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La lere de l’Image est un programme spécifique Art & Essai Associaon IMAGES « Clos de l’Image » 29470 PLOUGASTEL-DAOULAS Tél. bureau 02 98 04 22 79 Tél programmes 02 98 40 30 79 Fax 02 98 04 26 09 ; Et h-p://www.imagecinema.org E-mail : [email protected] N° 214 (MAI 2019) Semaine du 1er mai 2019 -1- E n VOST. Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs Colombien. (Durée : 2h05). Drame de Ciro Guerra et Cristina Gallego avec José Acosta, Carmiña Martínez, Jhon Narváez… Dans les années 1970, en Colombie, une famille d’indigènes Wayuu se retrouve au cœur de la vente florissante de marijuana à la jeunesse américaine. Quand l’honneur des familles tente de résister à l’avidité des hommes, la guerre des clans devient inévitable et met en péril leurs vies, leur culture et leurs traditions ancestrales. C’est la naissance des cartels de la drogue. S OMPTUEUX POLAR TRIBAL AUX ORIGINES DES CARTELS COLOMBIENS Près d’un an après sa présentation en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, le film des Colombiens Cristina Gallego et Ciro Guerra sort enfin en France, non sans avoir récolté quelques prix au passage – dont le prix spécial police au Festival international du film policier de Beaune décerné le week-end dernier. Impressionnant de maîtrise, ce « polar » tribal se situant aux confins de plusieurs genres cinématographiques avait pourtant de quoi décontenancer. Il démarre comme une exploration quasi ethnographique des mœurs et coutumes des Indiens wayuus, peuple amérindien vivant à l’extrême nord de la Colombie, pour se transformer au fil du récit en film noir dans la plus pure tradition du film de gangsters hollywoodien. Ce parti pris original a été choisi par les réalisateurs pour raconter une histoire peu ou pas connue, celle de l’origine des cartels de la drogue en Colombie dans les années 1970-1980 avec son lot de violence et de règlements de comptes, et la déployer à la dimension du mythe afin de revenir aux sources de ce qu’ils considèrent comme la tragédie de leur pays. « Pour moi c’est un film noir, un film de gangsters. Mais il peut aussi être à la fois un western, une tragédie grecque et un conte de Gabriel Garcia Marquez. D’une certaine façon, les genres sont devenus les archétypes mythiques de notre temps », explique Ciro Guerra. Prospérité et décadence Cette épopée, chapitrée en « chants », commence donc dans le désert de la Guajira où Rapayet, modeste négociant de café, se rend dans un village de puissants bergers wayuus pour demander la main de la belle Zaida au cours d’une cérémonie rituelle d’une beauté à couper le souffle. Mais pour preuve de sa fidélité « à la famille et au clan », il est imposé à ce prétendant qui fraye avec les étrangers de réunir une dot, bien supérieure à ses moyens, constituée de chèvres, de bœufs et de colliers précieux. Entendant parler par hasard de jeunes Américains à la recherche de marijuana – des membres des corps de la Paix venus prêcher l’anticommunisme –, il entrevoit la possibilité de réunir l’argent nécessaire. « Rapa » va peu à peu s’imposer comme l’intermédiaire incontournable entre les « gringos » et les Indiens d’un clan rival qui cultivent la marimbera dans les montagnes, se transformant en une sorte de parrain local. C’est le temps de la prospérité pour tous, les grosses Land Rover remplacent les ânes, les maisons en dur singeant le luxe américain sont érigées au milieu du désert, les armes font leur apparition, et la tribu, dirigée d’une main de maître par la belle-mère