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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2011) 10, 130—136 EXPÉRIENCES PARTAGÉES Les transmissions écrites des psychologues en soins palliatifs : quels enjeux ? Psychologists’ written transmissions in palliative care: Which stakes? Nena Stadelmaier a,1,, Isabelle Lombard a,2 , Mireille Ferreol b,2 a Unité de psychologie clinique, institut Bergonié, centre regional de lutte contre le cancer, 229, cours de l’Argonne, 33076 Bordeaux cedex, France b ACPSY, 56, rue du Bocage, 33200 Bordeaux, France Rec ¸u le 1 er avril 2010 ; accepté le 9 juillet 2010 Disponible sur Internet le 6 septembre 2010 MOTS CLÉS Transmissions écrites ; Pratique des psychologues ; Soins palliatifs Résumé Dans le cadre de l’organisation de l’interdisciplinarité, de la trac ¸abilité des activi- tés, de la mise en place des dossiers patients informatisés, la demande faite aux psychologues de réaliser des transmissions écrites des entretiens psychologiques devient plus pressante. Par ailleurs, on observe une grande diversité des pratiques de transmissions écrites des psy- chologues. Dans le souci de trouver des repères dans le travail clinique, nous nous sommes interrogés sur les enjeux de l’écrit dans la relation au patient, aux équipes et en termes ins- titutionnels ; nous apportons des illustrations de notre pratique. Nous rappelons l’évolution de la pratique des psychologues hospitaliers ainsi que la nécessité en soins palliatifs d’une démarche interdisciplinaire pour pouvoir contenir la crise psychologique du patient en fin de vie. La loi sur l’information des malades rend nécessaire de tenir compte de l’éventuel impact sur le patient et ses proches de la lecture des comptes rendus du psychologue. La référence aux textes permet de se resituer par rapport au cadre d’exercice professionnel, de définir les obligations, la responsabilité engagée et de donner des repères indispensables. Ils sont un support pour aborder des questions pratiques, telles que la nécessité de différencier les docu- ments psychologiques, de réfléchir sur leur accessibilité, de définir les procédures dans nos lieux d’exercice. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Stadelmaier). 1 Photo, psychologue. 2 Psychologue. 1636-6522/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2010.07.002

Les transmissions écrites des psychologues en soins palliatifs : quels enjeux ?

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édecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2011) 10, 130—136

XPÉRIENCES PARTAGÉES

es transmissions écrites des psychologues en soinsalliatifs : quels enjeux ?

sychologists’ written transmissions in palliative care: Which stakes?

Nena Stadelmaiera,1,∗, Isabelle Lombarda,2,Mireille Ferreolb,2

a Unité de psychologie clinique, institut Bergonié, centre regional de lutte contre le cancer,229, cours de l’Argonne, 33076 Bordeaux cedex, Franceb ACPSY, 56, rue du Bocage, 33200 Bordeaux, France

Recu le 1er avril 2010 ; accepté le 9 juillet 2010Disponible sur Internet le 6 septembre 2010

MOTS CLÉSTransmissionsécrites ;Pratique despsychologues ;Soins palliatifs

Résumé Dans le cadre de l’organisation de l’interdisciplinarité, de la tracabilité des activi-tés, de la mise en place des dossiers patients informatisés, la demande faite aux psychologuesde réaliser des transmissions écrites des entretiens psychologiques devient plus pressante.Par ailleurs, on observe une grande diversité des pratiques de transmissions écrites des psy-chologues. Dans le souci de trouver des repères dans le travail clinique, nous nous sommesinterrogés sur les enjeux de l’écrit dans la relation au patient, aux équipes et en termes ins-titutionnels ; nous apportons des illustrations de notre pratique. Nous rappelons l’évolutionde la pratique des psychologues hospitaliers ainsi que la nécessité en soins palliatifs d’unedémarche interdisciplinaire pour pouvoir contenir la crise psychologique du patient en fin devie. La loi sur l’information des malades rend nécessaire de tenir compte de l’éventuel impactsur le patient et ses proches de la lecture des comptes rendus du psychologue. La référenceaux textes permet de se resituer par rapport au cadre d’exercice professionnel, de définirles obligations, la responsabilité engagée et de donner des repères indispensables. Ils sont unsupport pour aborder des questions pratiques, telles que la nécessité de différencier les docu-

ments psychologiques, de réfléchir sur leur accessibilité, de définir les procédures dans nos lieuxd’exercice.

. Tous droits réservés.

© 2010 Elsevier Masson SAS

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (N. Stadelmaier).

