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REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE UNIVERSITE D’OUM EL BOUAGHI FACULTE DES LETTRES ET DES LANGUES DEPARTEMENT DE FRANÇAIS OPTION : LITTERATURE FRANCOPHONE ET COMPAREE MEMOIRE ELABORE EN VUE DE L’OBTENTION DU DIPLOME DE MASTER Thème : Réalisé et présenté par : Sous la direction de : Mlle. ABBAD Ilhem M. BOULAHBAL Karim Devant le jury : Président(e) : Mme BAKA Fouzia Rapporteur : M. BOULAHBAL Karim Examinateur : Dr. NABTI Amor Année universitaire : 2017/2018 Les systèmes de valeurs dans L’interdite de Malika MOKEDDEM

Les systèmes de valeurs dans L’interdite de Malika MOKEDDEMbib.univ-oeb.dz:8080/jspui/bitstream/123456789/5719/1...licite et de l interdit, de l’odieux et du désirable. Bref,

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  • REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET

    POPULAIRE

    MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

    UNIVERSITE D’OUM EL BOUAGHI

    FACULTE DES LETTRES ET DES LANGUES

    DEPARTEMENT DE FRANÇAIS

    OPTION : LITTERATURE FRANCOPHONE ET COMPAREE

    MEMOIRE ELABORE EN VUE DE L’OBTENTION DU DIPLOME DE MASTER

    Thème :

    Réalisé et présenté par : Sous la direction de :

    Mlle. ABBAD Ilhem M. BOULAHBAL Karim

    Devant le jury :

    Président(e) : Mme BAKA Fouzia

    Rapporteur : M. BOULAHBAL Karim

    Examinateur : Dr. NABTI Amor

    Année universitaire : 2017/2018

    Les systèmes de valeurs dans L’interdite

    de Malika MOKEDDEM

  • 2

    DéDicace Je dédie ce modeste travail :

    A ma mère, mon héroïne, pour son amour, ses sacrifices et son

    encouragement. Reçoit, chère maman, à travers ce travail, aussi

    modeste soit-il, l’expression de mon éternelle gratitude.

    A mon père, mon ange gardien, pour son soutien et les

    innombrables sacrifices qu’il a consenti pour mon bien être.

    Je t’en suis vraiment reconnaissante.

    A celle qui a toujours su me remonter le moral, à ma sœur Meriem.

    A mes héros, qui m’ont toujours soutenue. À mes frères Raouf,

    Sifou, Baby.

  • 3

    RemeRciements Je remercie d’abord dieu le tout puissant de m’avoir donnée force et

    courage pour mener à terme ce travail de recherche.

    Je tiens à remercier mon directeur de recherche, Monsieur

    BOULAHBAL Karim, d’avoir consenti, nonobstant les occupations qui

    sont les siennes, à me prendre sous sa direction, mais aussi et surtout pour

    ses orientations et ses conseils.

    Je tiens aussi à remercier les membres de jury d’avoir accepté de

    lire et de jeter un regard critique sur la qualité de ce travail.

    Je voudrais adresser particulièrement un mot chaleureux à Monsieur

    BAHAR pour sa disponibilité, sa patience, son soutien, ses orientations

    constructives et ses conseils plus qu’avisés qui ont orienté mes recherches et

    mes analyses.

    Un grand merci à toutes les personnes qui, de prés ou de loin, ont

    contribué d’une manière ou d’une autre à ma formation et à l’élaboration

    de ce mémoire.

    Merci à tous…

  • 4

    « Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa

    qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même

    à ses devoirs. » J.J.Rousseau

  • 5

    Introduction

  • 6

    La littérature a constamment été soumise à une double évaluation, celle de déceler

    la valeur esthétique (intrinsèque) des œuvres littéraires, ou celle de mettre l’accent sur leur

    capacité de véhiculer et de transmettre un certain type de valeurs. Si, au XXème siècle, des

    linguistes et des critiques à l’instar des formalistes et des structuralistes se sont intéressés

    exclusivement à la forme des textes littéraires, laissant entendre que ces derniers ne sont

    qu’un agencement de formes ne répondant qu’à leurs propres lois, en ce début du XXIème

    siècle, ce n’est pas le cas, la théorie de clôture du texte littéraire (considérant l’œuvre

    comme une fin en soi) est de plus en plus contestée et « dénoncée pour avoir nier ce qui

    fait la chaire même de la littérature; son rapport à la vie et sa capacité à produire des

    émotions. »1

    En effet, la littérature, par la liberté qui la fonde, exprime des contenus divers ayant

    des rapports privilégiés avec la vie et les valeurs humaines. Elle demeure, pour les

    écrivains, le cheval de bataille leur permettant de transmettre un certain nombre de valeurs,

    de les défendre ou de les illustrer. Chaque œuvre littéraire, en parlant du monde et en

    offrant une conception de la vie, renvoie à un univers de valeurs particulier. Dans cette

    optique, Vincent Jouve atteste :

    « A la lecture d’un récit, nous avons souvent le

    sentiment que le narrateur, en nous racontant une histoire

    nous transmet aussi une conception du bien et du mal, du

    licite et de l interdit, de l’odieux et du désirable. Bref, un

    univers de valeurs »2

    La littérature maghrébine d’expression française, n’échappe pas à ce besoin

    d’exprimer des valeurs. Née dans un contexte colonial dominé par un conflit de valeurs,

    elle se trouve contrainte d’exprimer cet entrechoquement de deux univers de valeurs

    différents (socialement, politiquement, religieusement…etc.). Ses créateurs, voulant

    traduire les tensions sociales et dire leur existence et leur différence face à l’autre agresseur

    et dominateur, se sont donner pour mission de défendre et de soutenir des causes qui

    assurent la promotion des valeurs de la liberté et de la justice. En fait, la littérature

    maghrébine de graphie française est relativement jeune, elle s’est épanouie d’abord en

    1 https://f-origin.hypotheses.org consulté le (11/02/2018). 2 JOUVE, Vincent, poétique des valeurs, paris, puf, coll. « Ecriture », 2001, quatrième de couverture.

  • 7

    Algérie vers les années vingt avant qu’elle n’arrive dans les deux pays voisins ; la Tunisie

    et le Maroc.

    La littérature algérienne de graphie française, a la quelle la critique a toujours

    assigné des limites chronologiques et dont on a prédit la mort au lendemain de

    l’indépendance, a su tracer son chemin vers l’aurore, et demeurer prolifique. Née dans un

    contexte historique violent et meurtrier, cette littérature a toujours eu pour maitre mot

    l’ « engagement » que se soit pour dénoncer la colonisation, la corruption et les déceptions

    de l’indépendance ou le terrorisme des années 1990. En effet, elle a toujours été matière

    intarissable où l’engagement n’ôte rien a l’originalité d’une écriture qui s’affirme, se

    renouvelle et s’enrichit avec le temps, affirmant ce que Victor Hugo, contrairement aux

    thèses des partisans de l’art pour l'art, a dit: « l’utile, loin de circonscrire le sublime, le

    grandit. L’application du sublime aux choses humaines produit des chefs-d’œuvre

    inattendus. ».1

    Pendant les années 90 qui, chacun le sait, ont été marquées par le terrorisme et toute

    sorte d’attentat, la littérature algérienne a vu surgir des textes empreints de violence et de

    brutalité. Plusieurs écrivains ont affuté leurs plumes afin de s’attaquer à la critique

    politique et religieuse, et de dénoncer le climat de terreur imposé par le fanatisme et

    l’extrémisme. Cette décennie noire, a également interpelé la plume féminine qui, grâce à sa

    persévérance, son talon et son courage, a réussi à mettre en exergue le quotidien algérien

    face à ce phénomène qui est le terrorisme et de dénoncer les injustices sociales faites aux

    femmes algériennes. La littérature féminine (algérienne) s’inscrit dans le mouvement d’une

    écriture de résistance et de revendication. Des auteures a l’instar de : Assia DJEBBAR,

    Nina BOURAWI, Meissa BEY et Malika MOKEDDEM ont voulu dénoncer leur

    mécontentement vis-à-vis non seulement de l’actualité du pays mais aussi et surtout vis-à-

    vis de la « misogynie » en forgeant des réflexions à travers des œuvres majeures.

    Parmi toutes ces figures emblématiques, notre choix s’est porté sur l’une des plus

    éloquentes plumes qu’a connu la littérature maghrébine d’expression française de la

    dernière décennie du XXème siècle. Une essayiste et romancière qui, de par son art, est

    venue affirmer encore une fois ce que KATEB Yacine a dit : « quand une femme écrit,

    1 Victor HUGO, William Shakespeare, 1864, in littérature : textes théoriques et critiques de Nadine TOURSEL, Jacques VASSEVI7RE, éd, Nathan/ Sejer, 2004, p.270.

  • 8

    elle vaut son pesant de poudre. ». Il s’agit bel et bien de l’écrivaine hors pair : Malika

    MOKEDDEM.

    Malika MOKEDDEM est née le 5 octobre 1949 à Kenadsa, dans l’ouest du désert

    Algérien. Elle a fait sa scolarisation primaire à Kenadsa puis ses études secondaires au

    lycée de Béchar, a vingt kilomètres du village natal. Tout au long de sa scolarité nait et

    s’enracine, en elle, un amour de la lecture et des livres. Elle fait ensuite ses études de

    médecine à Oran qu’elle achève à Paris. Néphrologue, elle partage son temps entre

    l’écriture et l’exercice de la médecine, mais elle décide après d’arrêter d’exercer et de se

    consacrer à l’écriture. Elle s’est imposée dans la république des lettres par un capital

    littéraire important disposant en son compte de plusieurs romans dont la majorité a été

    saluée par de nombreuses récompenses.

    Malika MOKEDDEM est une auteure qui s’est fixé un objectif bien précis :

    écrire son histoire. Démêler la réalité de la fiction dans ses écrits serait presque impossible.

