36
L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES Daniel Bennequin Institut de Mathématiques de Jussieu - Paris 7 Dominique Flament (dir) Série Documents de travail (Équipe F 2 DS) Histoires de géométries : textes du séminaire de l’année 2002, Paris, Fondation Maison des Sciences de l’Homme, 2003

L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES

Daniel BennequinInstitut de Mathématiques de Jussieu - Paris 7

Dominique Flament (dir)

Série Documents de travail (Équipe F2DS)

Histoires de géométries : textes du séminaire de l’année 2002,

Paris, Fondation Maison des Sciences de l’Homme, 2003

Page 2: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr
Page 3: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

31

L'ESPACE DES SCIENCES HUMAINES.Daniel Bennequin

Résumé approximatif des deux exposés :

"La trame du discours" I (29/04/02)"La trame du discours" II (13/05/02), introduction à "miroirs et plis" (13/05/02)

1. Problèmes de méthode

a) À l'origine de ce travail j'avais repéré dans des textes d'historiens, de linguistes, de

critiques (par exemple Braudel, Culioli, Poulet) l'intervention de formes dynamiques,

topologiques ou géométriques intéressantes. Un mathématicien pouvait alors être tenté de

préciser ces figures. Est-ce que le discours initial y gagnait quelque chose ? Pour le savoir il

fallait se faire historien, linguiste ou critique. D'autre part l'ensemble de connaissances apporté

par les sciences humaines est critiqué, par exemple par Michel Foucault dans Les mots et les

choses1 (1966). Or c'est dans ce texte sur les textes que j'ai pu trouvé les formes les mieux

décrites. Je vais tenter de dire de quoi il s'agit. Ensuite j'essaierai de montrer que le point de vue

géométrique aide à préciser le texte de Foucault et apporte des éléments nouveaux, différents du

texte : des questions et des thèses permettant de redescendre d'un commentaire d'un texte sur les

textes au problème de décrire et comprendre l'imaginaire.

b) On trouve dans M & C au moins quatre usages des figures :

1 – Un usage explicite dans le montage des trois dimensions du "domaine de l'épistémè

moderne", engendrant un espace d'évolution des "sciences humaines" (ex. p. 358).

2 – Deux ou trois schèmas structuraux (p. 87, p. 225, ...), des diagrammes de flèches entre

notions.

3 – Un tableau de Vélasquez (Les Ménines), support d'un ensemble de métaphores et de

jeux de miroirs,

1 Que nous noterons dorénavant M&C.

Page 4: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

32

4 – Et surtout, plus cachée, comme une armature, la trame du discours serré de Foucault.

En beaucoup d'endroits, la riche broderie du texte laisse voir une structure topologique

bien définie, des plis, des singularités qui entraînent l'ensemble.

c) Je propose de confronter plusieurs passages de M & C à des diagrammes (cf. fig.

suivantes) : des dessins de lignes courbes alternant des pleins et des pointillés, représentant

symboliquement des classes de fonctions réelles d'une variable réelle, modulo difféomorphismes

croissants de la source et du but. La naissance (ou la mort) d'un couple d'extrema accompagnera

la description d'une "discontinuité" de l'épistémè ; les segments monotones seront étiquetés par

des références du discours ; les minima et maxima porteront des noms évoquant des frontières

entre ensembles de discours.

La juxtaposition de figures géométriques topologiques au texte de M & C éclaire le

propos du livre, elle oriente aussi sa lecture. Par exemple : l'articulation discontinu/continu est

interprétée dans le sens de René Thom : prima du continu, singularité, déchirure pour le

discontinu dans le continu. L'opposition de concepts comme obscurité/visibilité, ou

interprétation/représentation, débouche sur une géométrie du regard, de l'intensité de perception,

de l'imagination.

À partir de là, il est possible de décrire une dynamique de champs sur une variété

stratifiée, pour un "espace des sciences humaines". Et surtout, tenant compte des mathématiques

impliquées dans les singularités rencontrées (selon les travaux de Thom, Grothendieck, Poincaré,

Riemann, Galois, ...), on peut interroger le texte, le conforter ou le critiquer, et aller au-delà sur

quelques exemples (cf §3).

2. La trame du discours de Foucault.

a) les principaux concepts du livre de Foucault sont ceux d'énoncé, de formation

discursive et d'épistémè, objets d'une "archéologie des sciences". Ils ne sont pas formellement

définis dans M & C, il faut attendre L'Archéologie du savoir (AS, 1969) et La volonté de savoir.

Histoire de la sexualité I, (VS, 1976) pour des définitions précisées. Voir "Foucault" de Gilles

Deleuze, qui met en rapport ces concepts avec la topologie des plis et la dynamique des

trajectoires.

Page 5: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

33

Trop rapidement dit : un énoncé, caractérisé par sa rareté, sa régularité, sa reproduction

est une fonction, ou une distribution de sens sur un ensemble de signes ; les discours s'entendent

ici comme des pratiques formant leurs objets, parcourues d'énoncés ; une formation discursive est

un ensemble de discours qui se stratifie (certaines strates de codimension un par exemple tendent

à séparer le mode scientifique du reste par des règles) ; une épistémè est, à une époque donnée, un

ensemble de rapports entre des domaines du savoir qui contraignent les strates des formations

discursives. L'archéologie détecte les strates et leurs accidents dans le temps.