Ursula, néglige les mauvais augures annoncés par les oiseaux de passage. Ceux-ci se matérialisent lorsque Leon, le fils de Rapa, oublieux des traditions, contrevient au code d’honneur des Wayuus et déclenche une terrible spirale de vengeance. Aux sources des maux de la Colombie En superposant avec brio les ressorts du film de genre à la culture amérindienne avec son rythme, sa culture, ses croyances et ses rituels magiques, Cristina Gallego et Ciro Guerra, brillants représentants d’un cinéma colombien en plein essor, réussissent une véritable performance. Ils parviennent, deux heures durant, à tenir le spectateur en haleine tout en remontant aux sources de tous les maux de leur pays : colonialisme, perte d’identité des populations indigènes, violence, et pouvoir corrupteur de l’argent. « C’est une métaphore de notre pays, décrypte Cristina Gallego, une tragédie familiale qui devient aussi une tragédie nationale. En parlant du passé, elle nous permet de mieux comprendre où nous en sommes aujourd’hui en tant que pays. » Comme ils l’avaient fait dans leur précédent long métrage L’Étreinte du serpent, qui avait représenté la Colombie aux Oscars et était consacré aux peuples d’Amazonie, ils subliment par des images magnifiques et une intrigue au cordeau le film anthropologique, afin de renouer avec une part de l’héritage culturel du sous-continent américain. Céline Rouden, La Croix. Obnubilés par les cartels colombiens – usines à thrillers peuplés de mafieux sanguinaires – et sa seule figure de proue, Pablo Escobar, le cinéma et la télévision ne se sont jamais vraiment intéressés aux racines du mal. Ces Oiseaux de passage de Ciro Guerra et Cristina Gallego – respectivement réalisateur et productrice de L’Étreinte du serpent en 2015 – est une épopée divisée en plusieurs chants retraçant la carrière d’un petit revendeur d’alcool qui va devenir, à partir de la fin des années 60, un trafiquant de drogue de haut vol. Son parcours exprime tout entier la dérive criminelle d’un pays qui aura longtemps du mal à donner au monde une autre image de lui-même. Les noms des chapitres du film (“Herbes sauvages”, “Les tombes”...) disent à peu près tout de cet inéluctable chemin vers l’abîme. Une trajectoire qui emportera dans son sillage l’honneur sacré d’une famille de paysans du nord de la Colombie. Les cinéastes désignent clairement les coupables de cet engrenage maléfique puisque c’est d’abord pour fournir en marijuana des gringos – hippies américains cherchant un peu de pureté facile loin de la civilisation – que l’homme, soucieux d’offrir une dot suffisante à sa promise, va faire fructifier son trafic. La cupidité ne résiste pas ici aux traditions séculaires dont les signes, pour peu que l’on sache les appréhender, agissent comme des garde-fous. Tourné à la façon d’un western empreint de mysticisme, ce film solaire sait aussi ressembler à ce que son sombre sujet lui impose. Fascinant. Thomas Baurez , Première. Émile Breton - L’Humanité C’est le choc, non préparé, des cultures qui est à l’origine du drame. Car c’est bien d’un drame, au sens le plus fort, qu’il s’agit ici, celui qui est à l’origine des grandes œuvres de fiction. Camille Nevers - Libération Cette histoire ne se limite pas à égrener la vie, chronique anthropologique et liens claniques, familiaux, d’une succession de figures hautes en couleur, elle s’échine à transcrire scène à scène, crescendo, la légende de tout un peuple. Du simple topique pour touristes, du folklore indigène, le film s’élève au niveau supérieur, à la beauté des archétypes.

