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WILLIAM SHAKESPEARE Sonnets texte établi, traduit de l’anglais et présenté par Robert Ellrodt édition bilingue ACTES SUD

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9:HSMHOC=\[^X]Y:DIFFUSION :Québec : FLAMMARIONSuisse : SERVIDISFrance et autres pays : ACTES SUD Dép. lég. : octobre 2007 (France)9,70 € TTC France / www.actes-sud.fr

ISBN 978-2-7427-6938-4

SONNETS

Les Sonnets de Shakespeare ont donné lieu à de vives controverses sur leur signification autobiographique et sur la nature des relations entre le poète, le jeune aristocrate aimé et une femme brune perverse. Au- delà de ces hypothèses, la présentation de l’œuvre par Robert Ellrodt met en évidence l’intensité dra-matique et l’originalité singulière de poèmes qui vont à l’encontre des conventions littéraires et sociales de la Renaissance. Dans cette édition bilingue, la tra-duction préserve la richesse des images et vise à faire entendre les harmonies du vers shakespearien sans recourir à la rime, qui trop souvent conduit au pas-tiche.

C’est selon les mêmes principes que Robert Ellrodt, profes-seur émérite à l’université de la Sorbonne Nouvelle, spécia-liste de la période élisabéthaine, a traduit les œuvres poétiques majeures de John Donne, de Keats et de Shelley pour l’Imprimerie nationale.

Illustration de couverture : Portrait Chandos (National Portrait Gallery) consi-déré comme un portrait authentique de Shakespeare entre 1600 et 1610 par un grand nombre d’experts © AKG-Images, 2007

BABEL, UNE COLLECTION DE LIVRES DE POCHE

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WILLIAM SHAKESPEARE

Sonnetstexte établi, traduit de l’anglais et présenté par Robert Ellrodt

édition bilingue

sonnets.indd Toutes les pages 01/02/16 11:23

ACTES SUD

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SONNETS

Les Sonnets de Shakespeare ont donné lieu à de vives controverses sur leur signification autobiographique et sur la nature des relations entre le poète, le jeune aristocrate aimé et une femme brune perverse. Au-delà de ces hypothèses, la présentation de l’œuvre par Robert Ellrodt met en évidence l’intensité dramatique et l’originalité singulière de poèmes qui vont à l’encontre des conventions littéraires et sociales de la Renaissance. Dans cette édition bilingue, la traduction préserve la richesse des images et vise à faire entendre les harmonies du vers shakespearien sans recourir à la rime, qui trop souvent conduit au pastiche.

C’est selon les mêmes principes que Robert Ellrodt, professeur émérite à l’université de la Sorbonne Nouvelle, spécialiste de la période élisabéthaine, a traduit les œuvres poétiques majeures de John Donne, de Keats et de Shelley pour l’Imprimerie nationale.

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© ACTES SUD, 2007

pour la traduction française

ISBN 978-2-7427-6938-4

Illustration de couverture : Portrait Chandos (National Portrait Gallery) consi-déré comme un portrait authentique de Shakespeare entre 1600 et 1610 par un grand nombre d’experts © AKG-Images, 2007

978-2-330-08386-1

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SHAKESPEARE

SONNETS

Texte établi, traduit de l’anglaiset présenté par Robert Ellrodt

Edition bilingue

ACTES SUD

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PRÉSENTATION

La date des Sonnets et le mystère de la dédicace

En juin 1609 parut un volume intitulé SHAKE-

SPEARES / SONNETS / Never before Imprinted(“SONNETS de SHAKESPEARE jamais imprimésauparavant”). Affirmation justifiée dans l’ensemble,bien que des versions quelque peu différentes dessonnets 138 et 144 aient été publiées en 1599 dansThe Passionate Pilgrim, recueil de poèmes diversfaussement attribués à Shakespeare pour la plupart.L’éditeur Thomas Thorpe avait fait inscrire le 20 mai1609 dans le Registre des libraires “a booke calledShakespeare’s sonnettes”. Or, une inscription énig-matique, qui remontait au 3 janvier 1600, mention-nait “un livre appelé Amours par J. D. [John Donne ?]avec certains autres sonnets par W. S.”. Ce livren’avait point paru, et rien ne prouve que ce W. S.était William Shakespeare1. Cependant, un édi-teur des Sonnets, Katherine Duncan-Jones, en tire

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1. Ce pourrait être William Smith, auteur d’un recueil desonnets, Chloris, publié en 1596.

