L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde

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Dans son rapport, l’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) alerte la communauté internationale sur la poussée de fièvre observée depuis la mi-2010 sur les tarifs des denrées. Une tendance qui risque de s’accentuer.

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Ltat de

linscurit alimentaire dans le mondeComment la volatilit des cours internationaux porte-t-elle atteinte lconomie et la scurit alimentaire des pays?

2011

Messages cls Key messages

Les petits pays dpendants des importations, notamment en Afrique, ont t frapps de plein fouet par les crises alimentaire et conomique. Quelques grands pays sont parvenus se mettre labri des crises grce des politiques restreignant la libert du commerce et des mcanismes de protection sociale performants, mais le protectionnisme commercial a favoris laugmentation des prix et de la volatilit sur les marchs internationaux. Les prix des denres alimentaires vont vraisemblablement rester levs et volatils. La demande des consommateurs augmentera dans les conomies forte croissance, la croissance dmographique se poursuit, et toute nouvelle expansion du secteur des biocarburants exercera une pression supplmentaire sur le systme vivrier. Du ct de loffre, les principaux enjeux sont lappauvrissement des ressources naturelles dans certaines rgions et la baisse des taux de croissance des rendements pour certaines denres de base. Quant la volatilit des prix alimentaires, elle pourrait tre amplie par le resserrement des liens entre les marchs agricoles et nergtiques et la multiplication des phnomnes climatiques extrmes. La volatilit des prix favorise la recrudescence de la pauvret chez les petits agriculteurs et les consommateurs pauvres. Lalimentation reprsentant une grande part des revenus des agriculteurs et des budgets des consommateurs pauvres, de fortes variations des prix ont de fortes rpercussions sur leurs revenus rels. Cest pourquoi, mme de brefs pisodes de hausse des prix pour les consommateurs ou de baisse des prix pour les agriculteurs peuvent entraner la vente de moyens de production terre et animaux dlevage, par exemple bas prix et le dclenchement ventuel de piges de la pauvret. De plus, les petits exploitants rechignent investir dans les mesures visant amliorer la productivit quand les variations des prix sont imprvisibles. De fortes oscillations des prix sur une courte priode peuvent avoir des effets durables sur le dveloppement. Et la variation des revenus qui en rsulte risque de rduire la consommation dlments nutritifs vitaux pour les enfants pendant les 1 000 premiers jours qui suivent leur conception, ce qui entrane une limitation permanente de leur capacit gagner leur vie et accrot les probabilits dtre pauvres lavenir, ralentissant de ce fait le processus de dveloppement conomique. La hausse des prix alimentaires aggrave linscurit alimentaire court terme. Les avantages protent principalement aux agriculteurs disposant de terres et dautres ressources en sufsance, tandis que les plus pauvres parmi les pauvres achtent plus de vivres quils nen produisent. Les hauts niveaux des prix des denres alimentaires sont dsavantageux non seulement pour les pauvres des zones urbaines mais aussi pour de nombreux pauvres des zones rurales, qui sont gnralement acheteurs nets de vivres. La diversit des

rpercussions lintrieur des pays fait ressortir la ncessit dafner les donnes et lanalyse des politiques. La hausse des prix ouvre la voie linvestissement durable dans le secteur agricole, ce qui contribue lamlioration de la scurit alimentaire sur le long terme. Sur les marchs intrieurs, les prix de dtail et les prix la production ont fortement augment dans la plupart des pays pendant la crise alimentaire mondiale de 2006-2008, ce qui a entran une forte pousse de loffre dans de nombreux pays, malgr la hausse des prix des engrais. Il est fondamental de prolonger cette raction instantane de loffre, en accroissant linvestissement dans lagriculture, y compris par le biais dinitiatives qui ciblent les petits exploitants et les aident accder aux marchs, par exemple linitiative Achats au service du progrs (P4P). Les mcanismes de protection sociale jouent un rle crucial parce quils attnuent linscurit alimentaire court terme, tout en jetant les bases du dveloppement long terme. Pour parvenir limiter les consquences nfastes de la volatilit des prix, les mcanismes de protection sociale doivent tre cibls et conus lavance et en consultation avec les populations les plus vulnrables. Pour garantir la scurit alimentaire, une stratgie misant la fois sur lamlioration de la productivit agricole, une plus grande prvisibilit des politiques et louverture gnralise la concurrence commerciale sera plus efcace que toute autre stratgie. Les politiques qui restreignent la libert du commerce peuvent protger les marchs intrieurs de la volatilit des cours mondiaux mais elles peuvent aussi exacerber la volatilit des prix sur les marchs intrieurs en cas de choc du ct de loffre nationale, en particulier si les politiques publiques sont imprvisibles et erratiques. Des politiques publiques plus prvisibles et propices la participation du secteur priv au commerce tendront attnuer la volatilit des prix. Linvestissement dans lagriculture joue un rle dcisif dans linstauration durable de la scurit alimentaire long terme. Il amliorera la comptitivit de la production intrieure, accrotra les bnces des agriculteurs et rendra les denres alimentaires plus abordables pour les pauvres. Par exemple, une irrigation performante et des pratiques et des semences amliores issues de la recherche agronomique peuvent minimiser les risques lis la production auxquels les agriculteurs, en particulier les petits exploitants, sont confronts, et rduire la volatilit des prix. Lessentiel de linvestissement sera du ressort du secteur priv, mais linvestissement public aura un rle de catalyseur jouer en nanant les biens publics que le secteur priv ne prendra pas sa charge. Ces investissements devront tenir compte des droits des usagers des terres et des ressources naturelles, proter aux communauts locales, et promouvoir la scurit alimentaire sans entraner de dgradation intempestive de lenvironnement.

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linscurit alimentaire dans le mondeComment la volatilit des cours internationaux porte-t-elle atteinte lconomie et la scurit alimentaire des pays?

ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR LALIMENTATION ET LAGRICULTURE Rome, 2011

2011

Les appellations employes dans ce produit dinformation et la prsentation des donnes qui y figurent nimpliquent de la part de lOrganisation des Nations Unies pour lalimentation et lagriculture (FAO), du Fonds international de dveloppement agricole (FIDA) ou du Programme alimentaire mondial (PAM) aucune prise de position quant au statut juridique ou au stade de dveloppement des pays, territoires, villes ou zones ou de leurs autorits, ni quant au trac de leurs frontires ou limites. La mention de socits dtermines ou de produits de fabricants, quils soient ou non brevets, nentrane, de la part de la FAO, du FIDA ou du PAM, aucune approbation ou recommandation desdits produits de prfrence dautres de nature analogue qui ne sont pas cits. Les appellations employes et la prsentation des donnes sur les cartes nimpliquent de la part de la FAO, du FIDA ou du PAM aucune prise de position quant au statut juridique ou constitutionnel des pays, territoires ou zones maritimes, ni quant au trac de leurs frontires ou limites.

ISBN 978-92-5-206927-0

Tous droits rservs. La FAO encourage la reproduction et la diffusion des informations figurant dans ce produit dinformation. Les utilisations des fins non commerciales seront autorises titre gracieux sur demande. La reproduction pour la revente ou dautres fins commerciales, y compris des fins didactiques, pourra tre soumise des frais. Les demandes dautorisation de reproduction ou de diffusion de matriel dont les droits dauteur sont dtenus par la FAO et toute autre requte concernant les droits et les licences sont adresser par courriel ladresse [email protected] ou au Chef de la Sous-Division des politiques et de lappui en matire de publications, Bureau de lchange des connaissances, de la recherche et de la vulgarisation, FAO, Viale delle Terme di Caracalla, 00153 Rome, Italie.

FAO 2011

T A B L E D E S M A T I R E S

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Avant-propos

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La sous-alimentation dans le monde: lesrpercussions du choc des prix de 2006-2008Les crises ont frapp les pauvres et les plus faibles Rviser la mthodologie utilise par la FAO pour mesurer la faim

8 10 11

Tendances rcentes des cours mondiaux desproduits: cots et avantagesTendances passes et futures des cours mondiaux des denres alimentaires Cots et avantages des hauts niveaux et des bas niveaux des prix des denres alimentaires Cots et avantages de la volatilit et de limprvisibilit des prix

11 14 18 23

Enseignements tirs de la crise alimentaire mondiale de 2006-2008

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Options politiques permettant de faire face la volatilit et la hausse des prixPrvenir la volatilit des prix sur les marchs intrieurs court terme: politiques commerciales et rserves tampons Sadapter la probable volatilit des prix lavenir: la gestion des risques pour les petits exploitants et les gouvernements Sadapter la volatilit des prix quand elle est invitable: lesmcanismes de protection sociale cibls et les rserves alimentairesdurgence Prvenir la volatilit des prix sur le long terme: amliorer la productivit, le caractre durable et la capacit de rebond de lagriculture

37 41 44

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50 50

Annexe techniqueTableau annexe Prvalence de la sous-alimentation et tat davancement de la ralisation de lobjectif du Sommet mondial de lalimentation (SMA) et du premier des Objectifs du Millnaire pour le dveloppement (OMD) dans les pays en dveloppement

