2
formation | étiologie 10 OptionBio | Lundi 23 mars 2009 | n° 415 L es maladies infectieuses existent depuis le néolithique. Alors les chasseurs-cueilleurs deviennent sédentaires, les naissances augmentent et les cités se construisent, le contact avec les animaux devient plus important... les premières maladies infectieuses apparaissent : tuberculose, lèpre, etc. La fabuleuse évolution de la connaissance Au fil de l’histoire, deux concepts s’affrontent : les Mésopo- tamiens relient la maladie à Dieu (notion de péché, de faute), tandis que les Grecs, plus pragmatiques, élaborent la théorie miasmatique... À la Renaissance, Fracastor (1483-1553), médecin italien, conceptualise la notion de contagion pour la tuberculose, la syphilis, transmise par une “semence” invisible de l’homme à l’homme. La science avait progressé grâce à l’anatomie : à Venise, des autopsies étaient pratiquées dans les églises, seul endroit autorisé. Ainsi, le lien put être fait par exemple entre les ascaris et l’occlusion. En 1687, Giovan Bonomo (1663-1696) “découvre” la gale. Le sarcopte était connu depuis l’Antiquité mais jamais il n’avait été relié à la maladie. Bonomo met en évidence qu’il existe des mâles et des femelles, la ponte d’œufs ; il contamine volontai- rement un sujet sain pour prouver la contagiosité. Au XIX e siècle, beaucoup d’études sont réalisées sur les plan- tes et les animaux : mildiou des pommes de terre, maladie des vers à soie (Botrytis bassiana). Louis Pasteur (1822-1895) travaille lui aussi sur les vers à soie. Il sera mis en évidence que des champignons parasites peuvent induire des maladies chez les plantes, favorisant des raisonnements similaires pour des maladies humaines. Grâce au microscope, les dermatolo- gues constatent que des champignons sont responsables des teignes faviques. Semmelweis (1818-1865), en étudiant les fièvres puerpéra- les, imagine un lien entre la mort des femmes et les mains des étudiants... Henle (1809-1885) et Kock (1843-1910) en 1882 identifient les agents responsables de la tuberculose et du choléra. Seule reste l’énigme de la transmission virale. La mise au point de nouveaux matériels de laboratoire, comme le filtre de por- celaine de Chamberland ouvre de nouvelles perspectives. En 1892, Ivanoski (1864-1924) met en évidence des virus. Puis ce sont à nouveau les études sur les plantes qui font avancer la science : Stanley (1904-1971), vers 1930, cristallise le virus de la mosaïque du tabac. Et depuis ? Les travaux de Diener, vers 1970, sur les pommes de terre, identifient une nouvelle forme d’agent infectieux : les viroïdes. Les viroïdes n’existent-ils que dans le règne végétal ? Le virus de l’hépatite delta possède un domaine viroïde... En 1982, est distinguée une autre nouvelle forme d’agent infec- tieux : le prion. Au début des études sur la tremblante du mouton, il semblait que l’ingestion de broyats de cerveau ne transmettait pas la maladie, mais en fait les observations ne duraient pas assez longtemps (15 à 21 mois par inoculation intra-oculaire). Les Forés, peuple de Papouasie en Nouvelle-Calédonie, man- gaient leurs ancêtres à la mort de ces derniers, et la transmission était assurée par les femmes et les enfants qui mangeaient le cerveau, faisant apparaître le kuru. C’est Prusiner qui introduit la notion de prion. La purification à partir de plaques amyloïdes du cerveau permet d’isoler une protéine parfaitement connue (254 AA, gène prP, chromosome 20). Le gène normal est indispensa- ble au développement de la maladie. La protéine anormale a une forme anormale, pas de mutation. La théorie actuelle est que quelques picogrammes de protéines anormales s’associent aux protéines normales et provoquent une réaction en chaîne. Pas d’égalité face à l’infection Jusqu’au début du XIX e siècle, plus de la moitié des enfants mourraient de tableaux fébriles. Vers 1900, il est mis en évi- dence qu’en fait un certain nombre d’infections sont inap- parentes : le “microbe” est nécessaire, mais cependant pas suffisant pour déclencher la maladie infectieuse. Quel est alors L’évolution de la connaissance sur les agents infectieux L’évolution de la connaissance des maladies infectieuses est à la fois fabuleuse...et toujours incomplète ! La curiosité et les observations des chercheurs doivent rester entières pour avancer encore dans la compréhension de ces interrelations complexes entre l’homme et les agents infectieux, aboutissant ou non à la maladie infectieuse. L’exemple de l’encéphalite herpétique L’encéphalite herpétique touche les personnes sans passé d’infection herpé- tique ; elle est très commune, n’apparaît qu’une seule fois, n’est ni familiale ni opportuniste, et parfois l’herpès simplex (HSV-1) peut être responsable d’encéphalite calamiteuse... C’est une maladie très mal comprise : l’HSV ne touche alors aucun autre organe, pas même les tissus épithéliaux, il passe directement par le bulbe olfactif. Est-ce une maladie génétique ? Il n’est pas observé de déficit immunitaire pri- maire, ni d’argument épidémiologique, ni d’anomalie immunitaire. Une enquête épidémiologique a cependant mis en évidence 10 à 15 % de consanguinité dans le cas d’encéphalite chez l’enfant, et une atteinte plus tôt que l’âge habituel de la primo-infection. L’encéphalite herpétique appartiendrait-elle au groupe des maladies monogé- niques avec un caractère épigénétique qui serait l’âge ?

