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L’EVALUATION SCOLAIRE EST-ELLE AU SERVICE DE L’ORIENTATION ? Etude réalisée par Sylvène Kitabgi Sous la direction de Michèle Dain BIOP Novembre 2009

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L’EVALUATION SCOLAIRE EST-ELLE

AU SERVICE DE L’ORIENTATION ?

Etude réalisée par Sylvène KitabgiSous la direction de Michèle Dain

BIOPNovembre 2009

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SYNTHESE :

En 2010, à l’heure où la communauté européenne s’est fixée de voir l’Union européenne devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde […] capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale », il nous semble important de savoir dans quelle mesure le fonctionnement de notre système scolaire participe à créer les conditions favorables à la réussite d’un tel projet.

Promouvoir la connaissance et la compétitivité, améliorer l’emploi et la cohésion sociale nécessitent en effet, au préalable, d’offrir à tous les individus un cadre leur permettant de développer avec confiance leurs talents, d’élaborer des projets qui les motivent et de s’orienter ainsi tout au long de leur vie, de l’école jusqu’à la retraite.

La question se pose donc bel et bien de savoir si le système scolaire français tel qu’il fonctionne offre en amont, à tous les élèves, le moyen de construire leur future orientation dans ce sens. En dehors même du fait que l’orientation tout au long de la vie est encore trop peu préparée dans nos écoles, c’est surtout la place prépondérante accordée aux performances scolaires, aux notes et aux hiérarchisations dans les processus d’orientation des élèves qui nous paraît ici problématique.

L’orientation supposant de prendre en compte, en toute neutralité, des savoir-faire et des savoir-être par définition extrascolaires, c’est-à-dire personnels et professionnels, on ne peut que s’interroger sur le bien fondé à faire perdurer un système éducatif dans lequel l’évaluation des élèves ne laisse pas suffisamment de place au devenir personnel et professionnel qui les attend. C’est donc cette place, à la fois centrale et anxiogène, prise en France par l’évaluation scolaire par notation qui constitue dans cette nouvelle étude l’objet de notre questionnement.

A partir d’un ensemble de travaux reconnus, de plusieurs témoignages de jeunes et de quelques exemples ayant fait leurs preuves ici et ailleurs, l’analyse vise ainsi à faire apparaître le rôle déterminant des pratiques évaluatives dans la « réussite de tous les élèves ». Plus largement, la question de l’évaluation des élèves semble devoir être au fondement de tout projet ayant pour objectif le déploiement d’un système éducatif plus équitable et plus efficace, mais aussi plus apte à donner aux individus, quel que soit leur profil, la possibilité d’établir des ponts constructifs avec les exigences du monde professionnel et les aspirations à une insertion durable.

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SOMMAIRE :

Introduction p.6

A/ L’évaluation scolaire en question p.11

1. Ce qu’on entend par évaluation scolaire p.11- Les évaluations quotidiennes- Les évaluations ponctuelles

2. Evaluer les acquis des élèves : la fiabilité des notes remise en cause p.16

a) Les limites de la notation : ce qu’en disent les élèves

b) Critiques docimologiques et perception des élèves- Les biais « mécaniques »- Les biais « subjectifs »- Les biais « scolaires »- Les biais « professionnels »

3. D’un certain usage de l’évaluation en France p.33

a) Préambule

b) Et si l’évaluation scolaire était mise au service d’un principe de sélection des élèves ?

- Une lycéenne témoigne…- Quand les pratiques évaluatives des classes préparatoires

s’invitent au lycée…

c) De la fonction sociale de l’évaluation scolaire

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B/ L’évaluation scolaire, frein ou levier àune orientation réussie ? p.45

1. Regard sur les bulletins scolaires : quelle place pour l’information qualitative dans les appréciations ? p.47

2. L’évaluation scolaire est-elle motivante ? Perceptiondes élèves et regards de chercheurs p.51

a) Les impacts de l’évaluation sur la motivation scolaire

b) Un besoin d’ « estime »

3. L’évaluation scolaire et ses effets sur les apprentissages : entre échec scolaire et professionnalisme scolaire p.60

a) Le cas des élèves dits « faibles » : pédagogie de la sanction et risque de décrochage scolaire

b) Le cas des élèves dits « bons » : pédagogie de la performance et risque de technicisme scolaire

4. L’évaluation scolaire garantit-elle une orientation p.67réussie pour tous ?

a) De la disqualification des profils peu scolaires- Disqualification et échec scolaire- Disqualification et réductionnisme scolaire

b) Regard sur l’orientation des élèves dits « bons » : est-elle toujours réussie ?

5. Culture scolaire et culture professionnelle : deux univers à rapprocher p.76

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C/ Evaluer différemment et orienter autrement : c’est possible p.81

1. Evaluer et orienter autrement : ce qu’en disent les élèves p.81

a) L’aspiration à une évaluation valorisante et gratifiante

b) L’aspiration à une évaluation plus « formative »

c) L’aspiration à un fonctionnement moins scolaire de l’évaluation et de l’orientation

d) L’aspiration à un système motivant et épanouissant

2. Exemples de pratiques d’ailleurs p.89

a) Le cas de la Suisse : la suppression de la sélection par lesnotes au cœur des débats

- Histoire d’une réflexion sur les enjeux de l’évaluation- L’évaluation des élèves au cœur des réformes suisses- Diffusion et mise en application de l’évaluation formative

b) Le cas du Danemark : complémentarité dans les différents types d’évaluation

- Contexte- Précisions sur l’organisation actuelle du système scolaire

au Danemark- L’évaluation au Danemark : un outil qualitatif au service

de la réussite des élèves

3. Regard sur les nouveautés françaises p.105

a) Le Mouvement Contre La Constante Macabre (MCLCM)- La constante macabre : un dysfonctionnement au cœur

de notre système d’évaluation- L’Evaluation Par Contrat de Confiance (EPCC) comme

solution aux conséquences sélectives de l’évaluation

b) Le livret de compétences- Petite histoire de livrets- Qu’est-ce que le socle commun des connaissances et

des compétences ?- Intérêts du livret de compétences- Limites de l’outil : entre la volonté de changer et le poids

des traditions

Conclusion p.115

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INTRODUCTION :

« L’évaluation scolaire est-elle au service de l’orientation ? ». Pourquoi

établir un tel lien entre évaluation et orientation et pourquoi imaginer que

l’évaluation est à même de tenir un rôle dans l’orientation ?

L’évaluation scolaire relève a priori du domaine de la pédagogie, dans la

mesure où elle permet aux enseignants de tester le niveau des élèves et de

mesurer leurs acquis pour pouvoir éventuellement ajuster les enseignements à

poursuivre (les points du programme bien acquis et les points à reprendre…).

En ce sens, elle peut paraître éloignée des questions relatives à l’orientation

des élèves.

Pourtant, il s’avère que l’évaluation scolaire a toujours été au cœur

de la question de l’orientation, dans la mesure où, en France, les

décisions d’orientation reposent, pour une bonne part, sur la notation,

fruit de l’évaluation du travail des élèves. Même si ces deux démarches,

évaluer et orienter, se réalisent et se vivent le plus souvent à l’école sur des

modes et à des moments relativement distincts et même si les réflexions sur

l’efficacité de notre système scolaire ont tendance à cloisonner ces deux

questions, il n’en reste pas moins que ces deux activités sont intrinsèquement

liées parce que l’une s’appuie in fine sur l’autre.

C’est pourquoi, il nous paraît important, en tant que centre d’orientation

scolaire et professionnelle, d’interroger ce lien et ce qu’il s’y joue aujourd’hui

dans le but de clarifier les logiques à l’œuvre dans ces deux activités, dont

dépend, au fond, le bon déroulement des parcours scolaires et professionnels

des élèves.

Cela nous paraît d’autant plus important que l’impact de l’évaluation

scolaire sur l’orientation des élèves est une dimension de l’orientation très peu

interrogée dans notre société, y compris d’ailleurs dans les différents champs

qui traitent de ces questions (sciences de l’éducation, psychologie de

l’orientation, pédagogie…).

Sur cette question de ce qui relie aujourd’hui l’évaluation à l’orientation,

le BIOP constate que les élèves faisant appel à ses services pour des conseils

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sur leur orientation sont, de fait, nombreux à parler avec anxiété de leurs

notes et de leurs moyennes, alors que notre propos est avant tout de les

amener à se projeter dans l’avenir afin d’élaborer un projet personnel

d’orientation professionnelle. Il suffit de voir par ailleurs le succès croissant

des centres proposant du coaching scolaire pour se rendre compte de la place

de plus en plus importante accordée aux notes par les élèves et leurs

familles1. Il est également facile de constater aujourd’hui qu’un nombre

croissant d’élèves et surtout de lycéens, ont tendance à ne travailler que pour

les notes, délaissant le plaisir et le goût d’apprendre, mais aussi le sens de

leur orientation future, au profit d’une stratégie de « la bonne note au bon

moment ». Cela est d’ailleurs compréhensible quand on sait que, lors des

conseils de classe, la question des notes est omniprésente, même centrale, à

tel point que les conseillers d’orientation psychologues (COP) n’ont pas le

poids que l’on pourrait attendre quant aux décisions d’orientation concernant

les élèves.

Tout cela pose donc la question de la place de l’évaluation scolaire dans

le quotidien scolaire : n’est-elle pas en effet devenue problématique

aujourd’hui, aux dépens notamment des processus d’orientation, aussi bien

psychologiques qu’institutionnels ? Dans cette hypothèse, ne convient-il pas

de se demander si le fonctionnement de l’évaluation joue un rôle positif dans

l’orientation des élèves ? Dans la mesure où l’évaluation donne des

informations qui servent aux décisions d’orientation, il nous paraît en effet

important de s’assurer qu’elle est réellement au service de l’orientation des

élèves au moment où ils sont amenés à s’orienter.

Or, face à ces questionnements, il apparaît vite que les notes peuvent

être remises en cause quant à leur fiabilité et leur pertinence présumées.

L’évaluation scolaire par notation fait en effet depuis de nombreuses années

l’objet de critiques de la part de scientifiques qui dénoncent l’incertitude des

mesures auxquelles elle permet d’aboutir lors de la correction des copies. En

second lieu, l’évaluation scolaire ne donne des indications ou des

1 Il est d’ailleurs facile de voir sur ce point que les entreprises de soutien scolaire exploitent largement l’importance accordée aux notes par les jeunes et leur famille, en faisant de l’amélioration des résultats scolaires l’argument majeur de leurs messages publicitaires.

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informations que sur les niveaux scolaires alors que, par définition, les

choix d’orientation nécessitent de prendre en compte d’autres critères

(goûts, centres d’intérêt, valeurs, compétences personnelles etc). Or, il nous

semble que le peu de place accordée à ces critères dans le quotidien scolaire

participe à ce que les élèves investissent toujours plus leurs notes (qu’ils en

aient des « bonnes » ou des « mauvaises » d’ailleurs) comme si elles

constituaient la seule clé de leur avenir.

Mais cette « course aux notes » pose également le problème de savoir

si notre système d’évaluation et d’orientation tel qu’il fonctionne, n’accorde

pas trop d’importance au classement et à la sélection, poussant ainsi les

élèves à vouloir de « bonnes notes » pour obtenir une « bonne orientation ».

De fait, il est facile de constater dans notre quotidien de centre d’orientation,

que les préoccupations des élèves et de leur famille sont d’obtenir l’orientation

« prometteuse » après la 3ème ou la 2nde (comme la seconde générale et la

section S par exemple) grâce à « de bons bulletins » et ensuite de se

construire dans la foulée de « bons dossiers » pour être admis dans une

« bonne orientation » post-bac.

Les notes, les moyennes et les bulletins, ont tendance à fonctionner

comme de véritables « passeports pour l’orientation » alors même que les

notes ne sont pas toujours fiables ni pertinentes dans ce qu’elles mesurent.

Tout cela donne à penser que les notes ont pris une place excessive dans les

processus d’orientation, ce qui remet en cause leur usage tel qu’il a été

historiquement défini.

Il convient donc de comprendre ce qui se joue fondamentalement dans

ce glissement social de l’utilisation des notes dans les processus d’orientation

et de se poser la question de savoir dans quelle mesure cette dérive n’est pas

néfaste pour la motivation et l’orientation des jeunes, qu’ils soient des élèves

dits « bons » ou dits « faibles ». En ce qui concerne ces derniers, il nous paraît

d’emblée évident que cette sacralisation des notes dans des procédures

d’orientation valorisant par ailleurs certaines orientations plutôt que d’autres,

ne peut que s’avérer démobilisatrice, surtout si l’on considère que les notes ne

reflètent pas l’ensemble des compétences susceptibles d’être les leurs.

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Dans les débats actuels, de nombreuses interrogations voient ainsi le

jour concernant ce qu’il conviendrait d’envisager comme réformes pour

améliorer l’orientation des jeunes et lutter contre l’échec scolaire. Certains

chantiers de réflexion émergent qui soulèvent notamment l’intérêt d’un

meilleur pilotage de l’orientation. Des questions se posent pour savoir s’il

convient de gouverner l’orientation au niveau national, régional ou local. Or, il

nous semble que ces projets, malgré l’avancée évidente qu’ils représentent

pour notre système d’orientation, ont tendance à minimiser la réalité de ce

qui gouverne quotidiennement et concrètement l’orientation des

jeunes, c’est-à-dire in fine leurs notes.

C’est pourquoi, il nous paraît fondamental d’inscrire la question de

l’évaluation scolaire dans les chantiers concernant la réforme de l’orientation,

mais également dans ceux concernant la réforme du lycée.

Sur la question de la réforme du lycée actuellement envisagée, le

rapport de Richard Descoings de juin 2009 fait du renouvellement des

modes d’évaluation un des points importants à prendre en compte. Richard

Descoings préconise notamment l’usage d’ « évaluations exigeantes mais qui

sachent encourager »2 dans la mesure où « l’évolution des modes

d’évaluation peut contribuer à la motivation des lycéens, parfois

découragés et démobilisés par un fonctionnement qui signale plus les

échecs et les faiblesses qu’il n’encourage »3.

Afin de voir s’il n’y a pas la possibilité d’évaluer autrement les élèves et

maintenir chez eux une motivation à l’école favorisant une réussite efficace de

leurs apprentissages et de leur orientation, nous donnerons pour finir des

exemples de pratiques qui ont fait leurs preuves « ici et ailleurs ».

2 Descoings R., « Préconisations sur la réforme du lycée », 02 juin 2009, p. 64.3 Idem., p. 64.

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Point de méthodologie

Cette étude s’appuie sur un ensemble de travaux de recherches

largement reconnus, mais aussi sur plusieurs témoignages destinés à rendre

compte de ce qui se « vit » aujourd’hui au niveau des élèves eux-mêmes.

Les principaux témoignages ont été recueillis lors d’entretiens

individuels réalisés auprès de quinze jeunes, garçons et filles, de tout âge, de

toute catégorie socioprofessionnelle, de toute section, de toute catégorie

d’établissements (privés et publics) et, il est important de le souligner, de tout

niveau scolaire. Parmi ces jeunes, dix d’entre eux avaient fait un bilan

d’orientation au BIOP. Par ailleurs, pour illustrer certaines thématiques, cinq

des jeunes interrogés sont des élèves d’une école professionnelle. Cette école

accueille en effet depuis longtemps des jeunes dans son cycle préparatoire à

l’apprentissage (CPA) au sein duquel la pédagogie et l’évaluation scolaire

quotidiennes sont particulièrement pensées pour remotiver des élèves ayant

des difficultés avec le cadre scolaire. Recueillir leurs témoignages nous a donc

paru utile afin de mettre en évidence, par effet de comparaison, ce qui pouvait

dysfonctionner dans le système éducatif classique. Dans la même optique, des

témoignages ont été recueillis auprès de deux membres de la communauté

éducative de cette école (un enseignant en mathématiques en CPA et un

responsable pédagogique).

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A/ L’évaluation scolaire en question

1/ Ce qu’on entend par « évaluation scolaire »

Il convient en premier lieu de spécifier ce qu’on entend par « évaluation

scolaire ».

En France, l’évaluation scolaire est, d’un point de vue historique,

un outil permettant de valider les premières décisions d’orientation

des élèves dans le système scolaire de l’époque. C’est avec une circulaire

de 1880 que la notation du travail des élèves a initialement été mise en place

pour décider, à la fin de chaque année, de la suite de leur parcours.

Précisément, cette circulaire fixait aux enseignants et aux établissements

l’obligation de noter tout au long de l’année scolaire les performances des

élèves afin d’établir des moyennes de notes devant servir aux décisions de

passage ou pas dans la classe supérieure.

Aujourd’hui, l’évaluation scolaire est restée, d’un point de vue

technique, un outil utilisé par les enseignants pour mesurer le plus

objectivement possible les acquis des élèves, rendre compte de leur

niveau aux familles et permettre au conseil de classe de décider, à

certains paliers, de leur orientation ou de leur redoublement.

Malgré cette acception générique, l’évaluation scolaire recouvre des

significations actuellement fort diverses. Dans les nombreux débats qui

animent les différents acteurs et observateurs des systèmes éducatifs, au

niveau national aussi bien qu’au niveau international, on s’aperçoit que

l’évaluation scolaire prend des sens très différents selon les objectifs

pédagogiques et les modalités d’usage qui lui sont assignés.

De fait, il existe maintenant plusieurs types d’évaluations scolaires

correspondant à autant de façons de mesurer les acquis des élèves et de se

servir de cette mesure dans le cadre scolaire. C’est pourquoi, il convient de

préciser ce qu’on entend par cette notion et par les règles ou les intentions qui

la sous-tendent4.

4 C’est, entre autres, cette tâche de clarification à destination des enseignants qui fait l’objet de l’ouvrage de Charles Hadji (1989), L’évaluation, les règles du jeu. Des intentions aux outils, Paris : ESF Editeur.

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En dehors de la distinction évidente entre évaluation chiffrée et non

chiffrée, on peut distinguer quatre types d’évaluation :

Les évaluations quotidiennes :

L’évaluation sommative, la plus anciennement pratiquée dans le

quotidien de la classe, permet de vérifier régulièrement l’état des

savoirs acquis par les élèves le plus souvent grâce à des notes et

des moyennes indiquant leur niveau dans les différentes matières. Dans

cette forme d’évaluation, l’objectif est de situer les performances

de l’élève par rapport à une norme de recevabilité (le 10/20 par

exemple) et en même temps de comparer ses résultats à la moyenne

des résultats obtenus par la classe. Elle se pratique tout au long de

l’année, à la fin de chaque cycle d’apprentissage et donne le plus

souvent lieu à des moyennes (trimestrielles, semestrielles…) permettant

de faire un bilan du niveau atteint par chaque élève dans les différentes

matières à la fin de l’année.

L’évaluation formative, plus récente et aujourd’hui largement

plébiscitée par un grand nombre de professeurs et de chercheurs

intéressés par l’idée d’une modernisation des processus d’apprentissage

à l’école, est un type d’évaluation (chiffrée ou non) qui a pour objectif

principal de mesurer et de faire mesurer à l’élève ses progrès en

utilisant notamment « l’erreur » comme un outil pédagogique.

Pleinement intégrée aux apprentissages, elle a en effet pour fonction

d’informer en permanence maître et élève du degré de maîtrise atteint

et des difficultés rencontrées dans le but de faire progresser l’élève par

rapport à des objectifs d’apprentissage définis au préalable. Cette façon

d’évaluer les élèves implique également un souci de différenciation

pédagogique : le suivi personnalisé des progrès des élèves est ainsi plus

important que le contrôle de leurs acquis et, par conséquent, les

notations (chiffrées ou non) sont indépendantes de toute logique de

classements. Dans sa version la plus finalisée, l’évaluation formative

donne lieu à l’évaluation dite « formatrice » dont l’objectif

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premier est d’amener les élèves à devenir acteurs de leurs

apprentissages en apprenant notamment à s’auto-évaluer de

façon responsable.

Les évaluations ponctuelles :

L’évaluation diagnostique est le plus souvent pratiquée en début

d’année ou en début de cycle d’apprentissage afin d’apprécier le

niveau (les réussites et les difficultés) de chaque élève, mais aussi de

la classe dans son ensemble, en vue de construire un programme

pédagogique adapté aux situations individuelles et collectives.

L’évaluation certificative est celle qui clôt un cursus. Elle est

incontournable dans un système éducatif puisqu’elle permet, à partir

d’un examen, de certifier ou pas que le niveau de l’élève satisfait aux

exigences requises pour obtenir le titre visé.

Par « évaluation scolaire », nous entendrons tout au long de ce travail, une

évaluation essentiellement sommative ou certificative dans laquelle la place

faite aux notes (sur 10 ou sur 20) et aux moyennes (trimestrielles, générales,

annuelles,…) qui en découlent est centrale pour situer les performances des

élèves dans les différentes matières et décider ainsi de leur orientation. Bien

que l’usage de l’évaluation formative tende à s’étendre5, il ne fait pas

beaucoup de doute que l’évaluation sommative est encore celle qui est la

plus pratiquée dans notre système scolaire.

Une enquête réalisée en 2005 par la Direction de l’Evaluation et de la

Prospective du Ministère de l’Education Nationale (DEP-MEN) sur « les

pratiques d’évaluations des enseignants de collège »6 a en effet mis au jour la

place prépondérante de l’évaluation sommative dans les

établissements du secondaire. 5 A ce propos, un observatoire de l’évaluation formative est sur le point d’être créé en France, avec le concours entre autres de chercheurs comme Anne Jorro, professeure des Universités, directrice du centre de recherche en Education, Formation et Insertion de Toulouse CREFI-T, dont les travaux portent en partie sur le rôle de l’évaluation dans le développement professionnel des individus tout au long de la vie, aussi bien au niveau des jeunes en formation initiale qu’au niveau des adultes en formation continue. 6 Dossier n°160, janvier 2005.

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L’évaluation sommative par notation est celle dont la fonction comporte le

moins d’enjeux pédagogiques ou qualitatifs. Son objectif fait en effet plus

référence à des problématiques de contrôle et de classement des

performances scolaires des élèves (qui sont par ailleurs inscrites dans l’histoire

et la tradition de l’institution scolaire7), qu’au souci pédagogique de les

amener individuellement et collectivement à progresser le mieux possible,

grâce notamment à des outils de remédiation. Dans la même enquête, il a

ainsi été mis au jour que, pour les enseignants de collège, le mot

« évaluation » signifiait presque toujours « contrôle » ou

« notation », par opposition aux idées de formation et

d’accompagnement.

Outre cette « habitude », l’évaluation scolaire qui fait ici l’objet de nos

préoccupations, est également fortement associée en France à une vision de

l’éducation qui met traditionnellement l’accent sur l’acquisition de savoirs

scolaires et de connaissances disciplinaires ou académiques, plus que sur

l’acquisition de compétences transversales. Bien que l’Union Européenne

recommande vivement à ses pays membres de valoriser à l’école l’acquisition

de « compétences-clés utiles à l’éducation et à l’apprentissage tout au long de

la vie », on ne peut nier aujourd’hui les réticences et les interrogations

idéologiques et pédagogiques que soulève au sein de l’Education Nationale la

volonté de mise en place du « socle commun de connaissances et de

compétences » depuis 2005.

Même si ces interrogations s’appuient sur des arguments loin d’être tous

infondés, elles renvoient surtout à un clivage existant au sein du monde

éducatif.

En évitant d’entrer dans le cœur de ces controverses et pour ne pas tomber

dans un débat politicien, nous nous attacherons toutefois à montrer que

7 De nombreux travaux de recherches, suisses essentiellement, montrent comment toute une tradition évaluative s’est construite au 19ème siècle sur la base d’une volonté de contrôle et de hiérarchisation des élèves, utilisant les notes comme autant de façons de sanctionner, de punir ou de récompenser le mérite des élèves. De son côté, dans un rapport français de l’inspection générale de l’éducation nationale réalisé en 2005 pour le Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, « les acquis des élèves, pierre de touche de la valeur de l’école ? », il est spécifié que cette vision de l’évaluation, fonctionnant comme une tradition tenace destinée à susciter une émulation entre élèves, a été difficile à modérer dans l’histoire de l’institution scolaire française, y compris par le biais d’instructions officielles (p. 8-10).

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l’évaluation scolaire traditionnelle qui irrigue le système éducatif français,

comporte des limites dont il convient d’avoir pleinement conscience si l’on

souhaite s’assurer de la légitimité de notre système d’orientation.

L’évaluation scolaire constituant le principal socle des décisions

d’orientation, il convient en effet de se poser la question de savoir

dans quelle mesure elle garantit de façon effective à tous les élèves

une orientation juste et pertinente.

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2/ Evaluer les acquis des élèves : la fiabilité des notes

remise en cause

L’évaluation scolaire par notation a suscité très tôt de nombreuses

critiques de la part de pédagogues désireux d’en montrer les limites

« scientifiques », autrement dit les incertitudes.

Une partie de ces critiques émane de la docimologie, science

étudiant depuis le début du 20ème siècle les logiques statistiques à

l’œuvre dans les notes attribuées au cours de la correction des

copies8. La docimologie critique, née en France dans les années 20 avec Henri

Piéron, s’est notamment attachée et s’attache encore, à mettre en évidence

les nombreux biais d’évaluation, ne cessant de remettre en cause la fiabilité

des notes.

Ces biais ne sont pas tous du même ordre et n’impliquent pas les

mêmes types de mécanismes. On peut entre autres classer ces mécanismes

selon le registre dans lequel se situe leur influence : il existe ainsi des biais

que l’on peut qualifier de « mécaniques », des biais « subjectifs », incluant les

biais « sociaux » et les biais « sexués », des biais « scolaires » et des biais

que l’on peut appeler « professionnels ».

L’objectif ici ne sera pas de rendre compte de façon exhaustive de

l’ensemble des travaux docimologiques mais de présenter ceux qui ont mis au

jour des biais aujourd’hui largement connus et reconnus, tout en laissant une

place à la perception que les jeunes peuvent avoir du manque de fiabilité des

notes qu’on leur attribue.

a) Les limites de la notation : ce qu’en disent les élèves

Parmi les biais d’évaluation, il y en a certains qui ne peuvent être ni

perçus ni conscientisés par les élèves, tandis qu’il y en a d’autres clairement

identifiés et identifiables par eux. 8 Voir sur ces questions l’ouvrage de Pierre Merle (1998), Sociologie de l’évaluation scolaire, Que sais-je n°3278, Paris : PUF.

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De façon générale, les élèves ne remettent pas facilement en

cause l’objectivité des notes. L’évaluation fait partie de leur quotidien

scolaire et ils savent aussi que cela a toujours existé à l’école. Cela fait donc

partie des règles scolaires et ils ont tendance à « faire avec » :

« La rumeur à l’école c’est que cette professeur notait aléatoirement. On pouvait avoir fait la même réponse qu’un autre élève qui avait juste et nous, on avait faux… ça aussi, ça m’a dégoûté de l’histoire. J’ai eu cette professeure en 6ème et en 4ème. Quelques fois, c’est arrivé que je ne comprenne pas pourquoi je n’avais pas eu bon à une question ou que j’avais faux sur ce que j’avais écrit… mais rien ne m’a marqué….. Mais maintenant que j’y pense, cela me paraissait normal d’avoir des notes qui n’étaient pas forcément justifiées…. En fait je ne m’en souciais pas trop… cela arrivait tellement souvent que je ne m’en préoccupais pas… » (Jacob, 17 ans, 1ère année de BEP pâtisserie)

On distingue deux types d’élèves qui appréhendent différemment la

fiabilité des notes en fonction du rapport qu’ils entretiennent avec l’institution

scolaire.

Pour ceux qui ne se sont jamais posés la question de l’éventuel manque

de fiabilité de la note, cette créance correspond surtout à la confiance qu’ils

ont dans le fonctionnement de l’institution scolaire. Les évaluations des

enseignants font dans ce cas-là autorité. C’est le cas pour Edina, qui n’a

jamais remis en question ses enseignants et qui se rend compte qu’elle a

toujours eu une confiance absolue en eux :

« Pour moi, si on bosse beaucoup mais qu’on travaille mal, avec une mauvaise méthode, alors on a la note qu’on mérite…. J’ai tellement fait confiance à mes profs que je ne me suis jamais posée la question [de savoir si une note pouvait manquer de justesse]. […] Je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir eu une note injuste ou injustifiée. En fait, je n’ai jamais remis en cause mes profs. J’ai toujours eu confiance en mes profs. Au lycée, j’étais une bonne élève et c’était un épanouissement » (Edina, 19 ans, Licence 1 en droit)

A l’inverse, certains élèves, à l’esprit critique plus développé, « se sont

autorisés » à remettre en cause certains aspects du système scolaire. Ils ont

alors plutôt conscience du caractère aléatoire des notes.

