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L’Ctude de la fonction morale dans ses rapports avec l’etat dangereux OLOF KINBERG (Stockholm) C’est un truisme que d’affirmer que les fonctions morales de l’homme sont dkterminkes par les manifestations culturelles qui prkdominent dans la sociktk oh il vit. Dans chaque civilisation vieil- lissante il y a une quantitk de coutumes qui ont eu une signification distincte dans la socibtk et au temps oh elles ont dbbutk, significa- tion qui est oublike depuis longtemps. Toutefois, malgrk cela, elles ont gardk une esp2ce de vknkrabilitk, une patine morale qui manque de tout fondement rationnel. Quelqu’un, Oscar Wilde, je crois, a dit qu’il y a des Anglais qui se sentiraient moins dbshonorks s’ils commettaient un assassinat que s’ils portaient leur couteau i la bouche pendant le repas. I1 y en a qui rkprouveraient celui qui aurait tuk un renard d’un coup de fusil tandis qu’ils trouvent mkritoire de le tuer i coups de cravache i la fin d’une chasse. En Amkrique il est de bon gout de laisser une partie de la nourriture qu’on a mise sur son assiette etc. En observant toutes sortes de convenances, on se plie i des usages insignifiants et qui, A cause de leur peu de valeur, ne risquent pas de se heurter A des besoins ou i des tendances personnelles con- traires. Donc, il n’y a pas de conflits entre les convenances de ce genre et les forces psychologiques i tendance kgoiste. La situation devient tout autre lorsque le commandement moral a un caract2re prohibitif qui tend i endiguer les dksirs kgoistes de

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L’Ctude de la fonction morale dans ses rapports avec l’etat dangereux

OLOF KINBERG (Stockholm)

C’est un truisme que d’affirmer que les fonctions morales de l’homme sont dkterminkes par les manifestations culturelles qui prkdominent dans la sociktk oh il vit. Dans chaque civilisation vieil- lissante il y a une quantitk de coutumes qui ont eu une signification distincte dans la socibtk et au temps oh elles ont dbbutk, significa- tion qui est oublike depuis longtemps. Toutefois, malgrk cela, elles ont gardk une esp2ce de vknkrabilitk, une patine morale qui manque de tout fondement rationnel. Quelqu’un, Oscar Wilde, je crois, a dit qu’il y a des Anglais qui se sentiraient moins dbshonorks s’ils commettaient un assassinat que s’ils portaient leur couteau i la bouche pendant le repas. I1 y en a qui rkprouveraient celui qui aurait t u k un renard d’un coup de fusil tandis qu’ils trouvent mkritoire de le tuer i coups de cravache i la fin d’une chasse. En Amkrique il est de bon gout de laisser une partie de la nourriture qu’on a mise sur son assiette etc.

En observant toutes sortes de convenances, on se plie i des usages insignifiants et qui, A cause de leur peu de valeur, ne risquent pas de se heurter A des besoins ou i des tendances personnelles con- traires. Donc, il n’y a pas de conflits entre les convenances de ce genre et les forces psychologiques i tendance kgoiste.

La situation devient tout autre lorsque le commandement moral a un caract2re prohibitif qui tend i endiguer les dksirs kgoistes de

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l’individu. LB il s’agit de deux courants opposCs qui tendent B se frayer un chemin, et oh le resultat de la rencontre depend de la force relative de chacun des deux courants. LB aussi le rCsultat du choc devient plus ou moins important du point de vue pratique selon le caractere de la force antimorale, qui fait agir l’individu.

Or, il n’y a pas que les usages insignifiants qui ont perdu leur signification et valeur primordiale. I1 y a aussi beaucoup de rigles morales, inhibitrices et importantes, qui ont survecu aux conditions sociales qui les ont engendrkes. Le code penal abonde en rkgles de ce genre. L’on pourrait mCme soutenir qu’une grande partie du tra- vail du Egislateur consiste B supprimer de telles rigles et B en in- troduire B leur place de nouvelles qui correspondent mieux aux besoins crGs par les changements continus que subit la societC sous l’influence de nouvelles dkcouvertes scientifiques et de leur appli- cation pratique. Ainsi, par exemple, le code suedois qui, dans le temps, punissait skvirement I’adultGre, l’homosexualite, etc. ne con- tient plus de sanctions contre ces actes. MCme l’avortement qui etait auparavent shirement puni a itte IigalisC par le code de sorte qu’B une certaine mesure plusieurs formes de cet acte sont main- tenant permises.

Parmi les innombrables rigles morales qui tendent B influencer la conduite des hommes, il y en a un groupe d’un int6rCt special au criminologue, B savoir celles qui s’opposent aux actes dilidueux.