1 Photo, psychologue.2 Psychologue.

636-6522/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.medpal.2010.07.002

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Les transmissions écrites des psychologues en soins palliatifs : quels enjeux ? 131

KEYWORDSWritten transmission;Psychologicalpractice;Palliative care

Summary Within the framework of the organization of interdisciplinarity, the traceability ofactivities, and the establishment of electronic patient files, the demand made of psychologiststo make written transmissions of their consultations is becoming more and more pressing. Thereis large disparity between the methods used by psychologists for written transmissions. In theaim of identifying points of reference for clinical work, we consider the stakes involved withwritten reports in terms of the relationship with the patient, teams and in institutional terms,and we offer clinical illustrations. We cover the evolution of hospital psychologists’ practicesand the necessity in palliative care of an interdisciplinary approach to manage the psychologicalcrisis of end-of-life patients. Patient information laws make it necessary to consider the possibleimpact on the patient and his/her family when reading the psychologist’s reports. The referenceto texts allows us to consider the issue in terms of professional practice, to define obligationsand the responsibility associated and therefore to provide necessary points of reference. Theyare a resource for approaching practical questions, such as the necessity of differentiatingpsychological documents, of considering their access and of defining procedures in our placesof practice.© 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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Introduction

Cette réflexion sur les transmissions écrites des psycho-logues s’appuie sur le travail et les échanges du Collègeaquitain des psychologues en soins palliatifs. Ce groupe, seréunissant deux journées par an, est composé de psycho-logues travaillant dans des structures de soins palliatifs (USP,EMSP, réseaux, LISP) ou plus généralement auprès de per-sonnes en fin de vie (HAD, service de cancérologie, etc.). Lecollège a été créé en 2004 à Périgueux. Il s’est donné pourobjectif de favoriser des échanges entre psychologues surla spécificité de leurs rôles, fonctions, identité profession-nelle en soins palliatifs et de dégager des repères partagés.Nous présentons des éléments d’analyse pour appréhenderla complexité de la transmission écrite pour les psychologuesexercant en soins palliatifs et nous proposerons quelquespistes de réflexion pour la pratique.

La transmission écrite dans le dossierpatient : un dilemme !

La grande diversité des pratiques de transmissions écritesdes psychologues travaillant en soins palliatifs nous amèneà nous interroger plus globalement sur les enjeux de l’écritdans la relation au patient, aux équipes et en termes institu-tionnels. Les pratiques des comptes rendus cliniques dans ledossier patient sont à resituer par rapport à la demande et aucontexte institutionnel, mais également au cadre théoriqueet au positionnement éthique du psychologue. On observeune grande hétérogénéité au niveau des modalités et dessupports de l’écrit :• comptes rendus formalisés dans le dossier patient infor-

matisé et/ou sur support papier ;• simple inscription de contact avec le patient ;

• compte rendu accessible uniquement aux membres de

l’équipe de soins palliatifs ou plus largement aux person-nels du service hospitalier ou à domicile, au patient et safamille ;

tems

pas de compte rendu, ni inscription de contact, mais notespersonnelles.

Cette diversité ne renvoie-t-elle pas plusglobalement à des exigences théoriques,

pratiques et éthiques parfois divergentes, voireinconciliables ?

« Travailler en institution ou service, ou participer à desmissions d’orientation d’enfants ou d’adultes, impliquegénéralement la production d’écrits destinés à des tiersou consultables par eux. Dès lors se pose la question dela nature de ces documents, de leur contenu, de leurdegré d’élaboration et d’exhaustivité. Des différentesphases qui constituent l’intervention du psychologue,convient-il de transmettre ou de mettre à dispositiond’une équipe, tous les documents ou toutes les donnéesqui en rendent compte ? Une double exigence peut serévéler source de conflit : celle de l’information, et celledu secret dû aux personnes » [1].

volution des pratiques des psychologues

’intervention des psychologues en milieu hospitalier estécente ; elle remonte aux années 1970. Bien que quelquesionniers aient été présents plus précocement, il s’agissaiténéralement de pédopsychiatres s’inscrivant essentielle-ent dans une démarche psychanalytique. Les premierssychologues dans les services hospitaliers se rattachaienténéralement à ce courant théorique. Ils rencontraientlors les patients dans un espace de confidentialité donte respect est essentiel, puisque transfert et contre-

ransfert sont au centre de la dynamique de la rencontret du travail psychique. Dans cette perspective, la trans-ission écrite était souvent peu développée dans le

ouci de limiter les effets d’une communication à un

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iers et de maintenir le cadre « traditionnel » analy-ique.

