.

A. La tarification au coût marginal social dans la théorie

La tarification au coût marginal dans les transports a trouvé ses origines dansla littérature de la microéconomie néoclassique et l'économie du bien-être. Eneffet, le bien-être social est maximisé sous une série d'hypothèses relatives à la

4. L'analyse devient plus complexe lorsque le trafic est composite. JANSSON(1994) présente unautre modèle dans lequel les accidents proviennent simplement de collisions entre voitures etbicyclettes.

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concurrence parfaite, ce qui nous ramène à une tarification au coût marginaP.Ces hypothèses fortes restreignent le champ d'application de ce théorème à descas relativement rares. En particulier, ce théorème requiert l'absenced'externalités, ce qui constitue évidemment une hypothèse inacceptable dans lecadre des transports. Toutefois, les externalités dans les transports peuvent êtrecorrigées en prenant le soin d'inclure leurs coûts marginaux dans la tarification.Ainsi, le tarif correspondant sera la somme des coûts marginaux internes (coûtmarginal de l'infrastructure) et des coûts marginaux externes (coût marginal decongestion, coût marginal d'environnement et coût marginal d'accidents).

Figure 2Tarification au coût marginal correspondant à un niveau de capacité donné

CmCf,' coût marginal de court terme ,. CmLT.' coût marginal de long terme.CMCf .' coût mqyen de court terme,. CMLT.' coût mqyen de long terme.

Ce résultat est connu par les économistes par la tarification au coût marginalsocial (CMS). Cette tarification est recommandée par la majorité deséconomistes commençant par Oort (1961) et Allais (1965) jusqu'à Proostet VanDender (1999).

Explicitement, si on se réfère à l'analyse théorique des différents coûts detransport et en prenant en compte les coûts externes occasionnés par une unité detrafic supplémentaire, le coût total social de transport est

Cs(q,Q) =Ci(q,Q)+Cc(q)+Ce(q)+Ca(q)

et le coût marginal correspondant est: Cms= dCS( q, Q) I dq

Le débat dans la littérature économique porte surtout sur le choix entre le coûtmarginal de court terme et le coût marginal de long terme6. Quand la capacité Q

5. Les conditions d' optimalité du coût marginal sont les suivantes: marchés en concurence, pas decoût de transaction, pas de taxes ou taxes optimales, pas de problèmes d'information et pas deproblèmes de redistribution.6. Le coût de long terme inclut les coûts des investissements nécessaires au développement desinfrastructures. La partie considérée comme fixe dans la tarification au coût marginal de courtterme est supposée variable dans une tarification au coût marginal de long terme.

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est optimale, les deux sont équivalents. Quand la capacité s'ajuste lentement à lademande, ce qui est le cas des infrastructures de transport, c'est plutôt latarification au coût marginal de court terme qui devrait s'appliquer. Le coûtmarginal de long terme a ses avantages dans le cas inverse.

Le principe de la tarification au coût marginal a été remis en cause et leséconomistes lui ont reproché la négligence d'importants blocs de coûts (CF dansla notation analytiquer qui ne dépendent pas du trafic, et en particulier dans lestransports où une grande partie des coûts est fixe. En effet, et par rapport à larentabilité de la firme qui exploite et gère ces infrastructures, cette solution n'estpas rentable si les rendements d'échelle sont croissants: le coût moyen (CMCT etCMLT) est décroissant avec le trafic Gusqu'au point q dans la figure ci-dessus)

et le coût marginal (CmCT ou CmL T) est inférieur au coût moyen. La tarificationau coût marginal ne couvre donc pas la totalité des coûts. La situation où latarification au coût marginal engendre un déficit dans l'exploitation desinfrastructures est fréquente. Ce déficit présente de nombreux inconvénients. Ildoit être comblé par des impôts qui engendrent des pertes d'efficacité.

B. L'outil tarifaire dans la politique européenne des transports

Jusqu'aux débuts des années 1990, il n'existait pas vraiment de positionofficielle clairement dominante en matière d'option de tarification dans l'Unioneuropéenne. Cette politique avait évolué d'une approche centrée sur l'imputationrationnelle des coûts d'infrastructures, et privilégiant la contrainte budgétaire(tarification privilégiant le recouvrement des coûts d'exploitation), vers unedémarche plus pragmatique, se concentrant sur la suppression d'éventuellesdistorsions de concurrence entre États à travers des préconisations d'ordreréglementaire portant sur la fiscalité et l'harmonisation technique.

Les préoccupations de la Communauté ont peu à peu évolué vers uneintégration des préoccupations environnementales dans sa politique detarification. Dans son Livre Vert de 1995 intitulé « Vers une tarification équitableet efficace dans les transports, options en matière d'internalisation des coûtsexternes », la Commission souligne l'importance et l'efficacité de l'utilisationdes prix comme instrument de la politique de transport. L'objectif du Livre Vertétait donc de mettre en évidence un certain nombre de caractéristiques d'unsystème de tarification efficace et équitable. En effet, « pour assurer la viabilitédes transports comme le veut l'Union, il faut que les prix reflètent lesinsuffisances de capacité qui ne sont pas suffisamment prises en considération ».Le Livre Vert indique qu'il existe un décalage très net entre les prix payés par lesutilisateurs et les coûts réels. En particulier, les coûts liés aux accidents, auxencombrements et à la pollution ne sont couverts que partiellement.

Trois ans plus tard, la Commission publie son Livre Blanc (1998) intitulé Desredevances équitables pour l'utilisation des infrastructures: une approche parétapes pour l'établissement d'un cadre commun en matière de tarification des

7. Ce bloc de coût disparaît en dérivant le coût total par rapport au trafic, il n'est donc pas pris encompte dans une tarification au coût marginal de court terme.

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infrastructures de transport dans l'Union européenne. Dans ce Livre, elle estimeque la grande diversité des systèmes de tarification des infrastructures dans lesdifférents modes de transport et dans les différents États membres comprometl'efficacité et la durabilité du système de transport européen. En outre, lesredevances sont rarement perçues au point où a lieu l'utilisation et sontgénéralement sans rapport avec les coûts environnementaux. C'est pourquoi, laCommission ajugé nécessaire d'entreprendre, à l'échelle de la Communauté, uneharmonisation progressive des principes de tarification appliqués dansl'ensemble des principaux modes de transport commerciaux. Elle propose que lesystème de tarification soit fondé sur le principe de « l'utilisateur/payeur ». Lesredevances doivent être directement liées aux coûts que les usagers imposent auxinfrastructures et aux autres citoyens. La méthode préconisée par la Commissionest une tarification sur la base du coût marginal social qui consiste à faire payeraux usagers les coûts tant internes qu'externes (coûts d'exploitation, coûts liés àla dégradation des infrastructures, coûts liés aux encombrements, coûtsenvironnementaux, coûts liés aux accidents) qu'ils génèrent au pointd'utilisation.

S'ils doivent supporter les coûts réels de leurs activités, les usagers del'infrastructure seront donc incités à adapter leurs choix de transport en utilisantdes véhicules moins polluants et plus sûrs, en choisissant des itinéraires et uneorganisation logistique permettant de réduire la dégradation des routes,l'encombrement, et les risques d'accidents en optant pour un autre mode detransport.

C. Durabilité et tarification au CMS

1. L'efficacité économique

Dans le but de mettre en place un système de « mobilité durable », laCommission européenne avait recommandé le système de tarification préconisépar la théorie, à savoir, le coût marginal social de court terme. D'après laCommission, ce système garantit l'allocation optimale des ressources etmaximise le bien-être collectif. Dans l'organisation des transports, ce systèmeoptimalise la consommation de l'énergie, ainsi que les temps, les parcours et lesconditions de transport. Toutefois, les redevances reposant sur le coût marginalsocial de court terme ne sont pas liées aux coûts d'investissement étant donnéque ces derniers ne varient pas avec le trafic. Or l'optimalité de l'usage del'infrastructure implique que, pour l'usager, le tarif doit être représentatif duprélèvement de ressources économiques, que la satisfaction de sa demandeinduit. Pour que la tarification au coût marginal soit optimale, il faut que lesinvestissements soient parfaitement divisibles, que l'information soit parfaite etque le système de transport soit contrôlé d'une façon optimale par l'État. Or, enréalité, aucune de ces conditions n'est garantie pour les systèmes des transports.

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L'application de la tarification au coût marginal de courts termes conduiradonc à une fluctuation des prix et de l'investissement. En outre, et dans unenvironnement où l'information est imparfaite, il est assez difficile de contrôlerd'une façon optimale les investissements dans les infrastructures il est connu quel'État est un mauvais gérant dans le sens économique du terme. Enfin, l'efficacitééconomique signifie aussi que tous les modes de transports devraient être tarifésà l'optimum. Alors que rien ne garantit que la tarification au coût marginal socialde court terme réalise l'optimum dans toutes les infrastructures de transport: onpourrait, par exemple, prendre le cas de l'infrastructure portuaire où certainséconomistes pensent que la tarification au coût marginal social de long termesemble être plus adaptée (Abbes, 2007). À partir de la figure 1, il est clair quel'écart entre le coût marginal de long terme et le coût moyen est plus petit quecelui entre le coût marginal de court terme et le coût moyen dans une zone derendements croissants. Le déficit est donc moins élevé.

2. Durabilité environnementale

Sensibiliser les utilisateurs des transports aux coûts qu'ils engendrent pour lacollectivité, du seul fait de leur choix d'un mode de transport, constitue unepremière démarche en vue d'une réduction des nuisances environnementales.D'une façon plus générale, la connaissance des coûts externes pour chaque modede transport est un outil indispensable pour permettre aux autorités responsablesde donner des signaux au marché et d'orienter les consommateurs vers les modesde transport les plus respectueux de l'environnement. Selon la Commissioneuropéenne, le fait de faire payer à chaque pollueur les coûts des dommages qu'iloccasionne réduirait considérablement les coûts environnementaux.

Bien que l'approche proposée par la Commission ne garantisse pas lacouverture des coûts de chaque projet d'infrastructure individuel, elle produirait,d'après la Commission, suffisamment de recettes pour financer les nouvellesdépenses d'investissement en infrastructures. Cet objectif de la Commission esttout à fait contradictoire avec l'objectif de réduction des nuisancesenvironnementales: le financement de nouvelles infrastructures ne feraqu'augmenter la gêne occasionnée par les systèmes de transport vial'accroissement du trafic.

3. L'équité sociale

Le secteur des transports est un domaine essentiel du développementéconomique et de la solidarité territoriale. Cependant, il est particulièrementsensible à la qualité des services, à l'harmonisation des règles et conditions deconcurrence. L'harmonisation et la mise en place des principes communs detarification pour les grandes infrastructures de transports transeuropéennespermettront donc de réduire les distorsions de concurrence inacceptables quiexistent dans les domaines techniques, fiscaux et sociaux. En outre, les

110

corollaires de la mobilité durable sont l'internalisation des coûts d'infrastructure.Entre modes de transport, ce système permet l'élimination des distorsions deconcurrence qui résultent d'une imputation erronée des coûts. Entre lesutilisateurs de l'infrastructure, la tarification au coût marginal social impliqueque chaque usager paye pour le dommage qu'il occasionne, d'où la validation duprincipe de l'équité sociale intra et intergénérationnelle.

Néanmoins, la taxe optimale ne dépend pas seulement des coûts mais aussi del'élasticité de la demande de l'infrastructure. Le système de tarification devientdonc beaucoup plus compliqué puisque l'élasticité de la demande dépend duchoix de l'infrastructure, de la destination du mode de transport et de la valeur dutemps pour l'usager de l'infrastructure, ce qui signifie que la tarification optimaledevient discriminatoire selon les caractéristiques de l'usager d'où la remise encause du principe de l'équité. De plus, les zones urbaines sont beaucoup pluscongestionnées que les zones non urbaines. Cela signifie, qu'à travers latarification au coût marginal social, ces zones seraient beaucoup moinsattractives pour les voyageurs en raison des prix élevés de transport.

4. Un problème d'application et d'acceptabilité

Contrairement au présupposé de la Commission, le principe de la tarificationau coût marginal social ne constitue pas la meilleure solution au plan théorique.Lorsque l'infrastructure est sous-utilisée, la tarification au simple coût marginal(sans les coûts externes) peut opportunément être préconisée. Lorsquel'infrastructure est saturée, la tarification au coût marginal social de long termeest préférable pour éviter une demande excessive. En pratique, la tarification aucoût marginal social pose des problèmes de calcul et d'imputation des coûtsenvironnementaux. Dès lors que l'on rechercherait un consensus sur des chiffresprécis fondant une réglementation communautaire de tarificationd'infrastructures, la fourchette des appréciations apparaîtrait très ouverte, carcelles-ci sont à la fois approximatives et subjectives malgré l'harmonisation. Enoutre, les coûts marginaux d'usage sont éminemment variables selon lesinfrastructures concernées, les périodes d'utilisation, la nature des utilisateurs.Les problèmes de définition et de calcul des coûts marginaux sont aussiconsidérables. L'imputation d'une charge à la congestion devient mal acceptéepar l'usager puisqu'il bénéficie dans ce cas d'une qualité de service dégradée.L'harmonisation des règles de tarification des infrastructures de transport seheurte également à la disparité de la situation des différents États membres. Lespays de transit centraux ont intérêt à fixer les redevances à un niveau élevé,tandis que les pays périphériques ont un intérêt contraire.

La tarification joue en définitive un rôle essentiel dans le développement d'unsystème de transport durable. Dans le cadre de l'VE, la discussion fut déclenchéepar deux documents de la Commission européenne concernant la politique desprix: le Livre Vert de 1995 et le Livre Blanc de 1998. Ces documents proposentl'introduction de l'instrument tarifaire dans les régulations courantes du système

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de transport. En particulier, par l'application des principes de tarification baséssur les coûts marginaux sociaux.

Une des principales conséquences attendues de cette évolution estl'instauration d'un système de transport durable dans l'UE. En effet etconformément à la théorie, la tarification au coût marginal social permet uneallocation optimale des ressources et renforce l'efficacité économique desdifférents modes de transport. D'après quelques études menées par laCommission, ce système de tarification pourrait parvenir à une couverture totaledes coûts des infrastructures à travers des investissements croisés. Faire supporterà chaque usager les coûts des dommages qu'il occasionne réduiraitconsidérablement les coûts environnementaux. Enfin, l'harmonisation desprincipes de tarification dans tous les modes de transport permettra d'éliminer lesdistorsions de concurrence et de revitaliser les modes de transport peu polluants.

Cependant, la tarification au coût marginal social de court terme n'estoptimale que si les rendements d'échelle sont constants ou décroissants (cas dutransport routier urbain). Dans les autres cas, elle est source d'un déficitd'exploitation si la politique d'investissement n'est pas optimale. Or l'efficacitééconomique suppose que tous les modes soient tarifés à l'optimum, chose quin'est pas garantie puisque la tarification au coût marginal de court terme neréalise pas l'optimalité dans tous les modes de transport. En termes d'équitésociale, l'application du coût marginal social peut être une source dediscrimination entre les usagers des infrastructures. Par exemple, les usagers del'infrastructure urbaine, qui est souvent très congestionnée, payent plus cher queles usagers de l'infrastructure non urbaine, et ce pour une infrastructure à qualitéplus dégradée. Enfin, le calcul du coût marginal social est très complexe, enparticulier pour le calcul des coûts environnementaux, et son application seheurte à des problèmes d'acceptabilité de la part des usagers et des Étatsmembres qui ont des intérêts assez différents.

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DÉVELOPPEMENT DURABLEET GESTION COMPARÉE DES RÉSEAUX URBAINS

Gestion des services d'eau et d'assainissement et développementdurable:

Approche comparée entre la France, l'Italie et l'Espagne

Eva GUYARD*

Lors du sommet mondial sur le développement durable à Johannesburg du26 août au 4 septembre 2002, le thème de l'eau et de l'assainissement figuraitparmi les cinq priorités fixées par le Secrétaire général des Nations unies. Laproblématique de l'accès à l'eau potable et à l'assainissement des eaux usées estindéniablement partie intégrante de l'exigence d'un développement durable.

La notion de développement durable est une notion juridique floue. Il n'enexiste pas de réelle définition. Nous disposons uniquement de quelques élémentsde réponse, qui sont autant de pistes à explorer pour donner un sens, un contenu àce concept. Pour reprendre la définition telle qu'elle ressort du rapportBrundtland! de 1987, le développement durable s'entend d'un développement«qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité desgénérations futures à satisfaire les leurs ». L'idée qui prédomine à la création decette notion est celle de « durabilité ». Si nous faisons le choix, aujourd'hui, dudéveloppement2, au sens économique du terme, il ne s'agit pas de le faire sans sesoucier des conséquences pour l'avenir et notamment pour les hommes dedemain. Au final, ce concept rend compte d'une certaine évolution desmentalités: le droit de l'environnement en général, et le droit de l'eau enparticulier, est devenu un « droit pour» les générations futures à travers l'idéed'équité intergénérationnelle relayée par la notion de développement durable. Cesouci d'équité ne s'exprime pas uniquement entre les générations actuelles etfutures mais également entre les peuples d'aujourd'hui: il s'agit en effet derépondre à tous les besoins du présent, que l'on soit pauvre ou riche. Ces idées de

* DCS-CERP3E. Doctorante en droit public.1. Rapport mondial issu de la Commission mondiale sur l'Environnement et le Développement del'ONU présidée par Gro Harlem Brundtland, Our commonfuture.2. Certains préconisent ce que l'on appelle la « décroissance ».

« durabilité », d'équité sociale et transtemporelle sont le socle du concept dedéveloppement durable, laissant place à un potentiel d'extension considérable dusens de la notion.

En France, la notion de « développement durable» a été constitutionnaliséeavec la Charte de l'environnement issue de la loi constitutionnelle n° 2005-205du 1ermars 2005. On la retrouve à deux reprises dans ce texte. Le dernierconsidérant de principe est l'occasion de rappeler l'objectif, l'essence même duconcept: « qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés àrépondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité desgénérations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins. » Denouveau, se développe l'idée d'une solidarité à la fois intergénérationnelle ettranslocale (relations Nord/Sud). L'article 6 précise, quant à lui:

Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À ceteffet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, ledéveloppement économique et le progrès social.

Se déclinent ici les trois volets du développement durable: le voletenvironnemental, le volet économique et le volet social.

Du point de vue des éléments de l'environnement (au sens de composante dumilieu naturel), la manifestation de cette prise en considération du futurs'exprime à travers la notion de patrimoine commun de la nation. En effet, lepatrimoine commun se compose de « l'ensemble des biens, culturels et naturelsqui, en raison des valeurs que la collectivité leur reconnaît, doivent êtresauvegardés et transmis à ceux qui nous succéderont »3. Il constitue un héritage àtransmettre, impliquant une obligation de gestion en « bon père de famille»c'est-à-dire avec «modération et conscience »4. La notion désigne ainsi des« biens» à protéger de manière spécifique. La ressource en eau a été proclaméepatrimoine commun de la nation en 19925. L'intérêt patrimonial de l'eau estaujourd'hui une donnée essentielle pour la gestion du milieu aquatique dans laperspective de promouvoir un développement durable.

En Espagne, la quasi-totalité de la ressource en eau (eaux souterraines et eauxsuperficielles) fait partie du domaine public et ce depuis la loi espagnole n° 29 du2 août 1985. De même, en Italie, le dispositif « législatif»6 consolide le principede l'appropriation publique de la ressource naturelle. La loi Galli du 5 janvier1994 précise que l'eau doit être utilisée selon le principe de développementdurable à travers les principes de solidarité, d'économie et de renouvellement de

3. C. De KLEMM, « Environnement et patrimoine », in Quel avenir pour le droit del'environnement?, Actes du colloque organisé par le CEDRE et le CIRT, F. OST et S. GUTWIRTH(dir), publications des facultés universitaires de Saint-Louis, Bruxelles, 1996, p. 145.4. M. RÉMOND-GOUlLLOUD,Du droit de détruire, essai sur le droit de l'environnement, PUF,« Les voies du droit », 1989, p. 133.5. Article premier de la loi n° 92-3 sur l'eau de 1992, codifié à l'article L. 210-1 du Code del'environnement.6. Loi Galli n° 36 du 5 janvier 1994 et décret législatif n° 152 du II mai 1999 réformé par le décretlégislatif n° 258 du 18 août 2000. L'article 144 du texte unique environnemental (sorte de Code del'environnement), issu du décret législatif n° 152 du 3 avril 2006, reprend également le principe del'appropriation publique de l'eau.

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la ressource. La réappropriation publique de l'eau correspond à une prise deconscience de la valeur inestimable de l'élément naturel, vital et irremplaçable,qu'il est nécessaire de protéger pour que nos descendants puissent également enbénéficier, se manifestant par la limitation des droits individuels et exclusifs surl'eau.

En France, la ressource existe en quantité suffisante et est renouvelable. Eneffet, le pays dispose d'une capacité de stockage en eau élevée, du fait de sapluviométrie, de ses grandes montagnes, de son réseau hydrographique étendu etde ses importantes nappes souterraines. Mais les ressources en eaux françaisessont, comme partout, inégalement réparties et varient selon les saisons. Ainsi,certaines régions peuvent connaître des difficultés en période de sécheresse. Demême, de nombreux phénomènes de pollution demeurent. En Espagne, laressource n'est pas en grande disponibilité: ce déficit en eau est accentué parl'évapotranspiration due à la rigueur du climat. La péninsule ibérique est bienconnue pour les sécheresses qui l'accablent régulièrement, notamment dans sapartie méridionale. Les conséquences sont souvent désastreuses, tant pourl'agriculture, secteur clé de l'économie de ces régions, qu'en ce qui concerne lesrelations, souvent conflictuelles, qu'entretiennent les autorités régionales avecl'État quant aux mesures à prendre pour une gestion optimale des ressources eneau. Cette situation hydrique explique que l'Espagne est une pionnière dans ledomaine puisque le pays a dû s'adapter à la sécheresse comme aux inondations.Ainsi, dès 1866, elle adopte des lois spécifiques en matière d'eau. L'Espagnes'est également dotée d'organismes ou de mécanismes originaux à l'image duTribunal de l'eau à Valence7 ou encore des transferts de ressources8 des bassinsatlantiques à ceux de la Méditerranée. La politique hydraulique espagnole est unepolitique de l'offre caractérisée par de grands ouvrages hydrauliques(transvasements, barrages9, longues canalisations). L'Italie est également touchéepar la pénurie d'eau: le climat y est méditerranéen et sec. Comme en Espagne, lepays est caractérisé par une grande disparité relative à la disponibilité de l'eauentre le Nord et le Sud, ainsi que par sa consommation d'eau. En effet, ces deuxÉtats méditerranéens sont de grands consommateurs de la ressource à cause del'irrigation et non de la consommation urbaine comme on pourrait le croire.L'Espagne dispose de 30 % des surfaces irriguées en Europe (Europe des 15) etl'Italie de 23 %10.

7. Depuis plusieurs siècles, ce tribunal, composé de membres choisis et élus parmi les exploitantsagricoles, arbitre en audience publique les litiges concernant la distribution de l'eau dans la valléede la Turia. Le Tribunal des Eaux de Valence offre de ce fait un exemple très intéressant d'auto-gestion par une population de ses ressources. À travers une pratique coutumière en apparence peucontraignante et respectée, les habitants de toute une région semblent avoir réussi à dépassionner età pacifier la gestion de la ressource.8. Transfert Tajo-Segura en 1971. Par contre, en 2004, le gouvernement de José Luis Zapatero aabrogé le projet de transfert Ebro-bassins intérieurs de la Catalogne, Jùcar et Segura, pourtantapprouvé en 2001 par le Parlement.9. 11Y al 070 grands barrages.

10. I.-C. VERGÈS., « Le juste prix de l'eau en Espagne », Revue d'économie méridionale, n° 191,2000-3, vol. 48, na spécial « Multi-usages et gestion de l'eau en Méditerranée », p. 218.

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Selon le droit communautaire, « l'eau n'est pas un bien marchand comme lesautres mais un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et traiter comme tel », cepremier considérant de la directive cadre sur l'eau de 2000 II (DCE) témoigne dela volonté de concilier le volet économique et environnemental de l'eau en neniant pas l'aspect marchand de la gestion de la ressource d'une part, tout enreconnaissant le caractère patrimonial et partant l'idée de transmission de l'eau,d'autre part. Par ailleurs, dans son article premier, la DCE précise qu'elle doitcontribuer à « assurer un approvisionnement suffisant en eau de surface et eneau souterraine de bonne qualité pour les besoins d'une utilisation durable,équilibrée et équitable de l'eau. » Ces articles sont autant de rappels, de « clinsd'œil» aux objectifs ou à la philosophie du développement durable distillés dansl'ensemble du texte communautaire.

Il est possible de distinguer plusieurs dimensions du développement durable.Il a tout d'abord une dimension internationale qui s'exprime à travers l'exigencede la prise en considération des problématiques écologiques au niveau mondialtout en permettant une juste égalité entre les pays du Nord et ceux du Sud. Il sedécline également au niveau national et notamment avec l'inscription de lanotion dans un certain nombre de politiques publiques (autresqu'environnementales) et la proclamation de la valeur patrimoniale de certainséléments de l'environnement. Enfin, se dégage une dimension urbaine dudéveloppement durable à l'instar de la mise en œuvre des Agendas 21 locaux.Dans ce contexte, on évoque de plus en plus le développement urbain durable semanifestant à travers les choix de politiques urbaines 12 et la gestion des servicespublics locaux, notamment les services d'eau et d'assainissement. En France, leservice d'eau potable regroupe «tout service assurant tout ou partie de laproduction par captage ou pompage, de la protection du point de prélèvement, dutraitement, du transport, du stockage et de la distribution d'eau destinée à laconsommation humaine »13.L'approvisionnement en eau est un service d'intérêtgénéraP4 au sens du droit communautaire. Le service d'assainissement estcomposé des services assurant en tout ou partie « le contrôle des raccordementsau réseau public de collecte, la collecte, le transport et l'épuration des eaux usées,ainsi que l'élimination des boues produites », les travaux sur certainesinstallations à la demande des propriétaires et enfin, le contrôle des installationsd'assainissement non collectifI5.

De quelle manière les autorités compétentes, au travers de la réglementation(au sens large) et de leurs modes d'action, intègrent-elles les objectifs dudéveloppement durable dans la gestion des services d'eau et d'assainissement?

Il. Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant uncadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.12. Se pose inévitablement la question de savoir comment vivre ensemble dans un espace decontraintes.

13. Nouvel article L. 2224-71 CGCT tel que modifié par l'article 54 de la nouvelle loi sur J'eau etles milieux aquatiques n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 (LEMA).14. Considérant 15 de la DCE de 2000.15. Le service d'assainissement a été redéfini par la LEMA, (article 54).

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Face à ces exigences de développement urbain durable, quelle politique desservices publics de l'eau adopter, quelles structures et modes de gestionprivilégier, quels moyens donner aux collectivités dans les États européens?

Cette prise en considération du développement durable et de ses objectifs dansle cadre des services d'eau et d'assainissement, en France, en Italie et enEspagne, se traduit d'une part, par la distillation diffuse de nouveaux élémentsdavantage en adéquation avec les exigences de «durabilité» et d'équitéintergénérationnelle, s'exprimant à travers la recherche d'une certaine efficacitéenvironnementale (I) et d'autre part, par l'instauration d'une politique detarification de l'eau au service de la protection de l'environnement (II).

1. À la recherche d'une efficacité environnementale

L'objectif environnemental concernant la gestion de la ressource en eau estrelativement clair; il s'agit d'assurer la préservation, la protection etl'amélioration de la qualité de l'eau (aspect qualitatif) ainsi que l'utilisationprudente et rationnelle de la ressource naturelle (aspect quantitatif). Au-delà desnormes de qualité de l'eau, une certaine organisation du service public permetd'obtenir une gestion efficace et soucieuse de la ressource. Se pose alors laquestion du niveau pertinent d'intervention du service public local (A) ainsi quede son mode de gestion (B).

A. La question de la territorialisation de l'action publique:à la recherche d'un niveau d'intervention pertinent

Il convient que les décisions soient prises à un niveau aussi proche que possibledes lieux d'utilisation ou de dégradation de l'eau. Il y a lieu de donner la prioritéaux actions relevant de la responsabilité des États membres, en élaborant desprogrammes d'actions adaptées aux conditions locales et régionalesl6.

La notion de développement durable est inséparable de celle de territoire et afortiori lorsqu'est évoqué le développement urbain durable. «Promouvoir ledéveloppement durable, c'est donc s'appuyer sur la richesse sociologique duterritoire 17 . .. » Se pose alors la question de la délimitation du territoire pertinent.

En France, la compétence en matière de gestion des services publics d'eau etd'assainissement revient traditionnellement aux communes mais de plus en plusle développement de l'intercommunalité a pris le pas sur une gestionexclusivement communale, et notamment en matière de distribution de l'eau. Laloi du 12juillet 1999, dite loi Chevènement, relative au renforcement et à lasimplification de la coopération intercommunale privilégie trois formes de

16. Considérant l3 de la DCE de 2000.17. A. DELBLOND,« Intercornmunalité et développement urbain durable », Cahiers administratiftet palitistes du Ponant, na 13, 2005, p. II et s.

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regroupement intercommunalIs à fiscalité propre, plus opérationnel du fait de leurdimension plus adaptée.

Cette association de communes pour la gestion des services publics d'eau etd'assainissement s'explique par la volonté d'éviter l'émiettement communal (enFrance, il y a environ 36 500 communes) et notamment dans un but financier. Eneffet, les services d'eau nécessitent d'importants investissements et ainsi desmoyens financiers conséquents, des infrastructures performantes, un personnelcompétent,... Dans ce cadre, le regroupement intercommunal permet d'assurerune « mutualisation » des moyens. C'est ce qu'on appelle l'intercommunalité degestion (SIVU, SIVOM). Mais au-delà de cette mise en commun descompétences, la coopération intercommunale est aussi l'occasion d'établir unvéritable projet de vie pour la communauté. Par exemple, l'institution d'unecommunauté urbaine!9 a pour objectif de permettre l'élaboration et la conduite«d'un projet commun de développement urbain et d'aménagement d[u]territoire» et ceci « au sein d'un espace de solidarité »20. Pour cela, elle détientun certain nombre de compétences obligatoires dont la protection et la mise envaleur de l'environnement et la politique du cadre de vie ainsi que la gestion desservices d'intérêt collectif2!. Nous ne sommes plus dans le cadre d'une simpleintercommunalité de gestion mais dans une intercommunalité de projet. Ainsi, cen'est pas seulement une addition de communes mais une organisation ayant unvéritable projet à travers une «collaboration intelligente »22. D'ailleurs, uncertain nombre d'auteurs font le pari gagnant de l'échelon intercommunal pour laprotection de l'environnement23. Le rapport de la Cour des comptes de 2003,relatif à la gestion des services d'eau et d'assainissement, va dans ce sens. Eneffet, selon ce rapport, la coopération intercommunale améliore le service renduaux usagers autant d'un point de vue qualitatif qu'en termes de prix de l'eau24.

Pourtant, le mouvement de décentralisation Acte IFs en France n'a pas permisla consécration de l'établissement de coopération intercommunale comme niveauà part entière d'administration territoriale. Malgré tout, le nouvel article 72,

18. La communauté urbaine est destinée aux grandes agglomérations (plus de 500000 hab.), lacommunauté d'agglomération s'adresse aux communes de taille moyenne (ensemble d'au moins50000 habitants autour d'une commune-centre d'au moins 15000 hab.) et la communauté decommunes concerne davantage les communes rurales. Articles L. 5214-1 à L. 5216-1 CGCT.19. Les communautés urbaines ont été créées par la loi du 31 décembre 1966.20. Article L. 5215-1 du CGCT.21. 11y a 4 autres groupes de compétences obligatoires:

- le développement et l'aménagement économique, social et culturel de l'espace communautaire;- l'aménagement de l'espace communautaire;- l'équilibre social de l'habitat sur le territoire;- la politique de la ville dans la communauté.

22. A. DELBLOND,« Intercommunalité et développement urbain durable », Cahiers administratifset paUlistes du Ponant, na 13,2005, p. 25.23. C. RIBOT, « Protection de l'environnement et dynamique intercommunale: activismevisionnaire ou optimisme résigné? », Lamy collectivités territoriales, 2006.24. « La coopération intercommunale dans un cadre adapté permet aux collectivités de rééquilibrerleur rapport dans la négociation des contrats et le contrôle de leur mise en œuvre avec les grandsopérateurs du secteur de l'eau et de l'assainissement », p. 73.25. Révision constitutionnelle du 28 mars 2003.

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alinéa 4 de la Constitution, tel qu'il est issu de la révision constitutionnelle du28 mars 2003 consacre le droit à l'expérimentation législative et réglementairepour les « collectivités territoriales ou leurs groupements ».

En Espagne comme en Italie, les services d'eau et d'assainissement ressortentde la compétence des communes ou de leurs groupements. En Espagne, lacoopération intercommunale est majoritairement utilisée dans les grandesagglomérations urbaines. En Italie, il existe essentiellement deux formesd'EPCI: le consorzio (équivalent du SIVU en France) et le comprensorio quicorrespond davantage à l'ancien district français. L'intercommunalité n'a pas lamême dimension en Espagne et en Italiez6 dans la mesure où, en France, il existeun véritable émiettement territorial, particulièrement préjudiciable en matière depréservation des éléments de l'environnement. Par contre, ce sont des pays danslesquels l'eau est souvent amenée de loin étant donné le contraste relatif à ladisponibilité de la ressource entre les différentes régions (par exemple, enEspagne, transvasement du nord au sud). Il existe ainsi plusieurs réseaux ouaqueducs gérés à un niveau régional (Communautés autonomes en Espagne)voire même national et qui alimentent les réseaux locaux gérés par lescommunes. Le niveau régional apparaît être dans ce cadre un niveau de gestiondes infrastructures plus adéquat et conforme au système des autonomies locales.

En Italie, la loi GallF7 du 5 janvier 1994 a incorporé un certain nombred'évolutions. Elle a été conçue notamment dans le but de stopper lafragmentation des services de l'eau, à l'origine des déséquilibres de gestion. Eneffet, l'émiettement communal est moindre qu'en France, mais il y existe un fortlocalisme de gestion se caractérisant par la multiplication des microstructures degestion des services de l'eau et de l'assainissement au niveau local. Elle prévoitainsi, en ce qui concerne l'organisation des services de l'eau, la réunion en uneseule unité de gestion des services de captage, adduction, distribution,assainissement et épuration: c'est ce qu'on appelle le service intégré des eaux(Servizio Idrico Integrato). La gestion de l'ensemble de ces services est confiée àun unique gérant dans le cadre d'un domaine territorial optimal. Ce concept de« domaine territorial optimal» est une nouveauté en Italie et traduit la recherched'une taille optimale de gestion (Ambito Territoriale Ottimale, ATO) à définir surla base de paramètres physiques, démographiques, techniques, sans oublier lessubdivisions politiques et administratives. Les régions sont chargées de définirces territoires à l'intérieur desquels les communes (comuni) et les provincesdoivent s'accorder pour constituer des syndicats intégrés. Ce mécanisme originaldémontre une volonté de concentrer les efforts de protection de l'eau dans lecadre d'un territoire unique (service intégré des eaux) et pertinent pour la gestion

26. Pour avoir un ordre d'idée, l'Italie et l'Espagne comptent un peu plus de 8000 communesalors que la France en compte 36 500 environ.27. La Loi Galli du 5 janvier 1994 « Dispositions en matière de ressources en eau» achève leprocessus de révision de la législation italienne en matière de ressources en eau, démarrant laréforme du secteur qui avait déjà été prévue par la Loi Merli de 1976. Le décret législatif n° 152 du3 avril 2006 portant texte unique des normes en matière environnementale en a repris les grandsprincipes tout en adoptant les adaptations nécessaires au droit communautaire.

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de la ressource28, et ce toujours dans une logique d'efficacité. Malheureusement,ce système n'est pas réellement appliqué sur l'ensemble du territoire. L'idée restepertinente dans la mesure où il apparaît nécessaire de démultiplier la gestionintégrée à des échelles territoriales plus proches des situations concrètes dans uneoptique d'efficacité environnementale optimale.

B. La question du mode de gestion,' public contre privé

En Europe, coexistent différents modes de gestion des services publics d'eauet d'assainissement allant de la régie directe à la dévolution pure et simple ausecteur privé. Dans ce contexte, la France s'inscrit dans une situationintermédiaire.

1. La délégation de service public, mode de gestion privilégié desservices d'eau en France

L'article L. 1411-1 du CGCT précise:

Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale dedroit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à undélégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée auxrésultats de l'exploitation du service29.

La place de ce mode de gestion dans le domaine de l'eau est importante enFrance. On peut même parler d'une spécificité française en la matière puisque80 % de la population est desservie en eau par des sociétés privées, délégatairesdu service public local, et notamment à ce que l'on appelle les « Trois sœurs»c'est-à-dire Veolia Environnement30 (40 % des abonnés), Suez-Ondeo31 (22 %) etla SAUR32 (16 %). Le chiffre reste cependant plus faible en ce qui concernel'assainissement: 55 %. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, il reste peu de placespour la gestion en régie. La distribution de l'eau potable et l'assainissementconstituent des services publics qui sont au cœur des politiques publiquesenvironnementales. En ce sens, ils nécessitent d'importants investissementsfinanciers. Il faut ajouter à cela le double mouvement de multiplication et dedurcissement des normes sanitaires et environnementales au niveaucommunautaire, notamment des règles européennes relatives à la qualité de l'eau

28. La loi Galli a également posé comme critère fondamental le respect de l'unité du bassinhydrographique et des sous-bassins.29. Définition jurisprudentielle (CE, 15 avril 1996, Préfet des Bouches du Rhône ci Commune deLambesc, Rec. p. 137) reprise par la loi n02001-1168 du 22 décembre 2001 dite loi MURCEF(mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier).30. Veolia Environnement fait partie du groupe Vivendi, anciennement Compagnie Générale desEaux (CGE).31. Suez-Ondeo correspond à ('ancienne Lyonnaise des Eaux.32. Société d'Aménagement Urbain et Rural.

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destinée à l'alimentation humaine33 amSl que celles concernantl' assainissement34.

Dans ce contexte d'accroissement des exigences relatives à l'eau potable et àl'assainissement, Simon Williamson35 vise à démontrer la légitimité de ladélégation comme mode de gestion d'un service public environnemental. Enl'occurrence en l'espèce, l'auteur prend l'exemple de la gestion des déchetsménagers mais ce raisonnement est tout à fait applicable aux services publics del'eau potable et de l'assainissement. Il s'agit de démontrer que ce mode degestion permet de faire la synthèse des exigences du fait de la nature mixte de cetype de service public: à la fois régulation publique et régulation privée. Uneautorité publique confie la gestion du service à un délégataire privé tout enrestant responsable de ce service. Au final, la délégation de service publicreprésente une alternative intéressante au tout public et au tout privé enpermettant une conciliation des intérêts. L'analyse est intéressante mais ilapparaît nécessaire que chaque acteur, qu'il soit privé ou public, soit réellementencadré et que la collectivité publique dispose des moyens suffisants luipermettant d'assurer sa mission de satisfaction de l'intérêt généraP6. Or, il arrivebien souvent que l'autorité délégante en France soit démunie face aux grandesentreprises multinationales intervenant sur un marché quasi monopolistique.

Aujourd'hui, plusieurs communes tentent de revenir à un mode de gestiondirecte et notamment dans le but d'endiguer l'augmentation du prix de l'eau, àl'instar de la ville de Grenoble. Il apparaît en effet, contrairement à l'idée reçue,que la gestion directe par la collectivité publique favorise la baisse du prix del'eau. Cependant, revenir à un mode de gestion directe n'est pas chose aiséecomme l'illustre l'exemple de Grenoble: il lui a fallu cinq années pour acheverla transition, entre la décision de retour à la régie et l' effectivité de sa mise enœuvre37. Il semble que la Haute juridiction administrative favorise également larégie directe dans la mesure où le Conseil d'État a validé la délibération d'unconseil général prévoyant des subventions plus importantes pour les communesgérant leur service de distribution d'eau potable en régie38.

33. Directive 75/440/CEE du Conseil, du 16 juin 1975 concernant la qualité requise des eauxsuperficielles destinées à la production d'eau alimentaire dans les États membres; directive80/778/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, relative à la qualité des eaux destinées à laconsommation humaine, directive 98/83/CE du Conseil du 3 novembre 1998 relative à la qualitédes eaux destinées à la consommation humaine.34. Directive 86/278/CEE du Conseil du 12 juin 1986 relative à la protection de l'environnement,et notamment des sols, lors de l'utilisation des boues d'épuration en agriculture; directive9I/27I/CEE du Conseil du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux résiduaires urbaines.35. S. WILLIAMSON,« La légitimation de la délégation du service public environnemental par ledéveloppement durable. Le cas du traitement des déchets ménagers et assimilés », Cahiersadministratifs et politistes du Ponant, n° 13,2005, p. 51 et s.36. En l'occurrence, ici, il s'agit de répondre au besoin d'approvisionnement en eau et àl'assainissement des eaux usées.37. Dans cette phase de transition, la ville de Grenoble a modifié la société délégataire en latransformant en société d'économie mixte.38. CE, Ass., Département des Landes, 12 décembre 2003. La LEMA de 2006 va dans le senscontraire puisqu'elIe précise à l'article 54 10 : « Les aides publiques aux communes et groupements

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De nombreux efforts ont été réalisés en ce qui concerne la transparence etl'efficacité de ces contrats de délégation de service public en France avecnotamment l'interdiction des droits d'entrée, la réglementation relative auxprocédures de délégation de service public (la loi Sapin de 1993 exige plus detransparence en favorisant la mise en concurrence des candidats), l'améliorationde l'information du délégant par le délégataire39... La LEMA a également ajoutéun certain nombre de dispositions allant dans ce sens4o.

2. Une gestion municipale majoritaire en Italie et en Espagne?

En Espagne, la grande majorité des services d'eau et d'assainissement sontgérés directement par les communes mais la délégation au secteur privé estégalement en plein essor pour les mêmes raisons qui poussent les autres Étatseuropéens à recourir à un mode de gestion privé: les exigences européennes, deplus en plus contraignantes, imposent de trouver des capitaux.

Le mode de gestion des services d'eau évolue également progressivement enItalie. La gestion municipale, également appelée « municipalisme », prédominaiten Italie (mais pas uniquement puisque l'on retrouve ce mode de gestion enAllemagne, dans les pays scandinaves, en Irlande ou encore en Grèce).Organisatrice du service de distribution, la collectivité locale (commune,district.. .) en assurait également la gestion. L'utilisation de la régie s'expliquaitpar le fort localisme qui règne en Italie. Cependant, cette gestion directen'interdisait pas tout recours à des personnalités juridiques distinctes de celle dela commune. Ainsi, la loi italienne n° 142 du 8 juin 1990 portant organisation desautonomies locales a autorisé la gestion des services publics locaux par dessociétés par actions qui, jusqu'en 199241, devaient être majoritairement détenuespar les communes. L'article 35 de la loi de finances 200242 a par ailleurs imposéla transformation de toutes les régies municipales de gestion de l'eau en sociétésanonymes (publiques, privées ou mixtes), les régies étant prohibées.

Ce dispositif législatif impose ainsi un nouveau contexte de libéralisation dusecteur des services publics de l'eau4\ s'inscrivant dans un mouvement général

de collectivités territoriales compétents en matière d'eau potable ou d'assainissement ne peuventêtre modulées enfonction du mode de gestion du service. il (art. L. 2444-11-5 CGCT).39. La loi Mazeaud du 8 février 1995 prévoit l'obligation pour le délégataire de fournir un rapporttechnique aux personnes publiques responsables.40. Voir notamment l'article 54 de la LEMA.

41. L'article 12 de la loi n° 498 du 23 décembre 1992 relative aux interventions urgentes enmatière de finances publiques modifie la loi n° 142 du 8 juin 1990 en permettant aux collectivitéslocales de constituer des sociétés par actions pour la gestion des services publics, sans qu'il soitnécessaire qu'elles y soient majoritaires.

42. Loi n° 448 du 28 décembre 2001 (loi de fmances 2002).43. À noter qu'en Italie, en l'attente d'une nouvelle loi sur l'eau, un moratoire sur le fait de confierla gestion du service intégré de l'eau à des personnes privées a été adopté par le Sénat à l'article 26ter du décret fiscal annexé à la loi de fmances pour 2008 (loi n° 244 du 24 décembre 2007).

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d'extension de la gestion privée44. Cette nouveauté vise à encourager les pouvoirspublics mais surtout le secteur privé à garantir une allocation efficiente de laressource.

Au final, dans le cadre de cette recherche d'une gestion environnementaleefficace, il apparaît que la solution vient d'un partenariat public-privé. Lesautorités publiques, garantes de l'utilisation rationnelle de la ressource en eau, enconfient la gestion à des partenaires privés susceptibles d'apporter d'importantscapitaux nécessaires à la mise en œuvre des exigences de protection de laressource. Ce système peut fonctionner à la condition que la collectivité publiquedispose de moyens de contrôle de la gestion privée qui soient suffisants et qui luipermettent d'avoir une véritable autorité et non pas de subir une gestion opaque.

Quel que soit le mode de gestion choisi, la puissance publique doit resteromniprésente dans la mesure où l'eau est un « bien» qui ne peut pas être gérécomme les autres car il est indispensable à la vie et à la plupart des activitéshumaines sans être substituable. Dans le cadre de ce partenariat, il est nécessaired'ajouter un troisième acteur: l'usager. En effet, la participation active ducitoyen aidera à l'acceptabilité sociale de la sauvegarde de l'intégrité de laressource en eau.

II. La tarification de l'eau: un outil économique au service de lapréservation de la ressource

Le prix de l'eau est une préoccupation croissante des usagers des servicespublics d'eau et d'assainissement. Le développement de l'information pousse lecitoyen à exiger plus de transparence et notamment en ce qui concerne la fixationdu prix de la ressource. Depuis quelques années, la tarification de l'eau estdevenue un outil de protection de la ressource. La DCE du 23 octobre 2000 aimposé un nouveau principe: la récupération du coût des services liés àl'utilisation de l'eau (A).

Cette récupération des coûts doit permettre de financer notamment lesinvestissements liés à la modernisation des réseaux de distribution etd'assainissement dans une perspective d'amélioration des services publics. Elleconstitue également un mécanisme d'incitation à une utilisation raisonnable de laressource. Cependant, ce principe de récupération de l'ensemble des coûtsengendrés par le fonctionnement du service ne doit pas défavoriser certainssecteurs économiques ni empêcher certaines catégories de personnes d'accéder àl'eau potable. Se mettent alors en œuvre des mécanismes de solidarité (B).

44. En Grande-Bretagne, le Water Act de 1989 a privatisé les Regional Water Authorities, qui sontpeu ou prou assimilables aux Agences de l'eau ftançaises. La distribution et l'assainissement sontdu ressort de sociétés privées.

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A. Le principe de récupération du coût des services liés àl'utilisation de l'eau

Il est indéniable que le droit français a exercé une influence sur les principesrégissant le financement de la politique de l'eau: « L'eau paye l'eau est unprincipe qui trouve sa traduction dans une tarification dont l'objectif est dedévelopper et d'entretenir les infrastructures45.» Ainsi, le principe derécupération du coût des services liés à l'utilisation de l'eau, prévu par la DCE de2000, s'impose dans tous les États membres de l'Union européenne. Toutefois, laportée de la directive est affaiblie par les larges dérogations qu'elle accorde auxÉtats.

1. Le cadre communautaire

La directive-cadre du 23 octobre 2000, dans son article 9, précise « les Étatsmembres tiennent compte du principe de la récupération des coûts des servicesliés à l'utilisation de l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et lesressources, [...] et conformément, en particulier, au principe du pollueur-payeur. » L'objectif affiché est clair: la politique de tarification de l'eau doitinciter les usagers de l'eau à une utilisation rationnelle et efficace de la ressourceet par là même, contribuer à la réalisation des objectifs de la directive-cadre.

La tarification du prix de l'eau doit ainsi prendre en compte l'ensemble desservices dont bénéficient les usagers ainsi que les conséquences des prélèvementset des rejets d'eau sur l'environnement. Il s'agit de services tels que le captage,l'endiguement, le stockage, le traitement et la distribution d'eau de surface oud'eau souterraine ainsi que les installations de collecte et de traitement des eauxusées qui effectuent ensuite des rejets dans les eaux de surface. L'objectif de ladirective est d'individualiser comptablement chaque élément de la politique del'eau. Au-delà de la récupération des coûts engendrés par les investissements entermes d'infrastructures et de technologies, il s'agit de récupérer les coûtsenvironnementaux et de la ressource c'est-à-dire les coûts pour l'environnementde manière globale et ainsi que les coûts liés à la ponction de l'eau dans sonmilieu naturel (quantitatif) et à la pollution engendrée par le rejet des eaux aprèstraitement (qualitatif). Cette politique de tarification de la ressource s'inscrit dansun mouvement plus général d'internalisation des coûts externes dans le butd'intégrer les coûts environnementaux dans chaque activité économique.

On retrouve ici la double problématique de la régulation tarifaire des servicesd'eau et d'assainissement: d'une part, une exigence environnementale (principepollueur-payeur et « préleveur-payeur ») et d'autre part, la nécessité de financerles investissements.

45. Rapport d'information sur la gestion de l'eau sur le territoire, J.-LAUNAY,2003.

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2. L'application du principe dans les États membres de l'Unioneuropéenne: l'exemple de la France, de l'Italie et de l'Espagne

En France, malgré une transposition tardive46 de la DCE par la loi du 21 avril2004, laquelle pose le principe de récupération des coûts des services liés àl'utilisation de l'eau dans son article premier47 (codifié aujourd'hui à l'alinéa 3 del'article L. 210-1 du Code de l'environnement), le droit français reconnaît déjà leprincipe posé par la directive communautaire, visant à ce que le prix payé parl'usager corresponde à la valeur réelle du service qu'il reçoit. Les servicesfrançais de distribution d'eau et d'assainissement, financièrement gérés commedes services publics industriels et commerciaux, donnent lieu à la perception deredevances dues par les usagers et affectées au financement des charges desservices, quel que soit le mode de gestion choisi.

En Espagne, comme vu précédemment, l'eau est la propriété de l'État,excluant par là même tout droit exclusif des tiers ou utilisateurs sur la ressource.Seuls existent des droits d'usage. De ce fait, l'eau en Espagne est gratuite. Eneffet, « en "compensation" à cette propriété publique, l'eau comme bien ouressource naturelle n'a pas de prix »48. La tarification de l'eau ne prend enconsidération que le coût des infrastructures et services relatifs à l'eau c'est-à-dire le captage, la potabilisation, l'assainissement, la distribution... mais l'eau enelle-même, en tant que ressource naturelle, est gratuite. Or, cette gratuité est entotale contradiction avec le principe communautaire de récupération des coûtsdes services c'est-à-dire y compris des coûts pour l'environnement et laressource.

En Italie, d'importantes innovations ont été apportées par la loi Galli de 1994et notamment en ce qui concerne la tarification de l'eau. Elle préconise en effet,la détermination du tarif sur la base de critères économiques (coûts des servicesfournis, qualité, investissements, etc.). Le tarif devient une contrepartie et doncun prix. Cette loi permet la détermination d'un nouveau modèle de gestion desservices et de financement des investissements, qui ne se base plus sur les seulsfonds publics visant à combler les pertes continues, mais qui vise à se procurer,dans le même système de gestion, les ressources financières nécessaires pourréaliser les projets de modernisation. La loi Galli prévoit que le tarif, qui est leprix du service, devra garantir la couverture de toutes les charges liées à lagestion du service, non seulement des coûts d'exercice, mais aussi des fraisd'amortissement et d'investissement.

46. La date butoir de transposition dans les États membres a été fixée au 22 décembre 2003.47. Article premier: L'article L. 210-1 du Code de l'environnement est complété par un alinéaainsi rédigé, « Les coûts liés à l'utilisation de l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et les

ressources elles-mêmes, sont supportés par les utilisateurs en tenant compte des conséquencessociales, environnementales et économiques ainsi que des conditions géographiques etclimatiques. »48. A. FANLO LORAs, « Le modèle espagnol de participation du public à la gestion del'eau: mythe, réalité et défis immédiats », Revue Environnement, juillet 2005, dossier spécial: lagestion de l'eau, p. 78.

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Au final, aujourd'hui, ces États européens ont plus ou moins bien intégré lanécessité de récupérer les coûts de fonctionnement des services publics de l'eauet de l'assainissement (du moins dans son principe)49 mais il reste des efforts àfournir pour internaliser les coûts externes dans le prix de l'eau, c'est-à-dire lescoûts pour l'environnement et la ressource, conformément à la DCE et ce malgréle développement des redevances ou taxes concernant la pollution et lesprélèvements (à l'image du modèle français).

B. La mise en œuvre de la solidarité

Le volet social du développement durable est souvent mis de côté, oublié; or,il joue un rôle important en tant que troisième pilier du concept. La solidaritéjoue d'abord par la mise en œuvre de mécanismes de péréquation financière enfaveur de certains secteurs ou régions, au sens géographique du terme (1).Cependant, le volet social touche également la problématique de l'accès à l'eau.En effet, un des problèmes les plus fondamentaux en ce qui concerne le domainede l'eau est celui de l'accès à la ressource, renvoyant au droit à une eau potable(pour vivre) et à l'assainissement. Cette problématique touche essentiellement lespays en voie de développement mais aussi à une échelle et un degré moindres,certaines populations des pays occidentaux. Le coût de la vie allant enaugmentant, il apparaît de plus en plus difficile pour certaines familles de payerleur facture d'eau (2).

1. Les systèmes de péréquation et de solidarité: un trompe-l'œil ?

En France, a été mis en place un système de péréquation et de solidaritépermettant de tenir compte de la capacité contributive des secteurs économiqueset sociaux et ainsi d'effectuer des financements croisés entre ces mêmes secteurs(ex: péréquation entre les ménages et l'industrie d'une part et le secteur agricoled'autre part, péréquation possible également au sein d'une structureintercommunale entre communes centrales et périphériques. . .). Ainsi, le systèmefrançais de redevances favorise largement le secteur agricole au détriment desménages et de l'industrie au nom de la solidarité. Les usagers non agricolescontribuent indirectement à rendre l'eau des usagers agricoles moins chère. EnItalie, la volonté de soutien au secteur agricole emporte les mêmesconséquences: ainsi, les ménages paient une redevance de prélèvement 43 fois etl'industrie 135 fois supérieure à celle payée par les agriculteurs5o. Or, ce secteurest un très gros consommateur d'eau du fait de l'utilisation massive del'irrigation. Ce système est en contradiction flagrante avec les exigences d'usagerationnel et raisonné de la ressource rare. Par ailleurs, les usagers agricoles en

49. En pratique, malgré une augmentation du prix de l'eau, celui-ci est encore trop bas pourpermettre un recouvrement intégral des coûts liés au service, et notamment en Italie.50. H. SMETS, La solidarité pour l'eau potable - Aspects économiques, site de l'Académie del'eau: www.academie-eau.org.

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Italie ne paient pas les surcoûts imposés aux distributeurs qui doivent traiter defaçon plus importante les pollutions occasionnées par l'agriculture (dénitri-fication.. .).

En Espagne, il existe également un système dit de «péréquation et desolidarité» initialisé dans l'avant-projet de Plan hydraulique national (PHN) de1993. Cet avant-projet proposait de développer les transvasements entre bassinshydrauliques. L'objectif affiché était d'en finir avec la répartition déséquilibréedes ressources hydrauliques espagnoles. Certains transvasements existaient déjàcomme par exemple, le transvasement Tage-Segura en fonctionnement depuis1979. Ce PHN témoigne de la volonté de généraliser l'utilisation de cetteméthode; c'est ce qu'on appelle le système intégré d'équilibre hydrauliquenational5l (SIEHNA). Par ce système, il s'agit de mettre en application lasolidarité 52 et la cohésion53 nationales. Au final, l'Espagne se caractérise par cestransferts d'eau des bassins du Nord, de l'Ebre, du Tage et du Duero (au nord dupays) vers les bassins du sud: Jucar, Segura et les bassins catalansessentiellement (tourisme, agriculture,.. .). Plusieurs débats font rage etnotamment sur les critères définissant l'ampleur des excédents du bassinexportateur de la ressource. En effet, les besoins du bassin exportateur sontprioritaires sur les demandes des autres bassins, importateurs d'eau. Mais parfois,ce ne sont pas des excédents mais tout simplement, le bassin ne dispose pas desmoyens nécessaires pour exploiter la ressource. Dans ce cas, le bassinexportateur se sent spolié de sa ressource en eau. Un autre débat, plus virulent,relatif au niveau de développement des régions, oppose le Nord et le Sud.Souvent les régions à partir desquelles se font les transferts sont en déclin ou peuactives, contrairement à celles qui reçoivent l'eau qui sont plus dynamiques. Ducoup, le système des transvasements est perçu comme un « mécanismed'exacerbation des déséquilibres territoriaux, de spoliation des ressourcesnaturelles des régions pauvres en faveur de celles qui, précisément à cause deleur niveau de développement économique, demandent plus d'eau »54.

Au final, ces mécanismes dits de solidarité, loin d'être justes et équitables,exacerbent des conflits latents entre les catégories d'usagers d'une part et lesentités géographiques et politiques d'autre part. De même, la rareté relative del'eau en général oblige aujourd'hui à repenser le rapport à la ressource. Se pose

51. L. DEL MORAL ITUARTE, « L'état de la politique hydraulique en Espagne », Hérodote,

4" trimestre, n° 91, 1998, p. 122.52. L'avant-projet du PHN de 1993 précise en effet qu'il s'agit de mettre en œuvre la « solidaritédes régions qui possèdent les ressources et qui les partagent avec celles qui en manquent [...] et quisont susceptibles de générer des emplois et de la richesse pour l'ensemble du pays ».53. « en apportant en contrepartie des ressources économiques qui compensent d'une manière oud'une autre les éventuels effets de transferts sur l'aménagement du territoire et sur l'environnementdes régions donneuses ».54. L. DEL MORAL ITUARTE, « L'état de la politique hydraulique en Espagne », Hérodote,

4" trimestre, n° 91, 1998, p. 125.

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alors la question de savoir s'il est possible de continuer à soutenir55 le secteuragricole, consommateur excessif d'eau, et notamment l'agriculture qui nécessitel'utilisation de l'irrigation massive dans des régions « arides ».

2. La tarification sociale: le droit à l'eau

La tarification sociale est «une tarification qui prend en compte lescaractéristiques socio-économiques de l'abonné en plus des caractéristiques duraccordement et de la consommation »56. Se manifeste ici la solidarité, tellequ'elle est exprimée dans le concept de développement durable: il s'agit desatisfaire tous les besoins quelles que soient les facultés contributives de chacunet ce dans un souci d'équité. Cette solidarité entre les « riches» et les« pauvres» permet d'aider les plus défavorisés à accéder à une eau à un prixabordable. Ici, la priorité est donnée au service d'approvisionnement en eau. Uneminorité de la population est concernée: 5,5 % en Italie, 4,4 % en Espagne et2,3 % en France57.

Cette tarification sociale se décline de deux manières: soit elle intervient apriori et dans ce cas, elle s'apparente à un véritable droit à l'eau; soit elleintervient a posteriori: il s'agit de la prise en charge des « impayés ». Étantdonné l'importance des services d'approvisionnement en eau des ménages etd'assainissement du point de vue de la protection sociale, il paraît essentiel deprendre en compte ces aspects sociaux en individualisant le prix de la prestation.En d'autres termes, il faut adapter la tarification de la ressource à desconsidérations liées aux caractéristiques de l'usager. Outre le critère del' « accessibilité financière» (basée essentiellement sur le niveau des revenus),d'autres indices peuvent entrer en ligne de compte. Par exemple, à Barcelone, enEspagne, le prix de l'eau s'adapte en fonction de la taille de la famille et du typed'habitation (taille et valeur). Ainsi, les familles nombreuses notammentbénéficient de tarifs avantageux.

En France, dans le cadre de la lutte contre l'exclusion, l'article 11583du Codede l'action sociale et de la famille précise:

Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières du fait d'unesituation de précarité a droit à une aide de la collectivité pour accéder ou pourpréserver son accès à une fourniture d'eau, d'énergie et de servicestéléphoniques 58 .

55. L'Union européenne a sa part de responsabilité dans le domaine et notamment du fait de lapolitique agricole commune qui soutient, sous la pression de quelques États, un secteur amené à serenouveler.56. H. SMETS, « La solidarité pour l'eau potable - Aspects économiques », site de l'Académie del'eau: www.académie-eau.org.57. Les personnes ayant des difficultés à payer leur facture d'eau sont principalement celles qui setrouvent en permanence sous la barre des 40 % du revenu moyen. H. SMETS,ibid.58. Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.

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Cet article sert de fondement à un certain nombre de dispositifs permettantaux plus démunis d'accéder à l'eau. Par exemple, le dispositif conventionnep9« Solidarité Eau» correspond à la création d'un fonds d'aide aux impayés d'eau.

L'article premier de la nouvelle loi sur l'eau et les milieux aquatiquesn° 2006-1772, adoptée le 30 décembre 200660 (après environ huit ans d'attente, lepremier projet de loi sur l'eau ayant été déposé à l'Assemblée nationale parD. Voynet en 1998) modifie l'alinéa 2 de l'article L. 210-1 du Code del'environnement:

Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis,l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour sonalimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans desconditions économiquement acceptables par tous.

Ce nouvel article témoigne de la prise en considération de l'aspect essentielde la ressource en eau (alimentation et hygiène) ainsi que de la nécessité d'unaccès pour tous, malgré les facultés contributives de chacun et, partant, met enexergue la dimension sociale de la gestion de la ressource. Reste à savoircomment va se concrétiser ce nouveau« droit à l'eau ».

En France, la nouvelle loi sur l'eau adoptée le 30 décembre 2006 a deuxobjectifs dont celui de «donner aux collectivités territoriales les moyensd'adapter les services publics d'eau potable et d'assainissement aux nouveauxenjeux en terme de transparence vis-à-vis des usagers, de solidarité en faveur desplus démunis et d'efficacité environnementale »61. Dans ce contexte, la nouvelleloi sur l'eau et les milieux aquatiques s'inscrit irrémédiablement dans la logiqued'un développement durable se traduisant par le renforcement des mécanismesen place (dispositif solidarité, par exemple), mais également par l'améliorationde la gestion des services en développant transparence et participation. Partout enEurope, la recherche d'une certaine efficacité environnementale guide lesévolutions du droit de l'eau.

Au final, le développement durable, au même titre que le droitcommunautaire, est un facteur d'harmonisation de la gestion des services publicsd'eau et d'assainissement en Europe malgré les particularités locales dues auxdisparités géophysiques, à la tradition historique et culturelle, à l'organisationpolitique et administrative...

59. L'État, l'Association des maires de France (AMF), la Fédération nationale des collectivitésconcédantes et régies et le Syndicat professionnel des entreprises et services d'eau etd'assainissement ont signé une convention nationale en avril2000.60. JO n° 303 du 31 décembre 2006 page 20285.61. Site du ministère de l'Écologie et du Développement durable, section « Eaux et milieuxaquatiques ».

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LA RECHERCHE D'UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENTURBAIN DURABLE

Le développement urbain durable en Europe du Nord

Charles-Henri HERVÉ'

« L'avenir, il ne suffit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. » Cettephrase de Saint-Exupéry semble trouver un écho singulier au regard des impassesdu développement actuel. Ainsi que le rappelle cruellement le rapport intituléL'évaluation des écosystèmes pour le millénaire sur l'état de la planète publié le30 mars 2005 :

[...] l'activité humaine exerce une telle pression sur les fonctions naturelles de laplanète que la capacité des écosystèmes à répondre aux demandes des générationsfutures ne peut plus être considérée comme acquise.

Pourtant, la prise de conscience d'un « mal développement» a eu lieu dès lafin des années 1960 et notamment avec le rapport Our common future commandéà Mme Brundtland en 1972, publié en 1987, qui dessine les contours d'unedéfinition du développement durable autant qu'i! interpelle sur le caractèrealarmiste du modèle actuel de développement économique et industriel qui n'estpas, à long terme, véritablement durable en ce qu'i! ne répond justement pas auxcritères de sa définition-cadre: la viabilité économique, l'équité sociale, unenvironnement soutenable pour tous. À tort, cette dernière est bien souventcomprise de façon étroite: le développement durable apparaît comme la simpleprise en compte des exigences de préservation écologique de la planète et de sesressources. Si le volet environnemental est certes une composante essentielle dudéveloppement durable, ce dernier ne saurait s'y réduire.

Au-delà de la prise de conscience, à l'heure où près de la moitié de lapopulation mondiale est citadine et où la ville et son mode de vie (hypermobilité,étalement...) pèsent gravement sur la biosphère, l'aménagement urbain se doitd'intégrer de nouvelles perspectives et dimensions. Il ne s'agit pas tant d'uneredéfinition de la ville et de ses fonctions que d'une nouvelle façon de prévoirson évolution en termes d'organisation et d'équipements inhérents au mode devie urbain. Ainsi, alors que toutes les villes prises dans le mouvement demodernisation tendent à développer des systèmes de transport et d'habitation

.DCS-CERP3E

coûteux en énergie, à se couper de leur environnement local, à négliger les bienscommuns et à privilégier les relations marchandes, les villes et territoiressemblent pourtant aussi les mieux à même de trouver des réponses à ces défis.

En ce sens le rapport Our common future précise bien:

Il n'existe aucun modèle idéal de développement durable, car les systèmessociaux, les systèmes économiques varient beaucoup d'un pays à l'autre. Chaquepays devra trouver sa propre voie. Mais, indépendamment de toutes cesdifférences, le développement durable doit s'envisager comme un objectif àatteindre à l'échelle mondiale.

Ici ressort l'importance de l'élément géographique dans la problématique dedéveloppement durable. Conformément aux grands principes directeurs dudéveloppement urbain durable (adaptation relativement à la stabilité del'environnement, efficacité par rapport à la rareté des ressources, choix etdiversité en dépit d'évolutions permanentes ou ponctuelles, sécurité vis-à-vis devariations aléatoires et importantes de l'environnement, connexion et intégrationaux autres systèmes, contrôle de l'habitant et de l'usager pour satisfaire auxbesoins des composants du système), les stratégies menées en Europefavoriseront plus ou moins, en fonction des différents contextes régionaux, desthèmes tels que la dynamisation de la prise de décision par la démocratieparticipative, la planification et le développement des aires urbaines en termes dequalité de vie (notamment par le biais du renouvellement des zones délabrées oumarginalisées, la préservation de l'héritage culturel, la promotion de méthodesdurables de construction et de gestion des bâtiments), la création d'économieslocales conciliant emploi et préservation de l'environnement, l'assurance decommunautés stables et supportrices. Si la Conférence de Rio encourage en 1992à la coopération internationale et à la création d'un droit international spécifique,elle explique que, pour être efficaces, les initiatives doivent émerger de l'échelonlocal. En ce sens, la géographe Cyria Emelianoff affirme: «un projet biencompris de ville durable ne peut que prendre appui sur ses spécificités. » Cetéquilibre à trouver entre l'initiative locale, les enjeux globaux et le partaged'expériences n'est pas sans susciter des interrogations oscillant de l'hypothèsed'une globalisation des solutions au scénario d'une particularisation des espaces.Il est au passage important de rappeler que le développement durable est unedémarche qui laisse place à une interprétation culturelle. Cela relativise la notionde projet local et la ramène à un niveau régional.

Dans l'ouvrage Culture urbaine et développement durable, dirigé par I. Ernst,on peut lire: « l'angoisse de l'apocalypse est présente dans les sociétésgermaniques et scandinaves. Ainsi le risque environnemental pèse beaucoup plussur la qualité de vie que dans les pays du Sud. »

De plus, l'influence du protestantisme en Europe du Nord (dans des payscomme l'Allemagne ou la Suède) est prégnante: la Nature y est considéréecomme un don de Dieu et est préservée sous une apparence plus sauvage.D'ailleurs, les politiques environnementales scandinaves portent une grandeattention aux mesures de protection des ressources naturelles. Si chaque pays, enl'occurrence chaque région, possède sa propre approche du développement

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urbain durable, celle de la Scandinavie, par exemple, est clairement axée sur lestechnologies utilisées afin de préserver les ressources naturelles. Ainsi, c'esttoute l'Europe du Nord qui, selon les critères d'une étude menée par deschercheurs de l'université de Yale, est investie dans le développement durable.La Finlande serait donc, selon cette étude, le pays le plus investi dans ledéveloppement durable, la Norvège serait classée deuxième et la Suèdequatrième.

Notre travail se nourrit donc logiquement, conformément à notre champd'étude, d'exemples de quartiers auto-déclarés « durables », porteurs en celad'une ambition nouvelle et d'une rupture recherchée vis-à-vis d'autres quartiersaménagés de façon « traditionnelle », situés dans des pays du Nord de l'Europe,où habitants, élus et professionnels sont sensibilisés depuis de nombreusesannées au développement durable. Ce dernier est intégré à part entière dans leursmodes de vie et leurs pratiques comme en attestent ces opérations: BedZED àBeddington au Royaume-Uni, Bo01 à Malmo et Hammarby Sjostad à Stockholmen Suède, Vauban à Fribourg et Kronsberg à Hanovre en Allemagne, Vesterbro àCopenhague au Danemark. Il s'agit de quartiers nouveaux, à l'exception deVesterbro, à Copenhague, où un secteur d'habitat ancien a été réhabilité. Leurinitiative est donc également liée à une nouvelle disponibilité foncière issued'une mutation, d'une reconversion. En ce sens, ils illustrent parfaitement lavolonté d'un renouvellement urbain basée sur l'idée de refaire la ville sur la ville,plutôt que d'en repousser les frontières en investissant des espaces vierges ouagricoles. L'implantation de ces nouveaux quartiers (dont les surfaces varient de1,7 à 200 hectares) s'effectue généralement sur des sites en régénération urbaine,anciennes friches industrielles, portuaires ou militaires. On constate que pourcertains, tels Malmo, Kronsberg et Hammarby, un événement particulier, deportée internationale - Exposition universelle, village olympique -, est venualimenter une volonté de créer des « quartiers vitrines» et a été à l'origine del'engagement dans une telle démarche d'aménagement urbain durable.

Ces manifestations ont dynamisé le lancement de grands projets urbainsstructurants denses incluant des mixités d'usage et de fonction (habitat, loisirs,services, bureaux...).

Il faut toutefois préserver une marge d'interprétation quant au caractère dedurabilité des dits quartiers en l'absence de représentation conceptuelle figée, denorme stricte en matière d'aménagement urbain durable. L'aménagement durabled'un quartier doit donc dès lors se concevoir par une prise en compte desdifférents impacts environnementaux, économiques, sociaux, aussi bien lors dudéroulement du proj et que dans sa phase d'exploitation. Certains thèmess'affichent donc comme des référentiels incontournables. En premier lieu, onpeut évoquer une conception urbaine environnementale durable s'appuyant surdes notions de ville « courtes distances» ou ville « compacte », le quartierdurable correspond alors souvent à l'image d'un « village urbain» incluant desdensités élevées, des mixités d'usages et de fonctions en lien avec lareconnaissance de la rue comme élément à la fois structurant et d'animation. Cemodèle suppose une utilisation plus efficace des sols qui s'appuie sur la

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recherche d'un équilibre entre le logement, l'emploi, les équipements de serviceet la promotion de la mobilité intermodale (marche, vélo, transports publics)facilitant l'accessibilité aux zones résidentielles, commerciales et aux services.La traduction directe en est une série d'avantages économiques et sociaux. Laréduction drastique du trafic automobile au profit des déplacements doux et destransports en commun est une des composantes de ces quartiers au service del'économie d'espaces et de l'amélioration qualitative de la vie au sein des îlots.En second lieu, on peut citer l'approche écosystémique considérant le quartiercomme un système complexe caractérisé par des processus d'échanges,d'évolutions continus où tous les éléments (ressources naturelles, déchets,matériaux) sont traités dans une perspective d'économie en boucle et derecyclage conformément au modèle d'écocycle de Hammarby Sjostad ou àl'objectif de réduction de l'empreinte écologique de BedZED. Les notionstechniques de capacité de charge, de seuils, de capital naturel et de cycle deressources d'un espace à urbaniser, servies par la mise en œuvre de technologiesinnovantes, sont à intégrer dans le cadre de cette approche. Au-delà de l'analyseécosystémique, et conformément à la perception de la ville comme« écosociosystème »ainsi que l'appelle Edgar Morin, chaque aménagement doitassimiler différentes catégories d'individus, de modes de vie, de cultures.

Dans cette optique d'écologie humaine, le quartier doit avant tout être conçuafin d'offrir des services et des infrastructures de base accessibles à tous et doitpouvoir, par ailleurs, s'adapter à des aspirations et à des contraintes sociales enperpétuelle mutation. Enfin, pour que les principes du développement durablesoient bien assimilés, l'information, la formation, la participation des différentsacteurs sont indispensables dès le démarrage d'une opération et de façon durable.

Malgré l'existence d'un volontarisme au niveau local, il est à déplorer que lescollectivités manquent encore trop souvent d'outils et de recommandations pourmettre en œuvre une véritable démarche d'aménagement durable structurée. Et sicertaines méthodes existent, elles sont en majorité présentées de façonsectorielle, par thématique, et non globale (à ce titre, l'élargissement de ladémarche HQE du bâtiment à l'aménagement et à l'urbanisme, en proposant uncadrage méthodologique et la transversalité des questions sociales etéconomiques, peut se révéler très prometteur). Les réflexions européennes en lamatière demeurent néanmoins depuis un peu plus d'une quinzaine d'années unmoteur, une source d'impulsion pour les collectivités. La Commission a créé, en1991, le groupe d'experts sur l'environnement urbain chargé, d'une part,d'analyser les méthodes favorisant l'intégration de l'environnement dans lesfutures stratégies d'aménagement du territoire et d'urbanisme et, d'autre part, deconseiller la Commission sur le thème de « l'environnement urbain» dans lecadre de la politique communautaire en matière d'environnement. En 1993, cegroupe d'experts, composé de représentants des États membres et des villes, alancé le projet des villes durables en collaboration avec la Commissioneuropéenne et rédigé un rapport sur les « Villes européennes durables» publiépar la DG XI en I994. Ce document affiche clairement des préconisations quirelèvent du concept de durabilité en zones urbaines. À la suite de l'adoption de la

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communication, Cadre d'action pour un développement urbain durable dansl'Union européenne, le groupe d'experts a élaboré, en 2000, un rapport techniqueintitulé Vers un profil de durabilité locale: indicateurs européens communssusceptible d'aider les collectivités à évaluer les impacts de leurs activitésurbaines. En 2004, une nouvelle communication: Vers une stratégie thématiquepour l'environnement urbain précise les objectifs et les orientations de lapolitique européenne sur ce thème.

En définitive, notre présentation tentera, dans le cadre d'une confrontation desexpériences étudiées, de dresser un bilan, d'esquisser une trame des principauxfacteurs propres à la réussite dans la conception et l'élaboration de tels projets.

En effet, à l'évidence, les collectivités évoquées concentrent plusieurs atoutsdont le plus important est sans nul doute une politique environnementale forte etdéjà ancienne, encadrée par une législation nationale offensive. Mais d'autresavantages sont à citer: une maîtrise foncière des terrains à aménager;l'équipement en infrastructures, transports en commun, services; une forteimplication des services techniques municipaux amenés à gérer eux-mêmes lesaménagements; une dynamique de projets urbains exemplaires exploités commemodèles à reproduire, véritables vitrines du savoir-faire en aménagement urbaindurable et objets d'une large communication au niveau international. Enfin sont ànoter, d'une part, la diversité et le niveau considérable d'implication des acteursprivés et publics, qu'ils soient promoteurs, collectivités, bailleurs sociaux, et,d'autre part, l'importance d'une information et d'une sensibilisation spécifiquesde ces derniers.

Après avoir dépeint les contextes urbains dans lesquels s'inscrivent cesprojets, nous analyserons successivement les leviers techniques et humainsattachés à leurs aboutissements.

1. De la réhabilitation à la reconversion ou « l'acceptationde l'autre»

Dans une interview à France Culture, Françoise-Hélène lourda, architectefrançaise, définit la ville durable comme «celle qui accepte l'autre». Cettephrase met l'accent sur l'élément fondamental que constitue la notion detemporalité. La construction d'une ville ou même d'un quartier dans uneperspective de développement durable implique d'intégrer l'idée selon laquellenous ne le faisons pas pour le présent mais en vue de préserver demain et laliberté des générations futures à élaborer leurs propres projets. Dès lors, la villedurable semble devoir s'afficher comme une ville dense, mixte et flexible. Celatouche au plus près la problématique croisée entre les notions de croissanceurbaine, d'étalement urbain et donne toute son ampleur à l'impératif d'unerefonte de la ville sur la ville pour endiguer les multiples congestionnements etgaspillages des « villes monstres ».

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A. Les exemples de villes durables

En ce sens et ainsi qu'il l'a été précédemment énoncé, les exemples surlesquels se base cette étude sont donc des projets de réhabilitation et dereconversion de sites délaissés (ancien site houiller, ancienne zone portuaire,ancienne caserne...) comme autant de cicatrices dans le tissu urbain. Pourreprendre le titre d'un article de C. Prelorenzo, ces espaces urbains sont « uneinvitation à la grande dimension ». Ce sont souvent des espaces financièrementintéressants pour la ville mais qui nécessitent d'importants travaux en termes dedémolition, voire de décontamination des sols. Ils offrent notamment un début desolution au manque de logements. Au début, par exemple, ainsi que cela estexpliqué dans l'ouvrage Les villes à la reconquête des espaces portuairesdélaissés, comparaisons et évaluations internationales (Chaline, 1993), lorsqu'ila été convenu de bâtir des logements sur ces terrains acquis à faible coût, ce sontdes logements locatifs pour des personnes à faibles revenus qui ont plutôt étéplanifiés. Mais, face au succès rencontré par ce type d'habitat proche de l'eau, lespromoteurs ont, dans un premier temps, élevé les prestations des appartements.Toutefois, dans la perspective actuelle d'équité sociale, la tendance est davantageà mixer les deux niveaux de logement. En ce sens, même si le contexte estdifférent, puisqu'il s'agit d'un ancien site houiller, le quartier« BedZED »de laville de Sutton, dans la banlieue de Londres, affiche un vrai patchwork social etest loin d'être réservé à une élite férue d'écologie.

En effet, plus de la moitié des logements a été réservée à des familles àrevenus modestes (Ie surcoût de certaines installations a été amorti par l'accueild'activités de bureaux et de commerces dans le quartier), selon les vœux de lafondation « Peabody», la plus importante organisation caritative de Londresdédiée à l'habitat et partenaire du projet. Les objectifs sociaux constituent doncici un point d'ancrage fondamental: d'une part, par la priorité donnée à la notionde mixité sociale, et, d'autre part, par l'exigence de haute qualité de vie sanssacrifice des avantages que procure le milieu urbain.

Par ailleurs, l'exemple du site stockholmois de Hammarby Sjastad est quant àlui probablement, d'un point de vue écologique, le plus emblématique. Le terrainsur lequel s'érige ce projet est une ancienne zone portuaire, tout comme dans lecas de « BOOl » à Malma, ce qui l'inscrit dans une problématique bienspécifique, celle des réhabilitations des zones industrialo-portuaires. Jusqu'audébut du xxe siècle, il ne s'agissait que, en tant que premières terres de campagnealentour de la ville, d'un lieu récréatif destiné à la baignade et à la pêche. C'esten 1910 que le site changea de fonction et devint une zone d'activités industrialo-portuaire par l'aménagement d'un canal en vue de relier le riche arrière-paysstockholmois et les pays étrangers. Progressivement, s'installèrent des usines, despetites industries, des ateliers, des hangars, des entrepôts qui servaientnotamment au commerce de bois en provenance d'URSS. Seulement, située à40 kilomètres de la haute mer et peu adaptée aux dimensions croissantes desnavires, la zone va péricliter pour finalement prendre l'allure d'une trichedéstructurée et, même si quelques récupérations ponctuelles de certains locaux

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ont lieu entre 1980 et 1990, aucune politique de réaménagement global du siten'a été proposée avant 1991.

Il ne s'agit pas là d'un cas isolé et le divorce entre la ville et son port decommerce est dû aux nouveaux besoins des structures portuaires, notamment entermes d'espace. L'installation en marge des limites de la ville et l'abandon desateliers sont autant d'explications à l'apparition de friches dans la zone portuaire.Pour les Stockholmois, cette zone pourtant proche du centre-ville représentait unendroit à éviter en raison de ses squats insalubres, de ses hangars désaffectés,véritables bastions de la drogue et de la prostitution.

De la même façon, le quartier de Vesterbro à Copenhague, construitentre 1 850 et 1920, s'affichait tristement comme une niche de précarité sociale.Le quartier était à peu de chose près un ghetto au regard du trafic de drogue, de lacriminalité, du taux de chômage d'environ 20 % (soit deux fois supérieur à lamoyenne nationale), et de l'expansion de l'insalubrité (64 % des appartementssans chauffage central ni alimentation en eau chaude sanitaire, 71 % sans sallesde bain, Il % sans toilettes).

Si le diagnostic ainsi dressé semblait vivement encourager les initiativeslocales, le volontarisme politique s'est en plus, à l'occasion, nourri del'impulsion et de l'engouement suscité par un événement de portéeinternationale.

Ainsi, par exemple, le caractère singulier du projet de Hammarby Sj6stadvient de la candidature de Stockholm aux jeux Olympiques de 2004. Le dossierde candidature a mis l'accent sur la construction d'un village et d'un stadeolympiques qui devait avoir le moins d'impact possible sur l'environnement.Dans cette optique, un programme environnemental insistant sur laconsommation d'eau, d'énergie et sur le traitement des déchets a été élaboré en1996. Bien que retenu parmi les cinq finalistes, Stockholm ne fut pas désignépour accueillir la manifestation sportive internationale. Cependant, le profilenvironnemental donné à ces constructions olympiques a offert sa spécificité auquartier. En effet, le programme ayant été défini, le principe demeurait applicableà d'autres projets urbains. L'idée de surpasser les projets traditionnels se retrouvedans ce qui est devenu le slogan du projet: faire deux fois mieux que ce qui sefait actuellement sur le plan environnemental.

De même, avec son profil de ville culturelle et écologique, Hanovre décrochel'organisation de l'Exposition universelle de 2000. Le quartier de Kronsbergcorrespondant à la plus grande réserve foncière disponible (la ville détient 80 %des terrains), il abrite les premières constructions du projet « village expo» quiporte une vision exemplaire basée sur les thèmes «Humanité, Nature,Technologie ». Les objectifs consistent en l'élaboration d'un paysageharmonieux où se mêlent différents centres d'intérêts (loisirs, agriculture,protection de l'environnement), en l'aménagement d'un réseau express régional(train), en un équilibre entre les espaces verts et les volumes construits, en unediversité tant de fonction que de construction pour accueillir, à terme, 15 000habitants.

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Dans le même type de dynamique que ces opérations retentissantes, on peutégalement citer l'expérience «Vauban» à Fribourg, où le pari dudéveloppement durable s'illustre comme autant de défis à relever: la mixité desemplois, des habitations, des couches sociales; la préservation des biotopes duterrain; la priorité aux piétons, cyclistes, transports en commun; une utilisationrationnelle de l'énergie; la construction d'habitations à très faible consommationd'énergie et de conception environnementale ; le découpage en petites parcelles;la diversité architecturale par rapport à une réappropriation de pratiquesanciennes comme la mitoyenneté des maisons; la réalisation de nombreuxespaces verts publics, de nombreux équipements scolaires et sportifs, denombreux commerces de proximité de première nécessité.

B. Ville durable et quartier durable

En définitive, on est toutefois en droit de se demander, ne serait-ce que d'unpoint de vue sémantique, ce que la notion de durabilité ajoute à celle de quartier.Si, comme l'énonce le rapport européen Les villes durables européennes en datede 1996, une ville durable est «une ville qui se met en marche vers ledéveloppement durable », on peut penser qu'un quartier durable devrait être unepartie de la ville ayant une certaine unité qui s'est mise en marche vers ledéveloppement durable. Plus précisément, au vu de l'approche énoncée par lerapport sur les quartiers durables de l'association « Suden» (Sustainable UrbanDevelopement European Network), il semble fondamental de mettre l'accent surles liens sociaux qui doivent être tissés entre les habitants du quartier, qui prendalors une dimension quasi communautaire. Il est censé être un lieu de vieparticulièrement riche car c'est là que « se joue une bonne partie de la vie dechacun ». À regret, la priorité ambiante donnée aux comportementsindividualistes fait que la dimension sociale n'est pas actuellement celle quidéfinit le mieux les quartiers dits durables.

Par contre, le quartier semble être la base du renouvellement de la ville àdouble titre: d'une part, il facilite une démarche participative des habitants et,d'autre part, il se révèle être l'échelle appropriée à la mise en place d'élémentstechniques ou technologiques limitant l'impact de la vie urbaine moderne surl'environnement.

Cette échelle plus réduite que celle de la ville permet donc plus de simplicitédans la réalisation opérationnelle autant qu'elle favorise le changement à longterme des habitudes néfastes de la vie moderne (modes de consommation, dedéplacement) conformément au postulat selon lequel le quartier joue un rôlefondamental dans la vie quotidienne des habitants.

De plus, dans les métropoles, le quartier est souvent le lieu pour lequel onéprouve un sentiment d'appartenance propre à susciter le désir et à dynamiserl'implication du citadin pour faire évoluer le milieu urbain. Cette sensibilité doitêtre vue comme un gage d'efficacité et de stimulation de la mise en œuvre d'unedémarche participative.

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Cette optique tend probablement en définitive à une singularisation desquartiers au sein du concept de développement urbain durable et conformémentau mécanisme « Agenda 21» qui offre l'opportunité d'établir un rapportterritorial entre les normes globales a-spatiales et le développement local. Vnedynamique territoriale permet une action sur mesure, proche des singularitésphysiques, écosystémique, patrimoniales, culturelles, sociales, économiques dechaque ville, voire de chaque quartier, même si, et cela peut être considérécomme une faiblesse, les projets privilégient toujours l'un des piliers du conceptde développement durable. Cyria Emelianoff conclut d'ailleurs son article Lesvilles européennes face au développement durable: une floraison d'initiativessur fond de désengagement politique par cette phrase: « le développementdurable de chaque ville est aussi le développement du caractère de chaque ville ».De façon encore plus ciblée le rapport SVDEN énonce: «L'intérêt de cetteapproche quartier réside dans la diversité des quartiers et, par conséquent, dansla variété des plans d'action possibles pour un développement durable. »Seulement, en pratique, certaines problématiques étant communes à denombreuses villes, les solutions adoptées peuvent être parfois relativementidentiques et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle de nombreuses villeséchangent leurs expériences. Le défi reste, quoi qu'il en soit, de favoriser lasingularité du mode de vie et de l'architecture du quartier tout en préservantl'harmonie avec la ville.

IL De nouvelles politiques d'aménagement à ['heure du défi

La croissance de la démographie et la division des ménages mettent denombreuses villes face au problème de gestion de la croissance urbaine et del'étalement urbain. Au regard de ce que l'on peut lire dans le rapport Politiquesdu logement durable en Europe: « À quelques exceptions près, les aspectsenvironnementaux n'ont pas été intégrés dans les politiques socio-économiquesdu logement. D'un autre côté les politiques axées sur les questionsenvironnementales comme l'énergie, l'eau et les matériaux n'incluentpratiquement aucun aspect socio-économique », le défi des nouvelles politiquesd'aménagement semble bien consister en « l'articulation entre les dimensionssociales et écologiques ». Certains axes de réflexion comme la perméabilisationdes frontières entre espace public et espace privé, entre intérieur et extérieurtendent à nourrir l'élaboration d'un lien entre ces deux approches qui doiventmutuellement se répondre autant que faire se peut. Si pour certains aménageursl'étalement de la ville est la traduction territoriale d'un effritement de l'idéed'une ville compacte, civique et solidaire, il est avant tout, d'un point de vuepratique, source de trajets toujours plus longs et d'une empreinte écologiqueénorme et constitue donc, à ce titre, l'une des épreuves cruciales à relever. Lapériurbanisation étant dès lors assimilée à une plaie écologique, la question de ladensité urbaine s'illustre comme fondamentale: « faut-il opter pour une villecompacte ou un territoire urbanisé intégrant ville et campagne?» (I. Ernst,2002). Si, une densification de l'espace urbain, à la manière de Stockholm et de

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plusieurs villes allemandes, et comme il est préconisé dans Le Livre vert surl'environnement urbain, semble s'avérer efficace, il est important de rappeler quele modèle de la ville compacte n'est pas d'emblée défini comme une fin en soi etqu'il impose la quête d'une densité cohérente et optimale du point de vue de saplanification sur la base de thématiques reconnues comme centrales. Au sein desquartiers étudiés, l'ensemble des thématiques environnementales esteffectivement et quasi systématiquement traité, mais à des degrés différents. Onretrouve les thématiques - énergie, eau, déchets, matériaux de construction etéquipements - dans différentes cibles de la démarche HQE mais adaptées àl'aménagement et liées à des exigences supérieures associées à des indicateursquantitatifs et qualitatifs.

Des thématiques telles la qualité de l'air ou le bruit sont indirectement traitéesà travers d'autres domaines comme, par exemple, celui du transport. Lesthématiques - service, commerces, culture, action sociale et santé - intègrent despréoccupations économiques et sociales encore trop peu développées dansl'aménagement de ces quartiers par rapport au domaine environnemental.Néanmoins, il arrive parfois qu'elles soient abordées par le biais de ce dernier, àl'image des économies d'énergie et d'eau entraînant une réduction des chargespour l'usager. La recherche - et la préservation de la biodiversité - est un autrepoint fort de ces opérations, abordé de façon transversale, qui traduit, d'unemanière générale, un souci commun de replacer la nature au cœur des opérations,dans une logique d'hybridation et de régénération des fonctions vitales d'unterritoire ou d'un espace. Une telle démarche implique à la fois une planificationécologique de l'aménagement, la réalisation de trames vertes, la création debiotopes ou de corridors écologiques, accompagnées parfois de la sanctuarisationd'espaces non bâtis à la frange des quartiers, sous forme de bois, de prairies, maisaussi une végétalisation intense en pied de bâtiments ou sur les toits. En plus del'aspect technique, toutes ces thématiques sont développées en intégrant desmodes d'organisation innovants. Il s'agit donc de les aborder séparément dans unsouci de clarté et d'exhaustivité.

A. La problématique du déplacement en milieu urbain

Pour ce qui est de cette problématique, il semble évident que la situation« oppressante» de bon nombre de métropoles pousse les décideurs etresponsables du territoire à adopter une stratégie optimale. En effet, au regard desphénomènes globaux que sont le réchauffement planétaire, dû à la productionmassive de gaz à effet de serre, la pollution de l'air et l'émission de bruit, lessystèmes de transport actuel doivent s'orienter vers la durabilité. Il s'agit donc dedévelopper des politiques de transport socialement équitables, sans danger pourl'environnement et viables sur le plan économique et urbanistique.

Dès lors, la problématique se situe autour de la manière d'aborder le systèmeurbain dans sa globalité pour appréhender l'évaluation du projet de déplacement,confronté à de nouveaux objectifs, valeurs et perspectives dans lesquels il doitêtre pensé.

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En terme d'aménagement, d'une part une mobilité urbaine performante estsynonyme d'une meilleure accessibilité des services, de l'emploi, de l'éducation,des loisirs, de la culture, des commerces et, d'autre part, une réduction de lacirculation automobile dans les quartiers s'affiche comme un élément clé de laqualité de vie, de la reconquête de l'espace urbain.

En synthèse, les préoccupations liées aux systèmes de déplacement urbainpeuvent être ainsi identifiées:

- maîtrise des coûts du projet de déplacement;- diminution du trafic automobile;- développement de l'attractivité des transports en commun;- mise en place de conditions favorables au développement de moyens de

déplacement économes et moins polluants (bicyclette, marche à pied,véhicule électrique) ;

- réduction des nuisances pour les riverains;- promotion de la qualité environnementale pour les systèmes de

déplacement urbain, en limitant les impacts négatifs sur l'environnement;

- contribution à la cohésion sociale par la satisfaction des besoins desusagers;

- renforcement des liens entre urbanisation et transport en définissant commeprincipe fondamental et commun à l'ensemble des documentsd'urbanisme, la maîtrise des besoins de déplacement.

Au service de ces objectifs, les quartiers étudiés fournissent tout un arsenald'actions innovantes :

- l'aménagement de quartiers «à courte distance », c'est-à-dire avec desarrêts de transports en commun distants entre 300 et 700 mètres maximumde commerces et services;

- l'interdiction de circuler en voiture dans des zones résidentielles, sauf pourdes livraisons ou des déchargements ponctuels;

- la réglementation du trafic de poids lourds par rapport à certains secteurs;- la promotion de carburants écologiques (biogaz, électricité). À Malm6, par

exemple, les véhicules écologiques sont prioritaires pour les places deparking et un pool de voitures électriques rechargées par une éolienne estmis à disposition des résidents pour leurs déplacements en centre-ville. ÀBedZED, la tarification du stationnement est fonction du type de carburantutilisé et les places sont non payantes pour les véhicules électriquesrechargeables gratuitement par les panneaux photovoltaïques situés sur latoiture de l'installation commune de cogénération ;

- le développement de solutions partagées de déplacements (pools devoitures, covoiturage). À Hammarby Sj6stad, une compagnie pétrolièregère un système de partage de voitures fonctionnant à l'électricité ou aubiogaz et disposant de places de parking réservées tout autour du quartier.À Vauban, 25 % des habitants ont signé un engagement relatif au fait devivre sans voiture pendant une période maximum de 10ans;

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- la réduction du nombre de places de stationnement dans le quartier. ÀVauban, on a privilégié les garages communautaires ouverts en périphérieimmédiate du quartier au détriment des parkings privés;

- la limitation de la vitesse de circulation automobile dans le quartier entre 5et 30 km/h.

- la création d'axes piétons bien éclairés et accessibles aux personnes àmobilité réduite;

- l'intégration de pistes cyclables combinées à des espaces de stationnementpour les deux roues;

- la promotion d'une information relative aux transports pour les habitants etla mise à disposition de divers services grâce aux nouvelles technologies.À Malma, il existe un service de réservation pour le covoiturage ainsiqu'un système de diffusion des horaires de passage des navettes sur lecanal web et la télévision du quartier. À BedZED, un supermarché proposede gérer et de coordonner les livraisons des habitants via un serviceInternet pour les courses.

B. La gestion de l'eau

Pour ce qui est de l'eau, le développement durable vise à améliorer la qualitéde vie de l'ensemble des populations sans porter atteinte aux réserves limitées eneau douce de la planète. L'eau est l'une des ressources essentielles de la Terre.Pourtant, les pratiques de gestion des eaux sont encore éloignées de ce type dediscours, tenus à la fois à Kyoto et à Johannesburg. Par ailleurs, l'eau douce est,par définition, une ressource renouvelable. L'Espagne, par exemple, reçoitsuffisamment d'eau pour faire vivre la population de la planète entière (horsindustrie et agriculture). Le problème de l'eau ne réside donc pas dans sadisponibilité mais dans sa gestion.

Il s'agit dès lors de commencer par maximiser autant que faire se peut leséconomies d'eau potable par l'utilisation, au quotidien, de machines à laver declasse énergétique A, de baignoires à plus faible contenance dotées de réducteursde pression, de chasses d'eau à double débit. Tout ce type de matériel permet endéfinitive de minimiser considérablement le gaspillage. Le projet de HammarbySjastad affiche ainsi l'objectif ambitieux d'une réduction de 60 % de laconsommation d'eau potable par personne d'ici à 2015 tandis que, à BedZED, lapriorité fixée est une consommation réduite de moitié par rapport à la moyennenationale.

Au regard de telles perspectives, la gestion durable des eaux pluviales s'érigecomme un impératif qui « comprend l'ensemble des mesures structurelles ou nonstructurelles mises en œuvre pour contrôler les flux d'eau et de polluants rejetéspar la ville par temps de pluie ». Il existe un consensus international sur cettedéfinition.

Le premier objectif poursuivi par la gestion des eaux pluviales est de limiterles effets de l'urbanisation. Il faut bien être conscient du fait que cetteproblématique est en lien avec la totalité de la gestion du cycle urbain de l'eau

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(gestion des inondations, alimentation en eau, gestion des eaux souterraines,gestion des eaux usées, gestion des milieux récepteurs...). Cela n'est pas sansposer d'importants problèmes administratifs et organisationnels en termes decompétences, de financements. Il faudra néanmoins les surmonter.

Ainsi, jusqu'à présent, il était convenu que tout aménagement urbainnécessitait un système d'assainissement. L'idée de base était d'évacuer l'eau leplus rapidement possible de la ville. Nous savons les conséquences désastreusesauxquelles elle a conduit: pollution, inondations... Le raisonnement tenu dans lecadre des techniques alternatives est différent: la gestion de l'eau joue un rôledans l'aménagement urbain qui, lui-même, la modifie. Il convient donc deremplacer les concepts fondés sur des outils par des concepts fondés sur desobjectifs sociaux. L'eau est avant tout perçue comme vecteur structurant del'appropriation et de l'organisation de l'espace. Ainsi, il faut non pas évacuerl'eau le plus vite possible mais protéger les citoyens des inondations; de lamême façon, il faut protéger le milieu pour d'autres usages et non pas épurerl'eau.

Il s'agit donc de reposer le problème en termes d'objectifs à atteindre du pointde vue des citoyens et non de solutions a priori. Les techniques alternativesreposent sur un principe unique relativement simple: la gestion de l'eau au plusprès du cycle naturel. Les deux formes principales à mettre en technique dans laville sont, d'une part, la rétention et, d'autre part, l'infiltration. Dans tous les cas,la gestion se fait le plus souvent à ciel ouvert.

Pour ce qui est de la récupération des eaux de pluie, celle-ci est opérée par lebiais de citernes ou de cuves intégrées aux bâtiments. Elles servent àl'alimentation des chasses d'eau des logements ou bâtiments publics, enparticulier les écoles, à l'arrosage des espaces verts, à l'alimentation desmachines à laver le linge collectives.

Par ailleurs, des systèmes de cuvettes, de tranchées filtrantes, de fossés, derigoles, de caniveaux pavés (en remplacement des traditionnelles canalisationsd'eaux pluviales enterrées) permettent de conduire une partie des eaux deruissellement des rues et des toits vers des zones de rétention que sont les bassinsd'orage végétalisés, les étangs, les canaux aménagés et contribuent égalementainsi à la recréation de biotopes. Il faut noter que les eaux de ruissellement desroutes sont traitées séparément.

Pour ce qui est de l'infiltration, celle-ci est favorisée avant tout par deuxprocédés. On peut commencer par citer le revêtement perméable des sols, auquels'ajoute la technique des toitures végétalisées qui, d'un point de vue général,participe au confort thermique, acoustique, visuel autant qu'à la performanceénergétique des constructions.