Pour ces élèves, les notes ne signifient globalement pas « grand-

chose », notamment parce qu’elles dépendent d’un certain nombre de facteurs

et de paramètres, indépendamment des performances réelles des élèves :

« C’est utile les notes mais ça dépend. Je trouve que ça veut dire tout etrien en même temps. Cela dépend du professeur, de la matière, de comment l’élève était psychologiquement au moment du contrôle etc… donc ça dépend

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de plein de choses les notes » (Laurène, 21 ans, 1ère année de DUT Services Réseaux et Communications)

Le fait que les notes puissent manquer de fiabilité ou de justesse

renvoie à la notion de « justice ». Ainsi, indépendamment de leur inclinaison à

remettre ou non en cause le système de notation, les élèves sont nombreux à

exprimer avoir été confrontés à une note ou à une appréciation ressentie

comme « injuste » ou « injustifiée », que ce soit personnellement ou par le

biais d’un camarade proche :

« Très souvent, [j’ai eu des notes qui m’ont paru injustes]. Surtout en français, parce que les notes dans cette matière, c’est vraiment flou. Notre prof ne nous expliquait pas le barème et elle ne nous expliquait jamais notre note… donc, soit on avait le don d’écrire, soit non ! Donc c’était un peu arbitraire les notes en français » (Claire, 16 ans, CPA maroquinerie)

Le sentiment d’injustice est d’autant plus « violemment » ressenti dans

le cas où l’élève a une moins bonne note qu’un camarade, alors qu’après

comparaison des copies, il a l’impression d’avoir donné les mêmes réponses :

« Oui, [j’ai déjà eu des notes injustifiées]. La fois où ça m’a fait le plus mal, c’était en anglais. Une professeure d’anglais avait fait une différence de 2 points entre un ami et moi, alors qu’on avait répondu la même chose. C’était moi le moins bien noté. Donc soit c’était moi qui gagnais 2 points, soit c’est mon ami qui en perdait 2. Je lui ai demandé et elle a joué la carte de la précipitation, genre « je n’ai pas le temps, on a cours » et du coup, elle n’a pas cherché à m’écouter » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

Quand l’élève n’arrive pas du tout à expliquer un écart de notation, il

peut l’attribuer au fait que le professeur met des notes différentes aux élèves

en fonction de ses préférences :

« [Des notes injustes, j’en ai eues] plein ! J’en ai eues beaucoup en SVTet en maths aussi. Une fois, j’avais mis toutes les réponses par cœur … on savait sur quoi on allait être interrogé et j’avais appris les leçons du livre et j’ai eu 11. Alors qu’une autre élève, elle avait tout juste aussi et elle a eu 14 ! Juste parce que le prof l’aimait mieux, elle ! » (Simon, 18 ans, Bac scientifique)

« [Dans mon lycée], la prof de SVT que j’ai eue en terminale, […] elle choisissait ses élèves… ses chouchous, sur une question de personnalité… […] Des fois, elle mettait la note sur la copie et on n’avait pas de barème et il n’y avait rien à l’intérieur. Parfois, on était étonné de notre note, souvent même… […] Il y avait une note qui atterrissait sur la copie, on ne savait pas trop comment elle faisait pour la mettre... Elle notait un peu à la tête du client

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en fait » (Laurène, 21 ans, 1ère année de DUT Services Réseaux et Communications)

Il est important de souligner que les élèves n’osent pas facilement faire

de « réclamation » à leurs professeurs quand ils ne comprennent pas une note

qui leur paraît injuste. Cela est d’autant plus vrai quand ils savent qu’ils font

figure de « mauvais élève » :

« Quand j’avais des notes injustifiées, [je ne faisais pas de réclamation], parce que les trois quarts du temps, mes relations avec les profs n’allaient pas bien donc je n’étais pas crédible, je ne préférais pas… En fait, maintenant j’ai compris que j’avais un problème d’image de soi qui, sans le vouloir, agaçaient les profs… Donc quand j’allais les voir ils me disaient pour certains « les notes, c’est les notes ! » (Samir, 18 ans, Hors scolarité),

Enfin, il convient de voir mentionner que, dans l’ensemble, les élèves

n’ont pas conscience des conséquences que peut avoir le manque de fiabilité

des notes sur leur orientation. Il semble que la situation doive s’avérer

particulièrement injuste pour que les élèves aient le sentiment que les

évaluations peuvent parfois pénaliser leur avenir :

« Une note sur un trimestre, ça veut dire quoi ? Si tu as un zéro parce que tu étais trop stressé ce jour-là ou même… que tu t’es complètement planté, c’est ton année de foutue. Moi l’année dernière, j’ai eu un zéro en technologie et c’était le seul contrôle du trimestre. En plus, c’était un contrôle surprise et ce jour-là j’étais absent. Mais ils n’en ont pas tenu compte… Donc une note, ça veut dire quoi dans ce cas-là ? Les notes, ça pénalise les élèves, voilà à quoi ça sert finalement. Encore, si c’était le dessin ou la musique, mais la techno, c’est important, donc ça va rester sur mon dossier. Et j’ai peur queça joue pour cette année, surtout que cette année ils n’ont pas cherché à me mettre des bonnes appréciations… Pourtant ils savaient que je ne voulais pascontinuer en électrotechnique » (Jean-luc, 16 ans, 1ère année de BEP Electronique)

b) Critiques docimologiques et perception des élèves

Il est important de préciser que, dans le cadre des critiques

docimologiques, les enseignants ne sont pas tenus pour responsables des biais

d’évaluation. Ils n’ont en effet pas conscience des multiples mécanismes qui

entrent en jeu dans la correction des copies. Par définition, les biais

d’évaluation influencent en effet les notations à l’insu des correcteurs eux-

mêmes, lesquels restent très attachés à être objectifs dans leurs évaluations.

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La fiabilité incertaine de l’évaluation se joue en fait à plusieurs niveaux.

Le tableau que nous avons choisi d’en faire ne tient pas compte du poids avec

lequel les différents biais pèsent sur les notes. L’objectif est surtout de

montrer en quoi la notation des copies ne permet pas de mesurer avec

certitude la performance des élèves, alors que les barèmes sont précis et que

la conscience professionnelle des enseignants n’est pas à mettre en cause.

Certes, les notes obtenues au cours de l’ensemble d’une scolarité

reflètent in fine assez bien le niveau scolaire de chacun des élèves sur le long

terme9. En ce sens, il ne s’agit pas ici de dire que l’évaluation des acquis des

élèves est totalement faussée. Ainsi, un élève qui, globalement, a toujours eu

de bonnes notes au cours de sa scolarité est un élève qui, de fait, a un bon

niveau scolaire. Inversement, un élève, qui en dehors de toute problématique

comportementale, sociale ou scolaire particulière, n’a que très peu obtenu de

notes au-dessus de la moyenne au cours de sa scolarité, est

vraisemblablement un élève qui n’a pas acquis un niveau scolaire suffisant.

La question du manque de certitude et de justesse de la notation se

pose donc de façon plus ponctuelle que globale. Mais, de notre point de vue,

ce n’est pas sans conséquence à certains moments-clés de la scolarité

(notamment lors des paliers d’orientation importants), dans la mesure où cela

risque d’engendrer une démobilisation scolaire.

Les biais « mécaniques » :

Parmi les biais « mécaniques » décelés dans l’action d’évaluer, il en

existe deux qui nous semblent fondamentaux pour constater le manque de

fiabilité intrinsèque de tout système de notation chiffrée :

- L’effet dit de « Posthumus », de l’auteur du même nom10, implique

qu’un enseignant tend toujours, de façon mécanique, à ajuster la

répartition des notes pour un ensemble de copies provenant d’une

9 Nous rejoignons en ce sens ici l’analyse de Bressoux P. (2006), Orientation et évaluation, Rapport pour le Haut Conseil de l’Education.10 Posthumus K. (1947), Levensgeheel en School, La Haye : 1ère édit.

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même classe, en suivant la loi de distribution gaussienne. Chaque

année et pour chaque classe, les notes sont ainsi « naturellement »

réparties en forme de « cloche », avec un grand nombre de notes

moyennes (autour de 10/20 en France) et peu de très bonnes et de très

mauvaises notes. Cet effet implique que le niveau général de la classe

dans laquelle se trouve un élève peut être déterminant puisque tout

dépend de ses performances par rapport à celles de ses camarades : à

performances égales, un élève peut être jugé par son professeur

comme faisant partie des « bons » élèves dans une classe, alors qu’il

peut se voir contraint de redoubler dans une autre.

- Les effets dus à l’ordre de correction des copies11 peuvent également

avoir une influence : il a été mis en évidence que tout enseignant qui

évalue une copie est automatiquement influencé par la ou les copies

précédentes du groupe de copies qu’il corrige. Par un effet de

différentiel inconscient, une copie « moyenne » ou « mauvaise » sera

par exemple d’autant plus sévèrement évaluée qu’elle vient après la

correction d’une copie qui aura obtenu une très bonne note. Et

inversement. Dans le même registre, il a également été montré qu’une

même copie n’obtient pas la même note selon qu’elle se trouve au

début ou à la fin de la série de copies à corriger.

Il est évident que ces biais sont trop techniques pour que les jeunes en

aient conscience. Ils peuvent toutefois expliquer pourquoi les élèves sont

conduits à se poser des questions quand ils perçoivent, de façon ponctuelle,

un écart de point qui leur paraît injustifié.

Les biais « subjectifs »

Les biais subjectifs qui ont été décryptés proviennent en grande partie de

la subjectivité inhérente à tout jugement humain. Malgré leur conscience de

l’importance d’objectiver les performances des élèves, les enseignants ne sont

pas exempts de cette réalité propre à chacun. La subjectivité dont il est

11 Bonniol J.-J. (1965), « Les divergences de notation tenant aux effets d’ordre de la correction », Cahiers de psychologie, n°8.

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question ici se décline de plusieurs façons (subjectivité intrinsèque et

subjectivité liée aux préjugés) qui influencent chacune à leur manière les

notations.

- Le premier biais subjectif tient à cette évidence que les enseignants

sont tous différents dans leur façon d’appréhender une même copie et

de lui attribuer une valeur. De nombreuses expériences ont ainsi mis au

jour l’existence systématique de forts écarts de notation d’un correcteur

à l’autre12, surtout dans les matières littéraires comparativement aux

matières scientifiques. A ce titre, une étude récente rappelle que les

examens nationaux comme le baccalauréat n’échappant pas à cette

subjectivité, on peut légitimement se poser la question des

conséquences que suppose la part d’aléatoire dans l’obtention ou pas de

ce diplôme13. Si l’obtention du bac dépend, non pas des performances

effectives des élèves, mais du correcteur de leurs copies (avec des

variations pouvant aller jusqu’à 10 points), on peut en effet se

demander dans quelle mesure l’orientation des élèves de terminale ne

relève pas en partie du hasard.

Les élèves se rendent plutôt compte de la différence de notation qui existe

entre les professeurs. C’est un biais avec lequel « ils font » même s’il n’est pas

toujours facile à accepter pour certains :

« Pour les notes, il faut un barème logique et cohérent. Cela permet d’éviter qu’il y ait de trop grandes disparités entre les profs, pour un même travail fourni… Parce qu’il y a des inégalités entre les profs, c’est aberrant ! Cela n’a plus de valeur ! Un élève médiocre peut avoir 15 et un bon élève 12, selon le prof qu’il a … donc ce n’est pas logique » (Mehdi, 20 ans, Hors scolarité)

« [Les notes, ça dépend des professeurs], même au Bac ! Moi, au bac de français, j’ai eu 3 et je n’ai pas compris pourquoi, j’ai même demandé ma copie. Je n’avais jamais eu une si mauvaise note en français de ma vie, donc ça dépend beaucoup des professeurs » (Simon, 18 ans, Bac scientifique)

12 Voir entre autres les travaux de Noizet G. (1961), « Etude docimologique sur la correction de l’écrit du baccalauréat », Bulletin de l’Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle, n°4 et de Piéron H. (1963), Examens et docimologie, Paris : PUF.13 Suchaut B. (2008), « La loterie des notes au bac. Un réexamen de l’arbitraire de la notation des élèves », Les Documents de Travail de l’IREDU.

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- L’effet « de halo », identifié par l’américain Thorndike14 et autrement

appelé l’effet « Pygmalion », indique que les enseignants notent les

performances des élèves également à partir de la perception globale

qu’ils ont d’eux. C’est-à-dire que dans leurs notations, ils peuvent être

influencés, sans nécessairement s’en rendre compte, par les

« impressions » favorables ou défavorables qu’ils peuvent avoir vis-à-

vis d’un élève et qui renvoient à une dimension particulière de son

travail ou de son comportement.

- L’effet « source » identifié par Caverni, Fabre et Noizet15 indique que les

enseignants ont tendance à être influencés par le niveau scolaire dont

ont fait preuve les élèves lors de leurs copies antérieures, surtout lors

de la toute première copie de l’année. Ainsi, le classique « premier de la

classe » peut se voir crédité d’un a priori positif qui favorisera ses notes

tout au long de l’année et inversement pour le « dernier de la classe ».

Ce phénomène plus ou moins conscient d’ « étiquetage » joue

également pour les élèves en retard scolaire16. Les chercheurs Bressoux

et Pansu17 ont en effet montré qu’en mathématiques et en français, le

fait d’être en retard scolaire pour un élève a un effet négatif sur le

jugement de ses professeurs et sur leurs évaluations.

L’effet-source, bien que non analysé comme tel, est rapporté par les élèves

quand il s’exprime avec excès. Il est alors ressenti comme une véritable

injustice.

Par exemple, certains jeunes disent avoir été confrontés à des façons de

noter assez particulières qui, bien que certainement peu répandues, méritent

d’être soulignées tant elles sont décrites de la même façon par les élèves qui y

ont été confrontés :

« C’était [une injustice] un peu spéciale… cette année, j’ai eu une prof d’anglais qui fonctionne bizarrement. Au début de l’année, elle nous donne une note, on ne sait comment, au premier devoir. Donc on a cette note… sans annotation, seulement les fautes corrigées... Et après, on a toujours la même 14 Thorndike, E.-L, (1920), “A constant error on psychological ratings”, Journal of Applied Psychology, n°4.15 Caverni J.-P., Fabre J., Noizet G., (1975), « Dépendance des évaluations scolaires par rapport à des évaluations antérieures : études en situation simulée », Le Travail humain, tome 38, n° 2.16 Un élève en retard scolaire est un élève qui a pris du retard par rapport à l’âge normal pour une classe, notamment parce qu’il a redoublé une ou plusieurs fois lors de son parcours.17 Bressoux P. & Pansu P. (2003), Quand les enseignants jugent leurs élèves, Paris : PUF.

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note quoi qu’on fasse tout le long de l’année. Cela ne change plus jamais, même à l’oral. Moi, par exemple, j’ai eu 9 toute l’année ! Donc c’est un peu spécial quand même » (Lucie, 16 ans, 1ère S)

De même, ceux dont le travail scolaire est freiné par des difficultés

personnelles ou qui présentent un retard scolaire, peuvent se retrouver

confrontés à une logique mal vécue d’étiquetage.

C’est le cas de Sara, dyslexique, ayant redoublé le CP et actuellement en

classe de préapprentissage. Elle se souvient avoir été étiquetée (autant par

ses camarades que par certains de ses professeurs) à cause de ses difficultés

scolaires, alors même qu’elle faisait beaucoup d’efforts pour se maintenir à

niveau :

« Une fois, j’avais fait un exposé, que j’avais vraiment bien préparé et la prof m’avait mis à peine la moyenne. Cela se passait mal avec moi dans ce collège. Déjà, j’avais le trac de dire mon exposé, en public, dans la classe, devant tout le monde. Déjà tout le monde se moquait de moi parce que j’étais dyslexique… […] [L’exposé], c’était en public. J’ai fait le mieux que je pouvais… de ne pas lire ma feuille. On était deux copines à l’avoir fait. Elle, elle a eu 15 et moi j’ai eu un 11. Je n’ai pas compris. Je ne sais pas d’où la prof a sorti ces notes… […] Une fois, j’ai eu 18 en maths, la meilleure note de la classe. Tout le monde a dit que j’avais copié ! Du coup, le prof m’a demandé. J’ai dit que non. Et puis elle m’a laissé ma note, mais du style « bon, ben allez, tu l’as gagnée », comme si c’était un pari et que j’avais gagné ! » (Sara, 16 ans, CPA maroquinerie)

Aujourd’hui, Sara ne souhaite plus repenser à cette période qui a été

douloureuse pour elle. Si nous insistons sur les a priori négatifs dont sont

l’objet certains élèves, c’est qu’ils peuvent conduire dans certains cas à des

humiliations qui, même si on peut espérer qu’elles tendent à disparaître, n’en

demeurent pas moins toujours aussi regrettables18.

- Les biais sociologiques ont été identifiés à travers des travaux dont

l’objectif est de mettre en évidence la persistance de discriminations

socioculturelles et de discriminations de genre à l’œuvre dans un certain

18 Selon le sociologue Pierre Merle, les pratiques d’humiliation, quoique différentes de ce qu’elles ont pu être au début du siècle dernier par exemple, perdurent à l’école et posent aujourd’hui la question de l’espace de non-droit que représente cette institution pour les élèves. D’après le chercheur, « il existe [même] de bonnes raisons de penser que les humiliations sur les personnes concernent plus fréquemment les élèves « faibles ». D’abord, ces élèves se déclarent plus souvent humiliés que les autres […]. Ensuite ces élèves, en raison de leur faiblesse scolaire, sont plus souvent l’objet de critiques. Enfin, ces élèves disposent moins souvent de la défense éventuelle de leurs parents. Certains d’entre eux sont en effet trop étrangers au fonctionnement ordinaire de l’école pour contrer les propos d’un professeur indélicat », in Merle P. (2005), L’élève humilié. L’école, un espace de non-droit ?, Paris : PUF, p. 54.

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nombre de situations sociales quotidiennes. Des études montrent ainsi

que les enseignants tendent, malgré eux, à être influencés dans leurs

notations par l’origine sociale des élèves19 ainsi que par leur genre20. On

sait ainsi aujourd’hui que les stéréotypes associés à l’origine sociale

peuvent conduire le corps enseignant à surévaluer les performances des

élèves issus de milieux favorisés, mais aussi, en fonction des

circonstances, à être plus indulgent vis-à-vis des élèves issus de milieux

défavorisés « notamment pour des raisons de « paternalisme

bienveillant » et de correction - si minime soit-elle - volontaire des

inégalités sociales et scolaires »21. Quant aux stéréotypes liés aux

genres, des études font ressortir plusieurs phénomènes qui, selon la

situation, avantagent tantôt les filles, tantôt les garçons : d’un côté ces

derniers semblent bénéficier d’un préjugé positif, particulièrement en

mathématiques22, qui se répercute, à performances égales, sur les

notes qu’ils obtiennent. De l’autre côté, les filles bénéficient, quant à

elles, non seulement de ce type de préjugé positif en français mais

surtout d’une « aura » favorable dûe au fait qu’elles « font preuve d’un

meilleur comportement » en classe et maîtrisent mieux les règles et

exigences du « métier d’élève » »23.

19 Ces discriminations ont initialement été mises au jour et décortiquées dans les années 70 par l’intermédiaire de travaux de recherche français à vocation dénonciatrice, comme ceux de Bourdieu P. et Passeron J.-C. (1964), de Baudelot C. et Establet R. (1971) et de Boudon R. (1973).20 Les biais de notations associés aux genres ont notamment été beaucoup étudiés par Felouzis G. (1993) et Duru-Bellat M. (1995).21 Extrait de Leclercq D., Nicaise J., Demeuse M., (2004), « Docimologie critique : des difficultés de noter des copies et d’attribuer des notes aux élèves », in Demeuse M., (2004), Introduction aux théories et aux méthodes de la mesure en sciences psychologiques et en sciences de l’éducation, Liège : Les Editions de l’Université de Liège, p. 276.22 Plusieurs études de psychologie expérimentale ont aujourd’hui mis en évidence que les garçons avaient de fait plus de facilités dans l’abstraction scientifique et les filles dans l’usage du langage. Ces constats ne contredisent pas l’idée d’un « biais socio-sexué » en évaluation scolaire, dans la mesure où l’on peut légitimement penser que cette différence organique de départ a certainement une influence dans la mesure où elle peut conduire à une intériorisation susceptible de pénaliser d’office certains élèves.23 Extrait de Leclercq D., Nicaise J., Demeuse M., (2004), « Docimologie critique : des difficultés de noter des copies et d’attribuer des notes aux élèves », in Demeuse M., (2004), Introduction aux théories et aux méthodes de la mesure en sciences psychologiques et en sciences de l’éducation, Liège : Les Editions de l’Université de Liège, p. 277. Sur cette question de la différence de comportement scolaire entre filles et garçons, l’ouvrage de J.-L. Auduc (2009), Sauvons les garçons !, Paris : Descartes&Cie, met en évidence, à partir de la prédominance marquée des situations d’échec scolaire chez les garçons comparativement aux filles, l’urgence de prendre en compte au sein de l’école les différences de maturité, de rythmesd’apprentissage et d’intérêts dans le rapport au savoir qui caractérisent les deux sexes.

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Les biais sociaux et de genre sont difficilement perceptibles par les élèves

parce qu’ils s’inscrivent dans des logiques de discriminations relativement

invisibles qui agissent, le plus souvent, à l’insu des enseignants eux-mêmes.

Concernant la subjectivité des notations, il est important de voir que l’effet

de halo, l’effet source comme les biais sociologiques comportent un

risque de biaiser les évaluations dans la durée et par là-même de

biaiser des décisions d’orientation à un moment donné d’un parcours,

quand ce n’est pas tout au long d’un parcours.

Les biais scolaires :

Les biais scolaires tiennent au contexte scolaire, c’est-à-dire au type de

classe et d’établissement dans lequel les enseignants sont amenés à évaluer

leurs élèves.

- L’ « effet-classe »24 est surtout psychologique. Il fait ressortir que les

enseignants ont tendance à être plus sévères dans leurs notations dans

les classes dont le niveau est « fort ». Plus une classe a un bon niveau

d’ensemble, plus les professeurs élèvent, sans nécessairement s’en

rendre compte, le niveau de leurs exigences, comme s’ils se sentaient

stimulés par la satisfaction d’enseigner à un public performant.

Ce biais est difficilement repérable par les élèves, qui n’ont pas

nécessairement l’occasion de comparer le niveau d’exigence de leur

enseignant en fonction des différentes classes. En revanche, l’effet-

établissement est largement perçu par les élèves, donnant lieu à des

« réputations » qui se transmettent de bouche à oreille.

- L’ « effet-établissement » est susceptible de potentialiser l’ « effet-

classe ». En France, ce sont les travaux de M. Duru-Bellat et A.

24 L’effet-classe a été pour la première fois identifié par Grisay A., (1984), Les mirages de l’évaluation scolaire. Rendement en français, notes et échecs à l’école primaire ? Revue de la Direction Générale de l’Organisation des Etudes, XIX, 5.

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Mingat25, ainsi que ceux de P. Merle26 qui ont mis en évidence

l’incidence de la « politique » d’établissement sur la notation des élèves.

Il est aujourd’hui montré que les établissements scolaires souhaitant se

démarquer en adoptant une politique dite « élitiste », sont plus

exigeants dans leurs attentes et plus sévères dans leurs notations, dans

le but de maintenir une réputation « d’excellence scolaire ». Ainsi, selon

l’établissement dans lequel il se trouve, un même élève, pour des

performances égales dans une même matière, peut se voir attribuer des

notes pouvant varier de plusieurs points. Ces variations ne sont pas

négligeables quand on sait l’importance de la moyenne générale dans

l’orientation des élèves « tangents » au collège, tout comme

l’importance que prend aujourd’hui le dossier scolaire d’un lycéen pour

son orientation dans le supérieur.

Les jeunes, qui ont conscience de ces différences entre établissements,

sont dans l’ensemble plus marqués par les politiques de notations exigeantes

parce qu’elles ont des conséquences plus fortes sur leur quotidien scolaire,

tout comme sur leur orientation. Ils réagissent cependant différemment selon

leur expérience au sein du système scolaire.

Ceux qui n’ont jamais été dans un établissement dit « élitiste » connaissent

cette réalité mais ne se sentent pas directement affectés par elle.

C’est le cas de Laurène :

« [Les notes], ça dépend du lycée aussi. Il peut y avoir un élève qui a 10 comme note dans un lycée et un autre qui a 5 dans un autre lycée et, en fait,on se rend compte qu’ils ont le même niveau » (Laurène, 21 ans, 1ère année de DUT Services Réseaux et Communications)

A l’inverse, ceux qui ont été confrontés à une politique d’évaluation de

nature élitiste au cours de leur scolarité peuvent en avoir été affectés.

C’est le cas d’Olivier qui a gardé un mauvais souvenir de son lycée :

« J’avais 11/12 de moyenne en 2nde générale. En maths, j’avais 10/11 de moyenne. Ils m’ont laissé passer [en 1ère S]. Ils m’ont juste dit que ça allait être dur, mais bon, leurs notes [dans cet établissement]…… un 12 [dans cet établissement], ce n’est pas trop mal ! Parce que les cours sont d’un plus haut

25 Duru-Bellat M., Mingat A., (1993), Pour une approche analytique du système éducatif, Paris:PUF.26 Merle P., (1998), Sociologie de l’évaluation scolaire, PUF : Que sais-je ?, n°3278.

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niveau. Ils nous donnaient des exercices du style prépa en physique alors qu’on était en 1ère ! Donc c’était très dur. Cela allait au-delà du programme. J’ai un copain qui a vu sur internet certains des exos qu’on avait et c’était des exos de prépa. Donc les notes [dans cet établissement], ça ne veut pas dire la même chose qu’ailleurs... […] Ailleurs, je pense pouvoir dire que j’aurais eu 14 de moyenne. Donc la moyenne que j’ai eue [dans cet établissement], elle n’est pas représentative, c’est dur au niveau des interros… et puis ma motivation [dans cet établissement], elle s’était dégradée » (Olivier, 18 ans, Terminale ES)

Mais ce n’est pas toujours le cas et on sait aussi que certains élèves,

influencés par les ambitions de leurs parents, adhèrent aux logiques scolaires

exigeantes parce qu’elles représentent le moyen le plus sûr de se garantir un

parcours d’excellence, du diplôme jusqu’à l’insertion professionnelle.

Pour Olivier, ce type d’élève est pris dans « un système » qui les conduit

notamment à accepter de travailler beaucoup sans nécessairement obtenir des

notes à la hauteur de leur investissement :

« La meilleure moyenne générale en 1ère S c’était 14 ! Et c’était le 1er de la classe… et c’étaient pourtant des élèves qui fournissaient une masse énorme de travail… jusqu’à trois/quatre heures par jour ! Ils se donnaient à fond. […] Je pense que c’est une très bonne école pour ceux qui rentrent dans le système, qui acceptent le système et que le système accepte… ils sont faits pour le système et le système est fait pour eux… tout le monde parlait de prépas et d’écoles, mais moi je ne m’y retrouvais pas. » (Olivier, 18 ans, Terminale ES)

Les biais « professionnels »

Les biais qualifiés ici de « professionnels » renvoient essentiellement

aux travaux précurseurs de Felouzis27 sur les différences de sévérité existant

entre les enseignants.

L’auteur montre que le degré de sévérité d’un enseignant dépend

principalement de la conception qu’il a de son métier et de son évolution dans

le temps. Deux profils-types d’enseignants se distinguent par le rapport qu’ils

entretiennent professionnellement à l’institution scolaire et à la mission qu’il

lui assigne. Ainsi, certains enseignants sont portés vers un désir d’égalité et de

promotion des plus faibles, tandis que d’autres sont tournés vers la volonté de

sélectionner une élite.

27 Felouzis G., (1997), L’Efficacité des enseignants, Paris : PUF.

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L’auteur identifie donc en premier lieu les enseignants porteurs d’un

« ritualisme académique » qui les conduit à valoriser avec nostalgie une

école dans laquelle les savoirs disciplinaires et la tradition académique sont au

cœur de l’activité d’enseignement. Ce profil d’enseignant se caractérise

notamment par une façon d’évaluer plutôt sévère, dans laquelle les notes

servent à refléter le niveau des élèves, dans un souci relativement exigeant de

contrôle de leurs performances et de formation d’une élite.

Sur cette question de la vision du métier d’enseignant, il convient de

préciser que beaucoup d’enseignants notent aussi de façon assez sévère avec

l’intention bienfaisante de faire progresser les élèves le plus possible. Cette

pédagogie de l’exigence, également partagée par un grand nombre de parents

désireux de voir réussir leurs enfants, s’appuie sur l’idée que si on « demande

plus » aux élèves, on « obtiendra plus » d’eux. Or, on verra dans la deuxième

partie que cette pédagogie ne fonctionne pas pour un grand nombre d’élèves.

A l’inverse du profil « académique », Felouzis a mis au jour un deuxième

type d’enseignant qui fait preuve d’un « pragmatisme pédagogique »,

s’inscrivant dans une vision de l’école plus proche de la réalité des lycéens

d’aujourd’hui. En ce sens, l’activité d’enseignement de ces enseignants est

moins « dogmatique ». Elle est centrée sur les élèves, plus que sur la

discipline qu’ils enseignent et leurs notations sont plus indulgentes. Ils utilisent

en effet l’évaluation scolaire comme un outil pédagogique qui leur permet

d’informer les élèves et de les encourager à progresser, n’hésitant pas pour

cela à les récompenser avec des notes « coup de pouce ».

Felouzis montre par ailleurs que ces deux conceptions de la pratique

enseignante se révèlent être plus marquées au fur et à mesure que l’on

s’élève dans la scolarité et sont notamment très présentes au niveau du lycée.

Les biais professionnels sont clairement perçus par les élèves qui,

statistiquement, ont nécessairement tous été, au moins une fois, confrontés à

des différences de sévérité dans la notation entre professeurs, au cours de

leur scolarité. Ces différences peuvent se confondre avec les différences

subjectives entre enseignants, mais elles se distinguent pourtant dans la

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manière avec laquelle les élèves caractérisent la façon de noter et de

commenter de certains enseignants.

A travers leur discours, on aperçoit en effet l’existence de deux types

d’enseignants distincts dans leur approche de l’évaluation.

Ainsi pour les élèves, il existe un type d’enseignants qui se distingue des

autres parce qu’il a tendance à sanctionner facilement les élèves en étant

particulièrement sévère dans ses évaluations. Cet enseignant est en général

peu apprécié par les élèves, hormis par ceux qui ont délibérément choisi de

suivre leur scolarité dans un établissement d’excellence notoire :

« [Dans les établissements où j’ai été], les profs avaient des réputations différentes, certains étaient plus durs que d’autres. Notamment en français, je me souviens d’un prof qui avait la réputation de casser les élèves. Avec lui, c’était une super note si on avait 12 !» (Claire, 16 ans, CPA maroquinerie)

« [Les commentaires dans les bulletins], ça dépend des profs. Il y a ceux qui cassent régulièrement. La prof de SVT que j’ai eue en terminale, elle cassait… en fait… dans son attitude, par exemple, on lui disait bonjour et elle ne répondait pas bonjour. Elle était dure. Elle choisissait ses élèves… ses chouchous » (Laurène, 21 ans, 1ère année de DUT Services Réseaux et Communications)

« Oui, je pense que [l’on peut dire que dans cet établissement les professeurs avaient tendance à « casser »]… oui on peut dire ça… ça dépendait des profs bien sûr, certains étaient justes avec les notes et d’autres mettaient la barre très haut et pénalisaient pour des petites choses, ça dépendait. Mais dans l’ensemble ils étaient durs » (Olivier, 18 ans, Terminale ES)

Ainsi, quand un élève a été amené à connaître à la fois des pratiques

d’évaluation sévères et d’autres plus indulgentes, ces dernières deviennent à

ses yeux d’autant plus appréciables qu’il est dans la capacité de comparer :

« Dans le collège […] où j’étais avant, ils étaient moins centrés sur les notes [que dans mon lycée]. […] Ils mettaient plus en évidence les points positifs et puis ils faisaient plus attention au travail qu’aux notes… ils faisaient attention aux capacités, aux potentiels. Ils faisaient toujours des remarques sur ce qu’on avait bien compris, c’était plus encourageant…. Ils trouvaient toujours quelque chose d’encourageant à dire sur le bulletin… alors qu’ici, on dirait qu’ils cherchent à nous casser » (Lucie, 16 ans, 1ère S)

Les évaluations trop sévères sont d’autant plus difficiles à vivre par les

élèves quand ils sont amenés à se voir refuser une orientation sous prétexte

d’insuffisances répétées de leurs résultats alors même qu’ils étaient

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confrontés, durant leur année scolaire, à un ou plusieurs professeurs qui se

montraient particulièrement exigeants :

« [Dans mon lycée], j’ai connu des élèves, en 2nde, qui n’ont pas pu avoir leur orientation à cause d’une prof de maths qui notait très sèchement. La moyenne de la classe, c’était du style 5 toute l’année ! Moi je ne l’ai pas eu en 2nde, mais je l’ai eue en 1ère et je sais que c’est une prof qui note très dur. Elle casse pas mal, elle veut que les élèves soient parfaits alors qu’à notre âge c’est impossible… Donc, ils voulaient aller en 1ère S et on leur a dit qu’ils avaient des notes insuffisantes en maths pour pouvoir passer en 1ère S, alors que c’était lié à la prof… Et eux, soit ils se retrouvaient à devoir redoubler soit à devoir passer en STI ! […] Selon les profs que tu as eus en 2nde, tu peux ne pas avoir la même orientation en fait… Et surtout, ce qui est débile dans ce cas, c’est que, [dans mon lycée], ils ne se sont pas posés la question de savoir si c’était lié à la prof. Ils ne se sont pas posés la question de savoir si ces élèves avaient un esprit scientifique…. parce que c’est ça qui compte au fond quand on veut faire S, ce n’est pas les notes. Les notes, ça ne veut rien dire » (Simon, 18 ans, Bac scientifique)

Le biais professionnel est donc susceptible d’avoir des conséquences

assez lourdes en matière d’orientation. Si l’on suppose que certains

enseignants ont comme habitude, dans des établissements cautionnant leurs

pratiques, de sous-évaluer des classes entières, on est en effet en droit de se

demander dans quelle mesure les décisions d’orientation concernant ces

élèves ne sont pas biaisées. Comme le montre le témoignage de Simon, cela

est d’autant plus vrai dans les cas où la sévérité d’un professeur s’exprime

dans une matière qui a son importance dans les décisions d’orientation à la fin

de l’année ou à la fin d’un cycle. Dans ces cas-là, on peut en effet imaginer

qu’un bon nombre de décisions d’orientation risque de pâtir injustement de

cette sévérité et plus grave à nos yeux, qu’un grand nombre d’élèves risque

de se sentir découragés, avec toutes les conséquences que cela peut avoir en

termes d’investissement scolaire.