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argument pour sa thèse : Shakespeare aurait tou-jours envisagé une publication et l’édition de 1609ne serait pas, comme on l’a généralement affirmé,une édition piratée.

Selon l’usage de l’époque, des copies manuscritesd’un certain nombre de ces sonnets avaient circulé.Dans Palladis Tamia : Wits Treasury, recueil publiévers la fin de l’année 1598, Francis Meres affirmeque l’âme d’Ovide revit en Shakespeare, “commeen témoignent sa Vénus et Adonis, sa Lucrèce, et sessuaves (sugared) sonnets répandus parmi ses amisintimes”. On a eu tendance à en conclure que la plu-part des sonnets avaient été écrits avant cette date,mais il suffisait d’en connaître un petit nombre pours’exprimer ainsi. D’ailleurs, si les premiers sonnetsau jeune homme peuvent être dits sugared et justifierl’insistance tautologique de Meres sur “la langue demiel” d’un poète “melliflue”, beaucoup d’autres ontune force ou une âpreté qui produisent une tout autreimpression. Toute discussion sur la date de composi-tion des Sonnets doit faire intervenir de nombreuxcritères, dont aucun n’est décisif. Il faut doncrechercher une certaine convergence en allant duplus probable au plus incertain.

La seule allusion indiscutable à un événementque l’on puisse dater se rencontre dans le sonnet 107.Il y a eu, certes, une controverse au sujet de cet “évé-nement” et même sur le sens du vers qui l’évoque :“The mortal Moon hath her eclipse endur’d”. Dansun contexte de toute évidence historique, la “lunemortelle” ne peut être que la reine Elisabeth,

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constamment associée à cet astre1. Faut-il com-prendre que cette lune a connu une éclipse passa-gère comme les éclipses astronomiques, ou qu’ellea subi une éclipse fatale et cessé d’exister ? Dans lepremier cas, ce pourrait être une allusion aux crainteséprouvées au sujet de la reine en 1596 en raisond’une maladie en sa soixante-troisième année, grandeannée “climatérique” considérée comme une annéedangereuse2. Mais qu’Elisabeth l’eût franchie n’ap-porta ni les certitudes ni la garantie d’une paix uni-verselle évoquées dans le sonnet : bien au contraire,les inquiétudes au sujet de la succession dynastiqueet les craintes de troubles allèrent s’aggravant. Toutdonne à penser que le poète exprime le soulagementressenti par les Anglais quand, après tant de sombresprésages, Jacques Ier accéda au trône sans conflit ;peut-être même la satisfaction personnelle de Sha-kespeare puisque le nouveau roi libéra aussitôt le

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1. Leslie Hotson (Mr W. H., Rupert Hart-Davis, 1964) a sou-tenu que la lune serait l’Armada espagnole qui naviguait enforme de croissant, mais cette conjecture est aujourd’huiunanimement écartée : l’allusion serait cryptique, mêmepour un élisabéthain, et la date de composition, 1589, estinvraisemblable.2. Les autres hypothèses avancées sur un événement histo-rique sont encore moins crédibles ; ni la conspiration présu-mée pour empoisonner la reine (1594), ni les fausses rumeurssur une grave maladie (1599-1600), ni la rébellion d’Essex(1601), suivie de son exécution, ne pouvaient faire naître,une fois la crainte dissipée, un tel sentiment de paix et desécurité. Shakespeare d’ailleurs était proche d’Essex.

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comte de Southampton et mit fin à la disgrâce ducomte de Pembroke, ses deux protecteurs. En re-vanche, les allusions à des événements historiques quecertains ont cru déceler dans les sonnets 123 et 125reposent sur des conjectures fragiles1.

