L'Europe dans la politique étrangère russe : nécessaire, mais plus suffisante

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    LEurope dans la politiquetrangre russe : ncessaire,

    mais plus suffisante

    Thomas Gomart

    Mai 2010

    Centre Russie/NEI

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    L'Ifri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,

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    Russie.Nei.Visions

    Russie.Nei.Visionsest une collection numrique consacre la Russie etaux nouveaux tats indpendants (Bilorussie, Ukraine, Moldavie,Armnie, Gorgie, Azerbadjan, Kazakhstan, Ouzbkistan, Turkmnistan,Tadjikistan et Kirghizstan). Rdigs par des experts reconnus, ces articlespolicy orientedabordent aussi bien les questions stratgiques et politiquesquconomiques.

    Cette collection respecte les normes de qualit de l'Ifri (peer-reviewet suivi ditorial).

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    Jeffrey Mankoff, Quelle sortie de crise pour la Russie ?,Russie.Nei.Visions, n48, mars 2010 ;

    Bobo Lo, La Russie, la Chine et les tats-Unis : quel avenir pour cetriangle stratgique ?, Russie.Nei.Visions, n 47, fvrier 2010.

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    Auteur

    Thomas Gomart dirige le centre Russie/NEI de lIfri et la collectionRussie.Nei.Visions. Ses dernires recherches portent sur les relationscivilo-militaires en Russie et sur les relations triangulaires entre la Russie,les Etats-Unis et lEurope. Il a rcemment publi : OTAN-Russie : la"question" russe est-elle europenne ? , Politique trangre, n 4, 2009.

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    Sommaire

    RSUM ...................................................................................................... 4INTRODUCTION ............................................................................................. 5LEUROPE : MODLE, PARTENAIRE ET CONCURRENTE .................................... 7

    Un modle dsir ............................................................................................... 7Un partenaire invitable .................................................................................... 9Un concurrent politique .................................................................................. 10

    LEUROPE : NI CENTRALE, NI MARGINALE .................................................... 13Perceptions des menaces : logique dfensive et logique offensive .......... 13LEurope dans le cadre transatlantique ........................................................ 15Les autres zones prioritaires .......................................................................... 17

    QUELLE PLACE POUR LEUROPE DANS LE PROJET DE PUISSANCEDE LA RUSSIE ? ......................................................................................... 19

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    Rsum

    Sinterroger sur la place de lEurope dans la politique trangre russe estncessaire au regard de lvolution rcente de cette dernire. En effet,lEurope est de loin le premier partenaire de la Russie. Cependant, laRussie dveloppe un discours de pays mergent pour souligner la pertedinfluence rapide des Europens sur les affaires mondiales. LEurope esttoujours ncessaire, mais nest plus suffisante aux yeux de Moscou. LaRussie anticipe une marginalisation de lEurope, tout en sachant que son

    propre degr de marginalisation dpend, en grande partie, du type derelation quelle parviendra nouer avec elle. Pour sen convaincre, il sagitde voir comment lEurope est passe du statut de modle celui deconcurrent politique. Il sagit galement de replacer lEurope parmi lesdiffrentes options de la diplomatie russe pour en apprcier limportancerelative, avant de dcrire le projet de puissance de la Russie qui se veutdsormais global.

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    Introduction

    Sinterroger sur la place rserve lEurope dans la politique trangrerusse implique un premier constat. Dun ct, le dilemme historique de laRussie comment se rapprocher de lEurope, tout en prservant sonidentit ? rejoue actuellement dans le cadre du partenariat demodernisation souhait par Moscou et Bruxelles. De lautre, ce dilemmesexplique historiquement par la centralit de lEurope dans les affaires dumonde. Or, celle-ci se modifie avec le glissement rapide du systme-

    monde vers lAsie-Pacifique. Dans le discours, la Russie anticipe undclassement de lOccident en soulignant larrive des mergents parmi lesquelles elle se range. Dans cette optique, lEurope devient unecomposante, au mme titre que les autres, de sa politique trangre.Paralllement, la Russie cherche poursuivre son redressementconomique et son retour dinfluence internationale, qui passent en partie,lun et lautre, par lintensification de ses changes avec lEurope. Cesnouveaux rapports de force internationaux modifient le dilemme russe comment se positionner par rapport lEurope pour forger son identitglobale ?

    En dautres termes, lEurope est toujours ncessaire, mais

    dsormais insuffisante aux yeux de Moscou. Dans le cadre de la politiquetrangre de Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev, limportance accorde lEurope varie en fonction des cinq facteurs suivants, classs par ordredimportance : les quilibres stratgiques globaux, la gopolitique mondialede lnergie, les relations de scurit avec la sphre dite dintrtsprivilgis , la relation commerciale avec lUnion europenne (UE) et lesrelations avec le groupe des BRIC (Brsil, Russie, Inde, Chine).

    En Europe et au Caucase, Moscou continue donner, avec desnuances, une valeur stratgique aux six pays viss par le Partenariatoriental de lUE (Bilorussie, Moldavie, Ukraine, Gorgie, Armnie etAzerbadjan). Les relations entretenues par ces pays avec lOTANdemeurent au centre de ses proccupations. Cette zone-tampon entretientun sentiment dinscurit ressenti en Russie et dans certains pays de lUE.La Russie se trouve aujourdhui dans un systme de concurrence etdalliance avec cette dernire, qui est la fois son principal partenairecommercial et le principal cadre dintgration politique sur le continent.Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev doivent conduire leur politiquetrangre en fonction de la contradiction suivante : la Russie anticipe une

    Cet article reprend des lments prsents lors des deux interventions suivantes : Russias Foreign Policy Towards Europe in 2009: What Has Been the Main Driver ? ,Boston, American Association for the Advancement of Slavic Studies, 13 novembre 2009 ; LEurope vue de Moscou , Paris, IHEDN, 15 fvrier 2010.