S’il etait vrai, comme pensent certains sociologues, que les fac- teurs culturels seuls diterminent les fonctions morales de l’individu, celles-ci seraient beaucoup plus uniformes qu’elles ne le sont, malgrk la diversite des groupes sociaux existants dans les societes modernes. I1 est donc necessaire, ici comme ailleurs, de compter avec le facteur individuel. Du reste, il est axiomatique que toutes les reactions hu- maines, et parmi elles la fonction morale, dependent de l’ensemble: structure individuelle et milieu. Ce qui provient du milieu culture1 est le contenu theorique des opinions morales prevalant dans une certaine sociktte et B une epoque donnee, tandis que l’influence qu’exercent ces opinions sur I’individu depend de sa structure per- sonnelle.

La fonction morale n’est donc pas quelque chose qui flotte libre-

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ment dans l’air mais un groupe de riactions individuelles qui, par ce fait, ont un fondement biologique. La fonction morale n’est pas innie. Elle est l’effet d’une organisation lente du cerveau ou, en langue psychologique, une habitude acquise lentement par des influ- ences ambiantales sur la structure biologique du cerveau. Ce dive- loppement de la fonction morale est dG, d’une part, h certaines qua- lit& des tissus ciribraux rendant possible une certaine organisation, d’autre part, i un certain caractere des stimuli provenant du milieu et qui diclenchent les processus aboutissant h I’organisation nices- saire.

Le probleme ainsi posi, il s’ensuit qu’une dificience des tissus ciribraux, conditionnee par des dispositions hiriditaires patholo- giques ou des agents nocifs de quelque genre, peut rendre impos- sible I’organisation ciribrale nkessaire B la fonction morale. Cette these n’est pas sans fondement empirique. Lexpirience psychia- trique nous a appris d2.s longtemps que des processus ciribraux destructifs peuvent entamer ou meme ditruire entierement la fonc- tion morale chez des individus chez qui cette fonction a it6 aupara- vant tr2.s bien diveloppie. Dans de tels cas, la dipendance de la fonction morale d’un certain degri d’organisation ciribrale est di- montrie quasi expkrimentalement, mais h l’inverse de ce qui se passe lorsque la fonction morale se diveloppe.

D’autre part, meme si les qualitis biologiques du cerveau nkces- saires au diveloppement de la fonction morale, existent, le di- veloppement peut faire difaut si les stimuli misologiques nkces- saires manquent. C’est ce qui arrive quand un individu passe son ige plastique dans un milieu caractiris6 par ce que nous avons I’ha- bitude d’appeler >>l’indigence)> ou misPre culturelle>>. Par ce terme nous disignons un milieu compose par des individus plus ou moins itrangers aux faits de la vie spirituelle de leur peuple, c’est i dire son histoire, sa religion, ses institutions sociales, juridiques et mo- rales, sa ligislation, les r2.gles de conduite accepties par les hon- nCtes gens, etc.

I1 n’est pas nkessaire de souligner ici qu’un tel milieu n’est pas identique avec un milieu criminel. On le trouve le plus souvent dans la couche sociale qui comprend certains manoeuvres, surtout peut-

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Ctre des valets de ferme, en somme dans le proletariat rustique oh le manque d’iducation, l’ignorance, la pauvreti, l’alcoolism et une di- bilitC mentale, ou bien encore des ICsions cCrCbrales survenues dans l’enfance ont produit une ignorance et une inconscience des valeurs culturelles. A cause de cette dCficience des stimuli culturels la vie Cmotive reste en quelque sorte rudimentaire, ce qui veut dire que bien des qualitis et nuances de I’Cmotiviti ne se diveloppent pas chez des individus exposis B l’influence d’un tel milieu. I1 faut ajouter que ce sous-diveloppement semble Ctre relativement inde- pendant du niveau intellectuel. Aussi ne voit-on pas rarement parmi les gens qui ont grandi dans un tel milieu des individus qui, quoique bien CquipCs intelleduellement, sont pourtant des demi-sourds a w fines nuances Cmotives et morales.

I1 va de soi que le bas-fond de la socitti, le milieu fonciPrement criminel et parasitique appartient aussi la catkgorie )>misere cultu- relle)), encore plus dangereuse pour les enfants qui y vivent par le fait qu’au manque des stimuli favorisant le dheloppement moral s’ajoutent des influences criminelles actives et qui poussent direde- ment vets une vie criminelle.

Linfluence inhibitrice de la )>misere culturelle>> sur le diveloppe- ment des fonctions morales s’accroit ividemment si elle s’exerce sur des individus presentant un alliage constitutionnel dkfavorable, ou qui ont Cti atteints de lesions cCrCbrales de diffkrents genres et Cten- dues, i savoir des sujets dont l’organisation adaptive du cerveau est faiblement dheloppie, ou riduite.

La fonction morale en tant que phinomPne psychologique est constituee B la fois par des ClCments cognitifs et par des Climents Cmotionnels, qui sont par consquent conatifs. L’exptrience prouve que les fonctions cognitives et les Cmotionnelles peuvent varier d’une maniPre indipendante, au moins dans une certaine mesure. Voila pourquoi l’intigration de la fonction morale peut varier selon le nombre et le caractere des ilkments cognitifs et imotifs qui en font partie. Si on considPre la qualit6 de ces ClCments, on peut diviser empiriquement les hommes en divers groupes.