    Avec elle, les frontières entre autobiographie et roman sont souvent enchevêtrées. En

    abordant le genre romanesque, MOKEDDEM place son lecteur selon l’angle de vue ou

    elle se place pour exprimer sa pensée de la littérature, de l’écriture, des siens et d’elle

    même. Au fil de ses textes, le sens de la créativité qui ponctue ses œuvres, semble devenir

    le pilier majeur de son écriture.

    A travers ses textes, MOKADDEM se livre a une analyse de la condition faite a

    la femme, elle cible la société algérienne et en exprime sa vision. C’est ainsi que la

    perspective centrale dans ses écrits est le destin des personnages féminins. Elle transpose

    dans la fiction des situations vécues par de nombreuses femmes mais en bousculant des

    traditions séculaires et misogynes. C’est alors qu’elle devient la voix de celles qui crient

    en silence.

    la bibliographie de Malika MOKADDEM est celle d’une romancière : Les

    Hommes Qui Marchent (Ramsay, 1990) qui a connu, dès sa publication, un grand

    succès auprès des lecteurs ainsi qu’auprès des critiques littéraires. Cet ouvrage a été salué

    par de nombreuses récompenses. Le Siècle Des Sauterelles (Ramsay, 1992). L’interdite

    (1993) qui marque le véritable essor de sa pluralité. Des rêves et des assassins(1995). La

    nuit de la lézarde (1998). N’zid (seuil 2001). La transe des insoumis (2003). Mes hommes

    (2005). Je dois tout à ton oubli (2008). En fin la désirante paru en 2013.

  • 9

    Malika MOKEDDEM a obtenu plusieurs prix et distinctions. Son premier

    roman, Les Hommes qui marchent, lui vaut en 1990 une reconnaissance initiale,

    récompensé par le Prix Littré du Festival du Premier roman de Chamberry, de même

    que le prix de la Fondation Noureddine Abba. Le second, Le Siècle des sauterelles,

    reçoit en 1992 le Prix Afrique-Méditerranée de l’Association des écrivains de langue

    française. Mais c’est avec le troisième, L’Interdite primé par le Prix Méditerranée 1994,

    que sa popularité littéraire et médiatique prend son essor. L’ouvrage a connu des

    ventes appréciables. C’est de cette œuvre que nous avons dégagé le corpus de notre

    mémoire.

    L’interdite est un roman écrit en dix mois en état d’urgence. L’actualité du pays

    pendant les années 90 et, particulièrement, l’assassinat de l’écrivain Taher DJAOUT, en

    1993, ont poussé Malika MOKEDDEM à écrire dans l’urgence, pour dénoncer la monté

    de l’intégrisme religieux fanatique en Algérie. Le roman est formé de neuf chapitres. C’est

    un récit à deux voix narratives, deux destins différents qui se croisent. Destin de Vincent,

    un français à qui on a greffé le rein d’une jeune algérienne et qui est partie en Algérie pour

    découvrir la patrie et la culture de sa donneuse, et le destin de Sultana Medjahed, médecin

    à Montpelier, qui décide de revenir dans son village natal au sud algérien après avoir appris

    la mort de son ami Yacine, médecin, qu’elle a jadis aimé. Arrivée en Algérie, elle se trouve

    confrontée à l’hostilité et au mépris des habitants de son village ; ne pas porter de voile

    intégral et son attitude d’algérienne occidentalisée lui ont valu, aussitôt, un chapelet

    d’insultes laissant prévoir une série d’agressions. C’est ainsi que son rêve de voir s’opérer

    des améliorations se dissipe car elle a retrouvé les mêmes scènes de frustration et de

    brutalité que depuis son départ.

    Sultana vient donc défier les hommes de son pays et bousculer les femmes dans

    leurs croyances et coutumes en assistant, contre la volonté de tout le monde, à

    l’enterrement de son ami. Premier acte qui va attiser la haine des intégristes à son encontre.

    Consciente des circonstances dans lesquelles elle est revenue, elle décide quand même de

    rester et de remplacer Yacine au dispensaire du village. Cette décision sera perçue comme

    une provocation et une déclaration de guerre au maire Bakkar et à ses acolytes islamistes.

    Chose, qui ne fera qu’ouvrir le champ à des menaces sérieuses mettant sa vie en danger.

    Mais, Sultana n’a pas peur des menaces, elle se jette bravement au travers leur chemin et

    décide de violer tous les interdits imposés à la femme algérienne. Sultana rencontre ensuite

  • 10

    Vincent (français), grâce à Dalila, une petite fille d’environ dix ans, qui rêve de quitter le

    pays et d’aller étudier en France, et s’affiche ouvertement avec lui. Chose qui ne fera

    qu’envenimer la situation et mettra sa vie en danger. Certes, cet acte sera perçu comme un

    grand mépris pour la religion à laquelle les habitants islamistes du village tiennent tant.

    Ces derniers incendient la maison de Sultana. Les femmes du village, alertées, mettent le

    feu à la mairie...

    Dans l’interdite, Malika MOKADDEM nous livre des propos sur une Algérie

    douloureusement partagée entre fanatisme et progrès, elle dénonce l’enfermement

    dans le quel croupissent les femmes algériennes à cause des traditions religieuse et lutte

    pour la liberté de ses compatriotes, bien qu’elle vive en France. C’est ainsi que

    l’auteure met en cause des fais véridiques et nous emporte vers un univers de

    valeurs (désirées et prometteuses) à travers une écriture fluide et clairvoyante.

    En initiant la question des valeurs, notre travail de recherche s’intitule « Les

    systèmes de valeurs dans l’interdite de Malika MOKADDEM ». Notre choix d’étude

    portera sur le fait que l’étude de l’œuvre littéraire doit s’intéresser et viser la

    compréhension du texte au delà de son aspect. Le but sera de déceler et de prendre

    en compte la question des valeurs qui jalonnent l’œuvre en question.

    Notre choix, de travailler sur une production romanesque (roman) de Malika

    MOKEDDEM s’explique d’abord par notre penchant et notre admiration pour cette

    écrivaine hors pair, qui demeure le porte parole de toute femme soumise à des traditions

    surannées et sclérosées. Ainsi nous voulons rendre hommage à cette plume qui est venue

    enrichir la liste de ces auteurs qui ont signé des œuvres, tout en conjuguant cette littérature

    au féminin. Quant à notre choix du corpus (l’interdite), il découle de cette multiplicité de

    thèmes très intéressants ; le statu de la femme, l’exil, l’interdit…etc. alors nous avons

    voulu nous y pencher pour découvrir la vision du monde et les valeurs que l’écrivaine veut

    nous transmettre à travers ces thèmes qui posent une polémique universelle.

    Tout au long de notre lecture du roman un tas d’interrogations surgit inciter notre

    réflexion à enrichir le contenu de notre travaille de recherche :

  • 11

    Pourquoi cette différence sur les plans idéologiques ?

    Par quels biais un personnage affirme-t-il ses options idéologiques ?

    Comment le narrateur s’y prend-il pour nous indiquer les valeurs qu’il

    privilégie ?

    Ces interrogations nous amènent à soulever une question centrale :

    Comment un texte peut-il présenter, mettre en scène et hiérarchiser des

    valeurs ? Et quelles sont les valeurs cautionnées par le texte ?

    Pour tenter de répondre à ces questions, une série d’hypothèses sera déployée:

    - Nous pourrions dire que l’œuvre ait mis une différence sur le plan

    idéologique pour confronter des univers de valeurs opposés et pouvoir les

    comparer afin de convaincre le lecteur de la position du texte.

    - Il serait possible de dire que les paroles des personnages, y compris le

    monologue intérieur indiquent dans une certaine mesure l’éthique et la

    vision du monde de ceux-ci. Autrement dit, les lecteurs connaissent les

    centres d’intérêts et les préoccupations des personnages à travers leurs

    paroles et leurs pensées.

    - Nous pouvons dire que le narrateur, en jugeant explicitement le

    comportement des protagonistes, soit valide leur discours ce qui laissera

    transparaitre sa position (il cautionne leurs valeurs), soit marque clairement

    sa distance et les marque négativement. Il serait aussi possible de dire que

    l’émancipation, la liberté, le goût de vivre et le respect vis-à-vis de la

    femme soient les valeurs défendues par le narrateur.

    Notre travail sera articulé en deux parties fondamentales. Nous commencerons par

    une partie intitulée cadre méthodologique et théorique dans la quelle il sera question de

    présenter les différents outils critiques et théoriques dont nous allons en avoir

    besoin au cours de notre analyse. Il s’agit de l’étude sémiologique des

    personnages, de la sémiotique narrative et de poétique des valeurs qui constituent le

    noyau de notre travail de recherche.

    Quand à la deuxième partie intitulée analyse du roman, elle sera vouée, comme

    son nom l’indique, à l’analyse de notre corpus. D’abord, Nous allons essayer, tout au long

    de cette partie analytique, de repérer le système de valeur de chacun des personnages

  • 12

    en étudiant leur être, leur dire et leur faire. Ensuite, en nous appuyant sur les outils

    analytiques présentés dans la première partie, nous essayerons de repérer les valeurs

    cautionnées et préconisées par le narrateur et de dévoiler son point de vue.

    Enfin, nous clôturons notre travail avec une conclusion qui va à son tour exposer

    les résultats auxquels nous avons aboutis ; une sorte de récapitulation de tout ce que

    nous avons présenté tout au long de notre travail.

  • 13

    Première partie :

    Cadre méthodologique et théorique

  • 14

    « Le texte est une machine paresseuse qui exige du lecteur un travaille coopératif

    acharné pour remplir les espaces de non-dit ou de déjà-dit resté en blanc » 1

    Dans cette citation, Umberto Eco définit le texte littéraire comme un tissu d’espaces

    blancs, ouvert et interprétable, c’est à dire qu’une partie de son contenu n’est pas

    manifestée au plan de l’expression. Ainsi il présuppose un « lecteur model » 2 capable de

    décoder et de comprendre le sens du texte en mettant en œuvre le processus de l’analyse.