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Notes

A V A N T - P R O P O S

es petits pays dpendants des importations, notamment en Afrique, ont t frapps de plein fouet par les crises alimentaire et conomique, et nombreux sont les pays qui sen ressentent encore dans diffrentes rgions, en particulier la Corne de lAfrique. Ces crises mettent mal les efforts que nous dployons pour raliser lObjectif du Millnaire pour le dveloppement (OMD) consistant rduire de moiti la proportion des personnes qui souffrent de la faim dici 2015. Mme si lon parvenait raliser cet OMD dans les temps impartis, quelque 600 millions dhabitants des pays en dveloppement seraient encore sous-aliments. On ne peut pas accepter que 600 millions dtres humains souffrent chaque jour de la faim. La communaut internationale tout entire doit agir ds aujourdhui, en faisant preuve de dtermination et de responsabilit, pour liminer linscurit alimentaire de la plante. La prsente dition de Ltat de linscurit alimentaire dans le monde porte sur la volatilit des prix des denres alimentaires. Nos organisations surveillent en permanence les prix alimentaires et elles ont alert le monde entier en publiant plusieurs rapports analytiques sur lvolution et la volatilit persistante des prix des aliments observes ces dernires annes, car ces facteurs ne cessent dtre au cur des proccupations des gouvernements et des populations du monde entier. Au demeurant, il est trs largement admis que les prix des aliments resteront levs et volatils. Nous nous flicitons donc que, en 2011, les ministres des finances et les gouverneurs de banques centrales du Groupe des 20 (G-20) aient activement dbattu des options politiques susceptibles dattnuer la volatilit des prix des denres alimentaires. Tirant parti de sources de donnes et dtudes indites jusquici, le rapport affine les analyses de la situation mondiale pour dcouvrir ce qui sest pass sur les marchs intrieurs et tirer des enseignements de la crise alimentaire mondiale de 2006-2008. Le rapport souligne en particulier que les rpercussions de la fluctuation des cours mondiaux sur la scurit alimentaire et la nutrition des mnages sont fortement dpendantes du contexte, savoir, le produit concern, les politiques nationales qui influencent la transmission des prix depuis le march mondial jusquaux marchs intrieurs, les caractristiques dmographiques et productives des diffrents mnages et une srie dautres facteurs. La diversit des rpercussions, que ce soit lintrieur des pays ou dun pays lautre, fait ressortir la ncessit daffiner les donnes et lanalyse afin que les gouvernements puissent mettre en uvre de meilleures politiques. Des politiques mieux conues et plus prvisibles peuvent non seulement limiter les effets secondaires indsirables sur les autres pays, mais aussi rduire linscurit alimentaire et la volatilit des prix dans le pays. En outre, le rapport tablit une distinction claire entre le niveau des prix des aliments et leur fluctuation (la volatilit des prix), car les cots et les avantages des hauts niveaux de prix sont trs diffrents des cots de la volatilit des prix, en particulier quand les fluctuations ne sont pas prvisibles. Nous continuons aussi prner ladoption dune approche sur deux fronts amliorer laccs aux aliments court terme et amliorer la production moyen terme pour obtenir des rsultats durables en matire de scurit alimentaire. court terme, il est capital de concevoir des mcanismes de protection sociale performants, capables de fournir laide cible approprie aux bonnes personnes et au bon moment. Ces interventions court terme sont importantes pour les familles pauvres, car mme une interruption temporaire de lapport dnergie, de protines, de vitamines et de minraux pendant les 1000 premiers jours qui suivent la conception dun enfant peut entraner une altration permanente de ses capacits cognitives, et donc de laptitude gagner sa vie. Parfois, il sagira des consommateurs dont les revenus disponibles deviennent cruellement insuffisants face lenvole des prix des aliments. Parfois, il sagira des petits exploitants pauvres ncessitant une aide pour surmonter la hausse des prix des intrants qui, faute de marchs du crdit efficaces, pourrait les empcher daccrotre leur production et dapprovisionner les marchs intrieurs et mondiaux en produits essentiels, et, de ce fait, damliorer leurs revenus. long terme, linvestissement dans lagriculture et lamlioration de la capacit dadaptation des agriculteurs sont essentiels pour garantir chacun un accs durable lalimentation et rduire la vulnrabilit face la volatilit des prix et aux catastrophes naturelles telles que la scheresse. Le secteur priv et le secteur public doivent mettre la disposition des agriculteurs, en particulier les petits agriculteurs, des semences et des techniques agricoles amliores, ainsi que des systmes dirrigation et des engrais, susceptibles daccrotre la productivit et de rduire les risques lis la production, dune manire durable. Les gouvernements doivent sattacher

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mettre en place un environnement rgulateur transparent et prvisible, qui encourage linvestissement priv et amliore la productivit agricole. Nous devons freiner le gaspillage de vivres dans les pays dvelopps grce des actions ducatives et des politiques, et rduire les pertes dans les pays en dveloppement en encourageant linvestissement dans lensemble de la filire alimentaire, en particulier le traitement aprs rcolte. Une gestion plus durable des ressources naturelles, des forts et de la pche est capitale pour la scurit alimentaire dun grand nombre des membres les plus pauvres de la socit. Nous sommes convaincus que la scurit alimentaire sera un jour une ralit dans le monde entier. Nous avons progress dans le pass et nous continuerons le faire dans le futur, condition de pouvoir compter sur des politiques favorables, une information transparente sur les marchs, une analyse valide, une bonne recherche scientifique et le financement adquat des interventions appropries. Lacommunaut internationale tout entire doit sengager inscrire lagriculture et le systme alimentaire au rang de ses priorits, non seulement pendant les quelques annes venir, mais jusqu ce que chacun ait, tout moment, un accs physique, social et conomique une alimentation suffisante, saine et nutritive lui permettant de satisfaire ses besoins nergtiques et ses prfrences alimentaires pour mener une vie saine et active. Et mme ce stade, lagriculture et la scurit alimentaire devront rester prioritaires pour les gouvernements et la communaut internationale si lon veut garantir la prennit des acquis. Laccroissement de linvestissement dans lagriculture, les mcanismes de protection sociale cibls sur les personnes les plus vulnrables et les mesures visant rduire la volatilit des prix des denres alimentaires doivent faire partie intgrante de cet engagement. Il sagit du troisime rapport ralis conjointement par la FAO et le Programme alimentaire mondial (PAM) dans le cadre de ce qui sest avr tre une entreprise fructueuse. Cette anne, pour la premire fois, le Fonds international de dveloppement agricole (FIDA) sest joint cette collaboration. Nous esprons que le rapport, fort de la participation de nos trois organisations, continuera amliorer la pertinence de ses analyses et la robustesse de ses rsultats. Nous remercions galement le Dpartement de lagriculture des tats-Unis qui sest toujours montr dispos partager ses connaissances et apporter son concours au prsent rapport.

Jacques Diouf Directeur gnral de la FAO

Kanayo F. Nwanze Prsident du FIDA

Josette Sheeran Directrice excutive du PAM

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R E M E R C I E M E N T S

Ltat de linscurit alimentaire dans le monde 2011 a t labor sous la direction de Hafez Ghanem, Sous-Directeur gnral de la FAO, et la supervision de lquipe dencadrement du Dpartement du dveloppement conomique et social. La coordination technique de la publication a t assure par David Dawe (qui en a t galement le rdacteur technique), Kostas Stamoulis et Keith Wiebe de la Division de lconomie du dveloppement agricole (ESA). Michelle Kendrick a coordonn tous les services relatifs la rdaction, aux graphiques, la prsentation et ldition. Anna Doria Antonazzo a apport un prcieux appui administratif pendant tout le processus, et le personnel de la Division de la statistique (ESS) a gnr les donnes sur la sous-alimentation utilises dans le rapport. Il sagit du troisime rapport ralis conjointement par la FAO et le Programme alimentaire mondial (PAM). De plus, le Fonds international de dveloppement agricole (FIDA) sest joint cette anne la codition. Lynn Brown (PAM) et Geoffrey Livingston (FIDA) ont coordonn les contributions de leurs institutions respectives. Kevin Cleaver et Shantanu Mathur du FIDA ont aussi dispens leurs encouragements cette entreprise conjointe. Le chapitre La sous-alimentation dans le monde a t prpar par la Division de la statistique (ESS) du Dpartement du dveloppement conomique et social avec des contributions techniques essentielles de Carlo Cafiero, Pietro Gennari, Josef Schmidhuber et Shahla Shapouri (cette dernire travaille au Service de recherche conomique du Dpartement de lagriculture des tats-Unis [USDA]). Les trois autres chapitres ont t prpars par le Dpartement du dveloppement conomique et social avec des contributions techniques de Mulat Demeke (ESA); Adam Prakash et George Rapsomanikis, Division du commerce et des marchs (EST); et Ana Paula de la O Campos et Elisabeth Garner, Division de la parit, de lquit et de lemploi rural (ESW). Lencadr relatif aux forts et la scurit alimentaire a t prpar par Paul Vantomme du Dpartement des forts. Lencadr concernant lexprience du PAM pendant la crise alimentaire a t fourni par Lynn Brown du PAM, et celui sur les rsultats de la runion des ministres de lagriculture du G-20, par George Rapsomanikis (EST). Carlo Cafiero et Cinzia Cerri ont labor lannexe technique sous la direction de Pietro Gennari, avec laide de Gladys Moreno-Garcia, Seevalingum Ramasawmy, Kari Rummukainen et Nathalie Troubat dESS. Les observations, suggestions et contributions externes de Derek Headey (Institut international de recherche sur les politiques alimentaires [IFPRI]) et Peter Timmer (Harvard University) sur lune des premires versions du rapport ont t extrmement utiles, de mme que les observations, diverses tapes, de Ann Tutwiler, Directrice gnrale adjointe de la FAO (connaissances); Boubaker BenBelhassen du Bureau du Directeur gnral (ODG); Erdgin Mane (ESA); Carlo Cafiero et Josef Schmidhuber (ESS); Merritt Cluff, David Hallam et Jamie Morrison (EST); Eve Crowley (ESW); Hubert George du Dpartement de la gestion des ressources naturelles et de lenvironnement, Division des terres et des eaux (NRL); Astrid Agostini, Sophie Descargues, Guy Evers, Claudio Gregorio, Mohamed Manssouri, Suzanne Raswant, Eugenia Serova, Garry Smith et Benoist Veillerette du Dpartement de la coopration technique, Division du Centre dinvestissement (TCI); Louis Bockel, Karel Callens, Arianna Carita, Richard China, Gunther Feiler, Stefano Gavotti, et David Phiri du Dpartement de coopration technique; et Ganesh Thapa de la Division Asie (FIDA). Ali Doroudian et Cristian Morales-Opazo ont apport une aide prcieuse au travail de recherche. Diverses donnes ont t aimablement transmises par Solomon Asfaw et Romina Cavatassi (ESA); Erika Felix et Irini Maltsoglou du Dpartement de la gestion des ressources naturelles et de lenvironnement, Division du climat, de lnergie et des rgimes fonciers (NRC); Mousa Kabore (directeur) et Adama Koursangama, Direction de la prospective, des statistiques agricoles et alimentaires (DPSA), Direction gnrale de la promotion de lconomie rurale (DGPER), Ministre de lagriculture, de lhydraulique et des ressources halieutiques, Burkina Faso; et Piedad Moya (Institut international de recherches sur le riz). La lisibilit de la version anglaise a t grandement amliore grce lappui rdactionnel de Paul Neate. Les services lis la rdaction linguistique, aux graphiques et la mise en page ont t assurs par Flora di Carlo et Visiontime. Les services de traduction et dimpression ont t assurs par le Service de programmation et de documentation des runions du Dpartement des services internes, des ressources humaines et des finances de la FAO.