Pour Cviter des malentendus, il est nCcessaire d’observer que le groupement sommaire prCsentC ici ne tient pas compte de toute la

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richesse des variantes, mais considere seulement certains types sail- lants, ce qui, du reste, tombe sous le sens puisque les cas etudies sont choisis et presque tous pathologiques.

En outre, il faut remarquer que, dans ce groupement schimatique, nous avons fait abstraction du point de vue gknetique. I1 ne s’agit donc pas de dicrire de quelle maniere et dans quel ordre les divers stades de la fonction morale se succedent, mais seulement d’attirer l’attention sur certaines manifestations de la fonction morale, telles que nous avons pu les constater chez les individus examines dans notre clinique.

Le premier groupe est compose d’individus dont la fonction morale se rCduit a certaines connaissances des haluations morales gkdralement acceptees, tandis que 1’Climent imotionnel manque plus ou moins completement. En ghnCra1, mCme les individus dont I’intelligence est tres peu dhelopp6e savent d’une mani&re som- maire que certains actes sont defendus. Ainsi les imbeciles savent que l’assassinat, le vol et l’adultere sont consider& commes des actes non permis. A ce propos, il ne faut pas oublier que pendant leur scolaritk, tous les enfants apprennent les formules knergiques des dix commandements: )>Tu ne tueras point)), >>tu ne voleras point)), etc.

Ce n’est que parmi les oligophrhes tout 2 fait infkrieurs ou chez les dements trks avances qu’on trouve des individus dkpourvus mCme de ces rudiments d’une fonction morale. Voila pourquoi la formule du celebre cas anglais de Mc Nagthen de 1843 selon la- quelle seuls les individus qui ne connaissent pas qu’un acte deter- mine, par exemple un assassinat, est moralement dkfendu, doivent Cchapper a la peine, reduit le nombre des alien& criminels qui doi- vent Ctre diclarks exempts de punition i une quantite negligeable si la regle ktait pratiquke stridement selon le texte.

Donc, la connaissance du fait que certains actes sont moralement defendus est B la fois la forme la plus elementaire de la fondion morale et celle qui manque le plus rarement. On voit tres souvent que la connaissance morale dans ce groupe est reduite aux priceptes du Decalogue. Ainsi il arrive que des individus de cette categotie considerent l’aduldre comme immorale, tandis qu’ils ignorent que

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d’autres actes sexuels, comme l’inceste, les attentats H la pudeur commis contre des mineurs, etc. sont defendus.

Chez les individus oh le domaine des connaissances morales est tr6s limit6 leurs maigres connaissances ne servent qu’H peine ou pas du tout comme matiere B des operations logiques. De la riprehen- sibilite morale de certains actes, ils ne sont pas capables de dkduire, par analogie, la r6prChensibilite d’autres actes semblables mais qu’ils ne connaissent comme etant moralement defendus.

A ce groupe appartiennent aussi des individus qui ont des con- naissances un peu plus grandes des evaluations morales acceptees et qui sont capables de conclure analogiquement de la rc5pr6hensibilite connue de certains actes H celle d’autres actes semblables. Cependant le caractere essentiel de ce groupe est que les elements moraux cogni- tifs sont plus ou moins vides d’elements kmotionnels.

Le deuxi6me groupe est compose d’individus qui non seulement poss6dent une connaissance plus ou moins &endue des evaluations morales acceptees, mais, en outre, sont capables de rkagir emotion- nellement H des stimuli moraux.

Cependant, la reactiviti Cmotionnelle prbente une grande khelle de variations quant d la force, i la profondeur et H la dude de l’emo- tion, quant H sa richesse en valeurs et nuances, etc. De meme, on trouve chez les individus de ce groupe une grande Cchelle de varia- tions quant H la capaciti cognitive. Ce groupe comprend donc la plupart des hommes dont le diveloppement mental ne s’est pas trouve arrCte par suite de dispositions hireditaires, et dont les fonc- tions psychologiques n’ont pas subi le contre-coup de lesions cerC- brales.

Ce n’est que chez les individus de cette catkgorie qu’on trouve une veritable capacite de jugement moral, comportant une attitude personnelle vis-his de I’action qui est l’objet d’une evaluation morale.

La conception de Fauconnet selon laquelle la >>tension morale>> est une des composantes de la fonction morale exprime un rapport entre le stimulus et la reaction dans la fonction morale. Fauconnet dCcrit la tension morale comme >>une fine sensibilitk qui signale de loin I’approche des dvenements moralement interessants, et fait

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appercevoir les suites morales iventuelles d’une conduite apparem- ment indiffirente)). Cette sensibiliti est mtme )>l’un des iliments importants du caract6re moral>>.