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    marginalisation de lEurope des affaires mondiales, tout en sachant queson propre degr de marginalisation dpend, en grande partie, du type derelation quelle parviendra nouer avec elle.

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    LEurope : modle, partenaire etconcurrente

    Lorientation actuelle de Dmitri Medvedev vis--vis de lEurope demeuretroitement tributaire des annes Gorbatchev, Eltsine et Poutine. Or, envingt ans, lattitude de Moscou sest profondment modifie, voireinverse, dans le rapport entre la norme et la puissance. Soucieusedintgrer tout ou partie des normes europennes au dbut des annes

    quatre-vingt-dix, la Russie dfend aujourdhui une logique de puissanceclassique, qui conteste le pouvoir normatif de lUE et prtend formuler desoptions alternatives. Souvent prsente comme essentiellementpragmatique, la politique russe lgard de lEurope comporte aujourdhuiune forte charge idologique. La Russie poursuit une stratgie consistant se prsenter comme un pays normal dont les pratiques politiquesressemblent celles de lOccident. Cette volont de normalisation et dedpolitisation permet surtout doffrir limage dun pays nayant nullementbesoin dtre normalis par les autres, et en premier lieu par lEurope 1. Aucours des annes 2000, le corpus idologique de la Russie sestreconstitu pour fournir un stock danticorps lui permettant de rsister auxinfluences extrieures, puis de produire des substances actives sur son

    environnement.

    Un modle dsir

    la fin de la priode sovitique, la nouvelle pense (novoe myshlenie)est encourage par Mikhal Gorbatchev pour accompagner lestransformations suivantes : ouverture au monde, rduction desarmements, retrait dAfghanistan, retrait des pays satellites, affirmation des

    principes dmocratiques et respect des droits de lhomme. Cette nouvelle pense fournit le cadre conceptuel de passage dunesuperpuissance militaire, pour laquelle toutes les ressources doivent trealloues leffort militaire, une puissance plus raisonnable, cest --diresoucieuse de renoncer sa dimension impriale et de normaliser sonmode de fonctionnement intrieur, ainsi que son rapport aux autres. Cettemutation historique sest faite dans un mouvement de convergence avec

    1 A. Makarychev, Rebranding Russia: Norms, Politics and Power , CEPS WorkingDocument, n 283, fvrier 2008, p. 29-30.

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    lOuest en gnral et lEurope en particulier2. Point important souventlud : le projet de Mikhal Gorbatchev na jama is t un renoncement ausocialisme, mais une refondation collective base sur le respect des droitsindividuels. En ce sens, Gorbatchev tait directement inspir par le modlesocial-dmocrate europen et le principe de ltat-providence.

    La priode de transition des annes quatre-vingt-dix resteassocie dans lesprit des lites russes une priode de dsillusionintrieure et de dclassement extrieur. Elle aurait abouti au succs de lamise en place de lconomie de march au prix dun cot social lev,mais lchec de la dmocratie. La premire aurait russi en raison de laclaire vision des choses de lquipe d Egor Gadar, alors que la secondeaurait chou cause de labsence dune telle vision3. Ce tournant atraduit une conception politico-conomique davantage inspire par lemodle libral anglo-saxon de drgulation que par le modle continentalde protection4. Lobjectif poursuivi tait alors explicitement de dpolitiser lavie conomique. Au cours de la premire phase de la transition, lquipedirigeante considre encore que dmocratie et conomie de march sontindissociables. La politique trangre dAndre Kozyrev cherche, quant elle, faire simultanment de la Russie une dmocratie irrigue par sanouvelle culture politique et une grande puissance en raison de lapermanence de sa culture stratgique.

    Outre lintrouvable quilibre institutionnel entre la Prsidence et leParlement qui, ds 1993, trace les limites de la conversion politique, lerapport de la Russie lEurope se modifie profondment la faveur de lapremire guerre de Tchtchnie. En effet, cette guerre est lue en Europecomme lexpression du militarisme russe, combine une pulsion no -impriale faisant peu de cas des droits de lhomme. Ct russe, cette

    guerre est vcue comme une opration de survie de la Fdration deRussie, qui avait renonc pacifiquement son empire quelques annesauparavant. Paralllement, les tats-Unis, relays par plusieurs payseuropens, encouragent llargissement de lOTAN, qui alimente unefivre obsidionale des lites russes dont la culture stratgique repose surla hantise de lencerclement et la dfense de la profondeur stratgique. Laperspective de llargissement (OTAN et UE) constitue un pouvoirdaimantation de premier plan pour les anciens satellites de Moscou,dsireux de rejoindre lEurope transatlantique pour prcisment chapper linfluence russe. Les tats-Unis envisagent cycliquement linstallation desystmes anti-missiles perus par la Russie comme une menace pesantdirectement sur la crdibilit de son arsenal nuclaire. Ils encouragent une

    politique nergtique visant contourner le territoire russe. Laccumulationdes diffrends et des revers diplomatiques entrane un profond sentimentde frustration au sein des lites russes, sentiment qui trouve son pointdorgue en 1999 avec le Kosovo. Elles prennent alors conscience de leurmarginalisation stratgique et de la ncessit de reconsidrer leur politique

    2 R. English, Russia and the Idea of the West, New York, Columbia University Press, 2000,p. 5.3 A. slund, Russias Capitalist Revolution, Washington, Peterson Institute, 2007, p. 6-7.4 Entretien avec Egor Gadar, dcembre 2008.