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La sous-alimentation dans le monde: les rpercussions du choc des prix de 2006-2008Les crises ont frapp les pauvres et les plus faiblesMessage clLes petits pays dpendants des importations, notamment en Afrique, ont t frapps de plein fouet par les crises alimentaire et conomique. Quelques grands pays sont parvenus se mettre labri des crises grce des politiques restreignant la libert du commerce et des mcanismes de protection sociale performants, mais le protectionnisme commercial a favoris laugmentation des prix et de la volatilit sur lesmarchs internationaux. revenus ont dtermin les rsultats. Les pays les plus exposs aux variations de prix sur les marchs internationaux ont t gnralement les pays pauvres et importateurs de produits alimentaires: ils taient dpourvus de rserves suffisantes, leurs moyens budgtaires ne leur permettaient pas dacheter des denres alimentaires au prix fort et ils navaient pas non plus loption de limiter leurs exportations. Ils ont t frapps de plein fouet par la crise et ont vu les prix des denres alimentaires de base senvoler sur leurs marchs intrieurs. Laplupart de ces pays taient situs en Afrique et la figure 1 illustre les volutions divergentes de la sous-alimentation en Afrique et en Asie. Entre 2007 et 2008, le nombre de personnes sous-alimentes est rest quasiment constant en Asie (une augmentation de 0,1 pour cent), alors quil a augment de 8 pour cent en Afrique. Les politiques commerciales ont fortement influenc les rsultats beaucoup de pays ont impos des restrictions lexportation ou rduit les barrires limportation. Outre les politiques commerciales, lutilisation des rserves publiques et

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elon les estimations, les rpercussions de la flambe des prix de 2006-2008 sur le nombre de personnes sous-alimentes ont considrablement vari selon les rgions et les pays1. Les diffrentes positions commerciales nettes (par exemple, pays exportateur ou pays importateur) et les diverses mesures prises face aux chocs des prix et des

FIGURE 1

La sous-alimentation dans le monde: deux tendances divergentes aprs les crisesAfriqueMillions 240 230 220 210 2002003 2004 2005 2006 2007 2008

AsieMillions 600 590 580 5702007 2008 2003 2004 2006 2005

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0Source: FAO.

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La sous-alimentation dans le monde: les rpercussions du choc des prix de 2006-2008

le versement de subventions la consommation ont fait partie des mesures les plus communment adoptes par les pays soucieux de matriser la hausse des prix des denres alimentaires2. Dune manire gnrale, les pays se sont rpartis en trois grands groupes, selon leur capacit limiter le choc des prix ou en attnuer les effets. Ces groupes apparaissent dans la figure 2, qui illustre les expriences des pays dans deux dimensions: le taux de variation des prix rels des denres alimentaires sur les marchs intrieurs de 2007 2008 et le taux de variation du nombre de personnes sous-alimentes de 2006-2007 2009. Le premier groupe a t caractris par une augmentation relativement modeste des prix sur les marchs intrieurs de 2007 2008, conjugue un recul de la sous-alimentation. Ces pays sont situs en bas et gauche de la figure. Le deuxime groupe, situ en haut et gauche de la figure, a t confront une augmentation relativement importante des prix sur les marchs intrieurs mais est parvenuFIGURE 2

faire reculer la sous-alimentation. Enfin, le troisime groupe a aussi enregistr une hausse relativement importante desprixsur les marchs intrieurs mais a vu la sousalimentation progresser. Ces pays sont situs en haut et droite de la figure. Le premier groupe de pays a recouru simultanment aux restrictions commerciales, aux mcanismes de protection sociale et lutilisation de rserves. De cette manire, ils ont mis leurs marchs des produits alimentaires labri des turbulences internationales, mais lefficacit des politiques de ce type suppose de disposer des ressources ncessaires pour les mettre en uvre. Les mcanismes de protection sociale gnraliss (tels que ceux du Brsil) entranent des dpenses quun grand nombre de pays nont pas les moyens dassumer, en particulier pendant une crise. Les restrictions lexportation se traduisent par une perte de recettes publiques et privent en partie les agriculteurs de la possibilit de profiter de la hausse

Comparaison de la capacit de rebond des pays confronts la crise des prix alimentaires

2,40

Prix Sous-alimentationMalawi

Prix Sous-alimentation

2,20

2,00

1,80

Thalande Afghanistan

Ratio prix 2008:2007

1,60Bangladesh

Ouganda

1,40

Viet Nam

Mozambique Kenya

Sngal

1,20

Brsil Inde thiopie

Zambie

1,00

Chine

Prix0,80

Prix Sous-alimentation

Sous-alimentation0,60 0,60 0,70 0,80 0,90 1,00 1,10 1,20

1,30

1,40

Ratio nombre de personnes sous-alimentes 2009:2006-2007Notes: La taille des cercles est proportionnelle au nombre de personnes sous-alimentes en 2008. Les pays africains sont reprsents en rouge, les pays asiatiques en bleu et les pays latino-amricains en vert. Les prix utiliss sont les prix de dtail, en valeur constante, des produits alimentaires de base sur les principaux marchs, pondrs en fonction de la taille de la population de chaque march et de la part de l'apport nergtique de chaque denre dans le rgime alimentaire. Source des donnes brutes: FAO.

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La sous-alimentation dans le monde: les rpercussions du choc des prix de 2006-2008

des prix en accroissant leur production. En outre, les rserves alimentaires sont coteuses entretenir, ce qui signifie que lespays pauvres pourraient ne pas disposer de stocks avant la crise pour compenser dventuelles baisses de la production nationale. Le premier groupe de pays, y compris la ChineetlInde, figure en bas et gauche de la figure 2. Malheureusement, les restrictions lexportation ont attis la flambe des prix sur les marchs internationaux et aggrav lespnuries alimentaires dans les pays dpendants desimportations. Le deuxime groupe a tir profit de la hausse des prix, tant donn que la majorit des pauvres de ces pays sont des vendeurs nets de produits alimentaires. Globalement, leurs revenus ont augment paralllement la hausse des prix mme si une partie des bnfices a t partiellement annule par laugmentation des prix des intrants, tels que les engrais, les semences ou les carburants. Ces pays sont souvent des exportateurs nets de produits alimentaires, caractriss par une distribution relativement quitable des terres (ce qui signifie quils comptent un plus grand nombre dexploitants ayant des surplus vendre). Cegroupe de pays, y compris la Thalande et le Viet Nam, sesitue principalement en haut et gauche de la figure 2.

Le troisime groupe comprend les pays habituellement dpendants des importations de produits alimentaires. Ces pays taient directement confronts la hausse des cours internationaux des produits alimentaires, ils taient gnralement dpourvus de rserves suffisantes et ils ne disposaient pas des ressources budgtaires ncessaires pour protger convenablement la scurit alimentaire des pauvres. Ces pays ont t frapps de plein fouet par la crise (voir les pays situs vers le haut et droite de la figure 2). Beaucoup dentre eux ont import beaucoup moins que leurs besoins aux conditions du march, faute de disposer de devises trangres en suffisance, et ils ont t obligs de solliciter une assistance et une aide alimentaire extrieures. Le gouvernement du Burkina Faso, par exemple, a subventionn des ventes de crales mais a d faire appel au PAM pour aider 600 000 personnes (par le biais de lalimentation scolaire et des centres de sant maternelle et infantile) en 2008. Le gouvernement thiopien a puis 190 000 tonnes de bl environ dans ses rserves de crales pour les vendre quelque 800 000 citadins pauvres et a import 150 000 tonnes de bl en aot/septembre 2008 pourrpondre la demande des zones urbaines, mais le PAM et des organisations non gouvernementales ont distribu quelque 200 000 tonnes de vivres au nombre croissant de personnes ayant besoin dune aide alimentaire.

Rviser la mthodologie utilise par la FAO pour mesurer la faimPendant sa runion de 2010, le Comit de la scurit alimentaire mondiale (CSA) a demand la FAO de rviser sa mthodologie destimation de la sous-alimentation afin de fournir des mises jour qui soient davantage dactualit et dincorporer toutes les informations pertinentes, y comprislanalyse des nombreuses enqutes sur les mnagesdevenues disponibles ces dernires annes. Parconsquent, lanne en cours est une anne de transition, consacre la rvision de la mthodologie de la FAO. Cest pourquoi aucune estimation actualise du nombre de personnes sous-alimentes en 2009 et 2010nefigure dans Ltat de linscurit alimentaire dans lemonde de cette anne, et aucune estimation na t faitepour 2011. Pour amliorer sa mthodologie, la FAO procdera plusieurs ajustements, concernant par exemple la faon destimer comment la variation de laccs aux produits alimentaires rsultant des fluctuations des revenus et des prix des aliments influence la sous-alimentation. Des travaux sont galement en cours pour amliorer llaboration des bilans alimentaires. De nombreuses enqutes sur les dpenses des mnages font actuellement lobjet dun traitement pour fournir des estimations amliores de la distribution de la consommation alimentaire lintrieur dun pays. Les mesures de la sous-alimentation effectues par la FAO seront en outre compltes par plusieurs autres indicateurs visant mieux reflter les multiples facettes de linscurit alimentaire. Le processus de rvision de la mthodologie de la FAO prvoit la consultation dexperts du monde entier. LAcadmie nationale des sciences des tats-Unis a organis un atelier en fvrier 2011 Washington, DC, qui a formul de nombreuses propositions, linstar de la table ronde parraine par le CSA, qui sest tenue Rome en septembre 2011. De plus, un symposium scientifique international sera organis en janvier 2012 Rome. La FAO estime que ce type de consultation joue un rle essentiel dans lamlioration de la mthodologie utilise pour mesurer la faim.