Parmi les nombreux biais qui rentrent en jeu dans l’évaluation scolaire

et qui dévoilent le manque de fiabilité des notes, les derniers que nous avons

mentionnés, à savoir « l’effet-établissement » et les « biais professionnels »,

nous intéressent ici particulièrement dans la mesure où ils font référence à

l’usage qui peut être fait des notes en France.

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En effet, si l’on considère que certains établissements se servent des

notes à des fins élitistes, que parallèlement certains professeurs restent

attachés à la note comme un moyen de se montrer exigeants envers les

élèves et qu’enfin, l’évaluation scolaire telle qu’on l’a définie ici se pratique

encore en France de façon essentiellement sommative, alors on peut

légitimement se poser la question de savoir dans quelle mesure

l’institution scolaire ne perpétuerait pas (sans nécessairement le vouloir

mais sans non plus le remettre en question) un usage des notes dont la

dimension faiblement pédagogique et formative ne ferait que masquer

un principe fort de sélection profondément enraciné dans la culture

scolaire française.

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3/ D’un certain usage de l’évaluation scolaire en France

a) Préambule

Bien que l’élitisme français s’avère discutable à plusieurs titres et que de

ce fait, il fasse de plus en plus l’objet de nombreuses publications qui tendent

à en dénoncer les limites aujourd’hui atteintes28, son importance et sa

perdurance sont des sujets pourtant facilement mis de côté quand il s’agit de

rendre compte officiellement du fonctionnement de notre système éducatif.

La place prise par cette culture de l’excellence dans l’institution scolaire

est de fait peu évaluée d’un point de vue quantitatif de telle sorte qu’il n’existe

pas véritablement de statistiques nationales permettant de mesurer avec

fiabilité à quel point elle est présente dans le système scolaire29. Comment

mesurer en effet avec exactitude combien d’établissements pratiquent une

politique effectivement élitiste et à partir de quels critères le mesurer ?

Deux indicateurs ont pourtant été mis en place par la DEP-MEN

(Direction de l’Evaluation et de la Prospective du Ministère de l’Education

Nationale) dans le but d’évaluer la politique éducative des différents

établissements. Le premier indicateur permet d’établir la capacité d’un

établissement à faire progresser ses élèves indépendamment de l’âge et de

l’origine sociale de son public et le deuxième sert à mesurer la capacité d’un

établissement à accompagner les élèves plutôt qu’à les sélectionner. Ce

dernier indicateur, récemment mis en place, a pour objectif spécifique

d’identifier les lycées sélectifs qui tendent à se séparer des élèves en difficulté

à la fin de la seconde ou à la fin de la première30.

Ces indicateurs sont régulièrement utilisés par certains groupes de

presse pour établir des classements destinés à se repérer dans le paysage 28 Nous pensons aux très récents ouvrages de Baudelot C. et Establet R. (2009), L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, Paris : du Seuil et de Galland O. (2009), Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ?, Paris : Armand colin. Dans ces ouvrages, il est notamment montré comment l’élitisme républicain nuit aujourd’hui aux performances de notre système éducatif. 29 Sur ce point, il apparaît que la France ne cherche pas nécessairement à cultiver la transparence. Lors des dernières enquêtes PISA réalisées dans les pays de l’OCDE, elle s’est en effet retirée de certains protocoles d’enquêtes qui permettent notamment d’évaluer les conditions structurelles, politiques et systémiques favorables à la progression du plus grand nombre d’élèves. Ce silence jette surtout plus de doutes qu’il ne permet d’en lever.30 Il est basé sur le calcul de la probabilité pour les élèves de seconde et de première d’obtenir leur baccalauréat dans le même lycée.

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éducatif. Il nous semble toutefois que la difficulté à définir des indicateurs

fiables en ce qui concerne l’évaluation de politiques d’établissements par

définition qualitatives, nuit à la scientificité de ce type de projet.

Nous avons donc tendance à penser que l’absence d’une cartographie

précise des différentes politiques d’établissements participe à la difficile remise

en cause de l’élitisme scolaire français. De fait, la forme qu’il est susceptible

de prendre, spécialement dans les établissements généralistes31 et qui conduit

aujourd’hui à des dérives dont l’ampleur commence à peine à être cernée32, se

pratique selon nous de façon plus officieuse qu’officielle, ne serait-ce et

surtout parce qu’elle est en contradiction avec les principes d’ « égalité des

chances » et de « réussite de tous les élèves » chers à la France.

b) Et si l’évaluation scolaire était mise au service d’un principe de sélection

des élèves ?

Le fait d’évaluer sévèrement, parfois des classes entières, répond, on ne

peut l’ignorer aujourd’hui, à deux objectifs complémentaires. D’une part, cela

correspond à la volonté d’apprendre aux élèves qui en sont capables à devenir

les meilleurs dans l’optique de former une élite et d’autre part, à la possibilité

dans certains cas pour les établissements de justifier en interne une décision

de redoublement ou un refus d’orientation destinés à sélectionner les élèves

afin de ne pas prendre de risques quant au taux de réussite au baccalauréat

qu’il convient d’afficher.

Ainsi, pour Pierre Merle, « ces notes particulièrement basses attribuées

aux meilleurs sont indissociables de la constitution d’une élite scolaire dans la

mesure où elles permettent d’assurer efficacement la fonction sélective

nécessaire à l’émergence des meilleurs parmi les meilleurs : les notes très

moyennes attribuées à de bons élèves ont l’avantage insigne, tout

particulièrement en classe de première, d’autoriser ou non la poursuite de la

31 Dans certains collèges et surtout dans les sections généralistes des lycées généraux et technologiques. Il est bien évident que dans les sections technologiques et a fortiori dans les lycées professionnels et les CFA, la tradition scolaire élitiste dont nous parlons est peu présente, voire absente. Elle n’a en effet pas lieu d’être compte tenu des enjeux directement professionnalisants de ces formations.32 Nous pensons aux voix, de plus en plus nombreuses, qui s’élèvent pour dénoncer les conséquences du stress que subissent certains élèves, notamment dans les classes préparatoires.

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scolarité dans le même établissement et donc de s’assurer d’une probabilité de

réussite au baccalauréat proche ou égale à 100% »33.

La volonté de former une élite est, d’un point de vue historique, au

cœur des objectifs qui ont animé la naissance de « l’école républicaine » en

France. L’évaluation sélective des performances des élèves dans les matières

dites « générales » est, quant à elle, une pratique qui a été amenée à se

durcir plus tard. Elle n’avait en effet pas lieu d’être aussi répandue dans le

cadre d’une institution scolaire qui accueillait en très grande majorité des

élèves issus de l’élite, sociologiquement destinés à réussir d’un point de vue

académique.

Cet usage de l’évaluation scolaire est donc, selon nous, devenu petit

à petit le moyen de sélectionner une élite dans un contexte de démocratisation

de l’école. Il apparaît en effet comme la meilleure façon de perpétuer la

« culture de l’excellence scolaire » au sein d’une l’école dont le public

s’est diversifié et, en ce sens, cet usage semble aujourd’hui faire partie

intégrante des politiques de certains établissements.

Une façon de se rendre compte des dérives de cette course à

l’excellence est de se baser sur le témoignage d’élèves directement concernés,

dans leur établissement, par une politique élitiste particulièrement marquée.

Une lycéenne témoigne

Lucie, jeune lycéenne de 1ère S dans un établissement bien « coté » d’Ile

de France, tient ici à s’exprimer sur la stratégie de son lycée pour apparaître

bien positionné dans les classements publiés dans la presse, notamment sur le

critère de la « capacité à garder les élèves ».

Si dans son établissement, les élèves de seconde et de première ont

une forte probabilité d’obtenir leur baccalauréat sans changer de lycée, c’est

qu’ils sont l’objet, selon elle, d’un « écrémage subtil » plus que d’un

accompagnement véritable (comme est censé le mesurer cet indicateur) :

« Dans ce lycée, ils pratiquent un écrémage subtil… ils utilisent les filières STG et STL comme la menace suprême pour les élèves. Parce que pour eux, ce sont des classes [de second ordre], alors ils disent aux élèves « si tu veux passer en 1ère, tu vas en STG ou en STL. Sinon, tu redoubles ou tu 33 Merle P. (2007), Les notes, secrets de fabrication, Paris : PUF, p. 73.

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pars », en gros ça signifie « ou tu es viré »… ça dépend des élèves. Voilà comment ils gardent les élèves ! Pour ne pas prendre de risques, ils réorientent même certains élèves en cours de 1ère S. Ils les envoient en 1ère

STL, s’ils trouvent qu’ils n’ont pas leur place en 1ère S…. Ils ont eu 100% de réussite au Bac S l’année dernière. Ils sont très fiers ! Donc, c’est très spécial comme lycée. […] En 1ère S, ils anticipent dès le début de l’année ceux qui auront des difficultés l’année d’après. Et là, ils leur proposent les trois options : « soit tu redoubles, soit tu te réorientes en STG ou en STL, soit tu es viré… ». Et puis c’est hyper pervers, parce que tous ceux qui vont essayer de forcer leur passage en terminale S seront d’office mis en S option biologie… et en même temps, ils n’arrêtent pas de vouloir nous faire penser que la biologie, c’est bien, que ce n’est pas une classe [de second ordre], alors qu’on sait tous qu’ils y envoient ceux qu’ils ne veulent pas garder dans les autres options » (Lucie, 16 ans, 1ère S)

Ainsi, d’après Lucie, cet établissement s’est clairement fixé comme

objectif de préparer les élèves à réussir dans le supérieur, en intégrant les

meilleures écoles :

« La mentalité globale du lycée, c’est de nous préparer au supérieur. Le Bac, ils s’en fichent. Pour eux, « le Bac sans mention, ça ne signifie rien », c’est mot pour mot ce que nous dit la prof de maths. Donc pour eux, le bac ça ne vaut rien sauf si on l’a avec mention ».

Pour Lucie, le but de cette politique est bien de cultiver une image et de

maintenir une réputation :

« Pour moi, clairement ils veulent travailler leur réputation. [Où je vis, mon lycée] est complètement déifié ! Tout le monde dit que c’est le « must ». Tous les parents se battent pour que leur enfant aille [dans cet établissement]. Leur but, c’est de nous préparer au supérieur. Le fait qu’on ait un mauvais dossier, ça c’est notre problème… à la rigueur, ils s’en fichent. Eux, ils veulent qu’on se démarque après dans le supérieur. Et moi, je pense que c’est pour faire leur promo »

Dans cette optique, les professeurs cultivent l’exigence, aussi bien dans

le niveau de difficulté de leurs interrogations que dans leurs évaluations, au

dépend des dossiers dont les élèves ont besoin pour poursuivre leurs études

après le bac :

« … En maths le niveau des DST est super dur. La moyenne de tous les élèves, parce que toutes les classes le passent en même temps… elle était de 7,5 au dernier DST de maths, ce qui paraît étrange pour la note de cent élèves scientifiques ! Donc, ce n’est pas tant les notes ou le barème que le niveau des DST qui doit être trop élevé. […] Mon idée à moi, c’est qu’ils sont [bêtes] ! [Rires] Parce que c’est complètement illogique. Ils nous préparent pour aller en prépa et puis dans les meilleures écoles et à côté de cela, ils nous mettent un dossier [catastrophique] ! »

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Le niveau d’exigence et de sévérité dans l’évaluation des acquis des

élèves est ainsi censé garantir « une bonne réputation ». Il apparaît que les

notes ne sont pas uniquement utilisées pour mesurer objectivement

les acquis, encore moins pour récompenser ou encourager. Elles

semblent surtout servir à s’assurer du maintien d’un niveau de travail

scolaire élevé. Lucie rapporte à ce propos des pratiques d’évaluations peu

usuelles, qui témoignent bien des excès auxquels peuvent conduire la

recherche de l’excellence scolaire :

« Il n’y a pas longtemps, je me rappelle d’un contrôle en cours de physique chimie pour nous tester sur une connaissance… c’était sur les nomenclatures en chimie… et l’idée pour eux, c’était de nous pousser à avoir 20/20, parce que pour eux, ils estimaient que pour un contrôle sur ça, on devait avoir 20/20. Pour eux, ce n’était pas possible autrement. Donc ils ont établi un système de notation où ils ne prenaient que les points au-dessus de la moyenne et ils les multipliaient ensuite par 2 pour avoir la note finale. Par exemple, si on avait eu 14/20, ça nous faisait 2 x 4, ça donne 8/20 au final. Sympathique. Il n’y a eu qu’un seul élève qui a eu 20/20, donc ça lui a fait 20. Moi, j’ai eu 17 donc ça m’a fait 14/20 »

De fait, il semble que l’on soit ici face à un fonctionnement éducatif dans

lequel la sévérité de l’évaluation scolaire est utilisée pour amener les élèves à

se surpasser continuellement. Plus précisément, sous-évaluer les élèves

constituerait même le moyen de leur apprendre à toujours travailler plus,

comme si le fait d’avoir de trop bonnes notes risquait d’entraîner des

conduites de « relâchement » ou de « laisser-aller » :

« Ce qui est fou, c’est que pour ces profs, si on est tous nuls, c’est à cause de nous… ce n’est jamais de leur faute ! A aucun moment, ils ne se remettent en question. Ils nous disent tout le temps « je n’ai jamais vu ça ! », ils nous disent tout le temps qu’on est tous nuls […] Ce sont des profs qui ne font que nous saquer pour nous apprendre à travailler… ils nous forcent à travailler tout le temps pour nous préparer au supérieur. L’idée… et je ne suis pas la seule à ressentir ça, c’est de sous-évaluer notre travail pour nous obliger à travailler plus »

Seulement, ce type de pratique évaluative n’est pas sans conséquence

sur un bon nombre d’élèves, compte tenu du stress qu’il occasionne. Lucie,

bien que s’étant protégée, avoue malgré tout que « c’est dur ». Elle connaît

des élèves qui en ont même été atteints physiquement :

« Il y a des moments, c’est dur quand même. Moi, personnellement, ça va, j’ai appris à prendre du recul. J’arrive à rire par rapport à ça, je passe au-dessus… mais j’ai une amie qui est devenue complètement dingue à cause du

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stress qu’ils mettent. Du genre, le jour du DST, elle était complètement malade et complètement bloquée »

Quand les pratiques évaluatives des classes préparatoires s’invitent au lycée…

On pourrait objecter que le témoignage d’une lycéenne n’est

évidemment pas représentatif. Mais on ne peut ignorer que ce qu’elle décrit ne

constitue pas un cas isolé. D’autres lycéens rapportent eux aussi les mêmes

pratiques évaluatives dans d’autres établissements d’Ile-de-France, qu’ils

soient privés ou publics :

« Les contrôles, c’était le stress à chaque fois… un ou deux jours avant, on se le disait entre nous : on avait peur du contrôle. Parce que dans leur esprit, on avait l’impression que ce n’était pas pour nous évaluer mais pour nous mettre une sale note… j’exagère mais c’était presque ça. […] Dans cette école, c’était particulier. Ils nous disaient « vous êtes en international, vous devriez être meilleurs que ceux qui sont en général, ce n’est pas normal ! ». Alors que c’est bête comme raisonnement, ça n’a rien à voir, le fait de faire beaucoup de langues et notre niveau général. Et même justement, on avait plus de cours qu’en général. Donc c’était plus dur et en plus ils mettaient des notes sévères. » (Jacob, 17 ans, 1ère année de BEP pâtisserie)

Noter sévèrement, voire « sous-évaluer » délibérément comme le dit

Lucie, ferait donc bien partie de la culture de l’excellence scolaire au même

titre que le principe de sélection à l’œuvre dans les décisions d’orientation. Ces

deux logiques iraient aujourd’hui de paire, dressant le tableau d’un élitisme

fonctionnant comme un système de pratiques visant à sélectionner les élèves

en fonction de leur « valeur scolaire » :

« [Dans mon lycée], je n’étais pas le seul à avoir des notes assez basses. Environ la moitié de la classe en 1ère S a eu un avis de redoublement et il y a eu une quinzaine de redoublements de 1ère S dans ma classe l’année dernière. Le truc c’est que [dans cet établissement] ils donnent des avis de redoublement en classe de 1ère et si on force le passage, car on a le droit de décider en 1ère de passer en terminale,… mais si on le fait, ils ne nous acceptent pas en terminale, ils nous virent en fait. La plupart de mes copains ont été obligés de redoubler pour pouvoir rester… tout le monde était obsédé par sa note et sa moyenne… Moi j’avais un peu tout abandonné…… les notes que j’avais ne m’importaient plus. » (Olivier, 18 ans, Terminale ES)

Plus précisément, il semble qu’un certain nombre de lycées généraux et

technologiques aient pris l’habitude de sélectionner les élèves à tous les

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échelons, en usant de « stratagèmes » leur permettant d’obtenir ce qu’ils

souhaitent des élèves et de leur famille.

Par exemple, on sait que certains établissements prônant une politique

élitiste, utilisent le pouvoir décisionnaire qu’ils ont en fin de seconde pour faire

redoubler les élèves « les moins fiables » ou les orienter d’office dans la 1ère la

moins « risquée » pour eux en mettant en avant une certaine « faiblesse » de

leurs résultats scolaires. L’écrémage s’opère en amont et, le palier de la

seconde et a fortiori le palier de la troisième, sont utilisés afin de

sélectionner les élèves à partir de leur niveau dans les matières

générales34.

Ce que l’on sait moins en revanche c’est que certains établissements

généralistes, parce que la recherche de l’excellence scolaire est culturellement

admise et acceptée (en premier lieu par les familles elles-mêmes), n’hésitent

pas à faire pression sur certains élèves en leur faisant comprendre, au nom de

l’« insuffisance » de leurs résultats scolaires, que s’ils n’acceptaient pas de

redoubler ou de s’orienter dans la section proposée par le conseil de classe, ils

n’auraient pas d’autre choix que de quitter l’établissement.

C’est ce dont témoigne Simon à propos d’un lycée « coté » d’Ile-de-

France :

« [Dans mon lycée,] j’ai vu des gens, enfin des élèves qui ont subi des pressions à cause de leurs résultats insuffisants. En fait, comme les établissements ne peuvent rien décider à la fin de la première, ils font un ultimatum en Terminale. Ils disent aux parents « votre fils doit repasser en 1ère, parce qu’il a des notes insuffisantes. Sinon, on le vire ». C’est vrai que c’était des élèves qui ne faisaient pas grand-chose, déjà en 1ère, mais ils ne faisaient pas de chahut, c’est juste qu’ils ne travaillaient pas. En fait, ils n’étaient pas dans le jeu, donc ça dérangeait l’établissement, à mon avis. […] Dans cet établissement, ils étaient assez stratégiques. Par exemple, à la fin de la 1ère, s’ils ont repéré un élève qui ne travaille pas comme il faut, ils le cassent carrément, y compris dans les bulletins pour qu’il ait un mauvais dossier pour pouvoir après argumenter auprès des parents qu’il doit redoubler. C’est même une sorte de chantage au dossier parce qu’ils font le sous-entendu de dire « si votre fils redouble, il réussira mieux, donc il aura de meilleurs bulletins et donc un meilleur dossier ». Et donc l’élève redouble, comme ça l’établissement a eu ce qu’il voulait. […] En fin de seconde, c’est plus facile pour eux parce que les parents ne sont pas prioritaires donc pour le choix de la 1ère, ils font comme ils veulent surtout pour le passage en S. Ce qu’ils disent en général, c’est « soit votre enfant redouble pour avoir de meilleurs résultats

34 Les statistiques en France sur le taux de redoublement aux différents paliers de la scolarité sont d’ailleurs assez révélatrices de ce qui se joue au palier de la seconde, puisque, au niveau national, c’est le palier où le taux de redoublement est le plus élevé avec en moyenne 16% à 17% (ce qui est quatre fois plus élevé, par exemple, que le taux de redoublement de la classe de sixième).

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et passer en S, soit il va en STI, point ». Donc finalement, ils obtiennent toujours ce qu’ils veulent » (Simon, 18 ans, Bac scientifique)

Le type de fonctionnement éducatif mis en évidence par le témoignage

de ces jeunes (à savoir sous-évaluer et sélectionner) est très répandu dans les

classes préparatoires aux grandes écoles qui sont réputées, entre autres, pour

les évaluations sévères et exigeantes qu’elles font des performances des

étudiants.

Le problème que soulèvent ces témoignages est que ce mode éducatif

semble être implicitement intégré dans la politique d’établissements du

secondaire dont l’objectif semblerait être progressivement devenu de

« préparer aux classes préparatoires » les jeunes dès les premières années du

lycée général et technologique35, quand ce n’est pas dès le collège avec les

classes dites « étoile » ou encore « fleuron ».

Or, dans le cadre de ce « préapprentissage » d’un genre particulier,

l’évaluation scolaire semble mise au service d’un principe d’ « entraînement »

et de sélection des meilleurs éléments, laissant supposer l’existence de

politiques de notation et donc d’orientation particulièrement exigeantes pour

l’enseignement secondaire.

Si on peut en effet concevoir que ce mode éducatif soit pertinent dans le

cadre de « classes préparatoires » préparant à des concours de haut niveau,

on peut en revanche se poser la question de sa légitimité dans le cadre de

l’enseignement secondaire dont la finalité première est l’obtention d’un

diplôme (le baccalauréat) et non le passage d’un concours.

Compte tenu du stress aujourd’hui bien connu qu’occasionne ce mode

d’apprentissage et d’évaluation pour les étudiants en classes préparatoires, on

peut alors s’étonner du fait qu’il soit imposé à des élèves caractérisés par leur

jeune âge. Sur cette question, on note d’ailleurs aujourd’hui une interrogation

croissante face aux conséquences psychologiques que « le stress à l’école »

peut avoir sur certains lycéens36.

35 A fortiori, dans les établissements disposant de classes préparatoires.36 L’étude du BIOP (2008), Choix d’orientation : jeux de hasard, stratégies ou processus bien préparé ? , évoquait déjà la question du stress scolaire. Plus dernièrement, c’est un sondage de l’institut CSA réalisé en avril 2009 pour L’APEL, « Y-a-t-il trop de stress à l’école », qui a permis de mettre au jour l’importance du stress scolaire : 52% des parents se déclarent en effet « stressés » par la réussite de leurs enfants tandis qu’ils sont, tout cursus confondus, 31% à déclarer que leurs enfants sont stressés à l’école. Or, ce chiffre augmente avec l’avancée dans les cursus scolaires puisque 42% des parents d’élèves de lycée général et technologique déclarent que leurs enfants sont stressés. Il est important de voir, compte tenu de ce qui nous préoccupe, que

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c) De la fonction sociale de l’évaluation scolaire :

Conjointement à la place prise par l’évaluation scolaire dans la politique

de certains établissements élitistes, il semblerait que la façon de noter soit

également un indicateur implicite du niveau de compétences des enseignants.

Comme le souligne P. Bressoux, « la note obéit à des fonctions sociales

et l’une de ses caractéristiques les plus évidentes est qu’elle se donne à voir. Il

ne semble guère « acceptable » socialement que les notes soient très

élevées : n’est-ce pas trop facile ? L’enseignant n’est-il pas laxiste ?

Inversement, il n’est guère « acceptable » socialement non plus que les notes

soient très basses : n’est-ce pas trop difficile ? L’enseignant n’est-il pas

capable de se faire comprendre ? N’est-il pas injustement sévère ? […] Il faut

donc négocier des notes ni trop élevées, ni trop basses […]. Toutes ces

contraintes contribuent à créer l’effet Posthumus et à façonner le niveau de

performances « visible » des élèves ».37

Ainsi, les enseignants, afin de ne pas paraître laxistes, sont-ils amenés

à « lisser » leurs notes pour qu’elles n’apparaissent pas trop sévères ni trop

indulgentes.

C’est ce dont témoigne un professeur de mathématiques exerçant

aujourd’hui dans une école professionnelle :

« J’ai souvent vu ça [avant d’enseigner ici]. Un bon professeur par rapport aux autres, c’est un prof qui respecte les trois tiers : 1 tiers au-dessous de la moyenne, 1 tiers au-dessus de la moyenne et 1 tiers dans la moyenne […]. La grande majorité des professeurs construisent leur évaluation en fonction de ça. Si vous n’avez pas les 3 tiers, vous êtes considéré comme un mauvais enseignant. » (Jacques Legeard, Enseignant formateur en mathématiques)

Or, pour André Antibi38, cette façon d’équilibrer systématiquement

les bonnes et les mauvaises notes conduit à la production sociale d’un

ratio d’élèves (un tiers environ) artificiellement mis en échec scolaire.

C’est ce qu’il appelle « la constante macabre ». Selon lui, elle serait le fruit

parmi les causes avancées par les parents pour expliquer ce stress, les notes et l’évaluation viennent largement en tête.37 Bressoux P. (2006), Evaluation et orientation, Rapport pour le Haut Conseil de l’Education, p. 32-33.38 Antibi A. et Luciani S. (2003), La constante macabre ou comment a-t-on découragé des générations d’élèves ?, Paris : Nathan.

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d’une pression de la société qui conduit les professeurs à se sentir obligés de

mettre un certain pourcentage de mauvaises notes pour paraître crédibles.

Il apparaît en effet que l’indulgence ou la sévérité de la notation sont

différemment connotées dans notre système scolaire. Il existe notamment des

représentations du « bon professeur » et du « mauvais professeur » qui

s’appuient sur la façon qu’ils ont de noter. La sévérité de la notation semble

plutôt associée à une certaine compétence de l’enseignant. Comme si un

professeur qui savait se montrer exigeant était un « bon professeur » et

inversement.

Le professeur de mathématiques cité plus haut, évoque ainsi la place

prise par cette représentation du métier d’enseignant dans le quotidien

scolaire :

« Il y en a même certains qui considèrent que c’est être un mauvais professeur que de mettre des bonnes notes. C’est considéré comme un acte démagogique, donc on préfère mettre une mauvaise note […]. Dans certaines écoles, mettre des mauvaises notes, c’est bien vu, surtout en mathématiques. C’est parfois ce qui fait qu’on est considéré comme un bon professeur, en tout cas plus qu’un professeur qui ne met que des bonnes notes »

Cette façon de considérer en quoi consiste un « bon professeur » est

également reprise par certains élèves eux-mêmes39. C’est ce que révèle Simon

quand il témoigne du « niveau » des professeurs dans son lycée :

« Dans mon lycée, il y avait beaucoup de bons profs dans les matières scientifiques. Ils mettaient le niveau haut. Ils sont connus [dans les environs], ils sont durs dans leur façon de noter. Les cours étaient simples, avec des bases assez simples et ils te faisaient un contrôle que tu ne peux pas faire juste avec les bases, c’est piégeur. Ils n’ont pas d’état d’âme. Même s’ils savent que tu n’as pas compris le cours, ils te font quand même un contrôle difficile. Leur but c’est que tu travailles leur matière » (Simon, 18 ans, Bac scientifique)

On peut noter que, dans cette logique, le « bon professeur » est aussi

celui qui élabore des interrogations difficiles dans lesquelles il y a notamment

des « pièges » :

« J’ai vu des contrôles piégeurs, en mathématiques surtout. L’idée, c’est qu’un enfant qui réussit, c’est un enfant qui arrive à réussir un piège mis dans le contrôle ou qui réussit un exercice qui n’a pas été vu en cours, qui est hors 39 Cette représentation du « bon professeur » n’est pas celle qui prévaut partout et elle ne doit pas faire oublier que dans les esprits, un « bon professeur » est avant tout un professeur qui sait captiver ses élèves pendant les cours. Ces derniers y sont d’ailleurs très sensibles. Néanmoins, l’idée qu’un « bon professeur » est un professeur exigeant dans ses notations cohabite dans l’univers scolaire avec celle du professeur compétent dans sa façon d’enseigner.

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programme. Cela aussi, ça fait partie de ce qui est considéré comme un bon professeur dans certaines écoles » (Jacques Legeard, Enseignant formateur en mathématiques)

La pratique des « contrôles piégeurs » s’articule à celle de la sévérité

de l’évaluation et renvoie à la recherche de l’excellence scolaire, participant à

façonner la réputation des professeurs comme celles des établissements. Cette

façon d’enseigner, plébiscitée par un grand nombre de familles qui, il est

important de le rappeler, voient en l’excellence scolaire le moyen de garantir

l’avenir de leurs enfants, peut néanmoins être mal vécue par certains élèves :

« [Cet établissement] est très bien classé dans [la presse]. C’était très élitiste et ça demandait beaucoup de travail. [….][En 1ère S, on avait souvent] des interros où ce qui était demandé était beaucoup plus dur que le cours qui avait été donné… souvent aussi ils saquaient la note. Cela m’est arrivé et c’est dur. […] C’est vrai que [dans cet établissement], au lieu de chercher les points qu’ils peuvent rajouter, on a l’impression qu’ils cherchent les points qu’ils peuvent enlever. Tout est fait pour que ce soit dur » (Simon, 18 ans, Bac scientifique)

D’après l’expérience et les recherches de Pierre Merle, il apparaît que ce

clivage entre ces deux façons opposées de pratiquer l’évaluation scolaire

(noter sévèrement ou avec indulgence) dépende étroitement du profil culturel

des professeurs et du type d’établissement dans lequel ils exercent :

« … chaque acteur de l’institution scolaire sait, plus ou moins

explicitement, que les pratiques de notation sont différentes. Les modalités

d’arrangement sur les notes diffèrent selon le contexte scolaire et tout

particulièrement l’établissement d’exercice. Dans les lycées à recrutement

majoritairement bourgeois des centres villes, dans les grands lycées

d’excellence, à la clientèle richement dotée en capital financier et culturel, le

corps professoral entretiendra quelques affinités avec cette clientèle lycéenne

dont il aura la charge, en appartenant généralement à la fraction la plus riche

en capital culturel (Ecole normale supérieure, agrégation). A contrario, dans

les lycées dits populaires, le corps professoral sera bien plus souvent composé

de professeurs auxiliaires ou contractuels ayant généralement échoué au

concours du CAPES. Cette partition hiérarchisée des professeurs à l’image de

la distribution socialement différenciée des publics lycéens dans les

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établissements explique, en partie, la connivence évaluative susceptible de

s’établir entre élèves et maîtres »40.