La notion d'épistémè, surtout invoquée dans M & C est la plus délicate ; elle n'apparaît

qu'à la fin de AS (cf. §3, pour une interprétation en termes de repères).

b) L'attrait exercé par M & C encore aujourd'hui provient de sa puissance d'évocation des

siècles passés ; il fait revivre les pratiques de la renaissance, de l'âge classique et de l'ère

moderne. Les pratiques et les discours scientifiques ont eu des formes différentes aux trois

périodes XVIe, XVII-XVIIIe, XIX-XXe. Signalons que les spécialistes (français) du XVIe se

reconnaissent souvent dans les descriptions de Foucault, ou au moins les prennent en compte

pour les discuter (cf. Lestringeant, Demonet, C.G. Dubois, Huchon, Margolin) ; ceux du XVIIe

sont plutôt très critiques (cf. Robinet, Otto) même si certains y voient une remarquable source

d'inspiration (Dascal), et ceux du XIXe l'ignorent généralement. Il faut admettre que la rhétorique

de Foucault est souvent cassante, et que les divisions qu'il instaure entre renaissant et classique ou

classique et moderne sont trop tranchées et systématiques. De plus le but avoué de M & C est de

saper la prétention scientifique des "sciences humaines", ou de pointer les figures obsédantes de

Nietzsche, Freud et Marx. Pourtant il y a dans M & C une authentique volonté de comprendre et

un solide travail théorique qui méritent d'être poursuivis.

L'exposé des transformations des trois domaines du savoir dont les aspects modernes sont

philologie-linguistique, biologie et économie, constitue la plus grande part de M & C. C'est le

plus difficile à résumer, le plus long à commenter :

(1) la description du langage, ou des langues naturelles, ne commence pas en 1500, mais

les développements de la grammaire, de la dialectique et de la rhétorique au XVIe siècle révèlent

un esprit scientifique nouveau : inventaire élargi, comparaison au latin, usage de l'analogie (cf.

Chevalier, Arrivé-Chevalier), comparatisme systématique (chez, Sylvius, Meigret, Ramus,...).

Page 6: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

34

La recherche vise à faire apparaître l'ordre naturel à partir d'une description complète des langues,

"car la pensée est collée à l'organisation des signes" (Arrivé).

L'étape suivante, celle de la représentation est la Grammaire générale de Port Royal

(Arnauld & Lancelot, 1660). « La grammaire "générale" est celle d'une langue naturelle, sans

aucun doute, mais qui, logiquement antérieure à toute expression linguistique concrète, n'a que

très peu de ressemblances avec le français » (Wagner & Pinchon). Apparaissent les distinctions

sujet (ce dont on parle)/ attribut (ce qu'on en dit), les propositions principales, relatives, etc.

Suivent au XVIIIe les grands tableaux de Du Marsais, ..., Bauzée, Condillac.

Puis, la rupture philologique : Von-Humboldt, Bopp, Grimm mettent en avant les

principes internes de transformations des langues, par exemple la "loi de Grimm" (1839)

permettant de restituer l'évolution du proto-européen (~ 3000 av. J.C.), au pré-germanique (~ 500

av. J.C.), puis au proto-germanique (~ 300 ap. J.C.), en considérant la dynamique des occlusives

aspirées, sourdes ou sonores. Ensuite Saussure, distinguant synchronie/diachronie,

signifiant/signifié. Le langage est devenu "un objet de la connaissance" parmi d'autres "détenant

les lois qui le régissent" ; il a "perdu sa transparence "(M & C p.308).

Page 7: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

35

(2) L'histoire de la biologie suit un parcours analogue : partant au XVIe siècle de la

découverte de la nature, avec les descriptions hétéroclites d'Aldrovandi, Rondelet, Gesner, Thevet

(cf. Delaunay) que cherchent à ordonner les savants voyageurs comme Belon et Lery, on arrive,

après un XVIIe plutôt "expérimental", aux tableaux d'ensemble du XVIIIe, de Linné et Buffon,

puis ces tableaux se mettent à parler d'eux-mêmes avec Lamarck, Cuvier, Geoffroy St Hilaire. La

vie devient objet de connaissance, suivant ses propres règles : corrélation des organes /

corrélation des formes.

Page 8: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

36

(3) L'harmonie humaine de Bodin cherchait bien à utiliser l'arithmétique et la géométrie

pour régler l'ordre des richesses, mais sa République est construite avec la numérologie,

l'analogie et la magie des nombres :

" Tout ainisi comme on put vois és quatre premiers nombres,

que Dieu a disposés par proportion Harmonique : pour nous monstrer,

que l'estat Royal est Harmonique, & qu'il se doit gouverner

Harmoniquement : car 2. à 3, fait la quinte, 3. à 4, la quarte, deux à

quatre l'octave : & derechef, un à deux fait l'octave, 1. à 3. la douzième,

tenant la quinte & l'octave, & 1. à 4. la double octave, qui contient

l'entier systeme de tous les tons & accords de musique : & qui voudra

passer à 5. il fera un discord insupportable" (p. 1056).