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LTAT DE LINSCURIT ALIMENTAIRE DANS LE MONDE 2011

Tendances rcentes des cours mondiaux des produits: cots et avantagesTendances passes et futures des cours mondiaux des denres alimentairesMessage clLes prix des denres alimentaires vont vraisemblablement rester levs et volatils. La demande des consommateurs augmentera dans les conomies forte croissance, la croissance dmographique se poursuit, et toute nouvelle expansion du secteur des biocarburants exercera une pression supplmentaire sur le systme vivrier. Du ct de loffre, les principaux enjeux sont lappauvrissement des ressources naturelles dans certaines rgions et la baisse des taux de croissance des rendements pour certaines denres de base. Quant la volatilit des prix alimentaires, elle pourrait tre amplifie par le resserrement des liens entre les marchs agricoles et nergtiques et la multiplication des phnomnes climatiques extrmes. dutilisation obligatoire) qui ont fait grimper la demande en mas et huiles vgtales; la dprciation du dollar des tats-Unis; la croissance conomique soutenue dans plusieurs grands pays en dveloppement qui a eu pour rsultats a) de faire monter la pression sur les prix du ptrole et des engrais parce que leur croissance conomique est fonde sur une utilisation intensive des ressources et b)de gonfler la demande en viande, donc en aliments pour animaux, compte tenu de la diversification des rgimes alimentaires; laugmentation des cots de production (par exemple, les pompes servant lirrigation, les machines agricoles)FIGURE 3

es prix des denres alimentaires sur les marchs mondiaux, en valeur constante, ont considrablement baiss entre le dbut des annes 1960 et le dbut des annes 2000, poque laquelle ils ont atteint un niveau minimum historique (figure 3). Ils ont augment lentement de 2003 2006 avant de bondir de 2006 mi-2008, puis de retomber pendant le deuxime semestre de cette mme anne. La hausse soudaine en a surpris plus dun et aviv les inquitudes concernant la capacit de lconomie alimentaire mondiale nourrir convenablement des milliards de personnes, aujourdhui et dans le futur. Bien que tous les observateurs nattachent pas le mme degr dimportance aux facteurs entrant en ligne de compte, il est relativement admis que plusieurs facteurs ont jou un rle dans la hausse des prix qui a commenc en 20033, savoir: les chocs climatiques, tels que la scheresse en Australie (2005-2007), qui ont rduit la production et le commerce du bl; les politiques encourageant lutilisation des biocarburants (tarifs douaniers, subventions et niveaux

L

l'exception d'un pic au dbut des annes 1970, le cot des aliments a dclin entre le dbut des annes 1960 et 2002, poque laquelle il est reparti la hausseIndice (2002-2004 = 100) 400 350 300 250 200 150 100 50 01961 1968 1975 1982 1989 1996 2003 2010

Notes: Indice FAO des prix des produits alimentaires, en valeur constante, pendant la priode 1961-2010, calcul en utilisant les cours internationaux des produits suivants: crales, huiles et matires grasses, viande, produits laitiers et sucre. Lindice FAO ofciel nexiste que depuis 1990; dans cette gure, il a t calcul partir de 1961, en utilisant des informations indirectes sur les prix. L'indice mesure lvolution des cours internationaux, et non des prix sur les marchs intrieurs. Le dateur du produit intrieur brut des tats-Unis est utilis pour exprimer l'indice des prix des produits alimentaires en valeur relle plutt qu'en valeur nominale. Source: FAO.

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et des cots de transport, du fait de la hausse des prix du ptrole et des engrais; le ralentissement de lamlioration des rendements (etde la production) des crales, en particulier le riz et le bl, pendant les 20 dernires annes, faute dun investissement suffisant pendant les trois dcennies antrieures; la pousse de la demande sur les marchs terme des produits, rsultant la fois de la spculation et de la diversification des portefeuilles; les faibles niveaux des rserves, imputables en partie certains des facteurs mentionns plus haut; les politiques commerciales, telles que les interdictions dexportation, et les achats agressifs effectus par des gouvernements, qui ont encourag les producteurs ne pas commercialiser toute leur production, les commerants accumuler des stocks et les consommateurs se jeter dans des achats dicts par la panique. Quand les prix ont dclin pendant le deuxime semestre de 2008, on a espr quils allaient se stabiliser, bien que

probablement un niveau plus lev quavant la hausse. Mais, au milieu de lanne 2010, ils ont recommenc grimper rapidement (figure 3), ce qui a raviv les inquitudes et plac la volatilit des prix sur le devant de la scne; il semble que les cours mondiaux des produits alimentaires pourraient subir des pisodes rcurrents de hausse et de baisse dans le futur. Les prix et la volatilit vont-ils continuer augmenter dans le futur? En termes de niveau des prix, de nombreux modles de projection moyen et long termes laissent penser que les prix des produits alimentaires resteront relativement levs pendant une dizaine dannes encore.Par exemple, selon les Perspectives agricoles de lOrganisation de coopration et de dveloppement conomiques (OCDE) et de la FAO 2011-20204, les cours mondiaux du riz, du bl, du mas et des olagineux pour la priode de cinq ans allant de 2015/2016 2019/2020 seront suprieurs en termes rels, respectivement de 40 pour cent, 27pour cent, 48 pour cent et 36 pour cent

ENCADR 1

Quelques concepts cls: niveau, volatilit (variabilit) et imprvisibilit des prixPour analyser les prix des denres alimentaires, il est important de distinguer plusieurs concepts apparents mais diffrents. La premire distinction importante est celle qui existe entre le niveau moyen des prix au fil du temps et leur variabilit (volatilit1) au fil du temps. Il est possible dobserver un changement du niveau moyen des prix sans que la variabilit en soit affecte. Un exemple simple est celui du pays importateur de produits alimentaires qui dcide dimposer un tarif constant sur les importations, ce qui rendra les denres alimentaires plus coteuses sans modifier, dans la plupart des cas, la variabilit des prix sur les marchs intrieurs. Inversement, il est galement possible dobserver un changement de la variabilit des prix sans modification de leur niveau moyen. Cest le cas, par exemple, lorsque le temps est devenu plus variable mais que la production vivrire est reste la mme en moyenne. Cela dit, le niveau des prix et la volatilit des prix sont lis ils sont tous les deux dtermins par loffre et la demande. De plus, des prix levs tendent tre corrls une forte volatilit. Dans un premier temps, la hausse des prix encourage les gens puiser dans leurs rserves, ce qui est susceptible dattnuer les fluctuations des prix que les chocs du ct de loffre et de la demande auraient provoqu. Mais, ds que les rserves sont puises, le systme devient sensible dventuelles nouvelles turbulences de loffre et de la demande; faute de rserve tampon, la variation des prix tendra tre plus accuse. Malgr cette relation, il est important de distinguer les deux concepts. Premirement, parce que les prix peuvent tre levs mais stables. Deuximement, parce que les cots et les avantages des prix levs sont trs diffrents des cots et des avantages des prix volatils, comme on peut sen rendre compte dans les chapitres Cots et avantages des hauts niveaux et des bas niveaux des prix des denres alimentaires et Cots et avantages de la volatilit et de limprvisibilit des prix. Une autre distinction essentielle est tablir entre la variabilit et limprvisibilit. La variabilit des prix peut avoir plusieurs raisons, mais certains changements de prix sont parfaitement prvisibles. Lexemple classique des fluctuations prvisibles des prix alimentaires est la saisonnalit qui fait que les prix sont au plus bas pendant et juste aprs la rcolte, et au plus haut immdiatement avant la rcolte. Bien que les changements saisonniers ne soient pas rigoureusement constants danne en anne, ils sont souvent similaires dune anne lautre. Les chocs climatiques, en revanche, sont gnralement imprvisibles et peuvent entraner des variations imprvisibles des prix, en particulier si les rserves existantes sont basses. Par consquent, certains changements de prix sont relativement faciles prvoir tandis que dautres le sont moins. Les variations prvisibles des prix ont des cots et des avantages diffrents des variations imprvisibles.1

Les termes variabilit, instabilit et volatilit, sont utiliss de faon interchangeable dans le rapport.

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ceux de la priode de cinq ans allant de 1998/1999 2002/2003. Dune manire gnrale, la hausse des prix est probable parce que la croissance dmographique et conomique continuelle va doper la demande, de mme que laugmentation prvisible de lutilisation des biocarburants (selon les politiques en la matire et le prix du ptrole). Du ct de loffre, si le prix du ptrole continue monter, les cots de production agricole grimperont, contribuant faire gonfler les prix des denres alimentaires. Les problmes lis aux ressources naturelles, en particulier le changement climatique et la disponibilit limite de terres productives et de leau dans certaines rgions, rendent la production daliments des prix abordables particulirement problmatique5. Heureusement, il existe une bonne marge damlioration de la productivit des cultures, grce aux nouvelles technologies et une vulgarisation plus efficace, et il est possible de rduire les pertes dans la filire dapprovisionnement. Mais ces gains ne se concrtiseront pas sans investissement supplmentaire. On peut aussi envisager dtendre les terres exploites en Afrique, en Asie centrale, en Amrique latine et en Ukraine mais, encore une fois, pas sans un investissement adquat. En outre, lexpansion des terres peut aussi avoir des incidences nfastes sur lenvironnement. Des arguments tout aussi convaincants laissent penser que, non seulement les prix des denres alimentaires seront plus levs mais quils seront aussi plus volatils dans le futur. Si la frquence des phnomnes climatiques extrmes augmente, les chocs de production se multiplieront, ce qui tendra accrotre la volatilit des prix. En outre, les politiques relatives aux biocarburants ont cr de nouveaux liens entre le prix du ptrole et les prix des produits alimentaires. Quand le prix du ptrole augmentera, la

demande en biocarburants sera plus importante, ce qui fera monter les prix des denres alimentaires, et inversement6. tant donn que, historiquement, les cours mondiaux du ptrole sont plus volatils que les cours des denres alimentaires, les marchs mondiaux des produits alimentaires pourraient galement devenir plus volatils. Un accroissement de lactivit (par exemple, par le biais des fonds de pension) des marchs financiers o se ngocient des fonds indexs sur des produits peut aussi favoriser la volatilit, bien que cette question fasse lobjet dun dbat houleux dont lissue est incertaine. Il nest pas possible de connatre avec certitude lampleur des futures augmentations du niveau ou de la volatilit des prix, mais les risques qui y sont associs sont suffisamment inquitants pour justifier que des efforts srieux soient dploys afin de comprendre ce qui peut tre fait pour limiter les perspectives daugmentation des prix ou de la volatilit ou en grer les consquences si cette augmentation est invitable. Quand on considre les options les plus appropries pour contrer la hausse et/ou la volatilit des prix, il est toutefois important de se souvenir que le niveau et la volatilit des prix sont les rsultats des diverses forces jouant sur loffre et la demande. En outre, le prsent rapport fera ressortir que les causes et les effets des hauts niveaux et/ou de la volatilit des prix sont complexes parce quils dpendent fortement du contexte, cest--dire du produit considr, des facteurs spcifiques (politiques, taux de change, dpendance lgard de limportation) qui influencent la faon dont le prix est transmis dans diverses circonstances, des caractristiques dmographiques des mnages et de leur modle de production et de consommation ainsi que de beaucoup dautres variables. Par consquent, un message essentiel est que les mesures dintervention doivent tenir compte du contexte spcifique dans lequel elles vont tre appliques.

