L´express - dossier sahara occidental

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  • 7/26/2019 Lexpress - dossier sahara occidental

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    Jeudi 2 mars 2006

    L'Express du 16/05/2005Sahara

    Des ennemis de trente ans

    par Dominique Lagarde

    Dclench en 1975 avec la Marche verte, le conflit entre le Maroc et le Front Polisario - soutenu parl'Algrie - est dans l'im passe. Malgr les efforts dploys par l'ONU, les plans de rglement successifsse heurtent l'intransigeance de l'une ou l'autre partie

    C'est une guerre vieille de trenteans qui pourrait bien continuer s'ensabler longtemps encore. Le28 avril dernier, le Conseil descurit de l'ONU a, comme il lefait deux fois par an depuis 1991,prorog pour six mois le mandatde la Minurso (Mission des Nations

    unies pour l'organisation d'unrfrendum au Sahara occidental).Personne ne sait quand sedroulera ce scrutin, ni mme s'ilpourra un jour se tenir. Mais lesquelque 250 observateurs de laMinurso surveillent une trve quenul, heureusement, ne menacesrieusement de rompre, du moinstant qu'ils sont l. Et les Nationsunies prfrent continuer payer -elles dboursent tous les mois 3,7millions de dollars - plutt que decourir le risque de voir le conflitractiv. Car les efforts entreprispour tenter de parvenir uneamorce de rglement ont jusqu'icichou.

    Charg en 1996 par les Nationsunies de relancer un processus de

    paix au point mort, l'ancien secrtaire d'Etat amricain James Baker a multipli, pendant sept ans, lesrencontres et les runions, labor deux projets de rglement et, finalement, jet l'ponge. Soutenu parWashington et Paris, son premier plan organisait, pour une priode de cinq ans, une autonomie soussouverainet marocaine et prvoyait ensuite un rfrendum sur le statut dfinitif du territoire. Accept dubout des lvres par les Marocains, il fut aussitt rejet par le Polisario et son mentor algrien. Deux ans plustard, le mme James Baker prsentait une nouvelle mouture de son plan, avec une priode transitoireramnage pour donner plus d'autonomie aux Sahraouis.

    Une solution politiqueCeux-ci y taient appels grer le territoire avec l'aide de l'ONU, y compris la scurit qui, dans le premierprojet, restait aux mains des Marocains. Le Polisario donnait, cette fois, son accord mais le Maroc opposaitune fin de non-recevoir un scnario impliquant le retrait de ses forces de scurit. Soucieux de ne pasheurter Rabat, le Conseil de scurit de l'ONU se contentait, le 31 juillet, d'adopter une rsolution (la 1495)appuyant et demandant aux parties de travailler son acceptation et son application. Les parties,constatait James Baker dans son ultime rapport-bilan, manquent toujours de la volont ncessaire pourparvenir une solution politique du conflit. Avant de rendre, le 11 juin 2004, son tablier Kofi Annan.

    Un an plus tard, rien n'a chang. Il n'existe pas d'accord quant aux mesures qui pourraient tre prises poursurmonter l'impasse actuelle, dplorait le secrtaire gnral de l'ONU, le 22 octobre dernier, dans un nimerapport au Conseil de scurit. Quelques jours plus tard, le Conseil adoptait, comme il le fera de nouveau le 28avril, une rsolution prorogeant le mandat de la Minurso et raffirmant son attachement un rglement juste,durable et mutuellement acceptable qui permette l'autodtermination du peuple du Sahara occidental. Sansillusions

    En ralit, ni le Maroc ni le Polisario ne sont prts accepter un rfrendum qu'ils ne seraient pas assurs degagner. Ni moi ni le peuple marocain n'accepterons jamais de renoncer notre souverainet sur cesprovinces, raffirmait le roi Mohammed VI la mi-janvier dans une interview au quotidien espagnol El Pais,avant de prner une solution politique qui consisterait permettre la population concerne de grer sesaffaires dans le cadre de la souverainet du Maroc.