    L’analyse littéraire a pour objectif de mieux comprendre un texte littéraire, de

    découvrir comment l’auteur exprime sa pensée, son point de vue et sa vision du monde a

    travers le langage. Analyser un texte littéraire consiste à mettre en exergue ce que l’auteur

    cherche à nous transmettre en mettant en évidence les procédés qu’il utilise pour dire son

    message. Cependant, toute réflexion sur la littérature doit d’abord s’interroger sur la

    littérarité du texte, car la littérature est par-dessus tout une affaire de langage et comme

    telle, elle constitue la substantifique moelle de toute entreprise d’analyse. Il serrait de ce

    fait inimaginable de prétendre initier un travail sur le fond en faisant abstraction de la

    forme ou inversement. En rendre compte, par écrit et de manière cohérente et pertinente,

    de la compréhension du texte, constitue en somme la synthèse du travail de repérage et

    d’interprétation d’éléments techniques qui régissent le texte.

    Par ailleurs, tout travail de recherche, qui se veut scientifique, doit impérativement

    être mené sous la bannière d’une méthode. Ainsi, afin d’assurer la recevabilité scientifique

    de notre travail, nous allons nous appuyer principalement sur l’ouvrage de Vincent Jouve,

    poétique des valeurs, qui se fonde à la fois sur les théories de la réception et la sémiotique

    narrative pour pouvoir rependre à notre problématique et traiter la question des valeurs

    présentes dans « l’interdite » de Malika MOKEDDEM.

    1 ECO Umberto, Lector in fibula:le role du lecteur, Paris, seuil, 1998, p. 29. 2 http://www.signosemio.com/eco/cooperation-textuelle.asp (consulté le27 décembre 2017)

  • 15

    I. La question des valeurs dans l’analyse littéraire

    I.1. Qu’est ce qu’une valeur ?

    Qu’est ce qu’une valeur ? En posant une telle interrogation, qu’il soit entendu que

    nous n’avons pas la prétention d’y apporter une réponse exhaustive surtout que de

    nombreux grands chercheurs s’y sont essayés et se sont trouvés avec des définitions et des

    avis aussi divers que variés qui nourrissent leurs réflexions. Nous voulons donc seulement

    apporter une clarification liminaire qui répondra à la question : que faut-il entendre par

    « valeurs » ?

    Les valeurs embrassent divers champs de réflexion à savoir : l’éthique, la morale, la

    philosophie, la politique, l’axiologie…etc. Dans son ouvrage poétique des valeurs, Vincent

    JOUVE atteste qu’ :

    « Il est peu de notions plus fuyante et problématique que celle de « valeur ».

    Renvoyant au désirable comme à l’estimable, au conventionnel comme au

    normatif, le terme, utilisé par les sociologues et les philosophes, par les

    politiques et les économistes, est à la croisé de bien des problèmes dont le

    moindre n’est pas celui de sa définition. »1

    A la lumière de ces propos, nous pouvons dire que la notion de valeur est une

    notion qui semble indéfinissable. Si on part des définitions que proposent les dictionnaires,

    en laissant de coté les significations techniques qui renvoient seulement à un domaine

    donné (maths, économie,…) on reteindra que les valeurs renvoient au domaine de la

    morale et de l’éthique. Elles relèvent d’abord du jugement individuel; ce qui vaut pour

    chacun d’entre nous, ou ce qu’on juge digne d’estime (pour un aristocrate, la noblesse est

    une très haute valeur), mais qui peut aussi être partagées avec un groupe social (la liberté,

    l’égalité, l’amour, la justice, l’argent, le gain…par exemple, sont des valeurs dont certaines

    sont cautionnés par un très grand groupe de personnes mais sans l’être par un autre). Les

    valeurs peuvent aussi représenter les principes et les dogmes (conforment à un idéal) qui

    orientent les actions (ce à quoi on se réfère).

    1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 5.

  • 16

    I.2. valeurs et littérature

    Que la littérature soit porteuse d’une vision du monde et de valeurs, ce n’est pas

    une révélation. En littérature, la place concédée aux valeurs, notamment sociales, morales,

    éthiques…etc., est indéniablement notoire. Certes, l’auteur en parlant du monde en offrant

    un ou plusieurs points de vue sur ce dernier, essaye non seulement de partager avec autrui

    sa vision du monde mais aussi de transmettre un certain nombre de valeurs ; d’où émane la

    question d’influence des œuvres littéraires.

    Conscientes que le texte littéraire est porteur de valeurs, les études littéraires ont

    consacré, une place sans cesse croissante à la question des valeurs. Ainsi, pour pouvoir s’y

    aventurer, Vincent Jouve, tient à préciser qu’il serait crucial, d’emblée, de mettre au jour

    des liens entre littérature et valeurs, ces dernies peuvent être abordée selon plusieurs

    façons, nous pouvons nous interroger sur les deux points suivant : Les relations entre

    valeurs et institutions littéraires ; les relations entre valeurs et textualité.

    I.2.1. valeurs/ institutions littéraires

    Cette relation peut être étudiée selon deux angles :

    1. Comment la littérature pèse-t-elle sur les valeurs sociales ? (les textes

    littéraires influencent le social) que ce soit par son contenu ou sa forme,

    l’œuvre littéraire est envisagée comme action sur le monde.

    2. Comment les valeurs sociales pèsent-elles sur la littérature ? (les valeurs

    d’un groupe se retrouvent dans une œuvre littéraire, étant donné que chaque

    œuvre obéit à la logique de l’espace social où elle s’inscrit)

    I.2.2. valeurs/ textualité

    Précisons d’emblée que l’étude des divers échanges entre valeurs et textualité se

    situe dans le cadre de l’œuvre. Elle se divise cependant entre deux approches : l’une

    génétique (la recherche de l’origine des valeurs inscrites dans le texte) à la faveur d’une

    approche d’obédience sociologique (il s’agit de la sociologie du texte, où s’est illustré

    Claude DUCHET). L’autre sémiologique s’interrogeant sur « la façon dont le texte peut

    présenter, mettre en scène et hiérarchiser des valeurs »1

    1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 7.

  • 17

    Il va donc sans dire que pour étudier la dimension sociale dans les textes littéraires,

    deux démarches se révèlent possibles, soit partir du texte, soit du contexte. Ces différentes

    approches ne doivent pas être perçues comme antagonistes, mais plutôt comme

    complémentaires. En effet, s’interroger sur la question des valeurs implique un syncrétisme

    méthodologique, car s’il est indéniable que les valeurs inscrites dans le texte ne surgissent

    pas du néant et qu’elles sont partiellement dépendantes d’un contexte sur lequel elles

    exercent quelques actions, il est moins certain qu’elles ne sont pas importées directement

    dans le texte, mais se révèlent rigoureusement indissociables des particularités qui

    régissent leur « mise en texte ». En d’autres termes, l’étude des valeurs ne se fait qu’en

    rapportant le texte à l’hors-texte ce qui implique une analyse qui associe approches :

    interne et externe.

    Ceci dit, que tout chercheur, en choisissant son objet d’étude, s’incline plutôt à une

    analyse de textualisation ou à celle de la contextualisation. Cependant, Vincent JOUVE

    tient à préciser que:

    « L’analyse sémiologique apparait comme un préalable indispensable a

    toute réflexion sur les liens entre littérature et société : avant de se pencher

    sur le rapport du texte aux normes sociale, il convient d’examiner quelles

    sont les valeurs véhiculées par le texte. »1

    Certes, admettre que les valeurs véhiculées par le texte ne se laissent appréhender

    qu’à travers les relations qu’elles entretiennent avec les valeurs extérieures au texte,

    suppose, d’abord, de repérer les premières d’une manière claire et rigoureuse. C’est donc

    dans la perspective sémiologique que JOUVE situe sa réflexion en s’appuyant

    essentiellement sur les travaux de sémiotique narrative de Greimas et sur les études

    sémiologiques de Philippe HAMON.

    D’emblée, Nous tenons à préciser que nous n’étudierons pas les relations qui

    existent entre texte et idéologie, mais plutôt nous tenterons de montrer comment le roman

    de Malika MOKEDDEM, l’interdite, se fait porteur de valeurs et de déterminer les

    éléments dont dispose le récit pour laisser transparaitre ces valeurs.

    1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 8.

  • 18

    I.3. La construction textuelle des valeurs

    Dans son ouvrage, V. JOUVE décrit avec précision comment un texte

    construit ses valeurs. Les valeurs d’un texte peuvent provenir des valeurs

    préexistantes se référant à des normes sociales, et donc le texte ne fait que les

    reprendre, ou des valeurs originales et problématiques créées pour le récit. Dans

    les deux cas, les valeurs qui affleurent dans le texte ne peuvent être comprises

    qu’en les analysant par rapport aux valeurs extérieures au texte.1

    S’interrogeant sur la façon dont le texte se réfère à des normes sociales existantes

    Philippe HAMON, montre les relations entre le texte et les valeurs préexistantes en

    traitant du processus de l’évaluation du-par-à travers les personnages. Il définit

    L’évaluation comme« un acte de mise en relation entre une action et une norme

    extratextuelle »2. Evaluer, c’est, selon lui, « établir une comparaison entre un procès et un

    programme-étalon doté d’une valeur stable »3. L’évaluation se concentre principalement

    sur les aspects fondamentaux du personnage : ses actes et comportements. Etant donné que

    ce dernier est définit comme un trompe-l’œil ‘(dans la mesure où il nous donne

    l’impression qu’il est tiré directement de la vie réelle), il renvoie, de par ses actions, à des

    valeurs externes.