Le sonnet 107, s’il fut composé en 1603 ou 1604,a pu être inséré dans le recueil tardivement. Il seraitaussi imprudent de prendre à la lettre l’affirmationdans le sonnet 104 que trois années seulement ontpassé depuis la première rencontre entre le poète etle jeune homme. Depuis l’épode XI d’Horace, lechiffre trois semble avoir été une convention poé-tique pour commémorer ce genre d’événement :Samuel Daniel l’avait suivie dans sa Délie2. Commeon le verra plus loin, les tout premiers sonnetsadressés au jeune homme furent probablementécrits en 1597 (si ce n’est quelques années plus tôt) ;le sonnet 104 aurait donc été composé au plus tarden 1600. Ce n’est pas impossible puisque l’ordrechronologique n’est pas toujours observé dans lerecueil : certains des sonnets adressés à la maîtresse

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1. K. Duncan-Jones leur accorde quelque crédit (p. 26-28)parce que sa thèse sur la composition d’un certain nombre desonnets après 1603 en est renforcée ; mais cette confirmationn’est pas nécessaire. Il est inutile de songer à la processiondu couronnement de Jacques Ier dans les rues de Londrespour saisir la signification des “pyramides” (sonnet 123) oula valeur métaphorique du “dais” (sonnet 125).2. Delia (1592), sonnet 26, v. 6. Shakespeare a pu être aussiinfluencé par les sonnets sur les ravages du temps : 30-34, 42.

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doivent être contemporains de la trahison évoquéedans les sonnets 40-42.

Les rapprochements établis entre les Sonnets etles pièces de théâtre ne peuvent suggérer une date decomposition que si l’on distingue différents groupes.Les sonnets 1 à 52 offrent le plus grand nombre deparallèles avec les pièces composées entre 1593 et1596 ; de même la plupart des sonnets 127 à 1411. Enrevanche, les sonnets 53 à 126 et 142 à 152 appellentsouvent une comparaison avec des pièces de la matu-rité2 ou de la période tardive. Il y subsiste, certes, deséchos de la période antérieure, mais on sait qu’ilarrive à Shakespeare de reprendre une expression à ladistance de plusieurs années3. L’intérêt de ces regrou-pements est qu’ils concordent dans l’ensemble avecles résultats obtenus par de récentes et rigoureusesanalyses statistiques portant sur le vocabulaire4.

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1. Cette évaluation de G. P. V. Akrigg dans Shakespeare and

the Earl of Southampton (Londres, Hamilton, 1968, p. 203,note 1) me paraît toujours valable bien qu’il ait cherché àidentifier “Mr W. H.” et Southampton.2. Dover Wilson a signalé dans son édition (p. LXXVII)quelques parallèles avec la deuxième partie de Henry IV

(1598 ?) et avec Hamlet (1600).3. Un exemple frappant (parmi d’autres) est la répétitiond’une phrase de La Mégère apprivoisée (1590-1593), “Go to

thy cold bed and warm thee” (Introduction, 7-8) dans Lear

(1605-1606), III, 4, 43-44.4. Voir Eliot Slater, “Shakespeare’s Word Links Between Poemsand Plays”, Notes and Queries 220 (1975), p. 157-163 ;A. K. Hieatt, Ch. W. Hieatt et A. Lake Prescott, “When Did

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Les efforts patients des stylisticiens confirmentd’ailleurs les impressions spontanées de tout lec-teur sensible aux variations de style et de ton. Iln’est pas besoin de savantes recherches pour retrou-ver dans le premier groupe des sonnets adressés aujeune homme la rhétorique de Roméo et Juliette(1594-1595) et de Richard II (1595) ; mais il n’estnullement exclu que leur composition ait pu interve-nir deux ou trois ans plus tard. En revanche, à me-sure que l’on avance dans la lecture, s’affirment

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Shakespeare Write Sonnets 1609 ?”, Studies in Philology 88(1991), p. 69-109 ; et MacD. P. Jackson, “Vocabulary andChronology : The Case of Shakespeare’s Sonnets”, Review of

English Studies 52 (2001), p. 59-75. Colin Burrow (p. 105)distingue quatre groupes de sonnets : 1-60, composés vers1595-1596 (peut-être révisés ultérieurement) ; 61-103, com-posés vers 1594-1595 ; 104-126, composés vers 1598-1604 ;127-154, composés de 1591 à 1595. Ce classement m’ins-pire deux réserves : a) si certains des sonnets 127-154 sontindiscutablement proches en style et en esprit de Peines

d’amour perdues (1594-1595), d’autres paraissent plus prochesde Hamlet (1600-1601) à tous égards (style, mais surtout senti-ment et conscience de soi aiguë) ; b) on peut reculer jusqu’à1597-1598 les dates de composition envisagées pour les sonnets1 à 103. D’ailleurs Burrow est conduit à présenter comme “pos-sible” une révision du premier groupe et il note que le sonnet 60est “bourré” de mots qui eurent la préférence de Shakespearedans une période plus tardive (p. 107). De façon générale, je necrois pas que la stylométrie soit une science qui permette dedéterminer la date de composition d’une œuvre sans recourir àd’autres éléments d’appréciation.