P. Desan commente dans La justice mathématique de Bodin :

Il démontre ensuite que cette figure géométrique illustre tous les

rapports de pouvoir dans « tous Royaumes & Républiques bien

ordonnées » (p. 1057) ; le chiffre 1 étant bien entendu le prince

souverain, et 2, 3, 4, l' « estat Ecclesiastique », l' « estat militaire » et le

«menu peuple ». On remarquera que 2, 3, 4 doivent inévitablement

passer par le souverain (1) pour communiquer avec les autres groupes

sociaux. De même, le chiffre 1 représente pour Bodin l'intellect, 2 l'âme,

3 le cœur, et 4 le foie. Le corps humain, tout comme le corps social, a

besoin d'une harmonie entre ces organes vitaux qui contribuent tous à la

bonne santé de la société. L'harmonie musicale des républiques passe

inévitablement par le corps de l'homme, lequel renvoie fatalement au

corps social. Bodin est explicite à ce sujet, "l'homme [...] est la vraye

image de la République bien ordonnée : car l'intellect tient lieu d'unité

estant indivisible, pur & simple : puis l'ame raisonnable, que tous les

anciens ont séparé de puissance d'avec l'intellect : la troisieme est

l'appetit de vindicte, qui gist au cœur, comme les gendarmes : la

quatrieme est la cupidité bestiale, qui gist au foye, & autres intestins

nourrissants tout le corps humain, comme les laboureurs» (p. 1057). La

géométrie humaine développée par Bodin a pour fonction de créer une

logique mathématique entre l'individu et l'organisation sociale de

l'époque. Les rapports sociaux suivent le même schéma que les rapports

mathématiques élaborés dans ce chapitre sur la justice harmonique. Ce

qui cimente en quelque sorte la société française et lui évitera de tomber

plus loin dans les calamités des guerres civiles, c'est justement

Page 9: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

37

l'acceptation et le respect de cette harmonie parfaite « découverte » et

théorisée par Bodin.

Les premières représentations partielles datent du début du XVIIe (cf. Bertram) et les

représentations d'ensemble de la fin du XVIIe (Petty). Les synthèses se font au XVIIIe (Quesnay).

Les concepts modernes émergent autour de 1800 dans la théorie de l'équilibre de Adam

Smith, ou dans celle de la valeur de Ricardo ou de Malthus (1820). Apparaissent alors les règles

du besoin et du travail. Par exemple la "loi des débouchés" de Say : la production seule limite la

demande, donc tout capital a un débouché.

Comment comprendre ces trois histoires et leurs rapports est le sujet de M & C. Je

propose d'en dessiner maintenant la trame.

c) Le schéma qui éclaire l'émergence de l'épistémè classique est un cusp. L'intérieur de la

fronce est l'espace propre à la représentation :

l'image rejoint celle de l' "Oxymore baroque", écartèlement de la Raison à la Mystique

(cf. E. Green).

En regard de la figure, on doit lire le texte p.87 :

Aux deux extrémités de l'épistémé classique, on a donc une

mathesis comme science de l'ordre calculable et une genèse comme

analyse de la constitution des ordres à partir des suites empiriques. D'un

côté on utilise les symboles des opérations possibles sur des identités et

des différences; de l'autre, on analyse les marques progressivement

déposées par la ressemblance des choses et les retours de l'imagination.

Page 10: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

38

Entre la mathesis et la genèse, s'étend la région des signes, — des signes

qui traversent tout le domaine de la représentation empirique, mais ne la

débordent jamais. Bordé par le calcul et la genèse, c'est l'espace du

tableau.

Le schéma pour l'épistémè moderne est une fronce dans la première fronce :

Page 11: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

39

Des textes à l'appui sont p. 229 :

Les dernières années du XVIIIe siècle sont rompues par une,

discontinuité symétrique de celle qui avait brisé, au début du XVIIe, la

pensée de la Renaissance ; alors, les grandes figures circulaires où

s'enfermait la similitude s'étaient disloquées et ouvertes pour que le

tableau des identités puisse se déployer; et ce tableau maintenant va se

défaire à son tour, le savoir se logeant dans un espace nouveau.

Discontinuité aussi énigmatique dans son principe, dans son primitif

déchirement que celle qui sépare les cercles de Paracelse de l'ordre

cartésien. D'où vient brusquement cette mobilité inattendue des

dispositions épistémologiques, la dérive des positivités les unes par

rapport aux autres, plus profondément encore l'altération de leur mode

d'être ? Comment se fait-il que la pensée se détache de ces plages qu'elle

habitait jadis — grammaire générale, histoire naturelle, richesses — et

qu'elle laisse basculer dans l'erreur, la chimère, dans le non-savoir cela

même qui, moins de vingt ans auparavant, était posé et affirmé dans

l'espace lumineux de la connaissance ? A quel évènement ou à quelle loi

obéissent ces mutations qui font que soudain les choses ne sont plus

perçues, décrites, énoncées, caractérisées, classées et sues de la même

façon, et que dans l'interstice des mots ou sous leur transparence, ce ne

sont plus les richesses, les êtres vivants, le discours qui s'offrent au

savoir, mais des êtres radicalement différents ? Pour une archéologie du

savoir, cette ouverture profonde dans la nappe des continuités, si elle

doit être analysée, et minutieusement, ne peut être « expliquée » ni même

recueillie en une parole unique. Elle est un évènement radical qui se

répartit sur toute la surface visible du savoir et dont on peut suivre pas à

pas les signes, les secousses, les effets.

p.252-253,

L'espace d'ordre qui servait de lieu commun à la représentation

et aux choses, à la visibilité empirique et aux règles essentielles, qui

unissait les régularités de la nature et les ressemblances de l'imagination

dans le quadrillage des identités et des différences, qui étalait la suite

empirique des représentations dans un tableau simultané, et permettait

de parcourir pas à pas selon une suite logique l'ensemble des éléments de

la nature rendus contemporains d'eux-mêmes — cet espace d'ordre va

Page 12: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

40

être désormais rompu : il y aura les choses, avec leur organisation

propre, leurs secrètes nervures, l'espace qui les articule, le temps qui les

produit; et puis la représentation, pure succession temporelle, où elles

s'annoncent toujours partiellement à une subjectivité, à une conscience,

à 1'effort singulier d'une connaissance, à l'individu « psychologique » qui

du fond de sa propre histoire, ou à partir de la tradition qu'on lui a

transmise, essaie de savoir. La représentation est en voie de ne plus

pouvoir définir le mode d'être commun aux choses et à la connaissance.