La pratique des comptes rendus cliniques s’est large-ent développée ces dernières décennies pour tous lesrofessionnels du champ médico-social. Des modèles deoins centrés sur une approche globale du patient et deon entourage, prenant appui sur l’interdisciplinarité, seont développés dans différents domaines de santé et laulture palliative a contribué à les enrichir. En soins pal-iatifs, il s’agit de répondre aux besoins des personnesravement malades et de contenir l’émergence puissantee certains conflits et des questions inconscientes du sujet.a confrontation à la menace vitale débouche sur une crisesychologique majeure qui va infiltrer le psychique commee corporel. Lorsque l’on aborde la confrontation à la mala-ie grave, le concept de crise est fréquemment évoqué.. Alby [2], psychologue, relatant son expérience en oncolo-ie parle de « crise réactionnelle » à distinguer de la « criseystérique » dont le modèle est largement intégré dans lesratiques psychologiques actuelles. C. Herfray [3], psycha-alyste, dans une réflexion sur le vieillissement et la fin deie fait une description dynamique des processus psychiquesobilisés qui évoluent de crises en crises. L’insistance sur les

spects critiques ne gomme pas les aspects traumatiques,ais elle souligne la généralité des ruptures intrapsychiquesues aux aspects traumatiques mais aussi aux rupturesociales qui réactivent les états de détresse primitive telleue peut les rencontrer l’infans lors de cette crise pre-ière qu’est la naissance. La notion de crise associe de

acon dynamique les aspects intrapsychiques et sociaux.. Kaes [4] présente d’une facon développée ces différentsiveaux d’articulation : le psychisme dans ses fondementsst groupal et la régression formelle induit une revivis-ence des aspects groupaux primitifs. Dès la naissance,’enfant s’appuie sur des interlocuteurs, père, mère ouubstitut parental, capables d’exercer une « fonction conte-ante »3 tout en étant eux-mêmes en appui sur des groupesgroupe familial maternel, paternel, groupe des pairs).n peut observer parfois l’installation d’une régressionsychique formelle en lien avec l’affaiblissement du nar-issisme primaire attaqué par la menace vitale. L’approchealliative tient compte de cette dynamique psychique ete la nécessité pour le patient de s’appuyer sur des soi-nants attentifs et réceptifs aux différents niveaux desesoins physiques et/ou psychiques et capables d’exercerne « fonction conteneur ». Il s’agit de décrypter derrièrees manifestations cliniques parfois confuses les diffé-ents niveaux du besoin, de la demande, du désir, pourtre ouverts à ce qui peut être engagé sur un registrenconscient.

À ces exigences dans la rencontre singulière, quiont valables pour chaque soignant, s’ajoute le besoin

’articulations des intervenants entre eux. Quand la viest menacée, la personne malade a le sentiment que, dehaque intervention des soignants, dépendra la poursuite

3 Les « fonctions contenantes et conteneurs » sont particulièrmentéveloppées par Kaes et dans les articles de référence. Il s’agite reprises des travaux de J. Bleger et de W.R. Bion. Voir Ferréol. La notion de crise et ses incidences sur l’accompagnement.ommunication Congrès SFAP 2010, atelier psychiatrie.

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N. Stadelmaier et al.

u l’arrêt de celle-ci. Particulièrement en soins palliatifs,ais aussi dans d’autres spécialités telles que la psychia-

rie, une cohérence d’équipe est nécessaire, une continuitée soutien indispensable et tout écart est angoissant. Danse contexte, le psychologue se doit de dialoguer avec la per-onne malade mais aussi avec tous les intervenants et l’écriteut participer à cette dynamique.

Mais comment écrire sur ces interventions si intimes ? Laonfrontation à la menace vitale peut par exemple induirees décompensations d’allure psychotique ou névrotiqueassagère qui vont demander une adaptation fine de tous lesntervenants. Est-il indispensable que le psychologue laissene trace définitive dans le dossier patient qui sera peut-tre consulté après le décès par les proches et qui risquente trouver là une image inquiétante et jusque-là ignorée deette personne chère dont ils sont en deuil ?

es transmissions écrites dans la relationvec le patient, ses proches et les équipes

nscrire le sujet dans l’écrit et ne pas dévoiler’intime

Comment traduire la subjectivité du patientdans un écrit formalisé, répondant au cadre

législatif contraignant4 ?