    Une sorte d'accord taciteSoutenu par l'Algrie, le Polisario, de son ct, exige toujours un rfrendum d' autodtermination. Il espreque celui-ci puisse dboucher sur l'indpendance du territoire. Alors, de temps autre, la polmique enfleentre Alger et Rabat, qui s'accusent mutuellement d'tre responsables de l'impasse. Puis le souffl retombe

    jusqu' la prochaine crise.

    La visite Alger du roi Mohammed VI, l'occasion du Sommet arabe des 22 et 23 mars derniers, semble avoiramorc un dgel entre les deux pays. Le 2 avril, le prsident Abdelaziz Bouteflika a, en effet, annonc que lesressortissants marocains pourraient dsormais se rendre en Algrie sans visa, rpondant ainsi une mesure

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    similaire prise au dbut de l'anne par le souverain chrifien. En revanche, la rencontre d'Alger ne semble pasavoir permis d'avancer sur le dossier du Sahara. Sinon une sorte d'accord tacite pour que cette question restedu domaine des Nations unies et qu'elle n'entrave pas la reprise de la coopration bilatrale. Comme si chacunavait, finalement, intrt au statu quo.

    Fin 2001, L'Express s'tait rendu dans les provinces sahariennes (1), c'est--dire dans la rgion contrle parle Maroc - 80% du territoire - entre l'ocan et la ligne de dfense rige par les forces armes royales. Cettefois, notre correspondante en Algrie, Baya Gacemi, a visit les camps de rfugis du Polisario, o denombreux militants associatifs, notamment espagnols, apportent leur aide aux Sahraouis. Nous avons

    galement rencontr, Alger, Mohamed Yeslem Bissat, ambassadeur de la Rpublique arabe sahraouiedmocratique et, Rabat, Ahmed Snoussi, ancien reprsentant permanent du Maroc l'ONU.

    (1) Voir L'Expressdu 18 octobre 2001.

    L'Express du 16/05/2005

    Des Sahraouis trs entours

    de notre envoye spciale Baya Gacemi

    Nourriture, mdicaments, culture... dans les camps de rfugis du Poli sario, la vie continue grce auxONG europennes, trs prsentes De notre envoye spciale

    L'aroport de Tindouf, 2 000 kilomtres au sud-ouest d'Alger, grouille de monde en cette fin du mois defvrier. Six avions viennent de s'y poser. Espagnols, Nerlandais ou Italiens, des centaines de militantsassociatifs, membres d'organisations non gouvernementales (ONG), en dbarquent. Ces amis du peuplesahraoui vont aussitt prendre la route pour rejoindre les camps de rfugis qui les accueilleront. Ils ont faitde l'aroport de Tindouf le deuxime d'Algrie pour la frquentation trangre. C'est comme cela toutel'anne, lance un employ de l'aroport, en tout cas, de septembre juin. Animation insouponne, mmepour ceux qui viennent d'Alger. Et qui seront encore plus tonns lorsqu'ils prendront la route qui les mneraaux camps.

    Une route droite, borde de palmiers, bien claire et bien entretenue, conduit au check point qui dlimite lafrontire entre les territoires algrien et sahraoui. Le paysage, ensuite, change. C'est la dsolation, une visionde fin du monde. Ici, le mot dsert prend tout son sens. Un dcor plat et de la rocaille brune, perte de vue.On est loin des dunes chatoyantes vantes par les tour-oprateurs lorsqu'ils dcrivent le Sahara. Les vents -prcoces cette anne - soulvent le sable en tornade. Il envahit tout, s'infiltre dans les yeux, les oreilles, labouche, l'intrieur des vtements. Comme chaque anne, les Sahraouis quittent pour quelques mois leurs

    maisons en terre et se rfugient dans les tentes en toile, plantes au milieu du sable. A l'intrieur, on al'impression que le vent, amorti par les pans de toile, se fait moins violent. Image insolite dans un tel dcor:devant chaque habitation trne un panneau solaire, offert par une ONG espagnole. Grce cette initiative,tous les foyers reoivent de l'lectricit. Mme les lampes torches fonctionnent avec cette nergie venue dusoleil. Il n'y a pas que les panneaux solaires. Ce sont les ONG qui fournissent aux Sahraouis pratiquementtout: une partie de la nourriture, les vtements, les mdicaments, les soins. Les visites et les sjours rguliersdes militants associatifs sont essentiels pour ces populations trs isoles. Maria, mdecin espagnole, est ldepuis deux semaines. Cette spcialiste de gastro-entrologie est venue pour un mois avec une quipepluridisciplinaire de 20 personnes. Infirmiers, anesthsistes, techniciens de la sant, cardiologues,ophtalmologistes et gyncologues essaient de rpondre la demande de soins d'un groupe de Sahraouis. Lesbesoins ont t rpertoris auparavant par une autre quipe de la mme association.