A mon avis, la tension morale ne doit pas &re considirie c o m e une activiti ciribrale aduelle, mais plut6t comme un itat ceribral purement physiologique, un certain tonus dans certains tissus ciri- braux dont l’activiti se manifeste c o m e une fonction morale. Phy- siologiquement, la tension morale consiste en un certain niveau du seuil de l’excitation pour certains stimuli. Cet Ctat pourrait aussi ttre regard6 comme une certaine promptitude rCactionnelle aux sti- muli moraux, comme une >>eveillibiliti)> morale. Une grande iveilli- biliti morale signifie donc que l’idCe d’un acte possible est immi- diatement soumise 21 un examen moral. Cela veut dire qu’il y a une grande faciliti de communication entre des sensations et des images de nature conative, d’une part, et des reactions morales, d’autre part. Aussi le degri d’iveillibiliti morale est un indice du degri de l’adaptation morale. En sa qualiti d’itat de riactiviti physiologique, cette heillibiliti nous Cclaire aussi sur la nature biologique de l’adaptation morale.

Un certain degri moyen d’iveillibiliti morale subsiste toujours chez les individus dont la vie imotionnelle morale est bien dive- loppie. Cependant ce degri d’iveillibiliti dipend non seulement du diveloppement de la vie imotionnelle, mais aussi de la capaciti intelleduelle. Aussi les individus dont l’intelligence est faible ne sont-ils pas capables d’identifier clairement et nettement un acte dilibiri et, partant, ils ne sont pas 21 mtme de bien distinguer entre des actes qui prisentent une certaine ressemblance extCrieure, sans ttre pourtant identiques du point de vue moral. Si les contours d u n acte dwiennent flous, il est difficile de le distinguer d’autres actes, d’en prhoir les consiquences, et d’en reconnaitre les implications morales. Mais c’est justement l’engrenage causal d’un acte qui con- stitue le stimulus de la fonction morale. A mesure qu’un acte dili- biri parait indistinct et indecis, il se prisente aussi comme morale- ment indifferent et, en consckluence, la fonction morale inhibitrice ou giniratrice fait difaut.

L’heillibiliti morale n’est pas constante chez le mtme individu,

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mais varie avec les fluctuations continues de l’intensitk du processus nerveux, ainsi qu’avec des conditions particulisres, physiologiques ou pathologiques. C’est un fait bien connu que les agents toxiques, surtout ceux qui sont de nature narcotique (alcool, morphine, opium, heroine, cocaine, etc. ) diminuent l’keillibilit6 morale. De simples modifications qui ne depassent pas les limites des variations phy- siologiques, par exemple une grande fatigue, une faiblesse cons& cutive ?i une maladie, peuvent aussi diminuer l’heillibiliti morale. De msme, des augmentations occasionnelles de I’&eillibilite mo- rale peuvent &re le resultat de conditions cirtbrales qui se divoi- lent comme des emotions religieuses, esthitiques ou autres.

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Les variantes de la fonction morale qUi intkressent surtout du p i n t de vue de la gen6se de la dangerosite sont le sous-dkveloppe- meat de la fonction morale par une dysplasie drkbrale de quelque genre ou par un manque de stimuli ad6quats nCcessaires ii son d6- veloppement, d’une part, et les destructions de la fonction morale par des processus pathologiques, d’autre part. Tous ces cas forment ensemble un troisi6me groupe.

Dans la subdivision qui comprend les cas oh la fonction morale est toujours restee sous-dheloppte, on trouve dabord Ies formes cliniques d’bolution manquie, en raison de la presence de g h e s pathologiques dans les chromosomes. L2, certains tissus cer&raux font dkfaut, ce qui entrave le dkeloppement normal, de sorte que la vie mentale est arrhCe sur un niveau rudimentaire.

Dans d’autre cas les disposition hiriditaires dont est pourvu l’individu sont normales, mais des agents nocifs agissant sur l’em- bryon ou sur l’enfant ont produit des lesions ckrkbrales qui non sedement entrainent des deficiences mentales, mais aussi une h o - lution insuffisante du cerveau. Dans les deux groupes on trouve des deficiences mentales qui frappent diffirentes fonctions psycholo- giques de mani6re inCgale selon la nature et la localisation des 16- sions, d ’ o ~ rCsulte que l’individu se rCv6le subnormal d2s I’enfance.

I1 est evident qu’une telle reduction pricoce de la vie mentale doit affecter et le cBtC intellectuel et le c6tC Cmotionnel de la fonction mo-

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rale. En gknkral les individus appartenant B ce groupe sont plus ou moins amoraux, peu rkagibles du point de vue moral. Cela ne veut pas dire qu’ils soient des immoraux. Plut6t on pourrait les appeler des ignorants, des inconscients, des >>innocents>>. Malgrk leurs dkficiences morales beaucoup d’entre eux sont douks d’une espke de moralitk pra- tique qui les aide B s’abstenir d’ades rkprkhensibles; ils ont un nature1 dkbonnaire, doux, et ils sont sans dksirs forts qui pourraient agir comme pulsion criminelle. I1 est curieux de noter que cela semble &re la r6gle chez certains anormami, comme les idiots mongoloides, les individus souffrant d’acro-ckphalo-syndactylie et autres. Cepen- dant leur inconscience et leur insensibilitk morales les rendent t r b souvent plus ou moins dangereux, soit que leur dangerositk soit la

Parfois on trouve aussi, parmi les individus au cerveau malformk par des genes pathologiques ou autrement, de vrais monstres im- moraux qui commettent des knormitks de violence et de cruautk pour assouvir leurs appktits immondes et destructifs. I1 existe des indi- vidus de ce type chez qui les tendances antisociales et destructives se prksentent toujours i la surface: ils parlent ouvertement de leurs dksirs monstrueux, ils profitent de chaque occasion pour montrer ce qu’ils manigancent.