    « Le personnage de roman est souvent perçu comme une entité

    « naturelle », et de fait il joue un rôle essentiel dans la création de l’illusion

    réaliste : en lui donnant un nom, une activité sociale, une psychologie, en le

    situant dans l’espace, le temps, l’histoire, le roman tend de faire de lui un

    être vivant »4

    Philippe HAMON, parlera de quatre domaines d’évaluation, qui témoignent du

    rapport qu’entretient le personnage avec les autres et avec le monde : le regard, le langage,

    le travail et l’éthique. Ces derniers mettent en œuvre quatre types de savoir, le savoir-voir,

    le savoir-dire, le savoir-faire et le savoir-vivre.5

    1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 15. 2 HAMON Philippe, Cf., texte et idéologie, op. cit., pp. 19-22, in poétique des valeurs de JOUVE Vincent. 3 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 19. 4TOURSEL Nadine, VASSEVI7RE Jacques, Littérature : textes théoriques et critiques, éd, Nathan/Sejer, 2004, p.174. 5 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 25.

  • 19

    Le regard peut nous donner des indications importantes sur les valeurs transmises

    au lecteur, il constitue un paramètre inhérent pour le narrateur désireux de faire passer un

    certain nombre de valeurs. Le langage est, lui aussi, l’objet d’une codification très précise

    sur le plan social1, il est fréquemment utilisé par les auteurs comme moyen d’évaluer les

    personnages, il distingue entre ceux qui s’expriment correctement et ceux qui ne

    « métrisent pas le code »2. Le travail est, quand à lui, un objet légitime de l’étude dans la

    mesure où il rattache l’individu à un groupe au sein de la société. On parlera donc de

    plusieurs types de travail qui permettent l’évaluation des personnages : un travail gratifiant

    qui valorise le sujet aux yeux de la société, qu’on oppose a un travail dévalorisant ou

    dépourvu de toute utilité sociale. Ainsi, le travail révèle tout un system de valeurs (le

    désire, l’angoisse, l’amour, le désenchantement….etc.). Enfin, l’éthique, qui est définie

    comme la conduite de l’individu sous l’autorité de telle ou telle valeur, constitue, dans le

    roman, la relation à autrui qui s’évalue par l’acceptation ou le refus d’un code commun.

    Vincent JOUVE atteste que :

    « Le roman propose souvent une ligne de partage entre ceux qui respectent

    la norme sociale et ceux qui ne la respectent pas, entre ceux qui obéissent à

    leur propres valeurs et ceux qui se soumettent à la doxa, entre ceux qui se

    réfèrent et ceux qui connaissent pour seule loi leurs propres désirs »3

    Le personnage constitue donc le lieu d’ancrage fondamental pour l’établissement

    des valeurs. En lisant « l’interdite », nous pouvons constater que Malika MOKKEDDEM a

    opté pour des stratégies d’écriture diverses pour présenter et décrire ses personnages. En

    fait, tout est signifiant chez ses protagonistes, leur regard, leur attitude, leur parole et même

    leur silence « …..Même ton silence est calculé, calibré »4.

    «_ comment faut-il interpréter tes silences ?

    _Comme des réponses. Comme des défenses. Ouvertes ou fermées, selon. » 5

    La romancière a attribué à chacun de ses protagonistes un portrait physique précis,

    un nom, un âge et un métier… pour qu’on puisse les distinguer et les évaluer. Si le travail

    de médecin permet de marquer Sultana, Yacine et Salah positivement dans le roman, celui

    1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 22. 2 Ibid. 3 Ibid., p. 24. 4 MOKEDDEM Malika, l’interdite, Paris, Grasset & Fasquelle, 2015, p. 49. 5 Ibid., p. 47.

  • 20

    de trabendiste dévalorise Ali Marbah et le présente comme une personne qui ne respecte

    pas les lois en faisant du trafic commercial.

    Après avoir vu le processus de l’évaluation qui révèle les domaines dans les quels

    les valeurs d’un texte sont le plus repérable, nous allons nous pencher sur ce que Vincent

    JOUVE appelle les valeurs locales.

    II. Etude des valeurs textuelles

    Ce que Vincent JOUVE appelle « points-valeurs », est défini comme « la

    manifestation des valeurs au nivaux local »1 c’est-à-dire dans l’univers textuel. Ces valeurs

    proposées par le texte sont mises en scène au niveau des personnages qui véhiculent leurs

    visions du monde et leurs systèmes de valeurs propres, indépendamment du narrateur qui

    peut avoir une vision totalement différente. Etant, non seulement très nombreuses dans un

    texte mais aussi différentes, les valeurs locales seront évaluées d’une manière globale afin

    de « fonder un system idéologique du texte et permettre de saisir son « message » »2.

    II.1. La notion de personnage :

    Que toute création romanesque comprend des personnages est une évidence : « La

    situation narrative de base comprend le personnage 3». D’une certaine façon Roland

    Barthes dira qu’il n’existe pas de roman sans personnage : «Comme il ne peut y avoir

    un récit sans narrateur, sans auditeur ou lecteur, on peut bien dire qu’il n’existe pas un

    seul récit au monde sans personnage. […] Il n’y a pas de récit sans personnage.»4.

    Le personnage est, défini comme une construction de l’auteur, à laquelle sont

    attribués des traits appartenant, d’ordinaire à une personne réelle. C’est donc un être de

    fiction anthropomorphe jouant un rôle important dans la création de l’illusion d’un univers

    réel : « Le personnage est […] doté des caractéristiques d’une personne réelle : état civil,

    milieu social déterminé, fonction sociale, traits de caractère. »5

    Jouant un rôle essentiel dans l’organisation et le déroulement de l’histoire, cet être

    de papier (créé dans le cadre de la fiction), a toujours suscité l’intérêt des chercheurs.

    1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p.35. 2 Ibid. 3 Grivel, production de l’intérêt romanesque, p. 111. in, Littérature : textes théoriques et critiques, TOURSEL Nadine, VASSEVI7RE Jacques, Op. Cit., p.174. 4 BARTHES Roland, Introduction à l’analyse structurale des récits, Paris, Seuil, 1966, pp. 7-8. 5 ETRESTEIN Claude, la littérature française de A à Z, Halier, 2006, p. 37.

  • 21

    Beaucoup d’études ont été faites, sur le concept de personnage, d’une volonté de

    s’interroger sur le sens et la valeur de ces figures romanesques.

    L’objet de notre étude porte sur l’analyse des personnages dans l’interdite de

    M.MOKEDDEM, dans le but de comprendre comment véhiculent-ils un système de

    valeurs précis. Ainsi, nous allons nous intéresser primordialement au portrait de ces

    constructions fictionnelles, étudier l’objet de leur quête et analyser leurs paroles et

    comportements afin de montrer comment le texte laisse transparaitre des valeurs à travers

    ses personnages.

    Pour ce faire, nous allons nous appuyer essentiellement sur les travaux de Greimas

    proposant une étude sémiotique des personnages (cruciale pour l’analyse des actions), ainsi

    que sur ceux de Philippe HAMON qui opte plutôt pour une étude sémiologique du

    personnage.

    II.2. Les personnages : modèle sémiologique

    Tâchant de ne pas réduire le personnage à son « faire » (c’est ce que fait la

    sémiotique narrative), l’étude sémiologique qui doit ses lettres de noblesse à Philippe

    HAMON, prend aussi en compte le portrait du personnage. HAMON propose d’étudier le

    personnage en le considérant comme un signe linguistique. Il le définit comme une

    construction mentale que le lecteur établit à partir d’un ensemble de signifiants épars dans

    le texte : l’âge, le sexe, les traits physiques, les conditions sociales, les aptitudes

    intellectuelles…etc., et propose de l’étudier selon trois axes importants à savoir : l’être, le

    faire et l’importance hiérarchique.

    2.1. L’être du personnage : (le degré descriptif)

    L’être du personnage est l’ensemble des caractéristiques qui permettent de définir son

    portrait : le nom, le corps, l’habit, l’âge, la psychologie, la biographie. Selon Ph. Hamon :

    le personnage est définit comme : « le résultat d’un faire passé » ou « un état permettant

    un faire ultérieur ».1

    Ainsi, nous pouvons constater qu’il n’est pas facile de séparer le portrait du

    personnage des autres aspects qui le représentent : ses faits et gestes ainsi que son rapport

    avec la morale.

    1 HAMON Philippe, texte et idéologie, Paris, PUF, 1984, p. 105.

  • 22

    Le nom : est très important dans la construction de l’être du personnage. Il permet

    de l’identifier et de le distinguer des autres. Pour HAMON : « étudier un

    personnage c’est pouvoir le nommer. […] lire c’est pouvoir fixer son attention sur

    et sa mémoire des points stables du texte, les noms propres »1.

    De par son éventuelle portée symbolique, le nom se présente comme un moyen

    d’évaluation efficace qui peut induire des jugements dépréciatifs ou valorisants.

    Le portrait : est la somme des signes qui caractérisent le personnage, il englobe

    quatre domaines privilégiés :

    a. Le corps : désigne l’ensemble des caractéristiques physiques propres au

    personnage. Caractérisant le personnage, il participe automatiquement à

    son évaluation (le présenter positivement ou négativement).

    b. L’habit : renvoie, entre autre, à l’appartenance sociale. Il est choisi en

    fonction du caractère de chaque personnage.

    Citons à titre d’exemple l’habillement d’Ali Marbah (trabendiste-chauffeur

    de taxi) décrit par Sultana :

    « Sa veste est sale et déchirée »2. « …La même veste déchirée sur son dos.

    La même haine qui tord son visage et torture ses tics »3

    Dans cette description, l’état lamentable des habits du personnage renvoie à

    son caractère antipathique et à sa classe sociale (trabendiste-chauffeur de

    taxi)

    c. La psychologie : c’est le lien du personnage au pouvoir, au savoir, au

    vouloir et au devoir qui donne l’illusion d’une « vie intérieure »4

    d. la biographie : ou le portrait biographique est tout ce qui concerne le

    passé du personnage.

    2.2. Le faire du personnage :

    Le faire du personnage désigne l’ensemble des actions menées par le personnage,

    ses fonctions et ses rôles effectifs dans le récit. L’étude des actions s’appuis sur les acquis

    de la sémiotique narrative (le model greimacien).