    Une ouverture sur le mondeD'autres missions mdicales font la mme chose, dans d'autres camps. Ce qui fait des Sahraouis des gensrelativement bien soigns, malgr les conditions de vie trs rudes et l'tat de misre visible ds le premierabord. Cette anne, des oprations chirurgicales ont t ralises par le biais de la tlmdecine, grce uneliaison par satellite avec le centre de Barcelone. Fait remarquable: le planning familial fonctionne trs biengrce, d'une part, une prise en charge mdicale correcte, mais aussi la place importante qu'occupe lafemme dans la famille. Dans la majorit des cas, le nombre d'enfants ne dpasse pas quatre. Les Sahraouissont mme tonns d'apprendre que les familles sont souvent bien plus nombreuses dans les campagnesmarocaine ou algrienne. La libert qui caractrise les relations entre les hommes et les femmes est de nature faire rver bien des Algriens Peut-tre parce que les associatifs apportent aussi une ouverture sur lemonde.

    La veille de notre arrive, deux appareils s'taient poss sur l'aroport de Tindouf, avec, outre une missionautrichienne de formateurs administratifs, des gens du cinma. Ces derniers venaient participer au Festivalinternational du cinma du Sahara, le Fisahara, dont la deuxime dition, du 3 au 6 mars, s'est vouluerellement multiculturelle. Les Espagnols taient, bien sr, trs prsents - ils l'taient dj l'an dernier, et PedroAlmodovar, qui n'avait pas pu faire le dplacement, avait mme tenu envoyer son dernier film avec unmessage de soutien appuy - mais de nombreux cinastes venus de bien d'autres pays avaient cette fois fait levoyage: Sngalais, Pruviens, Boliviens, Cubains Un Danois aussi. Avec des quantits impressionnantesde matriel, ces festivaliers ont organis sur place des ateliers de formation l'audiovisuel - ralisation, histoiredu cinma, montage, son, photo, etc. - pour les jeunes Sahraouis, qui s'y sont lancs avec enthousiasme.Mme les enfants entre 5 et 12 ans ont eu droit des sances d'initiation au cinma d'animation. Dirigconjointement par Abdullah Arabi, reprsentant du Front Polisario auprs de la Communaut de Madrid, etJos Taboada Valdes, architecte et prsident de l'Association des amis du peuple sahraoui, le festival a touvert par Mohamed Abdelaziz, prsident de la Rpublique arabe sahraouie (RASD) et secrtaire gnral du

    Polisario.

    Un lien avec l'extrieurD'autres ONG espagnoles se chargent, elles, de mettre en contact des familles sahraouies avec des famillesde la pninsule Ibrique. Celles-ci rendent souvent visite leurs protgs et leur apportent des cadeaux, de

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    l'argent et, surtout, un lien avec l'extrieur. Ainsi, il n'est pas un seul enfant qui n'ait son tuteur en Espagne ouailleurs en Europe et mme aux Etats-Unis. 10 000 enfants partent chaque anne en vacances l'tranger,essentiellement dans un pays occidental. Le choc est plus grand au retour parce qu'ils voient ailleurs tout cequ'ils ne peuvent avoir ici, regrette Maria. Mais, en mme temps, c'est bien qu'ils aient a, sinon, ils seraientenferms dfinitivement sur ce territoire ingrat. Ce qui fait d'eux de parfaits hispanophones - les adultes aussid'ailleurs, grce l'enseignement bilingue obligatoire jusqu' l'ge de 16 ans. Curieusement, de tous lesenfants rencontrs, un seul, Yassine, 14 ans, rve de vivre en Espagne. Quand je serai un peu plus grand, jene reviendrai pas aprs mes vacances, dit-il. Les autres n'imaginent pas leur vie ailleurs qu'au milieu desleurs.