La gestion et la valorisation des eaux usées sont également des élémentsimportants de la planification. Le système de traitement biologique, ou dit de« boues activées », consiste à extraire des nutriments pour l'amendement des solset à traiter les eaux par UV afin de permettre leur réutilisation, en complément del'eau de pluie, dans l'alimentation des chasses d'eau.

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Comparativement à nombre de nos voisins en Europe du Nord, en France, larécupération des eaux de pluie à l'intérieur d'un bâtiment est toujours sujette à debeaucoup trop rares dérogations de la DDASS.

C. La planification énergétique

Le pari de la durabilité de nos villes et de nos quartiers va bien au-delà d'unrecensement des points faibles de chacun. Il s'agirait peut-être davantage d'unesaine émulation (chaque quartier voulant devenir un exemple, être reconnucomme une expérience innovante) alliée à un échange d'expériences ainsi qu'àun consensus autour de priorités communes en terme de planification. En ce sens,la volonté de l'Union européenne, à travers sa campagne « Énergie durable pourl'Europe », de transformer le paysage énergétique, par le biais de modes deproduction et de consommation intelligents, s'affiche comme première etfondamentale. L'accroissement du recours aux énergies renouvelables, à desméthodes efficaces en énergie doit contribuer à endiguer l'épuisement desressources naturelles, à prévenir les changements climatiques, à améliorerl'environnement et la santé publique tout en assurant la croissance économique etsociale.

En pratique, les points forts à privilégier en termes de planificationénergétique sont les suivants:

- l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments quand on saitque celle-ci correspond à 40 % de la consommation énergétique del'Union européenne;

- l'accroissement de l'efficacité énergétique des systèmes d'éclairage etappareils électriques. Par exemple, une ampoule basse consommationréduit de 80 % la consommation d'énergie par rapport à une ampouleconventionnelle;

- le renforcement de la coopération internationale en faveur dudéveloppement dans une optique d'exemplarité vis-à-vis des « pays endéveloppement» ;

- la mise en évidence d'actions promotionnelles par le soutien auxpromoteurs locaux, qu'il s'agisse d'agences de l'énergie, d'ONG,d'associations, dans le but que se constitue un réseau de bonnes pratiqueset d'information sur les actions pertinentes de diffusion.

Sur le terrain, l'efficacité énergétique des bâtiments passe avant tout par uneoptimisation de «l'enveloppe» afin qu'elle garde un maximum de chaleur.Ensuite, pour ce qui est du réseau de chauffage urbain (auquel il est obligatoirede se connecter), il existe différents modes de production;

- comme à Kronsberg, un système de cogénération alimenté par des copeauxde bois ou au gaz naturel;

- comme à Malmû, par un système de géothermie par les eaux souterraines;- comme à Hammarby Sjûstad et Malmû, par du biogaz issu de la

combustion de déchets et/ou extrait des boues d'épuration;

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- comme à Hammarby Sjostad, par des pompes à chaleur fonctionnant pourle traitement des eaux usées.

Enfin, la thématique des énergies renouvelables est au centre de tous cesprogrammes visant à la durabilité. Les techniques mises en place s'appuient pourl'essentiel sur l'énergie solaire (capteurs solaires thermiques, cellulesphotovoltaïques), éolienne et le biogaz. De quoi susciter des ambitions: le projet« BoO1 »visait un fonctionnement basé à 100 % sur les énergies renouvelables.Ainsi, la géothermie, couplée au biogaz, à des capteurs solaires thermiques et àdes panneaux photovoltaïques, répondait aux besoins de chauffage urbain tandisqu'une éolienne assurait la production d'électricité nécessaire à la demandeénergétique du quartier.

D. La gestion des déchets

Si les déchets sont indissociables de l'homme, et que les problèmes secomplexifient au fur et à mesure que leur volume et leur diversité croissent, auquotidien, la question de leur gestion est partielle en ce qu'elle concerne, quasiexclusivement, les déchets ménagers, soit ceux issus des logements et desbureaux. Le projet d'Hammarby Sjostad affiche l'objectif ambitieux de diviserpresque par deux le poids de sa production de déchets ultimes d'ici à 2015. Pource qui est du traitement de ces déchets: une partie va à l'usine d'incinération,une autre est destinée au recyclage, une dernière est entreposée en décharge. Afinde diminuer la quantité d'ordures entreposées, l'accent est fortement mis surl'importance d'un tri des déchets, le plus en détail possible. Encore une fois,Hammarby Sjostad fait figure d'exemple en la matière en présentant une largepalette de tris au travers des catégories suivantes: les déchets organiques(transformés, comme dans le cadre de « BoOl », par des unités de production debiogaz, en combustible réutilisable pour les circuits de chauffage urbain oucomme carburant automobile), les déchets combustibles, le papier, leséquipements électroniques, les déchets dangereux, les textiles, le verre coloré, leverre non teinté, les métaux, le plastique, le carton. En complément du tri, lacentralisation de la collecte des déchets vient perfectionner le programme degestion de ceux-ci.

Ainsi, dans le cadre des projets suédois « BoOl » à Malmo et HammarbySjostad à Stockholm, la collecte des déchets suit une technique relativementnouvelle, ayant toutefois fait ses preuves dans d'autres pays: le système« ENV AC ». Ce procédé repose sur un principe d'aspiration pneumatique. Unefois jetées dans les points de collecte sélective, situés dans les cours d'immeublesou les parties communes extérieures, les ordures sont envoyées, via des conduitessouterraines, jusqu'à un terminal, avant d'être évacuées sous vide par un camionqui se relie au point de collecte une à deux fois par semaine. Les avantages de cesystème sont nombreux pour les éboueurs qui n'ont plus à vider les conteneurs dechaque immeuble. En terme de qualité de vie, les nuisances sonores et olfactivesliées au trafic des camions-bennes et au maniement des ordures s'en trouventsupprimées. Enfin, en plus d'être plus hygiénique, cette technologie présente

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l'avantage d'être moins coûteuse qu'un système traditionnel de ramassage desordures.

Bien que plus ponctuelle, la gestion des nuisances générées pendant la phasede construction doit être encadrée d'une façon optimale. À Hammarby Sj6stad,par exemple, une plateforme logistique a été mise en place le temps des travaux.

Ce «chantier vert », commun aux promoteurs et entreprises gérant laconstruction simultanée de 22 bâtiments, est un espace prévu en périphérie de lazone globale en travaux où sont acheminés et stockés tous les matériauxnécessaires à la construction et d'où ils sont ensuite distribués sur chaquechantier. Cela permet une optimisation considérable en termed'approvisionnement en matériel et de gestion des déchets sur le site, sanscompter la minimisation de l'impact du trafic des camions et la possibilité pourles résidents d'emménager avant l'achèvement complet de la construction duquartier, ce qui est à prendre en considération quand, comme ici, le chantier estde longue durée.

Enfin, à Hammarby Sj6stad comme à« Bo01 » ou« BedZED », on a porté unœil attentif à la question des matériaux de construction1.Ainsi, on a privilégié:

- les matériaux de fabrication locale pour, d'une part, réduire les impacts liésau transport, et, d'autre part, favoriser le développement de l'économielocale;

- les matériaux renouvelables comme le bois;- les matériaux recyclés, réutilisés, récupérés (par exemple, des granulats

concassés pour la réalisation des sous-couches des voiries) ;

- les matériaux possédant des certifications environnementales (par exemple,des bois choisis dans des forêts gérées durablement et labellisées « FFS »ou« PEFC »).

D'un point de vue global, en ce qui concerne les matériaux, il apparaît que lesarchitectes sont encore mal informés. De grandes banques de données sontnéanmoins en cours de réalisation en Europe malgré la solide résistance dont fontpreuve les industriels en la matière. Les matériaux font ainsi l'objet d'un travailde normalisation qui progresse et s'articule principalement autour de cinq grandsthèmes:

- la qualité environnementale ;- la qualité hygiénique et le confort ;- les performances énergétiques;- les dépenses du cycle de vie;- le système de management environnemental.Parfois, sur les sites étudiés, en raison d'activités industrielles polluantes, en

amont des travaux de construction, un important travail de décontamination des

1. [À titre anecdotique, confonnément à une « analyse du cycle de vie» (ACV), et dans uneoptique de protection de la santé, de la qualité de vie, de l'environnement et d'un meilleurrendement énergétique des bâtiments, le PVC a été interdit à Hammarby Sjostad et « BoO1» toutcomme le cuivre et le zinc. En France, on ne dispose que d'une infonnation partielle et imprécisequant aux différents matériaux de construction, ce qui explique qu'il n'y ait pas d'interdictionnotoire quant à certains matériaux au sein des cahiers des charges.]

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sols a été nécessaire pour remettre en valeur les terrains, ce qui s'est répercuté surles prix d'accession à la propriété, par conséquent plus élevés.

En guise de synthèse partielle à cette approche thématique des aménagements,il est important de rappeler que, plus qu'une simple réponse aux diversproblèmes urbains, et notamment celui assez généralisé de la pénurie delogements, l'objectif central reste dans tous les cas, face à l'objet de fuite quepeut incarner pour certaines populations la « grande ville », d'améliorer le cadrede vie et la qualité de vie en général.

Les quartiers étudiés représentent ainsi souvent une alternative à un départ ducentre pour la périphérie, dans le sens où quelques contraintes symptomatiquesde la «ville tentaculaire» que décrit Lewis Mumford ont été relativementatténuées. Par exemple, la contrainte collective de « solidarité et de confrontationà "l'autre" qui caractérise la ville compacte» (Behar, 2004) pousse certainsurbains à partir en banlieue pour posséder davantage de surface. À HammarbySjostad, la densité étant moyenne, les espaces verts essentiellement destinés auxrésidents et les appartements spacieux, cette contrainte s'en trouve amoindrie.

D'un point de vue plus pratique, il s'agit avant tout de faciliter le quotidiendes habitants. Cela passe par une réappropriation de la rue comme milieu de vie,équilibré entre différents impératifs: la prégnance d'une vie de quartier animéemais malgré tout paisible, et l'image d'un espace urbain vivant mais non aseptiséou sécurisé à l'extrême.

Ainsi, certains bâtiments sont « réaffectés », comme l'usine Diesel àHammarby Sjostad qui accueille aujourd'hui des ateliers théâtre et des salles deconcerts. Ce type de quartier présente l'avantage d'offrir de nombreuxéquipements publics, services et commerces à proximité des habitations.

Les programmations de constructions les ont prévus dans le sens d'uneréduction des déplacements urbains et d'un accès pour tous, ce qui signifieégalement l'intégration, en l'espèce plutôt bien réussie, des besoins liés auxpersonnes handicapées ou à mobilité réduite (à Hammarby Sjostad et Kronsberg,de nombreux services sont aménagés au rez-de-chaussée des immeubles). Parailleurs, même si la mixité sociale est, en dépit de l'existence de peu delogements sociaux, affichée comme un objectif prioritaire, il se trouve que cesopérations attirent spontanément des classes moyennes ou supérieures à bonniveau d'éducation et sensibles aux questions environnementales, au détrimentparfois, comme à Malmo, d'une plus grande mixité intergénérationnelle etsocioculturelle. Toutefois, les dysfonctionnements environnementaux,économiques, sociaux liés à la dilution du tissu bâti et à un urbanismemono fonctionnel ne se retrouvent pas dans les quartiers présentés.

Sans doute peut-on avancer comme hypothèse que les pays d'Europe du Nordprésenteraient des modes de vie plus conformes aux exigences de partage, desolidarité, de préservation des ressources et de la diversité sociale, culturelle,religieuse.

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III. La « mise sous tension» de la durabilité urbainepar ses acteurs

A. Ville durable et participation

« L'union sacrée» de tous les acteurs (décideurs, maîtres d'œuvre, habitants)est indispensable au succès d'opérations de telle envergure. Pour ce qui est del'impact de la démocratie participative dans l'élaboration du projet urbain, leslogan de la participation brandi à l'aube des années 1970, notamment en France,n'a été qu'un feu de paille, autant du côté institutionnel que du côté du militantde base. Il faudra en effet attendre quelques décennies avant que le mouvementen faveur du développement durable et l'essor des milieux associatifs ne seconjuguent en faveur du retour de la thématique participative, même s'il fautgarder à l'esprit que la démocratie directe en fait d'urbanisme semble difficile, sitant est qu'elle soit souhaitable, et que la préoccupation envers l'opinionpublique consiste souvent à «se servir» de celle-ci pour ne pas rencontrerd'obstacle de mise en exécution.

Les actions participatives sont de deux sortes:- les unes relèvent du travail social et visent en priorité à réinsérer dans la

société urbaine des quartiers et des populations en risque d'exclusion;

- les autres procèdent d'une volonté de créativité collective qui vise à agir età « vivre autrement ».

On retrouve cette ambivalence au sein des « villes durables ». Par exemple,les villes du centre de la Ruhr se tournent vers l'environnement pour sortir d'unesituation de crise où se côtoient la dégradation de l'environnement et le chômagealors que d'autres villes telles que Fribourg, Stockholm, Genève optimisent laqualité de leur environnement pour pérenniser une image déjà privilégiée.

Le développement durable intègre la participation durable et vice versa. Eneffet, il apparaît qu'une architecture bioclimatique ou environnementale trèsperformante, comme celle pratiquée dans les quartiers présentés, laissée auxmains d'habitants non motivés ou incompétents mène à l'échec. Toutefois, il estintéressant de noter la nuance selon laquelle, par exemple, à Hammarby Sj6stad,au regard de quelques témoignages collectés sur place, une grande partie deshabitants apprécie le site comme un beau quartier davantage que comme unespace urbain préservant l'environnement.

La tendance globale de cette micro-enquête révèle que c'est davantage laqualité de vie offerte par le quartier qui séduit que son profil environnemental.

Quoi qu'il en soit, en Europe du Nord, les questions d'environnement ontdonc été abordées de manière concomitante avec celle de la réhabilitation, dansun cadre participatif et, en ce sens, on peut dire que le renouveau actuel de laparticipation tient probablement aux nouvelles exigences écologiques.

Du point de vue de la réflexion originelle, la théorie du « support-apport» deN. John Habraken, architecte hollandais, a énormément marqué certainsarchitectes (y compris Jean Nouvel pour le Quai Branly) et beaucoup contribuéau développement de la participation habitante. Cette théorie consiste à affirmer

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que le logement comprend, d'une part, un élément durable, soit lesinfrastructures (la structure et les réseaux), et, d'autre part, les appartements, quidoivent, eux, être conçus de manière flexible de sorte qu'ils puissent évoluer, lecas échéant, vers une autre destination. Ainsi, il est probable qu'une importantepart des grands ensembles construits dans les années 1970 soit, dans un avenirrelativement proche, démolis, justement parce qu'ils n'étaient pas prévus pourêtre flexibles. Cela introduit l'idée d'une distinction entre le support, c'est-à-direce qui est immuable, et l'apport, c'est-à-dire ce qui est lié à l'usage, qui doitcoller autant que faire se peut aux besoins et attentes des habitants.

La participation est un travail social dans lequel il s'agit de puiser unerichesse. La participation doit être perçue comme un mouvement ascendant quipermettra une meilleure adéquation entre l'habitat et les besoins et attentes desusagers, mais aussi le développement de l'intégration sociale et de l'autonomiedes habitants ainsi qu'une réduction des coûts dans la production du bâti parl'élimination des intermédiaires non indispensables. Par ailleurs, c'est unprocessus qui, s'il est bien en place, permet un contrôle plus important.

À ce titre, il me semble que le développement durable n'aura pas lieu sansresponsabilisation des habitants. C'est dans la mesure où les citadins citoyensseront, au même titre que les élus locaux, responsables de la cité, que, à desannées d'hésitation, succédera le temps de la réconciliation.

Pour cela, en plus de la décentralisation étatique, une dynamique globale departicipation est à amorcer. En effet, la collaboration de tous n'est passimplement affaire de « bonne conscience ». En ce sens, la convention d'Aarhus,signée le 25 juin 1998 par 39 États et l'Union européenne, relative à l'accès àl'information, à la participation du public au processus décisionnel et à l'accès àla justice en matière d'environnement fait office de référence internationale. Il yest précisé que les particuliers, les associations, les ONG doivent pouvoir accéderà une information «à jour, précise et comparable» et avoir également unepossibilité effective et efficace de recours à la justice (injonction de faire ou dedonner, référé pour prévenir un dommage imminent et/ou mettre fin à un troublemanifestement illicite). Il s'agit clairement d'une volonté d'organisation, destructuration et de concertation, véritable élément moteur de la conception. Uneconcertation devrait être engagée le plus en amont possible, bien avant ladéfinition du projet, de façon à associer les habitants à son élaboration. Laconcertation favorise les liens et permet d'intégrer de nouvelles idées. Lesexpériences italienne et allemande en sont des illustrations pertinentes.

Aujourd'hui, il semble que l'espace de proximité et l'agglomération soient leséchelles à privilégier en termes d'information et concertation. Face à lasensibilité grandissante de l'opinion publique envers son cadre de vie,l'information en ce qui concerne la notion même de citoyenneté, les droits quecelle-ci implique, les procédures à disposition en termes de consultation etd'action contentieuse, est véritablement fondamentale dans l'optique d'uneparticipation la plus efficace et la plus harmonieuse possible.

L'opinion publique semble de plus en plus sensible aux différentesdimensions du cadre de vie urbain (esthétique et de confort; des risques

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environnementaux ; identitaire, sociale et patrimoniale) qui sont chacune autantde potentiels points de revendication et de débat.

L'information, et notamment celle des citoyens, s'avère être un préalableindispensable à toute concertation et à toute participation. Seulement,l'information est souvent insuffisante, et notamment en France où il conviendraitd'engager une action continue pour que les citoyens connaissent mieux les droitset les devoirs qui sont les leurs.

Au niveau local, on ne peut que déplorer que la motivation des décisionsd'équipement ou d'aménagement et leurs conséquences soient fréquemmentl'apanage des principaux décideurs et techniciens qui les entourent. Il convienttout d'abord de favoriser l'accès à l'information de manière satisfaisante etefficace. Celle-ci doit être à la fois transparente, lisible et facile d'accès. En cesens, les mairies devraient faciliter la consultation de tous les documents relatifsà la vie municipale.

Le développement de points d'accueil et d'information des habitantspermettrait de leur conférer un rôle qu'elles n'ont pas ou peu encore aujourd'hui,c'est-à-dire être non seulement une antenne d'information des décisions prisesmais aussi une centrale de propositions sur les affaires communales, émanant descitoyens en direction des élus. L'information des habitants sur les affairesmunicipales est trop souvent assurée dans des conditions matérielles relativementpeu favorables. Ainsi, les questions relatives à l'urbanisme nécessitent desexplications qui, la plupart du temps, ne peuvent être fournies, faute de personnelqualifié disponible. Les enquêtes publiques préalables à des opérationsd'urbanisme, trop souvent confidentielles et méconnues d'une partie importantede la population, mériteraient une plus large publicité.

D'une manière générale, l'information, la sensibilisation, la communicationsont autant de préoccupations communes, dès l'origine, aux quartiers présentés etqui se sont effectivement basées sur des moyens d'action variés. Il est iciimportant de noter que cela appelle à un financement spécifique à intégrer dès ledémarrage d'une opération d'aménagement et à pérenniser dans le temps autantque faire se peut.

À Kronsberg, l'agence « Kuka » a supervisé l'édition de publicationsdiverses (prospectus, bulletins d'information joints au magazine du quartier « Viede Kronsberg », fiches informatives et circulaires, supports visuels telsqu'affiches, diaporamas, vidéo clips) mais aussi l'organisation de débats, dediscussions, de séminaires, d'ateliers, d'expositions ainsi que l'élaboration deconseils personnalisés.

À Hammarby Sjostad, « GlashusEtt » est une maison de l'environnement aucœur du quartier qui a pour rôle de répondre aux questions des habitants sur lesinstallations du quartier et de les sensibiliser au comportement à adopter auquotidien en ce qui concerne le recyclage.

En mars 2005 par exemple, plusieurs expositions ou manifestations ont étéorganisées ainsi qu'une visite de la station d'épuration spécialement réservée auxrésidents. Elle organise des visites pour les délégations étrangères qui souhaitentobtenir des informations sur le projet. Elle est un lieu d'accueil et de discussion.

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Par ailleurs, le système intranet permet aux entreprises locales d'être directementreliées aux résidents du quartier, tandis qu'à Malmo, ce système combiné à latélévision de quartier est un relais d'information pertinent pour ce qui est durecyclage des déchets.

L'information couplée à la formation doit permettre aux « écocitoyens» etutilisateurs des aménagements réalisés d'intégrer les principes du développementdurable à leurs comportements et modes de vie.

B. Participation et engagement citoyen

En termes de participation citoyenne, l'Allemagne fournit un arsenald'illustrations intéressant. À Fribourg, un groupe d'ingénieurs est parvenu àlancer un programme «Life» dans le cadre de la reconversion de la caserneVauban. Ce site représente aujourd'hui une sorte de lieu de pèlerinage pourcertains élus français. En 1999, un colloque sur le Forum Vauban a même étéorganisé. Ce projet a été conduit par la ville de Fribourg et une associationd'habitants dont une partie était des squatters dans le cadre du «ForumVauban ». L'alliance d'une association militante et de la municipalité est, en elle-même, assez étonnante. Le «Forum Vauban» comptait parmi ses membres desingénieurs intéressés par les techniques environnementales qui ont construit unimmeuble expérimental, particulièrement performant sur le plan énergétique.Alors que le plan de masse apparaît souvent comme particulièrement rigide, lavariété des dimensions des parcelles et la diversité de l'expression architecturalesont de réels atouts du quartier Vauban.

Un bel exemple de concertation réussie réside également en la réhabilitationde la ville de Berlin. L'enjeu en est exceptionnel puisque la réunification de laville a ouvert de nouvelles perspectives et doit parvenir à faire de deux villes quiont vécu une existence complètement séparée pendant cinquante ans, une capitaleunique. Pour ce faire, le Sénat de Berlin a décidé la mise en place du« Stadtforum » qui est en réalité un laboratoire de réflexion sur l'ensemble desdifficultés auxquelles la ville doit faire face dans le cadre de la réunification.

Le « Stadtforum » est indépendant des autorités politiques et il dispose d'uneassemblée permanente qui réunit des représentants des habitants, des associationsde quartiers, des architectes, urbanistes et paysagistes, des députés et desadministrateurs du Land de Berlin, des représentants des arrondissements de laville et de la région, des experts, des publicistes et des journalistes. Lesrencontres sont régulières, ouvertes au public, et se tiennent toujours en présencedu ministre du Land de Berlin chargé de l'urbanisme. Selon les responsables du« Stadtforum », cette concertation au plus haut niveau a souvent débouché surune remise en cause de décisions que les élus considéraient comme acquises.

La qualité des débats ainsi que l'engagement personnel des membres de cetteassemblée en font un modèle de concertation à l'échelon d'une grandeagglomération placée face au défi de son avenir.

Le projet « Vesterbro» à Copenhaguesignificative en matière de concertation. Une

fournit aussi une illustrationéquipe de consultants de type

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coopératif composée d'architectes, de sociologues, d'animateurs de quartiers,d'assistants sociaux a planifié les axes et objectifs généraux et formulé une listede priorités par blocs d'immeubles. Les résidents ont dès lors disposé d'un délaide huit semaines pour faire connaître leurs objections au projet et leurssuggestions. En définitif, les plans d'action par îlots intégrant les remarques descitoyens étaient opérationnels après un an de concertation. On était donc bien iciau-delà d'une simple démarche de validation auprès des habitants.

Malgré l'existence d'indicateurs de suivi opérationnel (à l'attention destechniciens et gestionnaires) et d'indicateurs de pilotage (à l'attention des élus)au niveau régional (<<indicateurs environnementaux des plus grandes villesnordiques» : Stockholm, Malm6, Helsinki, Copenhague, G6teborg, Reykjavik,Oslo qui constituent une plateforme d'échange de données et d'expériences)comme au niveau européen (action «vers un profil de durabilité locale -indicateurs européens communs» finalisée en 2000 et élaborée par un grouped'experts sur l'environnement urbain en s'appuyant, en étroite collaboration avecdes collectivités locales, sur des expériences européennes), et même si lesquartiers présentés ont vocation à servir d'exemple, beaucoup d'interrogationssubsistent quant à leur réelle influence sur les décideurs des collectivitéseuropéennes.. Figurent-ils les prémices d'un phénomène d'ample dissémination issue

d'une véritable transformation de nos pratiques d'aménagement urbain?. Ne s'inscrivent-ils que dans le cadre d'une logique d'exception qui en ferait

des îlots soignés cernés par des mutations urbaines aux trajectoires nondurables?. Constituent-ils une «banque de données» dont il serait envisageabled'extraire certains paramètres de durabilité susceptibles d'être réinjectésdans des opérations courantes?

Pour la plupart, les actions menées sembleraient bénéfiques et relativementfacilement transposables, à quelques conditions comparables à un «moded'emploi» :

- mener une politique forte de développement durable par le biais desdocuments d'urbanisme tels «PLU» et «SCOT» ou de procéduresvolontaires de type « Agenda 21 » ;

- privilégier une reconversion des £fiches urbaines à la création de quartiersneufs sur des espaces agricoles ou naturels;

- planifier les in£fastructures de transport, d'équipement et de service dès ledémarrage du projet;

- investir sur la base d'études approfondies et ne pas hésiter à augmenter lesdélais de réalisation;

- innover relativement à au moins un thème dans le cadre de l'opérationd'aménagement pour favoriser l'exemplarité;

- favoriser l'existence d'un système global de participation, d'information,de communication sur le développement durable pour tous etparticulièrement pour les habitants;

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- se soumettre à des exigences élevées respectant toutefois la cohérence ducontexte;

- respecter des méthodes et outils de contrôle pour le suivi et l'évaluation del'opération.

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Partie II

Développement durable et grands enjeuxenvironnementaux

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA MAÎTRISE DES POLLUTIONS

- Le système de droits échangeables : un instrument directeur de la lutte faceau changement climatique

Sandrine ROUSSEAUX

- Pour la création d'un dispositif équitable de crédits limitatifs de pollutionsur la consommation des ménagesGérald ORANGE

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA GESTION DES ESPACES

MARITIMES

- La nouvelle politique française du littoral

OlivierLOZACHMEUR

- L'estuaire de la Loire, un territoire mal identifié, un patrimoineinsuffisamment géréAndré-Hubert MESNARD

L'INTÉGRATION DU VOLET ENVIRONNEMENT AL DU DÉVELOPPEMENT

DURABLE DANS LES POUTIQUES PUBUQUES LOCALES

- L'intégration du développement durable dans les documents d'urbanisme

Caroline BARDOUL

- Les politiques de transport durable: le choix de l'instrument économiqueafm d'accéder à une mobilité durable

Julie BUL7EAU

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA MAÎTRISE DESPOLLUTIONS

Le système de droits échangeables :un instrument directeur de la lutte face au changement

climatique

Sandrine ROUSSEAUX'

Pour faire face au changement climatique, défi écologique majeur duXXIesiècle, il convient d'enclencher un processus de réduction graduelle maisconséquente des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), parmilesquels le dioxyde de carbone (C02), Ces émissions doivent être réduites de50 % à 85 % d'ici 2050 pour limiter l'augmentation de la température globale dela Terre à 2 DC, seuil à partir duquel les experts du GlEC (Groupe d'expertsintergouvernemental sur l'évolution du climat) estiment que des perturbationsdangereuses et irréversibles du système climatique peuvent survenir'. Objectifdifficilement atteignable au regard de leur évolution à la hausse, mais aussi deleur origine: utilisation des combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon) etdéforestation. Objectif que s'est néanmoins fixé la communauté internationale enadoptant en 1992, lors du Sommet de la Terre tenu à Rio de Janeiro, laConvention cadre des Nations unies sur les changements climatiques(<<Convention climat»)2. La réalisation de cet objectif suppose ni plus ni moinsd'apporter de profondes modifications au mode de développement des pays duNord, lequel tend à s'imposer dans les pays du Sud...

.DCS-CERP3E

1. « Impacts, Adaptation and Vulnerability », Contribution of Working Group II to the FourthAssessment, Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, http://www.ipcc-wg2.org;« Climate Change 2007: Mitigation of Climate Change », Working Group III contribution to theIntergovernmental Panel on Climate Change Fourth Assessment Report,http://www.mnp.nl/ipcc/pages _media/AR 4-chapters. html2. Article 2: « L'objectif ultime de la présente Convention [...] est de stabiliser les concentrationsde GES dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse dusystème climatique. Il conviendra d'atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour que lesécosystèmes puissent s'adapter naturellement aux changements climatiques, que la productionalimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d'unemanière durable. »

Un premier pas est franchi lors de l'adoption en 1997 du Protocole de Kyoto,entré en vigueur en 2005. Celui-ci fixe un objectif de réduction d'au moins 5 %des émissions de six GES3 générées par 38 pays industrialisés, par rapport à leurniveau de 1990, à atteindre au cours de la période 2008-2012. Conformément auprincipe des responsabilités communes mais différenciées, énoncé par laConvention climat, seul le droit d'usage de l'atmosphère des pays industrialiséslistés à l'annexe I de ce traité est réglementé au cours de la première périoded'engagement du Protocole de Kyoto. Cette réglementation devrait êtrerenforcée, et étendue à d'autres pays, par le régime « post 2012» applicable àl'expiration du Protocole de Kyoto.

Les pays industrialisés (dits «de l'annexe I ») ont accepté qu'une limitechiffrée soit fixée à leurs émissions de GES en échange d'une contrepartie:bénéficier d'une souplesse dans le respect de leur obligation internationale. Troismécanismes de flexibilité sont ainsi établis par le Protocole de Kyoto: l'échangede droits d'émission, la mise en œuvre conjointe et le mécanisme pour undéveloppement propre. La localisation des émissions de GES étant sansimportance du point de vue du climat global, le recours à ces mécanismes permetaux pays parties au Protocole de moduler le contingent d'émissions qu'ils sontautorisés à générer en vertu de ce traité. Ils peuvent dépasser leur budgetd'émissions, composé de droits d'émettre une tonne de GES exprimés enéquivalent CO2, dès lors que l'excédent est compensé par l'achat de droitsd'émettre sur un marché créé à cet effet (Ie « marché du carbone»).

Le premier moyen pour les États de compenser le dépassement de leur« budget carbone» consiste à acheter des droits d'émettre auprès de ceux qui ontréduit leurs émissions au-delà de leur obligation internationale. Ils recourent dansce cas au mécanisme d'échange de droits d'émission. Le second moyen consisteà financer des projets permettant de réduire les émissions sur le territoire d'autresÉtats. Ils peuvent acquérir une partie du budget carbone d'autres paysindustrialisés, grâce au mécanisme de mise en œuvre conjointe, ou obtenir autitre du mécanisme pour un développement propre des droits d'émettre par laréalisation d'activités de projet dans les pays en développement. Dans la mesureoù ces derniers ne sont pas soumis à une obligation de maîtrise de leursémissions au cours de la première période d'engagement du Protocole de Kyoto,ils ne disposent pas de budget carbone. Les droits d'émettre délivrés au titre dumécanisme pour un développement propre, destiné à associer ces pays dans lalutte contre le changement climatique tout en leur permettant de bénéficier d'untransfert de technologies, s'ajoutent au contingent global d'émissions autoriséesen vertu du Protocole.

3. Dioxyde de carbone (COz), méthane (C~), oxyde nitreux (Nzo),trois gaz industriels (HFC,PFC, SF6).

160

MECANISMES DE FLEXIBILITE

.Achatgg"Sgçluctions d'emission ~ffectuées par d'autres Etats

Objectif Kyoto

ECHANGE

DE DROITS

D~MISSION

ObjectifKyôto

. Financement de réductions d'émission sur le territoire d'autres Eta~

EtatP ~llSE EN ŒUVRE

CONJOINTE

MECANISME POUR UN

DEVELOPPEMENT

PROPRE

La possibilité de procéder à des échanges de droits d'émettre sur le marché ducarbone facilite le respect des obligations juridiquement contraignantes enmatière de limitation et de réduction des émissions de GES contractées au titre duProtocole de Kyoto. Ces «contraintes carbone» sont flexibles. Les États nes'engagent pas à limiter au cours de la période 2008-2012 leurs émissions àhauteur de l'objectif qui leur est imparti par le Protocole, mais à détenir à la finde cette période des droits d'émettre à hauteur de leur production de GES4. Lecas échéant, des sanctions sont infligées par le Comité de contrôle du respect desengagements (<<Comité d'observance»). La quantité d'émissions non couvertespar des droits d'émettre, majorée de 30%, est déduite du budget carbone allouépour la période d'engagement suivante, et la vente de droits sur le marché estsuspendue jusqu'à ce que le pays ait régularisé sa situation.

Le recours aux mécanismes de flexibilité permet de limiter le coût global durespect de l'objectif de réduction des émissions fixé par le Protocole de Kyoto.Le coût marginal de réduction de l'émission d'une tonne d'équivalent CO2 varieen effet selon les États (en fonction notamment de l'intensité énergétique de leuréconomie). Ces derniers peuvent définir la stratégie de respect du droit qui leursemble la plus opportune sur le plan économique en fonction du prix du carbone,révélé par le jeu de l'offre et de la demande sur le marché: réduction des

4. Décision 13fCMP.l, «Modalités de comptabilisation des quantités attribuées définies enapplication du paragraphe 4 de l'article 7 du Protocole de Kyoto », Annexe, point 14,FCCCIKP /CMP/2005/8/ Add.2.

161

émissions sur le territoire national, avec la possibilité de vendre leurs droitsd'émettre excédentaires sur le marché international, ou compensation dudépassement du budget carbone national par l'acquisition de droits d'émission.

Bien qu'émergent, le marché du carbone se développe rapidement. Cecirésulte d'une anticipation à tous les niveaux d'intervention étatique de la mise enœuvre des dispositions internationales relatives aux mécanismes de flexibilité(applicables à partir de 2008, début de la première période d'engagement duProtocole). Le mécanisme pour un développement propre (MOP) estopérationnel depuis 2005, afin de stimuler le transfert de technologies dans lespays du Sud. Des projets de réduction des émissions peuvent également êtreenregistrés au titre de la mise en œuvre conjointe (MOC), afin d'obtenir desdroits d'émettre de GES dès 2008. Des systèmes d'échange sont par ailleursprogressivement établis au niveau régional et national, afin de réglementer lesémissions de GES générées par des agents économiques.

La particularité des dispositions internationales relatives aux mécanismes deflexibilité tient à ce qu'elles peuvent s'appliquer aux agents économiques. Si leProtocole de Kyoto n'engage que des États, ces derniers peuvent autoriser desentités juridiques à participer à ces instruments sous leur responsabilité, et parconséquent à être des acteurs du marché du carbone. Des entités juridiquespeuvent tout d'abord décider de limiter les émissions de GES de paysindustrialisés ou de pays en développement ayant ratifié le Protocole de Kyoto,en finançant des activités de projet au titre de la MOC et du MOP. Des droitsd'émettre valorisables sur le marché mondial du carbone leur sont délivrés àhauteur des émissions« évitées» grâce à leur projet.

Les États peuvent ensuite établir leur propre système d'échange, afin deréglementer les émissions des agents économiques situés sur leur territoire.L'établissement de ces systèmes emporte création de marchés intérieurs ducarbone. Il peut s'agir de systèmes d'échange de droits d'émission, à l'instar dusystème établi en 2005 à l'échelle de la Communauté européenne, en Norvège,en Islande, au Liechtenstein, et au Japon en 20065. Cet instrument devrait êtremis en place en 2008 en Suisse, en 2010 en Australie et possiblement auCanada6. La mise en place en 2009 de deux systèmes régionaux est envisagée pardes États fédérés des États-Unis, pays de l'annexe I qui n'a pas ratifié leProtocole de Kyoto? Il peut également s'agir de mécanismes de projet

5. Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant unsystème d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiantla directive 96/61/CE du Conseil, JOUE n° L 275, 25 oct. 2003, p.32http://unfccc. int/files/meetings/sem inar/applicationlpdf/sem yre _norway.pdf,

http://www. ieta. org/ieta/www/pages/index.php? IdSitePage= 962.6. http://www. iea.org/Textbase/work/2002/emissions/summary/SWI1ZERL.pdj;http://www.parl.gc.ca/commonlbills _ls.asp? lang= F &ls=c30&source=library yrb&P arl= 39&Ses

=I. L'Australie pourrait établir un NETS (National emissions trading scheme).7. Après l'établissement en 2003 d'un programme expérimental en Amérique du Nord, le ChicagoClimate Exchange (CCX), deux programmes d'échange devraient être établis: le RGGI (RegionalGreenhouse Gas Initiative), qui regroupe les États de New York, Connecticut, Delaware, Maine,Massachussetts, New Hampshire, New Jersey, Rhode Island, Vermont, et le WCAI (Western

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domestiques, établis en Nouvelle-Zélande en 2003 et en France en 20078. Lalogique de ces instruments, non prévus par le Protocole qui ne régit que lacoopération entre ses parties, est similaire à celle des mécanismes de projetinternationaux: création d'une incitation économique à la réduction desémissions de GES, mais sur le territoire national. La plupart des dispositifsd'échange régionaux et nationaux s'appliquent aux sources fixes d'émission deGES, et plus précisément aux entreprises fortement consommatrices d'énergie.Certains d'entre eux couvrent cependant les émissions des sources dites« diffuses» (transport, bâtiment, agriculture, gestion des déchets).

Le système de droits d'émission échangeables est un instrument novateur depolitique publique. Déjà instauré dans le cadre de certaines politiquesenvironnementales9, cet instrument fondé sur l'intervention du marché tend à êtreprivilégié dans le cadre de la lutte face au changement climatique. Il en résulteune harmonisation progressive de la régulation juridique des émissions de GES.Si les agents économiques sont plus favorables à cet instrument qu'à uneréglementation ou une taxe, c'est essentiellement en raison de la libertéd'adaptation dont ils disposent face à la régulation juridique de leurs émissions.Flexibilité et marché, la magie des mots. . .

Pour autant, le système de droits échangeables comporte une dimensioninterventionniste bien plus importante qu'il n'y parait à première vue. Il s'agitd'un instrument hybride de protection de l'environnement, qui allie interventionréglementaire et recours au marché. Sa mise en œuvre constitue une activité depolice administrative. Elle consiste pour les autorités publiques à réglementer (I)et contrôler (II) la quantité d'émissions de GES générées par les acteurs quirelèvent de son champ d'application.

I. La réglementation des émissions de GES générées par lesparticipants aux systèmes de droits échangeables

L'établissement d'un système d'échange de droits d'émission de GESconsiste pour les autorités publiques à fixer une limite chiffrée aux émissionsgénérées par les acteurs qui relèvent de son champ d'application. Il permet dedélimiter leur droit d'usage de l'atmosphère, pour des motifs d'intérêt général(préservation du système climatique). Contrairement à la réglementation «classique », telle que celle applicable en matière d'installations classées pour la

Climate Action Initiative), qui regroupe les États de Californie, Washington, Arizona, Oregon,Nouveau Mexique, Colombie britannique.8. http://www.mjè.govt.nz/issues/climate/policies-initiatives/projects/index.html;Décret n° 2006-622 du 29 mai 2006 pris pour l'application des articles L. 229-20 à L. 229-24 duCode de l'environnement et portant transposition de la directive 2004/1Ol/CE du Parlementeuropéen et du Conseil du 27 octobre 2004 modifiant la directive 2003/87/CE établissant unsystème d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté au titre desmécanismes de projet du protocole de Kyoto, JORF 30 mai 2006, précisé par l'arrêté du2 mars 2007 pris pour l'application de ses articles 3 à 5, JO du 7 mars 2007, p. 4386.9. Voir par ex. OCDE, « Implementing domestic tradeable permits. Recent developments andfuture challenges », Paris, 2002.

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protection de l'environnement, l'obligation juridique de maîtrise des émissions àlaquelle sont soumis les participants à un système d'échange est flexible.

Ceux dont les émissions sont supérieures à la quantité autorisée ne sont passanctionnés dès lors que leur excédent de pollution est compensé par l'achat dedroits d'émettre auprès de ceux qui ont réduit leurs émissions au-delà del'objectif qui leur est imparti. La possibilité de procéder à des échanges limite lescoûts globaux encourus par le respect de la réglementation des émissions deGES. Elle crée par ailleurs une incitation économique à la réduction desémissions au-delà: de l'objectif fixé par les pouvoirs publics, de par la possibilitéd'obtenir une rémunération par la vente de droits d'émettre sur le marché.

Les émissions de GES peuvent être réglementées par deux sortes dedispositifs: un système de permis (A) ou un système de crédits (B). Tous deuxobéissent à la même logique, en ce sens que la réglementation énoncée dans lecadre de ces instruments est flexible. Les modalités d'intervention juridique sontcependant sensiblement différentes.

A. La réglementation des émissions de GES par un système depermis

Un système de permis d'émission de GES (cap and trade) repose sur leprincipe d'une organisation administrative de l'accès à l'atmosphère. Cetteorganisation prend la forme d'un contingentement des droits d'accès à cetteressource collective, matérialisés par des autorisations administratives d'émettreune tonne d'équivalent COZIO.

La quantité de droits d'émettre mise en circulation sur le marché correspond àl'enveloppe globale de permis allouée par les autorités de régulation du systèmeaux acteurs qui relèvent de son champ d'application. Cette valeur limited'émissions est déclinée au niveau individuel en une obligation flexible enmatière de limitation des émissions. Le respect de cette obligation consiste pourchacun des participants au système à restituer régulièrement des permis à hauteurde leurs émissions aux autorités en charge de leur allocation, indépendamment dela quantité disponible sur le marché. Les sanctions financières encourues en casde non-respect de cette obligation juridiquement contraignante confèrent unevaleur marchande aux permis échangeables.

Les dispositions internationales relatives à l'échange de droits d'émission neprécisent pas les modalités de participation des entités juridiques à cemécanisme. Les États disposent par conséquent d'une marge de manœuvreimportante en termes de conception de leur système national, lors de l'intégrationde ces dispositions dans les ordres juridiques internes. Ce sont eux qui définissentle champ d'application de leur système, les modalités de participation, le montant

JO. Voir par ex. S. GIULJ, Les « pennis d'émission négociables et la titrisation des autorisationsadministratives », Revue d'économie financière, n° 66, 2002: S. ROUSSEAUX, « Les quotasd'émission de gaz à effet de serre: une nouvelle catégorie de ressources rares », La Gazette dupalais, n° 18-19,janv. 2006, p. 38-47.

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de la dotation de permis d'émission, la méthode de leur répartition, ainsi que lessanctions en cas de restitution d'une quantité insuffisante de permis.

Pour des raisons liées notamment au coût d'administration des politiquespubliques nationales de lutte face au changement climatique reposant sur dessystèmes d'échange de permis d'émission, ceux-ci s'appliquent principalementaux sources fixes d'émission de GES. Les systèmes établis dans le cadre del'Espace économique européen, au Japon, prochainement en Suisse, aux États-Unis, et peut-être au Canada réglementent les émissions de CO2 générées par lesentreprises fortement consommatrices d'énergie (installations de productiond'électricité et de chaleur en particulier). Seuls les systèmes européens, australienet américain reposent sur une participation obligatoire. Cette modalité estpréférable sur le plan environnemental, dans la mesure où elle évite lephénomène de « passagers clandestins» (free riders).

Une fois les systèmes mis en place, leur champ d'application peut être étenduà d'autres GES ainsi qu'à d'autres activités économiques, à l'instar du systèmecommunautaire d'échange de quotas d'émission. Cet instrument est le socle de lastratégie européenne de lutte contre le changement climatique.

Au cours de la période dite « d'apprentissage» (2005-2007), il couvre lesinstallations de production d'électricité et de chaleur (dont la puissance estsupérieure à 20 MW), les raffineries de pétrole, les cokeries, les installations deproduction de métaux, fonte, acier, ciment, chaux, verres, produits céramiques,pâte à papier, papier et carton. Dès 2008, début de la première périoded'engagement du Protocole de Kyoto, les États membres peuvent réglementerdans le cadre de ce système les émissions d'agents économiques nationaux qui nerelèvent pas de son champ d'application, sous réserve d'approbation de laCommission européenne. À partir de 2012, troisième période de mise en œuvredu système, ce dernier pourrait s'étendre de manière harmonisée au niveaucommunautaire à d'autres secteurs d'activité économique (transports, industriechimique, métallurgie de l'aluminium.. .)11. Quant aux émissions des agentséconomiques non couverts par cet instrument (PME, administrations,particuliers), elles peuvent être réglementées au niveau national par un systèmede permis, comme l'envisage le Royaume-UniI2.

La contribution des participants aux systèmes de permis négociables à laréduction des émissions nationales de GES correspond à la différence entre leursémissions générées au cours d'une année de référence et la dotation globale depermis qui leur est allouée par l'État. Ce dernier doit veiller à une déclinaisonappropriée de l'obligation internationale qu'il a contractée au titre du Protocole

11. Commission européenne, Création d'un marché mondial du carbone. Rapport en vertu del'article 30 de la directive 2003/87/CE (COM (2006) 676, 13 novo 2006). Proposition de directivedu Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/87/CE afin d'intégrer les activitésaériennes dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre[COM (2006) 818 final, 20 déco 2006].12. Le gouvernement a présenté en mars 2007 un projet de loi prévoyant l'établissement desystèmes d'échange domestiques:http://www.ojjicial-documents.gov. ukJdocumentlcm 70/7040/7040.pdj;http://www.defra.gov.ukJenvironmentlclimatechange/ukJindividual/pcalindex.htm.

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de Kyoto sur les différents secteurs d'activité économique réglementés par cetraité, indépendamment des mesures qui leur sont applicables. Le cas échéant, ildoit pallier les conséquences d'une réglementation insuffisante de leursémissions, par l'achat de droits d'émettre sur le marché international.

La dotation de permis allouée au cours de la première période d'engagementdu Protocole de Kyoto est une partie du budget carbone national. Ce sont autantde permis qui ne sont pas destinés à couvrir les émissions des secteurs soumis àdes politiques et mesures autres que le système d'échange. Comme dans le cadrede tout instrument de politique publique, les participants au système d'échangeprennent part au processus de définition de leur obligation en matière delimitation des émissions. Cette implication est, en partie, à l'origine del'efficacité environnementale limitée du système communautaire d'échange dequotas au cours de la période d'apprentissage, ainsi que du «krach boursier»survenu sur le marché européen du carbone en 200613.

Les participants à un système de permis sont soumis à l'obligation de restituerdes droits d'émettre à hauteur des émissions qu'ils ont générées. Une amendepour chaque permis manquant leur est infligée en cas de non-respect de cetteobligation. La méthode de répartition individuelle (à titre gratuit ou onéreux) del'enveloppe globale de permis est sans incidence sur le plan juridique. Mais elle ades conséquences économiques. La mise aux enchères présente l'avantage d'êtreplus simple, les États n'ayant qu'à déterminer la quantité globale de droitsd'émettre à allouer. Elle favorise aussi l'application du principe pollueur-payeur.Il est cependant complexe sur le plan politique d'énoncer le principe du paiementdu droit d'émettre des GES, lequel était gratuit jusqu'à présent puisque cesémissions ne faisaient l'objet d'aucune réglementation. Une approcheprogressive est ainsi retenue par l'Union européenne14.

B. La réglementation des émissions de GES par un système decrédits

Un système de crédits négociables (baseline and credit) s'apparentedavantage à une réglementation « classique ». Les acteurs relevant du champd'application de cet instrument sont soumis à une obligation chiffrée en matièrede limitation de leurs émissions de GES. Des crédits d'émission leur sont

13. L'allocation des quotas d'émission relève de la compétence des États membres, supervisés parla Commission européenne. Elle est définie dans le cadre de plans nationaux d'allocation desquotas (PNAQ), qui doivent être élaborés selon les critères énoncés par la directive 2003/87/CE. Lapublication en avril 2006 des émissions générées au cours de l'année 2005 a démontré que ladotation de quotas était trop importante. Conséquence d'un déséquilibre entre l'offre et la demande,le prix du quota sur le marché s'est effondré en quelques jours, passant de 30 à 13 euros. Ladotation globale de quotas alloués dans le cadre des « PNAQ 2» élaborés pour la période 2008-2012 a par conséquent été réduite de 5,7 % à la demande de la Commission.14. En vertu de l'article 10 de la directive 2003/87/CE préc., au moins 95 % des quotas sontalloués à titre gratuit au cours de la période 2005-2007 et au moins 90 % au cours de la période2008-2012.

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délivrés à hauteur des réductions réalisées au-delà de la limite fixée par lespouvoirs publics. Leur valorisation dépend de la conception des systèmes.

Dans le cadre des systèmes de crédits établis aux États-Unis au titre de la luttecontre la pollution atmosphérique (réduction de la teneur en plomb de l'essence,mise sur le marché de véhicules propres)15, les objectifs à atteindre sontjuridiquement contraignants. Cette réglementation est flexible. Elle estconsidérée comme respectée par ceux qui n'ont pas atteint l'objectif qui leur estimparti dès lors qu'ils compensent leur non-respect par l'achat de crédits auprèsde ceux qui ont dépassé leur objectif.

La situation est quelque peu différente s'agissant des systèmes établis dans lecadre de la lutte contre le changement climatique. Les mécanismes de projetétablis au niveau international et national sont destinés à renforcer la flexibilitédont disposent les participants aux systèmes de permis (États et entitésjuridiques) pour se conformer à leur obligation de restitution de droits d'émettreà hauteur de leurs émissions. Le surplus d'émissions de ces acteurs peut êtrecompensé par l'acquisition de permis auprès de ceux qui en détiennent enquantité excédentaire, ou de crédits obtenus par le financement de projets deréduction des émissions dans la «zone Kyoto» (pays indus-trialisés et endéveloppement ayant ratifié le Protocole). L'établissement de liens entre lessystèmes de permis et de crédits permet les échanges entre les participants àdifférents instruments 16.

Les dispositions internationales et nationales prévoient que la participationaux mécanismes de projet est volontaire. Elle a pour origine une décisiond'investissement dans un projet de réduction des émissions de GES, motivée pardes considérations économiques liées à l'obtention de crédits carbone. Lesinvestisseurs s'engagent à réduire les émissions au-delà d'un niveau de référence,correspondant à l'évolution tendancielle des émissions générées lors du respectde la réglementation en vigueur. En d'autres termes, ils acceptent des« contraintes supplémentaires» 17. Le niveau de référence est validé par lesautorités de régulation des systèmes de crédits, ce qui lui confère la qualité devaleur minimale de réduction d'émissions. Il est déterminé selon une procédureréglementée au niveau international, pouvant être précisée au niveau national.L'objectif de réduction des émissions est librement défini par l'investisseur,puisqu'il dépend du projet proposé. Défini dans le cadre d'un accord volontaire,il est dépourvu de valeur juridique. La sanction de son non-respect est d'ordreéconomique: conséquences sur la quantité de crédits délivrés.

Au cours de la période 2008-2012, toute activité de projet de réduction desémissions peut être réalisée au titre de la mise en œuvre conjointe. Il en va demême pour le mécanisme pour un développement propre, à l'exception desactivités liées au nucléaire et à la prévention de la déforestation. Le champ

15. O. GODARD,« L'expérience américaine des permis négociables », Économie internationale, Larevue du CEPII, n° 82, 2000, p. 13-43.16. Voir infra.17. L. Boy, « Les programmes d'étiquetage écologique en Europe », Revue internationale de droitéconomique, n° 1, p. 5-25.

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d'application des mécanismes de projet domestiques couvre les émissions nonréglementées par les systèmes nationaux d'échange de droits d'émission. Cesinstruments sont ainsi un moyen de réglementer les émissions générées par lessources diffuses (transport, agriculture, bâtiment, gestion des déchets).

II. Le contrôle des émissions de GES générées par les participantsaux systèmes de droits échangeables

Les acteurs relevant du champ d'application de systèmes de droitséchangeables sont soumis à une obligation de surveillance et de déclaration deleurs émissions de GES.

La tenue d'une « comptabilité carbone» participe du contrôle du respect deleur obligation en matière de limitation des émissions. Elle détermine la quantitéde droits d'émettre à restituer par les participants à un système de permis, ou àdélivrer aux participants à un système de crédits. Les agents économiquessurveillent eux-mêmes leurs émissions, selon une procédure réglementée auniveau international, et éventuellement précisée au niveau régional ounational (A).

Ils doivent ensuite faire certifier leurs données d'émission, avant de lesdéclarer aux autorités de régulation des systèmesl8 (B).

A. La surveillance des émissions de GES

L'intégrité environnementale des systèmes d'échange dépend essentiellementde la surveillance des émissions. En cas d'inexactitude ou de défaillance de cettedernière, des droits d'émettre correspondant à des réductions d'émission« fictives» pourraient être mis en circulation sur le marché. Les acteurs dumarché du carbone doivent surveiller leurs émissions en ayant recours à desméthodologies agréées au niveau international ou national. Ces méthodologiessont des règles comptables.

La surveillance des émissions des sources fixes est effectuée à partir de leursdonnées de production. Un « coefficient carbone» est affecté à ces données. Lasurveillance des émissions diffuses est plus complexe. Elle suppose en effet decomptabiliser les GES en provenance de sources multiples (émissions généréesdans le secteur des transports, de l'agriculture, des bâtiments et de la gestion desdéchets). Ces émissions sont générées en grande partie par les particuliers. C'estdans ce contexte qu'est formulée l'idée de délivrer une « carte carbone» auxcitoyens 19. Cette carte enregistrerait la teneur en carbone de leurs achats de bienset de services (prestations de transport, électricité et chaleur des bâtiments,

18. Sur le dispositif institutionnel d'encadrement du marché du carbone, voir S. ROUSSEAUX,« Larégulation du marché mondialisé du carbone» in R. ENCINASde MUNAGORRI(dir.) Expertise etgouvernance du changement climatique. Quelles contributions des sciences sociales? LGDJ,« Droit et société », à paraître.19. Voir par exemple:http://www. novethicjr/novethiclsite/article/indexjsp? id= 95410; http://www.climater. org

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produits de consommation.. .). Cet outil de comptabilisation des émissions estdéjà utilisé dans le cadre des systèmes de carte d'épargne durable mis en placepar certaines villes en Europe (Amsterdam, Rotterdam, GOteborg, OverpeltYo.

B. La déclaration des émissions de GES

Le rapport de surveillance des émissions de GES doit être transmis auprès desautorités de régulation des systèmes d'échange. Ce «bilan carbone» est lesupport de la délivrance et de la restitution des droits d'émission. La périodicitéde la déclaration varie selon les mécanismes. Elle est souvent annuelle. Le non-respect de l'obligation de déclaration des données d'émission est sanctionné:suspension du droit de céder des permis sur le marché, ou de la procédure dedélivrance des crédits.

Les données d'émission doivent être certifiées par des organismes agréés pardes autorités nationales ou supranationales avant d'être déclarées. Le rôle de cesorganismes consiste à attester du respect des méthodologies de surveillance et del'exactitude des données d'émission. Des corrections sont apportées à ladéclaration des émissions lorsque des inexactitudes sont relevées.

La déclaration des données d'émission certifiées est un préalable à desvirements entre les « comptes carbone» des participants aux systèmes de droitséchangeables, et ceux des autorités de régulation de ces systèmes. De cettecomptabilité carbone dépendent les modalités d'intervention sur le marché:cession ou acquisition de droits d'émettre.

Le système de droits échangeables est souvent décrié comme un mécanismeattribuant des «droits à polluer». Il s'agit au contraire d'un instrument quipermet de réglementer les émissions de GES, par la fixation d'une limite chiffréeaux rejets dans l'atmosphère. Les caractéristiques d'un système de droitséchangeables se situent à « mi-chemin entre la police et le marché »21.Certes samise en œuvre repose sur un marché, et favorise la mise en place de boursesd'échanges destinées à favoriser la liquidité de ce dernier. Mais ces échangessont destinés à respecter avec souplesse et à moindre coût des obligationsjuridiquement contraignantes en matière de limitation et de réduction desémissions de GES. Le système d'échange étant un instrument de protection del'environnement, c'est l'objectif de réduction des émissions à atteindre par lesacteurs du marché du carbone qui importe, et non les moyens de l'atteindre.

Le marché du carbone est une mosaïque de marchés22. Parallèlement aumarché international du carbone, constitué de trois marchés créés par la mise enœuvre des mécanismes de flexibilité établis par le Protocole de Kyoto, sedéveloppent des marchés intérieurs, créés par l'établissement de systèmes

20. La carte calcule la quantité de points d'épargne auxquels peuvent prétendre les participantsvolontaires à ces systèmes.Voir par ex. : http://www.nuspaarpas.nl/www_en/index.html.21. M. A. HERMITTE, « La nature juridique des quotas de gaz à effet de serre. Une histoireintellectuelle» in lnst. André Tunc, Annales de la régulation, vol. 1,2006, LGDJ, p. 541-583.22. W. BELL, J. DREXHAGE, « Climate change and the international market », IlSD, 2005,www.iisd.org.

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d'échange au niveau régional ou national. L'établissement de ces systèmesrésulte de l'intégration dans les ordres juridiques internes des dispositionsinternationales relatives aux mécanismes de flexibilité. Le marché du carbone semondialise à mesure de la mise en œuvre du droit international.

Les différents marchés d'échange de droits d'émettre des GES ont vocation às'intégrer afin de former un marché globalisé. Leur intégration s'opère parl'établissement de liens entre les différents systèmes d'échange. La connexionentre les marchés intérieurs et internationaux du carbone renforce la flexibilitédont disposent les participants aux systèmes de permis afin de remplir leurobligation de restitution de droits d'émettre à hauteur de la quantité de GESqu'ils ont générée. Elle leur permet de se procurer des droits sur d'autres marchésque celui auquel ils ont accès.

Les trois mécanismes internationaux de flexibilité sont reliés de droit23. Laliaison entre les systèmes régionaux et nationaux, ainsi qu'entre ces derniers etles systèmes internationaux, relève de la souveraineté des États. Si la liaisonentre les systèmes domestiques semble aller de soi lorsqu'ils sont établis par unmême État, il en va autrement s'agissant des systèmes établis par différents États.La liaison entre eux prend la forme d'accords de reconnaissance mutuelle desdroits d'émission mis en circulation et échangés sur des marchés intérieurs. Ellepermet une conversion des droits d'émettre émis sur différents marchés, ainsiqu'une réduction de leur valeur du fait de l'élargissement des opportunités deréduction des émissions. Elle contribue également à atténuer les problèmes decompétitivité pouvant résulter de la régulation juridique des émissions de GESgénérées par des secteurs confrontés à la concurrence internationale24.

La connexion entre des marchés intérieurs a été réalisée pour la première foisdans le cadre de l'Espace économique européen en octobre 2007, par une liaisonentre les systèmes établis par la Communauté européenne, la Norvège, l'Islandeet le Liechtenstein. La liaison entre les systèmes dépend non seulement de lavolonté des États, mais aussi et surtout des modalités de leur mise en œuvre.L'harmonisation des systèmes facilite leur liaison25. C'est dans ce contexte ques'inscrit l'ICAP (International Carbon Action Partnership), lancé à Lisbonne le29 octobre 200726. La Communauté européenne dispose d'un avantagestratégique en termes de concurrence réglementaire: le marché européen ducarbone constitue le noyau du futur marché international sur lequel interviennentdes entités juridiques, en raison de la date de création et de la taille du systèmecommunautaire d'échange de quotas d'émission.

23. Les droits d'émettre délivrés au titre des deux mécanismes de projet peuvent être échangés autitre du mécanisme d'échange de droits d'émission (Décision Il/CMP.l, Modalités, règles et lignesdirectrices applicables à l'échange de droits d'émission prévu à l'article 17 du Protocole de Kyoto,Annexe, point 2, FCCCIKP/CMP/2005/8/Add.2)24. OCDE/AIE, « Act locally, trade globally», Paris, 2005, p. 123-127.25. E. HAlTES, « Mechanisms, linkages and the direction of the future climate regime» inF. Yamin (ed), Climate change and carbon markets. A handbook of emissions reductionmechanisms, Earthscan, 2005, p. 321-349.26. http://www.icapcarbonaction.com

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La liaison entre les systèmes nationaux ou régionaux et les deux mécanismesde projet internationaux (MaC et MDP) facilite le respect des obligationsénoncées aux agents économiques, de par la possibilité d'importer des « créditsKyoto» dans les marchés intérieurs du carbone. Elle peut cependant lesdissuader de réduire leurs propres émissions. C'est la raison pour laquelle deslimites peuvent être fixées à l'importation des crédits internationaux, optionretenue par l'Union européenne au cours des deux premières périodes de mise enœuvre du système d'échange de quotas27. La liaison entre les systèmes nationauxou régionaux et le système intergouvernemental de permis d'émission vise, enfin,à comptabiliser au nom des États les échanges internationaux de droit d'émettreréalisés par les entités juridiques dont le compte carbone est ouvert dans leurregistre mis en place en application du Protocole de Kyoto. Les entités juridiquesparticipent en effet en leur nom, mais sous la responsabilité de l'État dont ellesrelèvent, aux mécanismes de flexibilité.

Le marché du carbone est un marché spécifique. Non seulement parce qu'ilreprésente un moyen d'atteindre plus facilement un objectif de protection dusystème climatique. Mais aussi parce que « l'unité carbone », objet des échangessur le marché, remplit les trois fonctions d'une monnaie. Cette unité est toutd'abord un instrument d'évaluation: elle permet de mesurer et d'exprimer enéquivalent CO2 les émissions de six GES, générées par des secteurs d'activitééconomique diversifiés ou absorbées par la biosphère terrestre. Elle permetensuite d'éteindre une « dette d'émission »28,c'est-à-dire une obligation de non-dépassement d'un contingent modulable de droits d'émettre des GES. Cette dettes'annule par le virement de droits sur des comptes ouverts dans les registres,lesquels s'apparentent à des « banques du carbone ».

L'unité carbone peut enfin être thésaurisée. Bien que leur validité soit limitéeà la période d'engagement pour laquelle ils sont délivrés, les droits d'émettre nonutilisés pour couvrir des rejets de GES peuvent être reportés et ajoutés au budgetcarbone alloué pour la période suivante. Malgré les incertitudes sur le contenu dufutur régime international de lutte face au changement climatique, le marché ducarbone devrait être maintenu voire étendu après l'expiration du Protocole deKyoto29. Le développement de la « finance carbone» devrait assurément sepoursuivre.

27. Directive 204/10l/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 2004 modifiant ladirective 2003/87/CE établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serredans la Communauté au titre des mécanismes de projet du Protocole de Kyoto, JOUE n° L 338, 13novo 2004, p. 18.28. M.-A. HERMITTE, « La nature juridique des quotas de gaz à effet de serre. Une histoireintellectuelle », op. cil., p. 551.29. Après que les membres du G8 se soient prononcés en faveur des mécanismes de marché lorsdu Sommet de Gleneagles tenu en juillet 2005, la première Réunion des parties au Protocole deKyoto réunie à Montréal en décembre 2005 a assuré de l'absence d'interruption entre la première etla seconde période d'engagement.(Décision l/CMP.1, Étude au titre du paragraphe 9 de l'article 3 du Protocole de Kyoto desengagements des parties visées à l'annexe 1 de la Convention pour les périodes suivantes, point 4,FCCC/KP/CMP/2005/8/Add.l). La Conférence des parties à la Convention climat réunie à Bali endécembre 2007 a par ailleurs envisagé d'inclure la déforestation et la dégradation des forêts évitéesdans le régime « post 2012» (Décision l/CP.13, Plan d'action de Bali, point 1, b, iii).

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LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA MAÎTRISE DESPOLLUTIONS

Pour la création d'un dispositif équitable de crédits limitatifs depollution sur la consommation des ménages'

Gérald ORANGE *

Ce texte vise à exposer une solution opérationnelle qui pourrait être mise enœuvre rapidement par les pouvoirs publics afin de répondre de manière efficace àl'impératif du développement durable. Notre réflexion est née de l'étude despolitiques environnementales dans le monde et d'un retour sur les fondements del'économie et du management publics. Le dispositif proposé devrait permettre dedépasser un constat, à la suite des déclarations de certains milieux institutionnelsdu patronat, qui tentent de justifier l'attentisme dans la mise en œuvre des permisd'émission2 résultant des accords de Kyoto. Pour ces porte-parole, il seraitprématuré que les pays du Nord mettent en place le dispositif de réduction desémissions de gaz à effet de serre si l'assurance n'était pas obtenue de la part despays du Sud développés qu'ils feraient de même eu égard à leur taux decroissance élevé. Un autre des arguments récurrents dans ces milieux est qu'il nefaudrait pas que les seules entreprises supportent le poids de la réduction de laproduction de ces gaz alors que l'émission par les ménages, particulièrementavec le transport automobile et le chauffage, est supérieure à celle desentreprises 3.

* Nimec-IAE. Université de Rouen1. Cet article doit beaucoup à la complicité intellectuelle de l'auteur, depuis de nombreuses années,avec Robert Le Duff, professeur émérite à l'université de Caen. Les remerciements vont égalementpour leurs remarques et leurs suggestions à mes collègues Eric Allix-Desfautaux, OlivierBeaumais, Patrice Macqueron, Eric Vatteville, ainsi qu'à Bernard Ameil, Jean-Pierre Girod, EddyPoitrat et Jean-Pierre Testenoire.2. Le vocabulaire a évolué. Les expressions permis de pollution ou droits de polluer paraissaienttrop crues; elles furent remplacées par crédits, quotas ou titres d'émission. Les mots permis etdroits semblaient bafouer le principe pollueur-payeur. Le terme émission renvoie aux accords deKyoto sur la réduction des émissions des gaz à effet de serre, une pollution particulière aux enjeuxplanétaires. C'est pourquoi, dans ce texte, nous utilisons les expressions crédits ou quotas depollution.3. Les sources des émissions de gaz à effet de serre ne proviendraient que pour le tiers desentreprises.

Nous avons eu le souci de concevoir un dispositif qui permette d'utiliser lavertu essentielle du marché, considéré comme un moyen d'échange pacifique etde rapprochement entre les peuples et les hommes dans une vaste « réciprocitégénérale », selon l'expression de Marcel Mauss. En ces temps de discrédit d'uneapproche forcément libérale du marché dans la tradition d'Adam Smith, pèrepourtant des concepts de sympathie et de bienveillance, il n'est pas inutile derappeler la position de Fernand Braudel qui distinguait soigneusement le marchéet le capitalisme: le marché impliquait toutes les institutions capables derapprocher les hommes; le capitalisme, la volonté constante de ceux qui avaientle pouvoir ou le capital d'instaurer leur monopole, à l'inverse de l'égalité queserait censé instaurer un marché libre entre des citoyens égaux.

Or le marché est un formidable moteur d'accroissement des richesses et desnuisances aussi bien collectives que privées. Le phénomène de mondialisation estambivalent et on peut y voir tout autant l'asservissement des peuples etl'enrichissement de quelques personnes que le développement d'une relationharmonieuse au bénéfice du plus grand nombre. Ulrich Beck va plus loinpuisqu'il mise sur une nouvelle conscience mondialisée d'une société plusefficace dans le recours collectif au boycott de certains produits desmultinationales, afin de contraindre celles-ci à respecter des engagementssociaux et environnementaux (Beck, 2002). Mais le marché a besoin d'êtrerégulé; or seul l'État ou des instances supranationales peuvent imposer, enaccord avec les institutions professionnelles, des normes environnementales à lafois contraignantes et incitatives.

Dans ce cadre, le dispositif imaginé consiste à accorder à chaque ménage,d'une manière égalitaire relativement à sa taille, un quota monétaire deconsommation polluante afin qu'il soit fortement incité à réduire ses dépenses,celles qui sont source de pollution exclusivement et que, par un effet revenuvertueux, il les reporte sur d'autres consommations. À défaut, certains ménagesseront contraints d'acheter des droits in fine auprès de ceux qui n'auront pasépuisé leurs crédits. Du fait que ces quotas portent sur la consommation, toutesles activités professionnelles resteront hors du champ direct d'application dudispositif4.

Le choix d'un crédit monétaire est crucial car sa comptabilisation facilitera lamise en œuvre du volet social du dispositif. Les ménages fortementconsommateurs - généralement plus riches5 - seront enclins à réduire dans lamesure du possible leur achat de biens générant des nuisances écologiques ou àleur substituer des produits moins polluants afin de ne pas trop dépasser leurcrédit. Cependant, ils n'y parviendront que partiellement et devront acheter lecrédit manquant à leur banque. À l'inverse, les ménages restreignant leurconsommation de biens, par nécessité s'ils sont moins riches, ou par choix s'ilss'intéressent à la protection de l'environnement, n'utiliseront pas la totalité de

4. Toutefois, il serait possible d'y faire entrer facultativement les commerçants, les artisans et lesprofessions libérales sur la base de leur consommation intermédiaire si leurs organismesprofessionnels le souhaitaient.5. Les termes riches et pauvres sont pris ici pour simplifier la présentation.

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leurs crédits qu'ils pourront revendre, réalisant ainsi un gain financier. Cet aspectconstituerait de surcroît un soutien réel à la consommation, en raison d'unepropension à consommer plus ou moins décroissante en fonction du revenu.

Une fois le dispositif généralisé à toute consommation source de nuisancequelle qu'elle soit, on inaugurerait une politique relevant explicitement dudéveloppement durable, avec ses trois dimensions: l'incitation économique àconsommer des écoproduits, donc à les produire en plus grande quantité grâce àdes éco-innovations et au recours à des technologies propres; la préoccupationsociale au travers d'un mécanisme vertueux de redistribution de revenus vers lesménages faiblement consommateurs de biens polluants et donc en moyenne lesmoins riches; la protection de l'environnement par une réduction drastique desdommages écologiques. La communauté internationale pourrait alors tenter defaire respecter ses objectifs ambitieux maintes fois réitérés6.

Au moment de la rédaction de cet article, l'État français sortait les premiersdécrets de la loi POPE (Loi de programme fixant les orientations de politiqueénergétique) du 13 juillet 2005 mettant en place, à compter du 1erjuillet 2006, lesystème des certificats d'économies d'énergie (CEE) à l'instar de la Grande-Bretagne et de l'Italie. Le principe est fondé sur l'obligation faite aux vendeursd'énergie - au premier chef, EDF, GDF et les pétroliers - de proposer à leursclients l'achat d'équipements performants sur des bases forfaitaires et de leurfournir en échange des certificats monnayables sur le marché et dont le montantdépend des économies d'énergie potentielles, actualisées sur la durée de vie del'équipement. Notre proposition nous semble complémentaire de ce systèmeinnovant. En effet, les CEE s'adressent principalement aux personnes morales,alors que le dispositif proposé dans cet article ne vise que les ménages, et neconcerne que les consommations d'énergie et non l'ensemble desconsommations.

Cet article présentera dans un premier temps le dispositif d'un point de vuetechnique. Dans un second temps, les fondements théoriques et les conséquencesseront largement analysés au travers des champs disciplinaires voisins.

1. Description et simulation du crédit limitatif de pollutionapplicable à la consommation des ménages

Une présentation succincte du dispositif précédera l'étude des éléments variésde sa construction. L'idée première consiste à imaginer que tous les ménages sevoient allouer annuellement, en fonction de leur taille7, un quota unique decrédits limitatifs de consommation des biens sources de pollutions. Ce montant

6. Protocole de Kyoto, adopté en 1997, sur la réduction des gaz à effet de serre de 8 % pourl'Union européenne (à 15) d'ici 2010 par rapport au niveau d'émission de 1990 ou Objectifs dumillénaire pour le développement, signés en 2000 sous l'égide des Nations unies par 189 pays quiprévoient de réduire de moitié le nombre des personnes victimes de la pauvreté d'ici à 2015.7. Le calcul se ferait selon les pondérations de la taille des ménages de l'Insee: I unité deconsommation pour la première personne; 0,5 chacune pour les suivantes sauf s'i! s'agit d'enfantsde moins de 14 ans, qui comptent pour 0,3 chacun.

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de crédit serait enregistré sur un compte bancaire libellé dans une nouvelle unitéde compte - l'éco8 - qui serait parallèle au compte courant en euros etfonctionnerait de la même façon9.

À chaque achat d'un bien polluant, quelles que soient les modalités depaiement - espèces, chèque ou carte bancaire - une somme serait déduite ducrédit limitatif de son titulaire. Dès que le montant de son crédit limitatif allouéserait dépassé, le ménage devrait en acheter un nouveau à sa banque au tauxconvenu de un euro pour un éco, comme pour un crédit ordinaire. Lors du bilanannuel de tous les comptes de crédit de pollution, les ménages titulaires d'uncompte excédentaire, donc faiblement consommateurs de biens polluants,bénéficieraient d'un transfert financier égal au montant de cet excédentIO.

Le compte en écos fonctionnerait comme un compte d'épargne à rebours:l'objectif serait que les citoyens réduisent leur consommation de produitspolluants, d'une façon ou d'une autre, par limitation mais surtout parsubstitution, afin de ne pas épuiser leur quota et pour dégager, si possible, unexcédentll.

Pour centraliser ces informations, il conviendrait de faire appel au réseaubancaire. Pratiquement, pour enregistrer la consommation de son crédit, chaqueménage se verrait attribuer une carte à puce capable de le relier au réseaubancaire à l'occasion de ses achats. Chaque agence bancaire tiendrait ainsi deuxcomptes: le compte bancaire traditionnel et un compte joint décomptant lesconsommations du client sur son crédit alloué en écos. Pour simplifier toutefois,les achats réalisés avec une carte bancaire devraient permettre d'effectuerdirectement un double débit en euros et en écos sur les comptes de leur titulaire,et ne nécessiteraient pas l'usage de cette carte spécifique qui serait réservée auxachats par chèque ou en espèces 12.

L'intervention des banques est un avantage pour la suite du processus. Car,lorsque qu'un consommateur aura dépassé son quota, il sera dans l'obligationd'acheter des crédits de pollution à sa banque, qui lui en fera l'avance au prix deun euro pour un éco. À échéance régulière, au plus l'année civile, tous lescomptes de crédits libellés en écos devront être soldés: les détenteurs d'un

8. Le choix du tenne éco pour désigner l'unité monétaire de ce dispositif se justifie par le suffixeéco du mot écologie ou du mot économie dans ses deux sens, mais aussi parce que sa racinegrecque oikos signifie maison, siège des décisions de la consommation des familles.9. Les personnes non titulaires d'un compte en banque - SDF, clandestins ou autres - nepourraient pas bénéficier de ce dispositif. Mais une loi récente obligerait les banques à ouvrir uncompte aux personnes sans ressources.10. On verra toutefois plus loin qu'il sera nécessaire ex post de déroger à cette parité« 1 euro = 1 éco».Il. La période d'un an est retenue dans cet exposé mais rien n'empêche de choisir une période deliquidation intra annuelle. Cependant, la consommation des ménages présentant un caractèresaisonnier, il semble plus sage de miser sur un comportement vertueux sur une année pleine. Lespersonnes à très faibles revenus ou privées de leur liberté de consommation, par exemple parcequ'elles séjournent en maison de retraite, pourraient toucher leur crédit non dépensé tous lestrimestres.12. Le porte-monnaie électronique pourrait être aussi adapté pour le fonctionnement de cedispositif.

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excédent le revendront à la banque, qui se remboursera ainsi des avances faitesau cours de l'année à ses clients débiteurs en écos. La banque aura donc bénéficiéd'une avance de trésorerie et pourra prendre une commission à un taux fixé parl'ÉtatI3.

On pourrait imaginer cependant un système ayant recours à un marché parl'intermédiaire d'une bourse spécialisée, à l'instar du marché carbone mis enplace pour l'échange des permis d'émission dans le cadre du protocole de Kyoto,à l'usage de certaines entreprises. Toutefois, le souci d'utiliser le même outilpour l'ensemble des consommations polluantes rend ce recours difficilementpraticable et finalement inutile. De plus, il serait contestable que des personnespuissent spéculer sur des valeurs reposant surtout sur un engagement citoyengrâce à une incitation aux effets vertueux14. Enfin, si le dispositif proposé avocation à devenir l'un des éléments de la politique de l'État ou de l'Unioneuropéenne en matière d'environnement et de lutte contre la pauvreté, il ne peutêtre mis dans les rets des marchés financiers.

La description du montage du dispositif se fera en quatre étapes. Onenvisagera d'abord un seul bien, le carburant consommé par les ménages,puisqu'il s'agit d'une pollution majeure à la source des émissions de gaz à effetde serre (A). Puis, on étendra le dispositif d'abord aux biens énergétiques et àl'eau (B), ensuite à l'ensemble des produits courants également source depollution (C). L'ampleur de la redistribution monétaire fera enfin l'objet d'unesimulation pour la France sur les chiffres Insee de la consommation des ménagesen 200215 (D).

A. Calcul du crédit de carburant et simulation de la redistribution

La construction du dispositif se ferait en trois temps. Le premier consiste àdéterminer la quantité moyenne de consommation du carburant des ménages afinque le montant du crédit calculé ne soit pas affecté par les variations de prix à lapompe. Ensuite, l'État fixerait au départ un pourcentage de réduction de cevolume de consommation - par exemple 3 % pour l'année. Enfin, on attribueraitsur cette base à chaque ménage un quota égalitaire en crédit de pollution enfonction de sa taille en valorisant cette quantité par un prix en écos.

13. Il serait possible de concevoir une valeur de l'éco libellé en euros plus élevée à l'achat etinversement lors de la redistribution des crédits excédentaires - équivalente à unevente - afin de rémunérer le service du système bancaire et de couvrir ses coûts supplémentaires detenue du compte en écos.14. C'est pourtant la solution envisagée en Grande-Bretagne. Le secrétaire d'État àl'Environnement a proposé à la Chambre des communes le 19 juillet dernier d'instaurer un systèmed'échange de permis d'émissions de carbone pour les particuliers. Un même volume annuel decrédit carbone serait alloué aux 48 millions de Britanniques âgés de plus de 16 ans. Chaque achatde pétrole, de gaz, d'électricité et de billets d'avion nécessiterait un certain nombre de créditscarbone qui seraient comptabilisés sur des cartes bancaires individuelles. La note de veille n° 22,lundi 31 juillet 2006, Centre d'analyse stratégique: www.strategie.gouv.fr. Voir également leJournal de l'environnement du 21 août 2006.15. Cette base de données de l'Insee, éditée en 2004, est disponible sur CD-Rom.

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Déterminer, en cas de dépassement de consommation ou de crédit inutilisé, leprix d'achat ou de vente des quotas de carburant est une question cruciale. Ceprix est logiquement lié au coût moyen d'achat d'un véhicule capable de réduirel'émission de gaz. De même, dans le cadre des marchés de quotas d'émission,une entreprise qui devrait acheter des droits y renoncera dès que leur prix d'achatdépassera le coût de l'équipement capable d'éliminer le volume de pollution quel'achat de ces mêmes droits l'autoriserait à produire.

On peut appliquer le même raisonnement et calculer la valeur d'un litre decarburant économisé grâce à l'achat d'un véhicule propre et se demandercomment réagiraient les personnes dont la consommation excéderait le quotaalloué. La première réaction des consommateurs serait de réduire leursdéplacements motorisés16 puis, sans doute, d'envisager l'achat d'un véhiculemoins polluant. Le prix marginal serait alors déterminé par le coût du litre decarburant, compte tenu de l'économie annuelle réalisée par cet achat et calculéesur la distance moyenne parcourue par un véhicule pendant sa durée de vie (voircalcul en annexe 2).

Le calcul proposé dans le tableau 1 s'inspire à la fois des données desprofessionnels de l'automobile et de l'Insee pour évaluer l'effet redistributif surles ménages classés par décile selon leur revenu disponible. En prenant enconsidération la dépense de carburant dans la consommation du ménage moyende chaque décile, le tableau fournit la compensation financière qui lui seraitversée ou, à l'inverse, qu'il devrait acquitterl1. Ainsi, selon nos estimationsl8, surdeux exemples très opposés, le ménage qui n'a pas de véhicule recevra 951 eurospar an et celui qui parcourrait 25 000 km devrait consommer 1 500 euros decrédits supplémentaires.

]6. Faut-il rappeler les nombreuses alternatives au déplacement dans sa propre voiture: marche àpied, vélo, transports en commun, covoiturage, regroupement des déplacements?] 7. Un ménage moyen parcourt en automobile environ] 0 000 km par an. La distance moyenneparcourue par un véhicule est d'environ 15000 km par an. La différence s'explique en grandepartie par la présence dans les statistiques de l'Insee de ménages qui ne possèdent pas de véhicule.]8. Quelques simplifications ont été retenues, en particulier aucune distinction n'est faite entre lescarburants: nous avons retenu le prix moyen (2002) de l'essence, du gazole et du GPL pondéré parleur consommation respective.

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(1) (2) (3) (4) (5) (6) (7)

Dédies Conso.. Conso.. Conso.. Solde Versé Reçu

en euros en litres en écos en écos en euros en euros

I" 555 483 460 396 396

2' 623 541 516 340 340

3' 837 728 693 162 162

4' 957 833 793 63 63

5' 1058 no 877 -21 21

6' 1094 951 906 -50 50

7' 1289 1121 1067 -211 211

8' 1259 1095 1043 -187 1879' 1336 1162 1107 -25\ 25110' 1324 1151 1097 -241 241

Movenne I 033 899 856 0 961 961

Tableau 1Calcul du coût d'échange des quotas sur le carburant

Consommation moyenne:Économie sur consonunation :Prix moyen pondéré du carburant (essence, gazole, GPL) :

Coût/gain d'opportunité du litre économisé =Crédit moyen attribué ex ante en écos :

935%1,15

0,95écos

eurosli

éco

1/100km

856

(2) Consommations moyenne" par décile,(3) Consommation en euros divisée par le prix moyen pondéré,

(4) Consommation en litres x prix en écos,

(5) Crédit moyen- consommation en écos,

Source: Consommation des ménages en 2002 - Imee,

On ne pourrait pas raisonner uniquement en fonction des ménagespropriétaires d'un véhicule car ceux qui y renoncent, volontairement ou parcontrainte budgétaire, ne bénéficieraient d'aucun transfert au titre de leur non-consommation. De plus, il faudrait tenir compte du fait qu'un ménage peut êtrepropriétaire de véhicule de manière intermittente. Le crédit alloué serait le mêmequel que soit le nombre de véhicules possédés puisque, à ce niveau de l'exposé,le crédit concédé n'est lié qu'à la consommation de carburant. Mais le carburantpris comme exemple n'est pas la seule consommation polluante. C'est pourquoile dispositif proposé est appliqué à tous les produits énergétiques.

B. Les biens énergétiques et l'eau

Bien entendu, il n'est pas possible de multiplier démesurément les comptes etles cartes à puce qu'un individu devrait avoir sur lui pour enregistrer les diversesconsommations de son crédit. C'est pourquoi nous proposons de construire uncrédit global que tout achat source de nuisance consommerait. Dans l'immédiat,nous ajouterons au carburant les autres sources énergétiques telles quel'électricité, le gaz, le fioul, le charbon et le boisl9. La consommation de l'eau

19. Le bois de chauffage provient soit d'une production domestique, soit d'une exploitationforestière qui pratique le reboisement et qui pourrait échapper à ce titre au dispositif. Le bilancarbone de ce matériau est jugé neutre.

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Sources énergétiques Cons. Unité Prix Cons. Coeff. Crédits Prix Créditsen

hors carburants euros (u) moyen en (u) réduc. en voL eu écos en écos

Électricité 462 kWh 0,078 5923 0,0% 5 923 0,39 2338

Combustibles liquides (I) 302 litre 0,620 487 0,0% 487 0,17 81Gaz et électricitéindissociables 255 kWh 0,078 3269 0,0% 3269 0,39 I 290

Gaz de ville et gaz naturel 70 m' 0,055 I 273 0,0% I 273 /,20 I 527Hydrocarbures liquéfiés(2) 64 m' 0,055 I 164 0,0% I 164 /,20 I 396

Combustibles solides (3) 64 stère 48 I 3 0,0% I 0,17 02

Totaux 1 217 0,75 6634

sera traitée à part. Le calcul des prix marginaux de la solution alternative estdécrit dans l'annexe 2 en appliquant le même principe que pour le carburant.

Le tableau 2 contient toute l'information concernant le calcul du crédit depollution en écos des produits énergétiques. Le régulateur ~ l'État ~ peut modulerl'importance du crédit alloué aux ménages de manière égalitaire en jouant sur letaux de réduction souhaité pour l'année20. Bien évidemment, plus le taux deréduction sera important, plus faible sera le crédit en écos et plus les grosconsommateurs devront restreindre leur consommation polluante pour éviterd'être contraints d'acheter un crédit supplémentaire. De même, si les petitsconsommateurs veulent bénéficier d'une redistribution importante, ils devronteux aussi produire les mêmes efforts, certes sur un volume de consommation plusfaible.

Toutefois, chacun est sur un pied d'égalité, sur ce plan, puisque la valeur descrédits reçus ou achetés est strictement proportionnelle à la consommationpolluante réduite ou évitée, donc à l'effort consenti. En ce sens, le dispositif, baséau départ sur une distribution de crédits égalitaire à tous les ménages, devientéquitable puisque la redistribution reposera sur les efforts de chacun pour limitersa consommation polluante.

Tableau 2Sources énergétiques et eau: prix et crédits en éCQS

(/ )jùel, divers(2) butane, propane

:3 charbon, bais

Eau

20. Pour simplifier l'exposé et la compréhension des tableaux, les cœfficients de réduction sont icitous nuls.

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C. Les produits courants

Les industriels de l'énergie et de l'eau risqueraient de faire valoir l'injusticed'une lutte contre la pollution à la carte si le dispositif ne se limitait qu'à cesressources. De plus, certains ménages sont peut-être de gros consommateurs decarburant, d'énergie ou d'eau mais parmi eux certains ont le souci de choisir dansleurs achats quotidiens les produits les plus respectueux de l'environnement. Orils seraient pénalisés malgré leur pratique pourtant bénéfique pour la collectivité.La compensation doit donc pouvoir jouer sur tout type de pollution occasionnéepar la consommation afin que les mesures prises soient le plus équitable possible.

La solution proposée pour les produits ordinaires est plus simple car on nepeut pas fixer pour tout ce qui est proposé à la vente un montant de crédit calculéà partir du prix de l'achat alternatifle moins polluant. La démarche est différentemais elle permet de calculer un montant de crédit en écos qui peut alors secumuler avec les crédits sur le volume des consommations énergétiques et del'eau.

Nous proposons les étapes suivantes pour l'application du dispositif sur lesproduits courants.

1. On établira une liste de produits génériques qui échappent au dispositif soitparce qu'ils sont quasiment non polluants - groupe A -, soit en raison ducontexte particulier de leur vente - groupe B -, soit parce que le consommateurn'a pas le choix d'un autre produit présentant une moindre nuisance - groupe C.

- Le groupe A réunirait les produits intrinsèquement non polluants liés àl'éducation (services, livres scolaires...) et à la santé (médicaments, matériels...),aux services à la personne, aux services de restauration et d'hôtellerie... Nous yajoutons les alcools et le tabac dont la taxation est déjà très forte; pour cesderniers produits, les achats frontaliers et la fraude n'ont pas besoin d'êtreencouragés davantage.

- Le groupe B serait constitué des produits d'alimentation vendus en vracdans des sacs en papier sur les marchés ou dans les commerces, des biensd'occasion21, des produits biologiques ou issus du commerce équitable, desproduits faisant l'objet d'une vente directe du producteur au consommateurcomme la vente à la ferme ainsi que de tous les petits achats, de moins de10 euros par exemple, pour lesquels la carte à puce pourrait ne pas être exigée aumoment du paiement.

- Quant au groupe C, il rassemblerait les biens ou les services polluants quine peuvent avoir de solution alternative pour le consommateur, comme lesmédicaments et le matériel médical ou les transports en commun quelle que soitl'énergie utilisée.

21. Un article d'occasion a été vendu neuf dans un premier temps; il a donc déjà consommé uncrédit en écos ; mais il peut avoir été acheté avant la mise en place du dispositif. Par principe, uncrédit ne peut être de nouveau consommé puisqu'il évite momentanément un achat neuf. Lesbourses d'échanges par Internet pourraient être ainsi relancées.

181

2. Pour tous les autres produits - le groupe D -, il serait établi une notationécoproduit, de 0 à 10, allant de la pollution la moins importante à la plus forte22.Les produits de la liste précédente recevraient la note O. De 1 à 9, la notationsuivrait des critères équilibrés:

- pour la production: recours à des technologies propres et à des composantsrecyclables ;

- pour la distribution: conditionnement recyclable, production prochelimitant le transport, choix de mode de transport les moins polluants;

- pour l'usage: moindre consommation d'énergie et d'eau, durée de vie pluslongue, recours à des pièces interchangeables et facilité de réparation;

- et pour le recyclage en fin de vie: existence d'un système de récupération,recyclage et traitement des résidus.

En France, des institutions de certification habilitées ont l'autorisation légalede délivrer des labels écoproduits. Après l'établissement d'une charte, chacunedans son domaine - produits alimentaires ou non - pourrait établir cettenomenclature et y appliquer une notation. La loi obligerait chaque fabricant àmentionner la note de manière très visible sur l'emballage. L'entreprise qui, aubout d'un délai fixé, n'aurait pas procédé à cette notation, verrait ses produitsrecevoir la note maximale 10. La note I serait la meilleure. Les produits écartésde la notation auraient la note 0 mais il serait difficile de l'indiquersystématiquement.

3. Les pouvoirs publics fixeraient, pour un an, deux notes écologiquesmoyennes, dites notes de référence, pour tous les achats des consommateurs, endistinguant les produits alimentaires des produits non alimentaires23. Plus cettenote serait basse, plus l'effort à consentir pour réduire la pollution seraitimportant mais moins le crédit en écos serait entamé.

Pour l'année de démarrage, on ne connaîtra pas encore la note réelle moyennepondérée des produits consommés. Nous supposerons qu'elle sera égale à 8 pourles deux grandes catégories de produit, ce qui constitue une hypothèse asseznégative sur la qualité écologique moyenne des produits. L'objectif pourrait êtrede passer en un an, par exemple de 8 à 7. De ces deux notes de référencedépendra le montant du crédit alloué à chaque ménage, selon leur taille(tableau 3).

22. Cette échelle donne une note écologique qui croît... avec la pollution. Cette notation inverséeest nécessaire pour simplifier le calcul du crédit en écos basé directement sur une proportionnalité.23. Il semble difficile de ne fixer qu'une seule note car le contenu polluant des biens alimentairespeut être réduit sans doute plus rapidement que celui des produits industriels. D'ailleurs le systèmedes notes de référence pourrait concerner autant de catégories de produit qu'on le souhaite mais unsouci de simplification conduit à n'en retenir que deux.

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Note de référence : 8(ou objectif de réduction depollution)

.Exif{encefaible

Produits Conso.. Note Crédits

en euros aetueIle en éeos

Alimentaire 2842 8,0 2842

Non alimentaire 6471 8,0 6471

Totaux 9313 9313

7

moyenne

Crédits

en éeos

2487

5662

8149

6

forte

Crédits

en éeos

2132

4853

6984

Tableau 3Calcul du crédit moyen alloué à chaque ménage

Source: Consommation des ménages en 2002, InseeLa note actuelle est une hypothèse sur la qualité écologique moyenne des produits. Le degréd'exigence - ou note de référence - devrait donc se situer légèrement en dessous de cettevaleur.

Le calcul du crédit alloué à tous les ménages se fonde lui aussi sur lesdépenses moyennes connues par l'enquête réalisée par l'Insee en 2002 sur laconsommation des ménages. Ainsi, plus l'objectif de réduction de la pollution estfort, plus le crédit en écos alloué sera faible, incitant le consommateur à réduirela note écologique moyenne de ses achats.

4. La grande distribution pourrait faciliter la mise en œuvre de ce créditlimitatif car elle est principalement concernée. Sur l'emballage de tous lesarticles non exonérés figurerait la note de 1 à 10, note associée au prix dans lefichier informatique des articles lus par le code-barres au moment du passage à lacaisse. Il est simple d'imaginer que le ticket de caisse donne pour chaque articleson prix et son code. Un double calcul sur les achats cumulés apparaîtra: lepremier pour le total de la facture en euros, comme habituellement, et undeuxième sur chaque article égal au prix de l'article multiplié par le rapport de lanote de l'article sur la note de référence (tableau 4).

Cela revient à prendre une fraction d'autant plus faible du prix en euros que lanote écologique de pollution du produit est faible. Si cette note écologique estégale à la note de référence, le prix en euros devient le prix en écos. Ce deuxièmecumul correspondrait au montant des achats en écos qui serait déduit du crédit enécos du client que celui-ci possède à sa banque. Dans le tableau, les produitsWXYZ reçoivent une note écologique de référence selon trois valeurs de la notede référence.

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Note de référence: 8(ou objectif de réduction de pollution) ExiKencefaible

Articles Achats Note Achatsen

euros en écos

W 100 0 0

X 150 2 38

Y 75 7 66

Z 80 10 100

Totaux 405 4,0 203

7moyenne

Achats

en écos

0

43

75114

232

6forte

Achats

en écos

0

50

88133

271

Tableau 4

Exemples de calcul des crédits consommés

On se plaît à imaginer les sociétés de la grande distribution rivalisant entreelles en promouvant dans leurs magasins des espaces de choix de produits ayantune note faible, ou les concessionnaires automobiles mettant en avant et envaleur la vente de voitures écologiques24... Pour cet achat, comme pour celuid'un logement neuf - la vente de l'ancien serait ainsi valorisée -, il faudraitconcevoir un système d'amortissement des crédits consommés en écos surplusieurs années.

Les produits importés seraient concernés par le dispositif. Mais doit-on leurappliquer les mêmes règles? Cela est indispensable car, si ces produits devaientéchapper à la notation, le système imaginé perdrait tout son sens. De toute façon,ces produits transitent chez des importateurs qui devront soumettre tous leursproduits à la notation ou se voir attribuer la note 10, de pollution maximum. Enoutre, si ces produits sont fabriqués sans respect de l'environnement dans leurpays d'origine, ils obtiendront une note élevée qui rendra leur vente difficile. Lanote devra tenir compte également du mode de transport et du conditionnement,qui sont des variables contrôlables par les sociétés d' import-export. Le dispositifproposé serait en tout état de cause un moyen de réduire la vente des produits àbas prix en provenance des pays émergents moins regardants, quelles qu'ensoient les raisons, sur les conditions sociales et environnementales de leurproduction.

Plus généralement, cette notation permettrait de faciliter, pour les entreprises,la publication annuelle d'un bilan écologique. Ce document pourrait comparer lavaleur en écos du chiffre d'affaires - en ressources - d'autant plus faible que lesproduits sont peu polluants et, en emplois, les dépenses engagées en euros pourréduire les nuisances et améliorer la qualité écologique des produits. Il seraitainsi possible de faire apparaître un solde - et un indicateur, par exemple le solde

24. On poulTait imaginer également que les grands distributeurs se fassent conculTence par l'octroiautorisé d'une baisse de la note globale, par exemple de 2 % sur le cumul des achats en écos si lemagasin renonce à distribuer des sacs en plastique. On pourrait généraliser cette pratique surd'autres innovations commerciales à caractère écologique.

184

rapporté au chiffre d'affaires en écos - qui serait une mesure de sa performanceenvironnementale.

D. La redistribution sociale

Cette dernière étape a pour but d'évaluer la redistribution sociale au profit despetits consommateurs. Cette simulation regroupe le crédit accordé pour chacunedes catégories de consommation (tableau 5). La redistribution est calculée enreprenant la consommation des ménages de 2002 pour chaque dédie.

Rappel des étapes de calcul pour la confection du tableau 5

1. Matrice (Consommations en euros) / matrice ligne (prix moyens)

= matrice (quantités consommées)2. [Ligne (consom. moyenne) / ligne (prix moyens)] x ligne (prixmarginaux) = Ligne (crédits alloués en écos)

3. Matrice (quantités consommées) x ligne (prix marginaux)

= matrice (crédits consommés en écos)4. Ligne (crédits alloués en écos) - matrice (crédits consommés enécos) = matrice (crédits versés/reçus en euros)

Le volume de la distribution financière dépendra de deux facteurs liés: d'unepart, de l'effort demandé par l'État par la réduction initiale des droits distribués,d'autre part, du résultat des efforts de réduction de la consommation de bienspolluants consentis par les ménages. En effet, si le taux de réduction estexactement atteint, le montant des crédits achetés sera mathématiquement égal àcelui des crédits excédentaires versés. En réalité, ce taux de réduction sera pourtous les ménages soit dépassé, soit non atteint. Mais il peut être atteint avec desrendements très différents selon les revenus des consommateurs. Ainsi, on peutimaginer que les riches aient consentis des efforts importants, conscients qu'ilsréduiront ainsi l'achat d'un crédit complémentaire, alors que les pauvres, moinsincités par la perspective d'une redistribution future, risquent de ne pas prendreau sérieux le dispositif et de ne pas modifier sensiblement leurs habitudes deconsommation.

185

Consommations réelles en eurosDéclles Carbu- Energie Eau Alimen- Non

rant taire alim.1er 555 931 136 1863 27722e 623 1048 166 2258 33253e 837 1101 161 2448 44574e 957 1167 176 2760 5259Se 1058 1192 178 2863 56936e 1094 1222 193 2932 62287e 1289 1251 195 3118 76908e 1259 1289 197 3273 8193ge 1 336 1 364 214 3 318 9 522

1110e 1324 1613 253 3590 572

Moyenne 1033 1218 187 2842 6471

Source -Consommation des ména es en 2002 -Insee

I Unité litre équiv. kWh m3 note moyenne

I Prix 1,150 0,138 1,154 8,0 8,0

0% 0% 0% 8,0 8,0

0,95 0,75 407 1,00 1,00

856 6634 658 2842 6471

Crédits consommés en écosen (-) ou en (+) des crédits alloués

Déclles Carbu- Energie Eau Alimen- Nonrant taire allm.

1er -396 -1581 -179 -979 -36982e -340 -944 -75 -584 -31453e -162 -658 -90 -394 -20144e -63 -302 -38 -82 -1211Se 21 -166 -33 21 -7776e 50 -4 22 90 -2437e 212 159 27 276 12198e 187 360 37 431 1723ge 251 769 96 476 3051

10e 241 2121 232 748 5102Movenne 1 -246 0 0 0

Coeff. ou note de réduction

Prlx/écos ou raDDort/notesCrédits alloués en écos

Redistri butiondes "riches" aux "Dauvres"

Solde Reçu Verséen écos

-6 833 6833

-5 089 5089-3318 3318-1696 1696

-935 935

-84 841893 18932738 27384643 46438443 8443

-245 17 955 17 717

Tableau 5Simulation de consommation des crédits et redistribution

sur la base 1 € = 1 éco

Dans la réalité, on constatera alors un écart entre le montant global des créditscomplémentaires achetés et les crédits excédentaires compensés financièrementau titre de la redistribution. Dans ces deux situations de déséquilibre - écartpositif ou écart négatif - la solution serait de modifier la parité 1 éco = 1 euroafin que le taux de change mette au même niveau les deux sommes (tableau 6).