lettre de l'Image n°214 · d’Amazonie, ils subliment par des images magnifiques et une intrigue au cordeau le film anthropologique, afin de renouer avec une part de l’héritage

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La le�re de l’Image est un programme spécifique Art & Essai

Associa�on IMAGES « Clos de l’Image »

29470 PLOUGASTEL-DAOULAS

Tél. bureau 02 98 04 22 79 Tél programmes 02 98 40 30 79

Fax 02 98 04 26 09 ; Et h-p://www.imagecinema.org

E-mail : [email protected]

N° 214 (MAI 2019)

Semaine du 1er mai 2019

-1-

E n VOST. Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs Colombien. (Durée : 2h05). Drame de Ciro Guerra et Cristina Gallego avec José Acosta, Carmiña Martínez, Jhon Narváez…

Dans les années 1970, en Colombie, une famille d’indigènes Wayuu se retrouve au cœur de la vente florissante de marijuana à la jeunesse américaine. Quand l’honneur des familles tente de résister à l’avidité des hommes, la guerre des clans devient inévitable et met en péril leurs vies, leur culture et leurs traditions ancestrales. C’est la naissance des cartels de la drogue.

S OMPTUEUX POLAR TRIBAL AUX O R I G I N E S D E S C A R T E L S COLOMBIENS Près d’un an après sa présentation en ouverture de la Quinzaine des

réalisateurs à Cannes, le film des Colombiens Cristina Gallego et Ciro Guerra sort enfin en France, non sans avoir récolté quelques prix au passage – dont le prix spécial police au Festival international du film policier de Beaune décerné le week-end dernier. Impressionnant de maîtrise, ce « polar » tribal se situant aux confins de plusieurs genres cinématographiques avait pourtant de quoi décontenancer. Il démarre comme une exploration quasi ethnographique des mœurs et coutumes des Indiens wayuus, peuple amérindien vivant à l’extrême nord de la Colombie, pour se transformer au fil du récit en film noir dans la plus pure tradition du film de gangsters hollywoodien. Ce parti pris original a été choisi par les réalisateurs pour raconter une histoire peu ou pas connue, celle de l’origine des cartels de la drogue en Colombie dans les années 1970-1980 avec son lot de violence et de règlements de comptes, et la déployer à la dimension du mythe afin de revenir aux sources de ce qu’ils considèrent comme la tragédie de leur pays. « Pour moi c’est un film noir, un film de gangsters. Mais il peut aussi être à la fois un western, une tragédie grecque et un conte de

Gabriel Garcia Marquez. D’une certaine façon, les genres sont devenus les archétypes mythiques de notre temps », explique Ciro Guerra. Prospérité et décadence Cette épopée, chapitrée en « chants », commence donc dans le désert de la Guajira où Rapayet, modeste négociant de café, se rend dans un village de puissants bergers wayuus pour demander la main de la belle Zaida au cours d’une cérémonie rituelle d’une beauté à couper le souffle. Mais pour preuve de sa fidélité « à la famille et au clan », il est imposé à ce prétendant qui fraye avec les étrangers de réunir une dot, bien supérieure à ses moyens, constituée de chèvres, de bœufs et de colliers précieux. Entendant parler par hasard de jeunes Américains à la recherche de marijuana – des membres des corps de la Paix venus prêcher l’anticommunisme –, il entrevoit la possibilité de réunir l’argent nécessaire. « Rapa » va peu à peu s’imposer comme l’intermédiaire incontournable entre les « gringos » et les Indiens d’un clan rival qui cultivent la marimbera dans les montagnes, se transformant en une sorte de parrain local. C’est le temps de la prospérité pour tous, les grosses Land Rover remplacent les ânes, les maisons en dur singeant le luxe américain sont érigées au milieu du désert, les armes font leur apparition, et la tribu, dirigée d’une main de maître par la belle-mère Ursula, néglige les mauvais augures annoncés par les oiseaux de passage. Ceux-ci se

m a t é r i a l i s e n t lorsque Leon, le fils de Rapa, oublieux des traditions, contrevient au code d’honneur des Wayuus et déclenche une terrible spirale de vengeance. Aux sources des maux de la Colombie En superposant avec brio les ressorts du film de genre à la culture amérindienne avec son rythme, sa culture, ses croyances et ses rituels magiques, Cristina Gallego et Ciro Guerra, brillants représentants d’un cinéma colombien en plein essor, réussissent une véritable performance. Ils parviennent, deux heures durant, à tenir le spectateur en haleine tout en remontant aux sources de tous les maux de leur pays : colonialisme, perte d’identité des populations indigènes, violence, et pouvoir corrupteur de l’argent. « C’est une métaphore de notre pays, décrypte Cristina Gallego, une tragédie familiale qui devient aussi une tragédie nationale. En parlant du passé, elle nous permet de mieux comprendre où nous en sommes aujourd’hui en tant que pays. » Comme ils l’avaient fait dans leur précédent long métrage L’Étreinte du serpent, qui avait représenté la Colombie aux Oscars et était consacré aux peuples d’Amazonie, ils subliment par des images magnifiques et une intrigue au cordeau le film anthropologique, afin de renouer avec une part de l’héritage culturel du sous-continent américain.

Céline Rouden, La Croix.