    1 HAMON Philippe, pour un statut sémiologique du personnage, in poétique, Paris, édition du seuil, 1979, p.128. 2 MOKEDDEM Malika, Op. Cit., p. 19. 3 Ibid., p. 120. 4 JOUVE Vincent, la poétique du roman, paris, Armand Colin, « campus »2001, p.58.

  • 23

    2.3. l’importance hiérarchique :

    Consiste à classifier les personnages en fonction de leur importance dans le récit.

    Ainsi, elle permet de distinguer trois types de personnage :

    Le personnage principal : ou le héros est le personnage qui occupe une place

    essentiel dans l’intrigue, et auquel est consacré le plus long portrait.

    Le personnage secondaire : personnage dont les apparitions sont épisodiques.

    Et qui a un rôle actif dans le récit.

    Le personnage figurant : n’a aucune influence sur le cours de l’histoire.

    Maintenant que nous avons vu comment on peut dresser le portait des personnages,

    nous allons nous attarder sur leurs « dire » et « faire » afin d’en déceler les valeurs

    préconisées par chacun.

    II.3. pensées et paroles du personnage : les valeurs exprimées

    Au niveau local du récit, les différentes valeurs se laissent transparaitre à travers les

    personnages, et plus particulièrement, à travers ce qu’ils pensent, ce qu’ils disent et ce

    qu’ils font (la pensée, la parole et les actions sont des vecteurs de valeurs). Cependant, nul

    récit, vu sa nature verbale, ne peut représenter les pensées de ses personnages autrement

    que par les mots. A ce sujet G. GENETTE note que :

    « Le récit ramène toujours les pensées soit à des discours, soit à des

    événements ; il ne fait pas place à un troisième terme, et […] ce

    manque de nuances […] tient à sa propre nature verbale »1

    L’analyse de la pensée et de la parole peut nous renseigner sur la vision individuelle

    et les valeurs défendues par les protagonistes du récit. Certes, Toute prise de parole révèle

    un certain nombre de choix, qui témoignent à leur tour des préférences des personnages, de

    leur idéologie et de leurs valeurs. C’est donc dire que l’étude de ce que pensent ou disent

    les personnages est aussi importante que celle de ce qu’ils font. Cette analyse de ce que

    Vincent JOUVE appelle « l’effet-sujet »2 du discours présuppose une étude sur trois

    plans différents: le plan sémantique, syntaxique et pragmatique.

    II.3.1.Le plan sémantique

    1 G. Genette, Nouveau Discours du récit, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1983, p. 2 JOUVE Vincent, la poétique du roman, Op. Cit., p.74.

  • 24

    Sur le plan sémantique, le personnage exprime ses valeurs à travers le processus de

    la sélection. Autrement dit, le choix des thèmes, du registre de langue, des expressions

    évaluatives (entre autre) témoigne de préoccupation et donc des valeurs. Cette sélection est

    purement subjective.

    En tant que réalisation individuelle, l’énonciation se définit, par rapport à la langue,

    comme un procès d’appropriation (la mise en fonctionnement de la langue par un acte

    individuel). La subjectivité dont on parle ici apparaît dans la capacité du locuteur, usant du

    réservoir de la langue, à choisir un lexique bien définit et à le hiérarchiser pour construire

    son énoncé et faire passer son message. Selon Vincent JOUVE :

    « La subjectivité d’un discours transparait d’abord dans ce qu’il choisit de

    dire, autrement dit dans son contenu qui témoigne de centres d’intérêt et des

    préoccupation qui ne sont jamais neutres. »1.

    Ainsi, l’étude du contenu des propos des locuteurs paraît légitime, dans la mesure

    où elle révèle les valeurs défendues par chaque personnage.

    Le choix des thèmes qui témoigne et permet le repérage de la dimension subjective

    du discours, peut, en outre, rendre comte des préférences et de l’idéologie du locuteur, et

    donc de conduire à des univers de valeurs : « Choisir de parler de tel sujet plutôt que

    de tel autre témoigne de préférences qui, nécessairement, renvoient à des valeurs »2.

    Le registre de langue relève également de la sélection et donc de la subjectivité du

    personnage : « la dimension subjective se repère, également dans le choix des thèmes, le

    registre de langue, les images et les expressions évaluatives.»3. Le choix du registre

    renseigne sur les personnages, leur relation à autrui et sur les valeurs véhiculées par

    chacun. En fait, chaque registre confère à la personne qui l’empreinte une caractéristique

    particulière, Vincent JOUVE affirme que :

    1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., p.37. 2 Ibid. 3 Ibid.

  • 25

    « En choisissant de s’exprimer au niveau argotique, populaire, familier,

    médian, soutenu ou oratoire, un personnage nous renseigne sur la nature de

    son rapport au monde et aux autres. »1

    Opter, par exemple, pour un niveau plutôt « soutenu » indique le statut intellectuel

    du personnage. Le registre familier a, quand à lui, plusieurs significations, il renseigne sur

    le statut du personnage et sur sa relation avec les autres. Le choix du registre engendre

    forcément un choix du lexique, dévoilant, là encore, une vision du monde et les valeurs qui

    la fondent.

    II.3.2. Le plan syntaxique

    L’analyse syntaxique consiste à étudier la façon dont le locuteur use pour structurer

    son discours. Si on a parlé de « sélection » (révélant les préférences) au niveau sémantique,

    on parlera, ici, de la « combinaison » des propos, qui peut nous renseigner sur la visée et

    l’intention des protagonistes du récit. Chaque personnage construit son discours en

    fonction d’un effet recherché. Le but de l’analyse syntaxique est d’exposer cet effet ainsi

    que l’intention des personnages en s’interrogeant sur les diverses façons dont ils usent pour

    organiser leurs discours. Selon V.JOUVE, deux modes d’organisation de discours se

    mettent en exergue à savoir : la micro-organisation (concernant l’enchainement juxtaposé

    ou logique des propos des personnages) et la macro-organisation qui structure l’ensemble

    du discours.2

    1. La micro-organisation s’inscrit entre deux modes de construction de discours

    opposées, il s’agit de :

    a. La parataxe : désigne une juxtaposition de propositions sans hiérarchisation ni

    relation explicite (aucun mot de liaison n’est matérialisé entre les éléments). Témoignant

    de la spontanéité du discours, cet aspect décousu de l’écriture, dénote non seulement une

    autorité des émotions mais aussi une vision du monde éclatée, plutôt affective que

    rationnelle. A vrai dire, Ce passage, sans transition, d’une idée à l’autre n’indique en rien

    le sens qui relie les différentes propositions, c’est au lecteur de construire ce sens à partir

    des éléments que propose l’auteur avec une pseudo-objectivité :

    1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., pp. 39-40. 2 Ibid., p.52.

  • 26

    « Ce mode d’écriture produit un effet analogue à celui que donne la

    technique pointilliste en peinture […], comme pour indiquer que le peintre

    n’a pas épuisé son sujet et que le lecteur peut étendre la matière »1

    Ce type d’écriture fragmenté, (ou la relation entre les éléments se laisse appréhender par le

    lecteur) propose une valeur connotative et démontre ainsi le pouvoir implicite de telles

    phrases.

    b. L’Hypotaxe : par contre, est une figure de construction qui marque l’abondance

    des liens de subordination dans une même phrase ou dans plusieurs phrases consécutives.2

    Montrant une ordonnance logique des idées, elle désigne une articulation logique du

    discours, et construit, sous la direction d’une logique et d’une argumentation, une vision du

    monde cohérente et rationnelle. Selon ce style d’écriture, la parole du personnage est mise

    à la disposition du lecteur comme un ensemble cohérent et orienté.

    2. La macro-organisation s’intéresse, quand à elle, à la structure qui régit

    l’ensemble du discours. Le discours s’organise à partir de deux types de modèle à savoir :

    le modèle narratif qui constitue un agencement cohérant des faits et des actions. Ou

    argumentatif (se fondant sur le raisonnement et la logique des arguments, ce model incarne

    une intention, celle d’appeler la réflexion du lecteur).

    II.3.3. Le plan pragmatique

    A coté de l’analyse sémantique qui, rappelons le, concerne ce dont on parle et

    l’étude syntaxique qui traite les relations entre les propositions, s’ajoute la dimension

    pragmatique qui s’affirme cruciale dans l’appréhension du langage.

    Envisageant le langage comme un phénomène discursif, l’analyse pragmatique se

    concentre sur la stratégie que le locuteur empreinte, en fonction de son allocutaire, afin de

    le persuader. Autrement dit, c’est à travers le choix de son destinataire, que le sujet révèle

    ses valeurs et met en place ses stratégies. De sa part, Vincent JOUVE, précise que la figure

    de l’allocutaire pourrait paraitre selon différents aspects : soit le personnage s’adresse à un

    autre (cela peut être un autre personnage, ou dieu dans le cas de JJ.ROUSSEAU dans son

    1 FROMILHAGUE Catherine, SANCIER-CHATEAU Anne, Introduction à l’analyse stylistique, Paris, Armand Colin, 2013, pp. 175-176. 2 www.etude-litteraires.com (consulté le 08/02/2018)

  • 27

    autobiographie « les confessions »,…..etc.), soit il s’adresse à lui-même. Dans les deux cas

    le choix du destinataire donne une idée assez précise de l’univers intérieur du personnage :

    « Si, d’une façon générale, la figure du destinataire est facile à identifier

    dans un dialogue ou un débat, l’étude de l’allocutaire se révèle

    particulièrement intéressante à mener dans les monologues ou les discours

    intérieurs. D’une part, il est révélateur lorsque le personnage s’adresse à

    lui-même, de savoir comment il se perçoit ; d’autre part, il apparaît souvent

    qu’au-delà de lui-même, il vise un autre destinataire (Dieu, la Moral,

    l’Idéal, la Transcendance, etc. »1

    Maintenant que nous avons vu l’importance de l’allocutaire, nous allons nous pencher

    sur la stratégie adoptée par le locuteur à son égard. Dans ce cadre, la rhétorique

    traditionnelle a mis à notre disposition trois concepts de persuasion : le logos, le pathos et

    l’éthos.