186

Hypothèse 1 Hypothèse 2 Hypothèse 3Crédit moyen

consommé 120 100 noConsom. Écart Consom. Écart Consom. Écart

Pauvres 60 -80 80 -60 100 -40Riches 180 40 200 60 220 80

Totaux 180 40 200 60 220 80

Tableau 6Correction des écarts entre crédit alloué et crédit consommé

Crédit moyen alloué = I

140en écos

- Dans l'hypothèse 1, les sur-consommateurs auront dû acheter un créditpour un montant inférieur au crédit excédentaire des sous-consommateurs,ce qui est injuste en raison de l'effort collectif consenti au-delà de ce quiétait demandé. L'État ne pouvant verser la différence, la seule solutionconsiste à réduire d'autant les crédits acquittés par les sur-consommateurspour les ajuster à cette somme en modifiant ex post la parité euro/éco.

- Dans l'hypothèse 2, improbable, les consommateurs ont utilisé en moyenneautant de crédits que l'objectif fixé. Les écarts entre sur-consommateurs etsous-consommateurs s'égalisent obligatoirement. La parité « 1 euro = 1éco » est respectée.

- Dans l'hypothèse 3, l'objectif de réduction n'étant pas atteint - la pollutionmoyenne réelle est supérieure à son niveau fixé ex ante -, le total dessoldes déficitaires (montant des achats de crédit pour alimenter le compteen écos) sera inférieur à celui des soldes excédentaires. L'État pourraitconserver la différence pour alimenter un programme d'incitation parallèleà ce dispositif ou la conserver pour pallier à une situation de type 1 lesannées suivantes25. Une autre solution moins prudente consisterait àrestituer l'excédent aux sur-consommateurs, ce qui revient à réduire lavaleur des soldes excédentaires au prorata en modifiant ex post en sensinverse la parité euro/éco.

Cette présentation pratique du dispositif ne prend sa force qu'au regard de sesfondements théoriques.

25. L'écart entre !es montants achetés et vendus permettrait aux pouvoirs publics d'aider laproduction ou l'achat de biens moins polluants à l'image du crédit d'impôts pour !'acquisitiond'une voiture propre ou pour des équipements de chauffage de !a maison (so!aire, bois, pompe àchaleur) et des subventions pour ces investissements propres versées par des organismes comme

!' Ademe en France.

187

II. Les fondements théoriques en jeu dans le crédit limitatif depollution sur la consommation finale

Le modèle propose6 touche divers domaines que nous examineronssuccessivement: le droit, l'économie et les politiques publiques. Son atoutprincipal est de faire reposer la redistribution financière sur les choix deconsommation quotidiens de millions d'individus. Le fait de contribuer à réduireles coûts collectifs de préservation et de réparation de l'environnement mériteune reconnaissance qui pourrait être érigée en droit en s'appuyant en France surla Charte de l'environnement.

Après cette première argumentation, l'article présentera les théories de lascience économique et les outils mobilisés avant de montrer les avantages enmatière de politique publique.

A. Droits reconnus et droit nouveau: de la Charte del'environnement au droit à compensation pour la non-consommationde biens sources de pollution

La récente loi constitutionnelle française relative à la Charte del'environnement27 contient deux articles qui apportent une légitimité au dispositifproposé. L'article 3 stipule que,

Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintesqu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter lesconséquences.

L'article 4 ajoute:

Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause àl'environnement, dans les conditions définies par la loi.

Le texte de la loi introduit bel et bien une responsabilité individuelle ducitoyen ainsi qu'un devoir de réparation.

Pourtant, si l'on s'en tient aux conditions définies par la loi et si l'on oublieles personnes morales, principalement les entreprises soumises à uneréglementation environnementale, les particuliers n'ont que de faibles obligationsen matière d'environnement: ils ne sont tenus d'économiser aucune ressourcenaturelle sauf les restrictions préfectorales sur l'usage de l'eau, leur véhiculepolluant n'a d'autres contraintes que celles qui ont été imposées auxconstructeurs. Les produits que ces citoyens achètent peuvent être polluants, lesentreprises se sont exonérées des conséquences négatives engendrées en payantune redevance à divers organismes, comme Eco-emballages, qui participent aufinancement de la collecte sélective des déchets et de leur recyclage.

26. Dans cette partie théorique, le dispositif prend souvent le nom de modèle qui n'est cependantqu'une simulation du dispositif.27. Le texte a été adopté le 28 février 2005 par le Parlement réuni en Congrès et promulgué le 1er

mars 2005.

188

Le consommateur est irresponsable en matière environnementale sauf àprovoquer des dommages par sa négligence ou sa faute. Son comportementquotidien n'est soumis qu'à de faibles incitations fiscales, qui sont utilisées parles ménages les plus riches28. Bref, seule sa bonne volonté vient limiter saconsommation de produits polluants alors que les entreprises sont soumises à descontrôles réguliers. Les entreprises sont, statistiquement et sans conteste,globalement plus citoyennes! Le dispositif proposé viendrait alors à propos pourrétablir un équilibre tout en obligeant les entreprises à amplifier le mouvementd'amélioration écologique des produits afin d'éviter la chute de leurs ventes enraison d'une nouvelle contrainte incitative sur la consommation.

Ce modèle apporte en outre un élément essentiel et novateur en assurant unrevenu supplémentaire aux ménages modestes par la création explicite d'un droitnouveau qui, à notre connaissance, n'a pas encore été formulé: la reconnaissancepour tout individu d'un droit à une juste compensation financière pour sa non-consommation de biens créant des nuisances. Deux justifications peuvent êtreavancées.

On constate d'abord qu'un individu économe des richesses naturelles, etrespectueux de la nature, contribue à limiter les coûts collectifs derenouvellement ou de remplacement des ressources rares et épuisables et deréparation des nuisances occasionnées par les activités humaines. Il contribueainsi à limiter les hypothèques environnementales pour les générations futures.Pourquoi, alors que le développement durable est devenu un enjeu planétaire, nepas indemniser ceux qui contribuent à le soutenir? Et pourquoi ne pas financerce droit à compensation par une indemnité proportionnelle, à la charge des sur-consommateurs de produits polluants? Le modèle fonctionnerait alors comme unbilan annuel des nuisances causées par chacun, impliquant in fine taxation etrécompense par un mécanisme s'inspirant des permis d'émission.

On peut également justifier la mise en place du modèle par des arguments dephilosophie sociale. Les inégalités figurent au centre des réflexions de Rawls etde Sen. Comment la société peut-elle compenser les écarts - liés à des situationsde handicap de départ ou acquis - de revenus et de richesses entre les hommes?Les États viennent en aide aux plus pauvres en instaurant la gratuité ou en leurversant des aides financées par l'impôt, afin de lever l'obstacle du coût d'accès àdes services collectifs et respecter des droits imprescriptibles à l'éducation ouaux soins, par exemple. Mais ces droits fondamentaux ne suppriment pas lesinégalités et, statistiquement, ne les réduisent que rarement, soit que les transfertssociaux soient trop faibles, soit que les individus manquent des « capabilités »nécessaires à l'usage des biens premiers censés être offerts à tous. La

28. Des charges ouvrant droit à des réductions d'impôt dans le calcul de l'impôt sur le revenu despersonnes physiques (IRPP) portent sur les dépenses d'équipements de production d'énergieutilisant une source d'énergie renouvelable, sur les dépenses d'acquisition de matériaux d'isolationthermique et d'appareils de régulation de chauffage, sur l'achat d'une chaudière à condensation, ousur l'acquisition et la location d'un véhicule fonctionnant au gaz (GPL ou GNV) ou à électricité.L'efficacité de ces réductions est faible si l'on en juge par la quasi-stagnation du parc constitué àpartir de ces investissements domestiques propres.

189

TVADéci- Revenu et en Impôts en Impôt en Total en

les disDO. taxes % /revenu % /Io!!e. % I et T %1er 13674 2418 17,7 152 1,1 242 1,8 2812 20,62e 15852 2754 17,4 102 0,6 313 2,0 3170 20,03e 18947 3366 17,8 233 1,2 378 2,0 3977 21,04e 21589 3878 18,0 368 1,7 501 2,3 4747 22,0Se 23 332 4217 18,1 478 2,1 583 2,5 5279 22,66e 25 426 4566 18,0 783 3,1 668 2,6 6016 23,77e 29 622 5323 18,0 1300 4,4 766 2,6 7389 24,98e 32 398 5592 17,3 1859 5,7 949 2,9 8400 25,9ge

38188 6420 16,8 3035 7,9 1 125 2,9 10580 27,710e 52511 7890 15,0 8804 16,8 1559 3,0 18253 34,8

Ens. 27 152 4642 17,1 1711 6,3 708 2,6 7062 26,0

Redis-

tribution

6833

5089

3318

1696

935

84

-1893

-2 738

-4 643

-8 443

0

redistribution est modeste, comme le montrent les chiffres du tableau 7concernant la France, même s'il s'agit d'une condition nécessaire maiS nonsuffisante à la réduction des inégalités.

La simulation du dispositif proposé, à partir des objectifs retenus qui restentmodulables et en prenant pour base la consommation des ménages de 2002,aurait ainsi pour conséquence de rembourser les trois premiers déciles de tous lesprélèvements subis au titre des impôts et taxes. À partir du 4e décile jusqu'au 5einclus, la diminution des prélèvements ne serait que partielle. Au-delà et jusqu'aulOe décile, le dispositif se traduit par un complément d'impôt non négligeable, denature à alourdir notablement le poids des prélèvements fiscaux des ménages lesplus riches. Toutefois, nous verrons plus loin le moyen d'atténuer cetinconvénient qui risquerait de compromettre la faisabilité du dispositif, aucungouvernement ne pouvant accepter une telle redistribution sociale sans unecompensation.

Tableau 7

Incidence de la redistribution sur les consommations polluantessans les incidences fiscales de la redistriblltion sociale

SOllrce .' Consommation des ménages en 2002, Insee.

B. Mobilisation des théories de la science économique

On aura reconnu derrière ce dispositif la grande querelle sur les approches dela responsabilité entre les partisans de la taxation des pollueurs-payeurs et ceuxqui veulent en imputer la charge aux citoyens-contribuables, à la fois pollueurs etpollués. Cette situation est fort bien décrite par le concept d'encombrement deKolm, que celui-ci définit comme « un cas particulier d'effet externe où lesraisons pour lesquelles les personnes le causent et le subissent sont liées à laconsommation d'un même service» (Kolm, 1971, p. 44).

Ainsi, un ménage qui subit la pollution automobile ne peut guère incriminerles conducteurs responsables si lui-même possède un véhicule. Mais le ménagequi n'en possède pas est en droit de se plaindre et de demander réparation. Et

190

pourtant, c'est le contraire qui se passe: c'est grâce aux impôts que les grandesvilles peuvent faire face aux coûts générés par l'encombrement généralise9.

Le modèle que nous proposons serait ainsi le moyen de résoudre la difficultéde calcul des compensations financières pour les effets d'encombrement lorsquede multiples personnes se gênent dans la consommation d'un service. Si « onpeut définir un effet d'encombrement dans une activité comme le fait qu'unequalité dépende d'une quantité» (Kolm, 1971, p. 45), trouver le moyen deréduire la quantité de nuisances améliorera la qualité de vie d'autant plusefficacement que ceux qui utilisent les services verseront une compensationfinancière à ceux qui ne l'utilisent pas.

Cette question rejoint celle de savoir à laquelle de ces deux catégoriesd'acteur - entreprises polluantes ou habitants pollués - il faudrait attribuer desdroits exclusifs à l'un pour obliger l'autre à négocier afin d'obtenir la réductionde la nuisance, s'il en règle le coût. Coase démontre en théorie, que l'attributiondes droits exclusifs ne change pas l'état final qui en résultera, mais il estcependant moralement injuste de faire payer les victimes. Mais qui est lavictime? Les entreprises polluent en produisant et les consommateurs enconsommant les produits. Et, pratiquement, comment faire en sorte que le coût dela réduction des nuisances soit bien supporté par les actionnaires et non répercutésur le prix payé par le consommateur? Et si les entreprises sont subventionnéespour éviter cette augmentation du prix et les distorsions de la concurrence, qui estle payeur si ce n'est le contribuable? La discussion est sans fin.

La solution résout ce paradoxe en proposant de faire payer les consommateursqui polluent plus que la moyenne et de reverser cet excédent à ceux qui polluentmoins que la moyenne. Cette action n'est pas neutre pour les entreprises car lessur-consommateurs seront incités à limiter la quantité de crédits achetés pour ledépassement de leur consommation polluante allouée et les sous-consommateursà préserver leurs crédits en écos, le tout dans un continuum vertueux. Pour cela,tous les consommateurs auront intérêt à choisir les produits moins polluants,selon la note qui est attribuée à ceux-ci, ce qui incitera les entreprises à redoublerleur effort de préservation de l'environnement dans tout le process de fabricationet de distribution de leurs produits. On pourrait d'ailleurs faire une analyseéconométrique de sensibilité portant sur les variations des prix marginaux et desnotes écologiques.

Un autre argument en faveur du modèle proposé, c'est qu'il permettra decontredire l'affirmation selon laquelle les consommateurs choisissent les produitsles moins chers sans grand souci de l'environnement. Ainsi, il pourra êtreprofitable pour un individu de choisir un produit plus cher mais qui présentel'avantage d'avoir une note écologique plus basse. Plus précisément, s'il est un

29. KOLMn'utilise pas cet adjectif pour définir le phénomène urbain mais une expression proche:« Les cités sont en fait des enchevêtrements d'effets d'encombrement [...]. On peut donc mêmedire qu'une ville est avant tout un gigantesque et complexe encombrement» (KOLM, 1971, p. 5).L'adjectif « généralisé» veut rappeler ILLICH et son concept de vitesse généralisée dans sonouvrage Énergie et équité, publié en 1974, puisqu'au fond il s'agit du même problème vu sousdeux angles différents.

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gros consommateur, il diminuera ainsi ses achats de crédits complémentaires;s'il est un petit consommateur, il préservera le versement compensatoire dont ilsera le bénéficiaire.

On en revient finalement au grand débat économique entre les tenants del'offre et ceux de la demande. Les écoles classique et néoclassique ont presquetoujours privilégié l'offre de biens et l'entrepreneur innovateur. Les produitstrouvent naturellement leurs débouchés au point, comme le disait Jean-BaptisteSay, que « les produits s'échangent contre les produits ». La demande atomiséene réagit qu'à quelques signaux manipulables comme le prix, la qualité affichéeou la marque. Pourtant, l'approche par la demande, chère à des auteurs commeKeynes, va permettre de mettre l'accent sur la propension des individus àconsommer ou à épargner, et d'introduire des paramètres de comportementindividuel plus variés comme le mimétisme.

Sans développer ces aspects théoriques, on notera que le modèle fait porter lesuccès sur les arbitrages de millions d'individus touchant des actes quotidiens dedemande. N'est-ce pas économiquement plus démocratique que de miser sur laresponsabilité sociale des entreprises dont le concept ne pourra jamais se départirde cette ambiguïté fondamentale: les organisations ne pensent ni ne choisissent,seule cette faculté appartient aux hommes et, en ce domaine, il faut sans douteleur faire confiance individuellement plutôt qu'à des entités collectives, réuniespour défendre des intérêts parmi lesquels la préservation de l'environnement nepeut prendre qu'une place marginale.

Un autre concept mis en application dans ce modèle est celui de l'impôtnégatif, une proposition fiscale de lutte contre la pauvreté, préconisée notammentpar M. Friedman ou F. Hayek et reprise en France par L. Stoleru. Il s'agit enprincipe de verser un revenu minimum à tous les indigents de telle façon que ladotation diminue d'un taux constant au fur et à mesure que le revenu gagné autravail s'élève. Ainsi, la recherche d'un emploi, ou d'un travail mieux rémunéré,n'est pas découragée sans être pour autant encouragée. Ce revenu minimumdécroît jusqu'à devenir nul; à partir de ce seuil, l'impôt devient positif et doitpermettre le financement de l'impôt négatif. Ce principe est appliqué aux États-Unis depuis les années 1975. En France, la prime pour l'emploi instaurée en2000 s'y apparente30.

Dans notre modèle, l'impôt négatif est directement adossé à la consommationpolluante faible au lieu de l'être au revenu faible. Si la consommation polluantes'élève, la compensation financière diminue jusqu'au point où le ménagecontribue à l'alimenter. De plus, l'incitation à l'effort de réduction de cetteconsommation ou le choix d'une substitution s'exerce à la fois sur les pauvres etsur les riches. On peut alors supposer que l'effet sur la réduction des nuisancesn'en sera que plus important.

30. D. CLERC, (2001), « Pauvreté et revenus minima », Encyclopédie Universalis.

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C. Les outils de la science économique: du prix à la valeur d'option

Le concept de prix a lui aussi largement évolué: on ne peut plus guèreaujourd'hui faire fonctionner des modèles avec une seule matrice de prix, celui-cin'étant plus le seul élément de décision. D'autres caractéristiques conduisent àdes choix qui entrent plus difficilement dans les modèles, car elles ne sont pasmonétaires, ni même numériques. Or nous introduisons pour les produitsénergétiques et pour l'eau un double prix, en euros et en écos, de même pour lesautres produits, puisque la notation induit un prix exprimé en écos qui peut êtreinférieur ou supérieur au prix en euros. Cette double unité monétaire permet derésoudre la question de la difficulté théorique et pratique du prix unique, et derefléter le coût des externalités qui n'ont pas de prix en euros sur le marché.

Le concept de valeur d'option3l de Weisbrod et ses relations avec le prix oudes notions comme le gain ou le coût d'opportunité est utile pour comprendre lemécanisme proposé. La valeur d'option est le prix qu'un individu serait disposé àpayer tout de suite pour pallier une incertitude sur sa demande future, sourced'irréversibilité dans sa consommation d'un bien. Avec ce concept d'option,l'auteur démontre ainsi qu'il existe des biens particuliers, à la fois privés etcollectifs, pour lesquels le prix unique ne permet pas de prendre des décisionséconomiques. La valeur d'option est le prix de l'incertitude sur l'existence futurede ce service et de son irréversibilité: si le service disparaît, le client verra sasatisfaction réduite. Mais toute la difficulté vient de la détermination de son prix.Si l'on y parvient, ce n'est déjà plus une valeur d'option mais un prix (Henry,1974), celui d'un précontrat.

La notion de gain ou de coût d'opportunité qui s'apparente à la valeurd'option ne présente pas d'incertitude. Il s'agit du coût ou du gain de la solutionalternative à laquelle on renonce. Si le consommateur renonce à économiser sescrédits limitatifs de pollution par des choix judicieux dans sa consommation, ils'expose à devoir acheter des crédits dont le coût correspond, en moyenne, àcelui qu'il aurait dû supporter pour réduire sa consommation. Ou à l'inverse, s'illimite sa consommation source de pollution, il réalise un gain d'opportunité égalà l'économie sur ses crédits compensatoires qu'il n'aura plus éventuellement àacheter.

Mais le gain/coût d'opportunité peut se muer en valeur d'option car le citoyenne sait pas quel sera le résultat de l'effort collectif de millions de consommateurs.Comme nous l'avons vu dans la première partie, pour que le dispositif n'affectepas les finances de l'État, le cours de l'éco en euros ne sera jamais la paritépuisqu'il est impossible que les efforts consentis soient exactement ceuxdemandés. L'ajustement se fera à la fin de l'année civile en décalant le cours del'éco de la parité « 1 éco = 1 euro» (voir tableau 6). Si le taux d'effort demandéest dépassé, la valeur de l'éco en euros baissera traduisant ainsi logiquement lefait qu'un effort qui s'est révélé plus facile que prévu mérite une récompensemoindre pour les bénéficiaires: les petits consommateurs de biens polluants.

31. G. ORANGE (1999), «Valeur d'option », Encyclopédie de la Gestion et du Management(EGM), Robert LE DUFF (dir.), Dalloz.

193

Mais le cas contraire peut se présenter lorsque l'objectif collectif n'est pasatteint. Mathématiquement, les crédits achetés par les gros consommateurs serontalors supérieurs aux transferts dont bénéficieront les petits consommateurs. Quefaire de cet excédent? Si l'effort a été insuffisant ou difficile à atteindre, cetexcédent pourrait être confié aux pouvoirs publics afin de financer des aides auxtechnologies propres et à l'acquisition des écoproduits. Le modèle permettrait demettre en œuvre le principe du double dividende, qui survient lorsqu'une taxeécologique collectée sert à financer par des subventions des installations pour laréduction des nuisances faisant l'objet de la taxation. L'incitation est double,d'une part, grâce aux efforts pour réduire le montant de la taxation et, d'autrepart, par l'effet d'aubaine de l'aide financière affectée à des investissements delimitation des nuisances.

Toutefois, dans le cas où l'effort collectif est insuffisant, il reste la possibilité,du moins dans les premières années de la mise en place du dispositif, d'ajuster lemontant des achats de crédit aux sommes dues aux petits consommateurs et dereverser l'excédent des crédits collectés par les banques aux grosconsommateurs32.

Le montant des transferts est à la fois une compensation individuelle etcollective. Cette incertitude et le fait que la pollution présente un caractèrepartiellement irréversible rendent bien compte du caractère opérationnel de lanotion de valeur d'option.

D. Proposition pour une nouvelle politique publiqueenvironnementale

Le modèle que nous proposons est intéressant pour l'État: il ne lui coûte rien,sauf sa gestion, et permet d'obtenir des résultats supérieurs à ceux d'une actionadministrative classique, faite d'interdictions et de réglementations mêlées. Cenon-budgétaire a été montré précédemment puisqu'il est possible d'ajuster expost achat et vente de crédit. Mais comme l'achat de crédit est contraint par laloi, il constitue un prélèvement obligatoire supplémentaire, mal venu dans unpays où le montant de l'impôt est généralement jugé excessif. Pour éviter cetinconvénient majeur, il serait possible d'octroyer aux gros consommateurs uneréduction de leur revenu imposable égal au montant des crédits de pollutionqu'ils auront versés33, de même que les bénéficiaires devraient inclure lesversements reçus dans leur déclaration de revenus.

Pour l'État qui souhaiterait que le dispositif n'ait pas de conséquence sur letaux des prélèvements obligatoires, le seul moyen serait de compenser le volumede ce crédit de pollution, autorisant une déduction de revenu, par une réduction

32. Pratiquement, la banque restituera l'excédent des crédits qui auront été versés au cours del'année sur la base d'une parité entre l'éco et l'euro.33. À cet effet, la banque délivrerait annuellement un certificat d'achat de crédits en écos. Demême, on pourrait imaginer que le revenu déductible soit limité à un certain pourcentage pris encompte et/ou limité par un plafond. Ce plafond pourrait, par exemple, être égal au solde moyen decrédit des ménages du 10. dédIe.

194

ou une suppression des avantages fiscaux sur les opérations financières desménages. Il est d'ailleurs injuste que des contribuables fortunés puissentéchapper à toute imposition sur le revenu par une gestion « créative» de leursrichesses. L'abattement sur les dividendes devrait en être le principalinstrument34 : il serait aisé de modifier son taux à concurrence des déductions derevenu consenties au titre de l'achat des crédits de pollution déficitaires.

On pourra s'étonner que les riches puissent récupérer, sous la forme d'uneréduction de leur revenu, leur surconsommation polluante. Cet argument mérited'être atténué. D'abord, existe-t-il une autre solution pour que l'application dudispositif n'augmente pas les prélèvements obligatoires? Ensuite, cettedéduction de revenu pourrait être plafonnée comme la plupart des avantagesfiscaux consentis. Enfin et surtout, si globalement les prélèvements obligatoiresrestent inchangés, la situation fiscale individuelle des gros consommateurs seramodifiée à leur détriment s'ils n'ont pas fait les efforts nécessaires pour uneconsommation non polluante.

Le rôle de l'État ne se limite pas à ce genre de manipulation fiscale. Il estavant tout de mettre en place un dispositif et de décider du niveau de l'effortcollectif. C'est pourquoi, notre modèle confie les grandes décisions au pouvoirlégislatif. Cette loi modifiable par le Parlement préciserait les modalitésd'application. Plusieurs dispositions seraient nécessaires:

- une disposition révisable annuellement précisant la liste des produits -

services, biens régaliens - ou des contextes - vente sur les marchés, venteen vrac, vente directe du producteur au consommateur - permettantd'éviter toute comptabilisation des crédits consommés, soit en raison d'unepollution inexistante ou marginale dans le processus de production et deconsommation, soit en raison de la difficulté de leur comptabilisation ;

- une disposition fixant la première année et révisant annuellement le prixd'opportunité des économies réalisables sur la consommation desressources énergétiques et de l'eau;

- une disposition révisable annuellement fixant les objectifs de réduction depollution à atteindre pour chaque source énergétique, pour l'eau, ainsi quele niveau d'exigence - deux notes écologiques de référence compriseentre l et 9 - l'une pour les produits ordinaires alimentaires, l'autre pourles autres biens et services, qui ne seraient pas exclus par la premièredisposition. Ainsi, le pouvoir législatif pourra décider du niveau de l'effortcollectif national;

- une disposition fixant périodiquement la liste des organismesd'accréditation des notes écologiques des produits.

La loi devra préciser également quelques points importants, commel'utilisation des dispositifs existants qui pourraient être développés par cette

34. L'avoir fiscal est supprimé à compter du lef janvier 2005, remplacé à cette date par unabattement non plafonné de 50 % sur le montant des revenus distribués. Une simulation publiée parle Lamy optimisation Fiscale de l'Entreprise (mai 2004) fait apparaître un net avantage pour lescontribuables dont les revenus les situent dans les deux taux marginaux d'imposition les plusélevés! Faudra-t-il toujours ne « prêter» qu'aux riches?

195

nouvelle politique publique ou la confidentialité des comptes en écos, à l'instardes comptes bancaires habituels. Le point le plus sensible, la fraude, devraégalement être pris en compte.

Ce dernier point mérite examen. Le dispositif proposé aura-t-il pour effet decréer un espace supplémentaire de fraude pour les citoyens? La tentation seragrande en effet pour certaines personnes de ne pas faire enregistrer laconsommation de leurs crédits en écos avec la complicité de commerçantsindélicats. Il s'ensuivrait de moindres achats de crédit et des versementsd'excédents indus. Mais cette fraude ne pourra porter que sur les achats enespèces ou par chèque, puisque tous les achats par carte bancaire ne pourraientéchapper à l'enregistrement en écos. De plus, le contrôle pourra être effectué à lasource car la valeur en écos des produits vendus sera aussi bien connue que laTVA collectée par ceux qui sont assujettis à cet impôt. Ainsi,proportionnellement, la fraude en écos devrait être au plus égale à la fraude eneuros.

Nous n'avons pas introduit la question du lien entre environnement et santépublique, si conflictuel en France. On peut imaginer que l'Agence française desécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) et l'Agence françaisede sécurisation des aliments fournisse aux organismes qui accréditeraient lesnotes écologiques des instructions permettant de pénaliser les aliments présentantdes risques pour la santé. Bien que d'application délicate, cette mesurecomplémentaire orienterait fortement la consommation vers les produits lesmoins nocifs. Il serait en effet pour le moins paradoxal que l'application dudispositif ne permette pas d'améliorer la santé publique en même temps que deréduire les nuisances35.

Le cadre juridique étant posé, la surveillance et l'amélioration du systèmepourraient être confiées à une agence indépendante ou à une fondation ad hoc,composée de représentants des consommateurs de la société civile, avec une fortereprésentation des associations consuméristes et écologistes, de représentantsd'institutions comme l'Insee, la Recherche, certains organismes publics et privés,professionnels ou associatifs œuvrant dans le domaine de la protection del'environnement. Le rôle de cette agence serait d'abord de veiller à l'applicationdu dispositif et d'effectuer des contrôles, ensuite de constituer une force deproposition en réfléchissant collectivement et publiquement à desrecommandations d'amélioration, enfin de procéder à des évaluations régulièresdu dispositif, en particulier un bilan annuel, en disposant d'un systèmed'information grâce à des enquêtes de satisfaction auprès des consommateurs etdes entreprises et des études sur l'impact.

La société civile - les citoyens-consommateurs - pourrait de son côtéeffectuer une surveillance sur la notation des produits et mener des actions de

35. Les récentes études tentant d'établir un lien entre les pollutions chimiques présentes y comprisdans les maisons par le biais des produits de grande consommation et la croissance inéluctable descancers dits « environnementaux» déclarés est un argument très fort en faveur de ce dispositifpuisque l'information difficile à obtenir sur la nocivité de certains agents serait contenue dans lanote écologique des produits.

196

boycott ou des actions en justice contre les entreprises trichant ou ne respectantpas la nouvelle législation, à la faveur éventuellement de la nouvelle législationsur les actions de groupe, à l'instar des class action aux États-Unis.

Les aides en faveur des personnes à faibles revenus ont toujours trouvé desdétracteurs s'appuyant sur des arguments opposés. Pour les uns, il s'agit d'uneaumône dégradante ne masquant que le refus de créer les conditions du plein-emploi ou l'absence d'incitation à la recherche d'un travail; pour d'autres, ils'agit d'une aide déguisée aux riches qui peuvent ainsi réduire les salaires ouaugmenter le loyer des logements. Le principe du revenu universel n'est pasdavantage épargné: trop coûteux, inéquitable... Mais si l'impôt sur laconsommation est souvent jugé l'impôt le plus rentable et pratique bien qu'il soitinégalitaire, notre proposition de redistribution sociale a trois avantages: cenouvel impôt repose sur un droit à compensation qui ne constitue quepartiellement une aide forcée pour les donneurs - ils peuvent librement réduireleur consommation polluante - et une aide humiliante pour les destinatairespuisqu'il dépendra de leur effort; il se fonde ensuite sur la consommation tout enétant un impôt négatif proportionnel à la consommation, donc en grande partie aurevenu; enfin il peut orienter le comportement des consommateurs pour réduireles nuisances.

Le nouveau Conseil national du développement durable (CNDD) a pris sesfonctions en mars 2005. Composé de quatre-vingt-dix membres, le CNDD estchargé de suivre la stratégie nationale du développement durable. Peut-êtrepourrait-il s'emparer de cette proposition en France, bien que ce dispositif netrouve sa véritable efficacité qu'à l'échelle européenne?

On pourrait aussi imaginer de transposer ce dispositif à l'échelle mondiale,dans le cadre des relations entre les pays du Nord et du Sud, sans doute dans unpremier temps pour ce qui concerne les consommations énergétiques. Lesmontants des aides versées par les pays riches aux pays pauvres reposeraient surune base objective, tant pour les pays donneurs que pour les pays receveurs, celledes consommations énergétiques de chaque pays. La tenue des statistiques, quisont en partie connues, et le calcul des crédits alloués pourraient être décidés parune agence internationale ad hoc.

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198

Déciles Carbu- Energie Eau Alimen- Nonrant taire alim.

1er 555 931 136 1 863 27722e 623 1048 166 2258 33253e 837 1 101 161 2448 44574e 957 1 167 176 2760 5259Se 1 058 1 192 178 2863 56936e 1094 1222 193 2932 62287e 1289 1 251 195 3 118 76908e 1259 1289 197 3273 8193ge 1 336 1 364 214 3 318 9 52210e 1324 1 613 253 3590 Il 572

Moyenne 1033 1218 187 2842 6471

10°/1er

2,4 1,7 1,9 1,9 4,2

Annexe 1 : Données servant de base à une simulation de laredistribution sociale

Le tableau suivant est la matrice des données réelles extraites de l'enquête del'Insee sur la consommation des ménages en 2002, classée par déciles, etdisponible depuis 2004. Les valeurs en euros des consommations sont celles duménage moyen du décile concerné. Les ménages ont au préalable été reclassésselon le revenu ramené à une unité de taille; les données extraites sont doncfournies pour un ménage de taille 1 (un seul individu).

Tableau 8

Consommations réelles en euros

Source: Consommation des ménages en 2002, Insee

Trois simplifications essentielles sont retenues pour procéder à une simulationdes conséquences sur la redistribution de ce dispositif:1. La base de calcul des crédits égalitaires est tout simplement la consommation

moyenne de tous les ménages qui est la même, du fait des propriétésmathématiques de la moyenne, que la moyenne des consommationsmoyennes de chaque décile.

2. Ces statistiques et le calcul des prix marginaux des solutions alternatives(annexe 2) nous permettent de visualiser le montant des crédits de pollutionalloués de manière égalitaire à chaque ménage de taille 1. Dans la réalité,

199

chaque ménage recevrait un crédit en écos selon sa taille réelle en utilisant laméthode de calcul de l'Insee (voir note 7).

3. Pour la présentation de l'incidence redistributive du dispositif, nous faisonsl'hypothèse que la consommation de 2002 (qui a déjà servi au calcul desdroits) serait la consommation réelle au bout d'an an de fonctionnement dudispositif, sans réduction imposée par l'État. Le montant global de laredistribution fait également l'hypothèse d'une taille moyenne des ménageségale à l'unité. Il suffit d'appliquer la taille réelle à ce montant pourapprocher un montant de redistribution plus exact.

Annexe 2 : Détermination du coût marginal de la solutionalternative pour le calcul d'un crédit de pollution36

La solution la plus élégante pour calculer le montant du crédit de pollution surla base du prix de la source énergétique alternative serait de rapporter toutes lesconsommations énergétiques en kWh électrique grâce aux coefficientsd'équivalence. Mais il faudrait ensuite choisir une source alternative propre,accessible aux particuliers, parmi celles disponibles. Or, l'alimentation éventuelledes consommateurs en énergie propre passe par des opérateurs pour l'éolien31, lebiogaz38 ou l'hydraulique. EDF, par exemple, facture l'électricité fournie par unecentrale éolienne au même tarif que celle produite par les centrales nucléaire outhermique. Dans ces conditions, il n'y a pas d'alternative unique et, en l'étatactuel des conditions commerciales d'approvisionnement, cette solution doit êtreécartée.

La solution s'est alors portée sur un choix varié de consommationsalternatives. Cette méthode présente deux avantages: pour le premier, celui deprendre en compte une variété d'équipements propres disponibles sur le marché;pour le second, de permettre un choix individuel et d'inciter ainsi le citoyen à uncalcul éco-écologique, ce qui est conforme au principe du libre choix duconsommateur.

Nous avons donc opté pour un traitement différent pour le carburant et pourchacune des sources d'énergie domestique - l'électricité, le gaz et le charbon -ainsi que pour l'eau. La méthode inspirée du Théorème de Coase permet le calculd'un prix marginap9 de dépollution pour le consommateur moyen qui servira de

36. Cette annexe doit beaucoup aux remarques et aux conseils techniques avisés de Bernard Ameilet Eddy Poitrat (Délégation régionale de Haute-Normandie de l' Ademe).37. Où la France fait figure en 2003 de bon dernier avec 4,3 kW de puissance éolienne installéepour 1 000 habitants contre... 586 pour le Danemark, 178 pour l'Allemagne et 162 pourl'Espagne! Le Monde 2, 14mai 2005, p. 24.38. La production du biogaz provient de la fermentation sous cloche des déchets végétaux.39. On utilisera soit l'expression « prix marginal» du théorème de Coase ou « coût/gaind'opportunité ». Dans le dispositif, il y a pour le consommateur un coût s'il renonce à la solution

200

Consommation moyenne 8 Iitres/l 00 km

Surcoût d'achat d'un véhicule propre 4000 euros

Kilométrage moyen d'un véhicule sur sa durée de vie 150000 km

Économie sur consommation (donnée moyenne) 35%Coût/gain d'opportunité du litre de carburantéconomisé 0,95 euros

base au calcul d'un crédit en euros qui sera distribué d'une manière égale à tousles ménages selon une pondération en fonction de leur taille respective. Il faudraque la valeur de ces crédits libellés en écos soit indépendante du prix de la sourcepolluante - effet de serre et/ou pollution - ou à préserver pour l'eau consommée.Le coût marginal de la solution alternative ne dépend donc que du coût d'achat etd'installation de l'investissement domestique propre et de sa performanceécologique. Ces données devraient être régulièrement actualisées.

Ainsi ce coût marginal- ou coût d'opportunité - est, pour un besoin donné, lesurcoût de la meilleure technologie disponible par rapport à la moins bonnesolution existant sur le marché. Ce surcoût évoluera chaque année au gré del'apparition de nouveaux équipements plus performants, mais aussi avec ladisparition d'équipements de base non conformes aux nouvelles normes.

1. Le carburant

Nous avons retenu le surcoût d'achat d'un véhicule propre de typehybride - essence/électricité ou essence-GPL - par rapport à l'achat d'unvéhicule classique. Le calcul fait intervenir deux autres donnéesprofessionnelles: le kilométrage moyen des véhicules sur leur durée de viemoyenne et la consommation moyenne de carburant qui sert de base àl'évaluation du nombre de litres qui peuvent être économisés par uninvestissement dans ce type de véhicule. Ces trois données servent à calculer lecoût/gain d'opportunité du litre de carburant économisé, qui est indépendant duprix du litre de carburant à la pompe.

Cette indépendance, qui se retrouve pour le calcul du prix marginal des autressources énergétiques, est une nécessité en raison de l'augmentation probable duprix du carburant eu égard à la demande croissante des pays émergents et,concomitamment, à l'épuisement progressif de cette énergie fossile.

Tableau 9 : Carburant

alternative, puisque ce coût sert de calcul au crédit en euros qu'il devra acheter pour compenser laconsommation qu'il aurait pu éviter, le gain dans le cas contraire.

201

Coût d'achat et d'installation d'un panneauInhotovoItaïaue de 10m2 7500 euros

Durée de vie 20 ansNombre moven annuel de kWh économisé 950 kWhCoût/gain d'opportunité du kWh d'électricité

économisé 0,39 euros

Surcoût moyen d'achat et d'installation d'une chaudière àcondensation 1000 euros

Durée de vie 15 ans

Nombre moven annuel de litre de fuel économisé 400 litres

Coût/~ain d'onnortunité du litre de fuel économisé 0,17 euros

2. L'électricité

La principale et partielle alternative domestique à la consommation électriqueest l'énergie solaire avec l'installation de capteurs photovoltaïques. La France,comme beaucoup de pays en Europe, accusait un retard phénoménal: en 2003, lapuissance maximale d'utilisation (exprimée en kilowatts-crête) n'était que de0,36 pour I 000 habitants contre 7,8 kilowatts-crête au Luxembourg, 4,8 enAllemagne, 3,0 au Pays-Bas et 2,1 en Autriche40! Les perspectives dedéveloppement sont donc importantes pour au moins une décennie. Le calcul duprix marginal alternatif du kWh économisé est simple.

Tableau 10 : Électricité

3. Le fuel

Le fuel domestique - comme les autres combustibles liquides - est uneénergie fossile utilisée pour le chauffage moins performante que le gaz naturel, lebutane ou le propane: combustion génératrice de suie, particules dispersées dansl'air des villes et, de plus, rendement moindre, le pire étant toutefois le charbonou la tourbe, voire le bois, énergie renouvelable par excellence mais dont lerendement est catastrophique en dehors d'un l'insert. Nombre de ménagesremplacent leur chaudière au fuel par d'autres types de chaudières, en particulierau gaz. La solution alternative la plus adaptée est le remplacement par unechaudière à condensation au gaz ou au fuel qui a aujourd'hui un meilleurrendement énergétique (pratiquement égal mais le bilan carbone est moins bonpour le fuel). Nous fonderons l'estimation du prix marginal de substitution surl'achat d'une chaudière à condensation de taille moyenne.

Tableau 11 : Lefuel

40. Le Monde 2, 14 mai 2005, p. 25.

202

Coût d'achat et d'installation d'un chauffe-eau solaire de 5 m2 6000 euros

Durée de vie 20 ans

Nombre moyen annuel de m3 de gaz économisé 250 m3

Coûtl!min d'opportunité du m3 de I!:azéconomisé 1,20 euros

4. Le gaz

Il n'existe pas beaucoup d'alternative à l'utilisation du gaz de ville naturelfourni par GDF ou du gaz butane et propane, vendu en bonbonne. Pour lechauffage ou la cuisson des aliments, la performance écologique du gaz - peu derejets de CO2 et de particules, rendement thermique assuré - en fait la meilleuresource d'énergie pour ces utilisations, nonobstant les émissions de CO et deNOx. Mais comme le gaz intervient aussi dans la production d'eau chaude, dansle cadre ou non d'une installation de chauffage central, le recours aux chauffe-eau solaires, sur le principe du capteur thermique, semble la meilleure solutionalternative41.

La consommation de gaz butane et propane, pour négligeable qu'elle soit(voir tableau 2), doit être prise en compte dans l'estimation de la redistributiongénérée par le dispositif.

Tableau 12 : Gaz de ville

5. Le charbon et le bois de chauffe

Les statistiques de l'Insee portent sur la consommation regroupée du charbonet du bois. Il s'agit d'une consommation devenue marginale en France.Toutefois, les statistiques de l'Insee ne tiennent pas compte du bois de bûcheconsommé par les ménages. Si la consommation de charbon à l'échelledomestique est devenue marginale, celle du bois - 18 % en habitat individuel et6 % en collectif - reste très significative et même supérieure au fuel. Ainsi, plusde 50 % des pavillons individuels sont équipés d'un appareil de chauffage aubois, un tiers comme équipement de base et deux tiers en appoint.

Faute de données complètes sur la consommation de bois de chauffage, nousraisonnerons comme s'il s'agissait exclusivement de charbon. Ce dernier a lemême usage que le fuel ou le gaz puisqu'il sert essentiellement au chauffage et àla production d'eau chaude: nous retiendrons la même solution alternative quepour le fuel et le choix d'une chaudière au gaz ou au fuel à condensation. Ilfaudrait cependant retenir comme solution alternative le poêle ou l'insert à trèshaute performance et apprécier ainsi le coût/gain de l'économie réalisée.

41. L'utilisation de l'énergie solaire au travers de surfaces de capteurs thermiques pour laproduction d'eau chaude est peu fréquente en France puisqu'elle représente en 2003 12 m2 pour 1000 habitants contre 335 en Autriche, 261 en Grèce et 66 en Allemagne. Le Monde 2, 14 mai 2005,p.25.

203

Coût d'achat et d'installation d'un récupérateur des eaux de pluiesde 5 m3 5000 euros

Durée de vie 30 ans

Nombre moyen annuel de m3 d'eau économisée par an 41 m3

Coût/2ain d'opportunité du m3 d'eau économisé 407 euros

6. L'eau

La seule alternative pour les ménages à la consommation de l'eau des nappesphréatiques est l'eau de pluie récoltée dans des citernes enterrées ou posées àmême le sol. Nous avons retenu la citerne au sol vendue dans les magasinsspécialisés. L'achat d'une citerne permet d'économiser de façon marginale l'eaudu robinet utilisée pour l'arrosage et le lavage.

Tableau 13 : Eau

204

LE DÉVELOPPEMENT DURABLEET LA GESTION DES ESPACES MARITIMES

La nouvelle politique française du littoral

Olivier LOZACHMEUR *

Lors du Comité Interministériel d'Aménagement et de Développement duTerritoire du 9 juillet 2001, le Gouvernement a annoncé que la politique dulittoral « procède d'une philosophie nouvelle fondée sur le concept de gestionintégrée des zones côtières », en précisant que «cette gestion intégrée doitdésormais dépasser les approches strictement juridiques et réglementairesfondées sur la contrainte, pour privilégier les logiques de projet et departenariat» I. Depuis six ans, les dispositions législatives et réglementairesspécifiquement applicables aux littoraux ont ainsi été largement modifiées etcomplétées, et de nombreuses initiatives ont été prises en faveur de ces espacespar les pouvoirs publics.

Avant d'évoquer ces questions, il convient de préciser qu'il n'existe pas dedéfinition juridique du littoral ou de la zone côtière dans notre pays. Il est enoutre largement admis que le littoral ne peut être réduit au territoire descommunes dites« littorales» où s'appliquent les dispositions de la loi n° 86-2du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur dulittoraF. En vertu de l'article L. 321-2 du Code de l'environnement, seules lescommunes de « métropole et des départements d'outre-mer riveraines des mers etocéans, des étangs salés, des plans d'eau intérieurs d'une superficie supérieure à1 000 hectares» ; ainsi que les communes « riveraines des estuaires et des deltaslorsqu'elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux et participent auxéquilibres économiques et écologiques littoraux »3 sont en effet soumises auxdispositions de la loi « littoral ».

* DCS-CERP3E1. Datar, « Dossier de presse du Comité interministériel d'aménagement et de développement duterritoire de Limoges du 9 juillet 2001 », ministère de l'Aménagement du Territoire et del'Environnement, Paris, 2001, p. 44.2. Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur dulittoral, JO du 4 janvier 1986, p. 200.3. Article L. 321-2 du Code de l'environnement, ancien article 2 de loi « littoral ».

Si les 970 communes considérées comme littorales4 au titre de l'articleL. 321-2 constituent le« cœur» du littoral, d'autres communes sont elles aussidirectement concernées par les pressions qui affectent cet espace, notamment auniveau du développement de l'urbanisation et du tourisme. Comme l'a trèsjustement souligné J-M Bécet, il apparaît ainsi que la «commune n'estcertainement pas à l'échelle des problèmes écologiques et économiqueslittoraux »5, ce qui implique pour certains de « proposer de nouveaux découpagesplus souples et mieux adaptés à la nécessité contemporaine d'une gestionrationnelle des littoraux» 6.

C'est notamment pour prendre en compte cette réalité que le législateur a fixéune règle spécifique pour les communes situées à moins de quinze kilomètres durivage de la mer lors du vote de la loi relative à la solidarité et au renouvellementurbains 7. Comme dans les communes situées à moins de quinze kilomètres de lapériphérie d'une agglomération de plus de 50000 habitants, le plan locald'urbanisme de ces communes en effet ne peut être modifié ou révisé en vued'ouvrir à l'urbanisation une zone à urbaniser délimitée après le Ier juillet 2002ou une zone naturelle lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un schéma decohérence territoriale applicable8.

Si cette disposition a constitué une « forte incitation à élaborer un SCOT surle littoral »9, elle a surtout permis de ne plus limiter le littoral au territoire descommunes littorales, mais de l'appréhender avec une certaine profondeur et entenant mieux compte des réalités. Il est important d'ajouter que cette prise encompte par le droit de l'étendue du littoral vers l'intérieur des terres n'est pasnouvelle puisque lors de sa création en 1975, le Conservatoire de l'espace littoralet des rivages lacustres a été chargé de mener «une politique foncière desauvegarde de l'espace littoral et de respect des sites naturels et de l'équilibreécologique» 10 dans les cantons côtiers, et non uniquement dans les communessituées en bord de mer.

Au-delà de la question des limites terrestres du littoral, celle de ses limitesmaritimes doit également être évoquée, car le littoral est aujourd'hui de plus enplus considéré comme une bande de largeur variable qui s'étend de chaque côtéde la ligne frontalière qui sépare la terre de la mer. Comme le souligne la

4. Sur les 970 communes soumises à la loi « littoral », 883 sont ainsi riveraines d'une mer, d'unocéan, ou d'un étang salé et 87 sont riveraines d'un estuaire ou d'un delta. Voir infra laprésentation du décret n° 2004-311 du 29 mars 2004 fixant la liste des communes riveraines desestuaires et des deltas considérées comme littorales.5. J-M. BÉCET, « Vers une véritable politique d'urbanisme littoral? », AJDA, 1993, p. 123.6. F. PÉRON, « Géographie humaine et concept de gestion intégrée des zones côtières », Séminairede l'UMR 6554, « Analyse et gestion intégrée des zones côtières », CNRS, Nantes, 1998, p. 10.7. Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains;JO n° 289 du 14 décembre 2000, p. 19777.8. Article L. 122-2 du Code de l'urbanisme, version consolidée suite aux modifications notammentapportées par la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 relative à l'urbanisme et à l'habitat, JO n° 152 du3 juillet 2003, p. 11176.9. J-M. BÉCET, Le droil de l'urbanisme littoral, Didact Droit, Presses universitaires de Rennes,Rennes,2002,p.205.10. Article L. 322-1 du Code de l'environnement.

206

Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires(DIACT, ex-Datar), cette bande, appelée littoral ou zone côtière, peut être bornée« en mer par la limite des eaux territoriales» II située à douze milles marins àpartir des lignes de base 12.

Si d'autres limites peuvent évidemment être proposées pour« délimiter» lelittoral, il nous semble que celles des quinze kilomètres à partir du rivage de lamer (ou des SCOT littoraux ou encore des petits bassins versants, des bassins devie...) et des douze milles marins permettent aujourd'hui le mieux d'appréhendercette bande composée d'espaces terrestres et marins et située de part et d'autre dutrait de côte.

Cette nouvelle manière d'appréhender l'espace littoral trouve en grande partieson origine dans la diffusion et la mise en œuvre du concept de « gestion intégréedes zones côtières », sur lequel repose la nouvelle politique du littoral définie parles pouvoirs publics français depuis 2001 (2). Dans le «Modèle de loi sur lagestion durable des zones côtières» qu'il a élaboré à la demande du Conseil del'Europe, M. Prieur propose une définition de la GIZC qui nous semble être laplus complète et la plus précise des nombreuses définitions de ce concept quiexistent. Ainsi, pour le Conseil de l'Europe, «on entend par gestion intégrée,l'aménagement et l'utilisation durable des zones côtières prenant enconsidération le développement économique et social lié à la présence de la mertout en sauvegardant, pour les générations présentes et futures, les équilibresbiologiques et écologiques fragiles de la zone côtière et les paysages ».

Cette définition ajoute que « la mise en place d'une gestion intégrée des zonescôtières exige la création d'instruments institutionnels et normatifs assurant uneparticipation des acteurs et la coordination des objectifs, des politiques et desactions, à la fois sur le plan territorial et décisionnel et impose de traiter lesproblèmes non pas au coup par coup mais de façon globale et en tenant comptede l'interaction entre tous les éléments qui composent l'environnement »13.

Si elles comportent chacune leur propre définition de la GIZC, les principalesétudes internationales relatives à la GrZC s'accordent cependant sur le fait quedans le cadre de la mise en œuvre de ce processus, l'intégration doit idéalementêtre à la fois spatiale, administrative, environnementale et temporelle, et doitpermettre d'assurer la compatibilité entre les différentes activités pratiquées ouinstallées dans les zones côtières. Au niveau spatial, cela implique notamment

Il. Datar, « Construire ensemble un développement équilibré du littoral », La Documentationfrançaise, Paris, 2004, p. 14.12. Les lignes de base sont la laisse de basse mer ainsi que les lignes de base droites et les lignesde fermeture des baies qui sont déterminées par décret; article 1 de la loi no 71-1060 du 24décembre 1971 relative à la délimitation des eaux territoriales françaises, JO du 30 décembre 1971,p. 12899.13. Conseil de l'Europe, « Modèle de loi sur la gestion durable des zones côtières », Sauvegardede la nature, n° 101, Éditions du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1999, p. 13.

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d'appréhender les zones côtières en tant qu'interface terre-mer et de coordonnerles mesures de gestion relatives aux espaces terrestres et marins14.

À la suite des premières mesures arrêtées dans cette perspective de GIZC lorsdu CIADT de juillet 2001, un nouveau cadre de la politique du littoral reposantsur une structure à trois niveaux et sur la mise en œuvre de projets locaux deGIZC a été défini en 2004 par le Gouvernement (3). Par ailleurs, plusieursdécrets et circulaires sont venus à partir de cette date compléter et préciser la loi« littoral» (4), dont le vote en 1986 demeure, avec la création du Conservatoiredu littoral en 1975 et celle des schémas de mise en valeur de la mer en 1983, unedes étapes importante de la construction de la politique du littoral en France CI).

1. Rappel des grandes étapes de la politique du littoralde 1960 à 2000

A. Du rapport Piquard au vote de la loi« littoral », la miseen place d'une politique du littoral en France

Bien qu'il soit largement admis que la publication du rapport Piquard en197315marque le début de la mise en œuvre d'une véritable politique du littoralen France, elle a notamment été précédée par le vote de la loi sur le domainepublic maritime en 196316 et par la création des missions interministériellesd'aménagement du littoral languedocien et aquitain en 1963 et 196717. À la suitede la création du Conservatoire du littoral en 197518, qui était une despropositions figurant dans le rapport Piquard, le Gouvernement a adopté unecirculaire relative à la protection et l'aménagement du littoral le 4 août 1976 etune directive sur le même thème, dite « directive d'Ornano », le 25 août 197919.Ces deux textes n'étaient toutefois opposables qu'à l'administration et lanécessité de faire voter une loi pour encadrer le développement de l'urbanisationsur le littoral, et mieux protéger cet espace, est rapidement apparue au début desannées 1980.

Le vote de la loi« littoral» a toutefois été précédé par la création d'un outilde planification spécifique aux zones littorales et côtières, les schémas de mise en

14. Voir O. LOZACHMEUR,« Le concept de gestion intégrée des zones côtières: le point de vue dujuriste », Oceanis, Vol. 30/no l, Institut océanographique de Paris, 2006, p. 51-70.15. M. PIQUARD, « Perspectives pour l'aménagement du littoral français », Rapport auGouvernement, Datar, Paris, 1973,58 p.16. Loi n° 63-1178 du 28 novembre 1963 relative au domaine public maritime, JO du 29 novembre1963, p. 10643.17. Décret n° 63-580 du 19 janvier 1963 créant la mission Interministérielle d'Aménagement duLanguedoc-Roussillon, JO du 19 juin 1963, p. 5427 ; et décret n° 67-931 du 20 octobre 1967 créantune mission interministérielle sur le littoral aquitain, JO du 24 octobre 1967, p. 10460.18. Loi n° 75-602 du 10 juillet 1975 portant création du Conservatoire de l'espace littoral et desrivages lacustres JO du Il juillet 1975, p. 7126.19. Instruction du 4 août 1976 concernant la protection et l'aménagement du littoral, JO du6 août 1976, p. 4758 ; Décret n° 79-716 du 25 août 1979 approuvant la directive d'aménagementnational relative à la protection et l'aménagement du littoral, JO du 25 août 1979, p. 2098.

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valeur de la mer (SMVM). Ces schémas ont été institués par l'article 57 de loi du7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, lesdépartements, les régions et l'État, qui a été modifié par la loi « littoral» et parla loi DTR du 23 février 2005. Cet article énonce que les SMVM « fixent lesorientations fondamentales de l'aménagement, de la protection et de la mise envaleur du littoral.» À cet effet, ils « déterminent la vocation générale desdifférentes zones et notamment les zones affectées au développement industrielet portuaire, aux cultures marines et aux activités de loisirs. »

S'ils doivent préciser les « mesures de protection du milieu marin », ilsdéterminent également les « vocations des différents secteurs de l'espacemaritime et les principes de compatibilité applicables aux usages correspondants,ainsi que les conséquences qui en résultent pour l'utilisation des divers secteursde l'espace terrestre qui sont liés à l'espace maritime »20.Comme nous le verronspar la suite, la nature et la procédure d'élaboration des SMVM ont été largementmodifiées par la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoiresruraux21, ce qui a entraîné une modification du décret du 5 décembre 1986 relatifau contenu et à l'élaboration des SMVM22 en novembre 2007.

Au-delà de la publication du décret du 5 décembre relatif aux SMVM, l'année1986 a bien évidemment été marquée par le vote de la loi n° 86-2 du 3 janvier1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral. Siles juristes s'intéressent principalement aux dispositions de ce texte qui ont étéinsérées dans le Code de l'urbanisme, il est important de rappeler que l'articlepremier de la loi « littoral» énonce que « le littoral est une entité géographiquequi appelle une politique spécifique d'aménagement, de protection et de mise envaleur », dont la réalisation « implique une coordination des actions de l'État etdes collectivités territoriales, ou de leurs groupements »23.

Il convient de rappeler que la loi « littoral» a inséré dans le Code del'urbanisme les articles L. 146-1 à L. 146-924 qui prévoient notammentl'identification par les schémas de cohérence territoriale et les plans locauxd'urbanisme des communes littorales d'espaces naturels présentant le caractèred'une coupure d'urbanisation (art. L. 146-2), et que les documents et décisionsrelatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols doiventpréserver les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou

20. Loi na 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, lesdépartements, les régions et l'État, JO du 9 janvier 1983, p. 215. Voir la version consolidée surwww.legifrance.gouv.fr.21. Loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, JO n° 46du 24 février 2005 p. 3073.22. Décret n° 86-1252 du 5 décembre 1986 relatif au contenu et à l'élaboration des schémas demise en valeur de la mer, JO du 9 décembre 1986, p. 14791.23. L'article premier de la loi « littoral» est aujourd'hui codifié à l'article L. 321-1 du Code del'environnement.24. Voir notamment N. CALDÉRARO,« Loi littoral et loi montagne - Guide de la jurisprudencecommentée », Seconde édition, Éditions Formation Entreprises, Paris, 2005, 702 p. ; et A. H.MESNARD,« La réglementation et la planification de l'occupation du littoral », in J.-P. BEURIER(dir.), Droits Maritimes, Dalloz Action, Paris, 2006, p. 529-566.

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caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieuxnécessaires au maintien des équilibres biologiques (art. L. 146-6).

L'article L. 146-4 prévoit principalement quant à lui que dans les communeslittorales, l'extension de l'urbanisation doit se réaliser en continuité avec lesagglomérations et villages existants ou en hameaux nouveaux intégrés àl'environnement; que l'extension de l'urbanisation des espaces proches durivage doit être une extension limitée; et qu'en dehors des espaces urbanisés, lesconstructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de centmètres à compter de la limite haute du rivage. En 1989, un décret25 a complété cetexte en insérant les articles R. 146-1 et R. 146-2 dans le Code de l'urbanisme, lepremier fixant la liste des espaces et milieux à préserver en application del'article L. 146-6 et le second fixant la liste des aménagements légers pouvantêtre implantés dans ces espaces par dérogation au principe d'inconstructibilitéauquel ils sont soumis par le juge administrati:f6. Un mois plus tard, unecirculaire27 est venue préciser les modalités d'identification, de délimitation etd'aménagement des espaces devant être protégés par les dispositions de l'articleL. 146-6. Comme nous le verrons par la suite, ce décret a été modifié enmars 2004 et cette circulaire a été abrogée en septembre 2005.

Si les années 1980 ont été marquées par l'adoption de plusieurs texteslégislatifs et réglementaires spécifiques au littoral, la décennie suivante a surtoutvu la publication de rapports dont les recommandations ont été très peu reprisespar les pouvoirs publics28. Durant cette période, la jurisprudence administrativerelative à la loi « littoral» et l'adoption de textes relatifs à l'aménagement duterritoire et à la planification sont toutefois venues compléter le dispositif mis enplace au cours des années précédentes.

25. Décret n° 89-694 du 20 septembre 1989 portant application de dispositions du Code del'urbanisme particulières au littoral et modifiant la liste des catégories d'aménagements, d'ouvrageset de travaux devant être précédés d'une enquête publique, JO du 26 septembre 1989, p. 12130.26. Voir Conseil d'État, 14 janvier 1994, Commune du Rayol-Canadel, na 127025.27. Ministère de l'Équipement, du Logement, des Transports et de la Mer, « Circulaire na 89-56 du10 octobre 1989 relative au renforcement de la politique nationale de préservation de certainsespaces et milieux littoraux et note technique annexée », BOMEL, na 89/34.28. Voir notamment C. GACHELIN,«Pour un plan stratégique intégré du littoral français », Rapportau ministre chargé de la Ville et de l'Aménagement du Territoire, Datar, Paris, 1992, 144 p. ;J-L. MICHAUD, «Les lois Montagne et Littoral », Rapport au ministre de l'Équipement et desTransports, ministère de l'Équipement et des Transports, Paris, 1994,60 p. ; Y. BONNOT,«Pourune politique globale et cohérente du littoral en France », Collection des «Rapports officiels »,Rapport au Premier ministre, La Documentation française, Paris, 1996, 151 p. ; P. MARINI, « Lesactions menées en faveur de la politique maritime et littorale de la France/Annexe 6, le littoral »,Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, n° 771, Ass. Nat., n° 345-Sénat, Paris,1998,280 p. ; C. BERSANI,«Rapport sur les conditions d'application de la loi littoral », Rapport àl'attention du ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement, Conseil Général des Pontset Chaussées, Paris, 2000, 66 p.

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B. De la loi « littoral» à la loi SRU, une politique du littoralcomplétée par la jurisprudence et des dispositions qui ne concernentpas spécifiquement cet espace

En l'absence de précisions apportées par l'État sur les dispositions des articlesL. 146-2 (capacité d'accueil, coupure d'urbanisation) et L. 146-4 (continuitéavec les villages et les agglomérations, espaces proches du rivage, extensionlimitée de l'urbanisation, espaces urbanisés) du Code de l'urbanisme, c'est lejuge administratif qui a peu à peu été amené à préciser ces notions. Pour certains,la jurisprudence administrative «s'est substituée au pouvoir réglementaire enimposant une lecture très restrictive de la loi littoral »29.

Afin de répondre aux problèmes d'interprétation des notions de la loi« littoral », le législateur a prévu que les directives territoriales d'aménagementcréées par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement duterritoire du 4 février 199530 puissent notamment « préciser pour les territoiresconcernés les modalités d'application des dispositions particulières aux zones demontagne et au littoral »31figurant aux articles L. 146-1 et suivants du Code de

l'urbanisme. Après plusieurs années d'élaboration, les DT A des Alpes-Maritimes, de l'estuaire de la Loire, de l'estuaire de la Seine et des Bouches duRhône32 ont été adoptées et sont venues préciser et cartographier ces dispositionspour chacun de ces territoires littoraux.

Il convient de rappeler que les DTA ne sont pas des documents spécifiques aulittoral et qu'il en existe ailleurs que sur cette partie du territoire, que les SCOT etles PLU doivent être compatibles avec leurs dispositions et qu'elles ont d'autresfonctions que celles qui ont rapidement été évoquées ici33.

En ajoutant un article 40-A à la loi « littoral », la loi du 4 février 1995 aégalement offert la possibilité aux conseils régionaux des régions littoraleslimitrophes de coordonner leurs politiques du littoral en élaborant des schémasinterrégionaux de littoral (SIL). L'objectif de ces schémas est de veiller « à lacohérence des projets d'équipement et des actions de l'État et des collectivitésterritoriales qui ont une incidence sur l'aménagement ou la protection dulittoral» tout en respectant les orientations des schémas de services collectifs et

29. P. GÉLARD,« L'application de la "loi littoral" : pour une mutualisation de l'aménagement duterritoire », Groupe de travail sur l'application de la « loi littoral» de la Commission des affaireséconomiques et de la Commission des lois, Sénat, n° 421, 2004, p. 37.30. Loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement duterritoire, JO n° 31 du 5 février 1995, p. 1973.31. Article L. 111-1-1 du Code de l'urbanisme.32. Décret n° 2003-1169 du 2 décembre 2003 portant approbation de la DTA des Alpes-Maritimes,JO n° 284 du 9 décembre 2003, p. 20969; Décret n° 2006-834 du 10 juillet 2006 portantapprobation de la DTA de l'estuaire de la Seine, JO n° 160 du 12juillet 2006, p. 10403; Décret

n° 2006-884 du 17 juillet 2006 portant approbation de la DTA de l'estuaire de la Loire, JO n° 165du 19 juillet 2006, p. 10828; Décret n° 2007-779 du 10 mai 2007 portant approbation de la DTAdes Bouches-du-Rhône, JO n° 109 du Il mai 2007, p. 8498.33. Voir notamment Y. JÉGOUZO,« Le contenu des directives territoriales d'aménagement », Actesdu colloque de Nice des 24 et 25 février 2000 sur Les directives territoriales d'aménagement, Droitet Ville, n° 50, 2000, p. 117.

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des schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire.Contrairement aux DT A, aucun SIL n'a été adopté, ni même initié.

Pour conclure, il est évidemment nécessaire d'évoquer le vote, entre juin 1999et décembre 2000, de la loi Voynet sur l'aménagement du territoire, de la loiChevènement sur l'intercommunalité et de la loi relative à la solidarité et aurenouvellement urbains (SRU)34, qui offtent un nouveau cadre d'action auxacteurs locaux et nationaux, notamment sur le littoral. Si ces deux premiers textesont favorisé un important développement de l'intercommunalité, notamment surla façade méditerranéenne où de nombreuses communautés d'agglomération ontété créées, celui de la loi SRU a permis de relancer la mise en place dedocuments d'urbanisme intercommunaux.

Comme nous l'avons déjà évoqué, les dispositions de l'article L. 122-2 duCode de l'urbanisme introduites par cette loi ont fortement incité les communeslittorales à se regrouper pour élaborer des schémas de cohérence territoriale.Jusqu'à sa modification en juillet 2003 par la loi relative à l'urbanisme et àl'habitat, cet article prévoyait en effet qu'en « l'absence d'un SCOT, les zonesnaturelles et les zones d'urbanisation future délimitées par les PLU descommunes ne peuvent pas être ouvertes à l'urbanisation », sauf dans les« communes situées à plus de quinze kilomètres de la périphérie d'uneagglomération de plus de 15 000 habitants et à plus de quinze kilomètres durivage de la mer. »

La loi relative à l'urbanisme et à l'habitat a ensuite atténué la portée de cetarticle qui énonce désormais que,

Dans les communes qui sont situées à moins de quinze kilomètres de la périphéried'une agglomération de plus de 50 000 habitants, ou à moins de quinzekilomètres du rivage de la mer, et qui ne sont pas couvertes par un SCOTapplicable, le plan local d'urbanisme ne peut être modifié ou révisé en vued'ouvrir à l'urbanisation une zone à urbaniser délimitée après le 1erjuillet 2002ou une zone naturelle.

Malgré cette modification, la quasi-totalité du littoral métropolitain étaitconcerné par un SCOT ou un projet de SCOT au le' janvier 200735, à l'exceptionde certaines parties du littoral de la Seine-Maritime, de la Vendée et des Landes.Ce succès va d'ailleurs conférer à ces schémas une place particulièrementimportante dans le cadre de la nouvelle politique du littoral lancée lors duCIADT du 9 juillet 2001.

34. Loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durabledu territoire et portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pourl'aménagement et le développement du territoire, JO n° 148 du 29 juin 1999, p. 9515 ; loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopérationintercommunale, JO n° 160 du 13 juillet 1999, p. 10361; loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000relative à la solidarité et au renouvellement urbains, JO n° 289 du 14 décembre 2000, p. 19777.35. Se reporter à la carte nationale des SCOT disponible surwww.urbanisme.gouvjr.

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Il. L'annonce de la décision de fonder la politique du littoral surune nouvelle philosophie et les premières mesures arrêtées danscette perspective

Avec une importante activité législative et réglementaire, comme dans lesannées 1980, et la publication de nombreux rapports, comme dans les années1990, les années 2000 combinent d'une certaine manière les deux décennies quiles ont précédées. Comme le souligne la DIACT, la « prise de conscience de lanécessité de faire évoluer non seulement les instruments, mais les principesmêmes de la politique nationale du littoral, est apparue clairement vers la fin desannées 1990, notamment à l'occasion du naufrage de l'Erika (12 décembre 1999)et des tempêtes catastrophiques des 26 et 28 décembre 1999, qui ont étél'occasion de mesurer à la fois la fragilité du littoral et la sensibilité élevée del'opinion publique sur ce sujet »36. Ces catastrophes vont en effet amener lespouvoirs publics à reprendre - et pour certains à prendre - conscience del'importance, de la spécificité et de la fragilité de nos littoraux et à organiser unCIADT et un CIMER en février 2000 à Nantes où de nombreuses mesures enfaveur du littoral atlantique ont été annoncées31.

Une seconde explication doit être recherchée au niveau européen avec lapublication en septembre 2000 d'une Stratégie européenne de « gestion intégréedes zones côtières »38 et d'un projet de Recommandation relative à la mise enœuvre d'une stratégie de gestion intégrée des zones côtières en Europe, qui seraadoptée en mai 2002 par le Conseil et le Parlement européen39.

Cette Recommandation invite notamment les États membres à élaborer desstratégies nationales de GlZC et à suivre les principes d'une gestion intégrée deszones côtières en tenant compte des bonnes pratiques identifiées, entre autres,dans le programme de démonstration de la Commission sur l'aménagementintégré des zones côtières. Trente-cinq projets, dont trois français (Côte d'Opale,Rade de Brest et Bassin d'Arcachon) ont été labellisés et financés par laCommission européenne, de 1996 à 1999 dans le cadre de ce programme. C'estdonc dans ce contexte national et européen que le Gouvernement a annoncé lorsdu CIADT du 9 juillet 2001 que la politique du littoral procédait d'une«philosophie nouvelle fondée sur le concept de gestion intégrée des zones

36. DIACT-SGMer, « Rapport français d'application de la Recommandation du Parlementeuropéen et du Conseil du 30 mai 2002 relative à la mise en œuvre d'une stratégie de gestionintégrée des zones côtières en Europe », Premier ministre, Paris 2006, p. 44.37. Voir A.-H. MESNARD,« L'impact de l'Erika, la décentralisation et la modernisation de l'État »,in loP. BEURIER et Y.-F. POUCHUS(coord.), Les conséquences du naufrage de l'Erika, PressesUniversitaires de Rennes, Rennes, 2005, p. 231-240.38. Commission européenne, « Communication au Conseil et au Parlement européen surl'aménagement intégré des zones côtières: une stratégie pour l'Europe », COM (2000)547 Final,27 septembre 2000, 30 p.Disponible sur: www.europa.eu.int/comm/ environment/iczm.39. Conseil et Parlement Européen, « Recommandation du 30 mai 2002 relative à la mise en œuvred'une stratégie de gestion intégrée des zones côtières en Europe », 2002!4l3/CE, JOCE n° L-148du 6 juin 2002, p. 24.

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côtières» et précisé que « cette gestion intégrée [devait] désormais dépasser lesapproches strictement juridiques et réglementaires fondées sur la contrainte, pourprivilégier les logiques de projet et de partenariat» 40. Cette volonté de privilégierles logiques de projet et de partenariat est relativement nouvelle dans notre pays,les pouvoirs publics français ayant traditionnellement favorisé la voieréglementaire en matière d'aménagement et de protection des zones côtières.Comme le souligne A. Miossec, la démarche française est en effet« réglementaire en général, et fortement marquée par la tradition d'un Étatcentral puissant.» Le géographe nantais distingue ainsi la « voie française »,caractérisée par « le primat de la réglementation », de la « voie américaine»caractérisée par une recherche du consensus à tout prix41.

Ainsi, c'est dans la perspective de la mise en œuvre de cette nouvelleapproche fondée sur le concept de gestion intégrée des zones côtières, que leCIADT a arrêté une série de mesures visant à réformer les outils et les modesd'intervention de l'État, favoriser un aménagement plus partenarial du littoral, etrenforcer les capacités d'études, d'observation et de prospective. Dans le cadrede la réforme des outils et des modes d'intervention de l'État, le Gouvernementavait décidé d'engager une réforme du cadre juridique des SMVM, afin depermettre aux communes et aux groupements de communes d'en être des acteursconfirmés; une adaptation des dispositions applicables aux espaces protégés autitre de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme; et une réforme en profondeurdu Conservatoire du littoral.

A. La réforme du régime juridique des SMVM

Le régime juridique des SMVM, qui ont été institués par l'article 57 de la loidu 8 janvier 1983, a été modifié par l'article 235 de la loi DTR du 24 février200542. Ces schémas peuvent dorénavant être élaborés et approuvés par l'État(comme c'était le cas auparavant, mais selon une procédure qui est désormaisdéconcentrée) ou comme le permet l'article L. 122-1 du Code de l'urbanismedepuis 2005, prendre la forme d'un chapitre individualisé du SCOT. Ce chapitreest élaboré par l'EPCI qui élabore le SCOT, mais ne peut être approuvé qu'avecl'accord du préfet. Cet accord doit intervenir avant que le projet ne soit arrêté(article L. 122-8-1), et toute modification du projet suite à l'enquête publiquedoit faire l'objet d'un nouvel accord du représentant de l'État (article L. 122-11).L'article L. 122-3 prévoit que le préfet est également consulté sur lacompatibilité du périmètre du SMVM avec les enjeux d'aménagement, deprotection et de mise en valeur du littoral.

40. Datar, « Dossier de presse du Comité interministériel d'aménagement et de développement duterritoire de Limoges du 9 juillet 2001 », ministère de l'Aménagement du Territoire et del'Environnement, Paris, 2001, p. 44.41. A. MIOSSEC,« Les littoraux entre nature et aménagement », Sedes, Paris, 1998, p. 119.42. Loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, JO n° 46du 24 février 2005 p. 3073.

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Si la loi DTR a profondément modifié les conditions d'élaboration desSMVM, elle a en même temps profondément modifié la nature juridique de cesschémas, ainsi que celle des SCOT. Ces derniers peuvent en effet désormaiscomporter un volet maritime, ce qui confère aux communes regroupées au seinde l'EPCI chargé d'élaborer le SCOT le pouvoir de définir, sous le contrôle dupréfet, la vocation des différents secteurs de l'espace maritime et des mesures deprotection du milieu marin. L'État permet ainsi aux communes d'intervenir dansla gestion du domaine public maritime dont il était traditionnellement, en tant quepropriétaire, le seul gestionnaire.

En ce qui concerne les SMVM, avant sa modification par la loi DTR,l'article 57 de la loi du 7 janvier 198343 énonçait qu'ils avaient « les mêmeseffets que les directives territoriales d'aménagement », si bien que les SCOTdevaient être compatibles avec leurs dispositions. Cette référence aux effets desSMVM « identiques à ceux d'une DTA» ayant été supprimée par la loi DTR,ceux-ci ont donc désormais logiquement les mêmes effets que les schémas decohérence territoriale et occupent donc la même place dans la hiérarchie desnormes. Toutefois, les deux SMVM approuvés avant le vote de la loi DTR, celuide l'étang de Thau44 et du Bassin d' Arcachon45, ont les mêmes effets qu'uneDTA. Par contre, le SMVM du golfe du Morbihan qui a été approuvé par l'Étatselon la procédure déconcentrée fixée par la loi DTR semble avoir lui aussi lamême valeur qu'un SCOT. Le dossier publié par la préfecture du Morbihan lorsde l'adoption de ce schéma le 10 février 2006 précise en effet que les « PLUdoivent être à la fois compatibles avec le SMVM et les SCOT» 46, ce qui laissesous-entendre que ces derniers n'ont pas à être compatibles avec le SMVM. IIexiste donc aujourd'hui trois types de schémas de mise en valeur de la mer:

- ceux de Thau et d'Arcachon, qui ont été élaborés et adoptés par l'État, etavec lesquels les SCOT et les PLU doivent être compatibles;

- celui du golfe du Morbihan, adopté par le préfet du Morbihan le 10 février2006, et qui ne s'impose qu'aux PLU (d'autres schémas de ce typepeuvent évidemment être adoptés à l'avenir) ;

- les futurs volets SMVM des SCOT, élaborés et adoptés par desEPCI - avec l'accord du préfet -, et qui eux aussi ne s'imposeront qu'auxPLU.

Il convient d'ajouter que pour tenir compte des modifications de l'article 57de la loi du 7 janvier 1983 par l'article 235 de la loi DTR, le décret du5 décembre 1986 relatif au contenu et à l'élaboration des schémas de mise en

43. Loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, lesdépartements, les régions et l'État, JO du 9 janvier 1983, p. 215.44. Décret du 20 avril 1995 portant approbation du schéma de mise en valeur de la mer du bassinde Thau et de sa façade maritime, JO n° 94 du 21 avril 1995, p. 6215. Voir A-H. MESNARD,«Lepremier SMVM : le bassin de Thau et sa façade maritime », Droit Maritime Français, n° 560, 1996,p. 529 à 536.45. Décret n° 2004-1409 du 23 décembre 2004 portant approbation du schéma de mise en valeurde la mer du bassin d'Arcachon, JO n° 301 du 28 décembre 2004, p. 22115.46. Préfecture du Morbihan, «Adoption du schéma de mise en valeur de la mer du Golfe duMorbihan », 10 février 2006, p. 6 ; disponible sur www.morbihanprefgouv./r

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valeur de la mer a été modifié par un décret du 8 novembre 200747. Lesmodifications apportées au décret du 5 décembre 1986 portent principalement surla procédure que l'État doit suivre pour élaborer et approuver un schéma de type« golfe du Morbihan ». Le décret précise ainsi notamment quels sont les acteursqui doivent être associés à cette élaboration. Le nouvel article 15 du décret ajouteque «lorsque la charte d'un parc national ou d'un parc naturel régional estapprouvée après l'approbation d'un schéma de mise en valeur de la mer, cedernier doit, si nécessaire, être rendu compatible dans un délai de trois ans avecles objectifs de protection définis par la charte du parc national pour le cœur deparc et avec les orientations et les mesures de la charte du parc naturel régionalconcerné ». Cette disposition confirme que comme le prévoit l'article L. 122-1du Code de l'urbanisme pour les SCOT et leurs volets valant SMVM, les SMVMadoptés par l'État doivent être compatibles avec les chartes de parcs nationaux etdes PNR, et non donc plus les mêmes effets que les DTA.

Le décret du 8 novembre 2007 a également ajouté des dispositions auxarticles R. 122-2 du Code de l'urbanisme sur le contenu du rapport deprésentation du SCOT qui lorsqu'il comprend un chapitre individualisé valantSMVM, doit décrire les « conditions de l'utilisation de l'espace marin et terrestredu littoral », indiquer« les perspectives d'évolution de ce milieu» expliquer« lesorientations retenues, en matière de développement, de protection etd'équipement. » De la même manière, le document d'orientations générales duSCOT doit notamment mentionner les «orientations relatives aux culturesmarines et aux activités de loisirs» et préciser « dans une perspective de gestionintégrée de la zone côtière, les vocations des différents secteurs de l'espacemaritime, les conditions de la compatibilité entre les différents usages de cesderniers, et les conséquences qui en résultent pour l'utilisation des diversesparties du littoral qui sont liées à cet espace» (art. R. 122-3 du Code de l'urb.).

La décision de modifier le régime des SMVM annoncée lors du CIADT du9 juillet 2001 a donc eu d'importants effets à la fois sur ces schémas mais aussisur les SCOT qui peuvent désormais comporter un volet maritime et s'étendre enmer. Il convient de préciser que si elles ont été acceptées par le Gouvernement,les modifications de l'article 57 de la loi du 7 janvier 1983 apportées parl'article 235 de la loi DTR trouvent leur origine dans un rapport du sénateurP. Gélard publié en juillet 200448.

C'est ce même sénateur qui, considérant que l'État mettait trop de temps àmettre en œuvre la réforme des SMVM, a proposé un amendement lors del'examen de la loi DTR pour «permettre aux communes et aux groupements decommunes d'en être des acteurs confirmés49 » comme cela avait été annoncé lors

47. Décret n° 2007-1586 du 8 novembre 2007 relatif aux schémas de mise en valeur de la mer etmodifiant le décret n° 86-1252 du 5 décembre 1986 ainsi que le Code de l'urbanisme et le Code del'environnement, JO du 10 novembre 2007, p. 18507.48. P. GÉLARD, « L'application de la loi littoral: pour une mutualisation de l'aménagement duterritoire », Groupe de travail sur l'application de la loi littoral de la Commission des affaireséconomiques et de la Commission des lois, Sénat, n° 421, 2004, 95 p.49. Datar, « Dossier de presse du ClADT de Limoges du 9 juillet 2001 », précité, p. 44

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du CIADT de 20015°. Il est d'ailleurs intéressant de noter que la seconde réformedes outils et des modes d'intervention de l'État prévue par ce CIADT, la réformedu Conservatoire du littoral, trouve elle aussi son origine dans un rapport rédigépar un sénateur, en l'occurrence l'ancien ministre de la Mer, L. Le Pensec.

B. La réforme du Conservatoire du littoral

Comme l'avait prévu le CIADT du 9 juillet 2001, la réforme du Conservatoiredu littoral décidée à cette occasion a été engagée sur la base des propositions durapport que L. Le Pensec a remis à la fin de l'année 2001 au Premier ministre5'.Cette réforme a été mise en œuvre par les articles 160 à 167 de la loi du27 février 2002 relative à la démocratie de proximité52. Sans qu'il soit icipossible d'évoquer et d'analyser les dispositions de ces articles, il est importantde préciser que c'est à cette occasion que le législateur a consacré le concept de« gestion intégrée des zones côtières »53, sur lequel est rappelons-le fondé lapolitique du littoral en France depuis le CIADT du 9 juillet 2001.

Le nouvel alinéa ajouté à l'article L. 322-1 du Code de l'environnement parl'article 160 de la loi du 27 février 2002 énonce en effet qu'afin « de promouvoirune gestion plus intégrée des zones côtières, le Conservatoire du littoral peutégalement exercer ses missions sur le domaine public maritime qui lui est affectéou confié ». L'objectif de cette réforme est bien de promouvoir la GIZC, carl'intégration de la gestion des zones terrestres et maritimes doit être le premierobjectif d'une démarche de « gestion intégrée des zones côtières »54.

Comme le précise la circulaire interministérielle n° 2007-17 relative àl'intervention du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres sur ledomaine public maritime, «cette possibilité d'intervention est pour leConservatoire du littoral une grande innovation, ce dernier n'ayant jusqu'alorsexercé ses missions que sur le littoral terrestre ». Cela va en outre permettre auConservatoire de devenir « un acteur à part entière pour la promotion de lagestion intégrée des zones côtières» car son intervention sur le DPM « permet derompre la discontinuité terre-mer» et « d'avoir un même gestionnaire du sitepour ses parties marine et terrestre55 ».

50. O. LOZACHMEUR,« Le concept de "gestion intégrée des zones côtières" en droit international,communautaire et national », Droit Maritime Français, n° 657, 2005, p. 274.51. L. LE PENSEC,« Vers de nouveaux rivages: rapport au Premier ministre sur la refondation duConservatoire du littoral », La Documentation française, Paris, 2001, 100 p.52. Loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité; JO n° 50 du28 février 2002, p. 3808.53. Sur ce concept voir notamment O. LOZACHMEUR,« La consécration du concept de gestionintégrée des zones côtières en droit international, communautaire et national». Thèse de doctorat,A.-H. MESNARD(dir.), université de Nantes, 2004, 837 p.54. Voir B. CiCIN-SAIN, « Introduction to the Special Issue on Integrated coastal management:Concepts, Issues and Methods», Ocean and Coastal Management, n° 21 (1-3), 1993, p.27; etA. MIOSSEC, « De l'aménagement des littoraux à la gestion intégrée des zones côtières», inA. GAMBLIN(dir.) Les littoraux espaces de vie, Sedes, Paris, 1998, p. 255.55. Ministre des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer, ministre de l'Écologie etdu Développement Durable et ministre de l'Agriculture et de la Pêche, « Circulaire

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La circulaire ajoute que de manière générale, et sauf exception notammentdans les DOM (pour la protection des récifs coralliens), la largeur d'attributionmaximale se situera en deçà d'un mille à partir de la laisse des plus basses mers.Sur les sites faisant l'objet d'une affectation ou d'une attribution à son profit, leConservatoire du littoral se substitue à l'État dans ses seules attributions degestionnaire du DPM, ce qui lui permet notamment de délivrer des autorisationsd'occupation temporaires (AOT) et d'être le bénéficiaire des produits issus de cesAOT. Le Conservatoire sera également à même d'intervenir sur le DPM enqualité de maître d'ouvrage pour réaliser des aménagements destinés à amélioreret à encadrer l'accueil du public, restaurer les parties endommagées du domaine(protection des dunes par des ganivelles par ex.), ou encore proposer des mesuresaux autorités compétentes en matière de gestion de la diversité biologiquemarine, d'accès, de navigation et de mouillage des navires56.

Précisons enfin que l'article L. 334-1 du Code de l'environnement, issu del'article 18 de la loi du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcsnaturels marins et aux parcs naturels régionaux57, prévoit que les « partiesmaritimes du domaine relevant du Conservatoire du littoral» font parties duréseau des aires marines protégées que la nouvelle Agence des aires marinesprotégées est chargée d'animer.

C. La réforme des dispositions applicables aux espaces protégés autitre de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme

La décision annoncée par le CIADT du 9 juillet 2001 d'adapter lesdispositions applicables aux espaces « remarquables» protégés au titre de la loi« littoral» a été mise en œuvre par le décret n° 2004-310 du 29 mars 2004relatif aux espaces remarquables du littoral et modifiant le Code del'urbanisme 58. Avant d'évoquer ce décret, il est important de rappeler que lesespaces protégés au titre de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme,communément appelés espaces « remarquables », représentaient en 1999 14 %du territoire des communes littorales de métropole et des départements d'outre-mer. S'il est vrai que le régime juridique applicable à ces espaces estparticulièrement strict, il découle directement de la reconnaissance par lelégislateur de la nécessité de protéger les espaces naturels littoraux remarquablesdu fait de leur beauté, de leur rareté ou de leur richesse écologique.

interministérielle n° 2007-17 du 20 février 2007 relative à l'intervention du Conservatoire del'espace littoral et des rivages lacustres sur le domaine public maritime et à l'élaboration de lastratégie nationale et géographique d'intervention du Conservatoire du littoral sur le domainepublic maritime en concertation avec les services de l'État concernés », Bulletin officiel duministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer, n° 4-2007, 10 mars 2007,p. 69 et 70.56. Circulaire interministérielle n° 2007-17 du 20 février 2007, précitée.57. Loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins etaux parcs naturels régionaux, JO du 15 avril 2006, p. 5682.58. Décret n° 2004-310 du 29 mars 2004 relatif aux espaces remarquables du littoral et modifiantle Code de l'urbanisme, JO n° 76 du 30 mars 2004, p. 6081.

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L'inconstructibilité de principe des espaces protégés au titre de l'articleL. 146-6 posée par la jurisprudence 59 est cependant assortie de nombreusesexceptions, puisque des travaux de conservation ou de protection, ainsi que des« aménagements légers» peuvent y être autorisés. Considérée comme troprestrictive par une grande partie de la doctrine, des élus et de certains services del'État, la liste de ces « aménagements légers» qui avait initialement été fixée parun décret du 20 septembre 198960,a été largement étendue lors de la modificationde l'article R. 146-2 du Code de l'urbanisme par le décret n° 2004-310 du29 mars 2004.

En effet, alors que le décret de 1989 ne prévoyait que la possibilité de réaliserdes chemins piétonniers et d'implanter des objets mobiliers destinés à l'accueilou à l'information du public, ou des aménagements et des locaux nécessaires àl'exercice d'activités traditionnelles, celui de 2004 autorise les cheminementspiétonniers et cyclables et les sentes équestres ni cimentés, ni bitumés, les postesd'observation de la faune, les équipements démontables liés à l'hygiène et à lasécurité tels que les sanitaires et les postes de secours, les aires de stationnementindispensables à la maîtrise de la fréquentation automobile, ainsi que la réfectiondes bâtiments existants et l'extension limitée des bâtiments et installationsnécessaires à l'exercice d'activités économiques61.

Toutefois, comme l'a rappelé la circulaire du 15 septembre 2005 relative auxnouvelles dispositions prévues par le décret n° 2004-310 du 29 mars 200462, lalocalisation comme l'aspect des aménagements ne doivent pas dénaturer lecaractère des sites, compromettre leur qualité architecturale ou paysagère niporter atteinte à la préservation des milieux et doivent être conçus de manière àpermettre un retour du site à l'état naturel.

Ajoutons pour conclure que le nouvel article R. 421-22 du Code del'urbanisme prévoit qu'à l'exception des aménagements nécessaires à la gestionet à la remise en état d'éléments de patrimoine bâti, tous les « aménagementslégers» autorisés par l'article R. 146-2 du même code modifié par le décret du

59. Conseil d'État, 14 janvier 1994, Commune du Rayol-Canadel, n° 127025.60. Décret n° 89-694 du 20 septembre 1989 portant application de dispositions du Code del'urbanisme particulières au littoral et modifiant la liste des catégories d'aménagements, d'ouvrageset de travaux devant être précédés d'une enquête publique, JO du 26 septembre 1989, p. 12130.61. Voir notamment J.-Ch. CAR et J. TRÉMEAU,« Les aménagements légers dans les espacesremarquables du littoral », Bulletin de jurisprudence de droit de l'urbanisme, 4/2004, p. 246-260 ;R. HOSTIou, « Espaces remarquables du littoral: le changement dans la continuité », AJDA,21 février 2005, p. 370-372; et Y. TANGUY, « La loi littoral en questions, entre simplismes etcomplexité », AJDA, 21 février 2005, p. 354-360.62. Directeur général de l'Urbanisme, de l'Habitat et de la Construction et directeur des Étudeséconomiques et de l'Évaluation environnementale, « Circulaire UHC/PS I n° 2005-57 du15 septembre 2005 relative aux nouvelles dispositions prévues par le décret n° 2004-310 du29 mars 2004 relatif aux espaces remarquables du littoral et modifiant le Code de l'urbanisme »,Bulletin officiel du ministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer, n° 18-2005, p. 1502. Voir L. BORDEREAUX,« La circulaire de 15 septembre 2005 sur les espacesremarquables du littoral », Droit Maritime Français, n° 665, 2005, p. 1044.

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29 mars 2004, doivent dorénavant être précédés de la délivrance d'un permisd'aménager63.

D. Les autres décisions annoncées lors du CIADTdu 9 juillet 2001

En plus de ces trois grandes modifications des modes d'intervention de l'État,qui privilégient pour deux d'entre elles l'intégration de la gestion des espacesterrestres et marins, le CIADT du 9 juillet 2001 a également décidé de favoriserles approches partenariales en développant les «Opérations Grand Site », lacréation de Pays maritimes et côtiers, et de lancer un programme demodernisation des stations littorales.

Enfin, le CIADT a annoncé la création d'une mission interministérielled'aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon pour la période 2001-2006,laquelle a notamment élaboré un Plan de développement durable du littoral qui aété validé par le CIADT du 13 décembre 20026\ et a demandé à la Commissiondu littoral mise en place par le Conseil national d'aménagement et dedéveloppement du territoire d'établir un état des lieux du littoral français afin depréparer un livre blanc du littoral et de la mer.

Si cette Commission n'a pas publié un véritable livre blanc du littoral et de lamer, elle a présenté le 8 juillet 2003 un rapport, considéré comme un véritablemessage d'alerte, et proposé dix mesures pour refonder la politique du littoral65.Pour la Commission, il convient tout d'abord de refonder la politique du littoralautour de trois objectifs: élargir la définition du territoire littoral à celui desinterdépendances fonctionnelles de la zone côtière vers la terre et vers la mer;enrichir la vision environnementale du littoral de toute sa dimension humaine,sociale, culturelle et économique; et rendre aux hommes et aux femmes vivantsur le littoral la capacité d'émettre et de porter un projet de territoire définilocalement à bonne échelle.

Pour atteindre ces objectifs, la Commission appelle à un changement deméthode et préconise la mise en œuvre de projets expérimentaux de «gestionintégrée des zones côtières» au niveau local. Parmi ses dix mesures, figurentégalement le renforcement des moyens locaux d'action en matière foncière, etpour la sauvegarde du « Tiers sauvage », la valorisation de l'économie maritimeet littorale, l'affirmation de l'importance du patrimoine naturel et culturel dulittoral et la création d'un Conseil National du Littoral.

Cette dernière proposition, qui avait déjà été formulée par J.-L. Michaud en1994 et par Y. Bonnot en 199566 va être reprise par le député-maire des Sables

63. Voir également le nouvel article R. 431-16 du Code de l'urbanisme.64. Datar, Dossier de presse du Comité interministériel d'aménagement et de développement duterritoire du 13 décembre 2002, ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, Paris,2002, p. 44.65. Commission nationale du littoral, « Le littoral français, pour un nouveau contrat social »,Conseil National d'Aménagement et de Développement du Territoire, Paris, 2003, 16 p.66. J-L. MICHAUD, « Les lois Montagne et Littoral », précité, p. 53 ; Y. BONNOT, « Pour unepolitique globale et cohérente du littoral en France », précité, p. 18 et 19.

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d'Olonne, L. Guédon, qui va déposer un amendement en ce sens lors del'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux début2004. Cet amendement va être accepté par le Gouvernement et va devenir laprincipale structure sur laquelle repose le nouveau cadre pour la politique dulittoral adopté au cours de cette même année.

III. La définition d'un nouveau cadre pour la politique du littoralet le lancement d'un appel à projets sur la « gestion intégrée deszones côtières»

A. Une structure à trois niveaux pour un nouveau cadre de lapolitique du littoral

La décision du CIADT du 9 juillet 2001 de fonder la politique du littoral surune nouvelle philosophie reposant sur le concept de GIZC a été confirmée lors duComité interministériel de la mer (CIMER) du 29 avril 2003, au cours duquel leGouvernement a annoncé que la France allait mettre en œuvre laRecommandation européenne sur la GIZC du 30 mai 2002. Afin de garantirqu'aucun enjeu - qu'il soit terrestre ou marin - ne soit oublié, cette mise enœuvre a été confiée par le CIMER à deux structures interministérielles: leSecrétariat général de la mer, la Datar67.

À partir des premières orientations proposées par ces deux instances68, leGouvernement a adopté lors du CIMER du 16 février 2004 un « nouveau cadrepour la politique du littoral fondé sur une approche de gestion intégrée des zonescôtières.» Comme l'avait déjà souligné le CIADT de 2001, cette approche«Vise à compléter l'approche incitative et réglementaire pilotée par l'État parune approche partenariale et contractuelle associant largement les acteursconcernés, et privilégiant les projets locaux intégrés69. » Ce nouveau cadre de lapolitique du littoral se décline sur la base d'une structure à trois niveaux, lepremier se situant à l'échelon national, le second à l'échelon régional et letroisième à l'échelon infrarégional (dit« local »).

Si le niveau national est celui « où doivent se définir les orientations de lapolitique du littoral », c'est aussi le « niveau de la prospective, de l'évaluation etde la coordination, dans le cadre d'un partenariat associant l'État, lesreprésentants des régions maritimes, des grands secteurs socio-économiquesconcernés et des associations reconnues au plan nationapo. » C'est notammentpour organiser ce partenariat que le Gouvernement a appuyé la création d'un

67. Secrétariat général de la mer, Dossier de presse du Comité interministériel de la mer du29 avril 2003, Premier ministre, Paris, 2003, p. 22.68. Voir à cet égard l'important rapport publié trente ans après le rapport PIQUARDpar la Datar, quidétaille les objectifs et les instruments de la nouvelle politique du littoral. Datar, Construireensemble un développement équilibré du littoral, La Documentation française, Paris, 2004, 157 p.69. Secrétariat général de la mer, « Dossier de presse du Comité interministériel de la mer du16 février 2004», Premier ministre, Paris, 2004, p. 16.

70. Ibidem.

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Conseil national du littoral proposée par un amendement du député L. Guédon etqui a été adopté lors du vote en première lecture du projet de loi relatif audéveloppement des territoires ruraux le 30 janvier 2004.

Si comme nous l'avons précédemment évoqué, l'article 235 de la loi relativeau développement des territoires ruraux a modifié le régime juridique desSMVM, il a également ajouté un article 43 à la loi « littoral» qui créé un« conseil national pour l'aménagement, la protection et la mise en valeur dulittoral et la gestion intégrée des zones côtières dénommé Conseil national dulittoral.» Ce conseil, dont la composition et le fonctionnement sont fixés pardécret, est présidé par le Premier ministre et comprend des membres duParlement et des représentants des collectivités territoriales des façadesmaritimes de métropole et d'outre-mer ainsi que des représentants desétablissements publics intéressés, des milieux socioprofessionnels et de la sociétécivile représentatifs des activités et des usages du littoral.

Le Conseil national du littoral (CNL) est notamment « consulté dans le cadrede la rédaction des décrets relatifs à la gestion du domaine public maritime» et« contribue par ses avis et propositions à la coordination des actions publiquesdans les territoires littoraux. » Il définit également les « objectifs et précise lesactions qu'il juge nécessaires pour l'aménagement, la protection et la mise envaleur du littoral, dans une perspective de gestion intégrée des zones côtières. »Enfin, il peut être « consulté sur les projets définis en application des contratspassés entre l'État et les régions ainsi que sur tout projet législatif ouréglementaire intéressant le littoral» et il « participe aux travaux de prospective,d'observation et d'évaluation conduits sur le littoral aux niveaux européen,national et interrégionaFl . »

Neuf mois après sa création, le fonctionnement et la composition du Conseilont été définis par décret72 et le 26 juin 2006, ses soixante-douze membres - dontune majorité d'élus - ont été nommés par un arrêté du Premier ministre et duministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire73. Le CNL a ensuite étéofficiellement installé par le Premier ministre et a tenu sa première réunion le13juillet 2006, au cours de laquelle les vingt et un membres de sa commissionpermanente ont été élus. Lors de sa réunion du 24 octobre 2006, la commissionpermanente du CNL a créé en son sein des groupes de travail sur les thèmes dusuivi de la loi « littoral », de la «gestion intégrée des zones côtières», desrisques, et des énergies renouvelables dont les premières réflexions devraient êtrerendues publiques au début de l'année 200874.

71. Nouvel article 43 de la loi « littoral », inséré par l'article 235 de la loi n° 2005-157 du23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, JO n° 46 du 24 février 2005p. 3073.72. Décret n° 2005-1426 du 18 novembre 2005 relatif à la composition et au fonctionnement duConseil national du littoral, JO du 19novembre 2005, p. 18026.73. Arrêté du 26 juin 2006 portant nomination au Conseil national du littoral, JO du 27 juin 2006,p. 9637.74. Procès-verbal de la réunion de la Commission permanente du Conseil National du Littoral du24 octobre 2006 ; disponible sur www.diact.gouvjr.

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Le second niveau autour duquel s'organise le nouveau cadre de la politique dulittoral est le niveau régional, où selon le CIMER du 16 février 2004, doit semettre en œuvre « la cohérence territoriale, conduite par le couple État-Région(déclinaison des orientations nationales, cadre contractuel, cohérence entreprojets intégrés, entre littoral et arrière-pays ainsi que mise en œuvre de certainesopérations d'aménagement d'intérêt nationaF5). »

Lors du CIADT du 14 septembre 2004, le Gouvernement a précisé quel'objectif à ce second niveau est de «décliner de façon cohérente les objectifsnationaux en tenant compte des spécificités propres à chaque façade maritime età chaque littoral» et que cette « déclinaison régionale doit associer, aux côtés del'État et des collectivités territoriales, les grandes agglomérations, ainsi que lesprincipaux acteurs économiques et associatifs du littoraF6. » Au-delà de la miseen place par l'État de missions d'aménagement du littoral en Languedoc-Roussillon et en Aquitaine, cette déclinaison s'est jusqu'à présent principalementmatérialisée dans les Contrats de projets État-Région signés pour la période2007-2013, plusieurs «objectifs », «axes », «priorités» ou «grandsprojets» des CPER des régions Nord-Pas-de-Calais, Bretagne, Aquitaine,Languedoc-Roussillon, et PACA étant spécifiques au littoral, voire à la GIZC.