L'être même de ce qui est représenté va tomber maintenant hors de la

représentation elle-même.

p.263-264,

Ainsi, la culture européenne s'invente une profondeur où il sera

question non plus des identités, des caractères distinctifs, des tables

permanentes avec tous leurs chemins et parcours possibles, mais des

grandes forces cachées développées à partir de leur noyau primitif et

inaccessible, mais de 1'origine, de la causalité et de I'histoire. Désormais,

les choses ne viendront plus à la représentation que du fond de cette

épaisseur retirée en soi, brouillées peut-être et rendues plus sombres par

son obscurité, mais nouées fortement à elles-mêmes, assemblées ou

partagées, groupées sans recours par la vigueur qui se cache là-bas, en ce

fond. Les figures visibles, leurs liens, les blancs qui les isolent et cernent

leur profil— ils ne s'offriront plus à notre regard que tout composés,

déjà articulés dans cette nuit d'en dessous qui les fomente avec le temps.

Page 13: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

41

La double fronce plisse l'espace de l'épistémè, sol au-dessus duquel naviguent les sciences

humaines:

p 358-359

Il faut plutôt se représenter le domaine de l'épistémè moderne

comme un espace volumineux et ouvert selon trois dimensions. Sur l'une

d'entre elles, on situerait les sciences mathématiques et physiques, pour

lesquelles l'ordre est toujours un enchaînement déductif et linéaire de

propositions évidentes ou vérifiées; il y aurait, dans une autre dimension,

des sciences (comme celles du langage, de la vie, de la production et de la

distribution des richesses) qui procèdent à la mise en rapport d'éléments

discontinus mais analogues, si bien qu'elles peuvent établir entre eux des

Page 14: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

42

relations causales et des constantes de structure. Ces deux premières

dimensions définissent entre elles un plan commun : celui qui peut

apparaître, selon le sens dans lequel on le parcourt, comme champ

d'application des mathématiques à ces sciences empiriques, ou domaine

du mathématisable dans la linguistique, la biologie et l'économie. Quant

à la troisième dimension ce serait celle de la réflexion philosophique qui

se développe comme pensée du Même; avec la dimension de la

linguistique, de la biologie et de l'économie, elle dessine un plan

commun : là peuvent apparaître et sont en effet apparues les diverses

philosophies de la vie, de l'homme aliéné, des formes symboliques

(lorsqu'on transpose à la philosophie les concepts et les problèmes qui

sont nés dans différents domaines empiriques); mais là aussi sont

apparues, si on interroge d'un point de vue radicalement philosophique

le fondement de ces empiricités, des ontologies régionales qui essaient de

définir ce que sont, en leur être propre, la vie, le travail et le langage;

enfin la dimension philosophique définit avec celle des disciplines

mathématiques un plan commun : celui de la formalisation de la pensée.

De ce trièdre épistémologique, les sciences humaines sont

exclues, en ce sens du moins qu'on ne peut les trouver sur aucune des

dimensions ni à la surface d'aucun des plans ainsi dessinés. Mais on peut

dire aussi bien qu'elles sont incluses par lui, car c'est dans l'interstice de

ces savoirs, plus exactement dans le volume défini par leurs trois

dimensions qu'elles trouvent leur place. Cette situation (en un sens

mineure, en un autre privilégiée) les met en rapport avec toutes les

autres formes de savoir : elles ont le projet, plus ou moins différé, mais

constant, de se donner ou en tout cas d'utiliser, à un niveau ou à un

autre, une formalisation mathématique; elles procèdent selon des

modèles ou des concepts qui sont empruntés à la biologie, à l'économie et

aux sciences du langage; elles s'adressent enfin à ce mode d'être de

l'homme que la philosophie cherche à penser au niveau de la finitude

radicale, tandis qu'elles-mêmes veulent en parcourir les manifestations

empiriques. C'est peut-être cette répartition en nuage dans un espace à

trois dimensions qui rend les sciences humaines si difficiles à situer, qui

donne son irréductible précarité à leur localisation dans le domaine

épistémologique, qui les fait apparaître à la fois périlleuses et en péril.

Périlleuses, car elles représentent pour tous les autres savoirs comme un

danger permanent : certes, ni les sciences déductives, ni les sciences

empiriques, ni la réflexion philosophique ne risquent, si elles demeurent

Page 15: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

43

dans leur dimension propre, de « passer » aux sciences humaines ou de

se charger de leur impureté; mais on sait quelles difficultés, parfois,

rencontre l'établissement de ces plans intermédiaires qui unissent les

unes aux autres les trois dimensions de l'espace épistémologique; c'est

que la moindre déviation par rapport à ces plans rigoureux, fait tomber

la pensée dans le domaine investi par les sciences humaines : de là le

danger du « psychologisme », du « sociologisme », — de ce qu'on

pourrait appeler d'un mot l'« anthropologisme » — qui devient

menaçant dès que par exemple on ne réfléchit pas correctement les

rapports de la pensée et de la formalisation, ou dès qu'on n'analyse pas

comme il faut les modes d'être de la vie, du travail et du langage.