    Le logos : désigne la persuasion par le raisonnement logique. Il s’agit d’une

    argumentation fondée sur la logique qui vise la raison du destinataire, assurant la

    clarté de l’énoncé.

    Le pathos : faisant appel aux émotions, ce mode vise à persuader le destinataire en

    sollicitant la sympathie et en jouant sur l’émotif. Pour s’y faire, il exige un

    allocutaire qui s’émeut aisément « le pathos valorise l’affectivité et suppose un

    destinataire sensible et émotif.»2

    L’éthos : consiste à faire bonne impression et à donner une image de soi capable de

    convaincre. C’est grâce à l’éthos du locuteur que son discours se transmet plus

    facilement. « on croit ainsi d’autant plus facilement à un discours qu’on a

    confiance en celui qui le tient »3.

    En fait, Chaque personnage tâchant de gagner la confiance de son interlocuteur, fait

    recours à un discours aussi stratégique qu’idéologique ainsi il révèle une partie bien précise

    de son univers de croyances.

    Après avoir vu comment la parole et la pensée laissent transparaitre les valeurs que

    véhiculent les personnages, nous nous intéresserons désormais aux actions.

    1 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p. 59. 2 Ibid., p. 62. 3 Ibid., p. 64.

  • 28

    II.4. les personnages selon le modèle sémiotique : Les valeurs manifestées

    Selon le modèle sémiotique « le personnage est étudié à travers son « faire »,

    comme un acteur remplissant une fonction et suivant un programme narratif »1. En fait, la

    notion de personnage, en sémiotique narrative, n’existe pas. On propose plutôt trois

    concepts importants (remplaçant la notion de personnage) :

    L’acteur : ou l’exécutant, est défini comme l’instance qui assume les rôles

    et accomplie les actions indispensables au récit.

    L’actant : (ou rôle actantiel) est quand à lui, défini comme le rôle pris en

    charge par l’acteur.

    Le rôle thématique : il renvoie au sens et aux valeurs que véhiculent les

    personnages afin de les identifier.

    En s’appuyant essentiellement sur les travaux d’A.J.Greimas qui se fondent sur

    l’analyse sémiotique des personnages, Vincent JOUVE précise que « le faire » du

    personnage constitue un élément révélateur qui laisse transparaître les valeurs. Selon

    Greimas, la valeur se définit comme le critère qui détermine le choix de l’objet et anime la

    conduite du personnage, il démontre :

    « Qu’est ce qui fait courir ces sujets après les objets ? C’est que les

    valeurs investies dans les objets sont « désirables » ; qu’est-ce qui fait

    que certains sujet sont plus désireux, plus capable d’obtenir des objets de

    valeur que d’autres ? C’est qu’il sont plus « compétents » que

    d’autres.»2

    Ainsi, à la lumière de ce qui vient d’être dit, c’est par ce qu’il choisit comme objet

    que le personnage affiche ses valeurs. En effet, choisir tel ou tel objet pourrait nous

    dévoiler les centres d’intérêts et les préférences de chaque personnage, ainsi nous pourrons

    distinguer entre, par exemple, personnages intéressés et désintéressés, mystiques et

    matérialistes, altruiste et égoïste etc.3

    Etudier les valeurs qui se manifestent au niveau des actions, nécessite

    primordialement une mise en exergue du parcours narratif de chacun des personnages et du

    1 JOUVE Vincent, la poétique du roman, Op. Cit., p. 45. 2 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p. 66. 3 Ibid., p. 67.

  • 29

    « programme narratif » (PN) qui l’organise. Ce dernier permet d’appréhender la logique

    qui se cache derrière les comportements des acteurs. Le PN est selon Greimas une

    séquence qui se compose de quatre phases importantes : manipulation, compétence,

    performance, et sanction.

    II.4.1. La manipulation

    La manipulation, selon V.JOUVE, est définit comme l’action d’un destinateur sur

    le sujet de la quête visant à lui faire exécuter un programme donné. Elle est donc la phase

    ou sont fixées les valeurs.1 S’interroger sur la manipulation, permet de nous renseigner sur

    les éléments qui motivent le personnage, et sur ce qui le fait agir. Pour tenir compte de ces

    éléments, il faut donc relever dans le texte tous les indices qui renvoient au vouloir et au

    devoir (des protagonistes du récit) que V.JOUVE trouve plus légitime de les placer au

    niveau de l’analyse de la manipulation :

    « Je suis ici les propositions de L. Korthals-Altes qui, s’écartant de

    l’orthodoxie greimasienne, place vouloir et devoir dans l’analyse de la

    manipulation et non dans celle de la compétence, ces deux modalités se

    rapportant, de façon évidente, à « l’instauration du sujet ». »2

    Vincent JOUVE explique que le vouloir et le devoir sont d’une très grande

    importance dans l’analyse de la manipulation :

    « Le vouloir renseigne sur le désir du sujet, le devoir sur les principes ou

    obligation qui pèsent sur lui_ autant d’éléments qui éclairent de façon

    décisive le sens de la quête entreprise »3

    Ainsi, nous pouvons dire que le vouloir fait référence au désir qui pousse le sujet

    vers l’objet. Alors que le devoir renseigne sur ce qui est imposé de l’extérieur. « Aux sujets

    n’obéissant qu’à leurs propres lois s’opposent ainsi les sujets obéissant à des normes

    extérieures »4

    Outre, l’analyse de la manipulation prête une attention primordiale au destinateur ;

    on se pose des questions sur l’instance qui décide du vouloir et du devoir de chaque

    1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., p. 67. 2 Ibid., note 3. 3 Ibid., p.68. 4 Ibid.

  • 30

    protagoniste. Ainsi, en partant de la distinction vouloir/ devoir, on arrive à distinguer deux

    types de destinateur à savoir : le destinateur interne (motivation intérieur au sujet relevant

    du désir) et le destinateur externe (les autres personnages qui influencent le sujet)1.

    Quand aux personnages, dans son ouvrage Récit et actions, Bertrand GERVAIS,

    précise qu’ils se présentent comme les représentants de l’action. Il propose l’appellation

    d’agent au lieu de celle de personnage et dresse pour chaque personnage ce qu’il appelle

    un « portrait intentionnel » qui comprend six éléments : agent, action, motif (le but de

    l’action), mobile (les raisons qui font agir), statut (la fonction de l’agent) et rôle (les

    actions liées au statut), dont Les quatre derniers sont particulièrement des déterminants des

    valeurs. Alors que la distinction motif /mobile permet de distinguer entre valeurs

    intrinsèques et valeurs extrinsèques2, celle de statut et rôle permet de faire un lien entre les

    valeurs défendues par les personnages et la place qu’ils occupent dans la société.3

    II.4.2. La compétence et la performance

    La compétence est définit selon JOUVE comme La phase d’acquisition par le sujet

    du /pouvoir-faire/ et du /savoir-faire/ nécessaires à l’action4. En l’analysant par rapport à la

    performance (réalisation concrète du pouvoir et du savoir), elle permet de juger de la

    valeur des acteurs. V.JOUVE témoigne qu’il existe deux types de personnages : ceux qui

    savent faire et qu’il qualifie de positifs, et ceux dits incompétents et qui sont perçues

    comme des contre-modèles5.

    La performance (accomplissement de l’action) quand à elle, renvoie aux actes et

    comportements des personnages : le regard, le travail, le langage et les relations sociales.

    (Expliqués plus haut)

    II.4.3. La sanction

    La sanction constitue, en somme, la phase finale ou s’évaluent les actions, ainsi elle

    se révèle une étape inhérente pour la manifestation des valeurs. Selon V.JOUVE :

    « La sanction permet de comparer les valeurs réalisées avec celles définies

    lors de la manipulation, de voir comment et par qui est jugée l’action

    1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., p.69. 2 Ibid., p. 72. 3 Ibid., p.74. 4 Ibid., p.76. 5 Ibid.

  • 31

    du sujet-opérateur. Son rôle essentiel est cependant de mettre en évidence la

    valeur du PN : était-il ou non judicieux ? Ses résultats sont-ils

    convaincants?»1

    La sanction, permet donc d’établir une comparaison entre les valeurs fixées par

    les destinateurs (la manipulation) et celles qui ont été réellement réalisées au niveau de la

    performance. Ainsi, le parcours des personnages à la fin du roman peut être couronné par

    l’échec (quand la performance du personnage le trahi) ou par la réussite (quand à la fin, le

    personnage atteint ses buts). Cependant, l’échec ne représente pas forcément un aspect

    négatif ; un acteur compétent peut échouer à la fin de son parcours (sa quête) tout en

    laissant une bonne impression de lui. V.JOUVE montre que :

    « La réussite du héros n’est cependant pas indispensable ; il peut

    échouer tout en ayant raison (par ce que le monde est mal fait, par

    exemple). Les figures héroïques de l’échec sont légion dans la

    littérature. […] L’échec ponctuel n’est pas nécessairement le signe d’une

    défaite absolue ; mais il est parfois la condition d’une victoire future »2

    Voici un schéma3 récapitulatif représentant le programme narratif selon

    Greimas :

    1 2

    Manipulation Compétence

    Programme narratif

    3 4

    Performance Sanction

    1JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., p. 83. 2 Ibid., p.86. 3 JOUVE Vincent, la poétique du roman, Op. Cit., p. 55.

    Transmission du vouloir-faire et du devoir-faire à l’origine de l’action

    Acquisition du pouvoir-faire et du savoir-faire nécessaires à l’action

    Accomplissement

    de l’action Clôture de l’action :

    évaluation et interprétation

  • 32

    En fait, le faire des personnages est étroitement lié à l’être. Si dans l’interdite, le

    lecteur peut prévoir le faire de ces entités fictionnelles, c’est essentiellement à travers le

    passé, le psychique, les monologues intérieurs ou les discours que ces derniers font entre

    eux. Le choix de Sultana de sacrifier son bonheur individuel et de venir en aide à toutes ces

    femmes algériennes méprisées (bien qu’elle vive en France) s’explique par son passé

    douloureux (son portrait biographique : son enfance) et son désir de se venger de ces

    mêmes hommes intégristes qui ont été à l’origine de son malheur.