Le niveau local est le troisième et dernier niveau autour duquel s'organise lenouveau cadre de la politique du littoral. C'est peut-être le plus important carc'est là que doivent se conduire les « projets intégrés au sein de structures localesde gestion et de régulation des usages, en s'appuyant chaque fois que possible surles outils existants (Pays, SCOT, SMVM) et en s'attachant à leur articulationplus étroite »77. Si le CIADT du 14 septembre 2004 a précisé que «c'est auniveau local que peuvent prendre place la définition et la mise en œuvre deprojets détaillés de territoire, autour de principes et de structures favorisant unegestion opérationnelle et pérenne de l'espace littoral» 78,il a surtout annoncé lelancement d'un appel à projets sur la GIZC dans le cadre duquel 25 initiativeslocales ont été labellisées et soutenues financièrement par l'État.

B. L'appel à projets pour un développement des territoires littorauxpar une « gestion intégrée des zones côtières»

L'appel à projets pour un développement des territoires littoraux par une« gestion intégrée des zones côtières» a été annoncé par le Gouvernement lorsdu CIADT du 14 septembre 2004 qui a en grande partie été consacré au littoral etau cours duquel de très nombreuses mesures ont été arrêtées en faveur de cetespace. Avant de s'intéresser à cet appel à projets, il est important de préciser que

75. Secrétariat général de la mer, « Dossier de presse du Comité interministériel de la mer du16 février 2004 », précité.76. Datar, Dossier de presse du Comité interministériel d'aménagement et de développement duterritoire du 14 septembre 2004, Secrétariat d'État à l'Aménagement du Territoire, 2004, p. 28.77. Secrétariat général de la mer, Dossier de presse du Comité interministériel de la mer du 16février 2004, précité.78. Datar, Dossier de presse du ClADT du 14 septembre 2004, précité, p. 30.

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ce CIADT s'inscrit explicitement dans le prolongement de celui du 9 juillet 2001,des recommandations de la Commission du littoral du CNADT, et des CIMER de2003 et de 2004 que nous venons d'évoquer.

Après avoir rappelé que le littoral français est de plus en plus attractif et estconfronté aux risques du tout automobile, du tout résidentiel et du tout tourisme,le CIADT du 14 septembre 2004 souligne que « pour être pleinement efficace, lapolitique du littoral doit s'appuyer sur des démarches partenariales, concertées etcontractuelles, élaborées au niveau local le plus pertinent» et que cette« nouvelle politique du littoral doit tendre vers une gestion intégrée des zonescôtières ». Cette approche s'appuie sur de «nouveaux principes d'actionpublique» que sont « l'intégration accrue des politiques publiques, traitant dansune même logique les problématiques terrestre et maritime autour des objectifsde gestion à long terme », une « approche plus différenciée des territoires, tenantcompte de leurs spécificités », une « recherche de projets de territoire élaborés àune échelle pertinente », un «processus de décision fondé sur la connaissancefine des territoires et une observation précise des écosystèmes, une analyseprospective des impacts potentiels des décisions et une évaluation en continu deleurs effets» et une « démarche fondée sur de réels mécanismes participatifs enamont de la prise de décision, afin d'en garantir l'efficacité »79.

Si l'appel à projets est un des chantiers que le Gouvernement entend conduirepour mettre en œuvre une politique renouvelée d'aménagement du littoral, ils'appuie également sur les politiques sectorielles existantes, car « une approcheintégrée du développement du littoral repose pour une grande part sur lacoordination des politiques sectorielles, dont il convient d'afficher clairement lesobjectifs et les moyens» 80. Une quarantaine de mesures visant à mieux protégeret gérer les espaces naturels et la biodiversité, à prévenir et maîtriser les risques,à mieux accueillir la population, à promouvoir une économie littorale diversifiée,à favoriser les atouts du transport maritime et à mettre au service du littoral lepotentiel de formation et de recherche maritime ont ainsi été arrêtées par leCIADT du 14 septembre 2004.

Une des autres mesures importantes annoncées lors de cette réunion concernecomme nous l'avons indiqué le lancement d'un appel à projets national pour undéveloppement équilibré des territoires littoraux par une « gestion intégrée deszones côtières ». Le CIADT a affecté 1,5 M. d'euros à cette démarche qui vise« à encourager les expérimentations de terrain autour de projets concrets» et « àfaire émerger de manière pragmatique des pratiques adaptées aux territoires,assurant une articulation entre terre et mer, entre littoral et arrière-pays.» LeGouvernement a également précisé à cette occasion que cet appel à projets allaits'adresser à la fois aux collectivités territoriales et aux acteurs socio-économiques agissant en partenariat avec elles, et plus particulièrement auxgroupements de collectivités constitués en structure de projet81.

79. Datar, Dossier de presse du CIADT du 14 septembre 2004, précité, p. 23.80. Datar, Dossier de presse du CIADT du 14 septembre 2004, précité, p. 33.81. Ibidem, p. 30.

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L'appel à projets, dont le pilotage a été confié à la Datar et au Secrétariatgénéral de la mer, a été lancé le 17 janvier 2005 avec la publication d'un cahierdes charges à l'attention des futurs candidats et d'une circulaire adressée par leDélégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale et le Secrétairegénéral de la mer aux préfets des régions littorales et aux préfets maritimes.

L'objectif de cette circulaire était de préciser les conditions de mobilisationdes représentants et des services de l'État qui ont été appelés à jouer un rôleessentiel dans le processus d'information sur cet appel à projets, l'appui auxcandidats et dans la sélection et le suivi de l'expérimentation des projetsretenus82. Il a notamment été demandé aux préfets de «veiller à la prise encompte dans les dossiers déposés de la spécificité de l'appel à projets GIZC :approche conjointe des parts terrestre et marine du littoral, prise en comptesimultanée des écosystèmes naturels et des phénomènes d'origine anthropique,articulation des activités économiques, gestion des usages, analyse desproblématiques essentielles du territoire (habitat permanent et saisonnier,développement des activités maritimes, gestion des espaces naturels, gestion del'eau.. .), association de tous les acteurs concernés (État, différents niveaux decollectivités, professionnels, acteurs économiques, citoyens), approche globale etperspective de long terme83. »

Suite au dépôt de quarante-neuf dossiers de candidature84, et sur la base desavis formulés par le Comité national de sélection mis en place par la Datar et leSGMer et des propositions du ministre délégué à l'Aménagement du territoire, lePremier ministre a arrêté le 22 août 2005 la liste des 25 projets retenus85. Ceux-ciont obtenu un financement de 60000 euros de la part de l'État et ont bénéficiéd'un appui technique des services de l'État et scientifique d' Ifremer. Un siteInternet et un réseau d'échange d'expériences via une lettre d'information ontégalement été mis en place et trois journées nationales réunissant les porteurs deprojets, des scientifiques et des représentants de l'État ont été organisées entremars 2005 et mars 200686. Ajoutons que lors du CIADT du 3 septembre 2003, le

82. Pour une analyse de cette circulaire et du cahier des charges qui y est annexé, voirO. LOZACHMEUR,« Le concept de "gestion intégrée des zones côtières" en droit international,communautaire et national », Droit Maritime Français, n° 657, 2005, p. 271 à 274.83. Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale et Secrétaire général de la mer,« Circulaire du II janvier 2005 relative à la mise en œuvre de l'appel à projets pour undéveloppement équilibré des territoires littoraux par une gestion intégrée des zones côtières »,Datar et SGMER, 2005, 3 p. + annexes, disponible sur www.diact.gouvjr.84. Une analyse très fme de ces dossiers et de cette procédure a été réalisée parC. MEuR-FÉREc. Voir notamment C. MEUR-FÉREc, « De la dynamique naturelle à la gestionintégrée du littoral: un itinéraire de géographe », Habilitation à diriger des recherches,Géographie, Université de Nantes, 2006, p. 183 ; disponible sur http://tel.ccsd.cnrsjr.85. Parmi ces projets citons ceux du Syndicat Mixte de la Côte d'Opale, du GIP Seine-Aval, de labaie du Mont Saint-Michel, du conseil régional de Bretagne, du Pays de Brest, du Pays de Lorient,du Pays de Marennes Oléron, du PNR de la Narbonnaise, du PNR de Camargue, de la CU deMarseille, de la CA de Nice et de la Riviera fTançaise et du conseil général de la Haute-Corse. Pourles DOM-TOM, citons les projets de Marie-Galante, de la baie du Robert en Martinique, de laGuyane et de la Réunion.86. Voir www.territoires-littoraux.com et www.diact.gouvjr, rubrique « dossiers» puis « littoral ».

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Gouvernement avait décidé d'apporter son appui à un premier projet local fondésur une approche de GIZC situé en baie de Bourgneuf(Vendée)87.

Les premiers résultats de cet appel à projets qui a pris fin en avril 2007montrent que le concept de GIZC reste mal maîtrisé, tant au niveau local qu'ausein des services de l'État, qui n'ont pas toujours apporté leur soutien à ladémarche (notamment dans le cadre du projet de la région Bretagne). Malgré unefaible intégration terre-mer au sein des projets, on note cependant qu'un soutienaux projets de GIZC est désormais inscrit dans les CPER de plusieurs régionslittorales pour la période 2007-201388. Cet appel à projets a toutefois permis dediffuser, d'expérimenter et d'approfondir au niveau local, régional et national lesnouveaux principes de la politique du littoral fondée sur une approche de GIZC.

Comme celui du 9 juillet 2001, le CIADT du 14 septembre 2004 marque uneétape importante dans la définition et la mise en œuvre de la politique du littoralen France. Toutefois, comme le Gouvernement l'a rappelé lors de cette réunion,« la loi "littoral", qui a fixé en 1986 des principes permettant de concilier lapréservation des espaces naturels et la mise en valeur du littoral, demeure unoutil majeur pour l'avenir du littoral »89. Si son application au cours des vingtdernières années a été marquée par l'absence de textes réglementairesd'application, pas moins de quatre décrets, trois circulaires et d'une plaquetted'explication de 50 pages ont été publiés depuis 2004 pour préciser, expliquer etéclaircir les modalités de mise en œuvre de la loi« littoral ».

IV. La publication de décrets et de circulaires d'application de laloi« littoral» dix-huit ans après son adoption

Alors que jusqu'en 2004, seuls deux des neuf décrets d'application prévus parles articles 2 à 30 de la loi« littoral» avaient été publiés, cinq de ces textes l'ontété depuis 2004... En outre, et comme nous l'avons précédemment évoqué, lesdispositions de l'un de ces deux décrets90 ont en outre été presque totalementréécrites par le décret n° 2004-310 relatif aux espaces remarquables du littoral quia modifié les articles R.146-1 et R.146-2 du Code de l'urbanisme91. Lesdispositions de ce décret ont fait l'objet de la première92 des trois circulairesrelatives à la loi « littoral» publiées entre septembre 2005 et juillet 2006, alors

87. Voir O. LOZACHMEUR,« Le concept de "gestion intégrée des zones côtières" en droitinternational, communautaire et national », précité.88. Voir supra.89. Datar, Dossier de presse du CIADT du 14 septembre 2004, précité, p. 22.90. Décret n° 89-694 du 20 septembre 1989 portant application de dispositions du Code del'urbanisme particulières au littoral et modifiant la liste des catégories d'aménagements, d'ouvrageset de travaux devant être précédés d'une enquête publique, JO du 26 septembre 1989, p. 12130.91. Décret n° 2004-310 du 29 mars 2004 relatif aux espaces remarquables du littoral et modifiantle Code de l'urbanisme, JO n° 76 du 30 mars 2004, p. 6081.92. Circulaire UHC/PSl n° 2005-57 du 15 septembre 2005 relative aux nouvelles dispositionsprévues par le décret n° 2004-310 du 29 mars 2004 relatif aux espaces remarquables du littoral etmodifiant le Code de l'urbanisme, précitée.

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que seules deux circulaires étaient précédemment venues préciser les modalitésd'application de ce texte en 1989 et 199193.

Avant d'évoquer ces textes, il convient de rappeler qu'afin de desserrer descontraintes issues de ce qu'ils considèrent comme une application trop stricte dela loi« littoral », des parlementaires sont parvenus à faire ajouter deux alinéas àl'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme à l'occasion du vote de la loi DTR du23 février 2005. Le premier énonce que « les dispositions du premier alinéa (del'article L. 146-4) ne font pas obstacle à la réalisation de travaux de mise auxnormes des exploitations agricoles, à condition que les effluents d'origineanimale ne soient pas accrus.» L'objectif de cet alinéa est de permettre auxagriculteurs de s'affranchir de l'application de la règle posée par l'article L. 146-4-1, qui prévoit que l'urbanisation ne peut être réalisée qu'en continuité desvillages existants, lorsqu'ils souhaitent construire une fosse à lisier ou une stationd'épuration au sein d'une exploitation isolée d'un village au sens de la loi« littoral» 94 .

Le second alinéa énonce que «les dispositions des II et III (de l'articleL. 146-4) ne s'appliquent pas aux rives des étiers et des rus, en amont d'unelimite située à l'embouchure et fixée par l'autorité administrative dans desconditions définies par un décret en Conseil d'État.» Encore une fois, cettemodification de la loi « littoral» a été réalisée pour répondre à un problèmeposé sur une commune suite à une décision du juge administratif que les élusjugent trop « protectrice ». En l'occurrence, le juge administratif a considéréque le fait que les eaux de la mer remontent par le lit d'un ru à l'intérieur duterritoire d'une commune faisait« reculer» la limite du rivage de la mer à partirde laquelle est calculée la bande des 100 mètres, ce qui soumettait de nouveauxterrains aux dispositions strictes de l'article L. 146-4- II et III du Code del'urbanisme95. Cette modification de la loi « littoral », qui pourrait apparaîtrecomme mineure, risque toutefois de permettre l'urbanisation le long desnombreux rus des rias et des rivières de certaines régions comme la Bretagne oules Pays de Loire. En outre, et contrairement aux décrets que nous allonsmaintenant évoquer, le décret en Conseil d'État prévu par cet alinéa, qui pourraitlimiter le champ d'application de cette dérogation, n'a toujours pas été publié96...

93. Circulaire n° 89-56 du 10 octobre 1989 relative au renforcement de la politique nationale depréservation de certains espaces et milieux littoraux et note technique annexée, BOMEL, n° 89/34;abrogée par la circulaire UHCIPSI n° 2005-57 du 15 septembre 2005 et Instruction du 22 octobre1991 relative à la protection et à l'aménagement du littoral, Code permanent construction eturbanisme, Éditions Législatives, Tome Il, Feuillet 159.94. Sur la définition d'un village dans le cadre de la loi « littoral », voir la circulaire UHC/DUln° 2006-31 du 14mars 2006 relative à l'application de la loi littoral évoquée au point suivant.95. Cour administrative d'appel de Nantes, 26 décembre 2003, Association « Les amis du paysentre Mès et Vilaine», n° 03NT01231.96. Voir S. Le BRIERO,« Les modifications apportées par la DTR au droit du littoral »,Environnement, LexisNexis, juin 2005, p. 9-13.

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A. Les décrets pris en application de la loi « littoral»en 2004 et 2006

Avant d'évoquer les circulaires parues en 2006, précisons que le décretn° 2004-310 du 29 mars a été accompagné de trois autres textes, dont deux sontdes décrets d'application de la loi « littoral ». Le premier a été pris enapplication de l'article 26 de la loi « littoral» et concerne la procédure dedélimitation du rivage de la mer, des lais et relais de la mer et des limitestransversales de la mer à l'embouchure des fleuves et rivières97.

Ce texte prévoit notamment que le préfet prend l'arrêté de délimitation, saufavis défavorable du commissaire-enquêteur, et propose une liste de critères pourdélimiter le rivage de la mer (critères topographiques, critères morpho-sédimentaires et botaniques, critères historiques). Contrairement à ce que prévoitl'article 26 de la loi « littoral », le décret ne mentionne toutefois pas devéritables procédés scientifiques comme l'interprétation des photographiesaériennes, les observations satellites ou la modélisation des marées98...

Le second fixe la liste des communes riveraines des estuaires et des deltasconsidérés comme littoraux en application de l'article L. 321-2 du Code del'environnement et la liste des estuaires les plus importants au sens du IV del'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme, ces deux articles codifiant certainesdes dispositions des articles 2 et 3 de loi « littoral »99. En l'absence de décretsd'application de ces deux articles, le Conseil d'État avait considéré que leurpublication constituait une obligation et avait enjoint l'État de les publier dans undélai de six mois, sous peine d'une astreinte de 152 euros par jour de retard, cedélai ayant expiré au mois de février 2001100. Au final et à la suite de lapublication du décret n° 2004-311, 87 communes estuariennes sont désormaisconsidérées comme des« littorales» et doivent donc appliquer les dispositionsd'urbanisme spécifiques au littoral à l'exception pour certaines des paragraphesII et III de l'article L. 146-4 qui ne concernent que les communes riveraines desestuaires de la Seine, de la Loire et de la GirondeI01. Grâce à ce décret, le champd'application de la loi « littoral» a été donc précisé et étendu, même si la liste

97. Décret n° 2004-309 relatif à la procédure de délimitation du rivage de la mer, des lais et relaisde la mer et des limites transversales de la mer à l'embouchure des fleuves et rivières, JO n° 76 du30 mars 2004, p. 6079.98. 1-M. BÉCET, « Quelques réflexions à propos de quatre nouveaux décrets sur le littoral », DroitMaritime Français, n° 648, 2004, p. 466.99. Décret n° 2004-311 fixant la liste des communes riveraines des estuaires et des deltasconsidérées comme littorales en application de l'article L. 321-2 du Code de l'environnement et laliste des estuaires les plus importants au sens du IV de l'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme,JO du 30 mars 2004, p. 6082.100. Conseil d'État, 28 juillet 2000, France-Nature-Environnement, n° 20424, Droit del'environnement, n° 82, octobre 2000, note L. LE CORRE.101. En application du IV de l'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme, qui énonce que « lesdispositions des paragraphes TI et III de cet article s'appliquent aux rives des estuaires les plusimportants dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État », l'article 2 du décret n° 2004-311 aprécisé que celle-ci comprenait les estuaires de la Seine, de la Loire et de la Gironde.

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des «nouvelles» communes littorales et la liste des estuaires les plus importantsauraient pu être plus longues102.

À la suite de la publication de ces trois décrets le 29 mars 2004, auxquels ilconvient de rajouter le décret du même jour relatif aux concessions d'utilisationdu domaine public maritime en dehors des ports103, le Gouvernement a égalementpublié en 2006 le décret relatif aux concessions de plage prévu par l'article 30 dela loi « littoral» et le décret prévu par l'article L. 146-6-1 du Code del'urbanisme. Si l'article 30 de la loi « littoral» énonce que « l'usage libre etgratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages au mêmetitre que leur affectation aux activités de pêche et de cultures marines », il prévoitque des concessions de plage peuvent être accordées par l'État sur le domainepublic maritime. Ces concessions doivent préserver « la libre circulation sur laplage et le libre usage par le public d'un espace d'une largeur significative tout lelong de la mer» et tout « contrat de concession doit déterminer la largeur de cetespace en tenant compte des caractéristiques des lieux» HM.

Vingt ans après l'adoption de cet article, le décret n° 2006-608 du 26 mai2006 relatif aux concessions de plage est venu préciser que ces concessionsdoivent avoir «pour objet l'aménagement, l'exploitation et l'entretien deplages ». Il ajoute que « le concessionnaire est autorisé à occuper une partie del'espace concédé, pour y installer et exploiter des activités destinées à répondreaux besoins du service public balnéaire» et que ces « activités doivent avoir unrapport direct avec l'exploitation de la plage et être compatibles avec le maintiende l'usage libre et gratuit des plages, les impératifs de préservation des sites etpaysages du littoral et des ressources biologiques ainsi qu'avec la vocation desespaces terrestres avoisinants. »

En plus des principes énoncés par le législateur en 1986, les concessionsaccordées sur les plages doivent respecter des règles de fond fixées par l'article 2du décret du 26 mai 2006. Ainsi, un «minimum de 80 % de la longueur durivage, par plage, et de 80 % de la surface de la plage, dans les limitescommunales, doit rester libre de tout équipement et installation », sauf dans lecas d'une plage artificielle où « ces limites ne peuvent être inférieures à 50 % ».Par ailleurs, « seuls sont permis sur une plage les équipements et installationsdémontables ou transportables, ne présentant aucun élément de nature à lesancrer durablement au sol. » Les équipements et installations implantés doiventenfin « être conçus de manière à permettre, en fin de concession, un retour du siteà l'état initial» et leur « localisation et leur aspect doivent respecter le caractèredes sites et ne pas porter atteinte aux milieux naturels» 105.

102. J.-M. BÉCET, « Quelques réflexions à propos de quatre nouveaux décrets sur le littoral »,précité, p. 463.103. Décret n° 2004-308 du 29 mars 2004 relatif aux concessions d'utilisation du domaine publicmaritime en dehors des ports, JO du 30 mars 2004, p. 6078.104. Cet article est devenu l'article L. 321-9 du Code de l'environnement.105. Décret n° 2006-608 du 26 mai 2006 relatif aux concessions de plage, JO du 28 mai 2006,p. 7981. Voir J. LACROUTS,« Commentaire du décret n° 2006-608 du 26 mai 2006 relatif auxconcessions de plage », Revue juridique de l'environnement, n° 3/2007, p. 325-333.

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Le dernier décret en date pris en application de la loi« littoral» concerne lesschémas d'aménagement prévus par l'article L. 146-6-1 du Code de l'urbanisme,article qui a été inséré par l'article 42 de la Loi SRU du 13 décembre 2000. Cetarticle énonce qu'afin de « réduire les conséquences sur une plage et les espacesnaturels qui lui sont proches de nuisances ou de dégradations sur ces espaces,liées à la présence d'équipements ou de constructions réalisés avant l'entrée envigueur de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, une commune ou, le cas échéant, unétablissement public de coopération intercommunale compétent peut établir unschéma d'aménagement. »

Cet article ajoute qu'afin de

«réduire les nuisances ou dégradations mentionnées au premier alinéa etd'améliorer les conditions d'accès au domaine public maritime, il peut, à titredérogatoire, autoriser le maintien ou la reconstruction d'une partie deséquipements ou constructions existants à l'intérieur de la bande des cent mètresdéfinie par le III de l'article L. 146-4 dès lors que ceux-ci sont de nature àpermettre de concilier les objectifs de préservation de l'environnement etd'organisation de la fréquentation touristique. »

C'est toutefois l'État qui approuve le schéma d'aménagement par décret enConseil d'État après enquête publique et avis de la commission des sites.106.

Avant d'évoquer les précisions apportées par le décret du 23 décembre 2006,il convient de s'étonner de la place et de la numérotation de cet article dans leCode de l'urbanisme, qui laisse à penser qu'il complète l'article L. 146-6. Or la« rédaction de l'article L. 146-6-1 déconnecte celui-ci de l'article L. 146-6» carles «espaces remarquables ou caractéristiques n'apparaissent pas en jeu» 107

puisque l'article L. 146-6-1 concerne certaines plages et les espaces naturels quilui sont proches. Il convient surtout d'ajouter que la seule fonction de l'articleL. 146-6-1 est de tenter de répondre aux problèmes posés par la réhabilitation dela plage de Pampelonne qui a été annulé par le juge administratif sur la base del'article L. 146-6108. Comme le souligne très justement R. Romi, le résultat del'adoption de cet article est donc «bel et bien la possibilité pour l'État delégaliser des paillotes» 109.

Quant au décret, il introduit un article R. 146-3 dans le Code de l'urbanismequi précise que le schéma d'aménagement doit comporter, «pour le territoirequ'il délimite, une analyse de l'état initial du site, portant notamment sur lespaysages, les milieux naturels, les conditions d'accès au domaine publicmaritime et les équipements. » Le schéma doit également définir les « conditionsd'aménagement des plages et des espaces naturels qui leur sont proches ainsi que

106. Article L. 146-6-1 du Code de l'urbanisme.107. J.-M. BÉCET, « L'article L. 146-6-1 du Code de l'urbanisme », Droit Maritime Français,

n° 617, 2001, p. 635.108. CCA Marseille, 20janvier 2000, Commune de Ramatuelle, n° 97MA01046 et 97MA01164.109. R. RaMI, « Verre à moitié plein ou verre à moitié vide: égalisation des paillotes oudéveloppement durable? », Droit de l'Environnement, n° 86, 2001, p. 53.

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les modalités de desserte et de stationnement des véhicules », justifier « les partisd'aménagement retenus» et évaluer« leur incidence sur l'environnement »110.

Le décret introduit également un article R. 146-4 qui précise la procédured'adoption du schéma, qui est arrêté par le conseil municipal ou l'organedélibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétenten matière de plan local d'urbanisme et qui est soumis à l'enquête publique par lepréfet avec l'avis de la commission départementale compétente en matière denature, de paysages et de sites. Il est ensuite approuvé par décret en Conseild'État et annexé au plan local d'urbanisme s'il existe, le tout au terme d'uneprocédure extrêmement lourde et qui risque de ce fait d'être peu mise en œuvre.

B. Les circulaires d'application de la loi «littoral» publiées en 2006

En plus de l'approbation des décrets sur les concessions de plage et lesschémas d'aménagement prévus par l'article L. 146-6-1 du Code de l'urbanisme,l'année 2006 a également été marquée par la publication de deux circulaires etd'une plaquette relative à l'application de la loi « littoral ». La première, datée du14 mars 2006 et relative à l'application de la loi « littoral », était attenduedepuis le vote de cette loi, les élus et la doctrine ayant très souvent regretté quel'État n'ait pas pris le soin de préciser les principales notions présentes dans cetexte. De fait, la circulaire reconnaît que certaines dispositions de la loi« présentaient des difficultés d'interprétation et d'application et qui pouvaientêtre source d'insécurité pour les opérations d'aménagement ou de construction»et que son objet est donc de « préciser les concepts essentiels de la loi en matièred'urbanisme, en rappelant les objectifs fondamentaux poursuivis par lelégislateur, éclairés par la jurisprudence la plus récente du Conseil d'État» Ill.

D'une certaine manière tout le problème est là, l'État a attendu que ces conceptssoient clarifiés par la jurisprudence pour en préciser le contenu; alors qu'il auraitété souhaitable qu'il le fasse avant, quitte à ce que par la suite la jurisprudencecorrige son interprétation.

La circulaire du 14 mars 2006 traite donc pour l'essentiel des problèmes poséspar l'urbanisation dans les communes riveraines de la mer, à l'exception de laquestion des espaces protégés au titre de l'article L. 146-6 qui fait l'objet de lacirculaire du 15 septembre 2005. Elle précise ainsi la notion d'espaces prochesdu rivage, la différence entre extension de l'urbanisation et constructionnouvelle, la notion d'agglomération, de village existant et de hameau nouveau.

À propos par exemple de la notion d'espaces proches du rivage, la circulaireprécise que lorsqu'elles doivent procéder à leur délimitation dans le cadre del'élaboration de leur schéma de cohérence territoriale ou de leur plan locald'urbanisme, les collectivités territoriales doivent «prendre en compte

110. Décret n° 2006-1741 du 23 décembre 2006 relatif aux schémas d'aménagement prévus parl'article L. 146-6-1 du Code de l'urbanisme, JO du 30 décembre 2006, p. 20089.Ill. Circulaire UHC/DUI n° 2006-31 du 14mars 2006 relative à l'application de la loi littoral,Bulletin officiel du ministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer, n° 2006-8, p. 522.

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l'ensemble des circonstances qui permettent de caractériser les espaces concernéstelles que la distance par rapport au rivage de la mer, le caractère urbanisé ou nondes espaces séparant les terrains de la mer, l'existence d'une covisibilité entre lessecteurs concernés et la mer, l'existence d'une coupure physique (voie de cheminde fer, autoroute, route)... » Elle ajoute que cette « analyse doit reposer sur uneapproche géographique concrète» et ne peut en aucun cas « être fondée sur laprise en compte d'un critère unique» comme la distance du rivage parexemple 112.

Sans qu'il soit ici possible de présenter l'ensemble des dispositions de cettecirculaire, il convient de souligner l'intérêt de ce texte dont les dispositions ontd'ailleurs été largement reprises dans la plaquette sur la planification del'aménagement, de la protection et de la mise en valeur du littoral publiée parl'État à l'attention des élus et des praticiens en juillet 2006. Ce document insistepar ailleurs sur l'importance des SCOT et explicite les principales notions de laloi« littoral» en déclinant dix objectifs: encadrer l'extension de l'urbanisation,prévoir et encadrer le développement des installations de loisirs, définir lesespaces proches du rivage, préserver la bande des 100 mètres, protéger lesespaces remarquables, ménager des coupures d'urbanisation, préserver les enjeuxenvironnementaux et la biodiversité, préserver les paysages et conforterl'agriculture et prendre en compte les risques113.

Le dernier texte auquel il convient de faire référence est la circulaireinterministérielle du 20 juillet 2006 relative à la protection de l'environnement etdu littoral, qui a été publiée en même temps que la plaquette que nous venonsd'évoquer. Contrairement aux circulaires du 15 septembre 2005 et du 14 mars2006, ce texte a été signé par le ministre des Transports, de l'Équipement, duTourisme et de la Mer et par la ministre de l'Écologie et du DéveloppementDurable qui à l'occasion du 20e anniversaire de la loi « littoral », ont souhaitéattirer l'attention des préfets sur la nécessité d'appliquer cette loi avec rigueur etvolontarisme. La circulaire du 20 juillet 2006 a ainsi pour « objet de remettre lesobjectifs de la loi en perspective, au regard des politiques nationales eteuropéennes en matière de protection et de préservation de l'environnement engénéral, et de l'environnement littoral en particulier. » À cet égard, la circulairene manque pas de faire référence à la Recommandation du Conseil et duParlement européen du 30 mai 2002 sur la GIZC qui comme elle le rappelle,«insiste sur une protection du milieu côtier préservant l'intégrité desécosystèmes littoraux et sur la nécessité d'un contrôle de l'urbanisation »114.

112. Circulaire UHCIDU1 n° 2006-31 du 14 mars 2006 relative à l'application de la loi littoral. Lacirculaire s'inspire ici d'un arrêt du Conseil d'État du 3 mai 2004, Mme Barrière, n° 251534.113. Ministère des Transports, de l'Équipement, de Tourisme et de la Mer et ministère del'Écologie et du Développement Durable, « Planifier l'aménagement, la protection et la mise envaleur du littoral », Direction générale de l'Urbanisme, de l'Habitat et de la Construction, 2006,52 p.114. Ministre des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer et ministre de l'Écologieet du Développement Durable, « Circulaire du 20 juillet 2006 relative à la protection de('environnement et du littoral », Bulletin officiel du MEDD, n° 6-14,2006.

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Les quatre thèmes développés par la circulaire portent sur le renforcement del'application des dispositions de la loi « littoral» en matière de protection del'environnement, la nécessaire préservation des paysages, la conservation desterres agricoles et le maintien de l'agriculture, et la prévention des risques. Sansqu'il soit encore une fois ici possible de développer entièrement ces différentspoints, il est important de noter que pour la première fois dans un texte de cetype, il est demandé aux préfets et aux services de l'État d'appliquer ladimension paysagère de la loi « littoral» « non seulement depuis la terre, maiségalement depuis la mer ». Si la circulaire rappelle également l'importance desdispositions de l'article L. 146-6 pour assurer notamment la protection des sitesNatura 2000 et Ramsar, elle évoque explicitement et assez longuement laquestion des risques qui est un thème nouveau dans un texte d'application de laloi « littoral».

À cette occasion la circulaire fait une nouvelle fois référence à laRecommandation européenne du 30 mai 2002 et indique que « les dispositionsd'urbanisme de la loi littoral, si elles sont correctement appliquées, peuventfaciliter la prévention et la diminution du coût des inondations et l'adaptation auxconséquences du changement climatique» car elles « permettent de renforcer lamaîtrise de l'urbanisation en zone côtière soumise à un risque naturel. » L'articleL. 146-4 III du Code de l'urbanisme permet en effet aux collectivités d'étendre lazone inconstructible en dehors des zones urbanisées au-delà de 100 mètres,lorsque des motifs liés à la sensibilité des milieux ou à l'érosion des côtes lejustifient. Les préfets sont donc invités à «inciter les communes à mieuxexploiter cette possibilité », qui « devra être systématiquement envisagée dans lesschémas de mise en valeur de la mer, les directives territoriales d'aménagementet, le cas échéant, les chapitres individualisés des schémas de cohérenceterritoriale valant SMVM.» Enfin, il est demandé aux préfets «d'engagerprioritairement l'élaboration des plans de prévention des risques en fonction desenjeux recensés sur le littoral (érosion, submersion, inondation...)>> et dedévelopper des plans de prévention multirisques « permettant de traiter à la foisdes thématiques inondation (dont submersion marine) et mouvement de terrains(dont érosion côtière) »115.

Avec ses références à la Recommandation du Conseil et du ParlementEuropéen du 30 mai 2002 relative à la mise en œuvre d'une stratégie de gestionintégrée des zones côtières en Europe la GIZC, la circulaire du 20 juillet montreque l'application de la loi « littoral» s'inscrit parfaitement dans le nouveaucadre de la politique du littoral défini depuis 2001, et plus encore depuis 2004,par les pouvoirs publics français. Il aurait évidemment fallu évoquer dans laprésente communication les réflexions menées par la Commission européennesur la mise en œuvre d'une politique maritime intégrée par l'Union européenne,parler de l'important rapport intitulé « Une ambition maritime pour la France»

115. Circulaire du 20 juillet 2006 relative à la protection de l'environnement et du littoral, précitée,point 4.

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publié en 2006116,du nouveau parc marin d'Iroise et des aires marines protégées,de la politique de l'eau sur le littoral, ainsi que des pistes ouvertes par le Grenellede l'environnement en faveur de la mer et du littoral... Ce sera pour un autreséminaire. . .

PS : depuis le séminaire du 1er juin 2007 au cours duquel cette communicationa été présentée, le second bilan de la loi « littoral» a été publié par leGouvernement en octobre 2007.

(Voir www.lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr) et le SMVM du Trégor-Goëlo - initié en 1987 - a été adopté le 3 décembre 2007.

116. Centre d'analyse stratégique et Secrétariat général de la mer, « Une ambition maritime pour laFrance », Rapport du groupe Poséidon, Premier ministre, Paris, 2006, 160 p.

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LE DÉVELOPPEMENT DURABLEET LA GESTION DES ESPACES MARITIMES

L'estuaire de la Loire, un territoire mal identifié,un patrimoine insuffisamment géré

André-Hubert MESNARD*

L'estuaire de la Loire existe, c'est une évidence: nous l'avons tous rencontré,même si, pour les juristes, c'est un objet mal identifié. Qu'importe, dirontcertains géographes, le droit devra se plier à la réalité, et donc la reconnaître. Cen'est pas aussi simple car la réalité n'est pas que physique, et l'environnementhumain est aussi fait de collectivités, d'institutions, de territoires administratifs etpolitiques plus ou moins structurés et contraignants, qui s'imposent à l'estuaire.

Le territoire existe, d'une soixantaine de kilomètres de long au moins, d'uneprofondeur variable car le fleuve a sa largeur, des rives, un littoral difficile àlimiter, un arrière-pays. Il sert de passage et de support à toute une région qui vitpar lui et pour lui. D'ailleurs Nantes, pointe et métropole de l'estuaire, estessentiellement un port d'estuaire. À défaut d'institution unique et principale,l'estuaire a une identité qui n'est ni passéiste, ni figée: elle est riche et diverse.Suffisamment riche pour supporter et promouvoir des institutions nouvelles, dontl'évolution est probable sinon programmée (métropole Nantes - Saint-Nazaire,schéma de cohérence territoriale, directive territoriale d'aménagement del'estuaire...) Le patrimoine de l'estuaire est un support important de cette identitéet de cette évolution.

Mais avant d'analyser les aspects de ce patrimoine et les institutions qui leconcernent, et pour animer cette analyse et lui ôter tout aspect figé et passéiste,précisons quelques paradoxes de la réalité estuarienne, de cette « Loire océane»si bellement présentée dans plusieurs plaquettes éditées par « Loire Estuaire»(cellule de mesures et de bilans, financée tout à la fois par l'Agence de l'eau, lePort de Nantes-Atlantique, la région, Nantes Métropole, Voies navigables deFrance, le département de la Loire atlantique, l'Europe, la CCI... . Cetteénumération permet de se faire une idée de l'intérêt partagé par tous pourl' estuaire).

* CDMO

.. Mais (première question), la Loire océane est-elle plus longue quel'estuaire? celui-ci va-t-il plus loin que le premier pont, obstacle à lanavigation maritime? et va-t-il plus loin que la marée, au-delà d'Ancenis?

.. Et puis (deuxième question), l'estuaire n'est-il qu'un linéaire fluvial?quelle est son épaisseur?

.. Les questions et les paradoxes se bousculent... Peut-on, d'entrée de jeu, lesétudier sans trop en oublier?

1. Questions et paradoxes

Ces grandes questions portent sur la définition du territoire estuarien, sur sesfonctions et les activités qui s'y déroulent, et donc aussi sur la nature et lecontenu du patrimoine qui lui donne son identité.

A. La définition du territoire estuarien

C'est un problème de délimitation: qu'est ce que l'estuaire par rapport à lamer, par rapport au littoral, par rapport au fleuve? Ce n'est pas seulement unequestion d'appellation, c'est aussi une question de compétences administratives,territoriales (qui peuvent varier dans ces trois territoires, mer, littoral et fleuve) ;c'est une question de régimes juridiques, donc d'activités et de fonctionnement:la pêche, la navigation ou encore l'extraction de matériaux, sont différents enmer, dans l'estuaire et sur le fleuve, et cela se comprend. Le régime du littoral etdes rives est également distinct en ce qui concerne la propriété (la domanialité) etle droit de l'occupation des sols. Ainsi il a fallu presque vingt ans pour préciser,tout récemment, à quelles communes de l'estuaire s'appliquera la loi littoralprincipalement maritime de 1986. C'est désormais chose faite avec ledécret 2004-311 du 29 mars 2004. Jusque-là le littoral, au sens de la loi, s'arrêtaità l'embouchure de l'estuaire, limite de la mer. Désormais il va beaucoup plusloin, en amont de Montoir et de Donges. Outre ces deux communes il comprenden effet La Chapelle-Launay, Lavau-sur-Loire, Bouée, Frossay, Saint-Viaud,Paimbœuf.

D'autres limites sont importantes et paradoxales:.. La limite de salure des eaux, datant de juillet 1853, est située à Cordemais,

et ne correspond plus du tout à la salure effective des eaux qui se retrouvedésormais en amont de Nantes. C'est important pour le régime de la pêche.La limite de 1853 n'est plus qu'une limite administrative.

.. La limite des Affaires maritimes qui va jusqu'au cœur de Nantes estimportante pour les affaires portuaires et maritimes et pour l'organisationde la navigation maritime, même si celle-ci va en amont de Nantes.

Ainsi le linéaire ligérien est sectionné sur son parcours, ce qui prouve ladifficulté de sa gestion, tout en ajoutant des obstacles complémentaires.

Mais l'estuaire ne saurait être un simple linéaire. Des entités territoriales s'ytrouvent, multiples et superposées (communes, intercommunalités, parcs...).Pour beaucoup de ces entités l'estuaire est une frontière, nord ou sud. Ces

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collectivités participent enfin à une pluralité d'instruments de planification ou decontrôle de l'usage et du droit des sols (Plans locaux d'urbanisme, Schémas decohérence territoriale, chartes de pays ou de parcs naturels.. .). Mais ceux-ci aussisont très généralement bordés par l'estuaire. Seule la nouvelle DTA (directiveterritoriale d'aménagement) est « à cheval» sur l'estuaire. Le SCOT (schéma decohérence territoriale) de la métropole Nantes - Saint-Nazairen'est que pourpartie assis sur les deux rives de l'estuaire, se contentant de le longer par le norddans sa partie ouest.

B. Deuxième source de difficultés et de paradoxes: la diversité et lamultiplicité des fonctions et usages de I J estuaire

Cette diversité explique le caractère composite du patrimoine, voire la rivalitéentre ses différentes composantes. Ce patrimoine estmi-marin/mi- fluvial, mi-urbain/mi-campagnard, mi-naturel/mi-culturel, chacunede ces composantes se subdivisant elle-même. Il y a ainsi un naturel plus oumoins sauvage (le fleuve et certaines îles et rives), et un patrimoine naturelcultivé, planté (haies, forêts, peupleraies.) Quant au patrimoine construit, il va del'habitat traditionnel aux quartiers portuaires. Les cathédrales industriellespeuvent être en friches (hauts fourneaux de Trignac, grues Titan de Nantes), ouencore en activité (les chantiers navals de Saint-Nazaire ou la sucrerie de Beghin-Say à Nantes). L'estuaire est à la fois un lieu de vie, un lieu de passages et unlieu d'exploitations diverses. La vie continue et les passages se multiplient (sitesportuaires, chenal du fleuve, chemins de fer, autoroutes, aéroports, nouvellesvoies express ou de contournement, cheminements plus ou moins doux ettouristiques, le long des rivières et du fleuve). Les exploitations changent(agriculture, ports spécialisés, centrale thermique, industries métallurgiques,agroalimentaires, aéronautiques, toutes plus ou moins dépendantes des transportsfluviaux, maritimes et aériens). Tout cela laisse des traces dans le long terme etappelle des interventions nouvelles et parfois plus ou moins immédiates, pourrépondre à des sollicitations actuelles.

Il faut donc choisir ou composer entre:

- protection ou projets nouveaux;- patrimoine ou activités diverses;- économie ou environnement;- identité héritée ou ouverture à la nouveauté;- territoire local ou échanges globaux;- démocratie locale ou citoyenneté globale.Tout cela se situant dans un milieu, un environnement, la Loire et les

paysages estuariens, qui donnent une certaine continuité à la fois géographique,dans l'espace, et chronologique, dans la durée, que l'on souhaite protéger.

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C. Le temps

Pour déceler le patrimoine estuarien, il faut se mettre en quête de ce qui doitpouvoir rester durable, sinon immuable dans le très long terme, tout en soutenantle niveau de vie des populations. Le temps est bien entendu une dimensionimportante de la politique du patrimoine, sur l'estuaire comme ailleurs.

Mais de quel temps s'agit-il? Il yale temps figé, de l'objet matériel, dans sonétat à un moment donné. Il yale temps continu de ce que l'Unesco appelle lepatrimoine immatériel, bien au-delà du patrimoine figé. De quoi est fait le tempslong de l'estuaire? De quoi est fait son patrimoine immatériel? Au sens del'Unesco (lettre de l'OCIM n° 93 mai-juin 2004). «Ce patrimoine natureltransmis de génération en génération, est recréé en permanence par lacommunauté et les groupes, en fonction de leur milieu, de leur interaction avec lanature, et de leur histoire. » Il est fait de « pratiques, représentations, expressions,connaissances et savoirs faire, ainsi que des instruments, objets, artefacts etespaces culturels qui leur sont associés, que les groupes et, le cas échéant, lesindividus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. »

Le patrimoine est ainsi ce qui relie les générations, au-delà des objets figés dupatrimoine matériel protégé. C'est un patrimoine durable: la navigation, laconstruction navale, la pêche fluviale, l'activité portuaire... font partie de cettehistoire durable de l'estuaire liée à l'eau du fleuve, avec toutes les activités, lesbâtiments, immeubles et meubles qui leur sont associés. Tous sont liés à la Loiredans sa partie estuarienne. Le patrimoine matériel, plus classique, plus figé,témoigne de ce patrimoine immatériel plus fondamental et plus difficile à saisir.Ceci nous amène ainsi à considérer le patrimoine industriel, car de mémoired'homme l'estuaire de la Loire est actif, industrieux et industriel. Cependant cesactivités ont dû composer avec la nature sauvage du fleuve et donc avec l'autrecomposante du patrimoine, le patrimoine naturel.

D. Le patrimoine industriel

Le patrimoine industriel sera délibérément privilégié ici, car d'autrespolitiques se chargent fort bien du patrimoine naturel et des monumentshistoriques et sites, assez nombreux sur l'estuaire de la Loire.

Le patrimoine industriel de l'estuaire, longtemps sous-estimé, peu protégé etnon inventorié, vient enfin de faire l'objet d'une excellente étude par unestagiaire de la DRAC, issue du DESS Villes et Territoires de l'université deNantes, Mlle Annick Dubois. Cette étude repose sur un inventaire assezsystématique (fiches de chaque élément de ce patrimoine industriel), avec sonhistorique, sa typologie, son utilisation (ou non-utilisation) ainsi qu'un projetpatrimonial le concernant. D'ailleurs elle va bien au-delà du simple inventaire(qui représente déjà un travail considérable). On y trouve des éléments chiffrés:29 sites et 52 fiches élaborées alors qu'il n'y a que 15 édifices industrielsprotégés au titre des monuments historiques dans l'ensemble des Pays de laLoire, dont 6 menaçant ruine (ce n'est qu'une procédure d'urgence et desauvegarde, par exemple pour la tour à plomb de Coueron). La répartition du

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patrimoine industriel sur l'estuaire est caractérisée par son imbrication avec lepatrimoine naturel.

Il ressort de cette étude une typologie de ce patrimoine, ainsi que l'importancede ses liens avec l'histoire économique de l'estuaire, de la navigation et ducommerce. Enfin le travail cité étudie la pertinence et les limites des instrumentsde protection étatiques et locaux en matière de gestion du patrimoine industrielde l'estuaire. Ainsi à peine dix ans après le ferraillage de la monumentale grueGusto de Saint-Nazaire, un arrêté ministériel du 27 mai 2005 a classé la grueTitan de Nantes comme monument historique. Cela montre le progrès accompli.Cependant on est encore très loin du compte. Au niveau national seulement 820sites et édifices industriels sont protégés (dont 30 % classés), et il s'agitessentiellement de monuments liés à l'artisanat (moulins) plutôt qu'à l'industrieproprement dite. Ce sont des interventions ponctuelles de sauvegarde, voire desauvetage (grue Titan à Nantes, tour à plomb à Coueron).

Mais les critères du patrimoine industriel commencent à se dégager, grâce autravail de la cellule du patrimoine industriel (section IV) de la commissionsupérieure des Monuments historiques: patrimoine technique et scientifique.

La forme, plus ou moins fonctionnelle, des immeubles industriels, permetdéjà de les distinguer (pour en éliminer certains) entre «l'abri minimum »,«l'enveloppe neutre », qui peuvent déjà avoir un intérêt architectural ouhistorique, « l'enveloppe sur-mesure» (usine Béghin-Say à Nantes), les grues,les formes, les cales beaucoup plus spécifiques, ou encore «l'immeublemachine », comme les hauts fourneaux de Trignac ou les raffineries (assezspectaculaires et dont on imagine mal la reconversion) ou encore la centralethermique de Cordemais.

D'autres critères paraissent plus en rapport avec la spécificité de l'estuaire etont été dégagés dans les travaux déjà cités. Ils permettront de mieux cerner lepatrimoine estuarien.

. Le critère historique en rapport avec le développement technologique,industriel ou social de la région (par exemple les machineries du port deSaint-Nazaire ou du canal de la Martinière, la forme Jean Bart àSaint-Nazaire).

. Le critère quantitatif ou représentatif de l'industrialisation, par exemplepour la construction navale ou la métallurgie.. Le critère de notoriété distinguant les bâtiments remarquables etexceptionnels dus à l'ingéniosité des hommes CI'ancienne forerie à canonsd'Indret, devenue chapelle !).

. Le critère de l'intérêt technologique, attestant d'un procédé ou d'uneinnovation technologique.

On pourrait ajouter des critères plus esthétiques ou symboliques: certainsmonuments sont de véritables amers le long de la Loire: par exemple la tour àplomb de Coueron, véritable phare de 69 m de hauteur, ou encore la grue Titan, àla pointe de l'Île de Nantes.

Ainsi le patrimoine industriel de l'estuaire est abondant et il vientheureusement s'ajouter, se juxtaposer au patrimoine naturel auquel il est

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fondamentalement lié (commerce, constructions navales, métallurgie,importation de matières premières: sucre, charbon, pétrole, gaz, bois...) ; tousont besoin de la Loire, de l'estuaire, du port... tous cohabitent plus ou moinsbien, avec le patrimoine naturel. C'est aux documents d'urbanisme etd'aménagement de rendre cette cohabitation possible.

II. Aspects institutionnels d'une politique du patrimoine estuarien

Il convient d'abord de s'interroger sur la politique d'inventaire, de protection,de gestion, de mise en valeur de ce patrimoine estuarien. Nous en constatons lesinsuffisances. L'inventaire national du patrimoine culturel est très insuffisant,incomplet, peu financé par l'État. Mais il avance, depuis son lancement parAndré Malraux, d'un pas de sénateur, malgré un travail de qualité des raresspécialistes qui s'y adonnent. Peut-on espérer que les collectivités localespuissent prendre le relais, surtout à l'occasion d'une certaine planification de leurdéveloppement durable? D'ailleurs les régions viennent de se voir attribuer cettecompétence dans le cadre de l'Acte II de la décentralisation.

À un niveau plus local on pourrait espérer que les schémas de cohérenceterritoriale (SCOT), puis les plans locaux d'urbanisme, permettent ce travaild'inventaire en vue d'une mise en valeur ultérieure. Certaines collectivités le fontdéjà, soucieuses de leur labellisation en vue d'un développement touristique dequalité (car il y a déjà un tourisme industriel, des petites cités de caractère, desvilles et pays d'art et d'histoire). L'État pourrait, s'il s'en donnait les moyens àtravers ses services des directions régionales de l'action culturelle, utiliser laprocédure du« porter à la connaissance» (art. R. 121-1 du Code de l'urbanisme),lors de l'élaboration des documents locaux d'urbanisme (PLU), pour veiller à laprise en compte du patrimoine estuarien. Mais cela suppose que ses servicespuissent s'appuyer sur de bons inventaires (tel que le travail universitaireprécité). Cela suppose également une bonne motivation et tout un travail depersuasion des élus locaux et de la population.

De surcroît ces procédures d'urbanisme sont limitées. Les PLU sontstrictement communaux, les SCOT seraient plus utiles pour inciter et encadrer lesPLU au niveau intercommunal, s'ils ne sortaient pas trop souvent après eux, secontentant de les avaliser.

De toute façon les plans locaux d'urbanisme auraient plusieurs années - trois- pour s'aligner sur un SCOT nouveau, éventuellement exigeant. D'ailleurs lespérimètres des SCOT sont souvent discutables par rapport à l'estuaire. Parexemple le SCOT de Nantes - Saint-Nazaire ne regroupe pas les communes dusud de l'estuaire sauf celles appartenant à la communauté urbaine de Nantes (lepays de Retz aura ainsi son propre SCOT, ainsi que le sud estuaire).

Avec les DTA (directives territoriales d'aménagement), l'État s'est donné unearme pour coordonner SCOT et PLU par des orientations éventuellement forteset ambitieuses, mais la DTA de l'estuaire de la Loire a tardé à sortir (décret du17 juillet 2006), après dix années d'études, et alors que son élaboration matérielleétait quasiment terminée depuis un certain temps. Son contenu a été longuement,

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utilement et largement soumis à consultation. Ses objectifs sont à la foisd'affirmer le rôle de Nantes - Saint-Nazaire comme métropole européenne,d'assurer le développement durable du territoire et de protéger et valoriser unenvironnement remarquable. Tout cela suppose sans doute une réflexion relativeà la totalité du patrimoine, mais ne l'impose pas vraiment (par exemple pour lepatrimoine industriel, non vraiment pris en compte).

La directive territoriale d'aménagement de l'estuaire de la Loire a été adoptéepar décret en Conseil d'État, après avis des communes, des établissementspublics de coopération intercommunale, des conseils généraux et du conseilrégional concernés, de la conférence régionale de l'aménagement et dudéveloppement du territoire des Pays de la Loire, et du Conseil national del'aménagement et du développement du territoire. C'est donc un acte fort del'État, mais le fruit d'une longue concertation et d'un assez fort consensus. Lediagnostic et les enjeux (titre 1), comme les objectifs (titre 2) sont assezlonguement détaillés, en une trentaine de pages, et font une place importante auxespaces naturels, aux sites et aux paysages à préserver et à valoriser. Mais ils'agit essentiellement d'une consécration de l'acquis, au titre de la protection dela biodiversité, des espaces « Ramsar », du parc naturel régional, des sites classésou inscrits pour leur intérêt artistique ou pittoresque, scientifique historique oulégendaire relevant du Code de l'environnement, ou encore des espaces acquispar le Conservatoire des espaces littoraux. Cependant le diagnostic se fonde aussisur le travail des services de l'État en terme d'inventaires sur « les espacesprésentant de l'intérêt à l'échelle nationale ou à l'échelle régionale... : valeurspaysagères, espaces permettant la continuité écologique, espaces naturelspermettant d'assurer le cheminement (non mécanisé) des hommes ». Ces espacessont hiérarchisés selon qu'ils sont exceptionnels ou à fort intérêt patrimonial.Leur valorisation constitue l'objectif n° 3 (p. 26) de la DTA.

Mais seules les « orientations de la DT A» énoncées dans le titre 3, ont valeurprescriptive, pour les documents d'urbanisme locaux. Elles sont classées enquatre sections.. D'abord des orientations relatives à l'équilibre entre les perspectives de

développement, de protection et de mise en valeur du bipôle de Nantes -Saint-Nazaire. C'est là que l'on trouve les grands projets stratégiques quesont l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l'extension portuaire sur le sitede Donges Est, et l'orientation en faveur du développement de laproduction énergétique (meilleur équilibre entre production etconsommation énergétique, potentiel important d'énergie éolienne,capacités d'extension de la centrale de Cordemais).. La seconde orientation est relative au développement équilibré del'ensemble des composantes territoriales de l'estuaire, à travers la maîtrisede l'étalement urbain, de l'implantation des diffuseurs des nouvellesinfrastructures routières, et le développement des pôles d'équilibre, sansque tout cela soit bien précisé.

. La troisième orientation est beaucoup plus précise, et donc contraignante.Relative à la protection et à la valorisation des espaces naturels, des sites et

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des paysages, s'appuyant sur des cartes, des tableaux, eux-mêmes bienprécisés, délimités et décrits dans des annexes sous forme de fiches, elleprescrit que « les espaces naturels, sites et paysages à intérêt exceptionnelet à fort intérêt patrimonial sont, selon le cas, reportés ou délimités dansles schémas de cohérence territoriale ou les plans locaux d'urbanisme àune échelle pertinente. » Il y a donc bien un contenu patrimonial fort de laDTA en ce qui concerne les espaces naturels.

. La quatrième orientation de la DTA de l'estuaire de la Loire porte sur les« modalités d'application de la loi littoral », sur les rivages de la mer et dulac de Grandlieu (sans que pour l'instant ne soient concernés les huitcommunes de l'estuaire soumises à la loi littoral, qui leur sera doncdirectement applicable en attendant un complément de DT A). Il s'agit làaussi de dispositions précises explicitant la loi littoral, illustrées par descartes tableaux et fiches jointes en annexe à la DT A, dont elles constituentune partie essentielle. Elles précisent, en application de la loi littoral (art.L. 146-1 et suivants du Code de l'urbanisme), ce que sont les espacesremarquables du littoral, les parcs et espaces boisés significatifs devantêtre pris en compte; elles situent les « coupures d'urbanisation» et lesespaces proches du rivage.

En plus de toutes ces prescriptions du titre 3, le titre 4 de la DTA propose,sans que cela ait valeur prescriptive, des « politiques d'accompagnement»cohérentes avec les objectifs recherchés et complémentaires des orientations.Cela porte sur les liaisons terrestres, ferroviaires, les franchissements de la Loire,les dessertes multimodales, les principes d'aménagement urbain, les espacesagricoles, boisés périurbains... Il se dégage indiscutablement de tout cela unevision cohérente de la politique voulue par l'État sur l'estuaire de la Loire, et uncadre assez consensuel pour l'action des collectivités et des autres grands acteurs,le port tout particulièrement. Mais cette vision globale reste très réservée surcertains points. L'implantation, le tracé, la programmation des infrastructures,rendues possibles mais pas encore décidées, laissent à désirer. Seuls lepatrimoine naturel, certains sites, et certains paysages sont fortement protégés,ainsi que le littoral. Pour le reste, en particulier le patrimoine culturel, industriel,architectural, il faudra compter sur les documents d'urbanisme locaux.

En l'état actuel des choses, c'est donc essentiellement au niveau local que l'onpourra agir en faveur du patrimoine culturel, en s'appuyant sur un inventaire bienfait et sur l'état de l'opinion et l'action des associations, efficace (pour la grueTitan de Nantes, la protection fut imposée aux élus, à travers la presse, par lecollectif des associations de l'Île de Nantes).

Les ZPPAUP (zones de protection du patrimoine architectural, urbain et despaysages), sont des instruments de codécision entre l'État (Architectes desBâtiments de France, Directions régionales des affaires culturelles, Commissionsrégionales du patrimoine et des sites) et les municipalités. Elles sembleraientdonc être les instruments les plus convaincants, pour la prise en compte de sites,de zones ou de paysages patrimoniaux d'une façon globale. En effet, alors que lalégislation sur les monuments historiques institue des protections ponctuelles de

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monuments (très rarement industriels), même s'ils génèrent des périmètres deprotection de 500 m de rayon tout à fait utiles (à l'intervention, nondiscrétionnaire, des ABF), et que les sites industriels ne sont pas protégés en tantque sites, les ZPPAUP doivent pouvoir rapprocher tous les éléments dupatrimoine et les protéger d'une façon ouverte et explicite, en complémentaritéavec les documents locaux d'urbanisme.

Ces ZPPAUP font l'objet d'une longue procédure concertée entre lacollectivité concernée, les services de l'État (ABF, mais aussi DRAC, Directionrégionale de l'environnement, présente au sein de la Commission régionale dupatrimoine et des sites). Grâce à cette procédure, qui se termine par un accordentre l'État et la collectivité, l'État peut veiller à la prise en compte de la totalitédu patrimoine.

La ZPPAUP semble donc être un instrument éventuellement adapté à laprotection et à la mise en valeur d'un site industriel, artisanal ou portuaire, ouencore naturel et paysager. Ainsi plusieurs ZPP AUP sont en cours d'élaborationautour du site classé des marais salants de Guérande ou du patrimoine de LaBaule ou d'autres communes littorales. On devrait donc pouvoir multiplier cesréalisations autour de l'estuaire: plusieurs ZPPAUP bien coordonnées lepermettraient, et l'on aboutirait ainsi à une bonne gestion intégrée du patrimoineestuarien.

Donc les instruments d'une éventuelle protection et mise en valeur del'estuaire et de son patrimoine existent. C'est la volonté de les mettre en œuvrequi peut manquer à tous les niveaux, de l'État (application de la DTA,élaboration et prise en compte des inventaires, porté à la connaissance lors del'élaboration des SCOT et des PLU), des collectivités territoriales (SCOT,ZPPAUP, volets patrimoniaux des plans locaux d'urbanisme...). Les associationsde défense et de mise en valeur du patrimoine et le Conservatoire des rives de laLoire et de ses affluents, œuvrent dans ce sens. Mais la conjonction et lerenforcement de tous ces efforts sont plus que jamais nécessaires.

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L'INTÉGRATION DU VOLET ENVIRONNEMENTALDU DÉVELOPPEMENT DURABLE

DANS LES POLITIQUES PUBLIQUES LOCALES

L'intégration du développement durabledans les documents d'urbanisme

Caroline BARDOUL*

La loi solidarité renouvellement urbains (SRU) de 2000 tend à imprégner lesdocuments d'urbanisme d'une philosophie nouvelle, en prônant undéveloppement territorial qui multiplie les échelles de référence et remet en causeles pistes du modèle urbain traditionnel' .

Le schéma de cohérence territoriale (SCOT) est un outil novateur, fixant lecadre général d'un projet de territoire et n'ayant pas vocation à déterminer ladestination des sols. L'essentiel de ses orientations peut être exprimé sous formeécrite ou schématique2.

L'article 122-1 du Code de l'urbanisme dans son ancienne rédaction indiquaitque les schémas directeurs3 déterminaient la destination générale des sols. Cettedisposition a été supprimée.

Le SCOT ne prévoit donc plus de cartes4. Ce nouveau document n'a pasvocation à représenter le territoire en cause mais il se doit d'être la représentationd'un projet politique rencontrant un territoire, ce que les géographes appellentune carte prospectives. En d'autres termes le SCOT doit permettre d'inscrire unprojet politique dans son territoire6.

Lors de la conception cartographique, il est apparu, rapidement, qu'un desécueils se cristallisait autour d'une opposition entre «spatialisation» et« localisation» des éléments du projet. Spatialiser consiste à inscrire un projet

.LCL et LERAD. Doctorante en droit public

1. S. GROUEFF, « Un "SCOT projet" pour l'agglomération », Urbanisme, hors série, 2005 p. 39

2. B. PHÉMOLANT, propos recueillis par Isabelle BERTHIER, « Le dessein prime sur le dessin »,Diagonal, juin 2005, p. 56

3. La loi SRU a remplacé les schémas directeurs par les schémas de cohérence territoriale (SCOT)

4. B. PHÉMOLANT, propos recueillis par Isabelle BERTHIER, op. cil., p. 56

5. C. CREISSELS, propos recueillis par Marc LEMONNIER, « Spatialiser sans localiser? », Diagonal,juin 2005, p. 39

6. Ibid. p. 40

politique dans son territoire, à faire interagir des volontés alors que localiserconsiste à poser des limites, voire des frontières [...r.

Il faut alors développer un art particulier, celui de travailler une expressiongraphique permettant la spatialisation tout en s'affranchissant d'une localisation8.

La loi SRU a également introduit au sein du SCOT et du plan locald'urbanisme (PLU) le développement durable par le biais du projet dedéveloppement et d'aménagement durable: le PADD. Ainsi, l'article L. 122-1 duCode de l'urbanisme indique que les SCOT doivent prendre en considération ledéveloppement durable. Il énonce:

[Les SCOT] présentent le projet d'aménagement et de développement durableretenu, qui fixe les objectifs des politiques publiques d'urbanisme en matièred'habitat, de développement économique, de loisirs, de déplacements depersonnes et des marchandises, de stationnement des véhicules et de régulation dutrafic automobile.

Le plan local d'urbanisme sera compatible avec le SCOT et en reprendra lespriorités à une échelle inférieure. Le SCOT ne doit pas être un « super-PLU »,mais un élément de cohérence et de compatibilité entre les différents PLU9.

Contrairement aux anciens plans d'occupation des sols (PaS), les nouveauxPLU doivent obligatoirement prendre en compte le développement durable.Ainsi, d'après l'article L. 123-1 du Code de l'urbanisme,

les plans locaux d'urbanisme exposent le diagnostic établi au regard desprévisions économiques et démographiques et précisent les besoins répertoriés enmatière de développement économique, d'aménagement de l'espace,d'environnement, d'équilibre social et d'habitat, de transports, d'équipements etde services. Ils comportent un projet d'aménagement et de développementdurable.

Aucun des articles relatifs au projet d'aménagement et de développementdurable ne donne une définition précise du développement durable. Cette notionétant extrêmement floue, il est nécessaire, pour mieux la comprendre, de seréférer à d'autres textes.

Dès le début des années 1970, on commence à prendre conscience que notremode de développement n'est pas viable. Se révèle alors, à l'échelle mondiale, lanécessité d'une forme de développement plus respectueuse de l'homme et de sonenvironnement.

Dans les années 1980, l'Assemblée générale des Nations unies crée unenouvelle commission, chargée de réfléchir aux relations entre développement etenvironnement. La Commission mondiale pour l'Environnement et leDéveloppement, présidée par Gro Harlem Brundtland, publie en 1987 un rapportintitulé: Notre avenir à tous. Les auteurs de ce dernier reconnaissent que lesressources naturelles et les atteintes à l'environnement constituent une sévère

7. Ibid. p. 578. Ibid.9. J.-P. MOURE, « Le SCOT n'est pas un super-PLU», Urbanisme, hors série, 2005, p. 43.

246

contrainte pour la croissance économique, ils défendent une approche conciliantles deux dimensions.

En 1992, lors de la Conférence des Nations unies sur l'Environnement et leDéveloppement de Rio de Janeiro, le terme «développement durable» estemployé pour la première fois. Cette même année, 173 gouvernements vonts'engager sur la voie du développement durable en approuvant les textes élaboréslors de cette conférence.

Le développement durable se dit du « développement qui répond aux besoinsdu présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre auxleurs.» Il entend donc promouvoir une double solidarité, une solidarité dite« intragénérationelle » entre les hommes d'aujourd'hui et une solidarité dite« intergénérationelle »entre les hommes d'aujourd'hui et leurs enfants et petits-enfants.

Pour atteindre ce double but, la conciliation de l'économie, du social, del'environnement et de la gouvernance s'avère indispensable. Le développementdurable nous oblige à penser aux conséquences futures de nos actions, ce quiimplique d'inclure dans nos décisions une dimension prospective. Si l'étude ducontexte international nous éclaire sur le sens du développement durable, forceest d'admettre qu'une définition précise et opérationnelle de ce dernier demeureintrouvable.

L'imprécision du «développement durable» a-t-elle rendu difficile sonintégration dans les documents d'urbanisme? Cette intégration était-elle subie ousouhaitée par les collectivités en charge de la mise en place de ces documents?Va-t-elle déclencher une dynamique favorable au développement durable ou, aucontraire, ne risque-t-elle pas d'être freinée par d'autres éléments?

Cette étudelO tentera d'analyser la prise en compte par les collectivités dudéveloppement durable au sein de leurs documents d'urbanisme, et même au-delà de ces derniers, tout en veillant à mettre en évidence la présence d'éventuelsobstacles à la diffusion du développement durable dans les politiques publiques.

I. L'intégration du développement durabledans les documents: l'application de la législation

La loi SRU n'explique pas, à elle seule, l'intégration du développementdurable dans les documents d'urbanisme. Avant cette loi, les collectivités sans enavoir réellement conscience, semblaient avoir mis en place le développement

10. Il convient d'expliquer brièvement la méthode choisie pour réaliser cet article. Tout d'abord,des enquêtes de terrain ont été effectuées auprès de plusieurs collectivités, notamment à Angers,Lille et Paris entre janvier et mars 2006. Des témoignages de personnes en charge de la mise enplace des documents d'urbanisme issus de la loi SRU ont été recueillis. Il convient d'ailleurs de lesremercier pour leurs précieuses collaborations. Ensuite, des études, relatives aux aspects pratiquesde l'intégration du développement durable en matière d'urbanisme, sont venues compléter lesentretiens. Cet article ne pouvait avoir pour but de rendre compte, de manière exhaustive, desnombreuses applications de la loi SRU, toutefois le but recherché était de montrer commentplusieurs collectivités avaient concrètement intégré le développement durable au sein de leursdocuments d'urbanisme.

247

durable, dans le but de contrer les désagréments auxquels elles étaientconfrontées. Après l'édiction de la loi SRU, elles ont donné un contenu réel àl'obligation qui en découlait, en adaptant le développement durable auxcontraintes de leurs territoires.

A. La prise en compte du développement durable en matièred'urbanisme: une nécessité

Les collectivités territoriales semblaient déjà prendre en compte ledéveloppement durable au sein des plans d'occupation des sols communémentappelés P~S, en vue de corriger les erreurs liées à un développement urbainanarchique et mal pensé.

1. La présence du «développement durable» dans les plansd'occupation des sols

Lors d'un entretien à la communauté d'agglomération d'Angers, nous avionsdemandé à l'une des responsables du plan local d'urbanisme quelle avait été ladémarche utilisée pour permettre la conciliation de l'économie, l'environnementet le social au sein du PLU. Cette personne nous avait alors expliqué que l'effortde conciliation de ces trois dimensions était né avant la loi SRU, qu'i! existaitdéjà dans les P~S précédant immédiatement les PLUII. La recherche de cetteconciliation est également perceptible dans le schéma directeur qui recouvrel'agglomération d'Angers, puisque ce dernier, conçu avant la loi SRU, tend àlimiter l'étalement urbain.

Le responsable du PLU de Lille fit une réflexion qui corrobora le constatprécédent. Le premier P~S lillois, datant de 1973, présentait déjà une dimensionprospective, puisque ce dernier ainsi que le schéma directeur élaboré à la mêmeépoque se projetaient à l'horizon des années 199012.

L'exemple de Montpellier confirme également que le développement durablea été intégré en matière d'urbanisme avant l'obligation énoncée par la loi SRU13.En effet, le PLU prolonge le projet urbain montpelliérain mis en œuvre depuisune vingtaine d'années. Il s'inscrit très clairement dans la continuité desrévisions du P~S, notamment en ce qui concerne l'urbanisation de sitesnouveaux. La précédente révision du P~S avait ainsi permis la programmationdu quartier Malbosc le long de la première ligne du tramwayI4. L'idéed'urbaniser à proximité des réseaux de transport en commun contribue à limiterles déplacements automobiles, et donc la pollution atmosphérique. Le respect del'environnement était donc déjà présent dans l'esprit des décideurs15.

Il. Entretien avec Mme Reboul, en charge du PLU d'Angers, mars 2006.12. Entretien avec M. Wargniez, en charge du PLU de Lille, le 8 mars 2006.13. S. GROUEFF,« Un SCOT projet pour l'agglomération», op. cil., p. 39.14. A. LOUBIÈRE,« PLU: le pari d'une densité acceptée», Urbanisme, hors série, 2005, p. 4515. Ibid, p. 45-46.

248

En d'autres termes, le développement durable semble avoir été appliqué parles collectivités en dehors de toute obligation législative. La loi SRU a, certes,généralisé l'intégration du développement durable, toutefois, la rupture entre« anciens» et «nouveaux» documents d'urbanisme ne semble pas aussi nettequ'on aurait pu le croire.

On peut légitimement s'interroger sur les raisons pour lesquelles les élus deces collectivités en sont venus à intégrer le développement durableindépendamment de toute obligation (2).

2. La volonté de corriger les erreurs liées à un développementnon viable

L'exemple de Montpellier

J.-L. Roumégas, élu de Montpellier, met en évidence les problèmes auxquelssa ville est confrontée:

Les gens commencent à voir les nuisances de la phase d'expansion dont ils nepercevaient que le côté positif: hôpitaux, université, emplois [...]. En effet, lacroissance urbaine a été gérée de manière différente: dans la ville, eUe a été trèsdirigée par R. Dugrand sous la forme d'un habitat coUectif massif; dansl'agglomération, le bétonnage a été pire car il s'est effectué de manièredésorganisée avec un tissu pavillonnaire dévoreur d'espaceI6.

Deuxième constatation: l'aggravation de la spécialisation des zones urbaines quientraîne un manque de commerces, de services et d'emplois dans certains secteurset une augmentation des déplacements automobiles17.

Troisième constat: les urbanisations nouveUes ont absorbé l'énergie urbanistiquede Montpellier au détriment des quartiers existants. Actuellement, lerenouvellement urbain concerne des quartiers très sinistrés, mais il est valablepour tous les quartiers 18.

En d'autres termes, le développement, initialement mal pensé, semble avoirconduit à de graves dérives. Les décideurs semblent en avoir eu conscience avantla loi SRU.

L'exemple de Paris

Bien avant l'édiction de la loi SRU, les décideurs parisiens avaient conscienceque le taux de chômage était plus élevé au nord qu'à l'ouest ou au centre de laville. En outre, la répartition des logements sociaux était particulièrementdéséquilibrée. On constatait un très faible pourcentage de logements sociaux à

16. Jean-Louis ROUMÉGAS,propos recueillis par S. GROUEFFet A. LOUBIÉRE,«Préserver lesespaces naturels et agricoles H, Urbanisme, hors-série, 2005, p. 4617. Ibid.18. Ibid

249

l'ouest, et un nombre très important au nordl9. La mixité sociale faisait donccruellement défaut.

À Paris, un membre de la mission SRUIPLU nous avait expliqué qu'il n'yavait aucune définition a priori du développement durable avant la mise en placedu PLUzo. Avant l'élaboration du PLU parisien huit groupes thématiques furentconstitués, ils rassemblaient des associations [...]. La synthèse de ces différentsgroupes a été réalisée dans les cahiers du PLU.

Initialement, le développement durable semblait se limiter à la simplenécessité de densifier la villez1. À l'origine, les décideurs ne voyaient, dans ledéveloppement durable, que l'aspect environnemental, au fur et à mesure, il leurest apparu logique de chercher à concilier l'aspect environnemental, social etéconomique. Grâce aux débats, à d'intéressantes études économiques révélant unchômage de nature spécifique à Paris, les élus ont, progressivement, prisconscience du caractère atypique des structures de l'économie parisienne.

Cela explique que le PADD poursuive au final trois buts: améliorerdurablement le cadre de vie parisien, stimuler la création de l'emploi, réduirel'inégalité, promouvoir le développement des grands équipements.

La mise en œuvre du développement durable est apparue, au cours des débats,comme une solution évidente pour remédier aux déséquilibres liés à un mauvaisdéveloppement2z.

Ce constat est partagé par un grand nombre de collectivités territoriales. Cesdernières confrontées à des problèmes communs, réussissent à trouverd'efficaces solutions en conciliant environnement, économie, social etgouvernance. Le développement durable apparaît comme une solution de bonsens. Cependant, les collectivités territoriales, lors de la mise en place desdocuments d'urbanisme, adaptent le développement durable lui donnant, ainsi,une substance réelle et concrète.

B. L'intégration du développement durable au sein des documentsd'urbanisme: une réalité

La mise en œuvre du développement durable s'opère de manière différentepour répondre au mieux aux besoins de chaque territoire, le cas de Paris étantdifférent de celui de Montpellier.

19. Site de la ville de Paris www.parisjr/portail/urbanisme/Portal.lut?page_id=97J&print20. Entretien avec M. Eric Jean-Baptiste, mission SRU/PLU, à propos du PLU de Paris, 17 février2006.21. Ibid.22. Ibid.

250

1. Le cas de Paris

Le plan local d'urbanisme de Paris s'est fixé trois objectifs: l'embellissementde la ville, le développement de l'emploi, le maintien de la diversité sociale et lalutte contre les inégalités23. Des dispositions concrètes à l'intérieur du PLU visentà atteindre ces trois objectifs.

Afin d'embellir la ville, le PLU a notamment prévu de préserver le patrimoineparisien et la végétation, d'une part en empêchant la démolition de certainsimmeubles, d'autre part en réalisant 30 hectares de nouveaux jardins. Le PLU aégalement prévu de limiter, par diverses mesures, la circulation automobile àParis24. Dans le but de maintenir la diversité sociale et de combattre lesinégalités, le PLU prévoit, dans les quartiers faiblement pourvus en logementssociaux, d'imposer la réalisation de 25 % de logements de ce type dans tous lesnouveaux programmes de construction d'habitat.

Enfin, pour lutter contre le chômage, le PLU entend favoriser des activitéscréatrices d'emplois dans les quartiers du nord, de l'est et du sud de Paris. LePLU peut, dans ces quartiers, autoriser la construction et la réhabilitation delocaux destinés à l'emploi (bureaux, hôtels d'activité, laboratoires de recherche)en appliquant des règles aussi favorables que celles qui régissent la constructionde logements et d'équipements publics25.

La mise en œuvre du développement durable dans le PLU de Paris se traduitpar la correction des déséquilibres propres au territoire parisien.

2. Le cas de Montpellier

À Montpellier, les trois valeurs suivantes sont édictées au sein du PADD duSCOT comme principes fondateurs de l'aménagement du territoire:

La valeur environnementale pour préserver le capital nature et respecter lepatrimoine commun; la valeur sociale pour la promotion d'une "ville desproximités et des mobilités", enfin, la valeur économique pour intensifier ledéveloppement en mettant en œuvre une politique de valorisation du capitalfoncier par une gestion économe de l'espace26.

Le PLU de Montpellier affiche la volonté d'articuler l'urbanisation nouvelleet la valorisation d'espaces naturels pour répondre aux besoins de logements touten améliorant la qualité de la vie27. Le PADD de ce PLU contient desorientations générales;

Contribuer au développement économique de l'agglomération et à sonéquipement, mener une politique de l'habitat pour répondre aux besoins en

23. Site de la ville de Paris: www.paris.fr/portail/urbanisme/Portal.lut?page _id=971 &print (pageconsultée le 1/02/2006)24. Ibid.25. Ibid.26. S. GROUEFF,« Un "SCOT projet" pour l'agglomération », op. cit., p. 40.27. A. LOUBIÈRE,« PLU: le pari d'une densité acceptée », Urbanisme, hors série, 2005, p. 45.

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logement dans le respect de la mixité sociale et urbaine, maîtriser lesdéplacements, prendre en compte l'environnemenes.

Comme l'explique Antoine Loubière,

On retrouve certes les grands principes dans la plupart des grandes villes, maisleur contenu prend ici une coloration singulière, notamment pour la politique del'habitat que défend Michel Guibal29.

En effet, la politique de la ville est clairement axée sur la construction delogements sociaux. Afin d'en construire davantage encore, Michel Guibal,premier adjoint au maire de Montpellier, souligne la nécessité d'accroître lacoopération entre la ville, l'agglomération, le département et la région30. ÀMontpellier le développement durable se traduit, donc, notamment par uneaugmentation du nombre de logements sociaux.

Les collectivités ont, conformément à leurs obligations législatives, intégré ledéveloppement durable dans les documents d'urbanisme. La mise en œuvre deces derniers a parfois été l'occasion, pour elles, de généraliser volontairement ledéveloppement durable à d'autres politiques (II).

II. L'intégration du développement durable dans les politiquespubliques au-delà des exigences législatives

Le PADD a parfois engendré la mise en place d'Agenda 2131.Le PADD seraitdonc un véritable levier vers d'autres actions en faveur du développement

28. Ibid.29. Ibid.30. Michel GUIBAL, propos recueillis par S. GROUEFFet A. LOUBIÈRE, Urbanisme, hors-série,2005,p.4731. Un mot sur les Agendas 21 : parmi les textes adoptés à Rio en 1992, le plus volumineux estl' « Agenda 21 » qui constitue à lui seul un véritable plan d'action mondial pour un développementdurable. Le chapitre 28 de l'Agenda 21 des Nations unies reconnaît l'importance du rôle descollectivités territoriales dans l'application concrète du concept de développement durable. Lescollectivités territoriales s'engagent par de multiples façons dans la voie du développement durable.Un Agenda 21local est une démarche purement volontaire engagée par une collectivité qui conduitcette dernière à rédiger un plan d'actions concrètes ayant pour but le développement durable de sonterritoire.Ces actions concrètes peuvent être de nature extrêmement différentes, elles dépassent trèslargement le champ de l'urbanisme. Elles peuvent, par exemple, porter sur la réduction ou le tri desdéchets, ou bien sur la mise en place d'actions de coopération internationale visant à réduire lesproblèmes globaux.Il convient de s'attarder un instant sur la nature juridique de l'Agenda 2 J. On peut considérer quece dernier est une manifestation du droit souple c'est-à-dire d'un droit qui n'est ni obligatoire, nisanctionné. Si l'on considère que la contrainte est le seul et unique critère de reconnaissance dudroit, alors l'Agenda 21 ne peut être considéré comme du droit. À l'inverse, le PLU parce qu'il estobligatoire et sanctionné, serait donc bien une règle de droit. Toutefois, pour prendre en compte aumieux les avancées du développement durable dans les politiques publiques, il était nécessaired'opter pour une définition élargie du droit, dans laquelle on considère que ce qui est normatif ne seconfond pas avec ce qui est obligatoire.

252

durable. Toutefois, il conviendra de nuancer cette position en se demandant s'iln'existe pas d'éventuels obstacles à ce cercle vertueux.

A. Le projet d'aménagement et de développement durable: leviervers d'autres actions en faveur du développement durable

Il faut souligner la différence existant entre l'Agenda 21 et le PADD, celle-ciengendrant des complémentarités et des synergies susceptibles de renforcer laprise en compte du développement durable.

1. Les différences existant entre l'Agenda 21 et le PADD

L'Agenda 21 local et le PLU donnent lieu à la production de documentsspécifiques:

En ce qui concerne le PLU, les catégories de documents et leurs contenus sontstrictement encadrés par le Code de l'urbanisme32. On retrouvera donc danschaque PLU:

- un rapport de présentation comprenant:un diagnostic,un état initial de l'environnement,une explicitation des choix du PADD,une étude des incidences du plan sur l'environnement;

- un projet d'aménagement et de développement durable qui définit lesorientations générales d'aménagement et d'urbanisme retenues pourl'ensemble de la commune;un règlement comprenant:

un texte,des documents graphiques.

Les PLU peuvent, en outre, comporter des orientations d'aménagementrelatives à des quartiers ou à des secteurs à mettre en valeur, réhabiliter,restructurer ou aménager.

Il convient de souligner qu'en application de l'ordonnance du 3 juin 20043\les PLU font l'objet d'une évaluation environnementale.

Pour une étude approfondie, voir notamment C. THIBIERGE,« Le droit souple - Réflexion sur lestextures du droit », RTDciv., 2003, p. 599 ; F. OST et M. VAN de KERCHOVE,« De la pyramide auréseau? », FUSL, 200232. Site de l'Agence régionale de l'environnement et des nouvelles énergies (ARENE) :http://www.areneidforg/terriloires/pdf/J-PLU_A2J.pdf(Page consultée le 14 octobre 2007)33. Ainsi, l'article L. 121-10 du Code de l'urbanisme énonce que:« Font l'objet d'une évaluation environnementale dans les conditions prévues par la présentesection:

1) Les directives territoriales d'aménagement2) Le schéma directeur de la région d'IIe-de-France3) Les schémas de cohérence territoriale4) Les plans locaux d'urbanisme susceptibles d'avoir des effets notables sur l'environnementcompte tenu de la superficie du territoire auxquels ils s'appliquent, de la nature et de

253

À l'inverse, l'Agenda 21néanmoins son élaborationdocuments:

- un état des lieux composé d'un diagnostic explicitant les enjeux de natureenvironnementale, sociale et économique;

- l'identification des objectifs prioritaires qu'il est souhaitable de formaliserdans un document;

- un programme d'actions généralement présenté sous la forme de fichesactions.

Les complémentarités existant entre l'Agenda et le PADD favorisent la priseen compte du développement durable.

local n'est encadré par aucun texte obligatoire,donne également lieu à une production de

2. Les complémentarités existant entre les deux démarches

La Ville de Paris, après avoir adopté le PLU, s'est lancée dans la mise enplace d'un Agenda 21. Ce dernier, alors qu'il n'est pas obligatoire, apparaîtcomme indispensable à beaucoup de collectivités.

Il faut donc se demander dans quelle mesure le PLU, et plus particulièrementle PADD, constitue des leviers efficaces vers d'autres actions tendant audéveloppement durable. L'ARENp4 a élaboré un dossier extrêmement

l'importance des travaux et aménagements qu'ils autorisent et de la sensibilité du milieu danslequel ceux-ci doivent être réalisés.

Sauf dans le cas où elle ne prévoit que des changements mineurs, la révision de ces documentsdonne lieu soit à une nouvelle évaluation environnementale, soit à une actualisation del'évaluation environnementale réalisée lors de leur élaboration. »

L'article R. 121-14 dispose que:I. - Font l'objet d'une évaluation environnementale dans les conditions prévues par la présentesection:

1) Les directives territoriales d'aménagement;2) Le schéma directeur de la région d'Ile-de-France ;3) Les schémas d'aménagement régionaux des régions d'outre-mer;4) Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse;5) Les schémas de cohérence territoriale.

II. - Font également l'objet d'une évaluation environnementale :1°) Les plans locaux d'urbanisme qui permettent la réalisation de travaux, ouvrages ouaménagements mentionnés à l'article L. 414-4 du Code de l'environnement;2°) Lorsque les territoires concernés ne sont pas couverts par un schéma de cohérence territorialeayant fait l'objet d'une évaluation environnementale dans les conditions de la présente section:

a) Les plans locaux d'urbanisme relatifs à un territoire d'une superficie supérieure ou égale à5 000 hectares et comprenant une population supérieure ou égale à 10 000 habitants;b) Les plans locaux d'urbanisme qui prévoient la création, dans des secteurs agricoles ounaturels, de zones U ou AU d'une superficie totale supérieure à 200 hectares;c) Les plans locaux d'urbanisme des communes situées en zone de montagne qui prévoient laréalisation d'unités touristiques nouvelles soumises à l'autorisation du préfet coordonnateur demassif;d) Les plans locaux d'urbanisme des communes littorales au sens de l'article L. 321-2 du Codede l'environnement qui prévoient la création, dans des secteurs agricoles ou naturels, de zones Uou AU d'une superficie totale supérieure à 50 hectares.

34. L'agence régionale de l'Environnement et des Nouvelles Énergies.

254

intéressant sur le sujet, dont il convient de reprendre, ici, les grandes lignes35. Cerapport envisage plusieurs cas d'articulation possibles entre le PLU et l'Agenda2136.

L'élaboration du PADD oblige les acteurs locaux à entrer dans une démarcheprospective, à penser leurs actions sur le long terme, dans une perspective dedéveloppement durable.

L'Agenda 21 local et le PLU comprennent, tous deux, trois étapes. Même siles intitulés des documents sont différents, de grandes similarités existent entreces trois phases37. Tout d'abord, avant l'élaboration de ces deux documents, il estnécessaire de réaliser un diagnostic; ensuite, l'un comme l'autre prévoient desobjectifs à atteindre; avant d'envisager, dans un troisième temps, les moyenspropres à atteindre les objectifs fixés.

Le diagnostic de l'Agenda 21 local peut venir compléter celui du PLU sur desthèmes qui ne relèvent pas du champ de l'urbanisme, par exemple:l'éducation 38.. .

Autre hypothèse possible39, dans un champ donné, le PADD expose desorientations urbanistiques, l'Agenda 21 local, des orientations complémentaireséchappant au droit de l'urbanisme. Ainsi le PADD peut, par exemple, prescrire lamise en place de pistes cyclables, tandis que l'Agenda 21 prévoira la location devélos et de véhicules propres. En outre, l'Agenda 21 local peut permettre deprolonger « l'esprit» du PADD dans des champs étrangers à l'urbanisme, enproposant, par exemple, des actions de coopération décentralisée ou desjumelages.

Enfin, l'Agenda 21 et le PLU ont une portée différente: l'Agenda 21 local aune valeur indicative, tandis que le PLU a une valeur impérative.

Certaines mesures de l'Agenda 21 local sont renforcées lorsqu'elles sontintégrées au PLU qui leur donne une valeur réglementaire. À l'inverse, le texteréglementaire du PLU est lui-même mieux accepté lorsque des mesures d'uneautre nature l'accompagnent.

Toutes ces réalisations prouvent l'intégration du développement durable dansl'urbanisme, et même au-delà de celui-ci. Toutefois, il convient de replacer cesréalisations dans leur contexte afin d'en mesurer leur portée réelle.

B. La compétitivité,' limite à l'intégration du développement durabledans les politiques publiques?

À l'heure actuelle, les territoires doivent faire face à une compétitivité accrue.Celle-ci a-t-elle des effets bénéfiques sur le développement durable? Aucontraire, n' a-t-elle pas un impact négatif sur ce dernier?

35. Site de l'agence régionale de l'Environnementhttp://www.areneid!org/territoires/pdj/l-PLU_A2I.pd!36. Ibid.37. Ibid.38. Ibid.39. Ibid.

et des Nouvelles Énergies (ARENE):

255

1. La recherche de la compétitivité pour attirer les capitauxet la population

D'une manière générale, les collectivités, refusent de perdre leur population.En effet, si les habitants s'en vont, se pose alors le problème de la survie deséquipements publics, des commerces et des écoles40...

Les élus cherchent à faire de leurs territoires des lieux attractifs4!. Pourconserver leur population, les collectivités doivent créer de nouveaux logementsafin que les habitants potentiels ne soient pas tentés de s'installer ailleurs42. Lescollectivités vont également devoir déployer des efforts de promotion de leursterritoires afin d'attirer des capitaux externes et d'inciter au développementd'actions culturelles, sociotouristiques et de protection de l'environnement,adressées à différents clients « cibles» 43.

On voit donc clairement que les villes se livrent une véritable compétition afind'attirer à elles, habitants et capitaux. La fin des années 1980 va de pair avec lamondialisation, d'une part et la crise économique, de l'autre. Dès lors, les villescherchent un «positionnement stratégique» en se fabriquant une image demarque permettant de séduire et de battre des villes concurrentes44. Le marketingurbain devient alors une quasi-nécessité.

Chaque acteur local va alors chercher à réfléchir aux caractéristiques de son« produit territorial» afin de faire émerger l'identité locale, qu'il faudra ensuitepromouvoir pour que ledit territoire puisse «se positionner» par rapport àd'autres45,

Il faut souligner qu'une consommation élevée, une fréquentation importanteet une dynamique de quartier bien vivante entraînent une amélioration sensiblede l'image locale46,

Il paraît évident que la prospérité d'un lieu favorise son attractivité. À sontour, l'attractivité engendre la prospérité et réciproquement.

2. Développement durable et compétitivité: duo ou duel?

Beaucoup de villes tiennent à préserver leurs espaces naturels dans le butd'être compétitives. Ces dernières tiennent à leur réputation de «ville verteélégante» 47.

40. Entretien avec M. Wargniez en charge du PLU de Lille, le 8 mars 2006.41. M. LEMONIER,« Pacé anticipe son développement durable », Diagonal, février 2005, p. 68.42. Ibid.43. P. INGALLINA et 1. PARK, « Les nouveaux enjeux de l'attractivité urbaine », Urbanisme,2005,p.65.44. Ibid., p.64.45. Ibid., p. 65.46. Ibid.47. M. LEMONIER,« Pacé anticipe son développement durable », op. cir., p. 68

256

Les espaces naturels contribuent à rendre un territoire attractif48. Ainsi àMontpellier, le PLU se doit d'offrir des espaces verts de proximité à 500 mètresde la résidence de n'importe quel Montpelliérain49.

À Lille, le même constat prévaut, et ce d'autant plus que le PLU est désormaisen couleur, contrairement au P~S qui, lui, ne l'était pas. Les communes semblentdonc globalement souhaiter que leur PLU comporte un maximum de « vert »,puisqu'il est admis que les habitants ne choisiront pas des villes polluées,irrespirables50. La préservation de l'environnement est donc considérée commeun enjeu capital dans la compétition lancée entre les territoires.

Nous pourrions conclure que la voie de la compétitivité est celle de laperfection, qu'elle va naturellement engendrer une prise en compte accrue despriorités du développement durable.

On peut toutefois émettre quelques réserves à cette dernière affirmation. Larecherche de la compétitivité peut-elle réellement conjuguer intérêt général etrentabilité économique?

Si la compétitivité semble, avoir un effet bénéfique sur le pilierenvironnemental du développement durable, celle-ci, aura-t-elle le même impactsur le pilier social par exemple?

Les villes qui veulent avoir des espaces verts souhaitent-elles égalementaccueillir les moins favorisés?

En outre, il ne faut pas oublier que les territoires ne pourront pas tous tenir lapremière place dans la compétition, comment des territoires «en échec»mettront-ils en place le développement durable, alors même que leurs moyens neseront pas forcément importants?

L'intensification de la compétition entre les territoires ne va-t-elle pasentraîner un accroissement de la richesse de certains d'entre eux au détriment desautres? De telles disparités auraient bien entendu un effet désastreux sur ledéveloppement durable des territoires.

48. J.-L. ROUMÉGAS, op. cil., p. 46

49. Ibid.50. Entretien avec M. Wargniez en charge du PLU de Lille le 8 mars 2006

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L'INTÉGRATION DU VOLET ENVIRONNEMENTALDU DÉVELOPPEMENT DURABLE

DANS LES POLITIQUES PUBLIQUES LOCALES

Les politiques de transport durable:le choix de l'instrument économiqueafin d'accéder à une mobilité durable

Julie BULTEAU'

L'activité humaine a modifié sensiblement la concentration des gaz à effet deserre (GES) présents dans l'atmosphère. Ainsi, après plusieurs Sommets etProtocoles tels ceux de Rio et de Kyoto, la Communauté internationale a prisconscience qu'il fallait agir, et vite, afin de réduire le dérèglement accéléré denotre planète. Après maintes analyses et rapports de professionnels, il apparaîtque le secteur des transports est non seulement un des émetteurs parmi les plusimportants1, mais aussi, et de loin, celui dont les émissions doivent croître leplus. Pour limiter le réchauffement climatique global, le gouvernement français amis en place un plan d'action: le Plan Climat 2004. Ce plan contient un projetpour encourager les initiatives locales contre l'effet de serre et des propositionssur le travail à faire pour atteindre les objectifs de développement durable,notamment pour les transports.

C'est pourquoi, dans cet article, nous nous intéressons aux actions spécifiquesà mettre en œuvre afin de limiter l'utilisation excessive du transport routier. Lesdeux principaux outils économiques incitatifs sont: la taxe pigouviennepréconisée par Pigou (1920). Cette solution consiste à imposer une taxe aupollueur qui est égale au coût marginal de réduction de la pollution. Ce principeest appelé le principe « pollueur-payeur ».

Le second instrument est la mise en place d'un marché des droits à polluer.Les dysfonctionnements de l'économie liés à la présence d'externalitéss'expliquent la plupart du temps par l'absence de marché qui fixe un prix àl'externalité. Pour remédier à cela, certains économistes ont préconisé la mise enplace d'un marché boursier où les parties concernées pourraient échanger destitres de propriété des ressources environnementales (Dales 1968).

'LEM1. CITEPA (2005)

La première partie présente l'analyse du secteur des transports tant au niveaunational qu'au niveau nantais. La deuxième partie est consacrée à la comparaisonde deux instruments économiques, la taxe et les permis d'émissions négociables,servant à internaliser (à prendre en compte) les effets externes négatifs (commela congestion et la pollution) générés par les transports. Enfin, la dernière partiemontre la nécessité de mettre en place une politique modale (développement destransports collectifs) pour la réussite d'une mobilité durable.

L Présentation de la situation des transports

A. Au niveau national

Les transports produisent le quart des émissions françaises de gaz à effet deserre, et environ le tiers des émissions de CO2. En outre, la croissance desémissions due aux transports (23 % entre 1990 et 2002) montre une évolutionpréoccupante du niveau national, même si, depuis 2002, on constate unestabilisation des émissions de CO2 liée à une relative stabilisation de l'activitéroutière. De nos jours, l'usage de l'automobile (voiture particulière) est enposition dominante et en croissance continue par rapport aux autres moyens dedéplacement dans les villes. Malgré une opinion générale favorable audéveloppement des transports collectifs (TC) et à la mise en place de politiquesde transports durables, la voiture particulière est le transport le plus utilisé, que cesoit en France ou à l'étranger.

Le développement de politiques de transports durables s'est traduitnotamment par la Loi d'orientation des transports intérieurs (loi LOTI) du30 décembre 1982, précisée par la Loi sur l'air et l'utilisation rationnelle del'énergie (loi LAURE ou loi Lepage) du 30 décembre 1996. De ces lois sont nésles PDU (Plans de Déplacements Urbains) qui examinent les différents modes detransports, les infrastructures appropriées et étudient les usages des habitantsdans le domaine des transports, de la circulation et du stationnement surl'ensemble du territoire. La loi LAURE a rendu ces plans de déplacement urbainsobligatoires pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants.L'agglomération nantaise étant de 550000 habitants environ, la communautéurbaine de Nantes (aujourd'hui Nantes Métropole) a donc mis en place un PDU.

260

1980 1990 1997Transports collectifs 14% 14% 14,8 %Voiture particulière 46% 59,4% 57,4%Deux-roues 13% 4,7% 4%Marche à pied 23,8% 21,9% 23,8%

Ces plans sont élaborés autour de 6 principales orientations:

1) La diminution du trafic automobile;2) Le développement des transports collectifs et des moyens de

déplacement économes et les moins polluants;3) Un nouveau partage de la voirie en leur faveur, notamment sur le

réseau principal de l'agglomération;4) L'organisation du stationnement en privilégiant les véhicules peu

polluants;5) L'organisation du transport et de la livraison de marchandises;6) L'encouragement pour les entreprises et les collectivitéspubliques à favoriser le transport de leur personnel, notamment par

l'utilisation des transports en commun et du covoiturage.

B. Au niveau nantais

Depuis les années 1980, les déplacements dans l'agglomération nantaise ontaugmenté d'environ 50 %, au bénéfice de la voiture particulière!

Or, « la part de marché de la voiture a diminué de deux points entre 1990et 1997 [...]. Le transport public a lui légèrement augmenté sa part de marché[...]. Dans les secteurs desservis par le tramway, la part des transports publicsurbains est supérieure de cinq points à la moyenne de l'agglomération (effettramway, mais aussi reflet de la sociodémographie du centre del'agglomération) »2.

Tableau 1

Part de marché des modes de déplacements dans l'agglomération nantaise

Source: POU de l'agglomération nantaise

Depuis les années 1980, les déplacements urbains nantais ont beaucoupévolué. En effet, en 1985, le premier réseau de tramway moderne français est misen place. En 1991, l'agglomération nantaise se dotait d'un plan de déplacementsqui apportait une vision globale de la politique de déplacements. Ce plan étaitdonc le précurseur du POU qui a été soumis à l'approbation du Conseil duDistrict dans la séance du 27 octobre 2000. Depuis 2006, l'agglomération

2. Extrait de : « Agglomération nantaise plan de déplacements urbains 2000-2010 : concilier villemobile et ville durable », AURAN, 2001, p. 15.

261

nantaise a encore une fois diversifié son offre de transports collectifs grâce à desmodes originaux et attractifs que sont les navibus et le Busway.

Pourtant, l'étalement urbain périphérique, comme dans beaucoup d'autresvilles, a eu lieu aussi à Nantes. En effet, amorcée dans les années 1950, lapoussée démographique de l'agglomération nantaise a transformé les communesrurales en communes urbaines. On constate que l'espace délimité par l'anneauroutier du périphérique nantais est aujourd'hui presque totalement occupé par deszones urbanisées qui regroupent près des trois quarts de la population et plus dedeux tiers des emplois de l'agglomération. Cet étalement urbain va dans le sensd'une multimotorisation des ménages plus accentuée dans la périphérie qu'aucentre.

Cependant, même si le taux de motorisation augmente considérablement,Nantes reste une ville où les transports collectifs urbains (TC) sont beaucouputilisés. En effet, si l'on compare le nombre de voyages effectués dans lesréseaux de transports urbains par rapport aux autres grandes villes des Pays de laLoire, comme Angers, Cholet, La Roche-sur-Yon ou encore Saint-Nazaire,Nantes reste en tête au niveau de l'utilisation des TC. Malgré les efforts entreprispar la région des Pays de la Loire sur les transports, il reste du « travail» afin detrouver des substituts de transports non polluants. Le succès d'une mobilitédurable dépend de plusieurs facteurs. Après avoir décrit la situation générale puisnantaise des transports, nous allons proposer les outils économiques pouvant êtremis en place afin d'accéder à une mobilité durable.

Comparaison des outils économiques

Aujourd'hui, l'objectif à atteindre est de réduire le trafic automobile et de ledétourner du centre-ville afin d'éviter une majorité d'effets externes del'automobile tels que la pollution, le bruit, ainsi que l'étalement urbain. Si l'onreprend les principes de base de l'économie de l'environnement, il y a plusieursmoyens d'internaliser (de prendre en compte) ces externalités. Ainsi, les taxes,les normes et les marchés des droits à polluer sont autant d'instruments despolitiques environnementales qui permettent d'internaliser ces externalitésnégatives de la pollution.