La répartition socialement différenciée des profils des professeurs rejoint

donc la répartition socialement différenciée des établissements et de leurs

politiques scolaires. Les professeurs hautement diplômés généralement

affectés dans les établissements dont la réputation est celle de l’excellence

scolaire, seront ainsi plus fortement enclins à pratiquer une évaluation scolaire

exigeante que les professeurs moins diplômés exerçant dans les

établissements qui ne recherchent pas à être « cotés ». Pierre Merle explique

très bien ce processus de potentialisation des pratiques d’évaluation :

« Dans les établissements d’excellence, la recherche de l’excellence

scolaire, toujours à démontrer, justifie des notes plutôt basses qui indiquent

l’effort qui reste, de toute façon, continuellement à produire. La note basse est

acceptée par l’élève s’il sait qu’il appartient à l’élite scolaire. L’essentiel pour

l’élève est d’éviter la relégation dans un établissement ordinaire. Dans les

lycées d’excellence, cet arrangement sur les notes est en accord avec la

norme de l’établissement et reçoit généralement l’adhésion du corps

professoral qui le met en œuvre, dans la mesure où est ainsi réactivée

l’histoire scolaire de ces professeurs souvent issus de classes préparatoires

aux notations également très basses. […] A contrario, dans les lycées

populaires, le corps professoral doit faire face à un public lycéen déjà trop

stigmatisé par la mauvaise note obtenue assez régulièrement, souvent depuis

le collège, pour envisager une participation lycéenne minimum, voire

seulement l’assiduité au cours, sans un minimum d’encouragement

pédagogique. Les notes motivantes et stimulantes sont une nécessité

scolaire. »41

40 Merle P., (2007), Les notes, secrets de fabrication, Paris : PUF, p. 72.41 Idem, p. 73.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 45

B/ L’évaluation scolaire, frein ou levier à une

orientation réussie ?

Comme évoqué au début du chapitre précédent, évaluation et

orientation sont liées, l’évaluation des élèves servant aux décisions

d’orientation.

Les travaux et les témoignages que nous avons recueillis apportent des

éclairages qui soulèvent un certain nombre de questions quant à la pertinence

actuelle de l’évaluation scolaire en usage. De fait, on est en droit de se

demander dans quelle mesure l’évaluation scolaire n’a pas perdu de sa

légitimité quant aux choix et aux décisions d’orientation.

La première question que l’on a spontanément envie de poser

concernant sa légitimé est celle des inévitables erreurs d’orientation dues aux

nombreux biais d’évaluation rentrant en jeu dans la notation et qui font que

l’évaluation des élèves par les enseignants n’est pas forcément valide ou juste

pour chacun des élèves pris individuellement et ponctuellement. Comme le dit

P. Bressoux, « on voudrait bien sûr que la décision d’orientation ne soit pas

affectée par une erreur de ce type »42.

Mais, au-delà de ce type d’erreur, c’est surtout l’usage particulier qui est

fait en France de l’évaluation scolaire qui nous paraît problématique pour la

réussite de l’orientation des élèves.

Une orientation choisie et réussie dépend en effet étroitement de la

qualité des apprentissages, elle-même dépendant de la motivation à

apprendre. De nombreuses études montrent que l’évaluation

sommative par notation, quand elle est pratiquée de façon

« scolaire » et « peu pédagogique », nuit à l’estime de soi d’un grand

nombre d’élèves mais aussi à leur investissement dans les

apprentissages. On peut donc se poser la question de savoir si ce type

d’évaluation ne nuit pas non plus aux parcours d’orientation, que ce soient

42 Bressoux P. (2006), « Evaluation et orientation », Rapport pour le Haut Conseil de l’Education, p. 37.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 46

celui des élèves ayant des profils peu scolaires ou celui des élèves réussissant

bien à l’école.

Et cela mérite d’autant plus d’être posé que les notes, en plus d’être

parfois incertaines, manquent également de pertinence puisqu’elles ne

reflètent pas toutes les potentialités des élèves, se limitant à ne mesurer que

leurs « capacités scolaires », alors même que l’orientation implique d’identifier

et de mobiliser des compétences plus larges (personnelles, extrascolaires,

professionnelles…).

Enfin, si l’on considère que l’évaluation en France peut de surcroît servir

(plus ou moins) un principe de sélection quelque peu élitiste, alors il devient

également légitime de se poser la question de savoir si notre système

d’évaluation offre des conditions favorables à une orientation choisie

et réussie de tous les élèves.

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1/ Regard sur les bulletins scolaires : quelle place pour

l’information qualitative dans les appréciations ?

Le bulletin scolaire et les appréciations qui y figurent ont pour

rôle d’expliciter les résultats scolaires de l’élève. Au sein de l’école, il

fonctionne comme un outil d’information et de communication aux

familles du niveau scolaire de leurs enfants. Le bulletin scolaire permet

également aux enseignants de donner des évaluations plus qualitatives

aux élèves sur leurs résultats scolaires et sur leur travail, par le biais de

commentaires, d’appréciations, d’avis et de conseils.

Or, quand on prend le temps de les analyser, il apparaît que le contenu

de ces évaluations n’est finalement que peu qualitatif par rapport au

potentiel informatif qu’elles contiennent. Pour le chercheur B. Sarrazy43,

les appréciations des professeurs sur les bulletins, même si elles ne se

réduisent pas à de simples commentaires sur les moyennes, n’en sont pas

moins, dans l’ensemble, relativement peu développées et plutôt formatées44.

Comme le souligne cette étudiante :

« Ils se répètent un peu les profs [dans les bulletins]. On a l’impression qu’il y en a un qui écrit quelque chose et que les autres suivent après, sans forcément le penser… ça dépend des profs, bien sûr, mais c’est quand même un peu toujours les mêmes commentaires.[…] [Moi j’avais généralement :] « élève sérieuse mais doit faire des efforts » et en gros, ça va se retrouver partout et à peu près pareil » (Laurène, 21 ans, 1ère année de DUT Services Réseaux et Communications)

B. Sarrazy a ainsi étudié de près les contenus didactiques des

appréciations des professeurs dans les bulletins scolaires. Il ressort de son

travail d’analyse qu’il existe des bulletins-types en fonction du profil scolaire

des élèves45 :

- Le profil type d’un bulletin d’élève dit « faible » contient

essentiellement des commentaires portant sur les défaillances

« morales » que présente cet élève par rapport à la « morale

43 « Les bulletins scolaires ne servent-ils qu’à évaluer les compétences des élèves ? », Les Sciences de l’Education pour l’Ere nouvelle, vol. 33, n°3, 2001, 51-81.44 Il convient bien évidemment de ne pas généraliser cette pratique des appréciations qui varie en fonction des professeurs. Selon leur sensibilité pédagogique et selon leur profil socioprofessionnel (comme nous l’avons montré dans la chapitre précédent), il est évident que leur façon de faire des commentaires dans les bulletins ne sera pas la même.45 Idem.

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scolaire » attendue à l’école. Excepté le fait que ces notes sont

quasiment toujours commentées par le classique « travail insuffisant »,

il est surtout indiqué à l’élève dit « faible » qu’il ne fait pas

correctement son « métier d’élève ». Il lui est donc reproché « son

manque d’effort », son « manque d’investissement », « son manque de

travail », « sa désinvolture »,… Par ailleurs, très peu de conseils lui sont

donnés, hormis celui bien évidemment l’incitant à « faire plus d’effort ».

Ce qui fait dire à B. Sarrazy, que dans les bulletins des élèves dits

« faibles », les « recommandations manquent

d’opérationnalité »46.

- L’élève dit « moyen », quant à lui, est avant tout « encouragé ».

Le profil type de son bulletin scolaire contient principalement des

conseils destinés à l’aider à améliorer son comportement

scolaire : « être plus attentif », « travailler un peu plus à la maison »

« participer plus en classe » etc. En dehors de ces conseils, les

commentaires restent assez flous et nuancés, reflétant par là-même

selon l’auteur, la prudence des professeurs vis-à-vis du potentiel

scolaire de ce type d’élèves.

- Le profil type du bulletin d’un élève dit « bon » témoigne avant

tout de la satisfaction des professeurs vis-à-vis de sa « morale

scolaire », mise en évidence par la qualité de son travail et le

« sérieux » dont il fait preuve. Très peu de conseils sont donnés,

exception faites de certaines recommandations destinées à limiter les

irrégularités scolaires (bavardage, manque de soin dans la

présentation,…). Enfin, les qualités scolaires (« esprit vif », « a des

facilités ») ne sont pas toujours évoquées.

Cette étude permet de mettre au jour la façon « mécanique » avec

laquelle sont remplis les bulletins scolaires. Elle fait ainsi apparaître le

caractère souvent routinier et stéréotypé des commentaires sur les

bulletins. Elle montre par ailleurs comment les appréciations en usage

n’apportent pas de réelle plus-value qualitative susceptible de

permettre à l’élève de progresser dans ses apprentissages.

46 Idem, p. 66.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 49

De fait, les appréciations des enseignants n’évaluent, dans l’ensemble,

que les éléments faisant partie du registre de la « valeur scolaire » de l’élève.

Elles font référence à ses facilités ou ses faiblesses disciplinaires, à son sérieux

ou à son manque d’investissement, à son application ou à son manque de

travail etc. Si l’on considère pourtant que l’intérêt des bulletins scolaires réside

aussi dans le fait qu’ils sont susceptibles d’apporter à l’élève des éléments

pédagogiques de connaissance et de compréhension de ses points forts et de

ses points faibles, alors il est regrettable de constater que le bulletin

scolaire, dans sa forme traditionnelle, n’est ni (in)formatif, ni

formateur.

C’est pourtant bien d’évaluations pédagogiques, positives et formatrices

dont auraient besoin certains élèves, spécialement ceux qui éprouvent des

difficultés avec le travail ou le cadre scolaire.

C’est ce qu’exprime très clairement Samir quand il avoue ne pas

comprendre pourquoi les professeurs, aussi bien sur ses copies que dans ses

bulletins, ne l’aident pas, avec des commentaires plus positifs et plus

explicites, à savoir ce qu’il pourrait faire pour progresser :

« [Pour nous aider] il faut juste positiver les choses, [que les professeurs] nous disent comment faire, qu’ils nous décrivent comment nous améliorer. Les choses qu’il ne faut pas qu’ils disent, c’est par exemple « travail médiocre » ou pire « que fait-il en ES ? ». Cela, ça n’avance à rien, ça ne nous dit pas comment s’améliorer et en plus ça démoralise. Donc ça démontre qu’il faut positiver les commentaires. L’idée, c’est d’aider les gens à s’améliorer, c’est ça le truc, même s’il faut quand même évaluer mais bon, on peut sûrement faire différemment » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

Par ailleurs, en quoi les bulletins servent-ils l’orientation des élèves ?

Dans le cas évoqué plus haut de pratiques évaluatives sévères, on peut en

effet se demander dans quelle mesure le caractère réducteur des moyennes et

de leurs commentaires sur les bulletins n’est pas susceptible de nuire à

l’orientation des élèves qui ont besoin de faire valoir leur dossier scolaire pour

obtenir l’orientation désirée :

« Dans les bulletins, dès que tu as des notes insuffisantes, ils mettent « résultats insuffisants » ou « manque de travail » ! Alors que l’élève, il a plein d’autres capacités… il a du potentiel, mais ça, ils ne le mettent pas dans les bulletins. Ils ne voient que les notes. Donc, au final, tout ton avenir dépend des notes. Parce que les notes, c’est ce qui fait les moyennes et les moyennes c’est ce qui fait les appréciations… et tout ça, ça fait les dossiers et quand on

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est au lycée et qu’on veut continuer après le bac et bien, les dossiers, c’est ce qui compte le plus. Donc quand tu n’as que des « résultats insuffisants » dans ton dossier, c’est sûr que tu es mal barré… alors que les notes ça ne veut rien dire de tout ce que sera capable de faire l’élève. […] [Dans mon lycée], il y avait plein d’élèves qui avaient des dossiers moyens et pourtant ils ont eu le bac haut la main ! C’est juste qu’ils mettaient la barre très haut ! Donc tout ça, ça ne veut rien dire, c’est un peu n’importe quoi » (Simon, 18 ans, Bac scientifique)

Dans ce cadre, on comprend que les élèves ne misent que sur les notes

pour espérer se frayer un chemin dans le système scolaire quitte, pour les

élèves les plus soucieux d’avancer dans leur scolarité, à développer une

certaine « obsession de la note ».

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2/ L’évaluation scolaire est-elle motivante ? Perception des

élèves et regards de chercheurs

Comme l’explique Samir précédemment cité, une des conséquences

de l’évaluation scolaire en usage est de participer au découragement

d’un certain nombre d’élèves.

Or, l’engagement des élèves dans leur scolarité et, in fine, la réussite de

leur orientation future, dépend en partie de leur motivation à l’égard des

apprentissages scolaires. Des études expérimentales en psychologie sociale

ont ainsi mis en évidence les nombreux liens d’interdépendance qui

existent entre la motivation scolaire et la réussite. Un des objectifs de

ces travaux, issus pour une grande part de recherches américaines, est

surtout de comprendre ce qui favorise ou pas, dans le cadre scolaire, la

motivation et la réussite des élèves.

a) Les impacts de l’évaluation sur la motivation scolaire

Toutes ces études tendent à montrer que l’estime de soi a une incidence

manifeste sur la motivation et la réussite scolaires. Que ce soit au travers de

« la compétence perçue » ou de « l’auto-efficacité perçue » ou encore de

« la croyance en ses capacités d’apprentissage », l’estime de soi dont fait

preuve un élève dans le cadre scolaire joue un rôle non négligeable dans sa

motivation à s’investir ou pas dans les apprentissages.

Réussite scolaire et échec scolaire ne s’expliquent évidemment pas

uniquement par des questions de confiance en soi et de motivation, mais les

recherches montrent que leur impact est certain, surtout pour les élèves les

moins bien adaptés à l’univers scolaire.

Sur cette question, il est intéressant de noter que des pays comme la

Suisse ont pris la mesure de l’importance de cultiver l’estime de soi des élèves

dans le cadre scolaire. Le Canton de Genève a entre autres explicitement

inscrit depuis 2000 « la confiance en soi et l’estime de soi » dans les objectifs

de scolarisation de son institution scolaire, comme devant guider l’ensemble

des pratiques pédagogiques du corps enseignant dès l’école primaire. Ainsi,

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d’après les expérimentations et les investigations de la société genevoise,

« l’estime de soi serait un prérequis à tout apprentissage »47.

Le fait de renforcer cette confiance chez les élèves grâce à un cadre

pédagogique approprié (assouplissement des exigences scolaires en fonction

des élèves, changement du statut de l’erreur pour en faire un outil

d’apprentissage, usage d’une pédagogie et d’une évaluation valorisantes qui

mettent l’accent sur les succès de chacun plutôt que sur les échecs,…)

favoriserait ainsi de façon durable les apprentissages et donc la réussite

scolaire, surtout chez les élèves en difficulté48.

De fait, de nombreux chercheurs en sciences de l’éducation

s’interrogent aujourd’hui de plus en plus sur les conditions pédagogiques

favorables à la réussite scolaire de tous les élèves, spécialement de ceux qui

éprouvent des difficultés scolaires. Or, les études en psychologie sociale font

apparaître que la motivation scolaire, élément central de l’implication des

élèves dans les apprentissages, dépend fondamentalement de deux

sentiments internes49 :

- l’estime de soi, que nous avons évoquée et qui renvoie au sentiment de

sa compétence à apprendre et de son efficacité,

- l’autodétermination qui renvoie au sentiment de liberté et d’autonomie

dans ses apprentissages.

Il est par ailleurs montré que les situations de compétition scolaire ou

sociale jouent un rôle négatif sur la motivation scolaire, principalement chez

les élèves les plus faibles, chez qui elles peuvent entraîner des sentiments

d’infériorité néfastes pour leur confiance en eux.

Dans ces conditions, peut-on dire que l’évaluation scolaire telle que

nous l’avons définie et surtout, telle qu’elle est susceptible d’être pratiquée

dans certains établissements ou par certains enseignants, offre un cadre

pédagogique favorable à la motivation des élèves les plus fragiles ?

47 Jendoubi V., « Estime de soi et éducation scolaire », Evaluation de la rénovation de l’enseignement primaire, Document de travail, Genève, Avril 2002.48 Quant aux élèves dits « bons », cela permettrait d’éviter qu’ils ne développent une forte anxiété quand leurs résultats scolaires sont en baisse.49 Voir sur cette question l’état des lieux des recherches réalisé par de Lieury A. et Fenouillet F. (2006),Motivation et réussite scolaire, Paris : Dunod.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 53

En principe, noter les acquis des élèves devrait être une action

pédagogique servant à mesurer et estimer leur niveau en toute neutralité,

dans le but de les faire progresser et passer à l’étape suivante. Or,

l’évaluation scolaire et la façon dont elle est encore trop

majoritairement pratiquée en France comporte un « jugement de

valeur » qui tend à hiérarchiser les élèves en fonction de leur « valeur

scolaire », stigmatisant notamment les plus faibles.

Certains jeunes, au profil peu scolaire, rapportent à ce sujet des

situations dans lesquelles le jugement dépréciatif qui a pu être porté sur leurs

performances et donc sur leur « valeur scolaire » n’était ni facile à vivre, ni

motivant :

« Avant, dans mon collège, […] ils nous faisaient des contrôles difficiles… avec des pièges, enfin moi, je le vois comme ça parce que c’était des choses qu’on n’avait pas vraiment vues en classe. Donc on avait des mauvaises notes et puis après ils nous disaient : « vous voyez, ce contrôle vous ne l’avez pas réussi, vous n’avez pas assez appris ! ». Ils nous démotivaient plus qu’autre chose finalement » (Jacob, 17 ans, 1ère année de BEP pâtisserie)

Des situations de dépréciation scolaire répétées peuvent ainsi conduire

certains élèves consciencieux à se dévaloriser au point de ne plus croire en

leurs capacités :

« Je dirais que ma scolarité, elle s’est passée comme une fille avec des difficultés, parce que j’étais dyslexique donc ça m’amenait beaucoup de difficultés dans les matières générales. […] J’ai beaucoup travaillé en 3ème, je voulais avoir mon brevet et une bonne orientation. Mais ce n’était pas facile. Même si je faisais de l’orthophonie, je voyais que j’avais toujours des difficultés à lire et à écrire. Je me remettais en question aussi. Je me disais quand même que ça devait venir de moi… […] je me disais que j’étais nulle. De toute façon, dès qu’on ne travaille pas comme ils le veulent, ils disent tous ça… […] Déjà certains profs ne croyaient pas en moi, ils me disaient que je n’avais pas d’avenir et quand j’ai su que j’étais prise dans une super école, je l’ai dit à certains, mais pas à d’autres... Ma prof d’histoire, elle, j’étais contente de lui dire. Elle a toujours cru en moi et elle m’a appuyée pour rentrer dans cette école. Elle a dit que j’avais bien travaillé dans l’année, que j’avais progressé, que j’étais une fille bien… heureusement qu’elle était là sinon je ne sais pas comment j’aurais tenu » (Coline, 18 ans, 1ère année de BEP maroquinerie)

Cette remise en question de la part d’un élève dont la « valeur

scolaire » est dévalorisée alors qu’il s’est investi, est notamment susceptible

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 54

d’être particulièrement douloureuse dans le cadre relativement intransigeant

des classes préparatoires :

« [En prépa,] ça a été la désillusion à partir des premières notes : 0,5 en anglais, 1 en maths, j’étais dernière de la classe. Cela m’a fait super mal parce que j’ai toujours été valorisée et là, on se moquait de moi. Les profs n’avaient aucune considération pour moi, ça se voyait… Même les autres élèves m’ont prise pour une [idiote] à cause de mes notes catastrophiques. C’était des railleries, des humiliations. Je pleurais le soir quand je rentrais chez moi. J’avais l’impression de louper ma vie. Je ne savais plus quoi faire, j’étais perdue. Cela a été un grand traumatisme… Je ne m’en suis toujours pas remise [Pleurs] » (Edina, 19 ans, Licence 1 en droit)

b) Un besoin d’ « estime »

Les « jugements de valeur », implicitement ou même explicitement

associés aux notes et inscrits dans les appréciations, s’avèrent ainsi être

décourageants pour les élèves quand ils sont connotés négativement parce

qu’ils sont ressentis comme une atteinte à leur image personnelle.

En France, les travaux de P. Merle50 et de P. Bressoux et P. Pansu51 ont

notamment permis de mettre en évidence l’importance de la qualité

pédagogique des pratiques évaluatives des enseignants pour la

mobilisation et la réussite scolaires des élèves. Ces derniers sont en effet

très sensibles au jugement et donc à l’estime, que leur portent leurs

enseignants. Le fait de se sentir valorisés au travers de notes et

d’appréciations encourageantes est, entre autres, une source de motivation

importante pour les élèves, qui éprouvent évidemment un sentiment de

gratification quand leurs résultats scolaires sont bons.

De façon générale, les élèves apprécient les bonnes notes. Outre le

sentiment de « satisfaction personnelle » que cela leur procure et que les

« bons » élèves évoquent volontiers, il s’avère que les bonnes notes ont un

effet stimulant chez les élèves :

« Des bonnes notes c’est motivant. […] [L’école] c’est plus motivant quand on a de bonnes notes. Tout va bien quand on a des bonnes notes… Cela fait longtemps que ça ne m’est plus arrivé… » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

50 Merle P. (1996), L’évaluation des élèves. Enquête sur le jugement professoral, Paris : PUF, (2è édition, 2007).51 Bressoux P. & Pansu P., (2003), Quand les enseignants jugent leurs élèves, Paris : PUF.

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« Moi j’aimais bien y aller [à l’école] quand il y avait un contrôle et que je savais que j’aurais une bonne note. Le fait de réussir c’est toujours une motivation » (Mehdi, 20 ans, Hors scolarité)

Pour les élèves les plus sensibles à la gratification scolaire, les bonnes

notes ont un impact psychologique sur leur rapport à l’école. Les résultats qui

ne sont pas à la hauteur des attentes ou de l’investissement fourni, peuvent

en effet conduire à des déceptions difficiles à vivre moralement :

« Les notes, ça joue sur le moral quand même… [Dans mon collège,] ça me faisait quelque chose quand j’avais des mauvaises notes,… quand elles étaienten dessous de 7 ou de 8… parce que les élèves se moquaient les uns des autres, donc ça me faisait mal, comme un petit pincement. Dans ces cas-là, je n’avais pas envie de montrer mes notes à mes parents. Et puis comme j’avais travaillé, j’étais déçu » (Thomas, 15 ans, 3ème),

Pour autant, cela ne signifie pas que les élèves sont incapables de

comprendre qu’on puisse attribuer une mauvaise note à leur travail. Ce qui

compte surtout pour eux, c’est que leurs performances, quel que soit le niveau

atteint, soient évaluées de façon juste et constructive, de telle sorte qu’ils ne

se sentent pas dévalorisés et, pour les plus « faibles », de telle sorte qu’ils se

sentent encouragés (ne serait-ce que par des appréciations positives).

Cet attachement à des pratiques évaluatives que Pierre Merle qualifie

d’« adaptées »52 est particulièrement présent chez les élèves éprouvant des

difficultés à l’école :

« J’ai souvent eu le sentiment d’avoir des notes injustifiées. 40 ou 50% de mes notes je dirais. Bon c’est sûr qu’il y a plein de fois où je n’avais pas travaillé donc ça c’est normal, j’assumais. Mais il y a plein de fois où j’avais travaillé, je pensais avoir pas mal réussi et quand je voyais la note, j’étais scotché, je ne comprenais pas et j’étais dégoûté. Surtout que certains profs, ils ne m’expliquaient pas forcément pourquoi, donc ça me paraissait vraiment injustifié… et puis ça ne m’avançait à rien… […] [Je pense qu’à école], ils devraient carrément enlever la note et dire ce qu’ils pensent du devoir, de notre travail, les choses à améliorer, les choses à revoir. Comme ça, ça nous servirait plus, ça nous aiderait pour savoir où on doit progresser » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

Ce sont donc les mauvaises notes vécues comme des sanctions qui sont

particulièrement décourageantes pour les élèves qui ont des difficultés

52 Merle P. (2004), Mobilisation et découragement scolaires : l’expérience subjective des élèves, Education et Sociétés, 13(1), p. 203.

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scolaires, parce qu’ils ont alors le sentiment qu’on ne cherche pas à les aider.

Parallèlement, du point de vue des élèves qui obtiennent généralement

de bons résultats scolaires, la bonne note à elle seule ne suffit pas

nécessairement à maintenir leur motivation scolaire. S’ils ne perçoivent pas

une reconnaissance de leur travail dans les appréciations écrites, surtout dans

leurs bulletins, ils peuvent également se sentir quelque peu découragés :

« [Dans cet établissement,] même quand j’avais 13 ou 14 de moyenne, ils me mettaient « peut mieux faire »… j’étais content quand même, parce que ça veut dire qu’ils avaient confiance en moi. Et puis je sais aussi que certains me disaient ça pour que j’aie encore de meilleures notes, ce n’était pas méchant…. Mais parfois, je me disais « Cela va bien ! Ils me disent tout le temps ça alors que c’est déjà assez dur d’avoir 14 ! » Donc bon… parfois j’aurais aimé qu’ils me félicitent plus sur ce que j’avais réussi » (Jacob, 17 ans, 1ère année de BEP pâtisserie)

« Dans mon lycée, c’est du genre « c’est bien, mais peut mieux faire », même quand tu as 16 de moyenne ! Leurs remarques, c’est souvent… pas encourageant en fait. C’est toujours dans l’optique du bâton et de la carotte… quand on arrive à peu près à remonter à la surface, on replonge, parce qu’il y aura toujours le petit truc qui ne va pas pour eux. Ici, ça manque un peu de reconnaissance pour le travail fourni…. […] J’ai un pote, il a 17/18 de moyenneet puis sur le bulletin, rien. Il y a juste « très bien »… et au revoir. Donc pour lui, il trouve que ça manque un peu de reconnaissance. […] Le mot qui manque dans ce lycée, c’est « constructif » ! Ils ne sont pas du tout dans un esprit constructif » (Lucie, 16 ans, 1ère S)

Ainsi, les évaluations (notations et appréciations), quand elles sont

négatives ou injustes, ont pour effet d’entraîner un certain découragement

chez les élèves, pouvant même entraîner des blocages psychologiques nuisant

à leur travail scolaire. Comme l’explique très bien P. Merle, en ce qui concerne

les pratiques de notation, « les élèves sont relativement prolixes tant l’image

de l’élève est dépendante de son évaluation scolaire : « Une seule mauvaise

note en physique-chimie m’a bloqué pour le restant du lycée ». […] Ce thème

du blocage, si présent dans les sentiments d’injustice, est aussi rencontré lors

de pratiques évaluatives inadaptées. Il tend à montrer la pertinence de

l’hypothèse de la rupture provoquée autant par la notation décevante que

l’appréciation écrite dévalorisante. L’une comme l’autre développent le

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sentiment d’incompétence, affaiblissent l’estime de soi scolaire et altèrent in

fine le niveau de réussite »53.

On peut aussi remarquer que la hiérarchisation implicite des élèves qui

découle de la « valence différentielle »54 attribuée à leurs performances est

très présente dans le cadre scolaire. Cette hiérarchisation renvoie à la notion

de « classement » historiquement inscrite dans la fonction de la notation

évoquée dans la partie précédente. Le fait de rendre les copies en public,

parfois même par ordre croissant ou décroissant ou encore le fait de

positionner, sur les bulletins, la moyenne de chaque élève par rapport à la

moyenne de la classe et par rapport aux deux moyennes extrêmes obtenues

dans la classe (la plus faible et la plus forte) sont autant de pratiques de

classement qui instituent l’usage de la comparaison dans le quotidien scolaire,

participant à instaurer un climat de compétition scolaire peu favorable à la

motivation des élèves les plus faibles.

Aussi, comment ne pas voir que l’évaluation scolaire en usage tout comme

les dérives sélectives dont nous avons mis au jour l’existence chez certains

professeurs et dans certains établissements sensibles à leur réputation, sont

susceptibles, comme le disent les élèves eux-mêmes, de fragiliser l’estime

personnelle et la motivation scolaire, spécialement chez les éléments les

moins adaptés au cadre scolaire55 ?

C’est en cherchant à comprendre les ressorts de la réussite scolaire

qu’Alain Lieury et Fabien Fenouillet en ont conclu que « tout concourt en effet

53 Merle P. (2004), Mobilisation et découragement scolaires : l’expérience subjective des élèves, Education et Sociétés, 13(1), p. 204.54 Cette notion est empruntée à Françoise Héritier (1996), Masculin, Féminin. La pensée de la différence. Paris : O. Jacob. Au travers de l’analyse de l’origine des différences socialement établies entre les sexes, Françoise Héritier montre comment la pensée humaine a tendance à classifier et hiérarchiser les différencessur un mode binaire. En ce qui concerne le féminin et le masculin, c’est ce qu’elle nomme la « valence différentielle » des sexes et c’est cette notion que nous transposons ici à la façon dont sont « machinalement » hiérarchisés les élèves en fonction de leur « valeur » scolaire.55 Certes, on peut supposer que les logiques sociogéographiques et les stratégies résidentielles des familles impliquent une certaine adéquation entre les politiques des établissements et leur public. Mais cet argument n’est pas recevable pour deux raisons : d’une part, cette adéquation ne peut pas être absolue (tant d’un point de vue sociogéographique que du point de vue des élèves qui sont amenés à subir les ambitions de leurs parents sans pour autant bien les vivre) et d’autre part, elle implique de tenir pour acquis un principe de « ghettoïsation » géographique des apprentissages et des orientations scolaires très regrettable.

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à réduire la motivation intrinsèque à l’école »56. Pour ces deux auteurs, le

caractère évaluatif et rarement informatif du système de notation

français, la compétition sociale engendrée par les classements, tout

comme la hiérarchisation des matières et des filières relèvent d’un

élitisme qui « étouffe la motivation »57 de la plupart des élèves.

De fait, la culture de la performance que l’élitisme de notre système

suppose peut outre une perte de motivation pour une matière en particulier,

entraîner chez les élèves les plus fragiles sur le plan scolaire, des inhibitions

pouvant conduire à des situations relativement chroniques d’échec scolaire :

« Moi j’ai peur de l’échec. Je pars battue. Pour moi, les notes c’est juste un obstacle à apprendre et à travailler…. C’est utile […] mais ça met beaucoup de pression, du coup, il y a une concurrence dans la classe… en IUT. Il y a une tension, quand un élève a besoin d’aide, c’est très rare qu’un élève aide un autre élève. Il y a beaucoup de concurrence. Il y en a certains, ils veulent être les meilleurs parce qu’il y a un classement. […] Les notes, ça me fait perdre mes moyens. Il faut s’accrocher mais moi je pars battue. Il y a des matières où je me dis que je n’y arriverai jamais et que je n’aurai pas mon année » (Laurène, 21 ans, 1ère année de DUT Services Réseaux et Communications)

De même, Samir, à sa façon, explique très bien comment la culture de

la notation a engendré chez lui une obsession des notes participant à faire

naître chez lui une phobie scolaire :

« Au collège, surtout quand j’ai commencé à avoir des mauvaises notes, en 4ème et en 3ème, je n’y allais plus que pour les notes. J’essayais d’avoir des bonnes notes et quand je n’y arrivais pas, ça me décourageait encore plus. […] En 4ème et en 3ème, ça jouait beaucoup sur mon moral. Je pense que ça m’a conduit à commencer une dépression… On est dégoûté, on est déçu, surtout quand on déçoit ses parents… […] En 2nde et en 1ère, je voulais éviter les mauvaises notes donc je n’allais plus en cours… […] On accumule du retard. Même quand j’essayais de travailler, j’avais trop de retard, donc j’avais encore des mauvaises notes. Surtout quand on a un zéro sur 20, c’est impossible à rattraper. […] Donc le problème, c’est que quand tu as des mauvaises notes,ça peut être une mauvaise spirale, ça démotive et plus on est démotivé plus on a de mauvaises notes… » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

Certains auteurs sont donc allés plus loin dans leurs hypothèses afin de

mesurer le poids du vécu scolaire dans les phénomènes d’absentéisme, voire

de décrochage scolaire chez certains élèves.