Obnubilés par les cartels colombiens – usines à thrillers peuplés de mafieux sanguinaires – et sa seule figure de proue, Pablo Escobar, le cinéma et la télévision ne se sont jamais vraiment intéressés aux racines du mal. Ces Oiseaux de passage de Ciro Guerra et Cristina Gallego – respectivement réalisateur et productrice de L’Étreinte du serpent en 2015 – est une épopée divisée en plusieurs chants retraçant la carrière d’un petit revendeur d’alcool qui va devenir, à partir de la fin des années 60, un trafiquant de drogue de haut vol. Son parcours exprime tout entier la dérive criminelle d’un pays qui aura longtemps du mal à donner au monde une autre image de lui-même. Les noms des chapitres du film (“Herbes sauvages”, “Les tombes”...) disent à peu près tout de cet inéluctable chemin vers l’abîme. Une trajectoire qui emportera dans son sillage l’honneur sacré d’une famille de paysans du nord de la Colombie. Les cinéastes désignent clairement les coupables de cet engrenage maléfique puisque c’est d’abord pour fournir en marijuana des gringos – hippies américains cherchant un peu de pureté facile loin de la civilisation – que l’homme, soucieux d’offrir une dot suffisante à sa promise, va faire fructifier son trafic. La cupidité ne résiste pas ici aux traditions séculaires dont les signes, pour peu que l’on sache les appréhender, agissent comme des garde-fous. Tourné à la façon d’un western empreint de mysticisme, ce film solaire sait aussi ressembler à ce que son sombre sujet lui impose. Fascinant. Thomas Baurez , Première.

Émile Breton - L’Humanité

C’est le choc, non préparé, des cultures qui est à l’origine du drame. Car c’est bien d’un drame, au sens le plus fort, qu’il s’agit ici, celui qui est à l’origine des grandes œuvres

de fiction.

Camille Nevers - Libération

Cette histoire ne se limite pas à égrener la vie, chronique anthropologique et liens claniques, familiaux, d’une

succession de figures hautes en couleur, elle s’échine à transcrire scène à scène, crescendo, la légende de tout un peuple. Du simple topique pour touristes, du folklore indigène, le film s’élève au niveau supérieur, à la beauté

des archétypes.

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Semaine du 8 mai 2019

T out public Franç. (Durée : 1h43). Drame d'André Téchiné avec Catherine Deneuve, Kacey Mottet Klein, Oulaya Amamra… Muriel est folle de joie de voir Alex, son petit-fils, qui vient passer quelques jours

chez elle avant de partir vivre au Canada. Intriguée par son comportement, elle découvre bientôt qu’il lui a menti. Alex se prépare à une autre vie. Muriel, bouleversée, doit réagir très vite…

LARMES FATALES ANDRÉ TÉCHINÉ RELATE AVEC CANDEUR ET OPTIMISME LE CONFLIT ENTRE UNE GRAND-MÈRE ET SON PETIT-FILS QUI PROJETTE D’ALLER FAIRE LE JIHAD EN SYRIE. Dans l’Adieu à la nuit, André Téchiné s’empare d’un sujet d’actualité délicat - la radicalisation islamiste de jeunes Français et leur départ en Syrie -, non pas en l’analysant dans un film-dossier à teneur documentaire, mais en le déplaçant dans son propre univers romanesque. L’action se situe sur ses terres, le Sud-Ouest, dans un lieu isolé et un peu hors du temps, un centre équestre en pleine campagne. Le jeune homme radicalisé (Kacey Mottet Klein) est, comme bien d’autres de ses personnages, mû par des pulsions, une passion et un orgueil mal maîtrisés. Sa grand-mère (Catherine Deneuve, dont c’est le huitième film avec le cinéaste) qui, découvrant son extrémisme religieux, tente de le ramener à la raison avec des moyens de plus en plus poussés, rappelle toutes ces figures féminines fortes et dévouées (sœurs réelles ou spirituelles, mères, grands-mères) qui traversent sa filmographie. Confort. Et l’on retrouve ce mélange de drame familial, de lyrisme adolescent et de polar propre à tant de films de l’auteur du Lieu du crime. Cette manière de circonscrire dans les limites de son petit théâtre une question sociale et politique complexe ne va pas sans une certaine naïveté, mais elle est la plus sincère façon pour Téchiné d’admettre sa propre incapacité à tout comprendre et son refus de tout expliquer. Et surtout, en observant comment un garçon radicalisé peut tenir dans son cinéma et le faire vaciller, le cinéaste reproduit précisément, à son échelle, l’irruption de cette violente altérité politico-religieuse - le jihadisme - au sein d’un contexte très familier et français. En d’autres termes, cet univers clos,