L'« anthropologisation » est de nos jours le grand danger intérieur du

savoir. On croit facilement que l'homme s'est affranchi de lui-même

depuis qu'il a découvert qu'il n'etait ni au centre de la création, ni au

milieu de l'espace, ni peut-être même au sommet et à la fin dernière de la

vie ; mais si l'homme n'est plus souverain au royaume du monde, s'il ne

règne plus au mitan de l'être, les « sciences humaines » sont de

dangereux intermédiaires dans l'espace du savoir. Mais à dire vrai cette

imposture même les voue à une instabilité essentielle. Ce qui explique la

difficulté des « sciences humaines », leur précarité, leur incertitude

comme sciences, leur dangereuse familiarité avec la philosophie, leur

appui mal défini sur d'autres domaines du savoir, leur caractère

toujours second et dérivé, mais leur prétention à l'universel, ce n'est pas,

comme on le dit souvent, l'extrême densité de leur objet ; ce n'est pas le

statut métaphysique, ou 1'ineffaçable transcendance de cet homme dont

elles parlent, mais bien la complexité de la configuration épistémologique

où elles se trouvent placées, leur rapport constant aux trois dimensions

qui leur donne leur espace.

Voici enfin quelques exemples de diagrammes qui illustreraient le texte de M & C, avec

des extraits appropriés. On voit que ce sont des sections de fronces.

p 82,

A l'ourlet extérieur du savoir, la similitude, c'est cette forme à

peine dessinée, ce rudiment de relation que la connaissance doit

recouvrir dans toute sa largeur, mais qui, indéfiniment, demeure au-

dessous d'elle, à la manière d'une nécessité muette et ineffaçable.

Page 16: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

44

Comme au XVIe siècle, ressemblance et signe s'appellent

fatalement. Mais sur un mode nouveau.

Le sommet est celui de la représentation d'images, le puits celui de la représentation de

choses : c'est le lieu de l'ancienne pliure simple du monde ( cf. § 3).

P 83-84,

En cette position de limite et de condition (ce sans quoi et en

deçà de quoi on ne peut connaître), la ressemblance se situe du côté de

l'imagination ou, plus exactement, elle n'apparaît que par la vertu de

l'imagination et l’imagination en retour ne s’exerce qu’en prenant appui

sur elle. (…).

On voit le double réquisit. II faut qu'il y ait, dans les choses

représentées, le murmure insistant de la ressemblance; il faut qu'il y ait,

dans la représentation, le repli toujours possible de l'imagination. Et ni

l'un ni l'autre de ces réquisits ne peut se dispenser de celui qui le

complète et lui fait face. De là, deux directions d'analyse qui se sont

maintenues tout au long de l'âge classique et n'ont cessé de se rapprocher

pour énoncer finalement dans la dernière moitié du XVIIIe siècle leur

vérité commune dans l'Idéologie. D'un côté, on trouve l'analyse qui rend

compte du renversement de la série des représentations en un tableau

inactuel mais simultané de comparaisons : analyse de l'impression, de la

réminiscence, de l'imagination, de la mémoire, de tout ce fond

involontaire qui est comme la mécanique de l'image dans le temps. De

l'autre, il y a l'analyse qui rend compte de la ressemblance des choses, —

Page 17: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

45

de leur ressemblance avant leur mise en ordre, leur décomposition en

éléments identiques et différents, la répartition en tableau de leurs

similitudes désordonnées : pourquoi donc les choses se donnent-elles

dans un chevauchement, dans un mélange, dans un entrecroisement où

leur ordre essentiel est brouillé, mais assez visible encore pour qu'il

transparaisse sous forme de ressemblances, de similitudes vagues,

d'occasions allusives pour une mémoire en alerte ? La première série de

problèmes correspond en gros à l'analytique de l'imagination, comme

pouvoir positif de transformer le temps linéaire de la représentation en

espace simultané d'éléments virtuels; la seconde correspond en gros à

l'analyse de la nature, avec les lacunes, les désordres qui brouillent le

tableau des êtres et l'éparpillent en une suite de représentations qui,

vaguement, et de loin, se ressemblent.

P 85,

(…) Sans doute l'imagination n'est-elle en apparence qu'une des

propriétés de la nature humaine, et la ressemblance un des effets de la

nature. Mais à suivre le réseau archéologique : qui donne ses lois à la

pensée classique, on voit bien que la nature humaine se loge dans ce

mince débordement de la représentation qui lui permet de se re-

présenter (toute la nature humaine est là : juste assez à l'extérieur de la

représentation pour qu'elle se présente à nouveau, dans l'espace blanc

qui sépare la présence de la représentation et le « re- » de sa répétition) ;

et que la nature n'est que l'insaisissable brouillage de la représentation

qui fait que la ressemblance y est sensible avant que l'ordre des identités

ne soit visible. Nature et nature humaine permettent, dans la

Page 18: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

46

configuration générale de l'épistémè, l'ajustement de la ressemblance et

de l'imagination, qui fonde et rend possibles toutes les sciences

empiriques de l'ordre.

Au XVIe siècle, la ressemblance était liée à un système de signes;

et c'était leur interprétation qui ouvrait le champ des connaissances

concrètes. A partir du XVIe siècle, la ressemblance est repoussée aux

confins du savoir, du côté de ses frontières les plus basses et les plus

humbles. Là, elle se lie à l'imagination, aux répétitions incertaines, aux

analogies embuées. Et au lieu d'ouvrir sur une science de

l'interprétation, elle implique une genèse qui remonte de ces formes

frustes du Même aux grands tableaux du savoir développes selon les

formes de l'identité, de la différence et de l'ordre. Le projet d'une science

de l'ordre, tel qu'il fut fondé au XVIIe siècle impliquait qu'il soit double

d'une genèse de la connaissance, comme il le fut effectivement et sans

interruption de Locke à I'Idéologie.