Comment permettre aux équipes une meilleure compré-ension des éléments psychiques tout en protégeantl’intime » de la personne ? Comment ne pas trahir une rela-ion de confiance engagée avec le patient ? Devrions-nouslors demander l’accord du patient ? C’est concrètementifficile et on peut se demander par exemple, si cetteemande « d’autorisation » ne risque pas d’induire un sen-iment d’insécurité et de majorer l’anxiété. Qu’est-ce queela modifie dans la relation psychothérapeutique ?

Lors des entretiens avec le patient, nous favorisons’expression de sa réalité psychique : laisser une trace défi-itive dans le dossier fige un instant encore lisible desnnées après. Du point de vue psychologique, la lecturear le patient ou sa famille du dossier médical n’est pasans effets, tel que l’illustrent les vignettes cliniques sui-antes : un jeune homme âgé de 19 ans est hospitaliséour un sarcome d’Ewing au pronostic réservé. Lors desremiers entretiens, il évoque une histoire difficile carac-érisée par des conflits familiaux multiples. Les élémentsecueillis éclairent les troubles du comportement qui seanifestent dans le service. La psychologue transmet ora-

ement à l’équipe les difficultés de vie de ce jeune. Danse dossier médical, elle note uniquement « histoire familialeomplexe ». Lors de l’aggravation de l’état physique de ceatient, le père demande et obtient le dossier médical et

4 Loi sur les archives publiques publiée le 24 septembre 2009.écrets d’application du 17 septembre 2009. Cette loi complète les

ois du 6 janvier 1978 et 17 juillet 1978, relatives à l’informatique,ux fichiers et aux libertés, relatives à l’accès aux documents admi-istratifs.

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Les transmissions écrites des psychologues en soins palliatif

lit le compte rendu psychologique. Il sera très difficile parla suite d’avoir un contact avec le père du patient, car danssa souffrance, il a vécu ces propos comme accusateurs. Ille signifie avec colère à la psychologue en la croisant dansl’institution ; elle lui propose un entretien. Au cours des ren-contres qui vont suivre, l’inquiétude de ce père d’être jugérestera toujours présente et dans le contexte de fin de viede son fils, cette problématique n’a pas pu être élaborée.

Dans d’autres situations, l’effet de la lecture du dos-sier peut au contraire amener une ouverture vers un travailthérapeutique de repositionnement du sujet.

Une patiente de 60 ans est hospitalisée en phase évo-luée d’un cancer du sein. Le médecin référent demandeà la psychologue de rencontrer le couple, le mari étantdécrit comme particulièrement angoissé. La psychologueindique dans le dossier patient la nécessité de propo-ser à la patiente et son mari des espaces thérapeutiquesdifférenciés ; cependant l’orientation du conjoint vers unthérapeute extérieur est refusée par celui-ci. La patienteest transférée dans une autre structure hospitalière. Suiteà son décès, son mari demande le dossier. Le secrétariatrecoit peu après un appel du mari, menacant de porterplainte par rapport à la lecture des notes cliniques. Lapsychologue le rappelle. Lors de l’entretien téléphonique,elle entend que cet homme a « une plainte à porter », uneplainte qui a besoin d’un destinataire. Tel que le développeLe Bourvellec, concernant l’effraction psychique que peutconstituer la confrontation du sujet avec la maladie graveet la mort :

« Alors le sujet confronté à ce réel tente de ‘‘porterplainte’’. Il nous fait destinataire de sa souffrance. . . Ilnous met à l’épreuve de le sortir de sa condition de sujetsouffrant, de sujet plaignant » [5].

Au cours de l’entretien, Monsieur parvient à exprimer sasouffrance liée notamment à un sentiment de responsabi-lité concernant la mort de sa femme. La lecture de certainséléments du dossier et de la note clinique de la psychologuesont venus nourrir sa problématique. Suite au contact télé-phonique, il se sent un peu apaisé, s’excuse et demande s’ilpeut se permettre de rappeler (éloignement géographique).Il téléphonera de loin en loin pendant plusieurs années ;ce lien permettra une contenance et au bout de plusieursmois une orientation vers un thérapeute plus proche de sondomicile.

Les transmissions écrites du psychologue :quels sens pour les soignants ? Quels effets ?

Dans notre pratique, nous observons depuis quelques annéesque l’exigence des établissements de santé et l’attentedes équipes vis-à-vis des transmissions écrites des psycho-logues se font plus pressantes. Cette attente est parfoisdifficile à saisir : s’agit-il de comprendre pour mieuxaccompagner ? De trouver des repères communs par rap-

port à une conduite à tenir ? Ou s’agit-il certaines foisd’une quête de « savoir », notamment dans les situationscomplexes, permettant d’alléger une sensation de frustra-tion ou d’impuissance où les effets transférentiels sont aupremier plan ?