Les instruments économiques cités auparavant sont applicables au systèmedes transports afin de réduire l'utilisation de la voiture engendrant desexternalités négatives. Les mesures de taxation ont souvent une incidence sur lecomportement des agents: diminution de la consommation en cas de hausse duprix des carburants, changement d'itinéraires de certains usagers en cas de péage,etc. Taxer l'usage du transport routier peut ainsi viser à obtenir une réduction deskilomètres parcourus, un transfert modal, etc. Donc, le premier outil économiquepour inciter les individus à diminuer l'utilisation de leur voiture serait le péageurbain. Les travaux sur ce sujet sont abondants. En effet, on peut citer: Dupuit(1849), Pigou (1920), Boiteux (1956), Walters (1961), Vickrey (1963), Amott etalii (1990), qui ont « prôné» les bienfaits de la taxe. Les normes peuvent aussiêtre appliquées au transport urbain. En effet, le système de permis négociables,

262

qui peut être considéré comme une norme, a vu le jour avec les travaux de Dales(1968) et n'a cessé d'être exploré depuis. Les travaux de Montgomery (1972) surles permis négociables en économie de l'environnement, mais aussi, Wang M. Q.en 1994, sur les constructeurs d'automobiles et, en 1996, VerhœfE., Nijkamp P.,Rietveld P. montrent l'intérêt des permis négociables comme moyen de régulerles extemalités liées aux transports routiers, notamment en limitant le trafic dansles zones urbanisées.

L'existence même de plusieurs outils d'intemalisation pose le problème duchoix de l'instrument. D'abord du point de vue de l'efficacité, ensuite de la miseen œuvre de l'instrument qui peut être un réel problème. Nous comparons alorsla taxe et le système de permis négociables (PEN).

IL Efficacité en situation d'information imparfaite

Le choix entre un système de taxation et celui de permis négociables peut êtredifficile, puisque plusieurs obstacles en découlent. Le premier problème est celuide la situation d'information imparfaite. En effet, les deux outils sont de mêmeefficacité lorsque l'on se trouve en information parfaite. Or, les connaissancesdes dommages subis par les pollués ainsi que la connaissance des coûts dedépollution sont généralement mal connues du réglementeur et sont difficiles àmesurer ou à monétariser. Baumol (1972) s'est attardé sur ce problèmed'asymétrie d'information du réglementeur, mais l'approche, la plusfondamentale, a été développée par Weitzman (1974) qui compare réellementl'efficacité des deux outils que sont la taxe et la norme. Elle est fondée surl'information imparfaite, le régulateur fait des erreurs s'il n'a pas toutes lesinformations; l'objectif est donc de mesurer les coûts de ces erreurs selonl'utilisation de la taxe ou de la norme. Ce qui en ressort, le plus simplementpossible, c'est que l'efficacité entre les deux instruments que sont les PEN et lataxe vient du ratio: « pente du coût marginal/pente du dommage marginal ». Eneffet, si la pente de la courbe de dommage marginal est plus forte que celle de lacourbe du coût marginal de dépollution, alors il faut adopter l'outil des PEN,sinon, il faut fixer une taxe. Si le ratio est inférieur à l'unité, les PEN sont plusefficaces. Dans le domaine du risque climatique, il est souvent admis que la pentede la courbe de dommage marginal environnemental est inférieure à celle de lacourbe du coût marginal de réduction des émissions à court terme. Il est alorspréférable d'utiliser une taxe!

A. Problèmes du double dividende

Le deuxième problème porte sur l'aspect distributif et la question du doubledividende. En effet, la taxe et les permis permettent d'obtenir une modificationdu comportement des agents conduisant à une amélioration de l'environnement,c'est le premier dividende. Le second provient de l'impact macroéconomique durecyclage des recettes collectées. Si l'on part de ce principe, alors on sait qu'avecla taxe, on aura une recette fiscale, mais qu'au contraire, avec les permis et uneallocation gratuite de ceux-ci, il n'y aura pas de ressource fiscale. Or, le débat

263

entre taxe et permis ne peut pas se limiter à ce problème. En effet, si l'allocationdes permis n'est pas gratuite (achats à une autorité aux enchères), le résultat desressources fiscales généré par les permis sera identique à celui de la taxe. Ainsi,le système de taxe et celui de permis permettent le double dividende et posentalors les mêmes problèmes distributifs communs.

B. Incitation à l'innovation

L'efficacité d'un outil économique peut se traduire aussi par sa capacité àinciter les pollueurs à innover dans les techniques de dépollution, sur le longterme. En effet, dans le secteur des transports, il paraît important de fabriquer denouvelles voitures moins polluantes (moteurs hybrides, électriques, etc.) afin deréduire les émissions dues à l'utilisation de la voiture (Albrecht, 2001).

Si l'on revient à la question de l'économie de l'innovation en général, lestravaux sont majoritairement théoriques: on peut citer notamment Milliman etPrince (1989) et Jaffe et al. (2000). La base des travaux de Milliman et Prince(1989) est de mesurer l'importance de l'incitation à l'innovation par rapport àl'importance des gains pour l'innovateur. Les deux outils de réduction desémissions peuvent être appliqués puisqu'ils incitent tous les deux à l'innovation.De plus, selon Requate (1995), ni les taxes ni les PEN vendus aux enchères nesont supérieurs pour donner la bonne incitation aux entreprises afin qu'ellesadoptent une nouvelle technologie moins polluante.

C. Problèmes de mise en œuvre

Un autre problème est celui des coûts engendrés par la mise en œuvre d'unetaxe ou du système de permis. En effet, on sait que la mise en place d'une taxegénère principalement des coûts administratifs, alors que le fonctionnement desmarchés de permis repose surtout sur les coûts de transactions. Stavins (1995) atravaillé sur les coûts de transaction liés au marché de permis. Il a identifié troissources de coûts: les coûts liés à l'acquisition d'informations sur les opportunitésfaites et à la recherche de partenaires pour l'échange; les coûts liés à lanégociation et à la prise de décision; les coûts liés au suivi et au respect desrègles. Les deux premiers coûts de transaction peuvent à la fois réduire leséchanges et accroître les coûts de réduction des émissions. Stavins (1995) montrenotamment qu'en présence de ces coûts de transactions, l'allocation initiale desdroits a une incidence sur l'équilibre final et sur les coûts totaux de réduction desémissions. « L'allocation initiale des droits pose donc le problème non seulementen termes d'équité, mais aussi d'efficacité» (Bonnafous et al., 2001). En fait, unsystème de permis, même sans échange, est vraisemblablement moins coûteuxque les autres approches telles que la norme, la taxe, mais cela n'est passystématiquement vérifié. Seule une analyse au cas par cas permet de trancher.

Beaucoup de coûts engendrés par la mise en œuvre de la taxe ou du systèmede permis sont communs, comme le suivi et la déclaration des émissions, la miseau point des procédures d'estimation ou encore les coûts de changements dans lebien-être national. Ensuite, le double dividende dépend de réglages « fins» des

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mécanismes, c'est-à-dire une allocation initiale gratuite pour le système depermis et des franchises pour la taxe. Ce genre de réglages engendre des coûtsadministratifs supplémentaires autant pour les permis que pour la taxe. Enfin, apriori, l'avantage pour les permis se trouve dans la minimisation des coûtsadministratifs. Pourtant, on y trouve les frais de marché, le contrôle deconformité des émissions, le suivi à la trace des permis, la surveillance pour qu'iln'y ait pas de barrières à l'entrée, etc. Mais certains de ces coûts se retrouventdans la mise en place d'un système de taxation.

D. La solution du système hybride

Le choix entre permis et taxe est indéniablement difficile, puisqu'il est soumisd'une part à l'incertitude des coûts de dépollution et d'autre part aux autresproblèmes analysés précédemment. Le secteur des transports est contronté à cettesituation. En effet, quels sont les vrais coûts de réduction des émissions? Doit-onchanger de modes de transport, de conduite, d'itinéraires? Les coûts restent peuconnus, c'est pourquoi le choix entre les deux systèmes est délicat et ne peut sefaire ex ante. Une solution générale à ce problème de connaissance de coûts a étédéveloppée par Baumol et Oates (1988) à partir d'une idée de Roberts et Spence.La conclusion est que la non-connaissance des coûts de réduction des émissionsentraîne la mise en place d'un système hybride, c'est-à-dire d'un système depermis négociables et de taxation. Mais il ne faut pas oublier de prendre encompte les différents risques liés à un système hybride, notamment si le marchéest ouvert à l'international (compatibilité des instruments). L'exemple d'unsystème hybride sur les automobilistes est décrit dans l'article de Raux etMarlot (2001).

E. Exemple de mise en place de péages

1. Le péage de Singapour

En septembre 1975, Singapour a mis en place un péage pour l'accès au centredes affaires. Ayant une forte activité économique et une forte croissance de lapopulation en plus de couvrir un espace assez restreint, le centre des affaires étaitcongestionné aux heures de pointe. L'objectif en 1975 était de décongestionneren faisant acheter aux automobilistes une vignette pour la journée. En 1998, lepéage a évolué puisqu'il est devenu électronique et variable selon les périodes(de congestion ou non) de la journée. Entre 1975 et 1991, la circulation adiminué de 45 % dans la zone délimitée; la vitesse moyenne aux heures depointe a doublé, passant à 36 km/ho Le trafic a encore diminué de 10 % à 15 %dans le centre des affaires depuis la mise en place du nouveau système. Cechangement de comportement correspond au fait que les automobilistes sontcontraints de payer à chaque passage. Ceux qui avaient l'habitude de faire demultiples déplacements, et donc de multiples entrées-sorties dans la zone àpéage, ont significativement modifié l'usage de leur automobile. La

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centralisation de la gestion des politiques de transport à Singapour est l'une desréussites de ce péage. En effet, c'est le même organisme qui coordonne le péageurbain et les transports collectifs. Le but est donc d'inciter les automobilistes àchanger leur comportement de déplacements. De ce fait, le péage est très bienaccepté par la population, car l'offte des transports collectifs est très attrayantepuisque ces derniers sont bon marché, confortables et omniprésents3.

L'expérience de Singapour permet de souligner qu'il est possible de se servird'un instrument de la théorie économique dans le cadre d'une politique publiquede grande ampleur et que cette application peut être une réussite tant sur le plande l'efficacité (réduction significative de la congestion et de la pollution, forttransfert modal vers les transports collectifs) que sur le plan de l'acceptabilité.

2. Le péage de Londres

Le péage londonien fonctionne ainsi: tout véhicule entrant dans le centre deLondres entre 7 heures du matin et 18 h 30 doit payer une taxe de 5 livres(8 euros). Le système est fondé sur le prépaiement (comme un abonnement à untitre de transport) par l'usager, puis par le contrôle vidéo de la plaqueminéralogique des véhicules entrant dans la zone. Les personnes habitant dans lazone ne paient que 10 % de cette taxe. D'autres véhicules en sont exemptés:notamment les bus, les taxis, les services d'urgence, les véhicules utilisant descarburants alternatifs, les véhicules électriques, les conducteurs handicapés. Lenombre de bus a été accru pour faciliter le transfert modal. Le péage sert àfinancer les transports en commun.

Les résultats sont assez bons:

On compte environ entre 65 000 et 70 000 véhicules par jour en moins dans lazone. Transport for London estime que 20 à 30 % de ces véhicules circulentmaintenant autour de la zone; que 50 à 60 % des passagers de ces véhiculesutilisent les transports publics et que] 5 à 25 % de ces passagers font ducovoiturage, utilisent des deux-roues, circulent hors des heures payantes ou ontréduit leur nombre de trajets dans la zone de péage4.

Joint à d'autres mesures d'amélioration des transports en commun, ce péage adonc encouragé, par rapport à l'année précédente, 5 millions de personnes àprendre le bus chaque jour de la semaine.

3. PHAN (1993).

4. TfL: Transportfor London.

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F. Exemples de mise en place des permis d'émissions négociables

1. Premières applications des PEN

Une des premières mises en place des crédits échangeables, au niveau destransports, a été le programme CAFE (Corporate Average Fuel Economy) auxÉtats-Unis. Il a été lancé en 1975 en réponse au premier choc pétrolier. Ceprogramme concerne les constructeurs automobiles nationaux, mais aussi lesimportateurs. Il vise une amélioration de l'efficacité énergétique des véhicules detourisme. L'indicateur qui a été retenu est le nombre de miles5 qu'un véhiculepeut faire avec un gallon6 de carburant (MPG). La valeur CAFE de la flotte d'unconstructeur est déterminée comme la moyenne des MPG de sa gamme pondéréepar les ventes de chaque véhicule et des estimations sur les kilométrageseffectués. Ainsi, les constructeurs qui ont une performance moyenne meilleureque la norme peuvent obtenir des crédits qu'ils peuvent mettre en réserve pourcompenser des dépassements les années ultérieures (les crédits CAFE ne sont paséchangeables d'un constructeur à l'autre.).

Greene (1990) a montré à l'aide d'un modèle de pénalité que l'effet desnormes CAFE entre 1978 et 1989 a été bien plus important que celui des prix dupétrole sur le comportement des constructeurs américains quant à l'efficacitéénergétique de leur parc.

Un autre programme concernant les constructeurs automobiles7 est celuinommé ZEV (Zero Emission Vehicle) en Californie. Il a été mis en place en 1990par la CARB (California Air Resources Board) et consiste à faire obligation auxconstructeurs de vendre au moins 2 % de véhicules ZEV8 à partir de 1998. Maisen 1996, le CARB a décidé de reculer l'échéance à 2003; en contrepartie lavente de ZEV devait atteindre 10 %. Ce but n'a pas été atteint, car il dépendaitnon seulement de la capacité des constructeurs, mais aussi de la volonté desacheteurs. En fait, depuis 1998, le programme ZEV s'est transformé enprogramme LEV (Low Emissions vehicles), c'est-à-dire les ventes de ZEVreprésentent 4 % et celles des véhicules peu polluants 6 %. Une amende de5000 dollars US est payée lorsqu'un véhicule ZEV est requis mais non vendu.Ce marché fonctionne entre constructeurs automobiles puisqu'ils peuventacquérir des crédits soient en vendant des véhicules LEV ou en achetant auxautres constructeurs. Les résultats de ce programme sont difficiles à évaluer. Eneffet, selon Gruenspecht (2001) les constructeurs vont répercuter les coûts deproduction des ZEV sur l'ensemble des véhicules, augmentant globalement lesprix. Les Californiens risquent alors d'acheter moins de voitures neuves. Lerenouvellement du parc sera plus lent, ce qui risque de conduire à une

5. I mile = I 609 mètres.6. I gallon = 3,7854118 litres7. Les participants: Daimler Chrysler, Ford, General Motors, Honda, Nissan et Toyota, BMW,Hyundai, Isuzu, Jaguar, Kia, Mazda, Mitsubishi, Rover, Suburu (Fuji), Volkswagen, et Volvo.8. Un véhicule ZEV est défini comme un véhicule sans aucune émission, (véhicules électriques).

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augmentation globale des émissions (la hausse d'émissions due au maintien encirculation de véhicules anciens compenserait la baisse des émissions permisepar l'utilisation de véhicules électriques). En effet, dans le domaine des ZEV, lesprototypes que l'on a proposés n'ont fait que regrouper des techniques déjàconnues et plus ou moins chères. Cependant, au niveau des véhicules peupolluants, alors que les Américains expliquaient que seules des automobilesfonctionnant aux carburants spéciaux tels que le GPL pouvaient respecter lesnormes (Jones, Adler, 1995), les Japonais (en particulier Toyota) ont créé lasurprise en commercialisant une voiture hybride. Ensuite, tous les constructeursont pris modèle. L'incitation à l'innovation a donc fonctionné.

Enfin, on a également les quotas d'importation de véhicules à Singapour.« Singapour est à l'origine de l'application la plus draconienne de contrôle dudéveloppement automobile par des instruments économiques, taxes et quotas»(Bonnafous et al., 2001). L'objectif de cette politique concerne davantage lafluidité des transports que la protection de l'environnement. À Singapour, tousles véhicules sont importés, car il n'y a pas de production « nationale ». Les taxesà l'importation des véhicules et les frais d'immatriculation sont tels qu'en 1990,l'achat d'une voiture revenait plus cher qu'un appartement neuf de quatre pièces.En 1990, un système de quotas de certificats d'achats avait été mis en place. Lesquotas étaient vendus aux enchères chaque année et étaient non transférables,d'où le développement d'un marché noir.

2. Les écopoints autrichiens

La première expérience « décentralisée» d'un système de permis d'émission,appelé écopoints, a été appliquée sur les transports de marchandises. En effet,l'Autriche a mis en place un système qui visait à réduire les émissions d'oxyded'azote (NOx) dues au transit des camions (poids lourds). Ce programme adébuté en 1992. Il ciblait les poids lourds de plus de 7,5 tonnes immatriculésdans l'Union européenne pour atteindre une réduction de 60 % des émissions deNOx entre 1992 et 2003. Son fonctionnement est le suivant: chaque année,chaque pays de l'Union européenne reçoit un nombre d'écopoints. Les paysdoivent distribuer ces écopoints aux transporteurs (les pays tels que l'Allemagneou l'Italie recevaient plus d'écopoints puisque ce sont les pays frontaliers). Lenombre de points est dégressif, chaque année il diminue. En effet, le nombre totald'écopoints alloués a baissé de 60 % entre 1992 et 2003. Les écopoints qui nesont pas utilisés ne sont pas vendus sur un marché, ils sont remis dans ladistribution de l'année suivante. Le « règlement» limite aussi le nombre total deparcours de transit. Si la totalité dépasse celle de référence (ici 1991) de plus de8 %, alors le nombre d'écopoints disponibles est diminué de 20 % l'annéesuivante.

Tout poids lourds doit payer un certain nombre d'écopoints à chaque traverséede l'Autriche. Ce nombre d'écopoints dépend évidemment de la distanceparcourue et des caractéristiques d'émission de NOx de chaque camion. S'il y atentative de « fraude », alors une amende de 1 450 euros doit être payée.

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Entre 1991 et 1998, le système était manuel. Ensuite, à partir de 1998, on avaitdes points de contrôles qui lisaient automatiquement les « écotags », vignettescollées sur le pare-brise des camions et qui envoyaient les informations collectéesà l'ordinateur central qui vérifiait qu'il y avait assez d'écopoints. Ce système atout de même montré qu'il est possible d'appliquer des quotas d'émissions à dessources mobiles, et les objectifs ont été respectés.

III. La substitution entre la voiture particulière et les transportscollectifs

Les politiques modales, telles que la création de parking-relais, lestationnement payant ou encore le développement des transports collectifs, ontpour objectif d'entraîner une diminution de l'utilisation de la voiture particulière.Les politiques modales sont complémentaires aux instruments économiquesd'internalisation que peuvent être le péage urbain et les PEN. En effet, lesautorités peuvent orienter le choix des usagers en agissant sur le coût dedéplacement en automobile (en instaurant le péage) et compléter cet outil par unepolitique attractive des transports collectifs.

On peut se référer à l'étude économétrique de Glachant (2005) sur unéventuel péage urbain à Paris. Dans cet article, différents scénarii sont proposéset une des conclusions sur la mise en place du péage est qu'il y a un report modalsur les transports collectifs, dans les zones où les réseaux de transports collectifssont bien développés. Le péage engendre un transfert modal. Encore faut-il queles modes alternatifs à la voiture correspondent aux attentes des individus. Rauxet Marlot (2005) mentionnent que l'adaptation des comportements, si on met enplace un outil économique de réduction des émissions, sera plus ou moins facileselon l'offre de proximité des activités et des emplois et l'offre d'alternativesmodales à la voiture particulière.

Les TC jouent donc un rôle très important lors de la mise en place d'un outiléconomique de régulation du trafic. Sans ces alternatives modales, l'outiléconomique est voué à l'échec.

L'exemple du péage londonien en est la preuve. En effet, pour faciliter la miseen place et « l'acceptation» de l'outil économique, des mesures complémentairesont dû être prises. En effet, lors des discussions préalables à la mise en œuvre dupéage, l'importance du besoin d'amélioration des transports en commun commealternative à l'utilisation de la voiture a été exprimée. Transportfor London (TfL)a donc développé le programme Bus Plus comprenant différentes mesures tellesque l'amélioration de la capacité de l'offre, notamment la fréquence et lagrandeur des bus, la fiabilité du système comme le respect des couloirs réservésaux bus, l'expansion de la couverture du réseau, la prolongation des horairesnocturnes, la propreté, la qualité, la sûreté, etc.

Le tableau suivant montre l'évolution des TC à Londres.

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Transport en commun Situation Situation avec Variationinitiale péage

(avant le (automnepéage: 2003)2002)

Passagers en bus en période 76 000 106 000 38%de pointe entrant dans la zoneVitesse des bus (km/h) 11 12 7%Quantité de passagers sortant 500 000 445 000 -11 %des stations de métro dans lazone de péageQuantité de bus entrants dans 2434 2994 23 %la zone entre 7 heures et 18 heures

Tableau 2

Évolution des transports collectifs à Londres

Source: TfL

L'attractivité des TC joue un rôle important dans leur substitution à lavoiture; il s'agit donc de développer cet aspect.

Si l'on applique un instrument économique tel que le péage ou les PEN, ouencore un système hybride, il paraît indispensable d'avoir une politiquecomplémentaire. En effet, si le coût de la voiture augmente à cause del'instrument économique, qui est un facteur explicatif de la prise des TC, alors ilfaut développer les transports collectifs. La substitution se fera plus facilement siles TC sont attractifs. En effet, l'emploi de politiques pénalisant l'utilisation de lavoiture semble particulièrement efficace si les réseaux de transports collectifssont bien développés et attractifs. Le cas de Singapour ne fait plus aucun doute.En effet, on notera à Singapour que le péage urbain mis en place en complémentde la politique de taxation à l'achat d'une automobile a des effetsimpressionnants, d'autant plus que le système de transport collectif est rapide etefficace. La mobilité durable est un facteur clé de la réussite des objectifs deréduction des émissions de GES. La contribution des transports dans leréchauffement climatique est indéniable. C'est pourquoi des solutions doiventêtre apportées afin d'inciter les individus à réduire leur utilisation del'automobile. Une première partie de cet article s'est arrêtée sur la place destransports au niveau national et régional. Nous avons pu constater l'importancede l'utilisation de la voiture particulière malgré une croissante volonté de mise enplace de transports collectifs, comme pour la ville de Nantes. En effet, Nantesdiversifie son offre de transport collectif depuis longtemps, depuis les années1980 par la mise en place du tramway moderne jusqu'à aujourd'hui, par laprésence du navibus ou du Busway. Mais l'individu reste attaché à sa voiture.C'est pourquoi une incitation plus forte doit être apportée. L'économie possèdedes outils spécifiques incitatifs, tels le péage ou les droits d'émissions. Ladeuxième partie est consacrée à ces outils et notamment au choix de ceux-ci. Eneffet, nous comparons les avantages et les inconvénients des systèmes de taxation

270

et de permis d'émissions négociables afin de trouver le meilleur. Rappelons quele péage fonctionne comme une taxe pigouvienne et que les PEN sont un marchéde droits à polluer où un objectif de pollution est fixé. La taxe et le marché depermis négociables sont opposés dans le sens où la nature de l'instrument diffère,l'un fonctionnant par les prix et l'autre par les quantités. En effet, la taxe laisseincertain l'effet sur la pollution, mais les coûts payés par les pollueurs sontconnus. À l'inverse, pour les permis négociables, on est assuré de la qualité del'environnement, car l'objectif est fixé, mais le prix se fixant par le marché estdonc incertain. Un système hybride est alors préconisé. Nous avons analysé lesexemples de péages (Singapour et Londres) et de PEN (CAFE, ZEV et lesécopoints autrichiens) qui ont déjà été mis en place. Enfin, une dernière partieexpose l'importance d'une politique modale, c'est-à-dire le développement destransports collectifs. En effet, un instrument économique seul est voué à l'échec,la complémentarité d'une politique modale est indispensable. L'exemple de laréussite de Singapour en est la preuve. Pour conclure, nous pouvons penser queNantes a tout intérêt à continuer son développement des transports collectifs,même s'il est déjà très présent et que la mise en place d'un instrumentéconomique pourrait apparaître comme un outil essentiel et complémentaire à lapolitique modale menée pour aboutir à une mobilité durable.

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272

Partie III

Le développement durable,moteur du débat public

DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLE ET RÉNOVATION DE LA

DÉMOCRATIE LOCALE REPRÉSENTATIVE

- Développement urbain durable et démocratie locale en matière budgétaireet fInancière

Antoinette HASTINGS-MARCl-L4DIER

- La « parlementarisation}) des assemblées locales conduit-elle à unrenouveau de la délibération?

Arnauld LECLERC

QUELLE LECTURE ET QUELLE RÉSOLUTION DES CONFUTS POUR UN

DÉVELOPPEMENT DURABLE?

- Analyse lexicale d'un conflit d'aménagement: le cas de l'extensionindustrialo-portuaire à Donges Est dans l'estuaire de la Loire

Claire CHOBLET, Laure DESPRES, PatriceGUILLOTREAU

- La science politique et la démocratie participative, enjeux et débats. Unpoint de vue d'un politiste

GoulvenBOUDIC

DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLEET RÉNOVATION DE LA DÉMOCRATIE LOCALE

REPRÉSENTA TIVE

Développement urbain durable et démocratie localeen matière budgétaire et financière

Antoinette HAsTINGs-MARCHADIER'

La plupart des actions publiques favorables au développement urbain durable(DUO) ont une incidence financière: que ces actions soient menées sur lesformes urbaines (renouvellement urbain, acquisitions foncières), sur lesfonctionnalités urbaines (mise en adéquation des équipements et des servicesofferts par la ville avec les besoins de la population), sur la cohésion urbaine(actions en faveur des quartiers et de la démocratie participative) ou surl'environnement urbain (espaces verts, lutte contre les pollutions, préservation etvalorisation du patrimoine urbain, écoresponsabilité diffusée au sein desadministrations ou de la population), toutes requièrent des moyens financiers,soit pour l'exercice de compétences propres aux collectivités, soit poursensibiliser les acteurs de la ville ou intervenir auprès d'eux. L'effort financier destructuration urbaine supporté principalement par les communes et les EPCI estévidemment un enjeu essentiel. La capacité d'investissement de ces collectivitésdoit impérativement être préservée et bien répartie sur l'ensemble du territoirenational pour garantir de façon pérenne une adéquation du développement urbainet des évolutions démographiques. Il a déjà été dit que l'échelon intercommunalapparaissait comme le plus pertinent pour la maîtrise et la régulation du territoireurbain l, bien qu'il souffre d'un déficit démocratique structurel et d'une fortedisparité institutionnelle et géographique. Pour autant, la rationalisation del'action publique locale qui apparaît aujourd'hui comme un impératif nationaFdoit être tempérée à l'égard des politiques sectorielles et des interventionsfinancières contribuant spécifiquement à la promotion du DUO. Dans les faits,comme en beaucoup d'autres domaines, le maillage financier public est

.DCS-CERP3E

1. Voir M. SAUVEZ, La ville et l'enjeu du « développement durable », Rapport au ministre del'Aménagement du territoire et de l'Environnement, La Documentation fi-ançaise, 2001.2. Voir les rapports de P. RICHARD, Solidarités et performances, décembre 2006 et deA. LAMBERT,Les relations entre l'État et les collectivités territoriales, décembre 2007.

entremêlé et indiscipliné. Chaque échelon territorial, du niveau régional auniveau communal, est susceptible d'apporter sa contribution, dans un ordredispersé, ce qui altère la cohérence territoriale de l'ensemble mais témoigne duvolontarisme innovant des élus locaux. L'effervescence actuelle en faveur del'aménagement durable, de la construction durable, du logement durable, etc.,caractérise une dynamique propice à la diffusion de la culture du DUO. Tant quecelle-ci n'aura pas fini de produire ses effets, l'initiative locale devra continuer àêtre encouragée et ne saurait être freinée avant l'observation de résultatsprobants. C'est dans ce cadre que la réflexion sur la démocratie locale en matièrebudgétaire doit s'inscrire. L'adoption du budget apparaît en effet comme unmoment important de la vie politique locale: moment de révélation ou decristallisation des éventuelles divergences politiques; moment de concertation etde détermination de l'organisation de la vie administrative et de l'orientation despolitiques publiques. Parfois, s'agissant du développement urbain, le débatpolitique sur la hiérarchisation des priorités a déjà eu lieu en amont, au détournotamment d'actes de planification urbaine. Lorsque ceux-ci comportent un voletde programmation financière3, les décisions budgétaires n'en sont alors que lesinstruments de concrétisation. Souvent cependant le débat budgétaire peut encorelaisser une large place aux arbitrages politiques en la matière. Mais ils nes'imposent pas pour autant et lorsqu'ils ont lieu, les choix expriméstransparaissent difficilement à la seule lecture des documents budgétaires. Encela le mode de formalisation des budgets territoriaux n'incite pas à l'expressionde politiques de développement urbain. Néanmoins, les élus locaux sont souventconfrontés aux enjeux financiers de ce développement. La richesse du débatbudgétaire compense alors les lacunes de la présentation formelle du budget.

I. Uneformalisation budgétaire aléatoire des politiques dedéveloppement urbain durable

La présentation budgétaire imposée aux collectivités n'a pas vocation àrefléter les arbitrages politiques locaux. Aussi, pour compenser la technicitéfinancière et éveiller l'intérêt des élus, de nombreuses collectivités développentdes pratiques budgétaires supplétives, en se dotant notamment de supportsd'information plus expressifs que le projet de budget requis par la loi.

A. Un cadre budgétaire légal peu adapté

Le budget doit répondre à une double fonctionnalité: garantir le débatdémocratique sur la base d'une information complète et transparente àdisposition des élus; garantir la fonctionnalité de l'autorisation budgétaire pourson suivi et son exécution par les services de la collectivité et les administrationsde l'État. La dimension technique ne peut donc être totalement écartée au profitd'une simplification qui favoriserait la lisibilité par les membres des conseils,

3. La mise en œuvre d'un plan d'action foncière par exemple.

276

souvent néophytes en matière financière, mais qui complexifierait la gestionfinancière locale au risque de desservir la qualité de la gestion publique. Le droitbudgétaire et comptable cherche donc à préserver un équilibre entre lespréoccupations d'effectivité du contrôle démocratique et celles d'efficacité dusupport budgétaire pour orchestrer ou accompagner les actions publiques locales.

Toutes les collectivités ont l'obligation de respecter des règles de présentationfixées dans des nomenclatures: posées par la loi et précisées par décrets etarrêtés, ce sont des instructions budgétaires et comptables propres à chaqueéchelon administratif' et qui privilégient l'uniformité notamment pour faciliter lacomparaison. Sous forme de tableaux financiers, toutes les opérations financièressont classifiées et réparties entre les sections de fonctionnement etd'investissement, distinction structurelle dans les budgets locaux. Deuxnomenclatures coexistent, celle par nature et celle par fonction, dont lacontribution formelle à l'affichage d'actions favorables au DUD variesensiblement, sans être totalement satisfaisante.

1. Une présentation «par nature» à dominante économique

Toutes les collectivités sont amenées à répartir leurs crédits selon cettenomenclature qui qualifie et organise les recettes et les dépenses selon leur natureéconomique dans une logique de rapprochement avec le plan comptable généraldes entreprises. Cette organisation essentiellement technique du budget permetde réaliser des analyses financières et de mesurer l'effort global d'équipement dechaque collectivité, mais elle n'apporte pas systématiquement d'information surla finalité des dépenses. Le coût annuel des acquisitions de terrains (pour réservefoncière ou opération d'aménagement), des plantations d'arbres et des dépensesde construction apparaît distinctement mais sans localisation géographiquepossible, ni indication sur le genre d'inITastructure publique concernée.

Dans le cadre de cette nomenclature les collectivités de toutes tailles disposentnéanmoins de la faculté d'introduire dans leurs budgets des chapitres«opération» qui réunissent tous les crédits nécessaires à la réalisation d'unemême opération d'aménagement. Il peut s'agir d'opérations spécifiques, commela construction d'une école ou la réhabilitation d'un complexe sportif, oud'opérations plus globalisées, comme la rénovation de la voirie municipale.Certaines collectivités recourent à ce procédé pour quelques opérations, d'autresdéclinent toute la section d'investissement sous ce mode. L'effort financierconsacré à la rénovation urbaine (voirie, rénovation des équipements ou desbâtiments existants) ou au développement urbain (réalisation d'infrastructuresnouvelles) peut alors faire l'objet d'un débat appuyé sur ce support budgétaire.Cela peut contribuer à l'identification d'actions favorables au DU mais ne sauraitsuffire à la définition d'une politique budgétaire de DU.

4. Instructions M14 pour les communes et les EPCI, M52 pour les départements et M71 pour lesrégions.

277

2. Une présentation « par fonction» politiquement neutre

Toutes les collectivités et les EPCI de plus de 3 500 habitants ont l'obligationde répartir parallèlement leurs crédits selon une nomenclature fonctionnelles,mais seules les collectivités de plus de 10 000 habitants peuvent voter leurbudget par fonction6. Cette présentation renseigne davantage les élus sur ladestination administrative et politique des dépenses locales. La liste des fonctionsest cependant impérative et uniforme, ce qui peut soulever des difficultés de miseen corrélation avec les priorités politiques de chaque exécutif local et limite defait l'intérêt de l'exercice, surtout pour les collectivités qui continuent à voterleur budget par nature. En outre, celles qui recourent à des instruments politiquesde planification pluriannuelle de l'action locale doivent procéder à un exercicesupplémentaire de correspondance entre ces documents et la présentationbudgétaire annuelle 7. Enfin, certains exécutifs locaux préfèrent élaborer desdocuments budgétaires qui reflètent davantage et sous d'autres intitulés lespriorités qu'ils souhaitent afficher pour leur politique8. Le débat budgétaire sedéroule alors sur la base des documents non réglementés. Par conséquent, l'utilitéde cette nomenclature apparaît surtout pour les membres des assembléesdélibérantes de collectivités dans lesquelles l'exécutif ne prend pas l'initiatived'apporter un éclairage sur la composition du budget sous forme littéraire et plusintelligible.

Le lien établi entre les fonctions et le DUD est plus ou moins étroit. Pour lescommunes et les EPCI la liste des fonctions est la suivante.

. Fonction 0 - Services généraux des administrations publiques locales. Fonction I- Sécurité et salubrité publiques. Fonction 2 - Enseignement et formation

. Fonction 3 - Culture. Fonction 4 - Sport et jeunesse. Fonction 5 - Interventions sociales et santé

. Fonction 6- Famille. Fonction 7 - Logement

5. Cette obligation a été généralisée à toutes ces communes dans le cadre de la mise en place del'instruction Ml4 applicable depuis 1997 aux communes et à leurs EPCI. Ceci n'est pas remis encause par la réforme de la M14 introduite par l'ordonnance n° 2005-1027 du 26 août 2005. Desdispositions équivalentes figurent dans la M52 pour les départements et dans la M71 actuellementmise en œuvre à titre expérimental pour les régions.6. Le choix du vote par fonction ou par nature relève alors de l'assemblée délibérante. Il emportesurtout des conséquences sur les modalités d'exécution du budget.7. Voir par exemple le « Projet Global de Développement» adopté depuis plusieurs mandats par laville de Saint-Nazaire. Le dernier en date, du mois de décembre 2001, présente les projets locauxautour de quatre axes « Développement économique / Développement urbain / Éducation-formation / Développement au bénéfice de la solidarité» qui ne se recoupent pas avec les fonctionsprévues par la M14. La programmation financière attenante requiert donc un exercice detransposition qui n'apporte rien à la lisibilité de l'action locale, cet effort étant entreprisindépendamment du support budgétaire. Une analyse similaire pourrait être faite à propos duManifeste régional des Pays de la Loire 2005-2015 adopté le 9 décembre 2005.8. Voir infra.

278

. Fonction 8 - Aménagements et services urbains; Environnement. Fonction 9 - Action économiqueTout dépend alors de la conception adoptée pour la notion de DUD.Dans une conception certainement trop restrictive, l'attention ne serait portée

que sur les crédits d'investissement rattachés à la fonction 8 qui détaille troissous-fonctions:« Services urbains/Aménagement urbainlEnvironnement »9.

La sous-fonction Aménagement urbain recouvre également cinq catégories dedépenses.. Services communs

. Équipements de voirie. Voirie communale et routes

. Espaces verts urbains

. Autres opérations d'aménagement urbain.Toutes ces dépenses relèvent assurément du développement urbain, mais

répondent-elles systématiquement à une démarche de DUD? Le degréd'information budgétaire ne permet pas de le savoir. Plusieurs obstaclesapparaissent à cette lecture: il est impossible de discerner les opérations derénovation urbaine des dépenses contribuant à une extension disproportionnée dupérimètre urbain; il est impossible d'identifier les efforts d'intégration de normesHQE dans la construction des équipements publics ou de suppression desproduits phytosanitaires dans l'entretien des espaces publics; il est impossible demesurer l'importance des modes de déplacement doux dans l'aménagement de lavoirie, etc.

En outre, d'autres fonctions peuvent comporter des actions favorables auDUD. Les charges d'équipement et de fonctionnement liées à l'écoresponsabilitépeuvent être dispersées dans la plupart des fonctions consacrées aux équipementspublics qu'ils soient administratifs, scolaires, culturels, sportifs ou d'accueil desjeunes enfants. De même les actions de communication ou de sensibilisation dela population et des entreprises au DUD peuvent être éparpillées dans le budget.Par conséquent, tout ce qui relève de la fonction 8 ne contribue pasnécessairement au DUD et nombreuses sont les autres fonctions qui peuventcomporter des crédits favorisant un DUD. A fortiori si l'on adopte uneconception plus large de cette notion qui étend l'analyse aux dépensesd'intervention sociale, économique ou culturelle. En ce cas, la plupart desfonctions budgétaires peuvent comporter des crédits participant au DUD.

Par conséquent, sous une forme ou sous une autre, le cadre budgétaire légaln'est pas suffisamment adapté à l'expression des priorités politiques locales et àla stimulation du débat démocratique. Aussi de nombreuses collectivités sedotent de supports libres de communication budgétaire.

9. On retrouve dans les budgets départementaux une fonction 7 « Aménagement etenvironnement» subdivisée en trois sous-fonctions dont « Aménagement et développementurbain ». La fonction 5 « Aménagement des territoires» des budgets régionaux comporteégalement une sous-fonction « Politique de la ville» et une autre « Agglomérations et villesmoyennes ». Le logement ou l'habitat sont aussi individualisés dans ces présentations budgétaires.

279

B. Des pratiques budgétaires supplétives

La procédure d'information des membres des assemblées à laquelle lesexécutifs locaux sont astreints est principalement encadrée par deux exigences.L'organisation préalable d'un débat d'orientation budgétaire (obligatoire danstoutes les collectivités de plus de 3 500 habitants) renseigne l'ensemble desconseillers sur les priorités budgétaires envisagées par l'exécutif autant qu'ilinstruit l'exécutif sur les risques de rejet ultérieur de son projet de budget. Quantà l'obligation de produire à l'intention des conseillers municipaux une noteexplicative de synthèse avant la séance de délibération budgétaire, le jugeadministratif vérifie seulement que la teneur de cette note ne soit pas tropindigente. Par conséquent, même s'ils sont informés en amont et sur une baseexplicative, les membres des Conseils ne disposent pas toujours d'une capacitéd'expertise leur permettant d'appréhender la portée du budget dans son approchela plus technique. Aussi l'intelligibilité du projet de budget et l'attractivité dudébat budgétaire feraient souvent défaut si des efforts complémentaires decommunication n'étaient pas entrepris.

Ce sont donc les exécutifs locaux eux-mêmes qui prennent l'initiatived'éclairer le débat en soumettant aux assemblées des supports plus appropriéspour la discussion. Ils choisissent alors de faire ressortir ou non leurs efforts pourun DUD, soit dans une logique pluriannuelle, soit au détour des prévisionsannuelles.

1. La planification pluriannuelle des projets d'investissement

Jamais le droit budgétaire local n'impose la formalisation d'une projectionfinancière à moyen ou long terme des politiques publiques. Pour autant lescollectivités recourent souvent à la planification pluriannuelle desinvestissements (PPI). Il s'agit d'un document prévisionnel résultant de lapratique administrative et financière de certaines collectivités qui associent par cebiais les élus et les responsables administratifs à la définition des prioritésd'investissement en tenant compte des objectifs politiques et des besoinsrecensés par les services. Des illustrations concrètes, comme celle de la ville deNevers JO, souligne l'intérêt d'une démarche!1 qui ne concerne que les projetssupérieurs à 150 000 eurosII et intègre plusieurs critères de hiérarchisation:caractère obligatoire de la dépense, projet déjà engagé, opération « phare» duprogramme de mandat, intérêt communautaire de l'équipement, etc. Cetteprogrammation établie sur quatre ans fait l'objet de réajustements annuels et de

10. L. PASCO, « Méthodologie de mise en œuvre d'une planification pluriannuelle desinvestissements (PPI) », Fiches pratiques financières de La Lettre du cadre territorial, na 60, juin-juillet 2004, 83IF.11. Voir infra11. Les opérations d'un montant inférieur sont directement intégrées dans la programmationannuelle soit dans le cadre du budget primitif, soit dans les décisions modificatives intervenant encours d'année.

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tableaux de bord qui guident le suivi individuel de chacune des opérationsretenues. L'ouverture des crédits corrélatifs dans les budgets annuels successifsaccompagne nécessairement sa mise en œuvre.

La PPI du Grand Lyon pour 2002-2007 était aussi intéressante à observer auregard de la classification des dépenses, établissant un lien étroit avec les champsdu DUD: déplacements urbains, urbanismes et espaces publics, développementéconomique et emplois, assainissement, investissement foncier, eau, maintenanceet renouvellement, habitat et politique de la ville, grands équipementsd'agglomération et écologie urbaine. À noter aussi en marge de ce PPIl'évocation des opérations menées en faveur du Développement urbain socialavec la création de ZAC, l'identification de quartiers prioritaires à la politique dela ville, et les programmes de logements neufs y compris sociaux. On retrouvedes similitudes dans les priorités affichées pour la même période par la« programmation pluriannuelle de l'action communautaire de NantesMétropole»: les projets métropolitains, le logement social et la politiquefoncière, le cadre de vie et l'environnement, la politique de déplacements et lavoirie communautaire. Cependant à la différence du Grand Lyon il ne s'agissaitpas d'une PPI à proprement parler mais d'un outil de planification sectoriellecomportant un volet financier.

Quelle que soit la tonalité dominante, financière ou politique, de cesdémarches de planification transversale et globalisante, elles ont en commun dedéporter en amont de la discussion budgétaire annuelle le débat politique etfinancier sur la hiérarchisation des priorités. Elles n'altèrent en rien lefonctionnement de la démocratie représentative locale mais la confidentialité quientoure parfois ces documents atténue l'accès à l'information de la populationsur le cœur des stratégies locales.

2. L'affichage budgétaire du développement urbain durable

De plus en plus de collectivités, surtout parmi celles de plus de10000 habitants, développent une présentation de leur budget en mode LOLF,sur le modèle de la loi de finances de l'État. L'intégration de la démarche deperformance, totalement facultative pour les collectivités locales, peut se traduirepar la déclinaison, plus ou moins aboutie, des crédits budgétaires en missions,programmes et actions, assortis ou non d'indicateurs de performance. Lesmotivations sont diverses: meilleure efficacité de la gestion, amélioration de ladémarche stratégique ou développement des outils d'évaluation des politiquespubliques. Facteur de complexification de l'exercice d'élaboration budgétaire,cela clarifie sensiblement les objectifs budgétaires et contribue certainement à ladynamisation du débat.

Depuis 2004 la ville de Lyon élabore ainsi son budget en développant saprésentation par fonctions avec des programmes et des opérations. Cela permetpar exemple d'observer les actions menées par le service municipal de l'Écologieurbaine. Plusieurs fonctions sont concernées: la sécurité et la salubrité publique,pour des actions d'hygiène et de lutte contre l'insalubrité, notamment des

281

logements indignes; l'intervention sociale et la santé, pour un programmed'actions de surveillance et d'information de la population; l'aménagement, lesservices urbains et l'environnement, pour un programme de qualité del'environnement regroupent cinq actions portant sur la qualité de l'air, de l'eau etde l'alimentation, sur la lutte contre le bruit et sur le suivi d'implantation de latéléphonie mobile. Évidemment le thème de l'écologie urbaine n'épuise pas levolet environnemental du DUD que l'on retrouve par exemple dans les actionsmenées par le service Éclairage public au titre du programme « réintroduire lanature en ville» ; par le service Déplacements urbains sur l'action «Bougezautrement» ; ou par le service Espaces verts sur un programme de gestion du DDdans la production des déchets verts. Le lien peut ainsi être établi concrètemententre la présentation par fonction, les affectations budgétaires de crédits auxdifférents services municipaux et les actions annoncées par la ville dans son plande mandat autour de six thèmes: une ville «éducative », «à vivre », «solidaire »,en «mouvement», «citoyenne» et «durable» 12. Cette approche budgétaireapporte donc une réelle contribution à l'éclairage des citoyens et des élus sur lespriorités politiques et sur le coût des actions sous-tendues.

Parfois aussi la présentation budgétaire associe à la formalisation des objectifsdes indicateurs de résultats. C'est le cas par exemple du budget de la régionBretagne qui affiche notamment une mission «Pour une exemplaritéenvironnementale et un tourisme renouvelé» où s'intègre un programme«Valoriser les paysages et promouvoir l'écologie urbaine ». Cette action depromotion repose sur un dispositif de subventions dit Eco-F AUR (pour Écologie-Fonds d'aménagement urbain régional) pour des «projets d'équipement etd'aménagement urbain communaux et intercommunaux privilégiant plans dedéplacements, maîtrise de l'énergie, économie d'eau, HQE dans les équipementspublics et l'habitat, liaisons espaces urbanisés - espaces naturels ». Le nombre deprojets ayant atteint plus de 50 % des cibles de l'Eco-F AUR sert d'indicateurs deperformance avec pour ambition 80 projets par an.

La richesse de ces informations facultatives et connexes aux documentslégaux représente incontestablement un atout pour la stimulation du débatbudgétaire en général et pour l'expression des choix politiques en matière dedéveloppement urbain en particulier. Ces différents exemples soulignent aussicombien les exécutifs locaux sont soucieux d'intégrer dans leurs instrumentsbudgétaires une démarche de communication politique à l'attention desassemblées et des citoyens.

Quoi qu'il en soit, indépendamment de son mode de structuration, l'adoptiondu budget est aussi une occasion de confronter les élus aux enjeux financiers duDUD.

12. La ville « durable» recouvre trois thèmes: « vers l'équilibre des modes de déplacementurbain», « le retour en ville de la nature» et « mieux préserver l'environnement».

282

II. Une confrontation des élus aux enjeux financiers dudéveloppement urbain durable

Si l'instrument budgétaire tel qu'il est dessiné par le législateur ne conduit pasimpérativement à l'expression d'une politique locale de DUO, il doit en revancheservir à mettre en adéquation les éléments constitutifs de cette politique avec lesmoyens de leur réalisation. Cependant, il ne saurait être question d'aborder cetteproblématique uniquement à court terme, ce qui serait antinomique avec lanotion même de développement durable.

Aussi les enjeux financiers du DUO peuvent-ils être résumés de la façonsuivante: ils consistent à assortir de moyens financiers adéquats les actionslocales considérées aujourd'hui comme favorables à ce développement, sansporter atteinte à la capacité des collectivités de mener durablement ces actions etde les réajuster aux besoins nouveaux qui seront exprimés par les générationsfutures. La conciliation du court et du long terme est indispensable à cetteapproche financière.

A. Le financement immédiat des actions de DUD

Pour mesurer l'aptitude d'une collectivité à assumer une politique de DUO, ilfaudrait idéalement une analyse prévisionnelle de tous les coûts nouveaux ainsiqu'une gestion pluriannuelle de leur répercussion budgétaire.

1. Un préalable de «bonne gestion» : l'estimation des incidencesfinancières

Toutes les dimensions du DUO n'ont pas le même enjeu financier:différences de coût, inégalités face à la mobilisation de recettes spécifiques pourles dépenses nouvelles, efforts financiers ponctuels ou inscrits dans la durée, etc.

Toutes les actions nouvelles ne s'inscrivent pas non plus dans le mêmecontexte financier local et n'imposent pas de ce fait les mêmes arbitrages. Uneforte capacité d'autofinancement pourra être mise à profit de nouvelles actionssans modification à court terme des politiques de financement budgétaire(arbitrage impôt/emprunt essentiellement). Tandis que, dans un contexte pluscontraint, une innovation pourra être conditionnée par la réalisation préalabled'une étude d'impact tendant à vérifier que l'élévation corrélative de la pressionfiscale ne présenterait pas un inconvénient excessif par rapport aux avantages dela mesure envisagée. Citons par exemple le cas d'un maire qui attendrait, pourdécider de l'opportunité d'un dispositif de subventions en faveur desconstructeurs privilégiant les énergies renouvelables, de connaître la répercussionde cette action sur les taux de fiscalité directe. Si la situation financière de cettecollectivité est bonne, ce n'est pas sa capacité financière qui soulève difficultémais bien le bilan coût-avantage de la mesure au regard des enjeux de ladémocratie locale.

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D'une façon générale, à l'heure où se diffusent sur le territoire national lesAgendas 21, la question se pose de savoir si leurs préconisations font l'objetd'une estimation préalable et d'une mise en balance entre les objectifsenvironnementaux et leurs incidences financières. Il faudrait mener une étudereprésentative sur cette question pour prétendre y répondre. Plusieursresponsables budgétaires de collectivités ont témoigné ne pas avoir été sollicitéspour l'analyse prévisionnelle de ces coûts. La détermination politique attachée àla démarche environnementale peut expliquer ce cloisonnement. Quoi qu'il en ensoit, les incertitudes financières varient fortement en fonction de la nature desactions et de leur caractère novateur.

Citons l'exemple des actions qui relèvent d'une démarche d'écoresponsabilitédans l'Agenda 21 de la ville de Rezé en Loire-Atlantique13

. Promotion de l'achat équitable: augmentation d'au moins 15 % des achatsde la mairie pour ses réceptions.. Intégration de la norme HQE dans les projets de construction et derénovation publics et privés: surcoût des normes HQE estimé entre + 10 et+ 20 % du coût de la construction. Recours à du bois certifié ou labellisé pour les constructions publiques:surcoût assuré.Adaptation de l'usage des produits phytosanitaires: augmentation du tempsde travail du personnel municipal. Recyclage du matériel informatique sur la base d'une convention avec uneentreprise d'insertion: interrogation sur le rendement. Économies d'énergie dans les bâtiments communaux: objectif de -10 % deconsommation et -40 T/an de CO2, avec un plan énergétique sur 3 ans.

Seule une comptabilité analytique de ces mesures permettra de connaîtreprécisément leur incidence financière. En attendant, les enveloppes budgétairesaccordées aux services municipaux gestionnaires de ces Agendas ou du DDpeuvent apporter un premier éclairage.

L'exercice est plus facile à réaliser s'agissant des dépenses relatives à lastructuration de la ville (voirie, équipements, réseaux de transports, etc.).Cependant la proposition formulée par P. Richard en 200614 consistant à« assortir tout projet d'investissement d'une certaine importance d'une expertiseéconomique portant notamment sur les coûts et recettes de fonctionnement et surla fréquentation prévisionnelle de cet équipement» prouve que des progrès sontencore possibles en la matière. La gestion pluriannuelle des dépenses y contribueégalement.

13. Les indications qui suivent n'ont pas de prétention scientifique.14. Ibidem.

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2. La gestion pluriannuelle des dépenses

Théoriquement contraints par le principe d'annualité, les budgets locaux ontpar nature une portée temporelle limitée. Le droit budgétaire permet cependantd'organiser la gestion pluriannuelle de certaines dépenses, en recourant à latechnique des autorisations de programme et des crédits de paiement (AP/CP).Cela conduit d'une part à formaliser ab initio le montant global des opérationsd'équipement pluriannuelles, d'autre part à prévoir les tranches annuelles decrédits de paiements qui seront nécessaires à leur concrétisation. L'usage desAP/CP peut intervenir soit en complément des démarches de planificationurbaine ou financière, soit de façon autonome. Élargi à certaines dépenses defonctionnementls, sous la forme d'autorisations d'engagement (AE/CP)16, ceprocédé est désormais ouvert à toutes les collectivités. L'exécutif local peut ainsiengager juridiquement et comptablement sa collectivité dès le lancement d'unprojet à hauteur de l'ensemble des dépenses envisagées. L'adoption des AP oudes AE relève de délibérations spécifiques qui interviennent au moment du débatd'orientation budgétaire ou ultérieurement lors de l'adoption du budget primitifou de décisions modificatives.

Certains budgets locaux, tel que celui de Nantes Métropole, font un usage trèsdéveloppé de la technique des AP/CP offrant à leurs lecteurs de nombreusesinformations par politique publique. Ainsi pouvait-on lire distinctement enannexe du budget primitif de cet EPCI pour 2006 le détail de toutes les AP, avecune projection sur quatre années. Par exemple, l'AP « Urbanisme et politiquefoncière» comportait douze lignes budgétaires en dépenses, dont cinq étaient en2006 dotées d'une prévision budgétaire effective: les études de PLU, les réservesfoncières d'agglomération, les opérations de démolition, la démolition du« tripode » à Nantes et les participations pour non-réalisation d'aires destationnement. Seules les deux dernières comportaient parallèlement desestimations de recettes. Les efforts financiers consacrés à la constitution deréserves foncières sont évidemment essentiels aux problématiques de DUD.

Ces techniques budgétaires facultatives présentent l'intérêt d'améliorer laprévision financière pluriannuelle. Il ne s'agit pas pour autant d'une méthode deprospective budgétaire, d'autant qu'elles sont liées à des projets précis et que leurprojection dans le temps n'est fiable qu'à l'échéance d'un mandat électoral. Lerecours aux autorisations de programme a par conséquent davantage vocation àfaciliter la réalisation d'opérations d'envergure qu'à garantir la pertinence et lacontinuité d'une démarche structurante pour le DUD. Ces complémentsd'information budgétaire sont utiles au débat démocratique local, en tant qu'ils

IS. Les communes peuvent y recourir depuis le 1erjanvier 2006 en application de la réforme de laMI4 introduite par l'ord. précitée du 26 août 2005.16. Selon l'article L. 2311-3 du CGCT, les AE/CP concernent les dépenses résultant deconventions, de délibérations ou de décisions au titre desquelles la commune s'engage, au-delàd'un exercice budgétaire, à verser une subvention, une participation ou une rémunération à un tiers: cela permet notamment de planifier sur plusieurs années les subventions accordées à d'autresorganismes ou collectivités publics, dans le secteur du logement social particulièrement.

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participent à l'éclairage des élus. Ils n'imposent cependant pas en tant que tel deréflexion sur la pérennisation du financement urbain.

B. La pérennisation du financement du développement urbain

L'aptitude d'une collectivité à répondre aux besoins renouvelés et futurs de sapopulation requiert d'une façon générale la préservation de sa capacité financièreet en particulier des efforts d'anticipation des dépenses et d'optimisation desrecettes spécifiques au développement urbain.

1. La préservation de la capacité financière de la collectivité

La capacité d'autofinancement des projets d'équipement, de même quel'absence de surendettement de la collectivité constituent des éléments précieuxd'une analyse financière orientée vers le futur. Le consultant M. Klopfer'7 insisteà ce propos sur le contrôle de la capacité de désendettement de chaquecollectivité pour vérifier si des marges de manœuvre budgétaires sonteffectivement laissées aux générations futures. Or, cet indicateur financier nefigure pas dans la liste des ratios budgétaires que les collectivités doiventobligatoirement produire à l'appui de leur budget's. N'étant pas proposé aucontrôle des assemblées délibérantes, il risque d'être éludé du débat budgétaire. Ilpeut cependant être calculé en comparant l'autofinancement prévisionnel(mentionné dans le budget) et l'encours de la dette (mentionné dans les annexesdu budget) : si l'autofinancement brut d'une collectivité lui permet de rembourserson stock d'endettement en moins de 8 à Il ans, elle ne fait pas porter sur lesgénérations futures le poids de ses dépenses d'aujourd'hui. Cet indicateur n'estpas totalement indifférent au DUD et mérite un examen tout particulier au niveauintercommunal. En effet, selon M. Klopfer « même si les départements et lesrégions souffrent aussi de la conjoncture financière, les plus gros risques desurendettement à l 'horizon de la fin de la décennie sont à l'échelleintercommunale ».

Une gestion prudente des collectivités conduit à contrôler continuellement cesratios. Au plan communal, au regard des chiffres nationaux'9, ils ne soulèvent pasd'inquiétudes à l'heure actuelle, même si la tendance récente invite à la vigilanceen raison d'une reprise de l'endettement et d'une diminution del'autofinancement au bénéfice d'un niveau soutenu d'investissement. Ladifficulté est de maintenir dans chaque collectivité un équilibre financier entre lesexigences de discipline budgétaire et la poursuite d'un effort d'équipement quipréserve a minima la qualité des infrastructures urbaines existantes. La

17. M. KLOPFER,« Les Collectivités locales ont-elles encore des marges de manœuvre financières? », Revue du Trésor, oct. 2006, p. 70118. Art. L. 2313-1 et R. 2313-3 CGCT pour les communes: plusieurs ratios concernent la dette(ex: encours de la dette /population) mais aucun n'impose la projection de ses effets dans le temps.19. Voir le rapport de l'Observatoire des Finances Locales, Lesfinances des collectivités localesen 2007 - État des lieux, rapp. J. BOURDIN, juillet 2007.

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responsabilisation des élus est déterminante en ce domaine surtout dans uncontexte où les dernières réformes comptables ont supprimé des obligations deconstituer des provisions budgétaires et accru de ce fait les risques financierspour les collectivités qui ne seraient pas attentives à la qualité de leur gestionprudentielle.

Face aux particularismes du développement urbain durable, les élus locauxdoivent aussi veiller à ce que les gestionnaires territoriaux établissent uneprojection à long terme des dépenses utiles à la protection de l'environnementurbain.

2. L'anticipation des dépenses renouvelables et futures

Le principe de prudence qui gouverne le droit budgétaire et comptable imposeaux collectivités de prévoir l'amortissement de certains biens et l'entretien deleurs équipements publics.

L'obligation d'amortissement s'est imposée aux communes de plusde 3 500 habitants à partir de 1997. Ce pourrait être une contribution majeure à lapérennisation du développement urbain si tous les investissements structurantsfinancés par une collectivité étaient concernés par cette obligationd'amortissement. Or la portée du dispositif est relative concernant surtoutl'ensemble des équipements mobiliers nécessaires au fonctionnementadministratif et excluant à l'inverse les bâtiments administratifs, la voirie et lesréseaux. Seuls les immeubles productifs de revenus sont donc assujettis à cettecontrainte, pour laquelle la collectivité dispose d'un pouvoir de détermination dela durée d'amortissement. Cela n'empêche pas les élus locaux de prévoir desamortissements facultatifs pour les autres infrastructures et cela ne les dispensesurtout pas d'assumer les dépenses d'entretien qui, comme les dotations auxamortissements, intègrent la catégorie des dépenses obligatoires.

En effet, l'article L. 2321-2 du CGCT impose aux communes la réalisationdes dépenses d'entretien de l'hôtel de ville, des voies communales, descimetières ainsi que les dépenses rendues nécessaires par l'exercice de leurcompétence en matière d'éducation nationale. Certains spécialistes considèrentque « pour la voirie et les réseaux, l'obligation d'entretien continu pesant sur lescommunes enlève tout intérêt à l'amortissement (le bien sera toujours en état,donc il est inutile de le remplacer) »20.Il est donc pertinent de faire une lecturecomplémentaire de ces deux dispositifs qui assurent conjointement lapérennisation des équipements publics existants.

Mais paradoxalement la portée de ces mécanismes pourrait réduire la libertélaissée aux futurs élus locaux dans le choix d'infrastructures publiques inédites.La priorité qui doit être donnée au renouvellement des investissements antérieurs,pour cause de vétusté ou d'absence de respect des normes techniques ou desécurité, se fait souvent au détriment du développement. Seule l'hypothèsed'augmentation de la capacité d'investissement des collectivités évite les

20. E. DOUAT, A. GUENGANT, Leçons de finances locales, Economica, 2002, p. 46 s.

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arbitrages. L'obligation de reconduction en continu ou à échéance de l'effortd'équipement initial est par conséquent ambivalente au regard des perspectivesdu développement urbain durable: si on recherche à travers cette notion lapérennisation d'infrastructures publiques de qualité, la contribution de cetencadrement juridique est positive; si on accorde priorité à la préservation d'unpouvoir de libre détermination des générations futures quant aux choix de leursinfrastructures publiques, le renforcement actuel de l'effort d'équipement publicest potentiellement négatif. Cela dépend surtout de la lourdeur des dépenses derenouvellement nécessitées à l'avenir par les équipements déjà réalisés et ducaractère plus ou moins réversible de leur configuration et de leur affectation.

Il apparaît cependant préférable d'obliger les collectivités à intégrer descontraintes de renouvellement des infrastructures existantes. À l'inverse, cultiverune indifférence à l'égard de la préservation du patrimoine urbain serait quoiqu'il en soit préjudiciable au DUO. La responsabilité politique des élus en lamatière ne paraît pas un garde-fou suffisant lorsqu'il s'agit de projections surplusieurs décennies. Même en étant fortement aléatoire, un exercice deprospection financière à long terme devrait leur être plus systématiquementimposé, associant naturellement prévisions de dépenses et de recettes etmobilisant au besoin un savoir-faire externe.

3. L'optimisation des recettes spécifiques

Les collectivités n'ont pas la maîtrise du contexte juridique et financier danslequel elles évoluent. Indépendamment des paramètres économiques auxquelselles sont sensibles (exemple de l'évolution des taux d'intérêt), le rôle joué parl'État à leur égard est déterminant: l'effort financier qu'il consacre à leurfonctionnement structurel et à la régulation des disparités financières locales(incitation à l'intercommunalité, mesures de péréquation) est essentiel à lapérennisation du financement local, de même que le degré de protection qu'ilaccorde à leur liberté fiscale. Son rôle est également important dans lefinancement des politiques urbaines, ses efforts étant désormais essentiellementconcentrés sur la politique de la ville, ce qui, comme l'incitation àl'intercommunalité, s'inscrit dans cette fonction de régulation des territoiresurbains. La question n'est pas ici de savoir si ces missions sont correctementassumées par l'État puisque les élus locaux n'ont pas de pouvoir décisionnel à cetégard.

Les collectivités peuvent ainsi profiter des aides sectorielles mises à leurdisposition par l'État mais l'expérience récente de son désengagement dans lefinancement des transports publics urbains en site propre doit susciter lavigilance. L'interventionnisme de l'État, comme celui de l'Union européenne,des régions et des départements en matière de DUO s'inscrit dans un cadrejuridique sensible aux fluctuations de priorités politiques et budgétaires externesà la volonté locale et doit être considéré comme fortement aléatoire dans uneperspective à long terme.

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La mise en cohérence des outils financiers et de planification sur les territoiresurbains échappe également fréquemment aux élus locaux, a fortiori à l'écheloncommunal. Souvent les maires sollicitent les collectivités supracommunalesselon une logique de guichet qui leur permet de profiter d'opportunitésfinancières à court terme mais qui soulève aussi deux difficultés: toutes lescommunes n'ont pas la capacité d'abonder le financement de ces projets et celales place aussi en situation de forte dépendance pour les dépenses derenouvellement.

De sorte que, la réflexion complémentaire portant sur l'optimisation desrecettes propres spécifiques au DU n'est pas inutile et devrait aussi se situer aucœur du débat budgétaire et financier des communes et des EPCI.

La discussion budgétaire est en effet l'occasion d'évaluer la répercussion surle montant annuel des recettes budgétaires des politiques fiscales ou tarifaires.Les principaux enjeux se situent du côté de la fiscalité directe, au détour de lapression fiscale exercée sur les entreprises et les particuliers via la taxeprofessionnelle, la taxe d'habitation et les taxes foncières. Cependant lesarbitrages financiers liés aux politiques sectorielles sont aussi déterminants,parfois moins au titre de l'équilibrage du budget, qu'au regard des effets qu'ilsproduisent sur la mise en œuvre de ces politiques.

Les décisions prises en matière de financement des transports publics urbainsillustrent parfaitement ce constae1. À l'échelon national (hors Île-de-France dontle statut est spécifique), en 2002, ce financement se répartissait entre leversement transport (45 %), les contributions des collectivités locales (17,5 %),les recettes tarifaires supportées par les usagers (17,4 %), l'État (4,2 %) etd'autres recettes, dont les emprunts (15,9 %). Les choix budgétaires, strictosensu, opérés par les collectivités locales en ce domaine portent donc sur unmode de financement secondaire, même s'il est en augmentation constante22.L'essentiel du financement relève ainsi de décisions fiscales et tarifaires dont laportée ne peut être évaluée au plan budgétaire que si ces services sont gérés enrégie (sous forme de budgets annexes). Il faut donc se référer directement à cesdélibérations financières pour discerner les politiques locales de sollicitation desentreprises dans le financement des transports publics urbains, via le versementtransport23, et pour mesurer l'implication des usagers, via la tarification desservices24. L'interférence entre les décisions financières et les instruments de

21. Voir par exemple O. DUPERON,« Le financement des transports urbains », in Le financementdes politiques locales, Annuaire 2005 des collectivités locales, CNRSÉDITIONS,p. 31-42.22. Les subventions publiques d'exploitation ont augmenté de 34,9 % entre 1997 et 2002 pourl'ensemble des réseaux et de plus de 39 % pour les réseaux de plus de 100000 habitants: Rapportde la Cour des comptes, Les transports publics urbains, avri12005.23. En 2003, sur 223 autorités organisatrices de transport en province, 186 recouraient à ceversement, pour l'essentiel des autorités gérant des réseaux de transports collectifs en site propre etde plus de 100000 habitants - Rapport de la Cour des comptes, op. cit.24. Selon la Cour des comptes, les politiques tarifaires « doivent répondre à un triple enjeu: celuidu financement du service public de transport; celui de l'attractivité des transports urbains; celuide la solidarité enfm, conformément au droit au transport pour tous défini par le législateur », op.

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planification du développement urbain s'opère aussi en amont de la délibérationbudgétaire. En effet, la liberté tarifaire des autorités organisatrices est accrue encas d'adoption d'un Plan de Déplacement Urbain25 (PDU), ce qui symbolise enl'espèce une intégration directe de l'effort de planification des collectivités dansle degré de liberté financière accordé aux décideurs locaux. Diverses pistes ontété ouvertes par la Cour des comptes, notamment celle de la diffusion despratiques de péages urbains dans les grandes agglomérations qui pourraientrésulter des PDU si les élus en convenaient.

D'autres politiques sectorielles pourraient être prises en exemples tels que lefinancement de l'urbanisme (Taxe locale d'équipement, Participations pourvoirie et réseaux, etc.) ou celui de la collecte et du recyclage des déchets26, pourillustrer l'importance du champ décisionnel offert aux élus locaux. Soulignonsseulement que les délibérations budgétaires ne recouvrent pas l'ensemble desdécisions financières pouvant influencer ou révéler les politiques locales de DUDmais que le débat budgétaire peut favoriser une approche transversale etsynthétique de toutes les décisions portant sur un aspect du DUD.

Par conséquent, même si les documents budgétaires officiels ne reflètent quetrès imparfaitement la richesse de certains débats budgétaires, plusieursarbitrages liés à la présentation du budget et aux choix financiers peuventparticiper à l'orientation et à la valorisation d'une politique locale dedéveloppement urbain. La forme budgétaire est souvent perfectible mais ilimporte surtout que les élus se saisissent de ce moment d'échanges et deconcertation pour effectuer des choix qui concilient la satisfaction des besoinsimmédiats et la préservation des intérêts futurs. La contribution de la démocratiereprésentative locale exercée en matière budgétaire dépend alors de l'empriseque les élus locaux eux-mêmes souhaitent accorder à ces problématiques dans lechamp de leur contrôle démocratique. Rien juridiquement n'impose cetteprécaution: la responsabilisation politique des élus en est le seul garde-fou.

cit. Ainsi la tarification produit un impact incitatif ou dissuasif en tenne de fréquentation par lesusagers et intègre à des degrés divers les paramètres sociaux dans l'accès à ce service.25. La signature d'une convention tarifaire avec le préfet peut produire un effet équivalent: voir ledécret du 31 octobre 2000 modifiant le décret du 16 juillet 1987 relatif aux tarifs de transportspublics urbains hors Île-de-France.26. Voir par exemple R. BARBIER,« Le financement de l'élimination des déchets municipaux », inLe financement des politiques locales, Annuaire 2005 des collectivités locales, CNRSÉDITIONS,p. 87-99.

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DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLEET RÉNOV ATION DE LA DÉMOCRATIE LOCALE

REPRÉSENTATIVE

La« parlementarisation »des assemblées localesconduit-elle à un renouveau de la délibération?

Arnauld LECLERC'

«Mal définir les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde» écrivaitAlbert Camus. Prendre au sérieux cet avertissement implique de définirstrictement ce dont on parle ce qui revient ici à spécifier trois notions.

D'abord, la notion de« parlementarisation ». Elle est un néologisme si bienqu'elle mérite toujours des guillemets. Elle semble désigner un processus continud'instauration du parlementarisme. Mais cette dernière notion est elle-mêmeambiguë. De quel parlementarisme parlons-nous? S'agit-il du« parlementarismeclassique» assimilé au « modèle de Westminster)} tel qu'il fut édifié au XIXesiècle en Angleterre? Dans ce cas, nous savons que le droit définit ce premierparlementarisme comme étant un système de séparation souple des pouvoirscaractérisé d'une part, par une faible répartition des compétences permettant àl'Exécutif et au Législatif de collaborer et d'autre part, par l'existence de moyensd'action réciproques permettant à l'Exécutif de dissoudre l'assemblée législativeet au Législatif de démettre le gouvernement. Ce schéma classique n'existe plusguère que dans les manuels de droit. Le modèle originel britannique a lui-mêmeévolué dans le sens d'une concentration des pouvoirs aux mains de l'Exécutif etd'une neutralisation des armes lourdes que sont la dissolution et la mise en jeu dela responsabilité gouvernementale. Nous ne saurions donc retenir ce premier sensdu parlementarisme. S'agit-il alors du «parlementarisme moderne» dénommé«parlementarisme rationalisé» par le juriste russe Mirkine Guetzevitch?L'expression désigne alors la codification juridique des rapports politiquesinternes au parlementarisme. D'un côté, le droit électoral est utilisé afind'engendrer les majorités claires et stables; d'un autre côté, le droitparlementaire déploie un grand nombre de techniques juridiques afin depermettre à l'Exécutif de domestiquer le pouvoir législatif (maîtrise de l'ordre dujour, arsenal technique visant à contrôler étroitement la procédure législative

.DCS-CERP3E

comme la limitation du droit d'amendement, limitation et neutralisation despouvoirs de contrôle politique en particulier la censure...) La difficulté ici vientde ce que le sens de ce « parlementarisme rationalisé» semble aller à l'encontrede la notion de délibération. En effet, ces dispositifs ont engendré un peu partoutune « vassalisation» de l'assemblée législative transformée en une simple« chambre d'enregistrement» des volontés gouvernementales. En conséquence,si la question posée a un sens, elle ne saurait se limiter à cette seule forme deparlementarisme. Il faut donc envisager un troisième sens plus historique quejuridique du mot « parlementarisme» qui nous renvoie vers les principesfondateurs. En effet, ainsi que l'a montré le philosophe et sociologue allemandJürgen Habermas, l'instauration du Parlement au moment de la Révolutionfrançaise correspond à l'institutionnalisation d'un espace public politique régi parle principe de discussion encore appelé « principe de publicité» I. Sous cet angle,le parlementarisme désigne l'instauration d'un cadre formel afin de produire lalégitimité nécessaire aux décisions. Le débat doit être producteur d'une vérité,certes toujours fragile et révocable car humaine et sociale qui s'opposeradicalement à une vérité divine accaparée par le monarque. En ce sens, ladémocratie parlementaire repose bien sur la formule veritas non auctoritas facitlegem2. Sous cet angle, la « parlementarisation » peut être entendue comme leprocessus visant à établir un espace public local à la fois institutionnalisé etrationalisé.

Ensuite, la seconde notion qu'il convient de définir est celle d'assembléeslocales. Elle ne semble pas en elle-même problématique car elle renvoie à ce quele droit désigne comme les assemblées délibérantes au sein des collectivitéslocales. Remarquons cependant le pluriel utilisé. Que peut-il y avoir de communentre les assemblées locales de 15 membres maximum des 80 % de communes demoins de 1 000 habitants et les assemblées délibérantes de 55 élus minimum desvilles de plus de 100000 habitants, entre l'assemblée d'une petite structureintercommunale et un conseil général ou régional? incontestablement, ladiversité des situations invite à une certaine prudence. Seules des tendancesgénérales pourront être relevées et discutées ici.

Enfin, la dernière notion à préciser est celle de délibération. La difficulté iciest celle de la polysémie originelle oubliée. En effet, la notion a eu dès l'originedeux sens: d'un côté, elle renvoie à une pratique collective si bien que l'accentest alors mis sur le nombre et l'égalité des membres; d'un autre côté, ellerenvoie à une pratique individuelle si bien que l'accent porte alors sur lecaractère raisonnable, réfléchi de l'action. Par exemple, Homère dans l'Odysséeutilise le mot délibération pour désigner la pratique collective du Conseil des

I. 1. HABERMAS,L'espace public, Paris, Payot, colI. ({Critique de la politique», 1978, chapitre 3sur ({les fonctions politiques de la sphère publique ».2. HOBBES avait caractérisé l'absolutisme monarchique par le principe inverse: Auctoritas, nonVeritas, Jacit legem (c'est l'autorité et non la vérité qui fait la loi). Cela signifiait que la légitimitéde la décision reposait uniquement sur la nature (divine) de l'autorité qui édictait la règle. Enrenversant ce principe, HABERMASsouligne combien désormais la légitimité de la règle dépend dela vérité qui émerge dans le débat au sein de cet espace public politique institutionnalisé.

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Anciens mais aussi à propos du «prudent Ulysse» qui «délibère dans soncœur »3. Aristote aussi emploie la délibération pour évoquer la pratique desassemblées mais il théorise également cette notion dans le cadre d'une éthiqueindividuelle de l'action bonne. Cette dualité de sens se maintient avec le latin: leverbe deliberare renvoie à l'action de réfléchir tandis que le nom deliberatio estcompris au sens de la consultation.

Lorsque le terme apparaît en français vers 1280, il signifie d'abord « faire unepesée dans sa pensée, réfléchir mûrement »4. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle, aumoment où la délibération des Parlements joua un rôle clé dans la contestation del'absolutisme royal et où la pratique de l'assemblée et du salon devint le modèlepour penser la politique, que le basculement s'opéra au profit du sens collectif.Les différentes éditions du Dictionnaire de l'Académie française témoignent decette mutation: alors que l'édition de 1694 définit « délibérer» comme le fait« d'examiner, résoudre, consulter en soi-même ou avec les autres », l'édition de1835 évoque la «délibération» comme «une discussion entre plusieurspersonnes sur une résolution à prendre, une question à résoudre »5.

Au xx" siècle, les fondateurs de la théorie délibérative de la démocratievéhiculent encore cette dualité de sens: tandis que le philosophe allemand JürgenHabermas privilégie nettement la délibération au sens collectif de laparticipation, le philosophe américain John Rawls se révèle lui plus sensible à ladélibération individuelle, à l'argumentation menée dans le cadre d'un « dialogueintérieur» 6.

En ce sens, savoir si la parlementarisation des assemblées locales conduit à unrenouveau de la délibération ne signifie pas seulement juger de sa capacité àinstaurer un débat collectif mais aussi juger de sa capacité à permettre aux éluslocaux de « réfléchir mûrement» à l'action. Ce n'est pas seulement la quantitéd'échanges verbaux qui est prise en considération mais aussi la qualité de seséchanges.

Cette question est d'autant plus légitime que la décentralisation nous a étéprésentée, depuis ses débuts en 1982, comme le vecteur d'une démocratie locale.Ce lien entre décentralisation et démocratie locale, qui n'a rien de logiquement ethistoriquement établi, a été martelé avec une étonnante constance. La loi du7 janvier 1983 précisait dans son article premier: «Les communes, lesdépartements, les régions constituent le cadre institutionnel de la participationdes citoyens à la vie locale et garantissent l'expression de leur diversité.» En1990, le Président Mitterrand rappelait lors de son discours de Moulin que « ladécentralisation n'est pas une fin en soi... elle s'impose parce qu'elle est uninstrument de la démocratie ». Lorsqu'elle fit le bilan de la décentralisation 20ans après sa mise en place, la commission Mauroy consacra une large part de son

3. HOMÈRE, Odyssée, XXX, v. 5_30.

4. Voir le tel1lle « délibérer» dans le Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Ed.Robert, p 1026.

5. Éditions consultables sur le site http://www.lib.chicago.edu/ejts/ARTFL/projects/.

6. Sur ce point, voir notre thèse: A. LECLERC, Les fondements de la démocratie délibérative. Uneconftontation entre John RAWLS et Jürgen HABERMAS, Rennes, 2001.

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rapport à la démocratie locale7. Les principales propositions furent mêmesrécupérées dans la loi du 27 février 2002 relative précisément à la « démocratiede proximité ». L'acte II de la décentralisation lancé par le gouvernementRaffarin en 2003 se plaça lui aussi sous les auspices d'un renforcement de ladémocratie locale. Pourtant la vitalité prétendue de la démocratie locale sembleêtre aujourd'hui contrecarrée par le sentiment diffus d'une crise de lareprésentation qui gagne jusqu'aux échelons locaux. La nécessité même dedéployer régulièrement des nouveaux dispositifs juridiques pour renforcer cettedémocratie locale paraît plutôt être l'indice d'un malaise. Bref, le lien maintesfois consacré entre décentralisation et démocratie se révèle en réalité plusproblématique qu'il n'y paraît. C'est pourtant ce lien qui est au cœur de larelation entre la parlementarisation des assemblées locales d'une part, etl'éventuel renouveau de la délibération d'autre part.

Évaluer ce lien suppose de suivre une démarche dialectique. En effet, nousassistons au choc de deux lectures et deux regards affirmant d'un côté que laparlementarisation est créatrice de la délibération et d'un autre côté qu'elle en estnégatrice. La première partie retracera le choc de ces diagnostics controversés enmontrant leurs limites. Le dépassement de cette opposition suppose quel'articulation entre parlementarisation et délibération repose sur des conditionsque nous énoncerons dans un second temps.

J. Parlementarisation et délibération au sein des assembléeslocales: des diagnostics controversés

La question de la démocratie locale, et plus particulièrement celle dufonctionnement des assemblées locales, a été explorée par deux disciplinesdifférentes: le droit et la science politique. L'une et l'autre établissent desdiagnostics diamétralement opposés en grande partie parce que ces disciplinesprojettent des regards distincts.

A. La parlementarisation créatrice de la délibération

1. Le formalisme de la lecture juridique

Le regard du droit sur la démocratie locale est d'abord très formel. L'exerciceprincipal consiste à recenser l'ensemble des règles juridiques régissant aussi bienle fonctionnement des assemblées que celles fixant le statut de l'élu local en lescomplétant par un grand nombre d'illustrations et de détails fournis par lajurisprudence8. L'ensemble est présenté comme constituant un encadrementjuridique performant permettant à la délibération de se réaliser. La démarche

7. P. MAUROY (dir.), Refonder l'action publique locale, Rapport au Premier ministre, Paris, LaDocumentation ftançaise, 2000, p. 70 et suiv.8. Par exemple, voir E. MELLA, Essai sur la nature de la délibération locale, Paris, LGDJ, colI.« Bibliothèque de droit public », 2003, 322 pages.

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contient plusieurs implications: d'une part, elle vise à considérer que l'existencede la règle juridique suffit à elle seule au mieux pour engendrer la délibération,au pire pour la protéger en posant un garde-fou; d'autre part, les écrits juridiquesinsistent considérablement sur le rôle du juge comme créateur de ces règles, lelégislateur n'ayant que consacré tardivement ces règles. Par exemple, un travailrécent sur ce sujet conclut:

Force est de reconnaître aujourd'hui que la démocratisation du débat local est engrande partie le résultat de l'œuvre protectrice dujuge administratif. En effet, sousl'impulsion de ce dernier, dans l'élaboration de l'acte délibératif local, et laprotection des droits attachés à la fonction délibérative, ont largement contribué audéveloppement d'un« délibératisme» local9.

Enfin, s'institue une confusion entre le processus de débat et la déeision àlaquelle il conduit. Au fond, une présomption est posée selon laquelle « le fait dedélibérer, d'une part, le résultat de cette activité, d'autre part, constituent unemanifestation de volonté collectivelO. » Il est vrai que le langage juridique dulégislateur n'aide guère à clarifier les choses puisque les assemblées locales sontd'emblée désignées comme étant des «assemblées délibérantes» et que leursactes sont dénommés des «délibérations ». Cette présomption repose sur unepolarisation sur le fait juridique au détriment du fait social. Même si elle n'a paseu lieu, la délibération est supposée avoir été possible puisque les règlesl'instituent, la créent. Comme l'explique F. Benoît à propos du contrôle du jugeadministratif, « ce qui conditionne la validité de la délibération n'est pas que soitinstauré effectivement un débat, mais seulement qu'il y ait eu possibilité réelle dediscussion au cours de la séance» ll. lei, le virtuel tient lieu de réel. Une lectureplus approfondie des règles menée par Jean-Marie Becet évoque la nécessité«pour garantir la progression simultanée de la décentralisation et de ladémocratie, [.. .], de rétablir, dans le respect des principes fondateurs, l'équilibrerompu au détriment des représentants élus des citoyens entre assembléesdélibérantes et organe actif» 12. Mais le même auteur referme aussitôt la porteentrouverte: l'équilibre rompu est jugé restauré par la proclamation du droitpréalable d'information des élus locaux.

9. L. CHRISTIAN, « L'approfondissement du débat démocratique dans le fonctionnement desassemblées locales» in Cahiers administratift et politistes du Ponant, Hivers 2005, n° 13, p 86.Voir aussi du même auteur sa thèse: L. CHRISTIAN,Le parlementarisme du droit des assembléesdélibérantes locales, université de Bretagne-Occidentale, 2005.10. G. KOUBI, « La délibération, manifestation de volonté dans le droit des collectivités locales »,Les Petites Affiches, 1992, n° 71, p 6.11. F.-P. BENOÎT, « Les délibérations du conseil municipal» in Encyclopédie Dalloz desCollectivités locales, volume 1, p. 302.12. J-M. BECET, « Information des élus locaux» in Jurisclasseur des collectivités territoriales, Ed.techniques, fasc. 560, p. 3 et suiv.

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2. Les limites de la lecture juridique

En se polarisant sur les détails législatifs et réglementaires du fonctionnementdes assemblées, la lecture juridique oublie des éléments fondamentaux del'architecture institutionnelle. Jean-Marie Becet évoque la nécessité d'unéquilibre institutionnel entre l'assemblée et le maire mais il oublie qu'il n'existeaucune séparation des pouvoirs au niveau local. On ne saurait penser l'équilibredes pouvoirs sans la séparation qui la fonde. Elle est pourtant considérée par lapensée libérale comme le fondement de la démocratie; Michael Walzer évoquela démocratie comme « un art de la séparation» 13 et Pierre Manent confirme lelien étroit entre démocratie moderne et organisation des séparations 14. Cette

absence a été bien notée par Martine Buron selon qui:

On pourrait dire que le maire cumule les rôles que jouent, au plan national, leprésident de la République, le Premier ministre et les présidents de l'Assembléenationale et du Sénat, c'est-à-dire le rôle des quatre premiers personnages del'État. Quant au conseil municipal, il choisit d'ailleurs moins son maire que cedernier ne choisit l'équipe avec laquelle il veut travailler et qu'il va présenter auxélecteurs. Au total, le pouvoir local apparaît déséquilibré au profit de l'exécutif1s.

La seconde limite très forte provient de l'absence de prise en considérationdes pratiques. La règle de droit n'est pas tout; son effectivité dépend beaucoupde son appropriation par les acteurs. Nous voudrions illustrer ce point à traversdeux exemples:

Tout d'abord, l'exemple du droit à la formation des élus locaux semble deprime abord un enjeu majeur en raison de la technicité et de la complexitécroissante des affaires à traiter. Même si le code prévoit depuis longtemps undroit à la formation, ce dernier n'était pas organisé. La loi du 3 février 1992relative à l'administration territoriale de la République (ATR) l'a organisé et laloi de 2002 sur la démocratie de proximité l'a révisé et complété. Désormais, unélu local peut bénéficier au minimum de 18 jours de formation par mandat sousréserve d'une autorisation d'absence. La formation est prise en charge par lacollectivité et ses dépenses constituent des dépenses obligatoires. Cependant, nulne s'interroge sur l'effectivité de ce droit. Plusieurs indices tendent pourtant àsignaler un délaissement de ce droit: tout d'abord, peu d'organismes deformation existent aujourd'hui dans ce secteur (143 agréés en 2004essentiellement en Île-de-France); ensuite, plus du tiers des organismes quidevaient redemander un agrément au Conseil national de la formation des éluslocaux a renoncé à déposer un dossier faute d'activité suffisantel6. Enfin, même

13. Selon le titre d'un article célèbre de M. WALZER,« Liberalism and the Art of Separation» inPolitical Theory, août 1984, vol. 12, na 3, p. 315-330 traduit « La justice dans les institutions» inEsprit, mars-avri11992, na 180, p 106-122 repris dans son ouvrage Pluralisme et démocratie, Paris,Esprit, 1997.14. P. MANENT,Cours familier de philosophie politique, Paris, Fayard, 2001, chapitre l, p. 23-37.15. Cité in CI. BRUNET-LACHENAULT,La décentralisation et le citoyen, rapport du Conseiléconomique et social, Paris, 2000, p. 1I-134.16. Rapport d'activité 2005 du Conseil National de Formation des Élus Locaux (CNFEL)accessible en ligne : http://www.dgc1.interieur.gouv.fr/comites_organismes/CNFEL/rapports/

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si la donnée est ancienne, seuil % des sommes théoriquement inscrites furentutilisées 4 ans après la mise en place du dispositif;

Le second exemple est, ensuite, celui du droit de proposition. Le jugeadministratif a reconnu depuis très longtemps la possibilité pour les élus locauxd'obtenir l'inscription à l'ordre du jour d'un sujet de leur choix à condition que lamanœuvre ne soit pas dilatoire. La loi ATR de 1992 est venue consacrer ce droit.L'élu a alors le choix entre proposer un sujet de débat pour la séance suivante oudemander par courrier à l'exécutif l'inscription d'un sujet sur le prochain ordredu jour. Les élus municipaux uniquement peuvent aussi exercer un droitd'initiative en cours de séance (pouvoir d'amendement). Ce système est présentécomme une avancée considérable pour contrer la main mise de l'exécutif surl'ordre du jour. Pourtant, là encore les rares données empiriques contredisentcette vision enchantée. Dominique Lorrain a montré à partir de l'exemple deLorient que l'emprise de l'équipe municipale sur l'ordre du jour du conseiln'avait cessé d'augmenter dans le temps; alors que l'agenda institutionnel n'étaitmaîtrisé qu'au tiers par la mairie à la fin du XIX. siècle, ill' était à 72 % en 1965,à 86 % en 1988 et à 100 % depuis cette dateI7.

Ces exemples attestent des limites d'une lecture purement formelle. Ladélibération ne s'ordonne pas par décret et il convient d'être attentif à d'autreséléments.

B. La parlementarisation négatrice de la délibération

1. Le rigorisme de la lecture politiste

À l'inverse du droit, la science politique a analysé l'instauration de ladémocratie locale sous le prisme d'un regard très critique. Dès le départ, elle arefusé de voir dans la décentralisation «la fin des notables» affichéeofficiellement pour constater plutôt « le sacre des notables» 18. Il ne s'agissait pasd'une hostilité de principe à la décentralisation. Tous les observateurs politistess'accordent sur l'importance du changement introduit par le processus continu dedécentralisation. La dynamique ainsi instaurée a d'ailleurs été auscultée sous denombreux angles allant du renouvellement du métier d'élu local à laterritorialisation de l'action publique en passant par le développement de ladémocratie participative pour ne citer que quelques aspects. C'est seulement lapromesse d'une démocratie locale qui a unanimement suscité une légitimesuspicion. Par exemple Pierre Sadran a dénoncé le fait que « la France devient"un système de plus en plus oligarchique", témoignant d'un véritable malaise

Rapport-CNFEL- 2005. pdf17. D. LORRAIN, La naissance des grandes organisations locales. La mairie de Lorient (1884-1990), Paris, CEMS, 1992. Données reprises dans D. LORRAIN,«Les pilotes invisibles de l'actionpublique. Le désarroi du politique?» in P. LASCOUME,P. LE GALÈS (dir.), Gouverner par lesinstruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2006, p. 163-197.18. J. RONDIN,Le sacre des notables. La France en décentralisation, Paris, Fayard, 1985.

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tant de la décentralisation que de la démocratie »19. Albert Mabileau a évoqué« la monarchie municipale à la française »20tandis qu'Yves Mény fustigea « LaRépublique des fiefs »21. Cette lecture puise sa force critique dans une attentionparticulière non seulement aux pratiques mais aussi à la structuration du systèmelocal. Yves Mény dépeint la démocratie locale comme un « système tribal» avec«un chef incontesté bénéficiant généralement d'une exceptionnelle longévitépolitique; une faible participation des "sujets" qui ne sont guère admis au rituelpolitique qu'une fois tous les cinq ou six ans; des mœurs politiques qui tendent àla confusion des intérêts personnels avec ceux de la collectivité publique ». Celane résulte pas « d'une volonté maligne des élus mais d'un ensemble de facteurs"entremêlés", à la conjonction de la culture politique, du droit, des structuressociales et des nécessités fonctionnelles ». Ce système est stratifié de la manièresuivante: au sommet des «grands notables », exécutif d'une grande structurelocale mais également occupant une place de choix sur la scène nationale;ensuite, des «barons intermédiaires» ayant au moins une responsabilitéterritoriale majeure; enfin des « vassaux» qui constituent la clientèle desprécédents suivis d'une somme de «petits élus» à la marge des hiérarchiesterritoriales22. Sur un ton moins excessif, Pierre Sadran parvient au même résultatlorsqu'il dépeint le système local avec «d'un côté, l'angélique vision d'unedémocratie locale portée par des milliers d'élus investis d'une égale légitimitédissimulant en fait une scène très hiérarchisée, avec quelques premiers et secondsrôles et une multitude de figurants; de l'autre, la situation stratégiqued'intermédiaires obligés des grands élus que leurs fonctions (exécutif important)ou leurs ressources politiques (cumul des mandats) placent à l'interface entre lelocal et le pouvoir central »23. Ce diagnostic sévère s'appuie en réalité surplusieurs éléments combinés.

Le premier élément est l'existence d'une déformation de la représentationpolitique. La science politique a, durant de longues années, constaté et critiquéles décalages considérables existant entre la composition de la population globaleet la composition sociale des élus locaux. C'est ainsi qu'on a pu relever unesurreprésentation massive des agriculteurs (45 % des maires en 1971 et encore28,6 % en 1989 contre seulement 4 % de la population éligible), celle desprofessions indépendantes, une surreprésentation grandissante des retraités (14 %des maires en 1971 mais 32 % en 1995), une sous-représentation massive desfemmes (21,8 % des élus locaux en 1998 contre 14 % en 1983 et seulement 5 %

19. P. SADRAN,« La vie politique locale» in Les cahiers français, Paris, La Documentationfrançaise, n° 293 intitulé « Les collectivités locales en mutation », octobre-décembre 1999,p. 25-32.20. A. MABILEAU,« De la monarchie municipale à la française» in Pouvoirs, 1995, n° 73 intitulé« La démocratie municipale ».21. Y. MÉNY,« La République des fiefs» in Pouvoirs, 1992, n° 60, p. 17-24.22. Pour une description très voisine, voir A. MABILEAU,Le système local en France, Paris,Montchrestien, colI. « Clefs-Politique », 1995,p. 91-93.23. P. SADRAN,« La vie politique locale» in Les cahiers français, Paris, La Documentationfrançaise, n° 293 intitulé « Les collectivités locales en mutation », octobre-décembre 1999,p. 25-32.

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des conseils généraux et régionaux en 1998). Bref, la France des élus locaux bienque composée d'un français sur 100 (plus de 550000 élus locaux) n'était en rienreprésentative de la population globale.

Le second élément est l'existence d'une professionnalisation du métier d'élulocal. De nombreux travaux ont porté sur la tendance à la« professionnalisation » du métier d'élu local confortant l'hypothèse d'un « sacredes notables »24. Cela s'est manifesté d'abord par le faible renouvellement deséquipes et des exécutifs aux élections locales lequel était entravé par la« présidentialisation » des exécutifs locaux accompagnée par la rhétorique du« maire entrepreneur» ou encore du « maire développeur ». Un second élémentfut celui d'une «centralisation à l'envers» selon la belle formule d'AlbertMabileau: «La dispersion des centres de décision, écrit-il, a paradoxalementprovoqué une concentration effective des pouvoirs locaux, en accordant àcertains d'entre eux la maîtrise de l'action publique et le contrôle de l'espace25.»Cette concentration a été particulièrement bien servie par une législation trèsfavorable au cumul des mandats qui demeure la plaie du système. Commel'écrivit Guy Carcassonne, « le cumul a une perversité ultime: aussi longtempsqu'il n'est pas juridiquement interdit, il est politiquement obligatoire. L'élu estamené à se tailler un fief, par crainte des mauvais jours, par crainte de laconcurrence au sein de son propre camp, par volonté de cumuler avec lesfonctions qui, pour ne pas être directement électives, peuvent se révélerlucratives. »26Pierre Sadran ajoute à juste titre que« Le cumul des mandats est lemoyen pratique mais inavoué d'assurer [...] par la prime à la réélection qu'ilprocure, la quasi-professionnalisation des élus, désormais aussi indispensablepour faire carrière que pour gérer efficacement les intérêts collectifs. » Et, eneffet, en capitalisant des ressources symboliques mais aussi relationnelles, l'élulocal professionnalisé facilite le traitement et l'avancement des dossiers.

Le troisième élément provient de la mutation de la citoyenneté locale. Ladynamique de la décentralisation n'a pas permis de surmonter la « crise de lareprésentation» qui s'est elle aussi installée au niveau local. Le phénomène seconstate d'abord par la montée de l'abstention y compris aux élections localesque l'on croyait protégées en raison du lien de proximité. Désormais près du tiersdes électeurs s'abstiennent aux élections municipales (23,5 % dans les villages demoins de 3 500 habitants en 2001 contre 14 % en 1983) d'autant quel'abstention est souvent rotative et intermittente. Le phénomène est d'autant plusintéressant que l'intérêt des Français pour la politique est constant depuis 25 anset qu'ils se jugent de plus en plus compétents sur les questions politiques. L'autreparamètre est la montée des contestations non conventionnelles. Elles regroupentles formes de participation comme les boycotts, les pétitions, les manifestations,les grèves, les occupations de locaux. En 1981, 50 % des Français adultes

24. Notamment le travail pionnier de Ph. GARAUD, Profession, homme politique. La carrièrepolitique des maires urbains, Paris, L'Hannattan, colI. « Logiques sociales», 1989.25. A. MABILEAU, « Les génies invisibles du local. Faux-semblants et dynamiques de ladécentralisation» in Revue Française de Science Politique, 1997, vol. 47, n° 3, p. 353.26. G. CARCASSONNE,« Cumulatio delenda est», Le Monde, 7 mai 1997.

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n'avaient jamais pratiqué aucune de ces actions; ils n'étaient plus que 28 % en1999. Un troisième paramètre important est la demande récurrente et lourded'instauration d'une véritable démocratie participative. Certes, il ne saurait êtrequestion d'avoir une vision enchantée de la démocratie participative mais, dumoins, pourrait-elle mieux s'articuler à la démocratie représentative.

Le cumul de ces facteurs a pu légitimement permettre de dresser un diagnosticsévère sur la réalité de la démocratie locale et de sa capacité à effectivementreposer sur la délibération. Il n'en faut pas moins indiquer quelques limites.

2. Les limites de la lecture politiste

Tout d'abord, la démocratie représentative n'implique nullement une identitéentre la composition sociale des élus et celle de la population en général. Commel'a admirablement démontré Bernard Manin, la démocratie représentativeincorpore un principe de distinction:

Le gouvernement représentatif a été institué avec la claire conscience que lesreprésentants élus seraient et devaient être des citoyens distingués, socialementdistincts de ceux qui les élisaientZ7.

Ce n'est pas l'institution historique du cens qui est en cause puis soneffacement progressif; il s'agit là plutôt d'une condition structurelle propre ausystème représentatif qui s'est ensuite trouvée confirmée empiriquement par denombreux exemples. Que Jaurès puis Blum aient pu être les représentants de laclasse ouvrière indique de manière spectaculaire combien les groupes sociauxtendent à désigner comme représentant des individus décalés par rapport à leurscaractéristiques socio-économiques. C'est le fondement même de lareprésentation reposant sur un acte de confiance (trustee) et non sur un mandatimpératif ou même une pure et simple délégation. Au demeurant, lefonctionnement d'un espace public institutionnalisé n'exige aucunement uneidentité de profil sociologique entre les gouvernants et les gouvernés. Il exigeplutôt que l'assemblée délibérante puisse se saisir de l'ensemble despréoccupations des différentes catégories de population sans qu'il y aitnécessairement d'identification requise. En d'autres termes, l'espace publicinstitutionnalisé doit pouvoir être une « caisse de résonance» de l'espace publicgénéral. Le danger viendrait alors plutôt d'une éventuelle fermeture de l'espacepublic institutionnalisé sur lui-même. Les décalages constatés durant les vingtpremières années de la décentralisation semblaient effectivement alimenter àjuste titre le développement d'un certain «autisme politique », l'assembléedélibérante fonctionnant de plus en plus pour elle-même et de moins en moinspour sa mission.

Outre cette objection de principe, il faut ensuite mentionner le mouvement de« régénération» de la représentation enclenché ces dernières années. La loi surla parité a quasiment doublé la représentation des femmes dans les conseils

27. B. MANIN,Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 125.

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municipaux (47,5 % des élus municipaux en 2001) même si un long chemindemeure à parcourir pour mieux traduire ce fait électoral en responsabilitéélective effective. Pour l'instant, les femmes ne représentent que 10,8 % desmaires et guère plus des adjoints ayant des portefeuilles décisifs. De même, lesfemmes peinent à s'imposer dans les structures intercommunales et dans lesconseils généraux (à peine 10 % aux cantonales de 2001 mais la parité nes'appliquait pas). À l'inverse, la surreprésentation des professions indépendantescomme des agriculteurs tend progressivement à s'effacer. Au total, lacomposition des élus locaux se rapproche de la composition de la populationglobale même si des distorsions nettes demeurent sur le plan de la détention encapital social et culturel (à l'avantage des professions intellectuelles) et d'unedisponibilité (à l'avantage des fonctionnaires). Un dernier point doit égalementrelativiser le processus de consécration des notables: les élections municipalesde 2001 ont conduit à l'émergence de nouveaux maires pour 41 % d'entre eux cequi constitue une « première» explicable, il est vrai, par des effets degénération. Les nouveaux élus sont cependant susceptibles à leur tour d'êtrefrappés par le processus de « notabilisation élective ».