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    de scurit5. La runification du continent europen sest faite sans eux.Le Kosovo a pour effet de les ressouder contre lOTAN qui, sous couvertde dfendre les valeurs dmocratiques, dfend ses intrts afin dimposerson ordre en Europe6. Plus profondment, le rglement de la guerre froidesest au dpart construit sur une vision convergente entre dirigeants russeset occidentaux avant de se transformer progressivement en tensions etrivalits7.

    Un partenaire invitable

    Ce retournement du modle ne doit pas masquer une tendance lourde desrelations avec lUE: lintensification continue des changes conomiques.LUE reprsente aujourdhui plus de 55 % de son commerce extrieur.Moscou ne peut tout simplement pas se dtourner de lEurope si ellesouhaite poursuivre son dveloppement. Il existe un parallle entre la fortecroissance russe au cours des annes Poutine (+55 % de PIB entre 2000et 2008) et lintensification des relations avec lUE. En2008, lUE a exportvers la Russie pour un montant de 105 milliards deuros, alors que laRussie exportait vers UE pour un montant de 172 milliards deuros. titrede comparaison, lUkraine a export vers la Russie pour un montant de10 milliards deuros, alors que la Russie a export vers lUkraine pour unmontant de 17 milliards deuros. Ces chiffres gnraux ne doivent pasmasquer les disparits rgionales qui existent entre pays membres dansleur commerce avec Moscou. En 2007, la balance commerciale de la

    Russie est excdentaire avec 21 des 27 tats membres et dficitaire avecles six pays suivants : Allemagne, Autriche, Danemark, Irlande, Malte etSlovnie. En matire dinvestissements, la Russie opre principalement enEurope et au sein de la partie europenne de la Communaut des tatsIndpendants (CEI) : en 2008, la Bilorussie absorbe 58 % desinvestissements russes au sein de la CEI suivie par lUkraine qui absorbe23 % des investissements russes. Au premier trimestre 2009, lesinvestissements internationaux de la Russie sorientent vers les payssuivants par ordre dcroissant : Chypre, les Pays-Bas, les tats-Unis, leRoyaume-Uni, la Bilorussie, les Iles vierges, la Suisse, Gibraltar,lAllemagne et lUkraine. Il faut souligner une double tendance. Dune part,certains de ces investissements sont encourags par les autorits russes

    afin daccompagner linternationalisation des grands groupes. Dautre part,ces investissements traduisent le souci des porteurs dactifs de diminuerleur exposition au risque sur leur propre march, et sapparentent de

    5 V. Baranovsky, The Kosovo Factor in Russias Foreign Policy , The InternationalSpectator, n2, avril-juin 2000, p. 113-130.6 D. Averre, From Pristina to Tskhinvali: the Legacy of Operation Allied Force in RussiasRelations with the West , International Affairs, n3, 2009, p. 575.7 D.Deudney et J. Ikenberry, The Unravelling of the Cold War Settlement , Survival,vol. 51, n6, dcembre 2009-janvier 2010, p. 48-49.

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    lvasion fiscale8. Lorientation des flux financiers de la Russie renforceson ancrage lEurope.

    Le rapport lEurope est souvent rsum lnergie. Vu delextrieur, Moscou politiserait les approvisionnements nergtiques pour

    placer lEurope dans une situation de dpendance. Moscou aurait ainsirussi stopper llargissement de lOTAN en raison de ses liensnergtiques privilgis avec Berlin, Paris et Rome9. La situation estvidemment un peu plus complexe, et il semble pour le moins rapidedtablir un lien direct entre des accords gaziers de long terme et unpositionnement diplomatique sur lOTAN. Nanmoins, en2007, lUE aimport 251 bcm (milliards de m3) de gaz naturel : 123 de Russie, 85 deNorvge, 32 dAlgrie et 9 de Libye. En2008, lAllemagne (40bcm), lItalie(25 bcm) et la France (10 bcm) reprsentaient 60 % des importations degaz russe en Europe. Les autorits russes et Gazprom ne font pasmystre du caractre vital des exportations gazires sur le marcheuropen, qui demeurent une source de revenus essentielle lconomierusse et au fonctionnement actuel de son modle politico-conomique. Surle plan politique, un courant influent dfend une approche pan-europennefaisant des ressources nergtiques le ciment dune entente euro-russe10.Sur le plan industriel, la stratgie gazire de la Russie doit sadapter leffort de diversification poursuivi par les Europens et la monte enpuissance du gaz non conventionnel aux tats-Unis, et ventuellementdans certains pays dEurope. Moscou doit tre en mesure de maintenir sesvolumes dexportation un moment o ses champs traditionnels dclinent,ce qui oblige enclencher une nouvelle phase dexploration-production.Par ailleurs, la volont de Gazprom de remonter dans la chane de valeuren investissant dans laval contraint le monopole russe repenser sonmodle conomique en fonction des groupes nergtiques europens,mais aussi des groupes nergtiques russes dsireux de se dveloppersur le march du gaz. La mise en parallle des plans politique et industrielplace encore lEurope au centre de la stratgie nergtique russe pour lesannes venir.

    Un concurrent politique

    La conception dune UE partenaire trouve des limites immdiates avec lergime de visas. Obstacle au dveloppement des changes humains, ilsymbolise lui seul la coexistence de deux sphres et de deux modlessur le continent europen. Plus profondment, cette coexistence serait entrain de changer de nature. Prenant acte de la difficult europenne se

    8 A. Panibratov et K. Kalotay, Russian Outward FDI and its Policy Context , ColumbiaFDI Profiles, n1, octobre 2009.9 K. Smith, Russia-Europe Energy Relations, Implications for US Policy , Washington,CSIS, fvrier 2010, p. 1.10 M. Margelov, A Strategic Union with Europe Based on an Energy Union , RussianJournal, vol. 45, n3, 18 fvrier 2010, p. 11.