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els enjeux ? 133

On constate également que les comptesrendus dans le dossier patient sont appréhendésde manière différente par les professionnels de

la santé (médecin, infirmiers) et lespsychologues.

Les dossiers médicaux et infirmiers sont centrés sures faits le plus souvent directement observables sui-ant un modèle défini, bien qu’en constante évolution,els que les dossiers de soins infirmiers (observer, identi-er le problème, définir des actions, évaluer les actionsntreprises). L’approche clinique du psychologue s’appuiegalement sur des faits observables (expression d’émotions,eprésentations, comportements. . .), mais la finalité est’accéder à la subjectivité du patient, aux conflits etux défenses et donc à la dynamique psychique sous-acente. L’écrit, qui devrait traduire « l’univers subjectifu patient » comme une réalité psychique en mouve-ent, est la « pierre de touche » de l’inscription possible’un décalage entre les approches des différents interve-ants.

« Le psychiatre, le psychologue va-t-il construire sesinterventions à partir d’une typologie des maladespréétablie. . . ? Ou va-t-il tâcher de maintenir vive ladimension de la clinique de sa pratique : laisser ouvertun espace dans lequel le sujet — confronté à unréel — va jouer sa carte (Leguil et Silvestre, 1988),en inventant et construisant ses propres réponses. . . »[6].

Parfois les professionnels, lecteurs du dossier patient,euvent comprendre les éléments du compte rendu psy-hologique comme une réalité objective. L’écrit et sonnterprétation par le lecteur échappent donc à l’auteur, telue le montre la vignette clinique suivante : lors d’un entre-ien psychologique, quelques jours avant une mastectomie,ne patiente exprime sa souffrance liée à cette perte et saifficulté d’appréhender sa vie après l’intervention. La psy-hologue décrit dans le dossier médical les appréhensionst la souffrance psychique de la patiente. Le chirurgien,la lecture du compte rendu, conclut qu’elle ne suppor-

era pas cette amputation et hésite à l’opérer. Il demandeue la patiente soit recue à nouveau par la psychologue : il’inquiète des répercussions psychologiques de la mastecto-ie. La psychologue avait omis d’indiquer que la patiente

vait tout à fait conscience de la nécessité de ce traite-ent. Elle ne le remettait nullement en cause du pointe vue rationnel, mais elle évoquait son vécu émotionnelt la portée en termes identitaire et d’image du corps.ne fois que les mots sont posés, le psychologue ne saitas, le plus souvent, comment ils vont être interprétés ete pourra pas toujours apporter les réajustements néces-aires.

De plus, des glissements sémantiques peuvent être liésune fausse proximité de sens de certains termes du

angage utilisés en psychologie, en psychiatrie et dans

e langage courant. Le même mot utilisé recouvre designifications très différentes : par exemple, le terme demélancolie », utilisé en sémiologie psychiatrique, indiquene forme grave de dépression, alors que le même
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En fonction de notre lieu d’exercice, sont proposés auxpsychologues des supports et modalités de transmission

5 Extraits du décret modifié no 91-129 du 31 janvier 1991 portantstatut particulier des psychologues de la fonction publique hospi-talière. Extraits de la circulaire DH/FH3/92 no 23 du 23 juin 1991relative à l’application du décret du 31 janvier 1991 portant statutparticulier des psychologues de la fonction publique hospitalière.

6 AEPU, ANOP, SFP (1996) Code de déontologie des psychologues.Retrieved 15 novembre 2008. http://www.sfpsy.org/Code-de-deontologie-des.html.

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ot désigne dans le langage courant un sentiment deostalgie.

« Or, si le proverbe enseigne que les écrits restent alorsque les paroles s’envolent, on notera à l’inverse que sinous savons à qui nous parlons, nous ignorons qui nouslit. Le psychologue a aussi à être vigilant sur le destinde ses écrits dans la mesure où la signification lue dansles termes qu’il aura transcrits ne sera peut-être pascelle qu’il aura voulu donner. ‘‘Hystérie’’, ‘‘névrose’’,‘‘psychose’’ sont par excellence des termes que le lan-gage courant a galvaudé ; les diagnostics sont source detous les contresens et autres stigmatisations » [7].

Les psychologues sont donc amenés à s’interroger en per-anence sur l’éventuel effet de leur écrit sur la relation

oignante : à qui s’adresse-t-on quand on écrit, quel messagefaire passer ? Qu’apporte telle information ou analyse auédecin, à l’infirmière dans sa relation au patient ? Quelles

épercussions peut avoir par exemple une note dans le dos-ier précisant que cette patiente ne se sent pas soutenue paron mari ? Qu’est-ce que cela peut permettre ou empêcherans la rencontre de l’équipe avec le mari de la patiente ?