Mais il y en a d’autres chez qui la dangerositk a le caract6re d’une espece d’attaques trPs rares et oh la surface est toute douceur, dkbon- nairetk, timiditk. Un jeune valet de ferme de vingt ans, imbkcile mais extrcmement doux, travailleur, touj ours d’humeur kgale, tua un jour une fille de ferme qui servait chez le meme patron que lui. Elle ktait sur le point de quitter son service. Comme elle allait s’kloigner avec sa bicyclette et ses petits bagages, il s’offrit B l’ac- compagner un bout de chemin. I1 ne lui avait jamais jusqu’alors tkmoignk quelque intkret krotique. Alors qu’ils passaient par un petit bois, il la saisit tout d’un coup, l’entraina dans le bois et l’ktrangla, sans avoir fait d’ouvertures sentimentales. A cause de son niveau mental bas, il ne put pas rendre compte ensuite de ce qui s’ktait passk en lui. On put apprendre pourtant qu’il avait ktk envahi par un dksir subit qui avait dkclenchk l’ade d’une manicre explosive. Dans son rapport, le mkdecin-expert souligna que la

plupart du temps plut6t accidentelle que persistante.

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douceur et la timidit6 extremes de cet homme ne feraient qu’aug- menter sa dangerosite, en rendant difficile A son entourage futur de realiser sa dangerositi extrime quoique de manifestation trPs rare. I1 fut declare exempt de punition et place dans un asile.

Plusieurs annkes apr6s il vivait dans un petit asile oh il etait connu comme le plus inoffensif des humains. I1 travaillait comme valet dans la cuisine. A une certaine epque on avait cru remarquer qu’il se tenait de preference dans la proximite d’une jeune fille qui travaillait aussi dans la cuisine. Le medecin-directeur de l’asile le fit appeler et le questionna pour savoir s’il avait quelqu’interet spicial pour la jeune fille, ce qu’il nia - naturellement - probablement par pure timidite. On le crut, malheureusement, et laissa les choses suivre leur cours.

Le jeune homme travaillait aussi dans la serre de l’asile. Or, un samedi soir, aprPs la fin du travail, il se trouva par hasard seul dans la serre oh il avait quelque besogne. La jeune fille vint prendre quelques fleurs qu’elle avait commandees. Pendant qu’elle etait occupee ii serrer les fleurs dans un journal, la tite penchee. sur son travail, le malheur voulut qu’il appergt un marteau sur une tablette dans la serre. Instantanement il le saisit et enfonqa le crine de la jeune fille. Du reste, il ne la toucha pas. Apr6s avoir rode le corps dans quelques nattes, il s’enfuit. En decouvrant le soir qu’il n’etait pas prisent dans l’asile, on comprit que quelque chose de funeste Ctait arrive. On fit des recherches pour trouver la jeune fille. Cette fois aussi un dksir subit avait declenchi la fureur destructive du jeune homme.

Dans un autre grand groupe de criminels nous avons ii faire avec des individus dont la fonction morale a it6 reduite par des lesions survenues.

Quelquefois, des lesions cerkbrales peuvent entrainer une dange- rositk extreme. Ainsi un jeune homme de ma clientkle bien doui et d’un caractere excellent, fut frappe par un traumatisme cerebral trPs grave. Tandis que sa capacite intelleduelle ne semblait pas itre

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reduite, son caractere fut profondement change: il devint brutal, vkhkment, faisait des tentatives d’inceste sur ses soeurs mineurs, etc.

Ici nous retrouvons aussi les chalarophreniques qui constituent une grande partie des delinquants mineurs. Une des caractkristiques de leur structure personnelle est l’kmotivitk pile, froide, flasque, vite fatiguee. 11s s’interessent peu aux henements qu’ils percoivent, ils n’y prennent pas part, y sont &rangers. De cela s’ensuit que mCme dans les cas oh ils connaissent assez bien les regles morales acceptees, ils n’y rkagissent pas personnellement. C’est comme si ces regles ne les concernaient pas, comme si elles n’etaient pas faites pour eux. De 1; aussi leur manque de remords quand ils ont viol6 les rcgles, et leur incapacitk d’apprendre par l’exptrience. Car, elle aussi, n’a pas de prise sur eux, les laisse indiffkrents, ils sont comme des intouchables vis-i-vis des stimuli qui contribuent i organiser les reactions des individus sains et normaux vers une adaptation crois- sante.