cette belle nature ensoleillée, cette actrice mythique et toute l’histoire du cinéma qu’elle incarne représentent une certaine idée de la France, de sa culture, de sa notion du goût et du bien-être qui se confrontent ici à une jeunesse qui en provient sans s’en satisfaire, cherchant ailleurs une autre forme d’aventure, plus absolue que le confort lénifiant du bon cinéma bourgeois français. Et à travers le personnage de Deneuve, c’est Téchiné lui-même qui se réveille et se défend, qui revendique sa propre vision de l’amour familial et de la passion contre celle qui pousse son jeune personnage à fuir son film. Car c’est bien de ça qu’il s’agit : croire au(x) dialogue(s) tant que c’est possible, puis maintenir, y compris par la force, ce garçon dans ce monde qu’il ne sait plus voir en l’empêchant de sortir du cadre pour aller se faire tuer dans un hors-champ idéalisé, dans un autre scénario rêvé dont il ne comprend pas la barbarie. Affection. Non sans maladresses, Téchiné, comme le personnage de Deneuve, constate et agit en ne faisant que ce qu’il peut depuis là où il est, à travers ses propres critères sentimentaux. Il ne se tient donc jamais en position de surplomb moral. D’autant qu’il ne se contente pas de la confrontation entre le petit-fils et sa grand-mère, mais fait ponctuellement intervenir des personnages secondaires, comme autant de contrepoints, dont un jihadiste repenti qui représente un autre scénario possible. Le film est trop peu contextualisé et trop candidement frontal pour véritablement convaincre d’un point de vue sociologique ou politique, mais il touche par sa foi romanesque. C’est-à-dire par sa certitude que chacun peut être sauvé, y compris de soi-même, par l’infatigable affection d’un autre, par un amour plus buté et intraitable que toute idéologie, jusqu’à la brutalité, jusqu’à la trahison. Marcos Uzal, Libération.

DANS «L’ADIEU À LA NUIT», LE CINÉASTE RETROUVE POUR LA 8E FOIS SON ACTRICE FÉTICHE. POUR UN FILM ÉBLOUISSANT MARQUÉ PAR L’ACTUALITÉ LA PLUS SOMBRE. Muriel (Catherine Deneuve), qui dirige un manège équestre, se réjouit de la visite de son petit-fils Alex (Kacey Mottet-Klein) qu’elle ne voit qu’à de très rares occasions. Depuis que la mère du jeune homme, a perdu la vie dans un accident de plongée sous-marine et que son père a refait sa vie en Guadeloupe, Alex s’est ensauvagé. S’il revient sur les terres grand-maternelles, c’est aussi pour retrouver Lila (Oulaya Amamra) qui travaille dans une maison de retraite. Le couple a un projet : gagner la Syrie sous la férule d’un recruteur pour y accomplir le djihad… Lorsqu’elle découvre les intentions d’Alex, Muriel joue le tout pour le tout pour l’empêcher de quitter le territoire. Figure majeure du cinéma français (« Barocco », « Les sœurs Brontë »…), André Téchiné signe ici une huitième collaboration avec Catherine Deneuve. On dirait que deux instruments s’accordent avec la plus haute intensité, le naturel le plus évident. La définitive révélation du film qui s’ouvre sur les magnifiques images d’une éclipse de soleil est celle de Oulaya Amamra, César du meilleur espoir féminin pour « Divines ». A 22 ans, voilà une actrice d’une intelligence et d’une sensibilité de jeu absolues. Dans le moindre de ses regards, ses gestes, elle fait de la broderie. Quant à Kacey Mottet-Klein, 20 ans, dont c’est la seconde collaboration avec Téchiné (« 17 ans ») il est comme un silex. Un enfant perdu qui s’en va défleurir la tombe de sa mère et la rendre nue de ses ornements funéraires. Son désir, écrit-il à sa grand-mère, est de dire adieu à la nuit de nos sociétés occidentales pour aller vers la lumière. De Téchiné, nous n’avions pas trop aimé « L’Homme qu’on aimait trop ». Ici, le cinéaste retrouve son cap dans ce film où chaque image compte, chaque dialogue cogne. On se dit que le cinéma français est décidément capable de raconter les cancers de ce monde avec la rage instinctive des sculpteurs.

Pierre Vavasseur, Le Parisien.

Dans votre cinéma,

en simultané avec

le Festival de Cannes 2019

Avant-première de

« The dead don’t die » de Jim Jarmusch

Film en compétition et en

première mondiale

Le Mardi 14 mai à 20h45

Séance unique

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Semaine du 15 mai 2019

7 Goyas 2019 dont celui du meilleur réalisateur et du meilleur acteur - Prix de la Critique au Festival international du Film Policier de Beaune 2019. En VOST. Esp. (Durée : 2h11). Policier de Rodrigo Sorogoyen avec Antonio de la Torre, Monica

Lopez, Josep María Pou … Manuel López-Vidal est un homme politique influent dans sa région. Alors qu’il doit entrer à la direction nationale de son parti, il se retrouve impliqué dans une affaire de corruption qui menace un de ses amis les plus proches. Pris au piège, il plonge dans un engrenage infernal...