« Il est nécessaire de consigner dans le dossier du patientcertains éléments apparus dans les entretiens, tout enrespectant le secret de ce qui a été confié. Ces indi-cations vont permettre à l’équipe soignante de tenircompte d’éléments qui ont pu passer inapercus ouêtre sous-estimés, comme la douleur du patient, sonangoisse, ses interrogations. . . Quand j’écris dans le dos-sier du patient, je cite ses propos entre guillemets etindique mes commentaires par ‘‘il me semble que’’.C’est un repère pour les médecins ; il leur permet desaisir que je ne me pose pas comme juge de leurs actionsmais que j’attire leur attention sur un point qui poseproblème au patient. Je n’écris jamais dans le dossier leséléments très privés que le patient a pu me confier et quin’ont pas d’importance dans le soin, ou alors j’en donneune indication de manière généraliste. . . Ce qui compte,c’est de faire entendre quelque chose de sa parole, deson désir » [8].

es textes encadrant la pratique dessychologues : repères et interrogations

a question des écrits professionnels traverse bien sûr touses champs d’exercice des psychologues et les met au défi’adapter leur pratique, en tenant compte de la déontologiee leur profession, du cadre de la loi et des recommanda-ions, mais également de la spécificité de leurs missions etu contexte institutionnel. La participation du psychologuen structures de soins palliatifs à un travail interdisciplinairet de collaboration étroite avec les autres professionnelsend souvent nécessaire son inscription dans une démarche

e l’écrit partagé avec les équipes. Il est alors utile deappeler brièvement quelques textes de référence. Ils neésolvent en aucun cas la question des transmissions écritesour chaque psychologue dans sa pratique. Cependant, ils

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N. Stadelmaier et al.

ermettent de se resituer par rapport à un cadre plus géné-al d’exercice professionnel, de définir les obligations, laesponsabilité engagée et de donner des repères indispen-ables.

ifférencier les documents psychologiques

a pratique des psychologues est encadrée par un ensemblee textes, dont certains sont spécifiques au statut dessychologues5 et à la pratique déontologique6 ; d’autres,xtraits plus généralement du Code de la santé publique,oire du Code pénal (secret professionnel), permettent deréciser notamment la forme et le contenu du dossieratient.

L’autonomie professionnelle des psychologues les situen dehors de toute logique d’assimilation aux autresrofessions. Les psychologues sont responsables de leursctes professionnels et également des documents qu’ilsroduisent7. Il existe différents types de documents psycho-ogiques [9] :

les notes brutes personnelles, relatives à un entretienou un bilan d’un patient ; elles sont la propriété du psy-chologue, lui permettant d’élaborer ses observations etconclusions et ne sont pas transmissibles ;le dossier psychologique, contenant des protocoles etrésultats d’épreuves psychologiques, des données issuesd’entretiens ou de séances de psychothérapies, etc. Iln’est pas transmissible compte tenu des exigences deconfidentialité, mais sous certaines réserves, quelqueséléments peuvent être consultés et discutés avec un autrepsychologue ;les comptes rendus du psychologue (synthèse, bilan). Ilssont formalisés et destinés à être transmis dans le cadred’un travail d’équipe.

« Cette transmission se fait sous certaines condi-tions : l’avis qu’il donne ne répond qu’à la questionposée et ne comporte d’autres éléments psycholo-giques que si nécessaire (art 12). Cette synthèseprend place dans un dossier (qui peut être le dos-sier patient) qui renferme également les attestations,certificats, courriers relatifs à la personne concernéeou à la situation traitée. Ce dossier est consulta-ble par tous, patients compris (Titre 1,6, art 12) »[9].

7 (Les psychologues) « . . .concoivent les méthodes et mettent enuvre les moyens et techniques correspondant à la qualification

ssue de la formation qu’ils ont recue » (Article 2 décret modifié n◦1-126 du 31 janvier 1991).

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Les transmissions écrites des psychologues en soins palliatif

écrites qui ont été élaborés d’abord par rapport à une pra-tique médicale et paramédicale.

Toute demande de comptes rendus écrits surle patient, mérite d’être réfléchie au mêmetitre que tout autre « acte » psychologique.