    III. l’idéologie du texte : la valeur des valeurs

    D’après Philippe Hamon, l’idéologie est cette mise en texte inconsciente d’un

    system de croyances, de pensés et de valeurs. « L’idéologie est […] ce qui imprègne le

    texte à son insu »1. S’interroger sur l’intention de l’auteur qui se cache à l’insu de l’œuvre

    exige, de la part du lecteur, un travail d’identification et de hiérarchisation des valeurs dont

    le récit se réclame.

    En effet, tout texte fait état de systèmes de valeurs indépendants, différents voire

    contradictoires. Pour repérer l’idéologie d’un texte, il est donc primordial d’étudier les

    systèmes axiologiques mis en place et d’examiner comment sont organisées les valeurs

    locales :

    « Ce n’est, en effet, que dans la mesure où elles font système, où elles

    s’organisent selon une échelle ou une hiérarchie, que les valeurs renvoient

    à une idéologie. le local ne prend sens que par rapport au global : force

    est d’en tenir compte pour mettre au jour la position idéologique qui,

    in fine, se dégage du texte »2

    Ainsi nous pouvons dire que l’organisation des valeurs peut nous révéler l’intention

    ainsi que l’idéologie qui se dissimulent derrière l’œuvre. Cependant, Il serait crucial de

    s’interroger sur l’instance responsable de cette organisation et qui met en scène les

    différents jugements permettant la lecture et le repérage de l’idéologie. Autrement dit,

    l’autorité qui prend en charge le récit et décide de la valeur des valeurs.

    1 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p.11. 2 Ibid., p.89.

  • 33

    IV. l’autorité du texte

    Aborder la question de l’autorité narrative, c’est tenter de répondre à la question

    « qui raconte ? ». A priori, l’autorité du texte est l’instance qui organise l’information

    narrative au sein du texte, autrement dit celui qui raconte l’histoire : le narrateur. Cette

    autorité renvoie à ce qu’on appelle théoriquement « l’auteur impliqué », expression que

    G.GENETTE trouve, pour reprendre les mêmes termes que JOUVE, inutilement

    encombrante (futile); Il estime que cette instance peut designer l’auteur lui-même, ou bien

    le narrateur. Cependant, Si le narrateur est généralement considéré comme l’instance qui

    régit le récit, on pourrait remarquer qu’il existe bien des cas où le narrateur est lui-même

    soumis à une autorité textuelle supérieure, V.JOUVE distingue deux cas à savoir : les récits

    racontés à la première personne (où le narrateur devient un personnage et donc suppose

    une instance supérieure qui l’évalue), et ceux racontés à la troisième personne où le

    narrateur est peu fiable (narrateur naïf comme celui de Candide). L’auteur impliqué (ou

    implicite) est ainsi défini par W. BOOTH :

    « Même un roman dans le quel aucun narrateur n’est représenté

    suggère l’image implicite d’un auteur caché dans les coulisses, en qualité

    de metteur en scène, de montreur de marionnettes. […] cet auteur implicite

    est toujours différent de « l’homme réel »_ quoi que l’on imagine de lui_ et

    il crée, en même temps que son œuvre, une version supérieure de lui-

    même »1

    Pour JOUVE la notion d’autorité représente la « figure responsable de l’ensemble

    du texte »2 et donc, la voix qui fait autorité, peut importe qu’elle soit le fait du narrateur ou

    de l’auteur « impliqué » :

    « L’important est qu’il y a dans tout texte, coiffant les autres, une voix qui

    fait autorité. Cette voix est, selon les cas, celle du narrateur ou celle de

    l’auteur impliqué, mais c’est par rapport à elle que fonctionne l’ensemble

    du système. »3

    1 W.C.BOOTH, Distance et point de vue, op. cit., pp.92-93.disponible sur le site https://books.google.dz/books?isbn=2870374674 (consulté le 20/02/2018). 2 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p. 90. 3 Ibid., p. 91.

  • 34

    Dans son ouvrage, le roman à thèse, Susan SULEIMAN montre comment le

    narrateur représente l’idéologie du texte (voix responsable de l’idiologie du texte). Elle

    explique:

    « Dans la mesure où le narrateur se pose comme source de l’histoire qu’il

    raconte, il fait figure non seulement d’ « auteur » mais aussi d’autorité.

    Puisque c’est sa voix qui nous informe des actions des personnages et des

    circonstances où celle-ci ont lieu, […] il en résulte un effet de glissement

    qui fait que nous acceptons comme « vrais » non seulement ce que le

    narrateur nous dit […], mais aussi tout ce qu’il énonce comme jugement et

    comme interprétation. Le narrateur devient ainsi non seulement source de

    l’histoire mais aussi interprète ultime du sens de celle-ci. »1

    Outre son rôle narratif, le narrateur peut assumer plusieurs fonctions pour

    s’exprimer. Ces fonctions exposent le degré d’intervention (implication) du narrateur dans

    son récit, autrement dit, le narrateur peut juger, organiser son texte ou cautionner les

    univers axiologiques des personnages, par le biais de ce que GENETTE appelle: la

    fonction idéologique, la fonction de régie et la fonction évaluative.

    IV.1. la fonction idéologique :

    La fonction idéologique se laisse voir quand le narrateur interrompt son histoire

    pour émettre des jugements sur la société ou les hommes à partir d’un savoir général

    dépassant le cadre du récit. A la lecture du récit, le lecteur remarque des jugements

    explicites souvent sous forme de maximes intemporelles. Ces maximes se signalent par le

    recours au présent gnomique, et sert à rendre compte de la vision du monde et des valeurs

    défendues par le narrateur. Selon Vincent JOUVE, elles représentent des vérités générales

    valables au-delà de l’univers textuel2, relevant de ce que BARTHES appelle « les codes de

    référence » :

    « Par ces jugements au présent, dont la porté dépasse le cadre du récit, le

    narrateur indique sans ambiguïté sa vision des choses »3

    1 SULEIMAN Susan, le roman à thèse, Op. Cit., p.90., in poétique des valeurs de Vincent JOUVE, p.92. 2 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p. 93. 3 Ibid.

  • 35

    En lisant l’interdite, le lecteur remarque que le narrateur mokeddemien a un goût

    particulier pour la fonction idéologique. Il s’amuse à interrompre son histoire en portant

    des jugements sur tel ou tel problème social ou sur tel ou tel aspect psychologique, à fin de

    faire part à son lecteur de son point de vue. Voici un passage où la narratrice témoigne de

    l’actualité tragique de l’Algérie :

    « […] L’Algérie archaïque avec son mensonge de modernité éventé ;

    l’Algérie hypocrite qui ne dupe plus personne, qui voudrait se construire

    une vertu de façade en faisant endosser toutes ses bévues, toutes ses erreurs

    à une hypothétique « main de l’étranger » ; l’Algérie de l’absurde, ses auto-

    mutilations et sa schizophrénie ; l’Algérie qui chaque jour se suicide […] »1

    A coté des jugements, le recours à des expressions indirectes du genre

    « connaissant… », « Il comprit que » (ex : il comprit que l’habit ne faisait pas le moine),

    peut également être aussi efficace que les maximes pour faire des affirmations qui les

    suivent et que le narrateur exprime, des évidences. O.DUCROT atteste que :

    « Ce que le locuteur fait semblant de supposer, c’est que l’auditeur, même

    s’il les ignore auparavant, acceptera d’emblée les présupposés, qu’il ne les

    mettra pas en question, qu’il les admettra sans contestation »2

    IV.2. la fonction de régie

    Aussi importante que la première, elle désigne la façon dont le narrateur organise

    son récrit. Cherchant la recevabilité de son message, le narrateur fait recours à ce qu’on

    appelle la redondance, répétition et insistance qui sont en mesure d’assurer la

    compréhension du récit « Plus une information est répétée, plus elle a de chances d’être

    reçue »3. Ainsi, la redondance est perçue comme un élément efficace dans la perception et

    la lisibilité de l’énoncé. Cependant, Susan SULEIMAN, partant du constat que chaque

    texte comprend une histoire et un récit, a mis en évidence trois types de redondances : au

    niveau de l’histoire, au niveau du récit et entre le niveau de l’histoire et le niveau du récit.

    1 MOKEDDEM Malika, l’interdite, Op. Cit., p. 81. 2 Cité par S.SULEIMAN, in le roman à thèse, Op. Cit., p. 94. in poétique des valeurs de Vincent Jouve, p. 94. 3 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p. 95.

  • 36

    Pour plus de clarté, nous tenons à présenter ce schéma1 qui présente les matériaux

    fondamentaux du texte narratif, permettant de déceler les niveaux et les modes de

    redondance :

    Texte Narratif

    Niveau de l’histoire Niveau du récit

    Personnages/ contexte/ événement Narrateur

    Voix/ focalisation/ temps

    Au niveau de l’histoire, la redondance qui se manifeste au niveau du contexte peut

    nous donner une idée assez précise sur les personnages, sur leur perception des choses et

    sur leur centre d’intérêt (le lieu est une caractérisation indirecte du personnage). Il est à

    noter aussi que le même contexte produit les mêmes évènements2, dans le roman Madame

    Bovary (par exemple), on peut constater que les jours qui se répètent de manière identique

    de la vie de province engendrent le même ennui et la même routine. De ce constat, nous

    pouvons dire que la redondance manifestée au niveau de l’histoire contribue à la mise en

    évidence d’un message précis. Quand à la redondance des jugements et des commentaires

    émis par le narrateur (redondance entre le niveau de l’histoire et le niveau du récit) sur les

    principaux constituants de l’histoire (personnage, contexte, évènement), elle permet de

    dégager un certain nombre de valeurs véhiculées par les personnages ou cautionnées par le

    narrateur. JOUVE, en s’appuyant sur les travaux de S.SULEIMAN atteste que :

    « Le degré de redondance est fonction du nombre de fois qu’une

    interprétation est énoncée, du nombre de voix différentes qui l’énoncent et

    du nombre des niveaux entre lesquels jouent les redondances. Pour dégager

    la hiérarchie des valeurs proposées par le récit, on doit donc examiner

    1Version simplifiée, de celui de S.SULEIMAN dans le roman à thèse, op. cit., p.194, par Vincent JOUVE. in Poétique des valeurs, Op. Cit., p.95. 2 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, op. cit., p. 96.