L’évolution de la connaissance sur les agents infectieux

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L’évolution de la connaissance sur les agents infectieux

formation | étiologie

10 OptionBio | Lundi 23 mars 2009 | n° 415

Les maladies infectieuses existent depuis le néolithique. Alors les chasseurs-cueilleurs deviennent sédentaires, les naissances augmentent et les cités se construisent, le

contact avec les animaux devient plus important... les premières maladies infectieuses apparaissent : tuberculose, lèpre, etc.

La fabuleuse évolution de la connaissanceAu fil de l’histoire, deux concepts s’affrontent : les Mésopo-tamiens relient la maladie à Dieu (notion de péché, de faute), tandis que les Grecs, plus pragmatiques, élaborent la théorie miasmatique...À la Renaissance, Fracastor (1483-1553), médecin italien, conceptualise la notion de contagion pour la tuberculose, la syphilis, transmise par une “semence” invisible de l’homme à l’homme. La science avait progressé grâce à l’anatomie : à Venise, des autopsies étaient pratiquées dans les églises, seul endroit autorisé. Ainsi, le lien put être fait par exemple entre les ascaris et l’occlusion.En 1687, Giovan Bonomo (1663-1696) “découvre” la gale. Le sarcopte était connu depuis l’Antiquité mais jamais il n’avait été relié à la maladie. Bonomo met en évidence qu’il existe des mâles et des femelles, la ponte d’œufs ; il contamine volontai-rement un sujet sain pour prouver la contagiosité.Au XIXe siècle, beaucoup d’études sont réalisées sur les plan-tes et les animaux : mildiou des pommes de terre, maladie des vers à soie (Botrytis bassiana). Louis Pasteur (1822-1895) travaille lui aussi sur les vers à soie. Il sera mis en évidence que des champignons parasites peuvent induire des maladies chez les plantes, favorisant des raisonnements similaires pour des maladies humaines. Grâce au microscope, les dermatolo-gues constatent que des champignons sont responsables des teignes faviques.Semmelweis (1818-1865), en étudiant les fièvres puerpéra-les, imagine un lien entre la mort des femmes et les mains des étudiants... Henle (1809-1885) et Kock (1843-1910) en 1882 identifient les agents responsables de la tuberculose et du choléra.Seule reste l’énigme de la transmission virale. La mise au point de nouveaux matériels de laboratoire, comme le filtre de por-celaine de Chamberland ouvre de nouvelles perspectives. En 1892, Ivanoski (1864-1924) met en évidence des virus. Puis ce sont à nouveau les études sur les plantes qui font avancer la science : Stanley (1904-1971), vers 1930, cristallise le virus de la mosaïque du tabac.

Et depuis ? Les travaux de Diener, vers 1970, sur les pommes de terre, identifient une nouvelle forme d’agent infectieux : les viroïdes. Les viroïdes n’existent-ils que dans le règne végétal ? Le virus de l’hépatite delta possède un domaine viroïde...En 1982, est distinguée une autre nouvelle forme d’agent infec-tieux : le prion. Au début des études sur la tremblante du mouton, il semblait que l’ingestion de broyats de cerveau ne transmettait pas la maladie, mais en fait les observations ne duraient pas assez longtemps (15 à 21 mois par inoculation intra-oculaire). Les Forés, peuple de Papouasie en Nouvelle-Calédonie, man-gaient leurs ancêtres à la mort de ces derniers, et la transmission était assurée par les femmes et les enfants qui mangeaient le cerveau, faisant apparaître le kuru. C’est Prusiner qui introduit la notion de prion. La purification à partir de plaques amyloïdes du cerveau permet d’isoler une protéine parfaitement connue (254 AA, gène prP, chromosome 20). Le gène normal est indispensa-ble au développement de la maladie. La protéine anormale a une forme anormale, pas de mutation. La théorie actuelle est que quelques picogrammes de protéines anormales s’associent aux protéines normales et provoquent une réaction en chaîne.