56 Lieury A. & Fenouillet F. (2006), Motivation et réussite scolaire, Paris : Dunod, (2è édition), p. 140.57 Idem, p 140.

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Bien que, tout comme la phobie scolaire, ces deux phénomènes

dépendent de multiples facteurs et qu’il convienne de ce fait de ne pas tirer de

conclusions trop hâtives, les travaux du chercheur belge Benoît Galland58 ont

toutefois permis de montrer l’influence non négligeable du contexte

scolaire et des modalités d’évaluation sur la motivation des élèves vis

à vis de l’école elle-même.

L’auteur a ainsi mis en évidence les multiples enjeux « psychologiques »

associés au type de pratiques d’évaluation scolaires choisies pour suivre les

élèves. Tandis que l’évaluation centrée sur l’évolution des

apprentissages tend à motiver les élèves parce qu’ils éprouvent très

vite le sentiment de progresser, l’évaluation centrée sur les

performances scolaires induit, quant à elle, des situations de

comparaison démobilisatrices, susceptibles de jouer un rôle dans les

phénomènes d’absentéisme et de décrochage scolaire.

Il s’avère en effet que les élèves les moins aptes à se montrer

performants au niveau scolaire éprouvent des difficultés à se sentir à leur

place à l’école et que ce « sentiment d’aliénation »59 joue fortement sur leur

motivation à investir leur scolarité.

58 Galand B. et Grégoire J., (2000), L’impact des pratiques scolaires d’évaluation sur les motivations et le concept de soi des élèves, L’orientation scolaire et professionnelle, 29, 3, p 431-452. Galand B., Macquet D. et Philippot P. (2000), Vision de l’école et facteurs liés à l’absentéisme dans une population d’élèves à risque de décrochage, Bulletin de psychologie scolaire et d’orientation, 49, p. 27-45. Galand B. (2004), Le rôle du contexte scolaire et de la démotivation dans l’absentéisme des élèves, Revue des sciences vde l’éducation, 30, 1, p. 125-142.59 Voir les travaux de Benoît Galand cités ci-dessus.

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3/ L’évaluation scolaire et ses effets sur les apprentissages :

entre échec scolaire et professionnalisme scolaire

a) Le cas des élèves dits « faibles » : pédagogie de la sanction et risque de

décrochage scolaire

L’évaluation scolaire encore trop majoritairement usitée, compte tenu

de la place centrale qu’elle accorde aux performances scolaires des élèves,

fonctionne en fait comme « une sanction » pour les élèves en

difficultés. Les notations stigmatisent en effet trop souvent l’erreur et l’échec

sans mettre l’accent sur les réussites.

L’évaluation par notation étant utilisée pour les décisions d’orientation

lors des paliers les plus cruciaux de la scolarité, les élèves dont les

résultats scolaires sont les plus faibles, sont les plus exposés à des

décisions d’orientation précoces (redoublement, orientation par défaut,…)

sanctionnant une nouvelle fois leurs performances.

Les appréciations et les notations dépréciatives, on l’a vu, ont un impact

négatif sur la motivation et la réussite scolaire des élèves les plus faibles. Mais

il en est de même pour les décisions d’orientation qui entérinent en quelque

sorte les performances jugées inadaptées de ces élèves.

Si l’on prend le cas du redoublement, qui est la décision d’orientation la

plus fréquente pour les élèves en difficultés, son efficacité pédagogique est

aujourd’hui largement remise en question. De nombreuses études

internationales ont entre autres montré les effets contre-productifs du

redoublement précoce, que ce soit sur le plan des performances scolaires

comme sur celui des trajectoires scolaires60.

Il a ainsi été mis en évidence l’impact négatif du redoublement sur

l’image d’eux-mêmes que peuvent avoir les jeunes redoublants ainsi que son

inefficacité sur les apprentissages, puisqu’il s’avère que les redoublants ne

60 Voir à ce propos le rapport établi à la demande du Haut Conseil de l’Evaluation de l’Ecole par Paul J.-J. et Troncin T., « Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire », Décembre 2004.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 61

progressent pas particulièrement lors de leur seconde année. Il a même été

montré que la décision de redoublement, à partir du moment où elle était

connue, avait un effet démobilisateur quasi immédiat sur les futurs

redoublants61.

Les collégiens et les lycéens appréhendent d’ailleurs particulièrement

l’idée de redoubler. Par exemple, les élèves dits « moyens » mais soucieux

d’avancer correctement dans leur scolarité font, pour certains,

particulièrement attention à leurs résultats scolaires, afin d’éviter d’être l’objet

d’une décision de redoublement. Leur objectif est en effet de passer dans la

classe supérieure et, en ce sens, ils veillent à avoir des notes suffisamment

satisfaisantes.

« Pour moi, avoir de trop de mauvaises notes… et que ça joue sur ma moyenne, ça m’aurait dérangé, parce que ça aurait troublé la logique de passer dans la classe supérieure. Donc avoir une moyenne acceptable disons, c’était une sécurité. Cela permettait d’être sûr de l’avenir à court terme » (Mehdi, 20 ans, Hors scolarité)

Une étude a ainsi permis de montrer que le risque de redoublement

était, entre autres, une source de stress et d’angoisse importante pour les

adolescents62.

C’est le cas de Laurène, qui a redoublé deux fois au cours de sa

scolarité au lycée et qui a développé une véritable anxiété vis-à-vis des notes

en raison de la place centrale qu’elles tiennent dans les décisions de

redoublement :

« J’ai peur des notes parce qu’on juge par la note. C’est la note qui décide de tout et ça fait une moyenne. Et on juge par rapport à cette moyenne si on veut passer. On ne juge pas par rapport au comportement ou à autre chose » (Laurène, 21 ans, 1ère année de DUT Services Réseaux et Communications)

Outre l’impact psychologique du redoublement sur les élèves, il a

également été mis en évidence l’effet négatif du redoublement pour la suite de

leur scolarité.

61 Troncin T., (2005), « Le Redoublement : radiographie d'une décision à la recherche de sa légitimité », Thèse de doctorat en sciences de l'éducation, Université de Bourgogne, sous la dir. de Jean-Jacques Paul.62 Courty P. et al, (1992), « Stress, angoisses émotions : les peurs du monde moderne », Psychologie médicale, 24, 4.

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De nombreuses études françaises réalisées à partir des panels

constitués par la Direction de l’Evaluation et de la Prospective du Ministère de

l’Education Nationale (DEP-MEN) démontrent le lien étroit qui existe entre la

précocité du redoublement dans la scolarité et la sortie in fine du système

scolaire sans diplôme ou sans qualification. Par exemple, 30% des élèves

entrés en 6ème en 1989 et ayant redoublé leur CP sont sortis du système

scolaire sans qualification et 42% sans diplôme63. De façon générale, le fait

d’avoir eu une scolarité perturbée par un redoublement précoce favorise

l’échec scolaire final. C’est notamment une des raisons pour laquelle de

nombreux pays ne pratiquent pas le redoublement.

Ainsi, pour J.-J. Paul et T. Troncin, le redoublement, contrairement à

l’objectif qui motive sa décision, ne permet pas in fine d’éviter l’échec scolaire.

Les statistiques montrent en effet qu’ « on fait redoubler dès le début de leur

scolarité des élèves qui révèlent de profondes difficultés d’apprentissage, sans

que cette mesure permette de les résoudre et d’offrir à ces élèves la chance

de connaître une scolarité normale »64.

Le risque des élèves ayant des difficultés scolaires est donc bien

celui de s’écarter des apprentissages. En ce sens, ce que nous pouvons

appeler le « tandem évaluation / orientation » en France a tendance à

renforcer et entériner les difficultés scolaires des élèves les moins adaptés à

l’univers scolaire, au lieu d’y remédier. Ces derniers sont en effet exposés à un

double risque de démobilisation scolaire. D’une part la dévalorisation de leurs

performances ne les aide pas à croire en eux et d’autre part, les sanctions

auxquelles ils peuvent être confrontés à la fin de certains cycles d’orientation

ne les incitent pas, ni ne les invitent, à investir correctement leur scolarité.

63 Peretti C., (2003), Dix-huit questions sur le système éducatif : synthèse de travaux de la DEP, Educations & Formations, n°66.64 Paul J.-J. et Troncin T., Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire, Haut Conseil de l’Evaluation de l’Ecole, n°14, Décembre 2004, p. 24.

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b) Le cas des élèves dits « bons » : pédagogie de la performance et risque

de technicisme scolaire

Compte tenu des enjeux divers associés à la qualité des résultats

scolaires dans notre système éducatif, on peut comprendre la place

importante que les notes sont susceptibles de prendre pour les élèves

soucieux de poursuivre au mieux leur scolarité et leurs études.

On comprend donc pourquoi, dans les établissements qui pratiquent des

politiques d’excellence, la majorité des élèves sont engagés dans une « course

à la performance » destinée à leur assurer le meilleur parcours au sein de

l’institution scolaire :

« [Dans ce lycée], la plupart de mes copains ont été obligés de redoubler pour pouvoir rester… tout le monde était obsédé par sa note et sa moyenne. […] [Avec ce fonctionnement], je pense qu’on en vient à ce qu’il y ait de la compétition. Surtout dans des établissements [comme celui où j’étais], il y a beaucoup d’élèves qui se comparent et qui cherchent à avoir la meilleure note. » (Olivier, 18 ans, Terminale ES)

Plus généralement, les notes sont susceptibles de mobiliser toute

l’attention des élèves soucieux de réussir :

« Les notes, ça a son importance ! Déjà, ça fait plaisir d’avoir des bonnes notes. C’est une satisfaction personnelle et puis, pour les bulletins et les dossiers, ça compte, il faut carrément faire attention pour le passage et les décisions d’orientation » (Elisa, 17 ans, Terminale S option SVT)

Comme en témoigne Elisa, les notes représentent de fait le seul

moyen efficace en France de se garantir une orientation « correcte »

en évitant l’orientation par défaut et si cela est possible, en obtenant

l’orientation désirée. Certains élèves, conscients des enjeux associés aux

notes, font même preuve d’un certain « cynisme » à l’égard de l’évaluation

scolaire :

« [Les notes,] cela ne sert à rien mais c’est nécessaire car c’est par rapport aux notes que les gens évaluent le niveau de l’élève et qu’ils décident de son orientation… […] Les notes, finalement, c’est ce qui nous fait avancer dans la vie… on ne peut pas y échapper parce que les gens nous jugent là-dessus et ils nous choisissent en fonction de ça. Donc même si ça ne veut rien dire il faut quand même faire le mieux possible pour avoir une bonne note, c’est comme ça, on n’a pas le choix. » (Thomas, 15 ans, 3ème)

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 64

Cette place centrale attribuée à la note à l’école peut alors conduire

certains élèves soucieux de réussir à l’école à « calculer » leur investissement

scolaire en fonction des résultats ou des moyennes qu’ils visent à obtenir dans

les différentes matières :

« Si j’avais une mauvaise note en maths par exemple, ce n’était pas grave, je n’avais qu’à un peu travailler pour le contrôle d’après et ça suffisait. Ce qui compte c’est la moyenne trimestrielle dans chaque matière » (Mehdi, 20 ans, Hors scolarité)

Or, appréhender les notes avec autant de pragmatisme peut amener

certains élèves à faire de la réussite scolaire l’objet d’une technique de travail

pointue :

« Il faut faire attention à ses notes, pour ne pas redoubler, ni être mis dans une case qui ne reflète pas ce qu’on est vraiment, ce dont on est vraiment capable. Parce que les notes, ça peut être un faux miroir… Et pour faire attention aux notes, il faut travailler à la maison, il faut travailler chaque note. Il n’y a aucune matière qu’il faut laisser de côté. Quand on sait qu’on va avoir un contrôle, il faut travailler, il faut faire tout pour avoir une bonne note à ce contrôle, pour s’en sortir le mieux possible » (Elisa, 17 ans, Terminale S option SVT)

Cette maîtrise du travail scolaire caractéristique d’un système scolaire

dans lequel l’évaluation et l’orientation sont centrées sur les performances et

leur excellence, fait dire à un responsable pédagogique dans une école

professionnelle que certains élèves aujourd’hui sont devenus de

véritables « professionnels de la note » :

« [A côté des élèves en difficultés], il y en a d’autres, ce sont des professionnels de la note. Ils se préparent pour une note, un exercice… Ils choisissent la matière, l’exercice où ils doivent être performants pour avoir la note ou l’orientation qu’ils veulent. Aujourd’hui, on en est là » (Thierry Manzini, Responsable pédagogique)

Comment ne pas voir que ce professionnalisme dans le « métier

d’élève », loin d’être bénéfique aux apprentissages, nuit nécessairement à leur

qualité ?

Pour le chercheur suisse Philippe Perrenoud, la qualité des

apprentissages dépend étroitement de la disponibilité mentale et cognitive des

élèves. Or, selon lui, l’évaluation scolaire par notation et moyenne

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 65

« absorbe souvent la meilleure part de l’énergie des élèves »65, les

détournant de l’innovation et de l’expérimentation cognitives que nécessite

constamment l’implication dans les apprentissages. De fait, l’attention des

élèves qui réussissent, tout comme cela peut l’être chez les élèves

« tangents », est mobilisée sur les résultats et sur les calculs de moyennes

plus que sur l’intérêt et le plaisir d’apprendre :

« [Pour moi, les notes avaient une importance] tout le temps. C’était le principal objectif. J’allais à l’école pour ramener des bonnes notes à mes parents. Je n’allais pas pour apprendre mais pour les notes » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

La trop grande place faite aux notes dans notre système scolaire est

donc susceptible de prendre la forme d’une obsession conduisant les élèves,

les parents et les enseignants à ne « penser qu’en termes de notes », comme

l’explique très bien cet élève :

« Les notes, ça prend une place trop importante. Bon, c’est vrai que ça permet de juger du niveau mais ça devient trop abusif. C’est devenu une mentalité trop abusive. Au fil des années, ça prend trop de place. Cela devient obsessionnel, même chez les profs. Eux aussi, ils sont poussés à avoir des notes pour faire leurs moyennes. En fait, tout le monde s’appuie trop sur les notes. A un moment donné, ça ne devient que ça. Ce n’est pas le potentiel de la personne qui compte, c’est ce qu’elle est capable de réussir comme note ! Donc forcément, on stresse sur les notes. Même les parents ils mettent la pression parce que tout dépend des notes » (Simon, 18 ans, Bac scientifique)

De plus, pour P. Perrenoud, l’évaluation scolaire classique « pervertit »

le rapport des élèves au savoir, favorisant « un rapport utilitariste, voire un

rapport cynique au savoir »66. Et il est vrai que les processus d’apprentissages

sont investis de façon pragmatique par les élèves soucieux de réussir. C’est ce

qu’on appelle communément le « bachotage ». Or, cette façon de travailler et

d’apprendre laisse finalement peu de place à la réflexion personnelle et à

l’imagination créatrice pourtant nécessaires à un développement harmonieux

de l’intelligence.

C’est pourquoi, le professionnalisme scolaire n’est pas sans soulever

certaines questions quant à la pertinence de ce qui est, paradoxalement,

susceptible de conduire à un certain formatage des esprits.

65 Perrenoud P. (1984), La fabrication de l’excellence scolaire : du curriculum aux pratiques d’évaluation. Vers une analyse de la réussite, de l’échec et des inégalités comme réalités construites par le système scolaire, Genève : Droz, p 75.66 Idem, p 76.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 66

Ainsi, si le fonctionnement du tandem évaluation/orientation en France

ne favorise pas la mobilisation dans les apprentissages des élèves ayant des

difficultés scolaires, il est regrettable de constater qu’il est également

susceptible de nuire à la qualité des apprentissages chez les élèves dits

« bons » et « très bons » dans la mesure où il favorise chez eux le

développement d’un technicisme scolaire laissant peu de place au

cheminement personnel nécessaire à la richesse de leur imagination et de leur

créativité67, qualités pourtant de plus en plus plébiscitées dans le monde

professionnel.

67 On pourrait également ajouter « de leur développement psychologique ». Quand on sait en effet que la majorité des élèves de classe préparatoire souffre de difficultés psychologiques plus ou moins importantes, causées par le stress auquel ils sont confrontés dans ce type de formation, on est en droit de se poser la question du coût humain et social que représentent les parcours d’excellence français.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 67

4/ L’évaluation scolaire garantit-elle une orientation réussie

pour tous ?

Les décisions d’orientation et les possibilités de parcours étant

étroitement liées à la réussite des apprentissages, on ne peut que s’interroger

sur la pertinence et la légitimité du fonctionnement d’un système évaluatif

nuisant aux apprentissages, que ce soit d’un point de vue quantitatif, mais

aussi qualitatif.

a) Disqualification des profils peu scolaires

Le caractère sélectif de l’évaluation qui domine dans notre institution

scolaire pose notamment la question de savoir dans quelle mesure le droit à

l’orientation en France n’est pas in fine l’apanage d’une minorité d’élus

qualifiés d’un point de vue scolaire.

Disqualification et échec scolaire:

Le problème de la disqualification scolaire est soulevé par le Haut

Conseil de l’Education68 (HCE) pour qui l’orientation en France s’apparente

à une sélection par l’échec, fonctionnant comme une « mécanique

d’exclusion » pour les élèves les moins adaptés à l’idéal scolaire : « La

voie générale est au sommet de [la] hiérarchie et elle est un idéal d’études :

l’orientation tend à procéder par exclusions successives vers des voies ou des

filières moins considérées. […] Pour beaucoup d’élèves qui sont orientés [dans

la voie professionnelle] à l’issue du collège, cela revient à ne pas être jugé

digne de la voie générale et cela équivaut à une sélection par l’échec. […] Au

lycée général et technologique, l’élève de seconde choisit en fin d’année une

filière, donc un baccalauréat. L’orientation par l’exclusion consiste à se voir

refuser l’accès aux filières générales, en particulier à la filière scientifique. »69

68 L’orientation scolaire, Bilan des résultats de l’Ecole – 2008, p. 10.69 Idem, p. 13-15.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 68

Compte tenu en effet des critères d’excellence scolaire à l’œuvre dans

notre système d’évaluation et d’orientation, les élèves qui n’ont pas un profil

adapté à cet idéal scolaire sont en effet disqualifiés. Ce sont des élèves à qui

on ne donne pas toutes les chances de connaître une réussite qui soit à leur

portée et à qui on n’offre parfois pas d’autre issue que celle d’être relégués en

marge des parcours valorisés, sans tenir compte de leurs aspirations.

De fait, les études statistiques montrent que les élèves ayant un profil

peu scolaire, en plus de se sentir stigmatisés à l’école, risquent également de

connaître « le stigmate que représente l’absence de diplôme et devront, dans

le meilleur des cas, rejoindre une structure leur permettant d’essayer

d’acquérir une qualification en dehors du système éducatif traditionnel »70. Les

études longitudinales montrent en effet une corrélation significative entre

difficultés scolaires précoces assorties de redoublement(s) précoce(s) et sortie

du système scolaire sans diplôme ni qualification.

Quand on sait que 150 000 élèves sortent chaque année du système

scolaire sans diplôme ni qualification, on peut se poser la question de savoir

dans quelle mesure la sélection par l’échec au sein de notre école ne

mériterait pas d’être sérieusement repensée, d’autant plus qu’elle s’appuie sur

un système d’évaluation qui manque d’ouverture dans ce qu’il sanctionne et

valorise.

Disqualification et réductionnisme scolaire :

La question est en effet de savoir si l’évaluation scolaire, en tant que

socle à partir duquel reposent les décisions d’orientation, mesure des

caractéristiques chez les élèves susceptibles de fournir aux équipes

pédagogiques l’ensemble des informations dont elles ont besoin pour les

orienter avec justesse et pertinence. Cette question mérite d’être posée parce

qu’elle est au cœur, nous semble-t-il, de ce qui est susceptible de fonder la

légitimité, mais aussi l’équité, de notre système d’évaluation et d’orientation.

70 Paul J.-J. et Troncin T., Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire, Haut Conseil de l’Evaluation de l’Ecole, n°14, Décembre 2004, p. 24.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 69

Ainsi, le HCE insiste notamment sur le rôle réducteur de l’évaluation

scolaire dans la sélection des élèves : « Notre enseignement privilégie les

savoirs abstraits et l’intelligence déductive. La réussite ou l’échec scolaire sont

jugés en fonction de leurs seuls résultats dans les disciplines auxquelles sont

associés ces savoirs et qui sont souvent désignées sous le terme de « matières

principales ». […] l’orientation est fondée sur l’échec dans les apprentissages

où dominent les capacités déductives […] [et] s’appuie sur des notes et des

moyennes de notes, méthode dont les insuffisances ont été démontrées »71.

Notre expérience au BIOP nous montre que beaucoup d’élèves ayant

des difficultés scolaires notifiées dans leurs bulletins et dans les appréciations

qui sont faites de leur travail, n’en sont pas moins souvent des élèves

témoignant de potentialités qui ne demandent qu’à s’exprimer. Certes, ces

potentialités ne relèvent pas d’aptitudes directement scolaires, mais il n’en

demeure pas moins qu’elles font partie de référentiels impliquant des

aptitudes pertinentes pour un développement personnel et professionnel futur.

Nombre d’élèves peu scolaires venant faire un bilan d’orientation parce qu’ils

ont des difficultés à l’école, se révèlent in fine posséder une très bonne

intelligence technique, manuelle, sociale ou encore verbale.

Même en ce qui concerne l’intelligence abstraite et déductive

mentionnée par le HCE et en effet fortement mobilisée dans les matières

fondamentales, il n’est pas rare que des élèves pourtant en difficultés

(scolaires ou difficultés d’orientation) en fassent tout autant preuve que des

élèves réussissant bien à l’école (à leur grande surprise d’ailleurs).

Nos conseillers sont ainsi très souvent confrontés à des écarts

manifestes entre la valeur réelle d’un jeune en termes de potentiels et

sa valeur scolaire telle qu’elle est mise en avant à l‘école.

Ces écarts indiquent, de notre point de vue, l’existence d’un

réductionnisme à l’œuvre dans notre système évaluatif.

71 L’orientation scolaire, Bilan des résultats de l’Ecole – 2008, p. 10-11.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 70

Comme le mentionne l’HCE, l’attachement de notre institution

scolaire aux performances académiques et disciplinaires fait que toute

autre forme d’intelligence est négligée, quand ce n’est pas aussi dans

certains établissements, complètement dévalorisée.

C’est le cas de l’intelligence technique ou concrète qui est très peu mise

en valeur dans l’évaluation scolaire au collège tout comme en 2nde générale et

technologique, a fortiori dans les établissements qui pratiquent des politiques

élitistes et qui de ce fait privilégient les voies générales par rapport aux voies

professionnelles.

Claire témoigne de l’ensemble de ces discriminations à l’œuvre dans le

cadre scolaire. Elle en est d’ailleurs d’autant plus désolée, qu’en ce qui la

concerne, elle a été confrontée à une disqualification scolaire, alors même

que, loin d’être en échec scolaire, elle s’est très tôt sentie faite pour la voie

professionnelle :

« L’apprentissage de métiers ça, ça me plaît. Et par rapport à l’année dernière je préfère… je n’aimais pas le contact prof/élève dans ce collège. Pour eux, on n’était qu’un bulletin de notes. Ils nous disaient qu’on était nul ! Qu’on n’avait pas d’avenir ! A une copine, ils lui ont dit ça et maintenant elle est en 2nde générale et elle va rentrer en 1ère L. En plus, ils dévalorisaient les filières professionnelles et moi je trouve ça dommage parce qu’on devrait valoriser les métiers de l’artisanat. Aujourd’hui, ils sont dévalorisés… Quand j’ai dit que j’allais faire une filière professionnelle, on m’a dit « Ah ! Tu y vas parce que t’es nulle ». Mais non ! J’y vais par choix et, en fait, les gens ils n’y croient pas, que ça peut être un choix. Ils pensent que c’est subi, que ce n’est pas par choix, alors que moi je pense que c’est une chance. Ici, je me suis révélée d’un point de vue scolaire ! Avant je détestais faire des rédactions, alors qu’ici j’adore » (Claire, 16 ans, CPA maroquinerie)

Le fait que les décisions d’orientation se basent sur des évaluations qui

ne mettent l’accent que sur les capacités scolaires dont font preuve les élèves

n’est pas sans conséquence sur l’économie de notre pays. A partir du moment

où il est nécessaire, à l’école, de faire valoir sa valeur scolaire pour bénéficier

de décisions d’orientation qui ne soient pas prises par défaut, alors il nous

paraît évident qu’un certain nombre de talents sont susceptibles d’être

« gâchés ».

Thomas, élève identifié comme « précoce », exprime très bien, à sa

manière, ce qui constitue un non sens pour notre économie tout comme pour

les problèmes d’emploi en France :

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 71

« On peut avoir des mauvaises notes et avoir des capacités, être futé. J’ai un pote par exemple, il est très bon… enfin futé, intelligent… En tant que directeur ou manager, il serait très bon ! Et pourtant il n’y arrivera pas parce qu’il n’a pas de bonnes notes, donc on ne le choisira pas dans la filière qu’il veut… Donc les notes, on en a quand même besoin, même si ça ne veut rien dire. Dans notre système, c’est ce qui va nous faire avancer » (Thomas, 15 ans, 3ème)

De fait, la perception du caractère injustement réducteur des notes est

d’autant plus présente chez les élèves qu’ils ont des savoir-faire et des savoir-

être personnels ne trouvant pas leur place à l’école (vivacité ou ouverture

d’esprit, créativité, leadearship, sociabilité…) alors qu’ils sont pourtant

recherchés dans le monde professionnel :

« Je pense que [les notes ne reflètent] carrément pas [les capacités desélèves]. Mes parents et mes amis m’ont souvent dit que j’étais intelligent, que j’étais ouvert d’esprit, que j’avais de bonnes idées. Alors que quand on voit mon dossier, on se dit « celui-là il est nul ». Je ne pense pas qu’on peut refléter les capacités de quelqu’un par les notes. Je connais plein de gens avec plein de potentiel et des mauvaises notes et des gens « bêtes » qui ont des bonnes notes. Je ne pense pas qu’on puisse catégoriser quelqu’un sur ses notes ou le juger sur son dossier » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

Et de fait, le cadre scolaire français établit encore trop peu de liens

entre l’école et le monde professionnel, tout comme entre l’école et les

compétences utiles à l’orientation professionnelle voire plus largement à

l’orientation tout au long de la vie et à l’insertion.

Ainsi, si l’évaluation des savoirs disciplinaires paraît utile pour

l’orientation strictement scolaire, autant elle nous semble restrictive lorsqu’il

s’agit de penser en termes d’orientation professionnelle. L’orientation étant

un processus continu, il paraît important que le cadre scolaire mette

en place un système d’évaluation permettant aux jeunes, quel que soit

leur profil, d’établir des ponts constructifs avec leur devenir personnel

et professionnel.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 72

b) Regard sur l’orientation des élèves dits « bons » : est-elle toujours

réussie ?

Mais il n’y a paradoxalement pas que les profils non scolaires qui sont

amenés à pâtir de notre système d’évaluation et d’orientation.

Comme le souligne Claire, le fait de valoriser excessivement

l’intelligence scolaire est susceptible de nuire aux « bons » élèves dans la

mesure où cela ne favorise pas chez eux l’envie de développer d’autres

talents. En ce sens et contrairement à ce qu’elle représente dans notre

culture, la réussite scolaire n’est pas forcément synonyme de réussite

professionnelle future ou encore d’épanouissement professionnel :

« Ce qui est bête, c’est qu’ils croient que derrière le général il n’y a pas d’avenir, alors que c’est tout le contraire. Et puis ce n’est pas parce que t’es bon dans le général que tu y arriveras bien après, ça ne veut rien dire. Tu peux devenir un robot, apprendre par cœur et recracher tes cours et être une bête en classe, sans que ça veuille dire grand-chose pour après ! Par exemple, tu peux avoir un bac + 5 et pourtant ne pas trouver de boulot… […] Et puis quand un enfant ne travaille pas quand il est jeune, ils lui disent « tu veux devenir coiffeuse ! C’est ça ? »… Et alors ? Cela ne veut rien dire de dire ça ! Donc voilà, pour eux, il n’y a que le général… Les parents des fois aussi ils sont influencés. Du coup, il y a aussi des jeunes qui travaillent bien, mais en fait ils passeront à côté de ce qui leur plaît. Ils sont juste rentrés dans le moule » (Claire, 16 ans, CPA maroquinerie)

Pour Pierre Merle, le fait que l’orientation fonctionne essentiellement sur

la base d’un principe de sélection a en effet tendance à faire oublier ce qui doit

constituer l’enjeu de tout processus d’orientation. Précisément, « le

déroulement concret du processus d’orientation correspond-il à l’esprit des

textes réglementaires centrés sur l’élaboration et la réalisation du « projet

personnel » de l’élève ? »72.

Compte tenu de la logique scolaire et sélective à l’œuvre dans le

quotidien scolaire, la réalité d’un grand nombre d’élèves soucieux de réussir à

l’école, risque de se trouver éloignée des objectifs renvoyant à l’élaboration

progressive d’un projet personnel d’orientation. Comme le note Pierre Merle, il

est par exemple devenu fréquent « que les élèves qui choisissent une S

[aient] un score en français supérieur à ceux qui s’orientent en L »73. Ce

paradoxe tient au fait que dans notre système scolaire, les choix

72 Merle P. (1998), Sociologie de l’évaluation scolaire, Que sais-je n°3278, Paris : PUF, p. 53.73 Idem, p. 55.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 73

d’orientation sont surtout « l’expression directe des résultats

scolaires »74 et des perspectives d’excellence qu’ils ouvrent ou pas,

plus que des motivations personnelles. En ce sens, les « bons élèves » et

leurs familles ne cherchent pas nécessairement à inscrire leurs choix

d’orientation dans le cadre d’une réflexion personnelle construite, comme le

préconisent les textes réglementaires.

Aujourd’hui, les élèves qui réussissent le mieux à l’école ont notamment

tendance à privilégier les filières d’excellence pour ce qu’elles représentent

(Bac Scientifique75, classe préparatoire, Grandes Ecoles). Ces filières peuvent

même être considérées76 comme une étape obligatoire dans un parcours de

formation. En ce sens, l’orientation de ces élèves, tout comme leur façon

d’apprendre et de travailler, est susceptible de demeurer scolaire.