Au total, les deux lectures juridique et politiste révèlent que le lien entreparlementarisation et délibération n'est ni aussi simple, ni aussi univoque qu'iln'y paraît. La dynamique de la décentralisation peut, à tout moment, en changerle sens et le contenu. Cela suggère que les carences de la démocratie localerelevées par la science politique ne sont pas irrémédiables et qu'une articulationentre parlementarisation et délibération plus adéquate peut être trouvée.

IL Parlementarisation et délibération au sein des assembléeslocales: une dynamique conditionnée

Évoquer une meilleure articulation entre parlementarisation et délibérationimpose d'explorer les conditions à partir desquelles les deux termes en débatpeuvent être rendus compatibles. Ces conditions sont, pour l'essentiel, autantd'obstacles qu'il convient de lever. La « littérature grise» insiste principalementsur les obstacles institutionnels. Mais au-delà il existe vraisemblablement desconditions culturelles au renouveau de la délibération.

A. Les conditions institutionnelles du renouveau de la délibération

Lors des auditions du Conseil Économique et Social pour son rapport sur Ladécentralisation et le citoyen, un élu (Gérard Delfau) déclara:

Aujourd'hui, la vraie démocratie locale est encore complètement à inventer dansles agglomérations urbaines. Quand tel maire de grande ville, parce que celafonctionne ainsi, passe 277 dossiers en une heure et demie de conseil municipal etdonne la parole une fois à un membre de son opposition sur la totalité, noussommes au Moyen-Âge de la démocratie28.

28. Rapport du CES, La décentralisation et le citoyen, Paris, 2001, tome Il, p. 109.

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Ce constat rappelle qu'au-delà des règles juridiques, la démocratie repose surdes pratiques qu'il conviendra de revoir.

1. L'obstacle juridique: des règles insuffisantes

Nous ne saurions, ici, prétendre dresser le catalogue des règlescomplémentaires nécessaires mais non suffisantes à la promotion d'unedélibération plus authentique. Malgré tout quelques points saillants méritentd'être relevés.

Tout d'abord, la maîtrise exclusive de l'ordre du jour par la majorité localecontrevient au principe représentatif. Le parlement national a su ménager une« fenêtre» pour l'examen des propositions venant de l'opposition. Ce dispositifmériterait d'être repris au niveau local plusieurs fois dans l'année. Notonsd'ailleurs que le projet de loi sur la démocratie de proximité contenaitinitialement une séance annuelle de ce type pour toutes les structures de plus de3 500 habitants. Cette initiative ne fut malheureusement pas retenue.

Ensuite et plus globalement, le statut de l'opposition au niveau local constitueun véritable enjeu pour vivifier la délibération. Il faut pouvoir transformer la oules oppositions en forces de contre-propositions et non simplement en forces deprotestation symbolique. Pour les grandes villes, les EPCI majeurs, les conseilsgénéraux et régionaux, il serait utile que l'opposition principale soit structurée enshadow cabinet sur le modèle britannique et soit dotée de moyens conséquentsafin de pouvoir mieux suivre les dossiers, chiffrer des hypothèses alternatives...De ce point de vue, le dispositif mis en place en 1995 autorisant un financementtrès minimal des groupes politiques dans les structures de plus de100 000 habitants demeure notoirement insuffisant.

Une limitation drastique du cumul des mandats apparaît désormais unimpératif absolu compte tenu de la lourdeur et de la complexité des tâchesdévolues aux élus locaux. Le système n'est cependant possible que si lesindemnités des élus sont notablement augmentées (un maire allemand d'unegrande ville touche autant qu'un député pour ne rien dire du Danemark). Celadégagera aussi du temps et de la concentration dont la délibération pourraprofiter.

D'autres règles plus ou moins radicales peuvent venir compléter ces points.Par exemple, il paraît indispensable et logique d'empêcher la confusion entrel'exécutif et le législatif. Il nous semble que le président de l'assembléedélibérante ne peut pas être l'exécutif sinon celui-ci devient à la fois le principalacteur et l'arbitre du jeu. Une grande partie des dérives autoritaristes vient decette situation anormale au plan des principes.

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2. L'obstacle sociologique: des pratiques déviantes

Les pratiques des élus locaux sont pour beaucoup dans l'étouffement de ladélibération locale.

Les règles à elles seules ne sauraient suffire à instaurer une plus ampleargumentation contradictoire. L'exemple du débat d'orientation budgétaire est àcet égard édifiant. Le cadre juridique existe désormais et le dispositif global estconnu. Pour les structures de plus de 3 500 habitants, un débat d'orientation doitavoir lieu 2 mois au moins avant le vote du budget. Ce qui devait être le cadred'une discussion sur l'orientation de la politique locale a pourtant été détourné deson objectif par la pratique. Le plus souvent, le DOB ne débouche que sur unaffrontement ritualisé sans consistance29. Le comportement de l'Exécutif est, enparticulier, significatif: ou bien, il soumet au débat un avant-projet tellementdétaillé qu'au mieux la discussion s'engluera dans les détails; ou bien, ilprésente quelques lignes tellement générales qu'elles ne présentent aucune utilitéet ne favorisent pas le débat. De ce point de vue, la solution semble passer par lapromotion de «bonnes pratiques» visant à soumettre aux débats 2 ou 3hypothèses suffisamment chiffrées pour que l'assemblée engage une réflexionapprofondie et se saisisse des enjeux budgétaires. Une fois l'orientation retenue,un rapport juridique de compatibilité (mais pas de conformité) entre le budgetvoté et l'orientation initiale devrait être imposée évitant ainsi les écartsincompréhensibles (problème de l'indépendance des 2 votes avec l'exemple duconseil régional Rhône-Alpes en 1997 devant le Conseil d'État: orientationvotée à 6 % d'augmentation des recettes fiscales directes et budget adopté avec60 % d'augmentation30).

D'autres pratiques plus politiques constituent d'authentiques obstacles à ladélibération en particulier au sein des majorités établies. D'une part, denombreux petits élus sont très peu associés aux décisions; ils reçoivent lesinformations tardivement (mais dans le délai légal qui ne veut rien dire) si bienqu'ils découvrent un dossier ficelé « dans leur dos» par les grands élus (adjointset exécutif). En privé, de nombreux élus présents depuis longtemps dans lesconseils municipaux se plaignent de cette pratique du « fait accompli» et de leurinutilité grandissante au sein des assemblées. Un autre processus plus subtile etpervers se rencontre fréquemment. Les élus, au départ très proches du maire ouprésident du conseil général, mais qui manifestent une grande autonomie d'espritsont progressivement marginalisés si bien que d'élections en réélections,l'Exécutif ne se trouve plus entouré que d'une Cour d'élus disciplinés, docilesmoins lucides. Ce processus favorise l'instauration progressive d'un « népotismerampant» qui constitue l'une des grandes faiblesses de la démocratie locale.

29. Voir les remarques critiques de A.-S. HARDY à partir de l'exemple d'Épinay-sur-Seine quiévoque une mise en scène sur des objectifs très flous: A.-S. HARDY, «La prise de décisionmunicipale: un processus délibératif?» in B. CASTAGNA,S. GALLAIS, P. R!CAUD et J.-P. Roy(dir.), La situation délibérative dans le débat public, Tours, Presses Universitaires FrançoisRabelais-MSH« Villes et territoires », 2004, vol. l, p. 207-227.30. CE, 4 juillet 1997,« Région Rhône-Alpes », RFDA, 1997, p. 1092.

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B. Les conditions culturelles du renouveau de la délibération

Au-delà, la parlementarisation ne peut engendrer un renouveau de ladélibération que si une nouvelle « culture politique» se met progressivement enplace. Depuis quelques années, l'accent est mis en France sur la faiblesse du« dialogue social », sur la distance sans cesse croissante entre les élus et lescitoyens qui en ont une image de plus en plus détériorée... Il est vrai que certainsenjeux locaux majeurs sont abordés loin du regard des citoyens comme dans lesstructures intercommunales qui échappent encore complètement à uneappropriation citoyenne faute d'une élection directe au suffrage universelpourtant nécessaire et inéluctable. Mais l'enjeu central se situe plutôt dans lacapacité à mettre en place une culture de l'argumentation qui fait largementdéfaut d'autant que des obstacles profondément ancrés semblent s'y opposer auplan symbolique.

1. L'obstacle politique: la faiblesse de la culture argumentative

L'institutionnalisation du débat public doit être un processus continu quiexige le respect de plusieurs conditions de fond. Il faut en particulier rompre avecles pratiques de « rétention de l'information» c'est-à-dire avec le jeu des« asymétries informationnelles » que les élus majeurs exercent à l'égard de leurscollègues mais aussi à l'égard des citoyens. Dans cette optique, des outilsmajeurs demandent à être développés pour nourrir le débat local.

Trois types d'outils et niveaux d'analyse doivent être développés31 :. Les analyses prospectives: les « gouvernements locaux» produisent pour

l'instant fort peu d'analyses prospectives qui ont pour but de décoder lesmutations locales en cours souvent peu perçues par les acteurs et de construiredes scénarii alternatifs. On peut certes citer quelques initiatives originales commecelles de la Bretagne qui a engagé une démarche prospective sur la démographieet une autre sur l'impact économique et social des technologies decommunication ou encore le travail de la « Mission Prospective» de la CURL Ysur le développement de l'agglomération lyonnaise à l'horizon du « Millénaire3 ». Même si la loi Voynet a tenté d'instaurer une prospective territoriale àl'horizon 2020, force est de constater le caractère très embryonnaire de cettedimension. Seul le niveau régional notamment grâce au rôle du CESR s'estvéritablement engagé dans cette démarche nécessaire. L'enjeu consiste désormaisà généraliser ces pratiques en dotant les assemblées délibérantes d'instancesconsultatives ou participatives capables de produire de telles analyses.

. Les analyses in itinere: le suivi de l'action locale laisse lui-même à désirer.Pour l'instant, le seul outil disponible résulte du travail méritoire de contrôle desChambres régionales des comptes dont les lettres d'observation sont publiques,contradictoires et permettent de nourrir le débat local. Mais on connaît tous les

31. Nous rejoignons ici les recommandations de M. RASÉRAdans la dernière partie de sonouvrage: M. RASÉRA, La démocratie locale, Paris, LGDJ, coll. « Système », 2002.

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résistances des élus locaux face à ce jugement. Ceux-ci ont d'ailleurs déployéune stratégie active de cantonnement du travail des CRC acceptant très mald'être « jugés)} ou« évalués)} par elles. C'est là un symptôme de la difficultéculturelle française à véritablement accepter le principe de public account. Làencore, un déploiement de ce type d'analyses est requis au-delà du seul aspectbudgétaire.

. L'évaluation des politiques publiques: l'action publique doit égalementrendre des comptes après coup à travers l'évaluation des politiques publiques. Onsait combien l'institutionnalisation de cette démarche se révèle difficile enFrance depuis vingt ans aussi bien au niveau national que local. Certes, desefforts ont été accomplis particulièrement au niveau régional mais ils demeurentnotoirement insuffisants. On connaît aujourd'hui mieux les effets possibles deces évaluations notamment en terme de dynamique d'apprentissage mutuel parles élus, les administratifs, les techniciens. Reste que l'essentiel des politiquesmunicipales ou du conseil général échappe à l'évaluation qui doit le plus possibleêtre développée de manière partenariale (mais sur un mode moins lourd que lagestion des Fonds structurels ou l'évaluation des CPER) par des instancesindépendantes (cabinets, universités...).

D'autres obstacles politiques empêchent aujourd'hui l'émergence d'unevéritable délibération au niveau local. L'un d'entre eux est la «culture dumonopole de la représentation)} dont se sont dotés les élus sur le modèle del'Assemblée nationale. Ceux-ci acceptent mal la possibilité d'autres formes demandatements qu'ils perçoivent comme concurrents plutôt que commecomplémentaires. Cela biaise totalement la relation notamment aux associations.Les élus, sous couvert de les traiter en partenaires de l'action, cherchent à« vassaliser)} celles-ci en particulier par le jeu de la distribution dessubventions. Or, il nous semble que les associations peuvent exercer un rôle deconseil important auprès des assemblées locales qu'il conviendrait deformaliser32. Au demeurant, l'institutionnalisation d'un conseil consultatif desreprésentants associatifs auprès des assemblées locales pourrait être l'occasiond'enclencher une dynamique de démocratisation de ces structures qui sontsouvent elles-mêmes très peu démocratiques dans leur fonctionnement. Cetteculture du « monopole de la représentation)} induit aussi une résistance larvéemais réelle au développement des formes de démocratie participative. Celle-ci aelle-même de nombreuses limites mais la prédisposition consistant à s'en défiercouplée à la stratégie consistant à les contrôler voire à les manipuler metaujourd'hui sérieusement en danger des innovations intéressantes comme la

32. Voir par exemple l'étude de Ph. TEILLETsur le cas des conseils de développement dans lesvilles d'Angers et Grenoble. L'auteur reconnaît un certain élargissement du polyarchismetraditionnel en direction de notables non électifs et une influence délibérative réelle exercée par lacompétence technique. Voir Ph. TEILLET, « Démocratiser les politiques territoriales?» inA. FAURE, E. NÉGRIER(dir.), Les politiques publiques à l'épreuve de l'action sociale. Critique dela territorialisation, Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques politiques », 2007, p. 199-208.

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démocratie de quartiers33. Celle-ci demeure trop souvent un outil publicitaire deplus pour les élus locaux. Les élus agissent comme si l'espace publicinstitutionnalisé devait être le seul au monde et devait fonctionner en vase clos.En réalité, l'espace public contemporain est composite; l'espace institutionnaliséne peut être que régulateur parce qu'ouvert sur l'espace public général lui-mêmecomposé d'un ensemble d'espaces publics spécialisés et interreliés. Une preuvede cette culture de la défiance procédant de l'idée d'un monopole de lareprésentation vient de la pratique récente consistant à « bizuter» les nouveauxélus en leur confiant le portefeuille de la démocratie de proximité. Cela suggèreimplicitement que l'on apprend le métier d'élu local (donc cette culture dumonopole) en se heurtant aux affres d'une citoyenneté passive, chaotique et « basde gamme ». Cette donnée confirmée lors des assises nationales de la démocratieparticipative traduit un obstacle symbolique très profond34.

2. L'obstacledu pouvoir

symbolique: sacralisation et appropriation

Sans céder à une dérive culturaliste, il semble possible de formuler unehypothèse assez générale qu'il conviendra ensuite d'étayer: la difficultéfrançaise à mettre en place un dialogue social procède d'une « matricecognitive» profondément ancrée conduisant à envisager le pouvoir sur le modede la surpuissance, de la sacralisation et de l'appropriation. En d'autres termes, laculture politique française dominante empêche de penser le pouvoir commerelationnel ou communicationnel.

Les symptômes de cette culture peuvent être recherchés dans divers domaines.Des éléments classiques comme les difficultés de fonctionnement du paritarisme,l'impossible transposition du modèle allemand d'un dialogue transpartisan, d'unenégociation permanente avec les acteurs sociaux, la caractéristique trèshexagonale d'une « suréminence symbolique de l'État »... sont bien connues.Quelques autres éléments épars peuvent permettre de consolider cette hypothèse.D'abord, le résultat d'une enquête originale et lourde menée par le CEVIPOF en2000 sur la relation des Français à la démocratie révélait, à 6 mois de laprésidentielle de 2002, que 41 % des sondés estimaient que « ce dont le pays asurtout besoin, c'est d'avoir à sa tête un homme fort qui ne se préoccupe ni duParlement, ni des élections ». Nonna Mayer a montré qu'il s'agissait là du facteur

33. Voir l'étude de Y. CULTIAUXsur la Commission des usagers de l'agglomération de Chambéryqui montre le très faible impact de la participation sauf pour la légitimation du positionnement de lastructure intercommunale dans le cadre de la concurrence avec les autres EPCI. Voir Y. CULTIAUX,« La participation habitante, vecteur de démocratisation?» in A. FAURE, E. NÉGRIER (dir.), Lespolitiques publiques à l'épreuve de l'action sociale. Critique de la territorialisation, Paris,L'Harmattan, coll. « Logiques politiques », 2007, p. 191-198.34. Voir par exemple les déclarations de G. CLAlSSEin Actes du Colloque des 16 et 17 octobre2003, Démocratie locale et décision, Mulhouse, Association des maires des grandes villes, 2003,p. 41. (accessible à : http://www.grandesvilles.org/IMG/actessiteYlUlhousepdf).

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le plus inquiétant quant à la mise en cause de la démocratie représentative35.Même s'il tend à augmenter, il s'agit là d'une constante très forte de la culturepolitique française. Ce premier élément peut être complété par un second quisemble le prolonger. Lorsqu'un candidat manifeste publiquement la relativité dupouvoir politique (qui ne peut pas tout), il est immédiatement sanctionné et rejetéau profit d'un discours largement démagogique sur la surpuissance du politique.L'exemple de Lionel Jospin en 2002 est, à cet égard, édifiant. Un troisièmeélément procède d'un constat empirique qu'il conviendrait de fortement étayer.D'un côté, le citoyen de base traite ses élus (surtout l'exécutif local) avec unesorte de déférence exceptionnelle comme s'i! appartenait à un autre monde,comme s'il avait intériorisé un clivage entre « une France d'en haut» (celle del'élu) et « une France d'en bas» (la sienne). Cette disposition d'esprit se retrouveà l'envers chez les élus. Ceux-ci s'insèrent progressivement dans un imaginairepolitique qui les élève au-dessus du commun des mortels. La réélection constanteest d'ailleurs le facteur déterminant dans l'ancrage de cette disposition mentale.

Expliquer ce magma d'indices pourrait relever d'un programme travaillargement multidisciplinaire. Quelques pistes semblent pouvoir être énoncées:

. Du point de vue de l'histoire intellectuelle: le rôle de la pensée catholiquequi a fourni le schéma théorique d'une divinisation du pouvoir doit être ausculté.La pensée des Lumières (l'impasse de Rousseau sur les médiations politiques) etcelle des révolutionnaires elle-même doit être interrogée en particulier à partir dela mise en scène de la sacralité du nouveau pouvoir politique. Le poids du« mythe du sauveur» ou du « grand législateur» tel Bonaparte, Pétain, DeGaulle doit aussi être réinvesti dans le prolongement des travaux de RaoulGirardet. D'une certaine manière, il s'agit de montrer un peu à la manière deTocqueville comment les cadres intellectuels de l'action possèdent une certainepermanence par-delà le clivage Ancien Régime/Révolution, Monarchies etRépubliques et structurent jusqu'au niveau local les manières de penser et de secomporter en politique..Du point de vue de l'histoire politique et sociale, il faut pouvoir vérifier àtravers les archives, les discours et les pratiques, l'incrustation de cette « matricecognitive» au sein de la réalité politique et sociale. Par exemple, on peuts'interroger sur l'importance des mouvements comme le patronage au XIX. siècleet plus généralement sur le rôle du « paternalisme» dans le cadre du pouvoiréconomique comme du pouvoir politique. L'un des enjeux est aussi de préciserdans quelle mesure l'État a été en France le vecteur et le diffuseur de cettemanière de concevoir les rôles politiques.

. Du point de vue des politiques publiques: dans le prolongement des écritsde Pierre Muller, il semble possible de détecter un « modèle français despolitiques publiques» entré en crise au cours des années 198036. Ce dernier

35. N. MEYER, G. GRUNBERG, « Démocratie représentative, démocratie participative »,Communication au colloque du CEVIPOF « La démocratie en mouvement », Assemblée nationale,13 décembre 2001.36. P. MULLER,« Entre le local et l'Europe. La crise du modèle français de politiques publiques»in Revue Française de Science Politique. 1992, vol. 42, n° 2, p. 275-297.

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s'adosse à un «référentiel autoritaire» qui conduit une élite politico-administrative soit à penser et gérer les équilibres politiques et sociaux (visiondominante avant 1945), soit à penser et réaliser une «modernisation forcée»comme dans les années 1960 à 1990.

. Du point de vue de la sociologie politique: l'investigation devrait ici porterà la fois sur les croyances actuelles des élus mais aussi sur leurs pratiquessociales en s'interrogeant, par exemple, sur le poids «des registres d'actionpolitique autoritaires» et de la «démocratie d'accès» évoqués par OlivierBorraz37.

La dynamique du transfert sans cesse croissant de compétences en directiondes collectivités locales ne saurait faire illusion. Si les collectivités territorialess'affirment comme des espaces d'action et de décision de plus en plusimportants, en revanche, elles demeurent des espaces de délibération trèsrudimentaires.

De ce point de vue, l'échec majeur de la décentralisation fut bien l'incapacitéà édifier une authentique démocratie locale. Comme le souligna Sylvie Biarez,«le système local n'est pas essentiellement un lieu fonctionnel ou un centred'exercice de pouvoirs propres à des élites. On doit adjoindre un espaced'opinions, de différences, de conflits qui constitue la face interactive du pouvoirpolitique »38. Force est de reconnaître que les «assemblées délibérantes» neremplissent pas ce rôle et que les dispositifs complémentaires imaginés jusqu'icine sont guère parvenus à combler ce « déficit démocratique» fondamental.

37. O. BORRAZ,« Des pratiques subsidiaires vers un régime de subsidiarité?» in A. FAURE(dir.),Territoires et subsidiarité. L'action publique locale à la lumière d'un principe controversé, Paris,L'Harmattan, coll. « Logiques politiques »,1997, p. 61-63.38. S. BIAREZ,« Sphère locale et espace public» in Lien social et Politiques, 1998, n° 39, p. 132.

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QUELLE LECTURE ET QUELLE RÉSOLUTIONDES CONFLITS POUR UN DÉVELOPPEMENT

DURABLE?

Analyse lexicale d'un conflit d'aménagement:Le cas de l'extension industrialo-portuaire à Donges Est,

dans l'estuaire de la Loire

Claire CHOBLET*Laure DESPRES"Patrice GUlLLOTREAU'"

Comment la réalité des conflits d'aménagementà dimension environnementale se dérobe à l'analyse économique

Pour arbitrer les conflits d'aménagement, une méthode conventionnelleconsiste à recourir au calcul économique. Sous la forme d'une analyse coûts-bénéfices, celui-ci permet d'évaluer les changements de bien-être provoqués parl'implantation d'une infrastructure. La nécessité de ce calcul provient du fait quele marché chargé d'internaliser les nuisances ainsi créées n'existe pas. Sil'évaluation des variations de bien-être dans leur ensemble est positive, alors lapuissance publique, garante de l'intérêt général, doit autoriser le projet. On peutadresser trois types de critiques à cette approche,

-L'évaluation monétaire de biens ou services non marchands ne produit pasen général de résultats satisfaisants. La plupart des méthodes en usage conduit àsous-estimer gravement la valeur des biens environnementaux, dans la mesureexacte où le grand public la sous-estime. Elles accordent également un poidsmoindre aux nuisances subies par les plus pauvres et tendent à concentrer lessources d'effets externes négatifs dans les zones déjà les plus défavorisées (Kiratet Levratto 2005).

-Le rôle de l'État a fortement évolué depuis les Trente Glorieuses, âge d'ordu recours au calcul économique. L'État ne prétend plus en effet représenter à luiseul l'intérêt général et a progressivement abandonné toute prétention à

. LEM

.. LEM

.** IRD et LEM

l'élaboration d'une stratégie globale d'aménagement du territoire national. Avecla décentralisation et la mise en place d'une législation favorisant la participationdu public à l'élaboration de grands projets, l'État a instauré une nouvellegouvernance qui implique une multitude d'acteurs - services déconcentrés,colIectivités territoriales, entreprises, associations diverses. Le rôle du calculéconomique doit désormais évoluer pour accompagner et éclairer le processus dedécision, ce qui en change la nature (Kirat et Levratto 2005). En effet, il n'estplus possible d'apprécier globalement la somme des gains et des pertes de bien-être. Les parties prenantes à un conflit doivent pouvoir s'approprier les résultatsdu calcul économique, à condition que les gagnants et les perdants soientclairement identifiés (Godard 2003).

-Le calcul économique repose sur une hypothèse contestable et qui n'estpourtant quasiment plus discutée par la corporation des économistes: il existeraitun système cohérent de préférences individuelles, indépendantes les unes desautres, ce système étant supposé existant avant même d'entamer le calcul. Or lespsychosociologues ont montré qu'il n'en est rien. L'interdépendance despréférences est forte et les individus sont sensibles aux déterminationscollectives. En outre, chaque individu joue plusieurs rôles, un militant écologistepeut par exemple avoir des enfants au chômage et souhaiter un développementéconomique créateur d'emplois (Godard 2003). Cette multiplicité desdéterminants des préférences individuelIes, conjuguée à la rationalité limitée desagentsl, laisse donc place à la possibilité de formation et d'évolution despositions initiales entre groupes d'intérêts divergents, à condition que le champde la négociation soit suffisamment large pour permettre des compensations. Enreprenant une terminologie récemment apparue dans le courant de la sociologieéconomique, le processus par lequel les préférences colIectives vont se former ets'enrichir de la confrontation des arguments et des intérêts opposés peut êtrequalifié de co-construction des préférences (Dubuisson-Quellier 2000).

La participation des populations à l'élaboration des décisions, issue desprincipes de la nouvelle gouvernance, ilIustre cette notion de co-construction despréférences en idéalisant quelque peu son aptitude à atteindre un consensussouvent assimilé à l'intérêt général. C'est dans cette perspective qu'il faut situerle recours à l'analyse lexicale dans la présente étude, malgré le rôle relativementsecondaire de la narration dans les travaux économiques (Dumez et Jeunemaître2005). Pour mieux cerner l'évolution éventuelle des positions exprimées par lesdifférents groupes d'acteurs, il a paru utile d'étudier celle de leur discours dans lecas d'un conflit d'aménagement particulier, celui suscité par l'extension du PortAutonome de Nantes - Saint-Nazaire (PANSN) sur le site de Donges Est, dansl'estuaire de la Loire.

L'hypothèse retenue est celle d'un changement structurel des perceptions duconflit provoqué par l'enquête publique, grâce à l'opportunité de création etd'échange d'informations ainsi offerte. Pour des raisons d'accessibilité des

1. Le concept de rationalité limitée (SIMON 1982) est rarement exploité dans toutes sesimplications par les économistes soucieux de développer leur programme d'optimisation.

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données textuelles, les comptes-rendus présentés par la presse quotidiennerégionale ont été exploités. Avant de détailler la contribution que peut apporterl'analyse lexicale à la compréhension de ce conflit environnemental, il convientdans une première partie d'en exposer de façon précise les différentes étapes. Unrécit des divers épisodes de ce conflit d'aménagement est ainsi proposé afin deconfronter, lors de la discussion des résultats2, les préférences exprimées par lesdifférents groupes d'acteurs à la chronologie des événements ayant ponctué lapériode récente de ce conflit.

L Donges Est: quelles justifications pour quels besoins?

Le projet d'extension portuaire à Donges Est génère depuis maintenantplusieurs décennies un conflit ouvert qui entrecroise tant les échelles et lesenjeux que les acteurs et les idéologies. Le lieu du conflit: un site naturel surl'estuaire de la Loire (Fig. 1), convoité d'une part pour des besoins industrialo-portuaires et appelant, d'autre part, une protection pour sa qualité intrinsèque demilieu à forte productivité biologique. Le site de Donges Est représente 750 ha,partagés entre roselières (200 ha), prés de Loire (140 ha), anciens marais pâturéset cultivés (155 ha) et prairies sur remblai sableux (175 ha). Ainsi, le site est pourl'estuaire la plus vaste étendue de roselière, l'une des vasières les plus riches, unezone anciennement remblayée avec des mares temporaires très attractives pourles oiseaux. Les aménagements portuaires prévus visent notamment l'édificationd'une digue principale en front de Loire (600 m de long), de digues de retoursud-est (240 m), est (560 m) et ouest (600 m) pour contenir les terre-pleins(51 ha). S'ajoutent à ces aménagements le rétablissement du chenal par dragage,une zone d'évitage à - 8,60 m et le creusement de souilles devant les quais à -

13,60 m (coût total: 58 millions euros). Sur le long terme, les remblaiementscouvriraient 440 ha, associés à près de 6 000 m de digues et quais.

Après un rappel des différents projets d'aménagement ayant émaillé l'histoirede l'estuaire depuis un siècle, les deux sections suivantes retracent les difficultésdu port à concilier ses projets récents avec les nouvelles exigencesinstitutionnelles en matière de protection de l'environnement.

A. Un estuaire fortement artificialisé

Depuis la fin du XIX. siècle, les transformations anthropiques ontconsidérablement changé le cours de l'estuaire de la Loire. La morphologie dufleuve entre Nantes et Saint-Nazaire s'est en effet pliée aux besoins de lanavigation, elle-même en grande partie liée aux activités industrielles implantéessur cette portion. Leur desserte et le maintien de l'accessibilité du port de Nantesont nécessité de nombreux aménagements et opérations de dragage auxquelless'ajoutaient des extractions massives de granulats et de sable. Dans la section

2. Les résultats ont été présentés lors du colloque « Les environnements côtiers », université deBretagne Sud, 6 et 7 septembre 2006. La recherche est menée dans le cadre du programmeORECOLM (Observatoire en REseau des COnflits Littoraux et Maritimes).

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aval, la chenalisation a eu pour effet de modifier l'hydrodynamique au niveau dubanc de Bilho, où le chenal de jusant s'est progressivement comblé. Lesconséquences physiques de ces aménagements sont nombreuses; abaissement dela ligne d'eau, progression du marnage en amont de Nantes, érosion des berges,remontée du front de salinité et augmentation du volume du bouchon vaseuxauquel est associée la dés oxygénation sur une zone toujours plus étendue versl'amont. La biodiversité, qui subit directement ces nouvelles conditions du milieunaturel (réduction des vasières, du linéaire des berges naturelles, envasement etexhaussement des zones latérales - étiers, prés -) est ainsi menacée.

Ces premières atteintes à l'écologie estuarienne se sont poursuivies dans laseconde moitié du xx. siècle. À sa création en 1965, le PANSN entendait profiterpleinement de la situation d'interface terre/fleuve/mer de ses terrains répartis surla soixantaine de kilomètres qui sépare les deux villes, situation à laquelles'ajoutait l'attrait du bassin d'emploi et du marché nantais. Si aujourd'hui lePANSN est le premier port de la façade atlantique française - son trafic ayantpresque triplé en trente ans3 - cette croissance n'a pu se faire sans étendre sonemprise spatiale et ses impacts sur les milieux naturels. Alors qu'il prévoit dès lafin des années 1970 une saturation des terminaux agroalimentaires et multi-vracsde Montoir pour 2005, le Port continue de remblayer, d'endiguer de draguer:autant d'actions imposées à une dynamique estuarienne elle-même caractériséepar une tendance au colmatage naturel (Verger 2005).

B. L'environnement,' un mauvais sort jeté aux projets du PANSN...

Jusqu'au milieu des années 1970, la légitimité d'action du Port était entière:super-acteur économique, il contribuait directement à l'augmentation du niveaude vie, en générant richesses et emplois. Puis la montée des préoccupationsenvironnementales va remettre cet ordre suprême en question: d'une part, lavaleur des milieux humides estuariens est prouvée scientifiquement et, d'autrepart, les nouveaux outils réglementaires de protection se montrent de plus en plusexigeants et efficaces4.

À l'échelle de l'estuaire, en même temps qu'est créée l'AssociationCommunautaire de l'Estuaire de la Loire (ACEL)5, en 1980, un ComitéScientifique pour l'Environnement dans l'Estuaire de la Loire (CSEEL) est misen place, par la suite transformé en Association pour la Protection del'Environnement de l'Estuaire de la Loire6. L'APEEL, à l'instar de son ancêtre,

3. 12 Mt en 1975, 32,5 Mt en 2004.4. Convention Ramsar (1971), Loi relative à la protection de la nature (1976), Conventions deBerne et de Bonn (1979), Directive Oiseau (1979). Au niveau régional: création du parc naturelrégional de Brière en octobre 1970.5. L'ACEL comprend le PANSN, la région des Pays de la Loire, le département deLoire-Atlantique, les villes et Chambres de Commerce et d'Industrie de Nantes et de Saint-Nazaire,ainsi que l'Union Maritime de Basse Loire (UMBL, qui regroupe les chargeurs présents dansl'estuaire).6. L'APEEL créée en 1984 par le Port pour appliquer les recommandations du CSEEL, sous soncontrôle. Le bilan 1984-1994 de l'APEEL rend compte de l'ensemble des travaux réalisés avant sa

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ordonne des études afin d'élaborer des recommandations conciliantaménagements et équilibres naturels. Cette association va souligner l'importancede la conservation des vasières et des roselières comme des zones majeures denourriceries, de croissance, de reproduction et de préparation à la migration pourl'avifaune et la faune piscicole; aussi, toute transformation nuirait directementaux activités humaines qui dépendent de la productivité biologique de ces zones:pêche, agriculture et élevage, aquaculture, chasse, tourisme (de nature,ornithologique). Dans le même courant, le Comité Loire Vivante, un réseaud'associations et de citoyens qui agit pour la défense de l'ensemble du fleuve etson bassin, voit le jour en 1986. À l'origine créé pour lutter contre la constructionde barrages sur la Loire, ce comité s'est rapidement préoccupé de la protectiondes milieux estuariens, s'opposant dès lors au projet Donges Est. Malgré cesrevendications écologistes plus marquées, l'artificialisation se poursuit: enquelques années, près de 1300 ha sont comblés (PAN SN Images 1980, Dambre& Seven 1993) et plusieurs kilomètres de quais sont créés. Sur le futur site deDonges Est, 170 ha sont remblayés jusqu'en 1980.

C. Le projet Donges Est, une chronologie pleine de rebondissements

Mise à l'étude en 1977, l'extension portuaire s'intégrait alors entièrementdans le projet de ZIP (Zone Industrialo-Portuaire) de Lavau, à l'est de laraffinerie de Donges. Si quelques épisodes marquent la décennie 1980, c'estsurtout à partir de 1990 que les décisions aiguiseront le conflit. Bien quel'APEEL juge le projet1 non viable, le Port persuade l'État de l'importance decette extension, menant à une première prise en considération ministérielle8 parle Secrétariat d'État à la Mer en juillet 1991. Faute d'accord du ministère duBudget de l'époque, le projet ne sera cependant pas engagé. Une expertise estalors réalisée par l'ACEL (DRE PDLL-TETRA 1996), qui conclut à la nécessitéd'une plus grande communication et à la recherche d'une cohérence de lastratégie d'aménagement « dans un lieu neutre de concertation ». Parallèlement,plusieurs associations écologistes déposent une plainte auprès de la Commissioneuropéenne (DG XI) pour non prise en considération de la Directive Oiseaux.Cette plainte survient deux mois avant la réunion du Comité Interministérield'Aménagement du Territoire Ganvier 1994) qui décide la mise en place du PlanLoire Grandeur Nature. Ce dernier sera suivi de l'engagement du ProgrammeConcerté d'Aménagement, de Développement et de Protection de l'Estuaire de laLoire (PCADP) à l'origine d'une Directive Territoriale d'Aménagement (DTA)expérimentale pour l'estuaire de la Loire. Le CIAT finira par trancher en faveur

disparition, pressentie depuis la réalisation en 1991 de l'inventaire Oiseaux de l'estuaire, pourl'application de la Directive CEE 79/409, interférant directement avec les projets d'aménagementportuaire. En 1998, sous l'impulsion de l'ACEL, la plupart des fonctions scientifiques de suivi del'estuaire sont reprises par la Cellule de Mesures et de Bilans de la Loire estuarienne (CMB),intégrée en 2006 dans le groupement d'intérêt public (GIP) Loire Estuaire.7. Il comprend alors environ 500 ha de zone industrielle et un linéaire de quai associé à une digue-épi semi-submersible.8. L'opération était toutefois déjà inscrite dans le contrat État-Région 1989-1993.

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du développement économique en validant la décision d'extension desaménagements portuaires sur la zone de Donges Est, contre l'échange de1 500 ha de terrains privés du Port au Conservatoire du littoral (CEL) (nonaménageables et situés en majeure partie sur le domaine public fluviaL..) et laparticipation financière à l'entretien de cet espace.

Alors qu'une deuxième plainte est déposée à Bruxelles, l'Europe demande àla France d'établir une ZPS9 sur ce territoire, inscrit en ZICOIO mais non en ZPSen raison des pressions économiques. Les nouvelles exigences européennes enmatière de protection, dont la Directive Habitats de 1992, incitent par ailleursl'État et les promoteurs du développement économique à déclarer Donges Estcomme un Projet d'Intérêt Général'l (PIG). Une deuxième prise en considérationministérielle s'ensuivra: en février 1995, l'instruction administrative est lancée.Les ouvrages d'accostage et la surface de la zone remblayée sont revus à labaisse (de 700 à 400 ha), des variantes au projetlZ (Fig. 2) et des mesurescompensatoires sont proposées dès 1996, alors que la Commission européennerappelle l'application incontournable de la Directive Habitats sur l'estuaire. Suiteà cette intervention, le projet est à nouveau morcelé: la digue-épi est écartée,seul le linéaire de quai et les remblais pour une première tranche (51 ha)subsistent. En octobre 1995, un arbitrage ministériel conduit à l'exclusion de290 ha de zones humides des terrains aménageables à terme, à cause de la grandesensibilité du milieu. L'année suivante, afin d'appuyer la recevabilité de ladéclaration en PIG, deux expertises'3 commandées par l'ACEL et l'État vont ànouveau confirmer la pertinence de l'extension portuaire sur le site de DongesEst. Armé de ces documents, l'État français propose à Bruxelles une ZPS pourl'application de la directive Oiseaux, qui exclut entre autres les zones de DongesEst et Bilho. Mais un peu plus de six mois après, une décision rendue par la Courde Justice Européennel4 va semer le doute quant à la prééminence des intérêtséconomiques d'un port. La ZPS de l'estuaire de la Loire, notifiée à la CEE en1997, englobera donc le site de Donges Est. Parallèlement, les travauxpréparatoires de la DT A sont lancés, un comité interministériel de pilotage estinstitué et le PCADP est signé par l'État et les principaux partenaires locaux. Enjuillet 1999, le projet Donges Est est relancé une troisième fois par décisionministériellel5. Il prend en compte les modifications du projet initial de 1991 et

9. Zone de Protection Spéciale.10. Zones d'Intérêt pour la Conservation des Oiseaux.I I. Art. 6.4 de la directive Habitats: un projet déclaré d'intérêt général ne doit pas être entravé parla protection si aucune alternative crédible ne répond à des besoins identifiés à moyen terme.12. Cinq projets: l'extension du port aval, la restructuration du pôle énergétique, l'aménagementdu site du Carnet, de l'île de Bilho ou encore la création d'un« fleuve port ».13. Rapport ESSIG (<<L'avenir de l'Estuaire de la Loire» Worms et Cie Développement);Rapport VALLS (Inspecteur général de l'Équipement).14. Arrêt Lappel Bank, CJE 1996.15. La première tranche de l'extension est soumise à instruction mixte le 21 janvier 2001.Précédemment, le projet avait de nouveau été inscrit dans le plan État-Région 2000-2006.

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implique la réalisation des mesures compensatoires16 dont la validité scientifiquedevra être confirmée préalablement à l'exécution des travaux. En référence auprécédent compromis, le Port remet 1 617 ha de terrains au CEL en 2000. Ilcommandite ensuite l'étude d'impact qui, réalisée fin 2001, servira de supportlors de l'enquête publique qui se tient du 18 février au 29 mars 2002. Sur les 233observations recueillies, la majorité d'avis défavorables en terme d'impactsenvironnementaux n'infléchira pas les conclusions et avis favorables de lacommission d'enquête, davantage attachée à l'intérêt économique du projet et sesconséquences pour la création d'emplois à long terme17. Bien que n'ayant guèred'incidences sur le déroulement institutionnel du projet, nous verronsultérieurement que cette date marque un tournant dans le positionnement desacteurs. En janvier 2003, la mise en demeure de la France par la Commissioneuropéenne pour manquement à ses engagements liés à Natura 2000 ne semblepas inquiéter l'État: l'arrêté préfectoral autorisant l'extension du PANSN sur lesite de Donges Est est signé peu de temps après, ainsi que l'arrêté préfectoralqualifiant de PIG la première tranche d'aménagement portuaire. Une requête estimmédiatement déposée devant le tribunal administratif de Nantes contre cesdécisions, ainsi qu'auprès de la Commission européenne pour manquement de laFrance aux dispositions de l'article 6 de la directive n° 92/43/CEEI8... Éternelrecommencement? ... L'approbation du décret « Estuaire» relatif à la LoiLittoral et de la DTA de l'estuaire de la Loire en 2004, auquel s'ajoute un avisdéfavorable du Commissaire du Gouvernement Guin 2006), aurait pu laisserpenser que la balance pencherait cette fois-ci du côté de la protection de lanature. Il n'en est rien: le jugement du tribunal administratif de Nantes rendu enseptembre 2006 confirme la validité de l'arrêté préfectoral pris trois ansauparavant.

On le voit, la situation a fortement évolué depuis le lancement du projet en1977, bien que le site soit lui resté comme figé (Fig. 3). À cette période, le Portse situait encore dans une position héritée de la grande période del'industrialisation triomphante, où le capital naturel était considéré comme sansvaleur, donc destructible sans limites. Au fur et à mesure du déroulement duconflit, la prise de conscience de la valeur et des fonctions uniques des zoneshumides s'est généralisée. Si la pression de la réglementation européenne a été àcet égard déterminante, la large diffusion en septembre 2002 de l'avisdéfavorable de l'Ifremerl9 - jusqu'alors en retrait de la scène - semble également

16. Ces mesures compensatoires consistent principalement en la création de nouvelles roselières etvasières, l'aménagement de talus et le creusement de chenaux afin de réactiver une dynamique

estuarienne.

17. GROVEL A. (Psdt). Rapport de la commission d'enquête et conclusions motivées, 13 mai 2002.

18. Ces requêtes sont déposées par les associations LPO Loire-Atlantique, Bretagne Vivante-SEPNB et SOS Loire Vivante.19. L'avis défavorable de l'Ifremer a été émis dans le cadre de l'instruction administrative quiinvite les institutions compétentes à se prononcer sur le projet. Les avis sont rassemblés enpréfecture où ils restent le plus souvent confidentiels. Or, l'intervention impromptue d'unchercheur de l'Institut, relayée par la presse (Le Monde, 9 septembre 2002; Ouest France,15 septembre 2002), a permis la diffusion rapide de cet avis auprès du public, en mettant

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avoir joué un rôle crucial. L'analyse lexicale qui suit confirme l'existence d'uneinflexion dans l'évolution du conflit consécutive à cette enquête.

II. L'analyse lexicale du conflit de Donges Est

A. La méthode

En utilisant des articles de la presse régionale relatant le conflit de l'extensiondu port de Nantes - Saint-Nazaire sur le site de Donges Est, une analyse desmodalités d'émergence et d'évolution d'un conflit par l'analyse des discours estproposée.

L'objectif est différent d'une analyse typologique destinée à catégoriser lesconflits. Nous cherchons plutôt dans la présente étude à établir la carte desreprésentations d'un conflit isolé à partir des communiqués de presse émis par lesprotagonistes et rapportés dans un unique quotidien de la presse régionale(Ouest-France). L'usage des articles de presse, bien que constituant un prismedéformant les opinions parfois plus nuancées des groupes de pression prenantpart au conflit, présente néanmoins un double intérêt: celui tout d'abord destyliser les arguments mobilisés, créant ainsi des idéaux-types lexicaux plussimples à analyser à la fois dans leur registre sémantique et leur évolution; celuiensuite de mettre en relief, par l'abondance du traitement médiatique observédurant certaines périodes, la force des réactions qui impriment au conflit à la foisson ampleur, son rythme et sa progression.

En guise de méthodologie, le recueil d'un grand nombre d'articles de la presserégionale est analysé par le module d'analyse textuelle (text mining) du logicielSPAD. À la phase cruciale de lemmatisation (sélection et rapprochement de motspar synonymie ou segments répétés) succède une série de tests statistiques allantdu dénombrement ou de la simple description du concordancier (le mot dans soncontexte) à des analyses factorielles de correspondances binaires à partir d'untableau lexical suivies de classifications hiérarchiques. Le tableau de donnéestextuelles croise ainsi les articles de presse en lignes avec un ensemble devariables en colonnes visant à qualifier les opinions émises dans ces articles.

B. La base de données issue de la PQR

L'information retenue a été extraite d'articles de presse issus du quotidienOuest-France, qui présente l'avantage de compter un grand nombre d'éditionslocales ainsi que plusieurs rubriques susceptibles de traiter le conflit del'extension du PANSN sur le site de Donges Est.

À partir d'une base de données numériques recensant depuis septembre 2000tous les articles du quotidien, le croisement de deux mots-clé (<<Donges Est» et« Port») a permis d'extraire 187 occurrences de la base. Cinquante articles ont

notamment l'accent sur l'absence de prise en compte de la productivité halieutique des vasières eten portant de sérieux doutes sur la compensation des impacts.

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été éliminés en raison de leur redondance avec d'autres articles publiés auxmêmes dates sous une autre rubrique ou par leur faible lien avec le sujet traité,laissant pour l'analyse quelque 137 articles de longueur différente (32 à 977mots; moyenne égale à 362 mots; écart-type = 190 mots) qui ont pu êtrerenseignés par plusieurs variables:

- titre, sous-titre et contenu de l'article (variables textuelles) ;- date de publication (d'octobre 2000 à mai 2006) ;- journaliste (18 journalistes ont été identifiés) ;- rubrique (Saint-Nazaire ville, information locale, départementale,

régionale, autre) ;

- longueur (en nombre de mots) ;- opinion émise vis-à-vis du projet (favorable, neutre, défavorable) ;- statut de l'émetteur de l'opinion (port-CCI-entreprises, État, élus locaux,

élus verts, association écologiste, syndicat, autre).En croisant le type d'émetteur avec l'opinion vis-à-vis du projet de Donges

Est, on obtient sans surprise un lien statistique important, comme le montre letableau 1. Le test du chi-2 ne laisse pas de place au doute quant à la liaison entreles deux variables (valeur-test = 10,1 avec une probabilité d'accepter l'hypothèsed'indépendance très inférieure à 1 %).

La plupart des groupes d'acteurs se situent clairement dans une approchepartisane (associations écologistes et élus locaux verts, direction du port,syndicats). En revanche, les représentations multiples de l'État (gestionnaire duport, DIREN, préfecture...) expliquent une neutralité qui n'est qu'apparente,celui-ci ayant à concilier des objectifs de développement économique et laprotection de l'environnement (en particulier depuis les obligationsréglementaires européennes de type Natura 2000).

C. Première analyse lexicale: vers une inflexion sensible desarguments mobilisés

En approfondissant quelque peu l'analyse par la sélection des mots les plusutilisés par les différents groupes d'opinion qui s'expriment, il ressort un clivageassez marqué entre les défenseurs du projet Donges Est et ses opposants. Dans lecamp des opposants, il est peu fait allusion aux communes riveraines du projet niaux services portuaires; il y est davantage question de protection que de sécurité.La référence au fleuve est également représentative de ce groupe, ainsi que laréférence à l 'lfremer, dont les rapports scientifiques sont utilisés à l'encontre duprojet.

Quant aux partisans du projet d'extension portuaire, leur référentiel s'inscritpleinement dans le registre du développement économique (trafic, finances,développer, concurrence). La référence à la Loire ou à l'estuaire y est assez peuprésente. Le vocabulaire des problématiques urbaines (métropole,agglomération, urbain, quartiers) ne se retrouve pas plus dans ce groupe quedans le précédent, mais est plutôt sur-utilisé par la modalité «neutre» de lavariable« opinion ».

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Plus intéressant encore que cette asymétrie lexicale entre parties adversesengagées dans le conflit, le changement de vocabulaire utilisé au cours del'affrontement médiatique reflète l'impact de l'enquête publique sur lesarguments avancés par chacune des parties. Deux périodes ont été distinguéesdans l'analyse lexicale qui suit: la première précède l'enquête publique(octobre 2000 à mars 2002) et la seconde lui succède (avri12002 à mai 2006).Plusieurs mots font distinctement irruption dans le vocabulaire des opposants auprojet après l'enquête publique: combler, vasières, Ifremer, poissons, pêche,reconstituer. Il est frappant de constater que les arguments utilisés jusqu'alorsprenaient surtout appui sur l'avifaune et très peu sur l'activité halieutique. Or,celle-ci est davantage mobilisée après l'enquête publique et la diffusion de l'avisdéfavorable de l'Ifremer.

Quant aux partisans du projet d'extension portuaire à Donges Est, le lexiqueest beaucoup plus précis quant à l'utilisation du foncier dédié à l'activitéportuaire. Émergent ainsi après la phase d'enquête publique les termes suivants:gaz, terminal, portique, méthanier, quai, conteneur, entreprendre, autant de motsqui caractérisaient peu jusqu'alors le discours de ce groupe d'acteurs.

On ressent donc après cette phase d'expression des arguments un besoin deconvaincre beaucoup plus étayé que les arguments de principe qui régnaientauparavant. Les « écologistes» font valoir la perte économique que subirait lapêche suite à l'agrandissement des quais, procédant ainsi à une incursion dans lechamp référentiel de la partie adverse. Les « portuaires» se cantonnent dansleur registre habituel (trafic portuaire créé par l'extension), mais en mobilisantune argumentation beaucoup plus technique destinée à ancrer davantage le débatdans le développement économique.

Enfin, le vocabulaire mobilisé dans les articles neutres ou dont les argumentssont relativement équilibrés est encore différent après l'enquête publique. Destermes peu usités surgissent tels que métropole, agglomération, Nantes, urbain,territoire, aéroport, route, fer. La connexion intermodale et la référence auxgrands projets d'infrastructures de transport et d'aménagement territorialcomposent la nouvelle grille sémantique de l'arbitrage du conflit.

D. Analyse des correspondances fondée sur une base restreinte demots

Un travail de lemmatisation plus poussé a permis de réduire le stock lexical de7011 mots en 70 groupes lexicaux (appelés mots-enveloppe dans la suite dutexte), par synonymie ou rapprochement de termes appartenant à un mêmeregistre sémantique. Ainsi derrière le mot oiseau figurent tous les noms d'espècescités dans les différents articles, mais également les mots ornithologie, nid etmême LPG (Ligue de Protection des oiseaux). Certains rapprochements peuventsembler arbitraires en raison des nuances, voire des divergences de sens qui sontsacrifiées au cours du processus de lemmatisation. Citons un seul exemple: lemot-enveloppe compromis rassemble des vocables aussi divers que conciliation,coordination, adéquation, arbitrage, mais aussi tolérer, deal, contractualisation,

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réconcilier, paix, etc. Une telle réduction est donc loin d'être neutre pourl'analyse mais reste cependant indispensable pour approfondir les premiersrésultats.

Le tableau lexical se fonde sur cette lemmatisation draconienne pour croiseren lignes les 70 mots-enveloppe restants et en colonne les variables nominales(opinion sur le projet, statut des émetteurs d'opinion, année de publication.. .). Enne retenant que l'opinion vis-à-vis du projet Donges Est et ses trois modalités(<<favorable, défavorable, neutre») une analyse binaire des correspondancesconfirme les résultats précédents en soulignant la cohérence des registres choisis.En sus des mots identifiés, une division géographique apparaît autour del'estuaire: partisans du projet au nord, opposants au sud. La Loire et l'estuairesont relativement plus utilisés par les opposants que par les défenseurs du projet.Les premiers (associations et élus écologistes) raisonnent en termes dedommages et d'impact sur la faune et la flore sacrifiées; les seconds (syndicatset ports) mettent en avant le transport et l'univers économique maritime etparlent plus volontiers de besoins, d'autorisations et de changements nécessitéspar le développement économique. En net retrait par rapport à ces deux groupes,les opinions neutres émises par les représentants de l'État se réfèrent auxéquipements urbains et en particulier à l'aéroport, combinant ainsi le projetDonges Est à celui de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

E. Classification hiérarchique du vocabulaire utilisé

La classification ascendante hiérarchique permet de découper en classeshomogènes l'ensemble des mots-enveloppe utilisés selon les avis exprimés sur leprojet. Des associations de mots sont ainsi relevées dans chaque catégoried'opinion. Une partition en quatre classes semble la plus pertinente (Fig. 4).

Le pourcentage associé à chaque modalité sur-représentée dans la classe, parexemple pour la modalité « opinion défavorable» dans la classe 4, peut se lireainsi: 56 % des mots appartenant à cette classe ont été relevés dans des articlesexprimant une opinion défavorable à l'égard du projet de Donges Est (alors quecette opinion ne représente que 35 % des articles utilisant l'ensemble des mots-enveloppe sélectionnés)2o. Sur la base du vocabulaire et des modalitéscaractéristiques de chaque classe, une typologie est proposée. Au-delà des deuxclasses déjà identifiées (vocabulaire des opposants écologistes et celui desopinions neutres exprimées par l'État aménageur public), la distinction lexicaleentre les acteurs économiques (port, CCI, entreprises, syndicats) et les éluslocaux plutôt favorables au projet est patente. Les premiers ont recours à unregistre lexical résolument portuaire (bateau, ports, marins). S'ils brandissent lamenace d'une perte de compétitivité au sein de l'Europe pour asseoir leur projet,leur vocabulaire est davantage positif puisqu'il s'agit de changer, de construire,

20. La description complète des classes par des modalités sur et sous-représentées dans chaqueclasse, les tests d'hypothèse associés (valeur-test et probabilité), ainsi que la base complète et salemmatisation peuvent être obtenus sur simple demande aux auteurs.

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de développer le travail et l'industrie sur la rive nord de l'estuaire.Indéniablement pour le projet Donges Est, nécessité fait loi (falloir, besoin).

Le vocabulaire spécifique aux élus locaux proches du site (Saint-Nazaire,Donges) est éminemment plus politique et plus coercitif (élections, pouvoir,imposer, décision). Il est intéressant de constater également que le registreéconomique lui est relativement plus proche car l'essentiel des références ausecteur de l'énergie, très présent dans cette zone, se trouve dans ce groupe et nondans le précédent. Le projet est perçu comme très problématique et risqué par lesreprésentants de la classe des élus locaux (problème, assurer), en raison de lamultiplicité des enjeux que représente le projet pour ces élus (économie,environnement, social, élections). L'expression de leur opinion reste par ailleursplutôt antérieure à l'enquête publique de mars 2002, comme si le rapport descommissaires enquêteurs avait rendu les éléments du débat plus complexes eteffrité en conséquence leur soutien au projet. Il semble bien que, au cours dutemps, les élus aient été sensibles aux actions entreprises par les opposants(pression médiatique, recours devant les tribunaux, dissémination des résultatsd'expertise scientifique...) et que l'enquête publique ait marqué un point deretournement.

La dernière observation qui peut être faite à partir de cette classification résidedans l'isolement des« écologistes» par rapport aux trois autres groupes, si l'onen juge par la structure même de l'arbre hiérarchique. Leur registre lexical resteancré dans une opposition difficilement conciliable avec la recherche d'uncompromis. Le vocabulaire qu'ils utilisent (oiseau, poisson, impact, estuaire,Loire, Sud-Loire) est souvent absent dans les autres classes de mots. Laclassification précédente reposait encore pour une large part sur le découpage desarticles selon l'opinion qui en ressort. Or, celle-ci est parfois nuancée et leclassement dans l'une ou l'autre des catégories s'avère plus ou moins artificiel.En inversant la structure du tableau (articles en ligne-mots en colonne), on peutdans une certaine mesure retrouver des associations de mots plus « naturelles»car ne devant rien aux modalités d'une seule variable: les regroupementstiennent simplement à la présence conjointe des mots dans les mêmes articles(co-occurrences). Le logiciel a lui-même retenu la ou les partitions idéales (unepartition de 9 classes) à partir du critère de Ward (maximisation de l'inertie inter-classes et minimisation de l'inertie intra-classes). Les fréquences illustratives(Fig. 5, dernière colonne) ont été rangées suivant un ordre décroissantd'importance pour caractériser chaque groupe.

Certains groupes rassemblent un effectif très faible (par exemple 4 articles sur136 pour la classe 9) et semblent proposer un argumentaire daté (ainsi que lemontre la présence de la fréquence 200 I pour ce premier groupe) et le termeoiseau doté d'une valeur-test très élevée. Confirmant un des résultats précédents,les classes 5 et 7 sont peut-être les plus intéressantes, d'une part par leur poidsdans l'analyse, et de l'autre par l'évolution de la position des élus locaux aprèsenquête publique (de favorable à neutre). Si les élus de Donges restent très

320

partisans du projet, ceux de Saint-Nazaire21 sont plus mesurés et n'hésitent pas àavancer des arguments contraires au projet. Les articles recensés dans la classe 2,où les élus locaux sont relativement mieux représentés également, restent dansl'ensemble favorables au projet compte tenu du vocabulaire caractéristique de laclasse (politique, travail), mais tiennent compte également de l'aspectjuridictionnel du projet lorsqu'il est question des incidences environnementalesOuge, environnement).

III. Conclusion

L'extension du port sur le site de Donges Est, selon ses opposants, produiraitdes effets externes dommageables pour la reproduction de la faune et de la flore

- singulièrement pour les oiseaux migrateurs et les poissons - ce qui entraînel'opposition des pêcheurs et des organisations écologistes. L'artificialisationcroissante de la rive nord crée des problèmes d'inondation et de dégradation deseaux, ce qui concerne directement les élus locaux et les gestionnaires tels que lePNR de Grande Brière. Bien que cet espace ne constitue pas un bien public ausens de l'économie publique - il est divisible, permet d'en exclure certainsusagers et engendre des usages rivaux -, il produit en revanche certains effetsexternes positifs ayant un caractère de bien public: rôle de frayère pour lespoissons pêchés dans le Golfe de Gascogne et de reposoir pour les oiseaux, rôledans la régulation des équilibres hydrologiques. Pour mettre en perspectivel'enjeu écologique, il faut rappeler que depuis 1900, 50 % des zones humides dumonde ont disparu (mCN 2000). Localement, dans l'estuaire de la Loire, leszones humides ont régressé de 30 000 ha, notamment en raison de lachenalisation initiée depuis 1933. Les vasières y ont été amputées depuis 1962 deplus de 5000 ha22. Une nouvelle extension portuaire sur plus de 440 ha necondamnerait-elle pas définitivement certaines fonctions estuariennes ?

À l'inverse, les partisans du projet considèrent que l'accroissement du Port estindispensable au développement économique de la région. Il permettrait unrecours plus important au transport maritime au détriment du transport routier,limitant ainsi l'encombrement des routes par les camions (projet« d'autoroute dela mer» Nantes-Bilbao destiné à alléger le trafic routier, en particulier à lafrontière espagnole) et les émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.L'émetteur potentiel d'effets externes négatifs, le PANSN, est extérieur à lacommunauté réceptrice, celle-ci étant d'ailleurs multiple (chasseurs, pêcheurs,écologistes, acteurs du tourisme, collectivités locales) puisque les effets externesnégatifs sont eux-mêmes multiples. Le problème se complique du fait que leprojet induirait aussi des effets externes positifs sur tout ou partie descommunautés réceptrices (impôts locaux, emplois, réduction future de gaz à effetde serre). Il s'agit donc d'externalités de pollution à la fois technique et politique

21. En raison peut-être de la nouvelle fonction exercée par le maire de cette ville à partir de 2004 àla vice-présidence du conseil régional des Pays de la Loire.22. Site de l'IFEN: http://www.ifenfr/zoneshumides/pages/medd_zh_Manche.htm

321

(Jeanneaux 2006) : les opposants vont tenter de faire pression sur les détenteursde la puissance publique pour qu'ils n'autorisent pas le Port à s'étendre.

Les intérêts des parties en présence dans le conflit de Donges Est forment unécheveau contradictoire et complexe. Toutes les divergences d'intérêt n'ont pasété activées dans ce conflit (par exemple, le Parc Naturel Régional de Brière n'apas pris partie). Toutes les convergences d'intérêt n'ont pas non plus étéexploitées (par exemple le PANSN et les associations écologistes pour lalimitation du recours au transport routier). L'analyse textuelle des discours émisen faveur de telle ou telle position permet d'en apprendre un peu plus sur ladynamique du conflit.

Les différentes méthodes d'analyse lexicale mobilisées dans cette présentationse complètent pour caractériser les positions et oppositions des acteurs dans ceconflit d'extension portuaire tel qu'il est rapporté dans la presse quotidiennerégionale de 2000 à 2006. Au-delà de la rivalité attendue entre arguments utiliséspar les partisans et les détracteurs, c'est bien le sentiment d'un infléchissementdes discours provoqué par l'enquête publique de mars 2002 qui ressort de cetteanalyse. Les prises de parole des élus locaux (verts exclus) ont perdu en nettetédevant la complexité du débat mise à jour. Quant aux partisans et aux détracteursdu projet, des incursions dans le registre sémantique des rivaux (atteinte àl'environnement, impact économique du projet) sont constatées. Elles illustrentde la sorte le processus d'appropriation du calcul économique comme élément decoordination de la décision publique (Godard 2003). Des éléments implicites dece calcul, élargissant la sphère de la négociation vers des enjeux économiques etécologiques plus larges, peuvent être relevés dans les données textuellesanalysées (incidences économiques pour l'activité halieutique du golfe deGascogne; bienfaits du transport maritime sur le changement climatique globalqui viennent s'ajouter au bénéfice d'une compétitivité retrouvée au sein del'Europe portuaire). Les éléments du calcul apparaissent néanmoins de façonincomplète. Les effets d'entraînement supposés de cette infrastructure, enparticulier en matière d'industrialisation, sont rarement démontrés, de mêmequ'aucune étude n'a tenté de tenir compte d'une valorisation réaliste du capitalnaturel afin d'accompagner l'élaboration de compromis.

L'utilité des enquêtes publiques et plus généralement des nouvelles formes deconcertation publique n'est pas essentiellement celle qui est prévue par les textes.Il est extrêmement rare en effet que le commissaire enquêteur tienne compte desavis défavorables et conclue à la nécessité de rejeter un projet, surtout en matièred'infrastructure de transport. Néanmoins, au cours des années nécessaires à unaménagement de l'envergure du projet d'extension portuaire à Donges Est etpour mener à bien les différentes procédures, le projet lui-même évolue, lespositions des acteurs aussi et on assiste à un processus lent mais utile derévélation et de coconstruction des préférences collectives indispensable aufonctionnement de la démocratie. Il est dès lors inquiétant que le Gouvernementsoit au contraire tenté de réformer l'enquête publique en supprimant tout impactde la concertation sur la prise de décision (Breton 2006). L'influence d'un teloutil de production et d'échange d'information ressort clairement de l'étude

322

lexicale. Le nombre d'articles relatant le conflit n'a jamais été aussi important surla période étudiée que pendant les mois entourant l'enquête publique (janvier àjuin 2002, fig. 6). On remarque également la fréquence plus grande des opinionscontraires au projet pendant cette période, à l'exception notable du mois de marsqui correspond au mois de l'enquête publique et qui comptabilise un record de 28articles, dont IS expriment une opinion favorable au projet, 8 défavorables et 5une opinion équilibrée ou neutre.

L'hypothèse d'un changement structurel dans la perception du conflit par lesdifférents groupes d'acteurs consécutif à l'enquête publique semble donc validée.Au-delà de ce constat d'appropriation du calcul économique par les acteurs et deson rôle dans le processus de coordination, c'est également le rôle nouveau jouépar l'État qui apparaît dans ce conflit d'aménagement. L'utilisation directe desinstruments politiques de protection environnementale élaborés à Bruxellesréduit dans le processus de démocratie participative le poids de l'État en tant quereprésentant de l'intérêt général. Partagé entre son rôle de gestionnaire desinfrastructures portuaires, son accompagnement du développement économiquenational, sa politique d'aménagement du territoire et ses obligations en matièreenvironnementale, l'État tend à laisser les acteurs locaux et le temps arbitrer pourlui les conflits d'intérêt entre des acteurs qui sollicitent sa décision. Utilise-t-il àdessein les exigences de l'Union européenne pour atténuer son poids dans lesgrandes orientations d'aménagement territorial? N'aurait-il pas plus intérêt àsubstituer à son rôle de décideur et de gestionnaire un rôle de médiation et decatalyseur du débat public, disposant d'ores et déjà d'un arsenal d'outilsjuridiques lui donnant toute latitude pour remplir une telle mission?

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324

Figure 1Localisation du projet Donges Est

Figure 2

Milieux naturels et projets d'extension portuaires

325

Figure 3

Site du projet Donges Est: vasières, roselières et remblais sableux

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Figure 4

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ClasSé 3 Les déVéloppeurs

Opinion favorable = 55%Port-CCI = 22%Syndicats = 8%

Classe 2 les élus de DongesSaint Nazaire

Avant enquête publ. = 47%Elus locaux = 42%

Classe 1 l'Etat aménageur

Opinion neutre = 31 %Etat = 16%

9 (4) Oiseau Asso. Écolo.

(3%) Opinion défavorable2001

8 (12) Nature, estuaire, Opinion défavorable

(9%)poisson, Loire Info locale

7(31) Enq~tt:!, 2992, op. faV(jrable,cômpensation, él\#! locaux, avaht

(23%) aUtoriser, enq. publiq ueDonges, débat

6 (3) Collectif, dégâts, Asso. écolo., avisopposition, Loire défavorable, info St

(2%) Nazaire, 2002

5 (23) Urbain, zone, Neutre, élus locaux,

(17%)aéroport Aprés enq. Pub.

Info rég., Etat

4 (5) Aéroport, région, Après enquête pub.débat 2005(4%)

3 (14) Vert, élections, Elus verts

(10%)politique Opinion défavorable

2 (24) Juge, Info régionaleenvironnement, Elus locaux(17%) politique, travail

1 (20) Port, transport, Port-CCl-entr.

(15%)bateau, Nantes, Opinion favorableEurope, marins

Syndicats

Figure 5

Classification des articles en 9 classes homogènes (P. Guillotreau, 2006)

O__,,"'_~

TOTAL = 136 articles

328

Effectifs Défavorable Favorable Neutre EnsembleÉlus locaux 7 30 11 48Asso écolo 23 1 0 24Port-CCI- 0 18 0 18entrepr.Elus locaux 17 0 0 17vertsÉtat 3 2 7 12Syndicat 0 10 1 11Aucun statut 1 0 6 7Ensemble 51 61 25 137

Figure 6

Fréquence des articles et opinions dominantes émises (P. Guillotreau, 2006)

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...,"'". "P"'~' -

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..,

Légende: une note mensuelle exprimant les opinions émises a été agrégée ensommant les notes obtenues par tous les articles du mois selon les modalités decalcul suivantes: favorable = + l, neutre = 0 ; défavorable = -1.

Tableau 1

Relation entre statut de l'émetteur et opinion émise (P. Guillotreau 2006)

329

Mots ouFréquence Fréquence

segments 0/0 Valeur- Testcaractéristiques

interne globale

Collectif 41 43 95% 8,3

Vert 86 120 72% 8,1

Loire 82 146 56% 5,2

IfTemer 13 14 93% 4,2

Oiseau 27 40 68% 4,0

Destruction 13 15 87% 3,8

Pêche 12 14 86% 3,6

Protection 35 63 56% 3,2

Vasières 22 35 63% 3,2

Vivre 26 45 58% 2,9

Sécurité 4 38 lI% -3,2

Autoroute 3 35 9% -3,3

Agroalimentaire 1 25 4% -3,4

Service 2 31 6% -3,4

Transport 9 63 14% -3,5

Marins 20 lIa 18% -3,7

Port 162 597 27% -4,0

Nantes - Saint-13 89 15% -4,1

Nazaire

Tableau 2

Vocabulaire spécifique aux opposants au projet Donges Est (P. Guillotreau, 2006)

330

Mots ou segments Fréquence Fréquence 0/0 Valeur-Testcaractéristiques interne I!lobalePort 346 597 58% 7,7

Nantes-Saint-Nazaire 56 89 63% 3,8

Trafic 38 58 66% 3,4

Sécurité 26 38 68% 3,0

Finances 16 21 76% 2,9

Développer 101 191 53 % 2,8

Concurrence 11 13 85% 2,8

Oiseau 7 40 18% -3,1

Protection 14 63 22% -3,1

Rapprochement 3 27 11% -3,2

Ifremer 0 14 0% -3,3

Métropole 1 19 5% -3,3

Vasières 5 35 14% -3,3

Combler 0 15 0% -3,4

Loire 33 146 23 % -4,9

Tableau 3

Vocabulaire spécifique aux partisans du projet Donges Est (P. Guillotreau, 2006)

331

QUELLE LECTURE ET QUELLE RÉSOLUTIONDES CONFLITS POUR UN DÉVELOPPEMENT

DURABLE?

La science politique et la démocratie participative,enjeux et débats. Un point de vue d'un «politiste»

Goulven BOUDIC'

Nous devons au lecteur une première précision et une première séried'excuses, concernant le sous-titre de cette communication, qui ne brille guèrepar son élégance. Cette question n'est pas anecdotique et appelle quelques brefscommentaires. Nous ne nous sommes pas contentés dans les propos qui vontsuivre d'interroger la relation entre démocratie participative et science politique,au sens strict du terme, mais, reprenant un travers propre, avons sollicité desmatériaux appartenant à des disciplines académiques diverses, comme lasociologie, la philosophie ou l'histoire. Par exemple en tentant, rapidement etparfois schématiquement, de revenir et de mentionner la conception desAthéniens sur cette question de la participation dans un cadre démocratique. Onpourra certes arguer ici que la science politique est une discipline elle-mêmehybride, qui accorde en son sein une légitimité, tant à l'histoire des idées qu'à lathéorie politique, sans même parler des efforts récents de certains auteurs pourfonder la légitimité d'une approche « socio-historique ». Mais, n'ayant aucuneprétention à «incarner» la science politique, nous avons finalement préféréassumer la singularité du point de vue développé, au risque d'une inélégancedans la formule: «un point de vue d'un politiste ». Ce qui signifie aussi quel'approche se veut modeste, et qu'elle est plus un éclaircissement à destinationpersonnelle, lié au besoin de « faire le point» sur ces questions disputées, qu'uneleçon magistrale prétendant clore la discussion.

Sur cette question, l'expérience commune suggère que la familiarité apparenteavec les mots masque mal les confusions, les contresens ou les désaccordspotentiels, liés à leur situation polysémique volontairement ou non entretenue parleur utilisation courante, sinon quotidienne. Chacun a son mot à dire sur la

,DCS-CERP3E

démocratie et sur la participation, et la vigueur de certains débats récents révèlela permanence et la profondeur de réflexes de type pavlovien débouchantprioritairement sur la formulation de jugements de valeurs à forte connotationnormative. Les réactions suscitées par la proposition récente d'une candidate àl'élection présidentielle, directement inspirée en l'occurrence par les travaux dequelques politistes, d'instaurer en France des «jurys citoyens» afin d'évaluer lespolitiques publiques en constituent une exemplaire illustration. Que n'a-t-on pasentendu: « Innovation radicale sans précédent et sans relation avec nos mœurs etnotre culture juridique»! «Révolution»! Et qui dit révolution ditimmédiatement «violence », «totalitarisme », « Chine maoïste» et« Cambodge» réunis, sans parler du «retour de la Terreur et son cortèged'horreurs» ! Et ce jugement entendant opposer les « dangers de la démocratiedirecte» et « la sagesse de la démocratie représentative », qui vient d'ailleursdans l'ignorance crasse de ses auteurs reprendre presque mot pour mot lespréventions des jacobins pour la démocratie directe, qui, « dans un grand paysn'est autre chose que l'anarchie »1 ! Autant de catégories toutes faites, et souventerronées. Qu'on songe justement à la Terreur, qui est le type même de déviationinduite par une certaine conception de la représentation et non la résultante d'uneintrouvable « démocratie directe» dont les révolutionnaires, jusques et y comprisles « plus jacobins », se défiaient plus que toue.

Un premier travail indispensable consiste donc à ré interroger ces mots, enapparence si familiers. Dans « démocratie participative », il y a bien entenduréunion de deux concepts, celui de « démocratie» et celui de « participation ».On a fait le choix ici de repartir du second plutôt que du premier. Le terme dedémocratie nous semble en effet plus « pollué» encore que celui departicipation par ses usages courants et le nombre d'ouvrages consacrés à cettenotion atteste le caractère inépuisable de l'exercice, comme ces thèses de sciencepolitique débutant souvent vainement par la tentative de définition du terme et duconcept. Partir de la participation offre selon nous l'avantage d'un éclairage plussatisfaisant.

Donc, participation et démocratie, plutôt que l'inverse.

I. Quatre étapes de la participation

Plusieurs étapes historiques, d'importance bien inégales, peuvent être icidistinguées, qui renvoient à différentes définitions de la relation entre

1. Formule rappelée par P. ROSANVALLONdans Le Sacre du Citoyen, Gallimard, 1992. Voir sur cepoint les réactions recueillies dans Libération, « Des élus vent debout contre une mesure perçuecomme une menace », 25 octobre 2006 : « Nombre de députés de tous bords ont aussi accentué lefeu sur la députée des Deux-Sèvres. De Bernard Accoyer, président du groupe UMP, qui a fustigéles "penchants robespierristes du PS", à Patrick Devedjian (UMP), qui l'accuse de vouloir atteindrele "mandat impératif, c'est-à-dire celui des démocraties populaires" »...2. Voir sur ce point les analyses classiques de F. FURET, Penser la Révolution française,Gallimard, 1977.

334

participation et démocratie, en même temps qu'à différentes définitions de lanotion même de participation.

A. Athènes et la participation comme devoir

La première est, en apparence tout du moins, la plus « classique» etpeut-être la plus connue. Elle renvoie à l'expérience fondatrice en même tempsque largement inédite et non reproduite de la démocratie athénienne. Selonl'analyse, là encore classique, la participation des citoyens athéniens à ladiscussion, à la délibération et à la décision des affaires de la Cité constitue l'unedes conditions essentielles du bon fonctionnement de la démocratie et de la Cité.Participer constitue un devoir, et cette conception n'est pas pour rien dans tout unensemble de nos réflexes actuels. Le bon citoyen, celui qui, pour reprendre lesformules d'Aristote, atteint la perfection en accomplissant sa nature, sa vocationde citoyen est le citoyen qui participe.

On se rappellera seulement sur ce point que, dans sa typologie, Aristote classela démocratie parmi les régimes corrompus, essentiellement parce quel'instauration du misthos, une indemnité censée faire revenir sur l'agora lescitoyens qui s'en étaient détournés, viendrait symboliser la victoire des pauvressur les meilleurs, au détriment du « bien commun ». Pour Aristote, le citoyen doitparticiper, parce que cela est dans la nature du bon citoyen, dans sa vocation, etnon parce qu'il y trouve un intérêt financier. On y reviendra tout à l'heure, maisdeux points méritent d'être soulignés d'ores et déjà à propos de cette conception.Elle est pour Aristote, on l'a dit un idéal plus qu'une réalité. Mais la distinctions'est largement effacée et l'on a pris longtemps et jusqu'à une époque récente« le discours sur» pour « la description de ». Et, deuxième précision, ce discoursa débouché, pour des raisons diverses, sur une qualification de la démocratieathénienne comme «démocratie directe », dans le cadre plus général d'uneopposition entre « démocratie directe» et « démocratie représentative ». Il faudraun jour songer à interroger d'ailleurs sur ce point l'emprise très forte del'enseignement du droit constitutionnel en France, qui continue à conforter trèslargement cette analyse et cette opposition.

B. Le gouvernement représentatif moderne: la non-participationcomme droit

La deuxième étape est directement contemporaine des révolutionsdémocratiques qui ouvrent notre modernité politique, à la fin du XVIIIesiècle. Onsait bien que, pour les acteurs de cette époque, Athènes et Rome figurent commedes expériences centrales qui viennent structurer l'espace des possibles, sur lemode du modèle ou, surtout, du contre-modèle3. Mais on sait aussi que cetimaginaire disponible a dû être largement remanié pour passer le cap du

3. Sur ce point, voir P. VIDAL-NAQUET,« La Place de la Grèce dans l'imaginaire des hommes de laRévolution », in La Démocratie grecque vue d'ailleurs, Flammarion, 1990, p.211-236 etCI. NICOLET, L'idée républicaine en France, Gallimard, rééd. 1994.

335

gouvernement représentatif. Constant en a fourni l'une des légitimations les plusabouties, en opposant précisément la Liberté des Anciens et celle des Modernes.La liberté des Anciens se réalise dans la participation, la liberté des Modernes,dans la liberté de ne pas participer, de consacrer son temps à autre chose, sanspour autant perdre, au contraire, le bénéfice de certaines protectionsindividuelles4. On voit bien la cohérence de l'ensemble: le gouvernementreprésentatif n'est pas pour rien contemporain de la découverte théorique desmécanismes de l'économie de marché et de l'autonomisation de l'économie entant que discipline propre5. Et sur ce point, le contradicteur de Constant, c'estbien entendu Rousseau qui, avec sa célèbre évocation de la liberté des Anglais,en s'en prenant à l'anglophilie de Montesquieu, vient en fait répondrepréventivement à Constant6. Pour autant, on ne saurait perdre de vue quel'analyse de Constant débouche sur une potentialité élitiste qui sera évidente cheznombre de théoriciens du libéralisme politique français dans la première moitiédu XIXe siècle7. Et que la thématique de la République vient permettrel'aménagement, l'encadrement aussi de cette « dérive» élitiste possible dugouvernement représentatifS. En favorisant le régime d'Assemblée, lerépublicanisme participe de cette légitimation du régime représentatif; eninstaurant le suffrage universel considéré comme une évidence, il entend renoueravec l'inspiration athénienne, qu'il dépasse même en universalisation potentiellede la citoyenneté; en limitant la participation à l'acte de vote et en imposant uncivisme fondé sur l'autorité de la loi républicaine, il interdit la dérive populaireanarchique redoutée par les libéraux (<<la peur du nombre », évoquée par PierreRosanvallon). D'où l'insistance sur le devoir électoral, sur le devoir civique etsur la vertu républicaine.

4. B. CONSTANT,De la Liberté chez les modernes, rééd. Pluriel-Hachette, 1980. « Dans l'espèce deliberté dont nous sommes susceptibles, plus l'exercice de nos droits politiques nous laissera detemps pour nos intérêts privés, plus la liberté nous sera précieuse. De là vient, Messieurs, lanécessité du système représentatif. Le système représentatif n'est autre chose qu'une organisation àl'aide de laquelle une nation se décharge sur quelques individus de ce qu'elle ne peut ou ne veutpas faire elle-même », cité par D. BOURG, « Démocratie représentative et démocratieparticipative », in I.-P. MARÉCHALet B. QUENAULT(dir.), Le développement durable, PUR, 2005.5. Cette conjonction est par exemple soulignée par CI. NICOLET,qui note d'ailleurs la marginalitérelative de CONSTANTsur ce point: « La France est peut-être le seul pays d'Europe qui n'ait jamaisvraiment admis la grande coupure, le grand renversement intellectuel, scientifique et politiqueeffectué dans l'Écosse des Lumières, vers la fin du XVIIIesiècle, qui s'est voulu - et qui a étéréellement - l'acte de naissance de la modernité. Là, au contact du Nouveau Monde, au cœur ducapitalisme naissant apparaissent à la fois la science économique, la philosophie utilitaire et lathéorie politique du libéralisme », CI. NICOLET,op. cit., p. 479 et suivantes.6. « Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort; il ne l'est que durant l'élection desmembres du Parlement: sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien. Dans les courts momentsde sa liberté, l'usage qu'il en fait mérite bien qu'il la perde », J.-J. ROUSSEAU,Du Contrat social,rééd. Pluriel Hachette, p. 303.7. Sur ce point, voir P. ROSANVALLON,Le Moment Guizot, Gallimard, 1985, notamment le chapitre3, « La nouvelle citoyenneté» (sur la notion de capacité).8. Voir sur ce point CI. NICOLET,op. cit. et Q. SKINNER,La Liberté avant le libéralisme, LiberÉditions, 2000.

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De ce moment républicain, qui ne se confond pas avec le libéralisme politiqueclassique, nous sommes encore largement redevables. Nous avons en effet pourhabitude et peut-être pour travers, de considérer l'acte électoral comme le seulvéritable acte de participation politique, ou, en tout cas, comme l'acte autourduquel s'organise et se décline la notion même de participation. Que l'on songepar exemple à la traditionnelle analyse de la « participation », ici entendue dansson opposition à l'abstention, les soirs de scrutins. Certes, progressivement, laparticipation pourra prendre en science politique par exemple une significationplus large, allant de la simple discussion politique au militantisme le plus avancé.Mais, l'analyse politique révèle une tendance à rapporter l'acte de participation àl'acte de vote, comme le suggère implicitement la distinction académique quioppose participation conventionnelle et participation non conventionnelle (où laréintégration de formes marginalisées ou méprisées de l'action politique sous lechapitre de la participation se trouve immédiatement relativisée par cette idéed'une normalité de la participation)9.

C. La participation modernisatrice, antidote de la technocratie

Une troisième étape peut être, me semble-t-il, utilement identifiée au coursdes années 1960, où l'on assiste à une véritable profusion des références à laparticipation, dont l'une des versions les plus connues est bien entendu la versiongaulliste (celle-là même qui est réactivée au cours des événements de Mai 68,comme à chaque fois d'ailleurs que le gaullisme au gouvernement rencontre unproblème avec la rue...) Mais la version gaulliste n'est pas, loin de là, la seuledisponible. Il existe alors une version « de gauche» de la participation, qui, avantde prendre au cours des années 1970 le nom d'autogestion, naît probablement del'accumulation de déceptions d'intellectuels partageant peu ou prou certainesconvictions « progressistes ». Le contexte de la décolonisation n'est pas étrangerà ce moment et à la formulation de cette version. En effet, la guerre d'Algérie quiva constituer l'un de ces événements structurants de la scène intellectuelle estaussi à l'origine d'une série de désillusions face à la difficile mobilisationpopulaire contre la guerre d'Algérie. À tort ou à raison, peu importe ici,nombreux sont les militants intellectuels qui constatent la faiblesse del'engagement anticolonial et la difficulté à mobiliser contre la guerre. Or, ilsavaient espéré une sorte de levée en masse du peuple. D'où une cruelledésillusion dont certains, que l'on songe ici à un Castoriadis, ne sortiront au finalqu'au prix d'un surcroît de critique à l'égard d'un type de fonctionnementéconomique et d'un type de société aboutissant au décervelage, via laconsommation et la culture de masse. Entre la critique redoublée d'unCastoriadis, dont le modèle revendiqué n'est pas pour rien la démocratie

9. Pour un aperçu rapide de ces questions et de la découverte récente en France de la participationprotestataire conduisant à une redéfinition élargie de la participation, voir F. MATONTI, LeComportement politique des Français, Almand Colin, 1998, p. 60-63

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athénienne et le cynisme élitiste qui porte à considérer le peuple comme « débileet immature », la distance n'est pas grande, que d'autres franchiront parfoislO.

L'accord se forme toutefois, au-delà de ces considérations, sur le constat de ladépolitisation. L'absence de « mémoire politique de long terme» rend difficileaujourd'hui à imaginer que nos débats sur la crise du politique ne sont pasfranchement une nouveauté... Ils sont au cœur des réflexions et des analysespolitiques tout au long des années 1960, déjà, et l'on voit se multiplier lescolloques et publications savantes] 1.L'une des pistes explorées par ces réflexionsest alors bien celle de la participation, remède à la dépolitisation. Il s'agit bien deréveiller le citoyen, afin de ne pas laisser au technocrate le soin de régler le sortde la Cité et de ses membres.

C'est l'étape « sociologique », si l'on peut dire, dans la mesure où laformulation de cette version est liée à la deuxième institutionnalisation de lasociologie française et à quelques-unes de ses figures les plus connues(notamment Michel Crozier). Pour ses porte-parole les plus avancés, une doublecontrainte apparaît toutefois, que révèlent à la fois l'existence mais aussi ladiversité des lieux d'où s'expriment ces mises en forme du nouvel impératifparticipatif. En effet, ces acteurs de la sociologie ont besoin de la légitimation del'État, et au sein de ce dernier, de ceux qui entendent et revendiquent de porter samodernisation. Nos sociologues sont donc délibérément modernisateurs, et celales rapproche des technocrates planificateurs, et justifie leur présence dans toutun ensemble de lieux et commissions stratégiques12. Mais, ils se doivent aussi depréserver leur autonomie, de prouver qu'ils existent en tant que tels, de se poserface aux technocrates dont on sait bien la tentation qu'ils pourraientéventuellement avoir de se passer de la sociologie, ou en tout cas dessociologues. D'où l'enrôlement de la figure abstraite du citoyen par le sociologue(coup de force effectué avec le même talent que l'enrôlement de «l'opinion

10. Voir sur ce point entre autres exemples, C. CASTORIADIS, « L'Idée de révolution», Le Mondemorcelé, Seuil, 1990, p. 164-171 : « Qu'est-ce qu'une société libre, ou autonome? C'est unesociété qui se donne à elle-même, effectivement et réflexivement, ses propres lois, sachant qu'ellele fait. Qu'est-ce qu'un individu libre, ou autonome, du moment où il n'est concevable que dansune société où il y a des lois et du pouvoir? C'est un individu qui reconnaît dans ces lois et cepouvoir ses propres lois et son propre pouvoir - ce qui ne peut se faire sans mystification que dansla mesure où il a la pleine possibilité effective de participer à la formation des lois et à l'exercice dupouvoir. Nous en sommes très loin - et qui imaginerait un instant que la préoccupation brûlante desoligarchies dominantes serait de nous y faire parvenir?»; « Nos sociétés s'enfoncentprogressivement dans ('apathie, la dépolitisation, la domination par les médias et les politiciens enpellicule. ».11. Entre autres exemples, on notera que l'un des premiers ouvrages ftançais sur l'abstentionélectorale date de 1968: A. LANCELOT,L'Abstentionnisme électoral en France, Armand Colin,1968.12. Voir notamment le Club Jean-Moulin et deux de ses publications: L'État et le citoyen (sous ladirection anonyme de M. CROZIER),et La démocratie, une idée neuve? (rédigé par J. Rov AN). Voiraussi D. DULONG,Moderniser la politique, L'Harmattan, 1997 et nos propres développements surla mise en forme intellectuelle de cette configuration modernisatrice dans Les métamorphosesd'une revue, Esprit, 1944-1982, Éditions de l'IMEC, 2005, Chapitre IV, « Modernisateurs etmilitants» .

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publique» par les journalistes contemporains)l3. D'où encore l'engouement pource que l'on n'appelle pas encore la« société civile », mais que l'on désigne alorscomme les « forces vives» ou les « couches nouvelles », porteuses de cet idéald'une modernisation appuyée sur la participation de citoyens actifs et informés.D'où encore cette méfiance (commune aux sociologues et aux technocrates) àl'égard des tenants du système politique notabiliaire classique que sont lesdéputés-maires ou les sénateurs-maires14.

Le rapprochement, sinon l'alliance entre les technocrates et les sociologues,n'est toutefois pas une fusion. Les logiques des uns et des autres demeurentdifférentes, et si on constate cette incontestable rencontre, chacun peut à toutmoment reprendre son autonomie. Il semble bien d'ailleurs que la dissolution decette configuration modernisatrice soit largement le fait d'une modernisation plustechnocratique que démocratique, et que l'État soit finalement, mais à son corpsdéfendant, le meilleur accoucheur de la «société civile» dont rêvait lesociologue. Les années 1960 voient en effet s'affirmer la réalité del'associationnisme, en réaction aux décisions souvent autoritaires desaménageurs.

Le citoyen n'est plus seulement une figure abstraite, celle-là même qui vientse substituer à la figure du prolétaire des discours progressistes, il devient uneréalité.

Mai 68 est de fait le moment de division, le moment de vérité de cetteconfiguration, et débouche à la fois sur le divorce des technocrates et dessociologues. Il faudrait pouvoir ici faire toute sa place à une approche plusnuancée. Car pour un Michel Crozier, le mouvement de Mai 68 est l'occasiond'un repositionnement qui le voit adopter une posture originale permettant decumuler la position de conseiller des princes avec celle de la dénonciation àgrands tirages des blocages de la société.

D. Participation et non-participation: le sentiment de compétence

La quatrième étape vient« répondre» en quelque sorte au climat institué parla précédente. Elle est aussi l'œuvre d'un sociologue du politique, Daniel Gaxie,qui publie en 1978 un ouvrage amené à devenir un classique de la discipline, LeCens caché. Mais elle constitue pour le coup un apport critique de grandeampleur, puisque Daniel Gaxie nous invite à prendre au mot une certaine versiondu discours démocratique, qui, en contradiction volontaire ou non, consciente ounon, avec les limitations républicaines, pose, à la manière de Lincoln, dans sacélèbre formule, que la «démocratie est le gouvernement du peuple, par lepeuple et pour le peuple », formulation reprise, comme chacun sait, dans la

13. Voir sur ce point L'État et le citoyen, op. cit., illustration panni d'autres d'un processus dedécontextualisation de la notion de citoyen.

14. Voir sur ce point les analyses classiques de P. GRÉMION sur la crise du modèle républicain

d'administration, dans Le Pouvoir périphérique, Seuil, 1976, ainsi que P. GRÉMION, Modernisation

et progressisme, Éditions Esprit, 2005.

339

Constitution de 195815. Ce que souligne Gaxie et qui fait la force critique de sontravail, c'est que l'idée d'une compétence universellement partagée est une idéefausse. Mettant en avant la notion de « sentiment de compétence », il nous inviteà constater que le sentiment de compétence est très inégalement partagé, et querien n'est plus uagile dans les faits que l'universelle compétence sur laquelle estfondé le suffrage universel. Dès lors que le sentiment de compétence se révèlesocialement situé, Gaxie note que la participation qui en découle est elle aussisocialement partagée16. Pire, si l'on peut dire, tout un ensemble de stratégies estdéployé par les dominants pour convaincre les dominés de leur incompétence, deleur illégitimité, de leur incapacité. Et cela marche, puisque qu'on observe unetendance des dominés au respect intériorisé de la domination, ou, à la limite, unecontestation qui passe essentiellement par une remise de soi à plus compétent.Les exclus participent et renforcent par leur méconnaissance des mécanismes dela politique démocratique leur propre exclusion, dans la mesure où ils n'ont rienà attendre concrètement en retour de politiques publiques qui ignorent leursintérêts.

Il y a en fait une communauté plus grande qu'on ne le pense entre ces deuxdernières étapes, dont les acteurs et les porte-parole se sont pourtant beaucoupopposés et se sont posés comme adversaires résolus dans l'analyse de la politiquedémocratique. En effet, ces deux lectures reposent sur une méfiance voire sur unedéfiance commune à l'égard de la représentation classique. Car pour lessociologues de la modernisation, rappelons-le, les représentants, pour ne pas direles notables, sont un obstacle à la modernisation du pays, qui doit donc êtreportée par de nouveaux acteurs et dans de nouveaux lieux. Simplement, lacritique de Gaxie ne se limite pas potentiellement à la remise en cause de ladémocratie représentative comme trahissant le discours démocratique et larevendication d'une universelle égalité devant la participation: elle vise aussil'associationnisme et les projets modernisateurs. Pour Gaxie, et surtout pour ceuxqui vont s'approprier ces analyses, la référence à la société civile, aux nouvellescouches, aux forces vives, ne constitue rien d'autre qu'une substitution dedomination.

IL Participation et gouvernement représentatif :entre remise en cause radicale et complémentarité

Avec ces deux dernières étapes se trouvent par ailleurs préfigurées certainesdes caractéristiques des débats plus contemporains sur la démocratieparticipative, et notamment cette structuration trop souvent binaire entre « celuiqui y croit» et « celui qui n'y croit pas ». En effet, à lire l'abondante littératuresur la question comme à écouter certains des acteurs de ces pratiques, ladémocratie participative apparaît comme tiraillée entre deux registres tout aussi

15. Dans son article 2 : « Son principe est: etc. »16. Optique contestée par P. PERRINEAUet N. MAYER, qui soulignent les paradoxes d'uneparticipation politique non réductible à une explication par le seul « sentiment de compétence »,Les Comportements politiques, Annand Colin, 1992.

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normatifs l'un que l'autre. Le premier, militant, tente de nous convaincre, voirede se convaincre lui-même que la participation est le remède le plus approprié àla crise de la politique démocratique. Le second, plus détaché, mais non moinsnormatif, juge que ces expériences et ces procédures ne sont qu'une manière defaire autrement la même chose: assurer la domination des représentants, c'est-à-dire des dominants. Dès lors, rien de neuf ne se jouerait dans la démocratieparticipative.

Et sur ce point, il est toujours facile de citer rapidement tel ou tel exemple demaire autocratique ou de dévoiement évident de procédures participatives pour selimiter paresseusement à un exercice de dénonciation ou de déploration del'exception française. Car les sciences sociales sont aussi largementpourvoyeuses d'analyses culturalistes, impressionnantes certes, mais rapides, quiinsistent sur des données historiques, pour ne pas dire éternelles, conduisant à lareproduction à l'identique des tendances centralisatrices, jacobines, sinonautoritaires...17

Toutefois, il me semble qu'avant de revenir sur ces questions, un petit points'impose sur les voies contemporaines du retour de la participation. On aurait pupenser un temps que la critique formulée par Daniel Gaxie aurait eu raison del'idéal participatif. Or il n'en a rien été et l'on a donc vu resurgir la participationcomme un remède. L'efficacité de ce discours militant a été tel, sa force deconviction, son intériorisation par certains acteurs, mais aussi peut-être sonutilité, sociale et professionnelle ont été telles que, même imparfaits, mêmesusceptibles d'instrumentalisation et de dévoiement, plusieurs dispositifs ont étécréés ou confortés: conseils de quartier, conseil de développement, procédureréférendaire, dispositifs participatifs locaux divers, budget participatif.

Il convient d'y insister à nouveau ici: il existe une proximité et unecompatibilité fortes entre le discours critique sur la participation démocratique etla revendication de la démocratie participative, liées à leur commune défiance àl'égard de la démocratie représentative. C'est ce point qui permet de comprendre,nous semble-t-il, que les deux discours ne se soient pas annulés mais semblent aucontraire s'être renforcés l'un l'autre, au risque, comme on le suggérera, dequelques contradictions, voire de quelques impasses.

A. Éloge de la participation et remise en cause de la représentation

C'est en effet l'une des particularités fortes de la plupart des discours tenussur la démocratie participative dans l'espace intellectuel et plus particulièrementdans le champ de la science politique, de la philosophie politique ou de lasociologie politique que cette volonté de poser la démocratie participative

17. Le débat récent soulevé par la proposition de Ségolène Royal dit bien la difficulté à aborder cesquestions sous l'angle des seules pesanteurs historiques ou culturelles. Ainsi, on a pu directementobserver qu'en réponse aux inquiétudes et aux attaques de Laurent Fabius qui entendait ainsis'attirer les bonnes grâces d'élus, dans un parti qui en compte beaucoup, l'argumentaire despartisans de Ségolène Royal ne manquait pas de faire perfidement allusion à la pratique du tirageau sort... dans le XX' arrondissement de Paris, dirigé par le très fabiusien Michel Charzat. Del'impératif de contextualisation...

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comme un dépassement de la démocratie représentative, comme une formealternative, quitte à considérer, devant l'application concrète de certainsmécanismes et de certains dispositifs, qu'ils sont toujours détournés, toujours malappliqués, toujours instrumentalisés par les représentants soucieux avant tout dene rien lâcher, de ne rien céder.

La critique plus ou moins radicale du modèle représentatif fournit en effetl'un des leitmotivs des travaux (livres et articles) d'où ressort un éloge de ladémocratie participative. Trois exemples ici parmi d'autres, qui permettront aupassage d'évoquer la diversité des motivations et la diversité des définitions.

Pour Dominique Bourg, par exemple, la participation est le seul remède quipermette la prise en compte des impératifs écologiques, ici considérés dans uneoptique « catastrophiste ». Seule la participation permettrait en définitivel'intégration de ces impératifs dans les démarches individuelles. Toutefois, etsans vouloir tomber inutilement dans la polémique, si l'on veut bien comprendreles impératifs d'une publication collective qui amène parfois à réduire auminimum les complexités, nuances et longueurs d'une argumentation, on peinequand même à comprendre par quel type de magie et par quelle extension desdispositifs envisagés (en l'occurrence essentiellement les conférences de citoyenstirés au sort), la démocratie participative telle que proposée par DominiqueBourg pourrait faire abandonner son 4x4 au pollueur des villes soudainementconvaincu des méfaits de l'exercice de sa liberté personnelle à la dégradation del'environnement. On voit mal ce qui justifie Dominique Bourg, sinon une bientrop grande déférence à l'égard du texte de Constant, lorsqu'il affirme« l'absence de légitimité des élus à ruiner la liberté individuelle ». Comme si lesdécisions récentes de la municipalité londonienne en la matière, à savoir lasurtaxation des 4x4 en vue de leur éviction de la capitale, ne lui étaient pasconcevables, sauf à tomber dans le registre de la politique totalitaire. Comme sinos « gouvernements représentatifs» et nos représentants élus ne passaient pasaujourd'hui une grande partie de leur temps à limiter nos libertés individuelles,au nom de la protection de nos vies, et plus seulement du bien commun. Un autrepoint souligne la faiblesse de l'argumentation: sans se rendre compte del'implication de cette interprétation, par ailleurs contestable, d'Hans Jonas,Dominique Bourg écrit que « c'est sur la base d'un tel constat [des limitessupposées de la représentation à limiter légitimement les droits individuels] queHans Jonas appelait de ses vœux l'instauration d'une "tyrannie bienveillante etbien informée", seule voie politique à ses yeux pour sortir de la crisepolitique» 18. Sans rire, on ne voit pas dès lors ce qui justifie la démocratieparticipative plutôt que la tyrannie, qui semble un moyen plus efficace decontrainte sur les individus en vue de leur faire abandonner tout comportementindividuel contraire aux intérêts de la planète et des générations futures. Ce qui

18. Dans la traduction dont nous disposons, et qui n'est pas le texte original, que cite pour sa partD. BOURG, il nous semble que justement la tyrannie n'est présentée par JONAS que comme unefausse bonne solution, et que toute l'argumentation déployée après cette affirmation destinée, noussemble-t-il, à choquer le lecteur est justement déployée pour l'en dissuader...

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doit quand même nous inquiéter un peu si nous pensons que Dominique Bourgest l'un des intellectuels organiques du mouvement de Nicolas Hulot...