Cest aussi par leur heillibilitk morale tres base qu’ils sont en general peu influencables par les mesures de politique criminelle. Cependant ce serait une erreur que de croire qu’ils sont tous incu- rables. Abstraction faite, de ce que les lesions qui produisent les &ats chalarophreniques varient de gravite et d’extension, elles ne sont pas absolument inchangeables chez le mCme individu: elles peuvent perdre en intensite et en extension sous des influences phy- siologiques favorables, de mCme qu’elles peuvent Ctre aggravkes par des circonstances defavorables, comme des acces allergiques, de nou- velles infections, d’autres maladies survenant qui affaiblissent l’itat genital du corps, etc. D’ailleurs, les reactions adaptives comme les non-adaptives, sont toujours le resultat d’une concurrence entre l’ac- tivitC de differentes constellations nerveuses. Donc si les forces qui poussent vets un comportement riprihensible sont faibles, des forces morales assez insignifiantes peuvent suffire pour empikher la re- action de se manifester. A mesure que les annees passent, les dksirs igoistes perdent parfois un peu de leur force ainsi que I’initiative motrice et alors il arrive que l’activite criminelle prenne fin.

Dans l’autre grand groupe dont les traits prepponditants favori- sent le dheloppement d’dtats dangereux, les ixophreniques, l’influ-

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ence de la structure individuelle sur les manifestation de la fonction morale est bien differente. Ici le trait caracteristique de l’activite cerebrale est le chargement emotionnel presque permanent, les grandes et lourdes vagues d’kmotions, I’ktat passionnel chronique. Cela est un obstacle ii une comprehension precise et detaillee des htnements et des personnes. Par consequent, les faits et les situa- tions que rencontre le sujet sont ma1 dkfinis, plus ou moins vagues, de sorte que leurs implications morales sont aussi un peu floues. A l’encontre des chalarophreniques, ces individus ne sont pourtant pas indifferents du point de vue moral. I1 n’est meme pas rare de trouver chez les ixophrkniques extremes des sujets aux tendances mystiques et morales, mais leurs exigences morales regardent moins eux-memes que leur prochain. I1 n’est pas rare de trouver chez eux des pritensions ii hre des justes, ii avoir toujours raison, ii etre moralement infaillibles, etc., ce qui les rend peu indulgents envers les autres. En outre, l’application pratique sur eux-memes de leurs maximes morales est entravee par la force de leurs tendances kgoistes et de leurs passions, qui imposent facilement la silence A la voix de leur conscience. Aussi trouve-t-on parmi eux de vrais monstres de cruautk et d’immoraliti.

Dans les deux groupes des chalaro- et ixophrkniques, la qualit6 de la fonction moral’e depend essentiellement du syndrome patho- logique present oh elle entre comme un trait caracteristique.

Quant aux grands lCsks cerkbraux, les vbanies classiques, on trouve la meme relation entre la nature du syndrome et la fonction morale. Ainsi les alterations cerkbrales pathologiques au cows de I’excitation maniaque et de la dkpression melancholique entrainent toujours des modifications importantes de la fonction morale. Dans les descriptions de l’excitation maniaque, on a par16 d’un mivelle- ment moral des idkes)> (Wernicke) , caracterise par les indiscrktions des malades, leur tendance aux exds in Baccho et Venere, leur manque de scrupules dans les situations tkonomiques, leur kgoisme brutal.

Si, malgrk cela, on trouve rarement des cas d’excitation maniaque parmi les accuses soumis ii un examen mental, c’est que le caractere maladif de leur Ctat est tellement patent qu’ils sont souvent places

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dans un asile avant qu’ils n’aient eu le temps de dilinquer, ou bien qu’on estime une poursuite judiciaire inutile en raison de leur ma- ladie.

Tandis que l’excitation maniaque a un effet dimoralisateur, les itats dipressifs produisent l’effet contraire. Aux sentiments d’insuf- fissance, de malheur, d’angoisse des itats dipressifs, se joignent des idies dilirantes qui prennent souvent la forme d’idies de culpa- biliti morale. Elles s’attachent aux actes riels indiffirents du point de vue moral, ou aux idies dilirantes: grands crimes imaginis, mo- biles criminels substituis aux mobiles vrais d’actes riels. Ces ma- lades ont l’habitude de fouiller leur vie antirieure, en tichant de trouver de mauvaises actions qui leur expliqueraient les remords qu’ils ressentent. 11s suspectent toutes leurs actions, les pbent avec leur tribuchet hypersensible et les jugent toutes moralement trop ligeres. Telle est la source de beaucoup d’autoaccusations et d’auto- dinonciations. Cela n’emphche que ces malades manquent souvent i leurs devoirs, non seulement par inaction, mais aussi en vertu d’une igocentriciti extreme qui les rend incapables de penser aux autres, i leurs besoins, i leurs chagrins.