Ainsi, en dehors du fait que ces élèves ne sont pas amenés à prendre

conscience des compétences globales qui leur seraient utiles pour se

construire professionnellement, il est également regrettable de constater qu’ils

ne sont pas non plus amenés à préparer ni anticiper leur orientation.

Pour Marie-Laure de Léotard, les élèves qui ont des carrières scolaires

brillantes se montrent en quelque sorte plus « immatures » que les autres77.

Ils suivent, sans trop se poser de questions, un chemin tout tracé, passant

chaque année avec facilité à l’étape suivante. Il est vrai que les « bons » et

« très bons » élèves, parce que tout va bien à l’école, n’ont pas

nécessairement besoin de développer un imaginaire leur permettant de se

projeter dans le monde professionnel qui les attend. La qualité de leurs

résultats scolaires les conduit à suivre des parcours classiques (a fortiori des

74 Idem, p. 55.75 Le cas de la filière scientifique est très caractéristique des choix d’orientation paradoxaux auxquels peut conduire une scolarité « parfaite ». La filière S étant considérée comme la voie d’excellence, les « bons » élèves sont en effet nombreux à la choisir pour les débouchés prestigieux qu’elle offre après le Bac, alorsmême qu’ils ne se destinent pas à une carrière scientifique.76 Par les élèves et leur famille bien sûr mais également par les professeurs. Sur ce point, le témoignage d’Edina est révélateur des conséquences que peuvent avoir le fait d’associer naturellement aux « bons » élèves des orientations prestigieuses sans réfléchir à la question de leur profil ni de leurs motivations profondes. Parce qu’elle était une brillante lycéenne, Edina a été poussée par un grand nombre de ses professeurs à intégrer une classe préparatoire après le Bac. Or, il s’est avéré qu’Edina n’a pas résisté au rythme de travail et à l’exigence de la classe préparatoire. Ses résultats scolaires se sont effondrés, tout comme son estime d’elle-même. 77 De Léoatard M. –L., (2001), Le dressage des élites. De la maternelle aux grandes écoles, un parcours pour initiés, Paris : Plon.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 74

parcours d’excellence) et, en ce sens, leurs choix risquent de s’avérer un peu

impersonnels.

Notre expérience en termes d’orientation tout au long de la vie montre

que ces élèves sont plus que les autres exposés, au cours de leur vie

professionnelle proche ou future, à des remises en question

personnelles dans le cadre d’un bilan de compétences, parce qu’ils

cherchent à (re)donner du sens à leur activité professionnelle.

Une étude récente du BIOP78 sur les tenants et les aboutissants du bilan

de compétences met ainsi en évidence un profil de salariés s’engageant dans

cette démarche parce qu’ils ne se sentent pas en accord avec leur vie

professionnelle. Parmi ces salariés, on retrouve, entre autres, d’ « anciens

bons élèves » qui, les années passant, ont l’impression de ne s’être jamais

posés la question de savoir ce qu’ils souhaitaient réellement faire dans leur

vie. Leurs choix d’orientation se sont enchaînés de façon « logique » sans

qu’ils aient pris le temps de réfléchir à leurs motivations personnelles et

professionnelles. Arrivés à un certain âge, ces salariés éprouvent alors

quelques difficultés à se « retrouver » dans leur activité professionnelle et ils

attendent notamment du bilan de compétences la possibilité de réajuster ou

même d’infléchir leur trajectoire de façon à ce qu’elle soit plus en accord avec

eux-mêmes.

C’est le cas de ce salarié diplômé d’une grande école d’ingénieur après

une classe préparatoire scientifique, interviewé par l’auteure de l’étude citée

ci-dessus. Il témoigne par écrit de l’enchaînement impersonnel de son

parcours et de son besoin de prendre aujourd’hui le temps de savoir ce qu’il

souhaite réellement faire :

« A la fin de mes études je ne savais pas dans quelle voie me diriger etj’ai passé très peu de temps à réfléchir à ce que j’aimerais faire dans la vie. Je suis alors rentré [dans une importante entreprise de conseil], qui fait du conseil en systèmes d’information […] Après cinq ans et demi chez eux à travailler sans grande motivation et à faire un peu d’introspection, je prends le temps de changer de métier. Je compte sur le bilan de compétences pour m’aider à trouver des postes qui pourraient me plaire dans une branche qui m’intéresse. […] J’espère finir ce bilan avec un projet concret de recherche d’un emploi qui me motive » (Alexandre, 30 ans, ingénieur).

78 « Le bilan de compétences, un outil phare dans la sécurisation des parcours professionnels », étude réalisée par Pascale Deschandol-Moreau, sous la direction de Michèle Dain, BIOP, septembre 2009.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 75

Dans ce type de situation, les salariés peuvent aussi avoir écarté leurs

motivations personnelles pour satisfaire aux critères de désirabilité familiale et

sociale, qui trouvent bien souvent dans les parcours scolaires d’excellence la

garantie d’une carrière réussie. En ce sens, c’est toute une partie de la société

qui attache trop d’importance à un certain type de réussite scolaire et

professionnelle au dépend de toute autre forme de réussite plus personnelle

qui, par définition, nécessiterait que le système scolaire accorde plus de place

à la connaissance de soi.

Pour Cécile Van de Velde79, le système scolaire français a cette

caractéristique de figer assez tôt les trajectoires, favorisant les parcours

linéaires et précocement définis. Or, la place prise dans notre système

éducatif par l’évaluation des performances scolaires n’est pas étrangère

à cela, dans la mesure où elle ne pousse pas les élèves à élaborer leurs

projets d’orientation en tenant compte de critères indépendants de

leur valeur scolaire, comme par exemple leurs aspirations

personnelles et professionnelles mais aussi leurs compétences

globales, y compris extrascolaires.

79 Cécile Van de Velde (2008), Devenir adulte : sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Paris : PUF.

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5/ Culture scolaire et culture professionnelle : deux univers à

rapprocher

L’ensemble des points évoqués précédemment nous semble en fait

renvoyer plus profondément à un clivage existant entre l’orientation dite

scolaire et l’orientation dite professionnelle.

Alors que les discours institutionnels évoquent une continuité dans la

notion d’« orientation scolaire et professionnelle », il existe pourtant dans la

société une rupture marquée entre l’orientation scolaire et

l’orientation professionnelle.

Cette rupture se perçoit notamment très bien quand on se penche sur

les annonces de recrutement concernant les jeunes diplômés : à côté de

l’exigence concernant la formation ou le diplôme souhaité, il est la plupart du

temps demandé au candidat de posséder par ailleurs un certain nombre de

compétences, de savoir-faire et de savoir-être jugés nécessaires dans le cadre

de sa future activité professionnelle.

Voici, à titre d’exemple, les types de profils souhaités dans trois

annonces différentes d’offres d’emploi en CDI. Ces annonces, trouvées sur

internet, s’adressent spécifiquement à des jeunes diplômés ou déjà titulaires

d’une première expérience professionnelle :

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 77

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Qualités requises :- Fibre commerciale et aisance relationnelle- Dynamisme, ambition, sens de l’engagement- Rigueur, esprit analytique et synthétique- Rédactionnel irréprochable- Autonomie, sens de l’organisation

COMPTABLE JUNIOR (CDI)Profil recherché :

Formation : Bac + 2 « comptabilité et gestion » ou « gestion PME/PMI »- Parfaite maîtrise de la bureautique et d’un logiciel de comptabilité- Polyvalence, adaptabilité, capacité à gérer de nombreux dossiers, à respecter des réglementations et des échéances- Qualités d’organisation personnelle et bon relationnel- Connaissance du secteur médicosocial et associatif

Le contenu de ces annonces permet de mesurer le décalage existant

entre ce qui est demandé aux jeunes dans le système scolaire et ce qui leur

est demandé, à la fin de leur formation, pour entrer dans le monde du travail

mais également pour y évoluer tout au long de leur vie professionnelle.

Du point de vue des entreprises, une enquête réalisée par l’OFEM80 en

2006 sur la question des « emplois non pourvus en Ile-de-France » met en

évidence les raisons principales évoquées par les entreprises pour expliquer

leurs difficultés à recruter des profils satisfaisants : 62% d’entre elles

80 « Emplois non pourvus en Ile-de-France », OFEM-CCIP, juin 2006.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 78

invoquent notamment « la personnalité » des candidats comme frein à

l’embauche, y compris chez les jeunes diplômés.

Face à l’expression de cette réalité, la question mérite donc d’être posée

de savoir si les candidats sont en fait en mesure de mettre en valeur leur

personnalité et leurs compétences au moment de leur recrutement.

Les jeunes que nous avons interrogés se montrent en effet perplexes

dès qu’il s’agit d’énumérer et de faire-valoir les compétences personnelles

dont ils peuvent faire preuve, aussi bien dans le cadre scolaire qu’à

l’extérieur :

« [Ce que je sais bien faire dans la vie]… Je ne sais pas… Euh, je sais cuisiner et jouer de la flûte, sinon je ne sais pas. […] [Ce que je sais bien faire à l’école], il y a les travaux pratiques dans les matières scientifiques… Je sais aussi prendre des notes. Sinon, je ne sais pas bien… Il y a des matières où je sais bien assimiler pendant le cours comme la physique-chimie ou la SVT. Quand on sort du cours, j’ai compris ce que j’ai fait. Les choses qui m’intéressent vraiment, j’assimile tout de suite. Et puis aussi, en langues, je me débrouille, en anglais, je sais bien participer. […] A l’école, on ne m’a jamais dit tout ça. Ce sont des choses que je déduis moi-même. Dans les bulletins, on ne me disait que les choses en général… parce que les profs nous donnent surtout des appréciations sur le niveau scolaire et le comportement en classe. Pour moi, ils écrivaient « bavarde », c’est vrai que, ça, je sais bien faire ou « bonne participation » en anglais et « intérêt pour la matière » en SVT. Mais sinon, c’est tout. Le reste, je l’ai déduit moi-même et encore je me rends compte que je ne sais pas très bien dire ce que je sais bien faire » (Elisa, 17 ans, Terminale S option SVT)

Certains expriment même leur étonnement de se rendre compte que

l’école ne leur a pas permis d’apprendre ce qui pouvait constituer chez eux des

atouts personnels et professionnels importants :

« A l’école… d’une façon générale, je dirais que j’avais des capacités d’analyse et de compréhension …. [Ce n’est pas à l’école que j’ai découvert ces compétences]. Pour les profs, avoir une bonne note ça signifiait qu’on avait bien révisé…. Ils ne rattachaient pas ça à une compétence particulière et c’est vrai que ça manque un peu parce que… c’est un peu embêtant de ne pas connaître les compétences qu’on a. C’est vrai qu’après, j’ai découvert des choses dans mes petits boulots… mais en même temps je ne sais pas encore grand-chose. J’espère que j’ai des compétences mais là bon, je ne sais pas trop. […] J’ai une bonne écriture. J’ai déjà écrit pour un journal, un magazine. C’était un coup de main pour un magazine vendu en kiosque par des copains. J’ai été apprécié pour mes capacités d’écriture…. J’ai aussi une bonne éloquence. A l’oral, j’ai une bonne argumentation. Je sais ça plutôt en me comparant aux autres, dans des discussions. [….] Et c’est vrai que là ça me saute aux yeux de me dire… que tout ça je ne l’ai pas appris à l’école. Finalement je ne sais pas qu’est-ce qu’elle m’a apporté à ce niveau-là… [….]

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 79

Au lycée, on voit les filières S, ES et L. Cela correspond à des matières et on ne sait pas ce que ça signifie en termes de compétences. En tout cas, on nenous l’explique pas bien » (Mehdi, 20 ans, Hors scolarité)

En ce sens, on peut dire que ce qui est évalué à l’école et la façon

dont cela est évalué ne prépare pas assez les élèves à la façon dont ils

seront évalués dans le monde professionnel, participant en cela à

cloisonner la formation initiale et la formation continue, l’orientation

strictement scolaire et l’orientation tout au long de la vie.

La question se pose alors de savoir s’il ne devient pas aujourd’hui

urgent, pour notre jeunesse et pour notre économie, d’offrir aux jeunes un

cadre qui leur permette d’identifier et de développer les compétences jugées

importantes dans le monde du travail.

Même si l’école n’a en principe pas pour mission première l’insertion, on

ne peut pourtant pas ignorer ce que représentent actuellement les diplômes

qu’elle permet d’obtenir. Dans un ouvrage qui vient de paraître sur les peurs

françaises, le sociologue Eric Maurin81 montre combien les diplômes sont

devenus déterminants pour l’insertion sociale et professionnelle des jeunes. Et

de fait, les chiffres ne cessent de montrer à quel point les jeunes diplômés,

surtout du supérieur, sont largement moins exposés aux risques de chômage

par rapport aux non diplômés, que ce soit au moment de leur insertion sur le

marché du travail que tout au long de leur vie professionnelle.

Compte tenu des enjeux aujourd’hui associés à l’école et aux diplômes,

il nous paraît donc important de pouvoir interroger la légitimité à perpétuer

une culture scolaire qui ne permette pas d’établir de pont constructif avec la

culture professionnelle et les compétences qu’elle plébiscite.

81 La peur du déclassement, une sociologie des récessions, Paris : Le Seuil.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 80

Or, pour le chercheur P. Perrenoud82, loin de nier les connaissances et

les savoirs académiques, la formation aux compétences permet en fait

aux élèves d’apprendre à mobiliser, lier, transférer et contextualiser

les savoirs scolaires afin de les mettre en œuvre dans des situations

complexes. C’est pourquoi, les compétences, à partir du moment où elles

sont judicieusement définies, ne paraissent pas incompatibles avec la mission

d’instruction attachée à l’école.

Note :

Il est à noter qu’à l’heure où nous terminons cette étude, les pouvoirs

publics, conformément aux recommandations européennes tout comme à

celles émanant de l’OCDE, ont pris la pleine mesure des enjeux que comporte

la prise en compte de la notion de « compétences » au sein du système

scolaire.

En intégrant à la rentrée 2009 dans les modalités et les objectifs de

l’évaluation des acquis, l’obligation de tenir à jour un « livret de

compétences » pour chacun des élèves participant à l’expérimentation, on

peut en effet supposer que les performances scolaires pourraient un jour ne

plus peser seules dans les décisions d’orientation.

Cette mesure peut par ailleurs s’avérer d’autant plus bénéfique si elle

permet, à terme, de réhabiliter à l’école la richesse des savoir-faire et des

savoir-être que les jeunes ont besoin de connaître et de mobiliser au moment

de leur entrée dans le monde du travail.

82 « Construire des compétences, est-ce tourner le dos au savoir ? », Résonances. Mensuel de l’école valaisanne, n°3, Dossier « Savoirs et compétences », novembre 1998.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 81

C/ Evaluer différemment et orienter autrement : c’est

possible

L’évaluation scolaire en usage en France et les impacts peu favorables

qu’elle est susceptible d’avoir sur les processus d’orientation sont loin d’être

incontournables. Si l’on se penche sur les différentes pratiques d’évaluation et

d’orientation qui tendent à émerger de plus en plus fortement aujourd’hui, à

l’étranger mais également en France, il devient alors possible d’envisager une

autre façon de faire fonctionner notre système scolaire.

1/ Evaluer et orienter autrement : ce qu’en disent les élèves

Les jeunes qui s’autorisent des points de vue critiques sur les notes, ne

manquent pas d’idées foisonnantes sur ce qu’ils apprécieraient de voir changer

dans les modalités et les pratiques d’évaluation83. En revanche, ils ont plus de

difficultés à apprécier dans quelle mesure l’évaluation est susceptible de

desservir leur parcours d’orientation. Hormis pour certains qui remettent en

cause le système scolaire dans son ensemble, les nombreux aspects du

fonctionnement du couple évaluation versus orientation ne leur sont pas

accessibles spontanément. Ils manifestent toutefois leur souhait d’être évalués

différemment dans le cadre d’un changement culturel de l’école.

Ainsi, dans les divers témoignages que nous avons recueillis auprès des

jeunes, la récurrence de certaines de leurs aspirations mérite d’être soulignée

parce qu’elle indique chez eux le besoin manifeste d’être évalués et orientés à

partir d’une vision différente du « métier d’élève ».

83 La question qui leur a été posée était « Comment serait « ton école idéale », si tu pouvais la changer ? ». Cette question, très ouverte, avait pour objectif de mesurer ce qui leur apparaissait spontanément le plus important à modifier dans le système scolaire. Il se trouve que les notes et l’usage qui en est fait est ce sur quoi ils mettent le plus l’accent. Ceci tient certainement à l’influence du thème général de l’interview sur leurs propos. Il n’en reste pas moins que les élèves, comme le souligne Pierre Merle dans ses travaux, se montrent plutôt prolixes quand il s’agit de parler des notes.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 82

a) L’aspiration à une évaluation valorisante et gratifiante :

Ne pas démotiver :

L’aspiration la plus forte renvoie à l’usage élargi d’une

évaluation qui saurait valoriser les élèves et encourager leur travail au

lieu de sanctionner leurs erreurs :

« Dans mon école, il n’y aurait pas de profs qui saquent… l’intérêt d’un prof qui ne saque pas, c’est de revaloriser le travail des élèves. Et ça, ça tire vers le haut… plutôt que d’enfoncer les élèves, ça ne rime à rien » (Lucie, 16 ans, 1ère S)

« Dans l’idéal, ce serait une école où les profs ne cherchent pas à démolir les élèves… je ne dis pas qu’ils sont tous comme ça... mais quand même, il y en a beaucoup, on dirait que c’est ça qui leur plaît…. Donc, ce serait des profs qui… un peu comme ici… qui motiveraient et qui ne diraient pas tout le temps aux élèves… enfin aux élèves comme moi, qui ont desdifficultés, … qu’ils sont des bons à rien. Surtout quand on fait des efforts, c’est dur d’entendre ça » (Coline, 18 ans, 1ère année de BEP maroquinerie)

« [Dans l’idéal,] au niveau des notes, il faudrait qu’on essaie de te remonter, de te valoriser au lieu de te rabaisser. Dans mon lycée, par exemple, ils veulent nous faire travailler comme des dingues, ils nous mettent la pression sur les notes et après au bac, on se rend compte que c’est hyper simple. A quoi ça sert de faire ça ? Cela met une pression inutile. On nous met la barre trop haute, depuis le collège même. A des élèves, on peut leur dire dès le collège « toi tu n’auras pas ton bac ! ». A quoi ça sert de casser comme ça dès le début ? En fait, dans ces établissements, ils ne veulent pas d’échec, donc ils mettent la pression » (Simon, 18 ans, Bac scientifique),

Les élèves ayant effectué une partie de leur scolarité dans des

établissements particulièrement élitistes évoquent ainsi l’importance d’une

évaluation qui ne « mettrait pas la barre trop haut », avec pour objectif de

favoriser la réussite de tous les élèves en évitant notamment les pratiques

évaluatives pénalisantes et donc démotivantes :

« L’école idéale pour moi ce serait comme en Angleterre…. Là-bas, ils ont un système beaucoup mieux, enfin moi j’ai trouvé… J’ai trouvé que les contrôles étaient plus faciles. Cela motive plus. Et puis c’est des contrôles sur ce qu’on a appris, ce sont vraiment des choses qu’on a faites en classe. Ce n’est pas des questions pièges… donc après, on peut tous le réussir, ça nous motive et après on sait qu’on va avancer sur autre chose » (Jacob, 17 ans, 1ère année de BEP pâtisserie)

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 83

« Dans mon idéal, ce serait un peu comme les Etats-Unis. Là-bas, il n’y a pas de notes. C’est évalué de A à D. Si on a une note de A à D, on a un crédit, on obtient le grade, le passage et après il faut accumuler les crédits pour avoir le bac. Si on a un F, il faut repasser la classe. En général, ils sont beaucoup plus conciliants pour les notes et les passages. Si jamais un élève a un F, c’est rare… Mais ils font tout pour l’aider à se rattraper. […] Ils ne cherchent pas à saquer. Ils sont plus dans… je ne sais pas comment l’expliquer… Les tests sont beaucoup plus carrés qu’en France, donc c’est plus difficile de saquer. Et puis, le fait que se soit des QCM, ça aide. Il n’y a pas le subjectif du prof qui rentre en compte. On peut dire qu’ils cherchent plus à valoriser les élèves » (Olivier, 18 ans, Terminale ES)

« Pas de jugements de valeur » ni de hiérarchisation :

Parallèlement, les élèves sont sensibles à l’idée qu’il n’y ait pas de

jugements de valeur associés aux résultats scolaires, surtout quand il s’agit de

jugements négatifs ou dépréciatifs.

Certains élèves souhaiteraient qu’il n’y ait pas de hiérarchisation entre

les filières afin que personne ne se sente dévalorisé :

« Pour moi l’école idéale, ce serait comme en Australie, où les professeurs ne chercheraient pas à rabaisser les élèves, comme de dire que STG c’est nul par rapport à S. C’est n’importe quoi, ça ne veut rien dire et c’est abusé. Il faudrait qu’on puisse avoir le choix de faire ce que l’on veut sans être jugé ou rabaissé. Pour moi, il faudrait changer les mentalités » (Simon, 18 ans, Bac scientifique)

Dans cette même optique, d’autres élèves souhaiteraient plus largement

que l’école ne soit pas un lieu de « discrimination » pour les élèves qui ont des

difficultés scolaires :

« Ce serait une école où il n’y aurait pas de discrimination entre les élèves et pas de conflits entre les profs et les élèves… Il y a des élèves qui ne sont pas bien considérés par les profs. Dans ma scolarité, j’ai vu plusieurs profs qui s’acharnaient sur des élèves sans raison. En général, c’était sur les élèves avec des difficultés scolaires qui n’avaient pas de très bonnes notes. En général les élèves bons ne sont pas embêtés […] Donc, dans l’école idéale, il n’y aurait pas de différence entre les bons élèves et les moins bons. Tout le monde serait considéré de la même manière, indépendamment de ses notes… surtout que les notes, ça ne veut rien dire » (Elisa, 17 ans, Terminale S option SVT)

D’autres élèves imaginent quant à eux des solutions plus concrètes pour

valoriser et encourager les élèves qui éprouvent certaines difficultés scolaires.

L’idée avancée est celle de pratiques de notation qui seraient conçues dans un

esprit positif et non pas négatif :

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 84

« A la base, tout le monde aurait 20/20 dès le début, pour que tout le monde se sente valorisé. Et si on ne travaille pas, alors on perdrait un peu de point, mais si on travaille, la note resterait. Il ne faut pas que les notes reflètent quelque chose de négatif, c’est une question de motivation. […] Dans l’idéal, il n’y aurait même pas de note et il y aurait des commentaires plus positifs parce que certains profs, ils ont tendance à nous démoraliser en nous disant qu’on n’arrivera jamais à rien » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

b) L’aspiration à une évaluation plus formative :

Les élèves, sans en avoir conscience, aspirent en fait à une évaluation

dont les objectifs seraient plus formateurs. Au travers de leur vision idéale de

l’évaluation, on décèle en effet la mise en avant de pratiques et de

représentations qui s’avèrent être au fondement de l’évaluation formative.

Une évaluation centrée sur les apprentissages et non sur les résultats

Une de leurs aspirations essentielles serait d’envisager une

évaluation plus centrée sur les élèves et leurs progrès que sur les

performances scolaires :

« Aux Etats-Unis, en pédagogie, il y a plus de communication avec les profs, la relation est plus familiale, les profs parlent volontiers avec nous, ils nous aident dans notre travail, ils nous connaissent tous. Les classes sont beaucoup plus petites, 20 élèves par classe, donc la relation est beaucoup plus personnelle » (Olivier, 18 ans, Terminale ES)

« A Bruxelles, c’était vachement bien, un peu dans la lignée de [mon collège]… c’était plus centré sur la personne et pas que axé sur les résultats » (Lucie, 16 ans, 1ère S)

Ainsi, ils plébiscitent volontiers un système d’évaluation qui minimiserait

la place faite aux notes et qui permettrait à chacun de réussir

indépendamment de son niveau scolaire initial :

« Dans mon école idéale, ce serait un peu comme en Angleterre. Là-bas, il y a des classes de niveau. En anglais il y avait la classe A, la classe B, la classe C… ces groupes, ce n’est pas forcément un groupe de fort et un groupe de nuls. On ne leur dit pas « il y a les bons et il y a les mauvais ». Mais chaque groupe est fait pour un niveau différent. Et dans chaque groupe il y a des notes qui sont des lettres, A, B, C, D. On peut avoir un A même si on n’est pas dans le groupe A. Donc on peut avoir une bonne note dans n’importe quel groupe parce que c’est une bonne note par rapport au niveau qu’on a. Donc ça motive, parce qu’on sait qu’on peut évoluer par rapport à notre niveau. Et puis

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 85

les profs, ils faisaient des cours pour que chaque groupe comprenne, donc les élèves, ils pouvaient tous évoluer. Le programme n’est pas le même pour tout le monde mais chacun avance à son niveau. Et on arrive à avoir des bonnes notes par rapport à son niveau » (Jacob, 17 ans, 1ère année de BEP pâtisserie)

Le fait de se focaliser sur les performances et sur les résultats risque en

effet de faire oublier l’importance de l’erreur comme outil pédagogique.

Certains élèves souhaiteraient ainsi que les évaluations soient faites dans un

esprit plus formateur, mettant en avant ce qui doit être amélioré plutôt que ce

qui a échoué :

Une évaluation différenciée

L’idée de la différenciation dans les apprentissages et leur évaluation se

retrouve également en filigrane de leurs aspirations. Sans l’évoquer comme

tel, l’évaluation sommative leur paraît en fait injuste et réductrice.

C’est pourquoi, certains jeunes souhaiteraient que les professeurs

évaluent également les élèves dans le quotidien de leurs apprentissages afin

de personnaliser leurs mesures :

« [Dans mon école idéale,] les élèves seraient évalués durant les cours. Il n’y aurait pas de contrôle sur table. Les notes se feraient plutôt par rapport à l’investissement de l’élève durant les cours, en voyant comment il évolue et comment il progresse.» (Laurène, 21 ans, 1ère année de DUT Services Réseaux et Communications)

D’autre part, l’évaluation sommative est susceptible de donner lieu à

des mesures peu représentatives puisque les moyennes trimestrielles

s’élaborent souvent à partir d’un petit échantillon de notes. C’est pourquoi,

certains élèves souhaiteraient même qu’il n’y ait plus de notes du tout, tant ils

ont l’impression qu’elles sont réductrices :

« L’idéal, ce serait d’enlever les notes, c’est débile, ça ne sert à rien, ça ne veut rien dire. Surtout quand il n’y a que deux contrôles par trimestre. Si t’en loupes un par erreur et que tu as 1/20, le trimestre est foutu parce qu’après il te faudrait 19/20 pour avoir juste la moyenne ! » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 86

c) L’aspiration à un fonctionnement moins scolaire de l’évaluation et de

l’orientation :

Sortir du cadre scolaire et ouvrir les apprentissages

Parmi les aspirations des jeunes, on retrouve également celle qui

renvoie à l’idée d’une ouverture de l’école. Certains jeunes aimeraient ainsi

pouvoir apprendre dans un contexte qui ne mette pas uniquement l’accent sur

l’acquisition de savoirs scolaires :

« A Bruxelles, on a fait des choses qui sortent du cadre scolaire. En français, on a réalisé un court-métrage. En histoire, on a visité des camps de concentration. Donc, c’était un peu sortir de la démarche scolaire… et là-bas, ce n’est parce qu’on n’est pas dans une salle de cours à aller chercher la carotte que représente la note, qu’on ne va pas apprendre des choses […] A Bruxelles, il y a plus d’ouverture dans le milieu scolaire, alors qu’ici… enfin [dans mon lycée] l’ouverture c’est zéro […]. Donc dans l’idéal, ce serait bien d’ouvrir l’école à d’autres choses » (Lucie, 16 ans, 1ère S)

« Dès le collège, on a la tête dans les études. On ne se rend pas compte de ce qu’il y a dehors. Pour moi, il faudrait ouvrir l’école au monde extérieur. […] Le problème à l’école, c’est qu’on est trop dans le théorique et pas assez dans le pratique, on ne cultive pas assez le pratique… Le mieux pour un collégien, ce serait découvrir comment des personnes de la société vivent leur métier et la réalité de leur métier, de leur vie… ce serait découvrir d’autres horizons via d’autres personnes, d’autres horizons que celles du monde scolaire » (Mehdi, 20 ans, Hors scolarité)

Mieux préparer à l’orientation professionnelle

De fait, les jeunes ont tendance à penser que l’école ne favorise pas

assez la découverte du monde professionnel, ce qui a pour première

conséquence de mal préparer les élèves enclins à poursuivre dans une voie

professionnelle, à faire leurs choix d’orientation en 3ème.

« En fait ce qu’il faudrait à l’école, c’est pouvoir découvrir des métiers et peut-être découvrir une passion… Par exemple en France, ce n’est pas du tout fait pour ça. Au collège, on doit faire un choix en 3ème entre le général et le professionnel, alors que l’on a aucune idée de ce qu’on aime, si on aime la cuisine, le sport ou la maroquinerie ou autre chose… on a juste un stage d’une semaine en 3ème, en plus c’est le stress, il faut trouver une entreprise, on doit faire une lettre de motivation alors qu’on ne l’a jamais fait… Donc si on s’y

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 87

prenait plus tôt ce serait plus facile pour beaucoup d’élèves de choisir… » (Jacob, 17 ans, 1ère année de BEP pâtisserie)

Valoriser tous les profils :

Dans cette optique enfin, certains jeunes regrettent que l’école ne

valorise que les apprentissages scolaires, hiérarchisant ainsi les filières et les

choix d’orientation en fonction d’un idéal scolaire. En ce sens, ils plébiscitent

une sorte de droit à la valorisation de tous les profils, de toutes les

voies, indépendamment des critères académiques :

« [En Australie] ils ne jugent pas les élèves. Pour chaque personne, ils cherchent des choses qui la caractérisent et qui la passionnent, pour que chacun s’épanouisse et s’oriente en fonction de ce qu’il est. Et ils valorisent tout, ils ne font pas de différence, toutes les passions sont belles : aimer les chevaux, la cuisine etc. Ils font du théâtre, alors qu’en France, ils ne regardent pas tout ça. Ils valorisent plus le sérieux. Ils ne cherchent pas le potentiel des gens, ils cherchent le côté… scolaire. Alors que dans le travail, c’est le potentiel qui compte. Il faut savoir oser parler et ne pas rester dans son coin. Et puis, il faut un métier pour tout le monde, il faut arrêter de juger, il faut arrêter de dire que S c’est mieux que ES et ES mieux que L. Ce sont des études, ça ne veut rien dire » (Simon, 18 ans, Bac scientifique)

En ce sens, les élèves regrettent que l’école les réduise trop souvent « à

des carnets de notes » :

« Moi, je pense qu’ils devraient plus regarder le profil de la personne, son environnement, son entourage, ce qu’elle fait, plus regarder la personne que la feuille, la copie, la note ! » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

d) L’aspiration à un système motivant et épanouissant

Renouer avec le plaisir d’apprendre :

Finalement, les élèves que nous avons interrogés, quel que soit leur

niveau scolaire, évoquent volontiers l’idée d’un cadre scolaire qui

donnerait l’envie et le plaisir d’apprendre.