ENCADR 2

Comment mesurer la volatilit des prix

Le moyen le plus simple de mesurer la volatilit des prix consiste dterminer le coefficient de variation. Il sagit de lcart type des prix pendant une priode donne divis par la moyenne des prix pendant la mme priode. Lun des avantages de cette mesure est quelle na pas dunit, ce qui facilite les comparaisons, par exemple, de la volatilit des prix sur les marchs intrieurs de diffrents pays. Toutefois, ce coefficient peut donner une impression trompeuse sil existe des tendances marques dans les donnes, parce que ces tendances seront intgres dans le calcul de la volatilit. En outre, il nexiste pas de mthode universellement

reconnue pour liminer la composante des tendances, car des observateurs diffrents auront des ides diffrentes sur la nature de la tendance sous-jacente (par exemple, linaire, quadratique). Une alternative au coefficient de variation souvent utilise par les conomistes est lcart type des variations du logarithme des prix1. Cette mesure, qui na pas dunit non plus, est moins sensible linfluence des tendances marques au fil du temps.1

C.L. Gilbert et C.W. Morgan. 2010. Review: Food price volatility. Philosophical Transactions of the Royal Society B, 365: 3023-3034.

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ENCADR 3

Acheteurs nets et vendeurs nets de produits alimentaires

Les concepts de vendeurs nets et acheteurs nets de produits alimentaires lchelon du mnage sont tout fait analogues aux concepts dexportateurs nets et importateurs nets de produits alimentaires lchelon du pays. La situation dun mnage donn est dtermine en soustrayant la valeur des vivres consomms (y compris ceux qui proviennent de sa propre production) de la valeur des vivres produits1. Ce calcul prend implicitement en compte les cots de commercialisation et la saisonnalit car la production est value aux prix la production tandis que la consommation est value aux prix de dtail. Par exemple, un mnage peut tre vendeur net de produits alimentaires pendant la saison des rcoltes et acheteur net le reste de lanne. De plus, sur une anne, un mnage peut concrtement produire plus quil ne consomme en termes de quantit, tout en tant class dans les acheteurs nets sil vend la totalit de sa production pendant la rcolte et achte ensuite des aliments sur le march, les prix de dtail tant suprieurs aux prix la production. Il est vrai aussi quun mnage donn peut tre vendeur net ou acheteur net selon le niveau global des prix du march. Lahausse des prix dcouragera la consommation, encouragera la production et transformera ventuellement des mnages acheteurs nets en vendeurs nets. La baisse des prix pourra avoir leffet contraire. Toutefois, il convient de noter que ces

effets secondaires sont gnralement de faible ampleur, car un mnage peut passer du statut de petit acheteur net celui de petit vendeur net, mais pas celui de gros vendeur net2. Au demeurant, on a constat que la prise en compte de ce phnomne ninfluenait que faiblement les rpercussions de la hausse des prix sur la pauvret3. Cette mthode dvaluation de leffet des variations des prix fonde sur le classement des mnages dans la catgorie des vendeurs nets ou acheteurs nets peut tre utilise pour valuer limpact des fluctuations des prix alimentaires, mais pas celui des fluctuations simultanes des prix des aliments et des prix des intrants (par exemple, les engrais). Si les prix des engrais augmentent en mme temps que les prix alimentaires, leffet net sur les agriculteurs doit tre valu en utilisant les donnesrelatives aux cots de production (voir le chapitre Laugmentation des prix des engrais a-t-elle neutralis laugmentation des prix la production? pour en savoir plussur cette question).N. Minot et F. Goletti. 1998. Rice export liberalization and welfare in Vietnam. American Journal of Agricultural Economics, 80(4): 738-749. 2 Ibid. 3 A. Zezza, B. Davis, C. Azzarri, K. Covarrubias, L. Tasciotti et G.Anrquez. 2008. The impact of rising food prices on the poor. ESAWorking Paper 08-07. Rome, FAO (disponible ladresse ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/011/aj284e/aj284e00.pdf).1

Cots et avantages des hauts niveaux et des bas niveaux des prix des denres alimentairesMessage cl court terme, les hauts niveaux de prix sont avantageux surtout pour les agriculteurs qui ont un excdent important commercialiser, cest--dire des agriculteurs qui ne font pas partie des plus pauvres parmi les pauvres. En outre, les plus pauvres achtent gnralement plus de nourriture quils nen vendent. Par consquent, la hausse des prix des denres alimentaires tend aggraver la pauvret, linscurit alimentaire et la malnutrition. Maiselle peut ouvrir la voie linvestissement durable dans lagriculture, ce qui contribuera linstauration de lascurit alimentaire sur le long terme. court terme, les hauts niveaux de prix sont avantageux surtout pour les agriculteurs qui ont un excdent important commercialiser, cest--dire des agriculteurs qui ne font pas partie des plus pauvres parmi les pauvres. En outre, les plus pauvres achtent gnralement plus de nourriture quils nen vendent. Par consquent, la hausse des prix des denres alimentaires tend aggraver la pauvret, linscurit alimentaire et la malnutrition. Mais elle peut ouvrir la voie linvestissement durable dans lagriculture, ce qui contribuera linstauration de la scurit alimentaire sur le long terme.

Incidences macroconomiquesLes incidences macroconomiques des prix des produits sont importantes parce quelles touchent le revenu par habitant,

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lequel est un facteur dterminant du niveau de vie des individus et des familles. En gnral, quand les cours internationaux des produits alimentaires sont levs, ils profitent aux pays qui exportent ces produits, et quand ils sont bas, ils profitent aux pays qui les importent. Si lon ignore la question de la volatilit pour linstant, cest grossirement un jeu somme nulle, court et moyen termes: les exportateurs sont gagnants au dtriment des importateurs et vice-versa. Sur le long terme, toutefois, les hauts niveaux de prix pourraient pousser certains pays importateurs investir dans leur propre agriculture pour rduire leurs importations, voire devenir exportateurs. Ce type dinvestissement est capital pour le dveloppement du secteur agricole et le recul durable de la pauvret et de linscurit alimentaire. Les incidences sur la balance des paiements et les taux de change seront plus marques dans les pays o le commerce des produits alimentaires reprsente une part importante des exportations ou des importations. Quand les prix sont levs, les pays qui exportent une grande proportion de leur production sont les plus avantags, tandis que les pays qui importent une grande part des denres quils consomment ont le plus en souffrir. Toutefois, les termes de lchange entrent galement en ligne de compte. Par exemple, un pays qui exporte du ptrole ou des mtaux pourrait ne pas tre oblig den produire davantage pour compenser la hausse des prix des produits alimentaires si les prix des produits exports augmentent plus que les prix des denres importes.

En termes de rpercussions budgtaires, les hauts niveaux des prix des denres alimentaires auront des incidences plus importantes dans les pays o les subventions aux produits alimentaires reprsentent une partie non ngligeable du budget. Pour les importateurs, le cot des hauts niveaux de prix aura un impact direct sur le budget, non seulement si les subventions continuent tre verses, mais aussi si leur montant est major pour tenir compte de la hausse. Mme pour les pays exportateurs qui subventionnent la consommation intrieure, il y aura des retombes importantes en termes de cot dopportunit. Dans ces deux cas, des subventions importantes sont susceptibles de ponctionner les fonds disponibles et de freiner linvestissement dans les biens publics tels que la recherche agricole, lducation, la sant et des routes. La limitation des dpenses dans ces secteurs peut compromettre la croissance conomique long terme, ce qui est dailleurs arriv en Amrique latine7.

Incidences au niveau du mnageLes pauvres consacrent une grande partie de leurs revenus lalimentation (figure 4), alors que, dun autre ct, un grand nombre dagriculteurs tirent une grande partie de leurs revenus de la production de denres alimentaires. On peut en conclure que les variations des prix des denres auront des retombes importantes sur la qualit de vie des agriculteurs comme sur celle des consommateurs les plus pauvres.

FIGURE 4

Les pauvres consacrent une grande partie de leurs revenus l'alimentationPourcentage 80

70

60

50

40

30

20

10

0 Bangladesh Ghana Guatemala Malawi Pakistan Tadjikistan Viet Nam

Note: Pourcentage du budget familial consacr l'alimentation par le quintile de dpense le plus bas de la population. Source des donnes brutes: Projet de la FAO sur les activits rurales gnratrices de revenus.

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Si lon veut comprendre limportance des rpercussions de la hausse des prix des produits alimentaires sur la qualit de vie, la pauvret et la scurit alimentaire, il convient de distinguer les vendeurs nets de produits alimentaires des acheteurs nets. Un vendeur net de produits alimentaires est quelquun pour qui la valeur totale des vivres quil produit dpasse la valeur totale des vivres quil consomme, tandis que linverse est vrai pour un acheteur net. En gnral, les acheteurs nets auront souffrir de la hausse des prix des aliments, tandis que les vendeurs nets en bnficieront (voirlencadr 4). Les concepts de vendeur net et dacheteur net sont relativement indpendants du fait quun mnage soit rural ou urbain. Presque tous les habitants des zones urbaines sont des acheteurs nets de produits alimentaires; plus surprenant peut-tre, la plupart des habitants des zones rurales sont aussi des acheteurs nets de produits alimentaires. Les agriculteurs dont les exploitations sont trs petites et les ouvriers agricoles sont souvent des acheteurs nets de produits alimentaires parce quils ne produisent pas suffisamment pour nourrir leur famille. Ils ont donc besoin dacheter des aliments sur le march et bnficient sans doute des bas niveaux de prix (mais voir ci-dessous le dbat sur les rpercussions possibles de la hausse des prix des aliments sur les salaires ruraux, qui

sont gnralement une source de revenus importante pour les paysans sans terre). Les paysans sans terre ou les mnages ruraux nayant que peu de ressources en terre sont souvent les plus pauvres parmi les pauvres, et une proportion anormalement importante de ces mnages sont dirigs par une femme. Dans les zones urbaines, la hausse des prix peut avoir des effets catastrophiques pour les pauvres car, en gnral, il ny a gure de production vivrire dans ces zones et lalimentation reprsente habituellement une large part de leurs dpenses. Pour compenser la diminution des revenus disponibles entrane par la hausse des prix des denres alimentaires, les mnages se lanceront dans de nouvelles activits conomiques, vendront des biens ou emprunteront afin de limiter le dclin de leur consommation. Ils rduisent souvent galement les dpenses consacres la sant et lducation et changent de rgime alimentaire pour privilgier les aliments meilleur march (fculents) aux dpens des aliments riches en micronutriments tels que le lait, la viande, les fruits et les lgumes8. Lapport nergtique va galement diminuer lorsque les gens sont tellement pauvres quils ne peuvent tout simplement plus se payer la mme quantit de calories en raison des prix devenus inabordables.