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    transformer en acteur international, la Russie chercherait promouvoir unevision alternative lide dEurope en considrant que celle-ci aurait tprivatise par lUE, qui se serait ainsi arroge le droit de dfinir lescontours de lidentit europenne11.

    De ce point de vue, un tournant est intervenu au cours du premiermandat de Vladimir Poutine. Sa volont de se rapprocher de lUE sestclairement exprime lors de ses voyages ltranger, en particulier enFrance en octobre 2000. Cette orientation est cependant vite due sousleffet combin de plusieurs facteurs comme le dsaccord sur Kaliningraden 200212. La guerre dIrak rvle les profondes divisions des Europens,dcrdibilise lUE et ouvre un espace diplomatique une Russie ayantretrouv une part de confiance en elle. Le double largissement de 2004intervient dans un contexte de stabilisation intrieure avec la rlection deVladimir Poutine et dun regain de puissance, qui saccentue avec ladgradation de la situation en Irak et de la monte des prix de lnergie. cela sajoute deux ruptures profondes : le traumatisme de Beslan13 sous-

    estim par lEurope qui ny voit quun avatar de la guerre de Tchtchnie etla rvolution orange en Ukraine.

    La combinaison de ces vnements modifie le regard port par laRussie non seulement sur lEurope mais surtout sur les tats-Unis. mesure que la Russie retrouve de la puissance et une capacit dinfluence,Washington retrouve de la centralit dans la politique trangre russe.Cela se traduit trs directement dans lattitude de Moscou lgard delUE, qui perd rapidement de son attrait politique. LUE est parvenue exister comme acteur diplomatique en assurant une mdiation dans leconflit russo-gorgien. Cependant, Moscou rejette ses prtentions transformer les pays viss par le Partenariat oriental et entend prserver

    sa sphre dintrts privilgis . Lors de la guerre de Gorgie, Moscoua transgress le tabou du recours la force pour dfendre ses intrts endehors des frontires de la Fdration si la situation lexigeait. Cest unmessage explicite qui a profondment modifi la tonalit de sa politique lgard de lEurope.

    Paralllement, Moscou dveloppe un argumentaire de contestation la fois politique et conomique du modle de lUE, souvent dcritecomme une bureaucratie molle et indcise. Cette tendance sestompeavec les effets de la rcession traverse par la Russie (-8,5 % de son PIBen 2009) et la ncessit de progresser en vue du nouvel accord, qui doitservir de base juridique aux changes entre les deux parties. Les lites

    russes prconisent un capitalisme dtat , en voquant les vertus dun11 R. Sakwa, The Outsiders : Russia and Turkey in the Greater Europe ,Russie.Nei.Visions, paratre en mai 2010.12 T. Bordatchev, Novyj strategieskij soz. Rossi i Evropa pered vyzovami XXI veka :vozmonosti boloj sdelki [Une nouvelle alliance stratgique. La Russie et lEurope faceaux dfis du XXIme sicle : les possibilits dun grand arrangement ], Moscou, ditionsEvropa, 2009, p. 76-93.13 NDLR : En septembre 2004, plus dun millier de personnes sont prises en otages dansune cole de Beslan en Osstie du Nord (Caucase). Aprs lassaut par les forces delordre, le bilan officiel fait notamment tat de 331 morts, dont 172 enfants. Cette prisedotages est revendique par Chamil Bassaev, leader de la mouvance radicale dessparatistes tchtchnes.

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    dveloppement conomique bas sur un troit contrle politique. Avec denotables nuances, les lites russes rejettent de plus en plus ouvertementlquation entre conomie de march et dmocratisation politique. Ellessemploient dconstruire le principe de la norme tel que lUE le prsenteet contester le monopole de cette dernire sur la dfinition de ladmocratie, en considrant que toutes les notions doivent faire lobjetduneapproche spcifique, cest--dire relativiste, au cours de phases dengociations14. Il sagit la fois pour Moscou de dfendre la normalisationau regard des valeurs universelles pour viter dtre objet de conversionet, dans le mme temps, de ne pas se sentir responsable de ces valeursuniverselles. Lapproche pragmatique, technocratique et experte masque,en ralit, un souci non pas dabsorption progressive de la normeeuropenne, mais au contraire un souci de discuter, au cas par cas,llaboration de la norme. La Russie poursuit une idologie du relativismelui permettant de dnoncer les doubles standards et droder le capitalsymbolique de lEurope.

    Ce cadre idologique conduit se demander si lEurope nest pasdevenue une ide du pass15. Or, sur ce point, il semble que la politiquerusse lgard de lEurope pouse un phnomne de gnration. Mmesil ne faut pas tirer de conclusion dfinitive denqutes dopinion pardfinition conjoncturelles, il apparat que le modle europen a fortementperdu de son attraction au cours des dix dernires annes. La gnrationmontante (20-30 ans) est beaucoup moins attire par lOccident que lagnration prcdente (40-50 ans). En senrichissant dans des proportionsinespres au regard de sa situation au dbut des annes quatre-vingt-dix,la population russe ne sest pas occidentalise. En termes sociologiques,elle rejette le modle socio-politique occidental, mais adopte uncomportement de plus en plus individualiste. En 2008, 50 % des Russesrpondent ngativement la question de savoir si la socit occidentalereprsente un bon modle pour la Russie (25 % rpondent positivement).Cela ne traduit nullement un retour lhomo sovieticus, mais au contraire un comportement capitaliste assez primaire : pour leur vie de tous les jours, les Russes croient davantage aux opportunits et menaces ducapitalisme que les Europens.