Semaine du 22 mai 2019

F ranç. (Durée : 1h52). Comédie d'Anne Fontaine avec Lou de Laâge, Isabelle Huppert, Charles Berling... Claire, jeune femme d’une grande beauté, suscite l’irrépressible jalousie de sa belle-mère Maud, qui va jusqu’à préméditer son meurtre. Sauvée in extremis par un

homme mystérieux qui la recueille dans sa ferme, Claire décide de rester dans ce village et va éveiller l’émoi de ses habitants... Un, deux, et bientôt sept hommes vont tomber sous son charme ! Pour elle, c’est le début d’une émancipation radicale, à la fois charnelle et sentimentale…

UN FILM TRÉPIDANT SUR LA CORRUPTION D’UN PARTI POLITIQUE Rodrigo Sorogoyen dirige l’acteur Antonio de la Torre dont le jeu est tout simplement formidable dans le rôle du fusible qui essaie de ne pas sauter. Homme politique local influent, Manuel López-Vidal doit entrer dans la direction de son parti. Mais un jour, l’un de ses amis se retrouve dans les médias pour une affaire de fraude fiscale. Très vite, l’un de ses proches le prévient : « Demain, c’est ton tour »... Sur une musique techno et une mise en scène frénétique, « El Reino » raconte comment un parti politique gangrené par la corruption préfère sacrifier quelques-uns de ses membres et les faire passer pour des brebis galeuses plutôt que d’apparaître comme ce qu’il est : une bande organisée. Dans le rôle du fusible qui se débat contre un engrenage infernal, Antonio de la Torre (déjà vu dans «La Colère d’un homme patient » et «Que Dios nos perdone »), tout en tensions, est formidable.

Catherine Balle, Le Parisien.

LA CHUTE D’UN BARON CORROMPU Une plongée suffocante dans le marigot des politiciens espagnols corrompus, portée par un comédien remarquable que la caméra ne va pas lâcher pendant plus de deux heures. La voilà, la bonne claque du mois d’avril… Une plongée suffocante dans le marigot des politiciens espagnols corrompus, un Baron noir puissance 10 qui a remporté sept Goya (l’équivalent de nos César). Précisons que la péninsule ibérique est encore traumatisée des procès qui se sont enchaînés ces dernières années, impliquant plusieurs partis dans des affaires de détournements, de fraudes, d’enrichissement… Mais là où le film de Rodrigo Sorogoyen fait merveille, c’est qu’il ne s’encombre pas de décortiquer les fastidieux processus de corruption. Peu importe en fait. El Reino (« Le Royaume » en espagnol) se concentre en revanche sur un personnage que la caméra, portée le plus souvent à l’épaule, ne va pas lâcher pendant plus de deux heures, enivrée par une bande-son électro entêtante. Manuel López-Vidal, cadre régional d’un grand parti (impressionnant Antonio de la Torre, aux faux airs de Dustin Hoffman), est acculé. Tel un animal sauvage blessé mais loin d’être moribond, il va se débattre comme un fou dans le piège qui se referme, tentant par tous les moyens, souvent illégaux et maladroits, parfois dramatiquement burlesques, de faire tomber les autres barons impliqués et qui le lâchent. Chez ces gens-là, on se croit à l’abri de tout, mais pour Manuel, impensable d’être le seul à

payer. On observe avec sidération l’orgueil démesuré des potentats locaux ou nationaux. Une remise en cause ? Vous n’y pensez pas. C’est là le cœur du propos. La chronique politique haletante bifurque même vers le véritable thriller paranoïaque dans un dernier chapitre qui laisse pantois par sa maîtrise formelle et son enveloppe sensorielle. Une apnée glaçante.

Christophe Caron, La Voix Du Nord.

Jérôme Garcin - Le Nouvel Observateur

Drôle, inventif, subversif, parsemé d’allusions cocasses au conte originel (miroir, pommes, nains), bercé par la musique sylvestre de Bruno Coulais, découpé comme un livre d’images (coscénariste : Pascal Bonitzer) et

peuplé d’animaux très humains, le film d’Anne Fontaine se moque de tout – la

morale, les tabous, la légende, le sérieux – avec un charme fou.