Assez souvent cette espkce de )>folie morale)) conduit aux agres- sions graves contre les personnes. Lexemple dassique est celui d’un p2re ou d’une mPre dipressifs qui assassinent leurs propres enfants ou d’autres membres de leur famille. Dans ces cas la perception du riel est pathologiquement modifiie de sorte qu’elle a cri i des com- mandements moraux nouveaux d’un ordre supirieur qui annulent les normes morales ordinaires. Ainsi quand une m6re mklancolique tue son enfant pour le sauver de la condamnation Cternelle, en lui enlevant i temps la possibiliti de pikher, c’est qu’un devoir supi- rieur nouveau a remplaci pour elle la regle ordinaire: DTU ne tueras point)>, rGgle qu’elle accepte pour tous les cas sauf pour le sien.

Dans un de mes cas une malade qui souffrait d’un dilire mystique conpt l’idie que son mari itait Antichrist; elle croyait avoir r e p par revelation divine, l’ordre de le tuer, ce qu’elle fit en effet. Dans ces cas-li il y a lieu de parler d’une dangerositi i base altruiste.

Dans d’autres cas encore une perception pathologique du riel peut amener une haluation fausse de la situation actuelle, comme,

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par exemple, dans les cas oh un perskcutk paranoiaque se croit expos6 i des attaques sur sa vie, et oh il se croit dans une situation de lkgitime defense lorsqu’il attaque son agresseur imagink.

Chez les grands lksks ckrkbraux, la fonction morale peut donc Ctre modifike de plusieurs manieres: tant6t l’kveillibilitk morale est augmentke, comme dans certains ktats dkpressifs, tant6t rkduite, comme dans I’excitation maniaque, tantbt invertie par des substitu- tions pathologiques, sans que la connaissance des kvaluations mora- les gknkralement acceptkes, ni la rksonnance kmotionnelle en face de ces kaluations ne manquent. Peut-Ctre pourrait-t-on soutenir que la conduite des grands lksks ckrkbraux est dktermink par des tendances pathologiques si fortes que les regles morales gknkralement accep- t&s ont perdu leur puissance inhibitrice ou gknkratrice sur leur con- duite.

L’importance de la fonction morale comme frein (i la dangerosite‘

Comme nous avons tilchk de le montrer, la fonction morale des lksks ckrkbraux est souvent plus ou moins rkduite sous l’influence des lksions. I1 apparait donc que chez eux le caractere de la fonction morale ne joue donc aucun r61e indkpendant vis-i-vis de la genese de la dangerositk.

Si l’on cherche, par contre, i determiner les facteurs qui contri- buent 1 fertiliser le terrain oh croit le crime, ce serait une grande erreur de ne pas tenir compte d’un affaiblissement de certaines valeurs morales qui contribuent i empkher le dkveloppement des &tats dangereux. On ne se trompera pas, je pense, si l’on considere comme force morale principale les jugements de b l h e ou d’appro- bation que suscitent les actes d’un sujet chez les membres de son propre groupe social. A mesure que se multiplient les groupes sociaux hktkrotypiques 1 l’kgard de l’kchelle morale, l’uniformitk des kvaluations morales se perd et le nombre de celles qui sont gknk- ralement acceptkes devient de plus en plus restreint. De 11 s’ensuit une certaine disorientation ou confusion morale qui rend hksitant ou vaqillant le jugement moral chez beaucoup de citoyens. Cela en- traine aussi un Bat dhksitation chez les kducateurs. Lorsque les 4

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parents et les maitres d’Ccoles ne savent plus quelles actions doivent hre considirkees comme moralement indifferentes, approuviks ou blamies ils sont pris par une hksitation morale qui est contagieuse et laisse les jeunes dans un Ptat de doute moral qui emp6che le dCveloppement d’une Cchelle morale solide et capable de les aider i faire la distinction importante entre: Ke la se fait>> et >>Cela ne se fait pas)>.

La diversite des echelles morales a un autre effet f k h e w sur les mithodes d’iducation, i savoir l’hisitation de 1’Cducateur vis-i-vis les Ccarts de conduite de ses enfants ou de ses Cl2ves. Lii aussi on retrouve l’influence malheureuse de la theorie sociologique qui place les facteurs Ctiologiques des syndromes soi-disant nervew presque exclusivement dans les conditions extirieures du suj et. En attribuant i ces circonstances une importance qu’elles n’ont pas, on crCe des obstacles ii des mesures Cducatives qu’il fallait appliquer. Gr&e a w changements des valeurs morales et des principes diri- geant l’iducation morale, le domaine du >>Cela se fait)> s’est Ctendu. Le fait que l’indulgence dont jouissent les individus qui ont dClin- quC va depuis assez longtemps en croissant, tend i produire le m6me effet.

A mon avis, tous ces changements de la vie morale de la sociCtC ont augment6 la dangerositk des individus prCdisposCs par d’autres facteurs ii un dheloppement criminel. C’est aussi, je crois, au moins en grande partie, i ce groupe de facteurs qu’il faut attribuer le fait Ctonnant qu’en Sdde, oh les conditions Cconomiques et sociales sont i prCsent meilleures qu’A aucune Cpoque anterieure, les crimes contre les propriCtCs sont beaucoup plus fr6quents qu’avant la guerre, et que les crimes contre les personnes ont peut-hre une cer- taine tendance ii augmenter.