Il dépendra de l’initiative des psychologues de s’assurerdes supports proposés et d’en proposer d’autres, cibléséventuellement en fonction des destinataires. Un lien étroitavec les services informatiques pourrait être intéressant. Ilserait envisageable par exemple, de mettre les comptes ren-dus formalisés du psychologue en attente quelques jours,d’une relecture et validation de sa part, avant d’êtreinsérés dans le dossier patient. Cela permettrait de tenircompte du temps d’élaboration nécessaire au psychologuepour évaluer la pertinence de transmission de tel ou telélément.

Entre secret professionnel etinterdisciplinarité

La rédaction d’un compte rendu exige de la part du psycho-logue de se situer dans la continuité d’un travail cliniqueavec le patient. Il se pose alors des questions d’ordrepratique : qui exactement a accès au dossier dans un établis-sement ? Combien de temps sont gardées les informations ?Y a-t-il une possibilité pour le psychologue d’être prévenulorsque le dossier est transmis à un patient ? Commentaccompagner dans ce cas la restitution des éléments psy-chologiques ?

La loi du 4 mars 2002 (art 3)8 insiste sur le respect dela vie privée de la personne, du secret des informations laconcernant, le droit à l’information sur son état de santé età la participation à la prise de décision préventive ou théra-peutique (art 11). Il facilite les modalités d’accès direct dupatient à son dossier. Cependant, la possibilité d’échanged’informations entre les professionnels dans le cadre d’uneprise en charge est clairement stipulée :

« Lorsqu’elle (la personne) est prise en charge par uneéquipe de soins dans un établissement de santé, lesinformations la concernant sont réputées confiées parle malade à l’ensemble de l’équipe » (Art 3).

Différents articles du Code de déontologie reprennentles dispositions légales en vigueur. Ils précisent la questiondu secret professionnel (Titre I.1). Ils rappellent égalementqu’il appartient au psychologue et à lui seul de choisir

les éléments et arguments entrant dans son analyse et sesconclusions (Titre I.6) [9]. Au-delà des contraintes citéesjusqu’ici (répondre à la question posée, circonstancier leséléments transmissibles, adapter ses propos à la transmis-

8 La loi 4 mars 2002 complète le titre I du livre IV du Code desanté publique. Elle dit la nécessité de respecter les droits des per-sonnes, le droit à l’information pour les usagers des services desanté. Elle décrit les modalités de désignation et le rôle de la per-sonne de confiance et définit les conditions d’accès des usagers etéventuellement des proches au dossier médical.

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els enjeux ? 135

ibilité au patient), les comptes rendus ne devraient pasontenir des éléments concernant ou provenant d’un tiers,ar exemple la famille ou l’entourage. Ces éléments devronttre rassemblés dans un dossier différencié, non transmis-ible au patient.

’inclusion du dossier psychologique dans leossier patient

« La loi du 4 mars 2002 a renforcé l’obligation decommunication au patient des éléments de son dos-sier médical. Dès lors, la question du contenu de cedernier s’est posée avec plus d’acuité, à commencerpar l’insertion ou l’exclusion du dossier psychologique.L’analyse révèle qu’il n’existe pas, de ce point de vue,de solution univoque. En effet, s’il apparaît que, parprincipe, le dossier psychologique reste en lisière dudossier médical, pour autant, il peut par exception, enfaire partie intégrante » [10] (voir pour plus de préci-sions Y. Durmarque 2006, notamment en ce qui concernel’éventuel impact de l’inclusion du dossier psychologiquesur l’autonomie professionnelle par rapport au médecin).Selon les recommandations de l’Anaes, devrait figurerdans le dossier patient à minima la notion de « contact »9.

L’insertion des comptes rendus psychologiques danse dossier médical, telle qu’elle nous est demandée delus en plus fréquemment dans notre pratique, n’a doncien d’évident et devrait rester exceptionnelle. Cepen-ant, elle peut également prendre toute sa significationans un travail d’interdisciplinarité tel qu’en soins pal-iatifs, lorsque le suivi psychologique s’inscrit dans unadre thérapeutique plus large et dans une démarche deien avec les équipes. En effet, les comptes rendus écritseuvent venir en complémentarité des réunions d’équipe,es échanges avec des soignants à propos d’un patient,es groupes d’analyse des pratiques, pour construire unavoir à plusieurs et éviter un « supposé savoir-expert »en référence à G. Le Bourvellec [5]). L’insertion desomptes rendus des psychologues dans le dossier médi-al serait-elle justifiée parce qu’elle illustrerait un travailn interdisciplinarité nécessaire à l’approche palliative ?