Pas d’égalité face à l’infectionJusqu’au début du XIXe siècle, plus de la moitié des enfants mourraient de tableaux fébriles. Vers 1900, il est mis en évi-dence qu’en fait un certain nombre d’infections sont inap-parentes : le “microbe” est nécessaire, mais cependant pas suffisant pour déclencher la maladie infectieuse. Quel est alors

L’évolution de la connaissance sur les agents infectieux

L’évolution de la connaissance des maladies infectieuses est à la fois fabuleuse...et toujours incomplète ! La curiosité et les observations des chercheurs doivent rester entières pour avancer encore dans la compréhension de ces interrelations complexes entre l’homme et les agents infectieux, aboutissant ou non à la maladie infectieuse.

L’exemple de l’encéphalite herpétiqueL’encéphalite herpétique touche les personnes sans passé d’infection herpé-

tique ; elle est très commune, n’apparaît qu’une seule fois, n’est ni familiale

ni opportuniste, et parfois l’herpès simplex (HSV-1) peut être responsable

d’encéphalite calamiteuse... C’est une maladie très mal comprise : l’HSV ne

touche alors aucun autre organe, pas même les tissus épithéliaux, il passe

directement par le bulbe olfactif.

Est-ce une maladie génétique ? Il n’est pas observé de déficit immunitaire pri-

maire, ni d’argument épidémiologique, ni d’anomalie immunitaire. Une enquête

épidémiologique a cependant mis en évidence 10 à 15 % de consanguinité dans

le cas d’encéphalite chez l’enfant, et une atteinte plus tôt que l’âge habituel

de la primo-infection.

L’encéphalite herpétique appartiendrait-elle au groupe des maladies monogé-

niques avec un caractère épigénétique qui serait l’âge ?

Page 2: L’évolution de la connaissance sur les agents infectieux

étiologie | formation

OptionBio | Lundi 23 mars 2009 | n° 415 11

le rôle de la susceptibilité individuelle ? Plusieurs théories sont avancées actuellement.• Selon la théorie microbienne, la perpétuelle évolution de la virulence est due au seul microbe.• Selon la théorie écologique, c’est l’environnement, très varia-ble, qui est responsable de la variabilité clinique.Ces deux théories sont plausibles mais entre des populations différentes ; elles n’expliquent sans doute pas les différences constatées au sein d’une même famille.• Selon la théorie épigénétique, l’âge par exemple influe sur la maladie, de même que les vaccins... cependant il existe des variabilités au sein de la population vaccinée...• Selon la théorie génétique, en place depuis Pasteur, on parle de génétique humaine des maladies infectieuses et donc en termes de prédisposition :– avec la prédisposition monogénique, rare, comme un défi-cit immunitaire héréditaire (Bruton) où un gène est associé à plusieurs agents ;– avec la prédisposition polygénique, comme le trait drépano-cytaire qui protège du paludisme (Allison) où une infection est associée à plusieurs gènes.De fait, l’interrelation entre agent infectieux et organisme hôte est souvent complexe, comme en témoigne le cas de l’encépha-lite herpétique (encadré).

Y a-t-il encore des germes, et des gènes, à trouver ?La recherche de germes ne se programme pas, elle est faite de curiosité, d’observation, de ténacité... et de hasard. Ainsi, si Burkitt n’avait pas observé que deux enfants du même vil-lage présentaient la même tumeur, il n’aurait pas eu l’idée de faire une enquête qui l’a conduit à dresser une cartographie de ce lymphome. Et à la suite d’une conférence en présence d’Epstein, Burkitt envoie un échantillon de tumeur au labora-toire, un étudiant se pique et... développe une mononucléose infectieuse.Robin Warren et Barry Marshal, prix Nobel en 2005, mettent en évidence au début des années 1980 des bactéries dans les ulcères du duodénum, gastrites, maltomes et cancers de l’estomac : Helicobacter pylori. Pourtant la communauté scien-tifique refuse cette découverte jusqu’en 1992. Et aujourd’hui, on assiste à une baisse très importante des cancers gastriques par mise sous antibiothérapie. |

ROSE-MARIE LEBLANC

consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

SourceCommunications de P. Berche et J.-L. Casanova, lors des 50es Journées de biologie clinique Necker, janvier 2008, Paris.