ENCADR 4

Les forts et la scurit alimentaire

Les forts mondiales couvrent 4 milliards dhectares environ, ce qui reprsente encore quelque 30 pour cent de la surface des terres merges de notre plante1. Chacun sait que les forts assurent de nombreux services environnementaux essentiels, tels que la gestion de leau, la conservation de la diversit biologique et la fixation du carbone qui contribue attnuer le rchauffement mondial. En outre, les forts sont importantes pour la scurit alimentaire dun milliard de personnes les plus pauvres de la plante, car elles fournissent des aliments ou des revenus montaires par le biais dune vaste gamme de produits tels que ligname sauvage, la viande de brousse, les insectes comestibles, les fruits, les feuilles, les champignons, les fruits coque, le miel et les produits mdicinaux. Les forts produisent aussi de nombreuses matires premires non ligneuses telles que le bambou, le rotin, le raphia et les rsines, qui peuvent tre utiliss pour construire des abris ou tre vendus sur les marchs locaux, sans oublier le fourrage pour les animaux2. Les personnes dont la scurit alimentaire dpend des forts sont souvent extrmement vulnrables face la hausse des prix des aliments car elles achtent lessentiel de leur nourriture sur les marchs. La hausse des prix des denres alimentaires signifie pour ces cueilleurs et chasseurs quils doivent collecter davantage de produits

forestiers, soit pour les vendre sur les marchs locaux (afin den tirer suffisamment pour pouvoir acheter les aliments devenus plus chers), soit pour les troquer. La hausse des prix des denres alimentaires peut donc avoir un impact direct sur la qualit des forts, la conservation et la survie despces forestires essentielles (principalement la faune et les plantes mdicinales). Ces populations nont pas la possibilit de se tourner vers lagriculture car elles ne possdent pas de terres agricoles ou ny ont pas accs. Compte tenu des inquitudes suscites par le changement climatique et lappauvrissement de la diversit biologique, le dfrichement de forts supplmentaires nest pas une option sduisante non plus. Par consquent, la gestion durable des forts est fondamentale pour la scurit alimentaire de ces personnes. Il deviendra de plus en plus indispensable degrer les forts si lon veut garantir non seulement leurpotentiel de production de bois mais aussi la production plus durable et plus importante de produits forestiers non ligneux comestibles et amliorer les nombreux services que les forts et les arbres fournissent au secteur agricole.1 2

FAO. 2010. valuation des ressources forestires mondiales 2010. Rome. Pour en savoir plus, consulter: http://www.fao.org/forestry/nwfp/fr/.

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Dans les zones rurales, la hausse des prix des denres alimentaires tendra avoir des effets moins ngatifs sur les acheteurs nets de produits alimentaires, car beaucoup de mnages produisent une grande partie de ce quils consomment et ne sont donc que des acheteurs marginaux. Dun autre ct, les agriculteurs, qui sont des vendeurs nets de produits alimentaires, devraient bnficier de la hausse des prix qui, toutes choses gales par ailleurs, tendra amliorer leurs revenus. Dans la mesure o de nombreux agriculteurs sont pauvres, la hausse des prix pourrait contribuer faire reculer la pauvret et amliorer la scurit alimentaire. Cependant, il faut aussi garder prsent lesprit que les agriculteurs ayant les plus gros surplus de production vendre bnficieront de la hausse des prix davantage que les agriculteurs qui nont quun petit surplus vendre. En outre, dans la plupart des contextes (mais pas dans tous), les agriculteurs qui exploitent de vastes surfaces de terre tendront tre plus aiss que les agriculteurs moins bien dots en terre, et, par consquent, il se pourrait que les agriculteurs les plus pauvres ne bnficient pas de la plupart des avantages dcoulant de la hausse des prix. La hausse des prix des denres alimentaires ne devrait avoir des incidences bnfiques gnralises sur la pauvret que dans les pays caractriss par une distribution relativement quitable desterres. Une autre retombe potentiellement importante des prix des aliments sur la pauvret et la scurit alimentaire a trait au march du travail et aux salaires. La hausse des prix dope la demande en main duvre non qualifie pour travailler sur les exploitations, ce qui peut entraner une augmentation des salaires ruraux sur le long terme. Cette augmentation devrait profiter aux mnages (gnralement trs dmunis) dont les revenus dpendent du travail salari. Mais les lments qui vont dans ce sens ne permettent pas de tirer de conclusions, car limportance de lagriculture dans lconomie gnrale et le nombre dannes qui sont ncessaires pour lajustement des salaires entrent en ligne de compte9. Il serait intressant de creuser cette question, dans la mesure o il existe peu dinformations disponibles concernant les effets du march du travail sur la pauvret et la scurit alimentaire. Compte tenu de ces rflexions, que montrent les lments dont on dispose concernant les incidences de la hausse des prix sur la pauvret? Le revenu moyen des acheteurs nets de produits alimentaires est plus lev que celui des vendeurs nets dans la plupart des pays en dveloppement, donc la hausse des prix entranerait un transfert des revenus des premiers en faveur des seconds10. Mais cette conclusion suppose une division de la population en deux groupes seulement; les tudes qui utilisent une ventilation plus dtaille montrent presque toujours que les 20 pour cent les plus pauvres de la population sont des acheteurs nets de produits alimentaires et que les agriculteurs qui produisent des surplus se situent vers le milieu de lchelle de distribution des revenus. Par exemple, la hausse des prix a exacerb la pauvret dans neuf pays tudis, le Prou et le Viet Nam

tant les seuls exceptions11. Le Viet Nam est un gros exportateur de riz avec une distribution des terres relativement quitable; il compte donc un grand nombre de mnages qui produisent un surplus de riz tout en tant plutt pauvres. Au Prou, les rpercussions bnfiques ont t minimes. Dans tous les autres pays de lchantillon (Bolivie, Cambodge, Madagascar, Malawi, Nicaragua, Pakistan et Zambie), la hausse des prix a provoqu une recrudescence de la pauvret, mme en tenant compte de laugmentation de la demande de main duvre. Une autre tude a tir des conclusions similaires la hausse des prix frappait durement les pauvres dans tous les pays tudis (Albanie, Bangladesh, Ghana, Guatemala, Malawi, Npal, Nicaragua, Pakistan, Panama, Tadjikistan et Viet Nam), lexception des habitants des zones rurales du Viet Nam12. Cette tude, qui nexaminait pas les effets du march du travail mais sintressait aux ractions du ct de loffre et du ct de la demande a conclu que les prix levs taient tout de mme dsavantageux pour les pauvres. La hausse des prix a aussi exacerb la pauvret au Guatemala, au Honduras, au Nicaragua et au Prou13. Lanalyse dun grand nombre dtudes relatives la riziculture (y compris en Indonsie, aux Philippines et en Thalande) a montr que le quintile le plus pauvre de la population tait quasiment toujours acheteur net de riz14. Ensemble, ces tudes montrent que les 20 pour cent les plus pauvres de la population ne sont des vendeurs nets que dans des circonstances exceptionnelles15. Dautres types dtudes viennent conforter lide que les hauts niveaux de prix sont dsavantageux pour les pauvres et pas simplement parce quils les font basculer en dessous du seuil de pauvret. En gnral, lapport nergtique ptit moins que la varit du rgime alimentaire et la consommation de protines et de micronutriments. Par exemple, quand le prix du riz a augment en Indonsie pendant la crise financire asiatique de la fin des annes 1990, les mnages ont rduit leurs achats daliments plus nutritifs, tels que les ufs et les lgumes verts feuilles, pour pouvoir continuer acheter du riz16, ce qui a entran une baisse mesurable du taux dhmoglobine dans le sang des jeunes enfants (et de leurs mres), et donc accru la probabilit de retards de dveloppement. En outre, dans les familles pauvres, les mres ont ragi en rduisant leur propre apport calorique afin de mieux nourrir leurs enfants, ce qui a provoqu une recrudescence du dprissement maternel. Une corrlation ngative entre les prix du riz et ltat nutritionnel a aussi t observe au Bangladesh17. Lerapport taille/ge chez les enfants de moins de trois ansau Salvador a flchi pendant la crise alimentaire de 2006-2008, bien que les incidences de celle-ci aient t relativement attnues dans les familles qui recevaient des fonds de parents ayant migr18. Le rapport poids/ge, en revanche, na pas diminu, ce qui laisse penser quil y a eu un recul de la consommation des principaux nutriments mais pas de lapport nergtique. Dans certaines situations, cependant, mme lapport nergtique peut rgresser, outre la diversit du rgime alimentaire19.