    14 A. Makarychev, op. cit. [1].15 A. slund et A. Kuchins, The Russia Balance Sheet, Washington, PetersonInstitute/CSIS, 2009, p. 99-114. Chiffres et interprtations de ce paragraphe proviennent decette rfrence.

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    LEurope : ni centrale, ni marginale

    Dans les faits, lEurope occupe une position centrale pour lconomierusse. Le systme de scurit de la Russie demeure trs largementorient vers lEurope, alors mme que lorigine des menaces est en trainde se dplacer. Dans le discours des lites russes, la place de lEuropediminue en raison de la perte dinfluence de cette dernire et de la volontde la Russie dapparatre comme une puissance mergente potentielglobal.

    Perceptions des menaces : logique dfensive etlogique offensive

    Dans la culture stratgique russe, les menaces viennent principalement delOuest. La Russie se prsente souvent comme un pays ayant rsist auxinfluences occidentales16. Comme possible alternative temporelle etspirituelle, la Russie sest toujours davantage sentie menace par les

    hrtiques que par les infidles 17. Cet hritage ne peut se dissiper enquelques annes, mais explique limpossible linarit du cheminementvers lOccident. Dans la doctrine officielle, lanalyse des menaces et desrisques reste encore focalise sur lOTAN dont llargissement a t jugdstabilisant et agressif18. La hantise dun encerclement venant delOccident faonne les reprsentations des militaires russes car ilsredoutent la capacit dallongedes forces de lOTAN, capables de frapperla Russie dans sa profondeur. Cette perception des menaces justifie lemaintien dun dispositif militaire massif et dune organisation politiquefaisant de la scurit intrieure et extrieure leur priorit. Le rquilibrageen cours des relations civilo-militaires au profit du leadership politiquemrite une attention particulire19. Il devrait avoir pour principal effet de

    redistribuer les responsabilits au sein de la chane des commandements,en particulier en matire de planification stratgique. Cela devrait

    16 M. Poe, The Russian Moment in World History, Princeton, Princeton University Press,2003.17 J. Garrard et C. Garrard, Russian Orthodoxy Resurgent, Princeton, Princeton UniversityPress, 2008, p. 141.18 Th. Gomart, NATO-Russia: Is the Russian Question European?, Politique trangre(numro en anglais), n4, 2009, p. 123-136.19 Th. Gomart, Russian Civil-Military Relations : Is there Something New withMedvedev ? , US Army War College, paratre.

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    relativiser limportance porte lEurope au regard des menacestransnationales et de la monte en puissance de lIran et de la Chine.

    Les efforts du Kremlin pour promouvoir lOrganisation du Trait descurit collective (OTSC) sont relier ses efforts pour imposer le

    principe dune sphre dintrts privilgis . Moscou poursuit un tripleobjectif avec ce systme dalliance dont la cohrence oprationnelle reste prouver. Moscou souhaite disposer dun systme de postes avancsdans le prolongement de sa tradition de glacis, exercer une forme dedomination militaire plus la demande que permanente sur sonvoisinage et enfin accumuler de la puissance au Caucase et en Asiecentrale pour mieux peser sur lEurope et les tats-Unis. Pour atteindre lepremier objectif, Moscou solidifie ses relations bilatrales, selon desmodalits ad hoc, avec la Bilorussie en Europe, lArmnie au Caucase etle Kazakhstan en Asie centrale. Pour atteindre le deuxime objectif,Moscou modernise son outil militaire la lumire des enseignementsoprationnels de la guerre de Gorgie, enseignements tirs des fins

    internes mais aussi externes20. Pour le troisime objectif, il sagit dtablirune forme dquivalence entre lOTSC et lOTAN. Moscou souhaitevaloriser au mieux son influence en Asie centrale dans son dialogue aveclOTAN, qui cherche une issue politique son engagement militaire enAfghanistan.

    cette logique reposant fondamentalement sur une visionterritoriale destine prserver lautonomie stratgique de la Russie,sajoute une logique offensive dsireuse de globaliser sa prsence.Comprenant les mutations du systme international, la Russie sefforce deprojeter sa puissance de manire gostratgique. Elle ne limite pas sesambitions au contrle territorial, direct ou indirect, mais cherche sinscrire

    dans les flux mondiaux, et dans la mesure du possible capter ceux quisont sa porte. Lnergie constitue videmment le moyen privilgi deglobaliser sa prsence. Cette approche se retrouve dans son approchedes approvisionnements gaziers, mais aussi dans sa volont de remonterdans la chane de valeur des industries ptrolire, charbonnire et dunuclaire civil en soutenant les compagnies nationales dans leurs effortsdinternationalisation. Les autorits russes font le pari suivant, quiconcerne directement lEurope dont le besoin en nergie devrait saccrotresignificativement dans les prochaines annes : la rarfaction des nergiesfossiles ouvre une fentre dopportunit pour un enrichissement rapide etune influence globale. Lobjectif nest certainement pas de se limiter aumarch europen, mais de limiter la concurrence, en particulier pour le

    gaz, sur ce march naturel.La logique offensive pour exercer une influence globale passe

    galement par les vente darmes. La Russie a trois clients principaux :lInde, la Chine et lIran. En outre, elle vend des systmes darmes laSyrie, au Venezuela ou lAlgrie. En plus des revenus financiersindispensables la modernisation de son industrie de dfense, ces ventes

    20 R. McDermott, Russias Conventional Armed Forces and the Georgian War,Parameters, vol. XXXIX, n1, 2009, p. 67-68.

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    dlimitent un espace diplomatique intermdiaire, utile dans le cadre de sapolitique lgard de lEurope.