« Cela serait un peu comme ici, avec des professeurs sympas, cools… avec qui on peut se détendre mais travailler en même temps…. Ce serait travailler en ayant… ben du plaisir en fait. Se dire « chouette, je vais à l’école ! ». M’entendre dire ça maintenant, parfois, je m’en étonne tout seul » (Valentin, 16 ans, CPA maroquinerie)

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 88

« L’école idéale, ce serait une école où on s’amuse en apprenant, où le fait d’apprendre serait amusant » (Samir, 18 ans, Hors scolarité)

« [Dans mon école idéale], j’aimerais que les élèves prennent plus de bon temps à venir à l’école. Qu’ils ne se disent pas « bon on vient pour nos 5 heures de cours et après on se barre ! ». J’aimerais qu’ils aiment venir en cours » (Thomas, 15 ans, 3ème)

Certains élèves aspirent même à une école qui permettrait aux jeunes

de s’épanouir tout en travaillant :

« Ce serait un lycée où les élèves seraient complètement épanouis. Déjà il n’y aurait pas de classe avec des élèves assis qui doivent écouter le prof 8 heures par jour. Le matin oui mais l’après-midi : il y aurait du sport, du théâtre etc. ce serait d’autres activités […] Et puis je pense qu’il faudrait mettre plus de travaux manuels, artistiques, pour ouvrir l’école. Parce que être tout le temps assis à une table et faire ses devoirs, ça ne permet pas de s’ouvrir » (Laurène, 21 ans, 1ère année de DUT Services Réseaux et Communications)

Plusieurs points ressortent des aspirations de ces jeunes concernant

l’idée qu’ils se font d’une « autre école ». Le premier point est l’importance

qu’ils accordent au fait de pouvoir redonner au sein de l’école une juste place

aux résultats scolaires et donc aux notes, afin d’éviter les jugements de valeur

démotivants qu’elles peuvent contenir, les hiérarchisations et les

discriminations qu’elles entraînent et parfois les injustices scolaires auxquelles

elles participent.

En ce sens et même si la thématique de l’étude a pu les influencer, leurs

aspirations concernant ce qu’ils aimeraient voir changer à l’école s’inscrivent

dans une remise en cause assez marquée de l’évaluation scolaire en usage.

C’est d’ailleurs en se référant à d’autres pratiques qu’ils ont pu expérimenter

dans certains établissements français ou à l’étranger, que cette remise en

cause leur paraît, si ce n’est possible, tout du moins primordiale.

C’est pourquoi, tout comme eux, nous pensons qu’il est important de se

pencher sur les pratiques d’évaluation et d’orientation « d’ici et d’ailleurs » afin

de se rendre compte de quelle manière il pourrait être envisageable de faire

autrement.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 89

2/ Exemples de pratiques d’ailleurs :

Dans ce chapitre nous avons choisi de présenter les pratiques

d’évaluation et d’orientation à l’œuvre dans les systèmes éducatifs de la

Suisse et du Danemark. Compte tenu de l’efficacité aujourd’hui reconnue

des systèmes éducatifs finlandais et canadien, pour ne citer qu’eux, notre

choix aurait pu se porter sur ces deux pays. Si nous avons préféré présenter

les systèmes danois et suisses, c’est que comme la France, ces deux pays

n’ont pas obtenu de très bons résultats aux enquêtes PISA (Programme

International de Suivi des Acquis des élèves) depuis qu’elles existent. Comme

la France, ils se situent dans la moyenne des pays de l’OCDE, juste un peu

mieux classés que la France.

Si ces deux pays nous intéressent pourtant, c’est qu’ils ont, à nos yeux,

le mérite de mettre tout en œuvre pour comprendre les points faibles de leur

système scolaire afin d’y remédier, quitte à négocier des réformes de fond.

Bien que leur culture évaluative soit au départ très différente, la Suisse

comme le Danemark ont en commun d’avoir fait de l’évaluation

scolaire l’enjeu prioritaire des changements à envisager pour favoriser

la réussite de tous leurs élèves, tant sur le plan scolaire que sur le plan de

leur orientation.

a) Le cas de la Suisse : la suppression de la sélection par les notes au cœur

des débats

Si nous avons choisi de prendre la Suisse comme exemple de pratiques

d’évaluation et d’orientation différentes, c’est que son Institution scolaire a,

comme la France, toujours accordé de l’importance à l’excellence scolaire, aux

notes, aux moyennes, aux bulletins et aux procédures de sélection ou de

promotion qu’ils permettent à certains moments de la scolarité. Mais à la

différence de la France, la Suisse est un pays qui a, depuis de nombreuses

années, entrepris de réformer son système éducatif afin d’accorder moins de

place aux notes et à la sélection par les notes dans le but de favoriser la

réussite de tous les élèves, tout en améliorant la communication faite aux

parents sur l’évolution des apprentissages de leur enfant.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 90

Histoire d’une réflexion sur les enjeux de l’évaluation :

La Suisse est un pays particulier en terme d’éducation dans la mesure

où chacun de ses cantons dispose d’un système scolaire propre, qu’il organise

et gouverne de façon indépendante. Il y a donc en Suisse autant de ministres

de l’éducation que de cantons.

Les débats autour d’une réforme des pratiques éducatives ont

néanmoins pris naissance au niveau des différents cantons dans le courant des

années 70 suite à l’intérêt suscité par les diverses critiques docimologiques et

pédagogiques adressées par les chercheurs à l’encontre de l’évaluation

sommative et sélective.

Depuis cette période, les différents cantons se sont penchés, chacun à

leur rythme et chacun en fonction de leurs contraintes ou de leur culture

scolaire, sur l’intérêt de l’évaluation formative pour la qualité des

apprentissages et la réussite de tous les élèves. Des recherches officielles sur

l’évaluation et la meilleure façon de l’utiliser en éducation se sont

progressivement développées dans tout le pays. Le Centre Suisse de

coordination pour la Recherche en Education (CSRE) a ainsi été créé. A partir

des années 80, diverses innovations en matière d’évaluation formative ont

commencé à être expérimentées dans l’enseignement primaire.

Il est important de voir que dans ce projet de réflexion sur l’éducation,

la Suisse et ses différents cantons ont fait de la réforme de

l’évaluation scolaire le pivot des changements à mettre en œuvre dans

les systèmes scolaires des différents cantons.

La réforme scolaire suisse, qui a réellement débuté au milieu des

années 90, vise globalement à redéfinir les missions de l’école, à la rendre

plus efficace et plus équitable en diminuant les retards scolaires tout comme

l’échec scolaire. Pour cela, plusieurs objectifs sont mis en avant comme celui

de l’instruction de tous, la collaboration avec les parents et l’aide apportée aux

enfants pour trouver leur place dans la société. Dans ce projet, l’évaluation

est considérée comme un outil majeur dans la mesure où sa forme

traditionnelle comporte des effets secondaires jugés inadéquats, tant en

termes d’efficacité que d’équité.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 91

L’évaluation des élèves est donc devenue l’objet d’une réflexion de fond

en Suisse dans le but d’en clarifier les objectifs et les mises en pratique. Elle

donne lieu en cela à des investigations poussées de la part des différents

acteurs du monde éducatif (enseignants, pédagogues et chercheurs en

sciences de l’éducation) tout comme à des expérimentations et innovations

diverses sur le terrain. L’objectif affiché d’un tel travail est de pouvoir affiner

et améliorer les conceptions de l’évaluation pour développer l’évaluation à

visée formative, tout en trouvant des solutions appropriées à la

culture scolaire suisse et à ses objectifs de qualité de l’instruction et

de promotion des élèves.

En ce sens, il est aujourd’hui acquis en Suisse que l’évaluation formative

seule n’est pas envisageable, ni souhaitable et que tous les systèmes

d’enseignement suisses doivent trouver un juste équilibre entre les notions de

formation et de sélection existantes pour l’entrée dans certaines filières

exigeantes.

L’évaluation des élèves au cœur des réformes suisses :

Au cours des vingt dernières années, la Suisse s’est progressivement

engagée dans une refonte culturelle de ses conceptions de l’évaluation et

surtout de son usage. Cette refonte s’appuie sur l’idée que les notes manquent

fondamentalement de consistance et de pertinence en tant qu’outil

d’information et de communication du niveau des élèves. Elles n’expriment

rien de clair ni d’objectif et se cantonnent à mesurer des savoirs scolaires. De

plus, les notes peuvent être pernicieuses en matière d’éducation et

d’orientation, dans la mesure où les procédures de sélection et de promotion

des élèves ne s’appuient que sur elles.

Dans un rapport de 2000 inspiré par le CSRE, « Pour une évaluation

plus formative et moins sélective »84, un état des lieux de l’avancée des

changements amorcés dans les différents cantons a été réalisé. Il est ainsi

rappelé que l’évaluation n’a de sens qu’à partir du moment où elle sert les

objectifs de l’enseignement obligatoire qui doivent être en priorité de

84 « Pour une évaluation plus formative et moins sélective. Le développement de l’évaluation scolaire en Suisse », version abrégée du rapport de tendance du CSRE, n°3, IRDP, septembre 2000.

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« permettre à chaque enfant de développer au mieux ses compétences »85.

Pour la communauté suisse, l’école doit avant tout être perçue comme une

institution qui « remplit un mandat éducatif et pédagogique qui la distingue

nettement des situations de concurrence économique. L’enseignement et

l’apprentissage scolaires visent à développer chez l’élève la confiance en soi et

l’assurance. L’école n’exige pas des performances, mais une de ses tâches

principales consiste à soutenir la réalisation d’objectifs. Cette tâche et

l’attitude qui en découle ne peuvent être comparées à la recherche étroite et

compétitive de rendements »86.

Dans cette optique, il est rappelé que l’évaluation ne doit pas être mise

au service de la performance scolaire, ni d’aucune compétition ou sélection.

Elle doit en premier lieu soutenir les processus d’apprentissage, la confiance

en soi et le développement des enfants en évaluant de façon globale,

exhaustive et adéquate leurs acquisitions et leurs compétences, ce qui n’est

pas pour autant contradictoire avec le fait de maintenir des exigences scolaires

élevées. L’évaluation formative prend alors toute son importance dans la

mesure où elle permet d’élargir le champ de l’évaluation tout en donnant des

informations plus riches et plus gratifiantes pour le développement et

l’orientation des apprentissages, tant du point de vue des élèves que des

parents. Elle permet en effet de mesurer avec plus d’objectivité et de

pertinence que ne le feraient l’évaluation sommative par notation, l’ensemble

des aspects qui entrent en jeu dans ce développement comme la créativité,

l’originalité, l’efficacité, la perspicacité etc.

Diffusion et mise en application de l’évaluation formative

La mise en pratique de l’évaluation formative en Suisse n’a pas été

aisée et ne l’est pas encore complètement aujourd’hui. Pour ne parler que de

la Suisse romande par exemple, de vives réactions sont apparues dans le

canton de Vaud. De même, dans le canton de Genève, des associations de

parents manifestaient largement, encore en 2006, pour que les notes soient

réintroduites dans l’enseignement primaire.

85 Idem, p. 11.86 Idem, p. 11.

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Malgré tout, de nombreux changements ont eu lieu ces quinze dernières

années dans les systèmes d’évaluation et d’orientation des différents cantons.

Par exemple, dans le canton de Berne, la réforme scolaire s’appuie

aujourd’hui sur une « ordonnance concernant l’évaluation et les décisions

d’orientation à l’école obligatoire » (ODED) finalisée en 2004 et destinée à

préciser les nouveaux objectifs assignés à l’évaluation des élèves :

-1 « L’évaluation a une dimension formative : elle tient compte des progrès et

des points forts de l’élève et signale ses points faibles et les moyens de les

corriger »,

-2 « L’évaluation est axée sur les objectifs d’apprentissage qui ont été fixés »,

-3 « L’évaluation est transparente : elle est la suite logique des différentes

appréciations données tout au long de l’année scolaire »,

-4 « L’évaluation est globale : parallèlement aux compétences de l’élève, elle

apprécie son attitude face au travail et à l’apprentissage et son comportement

social ».

De plus, il est précisé dans cette ordonnance que l’évaluation des

compétences de l’élève doit donner lieu à une note globale d’appréciation et

non au calcul arithmétique d’une moyenne.

De façon générale, la communication aux élèves, tout comme à leurs

parents, de leurs progrès et des objectifs qu’ils ont à poursuivre est

privilégiée. Ainsi, l’évaluation sommative, quand elle est utilisée notamment à

des fins sélectives, affiche des objectifs plus clairs et transparents tout en

donnant lieu à un diagnostique des points forts et des points faibles des

élèves. L’évaluation formative, sans notes, est de plus en plus développée

spécialement dans les petites classes. Dans les classes supérieures, le

traditionnel bulletin de notes est enrichi et même dans certains cas remplacé

par des outils plus qualitatifs comme des auto-évaluations, des rapports

détaillés d’apprentissage, des comptes-rendus d’entretiens d’évaluation etc.

De plus, à côté de l’évaluation des compétences scolaires, des éléments

concernant la personnalité des élèves, leurs attitudes ou leurs compétences

sociales et transversales sont prises en compte.

Grâce à ces nouvelles modalités d’évaluation, les décisions d’orientation

prennent en compte aujourd’hui en Suisse plus de critères, se fondant sur une

appréciation plus juste et plus globale des élèves, ce qui permet à la Suisse de

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 94

poser au sein de son système scolaire les jalons nécessaires au principe de la

formation et de l’orientation tout au long de la vie. Enfin en ce qui concerne

l’amélioration du niveau scolaire des élèves, il est important de noter que sur

la dernière enquête PISA de 2006, les résultats des élèves suisses se sont

significativement améliorés par rapport à ceux des années antérieures,

comparativement aux autres pays membres87.

b) Le cas du Danemark : complémentarité dans les différents types

d’évaluation88

Contexte :

Le Danemark a une histoire particulière concernant les pratiques

évaluatives en usage au sein de son système éducatif. Pendant longtemps,

l’évaluation dite formatrice a dominé l’enseignement dans un souci de

responsabilisation précoce des élèves. L’école danoise, comme dans d’autres

pays nordiques, s’inspire en effet beaucoup de l’Education Nouvelle qui

accorde une importance fondamentale à l’autonomie de l’enfant, au respect de

son développement psychologique tout comme à celui de ses rythmes de

travail.

C’est pourquoi l’évaluation formatrice, centrée sur l’enfant et sa capacité

à s’approprier les apprentissages en suivant son propre rythme, constituait il y

a quelques années encore le pilier de l’organisation du système scolaire

danois.

Les élèves n’étaient notamment pas notés à l’école jusqu’à l’âge de 14

ans (Grade 8). Durant presque la totalité de la scolarité obligatoire (qui va

jusqu’au grade 9), le niveau des élèves était essentiellement mesuré à partir

d’un cahier de bord personnel dans lequel ces derniers étaient invités à s’auto-

87 Les élèves suisses ont légèrement progressé en lecture au fil des trois enquêtes PISA (494 points en 2000 et 499 points en 2003 et 2006) et la part des jeunes affichant un très faible niveau de compétences est passée de 20% en 2000 à 16% en 2006. Parallèlement, la moyenne des résultats des pays membres de l’OCDE a, quant à elle, reculé de 500 points en 2000 à 492 en 2006. En 2006, la Suisse a ainsi dépassé pour la première fois de manière significative la moyenne de l’OCDE.88 Cette partie a été réalisée avec la collaboration précieuse de Marianne Schou-Nielsen, danoise, qui a enquêté pour nous au Danemark et qui nous a permis de recueillir et de traduire le contenu précis des divers documents danois utilisés dans le cadre scolaire.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 95

évaluer en indiquant au fur et à mesure ce qu’ils pensaient de l’évolution de

leurs apprentissages et ce qu’ils comptaient mettre en place pour atteindre

leurs objectifs. Parallèlement à cet exercice d’auto-évaluation, leurs

professeurs accompagnaient leurs progrès grâce à l’usage d’une évaluation

formative réalisée en continu et donnant lieu à des enseignements

différenciés. L’usage de la pédagogie différenciée est en effet une obligation

qui est depuis longtemps, selon des modalités diverses, inscrite dans la loi

danoise en vue d’adapter les enseignements en fonction des élèves, surtout

les plus fragiles.

C’est au niveau du Grade 9, qui équivaut à celui de notre classe de

seconde, que la mise en place d’un système de notation permettait de situer

concrètement le niveau des élèves pour que chacun des acteurs concernés

(l’élève, ses parents, son professeur principal) puisse envisager, de façon

concertée, la meilleure orientation possible pour la suite (voie professionnelle,

technologique ou lycée général).

Or, il se trouve que les enquêtes PISA des années 2000 et 2003 ont

fortement ébranlé la croyance des danois dans la supériorité de leur système

éducatif. Contrairement à ce qu’ils pensaient, le niveau des élèves danois de

15 ans s’est avéré « moyen » par rapport à celui des autres élèves de l’OCDE.

Très impliqués dans les questions d’éducation, les pouvoirs publics

danois ont alors sollicité l’avis des experts de l’OCDE en vue d’obtenir des

préconisations susceptibles d’améliorer l’efficacité de leur école. Ces

préconisations ont donné lieu à un rapport dans lequel leur façon d’évaluer les

élèves a notamment été identifiée comme une des faiblesses importantes de

leur système scolaire, dans la mesure où elle ne les confronte pas assez au

contrôle des connaissances. Le Danemark a rapidement pris la mesure de

cette critique pour mettre en place un projet de réforme destinée à améliorer

l’usage de l’évaluation scolaire dans son système éducatif.

Ainsi, depuis 2006-2007, de nombreux changements ont vu le jour dans

les modalités de suivi des progrès des élèves au cours de l’enseignement

obligatoire. Le premier consiste dans la mise en place d’un « livret de l’élève »

ou « livret de compétences » destiné à suivre plus précisément l’évolution de

ses apprentissages tout au long de la scolarité obligatoire. Parallèlement, les

modalités d’évaluation ont également été revues. Afin d’habituer les élèves à

des contrôles sur table et en même temps de diagnostiquer plus finement

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 96

ceux présentant des fragilités scolaires, des évaluations nationales ont été

instaurées à chaque grade de la scolarité (du grade 2 au grade 9) dans

certaines régions. Ce projet est encore en cours d’expérimentation, mais il

devrait aboutir à un dispositif institué au niveau national. Le travail des élèves

dans les différentes matières fait de plus l’objet d’évaluations sommatives plus

régulières au cours du grade 8. L’investissement scolaire des élèves est

également devenu l’objet d’évaluations afin de veiller à l’implication des élèves

dans les apprentissages. Bien que ces changements soient non négligeables

d’un point de vue culturel, l’école danoise n’a pas pour autant renoncé à ce qui

constitue par ailleurs une de ses forces, c’est-à-dire l’usage important d’une

évaluation centrée sur des objectifs prioritairement pédagogiques via

l’évaluation formative.

En ce qui concerne l’aide à l’orientation, de nombreux changements ont

également vu le jour ces dernières années afin de mettre en place une

préparation progressive aux choix d’orientation pleinement intégrée au suivi

des apprentissages durant toute la scolarité obligatoire.

Précisions sur l’organisation actuelle du système scolaire au Danemark :

L’école obligatoire au Danemark s’étale du Grade 1 (7 ans) au Grade 9

(16 ans). Durant cette période, tous les élèves suivent un tronc commun

durant lequel ils ne sont pas orientés, ni répartis en filières ou en classes de

niveaux. Le principe du redoublement est par ailleurs inconnu au Danemark. Il

n’est utilisé que dans des situations exceptionnelles, quand un enfant n’a pas

pu suivre correctement une année pour des raisons médicales par exemple.

Autrement, tout enfant en difficulté scolaire importante est immédiatement

dirigé vers un pédagogue ou un psychologue scolaire. Il peut aussi être assisté

pendant les cours par un autre professeur ou encore bénéficier de cours

particuliers.

La première orientation que connaissent les élèves se fait donc à la fin

du Grade 9. C’est en effet lors de ce palier que les élèves ont à choisir dans

quelle voie ils poursuivront leurs études : soit dans une filière professionnelle,

soit dans une filière technologique ou encore dans un lycée général. A la fin du

grade 9, ils doivent se présenter à un examen final, afin d’obtenir un certificat

de fin d’études. Le niveau de réussite à cet examen permet par ailleurs aux

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 97

élèves qui le souhaitent d’être dirigés vers un lycée général. Pour les élèves

qui n’ont pas atteint un niveau scolaire suffisant pour obtenir leur orientation

vers l’enseignement général secondaire ou encore pour ceux qui ne se sentent

pas prêts à s’engager dans une orientation, une année supplémentaire dite de

« transition » leur est proposée (Grade 10).

Jusqu’au grade 8, les élèves ne sont jamais notés au quotidien.

L’évaluation de leurs progrès scolaires se fait de façon formative par leur

professeur et donne lieu à des lettres globales (A, B, C, D, E, F) ou même à

des smileys, reflétant leur investissement et leur niveau dans chaque matière.

Ces évaluations font l’objet, deux fois par an, d’échanges approfondis entre

l’élève, son professeur et ses parents.

Par ailleurs, le niveau scolaire n’est pas le seul à être évalué. Diverses

compétences sont également prises en compte à un niveau très poussé,

comme les compétences sociales et les aptitudes personnelles. En ce qui

concerne les compétences sociales, le système danois « évalue » chez les

élèves, sans jugement, des compétences comme l’empathie, la serviabilité, la

volonté, la vie en groupe, le rapport à la hiérarchie etc. En ce qui concerne les

aptitudes personnelles, sont prises en compte des caractéristiques comme

l’humeur, l’esprit d’initiative, le tempérament, l’énergie psychique, l’impulsivité

etc.

Ces compétences extrascolaires sont appréciées de façon continue et

qualitative par le professeur et sont considérées avec la même importance que

les résultats scolaires. Les professeurs tiennent en effet à jour un carnet de

bord personnel pour chacun de leurs élèves dans lequel ils notent ce qu’ils

perçoivent de leurs compétences, de leurs potentiels et des progrès qui leur

restent à faire à tous les niveaux.

Avant chacune des deux mises au point annuelles, l’élève est invité à

s’auto-évaluer (au niveau scolaire, au niveau de ses compétences sociales et

aptitudes personnelles) afin d’indiquer ce qu’il s’engage à mettre en œuvre

pour s’améliorer sur ces différents points. La confrontation des points de vue

de l’élève avec ceux de son professeur donnent lieu à un bilan avec les parents

consigné dans le « livret de l’élève ». Le « livret de l’élève » suit l’élève durant

toute sa scolarité. Il faut savoir qu’au Danemark, le professeur principal est

dans le devoir de suivre les mêmes élèves au minimum pendant trois années

consécutives. Cette organisation des enseignements est faite pour permettre

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 98

aux professeurs principaux de connaître en profondeur leurs élèves, leur

personnalité, leur profil, leurs points forts et leurs axes de progrès.

A partir du Grade 8 (14 ans), des exercices notés sont introduits dans le

quotidien scolaire afin de suivre plus précisément le niveau scolaire des élèves

dans les différentes matières. Les notes vont de 0 à 12 mais ne donnent pas

lieu à des moyennes trimestrielles ou annuelles. Elles sont consignées dans le

livret de l’élève en tant qu’informations supplémentaires sur l’évolution de ses

apprentissages.

Comme nous l’avons également mentionné, il est désormais prévu que

tous les élèves passent un test national chaque année, du grade 2 au grade 9,

afin d’établir régulièrement un état des lieux approfondi de leurs acquis et de

leurs difficultés éventuelles. Ces tests se font sur ordinateur et ne donnent pas

lieu à des notes mais à un bilan. Les résultats de ces tests permettent en effet

aux équipes enseignantes d’ajuster leurs enseignements. Ainsi, si un élève,

une classe ou même un établissement présente certaines difficultés scolaires

par rapport aux autres, des remédiations spécifiques sont immédiatement

prévues afin de les aider (moyens humains, cours supplémentaires…). Au

niveau individuel, les élèves présentant des fragilités scolaires sont

particulièrement suivis par leur professeur dans le cadre d’une pédagogie

différenciée pendant le temps de classe et, si besoin, hors temps de classe.

Même si cet exercice s’avère difficile pour les professeurs, il faut savoir que la

loi danoise oblige également les établissements scolaires à ne pas mettre plus

de 28 élèves par classe.

En ce qui concerne l’éducation à l’orientation, elle est obligatoire du

grade 1 au grade 9. C’est le professeur principal qui l’assure, aidé par un

conseiller d’orientation enseignant désigné dans chaque établissement.

Intégrée de façon pédagogique dans le cursus scolaire, l’orientation fait ainsi

l’objet d’un suivi régulier par l’équipe éducative. Du grade 1 au grade 5 (11

ans), les élèves sont amenés à découvrir progressivement certaines notions

fondamentales, comme la notion de travail, de métier, d’univers professionnel.

Ils sont également invités à se projeter, à imaginer ce qu’ils aimeraient faire

plus tard, mais aussi à exprimer leurs rêves.

Du grade 1 au grade 6, un carnet d’orientation suit l’élève en

complément de son livret. L’élève est tenu de le remplir au cours de l’année en

répondant par écrit à plusieurs questions utiles à la détermination de son

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orientation. Ces questions sont très ouvertes afin de permettre à l’enfant de

développer ses idées ; de plus, elles sont conçues de façon pédagogique en

fonction des différents stades de sa maturité.

Voici un exemple des questions travaillées au grade 6 (12 ans) dans un

établissement de Copenhague :

- Est-ce que tu aimes l’école ? Pourquoi ?

- Raconte les matières que tu préfères…

- Raconte les matières que tu aimes le moins…

- Qu’est-ce que tu fais pendant ton temps libre ?

- Raconte quels sont tes rêves pour ta vie future…

- Qu’est-ce qu’il faut que tu fasses, à ton avis, pour réaliser ce(s)

rêve(s) ?

A partir du grade 7, l’éducation à l’orientation devient plus consistante.

Les élèves doivent en effet suivre deux options (maths, langues…) de

spécialisation. Le choix de ces options se fait, en concertation avec l’élève, son

professeur et ses parents, à partir de l’ensemble des informations contenues

dans le livret de l’élève (appréciations des compétences et des goûts, notes

obtenues dans les différentes matières) et dans le carnet d’orientation. C’est

aussi à partir de cette période que les élèves seront amenés à réfléchir plus

sérieusement à leur orientation dans l’optique de faire un choix à la fois

personnel et réaliste à la fin de l’école obligatoire (grade 9). Leur carnet

d’orientation se remplit alors via un intranet et les exercices de réflexion

auxquels ils doivent se livrer sont de plus en plus pointus de façon à préciser

leur projet d’orientation. De plus, ils sont, du grade 7 au grade 8, suivis par un

conseiller d’orientation enseignant. Ce dernier assure des séances de réflexion

collectives intégrées aux cours et reçoit les élèves individuellement quand ils

en ont besoin. Afin de les connaître et d’établir des ponts pertinents entre leur

profil scolaire, social et personnel et l’orientation la plus adaptée à leurs

projets, le conseiller d’orientation est également chargé de travailler en

coopération avec le professeur principal.

Au grade 9 ou au grade 10 pour certains, lors de leur dernière année en

enseignement obligatoire, tous les élèves sont censés y voir clair en termes

d’aspirations et de faisabilité, quant à la poursuite de leur parcours. Au

Danemark, l’avis des professeurs sur l’orientation des élèves tient en fait plus

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 100

lieu de recommandation que d’obligation, hormis en ce qui concerne les élèves

désireux de poursuivre en lycée général mais dont les résultats à l’examen de

fin d’études indiquent qu’ils n’auront pas le niveau suffisant pour ce projet.

Ainsi, les élèves dont les résultats scolaires, malgré une année supplémentaire

en grade 10, ne leur permettent pas d’envisager la poursuite d’études

généralistes et qui, par ailleurs ne savent toujours pas quoi faire, sont orientés

vers des centres d’orientation extérieurs chargés de les aider à construire un

projet.

L’évaluation au Danemark : un outil qualitatif au service de la réussite individuelle

et collective des apprentissages et des orientations

On ne peut pas comprendre le système scolaire danois sans comprendre

que l’enfant est mis au centre du système éducatif. Ainsi, les élèves sont

d’abord considérés comme des enfants dont il faut favoriser l’autonomie et la

socialisation, avant d’être considérés comme des apprenants qu’il convient de

discipliner et d’instruire. L’école danoise est en effet connue pour être

soucieuse du développement harmonieux de ses élèves. Cette place centrale

accordée à l’épanouissement des élèves lui a d’ailleurs porté quelques

préjudices dans la mesure où certains experts lui ont reproché de négliger les

notions d’exigence et d’effort indispensables à une réussite scolaire de qualité.

Quoiqu’il en soit, les experts s’accordent à reconnaître que l’école danoise a le

mérite d’être un lieu apprécié par quasiment tous les jeunes danois.

L’enquête PISA de 2003 a en effet montré que 90% des élèves danois

se sentent à leur place à l’école, contre 81% en moyenne dans les

pays de l’OCDE. Sur ce point, il est important de savoir qu’en France,

seulement 45% des élèves se sentent bien à l’école.

Un système d’évaluation hautement qualitatif

Au Danemark, l’école a pour fonction de transmettre les connaissances

plus que de mesurer leurs acquisitions, même si les réformes de ces dernières

années se sont justement attachées à réinstaurer plus de rigueur et

d’exigence dans le suivi des acquisitions scolaires des élèves. La relation

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 101

pédagogique entre les enseignants et les élèves reste malgré tout primordiale.

C’est pourquoi notamment l’évaluation a des fonctions nettement plus

qualitatives que quantitatives. Elle permet avant tout aux enseignants de

connaître finement le profil d’apprentissage de leurs élèves dans le but de

remédier aux difficultés scolaires qui peuvent se présenter individuellement et

collectivement.

Ainsi, l’évaluation sommative par notation, bien que réhabilitée ces

dernières années, n’est pas centrale dans le quotidien scolaire danois. Hormis

à l’occasion des examens de fin de cycle où elle permet de certifier d’un

niveau acquis, elle est avant tout utilisée comme complément pédagogique.

Elle est en effet conçue pour obtenir un diagnostic précis du niveau de chacun

des élèves, de leurs difficultés éventuelles, mais également de leur profil

d’apprenant (qu’il soit scolaire ou moins scolaire). La place importante

attribuée à cette fonction diagnostique de la notation permet aux enseignants

d’ajuster et de différencier leurs enseignements, en ce sens, l’évaluation est

mise au service d’une réussite qualitative des apprentissages de tous.

Il est aujourd’hui trop tôt pour mesurer l’impact de ces réajustements

sur les performances des élèves danois au niveau international, mais on ne

peut que souhaiter au Danemark d’atteindre à termes son objectif d’améliorer

son classement dans les enquêtes PISA.