    Et puis, il y a le pays librer. C'est le leitmotiv d'Ahmed, 25 ans, journaliste la radio Sahara libre. L'Etatsahraoui m'a duqu, comme il a permis tous ses enfants de faire des tudes partout dans le monde. Noussommes obligs de lui rendre ce qu'il a fait pour nous. Emigrer, c'est tre inconscient de notre cause. En effet,aprs des tudes de journalisme l'cole de Sidi Bel Abbs ( 400 kilomtres l'ouest d'Alger), ce polyglotteest retourn parmi les siens. Il anime des missions de culture, de sport et de politique sur la seule chane deradio du pays. Il a le sens de la repartie et le got de la polmique. Un ditorialiste marocain - Hussein Abdelel-Khalek dans les colonnes du journal El Alam - affirme-t-il que les Sahraouis sont les otages de l'Algrie,Ahmed rpond aussitt l'antenne: Si nous tions, dit-il, des otages dans les camps algriens, nous neserions pas revenus aprs nos tudes! Pour ce touche--tout, acteur ses heures, et qui crit aussi despices de thtre, les choses sont trs claires: Le nationalisme est plus fort que la lassitude. De plus,culturellement, nous sommes aussi loigns des Marocains que des Algriens. Donc, mme si le Polisarioaccepte de ngocier avec le Maroc, nous, nous refuserons.

    L'animation culturelle dont bnficient les camps ne peut cependant faire oublier une situation humanitaireinquitante. Selon des fonctionnaires du Croissant- Rouge, qui gre l'aide, des manques se font cruellementsentir sur le plan alimentaire. L'institution a de plus en plus de mal couvrir les besoins des 150 000 Sahraouisrpartis dans les quatre rgions. Sans aucune activit conomique, les rfugis dpendent entirement pour

    se nourrir des distributions de vivres du Croissant-Rouge. Tous les jours, un camion avec un haut-parleurpasse dans les diffrents camps et appelle des familles par leur nom.

    La nostalgie n'est pas de miseDes rations de farine, de riz, de sucre, de th et de lait en poudre leur sont octroyes. Il s'agit pour l'essentielde dons du Haut-Commissariat des Nations unies pour les rfugis (HCR) et des ONG. Des bonbonnes de gazbutane sont galement fournies par l'Algrie. Afin de compenser les carences, des complments protinslyophiliss sont aussi distribus. Peu habitus ce genre de produits, les Sahraouis ont quand mme fini parles adapter leur consommation locale en en faisant un breuvage au got bizarre. Pour leurs besoins enproduits frais, tels que les lgumes et la viande, ils se dbrouillent avec le petit pcule qu'ils se procurent, soiten levant quelques chvres ou chameaux, soit en louant aux trangers de passage des chambresrudimentaires dans leurs maisons de terre. Quant l'eau potable, elle est apporte par camions-citernes uneou deux fois par semaine. Ici, aucun emploi rmunr. Ceux qui sont enrls dans l'arme ou qui travaillentdans l'administration sont considrs comme des volontaires. Ils ne peroivent donc aucun salaire, mais uneindemnit drisoire.

    C'est ainsi que vivent les Sahraouis depuis 1975 et la Marche verte du roi Hassan II. Les Marocains avaientalors investi le territoire que l'arme espagnole venait de quitter. Le fait que le Sahara occidental soit uneancienne colonie espagnole et les conditions dans lesquelles les Marocains en ont pris possession expliquent

    sans doute que les ONG espagnoles soient aujourd'hui au premier rang des donneurs d'aide. C'est pour cetteraison que les Espagnols font tout cela pour nous, dit Sid Ahmed Batal, un fonctionnaire du ministre sahraouide l'Information. Le gouvernement espagnol a une dette envers nous, donc il encourage ses citoyens nousvenir en aide.