    LEurope dans le cadre transatlantique

    Il ne fait gure de doute que lOTAN demeure lacteur de rfrence enmatire pour la Russie, ce qui la conduit mener une politique spcifiquevis--vis de pays nappartenant pas simultanment lUE et lOTAN comme la Sude, la Finlande ou la Norvge et la Turquie. Le soucidaltrer la cohsion occidentale en jouant sur le lien entre les tats-Uniset lEurope est une constante de la politique trangre de Moscou, enprivilgiant la voie bilatrale. De ce point de vue, le retour de la Francedans les structures intgres de lOTAN (avril 2009) a t interprt Moscou, en dpit de largumentaire des autorits franaises sur laconstitution dun pilier europen au sein de lAlliance, comme les derniersfeux dune autonomie stratgique europenne. Pour Moscou, lOTANdemeure prioritaire, dans la mesure o son largissement a t jugdstabilisant et agressif. Il faut de ce point de vue souligner limpact de la rvolution orange , qui a t interprte par les lites russes comme lefruit dune volont occidentale dattirer lUkraine dans son orbite, maisaussi comme une rvolution fomente par les tats-Unis pour se propagerjusquen Russie21. Cela conduit rappeler le caractre hautement sensiblede lUkraine dans la politique russe vis--vis de lEurope et des tats-Unis.En raison de sa plasticit et de son rle dans le transit nergtique,

    lUkraine demeure une des priorits de Moscou: llection de ViktorIanoukovitch devrait apaiser les apprhensions de Moscou, mme si desdossiers lourds comme le statut de la flotte de la mer Noire demandentencore tre rgls22. lgard de lOTAN, plusieurs courants existent ausein des lites russes23. Le premier estime que la Russie et lOTANpourraient saccorder sur un quilibre destin prserver leurs sphresdinfluence respectives. Le deuxime courant, trs minoritaire, envisagetoujours une adhsion lOTAN et aux valeurs occidentales. Le troisimecourant, trs actif dans les milieux parlementaires, considre que lOTANcontinue envers et contre tout prparer une invasion de la Russie.

    Les relations Russie-OTAN dpendent du dveloppement desrelations russo-amricaines. Faonnes par la guerre froide , ces

    21 D. Trenin, Russias Spheres of Interest, Not Influence , The Washington Quarterly,n4, 2009, p. 15.22 Le 21 avril 2010, les prsidents Medvedev et Yanoukovitch ont conclu un accord liant laprsence de la flotte russe Sbastopol au prix du gaz. La prsence russe Sbastopolest prolonge de 25 30 ans. En change, la Russie sengage faire bnficier lUkrainedun tarif rduit pour son gaz pour une priode de dix ans. 23 R. Allison, Russian Security Engagement with NATO , in R. Allison, M. Light etS. White, Putins Russia and the Enlarged Europe, London, Blackwell, Chatham HousePapers, 2006, p. 99-105.

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    relations demeurent axes sur le dialogue nuclaire24. Limportanceaccorde par Moscou son dialogue avec Washington sexplique par leprimat de larme nuclaire comme lment de lgitimit internationale. Aucours du second mandat de Vladimir Poutine, Moscou a dvelopp un fortantiamricanisme, tout en cherchant systmatiquement des signes dereconnaissance de la part de Washington, afin notamment de renforcerson poids stratgique aux yeux des Europens. Le nuclaire dtermineaujourdhui comme hier lorientation de la politique de scurit de laRussie. Cest le nuclaire qui lui donne une crdibilit militaire, ainsi quelattribut ultime de puissance. Dans le mme temps, les lites russes sontparfaitement conscientes du changement de paradigme de la scuritglobale. Nanmoins, la Russie a opt pour une forme de solitudestratgique, en estimant que, dans le contexte actuel, sa survie et sondveloppement taient garantis par son autonomie nuclaire et sonpotentiel nergtique, ni lune ni lautre ne lencourageant nouer despartenariats contraignants.

    Cest dans ce contexte que ladministration Obama a lanc le reset,cest--dire une politique destine ne plus ignorer la Russie en matirestratgique, tout en cherchant crer des convergences ponctuelles surdes dossiers comme lIran ou lAfghanistan. Lhritage de ladministrationBush limite la marge de manuvre de ladministration Obama25. Cetteouverture suscite du scepticisme Moscou, mais rend possible deschanges suivis sur des dossiers sensibles. Mme si elle demeureambivalente, la position de la Russie au sujet de lIran se durcit depuisseptembre 2009. Sous Vladimir Poutine, le Kremlin a dvelopp le thmede la spcificitpour dfinir sa position internationale afin de se soustraireaux prescriptions occidentales. Moscou a ragi la fois diplomatiquementet idologiquement la politique amricaine dans sa zone dinfluence. Uneautre lecture voit dans lantiamricanisme russe le cur de la politiquetrangre de Vladimir Poutine, bien avant son discours de Munichen 200726. Vis--vis des tats-Unis comme de lEurope, le point cl de lapolitique russe rside dans laffirmation de son autonomie stratgique.Moscou considre que les Europens sont en passe de dcrochermilitairement, alors que les tats-Unis pourraient opter pour une formedisolationnisme au terme de leurs aventures irakienne et afghane. Danscette optique, lenjeu pour la Russie est de poursuivre un effort constant etcoteux, au regard de son potentiel conomique, pour entretenir unelogique de puissance avec les tats-Unis et la Chine27.