Second exemple très important dans la mesure où le lieu est devenu à la foisl'une des références essentielles de la démocratie participative en même tempsque l'une des références importantes de la contestation altermondialiste : PortoAlegre. Ici, la problématique, même proche de la première, entend désigner nonplus seulement les conséquences (les menaces écologiques) mais plusglobalement les responsabilités, attribuées au système et à l'idéologienéolibérale. On doit en France l'introduction de ce modèle porto-alegrien à deuxspécialistes de science politique, Marion Gret et Yves Sintomer, auteurs de l'undes rares ouvrages documentés sur la question19. Le sous-titre du livre précised'emblée le programme: L'Espoir d'une autre démocratie. La conviction desauteurs est très clairement affirmée à plusieurs reprises que la démocratiereprésentative doit être dépassée. Mais, est-ce parce qu'il a été écrit à deuxmains, ou bien parce qu'il témoigne d'une difficulté non résolue, le livre peut,nous semble-t-il, aussi bien se lire sur un mode militant comme un éloge dusystème, que sur un mode critique comme l'énonciation aussi des limites de cesystème. Les auteurs insistent tout d'abord sur les singularités de l'expériencebrésilienne (présidentialisation du système institutionnel local, ampleur de lacorruption, faiblesse de l'État providence et poids de la pauvreté), fragilisantainsi potentiellement son caractère généralisable, exportable. D'autre part, s'ilsinsistent sur de nombreux points propres à l'expérience de Porto Alegre et surcertains de ses aspects parmi les plus originaux, en soulignant par exemple le rôlede la participation dans le traitement des inégalités sociales et de la pauvreté, ilsfragilisent encore plus nettement leur appel au dépassement de la représentationen mentionnant la modestie des résultats acquis en ce qui concerne laparticipation: le taux réel de participation (ce qui est un handicap pour ladémocratie représentative ne l'est plus dans le cadre de la démocratieparticipative...) Sans parler de la complexité du dispositif lui-même, propre àdécourager parfois autant le lecteur que l'éventuel futur réformateur d'inspirationporto-alegrienne.

Cet ouvrage est d'autant plus intéressant que, conjugué à d'autres travaux, ilfait apparaître au final la volonté de distinguer une « vraie participation» d'unedéfinition trop lâche, trop souple, qui engloberait des dispositifs a contrariofaussement participatifs. Dans un tel cadre, on voit bien l'intérêt de Porto Alegre,dont l'innovation radicale est la mise en place d'une procédure très ouverted'élaboration de « budgets participatifs ». Rapidement, on note que cette formuledu «budget participatif» devient une sorte de trait distinctif de la vraieparticipation, comme un label, comme un test d'évaluation, au risque d'ailleursque la confusion ne soit pas toujours levée entre ces deux registres del'authentique et du sens commun, comme le suggère la conclusion d'un ouvrage

19. M. GRET et Y. SINTOMER,Porto Alegre, l'espoir d'une autre démocratie, La Découverte,2002, rééd. 2005. La réédition signale le succès de l'ouvrage et sa réception par un « large» public(au vu des tirages habituels de ce genre d'ouvrages).

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à la direction duquel Yves Sintomer apporte encore sa contribution20. On y lit unsérieux effort de labellisation, à travers le classement de cinq modèles, dont seulle dernier mérite apparemment d'être qualifié de «modèle de la démocratieparticipative », «Nous proposons de réserver le terme de démocratieparticipative au dernier modèle. » Et pourtant: on continue la page d'après deparler de « dispositifs participatifs» ... en général.

Troisième exemple: celui de Jacques Donzelot. Il faut rappeler ici brièvementla position et le parcours de ce sociologue, mais aussi le cadre et l'intérêt de sacontribution à la problématique de la participation.

En 1994, il publie aux Éditions Esprit L'État animateur, sous-titré Essai surla politique de la ville, en collaboration avec Philippe Estèbe. Ce livre est unvéritable manifeste pour la politique de la ville, en ce sens qu'il conceptualisesouvent mieux que les acteurs eux-mêmes les données du problème, qu'il entenddonner à cette politique sa légitimité, son fondement historique, sa missioncentrale: la rénovation de la société par l'État et la rénovation de l'État par lasociété. Jacques Donzelot peut alors être vu comme l'un des intellectuelsorganiques les plus brillants et les plus convaincus de la politique de la ville.

Il est par ailleurs dans cet ouvrage l'un des premiers à s'interroger sur cesnotions qui nous occupent, amenées à connaître une fortune singulière: celle departicipation et de « démocratie participative ». En effet, dans le prolongement deson travail précédent sur L'Invention du socia[21, c'est à travers cette notion de laparticipation qu'il revisite l'histoire récente du réformisme social français enmatière urbaine, afin de lui donner un sens et des perspectives nouvelles, quidevront donc figurer au cœur de la nouvelle politique de la ville en train de sedessiner.

Le constat dont part Donzelot est assez simple (c'est notamment lechapitre III de cet ouvrage qui en condense les lignes de force) : la participationétait déjà un concept clé des réformistes des années 1960 (autour des clubs et del'idéologie de la modernisation planifiée), avant de revenir en force sur le devantde la scène politique dans les années 1980. Toutefois, la permanence ou larésurrection du concept ne doit pas tromper. Le sens que l'on doit donner à ceterme n'est pas et ne peut plus être le même. L'étude que propose Donzelots'inscrit alors dans le cadre plus large d'une relecture des évolutions sociales,culturelles et politiques :&ançaises depuis les années 1960. Pour le résumer enquelques mots trop rapides, on est passé d'une participation-intégration à uneparticipation-insertion. La comparaison qu'il opère entre les années 1960 et lesannées 1980 fait apparaître une différence sensible entre les configurations: dansles années 1960, la participation se présente en quelque sorte comme l'étendardde groupes sociaux déjà constitués, conscients d'eux-mêmes. La configuration seconstruit sur la base notamment de l'opposition entre des pouvoirs politiquesurbains aux mains des notables et des groupes fortement mobilisés sur une base

20. M.-H. BACQUÉ, H. REy et Y. SINTOMER (dir.), Gestion de proximité et démocratieparticipative, La Découverte, 2005.21. J. DONzELoT, L'Invention du social, Fayard, 1984, notamment la dernière partie de l'ouvrageconsacrée au déclin des passions politiques.

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associative, et réclamant un partage du pouvoir, ou mieux, une rupture dans lemode d'organisation et de distribution de ces pouvoirs. Le modèle associatifconstitue bien l'horizon de l'action de ces groupes, dont la traduction la plusexemplaire, la plus aboutie, est eelle offerte par les GAM grenoblois (Grenoblefaisant alors figure de ville-modèle). C'est l'époque des « forees vives », dont ona déjà parlé.

Cette première montée en puissance de la participation (entendue au sensd'intégration de quelque chose qui existe préalablement, qui est déjà constitué,qui est déjà conscient de son existence) s'inscrit en outre dans un moment decontestation des grilles de lecture traditionnelle de la gauche en ce sens qu'onassiste à un élargissement significatif des lieux de contestation qui deviennentdès lors aussi des lieux d'identification. Pour le dire vite, l'identité étaitessentiellement assignée par le travail, et le lieu central était l'entreprise.Désormais, le cadre de vie devient une notion centrale, ce qui compte c'est lequartier, la commune, la région, etc. L'évocation de la figure plus complète etplus complexe du « citoyen» succède à celle du «travailleur» ou du« prolétaire », ce qui aboutit évidemment sur une remise en cause du marxismecommun et une demande de sens à laquelle la «nouvelle sociologie» desTouraine, Morin et autres n'a pas été insensible.

Pour conclure sur cette première étape, on peut dire que, selon Donzelot, lemoment clé de cette phase en est aussi la conclusion dramatique, dans la mesureoù ee discours trouve son achèvement dans le passage au politique, et plusclairement dans l'accession aux responsabilités, notamment municipales (lors desélections de 1977) et gouvernementales (après l'élection présidentielle de 1981),au moment même où semblent s'épuiser les ressources de ee mouvement social.

Ce n'est pas dire que rien n'en subsiste: au contraire, et les lois dedécentralisation en sont une trace. Mais ce qui se révèle rapidement, c'estl'incapacité de ce discours comme de ces réformes à prévenir et même àcomprendre les nouveaux phénomènes urbains observables à partir des émeutesdes Minguettes.

C'est toute la boîte à outils de l'analyse qu'il convient de faire évoluer,comme n'ont guère pu le comprendre la plupart des acteurs de la genèse despolitiques de la ville, trop liés qu'ils étaient aux conceptions antérieures.

Or, pour Donzelot, le changement central réside en ceci que les émeutesurbaines ne révèlent plus une société civile constituée, consciente, identifiable,représentable, qui demanderait simplement à être associée ou consultée, maisbien un état de la société très différent, marqué désormais par l'exclusion,l'individualisation, la relégation, l'isolement, l'anomie, la perte du sens,l'absence de revendications préalablement élaborées, etc. En bref, la participationdes années 1960 était portée par des « forees vives », la « nouvelle participation»doit faire face à des « non-forces» :

Les émeutiers ne revendiquent aucun pouvoir, aucune responsabilité. Ils nereprésentent aucune force sociale. Ils ne sont pas inscrits dans les rapports deproduction et démontrent combien ils doutent de le devenir un jour. Ils sont trop

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inorganisés, trop étrangers à la cité pour peser par leurs bulletins de vote. Ce sontdes non-forces sociales.

Pourtant, Donzelot ne sombre pas complètement dans la description d'un étatsocial nihiliste et définitivement anomique. C'est précisément sur ce point que sesitue alors son apport tant théorique que politique, dans l'élaboration d'unnouveau sens à donner à la politique de la ville et plus largement à l'ensembledes politiques sociales que la politique de la ville a vocation à regrouper sous sonégide. Leur objectif doit désormais être l'institution ou plutôt la ré-institution dusocial, qui passe par la ré-institution préalable des individus. Car il ne s'agit plustant d'un problème de pouvoir à partager que d'une capacité d'action à redonner.Or, cela est évidemment moins simple à envisager, car cela passe par une« intervention de la société destinée à augmenter les capacités d'autonomie desindividus afin que ceux-ci entraînent leurs groupes d'appartenance à sortir duregistre de la dépendance. »

La nouvelle politique de la ville et, plus largement, les nouvelles politiquessociales doivent donc prendre en compte les mutations sociales, notammentl'individualisation croissante dont les effets ne sont pas seulement ceux soulignéspar les sociologues de la « libération individuelle ». Aux analyses quelque peueuphoriques du début des années 1980 (Lipovetsky, Yonnet, etc.), Donzelot avecd'autres (Gauchet, Rosanvallon, Ehrenberg) oppose une lecture inquiète, maisnon désespérée, des effets d'un phénomène décrit comme mutation tout à la foisanthropologique, culturelle, sociale et politique (la disparition des cadres sociauxanciens liés à la société traditionnelle du travail).

La ré-institution des individus, préalable de la ré-institution du social, passepar une action très différente de l'État, dont la réforme instaurant le RMI fournitune forme archétypale: contractualisation, individualisation, ré-instaurationd'une capacité d'action et d'autonomie, etc. Dans le cadre de la politique de laville dont Donzelot appelle la redéfinition, c'est la régie de quartier qui figurecomme l'action-type, l'action modèle (la rénovation de l'espace par l'associationet l'action autonome et ré-instituante des habitants eux-mêmes).

D'où cet appel de Jacques Donzelot, sous la forme d'un impératif: larénovation de la société passe par un État capable de se rénover lui-même dansl'établissement de nouvelles relations avec la société (c'est-à-dire notamment parun État susceptible de renouer avec la proximité aux individus, comme lesuggérait une formule de Michel Rocard: « offrir un visage de l'État à chaquesituation de misère sociale. »)

L'optimisme qui marque l'ouvrage de 1994 est toutefois bien volontariste. Ilse révèle en tout cas fragile à la lecture des deux ouvrages plus récents publiésen 2003 et 2006, qui apparaissent bien comme un retour critique sur le bilan de lapolitique de la ville, à travers notamment la comparaison américaine et la priseen compte des nouvelles configurations urbaines22. Comme si là encore,

22. J. DONZELOT, A. WYVEKENS et C. MÉVEL, Faire société, Le Seuil, 2003 et 1. DONZELOT,Quand la ville se défait, Le Seuil, 2006. Voir aussi ses contributions dans Esprit, notamment La

« Ville à trois vitesses », Esprit, mars-avril 2004.

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l'exigence idéale de participation ne pouvait déboucher que sur une alternance dedésillusions et de réenchantement.

Car le constat d'échec de la politique de la ville à la française s'organise unenouvelle fois autour d'un retour sur l'idée de la participation. Mais entre-temps,la grille de lecture s'est enrichie de la distinction que permet la comparaison avecles politiques urbaines menées aux États-Unis depuis les années 1960. En gros,ce que Jacques Donzelot reproche au modèle français est de s'être prioritairementou quasi exclusivement intéressé aux lieux plutôt qu'aux personnes (peopleversus place). On a rénové les quartiers, sans prendre véritablement en compte laré-institution des individus qui y habitent. L'échec de ce modèle, attesté enpratique après la parution de l'ouvrage par les nouvelles séries d'émeutesurbaines (et notamment celles de novembre 2005), s'éclaire en outre parl'aggravation objective de la situation des quartiers difficiles, qui sont devenus devéritables zones de relégation, abandonnés par les habitants des classesmoyennes qui ont pu s'en sortir (c'est l'objet de l'ouvrage le plus récent, quidécrit ces processus et formule le constat que la ville n'est plus la cité, qu'il n'y aplus de vivre-ensemble, mais bien des logiques de séparation à l'œuvre,d'apartheid social, comme l'ont suggéré par ailleurs les travaux d'Éric Maurin,par exemple, ainsi que les résultats électoraux récents, de la présidentielle de2002 aux résultats du référendum sur la constitution européenne )23.

Le choix des lieux, plutôt que des personnes, s'explique par une sorte defacilité (on sait mieux faire...) mais surtout par les résistances opposées à uneremise en cause des institutions, des pouvoirs et des habitudes. C'est toutl'intérêt, du point de vue de Donzelot, de la comparaison avec les États-Unis quede suggérer une différence de culture politique. Démocratie participativeauthentique outre-atlantique, démocratie de l'animation sans remise en cause despouvoirs ici. La comparaison permet à Donzelot de diagnostiquer la difficultéconceptuelle centrale dans la mise en œuvre de la participation en France:l'absence d'une culture de la démocratie participative, certes, mais pluslargement la difficulté des autorités traditionnelles (élus, fonctionnaires) àaccepter de laisser les pouvoirs se construire de manière autonome. Les citoyenssont invités à participer à des processus où la décision leur échappe finalement,ils doivent se conformer à des rôles et des situations déjà écrites et formalisées, eten outre, ils doivent le faire, car la participation est conçue, sur le mode antique,comme un devoir et non comme le cadre de construction de pouvoirs - leurdéfection n'étant pas dès lors liée du point de vue des autorités à la faiblesse desmarges de manœuvre qui leur sont offertes, mais aux propres carences depopulations décrites comme peu civiques...

Comment aujourd'hui« faire société », au moment même où semble se déliterle sentiment commun de l'être-ensemble, où semble disparaître l'évidence mêmedu fait collectif? La participation, la «démocratie participative» restent pour

23. Pour une illustration nantaise, voir aussi sur ce point l'histoire, architecturale et militante, duSillon de Bretagne, telle que retracée, par exemple, par A. BESSONdans sa biographie de Jean-MarcAyrault, Éditions Coiffard, 2005. É. MAURINet D. Goux, « L'anatomie sociale d'un vote », LeMonde, 14 avri12004.

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Donzelot des pistes essentielles, à condition que la participation ne soit pasqu'une stratégie rhétorique de pouvoirs décidés à ne rien abandonner en pratiquede leurs capacités de décision. On retrouve ce souci qui consiste à prendre ausérieux une notion exigeante de la démocratie participative dans un article récentde Jacques Donzelot publié par la revue Esprit Quin 2006), où il propose à sontour de rompre avec le flou qui entoure la notion de « démocratie participative »,en recourant à des grilles d'évaluation, dont celle classique et inspirée de travauxaméricains, qui distingue plusieurs niveaux (information, consultation,concertation et participation) et suggère de réserver le terme de participation auxseules procédures autorisant le citoyen ordinaire à s'approprier le pouvoir dedécider. Au cœur de celles-ci figure, bien entendu, la capacité des institutions àaccepter la confrontation avec des nouveaux pouvoirs dont la démarcheauthentiquement participative permet précisément l'émergence.

Deux traits communs relient ces travaux: la remise en cause de l'absolureprésentatif, à travers une définition à la fois radicale et réduite de la « vraieparticipation », l'attention plus ou moins explicitée à la problématique du« populaire» en politique. Sur ce deuxième aspect que nous n'avons guèresouligné jusqu'à présent, on doit dire qu'il est bien au cœur des démarchesévoquées24. Dans le cas de Porto Alegre vu par Sintomer et Gret, comme dans lecas des cités de relégation évoquées par Donzelot, c'est bien la question des liensentre exclusion sociale et exclusion politique qui est posée. Disons tout net quecette orientation laisse quand même un peu perplexe, dans la mesure où elleexpose à la répétition sempiternelle d'un cycle d'enchantement et de désillusion,comme on l'a déjà mentionné. En effet, que le processus participatif soit ou nonlargement ouvert, la plupart de nos auteurs notent que la participation effectivene semble pas au rendez-vous, et que les rendez-vous fixés apparaissent commevoués à la réitération du malentendu. Pire, au vu des objectifs fixés d'uneréconciliation ou d'une réappropriation du pouvoir par ceux qui en sont exclus,on notera que dans de nombreux cas, l'ouverture de dispositifs participatifs, ycompris au sens le plus strict du terme (Budget participatif), ne débouche que surla reconduction des constats posés par Daniel Gaxie d'un surinvestissement réeld'acteurs issus des classes moyennes et supérieures, fortement dotées en capitalscolaire et culture[25.

On peut certes s'attacher, à chaque désillusion, à trouver une nouvelle séried'explications, et ce jusqu'à l'éventuelle désillusion finale. Il n'empêche qu'uneautre approche, plus apaisée et reposant moins sur la croyance, de cette

24. Ce qui fragilise à notre sens les affinnations d'A. COLLOVALD dans « Populisme, la causeperdue du peuple», in F. MATONTI(dir.), La Démobilisation politique, La Dispute, 2004: « Lesdifférends se focalisent surtout autour d'autres définitions de la démocratie: « démocratiedélibérative», « démocratie des compétences», « démocratie moyenne» ou « démocratie deproximité» contre « démocratie représentative», moins, ainsi, dans la critique immédiate de laprofessionnalisation politique ou de la représentativité sociale que, à travers la question « neutre»des compétences techniques à mobiliser pour être habilité à intervenir dans le jeu politique, danscelle de sa réorganisation et refondation », p. 207-208.25. Voir aussi sur ce point le très précieux article de M.-Ch. JAILLET,« L'espace péri-urbain: ununivers pour les classes moyennes», Esprit, mars-avriI2004.

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problématique de la participation semble possible, à travers notamment la notionde délibération. L'évocation de cette approche nous permettra de fixer quelques-uns des enjeux actuels de la participation26.

B. Vers une version élargie de la participation: l'optiquedélibérative

Dans un article récent de 2004, Loïc Blondiaux propose à sa façon de nuancerla distinction et l'opposition commune entre participation au sens large etparticipation au sens restreint, en suggérant notamment de placer les évolutionsen cours et dont on rappellera ici brièvement qu'elles connaissent tout de mêmedes traductions juridiques, même imparfaites, même inachevées et à ce titrecritiquables, sous la dénomination générale de « démocratie délibérative »27.

C'est l'optique que nous entendons privilégier ici également, en revenantd'une manière toutefois un peu différente sur cette notion de délibération, nonpas tant pour évoquer de manière exhaustive les problèmes ou les questionsqu'elle soulève sur un plan théorique, que sur la base d'une analyse découlant decet« impératif délibératif». Ce choix renvoie essentiellement à deux temps de laréflexion de Bernard Manin qui, soulignant d'une part le rôle et la place nouvellede la délibération dans les formes modernes de la politique démocratique, enarrive à formuler d'autre part une lecture des évolutions de la forme dugouvernement représentatif. C'est ce deuxième aspect qui nous retiendra dans lesdéveloppements qui suivent.

Au départ était donc Bernard Manin. Nous citons ici son nom, non parce qu'ilest un auteur français, mais parce que sa position dans le débat français est, noussemble-t-il, plus évidente que, par exemple, celle d'Habermas, que l'on citesouvent ici ou que celle de Rawls. N'oublions pas en effet qu'il a longtempsexisté, en France notamment, un usage critique d'Habermas. Jusqu'à une époquerécente, une forme de réception particulière a longtemps érigé Habermas en uncritique de l'espace public, dans la mesure où, affublé de l'adjectif« bourgeois », qui constituait une qualification stigmatisante, cet espace publicapparaissait peu digne de considération. Habermas a été considéré, peut-êtred'ailleurs à juste titre en raison des évolutions de sa propre position, commel'héritier de la critique sociale des pères fondateurs de l'école de Francfort dont ila pris la suite. Certes, il n'est pas ou plus seulement cela, mais nombreux sont

26. En considérant comme plus pertinent ce modèle délibératif, nous inversons au passage lalogique proposée par L. BLONDIAUX et Y. SINTOMER dans « L'impératif délibératif», Politix, n° 57,

2002, qui partait du paradigme de la délibération pour lui substituer progressivement, en l'yopposant, celui de la participation.

27. Voir la note 4 de son article « Démocratie délibérative et démocratie participative: une lecturecritique », Revue suisse de science politique, 2005 : {( [...] les nouvelles formes démocratiques

étudiées [...] ont pour caractéristique principale de croiser ces deux dimensions, de relever tout à lafois de la {( démocratie participative» et de la {( démocratie délibérative », au point de rendre assez

artificielle l'opposition entre ces deux concepts aujourd'hui ». Ce qui traduit évidemment uneévolution nette de la position de L. BLONDI AUX par rapport à l'article précédemment cité, écrit en

collaboration avec Y. SINTOMER.

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ceux qui se sont arrêtés à cette position critique, et n'ont guère suivi Habermasdans ses évolutions ultérieures28. Quant à Rawls, sa réception française élargiedoit attendre la fin des années 1980.

Or, c'est en 1985 que Bernard Manin publie dans la revue Le Débat un articleclé dans cette généalogie récente de la participation29. Manin vient de la gaucherépublicaine, mais il s'est rapproché des thèses de la gauche autogestionnairepuis sociale-démocrate, à travers ses travaux communs avec Alain Bergounioux.Prolongeant ces travaux qui venaient déjà procéder à quelques remises en causedu vieux fonds intellectuel socialiste français, Manin propose de rompre avecl'obsession rousseauiste de la volonté générale, en même temps qu'avecl'héritage légicentriste français. Une décision démocratique légitime est unedécision délibérée. L'accent se déplace donc, de la prétention à transformer unedécision majoritaire en volonté générale, vers la délibération et vers lesconditions de déroulement du débat démocratique, bref, vers les formes. Le rôledu politique est de s'inscrire dans ce cadre d'une bonne délibération, plus que deprétendre, parce qu'élu et une fois élu, incarner une volonté généralesouveraine30.

Cet article s'inscrit dans une revendication de rupture avec l'héritagerousseauiste, il s'inscrit aussi plus largement dans une interpellation de la culturepolitique française qui se généralise tout au long des années 1980, autour denotions comme celle de « démocratie d'opinion» ou de « démocratie continue»(Dominique Rousseau). Ces débats suggèrent également une rupture peut-êtreplus fondamentale, en tout cas fondatrice: celle qui consiste à ne plus voir dansl'accès au pouvoir la condition suffisante d'une résolution définitive de tous lesproblèmes. Ce qui change ici, c'est le rapport au temps politique, qui impose unerupture avec l'empreinte profonde du mythe révolutionnaire. Ce n'est donc paspour rien que ces débats sont contemporains de l'accès de la gauche au pouvoir,contemporains de cette certitude désormais révélée, qui peut tout aussi biennourrir la désillusion que la revendication assumée d'une noblesse de la modestiedémocratique: la société parfaite n'est pas pour demain, elle n'est pas d'ailleurspour après-demain non plus...

28. Évolution en revanche bien notée, mais dans l'optique dénonciatrice d'une « trahison»suggérée, par CASTORIADlSdans « L'époque du conformisme généralisé », in Le Monde morcelé,op. cÎt., p. 23.29. « Volonté générale ou délibération? Esquisse d'une théorie de la délibération politique» , LeDébat, n° 33, 1985. Le rôle majeur de cet article et de l'ouvrage de B. MANIN, Principes dugouvernement représentatif, rééd. Champs-Flammarion, 1996, est confirmé par l'attention que luiaccorde la revue Politix, pourtant habituellement peu avare de critiques sur son travail. Voirnotamment l'entretien de Bernard MANINavec L. BLONDlAUX,Politix, n° 57, 2002. « Témoignagede Bernard MANIN à l'auteur »,janvier 2004.30. Comme le suggèrent L. BLONDIAUX et Y. SINTOMER,en classant toutefois à tort BernardMANIN comme représentant des thèses libérales sur l'intérêt général comme simple addition desintérêts particuliers: « La décision légitime n'est pas la volonté de tous, mais celle qui résulte de ladélibération de tous: c'est le processus de formation qui confère sa légitimité aux résultats, non lesvolontés déjà formées. » « L'impératif délibératif», Politix, n° 57, 2002. Nous devons beaucoup àla lecture de cet article, comme plus largement, aux travaux de L. BLONDlAUXen la matière.

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Au-delà, on voit bien tout ce qui oppose cette école de la délibération et lecourant critique. Il n'est que de lire l'ouvrage aujourd'hui classique de BernardManin, consacré aux Principes du gouvernement représentatif, pour noter lamultiplication des points de désaccord avec la critique sociologique inspirée destravaux de Pierre Bourdieu. Critique de la critique qui tranche d'ailleurs avecnombre d'autres, par son aspect décontracté, détaché. Manin, explorant les voiesde la démocratie du public, où cette question de la délibération devient centraleen appelle à la considération de tous les moyens disponibles pour saisir l'opinion.Or, pour ne prendre que cet exemple, il considère alors les sondages et lesenquêtes d'opinion comme l'un des moyens légitimes de cette quête, là oùBourdieu préférait clamer que « l'opinion publique n'existe pas »31. On sait parailleurs que cette lecture plutôt optimiste a eu des retombées, des débouchéspolitiques, notamment du fait des liens entre Bernard Manin et l'un de ceux quirevendiquera de procéder à l'aggiornamento de la culture politique de la gauche,Michel Rocard. Manin n'est pas pour rien dans cette phrase passée à la postéritéselon laquelle «on ne gouverne pas contre l'opinion» - une opinion iciconstruite, notamment, grâce aux sondages et enquêtes d'opinion.

La mise en forme proposée par ce dernier a pour elle la force de la cohérence.Une fois posé en effet le gouvernement représentatif comme une forme mixte,Manin insiste, nous semble-toil, sur quatre points.

Il nuance tout d'abord le versant aristocratique du modèle, en retraçant lesétapes du gouvernement représentatif et en insistant sur la diversité historique dumode de composition des élites32.

En second lieu, il met l'accent, en réponse aux critiques, sur l'impactindiscutable à ses yeux de la donnée démocratique, en soulignant que la libertédu représentant, sa marge de manœuvre est indissociable de la limitequ'apportent le souci du maintien au gouvernement et surtout le souci de laréélection33.

En troisième lieu, Manin nous invite à revisiter et à reconsidérer certaines descatégories trop évidentes que nous avons évoquées à propos du modèle athénien,notamment l'opposition classique de la «démocratie directe» et de la«démocratie représentative». Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si son livre

31. P. BOURDIEU,« L'opinion publique n'existe pas », repris dans Questions de sociologie, Minuit,1983 et B. MANIN, op. CÎt., p. 220-221 : « Le débat entre partisans et adversaires des sondages amême parfois pris un tour véhément, en France en particulier. Les sondages d'opinion, est-on tentéde dire, ne méritent ni tant d'honneur, ni tant d'indignité. [...] Une fois dissipée la croyanceillusoire que les sondages livrent l'opinion spontanée du peuple, une enquête d'opinion ne constituepas plus une manipulation qu'un appel à manifester ou à signer une pétition. »32. « L'élection sélectionne nécessairement des élites, mais il appartient aux citoyens ordinaires dedéfmir ce qui constitue une élite et qui y appartient », B. MANIN, op. cit., p. 308. Voir aussi sur cepoint sa réflexion sur l'accroissement de l'écart entre représentants et représentés, Ibid., p.300-301 : « Les évolutions présentes apportent un démenti à la croyance que le lien représentatif étaitdestiné à avancer toujours vers plus d'identité ou d'identification entre gouvernés et gouvernants. »Sur cette question, voir aussi le travail de P. ROSANVALLON,et nos remarques irifra.33. « Dans le système représentatif, la volonté prospective des électeurs n'est qu'un vœu, maisquand ceux-ci ne sont pas satisfaits de la politique menée par les gouvernants, leur jugementrétrospectif a la valeur d'un ordre », Ibid., p. 307.

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s'ouvre sur un long premier chapitre consacré à la démocratie athénienne. Laconclusion et la thèse qui structurent cette ouverture peuvent, nous semble-t-il,être ainsi résumées: Athènes n'est pas une démocratie directe, au sens où nousl'entendons, mais bien une démocratie où existent des formes directes et desformes représentatives. Ce n'est donc pas son caractère - faussement - direct quiest pertinent pour la distinction entre Athènes et nos régimes modernes, maisbien les formes de la représentation, qui diffèrent dans leur essence. Car Athènes,dans le choix de ses représentants utilise largement le tirage au sort (et encorefaut-il être préalablement volontaire pour être tiré au sort), là où nous utilisonsexclusivement en matière politique l'élection. C'est donc le tirage au sort qui estdistinctif, discriminant et non l'opposition « démocratie directe/démocratiereprésentative ». Quoique Bernard Manin n'en ait pas explicitement tiré pour lui-même de telles conclusions, cette contribution nous semble au moinsindirectement décisive, si l'on en juge par la multiplication des réflexions34, maisaussi des pratiques liées au tirage au sort, à travers les conférences citoyennes, lesjurys citoyens, voire à travers le fonctionnement de certains dispositifsparticipatifs (conseils de quartier, conseils régionaux des jeunes comme en Paysde la Loire, etc.)35 Si la démocratie athénienne fait retour parmi nous, ce n'estdonc pas essentiellement par le biais de la fausse opposition du direct et dureprésentatif que sur la base d'un retour, après une longue éclipse, d'un tirage ausort qui vient potentiellement limiter les effets de la professionnalisationpolitique. Elle atteste en effet l'une des évolutions majeures supposées par la«démocratie participative»: la dépossession, au moins symbolique, del'exclusivité du représentant en matière de production d'une opinion légitime.

Il convient de noter ici à quel point il semble d'ailleurs difficile de sortir desfausses oppositions visées par Manin. Après avoir pourtant souligné à quel pointl'Athènes réelle est éloignée des stéréotypes et des mythes forgés «( l' Athènes-Ille République à laquelle nous ont habitué nos manuels»), après avoir pourtantfixé les limites de toute transposition du modèle athénien, après avoir pourtantrappelé qu'à Athènes et selon Moses I. Finley lui-même, esclavage et démocratieétaient indissolublement liés (car l'esclavage permet au citoyen de libérer unepartie de son temps pour le consacrer au service de la Cité), après avoir pourtantrappelé le rôle de la représentation dans le modèle athénien, Claude Mossé,spécialiste reconnue de la Grèce ancienne, pouvait ainsi écrire en 1979, enconclusion d'un article de vulgarisation sur Athènes:

Sur le plan strictement politique, ceux qui aujourd'hui parlent de décentralisationet d'autogestion y trouveront peut-être matière à réflexion [...]. Athènes fournit[.. .] un exemple valable de coexistence réussie entre direction politique et

34. Notons au passage comme révélateur le rôle du CEVIPOF en la matière, qui a mis à son ordredu jour depuis la fm des années 1990 la question des conférences citoyennes, comme la question,sous un angle plus théorique du tirage au sort, à travers la mise en place d'un groupe de travail.35. Sur le tirage au sort dans un dispositif participatif de quartier, voir L. BLONDIAUX,«Représenter, délibérer ou gouverner? Les assises politiques fragiles de la démocratieparticipative de quartier », in CURRAP-CRAPS, La démocratie locale, représentation,participation et espace public, PUF 1999.

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participation populaire, durant une longue période de temps, sans cette apathie etcette ignorance dont parlent les experts en opinion publique, ni non plus ce spectrede l'extrémisme qui hante les théoriciens élitistes. «Société politiqueauthentique », la démocratie athénienne, certes exercée par un groupe minoritaire(encore une restriction...)au sein de la population de l'Attique, mais qui était un«vrai peuple» et où les luttes de classe [...] étaient de vraies luttes a encorebeaucoup à nous apprendre. Dans le monde d'aujourd'hui où d'aucuns rêventd'abandonner à une élite de technocrates les décisions fondamentales, il n'est pasinutile de réfléchir sur l'expérience athénienne36.

Le fait que toutes les restrictions apparaissent si contradictoires avec le pointde vue énoncé nous enseigne au moins une chose: de la « démocratie directe»comme « authentique démocratie », à la participation comme « authentiqueparticipation », il semble bien que l'on soit en présence de discours qui, del'extérieur du métier politique et de l'exercice de la responsabilité politique,entendent bien peser sur le politique. Position propre et tendance difficilementrépressible des intellectuels.

Enfin, en quatrième et dernier lieu, il nous semble que Bernard Manin, àtravers la dernière partie de son ouvrage, consacrée aux différentes figureshistoriques du gouvernement représentatif, nous offre la possibilité de penser lemouvement contemporain de multiplication de références et de création dedispositifs de démocratie participative (ici donc au sens large), et notamment,sans revenir sur le détail de la description, à travers le dernier idéal-type de la« démocratie du public» - succédant pour mémoire à la « démocratie duParlement» puis à la « démocratie des partis ».

La métaphore de la scène et du public, que propose Bernard Manin poursignifier la relation nouvelle entre la société et les postulants au gouvernementreprésentatif, dans un contexte d'incertitude sur ce qu'il y a à représenter et surles clivages pertinents, lui fait encore suggérer que, « dans une telle situation,l'initiative des termes offerts au choix appartient aux hommes politiques, non pasà l'électorat ». Or, il nous semble que cette métaphore renvoie plus largement àla problématique très classique de la relation de l'État et de la société civile, danssa formulation hégelienne plus que marxiste. Alors que pour les tenants d'unedéfinition restreinte, il semble bien que, au fond, l'État et les représentants soientles parasites de l'expression d'une société civile qui aspirerait à des formesauthentiques de participation, la société civile apparaît dans cette seconde optiquecomme mise en forme et mise en scène par les représentants, dont l'initiativeprécède. Sans renier qu'elle puisse être simplement aussi un moyen decommunication ou de propagande à usage exclusif d'élus peu sincères, la« démocratie participative» se révélerait finalement aussi comme l'un des

36. Quelques années plus tard, en 1995, CI. MossÉ proposera un point de vue plus nuancé, enévoquant notamment les travaux de Mogen HANSEN, qui suggère une lecture d'Athènes très endeçà des mythes, en y voyant une {(démocratie modérée». Nul hasard si Mogen HANSENest aussila source la plus fréquemment utilisée par Bernard MANIN (dans le premier chapitre de son livre),dont il parle ainsi: {(magistrale étude de la démocratie athénienne, remarquable pour son ampleuret sa précision.» Voir M. HANSEN, La Démocratie athénienne à l'époque de Démosthène, LesBelles Lettres, 1993.

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moyens de cette quête par le représentant de ce qu'il doit représenter, commel'un des moyens de connaître la réalité des représentés et de tenter d'appréhenderceux des clivages dont il pense que la pertinence permettra leur exploitation.

Conséquence de cet évanouissement des visions claires des identités socialespassées, qui implique pour le représentant de ne plus pouvoir se contenter d'êtreun porte-parole, mais l'oblige à chercher en quelque sorte ses représentés, àconstruire lui-même le socle de sa représentation, la démocratie participative l'està un autre titre dans la gestion des politiques publiques, notamment locales. Auxcôtés des instances traditionnelles qui, pour être parfois, elles aussi, ébranlées parces données inédites de la représentation, comme les associations ou les CESR,n'ont pas pour autant perdu tout rôle, les nouveaux dispositifs permettentégalement de faire émerger des acteurs qui se révèlent comme des partenairespotentiels d'une action politique dont la définition n'est plus évidente.

Sur ce point, Donzelot rejoint d'une certaine manière l'analyse ouverte par lessuggestions de Manin, lorsqu'il écrit, à propos de cette génération d'élus portésen 1977 sur la vague de l'associationnisme: « Avoir ou ne pas avoir le pouvoirétait une chose. Produire une action en était une autre. Beaucoup de nouveauxélus se disaient que le pouvoir, le vrai, était affaire de capacité d'action,d'organisation d'une production collective, bien plus que de décisionsouveraine. »

On pourrait ici suggérer en signe de confirmation de cette hypothèse quel'engouement récent et convergent des régions pour des processus ou desdispositifs de démocratie participative n'est pas sans lien avec la faiblesseinstitutionnelle de la région, ce qui renvoie à une logique nécessaire decommunication, mais aussi et surtout à la faiblesse de l'espace public régional (ledépartement bénéficiant en l'occurrence de son ancrage historique). Laparticipation, sous divers modes, apparaît bien ici comme une ressourceimportante du point de vue des élus régionaux pour faire exister un espace publicrégional quasi inexistant et une société civile régionale embryonnaire, pour lessusciter, pour les mettre en forme, et ainsi, pour mieux identifier les partenaireséventuels de politiques publiques innovantes.

La démocratie participative s'offre ainsi comme l'un des révélateurs desnouvelles formes de la «gouvemance locale »37, terme par lequel Patrick LeGalès entend souligner la nécessité pour les acteurs politiques urbains ou locauxde mobiliser l'ensemble des autres acteurs locaux, en vue de faire apparaîtreprécisément la Ville, ou la région, comme acteur, de la construire par laprojection dans le projet de ville ou dans une vision partagée du projet régional,comme un acteur engagé dans une compétition avec d'autres acteurs.

Elle répond aussi, toujours dans ce cadre général d'une remise en cause desidentités établies sur lesquelles pouvait se fonder le rôle de représentant, à unecrise de la forme partisane, comme le suggèrent Frédéric Sawicki et RémiLefebvre: « La multiplication des structures de concertation et le développementde la démocratie participative peuvent de la même manière être analysés comme

37. P. LE GALÈS,Le Retour des villes européennes, Presses de Science po, 2004.

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une réponse au déclin traditionnel du parti fondée sur l'interconnaissance et lacommunauté de vie »38, analyse qui peut s'inscrire dans le cadre proposé parBernard Manin du passage d'une « démocratie des partis» à une « démocratie dupublic ».

Une telle lecture de la participation renvoie plus largement encore aux formescontemporaines prises par des débats, parfois plus anciens, sur la nature même dela représentation démocratique, et cela sur fond de diagnostic d'une crise de lareprésentation. Elle peut dès lors être placée parmi les instruments utilisés danscette quête d'une «juste représentation» dont les autres formes s'appellent:parité, représentation des minorités visibles, représentation des jeunes, accès desétrangers à certaines formes de citoyenneté, etc.39

III. Parce qu'il/aut bien conclure

Pour la conclusion, cédons la parole à Pierre Rosanvallon :

Le problème essentiel, dorénavant, n'est plus celui d'une «exception française »,absolue et relative, qu'il faudrait résorber. Il est, partout, celui d'une crise de lapolitique et d'une interrogation sur la démocratie. C'est la définition même de lagénéralité qui est en question sous toutes les latitudes. L'État et la société civilesont l'un et l'autre remis en cause dans ce contexte marqué par l'avènement denouvelles perplexités sur les formes et le sens de l'intérêt général. À l'heure de la« gouvernance », les visions enchantées du monde associatif et de ladécentralisation ne sont plus de mise; pas plus que les vieilles certitudesinstitutionnelles et procédurales sur la formation du lien social. Le besoin derepenser une nouvelle architecture démocratique d'ensemble s'impose; laredéfinition des voies de la souveraineté, des modes de légitimité, des procéduresde la représentation et des conditions d'expression du commun dans la société sefont partout sentir. C'est la question même du politique qui est en jeu 40.

Ou comment suggérer que, si elle est aujourd'hui l'une des formes de la« démocratie du public », rien n'empêche de considérer la démocratie partici-

38. F. SAWICKI et R. LEFEBVRE, « Le peuple vu par les socialistes », in F. MATONTI, LaDémobilisation politique, op. cit., p. 69-96. Voir aussi ici l'exemple de Rennes en 1995 analysé parAntoine VION, qui suggère que le refus d'une consultation participative s'accompagne justementd'un retour sur les réseaux traditionnels, dans le cadre d'une campagne municipale marquée parune forte contestation d'un projet de métro, « Retour sur le terrain », Sociétés contemporaines,

n° 24,1995, p. 95-12239. L'intérêt pour la démocratie participative ou délibérative peut être aussi fondé sur un intérêtpour la question de la participation politique des classes populaires ou des exclus ou des« invisibles ». Mais, parce qu'on se refuse ici à en faire le remède magique et exclusif à la« crise de la politique démocratique », rien n'interdit, contrairement à ce que suggère AnnieCOLLOVALD,de porter attention à d'autres thèmes, à d'autres problématiques: des politiques delutte contre les exclusions, de la prise en compte de la parole des exclus et des invisibles, de l'accèspar exemple, encore, des étrangers au vote, ou, plus technique mais non moins essentiel, de ladémocratisation des structures intercommunales, aujourd'hui scandaleusement opaques etincontrôlées par le citoyen au vu en tout cas de leurs pouvoirs croissants. Après tout, nul n'est vouéà la monomanie.40. P. ROSANVALLON,Le modèle politique français, La société civile contre le jacobinisme de1789 à nos jours, Seuil, 2004, p. 434.

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pative comme amenée à jouer un rôle plus essentiel dans une nouvelle figure àvenir de la démocratie4I. Ni idéalisme héroïque, ni critique systématique: ils'agit donc bien de « prendre au sérieux l'idéal délibératif»42 qui est aufondement de la « démocratie participative. »

41. D'autant qu'il peut, dans ces dispositifs, se jouer de l'inédit, au détriment même de ceux quipensent en avoir la maîtrise, comme le suggère le rappel de Bernard MANIN à propos desmotivations initiales qui avaient conduit les souverains anglais à encourager le parlementarisme,« Entretien avec Bernard MANIN », Politix, n° 57, 2002.

42. L. BLONDI AUX, art. cit.

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Partie IV

Le développement urbain durable,contribution à une théorie de l'identité

DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLE ET IDENTITÉS CULTURELLES:

LA VILLE ET SON PATRIMOINE BÂTI ET VÉGÉTAL

- L'histoire parallèle des règles d'urbanisme et de protection du patrimoinehistorique depuis 1921

Patlick LE LOUAIW

- Mémoire de ville et patrimoine végétal urbainPierreLEGAL

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LES IDENTITÉS TERRITORIALES

- La participation des acteurs locaux dans la zone Natura 2000

Luc BODIGUEL

DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLEET IDENTITÉS CULTURELLES:

LA VILLE ET SON PATRIMOINE BÂTI ET VÉGÉTAL

L'histoire parallèle des règles d'urbanisme et de protection dupatrimoine historique depuis 1921

Patrick LE LOUARN*

Le concept d'abords est un exemple topique de l'imagination administrativeet de la création du droit par l'expérimentation de solutions pragmatiques!. Enprivant les bureaux de l'omnipotence d'un état centralisé, le législateur de 1982semble avoir rompu avec un mécanisme de création administrative que l'onpourrait qualifier de: « style Napoléon III »2. Désormais l'État, autant qu'ilprotège les écrins du patrimoine national, protège les abords comme un servicerendu à la collectivité locale qui maîtrise son plan d'urbanisme. De plus en plusnombreuses et négociées, les formules de protection des abords tendent à devenirune contribution de l'État à l'environnement urbain. Pour autant la protection desabords est-elle mieux acceptée? Un conflit séculaire3 serait-il terminé? Ou biens'est-il seulement déplacé? En dépit du parfum de nostalgie brocanteuse qui peuts'attacher à ce vieil objet juridique, le concept d'abords des monumentshistoriques recouvre donc les enjeux les plus modernes du développementdurable urbain.

Dans sa dimension épistémologique, la notion d'abords illustre les conditionshistoriques de la production du droit urbain. Elle passe en effet du débatintellectuel et de quelques actions ponctuelles à une normalisation qui finit parheurter les droits réels des citoyens et par poser un problème national que l'onprétend résoudre aujourd'hui par une élaboration plus participative de la norme.

* DCS-CERP3E1. Cette recherche sur les abords s'inscrit dans un projet global de recherche sur l'histoire du droitde l'urbanisme.2. Cet expert de la gouvemance n'aurait-il pas dit que si « l'on gouverne de loin, on n'administrebien que de près» ? C'est en effet sous l'Empire que l'administration a intégré les doctrines de lajeune école d'histoire de l'art française et qu'elle a développé la politique de dégagement desmonuments qui est à l'origine de cette réglementation des abords.3. Si la première législation sur les abords date de 1943, le débat sur la protection des perspectivesa introduit leur problématique dans le développement urbain dès 1908.

Il convient aussi de clarifier un objet juridique mal identifié car le terme« abords» n'existe dans aucune loi sinon dans quelques décrets d'organisationadministrative. C'est une circulaire de 1841 qui introduisit ce terme4. Carl'article L 621-30-1 du Code du patrimoine présente cinq techniques deprotection de l'environnement des monuments qui relèvent de la compétenceadministrative: les périmètres de 500 m, les périmètres de protection adaptés, lespérimètres de protection modifiés, les ZPPAUP et les secteurs sauvegardés.

De plus, le concept illustre parfaitement une problématique moderne du droitde l'urbanisme entre conservation du tissu urbain et droit de la construction de laville. Dans le contexte de reconstruction de la ville sur elle-même, qui est à labase de la loi SRU, l'opposition devient frontale car on ne peut plus traiter lecentre historique des villes comme un «espace-musée» inviolable. Pouraccueillir habitat, bureaux et commerces dans un contexte de forte pressionfoncière il faut faire évoluer les normes de protection des centres urbains quiconstituent la plupart des abords des monuments. Mais cette évolution n'est-ellepas mortifère pour les objectifs de conservation et de mise en valeur dupatrimoine urbain? Il s'agit de cerner le rôle des servitudes dans le débat entrepatrimoine et identité urbaine, d'une part, et architecture contemporaine etexploitation économique des centres anciens, d'autre part.

Les abords sont encore révélateurs des problèmes d'interface entre pouvoirsdécentralisés et représentants de l'État en charge des servitudes patrimoniales.Car ils exacerbent les contradictions entre l'État, chargé de garantir laconservation du patrimoine et la libre administration des collectivités locales.L'opposition est toujours vive entre la connaissance scientifique de l'homme del'art qui exerce un pouvoir de refus sur les projets, et la démocratie participativeou l'expression des intérêts économiques locaux qui acceptent mal ce pouvoir.

C'est donc le concept d'abords des monuments historiques qui pose problèmedans la mesure où il motive de nombreuses décisions alors que sa délimitation etson contenu sont hétérogènes et imprécis. Ensemble d'objets dont les frontièreset superpositions sont obscures, le concept est fondé sur une doctrine discutable,construite par accumulation sur un très long temps historique entre droit réelimposé aux immeubles et idéologie du patrimoine. L'enquête historique estindispensable pour dégager ces fondements et pour comprendre le rapportdialectique entre la norme et le corps social.

La question des abords est consubstantielle des monuments historiques depuisla Révolution. Elle accompagne la conception dominante que l'on se fait dumonument et qui a produit le formalisme de notre première école d'histoire del'art au xxe siècle à l'origine de la mode du dégagement des cathédrales.

Inscrite de façon embryonnaire dans les premières lois sur les monumentshistoriques, la protection de l'environnement des monuments est formalisée en1943 par l'autorisation de travaux aux abords et la création de la deuxième

4. Les textes les plus récents ignorent totalement ce terme trop imprécis et traitent des périmètresde protection et des ZPPAUP qui sont un des avatars des abords. Voir notamment le décret relatifaux monuments historiques et aux ZPPAUP qui modifie le décret de 1924: décret n° 2007-487 du30 mars 2007 NOR: MCCB0700262D.

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section, dite des abords, de la CSMHS5. Cette formalisation mettait un termebrutal aux débats de l'élite intellectuelle et politique commencés en 1906-1908,avec la première loi sur les sites et les discussions sur la réutilisation desfortifications de Paris. En 1945 la preuve de la neutralité idéologique de laprotection des abords est faite puisque, simplement transposée dans lesordonnances de 1945 elle va servir un nouveau mouvement de dégagement desmonuments.

Le problème s'est alors déplacé de la querelle entre partisans ou adversairesdu dégagement des cathédrales, vers le terrain des conflits entre l'administrationet la multitude des propriétaires concernés par quelque 40 000 périmètres deprotection. La décentralisation n'a fait qu'aggraver ces conflits lorsque le pouvoirde l'architecte des bâtiments de France est apparu comme le dernier pouvoirarbitraire de l'État face à la propriété privée et aux nouvelles compétencesd'urbanisme des communes. Les évolutions conceptuelles engagées parl'inscription de la Commission des abords sous la double tutelle de l'Équipementet de la Culture, ainsi que les leçons du terrain et de la décentralisation vont alorsinduire de nombreuses et profondes évolutions législatives et réglementaires.Évolutions qui traduisent des changements importants dans la conception quel'on se fait des abords et surtout de leur gestion.

Même si l'évolution des idées sur les abords n'a pas cessé depuis 1906, lalégislation de 1943-1945 a marqué une rupture importante en inscrivant laprotection des abords dans les contraintes imposées à la propriété. C'est doncautour de cette date charnière que l'on peut distinguer deux étapes dudéveloppement du concept d'abords des monuments historiques.

- I : L'invention des abords jusqu'à leur normalisation: de la Révolution àl'acte législatif de 1943.

- II: Les effets en retour de la législation des abords sur leur gestion etl'évolution du concept: 1945-2006.

1. L'invention des abords jusqu'à leur normalisation:de la Révolution à l'acte législatif de 1943

A. L'émergence de la notion d'abords des monuments.

Le particularisme de la notion française de monument historique finit pars'étendre à la conception des abords. L'urbanisme des avenues et desperspectives inauguré par le lec Empire renforce l'idée d'une mise en scène dupatrimoine.

5. C. POULAIN,L'action de Louis Hautecœur au secrétariat général des Beaux-arts (1940-1944) :La permanence des beaux-arts dans lafracture de Vichy, Thèse, École des Chartes, 2001.Commission supérieure des monuments historiques et des sites, désormais intitulée Commissionnationale des monuments historiques et des sites (article I er de l'Ordonnance de 2005).

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1. Vandalisme contre mémoire nationale

À partir du IIIe siècle l'idée de la Nation derrière le Roi s'impose dans l'éliteintellectuelle. On discute la démolition des églises et châteaux, la constructiond'inspiration gréco-romaine et la conservation du gothique qui ne serait plus l'artbarbare mais l'art national. Par exemple, les 25 000 dessins d'inventaire des« monuments» de la collection Roger de Gaignères seront légués au roi LouisXV pour le convaincre de ne plus ordonner de démolitions. Louis XVI, quant àlui, donnera les Champs-Elysées à la Ville de Paris en 1777 sous la conditionexpresse d'en conserver le caractère de promenade publique, premièreillustration d'une politique des abords dans le tissu urbain.

La Révolution fait émerger la question du patrimoine national dans les débatslégislatifs. En 1790, Aubin-Louis Millin, archéologue, comme Quatremère deQuincy, dépose un rapport sur les monuments historiques sur le bureau de laConstituante. Le terme est né. L'Assemblée crée la Commission des monumentspour inventorier et gérer les biens confisqués de l'Église, de la Couronne et desémigrés. Le 31 août 1794, L'Abbé Grégoire fait un rapport à la Convention,contre le vandalisme6. Le ton est donné, le monument historique sera lemonumentum de la Nation sans esprit de retour à l'Ancien Régime.

Napoléon avait voulu créer des places et des avenues ouvrant des perspectivesdans le tissu urbain, ce que l'Ancien Régime n'était pas parvenu à réaliser. C'estlà une mise en scène du pouvoir, une affirmation esthétique de la grandeurnationale en même temps qu'une mesure d'hygiène et d'organisation de laproduction que son ministre Chaptal mettra en œuvre. À la conception des abordscomme écrin des monuments, s'ajoute celle des abords comme produit del'urbanisme moderne. La loi du 16 septembre 1807 prescrivait, en effet,l'établissement d'un plan général d'alignement dans les moindres villes. Lacathédrale devient le centre de cette nouvelle voirie. Désignée comme le symbolede la ville elle est isolée par les destructions et les alignements 7.

6. « Comme nous, les arts sont enfants de la liberté; comme nous, ils ont une patrie et noustransmettrons ce double héritage à la postérité. Que le respect public entoure particulièrement lesobjets nationaux qui, n'étant à personne, sont la propriété de tous. Ces monuments contribuent à lasplendeur d'une nation et ajoutent à sa prépondérance politique. C'est là ce que les étrangersviennent admirer. Inscrivons donc s'il est possible sur tous les monuments et gravons dans tous lescœurs cette sentence: les barbares et les esclaves détestent les sciences et détruisent les monumentsdes arts, les hommes libres les aiment et les conservent. »7. S. SCHOONBAERDT,Une place pour la Cathédrale de Bordeaux, l'isolement de St André (1807-1888), IUP - Paris XII-Val de Marne, LOUEST - UMR 7145.Ainsi à Bordeaux, un rapport du préfet au conseil général en 1822 (réf. préc.), indique que « Leplan d'alignement de la ville a été terminé par la Commission municipale. Il ne reste plus qu'à lesoumettre à ce Corps et à l'administration supérieure. Elle ne doit pas perdre de vue, [...] que, dansla partie vieille de Bordeaux, toute modification serait destructive de propriétés déjà fort avilies;qu'il suffit, au lieu de se livrer à d'immenses détails d'élargissement de rues peu importantes,d'ouvrir quelques grandes lignes à travers cet amas confus de constructions. »Selon SCHOONBAERT,« le préfet et le maire confièrent alors cette tâche à l'ingénieur vérificateur ducadastre, Pierrugues. Il n'envisagea pas de dégager la cathédrale comme il avait pu le préconiserpar exemple pour la basilique Saint-Michel. Plusieurs raisons expliquent ce choix. Il avait d'abord

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En 1810, Le ministre de l'Intérieur Montalivet envoie une instruction auxpréfets prescrivant un inventaire par département «des châteaux, églises etabbayes dignes d'attention ». C'est l'idée de la liste des monuments historiquesque Mérimée établira pour la première fois en 1840. À partir de 1820, dessociétés savantes sont créées un peu partout et la mode est lancée par le baronTaylor et Charles Nodier des «voyages pittoresques et romantiques dansl'ancienne France »8. L'emploi de la lithographie, puis très rapidement de laphotographie et de ses dérivés comme le chromo, vulgarisera l'image desmonuments historiques présentés dans leur ensemble, avec du recul pourmagnifier le génie national auprès des lecteurs de journaux comme des enfantsdes écoles.

2. La réconciliation nationale par le patrimoine

Après 1830, Guizot, membre éminent du groupe des Doctrinaires et ministrede l'Intérieur, organise la réconciliation nationale par une politique publique dupatrimoine et un embryon d'administration qui sera flanquée d'une commission.

Un ancien directeur du Patrimoine, Maryvonne de St Pulgent, résume ainsicette «invention des MH »9, dans un discours qui marque la permanenceidéologique de la conception que l'on se fait du patrimoine monumental enFrance:

En confiant en 1830 la cause des monuments historiques à une administration adhoc, en sus du programme républicain défini par Grégoire dans son discours sur levandalisme et repris à son compte par la monarchie de Louis-Philippe, Guizot luiavait donc confié une ambitieuse mission, celle de réconcilier la Nation autour deses souvenirs de gloire et de réparer la fracture révolutionnaire en faisantredécouvrir aux Français le sens et l'unité de leur histoire. Ce programme

désigné la place du Hâ, proche de l'archevêché, pour les exercices militaires. Il ne souhaitait pasaugmenter le nombre d'espaces publics dont la ville était déjà bien pourvue, ni confondre les placesd'arme ou de marché dans la vieille ville. La difficulté de réaliser des espaces réguliers etmonumentaux ne lui échappait pas non plus. Les places devaient fonctionner comme des réservoirsd'air dans le réseau des rues. Il fallait les multiplier au centre de la ville mais s'astreindre à ne pasen exagérer les dimensions ou la géométrie pour éviter de les transformer en carrefours, comme cefut le cas plus tard. Pierrugues dessina donc, à défaut d'une place régulière, de nouvelles rues pouraméliorer la circulation et l'aération de ce quartier. Parmi ses projets, dès 1812, une voiemonumentale de quinze mètres de large partant du portail du palais impérial, se dirigeait en lignedroite vers le port et prévoyait la destruction du côté nord de la future place. Un témoin rapporte eneffet qu'en visite à Bordeaux, Napoléon lef s'étonna de ne pas voir, à la sortie du palais, la Garonnequi faisait la richesse de la ville. L'ingénieur avait peut-être répondu à ce désir. Dans l'axe de cetracé, un fort dénivelé au niveau de la rue du Pas-Saint-Georges l'avait toutefois contraint à arrêtercette percée à quelques pas de la place Saint-Projet. »8. Flaubert fera ainsi le voyage pittoresque en Bretagne et décrira, non sans ironie, comme aprèslui, Victor Hugo, les Menhirs de Carnac dont le sauvetage sera le prétexte de la loi de 1887.9. M. de ST-PuLGENT, Prosper Mérimée, ou l'inventeur du monument historique, Hommage del'Institut à Prosper Mérimée, Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres,Fasc. IV, nov.dec. 2003.

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supposait, pour être mené à bien, une action au niveau central et l'unification descritères de description et de choix des monuments prioritaires.

3. La conception française du monument

Elle se dégage des débats qui ont agité les milieux de l'histoire de l'art entre1830 et la loi de 1887.

C'est une conception formaliste, de « conservation stylistique» qui domine.Quelques archéologues de l'époque s'élèvent contre cela en prônant unerestauration plus respectueuse de la substance du monument.

L'architecte Alavoine, (1778-1834) par exemple, n'a pas été particulièrementfavorable aux doctrines esthétiques de Quatremère de Quincy, notamment sur ledégagement.

Jean-Baptiste Lassus (1807-1857) élève de Labrouste, s'opposa à l'emprise del'Académie et se consacra à une carrière d'archéologue-restaurateur. Situé auxorigines du mouvement néogothique dont il constitue le courant archéologique etchrétien, diamétralement opposé à Quatremère de Quincy, il développa uneréflexion théorique qui était axée autour des principes suivants:

- le premier âge gothique a produit une architecture rationnelle etfonctionnelle qui constitue l'apogée de l'architecture nationale. Legothique ultérieur a dégénéré et la Renaissance a introduit des influencesétrangères et païennes;

- la restauration des édifices gothiques doit respecter l'authenticité formelleet structurelle des œuvres;

- le XIX. siècle doit mettre en application des préceptes du premier âgegothique pour découvrir les voies d'une architecture nouvelle.

Dans l'histoire de la déontologie de la restauration, Lassus occupe une placeéminente. Il se distingue de ses prédécesseurs Alavoine, Debret et Godde par sonrefus des techniques nouvelles (fonte, mortiers de ragréage, etc.) inadaptées,selon lui, aux bâtiments anciens et par sa volonté de restituer scrupuleusement unparti archéologiquement fondé.

Viollet-le-Duc, quant à lui homme pragmatique, était, selon les édifices qu'ilavait à connaître, tantôt le chantre de la restauration stylistique, tantôt ledéfenseur des méthodes scrupuleusement réparatrices.

Le courant formaliste dominerait encore le discours officiel, selon P. Ponsot,architecte en chef des monuments historiques qui analyse cette notion ambiguëde monument historique à la française:

Pour les inventeurs, Mérimée et Viollet-le-duc, les monuments sont desparadigmes. Les restaurer, c'est leur rendre à la fois intégrité et valeur d'exemple.Ils deviennent des types référentiels (on pourrait presque dire des concepts).L'espoir est qu'il est possible d'inverser le cours de l'Histoire, de revenir àl'origine, au besoin en «refaisant comme c'était ». [...] Cette conception, appelée

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"restauration stylistique" chez certains de nos voisins, a pour nous une figuretutélaire, celle de Viollet-le-DuclO.

Cette critique est dans la lignée de l'opposition intellectuelle du xxe à larestauration reconstitutive des monuments: Chateaubriand, John Ruskin (1819-1900), Proust, Rodin Il. Pour Ruskin, le monument est un mémorial intégré dansla quotidienneté; d'où les premières idées de sauvegarde de quartiers entiers.

Le concept d'abords est donc né du croisement entre la vision stylistique des« savants antiquaires» et la vision théâtrale du pouvoir politique.

B. Les abords, ou le vide respectueux.

1. La conception visuelle, mémorielle et formaliste du Monumentau xxe siècle impose la mode du dégagement

Congruences idéologiques

On peut parler de congruences idéologiques tant de multiples courants serejoignent pour étouffer toute opposition au modèle de Mérimée.

Le « syndrome de la maquette» inspire une mise en valeur du monument parisolement. La lithographie, puis la photographie, exigeant du recul, diffusentdans le public l'idée qu'un monument doit se voir dans son entier, quitte àachever ou refaire les parties qui avaient été négligées par ses constructeurs dufait de leur inaccessibilité visuelle. Cette conception autorise un discours globalet cohérent sur la place du monument dans l'histoire de l'art et dans l'histoirenationale. Le formalisme de l'école française d'histoire de l'art rejoint le soucid'exposer le paradigme du patrimoine national. Mérimée n'aura de cesse que de«dégager les monuments de leur gangue» notamment à propos du théâtred'Orange.

Le débat sur le gothique continue durant ce siècle lorsque l'on se demande,sous le Second Empire, s'il est allemand ou français. Le nationalisme s'emparedes monuments et la mise à l'écart du médiévisme par la Troisième Républiquen'empêchera pas, bien au contraire, de mettre les monuments au service del'idéologie patriotique. Ce sont désormais toutes les époques qui porteront lagrandeur nationale. La cathédrale gothique reste cependant un apex de cetteidéologie car elle génère un lieu de prestige pour les institutions publiques etrejoint assez le goût des perspectives urbaines pour que son dégagement soit à

10. P. PONSOT, «L'impossible réforme: faut-il supprimer les monuments historiques? », Siteministère Culture, 20 décembre 2004. Patrick PONSOT est Architecte en chef des monumentshistoriques; dirige depuis 1994 les travaux de restauration et de conservation préventive auxchâteaux de Blois et Chambord.11. «Personne ne défend nos cathédrales. Le poids de la vieillesse les accable, et, sous prétextesde les guérir, de «restaurer », ce qu'il ne devrait que soutenir, l'architecte leur change la face. [...]Nous ne pouvons plus prier devant l'abjection de ces pierres remplacées. On a substitué aux pierresvivantes - qui sont au bric-à-brac - des choses mortes ». RODIN,Les cathédrales de France, Paris,1914, p. 8 et 9.

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l'ordre du jour. L'inscription des cathédrales sur la liste des monumentshistoriques après 1840 incitera donc les municipalités à démolir tous lesbâtiments alentour sans considération de leur valeur historique. Les propriétairesen espèrent une spéculation à la Haussmann sur les nouvelles façades du quartierqui devient central. L'opposition au dégagement est donc étouffée. En effet, lesrésistances, venues des intérêts locaux de propriétaires et des jurysd'expropriation faisant traîner les procédures, sont brisées par la recompositionde ces jurys comprenant experts et magistrats désignés. Même si quelquespersonnages célèbres ont pu s'opposer à ce mouvement - par exemple VictorHugo recommandant aux Bordelais de ne pas se laisser tenter par les percéesurbaines1z -l'opposition est restée le fait d'obscures personnalités 10cales13alorsque l'Église, peu désireuse d'entretenir des bâtiments devenus inutiles et lepouvoir municipal souhaitant installer toutes les institutions prestigieuses sur lesplaces centrales, furent largement complices des destructions autour descathédrales 14.

Les lois républicaines ne tranchèrent pas entre les deux courants d'opinions.La notion d'abords émergea donc très lentement comme une réponseréactionnaire au dégagement systématique des cathédrales.

2. La traduction législative du dégagement des monumentset des perspectives

Ce sont les lois de 1887 et 1913 sur les Monuments historiques,l'amendement à la loi de Finance de 1911 sur les perspectives, ainsi qu'un textedes années 1930 sur le caractère des lieux avoisinants, qui constituent ce corpusrépublicain. Mais c'est la discussion de ces textes par les urbanistes qui permetd'en apprécier le sens ambigu jusqu'à la création d'une administration des abordspar le régime de Vichy. Les textes n'envisageaient initialement que ledégagement et leur interprétation restera dans cette voie bien après l'institutiondes périmètres de protection.

12. MONTALEMBERT,« Du Vandalisme en France. Lettre à M. Victor Hugo », Œuvres de M. lecomte de Montalembert, Art et Littérature, 1. 6,1861, p. 7-77.13. « Les défenseurs des travaux présentaient l'achèvement des cathédrales comme une œuvresociale, fortifiant la pratique des devoirs religieux, les liens de la famille et de la société. Enrevanche, pour quelques écrivains, abbés, artistes ou obscurs savants, une cathédrale dépourvue desdépendances qui faisaient le sens de sa situation dans la ville pouvait rapidement devenir unsymbole sans âme s'il était trop isolé» (voir SCHOONBAERT).14. On retrouve très tardivement ce débat dans des publications contradictoires telles que:P. LÉON,La Vie des monuments français Destruction Restauration, Paris, Picard, 1955 ou L. RÉAU,Histoire du vandalisme. Les monuments détruits de l'art français, Paris, R. Laffont, 1994, [1reéd. 1958] où l'auteur insiste sur la défiguration du portail de Sainte-Croix au second Empire,p. 765, et sur les mutilations de Saint-André, dès l'Ancien Régime, p. 155,466,590.

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La loi Beauquier15 du 21 avril 1906 relative à la protection des monuments etdes sites naturels d'intérêt artistique

Le député Beauquier sera souvent présent aux réunions de la SHUR 16 duMusée Social à partir de 1908 et s'intéressera autant aux perspectives urbainesqu'aux sites naturels. En outre, sa loi fait écho à la loi sur les monumentshistoriques de 1887. L'idée de Monuments naturels a été défendue par le TouringClub de France, le CAF et même le département des Côtes-du-Nord qui a obtenule classement de l'Île de Bréhat en 1907 et a institué la première commissiondépartementale des sitesl7. Comme dans la loi de 1887, le classement a uncaractère contractuel et l'expropriation reste à la charge des communes. Onclasse donc de préférence des terrains communaux ou des communs d'estives etpour le reste, un tiers des sites classés sont des arbres ou des rochers isolés, doncdes monuments naturels.

L'époque ne faisait pas une grande différence entre les sites et les alentoursdes monuments historiques, la mise en valeur touristique étant l'objectif le plusimportant pour les autorités locales. On cite l'exemple du maire de Neufchâtelqui émet le vœu « que l'on interdise les estaminets au voisinage des endroits ditshistoriques» (Cros-Mayrevieille, 1907). Et le géographe Elisée Reclus de noterqu'au Japon, il est interdit de déshonorer la nature par des auberges mal placées.Loi de 1881 sur la liberté de la presse et l'affichage comme l'instruction duTrésor de 1890, qui institue un droit de timbre sur les publicités, suffisent àcontrôler l'esthétique des abords. Finalement l'affichage dans les sites protégésne sera réglementé qu'en 197918.

Cros-Mayrevieillel9 fait une contribution originale au débat qui continue surl'isolement des monuments. Il estime notamment que le décret de 1889 enapplication de la loi de 1887 ne permet la destruction de bâtiments pour isoler lemonument classé que sous réserve de l'autorisation du ministre. Ce qu'ilinterprète comme l'interdiction générale de démolir sauf exception. ErnestParisot2° soutient au contraire que l'immeuble classé ne subit pas demodifications en lui-même lorsqu'il s'agit de l'isoler et donc que ce règlement de1889 outrepasse la loi qui soumet les seuls travaux sur le monument protégé àl'appréciation du ministre. On voit ici pointer le refus d'une servitude

15. Charles Beauquier, 1833-1916 juriste, homme de lettres et député du Doubs de 1880 à 1914,fut l'un des fondateurs de la Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France,dont il devint le deuxième président (1901 à 1916), succédant à Sully Prud'homme.16. Section d'Hygiène Urbaine et Rurale.17. Actuellement 2 700 sites classés, 1,4 % du territoire, près de 900000 ha. Voir. M. TURLIN,« L'évolution des politiques de sauvegarde », AJDA 3 1006 p 199318. L 581-1 à L 581-45 du Code de l'environnement.19. Membre du Musée social, il publie en 1907 : « De la protection des monuments artistiques, dessites ou des paysages ».20. Les monuments historiques, Rousseau éditions Paris 1891.

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supplémentaire alors que la protection des monuments historiques est déjàintolérable à la propriété privée2! .

Mais Cros-Mayrevieille y ajoute des considérations esthétiques quipréfigurent notre conception moderne des abords:

Après une première fièvre archéologique, engouement passager pour lesmonuments se dressant seuls au milieu d'un désert, on n'a point tardé à voir cequ'un tel système avait à la fois de peu conforme au goût artistique et de biensouvent contraire à la vérité archéologique ou historique22...

Aussitôt suivies de considérations techniques car il craint pour la solidité dumonument ainsi dégagé et il déplore la destruction de ce qui, dans son espaceproche, est à la fois pittoresque et caractéristique du monument. Il dénonce,comme de même nature, une mode qui a avili l'authenticité du monument lui-même par l'application de la restauration interprétative et reconstitutive et par ladestruction de son environnement immédiat qui participait de son archéologieurbaine et sociale. Visionnaire, il en arrive à formuler, dès 1907, ce que devraitêtre une politique des abords selon nos textes les plus récents23. La troisièmepartie de son ouvrage est consacrée, en effet, à « la protection des alentours desmonuments, sites et paysages» et fait œuvre de droit comparé en exposant lesexemples italiens, suisses, japonais et prussiens. Législations qui limitent lahauteur des constructions, interdisent les constructions provisoires etréglementent l'affichage et dont il tire argument pour réclamer une législation quiattendra près de quarante ans avant d'être promulguée par un gouvernement nonrépublicain.

Quant aux moyens, il se contente de lister les techniques des autres pays sansse prononcer sur celles qui seraient importables: classement de sites, informationpréalable de l'État sur les ventes, déclaration d'utilité publique de la préservationdes sites, acquisitions publiques, création de servitudes «dans un but deprotection des sites et des points de vue et dans l'intérêt d'une libre vue etcirculation. »

À partir de 1908, le débat sur les perspectives urbaines, né du projet decession des fortifications militaires à la ville de Paris est discuté jusqu'en 1914

21. Ainsi le comte de Ségur se lance dans une philippique, lors du débat sur la loi de 1887 endisant qu'à Carnac il s'agit d'un phénomène naturel et donc pas d'un monument, ce qui parconséquent ne peut constituer un intérêt national justifiant l'expropriation.22. Et de citer F. BAC: « Les architectes ignorent sans doute la cohésion intime qui lie cesmonuments à leur ville. Ils ignorent pourquoi ces maisons étaient aussi étroitement serrées autourdes cathédrales. C'est beau, disent-ils, dégageons-les! Ils rasent des quartiers entiers pour l'isolerdans un désert. Vous leur diriez que la création de ces déserts autour des cathédrales est un acte sotet criminel, vous les étonneriez beaucoup. Ils pensent avoir fait pleinement leur devoir de courtoisievis-à-vis du passé. )}

23. Son argumentation en faveur des « alentours)} est d'une grande modernité: « Il ne suffit pas deprotéger le monument [...] Mais il convient encore de le préserver de tout fait qui l'atteindraitindirectement,' il s'agit des modifications aux alentours des monuments sites et paysages. C'estque cet entourage concourt très souvent à la mise en valeur du monument, c'est l'écrin qui met lebijou en évidence ».

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dans les cercles de penseurs24 et à la Chambre. Avec Jules Siegfried, le sénateurGuillaume Chastenet reprend l'idée d'ajouter aux règles d'hygiène pour protégerles plus belles perspectives sur la Seine et sur la ville que l'on peut avoir depuisles terre-pleins militaires. C'est l'origine de la protection des perspectivesparisiennes par la Loi de finances du 13 juillet 1911 article 118 modifiantl'article 4 du décret de 1852 relatif aux Rues de Paris (étendu aux grandes villesnotamment pour l'obligation de ravalement), «Obligation est faite à toutconstructeur de maison de se soumettre aux prescriptions qui lui seront faitesdans l'intérêt de la sûreté et de la salubrité publique ainsi que de la conservationdes perspectives monumentales et des sites. »

La loi de 1913 sur les monuments historiques

La loi reprend les dispositions de la loi Bardoux et ne se préoccupe que desédifices enserrant immédiatement le monument. Lorsque le texte dispose que:« Peuvent être classés ou expropriés les immeubles dont le classement oul'expropriation est nécessaire pour isoler, dégager ou assainir un immeubleclassé ou en instance de classement» (articles 1-20 et 6 ~ 2) il reste très éloignéde la conception que nous pouvons nous faire des abords. Le législateur de 1913se tient à l'idée initiale du dégagement que préconisait une circulaire aux préfetsde 1841 : « débarrasser les édifices remarquables des constructions modernesqui en obstruent les abords. »

La loi Cornudet de 1919, première loi française d'urbanisme, instaure lespremiers plans d'urbanisme. Dans les années 1920 et 1930, l'examen, par leMusée social, des PAEE concernant les centres anciens, constitue la premièreaffirmation de l'intérêt des ensembles urbains et d'une idée de protection fondéesur un inventaire exhaustif des bâtiments. La question du passage des ponts etdes grandes voies dans ces centres préoccupe particulièrement les membres de laSHUR ainsi que la conciliation entre les opérations de salubrité nécessaires et laconservation d'un patrimoine bâti remarquable (Orléans, Tours, Menton...) Àcette occasion, le Musée social émet des idées de périmètres, de zones deprotection et décrit les expériences étrangères.

En 1930, la réforme de la loi de 1906 sur les sites introduit une servituded'information de l'État sur les projets, préavis de travaux, qui va inspirer lestextes ultérieurs. Aux règles de sûreté, d'hygiène et de perspective, le champ ducontrôle par le permis de construire s'étend « au caractère des lieux avoisinants»(1935) et finalement en 1958 (décret 58- 1467 relatif au permis de construire du31 déco 1958 art. 1er) « aux paysages naturels et urbains ». C'est l'origine desdispositions dites permissives du RNU article R 111-21.

Lavedant en 1952 dans le volume III de son histoire de l'urbanisme, fera lapremière synthèse du sujet dans un exposé critique qui annoncera les secteurssauvegardés.

24. Bulletins de la section d'hygiène urbaine et rurale du Musée social (Bibliothèque du Muséesocial, Paris). M. CHARVET,« Raoul de Clermont ou l'urbanisme des "gens du monde" », Histoireet Société n° 12, 4" trimestre, 2004.

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L'accession des abords à la valeur législative par l'Acte valant loi de l'Étaten date du 25 février 194325

Le débat sur ce que l'on doit faire de l'écrin de nos bijoux nationaux dominelargement jusqu'en 1943. Les tenants du vide sacré ou du respect religieux del'accumulation séculaire reproduisent l'opposition entre les partisans de larestauration reconstitutive des monuments paradigmatiques et ceux de leursimple entretien comme témoins du passé. Ce sont les seconds qui inspirerontfinalement la loi de 1943 qui institue la servitude espérée depuis longtemps parles plus progressistes de nos urbanistes. Louis Hautecœur, devenu secrétairegénéral à l'Éducation nationale26 en 1941 préface un article de J.-CI. Moreux en194227 dans laquelle il indique que le périmètre de protection doit « inciter lesbâtisseurs à la prudence aux abords des églises romanes ou gothiques », sanscéder au pastiche mais « en respectant la proportion relative des masses ».

En 1974, Pierre Dussaule est encore largement partisan de la conception laplus étroite des abords28. Il rappelle en note que les trois objectifs: protection,conservation, mise en valeur des monuments sont très étroitement liés:« Pourquoi protéger un monument par des interdits et le conserver à grands fraispar des travaux si l'on n'intervient pas dans son voisinage pour qu'il conserve ouacquiert toute sa valeur esthétique et sa signification?» Pour lui, les textes de1913, trop rigides, n'autorisent l'intervention que sur les immeubles parasites etnon pas sur de grands ensembles que l'on pourra conserver. Il y manque enquelque sorte la moitié de la conception des abords, soit la conservation del'environnement bâti face à l'environnement qu'il faut dégager.

Le texte de 1943 est une sorte de divine surprise pour Dussaule car il « libèrel'administration» de l'obligation de prendre un acte de classement oud'exproprier au coup par coup dans un environnement du monument dont leslimites sont plus qu'incertaines. Désormais le droit de regard sur tous les projetsplacés en covisibilité du monument est une prérogative a priori del'administration. Selon Dussaule, « c'est une sorte de veto» qui s'ajoute auxmoyens déjà donnés par la loi de 191329.

25. Pour un exposé historique des suites de ce texte après 1945 voir 1. HOULET,« La protection desabords des monuments historiques et les secteurs sauvegardés» in Y. JÉGOUZO(dir), Droit dupatrimoine culturel immobilier, Economica, novembre 1984.26. C. POULAIN,« L'action de Louis Hautecœur au secrétariat général des Beaux-Arts (1940-1944)- La permanence des Beaux-Arts dans la fi'acture de Vichy», École des Chartes, Thèse soutenue en2001.27. J.-Cl. MOREUX,« Les places de Cathédrales et leurs abords », Architecturefrançaise, n° 21-22,juillet-août 1942.28. Notes et études documentaires du CE, 24 sept. 1974 n° 4112 à 4114, La loi et le service desmonuments historiques, La Documentation fi'ançaise. p. 8629. Loi de 1913 modifiée par les lois de 1943-1945,1962, 1966.Article premier - Sont compris parmi les immeubles susceptibles d'être classés [...] 3) d'une façongénérale les immeubles nus ou bâtis, situés dans le champ de visibilité d'un immeuble classé ouproposé pour le classement. Est considéré comme étant situé dans le champ de visibilité d'unimmeuble classé ou proposé pour le classement tout autre immeuble nu ou bâti, visible du premierou visible en même temps que lui et situé dans un périmètre n'excédant pas 500 m (Loi n° 62824

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Il ne voit donc, dans l'acte du 25 février 1943, repris tel quel par ordonnanceen 1945, que l'arme juridique supplémentaire dont il fallait que le service desMonuments historiques disposât. Pierre Dussaule (qui ne cite même pasl'ordonnance de 1945) se focalise en effet sur les insuffisances de la rédaction de1913 pour la protection large du monument. Il faudra attendre la réformeadministrative de 1978 pour sortir de la stricte conception « monumentalo-centrée» qui avait été imposée par Louis Hautecœur. On peut avancer l'idée quede 1943 à 1978 on ne sortira pas du cadre conceptuel de 1943 et que le point devue de Dussaule exprime la Doctrine invariable du service des Monumentshistoriques et de la direction des Espaces Protégés dans son ministère.

La notion d'abords des MH s'est dégagée assez tôt dans l'histoire puisque leterme apparaît en 1841 mais reste centrée sur le dégagement du monumentjusqu'à la veille de la décentralisation. La science de l'urbanisme fera évoluer leconcept en y intégrant l'aménagement, la conservation et la mise en valeur desabords pour eux-mêmes. Car, dès le début du xx" siècle nous voyons apparaîtreune conception urbanistique des abords conciliant conservation historique etmesures d'hygiène physiques et sociales.

Si ce courant ne fut pas l'inspirateur direct du gouvernement de Vichy, quirejetait tout du mouvement moderne et son approche progressiste des villes, il nesemble pas plus avoir inspiré le législateur de 1945 qui s'est limité à la mêmeapproche centrée sur le monument pour reprendre les dégagements. De cebalancement des objectifs sans remise en cause des méthodes et des outils onpeut induire que la vision conservatrice prend ses racines au plus profond de noshabitudes administratives et de la conception de l'histoire la plus répandue dansl'administration centrale.

Il faut attendre l'invention du secteur sauvegardé en 1962, puis ladécentralisation pour amorcer l'évolution de l'administration et de ses expertsvers une conception plus urbanistique des abords. Et la querelle n'est pasterminée entre la conception des abords au service du monument et des abordstraités pour eux-mêmes comme en témoignent encore les discussions sur lesparvis des cathédrales de Reims, Amiens et Rouen. Cependant, depuis 1945 une

du 21 juillet 1962). À titre exceptionnelle périmètre peut être étendu à plus de 500 m. Un décret enConseil d'État pris après avis de la CSMH déterminera les monuments auxquels s'applique cetteextension et délimitera le périmètre de protection propre à chacun d'eaux.Article 2 ~3 - Peut être inscrit sur l'inventaire supplémentaire des monuments historiques toutimmeuble nu oui bâti situé dans le champ de visibilité d'un immeuble déjà classé ou inscrit.Article 13 bis - (loi 66 1042 du 13 décembre 66, art. 4). Lorsqu'un immeuble est situé dans lechamp de visibilité d'un immeuble classé ou inscrit, il ne peut faire l'objet, tant de la part despropriétaires privés que des collectivités et établissements, d'aucune construction nouvelle,d'aucune démolition, d'aucun déboisement, d'aucune transformation ou modification de nature àen affecter l'aspect sans une autorisation préalable.Le permis de construire délivré en vertu des lois et règlements sur l'alignement et sur les planscommunaux et régionaux d'aménagement et d'urbanisme tient lieu de l'autorisation prévue àl'alinéa précédent s'il est revêtu du visa de l'architecte départemental des monuments historiques(article 4 de la loi 92 du 25 février 1943).L'article 13 ter concerne le régime de l'autorisation de travaux lorsqu'il n'y a pas de permis deconstruire exigible.

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jurisprudence pléthorique sur les projets aux abords des monuments protégéscomme l'invention de nouveaux outils par le législateur et la pratiqueadministrative depuis cinquante ans, nous suggèrent une nouvelle délimitation etun contenu plus substantiel du concept.

II. Les effets en retour de la législation des abords sur leur gestionet l'évolution du concept: 1943-2006

Le travail d'Isabelle Backhouche30 sur l'évolution de la Commission dite desabords, deuxième section de la CSMHS, nous semble très éclairant surl'évolution des idées entre 1943 et 1983. Mais comme le note son auteur, c'est auplan local que l'essentiel a lieu, alors qu'une enquête historique exhaustive surles archives des architectes départementaux reste très compliquée. L'abondantejurisprudence sur les décisions préfectorales reste donc le seul indicateur de lamanière dont l'administration locale a géré les abords en fonction d'uneconception très particulière de son pouvoir de contrôle.

Après 1995, la décentralisation a provoqué une véritable révolution dans cettegestion. Pour sauver l'avis conforme des ABF, l'État a dû céder énormément surla définition des périmètres et sur les procédures de préparation des décisions, cequi n'est pas sans effet sur la conception que l'on peut se faire des abordsaujourd'hui.

A. Le désordre normatif créé par l'absence de doctrine et deméthode pour la gestion des abords.

1. L'hésitation de l'administration et des experts entrel'instrumentalisation de la servitude par d'autres intérêts et uneapproche des périmètres protégés par leurs qualités intrinsèques

Les errements de l'administration centrale interdisent de trancher sur lanature et les objectifs de la protection des abords

En conclusion de son étude des archives, malheureusement lacunaires, et despersonnalités liées à la Section des abords, Isabelle Backhouche propose de« considérer le monument et ses abords comme des objets d'usage et non commedes objets de contemplation». Autant dire que la conception urbanistique desabords l'emporte finalement sur la conception patrimoniale trop contemplative del'écrin du bijou historique.

Cette évolution passe par au moins deux phases qui sont marquées aussi bienpar des changements dans la composition de la Commission, par l'organigrammedes directions qui lui demandent avis et qui tirent vers le ministère de

30. I. BACKHOUCHE,« La commission des abords depuis la seconde guerre mondiale », École desHautes Études en Sciences Sociales, juin 2006. Documentation ministère de la Culture IGAPA,aimablement communiquée par Alain Marinos.

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l'Urbanisme, et par le traitement de cas exceptionnels dont la Commission doitconnaître après l'évocation des dossiers par le Ministre.

Si la Commission s'est autonomisée en 1964, la direction des EspacesProtégés du ministère de la Culture s'est séparée, en 1967, de la direction desMonuments historiques. Ce qui semble préparer le transfert des abords auministère de l'Équipement et de l'Environnement en 1978 dont la direction del'Urbanisme puis la direction de l'Architecture imprimeront au traitement desabords un caractère plus urbanistique que patrimonial. Il faudra cependantattendre 1995 pour le retour de la direction de l'Architecture au ministère de laCulture et son association en 1997 avec le service des Monuments historiques.

Ce retour ne pourra jamais signifier la restauration des anciennes conceptionscar la direction de l'Architecture, au sein de la DAPA, reste marquée par samission de promotion de la qualité architecturale dans les lieux exemplaires quesont les abords. Il semble en revanche que la direction du Patrimoine et sonInspection générale notamment, cultivent parfois les conceptions de Mérimée surles monuments, ce qui ne facilite guère l'harmonisation des points de vue entregestion des abords et protection des monuments.

La décennie de 1964 à 1974 voit se développer la première crise du systèmecréé en 1943. C'est à ce moment qu'intervient Pierre Dussaule pour nousproposer une analyse des abords, (voir supra), qui ne s'engage pas et quiconserve le débat en l'état alors que tout va changer.

Il note que le service des Monuments historiques n'ayant plus les moyensd'intervention qu'il avait en 1926 se contente de subventionner les projets lesplus exemplaires mais évolue toujours entre l'architecture traditionnelle, fût-ellemédiocre, et le mariage du monument avec l'architecture contemporaine. Lesdeux sections des Abords et des Monuments historiques restent séparées et si laconfrontation de leurs avis était permise, elle éviterait sans doute des erreursgraves mais aurait l'inconvénient de déclencher des conflits susceptibles debloquer longtemps les projets. Il ne voit donc le salut que dans la présidence desdeux sections par le même directeur de l'Architecture qui porte alors laresponsabilité de l'avis unique et synthétique à donner au Ministre pour trancherentre les « futuristes» et les « passéistes ». Pour lui c'est obligatoirement ducas par cas « car il ne saurait être question d'adopter dans ce domaine unedoctrine générale et intangible. En certaines occurrences la solution futuriste serapréférable à la solution passéiste, en d'autres ce sera le contraire ».

La réforme de 1978 a constitué un véritable bouleversement en séparant lagestion des Monuments historiques de leurs abords. Il n'est plus question qu'unseul directeur synthétise les avis contradictoires des deux sections. On abandonnealors la vision globale du monument, prônée jusque-là par la direction duPatrimoine. Le pragmatisme est partout, y compris dans les travaux de la sectiondes abords qui n'ont pas de doctrine précise. En 1964, elle n'est déjà plus la« Commission des Abords des immeubles classés et inscrits» mais la« Commission des Travaux aux Abords des édifices classés et inscrits », ce quil'entraîne vers l'examen de ce qui bouge dans l'espace protégé et beaucoupmoins du monument lui-même.

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À la recherche d'une méthode la commission avait ensuite évolué vers laconsidération du monument comme prétexte à juger des projets urbains dans lecontexte de croissance urbaine que l'on sait. De 1980 à 1998 la politique desabords est donc une politique urbaine dominée par le ministère de l'Équipementpuis de l'Environnement. Sous la tutelle de la direction de l'Urbanisme et desPaysages de 1981 à 1985, les abords ne sont plus articulés avec l'architecture. Onnotera surtout que, la décentralisation aidant, la commission se plaindraconstamment d'être consultée trop en aval des projets et de devoir les accepterpour des raisons économiques et sociales évidentes. Même si parfois son avispropose et obtient des amendements de détail. Cependant on doit garder à l'espritque l'essentiel des décisions administratives sur les projets aux abords relève del'avis conforme de l'ABF sans que le dossier remonte à Paris et à la commission.L'enjeu local n'est plus idéologique, car la qualité «d'homme de l'art» del'ABF interdit de contester sa conception de la protection des monuments ou dela qualité des projets dans les périmètres protégés. Les acteurs locaux, auteursdes projets, élus ou préfet, ont conscience de leur incompétence en matièred'histoire de l'art. Mais c'est sur le plan économique et social que les conflitsavec l'ABF se développent car, sans même parler du blocage d'un projet, lesexigences architecturales de l'ABF font augmenter les prix de la construction ouinterdisent des équipements tels que les enseignes des franchises commerciales.

Enfin, l'évolution des compétences administratives de l'ABF et sonintégration dans un service départemental de l'architecture ont changé la donne.Ce fonctionnaire croule sous un nombre impressionnant de missions parfoiscontradictoires dont la liste s'allonge à chaque décret d'organisation du service.Il est en quelque sorte écartelé entre les objectifs de la direction de l'Urbanismeet ceux du ministère de la Culture. Les ABF ne se privent pas alors de l'arsenaloffert par la loi, soit le contrôle des constructions et travaux dans les 500 m et lessecteurs sauvegardés qui leur donne un pouvoir d'avis conforme. Ils se taillentainsi un territoire de pouvoir incontestable que certains gèrent de façonautoritaire et d'autres de façon plus conciliatrice. Comme si la conservation dupouvoir était plus importante que celle des monuments ou de la qualitéarchitecturale. C'est donc principalement par la pédagogie et le pouvoird'influence des commissions locales et des pouvoirs municipaux que les ABFpeuvent espérer faire passer leurs avis, parfois en intégrant leurs critères et leurscontraintes dans les plans d'urbanisme locaux. Laxisme, autoritarisme ou habiletransfert des objectifs aux autorités locales, tout se voit dans une pratique localequi instrumente la notion de covisibilité pour pouvoir connaître de tous lesprojets. Démarche louvoyante, forcément très mal ressentie par les pétitionnairesd'autorisation. À quoi il faut ajouter le conflit poussé jusqu'à l'absurde, parexemple dans des périmètres de monuments ayant physiquement disparu, qui vaprovoquer l'initiative des services déconcentrés du patrimoine pour inventer unesolution que la décentralisation fera plébisciter.

Car l' ABF doit souvent, dans son territoire, donner ses avis sur deuxfondements totalement opposés, la servitude qui crée le conflit avec lespropriétaires et les élus et le secteur sauvegardé, plan d'urbanisme qui permet de

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poser très précisément les règles du jeu en amont des demandes individuelles. Ils'agit ici de considérer un quartier ancien, non plus comme un accessoire dumonument mais comme un objet patrimonial propre dont il faut décider de laconservation, de la démolition des verrues urbaines et des cœurs d'îlots, de ladestination des terrains nus. La tentation est alors grande d'utiliser simultanémentla compétence au titre des abords, que ne manquent pas de générer un ouplusieurs monuments, au sein du secteur sauvegardé et la compétence propred'avis sur l'application du plan d'urbanisme. C'est seulement en 2003 que lelégislateur interdira cette confusion.

Il est donc compréhensible, qu'à la veille de la décentralisation, l'ABFapparaisse comme le pivot de toutes les décisions à prendre sur le fondementesthétique, la covisibilité, comme sur le fondement historique et urbanistiquedans les secteurs sauvegardés. Un tel pouvoir sera forcément contesté par les éluslocaux dotés en 1983, de compétences nouvelles. Les conflits vont alors sedéplacer des pétitionnaires d'autorisation vers les élus. Il est tout aussicompréhensible que l'administration ait expérimenté des méthodes de gestion desservitudes moins conflictuelles car inspirées des documents d'urbanisme.

2. Un désordre normatif mal corrigé par la jurisprudence

La superposition des normes et leur rigidité réduisent l'initiative réformatricedu juge

Les servitudes créées au titre de l'article R. 111-21 (les perspectives de Paris),les secteurs où le permis de démolir est obligatoire, s'appliquent sans préjudicedes règles du PLU ou des périmètres de covisibilité des monuments protégés3l.Les motifs sont clairement distingués par le juge qui rattache distinctement l'avisconforme aux différentes approches des abords par les législations protectrices.Le principe de séparation des législations est ici rigoureusement appliqué. Onassiste alors à une multiplication des motifs de refus d'autorisation oud'exigences matérielles et procédurales de l'administration. Ce qui fragilise lesdécisions administratives et obscurcit passablement la notion d'abords. La loi du2 juillet 2003 a heureusement commencé à y mettre de l'ordre en écartant lesdiverses servitudes patrimoniales au profit des plans permanents de sauvegarde làoù ils sont approuvés.

Les servitudes annexées aux documents d'urbanisme ont un caractèrerelativement rigide et cloisonné qui ne permet pas l'innovation. Qu'il s'agisse del'adaptation mineure autorisée par le Code de l'urbanisme pour l'application dela servitude de 1911 et 1935 ou qu'il s'agisse de la stricte observance desfondements de la covisibilité. Cette rigidité paraît indépassable sauf par d'autresprocédures de gestion des ensembles architecturaux et des abords. Philippe

31. Ph. GODFRIN, « Commentaire de l'ordonnance du 9 septembre 2005 ou comment en finir avec

le " rond bête et méchant" des 500 m de rayon », Construction-urbanisme 2005 cornrn. 219

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Préchez32 relève finement que le droit des sols gère mal les rapports entrel'exception et la règle sauf à faire de la première une véritable norme. Il en tireun tableau complet des normes depuis la simple donnée scientifique jusqu'auxrègles opposables en passant par les orientations d'urbanisme, les prescriptionsesthétiques individuelles, les recommandations, les conseils. Et c'est bien le jugequi a contribué à de telles distinctions.

Ainsi le Conseil d'État a-t-il dû préciser le champ de compétence de l'ABFcar la loi définit mal les critères de son intervention dans la servitude des500 m33. L'autorisation de tous travaux revêtus du visa de l'ABF (CU, art.L. 421-6) est obligatoire pour l'immeuble situé dans le champ de visibilité dumonument classé ou inscrit. Comment doit-on interpréter cette notion de« champ de visibilité» ? Comme une covisibilité réciproque ou plus largementcomme la présence des deux immeubles dans le même champ visuel y comprisdepuis l'extérieur du périmètre? On le voit, la loi est trop imprécise. Le Conseild'État a donc tranché dans cet arrêt Pujol en retenant le double critère deprésence de l'immeuble dans le périmètre de protection et dans le champ devisibilité. Ce que l'ordonnance du 8 septembre 2005 a introduit dans l'articleL. 621-30-1 du Code du patrimoine. La protection de la propriété privée imposeen effet le premier critère car on ne peut appliquer une servitude hors de seslimites et le cumul des deux critères signifie qu'un immeuble présent dans lepérimètre mais qui ne serait pas visible en même temps que le monument devraitéchapper à l'avis de l'ABF. Nous avons là une des motivations de la réformerécente de la définition des périmètres qui introduit le critère de l'environnementdu monument.

Une vacuité des normes qui contraint le juge à un discours sur la méthodeet à une évaluation pragmatique des critères de protection des abords

Le juge, dans un arrêt Pillot de 19143\ délimite le pouvoir de contrôle desprojets par le préfet en définissant la perspective monumentale constituée par « lemaintien du caractère général des maisons en bordure de la place ». Et s'il nepeut se mêler de juger de l'esthétique de la façade au-delà de cette exigenced'harmonie, le préfet peut exiger la production des dessins des ouvrages en sailliecar il s'agit ici d'une autorisation administrative particulière issue du décret de1852.

Aujourd'hui, en application de l'article 13 bis, le Conseil d'État accrédite latendance au dégagement en ne trouvant pas qu'une démolition porte atteinte à unmonument classé (CE, 22janvier 1993, n° 135939) la compétence de l'ABFn'étant pas liée par la conservation de bâtiments intéressants qui auraient unrapport historique avec un monument voisin (CE, 13 octobre 1993, n° 131931).En outre l'avis conforme de l' ABF est rigoureusement délimité par la rédaction

32. IGAPA, Conférence du 12 septembre 2006 à la Commission du Vieux Paris33. CE 28 12 2005, Pujol, na 283061 Note GODFRIN,Construction-urbanisme, juin 2006 p. 2434. CE 10 août 1917, Pillot, Rec. p. 647: la place de la Madeleine constitue une perspectivemonumentale.

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de l'article 13 bis. Fonder un refus de démolir sur le seul caractère intéressant del'immeuble ne suffit pas car c'est la relation de covisibilité avec le monument quidoit motiver la décision (CAA Paris, 3 octobre 1996, n° 95PAOI285). D'ailleursdans un arrêt d'appel (CAA de Paris, 18 novembre 2003, n° 02PA02609), le jugesouligne que l'avis donné par l' ABF doit être cohérent pour l'ensemble deslégislations concernées par le cas d'espèce; il juge ainsi simultanément del'erreur d'appréciation relative au site classé, de l'article UCa du P~S et del'erreur de droit en matière de covisibilité.

La cour administrative d'appel de Lille a apprécié souverainementl'application de L. 621-31 du Code du patrimoine (ancien article 13bis) enretenant les critères de la taille du projet et de sa pérennité pour juger de l'atteinteaux immeubles protégés.

Précisant la méthode, le Conseil d'État, juge de cassation35, ne se mêle pasd'apprécier ces critères et les laisse à l'appréciation souveraine du juge du fondtout en confirmant qu'ils ne sont pas contraires au droit des abords. Ce qui est undébut de contenu donné à L 621-31. On peut en déduire, d'une part, que le jugedu fond est autorisé à multiplier et préciser les critères d'appréciation et, d'autrepart, que la Cour a retenu deux critères qui mettent la nature des projets enrelation étroite avec la substance du monument protégé puisque l'importance enhauteur, dimension et forme du nouveau stade Grimonprez-Jooris risqued'écraser l'échelle de la Citadelle dont on ne comprendrait plus le caractèred'ouvrage militaire de Vauban qui tient autant à la logique de son plan lisibledans le paysage qu'au caractère formidable de ses circonvallations et remparts.

L'idée de conserver le monument dans son intégrité historique serait ainsicomplétée par l'idée d'une conservation du sens et de la signification dumonument par la conservation de son environnement initial ou rappelantsuffisamment celui-ci. C'est une hypothèse que conforte la rédaction de la loiSRU sur les périmètres de protection modifiés dont le critère est celui del'environnement du monument et non plus de la seule covisibilité.

La question de la nature des abords reste en suspens

Cette incertitude sur la nature des abords date des origines de la jurisprudencepuisque, entre 1914 et 1917, le Conseil d'État semble faire une appréciation trèsarbitraire de l'esthétique des quartiers parisiens.

Par sa décision du 4 avril 1914: la place Beauvau n'est pas une perspectivemonumentale alors que la place de l'Étoile et la place de la Madeleine le sontd'évidence36.