    Pour ceux, qui sont ns dans les camps, et qui constituent la majorit de la population sahraouie, la nostalgien'est pas de mise. Ils ne rvent pas d'un pays perdu, mais d'un pays ou d'une vie construire. Fatou a 18 ans,de grands yeux noirs espigles et un sourire rayonnant. Elle est en formation dans un centre de Sidi BelAbbs. Alors qu'elle est en vacances depuis quelques jours dans sa famille, son principal souci actuellementest de trouver un mari sa mesure, c'est--dire capable de subvenir ses besoins aprs le mariage, certes,mais aussi de ne pas lui faire honte devant les copines et les cousines. Pour cela, il doit se montrer gnreuxlors des fianailles et lui apporter les cadeaux que tout prtendant digne de ce nom est tenu d'offrir la femmequ'il souhaite avoir pour pouse. A entendre parler Fatou, on ne croirait pas qu'elle vit dans ce camp sordide,surnomm bizarrement le 27 (dont le vrai nom est le 27 fvrier, pour rappeler la date anniversaire de lacration de la RASD, en 1976), o elle ne et a grandi. Sa gaiet et son optimisme sont communicatifs. Elle al'insouciance des jeunes femmes de son ge. Et rappelle que, mme dans des camps de rfugis, la viereprend toujours le dessus.

    Post-scriptumLe journaliste marocain Ali Lmrabet, qui avait dclar que les rfugis de Tindouf n'avaient aucune envie de rentrer auMaroc, a t condamn pour diffamation le 12 avril dernier. Le tribunal lui a interdit d'exercer sa profession pendant dixans.

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    L'Express du 16/05/2005

    Ahm ed Sno uss i

    Le Sahara est consubstantiel au Maroc

    Propos recueillis Rabat par Alham Jebbar et Dominique Lagarde

    Ahm ed Sno uss i, anc ien reprs entan t du Maroc l'ONU, exclut q ue le royaume pu iss e perd re leterritoire

    Il y a quelques semaines, vous o rganisiez Rabat un co lloque sur la question du Sahara.Il semble que l'on assiste une tentative pour remobiliser l'opinion s ur ce dossi er. Pourquelles raisons?Le roi a souhait que tout un chacun se mobilise pour que ce dossier-l soit rgl d'ici 2007. Il faut dire quenous clbrons cette anne le 30e anniversaire de la Marche verte. Cela a t, pour le Maroc, un vnementextraordinaire, historique. Nous tions en train de finaliser notre intgrit territoriale. Cet anniversaire, c'estl'occasion de rveiller l'opinion, de dire, notamment aux plus jeunes qui sont souvent mal ou peu informs,pourquoi la question du Sahara est intimement lie nos valeurs.

    Dans quel sens? Les dynasties marocaines - celle-ci et celles qui l'ont prcde - sont issues du Sahara. Les liens d'allgeance,qui taient l'poque le seul concept de souverainet, existaient il y a quatre ou cinq sicles dj. Les liensreligieux, culturels, galement. Le Sahara ne nous est pas tomb sur la tte par hasard. Il fait partie desfondements de ce pays. Il est consubstantiel au Maroc.

    Peut-on accepter le princi pe d'un rfrendum, com me l'a fait le Maroc au Sahara, sansaccepter le risque de le perdre?Lorsque le roi Hassan II a accept un rfrendum, nous avions l'espoir qu'il aurait lieu dans des conditionsnormales, c'est--dire dans la sincrit et la transparence. Et dans ce cas, il ne faisait pour nous aucun douteque nous ne pouvions que le gagner. L'accepter, c'tait permettre nos adversaires de sauver la face. Nombrede chefs d'Etat amis nous pressaient de le faire, et nous tions convaincus que c'tait sans risque. Mais nousnous sommes rendu compte qu'en ralit la machine onusienne n'tait pas capable d'organiser cetteconsultation dans des conditions satisfaisantes et n'tait pas tout fait impartiale. Dans les annes 1980, lesfonctionnaires des Nations unies taient issus en majorit de pays du bloc communiste, ou prosovitiques. Ilsont interprt le plan de rglement de manire abusive, probablement pour manifester leur opposition ausystme capitaliste, ou monarchique, que nous reprsentions leurs yeux. Des lecteurs ont t refuss alorsqu'ils pouvaient se prvaloir d'tre sahraouis, selon les critres qui avaient t tablis, parce que les agents del'ONU ont donn un droit de veto aux cheikhs choisis par le Front Polisario pour siger dans les commissions.En outre, le droit de faire appel, qui tait en principe prvu, est devenu pratiquement caduc. A cause de cesmodifications apportes la rgle du jeu, nous nous sommes trouvs dans une position difficile, avec deschiffres d'lecteurs effarants. Jusqu' ce que James Baker et, sa suite, le Conseil de scurit de l'ONUconstatent que le rfrendum tait impossible mettre en uvre.