    24 Th. Graham, US-Russia Relations, Facing Reality Pragmatically , in Th. Gomart etA. Kuchins, Europe, Russia, and the US, Finding a New Balance, Washington/Paris,CSIS/Ifri, juillet 2008.25 Th. Gomart, Obama and Russia: Facing the Heritage of the Bush Years ,Russie.Nei.Visions, n 39, avril 2009.26 Th. Ambrosio, Challenging Americas Global Preeminence, Russias Quest forMultipolarity, Burlington, Ashgate, 2005.27 B. Lo, Russia, China and the US: From Strategic Triangularism to the PostmodernTriangle , Russie.Nei.Visions, n47, fvrier 2010.

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    Les autres zones prioritaires

    Dans son rapport lEurope, la Russie exploite la monte en puissancedes mergents auxquels elle se rfre frquemment. Profitant de leffetdaubaine cr par le rapport de Goldman Sachs prsentant le groupeBRIC comme des conomies fort potentiel, la Russie exploite de plus enplus systmatiquement la marque BRIC28. Selon Goldman Sachs, lesBRIC reprsentaient en 2003 15 % du poids conomique du G6(Allemagne, tats-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni)29. En 2025,ils devraient en reprsenter plus de la moiti et, en 2045, les dpasser. Ausein de ce groupe, la Russie fait figure dexception, dans la mesure o elleserait le seul pays dont la population pourrait atteindre le niveau de vie duG6 en PIB par habitant. Paralllement, lassimilation de la Russie aux BIC(Brsil, Inde et Chine) est ouvertement conteste et fait lobjet de

    controverses rgulires dans les mdias occidentaux30

    . Nanmoins, danssa relation avec lEurope, la Russie exploite le thme de lmergence pourdonner de la substance au capitalisme dtat, cest--dire un systme danslequel ltat se prsente comme leader dans le domaine conomique etcherche obtenir un gain politique de sa position sur les marchs31. Entermes diplomatiques, la Russie a organis le premier sommet des BRIC Ekaterinbourg en juin 2009, sommet qui a suscit un certain scepticismede la part des Occidentaux car il a surtout permis doffrir une tribuneinternationale au prsident iranien. Il a t suivi dun deuxime sommet Brasilia en avril 2010.

    Dans son rapport lEurope, la Russie instrumentalise la Chine, qui

    reprsente en 2007 16 % des importations de lUE (devanant les tats-Unis avec 13 % et la Russie avec 10 %) et reprsente 6 % desexportations de lUE (derrire les tats-Unis avec 21 %, la Suisse avec7 % et galit avec la Russie avec 6 %)32. linstar de la Chine, laRussie occupe un double positionnement : elle utilise la marque BRIC surle terrain conomique et son statut de membre permanent du Conseil descurit sur le terrain politique. En outre, la Russie recourt unesymbolique de puissance en mettant en scne sa puissance militaire, enparticulier dans sa composante nuclaire, navale et spatiale. Elle alternerecours au soft power comme la prparation des Jeux Olympiques deSotchi en 2014 le rappelle, et au hard powercomme le prouve la rsolutionde Moscou lors de la guerre de Gorgie. La marque BRIC est une cration

    destination principalement des Occidentaux pour illustrer le changement

    28 C. Roberts, Russias BRICs Diplomacy : Rising Outsider with Dreams of an Insider ,Polity, n1, 2010, p. 38-73.29 D. Wilson et R. Purushothaman, Dreaming with BRICs : The Path to 2050 , GoldmanSachs, Global Economics Paper, n 99, octobre 2003.30 Voir par exemple : N. Roubini, Quels sont les vrais pays mergents ? , Les Echos,16 novembre 2009 et en rponse : K. Hirn et .-M. Laporte, Eloge de la Russie , LesEchos, 9 dcembre 2009.31 Ia. Bremmer, State Capitalism Comes of Age: the End of the Free Market ?, ForeignAffairs, vol. 88, n3, mai 2009.32 Eurostat, septembre 2009.

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    Quelle place pour lEurope dans leprojet de puissance de la Russie ?

    Puissance rgionale prtention globale, la Russie entretient des rapportsparadoxaux avec lEurope : elle anticipe un dclassement gostratgiquede cette dernire alors mme que les ressorts de son modle conomique,au-del de la rente nergtique, rendent improbables sa propreautonomie ; elle cherche globaliser sa politique afin de peser davantage

    sur les orientations de son premier partenaire commercial. Il semblepossible didentifier les grandes lignes du projet de puissance deMoscou et dy replacer lEurope de la manire suivante :

    Prserver son autonomie stratgique: le discours des litesrusses est assum ; elles ne redoutent pas les consquences dune solitude stratgique , qui correspond leurs yeux au parcourshistorique de leur pays au regard des autres puissances37. Cette postureleur permet de souligner une forme de renoncement de la part desdirigeants europens, qui auraient gliss dans une vision post-moderne,alors mme que les logiques de confrontation seraient de retour. Ellesdveloppent une vision dun monde multipolaire, instable et brutal, qui necorrespond plus au credo europen. Cette autonomie stratgique doit sedcliner sur les plans politique et diplomatique en transformant la Russieen producteur de normes, et non plus seulement en consommateurs denormes europens.

    Saisir les opportunits offertes par globalisation: le rapportentretenu par les lites russes avec la globalisation repose sur unehsitation fondamentale, qui se retrouve plusieurs moments cls delhistoire russe38. Les processus globaux entranent de profondschangements de socit, qui finissent tt ou tard par affecter la stabilit dupouvoir. Cela conduit les autorits prendre des mesures de contrle, aurisque de manquer de nouvelles opportunits de dveloppement. Lathmatique de la modernisation dveloppe par Vladimir Poutine,

    rcemment ractualise par D. Medvedev, sinscrit dans ce cercle vicieux un moment toutefois o lconomie russe na jamais t aussi intgre lconomie-monde. Dans cette optique, lEurope est vue comme le portailterritorial le plus naturel pour accder aux flux de la globalisation. Un des

    37 Th. Gomart, Russia Alone Forever ? The Kremlins Strategic Solitude, Politiquetrangre, numro spcial, World Policy Conference, 2008, p. 23-33.38 C. Wallander, Global Challenges and Russian Foreign Policy, in R. Legvold, RussianForeign Policy in the Twenty-First Century and the Shadow of the Past, New York,Columbia University Press, 2007, p. 444-445.