Une absence de hiérarchisation et de sélection

L’école danoise n’établit par ailleurs aucune hiérarchisation scolaire

entre les élèves et les filières. Les jugements de valeur sont même

formellement proscrits dans le cadre scolaire. Le niveau scolaire des élèves ne

doit ainsi jamais donner lieu à des jugements distinctifs, a fortiori négatifs ou

dévalorisants. Il en est de même pour les possibilités d’orientation. Après

l’école obligatoire, aucune des voies de formation possibles n’est tacitement

considérée, soit comme une voie d’excellence, soit au contraire comme une

voie de relégation. L’élitisme est en effet absent du système d’évaluation et

d’orientation danois qui place sa priorité dans le fait d’amener tous les élèves,

indépendamment de leur niveau scolaire initial, à acquérir des outils et des

savoirs fondamentaux dans le but de réussir le mieux possible leur vie

d’adulte, de professionnel et de citoyen responsable.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 102

On est donc ici très loin d’une culture de l’excellence scolaire susceptible

d’utiliser l’évaluation sommative comme un outil de contrôle et de sélection.

Le système scolaire danois, s’inspirant en cela du système finlandais,

a ainsi cette originalité de conjuguer aujourd’hui différents modes

d’évaluation dans l’optique de se concentrer sur les processus

d’apprentissage de chaque élève plus que sur la comparaison du

niveau scolaire des élèves entre eux. Les logiques de classements ou de

compétition sont donc absentes de la culture scolaire danoise dont l’objectif

reste d’aider chaque élève à progresser le mieux possible en fonction de ses

capacités et de son rythme, tout en prévenant de façon continue les risques

d’échec scolaire.

Un système d’orientation prenant en compte l’élève dans sa globalité:

L’orientation des élèves tout comme la façon de les accompagner dans

la construction de leur orientation bénéficie de la richesse qualitative du

système scolaire dans son ensemble.

Au Danemark, l’éducation, l’évaluation et l’orientation des élèves vont

de pair, participant à donner un cadre favorable à la prise en compte des

élèves dans leur globalité. De fait, les informations qualitatives, diversifiées et

neutres dont dispose le corps éducatif sur chacun des élèves grâce au système

d’évaluation en usage permet aux choix d’orientation de se faire facilement.

Les élèves danois apprennent en effet dès leur plus jeune âge à se connaître

et à s’évaluer autrement que sur des critères strictement scolaires et surtout,

indépendamment de toute hiérarchisation scolaire. De leur côté, les

enseignants apprennent aussi à connaître et conseiller leurs élèves sur cette

base. Les élèves ne sont donc pas réduits à une valeur scolaire matérialisée

sous forme de note et c’est pourquoi leur orientation peut se faire

relativement naturellement, à partir de la prise en compte des multiples

aspects qui rentrent en jeu dans la construction d’un projet d’orientation

professionnel et à terme, dans le processus d’orientation et de formation tout

au long de la vie.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 103

En ce qui concerne la formation et l’orientation tout au long de la vie,

une récente enquête89 réalisée par l’Observatoire des Formations Et des

Métiers (OFEM) montre justement que ces deux « concepts » sont très bien

intégrés par la population danoise qui a tendance à ne pas faire de clivage

entre la formation initiale et la formation continue, le monde scolaire et le

monde professionnel. Cette enquête montre ainsi que la formation continue

fait partie intégrante du développement personnel et professionnel des danois

qui pensent entre autres à 62% qu’elle est un bon moyen de les protéger d’un

licenciement, contre seulement 18% des salariés français.

Pour conclure ce chapitre, l’exemple de la nature des réformes

engagées dans ces deux pays à partir de la mise en place d’une autre culture

de l’évaluation au sein de leur système éducatif permet de voir à quel point

l’évaluation des élèves est un enjeu majeur pour la réussite des

apprentissages et des orientations. Ces deux pays avaient pourtant au

départ une culture très différente de l’évaluation, pour ne pas dire

« opposée », mais on voit bien que leur volonté d’améliorer l’efficacité et

l’équité de leur système éducatif est passée par des réajustements en

vue de trouver dans leurs pratiques évaluatives un équilibre entre les

notes et les appréciations qualitatives, entre les savoirs scolaires et

les compétences utiles aux individus tout au long de leur vie, entre la

formation et la sélection, entre la confiance et l’exigence scolaires.

Ainsi ces deux exemples permettent de comprendre que pour lutter

efficacement contre l’échec scolaire et permettre à chaque élève de réussir au

mieux, il convient de ne pas cloisonner l’éducation, l’évaluation et l’orientation

afin de donner un sens aux apprentissages autre que celui d’un idéal scolaire à

atteindre « à tout prix ».

Or, ce que nous enseignent aussi ces deux pays c’est que cette réalité

n’est pas contradictoire avec le maintien indispensable d’un niveau d’exigence

éducatif et scolaire élevé puisque la question se trouve ailleurs. Elle se trouve

89 « La formation continue face à la crise : regards croisés France/Danemark », OFEM –CCIP, septembre 2009.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 104

en effet dans la façon avec laquelle un pays choisit d’amener les élèves à une

réussite scolaire de qualité, en se centrant sur leurs progrès et leurs

apprentissages plus que sur leurs performances seules, en adoptant des

pratiques évaluatives motivantes et diversifiées et enfin, en cultivant la

confiance en soi tout comme l’ouverture à la prise en compte de l’ensemble

des compétences (sociales, personnelles…) dont ils ont besoin pour se

construire et ne pas se sentir amputés, dans le cadre scolaire, de toute une

partie de leurs talents personnels.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 105

3/ Regard sur les nouveautés françaises :

En France, de nombreuses initiatives existent aujourd’hui qui

s’inscrivent dans le cadre d’une volonté de transformation de notre système

éducatif en vue d’en améliorer l’efficacité. Ces chantiers touchent à différents

aspects de notre système scolaire, comme la réforme du lycée, la prévention

du décrochage scolaire, l’introduction à l’école de la notion de compétences,

mais aussi l’orientation des élèves à travers « l’éducation à l’orientation »

(EAO). Or, en ce qui concerne l’amélioration de l’EAO, effectivement

indispensable si l’on souhaite que l’orientation des élèves puisse être

correctement préparée tout au long de leur scolarité, il nous semble que la

question de l’évaluation scolaire ne doit pas être absente des débats. Car ce

n’est pas en cloisonnant les registres que les difficultés rencontrées par les

jeunes en matière d’orientation pourront être supprimées. Si ces initiatives

sont à saluer, elles nous paraissent encore incomplètes. Il nous semble en

effet que la mise en place d’un ou de deux rendez-vous obligatoires avec un

conseiller d’orientation pour tous les élèves en classe de troisième par

exemple ou encore l’institution, au niveau national, d’une ouverture de l’école

à la découverte des métiers et du monde professionnel, ne suffisent pas à

supprimer la prééminence des notes dans les préoccupations quotidiennes des

jeunes et de leur famille.

Il est important de rappeler que l’orientation est un processus lent,

itératif, qui nécessite un cheminement personnel. Ce cheminement nécessite

l’existence d’un cadre favorable à un processus de maturation exigeant d’une

part, une connaissance de soi et de son profil plus poussée que la seule

connaissance de sa « valeur scolaire » et d’autre part une confiance en soi et

en ses potentialités personnelles dans le but de se projeter favorablement

dans un avenir professionnel choisi.

En ce sens, pour que l’orientation des élèves, individuellement et

collectivement soit réussie, il conviendrait que l’éducation à l’orientation

(EAO) soit intégrée en continu dans le quotidien scolaire, y compris à

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 106

travers une évaluation des élèves qui redonnerait du sens à leurs

parcours scolaires et, à terme, professionnels.

C’est pourquoi, parmi les différentes initiatives actuellement en œuvre

en France, nous avons choisi d’en présenter deux qui ont, nous semble-t-il, le

mérite de poser la question de l’évaluation des élèves.

a) Le Mouvement Contre La Constante Macabre (MCLCM)

André Antibi90 a entrepris de lutter en France contre les pratiques

d’évaluation arbitraires et injustes, à travers ce qu’il dénonce comme « la

constante macabre ». Il est aujourd’hui à la tête d’un mouvement de

réhabilitation d’une évaluation plus juste, le Mouvement Contre La Constante

Macabre (MCLCM), qui est en train de prendre de plus en plus d’ampleur dans

le monde éducatif.

La constante macabre : un dysfonctionnement au cœur de notre système

d’évaluation

Pour rappel, la constante macabre correspond à un pourcentage de

mauvaises notes qui semble implicitement nécessaire lors de la

correction des copies et le calcul des moyennes pour que l’évaluation

soit crédible. Afin de ne pas paraître laxistes ou peu sérieux, les professeurs

se sentent en effet obligés, plus ou moins inconsciemment, à mettre un

certain pourcentage de mauvais notes indépendamment de la réussite

effective des élèves. Ce pourcentage, la constante macabre, concerne environ

un tiers des notes.

Ce phénomène qui se manifeste à des degrés divers aux différents étages

du système éducatif français est, selon l’auteur, un grave dysfonctionnement

de notre évaluation qui renvoie, entre autres, à notre culture du classement.

Ainsi, « en raison de conceptions ancrées sur le classement des individus, les

90 André ANTIBI est chercheur en didactique et professeur à l'université Paul Sabatier de Toulouse et à l'école d'ingénieurs Sup-Aéro.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 107

pratiques d’évaluation apparaissent souvent comme un couperet destiné à

sélectionner »91.

Ainsi, sous la pression de la société, les enseignants sont devenus selon A.

Antibi des sélectionneurs malgré eux, alors que leur véritable mission est de

former. Or, la constante macabre participe à créer un échec scolaire

artificiel, décourageant et démotivant les élèves qui se trouvent dans

le mauvais tiers. Ces élèves sont effet injustement mis en échec malgré leur

travail et cette situation engendre une perte néfaste de confiance en eux-

mêmes, mais aussi en l’école.

André Antibi milite ainsi depuis 2003 pour lutter contre ce phénomène. Le

Mouvement Contre La Constante Macabre (MCLCM) est aujourd’hui soutenu

par pratiquement tous les partenaires du système éducatif. Les premiers à le

soutenir sont les enseignants eux-mêmes, qui reconnaissent presque à

l’unanimité aujourd’hui ce dysfonctionnement et qui sont de plus en plus

nombreux à convenir du besoin urgent d’y apporter des solutions au niveau

national.

Plus récemment, en mars 2009, le Ministère de l’Education Nationale s’est

officiellement prononcé92 en faveur du Mouvement Contre La Constante

Macabre, contribuant financièrement au mouvement dans le but de lui

permettre de poursuivre son développement.

L’Evaluation Par Contrat de Confiance (EPCC) comme solution aux conséquences

sélectives de l’évaluation :

Pour A. Antibi, des solutions simples existent à partir du moment où on

s’appuie sur l’idée d’une transparence dans les modalités pratiques et les

objectifs de l’évaluation. Dans l’idéal, il conviendrait surtout d’avoir « une

formulation bien plus précise, au niveau national, des capacités

attendues chez l’élève et [de favoriser] un climat de confiance entre

l’élève et l’enseignant. En particulier, le contenu d’une épreuve d’examen

91 Extrait du document d’appel de l’association MCLCM : « Appel pour une évaluation plus juste du travail des élèves et des étudiants », site http://mclcm.fr.92 Par le biais d’une « lettre de Monsieur le Ministre du 24 mars 2009 » adressée à l’association.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 108

ainsi que sa longueur doivent correspondre à un contrat clairement énoncé par

l’enseignant, sans piège »93.

En attendant qu’une nouvelle conception de l’évaluation sommative voit

le jour dans les textes officiels, A. Antibi a mis au point une méthode pratique

d’évaluation que l’on pourrait qualifier de déontologique et qui est aujourd’hui

relayée par de plus en plus d’enseignants. Cette méthode, l’Evaluation Par

Contrat de Confiance, a pour objectif d’ « éradiquer » la constante macabre

pour favoriser la réussite d’un maximum d’élèves et par là-même supprimer

l’échec scolaire artificiel que l’évaluation traditionnelle a tendance à produire.

L’EPCC repose en priorité sur l’information claire donnée aux

élèves en ce qui concerne la teneur des contrôles et le programme de

révision qu’ils recouvrent. La première étape consiste en effet pour

l’enseignant à communiquer une liste précise de questions déjà traitées et

corrigées en classe parmi lesquelles seront choisis les exercices à faire lors du

contrôle. Parallèlement, il doit être précisé, le cas échéant, le nombre de

points du barème réservé à un exercice ne figurant pas sur la liste.

Par ailleurs, cette liste doit concerner les notions fondamentales du

programme tout en évitant que l’apprentissage par cœur soit possible.

La deuxième étape consiste à mettre en place une séance de questions-

réponses avant le jour du contrôle. Cette séance doit permettre aux élèves

n’ayant pas compris une partie du programme de demander des explications à

leur enseignant.

La dernière étape consiste en l’élaboration soigneuse du contrôle et à la

correction du sujet : faire attention à ne pas donner des sujets trop longs,

poser une question hors liste accessible, être clair dès le début d’année sur les

exigences attendues dans la rédaction et s’y tenir,… autant de pratiques

destinées à (re)donner confiance aux élèves dans leur capacité à réussir.

Le bilan des premières expérimentations de l’EPCC est selon le MCLCM

positif :

- La constante macabre est supprimée et les moyennes de classe

augmentent,

93 Idem.

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- Un vrai climat de confiance voit le jour au sein des classes,

- Les élèves travaillent beaucoup plus, motivés par l’idée d’une

réussite accessible,

- Ils sont moins stressés,

- Les apprentissages se font mieux.

In fine, les élèves (re)trouvent une motivation à travailler d’autant plus

importante que cette méthode d’évaluation a le mérite d’avoir un impact

positif sur l’orientation, dans la mesure où elle induit automatiquement le fait

de reconsidérer également les logiques présidant à l’orientation-couperet ou à

l’orientation-sanction. Car, à partir du moment où l’évaluation est considérée

comme un outil devant en premier lieu aider les élèves à s’investir dans les

apprentissages et à réussir quelque soit leur niveau scolaire de départ, les

décisions d’orientation ne pourront que bénéficier d’un tel changement de

paradigme.

b) Le livret de compétences comme nouvel outil d’évaluation :

Petite histoire de livrets

Le « livret de compétences » est le fruit d’une longue réflexion en

France sur l’introduction de la notion de « compétences » à l’école, qui

commença avec la loi d’orientation de 1989. Cette dernière préconisait entre

autres de remplacer à l’école maternelle et primaire les classiques bulletins

scolaires par des « livrets scolaires » destinés à rendre compte plus finement

des diverses compétences des élèves et de leurs progrès. Bien qu’un modèle

officiel de « livret scolaire » ait alors été proposé, il n’était pas imposé aux

écoles qui restaient libres de l’adopter ou pas.

C’est pourquoi, malgré la cohérence des préconisations institutionnelles

successives, les mises en œuvre effectives restèrent longtemps « marquée[s]

par une réelle confusion »94. D’après l’inspection générale de l’éducation

94 « Les livrets de compétences : nouveaux outils pour l’évaluation des acquis », Rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale, n°2007-48, juin 2007, p. 31.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 110

nationale, la mise en place du livret scolaire à l’école maternelle et primaire

était encore en 2007 extrêmement disparate en fonction des enseignants, des

écoles, des départements, des circonscriptions, de sorte qu’aucune ligne

directrice commune ne pouvait émerger.

Or, ces dernières années, les recommandations internationales et

européennes quant à la prise en compte au sein des systèmes éducatifs des

compétences fondamentales nécessaires au devenir des individus ont participé

à redonner un souffle en France au projet d’instaurer à l’école un nouvel outil

d’évaluation des élèves et de communication de leurs progrès aux parents.

C’est dans ce cadre, que le « livret scolaire » s’est enrichi ces deux dernières

années afin d’expérimenter dans les classes du CE1 au CM2 la mise en place

du « socle commun des connaissances et des compétences » décrété depuis

2005.

Aujourd’hui, c’est le « livret personnel de compétences », aussi

dénommé « le livret de compétences » qui est mis en place dans certains

collèges et lycées professionnels depuis la rentrée 2009, afin d’instituer le

socle commun à tous les stades de la scolarité obligatoire.

Qu’est-ce que le socle commun des connaissances et des compétences ?

Le « socle commun des connaissances et des compétences » doit

désormais constituer la référence pour la rédaction des programmes

d’enseignement de l’école et du collège. Il ne se substitue pas à ces

programmes mais il doit en fonder les objectifs de façon à ce que tous les

élèves aient acquis les compétences définies dans le socle commun à l’issue de

la scolarité obligatoire.

Ces compétences sont au nombre de sept :

-1 La maîtrise de la langue française,

-2 La pratique d’une langue vivante étrangère,

-3 Les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et

technique,

-4 La maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la

communication,

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 111

-5 La culture humaniste,

-6 Les compétences sociales et civiques,

-7 L’autonomie et l’initiative.

Le socle commun inscrit ainsi les missions de l’institution scolaire dans

une perspective élargie puisqu’il dépasse les objectifs académiques et

disciplinaires traditionnels de l’école obligatoire pour en faire un lieu où les

élèves acquièrent également des savoir-faire et des savoir-être utiles à leur

développement personnel, social et professionnel futur. Les compétences-clé

sont en effet définies comme des compétences « qu’il est indispensable de

maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation,

construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en

société »95.

Nous n’avons pas encore à ce jour d’élément précis sur les modalités de

présentation et d’usage du « livret de compétences », mais il est censé être

utilisé comme un outil de suivi de l’acquisition des sept compétences par

chacun des élèves. Cette acquisition doit se faire dans le quotidien des

enseignements dans la mesure où chaque compétence sollicite plusieurs

disciplines, lesquelles contribuent en retour à l’acquisition de plusieurs

compétences.

Intérêts du « livret de compétences »

Les intérêts de l’instauration obligatoire du « livret de compétences » à

l’école sont multiples.

1° Il a en premier lieu le mérite de prendre en compte les évolutions de

la société en se plaçant du point de vue des jeunes et de leurs besoins,

rompant en cela avec un académisme dont les limites, entre autres celles de

l’élitisme scolaire, se montrent de plus en plus contraires et incompatibles

avec la volonté de faire réussir tous les élèves. Comme il l’est en effet signalé

dans le décret du 11 juillet 2006, la spécificité du socle commun est bien de

vouloir « donner du sens à la culture scolaire fondamentale, en se plaçant du

95 Extrait de l’article 9 de la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 112

point de vue de l’élève et en construisant les ponts indispensables entre les

disciplines et les programmes ».

Redonner du sens aux apprentissages nous paraît aujourd’hui

fondamental par rapport à ce qui nous préoccupe, dans la mesure où le

système d’évaluation et d’orientation traditionnel a tendance à favoriser chez

les élèves un sur-investissement de leurs résultats scolaires au dépend de

toute autre considération. Or, cette place centrale accordée aux notes et aux

moyennes n’offre pas, comme nous l’avons montré, les conditions favorables à

la réussite des apprentissages, tout comme elle ne favorise pas non plus une

orientation sensée.

2° Le livret de compétences a donc, en second lieu, le mérite de

donner un sens différent à l’évaluation scolaire. La prise en compte de la

notion de compétences (qu’elles soient « de base », « transversales » ou

« clés ») a cet intérêt d’insuffler un nouveau regard sur les tenants et les

aboutissants de l’évaluation puisqu’évaluer des compétences nécessite de

s’écarter de l’évaluation sommative en usage pour ce qui concerne les savoirs

disciplinaires classiques. De fait, amener les élèves à développer des

compétences-clés comme la culture scientifique ou la culture humaniste,

implique de se centrer sur les processus cognitifs d’apprentissage plus que sur

les résultats et de mettre parallèlement en œuvre des modalités d’évaluation

vis-à-vis desquelles les questions de performance et de classement ne sont

pas indiquées ni pertinentes.

3° En troisième lieu, le livret de compétences a le mérite

d’impulser une autre culture de l’évaluation, moins « punitive »96,

moins sélective et plus motivante pour les élèves. Les effets d’un tel

changement pourraient alors se faire sentir, à terme, sur l’évaluation des

savoirs disciplinaires et sur la façon d’en tirer des informations utiles,

pertinentes et justes pour l’orientation des élèves. De fait, mettre en

perspective l’évaluation de ces savoirs au regard de savoir-faire et de savoir-

96 Dans le rapport déjà cité, qui a participé à asseoir le projet du livret de compétences en France (« Les livrets de compétences : nouveaux outils pour l’évaluation des acquis », Rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale, n°2007-48, juin 2007), l’évaluation scolaire traditionnelle est évoquée en ces termes, comparativement au type d’évaluation des élèves qu’implique d’emblée la prise en compte des compétences dans le cadre scolaire.

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être plus généraux ne peut qu’être utile aux décisions d’orientation dans la

mesure où cela permet une appréciation plus globale du profil des élèves, de

leurs centres d’intérêt, de leurs points forts et de leurs axes de progrès.

4° Enfin, cette mesure a le mérite de faire de l’école un lieu qui

établit de façon constructive des ponts entre l’instruction et l’insertion

à travers des compétences-clés également utiles à la formation et à

l’orientation tout au long de la vie. Or, comme nous l’avons évoqué,

l’importance des performances scolaires au sein du système d’évaluation et

d’orientation traditionnellement en usage ne permet pas de préparer

correctement ni de familiariser les élèves aux processus d’orientation et

d’insertion professionnelles.

Limites de l’outil : entre la volonté de changer et le poids des traditions

Les limites du livret de compétences pourraient se faire sentir si cette

réforme d’une partie de notre système scolaire ne s’inscrit pas par ailleurs

dans une volonté plus large de revoir la conception française de l’évaluation et

de l’orientation. Il existe notamment le risque que dans bien des

établissements les logiques scolaires traditionnelles restent vivaces, ce qui

ferait du livret de compétences un outil d’évaluation parallèle, dont le potentiel

ne serait pas complètement exploité.

De plus, ce livret ne concerne que la scolarité obligatoire, ce qui signifie

que sa place sera minime au lycée. Ainsi, s’il permet de penser que

l’orientation en fin de 3ème se fera peut-être moins par défaut pour une grande

partie des élèves dont l’intelligence sera grâce à lui réhabilitée, que doit-on

penser des lycées généraux et technologiques soucieux de sélectionner leurs

élèves à partir de critères renvoyant à l’excellence scolaire ?

Ainsi, est-ce que le livret de compétences est un outil d’évaluation qui

s’avèrera, dans les faits, utile pour apporter une alternative efficace à la

culture élitiste française ? Est-ce qu’il sera suffisant pour lutter contre la

suprématie des notes et des savoirs scolaires dans les processus

d’orientation ? Est-ce qu’il sera utile pour véritablement redonner aux élèves le

goût et le plaisir d’apprendre ? Enfin, est-ce qu’il sera par là-même suffisant

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pour lutter efficacement contre un échec scolaire trop souvent décrété en

raison de performances jugées insatisfaisantes dans les matières

disciplinaires ?

Certes, on peut se dire que le mouvement parallèle d’A. Antibi en faveur

d’une évaluation scolaire plus juste et plus motivante ne peut que participer à

ce que les mentalités finissent par évoluer.

Néanmoins, il serait souhaitable que ces deux initiatives, le

MCLCM et le livret de compétences, s’inscrivent dans un mouvement

unique, global et cohérent qui témoignerait d’une volonté

institutionnelle de transformer en profondeur, comme au Danemark

ou comme en Suisse, notre système scolaire d’évaluation et

d’orientation en vue de lui donner une dimension plus pédagogique et

plus motivante pour les élèves.

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© BIOP / CCIP – Novembre 2009 115

CONCLUSION :

Notre système d’évaluation et d’orientation souffre globalement de

dysfonctionnements qui, quand on prend le temps de les interroger, nous

semblent avoir des coûts importants, tant au niveau individuel que collectif.

Ces dysfonctionnements renvoient en premier lieu à une incohérence

forte dans ce qui définit le rôle de l’évaluation scolaire dans les processus

d’orientation : tandis que les notes sont par définition peu fiables et peu

informatives pour les décisions d’orientation, elles sont néanmoins

considérées dans notre société comme les atouts les plus fiables et les

plus pertinents pour réussir son orientation.

Ce paradoxe tient pour une grande part à l’existence d’une tradition

scolaire relativement élitiste qui sous-tend une grande partie de notre système

scolaire et qui s’exprime notamment dans la politique de certains

établissements généralistes. Au nom d’une recherche de plus en plus précoce

d’un idéal scolaire, certains établissements demandent en effet tacitement aux

élèves un haut niveau de performance scolaire pour pouvoir s’orienter dans les

filières dites d’excellence. Dans cette logique, les notes sont utilisées comme

« des carottes » dans le cadre de pratiques évaluatives, comme le rappelle

l’inspection générale de l’éducation nationale97, s’inscrivant dans la tradition

d’une « pédagogie de l’émulation et de la contrainte », de la « récompense »

et de la « punition ». Cette façon traditionnelle d’évaluer les élèves peut donc

conduire à des pratiques relativement sévères. De plus, étant destinées à

amener les élèves à travailler dur dans les différentes disciplines académiques

afin de sélectionner les meilleurs, ces pratiques laissent peu de place à

l’épanouissement des élèves ainsi qu’au développement de compétences

pourtant recherchées aujourd’hui par les recruteurs lors de l’insertion sur le

marché du travail.

Tout tend en effet à montrer que cet usage de l’évaluation par notation

induit des effets secondaires nuisibles au développement des élèves, à la

97 « Les livrets de compétences : nouveaux outils pour l’évaluation des acquis », Rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale, n°2007-48, juin 2007, p. 6.

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construction de leur projet d’orientation et même, pour certains, de leur

parcours scolaire et professionnel.

Ainsi, en dehors du fait que cet usage de la notation fait de l’ombre aux

établissements et aux enseignants pourtant nombreux à cultiver des pratiques

d’évaluation valorisantes pour les élèves, il est surtout regrettable de voir qu’il

participe à démotiver de nombreux élèves y étant exposés. Nous avons en

effet montré l’incidence négative des pratiques éducatives trop fortement

centrées sur les résultats scolaires sur la motivation des élèves. Plus

précisément, cet usage excessif de la note nous semble dans certains cas

contre-productif dans la mesure où il nuit à la quantité ou à la qualité de

l’investissement scolaire d’un grand nombre d’élèves.

Les élèves les moins bien adaptés à la norme scolaire ont en effet

tendance à se décourager, désinvestissant leurs apprentissages, quand ce

n’est pas plus largement l’école, risquant à terme de se trouver dans des

situations d’échec scolaire plus ou moins importantes.

Or, la question du décrochage scolaire est un des enjeux majeurs de

notre école en tant qu’institution devant conduire chacun des élèves à

s’instruire, se former, se qualifier et si possible apprendre à s’orienter tout au

long de la vie, dans le but de s’insérer durablement dans la société tout

comme sur le marché du travail. Ainsi, l’échec scolaire est au cœur des

questions que soulève aujourd’hui notre système éducatif98. Dans les esprits,

l’échec scolaire est même souvent assimilé à une « mauvaise orientation » et

inversement.

Face à cette analyse, il nous paraît important de voir que l’évaluation

scolaire en usage n’est pas étrangère à ce phénomène. Plus largement, elle

nous paraît constituer un élément important des difficultés que rencontrent de

plus en plus de jeunes et de parents en matière de réussite scolaire et

98 Le rapport de J.-P. Vermès insistait déjà en 2005 sur la question centrale de l’échec scolaire comme étant un des points de dysfonctionnement de notre système scolaire, qui pourrait entre autres trouver une solution avec la mise place d’une culture de l’orientation tout au long de la vie : « L’orientation tout au long de la vie », CCIP, 2005.

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d’orientation, dans la mesure où, comme le mentionne P. Perrenoud, « sans

évaluation, il n’y aurait ni réussite, ni échec scolaire »99.

Par ailleurs, à côté des élèves en échec scolaire, les élèves bien adaptés

à la norme scolaire ne sont pas moins exempts de certaines difficultés,

notamment en matière d’orientation professionnelle. Ce sont en effet des

élèves qui risquent de surinvestir les notes au dépend de la qualité de leurs

apprentissages, mais également au dépend de la réussite de leurs choix

d’orientation. Leur réussite sur le plan scolaire est en effet susceptible de les

conduire à suivre des parcours tout tracés, indépendamment de leurs

motivations et savoir-faire personnels.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que la place centrale des notes

dans le système scolaire constitue selon nous un problème majeur au niveau

de l’orientation des élèves aujourd’hui.

En outre, les notes ayant été mises en place pour évaluer des savoirs

scolaires, elles sont par conséquent réductrices quant à ce qu’elles

communiquent des élèves et de leur profil. Car il convient de ne pas oublier

que l’orientation est avant tout une question de compétences, de

motivation et de personnalité plus que de performances scolaires et

qu’une orientation réussie ne dépend pas uniquement de la réussite

scolaire telle qu’elle est définie par l’école.

Les conséquences d’un tel système ont, nous semble-t-il, un coût non

négligeable. Elles ont d’abord un coût humain pour les élèves que ce système

tend à exclure. Elles ont donc aussi un coût social et économique. Les élèves

disqualifiés d’un point de vue scolaire risquent en effet de se retrouver par la

suite marginalisés professionnellement et socialement. Mais elles ont

également un coût économique en ce qui concerne les élèves dits « bons »,

invités à s’orienter à partir de leur réussite scolaire comme seul critère. Cette

démarche, peu réfléchie, risque alors d’en conduire certains à ne pas trouver

de sens à leur activité professionnelle, mais à se trouver en revanche

99 Dans son ouvrage, La fabrication de l’excellence scolaire, du curriculum aux pratiques d’évaluation, Paris : Broché (1995), P. Perrenoud montre que l’évaluation pratiquée à partir d’une norme d’excellence scolaire définissant des critères de réussite et des critères d’échec, produit inévitablement de l’échec scolairecomme contrepartie à la réussite des élèves adaptés à la norme en place.

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confrontés au dilemme, soit de se réorienter, soit d’accepter de ne peut-être

pas donner le meilleur d’eux-mêmes dans leur parcours.

Les remèdes aujourd’hui apportés à la question scolaire en France,

comme le MCLCM d’A. Antibi ou le « livret de compétences », nous paraissent

en ce sens témoigner d’une prise de conscience importante dans la mesure où

ils constituent des avancées significatives sur le plan de notre système

éducatif. Mais ces remèdes, bien que pertinents dans leur registre, ne

constituent cependant pas un ensemble de mesures cohérentes et intégrées,

prises dans le souci de changer en profondeur notre conception de l’évaluation

et de l’orientation des élèves au niveau national et à tous les échelons du

système éducatif.

Les faits tendent pourtant à montrer que les pays qui font de la

question de l’équité et de l’efficacité de leur système éducatif (comme

le Danemark, la Suisse et bien sûr la Finlande, mais aussi le Canada)

l’une de leur priorité nationale, ont placé au fondement de leur projet

de réforme scolaire le développement d’une culture de l’évaluation

plus juste, plus formative, plus aidante et plus orientante pour les

élèves.

Dans un monde où de plus en plus de pays font du savoir, de la

connaissance100 et des compétences-clés apprises à l’école, la première arme

économique, il nous paraît en effet urgent de transformer rapidement

notre vision de l’évaluation afin de poser les jalons d’une orientation

réussie des personnes tout au long de leur vie.

100 La stratégie de Lisbonne a en effet désigné la promotion de la connaissance comme un des axes majeursde la politique économique et de développement de l'Union européenne arrêtée au Conseil européen de Lisbonne en mars 2000. Le conseil européen de Lisbonne a ainsi fixé un objectif stratégique visant à faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».