Si l’opinion que je viens d’exposer est juste, il s’en suivrait que le caract2re de la fonction morale ne jouerait de r61e indipendant dans l’ktiologie du crime que pour les sujets mentalement sains et normaux. Ici on pourrait citer comme exemple les moleurs profes- sionnels)> dkrits par Chis Conwick.’ En jugeant des traits carac-

The Professional Thief by a Professional Thief, University of Chicago Press. Fourth Impression, 1950.

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tiristiques que leur attribue Conwick, il parait invraisemblable qu’ils soient des lises cirebraux. D’autre part, ils semblent presenter un alliage constitutionnel t r b marqui et qui paraft nicessaire L leur genre de vie. Etant bien douis intellectuellement, et ayant beaucoup d’initiative et d’inergie, il leur serait hidemment facile de gagner leur pain par un travail honorable. Ce qui les attire vers le crime, c’est la vie mouvementie et la faciliti de gagner beaucoup d’argent. Mais, L mon avis, cela seul ne suffirait pas L expliquer le choix de leur metier. I1 faut encore un certain manque de sensibiliti au dis- honneur qu’implique leur genre de vie. Cette insensibiliti s’explique par le fait qu’ils ne se consid2rent pas comme des criminels, mais comme des hommes d’affaires et que les hommes d’affaires prati- quent, L leur avis, des methodes tout aussi peu scrupuleuses et aussi illigales. A cela s’ajoute leur connaissance intime de la corruption politique et administrative de leur pays. 11s savent parfaitement qu’un grand nombre d’hommes riches et puissants avec qui ils col- laborent i profit commun jouissent dune considiration gknirale malgri qu’ils violent sans cesse, comme eux-memes, les lois. Donc, ils ne se sentent pas exposis au b l h e moral des autres hommes daffaires, c’est 2 dire du groupe social auquel ils croient appartenir.

Cependant, cette mani&re d’envisager leur propre situation morale ne peut pas toujours faire taire la voix de leur sensibiliti L l’opinion des honnhes gens. Aussi plusieurs dentre eux ont-ils des scrupules, et il arrive de temps en temps que certains membres du groupe reprennent une vie honnete, quoiqu’ils aient exerce leur metier pen- dant des annies avec beaucoup de SUCC~S et sans avoir iprouvi de revers, par exemple, sous forme de punitions.

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Finalement je tiens L souligner le connexe qui existe entre les notions morales, hygiiniques et esthitiques. Personne n’ignore que bien des individus sont t r b sensibles aux objets et aux activitis qui exigent des contacts sales, souillants. 11s ne veulent pas toucher L des nourritures crues, surtout pas h celles qui proviennent du r2gne animal, ils abhorrent la vue du sang, le contact avec les plaies, etc. Pour de telles personnes, la pensee de tuer une bete est intolerable

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et, u fortiori, il l e u serait impossible de tuer un homme. Ce dkgout des objets salissants peut Stre t r b fort chez certains individus, sans qu’il y ait chez eux une dClicatesse morale bien developpee. I1 arrive pourtant t rk souvent que la sensibilite hygienique et esthktique soit asswit% avec une delicatesse morale.

On pourrait donc soutenir qu’il existe un lien psychologique entre l’hygiknique, I’esthCtique et le moral. Ce lien est si profond et si antique qu’il a rev& des expressions simantiques dans la langue. Ainsi le mot >>sale)>, outre sa signification hygiknique et esthktique, a aussi un sens moral: contraire h l’honneur, 5 la dklica- tesse, tandis que le mot >>propre>> a la signification opposie. De m h e le mot esthktique >>beau>> est parfois employe ironiquement pour designer non seulement quelque chose de laid mais aussi des actes immoraux. Dans d’autres langues, on trouve des mots qui pri- sentent des caractPres skmantiques analogues.

Ces exemples prouvent que la fonction morale n’est pas un trait psychologique isolk ou pour ainsi dire mktaphysique, mais qu’elle est ktroitement like avec d’autres fonctions bio-psychologiques dont elle ne peut pas Ctre skparCe.8

* Ce memoire se refPre aux articles suivants que nous avons publies dans Theoria: Hjarnfunktion och moralisk funktion (Fonction cerebrale et fonc- tion morale), 1936; De la morale cornme phknomene social objectif, 1939; The Conception of Environment in Genetic Bio-Psychology, 1941; The Con- cept of )>Psychopathy)> and the Treatment of so-called Psychopaths, 1946; Le droit de punir, 1948; Motive, Choice, Will, 1948; Les situation psycho- sociales precriminelles revelatrices des caracteres de 1’Ctat dangereux, 195 1 ; La prison facteur criminogcne, 195 1 ; Reflexions critiques sur la prevention soi-disant gknkrale, 1953.