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Tendances rcentes des cours mondiaux des produits: cots et avantages

En outre, lorsque les prix des denres alimentaires sont levs, les mnages dirigs par une femme semblent en souffrir dune manire disproportionne, et ce pour deux raisons20. Premirement, ces mnages tendent avoir un accs limit la terre et aux autres ressources, souvent du fait des lois coutumires et de la discrimination sociale; par consquent, ils ont moins de chances dtre vendeurs nets de produits alimentaires. Deuximement, ces mnages tendent aussi tre plus pauvres, ce qui signifie quils consacrent une part plus importante de leurs revenus lalimentation et quils se ressentent davantage des hauts niveaux de prix. La variation des prix des aliments touche diffremment non seulement les divers types de mnages mais aussi les divers membres du mnage. Ainsi, la participation des femmes aux travaux agricoles peut considrablement augmenter pendant les crises conomiques21, par exemple si les hommes migrent en qute dun meilleur emploi22. Lacharge de travail supplmentaire qui en rsulte comprime le temps dont elles disposent pour effectuer les tches domestiques et soccuper des enfants23. Chez les nouveau-ns, la mortalit des filles augmente plus que celle des garons en priode de crise24. Le fait que, dans la plupart des cas, les pauvres souffrent quand les prix des denres alimentaires sont levs, ne justifie pas de subventionner les prix de faon gnralise. Ce type de subventions est souvent difficile liminer au plan politique et il peut ponctionner les budgets nationaux des fonds ncessaires pour investir dans les biens publics tels que la recherche agricole, le rseau routier rural, lducation, la sant et lassainissement. En outre, les subventions aux prix gnralises ont habituellement des effets pervers, en ce sens que la plupart des avantages sont accapars par les personnes aises qui, bien quelles

consacrent une proportion plus limite de leur budget lalimentation que ne le font les pauvres, dpensent au total plus queux pour se nourrir. Si les subventions gnralises ne sont pas la rponse, quel est le meilleur moyen dattnuer les incidences nfastes des hauts niveaux des prix des denres alimentaires? court terme, une option consiste cibler les mcanismes de protection sociale sur les personnes les plus vulnrables (voir Sadapter la volatilit des prix quand elle est invitable: les mcanismes de protection sociale cibls et les rserves alimentaires durgence, p.44). Sur le long terme, le meilleur moyen de faire baisser les prix des produits alimentaires est dinvestir dans lagriculture, ce qui entranera un accroissement durable des rendements, une rduction du cot des intrants, une amlioration de la productivit et un recul des pertes et du gaspillage de denres. Linvestissement dans lagriculture a la capacit de rendre les produits alimentaires plus abordables pour les consommateurs et plus rentables pour les agriculteurs, et il reprsente le seul moyen de matriser les prix des aliments dune manire avantageuse pour tous. En ce sens, le traitement contre les prix levs pourrait tre les prix levs eux-mmes, sous rserve quils incitent les agriculteurs adopter des technologies amliores, et les gouvernements et les donateurs internationaux affecter davantage de ressources financires aux investissements agricoles (voir Prvenir la volatilit des prix sur le long terme: amliorer la productivit, le caractre durable et la capacit de rebond de lagriculture, p. 47). Ainsi, bien que les hauts niveaux de prix aggravent linscurit alimentaire et la pauvret sur le court terme, ils ouvrent la voie linvestissement et la croissance, ce qui est susceptible de faire reculer linscurit alimentaire et la pauvret sur le long terme.

Cots et avantages de la volatilit et de limprvisibilit des prixMessage clQuand les prix sont trs fluctuants, et mme sils restent en moyenne un niveau tolrable, les chocs de courte dure exposent tant les petits agriculteurs que les consommateurs pauvres aux piges durables de la pauvret. De plus, les petits agriculteurs rechignent investir quand les variations des prix sont imprvisibles. Outre les incidences des hauts niveaux et des bas niveaux des prix des denres alimentaires examines prcdemment, la variabilit des prix peut aussi avoir des rpercussions importantes alors que le niveau moyen des prix reste constant. Cela se produit quand les fluctuations de la production alimentaire deviennent plus frquentes ou plus accuses mais que la production moyenne reste la mme. Dans une telle situation, les variations de prix deviennent plus nombreuses et plus amples, dune faon prvisible ou imprvisible. Une

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ENCADR 5

Pourquoi lenvole des prix suscite-t-elle aujourdhui tant de proccupations, alors que pendant des annes la faiblesse des prix a t montre du doigt?Avant les rcentes crises alimentaire et financire mondiales, un grand nombre dobservateurs dnonaient la faiblesse des cours mondiaux des produits alimentaires comme prjudiciable aux habitants pauvres des pays en dveloppement. Or, maintenant, au lendemain de la flambe des prix, la plupart des analyses font valoir que la hausse des prix des denres exacerbe la pauvret. Comment se fait-il que tant les hauts niveaux que les bas niveaux de prix soient nfastes en termes de pauvret1? On peut concilier les visions contrastes des hauts niveaux et des bas niveaux de prix en distinguant les effets des prix long terme et court terme. court terme, la hausse des prix exacerbe la pauvret parce que, dans la plupart des pays, les 20 pour cent les plus pauvres de la population sont des acheteurs nets de produits alimentaires. En revanche, sur le long terme, si linvestissement public et priv augmente suite la hausse des prix des aliments, cet investissement supplmentaire peut entraner un accroissement de la productivit et contribuer la croissance conomique et au recul de la pauvret. Mais ce type de retombes bnfiques ne peut pas tre attendu dune raction instantane de loffre, fonde sur une consommation plus importante de main duvre ou dintrants matriels bruts tels que les engrais et les pesticides. Un autre aspect prendre en compte est quune grande partie des gains engendrs par la hausse des cours mondiaux tend profiter aux grands propritaires terriens des pays exportateurs revenu intermdiaire de la tranche suprieure mais ces agriculteurs ne sont pas pauvres. Par consquent, mme si des pays en dveloppement bnficient de la hausse des prix, la pauvret ne reculera pas pourautant il faut procder une analyse plus fine des incidences sur la valeur des terres et les salaires dans des pays donns, ainsi qu une ventilation attentive des schmas de dpenses par catgorie de revenus. Il est galement important de comprendre que la disponibilit et lanalyse des donnes provenant des enqutes sur les mnages ont fait des progrs considrables ces dernires annes, ce qui a modifi la perception que lon pouvait avoir des incidences des hauts niveaux et des bas niveaux de prix. En outre, la plupart des proccupations concernant les niveaux des prix seraient plus justement dcrites comme des proccupations concernant la volatilit des prix; les brusques fluctuations de prix peuvent tre nfastes tant pour les agriculteurs que pour les consommateurs (voir le chapitre Cots et avantages de la volatilit et de limprvisibilit des prix ci-dessous). Certaines tudes semblent soutenir lide que la hausse des prix a des incidences bnfiques, en montrant, par exemple, que la libralisation du commerce agricole entranerait simultanment une rduction de la pauvret et une hausse des cours mondiaux des denres alimentaires. Mais une lecture attentive de certaines de ces tudes2 donne une image plus nuance. Premirement, cest un meilleur accs aux marchs protgs qui fait reculer la pauvret et non la hausse des cours mondiaux des produits alimentaires3. Deuximement, la hausse des cours mondiaux des produits alimentaires nentrane pas forcment la hausse des prix sur les marchs intrieurs, or cest cette dernire qui influence le taux de pauvret. Ainsi, une rduction des barrires limportation ferait baisser les prix sur le march intrieur et grimper les cours mondiaux simultanment (en raison de laccroissement de la demande dimportations). La baisse des prix sur le march intrieur ferait reculer la pauvret, mme si les cours mondiaux augmentaient. En dautres termes, la hausse des cours mondiaux des produits agricoles et la rduction de la pauvret sont deux rsultats distincts de la libralisation du commerce la hausse des prix des produits alimentaires nentrane pas une rduction de la pauvret.D. Rodrik. 2008. Food prices and poverty? Confusion or obfuscation? (disponible ladresse http://rodrik.typepad.com/ dani_rodriks_weblog/2008/05/food-prices-and.html); J. Swinnen. 2010. Theright price of food: reflections on the political economy ofpolicy analysis and communication. LICOS Discussion Paper 259. Leuven, Belgique, LICOS Centre for Institutions and Economic Performance, Universit catholique de Louvain. 2 Voir, par exemple, T.W. Hertel, R. Keeney, M. Ivanic et L.A. Winters. 2006. Distributional effects of WTO agricultural reforms in rich and poor countries. World Bank Policy Research Working Paper 4060. Washington, DC, Banque mondiale. 3 T.W. Hertel et W. Martin. 2008. Response to Dani Rodriks blog postentitled Food prices and poverty? Confusion or obfuscation? (disponible : http://rodrik.typepad.com/dani_rodriks_weblog/2008/05/ food-prices-and.html).1

augmentation plutt prvisible de la variabilit cre moins de problmes quune augmentation imprvisible. Mais attention, les variations de prix sont gnralement moins prvisibles quon pourrait le penser. Parexemple, mme dans le cas de la saisonnalit, qui est pourtant

lexemple classique de la variation prvisible des prix des aliments, les mois affichant les prix les plus hauts et les plus bas peuvent diffrer considrablement dune anne lautre25. De plus, mme les fluctuations parfaitement prvisibles des prix sont susceptibles de dstabiliser les

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mnages pauvres qui nont pas accs lemprunt quand les prix sont levs et ne sont donc pas en mesure de lisser leur consommation dans le temps. Ainsi, en Asie, o les variations saisonnires des prix sont relativement plus prvisibles quen Afrique, lincapacit des mnages pauvres subsister pendant la priode de soudure prcdant immdiatement la rcolte est un problme gnralis alors mme que cette priode est parfaitement prvisible. Parconsquent, bien que la suite du chapitre porte essentiellement sur les variations de prix imprvisibles, ilfautsavoir que les variations de prix prvisibles ont, ellesaussi, parfois des cots importants pour les pauvres. Avant de nous pencher sur quelques-unes des consquences ngatives de la volatilit des prix, il nest pas inutile de souligner que, du moins en thorie et dans certaines circonstances, la volatilit des prix peut profiter certaines personnes, y compris quand les variations ne sont pas prvisibles. Par exemple, les consommateurs riches qui ont les moyens dacheter les denres en gros quand les prix sont au plus bas puis de les stocker pour plus tard, peuvent acheter plus de produits quand les prix sont intressants et moins quand les prix sont levs, si bien que les aliments leur reviennent moins cher en moyenne. Un autre exemple est celui des personnes qui ont les moyens dacheter les biens que les mnages les plus pauvres bradent quand ils ont un besoin dsespr dargent ou quils sont confronts des catastrophes naturelles telles que la scheresse26. Mais, globalement, les cots des prix instables et imprvisibles semblent dpasser de loin les avantages voqus, en particulier pour les personnes qui vivent dans la pauvret etlinscurit alimentaire. Dune manire gnrale, les variations imprvisibles des prix ont au moins quatre types dincidences ngatives: les piges de la pauvret et la rduction de linvestissement au niveau de lexploitation sur le plan microconomique;

les incidences macroconomiques; et les incidences sur les processus politiques (voir le tableau 1). Le prsent rapportanalyse plus particulirement les incidences microconomiques ressenties lchelon du mnage27.