Puis la profondeur moderne : p 261,

Les conséquences les plus lointaines, et pour nous les plus

difficiles à contourner, de l'évènement fondamental qui est survenu à

1'épistémè occidentale vers la fin du XIXe siècle, peuvent se résumer

ainsi: négativement, le domaine des formes pures de la connaissance

s'isole, prenant à la fois autonomie et souveraineté par rapport à tout

savoir empirique, faisant naître et renaître indéfiniment le projet de

formaliser le concret et de constituer envers et contre tout des sciences

pures; positivement, les domaines empiriques se lient à des réflexions sur

la subjectivité, l'être humain et la finitude, prenant valeur et fonction de

philosophie, aussi bien que de réduction de la philosophie ou de contre-

philosophie.

Page 19: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

47

Finalement les replis de l'épistémè : p368-369,

(…) Mais il y a aussi les modèles constituants qui ne sont pas pour les

sciences humaines des techniques de formalisation ni de simples moyens

pour imaginer, à moindre frais, des processus; ils permettent de former

des ensembles de phénomènes comme autant d' « objets » pour un savoir

possible; ils assurent leur liaison dans l'empiricité, mais ils les offrent à

l'expérience déjà liés ensemble. IIs jouent le rôle de « catégories » dans le

savoir singulier des sciences humaines.

Ces modèles constituants sont empruntés aux trois domaines de

la biologie, de l'économie et de l'étude du langage. C'est sur la surface de

projection de la biologie que l'homme apparaît comme un être ayant des

fonctions, — recevant des stimuli (physiologiques, mais aussi bien

sociaux, interhumains, culturels), y répondant, s'adaptant, évoluant, se

soumettant aux exigences du milieu, composant avec les modifications

qu'il impose, cherchant à effacer les déséquilibres, agissant selon des

régularités, ayant en somme des conditions d'existence et la possibilité de

trouver des normes moyennes d'ajustement qui lui permettent d'exercer

ses fonctions. Sur la surface de projection de l'économie, l'homme

apparaît comme ayant des besoins des désirs, comme cherchant à les

satisfaire ayant donc intérêts, visant à des profits, s'opposant à d'autres

hommes ; bref, il apparaît dans une irréductible situation de conflit ; ces

conflits, il les esquive, il les fuit, ou il parvient à les dominer, à trouver

une solution qui en apaise, au moins à un niveau et pour un temps, la

contradiction; il instaure un ensemble de règles qui sont a la fois

Page 20: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

48

limitation et rebondissement du conflit. Enfin, sur la surface de

projection du langage, les conduites de l'homme apparaissent comme

voulant dire quelque chose ; ses moindres gestes, jusqu'en leurs

mécanismes involontaires et jusqu'en leurs échecs, ont un sens; et tout ce

qu'il dépose autour de lui en fait d'objets, de rites, d'habitudes, de

discours, tout le sillage de traces qu'il laisse derrière lui constitue un

ensemble cohérent et un système de signes. Ainsi ces trois couples de la

fonction et de la norme, du conflit et de la règle, de la signification et du

système couvrent sans résidu le domaine entier de la connaissance de

l'homme.

Toutes ces figures sont censées éclairer les textes. Pour le vérifier, l'assentiment d'autres

lecteurs que moi est indispensable.

La question est celle d'un usage non- métaphorique des figures géométriques.

Mais, en prenant la figure à la lettre des questions se posent qui ré-interrogent le texte et

parfois le précisent. Un exemple : a priori on comprendrait mieux que le pli nommé "modèle" se

relie continuement au pli "mathesis" des représentations d'images, à travers le versant appelé

Page 21: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

49

"formel" au sein des discours jugés cohérents. Or les figures représentées ont renversé cet ordre :

sur la nappe "réelle" on doit passer par l'obscur "fondement" et traverser l'empiricité pour joindre

"mathesis" à "modèle". C'est pourtant ce qu'il faut, car vers 1800, le "fondement se substitue au

lieu d'apparition des identités" de l'ordre empirique pour que "les choses accèdent à la

représentation". Comme une nouvelle origine. Et les discours des modèles et de la représentation

débordent l'un sur l'autre sur une "épaisseur" nouvelle. La meilleure image pour le comprendre

est celle du regard (à gauche sur les dessins) ; l'axe vertical est celui d'un effort pour sortir de soi,

la naissance du plus extérieur arrive brutalement par en bas avec l'ordre empirique. Seule l'ombre

projetée compte ; de même "modèle" et "finitude" sont des altitudes de sauts (de capture dirait

Thom) d'un discours à un autre. La visibilité met aussi en jeu une figure de réversibilité. Il est

tentant d'utiliser des métaphores de texture, d'opacité, de luminosité etc. On comprend aussi que

le versant pointillé le plus proche est celui de la représentation, le plus loin (à droite sur le

dessin) étant celui de l'interprétation, se renvoyant sur l'ancienne nature.

Pourtant un autre intérêt des figures est d'aller au-delà du texte.

3 Qu'est ce qui se plie?

Selon Culioli "énoncer, c'est construire un espace, orienter, déterminer établir un niveau

de valeurs préférentielles, bref un système de repérage".

Les plis qui entraînent les autres sont ceux d'un espace des repères : sur une étendue

continue de positions, une fonction potentiel répartie les positions stables, décide leurs bassins

d'attractions.

En pleine Renaissance le potentiel en question possédait un unique équilibre : la surface

du monde. Une grandiose symétrie, selon Paracelse ou Postel, rabattait le macrocosme sur le

microcosme.