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tantôt une puissance et une complexité des méta-phores qui font penser aux grandes tragédies, tan-tôt la lucidité sarcastique, l’intellectualité et lessubtilités dialectiques qui caractérisent des piècesécrites de 1600 à 1604, Hamlet, Troïlus et Cressida,Mesure pour mesure. Ces pièces, comme Othello,révèlent une obsession et une nausée de la sexualitéqu’on retrouve dans les sonnets à la dame brune.Toutefois certains de ces sonnets (127, 128, 130,132), peut-être antérieurs à la trahison, sont d’unton léger et auraient pu être écrits par le Biron dePeines d’amour perdues (1594-1595).

Que la composition des poèmes se soit sansdoute étalée dans le temps n’implique pas nécessai-rement que leur auteur ait à un moment quelconqueprocédé à une révision : les arguments avancés à cetégard par Katherine Duncan-Jones (p. 13-16) peu-vent paraître persuasifs plutôt que décisifs. Quant àla participation de Shakespeare à leur édition, onen est toujours réduit aux conjectures. Il fut long-temps admis que cette publication se serait faite àson insu, et même contre son gré. Rien ne permetde l’affirmer. Le nom de l’auteur est proclamé surla couverture et l’on n’a trace d’aucune protesta-tion de sa part alors qu’il aurait été “très offensé”quand le même imprimeur, William Jaggard, avaitfait “un usage effronté de son nom” en lui attribuantà deux reprises la paternité du Passionate Pilgrim.Les sonnets, on le verra, ont dû être assemblés dansun ordre prémédité en vue de leur publication.Que cet ordre ne soit pas plus rigoureux qu’en

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d’autres recueils de sonnets élisabéthains, prétendusautobiographiques, n’est pas surprenant ; mais rienne prouve que l’auteur lui-même l’ait établi. Pour nedonner qu’un exemple, le sonnet 145 semble bienremonter au temps où Shakespeare courtisait AnneHathaway ; l’aurait-il inséré si maladroitement justeaprès le sonnet qui le présente entre son bon ange,l’ami, et son mauvais ange, la maîtresse, et justeavant le sonnet où il invite son âme à se détournerde la sensualité ? La profusion d’erreurs typogra-phiques1 semble indiquer aussi que l’auteur n’estpas intervenu au moment de l’impression. Toutbien pesé, on peut supposer que Shakespeare adonné son consentement à cette publication, maisque, dans l’attente prudente d’éventuelles réac-tions au caractère particulier des liens personnelsévoqués, il a préféré ne pas y être activement asso-cié. Que les Sonnets, contrairement à Vénus etAdonis et au Viol de Lucrèce, n’aient pas été réim-primés du vivant de leur auteur donne à penserque ce silence a été imposé ou conseillé.

Voilà qui nous amène au mystère de la dédi-cace, composée à la manière d’une inscription surune stèle :

TO. THE. ONLIE. BEGETTER. OFTHESE. INSUING. SONNETS.Mr W. H. ALL. HAPPINESSE.

AND. THAT. ETERNITIE.

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1. Le contraste avec l’impression correcte de Vénus et Ado-

nis, probablement surveillée par l’auteur, est évident.

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PROMISED.BŸ

OUR. EVER. LIVING. POET.WISHETH.