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    enjeux pour la Russie consiste donc sinscrire dans les flux mondiaux au-del des seuls flux nergtiques.

    Obtenir une victoire symbolique: les lites russes cherchent faire consacrer le retour de puissance de leur pays, en particulier sur le

    continent europen. En effet, la fin de la guerre froide nest pas assimilable une dfaite de la Russie sovitique, mais la fin de la dominationoccidentale sur les affaires du monde. Elles ont vcu les annes dites detransition, qui ont correspondu aux largissements de lOTAN et de lUEcomme une priode dhumiliation au cours de laquelle la Russie ne pouvaitque subir des dcisions prises dans un cadre transatlantique. De ce pointde vue, laddition de la dfaite en Tchtchnie (1994-1996), delintervention de lOTAN au Kosovo (1999) et du naufrage du sous-marinKoursk (2000) a profondment altr le prestige militaire de la Russie auxyeux de ses propres lites. Pour Vladimir Poutine comme pour DmitriMedvedev, il sest agi la fois de le restaurer sur le plan interne, avec laseconde campagne de Tchtchnie (1999-2008), et sur le plan externe

    avec la guerre de Gorgie. En raison de sa culture stratgique, le recours la force demeure le moyen privilgi de la Russie pour se faire respectersur la scne internationale, en premier lieu au Caucase et, en second lieu,en Europe.

    Ces trois objectifs globaux forment un corpus largement partagpar les lites russes, qui continuent concevoir leur pays comme unepuissance classique. Cela les conduit poursuivre trois objectifsoprationnels, qui se trouvent actuellement au centre de lactivitdiplomatique de Moscou.

    Conserver une suprmatie nuclaire avec les tats-Unis: ladlicate ngociation du trait START (Strategic Arms Reduction Treaty) at au cur des discussions russo-amricaines jusqu laccord sign enavril 2010. Cette ngociation a dpass ce cadre bilatral, dans la mesureo elle touchait au noyau dur de lidentit internationale de la Russie.Celle-ci considre que son arsenal nuclaire demeure non seulement lagarantie ultime de scurit, mais aussi lattribut essentiel de son statut depuissance mondiale. Ngocier sur le nuclaire reste le principal moyen demaintenir une relation spciale avec les tats-Unis et ainsi de sedmarquer par rapport aux autres puissances nuclaires.

    Limiter rgionalement la perte de puissance globale: la monteen puissance de la Chine et de lInde, combine linstitutionnalisation duG20 relativise linfluence dune Russie qui appartient au G8 sans tre

    membre de lOMC (Organisation mondiale du commerce). Dans certainesrgions du monde, et notamment au Moyen-Orient, la Russie prend soinde se distinguer de la ligne occidentale. Dans son voisinage immdiat, ellecherche renforcer son influence en profitant de la crise pour reprendrecertains actifs (en particulier en Bilorussie et en Ukraine), en exploitant samatrise de lespace informationnel en langue russe et en rappelant sadomination militaire. Cela devrait conduire la Russie surexploiter saposition centrale dans le domaine nergtique, dans la mesure o cetteposition est gnratrice de revenus immdiats et dinfluence globale.

    Neutraliser lUkraine et marginaliser la Gorgie: lhostilit deMoscou llargissement de lOTAN sest traduite en objectif clair

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    depuis 2004 : stopper lexpansion de lOTAN dans le voisinage immdiatde la Russie. Cet objectif est pour lheure atteint. Pour le consolider, laRussie devrait semployer neutraliser lUkraine, cest--dire la laisserse rapprocher de lUE partir du moment o elle renoncerait rejoindrelOTAN. Reste une inconnue de taille mais dcisive pour que Moscoumaintienne sa domination navale en mer Noire: lavenir de Sbastopol. Ence qui concerne la Gorgie, lobjectif de Moscou est de scuriserlAbkhazie et lOsstie du Sud dans la perspective des Jeux Olympiquesde Sotchi, qui devraient, selon les autorits russes, apporter desretombes positives la Russie, mais qui pourraient aussi susciter descontestations orchestres sur la nature de sa prsence au Sud Caucase.

    Pour conclure, la politique trangre de la Russie lgard delEurope est incontestablement plus active aujourdhui quelle ne ltait audbut des annes 2000. Son approche normative de lEurope sesttransforme sous leffet combin de deux facteurs: la perte dinfluencedune UE largie mais divise sur des dossiers cruciaux comme lIrak et leregain de puissance de Moscou la faveur de sa forte croissance au coursde la priode 2000-2008. Pour Moscou, il sagit dobtenir dsormais desrsultats tangibles de cette modification du rapport de forces, alors mmeque son interdpendance avec lUE sest renforce au cours de la derniredcennie. Pour obtenir ces rsultats, la Russie sest engage dans unesrie de ngociations parallles : initiative Medvedev, processus de Corfulanc en juin 2009 dans le cadre de lOSCE, union douanire Russie-Bilorussie et Kazakhstan, nouvel accord avec lUE, processus de Genvesur la Gorgie et trait START avec les tats-Unis. Cette multiplication desinitiatives diplomatiques est la traduction dun dogme partag par les litesrusses : lavnement dun monde multipolaire et interdpendant justifie lemaintien dune autonomie stratgique.