35. CE 28 122005 Ville de Lille, Jurisdata 2005-069453, Construction-Urbanisme juin 2006, notePh. GODFRIN.

36. Application abondante de l'article 118 de la loi du 11juillet 1911 par le CE: Gomel (placeBeauvau, 4 avril 1914 / Wiriot 1er août 1914), voir Philippe PRÉCHEZ, « La réglementation dupatrimoine », Communication à la Commission du Vieux Paris, 12 sept. 2002. Voir aussiH. CHARLES, « L'esthétique contrôlée », Le juge administratif et l'esthétique à travers lajurisprudence: de l'arrêt Gomel à nos jours, Colloque Aix en Provence, 9 novembre 1991, Droit etVille n° 33, 1992, p. 101.

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En revanche et hors du périmètre des 500 m, le juge considère plus facilementle caractère de site historique d'un quartier auquel manquerait un immeubleprévu à démolir, « partie intégrante d'un quartier et d'un site dont le caractèredoit être protégé» (CE 120ctobre 1994, n° 103112).

De même, dans le cas d'un immeuble, rue de Rennes, à Paris, le juge rappelleque la compétence du maire de Paris pour délivrer le permis de construire n'étantpas liée par l'avis de l'ABF, le maire aurait dû considérer l'erreur manifested'appréciation de l'ABF délivrant un avis positif sur un projet qui injurie à la foisle caractère des lieux avoisinants, la covisibilité avec un monument et le siteinscrit (TA Paris, 4 mars 1993 n° 9214866/7 à 9214873/7/SE; ou encore CAAParis, 6 février 1996 N° 94PA00955).

Mais l'arrêt Rolande de la CA de Lyon37 nous paraît plus inquiétant quant à laconception que le juge se fait des abords. Il ressort de cette décision, que l'onespère isolée car à l'inverse de la précédente, que le niveau des exigences deprotection d'un monument dépend désormais de l'état des lieux et non de lasubstance du monument visé par la servitude. En effet, pour infirmer la décisiondu TA de Grenoble de refuser un projet de terrasse couverte d'un bardage auxabords du théâtre antique de Vienne, la Cour invoque successivement lesatteintes faites au monument lui-même par son équipement pour le festival dejazz, le caractère hétérogène des constructions comprises dans le périmètre et lelaxisme de l'administration ayant autorisé des antennes relais sur les immeublesalentours, dont une église. Nous serons d'accord avec le commentateur de l'arrêtqui se demande si l'administration doit admettre la dégradation générale desabords comme une fatalité et s'il faut justifier les atteintes supplémentaires parles atteintes passées? Plus gravement, la Cour semble organiser la défense dupropriétaire riverain du monument contre les effets d'une servitude qui serait enquelque sorte rendue obsolète par les mauvaises décisions antérieures. L'Étatserait donc contraint à un entretien exemplaire et même à une restauration et unusage parfait des monuments protégés pour pouvoir imposer la servitude.

C'est évidemment une lecture erronée de la loi mais qui prend sa source dansdeux de ses défauts car elle est, premièrement, dépourvue de contenu et decritères précis, notamment sur le rapport des abords avec la substance historiqueet esthétique des monuments, et, deuxièmement, n'est plus en phase avec lesmentalités actuelles qui exigent une norme constamment justifiée par les faits etinstaurant un équilibre entre intérêt individuel et intérêt général, une hypemormeen quelque sorte. Enfin il faut bien avoir à l'esprit que si les conflits sontnombreux entre les ABF et les pétitionnaires d'autorisations diverses dans lesespaces protégés, ils se résolvent majoritairement sans procès grâce à larésignation de la plupart des candidats à la construction qui préfèrent céder auxexigences de l'administration que de se voir interdire leur projet. C'estnotamment en Bretagne, sur des situations conflictuelles très dures, dans leFinistère, qu'à la veille de la décentralisation on a expérimenté une procédure de

37. CAA Lyon, 29 12 2005, Rolandez, n° 02L Y01355, Construction-Urbanisme, juin 2006, noteGODFRIN.

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« négociation de la règle applicable» qui a fini par donner naissance aux Zonesde protection du patrimoine architectural urbain (ZPPAU) qui sont, à notre sens,une sorte de révolution dans la conception des abords.

3. La décentralisation redistribue les cartes de la délimitationet de la définition des abords.

Les conflits avec les pétitionnaires sont relayés par des conflits de pouvoirentre élus et ABF. Ces conflits seraient-ils porteurs d'une meilleure définition ducontenu des abords?

La décentralisation de 1983 donne aux élus locaux la compétenced'élaboration des documents d'urbanisme et aux maires l'instruction et ladécision sur les autorisations de construire. Ces derniers se trouvent donc obligésd'appliquer les avis des ABF en refusant des permis qui les mettent en premièreligne de la contestation par leurs concitoyens. Bien entendu, la décision duConseil d'État indiquant que le maire n'est pas lié par un avis manifestementerroné (voir supra: affaire de la rue de Rennes) ne serait pas comprise si elleétait connue de la plupart des élus qui considèrent ce pouvoir de l'ABF commeun pouvoir concurrent sur l'espace du centre-ville, le plus prestigieux. La rigiditéde certains architectes, face à des élus tout aussi rigides, dans certainsdépartements, a fait le reste pour provoquer une attaque en règle du législateurcontre un pouvoir jugé exorbitant.

Cependant, nous assistons, depuis 1983, à deux développements parallèlesporteurs de réformes importantes. D'une part, l'expérience bretonne de résolutiondu conflit et l'approche urbanistique des abords menée au tout début des années198038, ont produit les ZPPAU puis les ZPPAUP qui apparaissent désormaiscomme un outil souple et efficace d'application des objectifs de qualitéarchitecturale et de conservation des ensembles et sites urbains, y compris lepaysage et ses éléments naturels. Cet outil consensuel serait de nature à résoudreles problèmes d'interface entre servitude étatique et règles locales, que ni lespérimètres protégés, ni les sites, ni les secteurs sauvegardés n'ont correctementrésolus jusqu'ici. La ZPP AUP semble donc être une fille de la décentralisation.

D'autre part, à partir de 1995, l'affrontement entre l'État et les associationsd'élus relayées par les parlementaires, à propos des pouvoirs de l'ABF, a bienfailli faire disparaître l'avis conforme. Pour éviter ce qui nous aurait ramenés auniveau des autres pays européens qui ne gèrent pas les abords des monuments, ona dû abandonner le pouvoir de l'ABF à condition de conserver les servitudes. Cequi a provoqué une évolution des espaces protégés qui finit par atteindre leconcept de protection lui-même, davantage confié aux autorités locales qu'à descommissions nationales dont on peut prédire la marginalisation prochaine.

38. Première expérimentation à Commana, par l' ABF du Finistère et la conselVation régionale desBâtiments de France, d'une formule de négociation, avec la mairie, des critères d'avis aux abordsde multiples monuments et qui débouchera sur le texte de loi créant les ZPPAU.

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B. La résolution des conflits par la réduction formelle de la portéede l'avis de l'ABF, la plus grande souplesse des périmètres etl'ouverture des procédures de leur établissement.

1. La redéfinition de l'intervention des ABF

La réduction du pouvoir de l 'ABF peut l'obliger à proposer un argumentairetrès concret et pédagogique à l'appui de son avis.

Le décret de 1997 puis la loi du 27 février 2002 et le décret du 12 février200439 instituent une procédure de recours à l'encontre des avis défavorablesémis par l'Architecte des Bâtiments de France. Ce recours est ouvert aux maires,ou à l'autorité compétente, ainsi qu'aux particuliers. Le préfet de région, saisi dece recours le soumet à l'avis de la commission régionale du Patrimoine et desSites avant de substituer son avis à celui de l'ABF. Il semblerait que les recourssoient désormais chose courante et qu'on puisse déjà distinguer entre leparticulier mécontent d'un rejet de son projet et l'investisseur professionnel quivient, avec son avocat, défendre un gros enjeu économique devant la CRPS.Désormais, l'ABF, dissuadé de l'exercice solitaire du pouvoir, devrait se muer envéritable médiateur entre le pétitionnaire et l'administration, un peu à l'image durôle des inspecteurs des Installations classées pour l'environnement auprès desentreprises.

Vers une meilleure définition du concept d'abords par la négociation sur lespérimètres et leur contenu

L'actuel Code du patrimoine4o fonde toujours les périmètres sur le critère decovisibilité qui laisse à l'administration un champ d'interprétation esthétique «arbitraire» de la compatibilité entre les projets et le monument41 .

Cependant la réforme initiée en 2000 par la loi SRU aboutit aujourd'hui à ladéfinition de deux périmètres, dits «adaptés» et «modifiés» 42, dont le mode de

39. (Loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 art. 78 XIV a 14° JO du 10 décembre 2004) (Abrogépar Ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 art. 4 I JO du 9 septembre 2005 en vigueur au

plus tard le I er janvier 2007) Article L 621-31 du Code du patrimoine (inséré par Ordonnance n°2005-1128 du 8 septembre 2005 art. 4 JO du 9 septembre 2005 en vigueur au plus tard le 1erjanvier2007)40. L 621-2: Est considéré, pour l'application du présent titre, comme étant situé dans le champ devisibilité d'un immeuble classé ou inscrit tout autre immeuble, nu ou bâti, visible du premier ouvisible en même temps que lui et situé dans un périmètre de 500 mètres41 François Léotard (ancien ministre de la Culture et de la Communication), Colloque Aix enProvence, 1991, Droit et Ville, opus cil.42. L 621-2 al 2 et suivants: Lorsqu'un immeuble non protégé au titre des monuments historiquesfait l'objet d'une procédure d'inscription ou de classement ou d'une instance de classement,l'architecte des Bâtiments de France peut proposer, en fonction de la nature de l'immeuble et deson environnement, un périmètre de protection adapté. La distance de 500 mètres peut êtredépassée avec l'accord de la commune ou des communes intéressées. Ce périmètre est créé parl'autorité administrative après enquête publique. Le périmètre prévu au premier alinéa peut être

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détermination comme la gestion qui en est faite finit par donner un contenu trèscomplet à la notion d'abords.

La définition des périmètres est simultanée de la protection du monumentmais elle n'est plus automatique puisque, sur la base d'une étude précise duterrain par l'ABF celui-ci peut proposer un périmètre dépassant le rayon de500 m sur tout ou partie du cercle ainsi généré.

Bien entendu la commune peut faire valoir ses arguments en cas de désaccordet le périmètre sera finalement déterminé par décret en Conseil d'État. Levoisinage du Périmètre de Protection modifié et du Périmètre de Protectionadapté s'explique par la distinction qu'il convient de faire entre une servitudeexistante que l'on peut réduire et une servitude nouvelle que l'on peut établir pluslargement que le rayon de 500 m à condition de respecter la propriété privée autravers d'une procédure d'enquête publique.

Mais le cas le plus intéressant est celui des périmètres actuels qui peuvent êtremodifiés à l'occasion d'une révision du document d'urbanisme. L'intention del'administration, en 2000, était bien de réaliser des mini-ZPPAUP à la place despérimètres de 500 m.

Le couplage de l'opération avec la procédure d'élaboration ou de révision duPLU et sa validation par l'enquête publique, doit provoquer un accord sur le fondentre la commune et l' ABF non seulement pour déterminer les abords sensiblesmais aussi pour inscrire dans le PLU les règles de droit des sols les plus à mêmede protéger l'environnement du monument. L'étude de l' ABF rencontre alorsl'avis du public exprimé dans l'enquête et les propositions de la commune sur lerèglement applicable dans les zones du PLU recouvertes par ce périmètre.

Un contenu très détaillé de servitudes esthétiques et archéologiques peut alorsêtre inscrit dans le PLU et donc soutenu par une justification scientifiquepréalable et une concertation entre administrations. Ainsi, le critère de« l'environnement du monument» inscrit par la loi SRU va-toil recevoir unedéfinition précise au cas par cas. Le nouveau périmètre varie non plus sur uncritère géométrique mais fonctionnel.

Le projet de décret concernant ces périmètres tels qu'il est présenté parl'actuel directeur du Patrimoine pour janvier 2007, confirme le caractère

modifié par l'autorité administrative, sur proposition de l'architecte des Bâtiments de France aprèsaccord de la commune ou des communes intéressées et enquête publique, de façon à désigner desensembles d'immeubles bâtis ou non qui participent de l'environnement du monument pour enpréserver le caractère ou contribuer à en améliorer la qualité. En cas de désaccord de la communeou des communes intéressées, la décision est prise par décret en Conseil d'État après avis de laCommission nationale des monuments historiques. Lorsque la modification du périmètre estréalisée à l'occasion de l'élaboration, de la modification ou de la révision d'un plan locald'urbanisme ou d'une carte communale, elle est soumise à enquête publique par le maire ou leprésident de l'établissement public de coopération intercommunale compétent, en même temps quele plan local d'urbanisme ou la carte communale. L'approbation du plan ou de la carte emportemodification du périmètre. Le tracé du périmètre prévu par le présent article est annexé au planlocal d'urbanisme dans les conditions prévues à l'article L. 126-1 du Code de l'urbanisme. Lesenquêtes publiques conduites pour l'application du présent article sont menées dans les conditionsprévues par les articles L. 123-1 et suivants du Code de l'environnement.

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déconcentré et souple des procédures d'élaboration et d'établissement des PPMet PPA.

2. L'introduction des abords dans les plansleur donnerait-elle une portée d'intérêt local?

d'urbanisme

La réponse à une question écrite de 2004 montre que le Ministère était déjàdans la voie d'une conception urbanistique locale des abords43. Il semble bienque dans l'esprit de la Direction du Patrimoine, les PPM et PPA sont une réponseadaptée au blocage des projets sur le territoire par des milliers de périmètres de80 ha autour de monuments mineurs et dont les communes n'ont pas les moyensde mettre une ZPPAUP à l'étude et encore moins un secteur sauvegardé; et que,dans ce cas, il faut considérer que l'on va vers un remplacement progressif despérimètres de 500 m par ces nouvelles formules qui ressemblent furieusement àdes zonages de droit des sols au contenu négocié avec les élus, à l'instar dessecteurs sauvegardés.

Ainsi les abords, qui avaient le sens d'un pouvoir de surveillance et dedécision arbitraire sans contenu préétabli, pouvoir de « l'homme de l'art », lui-même écartelé entre une vision de la qualité des abords pour eux-mêmes etl'obligation de les considérer seulement comme l'écrin esthétique du monument,prennent le sens d'un espace urbain ou rural faisant corps avec le monumentprotégé et répondant à des normes d'urbanisme élaborées pour tenir compte del'environnement de ce monument et non plus seulement de son esthétiquevisible. Mais d'une part, c'est l'accumulation des expériences locales quipermettra de confirmer cette orientation et, d'autre part, la Commission desabords comme la DAP A vont devoir réviser leur conception passéiste des abords.

43. Question publiée au JO le 20 juillet 2004 page: 5426. Réponse publiée au JO le 19 octobre2004 page: 8113, M. Terrasse Pascal (Socialiste-Ardèche) :M. Pascal Terrasse attire l'attention de M. le ministre de la Culture et de la Communication sur lesdifficultés que pose en matière d'urbanisme la réglementation applicable à la protection desmonuments historiques. [.. .]. Alors que le législateur a encouragé, par les lois successives de 2001(SRU) et 2003 (DDUHC) sur le droit de la construction et le développement urbain, ladensification de l'habitat et la rénovation du bâti urbain, l'application stricte et indistincte de laréglementation en matière de périmètres de protection conduit souvent à des décisionsincompréhensibles et suscite un nombre croissant de procédures contentieuses. [...]Réponse: [...]. L'article 40 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité etau renouvellement urbains a introduit une plus grande souplesse dans le dispositif de protection desabords de monuments historiques en prévoyant la possibilité d'instituer des périmètres deprotection modifiés autour desdits monuments. [...] Le projet de modification du périmètre doitêtre soumis à enquête publique conjointement avec le plan local d'urbanisme et est ensuite annexéà ce dernier dans les conditions prévues à l'article L. 126-1 du Code de l'urbanisme. [...] Laréglementation relative à la protection des abords de monuments historiques a donc fait l'objet d'unassouplissement récent en vue d'assurer une meilleure prise en compte de la nature des édificesprotégés ainsi que des abords de ces édifices, ce qui permet notamment de réserver l'interventionde l'architecte des Bâtiments de France aux zones présentant un intérêt architectural et paysager.[...] Il est également envisagé de permettre l'établissement d'un périmètre de protection modifié aumoment même de la décision de protection d'un édifice (PPA).

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La question du rapprochement matériel des instruments est primordiale carelle sous-tend la thèse d'une association étroite de l'État et des communes dontles objectifs sont désormais solidaires. Si la ZPP AUP est désormais indépendantede la protection des Monuments historiques, PPM et PPA prennent le doublecaractère de servitude formelle de protection des abords et d'un ensemble deprescriptions d'urbanisme. Les fondements de ces instruments sont proches deceux du secteur sauvegardé qui est un document d'urbanisme. On s'intéresse eneffet à un ensemble urbain pour lui-même et la servitude, demandée et étudiéepar la commune, devient un instrument municipal soutenu par l'État.

L'assimilation entre le PLU et le PPM est rejetée par la direction duPatrimoine. Mais il est probable qu'ici et là l'expérience et la bonne coopérationdes ABF et des élus feront du PPM l'équivalent de ces règles particulièresappliquées à des îlots par le plan d'aménagement et de développement durable duPLU. Le maintien virtuel du périmètre des 500 m et sa réactivation possiblemarquent l'intérêt national de la protection. Car on peut craindre une certainedérive locale si la définition des abords n'est pas mieux encadrée par unedoctrine nationale qui serait proposée aux CRPS. En effet, l'appréciation del'environnement du monument étant très subjective, l'argument esthétique etl'argument économique risquent de prendre le pas sur le rapportd'environnement entre le projet et le monument tel qu'il est compris désormaispar la loi. Le paradoxe n'est pas loin car on entendra bientôt un maire plaiderpour un projet de nature à dynamiser sa ville et qui aura l'écoute des trois élusmembres de la section de recours de la CRPS, pendant que le pétitionnaire mettral'accent sur l'absence de rapport réel entre son projet et le monument et seratenté pour cela de valoriser les arguments de covisibilité en minimisant le rapportd'environnement face à un ABF soutenant le contraire. Les quatre experts de lasection de recours désignés par le préfet de région auront alors un poidsimportant dans l'avis final. Privilégieront-ils l'esthétique, la culture ou l'histoiredans leur appréciation de l'environnement du monument? Ne faudrait-il pas uneproposition doctrinale nationale avant que les CRPS bricolent des doctrineslocales de façon encore plus empirique que ne l'a fait la Commission des abordsdepuis 1943 ?

Pour le moment la seule réponse de l'administration centrale est dans unprojet de circulaire et de décret qui constituera la partie réglementaire du Code dupatrimoine et qui institue des garanties procédurales censées éviter de tellesdérives. Le projet décentralise davantage les procédures d'élaboration desZPPAUP et des périmètres.

La création des ZPPAUP est confiée au maire qui se trouve assisté de l'ABFparticulièrement dans la phase d'étude. Bien entendu le préfet de départementdoit y donner son accord après enquête publique et transmission du dossier aupréfet de région pour obtenir l'accord de la CRPS. La décision du maire de créerla zone devra viser l'accord du Ministre si celui-ci a évoqué le dossier.

Un système de même nature existera pour la création des périmètres deprotection adaptés comme pour les périmètres modifiés. D'un côté on assouplit lesystème en permettant la modification au niveau départemental, ce qui rapproche

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la décision des élus, ou en intégrant le PPA dans la procédure d'approbation duPLU si l'occurrence se présente. Mais de l'autre on verrouille les cas de refus parles communes en faisant remonter la décision au niveau régional puis national.

C'est une technique décalquée de celle qui a été utilisée pourl'assouplissement de l'élaboration des secteurs sauvegardés. En un mot l'accorddes autorités locales entraîne une décision locale de l'État et une intégrationmaximale du projet dans l'aménagement urbain alors que le refus descollectivités locales implique une décision d'intérêt national imposée par décreten CE.

Que devient, dans ce contexte de réforme, le concept d'abords dans le droitpositif national et international?

La déconcentration des procédures d'établissement des périmètres etl'association des élus locaux à leur élaboration privent de facto l'échelon centralde son pouvoir de définition des abords. Même si le recours au ministre esttoujours possible, il ne pourra s'agir que de cas marginaux, d'intérêt nationalmais déconnectés de la réalité massive du local. C'est localement que l'on vadéfinir la doctrine en matière d'abords. La distinction entre les servitudes desabords et les documents d'urbanisme tels que le secteur sauvegardé, vaforcément s'estomper et c'est probablement la ZPPAUP qui sera l'interface entreles deux: secteur sauvegardé faute de mieux, première étape d'un PPSMV,patrimonialisation du PLU, définition a priori de la qualité architecturalesouhaitée sur la commune...

La définition locale des périmètres suit des procédures si proches de celle desZPPAUP que l'on peut s'attendre à une contamination. Si la dérogation n'esttoujours pas possible, l'ampleur du choix des normes applicables, de leur champterritorial comme de leur contenu patrimonial, devrait permettre des solutionstrès adaptées aux circonstances locales. La définition globale des abords pourraiten souffrir, mais la prise en compte simultanée du monument et de sonenvironnement devrait devenir le principe dans tous les cas au prix d'une plusgrande labilité de la norme protectrice lorsque le pouvoir local demandera àl'ABF de lancer une procédure de révision du périmètre ou du contenu des règlesapplicables, et peut-être en dépit des verrous procéduraux du prochain décret.

En revanche on peut se demander si cette décentralisation, curieuse à plusd'un titre, de normes qui devraient rester régaliennes, ne va pas mettre la Francebeaucoup plus en accord avec les principes de conservation de la substance desmonuments et des ensembles urbains qu'elle a elle-même fait inscrire dans lesconventions internationales sur le patrimoine. En effet, depuis la Charted'Athènes de 1931 pour la restauration des monuments historiques jusqu'à laCharte de Vienne de 2001, toutes les conventions internationales sur le sujetcomprennent un ou plusieurs articles sur l'environnement des monumentshistoriques ou sur les ensembles urbains et ruraux. Ces textes se font plus précisavec le temps. Ainsi le texte du ClAM en 1933 bannit-il le pastiche. Puis laCharte de Venise de 1964 intègre les sites urbains et ruraux dans la notion demonuments historiques tout en rappelant que la conservation d'un monumentexige la conservation d'un cadre à son échelle. On relèvera particulièrement la

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Convention européenne du Patrimoine Architectural du Conseil de l'Europe quiintroduit le principe de conservation intégrée des monuments, y compris lesensembles urbains et de villages aux plans d'urbanisme. Il serait assez paradoxalque la décentralisation conduise à la rigueur qui a manqué à Lille lorsque leministre avait cédé aux pressions pour passer outre l'avis négatif donné parl'ABF en 1994 ! Rigueur heureusement rétablie par le juge à la fin d'un combatacharné des associations de citoyens.

Au terme d'une longue évolution marquée par l'ambiguïté des concepts, lanotion d'abords perd de son évanescence et se dilue dans les circonstanceslocales. Souhaitons qu'elle ne perde pas en esprit ce qu'elle gagnera en corps.

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DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLEET IDENTITÉS CULTURELLES:

LA VILLE ET SON PATRIMOINE BÂTI ET VÉGÉTAL

Mémoire de ville et patrimoine végétal urbain

Pierre LEGAL'

La nature, revêtue de son manteau végétal, a souvent été chantée, célébrée,décrite avec minutie, mise en musique... Poètes, littérateurs, musiciens, sansoublier les historiens et géographes, lui ont réservé leurs meilleures pages pourtenter d'en saisir les attraits et les particularités. Dans cette productionfoisonnante, l'arbre, seul, fiché dans le sol de manière hiératique, ou groupé endes formes et des aires d'une infinie variété, occupe une place de choix. Maisc'est la forêt, qui au Panthéon de la nature, a, de tout temps, fasciné l'homme.Les réactions jouent sur des registres différents: la peur des bois profonds,touffus et fermés comme en témoignent les contes de fées, la quête nourricièredans ces lieux qui contiennent le nécessaire pour se chauffer et manger, lasécurité un temps retrouvée en un refuge précaire en des périodes troublées 1. Siles littérateurs, les historiens, les scientifiques ont ausculté la forêt en ses formesles plus diverses et ce à toutes époques2, cette dernière a attiré l'attention dulégislateur qui n'a point manqué d'intervenir. Le volume de la confection desnormes de toute nature est, depuis le XVIesiècle, proprement impressionnant, dumoins en droit français, tant la normalisation de la production de produits ligneuxet la constitution de réserves est devenue une affaire d' Étae .

Par opposition, l'arbre implanté en ville, seul, en alignement, ou regroupédans des parcs ou des jardins, semble avoir bénéficié d'une moindre faveur queson homologue des campagnes. Cette idée n'est pas entièrement juste. Elle est

.DCS

I. R. HARRISON,Forêts, Essai sur l'imaginaire occidental, Paris, Flammarion, 1992,398 p.2. A. CORVOL,L 'homme et l'arbre sous l'Ancien Régime, Paris, Economica, 1984,757 p.3. M. DEVÈZE, Histoire des forêts, Paris, PUF, 1973, 128 p., Histoire de l'administrationforestière, Les Eaux et Forêts du 1J! au 20e siècle, Paris, CNRS, 1990, 767 p., P. LEGAL,Bois etforêts en Bas-Poitou au XVIIf siècle, Contribution à l 'histoire administrative et sociale, Thèse deDoctorat en Droit, Nantes, 1994, multigraphié, 708 p.

sans doute fondée sur un jeu d'impressions. Les mentions qui font référence àl'arbre dans les sources les plus diverses, témoignent des nombreuses attentionsdont il a été l'objet. Parmi ces sources, les relations littéraires ne comptent paspour peu. Elles attestent de la place toute particulière que tient l'arbre dans lamémoire et l'imaginaire des habitants des villes. Ces évocations peuvent semblerd'une origine récente. Sur ce point, la perspective est sans doute faussée. Certesdepuis une trentaine d'années, en lien avec la croissance des espaces urbanisés,toujours plus vastes et éloignés de la campagne, en raison également del'évolution des sensibilités, l'attention du public se porte volontiers sur des arbresque l'on apprécie, que l'on recherche, et auxquels on s'attache.

L'arbre urbain est alors célébré, chanté, protégé, admiré au point mêmed'oublier sa nature évolutive et sa durée de vie. Un rapport quasi affectif estsusceptible de naître à son égard. Une telle attitude ne favorise pas toujours unegestion rationnelle qui prend en compte tous les paramètres et les impératifs. Àl'inverse, il peut être considéré comme dérangeant, méritant le sort de latronçonneuse. Il est alors le sujet à abattre, sans que soient toujours prises encompte d'autres solutions qui demandent aux services compétents un surcroîtd'imagination.

Il devient alors un enjeu entre les diverses factions. C'est autour de tellessituations, parfois fortement médiatisées, que s'est forgée la conscience destenants de la protection de l'environnement. C'est la raison pour laquelle nousproposerons dans un premier temps de fixer quelques étapes de cette constructionde la mémoire et de la sensibilité, pour procéder ensuite à un survol de l'arsenalnormatif qui aujourd'hui, à la manière d'une médication, entoure l'arbre ayantl'heur de s'épanouir en ville.

À la différence de son homologue des champs, fort bien servi, l'arbre de villeattend son historien4. Aussi le présent article n'a d'autre prétention que desouligner l'intérêt d'une recherche qui mérite d'être étendue et approfondie.

1. L'arbre de ville et en ville ou une vision mythifiée de la nature

L'idée même de nature, associée à l'image urbaine, est nécessairement apte àsusciter des réactions... Les villes du xx. siècle ont connu de très importantesopérations de densification ces trente dernières années, coût du foncier oblige, etce phénomène s'accentue pour limiter l'étalement urbain. Leur caractère minérals'est le plus souvent accentué au point de devenir oppressant. En outre, leurextension spatiale a éloigné ses habitants de la campagne qui, dans de nombreuxlieux, se situaient à deux pas (au sens propre) du centre urbain. La verdure unrien désorganisée, associée à l'idée de nature ou de campagne, s'est retirée de lavue au fur et à mesure de l'accentuation de l'étalement de la zone urbaine. Lesentiment d'un mal-être certain s'est alors installé progressivement dans bien desesprits de manière quasi insidieuse.

4. R. ROMI, Droit et administration de l'environnement, Se éd., Paris, Montchrestien, 2004, p. 1-12.

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Une telle situation, perçue de manière diffuse, finit toujours par exploser. Lesannées 1970, celles qui virent la naissance véritable d'un droit del'environnement furent le théâtre de cette explosion. Deux affaires firentrapidement le tour de la planète. Nous sommes en 1972. Le conseil municipal deLos Angeles décide d'implanter neuf cents arbres en plastique le long desprincipaux boulevards de la ville. Comme toujours les meilleurs arguments sontréunis pour justifier d'une telle mesure: les arbres ne perdront plus leurs feuilles,difficiles à ramasser, opération coûteuse pour la collectivité, feuilles dangereusespour les automobilistes et les passants. On retrouve l'argutie, somme touteclassique, du quidam qui souhaite se défaire de son chien prétextant qu'il estatteint de la rage. En outre, ces arbres d'un nouveau type résisteront bien mieux àla pollution et ne troubleront pas le fonctionnement des réseaux enterrés. Lamême année, toujours aux États-Unis, une association est créée pour empêcher lasociété Walt Disney de faire disparaître des séquoias géants et centenaires dans ledessein d'implanter une station de sports d'hiver. Ces deux faits que rapporteFrançois Ost dans son ouvrage5 devenu un classique sont vécus comme unenaissance, une prise de conscience non seulement locale, mais égalementmondiale en raison du retentissement de ces faits relatés par la presseinternationale. Ils ont, en tout état de cause, une audience remarquée en Europe.D'aucuns glosent sur la folie américaine, en soulignant toutefois que cespratiques finiront par atteindre le vieux continent européen, le temps du décalagehabituel. . .

Au même moment, en France, dans un esprit soixante-huitard, un rien bohèmeet contestataire, l'attention est portée sur l'arbre urbain à travers une chanson quiest sur toutes les lèvres et qui constitue l'un des grands succès du moment:Comme un arbre dans la ville de Maxime Le Forestier. La complainte d'unpauvre arbre urbain confiné entre béton et bitume entre dans tous les esprits etmarque de manière indélébile les sensibilités en une période où d'autreschanteurs à grand succès vantent la campagne, la montagne, la forêt, les produitsnaturels aux lieux et places de cette ville mirage avec ses lumières, son bruit, sesdistractions artificielles. Les merveilleux textes de Louis Aragon chantés par JeanFerrat participent de cette sensibilisation générale6.

Alors, on se rappelle des vertus de l'arbre en ville. On le regarde. On tient à leprotéger contre tous les prédateurs, à commencer par les promoteurs immobiliersou les services municipaux qui, sous d'excellents prétextes techniques, fontdisparaître le ou les sujets que naguère on admirait et appréciait. L'arbre aretrouvé ses vertus d'antan et redevient un être indispensable à l'homme duquartier, de la rue. La mythification de l'arbre et de la végétation urbaine prendcorps.

Qui est-il au fond? Que représente-t-il? Le sujet isolé ornant un jardin,apportant son ombre à la belle saison mais, également par sa hauteur et son port,

5. F. DST, La nature hors la loi, L'écologie à l'épreuve du droit, Paris, La Découverte, 1995,346 p.6. La Montagne, chanson contenue dans un album qui constitua l'un des grands succès populairesdes années soixante-dix du siècle dernier: « Jean Ferrat chante Aragon ».

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il constitue un élément d'un décor familier, et pour le moins chaleureux, visiblede la rue. Les branches de cet arbre peuvent dépasser la sphère privée, « faire lemur» en quelque sorte, et devenir la composante essentielle et originale d'unerue ou d'un quartier. Il devient le témoin des saisons, le repère des oiseaux...Bref, il est devenu un véritable habitant du quartier. Balzac a sumerveilleusement décrire ces décors discrets, faits de ce trois-fois-rien, quipourtant enchantent l'œil du passant attentif'. Julien Gracq vaquant dans les ruesde Nantes a finement croqué ces ambiances nées de si peu de choses à la manièred'une aquarelle8.

Notre arbre peut également croître en compagnie de quelques comparses surune placette ou un terre-plein. L'espace ombragé a pu recevoir quelques bancs.Les anciens s'y retrouvent aux beaux jours pour converser. Les quelques arbres,fussent-ils d'essence commune, contribuent à créer ce lieu de convivialité commeil en existait tant avant les années 1970, régulièrement fréquenté d'un publicd' habitués 9. On peut toujours en voir dans les pays méridionaux où, climatoblige, cette tradition s'est perpétuée non loin d'un terrain aménagé en jeu deboules. Lorsque le soir tombe, les aînés laissent la place aux amoureux, l'écorcede nos bons arbres en témoigne. Certains n'ont-ils pas reçu le sobriquet de«l'arbre aux amoureux ». Le nom de certaines ruelles qui y conduisent netrompe guère. La toponymie relate avec un brin de malice les parcours de lajeunesse.

Laissons les placettes pour aborder les lieux plus architecturés. Nos arbres setrouvent alors rangés, alignés pour former une promenade, lieu de sociabilité detoute ville. On y fait un tour pour être vu, pour rencontrer quelques relations. Lesallées du bois de Boulogne joueront longtemps ce rôle comme Marcel Proust lerappelle dans la RecherchelO. On s'y donne rendez-vous pour parler des chosesde la cité, tout en prenant l'air. On s'échange les potins, on ourdit des complots...La promenade ombragée est celle que met en scène Anatole France dans L'Ormedu mail, merveilleuse composition croquant la société provinciale de la dernièredécennie du XIXesiècle.

L'arbre en ville, c'est aussi le parc, le jardin public. Poumon vert de la ville,souvent architecturé et soigné comme peuvent l'être les Buttes-Chaumont à Parisau relief mouvementé, ou organisé à la Le Nôtre à l'instar du Jardin desTuileries, voire recréant un espace complexe à l'imitation de la nature dans untraitement à l'Anglaise comme au Jardin du Luxembourg. Ce parc-jardin est leterrain de jeux, le lieu de liberté (sous réserve d'un règlement énoncé à chaqueentrée) où l'on se dégourdit les jambes avant de retourner dans l'espace clos de

7. On songe notamment à I évocation des rues du vieux Saumur par Honoré de BALZACdansEugénie Grandet.8. J. GRACQ,La/orme d'une ville, Paris, José Corti, 1985.9. Nombre d'entre eux ont été sacrifiés à l'usage de parkings autorisés ou plus ou moins sauvages.Beaucoup n'ont plus été entretenus comme autrefois.ID. Dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs deuxième temps de la Recherche, le jardin public estprésenté comme un lieu de jeux pour les petits et de détente pour les plus grands mais aussi unespace de rencontre amoureuse. Les allées du bois de Boulogne jouent au XIX.siècle un rôle desociabilité souligné par de très nombreux auteurs, historiens, observateurs ou romanciers.

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l'appartement. Ce jardin enchanteur, témoin des jeux d'enfants, des émois, de ladétente en famille devient le lieu d'un certain relâchement de la disciplinedomestique comme Pierre Perret l'a mis en scène dans une merveilleusechansonll. Il peut nuitamment se muer en espace féerique sous la plume poétiquede Charles Trenet qui le transforme en « Jardin extraordinaire ». Reste que cettenature mise en scène est domestiquée et que ses usages demeurent policés.

Il est également l'arbre d'alignement qui meuble agréablement certaines rueset plus assurément les avenues et les grands boulevards. Il apporte par sesramures un cachet certain à un quartier, un standing. Leur implantation sous leSecond Empire a été favorisée par le préfet Haussmann qui a usé de toute sonautorité pour imposer cet aménagement, ce qu'il n'oublie pas de relater dans sesmémoires, comme un véritable bienfait pour les populations de la ville de Paris12.

L'arbre a pu, dans quelques cas, accompagner la construction de lotissementsd'un nouveau type que sont les cités-jardins, projets d'immeubles-villas entourésd'essences soigneusement choisies. Le Corbusier sera l'un des promoteurs de ceconcept et les mettra en œuvre en 1922 avant d'évoluer vers le concept d'Unitéd'Habitation 13.

On pourrait construire ainsi, par jeu de stratification, d'effets de mémoire, unehistoire de la sensibilité à l'arbre dans la ville. L'arbre est devenu un familier.Chacun regarde son port, sa couleur, la beauté de ses feuilles, de son écorce; lesplus avisés s'inquiètent de son essence, de son âge... Notre arbre est devenu unobjet. Objet sacralisé, objet de sensibilité, objet détesté parfois. Objet de fait quise mue, par des textes voulus protecteurs, en objet de droit.

Mais l'arbre possède également ses détracteurs. L'arbre d'alignement est lepremier visé. Ses branches hautes obscurcissent les appartements des premiersniveaux lorsqu'il prend quelque envergure. Il peut donner une impressiond'étouffement à ceux qui sont obligés de le supporter tous les jours. Les troncspeuvent encombrer les trottoirs et gêner la circulation des piétons. Ses racinespénètrent les canalisations, rendent délicats les travaux de voirie. Il peut mêmerendre difficile la circulation des véhicules à hauts gabarits, notamment les bus,de plus en plus longs et volumineux. Ses feuilles encombrent les trottoirs enautomne et les rendent glissants. Certaines essences produisent, il est vrai, desfeuilles qui se maintiennent au sol et qu'il faut impérativement enlever à l'instardu platane ou du magnolia. Quant à l'arbre vieillissant, il est accusé de laissertomber des branches sur les passants ou sur les automobiles.

Les rapports de voisinage s'enveniment parfois à propos d'un arbre. Lesbranches dépassent, les feuilles encombrent les gouttières. La lumière estraréfiée... Les tribunaux d'instance, les juridictions de paix autrefois, sonthabitués à entendre les discussions souvent passionnées des voisins en colère.Aujourd'hui, les juges de proximité ont été instaurés pour vider ce type dequerelles.

11. Donnez-nous, donnez-nous des jardins, des jardins pour y faire des bêtises...12. Baron HAUSSMANN,Mémoires, Paris, Seuil, 2000, p. 942-945.13. V. VERCELLONI,La cité idéale en Occident, Paris, Éditions du Félin, 1994, p.I6I.

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Parmi les accusations d'un nouveau type, l'arbre urbain est pointé commegénérateur d'allergies à certaines périodes de l'année. Des demandes sontformées pour qu'il disparaisse sous la scie des agents municipaux. La chose seproduit parfois et, grâce à des tours de passe-passe génétiques, des arbres stérilessont plantés. Ainsi les marronniers ne fleurissent plus, ils ne donnent plus demarrons qui, de surcroît, n'auront plus la malice de tomber sur la tête despassants ou sur les tôles des automobilesl4.

L'arbre de ville est devenu un sujet sensible dans le paysage, et ce à tous lespoints de vue y compris politiques, sujet qui exacerbe les tensions et invite lesédiles à la prudence. Cette attention peut aboutir à un attachement quasi affectifvisant à considérer un arbre comme un élément d'un décor qui se mue en élémentpatrimonial. Toute intervention d'élagage voire de coupe suscite des réactionsvives que la presse relate à l'envi. Les textes protestataires sous forme depétitions s'engagent rapidement, diffusion aidée par les sites et les forumsqu'offrent les supports informatiques à utilisations simples et banalisées. Cetarbre peut même être la figure emblématique de la ville et prendre place dans lesdocuments à caractère publicitaire ou plus largement de communication. Il estalors ancien, d'essence rare ou caractéristique, de forme originale, avoir étérapporté par un personnage illustre ou avoir été le témoin de hauts faits. C'est lechêne sous lequel Saint-Louis rendait la justice à Vincennes, l'arbre de la Libertéplanté autour de la Révolution, celui qui a connu des événements locaux heureuxou plus tragiques. Il devient alors historique. Son maintien, en dépit d'unvieillissement naturel, pose maintes difficultés et sa disparition est vécue commela perte d'un être cher.

Reste qu'au-delà de cas exceptionnels, de nombreux arbres ne sont pasd'essences rares et peuvent ou doivent être régulièrement remplacés par dejeunes sujets. Bien des habitants des villes oublient voire méconnaissent leseffets du vieillissement de la matière ligneuse qui aboutissent à la survenanced'un mûrissement dont le temps est connu des spécialistes. À ce stade, l'issue estla coupe du sujet. Reste que cette opération est devenue un véritable casse-têtepour les élus et les responsables des services techniques des villes. Aussitôt lanouvelle connue, les boucliers se lèvent. Les services municipaux sont assaillisde coups de téléphone. On écrit des lettres vengeresses. Les forums vibrionnent.La presse se déplace. L'affaire peut prendre un tour national si d'aventure unjournal du soir s'en fait l'écho. Le tailler de manière drastique revient au même.Il faut avant tout s'expliquer, communiquer. Un recours devant le tribunaladministratif est redouté. Beaucoup de ces gesticulations relèvent de l'affect.Elles sont oublieuses de la nature même de tout arbre, qui plus est urbain, dont ladurée de vie est des plus limitée en raison des conditions qui l'entourent. Chacunsait ou devrait savoir qu'il devient rapidement malade et perd rapidement de sesforces au point d'être une source de dangers.

14. La plantation des alignements du cours Saint-André à Nantes obéit à ce nouveau degréd'exigence, ce que n'a pas manqué de relater le Bulletin d'information municipal dans un dessein« d'œcuménisme écologique ».

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Cette sensibilité, ces nombreuses interventions à visée protectrice contre denombreuses attaques de toutes natures ont conduit à toute une mécaniqueprotectionniste qui s'est traduite dans les textes, toujours de plus en plusnombreux, complexes, pointillistes, complétant les dispositions générales de droitprivé comme de droit public.

II. La traduction de la protection en droit interne

En premier lieu, il importe de s'entendre sur la nature juridique de l'arbre.Sans barguigner, toute personne un rien frottée de droit répondra qu'il s'agit d'unbien immeuble tant qu'il est immobilisé, c'est-à-dire fiché dans le sol. Le Codecivil est, on ne saurait être plus clair, sur cette question15. Mais elle n'a guère étéagitée au cours de ces trente dernières années tant l'objet du droit s'est déplacéde la notion de propriété vers celle de protection, avatar ou hybride de celle depropriété/possession. Il s'agit plutôt de savoir comment organiser efficacement laprotection de sujets ligneux que l'on tient tant à préserver.

Dans ce cadre, l'arbre peut devenir un sujet et pourquoi pas un sujet de droit.Dans l'argumentaire présenté devant la Cour dans l'affaire Walt Disney, l'idée aété agitée que l'arbre possédait une personnalité juridique et que l'on pouvait agiren justice pour le protéger sur ce fondement. Certes, ce discours hasardeux n'apas été retenu par la Cour mais a permis de lancer un débat, et a toutefois réussi àconvaincre certains membres de la doctrine et de la magistrature américaine.

Plus raisonnablement sans doute, il est, à l'instar de l'animal, un intermédiaireentre un sujet et un objet de droit. Un régime de protection peut lui être appliqué,auquel doit se conformer son propriétaire, qu'il soit une personne privée oupublique.

Le droit privé contient les règles les plus anciennes fondées sur les obligationsdu propriétaire sur fond de responsabilité. L'article 1383 vise les cas de fautescommises sans intention dommageable par imprudence ou négligence. Quant àl'article 1384, il organise le régime de la responsabilité du fait des choses quel'on a sous sa garde.

Le Code civil qui est avant tout un code de propriétaires, règle les questionsde distance des plantations des arbres par rapport aux propriétés voisines (art.671). Il prévient des conflits de voisinage pour les arbres dépassant deux mètresde hauteur. Il règle le sort des branches qui dépassent, des racines qui filent et desfruits qui tombent. Tout un arsenal est prévu pour régler le sort des mitoyennetés,des charges d'entretien, des décisions d'abattage...

Le droit privé considère l'arbre sous l'angle de la propriété, du respect deslimites, des conséquences de cas fortuits comme la chute de branches sur unpassant ou des cas de négligence des propriétaires.

Franchissant la ligne de la summa divisio, l'arsenal que rassemble le droitpublic est à proprement parler impressionnant. Une pharmacopée en quelquesorte. On a peine à imaginer la somme de textes produite pour sauvegarder des

15. Article 521 du Code civil.

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sujets urbains. Nous sommes dans un pointillisme juridique qui n'est pas sansétonner, ni faire douter d'une certaine efficacité. Trop de textes tuent l'effectivitédes normes. Essayons toutefois d'en dresser un inventaire en forme de survol.

Le Plan Local d'Urbanisme (PLU) créé par la loi du 13 décembre 2000, diteloi SRU, oblige à dresser un rapport de présentation: notre arbre à préserver doitfigurer dans l'étude d'environnement au titre du patrimoine arboré. Les objectifsde protection doivent être définis. La plus importante conduira à la mise enœuvre du régime de l'Espace Boisé Classé.

Le Projet d'Aménagement et de Développement Durable (PADD) comporteune partie obligatoire devant définir les orientations d'urbanisme etd'aménagement retenues par la commune en vue de préserver la catégoriearchitecturale et de l'environnement. L'arbre trouve toute sa place dans cedispositif qui peut être complété par des mesures facultatives auxquelles lesrédacteurs sont conviés « pour assurer la protection des paysages ».

Le règlement du PLU permet de mettre en œuvre les mesures de protectiondont l'arbre est l'objet. Un jeu de zonage et de prescriptions y attachées vise lesarbres dans toutes les zones (les zones «N» naturelles et forestières maiségalement dans les autres). Des prescriptions spécifiques en faveur de paysagesidentifiés peuvent figurer sur des documents graphiques. Ces éléments depaysages peuvent être des arbres. Des limitations ou des interdictions d'abattage,des obligations de replanter sont alors parfaitement concevables à conditiond'être clairement formulées.

Le PLU peut classer comme espaces boisés des bois, forêts, parcs, à conserverqu'ils soient ou non soumis au régime forestier, enclos ou non, attenants ou non àdes habitations. Ce classement peut s'appliquer également à des arbres isolés, deshaies ou réseaux de haies, des plantations d'alignement16. Ces dispositions étaientcontenues dans la loi «paysage» du 8janvier 1993. Elles trouvent aujourd'huiune traduction nouvelle dans les documents d'urbanisme découlant du PLU.L'arbre ainsi classé est protégé et s'il disparaît doit être remplacé. Toutchangement d'affectation ou tout mode d'affectation de nature à compromettre saconservation ou sa protection est prohibé. Les coupes et les abattages sont soumisà autorisation préalable. Il s'agit d'une autorisation d'urbanisme renvoyant à unedisposition spécifique du règlement. Les propriétaires sont tenus de s'yconformer.

Les autorisations d'occupation et d'utilisation des sols ne sauraient êtreoublieuses des arbres. Le dossier de demande de permis de construire doit êtreaccompagné d'un projet architectural qui précise, par des documents graphiquesou photographiques, l'insertion dans l'environnement, l'impact visuel desbâtiments ainsi que le traitement de leurs accès et de leurs abords. Ce voletpaysager comporte des édictions précises pour la plantation des arbres de hautetige (situation à l'achèvement). Dans un ordre d'idée approchant, l'autorisationde détruire un élément de paysage identifié par un PLU doit faire l'objet d'une

16. L 130-1 du Code de J'urbanisme.

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autorisation préalable!? Le permis de démolir dans certaines villes, dans leschamps de visibilité de monuments historiques, dans les zones de protection dupatrimoine architectural urbain et paysager (ZPP AUP) prend bien entendu encompte la protection des arbres.

Des mesures sont encore plus précises dans les Espaces naturels sensibles etdans les communes visées par la Loi littoral.

Les prescriptions de nature protectrice trouvent une traduction dans toute unesérie de textes que nous citerons seulement pour mémoire. Les divers régimesregroupés sous le chapeau de droit du patrimoine «remarquable» regroupent laloi du 31 décembre 1913 sur les Monuments historiques, la loi du 2 mai 1930 surles Sites et Monuments Naturels, les Zones de protection du patrimoinearchitectural urbain et paysager instaurées par la loi du 7 janvier 1983, étenduespar celle du 8 janvier 1993 (paysage), et les secteurs sauvegardés de la loiMalraux (I962).

Cet ensemble de normes de plusieurs natures, législative, réglementaire, ouformées de recommandations à caractère administratif, vise deux objectifsdistincts. Le premier a pour objet la préservation de l'arbre qui est protégé à lamanière d'un être faible, d'un majeur en curatelle. Les textes cherchent à évitertoute coupe, toute mutilation... Cet ensemble normatif s'inscrit dans une sphèreconservatrice. Le second se veut plus ambitieux et s'inscrit dans une dynamiqueinterventionniste voire volontariste. Il s'agit, par exemple, d'imposer leremplacement d'un arbre ancien qu'il a fallu abattre. Cette politique est laissée àla diligence des élus qui disposent des moyens réglementaires pour inciter, voireimposer la plantation ou le repeuplement des arbres en secteur urbain.

En guise de conclusion provisoire, dressons un constat simple. L'arbre enville se vend bien au marché de la politique locale. Une ville verte, une villearborée, est une ville qui peut communiquer, une ville susceptible d'être prisée etappréciée d'une clientèle qui souhaite s'y établir. Les municipalités ont biencompris ce type d'attentes qui perdure. Les efforts financiers suivent, lesincitations et dispositifs de protection sont fortement utilisés. La sensibilisation àune politique environnementaliste est bien portée. Les initiatives ne manquentpas comme celle qui consiste à planter une série d'arbres dits remarquables dansune ville, définissant ainsi dès le lancement de l'opération un qualificatif reconnud'ordinaire dans la longue duréeI8. L'utilisation de pignons d'immeublesaveugles pour figurer un grand arbre ou les recouvrir de verdure invite lesarchitectes à quelques prouesses d'imagination.

L'arbre urbain, choyé, parfois à grands frais, peut, comme dans les fablesd'Esope ou de La Fontaine, regarder de haut son compère des champs, bien plusfragilisé par des politiques agricoles productivistes ou par une moindre attentionquotidienne. Aux yeux de l'Historien, les vents ont, de ce point de vue, tourné.

17. Article L 123-1 du Code de l'urbanisme, septième alinéa.18. Exemple conduit dans la Ville de Nantes avec le concours d'élèves de classes primaires.

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LE DÉVELOPPEMENT DURABLEET LES IDENTITÉS TERRITORIALES

La participation des acteurs locaux dans la zone Natura 2000

Luc BODIGUEL *

Déjà perceptible lors de la conférence des Nations unies à Stockholm en 1972avec « l' écodéveloppement» 1, le concept de développement durable émergevéritablement à partir de 1980 sous l'appellation « sustainable development» etne sera officiellement reconnu qu'en 1987 par la Commission Mondiale surl'Environnement et le Développement suite au rapport de Gro HarlemBrundland. Sur la base de ce concept, est proposé un mode de développemene« qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité desgénérations futures à répondre aux leurs» et une méthodologie fondéenotamment sur deux piliers: d'une part, la recherche d'une conciliation entre lesconsidérations économiques, sociales et environnementales; d'autre part, uneapproche participative qui favorise l'intervention des acteurs privés et publicsdans la décision publique.

Le réseau écologique « Natura 2000» constitue l'un des lieuxd'expérimentation du concept de développement durable. Il s'agit non seulementde concilier des intérêts environnementaux - la conservation des oiseauxsauvages et la protection d'habitats naturels3 - avec les activités économiques et

* DCS-CERP3E1. Déclaration de la Conférence des Nations unies sur l'Environnement, Stockholm, 16 juin 1972.2. Le lien entre « durabilité » et « développement» est contesté par les partisans de la décroissanceou de « l'anti-développementisme» puisqu'elle suppose qu'il est possible de transmettre unpotentiel économique, social et environnemental tout en continuant d'appliquer l'idéologie du« progrès» et de la « croissance» alors que les ressources naturelles diminuent dangereusement etque la population mondiale augmente (MEADOWS, 1972; LATOUCHES,2003, 2004). Toutefois,certains commentateurs nuancent cette perception en arguant que, du point de vue théorique etpratique, l'idée de développement n'est pas systématiquement synonyme de croissance etd'augmentation de la richesse et peut donc être compatible avec l'idée de « durabilité ». (C.LEVEQUE, Y. SCIAMA).

3. Le réseau écologique européen « Natura 2000» est constitué de « zones spéciales deconservation» [ZSC], ainsi que de zones de protection spéciale [ZPS]. Voir directive n° 92143/CEEdu Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et

sociales locales mais aussi d'accorder aux acteurs locaux la possibilité denégocier les règles collectives et individuelles sur un territoire déterminé.

Ce mode participatif de gestion des milieux naturels mérite d'être analysé afinde comprendre comment le principe de participation s'exprime dans les textes etde déterminer s'il est possible de conclure à une véritable « gouvernance localedes sites Natura 2000 ». À cette fin, il faudra se demander dans quelle mesurel'instauration des « comités de pilotage Natura 2000» favorise la participation detous les acteurs locaux privés et publics concernés (I) et en quoi les règles dedroit les autorisent à créer un « droit local» (11)4.

1. Une gouvernance locale Natura 2000

Comme pour la gestion locale de l'eau5, les textes français relatifs au réseauNatura 2000 organisent la rencontre de tous les acteurs concernés par chaque siteNatura 2000 : administration centrale via ses organes déconcentrés, collectivitéslocales, entreprises et chambres consulaires, syndicats et professionnels,associations et regroupement citoyens. Toutefois, ce système ne profite pastoujours à tous. S'il se fait l'écho du principe de participation, il donne nettementl'avantage aux collectivités territoriales depuis la loi relative au développementdes territoires ruraux, l'administration préfectorale jouant le rôle d'expert oud'homologation.

A. Vers une « gouvernance locale» Natura 2000

Avant la loi relative au développement des territoires ruraux, il subsistait undoute sur le souhait du «législateur». Le maintien d'un pouvoir aux mains desadministrations déconcentrées et du préfet, pouvait être interprété comme uneréticence à l'épanouissement d'un système participatif localisé, décentralisé.Désormais, la ligne semble plus claire puisque la maîtrise d'œuvre a été confiéeaux collectivités locales.

Les comités de pilotage Natura 2000 constituent l'expression la plus évidentede cette exigence participative de principe. En effet, ils sont chargés de lapréparation des documents de planification (DOCOB) et des contratsNatura 2000, du suivi et de l'évaluation du DOCOB, des mesures et actions et

de la flore sauvages, JOCE L. 206 du 22 juillet 1992, p. 7-50 ; Directive n° 79/409/CE du Conseildu 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages, JOCE L 103 du 25 avril 1979,p. 1-18. Textes de transcription français: ordonnance n° 2001-321 du 11 avril 2001 et décrets

n° 2001-1031 et n° 2001-1216. : voir art. L. 414-1 à 414-17 C. env. et R. 414-1 et s. C. env.4. Une étude plus exhaustive comportant une analyse des documents d'objectif propres aux sitesNatura 2000, « Grande Brière, marais de Donges et du Brivet» et « Lac de Grand-Lieu », est encours de publication aux Presses Universitaires de Rennes (PUR) : voir L. BODIGUEL,« Construirela règle ensemble: les DOCOB Natura 2000 Brière et Grand Lieu» in N. Hervé FOURNEREAU(dir)Les approches volontaires et le droit de l'environnement, Presses Universitaires de Rennes, 2008.Le présent article en constitue une version plus limitée et ne concerne que les aspects théoriques.5. Voir Gouvernance et partage de l'eau. Bassin-versant de Grand-Lieu », M. BODIGUEL(dir),Presses Universitaires de Rennes, 2007, 204 p.

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des modifications qui peuvent en résulter6. Ils forment ainsi non seulement unesorte d'assemblée constitutive du site Natura 2000, mais ils détiennent aussi un« pouvoir réglementaire» 7. Le rôle des CP est donc déterminant; leurcomposition aussi puisqu'elle démontre à elle seule la volonté du législateurd'instaurer une véritable gouvernance locale8.

Si le préfet territorialement compétent au regard de la localisation du siteNatura 20009 arrête la composition du comité de pilotage, il est largementcontraint par la loi et ne peut donc pas faire obstacle à une gestion décentraliséedes sites Natura 2000 et à une participation d'une partie des acteurs privésconcernés: d'une part, le comité de pilotage « comprend les collectivitésterritoriales intéressées et leurs groupements concernés ainsi que, notamment, desreprésentants de propriétaires exploitants et utilisateurs des terrains et espacesinclus dans le site Natura 2000» ; d'autre part, les représentants de l'État nesiègent plus qu'à titre consultatif depuis la loi sur le développement desterritoires ruraux.

En revanche, le préfet reste maître de l'étendue de la participation du publicpuisque le texte de l'article L. 414-2 C. env. ne fait que lui soumettre d'autresacteurs: « Le comité peut être complété notamment par des représentants desconcessionnaires d'ouvrages publics, des gestionnaires d'infrastructures, desorganismes consulaires, des organisations professionnelles agricoles etsylvicoles, des organismes exerçant leurs activités dans les domaines de lachasse, de la pêche, du sport et du tourisme et des associations de protection de lanature.» Cependant, le caractère optionnel de cette disposition est largementcontesté par la formulation de l'article R. 414-8 C. env. selon lequel « Outre lesmembres mentionnés à l'article L. 414-2, le comité de pilotage Natura 2000comprend notamment, en fonction des particularités locales, des représentants[...] de concessionnaires d'ouvrages publics; de gestionnaires d'infrastructures;des organismes consulaires; des organisations professionnelles et d'organismesexerçant leurs activités dans les domaines agricole, sylvicole, des culturesmarines, de la pêche, de la chasse, du sport et du tourisme; d'organismesexerçant leurs activités dans le domaine de la préservation du patrimoine naturel;d'associations agréées de protection de l'environnement ». Certes, le texte n'estpas du même niveau dans la hiérarchie des normes mais l'utilisation del'expression « le comité de pilotage... comprend» et non « peut comprendre»ainsi que le renvoi à l'article L. 414-2 C. env. dont la liste n'est pas limitative(emploi de « notamment») suggère une interprétation extensive de lacomposition des comités de pilotage et limitative du pouvoir du préfetlO. Lechoix du législateur français en faveur d'un système participatif apparaît donc

6. Voir notamment Cire. 2004-3, fiche 5, point 5.3.1.7. Voir Ùfra partie II.8. Notons qu'en principe, il existe deux CP distincts ZPS et ZCS mais qu'il est possible deconstituer un CP Natura 2000 commun à plusieurs sites (art. L. 414-2 C. env.).

9. Si le site s'étend sur plusieurs départements, la composition du CP est fixée par un préfetcoordonnateur désigné par arrêté du Premier ministre.10. Voir circulaire 2004-3, Fiche 2.

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assez clairement. Le préfet est l'autorité qui arrête la composition du comité depilotage mais il est tenu d'y inscrire l'ensemble des acteurs publics et privésconcernés.

Ce choix n'apparaît d'ailleurs pas seulement au stade de la composition descomités de pilotage; il est explicitement affiché lorsqu'il est question del'élaboration des mesures intégrées aux DOCOB Natura 2000 : elles doivent être« définies en concertation notamment avec les collectivités territorialesintéressées et leurs groupements concernés ainsi qu'avec des représentants depropriétaires et exploitants des terrains inclus dans le site. II » La gouvernances'applique donc non seulement à la détermination des objectifs généraux dechaque site Natura, mais aussi à celle des mesures plus opérationnelles.

L'ensemble de ces éléments permet de conclure à l'instauration d'une« gouvernance locale », dans son acception la plus extensive - une largeparticipation des acteurs privés et publics à la décision - fonctionnant suivant unelogique de consensus. Toutefois, l'équilibre des pouvoirs n'est pas pour autantassuré.. .

B. Montée en puissance des collectivités locales

Lors de la première phase de la procédure Natura 2000 - la désignation dessites -, le choix en faveur d'une gestion participative n'apparaît pas dans sonensemble puisque seuls les conseils municipaux et les établissements publics decoopération intercommunale sont consultés par le préfet « avant la notification àla Commission européenne de la proposition d'inscription d'un périmètremodifié d'une ZSC ou avant la décision de modifier le périmètre d'une ZPS, leprojet de périmètre modifié de la zone »12.Cette consultation n'est pas seulementformelle puisque « L'autorité administrative ne peut s'écarter des avis motivésrendus à l'issue de cette consultation que par une décision motivée ».

Si à ce stade, la participation n'est pas encore effective, la loi organise uneinformation des collectivités locales et du public en exigeant notamment pour lesZPS13 que « l'arrêté de désignation du site Natura et ses annexes comportantnotamment la carte du site, sa dénomination, sa délimitation, ainsi quel'identification des habitats naturels et des espèces qui justifient la désignation dusite» soient transmis aux maires des communes intéressées et « tenus à ladisposition du public dans les services du ministère chargé de l'environnement, àla préfecture et dans les mairies des communes situées dans le périmètre dusite. »

Ce droit à l'information et à la consultation des collectivités territoriales estcommué en un véritable pouvoir de décision lors de la phase d'élaboration desDOCOB et de leur suivi, avec la désignation du président du comité de pilotageet de l'opérateur, puis de l'animateur. Dans ce domaine, le recul du pouvoir

11. Voir art. L. 414-1 C. env.12. Voir art. L. 414-1 III; R. 414-3-7 C. env.13. Art. R. 414-7 C. env.

400

central ne bénéficie pas à tous les acteurs de la gouvernance localeprécédemment évoquée mais uniquement aux institutions décentralisées.

En effet, le président du comité de pilotage est désormais choisi parmi lesreprésentants des collectivités territoriales et de leurs groupements, alorsqu'avant la loi n° 2005-157 sur le développement des territoires ruraux, lescomités de pilotage étaient présidés par le préfet ou son représentant ou par lepréfet coordonnateur ou par le commandant de la région terre 14. Ce n'est que pardéfaut que le préfet peut reprendre les rênes de la présidence. Par conséquent, enpratique, dans les comités de pilotage constitués avant la réforme, la présidencedoit être «transférée à un représentant d'une collectivité territoriale ou d'ungroupement membre du comité de pilotage [...] »15.

Suivant la même logique, les représentants des collectivités territoriales et deleurs groupements désignent la collectivité territoriale ou le groupement chargéde l'élaboration du document d'objectifs et du suivi de sa mise en œuvre, désignédans un premier temps comme l'opérateur (phase d'élaboration du DOCOB),puis comme l'animateur (phase de mise en œuvre). Là aussi, l'État ne reprend lamain que par défaut16.

La gouvernance locale instaurée par le dispositif Natura 2000 telle qu'il a ététranscrit en droit français apparaît donc comme une fusée à trois étages: en bas,les citoyens peuvent intervenir et faire entendre leurs voix au sein des comités depilotage, mais leur place n'est pas toujours impérative sauf pour les« propriétaires exploitants et utilisateurs des terrains et espaces» ; en haut, lescollectivités territoriales sont assurées de maîtriser le processus à condition d'unepart qu'elles en aient la volonté et qu'elles s'accordent avec l'étage central, lapréfecture, qui a un rôle d'impulsion, d'expertise et de validation des mesures etactions élaborées dans les comités de pilotage.

La participation n'est donc pas égalitaire mais elle est organisée par les textes.Les comités de pilotage Natura 2000 constituent donc bien un nouveau lieu pourexpérimenter l'intervention des acteurs privés et publics locaux dans la décisionpublique. Il reste à comprendre quelle est l'étendue des pouvoirs de cegouvernement local. . .

II. Une liberté de «faire le droit» selon Natura 2000

A. Une liberté encadrée mais consacrée

La directive n° 92-43 ne fait qu'imposer pour les ZSC, l'établissement de« mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de

14 Voir art. R. 414-8-1 C. env.15 Voir art. 145, loi 2005-157 et R. 414-8-1. Si ten'ain militaire, voir art. L. 414-2 VI et R 414-8C. env.16. Voir art. L. 414-2 et R. 414-8-1.

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gestion appropriés [...] et les mesures réglementaires [...] qui répondent auxexigences écologiques des types d'habitats naturels [00 .].17 »

La directive 79-409 est plus précise encore puisqu'elle exige des mesuresvisant à «instaurer un régime général de protection de toutes les espècesd'oiseaux [00'] comportant notamment l'interdiction ['00] de les tuer ou de lescapturer, [00'] de détruire ou d'endommager intentionnellement leurs nids et leursœufs [. 00]» et de les vendreIs. Qu'elles traduisent la directive habitat ou oiseaux,ces règles concernant le régime juridique des travaux et ouvrages ou desmodalités de protection sur les sites Natura 2000 sont d'application générale;elles valent pour tous les sites Natura 2000 et ne peuvent pas faire l'objetd'adaptations locales.

Toutefois, le droit français ne propose pas seulement des règles générales. Eninstituant des comités de pilotage en charge des DOCOB des sites Natura 2000, illeur offre une part de liberté de « faire le droit local ». Il faut alors se demanderquelle est la portée de cette liberté.

Suivant l'article R. 414-9 C. env., sur la base des trois inventaires réalisésI9 etde leur analyse, le DOCOB comprend « les objectifs de développement durabledu site destinés à assurer la conservation et, s'il y a lieu, la restauration deshabitats naturels et des espèces ainsi que la sauvegarde des activitéséconomiques, sociales et culturelles qui s'exercent sur le site; Des propositionsde mesures de toute nature permettant d'atteindre ces objectifs; Un ou plusieurscahiers des charges types applicables aux contrats Natura 2000 [. 00]précisantnotamment les bonnes pratiques à respecter et les engagements donnant lieu àcontrepartie financière; L'indication des dispositifs en particulier financiersdestinés à faciliter la réalisation des objectifs; Les procédures de suivi etd'évaluation [...]. »

En d'autres termes, conformément à l'article L. 414-2 C. env., lescompétences des comités de pilotage sont les suivantes: inventorier l'existantécologique, juridique et socio-économique; fixer les objectifs de gestion du site;déterminer les priorités d'action; élaborer les cahiers des charges et les chartessur la base desquels des personnes privées ou publiques vont s'engager à réaliserdes actions spécifiques propres à protéger, conserver et/ou restaurer des habitatsou des espèces végétales ou animales, en contrepartie d'une «rémunération».

Ces compétences montrent l'étendue de la liberté offerte aux acteurs publicset privés, constituant les comités de pilotage. Ces derniers définissent les règlesde gestion locale, applicables à un territoire donné - une ZPS ou une ZSC - dansla limite du contenu impératif des DOCOB et des objectifs fixés dans les deuxdirectives cadre, repris dans les règles nationales. Même si le préfet arrête leDOCOB en dernier lieu, il ne peut le faire que sur la base du document « soumis

17. Voir art. 6.1, 6.3, 6.4 et 7 directive 92-43. Directive 92-43 transcrite en France par les art.L. 414-4 et 5 et R. 414-19 à 24 C. env.18. Voir art. 5, 6 et 7, directive 79-409.19. Inventaires: état initial de conservation et localisation des habitats naturels et des espèces quiont justifié la désignation du site; mesures réglementaires de protection qui y sont applicables;activités humaines exercées sur le site, notamment les pratiques agricoles et forestières.

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à son approbation dans les deux ans qui suivent la création du comité de pilotageNatura 2000 »20.Il est donc tenu par l'action des comités de pilotage.

Le système français propose donc beaucoup plus que des règles générales. Ildonne aux comités de pilotage Natura 2000 une parcelle d'imperium, unepossibilité de créer un « droit local» ou d'adapter la mise en œuvre de mesuresnationales aux spécificités locales. Ce pouvoir est indirect et imparfait dans laforme puisque le préfet reste seul détenteur de la capacité de signer les actesadministratifs applicables sur le site, seul habilité à arrêter les DOCOB et que lescomités de pilotage ne peuvent s'affranchir des dispositions d'ordre public.Cependant, sur le fond, l'étude des textes permet de conclure au caractère «réglementaire» indirect de l'action des comités de pilotage.

Toutefois, cette conclusion doit être nuancée. S'ils peuvent décider d'utiliserles dispositifs généraux applicables sur leur zone géographique, les comités depilotage ne peuvent pas décider d'en modifier les conditions d'applicationprenant leur source dans des dispositions impératives, sauf à passer par la voieadministrative ou législative normale. Cette conclusion paraît évidente pour lejuriste en raison de la hiérarchie des normes, du caractère d'ordre public decertaines dispositions ou des compétences générales ou spéciales des différents «régulateurs », mais le flou porté par le dispositif Natura 2000 implique derappeler les principes juridiques de base.

B. Une liberté locale où prévalent l'engagement volontaire et lacontractua/isation

Au processus participatif, s'ajoute le choix d'un système d'engagementsvolontaires.

Déjà, au stade de l'élaboration et du suivi des DOCOB, l'organisation dansles groupes de travail et les comités de pilotage est généralement pensée sur labase du volontariat.

En outre, lors de la phase opérationnelle, le caractère volontaire desengagements dans le dispositif Natura 2000 s'exprime par l'utilisation de deuxinstruments juridiques particuliers: les chartes ou les contrats21. La logiquegénérale du législateur est claire: favoriser l'adhésion des acteurs par le biaiscontractuel, chaque engagement donnant lieu à une contrepartie financière, sousforme d'aide directe ou de mesure fiscale22.

Sur le plan technique, le Code de l'environnement n'apporte que peud'éléments sur les chartes et la circulaire applicable en la matière se fait attendre.Il s'agit d'un « ensemble d'engagements définis par le document d'objectifs etpour lesquels le document d'objectifs ne prévoit aucune disposition financièred'accompagnement », auxquels les « titulaires de droits réels et personnels

20. Voir art. L. 414-2 C. env.21. Voir art. L. 414-3 et R. 414-13 à R. 414-18 C. env.22. Voir art. 1395 E du CG!.

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portant sur les terrains inclus dans le site» pourraient adhérer23. À ce jour,l'engagement apparaît donc essentiellement moral et volontaire.

En revanche, la contractualisation proposée dans le cadre de Natura 2000 estbeaucoup plus évidente à saisir puisqu'elle reprend des dispositifs déjàexpérimentés, principalement dans le domaine agro-environnementap4.

Il existe deux types de contrats sur les ZPS et SIC/ZSC :- «pour l'application du document d'objectifs, les titulaires de droits réels et

personnels portant sur les terrains inclus dans le site ainsi que lesprofessionnels et utilisateurs des espaces marins situés dans le site peuventconclure avec l'autorité administrative des contrats, dénommés "contratsNatura 2000" » ;

- «Les contrats Natura 2000 conclus par les exploitants agricoles peuventprendre la forme de contrats portant sur des engagements agro-environnementaux »25.

Prolongeant la logique de participation, l'élaboration et la conclusion de cescontrats mêlent la négociation collective et l'engagement individuel volontaires.

En premier lieu, la conclusion des contrats Natura 2000 comme des CADreste volontaire. Il s'agit de contrats administratifs par détermination de la loipuisque les litiges relatifs à l'exécution de ces contrats sont du ressort de lajuridiction administrative26. Certains auteurs ont pu discuter de la naturecontractuelle de ce type de contrats et préférer la qualification d'actescondition27. Toutefois, ces actes ne sont pas imposés; le consentement restelibre, ce qui constitue l'essence même du contrat et, malgré le fait que le contenusoit imposé sur la base de contrats type et de cahiers des charges, il n'en reste pasmoins que le cocontractant de l'administration peut choisir les mesures pourlesquelles il s'engage; en outre, fondamentalement, l'existence d'un contenuimposé n'est pas une condition exclusive du caractère contractuel de l'acte dèslors que le libre consentement est maintenu:

Un contrat, qu'i! soit de droit privé ou de droit public, se caractérise avant tout parla présence d'un consentement et d'un engagement des parties. Que le contenu ducontrat, sa forme, son régime soient plus ou moins empreints de liberté estsecondaire. Le contrat n'est pas libre par nature. Par nature, le contrat est unetechnique de droit consenti et un mode d'engagement individuel. Ce qui, parnature, doit être libre, c'est le consentement, non le contenu ou le régime du

23. Art. L. 414-3 Il C. env.24. Sur la contractualisation, voir E. TRUlLHE-MARENGOet al. « Le recours à l'outil contractuel »,in Natura 2000. De l'injonction européenne aux négociations locales, Ed. J. Dubois, S. Maljean-Dubois, La Documentation française, 2005, p. 265-350.25. Art. L. 414-3 I C env. Sur les CAO, voir art. L. 313-1 C. rur., R. 341-7 à 20 et R. 311-1 et 2C. rur. Ce dispositif est aujourd'hui suspendu en attente du PDRR.26. Voir notamment L. 414-3 C. env.27. C. HERNANDEZ-ZAKINE, « De l'affichage au Droit: l'analyse juridique des contratsagri-environnementaux », RD rur., mai 1998, n° 263, p.275-282. Pour une position contraire:I.-F. STRUlLLOU,« Nature juridique des mesures agri-environnementales : adhésion volontaire à unstatut ou situation contractuelle? », RD rur., novo 1999, n° 277, p. 510-518.

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contrat lui-même. Toute l'histoire civiliste du contrat d'adhésion, qui [...] est làpour en témoigner28.

En second lieu, ces contrats relèvent d'une logique collective volontaire: ilss'appuient sur des cahiers des charges, des mesures ou contrats types visés lesDOCOB, l'ensemble étant négocié par les personnes publiques et privées qui lesouhaitent et sont concernées par le site Natura.

Ainsi, hors agriculture, il existe un contrat spécifique dit « contratNatura 2000» qui « comporte un ensemble d'engagements conformes auxorientations et aux mesures définies par le document d'objectifs, portant sur laconservation et, le cas échéant, le rétablissement des habitats naturels et desespèces qui ont justifié la création du site Natura 2000 »29.Concrètement, chaquecocontractant s'engage donc à une ou plusieurs actions correspondant à un ouplusieurs cahiers des charges30 définis collectivement dans les groupes de travailet les comités de pilotage en charge de l'élaboration des DOCOB. Lerattachement de l'engagement au cahier des charges est explicite puisque lecontrat contient le « descriptif des opérations à effectuer pour mettre en œuvre lesobjectifs de conservation ou, s'il y a lieu, de restauration du site, avecl'indication des travaux et prestations d'entretien ou de restauration des habitatsnaturels et des espèces et la délimitation des espaces auxquels ilss'appliquent »31.

Lorsqu'une activité agricole est concernée, le dispositif des contratsd'agriculture durable (CAD) avait vocation à s'appliquer. Désormais, il faut seréférer aux nouvelles mesures agri-environnementales (MAE) prévues dans ledernier règlement « développement rural» et le récent plan de développementrural hexagonal (PDRH)32. Suivant le Dispositif I du PDRH, ces « mesures agro-environnementales territorialisées» visent notamment à « mettre en œuvre lesmesures de bonne gestion définies dans le document d'objectifs de chaque siteNA TURA 2000» (I. I : enjeu NA TURA 2000), Une liste des engagementsunitaires est établie dans chaque cahier des charges sur la base d'une listegénérale inscrite dans le PDRH33. Ces MAE s'inscrivent dans la logique des

28. F. COLLART-DUTlLLEUL,« Les contrats territoriaux d'exploitation », RD rur., juin-juill. 1999,n° 274, p. 344-349 ; du même auteur, voir aussi: « la mise en œuvre des contrats territoriauxd'exploitation », Droit et Patrimoine, n° 80, mars 2000, p. 32-36. Pour une synthèse de ces débats,voir L. BOGIGUEL, L'entreprise rurale: entre activités économiques et territoire rural,l'Harmattan, ColI. « Droit et Espace Rural », 2002, 478 p., spéc. n° 354 et s.29. Art. L. 414-3 C. env. ; voir circulaire 2004-3, fiche 11.30. Voir circulaire 2004-3, annexe I et IV et annexe D4 du Manuel de procédure, oct. 2006.31. Art. R. 414-14 C. env.32. Règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil du 20 septembre 2005 concernant le soutien audéveloppement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural, lDCE L. 277 du21octobre 2005, p. 1-40. Règlements d'application: Règlement (CE) n° 1974/2006 de laCommission du 15 déco 2006, lDCE, L. 368 du 23 déco 2006, p. 15-73; Règlement (CE)

n° 1975/2006 de la Commission du 7 déco 2006, lDCE, L. 368 du 23 déco 2006, p. 74-784. LePDRH et les cinq autres programmes &ançais ont été validés par la Commission européenne enjuillet 2007. Voir L. BODIGUEL,« Le règlement communautaire relatif au développement rural etson application en France », RD rur., déco 2007.33. PDRH, p. 237 et S.

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« CTE territoire» puisqu'elles sont fondées sur des cahiers des charges locaux etque les engagements prennent la forme de contrats de cinq ans entre l'agriculteuret l'État.

Le principe de participation porté par le concept de développement durabletrouve donc une application dans l'organisation juridique des sitesNATURA 2000. Les comités de pilotage peuvent devenir des « gouvernementslocaux» dont la compétence est limitée d'une part par l'objet des dispositifsNATURA 2000 - la protection des oiseaux et habitats - d'autre part par lesdispositions impératives légales ou réglementaires.

Cette logique participative est renforcée par des outils contractuelscontraignant les acteurs à négocier les règles et les engagements juridiques audétriment des mesures unilatérales plus traditionnelles.

La gouvernance locale est ainsi organisée et l'un des piliers du développementdurable se trouve consacré. Il reste à confronter cette analyse textuelle aux faits34.

34. Une première phase d'analyse factuelle a été réalisée: voir L. BODIGUEL,« Construire la règleensemble: les DOCOB Natura 2000 Brière et Grand Lieu» in N.-H. FOURNEREAU(dir), Lesapproches volontaires et le droit de l'environnement, Presses Universitaires de Rennes 2008.

406

ACCORD SPS Accord sur l'application des mesures sanitaires etphytosanitaires

AE Autorisation d'engagementAP Autorisation de programmeARE NE Agence régionale de l'environnement et des

nouvelles énergiesCEE Certificats d'économies d'énergieCIADT Comité interministériel pour l'aménagement et le

développement du territoireCH Cour internationale de justiceCIMER Comité interministériel à la mer

CNUED Conférence des Nations unies sur l'environnementet le développement

CSMHS Commission supérieure des monuments historiqueset des sites (désormais intitulée Commissionnationale des monuments historiques et des sites)

CNUCED Conférence des Nations unies pour le Commerce etle Développement

CPER Contrat de projet Etat-régionCRPS Commission régionale du patrimoine et des sitesCP Crédit de paiementDOB Débat d'orientation budgétaireDRAC Direction régionale de l'action culturelleDTA Directive territoriale d'aménagementGES Gaz à effet de serreGIZC Gestion intégrée des zones côtièresNOEl Nouvel Ordre Economique InternationalOMT Organisation mondiale du commerceOVM Organismes vivants modifiés OVMMH Monument historiquePADD Projet de développement et d'aménagement

durablePANSN Port autonome de Nantes - Saint-NazairePCADP Programme concerté d'aménagement, de

développement et de protection de l'estuaire de laLoire

PDRH Plan de développement rural hexagonalPDU Plan de déplacement urbainPIG Projet d'intérêt généralPPI Planification pluriannuelle des investissementsSCOT Schéma de cohérence territorialeSHUR Section hygiène urbaine et rurale

Liste des principales abréviations

SMVM Schémas de mise en valeur de la merZICO Zone d'intérêt pour la conservation des oiseauxZPPAUP Zones de protection du patrimoine architectural,

urbain et des paysagesZPS Zone de protection spécialeZSC Zone spéciale de conservation

408

Table des matières

INTRODUCTION

DE L'INTERNATIONAL AU LOCAL: QUELLE APPROPRIATIONPOSSIBLE DU CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT DURABLE? 11

Jacques FlALAIREI. De « l'international» au « local» : quels enseignements? 13

A. Des apprentissages assimilés hors du champ juridique 131. La dimension globale du développement durable 132. Le développement durable, intégré dans des stratégies decommunication et une «ingénierie» locale 14

B. Des leçons restant à tirer dans l'espacejuridico- institutionnel 15

1. La portée incomplète des normes protectrices supranationales: uneplace pour une «éthique» du développement durable? ..152. La nécessaire conciliation d'objectifs antagonistes liés à une notionplurale: un appel à l'essor du débat public? 16

II. Les apports du «local» à la dimension mondialedu concept 17

A. Les progrès de la «territorialisation» de l'action publique ...181. L'aménagement du territoire à l'heure du développementdurable 182. Territoires locaux et culture 19

B. La pénétration des objectifs du développement durable, un renfortde légitimité apporté à la gestion publique locale? 20

1. Le bilan de la gestion publique locale à l'aune du développementdurable 202. Une soft law ajustée aux territoires locaux? 21

III. Plan de l'ouvrage 21

PARTIE ILE DÉVELOPPEMENT DURABLE À L'ÉCHELLE DE L'EUROPE

ET DE LA PLANÈTE: QUELS MODÈLES?

LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT CONFRONTÉ AU DÉVELOPPEMENT

DURABLE. ... 27- Droit au développement et développement durableen A friq ue francopho ne 27

Marcel AMBOMOI. La justification du droit au développement en Afrique 28

A. Le contexte historique et politique 281. L'accession à la souveraineté 28

2. La phase de réclamation et de reconnaissance du droit audéveloppement ... 29

B. Le prolongement juridique international: le Droit internationaldu développement (DID) 31

1. Les sources et la consécration du droit internationaldu développement (DID) 322. Les caractères et les objectifs du DID 33

II. Le développement durable en Afrique 35A. L'impératif du développement durable en Afrique 35

1. L'exercice du droit au développement: limites et dangersdu modèle de développement actuel 352. La prise de conscience environnementale africaine 37

B. La réalité du développement durable en Afrique 401. L'accueil du concept de développement durable .42. La matérialisation du développement durable en Afrique .4

- Droit international économique et droit international de l'env ironnement :quelle conciliation? L'exemple de l'anticipationdes risques biotechnologiques dans le cadre de l'OMC 47

Maria FRANCHETEAUI. Une anticipation des risques biotechnologiques possibledans le cadre de l'OMC 52II. Une anticipation des risques biotechnologiques compromisedans le cadre de l'OMC 53

A. Le rejet de l'incertitude scientifique comme facteurdéclenchant l'anticipation des risques biotechnologiques 53B. La non-reconnaissance de l'autonomie du principede précaution par rapport à l'Accord SPS 57

DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLEET POLITIQUES COMPARÉES... ...65- Développement urbain durable et politiquede régénération urbaine au Royaume-Uni 65

Aude CHASSERIAUI. La régénération urbaine: éléments de contexte et réalités 68II. Les projets de régénération urbaine à Nanteset à Sheffield 71

A. Le cas de Sheffield 71B. Le cas nantais 72

- Les politiques communautaires de soutienau « tourisme durable» 79

Magali BOUDARDI. La promotion d'outils basés sur la responsabilisationdes acteurs, le volontariat et le partenariat 86

410

A. Les initiatives des acteurs institutionnels 87B. L'Agenda 21 pour le tourisme européen 87

II. Les actions spécifiques menées en faveur de la durabilitédu tourisme européen, basées sur le partenariatet la création de réseaux 89

A. La préférence pour la soft law 89B. Le recours aux systèmes de certification européens 90

III. L'utilisation optimale des instruments financiersdisponibles, en faveur du tourisme durable 94Conclusion. L'UE confrontée à de nouveaux défis d'importance :quel avenir pour le tourisme durable? 97

DÉVELOPPEMENT DURABLE ET GESTION COMPARÉE

DES RÉSEAUX URBAINS .99

- Une politique des transports durables au sein de l'UE :la question de la tarification au coût social 99

Souhir ABBESI. Le transport et le développement durable 100

A. La place des transports dans l'économie 100B. La durabilité des transports 101

1. Les conséquences économiques lOI2. Les conséquences environnementales l 023. Les conséquences sociales 102

II. Les coûts des transports 102A. Les coûts internes 103B. Les coûts externes 104

1. Le coût de congestion 1042. Les coûts environnementaux 1043. Les accidents l05

III. La tarification au coût marginal social dans le secteurdes transports 106

A. La tarification au coût marginal social dans la théorie 106B. L'outil tarifaire dans la politique européennedes transports 108C. Durabilité et tarification au CMS 109

1. L'efficacité économique 1092. Durabilité environnementale ll 03. L'équité sociale ll04. Un problème d'application et d'acceptabilité 111

411

- Gestion des services d'eau et d'assainissement et développement durable:Approche comparée entre la France, l'Italie et l'Espagne 115

Eva GUY ARD

I. À la recherche d'une efficacité environnementale 119A. La question de la territorialisation de l'action publique:à la recherche d'un niveau d'intervention pertinent.. 119B. La question du mode de gestion: public contre privé 122

1. La délégation de service public, mode de gestion privilégiédes services d'eau en France 1222. Une gestion municipale majoritaire en Italie et en Espagne? 124

Il. La tarification de l'eau: un outil économique au servicede la préservation de la ressource 125

A. Le principe de récupération du coût des servicesliés à l'utilisation de l'eau 126

1. Le cadre communautaire 1262. L'application du principe dans les États membres de l'Unioneuropéenne: l'exemple de la France, de l'Italie et de l'Espagne 127

B. La mise en œuvre de la solidarité 1281. Les systèmes de péréquation et de solidarité:un trompe-l'œil? 1282. La tarification sociale: le droit à l'eau 130

LA RECHERCHE D'UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENTURBAIN DURABLE .133- Le développement urbain durable en Europe du Nord 133

Charles-Henri HERVÉI. De la réhabilitation à la reconversion ou« l'acceptation del'autre }) 137

A. Les exemples de villes durables 138B. Ville durable et quartier durable 140

II. De nouvelles politiques d'aménagement à l'heuredu défi 141

A. La problématique du déplacement en milieu urbain 142B. La gestion de l'eau 144C. La planification énergétique 146D. La gestion des déchets 147

III. La « mise sous tension}) de la durabilité urbainepar ses acteurs 150

A. Ville durable et participation 150B. Participation et engagement citoyen 153

412

PARTIE IIDÉVELOPPEMENT DURABLE ET GRANDS ENJEUX

ENVIRONNEMENTAUX

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA MAÎTRISEDES POLLUTIONS ..159- Le système de droits échangeables : un instrument directeurde la lutte face au changement climatique 159

Sandrine ROUSSEAUX1. La réglementation des émissions de GES généréespar les participants aux systèmes de droits échangeables 163

A. La réglementation des émissions de GESpar un système de permis 164B. La réglementation des émissions de GESpar un système de crédits 166

II. Le contrôle des émissions de GES généréespar les participants aux systèmes de droits échangeables 168

A. La surveillance des émissions de GES 168B. La déclaration des émissions de GES 169

- Pour la création d'un dispositif équitable de crédits limitatifsde pollution sur la consommation des ménages 173

Gérald ORANGE1. Description et simulation du crédit limitatifde pollution applicable à la consommation des ménages 175

A. Calcul du crédit de carburant et simulationde la redistribution 177B. Les biens énergétiques et l'eau 179C. Les produits courants 181D. La redistribution sociale 185

II. Les fondements théoriques en jeu dans le crédit limitatifde pollution sur la consommation finale 188

A. Droits reconnus et droit nouveau: de la Chartede l'environnement au droit à compensation pour la non-consommation de biens sources de pollution 188B. Mobilisation des théories de la science économique 190C. Les outils de la science économique: du prixà la valeur d'option 193D. Proposition pour une nouvelle politique publiqueenvironnementale 194

Annexe I: Données servant de base à une simulationde la redistribution sociale 199Annexe 2 : Détermination du coût marginal de la solutionalternative pour le calcul d'un crédit de pollution 200

413

1. Le carburant 20 12. L'électricité. 2023. Le fuel 2024. Le gaz 2035. Le charbon et le bois de chauffe 2036. L'eau. 204

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA GESTIONDES ESPACES MARITIMES 205- La nouvelle politiqu e française du Iittoral 205

Olivier LOZACHMEURI. Rappel des grandes étapes de la politique du littoralde 1960 à 2000 208

A. Du rapport Piquard au vote de la loi « littoral »,la mise en place d'une politique du littoral en France 208B. De la loi « littoral» à la loi SRU, une politiquedu littoral complétée par la jurisprudence et des dispositionsqui ne concernent pas spécifiquement cet espace 211

Il. L'annonce de la décision de fonder la politique du littoralsur une nouvelle philosophie et les premières mesures arrêtéesdans cette perspective 213

A. La réforme du régime juridique des SMVM 214B. La réforme du Conservatoire du littoral 217C. La réforme des dispositions applicables aux espaces protégésau titre de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme. 218D. Les autres décisions annoncées lors du CIADTdu 9 juillet 2001 220

Ill. La définition d'un nouveau cadre pour la politique du littoralet le lancement d'un appel à projets sur la « gestion intégréedes zones côtières» 221

A. Une structure à trois niveaux pour un nouveau cadrede la politique du littoral 221B. L'appel à projets pour un développement des territoireslittoraux par une « gestion intégrée des zones côtières» 223

IV. La publication de décrets et de circulaires d'applicationde la loi« littoral» dix-huit ans après son adoption 226

A. Les décrets pris en application de la loi «littoral»en 2004 et 2006 228B. Les circulaires d'application de la loi «littoral»publiées en 2006 231

414

- L'estuaire de la Loire, un territoire mal identifié, un patrimoineins uffisa m m ent géré 235

André-Hubert MESNARDI. Questions et paradoxes 236

A. La définition du territoire estuarien 236B. Deuxième source de difficultés et de paradoxes: la diversitéet la multiplicité des fonctions et usages de l'estuaire 237C. Le temps 238D. Le patrimoine industriel 238

II. Aspects institutionnels d'une politique du patrimoineestuarien 240

L'INTÉGRATION DU VOLET ENVIRONNEMENTALDU DÉVELOPPEMENT DURABLE DANSLES POLITIQUESPUBLIQUES LOCALES 245- L'intégration du développement durabledans les documents d'urbanisme 245

Caroline BARDOULI. L'intégration du développement durabledans les documents: l'application de la législation 247

A. La prise en compte du développement durable en matièred'urbanisme: une nécessité 248

1. La présence du « développement durable» dans les plansd'occupation des sols 2482. La volonté de corriger les erreurs liées à un développementnon viable 249

B. L'intégration du développement durable au seindes documents d'urbanisme: une réalité 250

1. Le cas de Paris 2512. Le cas de Montpellier 251

II. L'intégration du développement durable dans les politiquespubliques au-delà des exigences législatives 252

A. Le projet d'aménagement et de développement durable:levier vers d'autres actions en faveurdu développement durable 253

1. Les différences existant entre l'Agenda 21 et le PADD 2532. Les complémentarités existant entre les deux démarches 254

B. La compétitivité: limite à l'intégrationdu développement durable dans les politiques publiques? 255

1. La recherche de la compétitivité pour attirer les capitauxet la population 2562. Développement durable et compétitivité: duo ou duel? 256

415

- Les politiques de transport durable: le choix de l'instrumentéconomique afin d'accéder à une mobilité durable 259

Julie BULTEAUI. Présentation de la situation des transports 260

A. Au niveau national 260B. Au niveau nantais 261

Comparaison des outils économiques 262II. Efficacité en situation d'information imparfaite 263

A. Problèmes du double dividende 263B. Incitation à l'innovation 264C. Problèmes de mise en œuvre 264D. La solution du système hybride 265E. Exemple de mise en place de péages 265

1. Le péage de Singapour 2652. Le péage de Londres 266

F. Exemples de mise en place des permisd'émissions négociables 267

1. Premières applications des PEN 2672. Les écopoints autrichiens 268

III. La substitution entre la voiture particulièreet les transports collectifs 269

PARTIE IIILE DÉVELOPPEMENT DURABLE, MOTEUR DU DÉBAT

PUBLIC

DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLE ET RÉNOVATION

DE LA DÉMOCRATIE LOCALE REPRÉSENTATIVE 275- Développement urbain durable et démocratie localeen matière budgétaire et financière 275

Antoinette HASTINGS- MARCHADIER

I. Une formalisation budgétaire aléatoire des politiquesde développement urbain durable 276

A. Un cadre budgétaire légal peu adapté 2761. Une présentation « par nature» à dominante économique 2772. Une présentation « par fonction» politiquementneutre 278

B. Des pratiques budgétaires supplétives 2801. La planification pluriannuelle des projets d'investissement 2802. L'affichage budgétaire du développement urbain durable 281

II. Une confrontation des élus aux enjeux financiersdu développement urbain durable 283

A. Le financement immédiat des actions de DUO 2831. Un préalable de « bonne gestion» : l'estimationdes incidences financières 2832. La gestion pluriannuelle des dépenses 285

416

B. La pérennisation du financementdu développement urbain 286

1. La préservation de la capacité financière de la collectivité 2862. L'anticipation des dépenses renouvelables et futures 2873. L'optimisation des recettes spécifiques 288

- La «parlementarisation» des assemblées locales conduit-elleà un renouveau de la délibération? 291

Arnauld LECLERCI. Parlementarisation et délibération au seindes assemblées locales: des diagnostics controversés 294

A. La parlementarisation créatrice de la délibération 2941. Le formalisme de la lecturejuridique 2942. Les limites de la lecturejuridique 296

B. La parlementarisation négatrice de la délibération 2971. Le rigorisme de la lecture politiste 2972. Les limites de la lecture politiste 300

II. Parlementarisation et délibération au seindes assemblées locales: une dynamique conditionnée 301

A. Les conditions institutionnellesdu renouveau de la délibération 301

1. L'obstacle juridique: des règles insuffisantes 3022. L'obstacle sociologique: des pratiques déviantes 303

B. Les conditions culturellesdu renouveau de la délibération 304

1. L'obstacle politique: la faiblesse de la culture argumentative... 3042. L'obstacle symbolique: sacralisation et appropriationdu pouvoir 306

QUELLE LECTURE ET QUELLE RÉSOLUTION DES CONFLITS POUR UNDÉVELOPPEMENT DURABLE? 309- Analyse lexicale d'un conflit d'aménagement: Le cas de l'extensionindustrialo-portuaire à Donges Est, dans l'estuaire de la Loire 309

Claire CHOBLET,Laure DESPRES,Patrice GUILLOTREAUComment la réalité des conflits d'aménagement à dimensionenvironnementale se dérobe à l'analyse économique 309I. Donges Est: quelles justifications pour quels besoins? 311

A. Un estuaire fortement artificialisé 311B. L'environnement: un mauvais sort jeté aux projetsdu PANSN... 312C. Le projet Donges Est, une chronologie pleinede rebondissements 313

II. L'analyse lexicale du conflit de Donges Est... 316A. La méthode 316B. La base de données issue de la PQR 316

417

C. Première analyse lexicale: vers une inflexion sensibledes arguments mobilisés 317D. Analyse des correspondances fondée sur une base restreintede mots 318E. Classification hiérarchique du vocabulaire utilisé 319

III. Conclusion 321

- La science politique et la démocratie participative, enjeuxet débats. Un point de vue d'un «politiste» 333

Goulven BOUDIC1. Quatre étapes de la participation 334

A. Athènes et la participation comme devoir 335B. Le gouvernement représentatif moderne :la non-participation comme droit.. 335C. La participation modernisatrice, antidotede la technocratie 337D. Participation et non-participation:le sentiment de compétence 339

II. Participation et gouvernement représentatif:entre remise en cause radicale et complémentarité 340

A. Éloge de la participation et remise en causede la représentation 341B. Vers une version élargie de la participation:l'optique délibérative 349

III. Parce qu'il faut bien conclure 355

PARTIE IVLE DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLE, CONTRIBUTION À

UNE THÉORIE DE L'IDENTITÉ

DÉVELOPPEMENT URBAIN DURABLE ET IDENTITÉS CULTURELLES:LA VILLE ET SON PATRIMOINE BÂTI ET VÉGÉTAL 359- L'histoire parallèle des règles d'urbanisme et de protectiondu patrim oine historique depuis 1921 359

Patrick LE LOUARN1. L'invention des abords jusqu'à leur normalisation:de la Révolution à l'acte législatif de 1943 361

A. L'émergence de la notion d'abords des monuments. 3611. Vandalisme contre mémoire nationale 3622. La réconciliation nationale par le patrimoine 3633. La conception française du monument 364

B. Les abords, ou le vide respectueux 3651. La conception visuelle, mémorielle et formaliste du Monumentau xx. siècle impose la mode du dégagement. 365

418

2. La traduction législative du dégagement des monumentset des perspectives 366

La loi Beauquier du 21 avril 1906 relative à laprotectiondes monuments et des sites naturels d'intérêt artistique 367

II. Les effets en retour de la législation des abordssur leur gestion et l'évolution du concept: 1943-2006 372

A. Le désordre normatif créé par l'absence de doctrineet de méthode pour la gestion des abords 372

1. L'hésitation de l'administration et des experts entrel'instrumentalisation de la servitude par d'autres intérêtset une approche des périmètres protégéspar leurs qualités intrinsèques 3722. Un désordre normatif mal corrigé par la jurisprudence 375

La question de la nature des abords reste en suspens 3773. La décentralisation redistribue les cartes de la délimitationet de la définition des abords. 379

B. La résolution des conflits par la réduction formellede la portée de l'avis de l'ABF, la plus grande souplesse despérimètres et l'ouverture des procéduresde leur établissement. 380

1. La redéfinition de l'intervention des ABF 380La réduction du pouvoir de l 'ABFpeut l'obliger à proposerun argumentaire très concret etpédagogique à l'appui de son avis. 380

2. L'introduction des abords dans les plans d'urbanismeleur donnerait-elle une portée d'intérêt local? 382

- Mémoire de ville et patrimoine végétal urbain 387Pierre LEGALI. L'arbre de ville et en ville ou une vision mythifiéede la nature 388II. La traduction de la protection en droit interne 393

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LES IDENTITÉS

TERRITORIALES 397

- La participation des acteurs locaux dans la zone Natura 2000 397Luc BODIGUELI. Une gouvernance locale Natura 2000 398

A. Vers une « gouvernance locale» Natura 2000 398B. Montée en puissance des collectivités locales 400

II. Une liberté de « faire le droit» selon Natura 2000 40 IA. Une liberté encadrée mais consacrée 401B. Une liberté locale où prévalent l'engagement volontaireet la contractualisation 403

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIA TIONS .47

419

L.HARMATTAN.ITALIA

Via Degli Artisti 15 ; 10124 Torino

L'HARMATTAN HONGRIEKonyvesbolt; Kossuth L. u. 14-16

1053 Budapest

L'HARMATTAN BURKINA FASORue 15.167 Route du PÔ Patte d'oie

12 BP 226Ouagadougou 12

(00226) 76 59 79 86

ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA

Faculté des Sciences Sociales,

Politiques et Administratives

BP243, KIN XI ; Université de Kinshasa

L'HARMATTAN GUINEEAlmamya Rue KA 028

En face du restaurant le cèdre

OKB agency BP 3470 Conakry(00224) 60 20 85 08

[email protected]

L'HARMATTAN COTE D'IvOIREM. Etien N'dah Ahmon

Résidence Karl / cité des artsAbidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03

(00225) 05 77 87 31

L'HARMATTAN MAURITANIEEspace El Kettab du livre francophone

N° 472 avenue Palais des CongrèsBP 316 Nouakchott(00222) 63 25 980

L'HARMATTANCAMEROUNBP 11486Yaoundé

(00237) 458 67 00

(00237) 976 61 66

[email protected]