Page 22: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

50

A la pliure les mondes extérieurs et intérieurs s'interprétaient.

A la fin de la Renaissance le pli se dédouble, il est possible de se tourner d'un côté ou de

l'autre au plus prêt de l'âme de la Nature ou de l'ordre logique. Des méthodes opposées sont

inventées par Bruno et Ramus. Voir le conflit entre leurs Arts de la Mémoire qui éclata en

Angleterre en 1584 (cf. Yates, 1966). Paradoxalement, le mathématicien Ramus reproche à

Euclide de ne pas exposer ses éléments selon la méthode "divisive" où tout ce qui regarde un

même sujet devrait se trouver ensemble (cf. Leibnitz). Il faudrait procéder toujours par divisions

et sous-divisions. L'ordre devrait s'imposer à partir des choses elles-mêmes. Alors que le

philosophe Bruno cherche l'esprit et l'unité partout, dans le monde infini et anticipe la méthode

démonstrative des géomètres qui va révolutionner la Physique.

En avançant dans l'âge classique les deux Méthodes, récitative et démonstrative, vont se

coordonner dans les sciences, un ordre des énoncés va s'installer entre les deux postures. Le

"voile des mots" de Berkeley représente cette position instable séparant deux puits obscurs mis à

la place du dehors et du dedans.

Page 23: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

51

Les figures dessinées au § 2 sont dérivées des figures de potentiels ci-dessus, elles sont les

lignes des équilibres possibles, les points critiques du potentiel : en plein les stables en pointillé

l'instable, le seul à compter pour "changer les vérités dans les sciences".

Le regard est capable, à chaque instant, de reconstituer un ensemble de postures : il peut

rapprocher un équilibre stable de l'instable, et les faire s'évanouir ensemble. Il fait aussi du plus

instable et élevé le centre d'intérêt le plus stable.

Vers 1800, la seconde catastrophe ajoute deux équilibres, la "finitude de l'homme" et

l'obscur "humain" d'où les sciences humaines surgissent.

Page 24: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

52

Présentées ainsi les complications de l'espace des repères semblent provoquées par des

accidents souterrains : une poussée de roche dure contre une pesanteur de sable. Cependant elles

sont à chaque fois précédées de peu par une complication invisible, une modification imaginaire

dont les traces visibles appartiennent au réseau des signes et des termes des discours.

Ces deux catastrophes se font au détriment d'une perte ; la première disparition est celle

de l'infinie référence du signe, par empilements imaginaires. La seconde disparition est celle

d'oppositions internes aux discours, de tensions dans les tableaux, qui provoquent aussi d'infinies

références internes ; par exemple : le travail comme production face au travail comme

marchandise. De cette "perte d'imaginaire" vient l'interprétation homologique de la fronce.

Par exemple au XVIe siècle les dictionnaires Français-Latin sont devenus tri-lingues puis

Français-Français. Vers la fin du siècle la grammaire se simplifie, (cf. Gougenheim). Surtout,

selon Foucault (M&C, p 57) le fonctionnement du signe est ternaire,

Page 25: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

53

et se réplique indéfiniment.

Au XVII e siècle, en même temps que se fait le pli de la représentation, le fonctionnement

devient binaire.

De même à la fin du XVIIIe siècle se heurtent des significations différentes des mots

"travail", "vie", "langue" (cf. M&C, p.265). Or au moment où se fait le pli de l'homme, les

oppositions se perdent.

Si l'on cherche à dessiner ces complications imaginaires, c'est plutôt une structure discrète

qui se propose d'abord : un réseau de points avec un ensemble de symétries. Par exemple

les positions de Ramus ou Bruno évoquent des pliures, une autour de la Mathésis, une autour de

Page 26: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

54

la Genèse. Des réflexions dans un plan H, qui engendrent les symétries d'un triangle équilatéral.

Jeux de miroirs, ou kaleidoscopes.

Les sommets de ce triangle sont, dans l'imaginaire, les répondants des équilibres à

venir.La théorie des singularités de fonctions de variable complexe rend compte de ces symétries,

monodromies en homologie (cf. M. Porte.)

La forme réelle ∆ est le quotient du plan H par le groupe de symétries G. (C'est-à-dire

qu'une fonction lisse sur ∆ est une fonction lisse G-invariante sur H.)

Page 27: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

55

Remarque : pour l'intérieur de la pointe de la fronce, le plan réel H suffit mais pour

l'extérieur il faut complexifier H.

L'intervention des nombres imaginaires peut paraître bien étrange (sinon délirante),

pourtant les dessins dans les espaces complexes (sur C) sont souvent plus simples, plus stables,

que les dessins réels (sur R) : une intersection n'y disparaît jamais complètement, comme dans la

mémoire. Des racines imaginaires, en s'approchant de trop près, se transforment en racines

réelles.

De plus il s'agit ici d'un retour en arrière, sur l'imaginaire passé, une lecture de textes

anciens qui vise à décoller des termes aujourd'hui identifiés. Et c'est peut-être le paradoxe de

l'imaginaire : être toujours actif, mais ne devenir accessible que pour la part disparue, être

toujours un effet rétrospectif.

4 Images de miroirs et de plis

C'est le début inachevé de "Miroirs et plis". Limitons nous à quelques images extraites du

livre de Stéphane Castelluccio (et une de M&C) : au début du XVIIe siècle, en France, entre la

Renaissance et l'Âge classique du Roi Soleil, à l'époque de Louis XIII, le style du mobilier fut

bouleversé. A côté de lourdes draperies richement brodées, idéales pour recueillir les plis et les

fronces, le goût s'est porté sur les miroirs, et plus particulièrement sur des meubles très spéciaux,

aujourd'hui disparus : les cabinets. Derrière leurs portes d'ébènes, on découvrait des motifs

géométriques, des paysages, des minéraux et des jeux de miroirs qui dépliaient la scène centrale.