Les piges de la pauvretLaugmentation de limprvisibilit des prix entranera une plus forte incidence des hausses de prix, accompagne bien sr dune plus forte incidence des baisses de prix si le niveau moyen des prix reste le mme. Mais, dans certaines circonstances, les priodes de hausse des prix causent aux acheteurs nets de produits alimentaires un prjudice que les priodes de baisse des prix ne peuvent pas compenser. Demme, les priodes de baisse des prix peuvent causer aux familles dagriculteurs un prjudice que les priodes de hausse ne sont pas en mesure de corriger. Par exemple, si les prix des aliments de base bondissent pendant les 1000premiers jours de la vie dun enfant, lapport daliments plus nutritifs peut tre compromis, ce qui est susceptible dentraner une altration permanente de la sant et de ltat nutritionnel de lenfant et de le rendre moins productif lge adulte. Une nutrition non optimale peut aussi exacerber la vulnrabilit face au VIH/sida28. Dans de tels cas, une baisse ultrieure des prix ne rparera pas les dommages. Pour les vendeurs nets de produits alimentaires, les priodes marques par des bas niveaux de prix entraneront un tassement temporaire des revenus,avec des incidences similaires celles que subissent les acheteurs nets de produits alimentaires pendant les priodes de prix levs. L encore, les effetsne seront pas compenss par une remonte ultrieure des prix. Les baisses temporaires du revenu disponible provoques par les chocs des prix peuvent aussi pousser les familles dilapider leur capital. Par exemple, il arrive que les mnages bradent des terres ou du btail afin de

TABLEAU 1

Incidences de la volatilit des prixVecteur Les piges de la pauvret Qui (ou quoi) est touch? Les consommateurs et les agriculteurs Exemples Les mcanismes d'adaptation temporaires, tels que la vente de biens en catastrophe ou la rduction de la consommation d'aliments nutritifs, qui ont des consquences permanentes Le recul de l'utilisation d'engrais, qui entrane une baisse de la productivit L'investissement nest pas cibl sur les secteurs optimaux de l'conomie, ce qui ralentit la croissance conomique Les rvoltes de la faim qui empoisonnent le climat de l'investissement; les subventions qui compromettent l'investissement dans les biens publics

La rduction de l'investissement priv au niveau de l'exploitation Les incidences macroconomiques

Les agriculteurs Quand ils sont volatils, les prix des denres alimentaires peuvent difficilement servir d'indicateurs pour orienter l'allocation des ressources Les institutions dmocratiques; la croissance conomique long terme

Les processus politiques

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prserver leur consommation alimentaire dans une situation de crise conomique, bien que cela dpende de la situation. AuBurkina Faso, par exemple, pendant une forte scheresse, les mnages ont prfr rduire leur consommation plutt que de vendre leurs btes29. Parfois, les familles font moins souvent appel au docteur ou retirent les enfants de lcole afin dconomiser les frais de scolarit. Au Burkina Faso, la scolarisation se ressent des chocs tels que la scheresse et une chute des prix du cacao a entran un dclin similaire en Cte dIvoire30. Au Nicaragua, les visites chez le mdecin des enfants malades rsidant dans les zones touches par louragan Mitch en 1998 ont t moins nombreuses que celles des enfants rsidant dans les zones non touches31. Cesractions peuvent entraner une perte de capital humain dans les mnages concerns. Ce type dpisode dclenche parfois un des piges de la pauvret, qui font quun choc ponctuel a des consquences permanentes. Les piges de la pauvret peuvent rsulter de facteurs aussi diffrents que des catastrophes naturelles, par exemple les ouragans ou les scheresses, un ralentissement conomique ou une brusque variation des prix. Quelle que soit la cause ultime, toute rduction du pouvoir dachat des pauvres est susceptible davoir des incidences similaires. Pendant la scheresse du milieu des annes 1990 au Zimbabwe, les jeunes enfants vivant dans les mnages les plus pauvres ont souffert dun fort ralentissement de leur croissance et, plusieurs annes plus tard, nont pas atteint la taille attendue32. Ces effets sont particulirement proccupants parce quune vaste bibliographie laisse penser que le retard de croissance est associ une rduction des capacits cognitives et des retards scolaires chez les enfants, ainsi qu une moindre capacit de gagner sa vie chez les adultes33. En Indonsie, on a constat chez les femmes dont lanne de naissance avait t marque par des prcipitations anormalement faibles, une forte rduction de leur nombre dannes de scolarit ainsi que de leur taille et de leurs revenus dadultes, et chez tous les adultes concerns, une sant plus fragile34. Certains faits indiquent que des piges de la pauvret identiques se sont dclenchs en thiopie en raison de la scheresse, et au Honduras suite un ouragan35. Le point commun de toutes ces tudes est quelles montrent comment un choc ponctuel peut avoir des consquences permanentes.

variables en raison de conditions climatiques alatoires ou de prix volatils. Si les agriculteurs ne peuvent pas obtenir du crdit quand ils en ont besoin, ils rechigneront faire des investissements productifs36, en particulier si les investissements immobilisent les capitaux sur une longue dure. Cette situation peut se produire mme quand les prix sont stables, mais la volatilit des prix exacerbe cet effet. Par exemple, en Inde, les agriculteurs ont sous-investi dans lacquisition de jeunes bovins en raison de la volatilit des revenus37. Dautres dcisions fondamentales, telles que le choix des cultures, peuvent aussi dpendre de la volatilit des prix; par exemple, les exploitants pauvres de la rgion du Punjab, au Pakistan, ont abandonn la culture du riz basmati, relativement rentable, pour produire du fourrage, dans lespoir dviter les risques lis aux prix (et aux rendements)38. Mme linvestissement dans lachat dengrais, dont les bnfices se concrtisent souvent assez rapidement, semble tre remis en cause dans certaines situations; ainsi, en thiopie, les agriculteurs ont t rticents investir dans les engrais par crainte dun choc conomique39. Parce quils ont peur quun choc des prix ne les prcipite dans les piges de la pauvret voqus plus haut, les petits agriculteurs pauvres hsitent parfois adopter des technologies qui pourraient savrer rentables sur le long terme. Par consquent, ils adoptent une stratgie moindre risque et faible rendement qui est peut-tre optimale compte tenu de leur aversion pour les risques (justifie, au moins en partie, par leur pauvret) mais qui ralentit le processus de dveloppement long terme. Demme, parce que la plupart des investissements sont irrversibles ou comportent des cots irrcuprables, les investisseurs auront tendance rduire linvestissement dans un environnement caractris par une forte imprvisibilit des prix.

Dans les pays en dveloppement, la volatilit des prix des aliments de base a des rpercussions particulirement nocivesLinstabilit des prix des aliments de base a souvent des incidences ngatives plus marques que linstabilit desprix des autres produits agricoles parce que les alimentsde base sont importants la fois pour les agriculteurspauvres et pour les consommateurs pauvres. Du ct des consommateurs, les denres alimentaires de base reprsentent une large part des dpenses des pauvres. Duct des producteurs, elles correspondent aux cultures les plus communment produites dans les pays en dveloppement, en particulier sur les petites exploitations. Les principales denres alimentaires de base sont le riz, le bl, le mas, le mil, le manioc et les pommes de terre, plus un certain nombre dautres cultures qui peuvent tre ajoutes la liste (par exemple, les oignons en Inde, les

La rduction de linvestissement au niveau delexploitationLe deuxime type de rpercussions ngatives de limprvisibilit des prix a trait aux dcisions dinvestissement au niveau de lexploitation, dans les pays en dveloppement o les marchs du crdit ne fonctionnent pas bien et o les revenus sont extrmement

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piments en Indonsie). Ces condiments tiennent une place bien plus modeste que les crales et les plantes racines dans les budgets des mnages mais les variations de leurs prix peuvent tre beaucoup plus importantes, donc avoir un retentissement plus marqu sur le revenu disponible. Dun autre ct, en ce qui concerne les cultures commerciales (par exemple, le caf et le cacao), linstabilit des prix a peu dinfluence sur les consommateurs des pays en dveloppement. Bien que certaines cultures prennes, telles que le palmier huile, soient des produits alimentaires, la part de ces produits dans les budgets est beaucoup plus rduite que celle des denres alimentaires de base. Il ne faut pas en conclure pour autant que la volatilit des prix de ces cultures na pas dincidence sur le niveau de vie des pauvres, mais seulement quelle est probablement moins importante que la volatilit des prix des denres alimentaires de base. Normalement, linstabilit des prix des denres alimentaires de base frappe plus durement les pays trs bas revenus que les pays revenus plus levs et les mnages pauvres que les mnages aiss, et ce, au regard des quatre dimensions prsentes dans le tableau 1. Il y a deux bonnes raisons cela. Premirement, dans les pays pauvres, les produits alimentaires tiennent une plus large

place dans les dpenses des consommateurs, la production agricole et la macroconomie, et ont donc plus de poids sur les processus politiques que dans les pays riches. Deuximement, les pauvres possdent moins de biens que les riches et sont donc moins capables dviter la volatilit des prix ou de sen accommoder. Le corollaire est que, lorsque les conomies progressent et se dveloppent, la stabilit des prix des aliments influence demoins en moins linvestissement et la croissance. Lesconsommateurs varient leur rgime alimentaire, lesproducteurs se tournent vers les cultures plus fortevaleur et, au fur et mesure que les familles sedtachentdu secteur agricole, la macroconomie sediversifie. Mais ce nest pas parce que les cots de linstabilit des prix sont plus nombreux que ses avantages quil est ncessaire de la rduire. Avant davancer un tel argument, il convient de comparer les cots de linstabilit et de limprvisibilit des prix ceux de la rduction de linstabilit ou de lattnuation de ses effets. Cette comparaison des cots revt une importance dcisive quand on analyse les options politiques qui font lobjet du chapitre Options politiques permettant de faire face la volatilit et la hausse des prix, p. 35 et suivantes.

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Enseignements tirs de la crise alimentaire mondiale de 2006-2008

L

es vnements (et leurs causes) qui ont secou les marchs mondiaux des produits alimentaires entre 2006 et 2008 (et plus rcemment, en 2010 et 2011) ont donn lieu dinnombrables dbats. La publication Perspectives agricoles de lOCDE et de la FAO passe ces vnements en revue40. Mais le degr auquel les variations d