THE. WELL-WISHINGADVENTURER. IN

SETTING.FORTH

T. T.

A celui qui a seul engendréles sonnets suivants,Mr W. H., la félicité

et cette éternitépromise

parnotre immortel poète,

c’est ce que lui souhaite,en ses vœux de bonheur,

l’aventurier, ense mettanten route

T. T. est évidemment l’éditeur Thomas Thorpe,qui s’engage en cette entreprise en choisissant unemétaphore maritime : le merchant adventurerattendait des trésors du retour des vaisseaux affré-tés. Le “poète immortel” est Shakespeare qui, dumoins par moments, revendique cette immortalitépour lui-même dans les Sonnets, et la “promet”constamment à celui (mais non à celle) à qui ils’adresse. Comment peut-on penser que “Mr W. H.”

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pourrait ne pas être celui à qui cette immortalité estassurée ? Pourquoi l’éditeur promettrait-il “l’éter-nité” à celui qui lui aurait seulement fourni le ma-nuscrit des Sonnets ? Fragiles sont les hypothèseséchafaudées sur l’identité du dédicataire en considé-rant le begetter (engendreur) comme un simple “pour-voyeur”, sens d’ailleurs non attesté1. Certes, le jeunehomme adulé n’a pas, à proprement parler, “engen-dré” les sonnets, mais le poète à plusieurs reprisesaffirme que lui seul a inspiré sa Muse et la dédicacepourrait même faire une allusion oblique au fait quel’immortalité acquise par la “procréation” est le thèmeunique des dix-sept premiers sonnets.

Disons-le d’emblée. Pour le lecteur qui s’intéresseaux Sonnets parce qu’il aime la poésie, l’identité de“Mr W. H.” n’a pas la moindre importance. De touteévidence l’auteur s’adresse à un jeune aristocrate2. Lacritique moderne tend à considérer que le locuteur

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1. Cependant, si l’on retenait cette hypothèse, William Harvey,troisième mari de la comtesse de Southampton, serait “un candi-dat solide à l’identité d’un Mr W. H. pourvoyeur des Sonnets”(J.-M. et A. Maguin, William Shakespeare, p. 367 ; voir Biblio-graphie).2. Colin Burrow ne semble pas le contester dans l’édition d’Ox-ford, mais il s’abstient de choisir entre Southampton et Pem-broke, préférant mettre l’accent sur le choix par l’auteur et/oul’éditeur d’un “anonymat orienté” qu’il présente comme une con-vention établie dans la poésie érotique élisabéthaine (p. 101).Que Shakespeare ait pu s’adresser à un jeune acteur de sa troupefut une aimable fiction d’Oscar Wilde dans A Portrait of Mr W. H.

(1889) ; tout le dément dans le texte.

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est une persona. Soit, mais ici la persona est assuré-ment un poète qui a des traits communs avec l’ac-teur Shakespeare (voir sonnet 110). On pourrait enrester là, mais, s’il faut enquêter, sans s’attarder àdes hypothèses invraisemblables1, on examinerales titres des deux prétendants les plus sérieux :Southampton et Pembroke.

Shakespeare avait dédié Vénus et Adonis et LeViol de Lucrèce à Henry Wriothesley, déjà comte deSouthampton. Son titre aurait donc été masqué etl’ordre des initiales inversé. Pour dissimuler sonidentité ? Dans ce cas un pseudonyme poétique– comme en d’autres recueils – eût été plus appro-prié. Les dix-neuf premiers sonnets auraient étéécrits entre 1590 et 1592 pour le persuader d’épou-ser Elisabeth Vere, petite-fille de William Cecil.Mais on a démontré que Shakespeare n’a pu écrireces sonnets à l’intention de Southampton entre 1590et 15952, et lorsqu’il a composé le sonnet 107, selontoute vraisemblance en 1603-1604, le comte avaitatteint ou dépassé la trentaine. Or, dans le sonnet 108,le poète s’adresse encore à un “sweet boy3”, commeFalstaff à son royal ami (2 Henry IV, V, 5, 37).

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1. Par exemple l’idée que “W. H.” serait une coquille pour“W[illiam] S[hakespeare]”, ou représenterait “Mr William[Shakespeare] Himself”. Pourquoi recourir ici à des initialesalors que le nom de Shakespeare s’étalait sur la couverture etdevait précisément assurer la promotion du livre ?2. MacD. P. Jackson (voir op. cit. note 4 p. 12), p. 73-74.3. Ce n’est pas, j’en conviens, un argument décisif en l’absenced’ordre chronologique certain. Voir aussi la note sur le sonnet 126.