9 Anaes Évaluation des pratiques professionnelles dans lestablissements de santé : dossier patient, réglementations etecommandations, pages 10—11 : « Les rapports d’un psychologue. . .

nt un statut que la législation et la réglementation n’ont pas plusrécisé que la jurisprudence. Toutefois, ils peuvent faire partientégrante du dossier du patient s’ils ont été réalisés par un pro-essionnel au sein d’une équipe dirigée par un médecin et qu’ilsnt été joints au dossier du patients dont ils sont indivisibles. . . Ilsoivent pouvoir être accessibles aux autres professionnels, si ellesont utiles à la prise en charge du patient. Dans tous les cas, laotion de contact avec le psychologue. . . doit figurer par écrit danse dossier médical. »

Page 7: Les transmissions écrites des psychologues en soins palliatifs : quels enjeux ?

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[11] Morin E. Introduction à la pensée complexe. Paris: Seuil, PointsEssais; 2005.

[12] Morin E. La complexité humaine. Paris: Flammarion, ChampsEssais; 2008.

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La maladie dans ses évolutions introduit peut-être lesoignants dans « l’univers du complexe » appréhendé pardgar Morin [11,12]. Cette notion qui conduit les cher-heurs à essayer de construire une nouvelle épistémologieevrait interroger aussi les institutions dans leur organisa-ion linéaire autour des disciplines dominantes. Cet effort,ême s’il n’éviterait pas le risque d’instrumentalisation’un « savoir-expert », rendrait peut-être moins aiguë lauestion de l’intégration dans le dossier des patients de cesonnées psychologiques touchant à l’intime.

onclusion

es attentes par rapport aux comptes rendus des psycho-ogues dans le dossier patient sont actuellement croissantesans les institutions et nous ont amené, dans le cadre du Col-ège aquitain de psychologues en soins palliatifs, à un travail’analyse de situations et de recherche de textes de réfé-ence. Nous avons souhaité dans cet article retracer notreheminement et mettre en relief les nombreux paramètresont il faut tenir compte dans la rédaction des transmissionscrites.

Il nous semble aujourd’hui que la « mise en tension » etes interrogations concernant la rédaction des comptes ren-us ne peuvent pas complètement se résoudre. La référencela notion de complexité renvoie sur le plan institutionnella volonté de s’organiser dans une réelle interdisciplina-

ité. En ce qui concerne la pratique des psychologues, elleonstitue paradoxalement une garantie indispensable pourborder chaque écrit à la fois comme un problème théra-eutique (quel effet sur le patient, la famille, les équipes ?)t un questionnement éthique (entre interdisciplinarité etespect de l’intimité du sujet).

Autrement dit, l’écrit ne devrait-il pas rester toujoursun dilemme ?

onflit d’intérêt

ucun.

N. Stadelmaier et al.

emerciement

ous remercions Pippa McKelvie-Sebileau pour la traductionnglaise du résumé

éférences

[1] Quéheillard JL. La déontologie des psychologues à l’épreuvede l’expérience. Une mise en regard du code de déon-tologie de la législation et de la pratique. In: CastroD, Santiago-Delefosse M, editors. Pratiques déontologiquesen psychologie. Paris: Hommes et Perspectives; 2001,139—167.

[2] Alby N. Pourquoi des psychologues dans les services de cancé-rologie. Psychol Med 1994;26:647—50.

[3] Herfray C. La vieillesse en analyse. Paris: Erès; 2009.[4] Kaes R. Introduction à l’analyse transitionnelle. Crise, rupture

dépassement (1ère édition). Paris: Dunod; 1979.[5] Le Bourvellec G. D’un savoir construit à la construction d’un

savoir : autour de l’analyse de pratique soignante. Med Pal2003;2:32—5.

[6] Bendrihen N. En cancérologie : l’épreuve du réel. In: DoucetC, editor. Le psychologue en service de médecine, les mots ducorps. Paris: Masson; 2008. p. 117—26.

[7] Adam A. En unité de psychiatrie de liaison d’un hôpital général :l’urgence subjective. In: Doucet C, editor. Le psychologue enservice de médecine, les mots du corps. Paris: Masson; 2008.p. 7—25.

[8] Jammet D. Auprès des patients séropositifs : pour une cliniquediscrète d’une maladie indiscrète. In: Doucet C, editor. Le psy-chologue en service de médecine, les mots du corps. Paris:Masson; 2008. p. 39—57.

[9] Bourguignon O. La déontologie des psychologues (2e éd). Paris:Armand Colin; 2009.

10] Durmarque Y. L’insertion du dossier psychologique dans le dos-sier médical, quelques réflexions sur un couple imparfait. PratPsychol 2006;12:111—21.