Christophe Carrière - L’Express

Anne Fontaine raconte une femme libérée et sans malice, aux antipodes d'une héroïne timorée et soumise en

quête d'un Prince charmant. Les temps changent et c'est heureux.

Sophie Avon - Sud Ouest

Grâcieux, narquois, réjouissant, le récit prend toute sa saveur en se dédoublant du

conte au profit d’une fable d’initiation à la gloire de

l’épanouissement féminin.

Genèse du projet Avant Blanche comme Neige, Anne Fontaine venait de réaliser deux films plutôt sombres (Les Innocentes et Marvin). La cinéaste a donc eu envie cette fois de créer un personnage féminin qui s’émancipe et aborde la sensualité sans notion moralisatrice ou mortifère. Une fille libre d’envisager des relations différentes, partageuse, avec un goût, un désir et un appétit emplis de joie de vivre et dont la gaité et l’humour seraient communicatifs. "Il y a longtemps que cette fille me trottait dans la tête. Assez vite, je me suis amusée avec le chiffre 7. Au fur et à mesure de sa libération, mon héroïne allait rencontrer 7 hommes différents donnant matière à 7 portraits et avec lesquels elle vivrait 7 histoires distinctes. 7 semblait un bon chiffre", confie la réalisatrice.

La rédaction - CNews

Une comédie sulfureuse en trois chapitres qui démontre toute la complexité de l’âme.

Relecture de Blanche-Neige ? Les réflexions autour des rencontres avec ces 7 hommes ont rapidement mené Anne Fontaine au célèbre conte des frères Grimm. "Il y avait quelque chose de jubilatoire à mêler la trajectoire de cette jeune femme moderne aux codes d’un récit qui fait partie de l’imaginaire collectif et auquel on peut facilement s’identifier. C’était la promesse d’une comédie originale. Une « Blanche-Neige » rock’n’roll, ancrée dans un monde réel, mais déconnectée du naturalisme. Très loin de la femme sacrifiée qui fait le ménage, la cuisine et se retrouve totalement aliénée par les nains", analyse la réalisatrice.

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Pour plus d’information sur la programmation du cinéma Image, consultez son site internet :

www.imagecinema.org

Prochainement sur nos écrans :

Mon inconnue Comédie d’Hugo Gélin avec François Civil, Joséphine Japy, Benjamin Lavernhe… (Prix d'Interprétation Masculine Festival International du Film de Comédie de l'Alpe

d'Huez 2019 - Tout public )

Police Fédérale, Los Angeles Policier de William Friedkin avec William L. Petersen, Willem Dafoe, John Pankow... (Copie restaurée (1986) - Prix du grand public au Festival du film

policier de Cognac 1986) Dans le cadre du cycle répertoire "Los Angeles", en partenariat avec CInéphare le samedi 11 mai à 17h00

Royal Corgi Film d'animation de Ben Stassen et Vincent Kesteloot avec les voix de Guillaume Gallienne, Shy'm, Franck Gastambide .. (Tout public - Conseillé à partir de 5/6 ans )

Le Château de Cagliostro Film d'animation d'Hayao Miyazaki. (Tout public - Conseillé à partir de 6/7 ans )

Programme des Court-Métrages du mois du mois, en partenariat avec :

Semaine du 1er mai : LE PECHEUR ET L'HOMME D'AFFAIRES de Simon François. Fiction. (3min34). Un homme d'affaires se rendant à la pêche pour ses vacances en bord de mer rencontre un pêcheur local. Un dialogue s'installe entre les deux hommes. Semaine du 8 mai : GROUNDED de Lucas Durkheim. Animation. (4min10). Un jeune soldat sans expérience est envoyé à un poste de surveillance, au beau milieu d’un désert. Semaine du 15 mai : BLESSURE de Léo Bigiaoui. Fiction. (3min). Le film d’une passagère de métro à la veille de Noël. Le film que vous avez peut-être déjà vécu. Semaine du 22 mai : VIBRATO de Sébastien Laudenbach. Animation. (7min20). 1899. Une veuve confie toutes les folies qu’elle a faites avec Charles Garnier, son mari. Il s'en est passé des choses dans les loges de ce palais d’or et de velours, dans les dessous et les coulisses du Palais Garnier.