Page 28: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr
Page 29: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr
Page 30: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr
Page 31: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr
Page 32: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr
Page 33: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr
Page 34: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr
Page 35: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

63

Bibliographie

• A.Arnauld et P.Nicole. "La logique ou l'art de penser", 1662, réed. Vrin,1993.

• M.Arrivé, J.C Chevalier."La Grammaire", Klincksieck, Paris, 1970.

• P.Belon du Mans. "L'histoire de la de la nature des oyseaux" Paris, 1555, ( fac.similé avecintroduction et notes par Ph. Gladron, Droz, Genève, 1997.

• S.Castellucio. "Le style Louis XIII", Coll. Des Styles. Les Editions de l'amateur. Paris, 2002

• J.C Chevalier. "Histoire de la grammaire française", PUF, Que sais-je ?. 1994 2ème

éd.corrigée 1996.

• A.Culioli. "Pour une linguistique de l'Enonciation. Formalisation et opération de repérage",Tome 2, Ophrys, Paris, 1999.

• M.Dascal. "La sémiologie de Leibniz", Aubier Montaigne, Paris, 1978.

• P.Delaunay. "La Zoologie au seizième siècle", Hermann, Paris, 1962.

• G.Deleuze."Foucault", Minuit, Paris, 1986.

• G.Deleuze. "Le pli. Leibniz et le baroque", Minuit, Paris, 1988.

• M.L.Demonet." Les voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580)", Paris, Champion, 1992.

• P.Desan. "Bodin", "La justice mathématique", Corpus n° 4

• "Descartes et la Renaissance", Actes du colloque international de Tours, 1996, Champion,Paris, 1999.

• C.G.Dubois. "Mythe et langage au seizième siècle", Ducros, Bordeaux, 1970.

• C.G Dubois. "L'imaginaire de la renaissance", PUF/Écriture, Paris, 1985.

• M.Foucault. "Les mots et les choses, une archéologie des sciences humaines", Bibliothèquedes Sciences Humaines, Gallimard, Paris, 1996.

• M.Foucault. "l'Archéologie du savoir", Bibliothèque des Sciences Humaines, Gallimard,Paris, 1969

• M.Foucault. "Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir", Bibliothèque des Histoires,Gallimard, Paris, 1976.

• G.Gougenheim. "Grammaire de la langue française du XVI ème siècle", Picard, 1974.

• E.Green. "La parole baroque", Desclée de Brouwer, Paris, 2001.

• M.Huchon. "Le français à la Renaissance", PUF, Que sais-je?. Paris, 1988 (2ème ed.corrigée,1998).

• M.Jeanneret. "Léry et Thevet : comment parler d'un monde nouveau?" in "D'encre deBrésil", F.Lestringant, M.C.Gomez-Géraud.

Page 36: L’ESPACE DES SCIENCES HUMAINES - msh-paris.fr

64

• K.Kolb."Essai sur les Traités de Poissons de la Renaissance. Graveurs, Artistes et Hommesde Science", Édition des Cendres & Institut d'Études du livre, Paris, 1996.

• G.W.Leibniz. "Textes inédits" d'après les manuscrits de la Bibliothèque provinciale deHanovre, publiés et annotés par Gaston Grua, Tome 2, Puf, Paris, 1948.

• J.de Lery. "Histoire d'un voyage faict en la terre de Brésil", 1580, Ed. Franck Lestringant. LeLivre de Poche, Bibliothèque classique, Paris, 1994.

• F.Lestringant, M.C.Gomez-Géraud. "D'encre de Brésil, Jean de Lery, écrivain". Paradigme,Orléans, 1999.

• J.C.Margolin. "Philosophie de la Renaissance", Paradigme, Orléans, 1998.

• S.Otto. "Représentation et ressemblance. Stratégies de la "repraesentatio mundi" dans lesmodes de pensées de la Renaissance et dans la philosophie cartésienne", in Descartes à laRenaissance.

• M.Porte. "Pulsions et politique", suivi de "Le non-être homologique", par D.Bennequin.Espaces Théoriques, L'Harmattan, Paris, 1997.

• K.Pribram."Les fondements de la pensée économique", J.Hopkins, UP, 1983, Economica,1986 pour la traduction française.

• P.de La Ramée. "Grammaire", 1572, Ed.commentée par C.Demaizière, Champion, Paris,2001.

• A.Robinet. "Le langage à l'Âge classique", Klincksieck, Paris 1978 (voir aussi dansDescartes et la Renaissance).

• N.Robinet-Bruyère, in Descartes et la Renaissance.

• R.Thom. "Stabilité structurelle et morphogenèse", 2ème éd. InterEditions, Paris, 1977.

• R.Thom."Esquisse d'une sémiophysique, (Physique aristotélicienne et théorie descatastrophes)", InterEditions, Paris, 1988.

• F.Tinguely. "Jean de Léry et les vestiges de la pensée analogique", in "D'encre de Brésil",F.Lestringant et M.C Gomez-Géraud.

• R.Wagner et J.Pinchon. "Grammaire du Français classique et moderne", Hachette, Paris,1991.

• F.A.Yates. "L'art de la mémoire", 1966. Traduction française, Bibliothèque des Histoires,Gallimard, 1975.