  • 37

    combien de fois une interprétation est énoncée, qui l’énonce et si

    l’énonciation se situe au niveau des personnages ou à celui du narrateur. »1

    De ces quelques ligne, il découle que la récurrence est un instrument

    particulièrement efficace dans le repérage et l’appréhension des valeurs. Ainsi, l’univers

    axiologique du narrateur transparaît dans les redondances qu’il met en œuvre.

    IV.3. la fonction modalisante

    La fonction modalisante dite aussi évaluative renseigne sur la façon dont le

    narrateur appréhende son récit. Elle manifeste les jugements que le narrateur porte sur les

    personnages qui se présentent comme des vecteurs de valeurs. Durant la lecture, nous

    pouvons remarquer que le statut des personnages, qu’il soit positif ou négatif, peut être

    modifié au cours de l’histoire. Autrement dit, si un personnage peut apparaître, au début de

    l’histoire, comme une figure positive, il peut par la suite renvoyer à des comportements

    plutôt passifs ou négatifs et vice versa.

    Cette fonction consiste à prêter une attention particulière au personnage en le

    considérant comme porte-parole de l’autorité textuelle. Cependant, ce ne sont pas tous les

    personnages qui peuvent assurer la fonction de porte-parole, Susan SULEIMAN note

    que :

    « Certains personnages « ont toujours raison »_ leurs commentaires

    (prévisions, analyses, jugement) sont toujours confirmés par les

    évènements. Un tel personnage fonctionne comme interprète véridique,

    voire comme porte-parole des valeurs de l’œuvre. Une fois qu’un tel

    personnage est constitué tous ses commentaires tendront à fonctionner

    comme des commentaires « autorisé » »2

    Ainsi, seuls, certains personnages peuvent fonctionner comme des porte-parole de

    par leur raisonnement toujours approuvé par le narrateur et confirmé par les événements.

    Précisons d’emblée, que chaque narrateur, en présentant ses personnages, émet des

    jugements évaluatifs, soit pour mettre en valeur tel ou tel personnage, soit pour le

    dévaloriser et en faire un contre-modèle. Pour s’y prendre, le narrateur fait appel à certains

    1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., note 1, p.101. 2 S.SULEIMAN, le roman à thèse, Op. Cit. , pp. 201-202. in poétique des valeurs de Vincent JOUVE, Op. Cit., p.106.

  • 38

    nombre de méthodes permettant l’évaluation du regard que porte le texte sur les

    personnages. Vincent JOUVE met en relief quatre procédures :

    D’abord, L’évaluation explicite ou les jugements que le narrateur émet directement

    sur ses personnages « être exceptionnel » ou « parfaite crapule »1, sont d’une très grande

    importance, ils permettent de gratifier ou de pénaliser le personnage qui les reçoit.

    Ensuite, Le portrait du personnage, également très important, permet de présenter le

    personnage d’une façon qui peut être positive comme négative (l’importance du corps et de

    l’habit). En fait, le nom d’un acteur peut induire une multitude d’interprétation. Quand aux

    modes de représentation du personnage, procédé aussi crucial que les deux précédents, il

    met en relief la distance (la façon dont le narrateur rapporte parole et pensées)2 ainsi que la

    focalisation. En fin, la mise en texte du personnage, elle permet de comparer la

    perspective du narrateur et celle des personnages et voir s’il y a convergence entre leurs

    points de vue.

    1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., p.107. 2 Ibid.

  • 39

    La deuxième partie :

    l’analyse du roman

  • 40

    Après avoir exposé dans la partie précédente les outils théoriques sur lesquels nous

    nous appuierons afin d’analyser les univers axiologiques qui affleurent dans le corpus que

    nous avons choisi, nous voilà parvenu à l’étape suivante de notre travail de recherche. Il

    s’agit de la deuxième partie, au cours de la quelle nous tacherons d’identifier les valeurs

    manifestées par les personnages mais surtout par la suite comprendre leur organisation

    dans le texte afin de déterminer la vision privilégiée par ce dernier.

    A la lecture de « l’interdite », on est confronté à des systèmes de pensée

    indépendants, différents, voire contradictoires. Il serait donc crucial de dresser le portrait

    de chacun des personnages de l’œuvre et d’étudier l’objectif de leur quête afin de rendre

    compte des valeurs essentielles à la construction de l’effet-idéologie.

    I. Le portrait sémiologique des personnages

    Les personnages constituent le lieu d’encrage des valeurs. En essayant de

    transmettre ses valeurs ou même une vision du monde, l’auteur crée l’illusion d’un univers

    qui fonctionne comme le notre, en faisant des personnages des êtres anthropomorphes

    dotés de caractéristiques d’une personne réelle (un nom, un portrait physique, un

    psychologique, ainsi qu’un biographique).

    Constituant l’ensemble des diverses caractéristiques qu’un auteur peut prêter à cette

    construction fictionnelle, l’être du personnage se veut un vecteur essentiel du rapport du

    personnage au monde et aux autres. Ainsi il permet de médiatiser des valeurs.

    Les personnages principaux de l’interdite de Malika MOKEDDEM sont dotés d’un

    ensemble de caractéristiques qui permettent une construction plus ou moins précise de

    leurs portraits.

    I.1. Sultana : la quête de la liberté

    Dans l’interdite, Sultana MEDJAHED qui remplis la fonction de l’héroïne-

    narratrice, est présentée par plusieurs traits qui permettent sa distinction. Son nom

    « Sultana », qui signifie reine et qui renvoie au nom propre de la romancière (Malika

    signifie Reine), appelle plusieurs remarques : il a un effet réaliste ; un nom d’usage arabe,

    et signale un individu fort, auguste, courageux et digne de vénération. Quand à

    « MEDJAHED » qui évoque le mot « moudjahid » renvoie aux individus combattants et

    résistants qui luttent pour une cause. (Pour ce qui est de l’affaire de Sultana, elle lutte pour

  • 41

    l’indépendance des femmes algériennes). Le nom de Sultana MDJEHED permet de

    marquer cette protagoniste positivement dans le texte.

    Sur le plan physique, Sultana est, comme la décrit Vincent, une belle brune, mince

    et aux cheveux bruns et frisés. Son portrait la rattache à la beauté orientale et à tout ce qui

    est positif dans le roman (la beauté, l’estime de soi, l’insoumission) :

    « Elle, elle est la seule femme. Mince, teint chocolat, cheveux café et frisés

    comme ceux de Dalila, avec dans les yeux un mystère ardant.»1

    Sur le plan vestimentaire, Sultana se trouve avec deux styles vestimentaires

    différents ; l’un lié à sa profession : une blouse blanche qui cache sa silhouette et qui se

    combine parfaitement avec son métier de médecin :

    « … Elle, noyée dans une blouse trop grande. Elle, engoncée par un énorme

    col rêche. Les épaules de la blouse lui tombent à mi- bras. Elle en a roulé

    les manches au-dessus des coudes. Elle avec le même tourment dans les

    yeux.»2

    L’autre, lié à son quotidien. Il est choisi en fonction de son caractère et de son

    humeur :

    « Ce matin, je ne suis d’humeur à m’abandonner ni à la mélancolie, ni à

    l’inquiétude. […] je prends une douche, porte un soin particulier à me faire

    une beauté. […] mais par-dessus tout, c’est cette lueur retrouvée par mes

    yeux, quelque chose entre insolence et défi qui m’éclaire et qui m’égaie, ce

    matin. […] je choisis une robe orange dont j’aime la gaieté. »3

    Les habits de Sultana font d’elle une femme esthète et élégante. Ne pas porter de

    voile intégral fait d’elle une femme non seulement révoltée mais aussi dangereuse pour les

    habitant de son village qui imposent aux femmes le voile :

    «Elle porte une robe d’un bleu pervenche. Une longue écharpe blanche

    flotte le long de son corps. Elle a un grand sac blanc et des chaussures de

    1 MOKEDDEM Malika, l’interdite, Paris, Grasset & Fasquelle, 2015, p. 65. 2 Ibid., p. 76.

    3 Ibid., p. 159.

  • 42

    même couleur, qu’elle ôte et tient à la main lorsqu’elle s’attaque aux

    sables. Ses boucles de jais tombent en crinière sur ses épaules »1

    Sultana a vécu une enfance très difficile. C’est une fille qui a grandi dans un monde

    névrosé et hypocrite qui n’éprouve aucune estime pour la femme. Son père Chaâmbi (tribu

    des hauts plateaux) qui était fière d’avoir une fille, a fait d’elle une femme rebelle et

    difficile, aveugle à toutes ces traditions séculaires qui régnaient dans son village (Aïn

    Nekhla) ; elle a eu la chance d’aller à l’école à l’époque où les algériens ne permettaient

    pas à leurs filles de s’instruire. Après la mort de sa mère et de sa petite sœur suite à une

    dispute conjugale (qui a, en fait, été la conséquence du doute aveugle et des réalités

    fondées sur les mensonges parce que la mère de Sultana a refusé d’épouser Bakkar et a

    choisi un étranger), ainsi que le départ de son père, le drame de cette petite a commencé,

    dans son village, elle était l’enfant maudite (on l’accusé d’être à l’origine du drame qu’a

    vécu sa famille) ; les enfants se sauvaient de son approche et les gens la traitaient de

    maudite fille de putain2. Prise en charge par une famille française, elle est partie faire ses

    études à Oran puis exercer le métier de médecin à Montpell