Semaine du 29 mai 2019

E n VOST - Tout public - Conseillé à partir de 12 ans Amér. (Durée : 1h41). Comédie dramatique de Sebastián Lelio avec Julianne Moore, John Turturro, Caren Pistorius… La cinquantaine frémissante, Gloria est une femme

farouchement indépendante. Tout en étant seule, elle s’étourdit, la nuit, dans les dancings pour célibataires de Los Angeles, en quête de rencontres de passage. Jusqu’au jour où elle croise la route d’Arnold.

S’abandonnant totalement à une folle passion, elle alterne entre espoir et détresse. Mais elle se découvre alors une force insoupçonnée, comprenant qu’elle peut désormais s’épanouir comme jamais auparavant…

Le

mardi 4

juin

2019

à 14h00

PORTÉ PAR UNE JULIANNE MOORE ÉPATANTE, LE PORTRAIT, ENTRE OMBRE ET LUMIÈRE, D’UNE QUINQUAGÉNAIRE LIBRE ET INDÉPENDANTE.

Le réalisateur chilien Sebastián Lelio excelle depuis toujours, à travers des histoires d’amour hors du commun racontées avec délicatesse, à démontrer la détermination des femmes à prendre leur destin en main. Son cinquième long métrage Une femme fantastique se voit récompensé de plusieurs prix, tandis que Gloria tourné en 2013 vaut l’Ours d’argent à sa comédienne principale, Paulina Garcia. Pressentant qu’il est plus que temps d’ancrer dans notre époque les aspirations des femmes mûres à être vues, entendues et respectées, il reprend cinq ans plus tard la trame de cette étude psychologique autour d’une femme qui, après avoir consciencieusement rempli son rôle d’épouse et de mère, entend bien profiter de la vie à sa guise, même si cette quête d’émancipation se révèle plus ardue qu’il n’y paraît. D’autre part, l’admiration palpable de Sebastian Lelio pour Julianne Moore, l’une des comédiennes américaines les plus éclectiques (elle alterne grosses productions hollywoodiennes, films indépendants et commerciaux) et aussi la seule a avoir obtenu le prix d’interprétation dans les trois plus grands festivals de cinéma - Berlin, Cannes et Venise -, constitue sans aucun doute une motivation suffisante pour l’inciter à se lancer dans ce remake version US. Assumant une cinquantaine bien entamée, mais joliment conservée, Gloria (Julianne Moore), divorcée depuis de nombreuses années et mère de deux grands enfants qui ont quitté le nid, n’a rien perdu de son appétit de vivre. Elle aime autant rejoindre ses amis pour quelques soirées arrosées

(parfois trop) qu’organiser une réunion familiale pour fêter l’anniversaire de son fils ou encore faire du saut à l’élastique. Pour se sentir moins seule dans sa voiture, elle s’assourdit de chansons populaires des années 80 qu’elle reprend à tue-tête. Entre autorité et douceur, elle mène sa vie comme bon lui semble, en veillant tout particulièrement à ce que personne ne s’y incruste plus que de raison. Pourtant, derrière ce dynamisme, se profile le vide de l’existence. Alors, quand elle rencontre un homme plus âgé qu’elle, elle envisage de renoncer à cette liberté si cher payée, d’autant qu’Arnold (John Turturro) tombe vite sous le charme de ce regard pétillant que de larges lunettes rendent encore plus mystérieux. Mais son passé compliqué et sa lâcheté pourraient bien avoir raison d’eux et obliger Gloria à se relever une fois encore. Cette histoire pourrait bien s’apparenter à une banale bluette. S’il filme la vie dans toute sa simplicité, le réalisateur habille son récit d’une telle palette de sentiments, entre mélancolie et enthousiasme, qu’il le préserve de toute fadeur. Certes, le rythme s’essouffle à mi-parcours. Pourtant, la capacité de la comédienne principale à nous faire partager ses joies et ses peines, comme si elles étaient les nôtres, ainsi qu’une mise en scène plus suggestive que démonstrative, n’ont aucune peine à nous attacher à cette délicate romance, dont l ’optimisme est communicatif. Car le vrai soleil de cette leçon de vie positive est assurément Julianne Moore. De tous les plans, elle irradie par son charme et sa justesse de ton, pour faire de cette quinquagénaire identique à tant d’autres, une Gloria touchante de simplicité et d’humanité, dont le nom rendu célèbre dans les années 60, grâce à la chanson de Van Morrisson, est chanté avec énergie au générique de fin.

Claudine Levanneur, avoir-alire.com.