    Vous acceptez donc le premier plan BakerOui, et le Polisario le refuse, ainsi que l'Algrie. Nous avons eu alors l'impression que l'autre partie cherchait unrfrendum sur mesure. James Baker, aprs une demi-douzaine de rencontres avec les uns et les autres, entait arriv la conclusion qu'il n'y aurait pas de solution au Sahara tant que le Maroc n'aurait pas accept dedlguer une partie de ses pouvoirs aux reprsentants lus de toute la population sahraouie. On passait doncde la solution du rfrendum une solution politique. Nous avons indiqu que nous tions prts transfrerune capacit de gestion cette rgion, mais la condition que celle-l soit confie aux reprsentants de toutela population de la province. C'est la solution qui a t retenue dans le premier plan Baker. Nous l'avonsaccepte d'autant que, de notre point de vue, il s'agissait d'amorcer, au Sahara, un processus dergionalisation que nous avions l'intention de gnraliser ensuite l'ensemble du pays.

    Mais vous avez refus la seconde version du plan BakerParce qu'on est revenu la conception du corps lectoral, qui avait t abandonne dans la premire version.

    Est-ce que, finalement, le statu quo actuel n'arrange pas tou t le monde?Le Polisario reoit de l'aide pour grer ses camps de rfugis et vous administrez la plus grande partie duterritoire Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle, car nous sommes attachs aux

    concepts de fraternit et de bon voisinage. Pour le Maghreb, nous voulons une solution. Il ne pourra s'agir qued'une solution politique et l'Algrie devra y avoir sa part. Etant entendu que l'intgrit territoriale du Maroc nepeut tre mise en cause.

    L'Express du 16/05/2005

    3 questions ... Mohamed Yeslem Bissat

    Propos recueillis Alger par Baya Gacemi

    Ambassadeur de la Rpubl ique arabe s ahrao uie d moc rati que A lger

    Etes-vous optimiste quant l'issue du confli t?Tout nous invite l'optimisme depuis que la Rpublique sud-africaine a reconnu la RASD. Des ministres du

    gouvernement de Prtoria se sont rcemment rendus au Sahara occidental et plusieurs protocoles decoopration ont t signs entre les deux Etats. Aprs la visite, le 6 mars dernier, de la ministre des Affairestrangres, c'tait au tour, le 30 mars, de la ministre de la Culture de faire le dplacement. Or un pays de cetteenvergure ne mettrait pas son poids et son prestige dans la balance sans tenir compte des grands enjeux etdes grands acteurs internationaux. Et sans tre sr qu'il peut y avoir, au bout, un rsultat positif.

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    Sur quel grand pays, part l'Afrique du Sud, pouvez-vous compter?Le plan Baker est soutenu par la rsolution 1495 de l'ONU et donc reconnu et vot par la communautinternationale, y compris par la France. Et l'Espagne vient de dclarer qu'elle s'en remettait la solutionprconise par ce plan. Or le Maroc ne pourra pas indfiniment rester en dehors de la lgalit internationale. Acet gard, ce qui nous donne le plus d'espoir, c'est le rchauffement des relations algro-marocaines. Si leMaroc veut aller plus loin dans ce rchauffement, il sera oblig de respecter les rsolutions des Nations unies.Le prsident Abdelaziz Bouteflika avait clairement signifi dans une dclaration faite Paris que seule l'ONUpouvait grer et rgler le problme du Sahara occidental. Cela devrait amener le Maroc rflchir.

    Qu'attendez-vous maintenant de la communaut internationale?La communaut internationale doit jouer son rle, comme elle le fait pour le Liban. Si les Etats-Unis sont pourla lgalit internationale et s'ils veulent un nouveau Grand Moyen-Orient, ils seront obligs de s'impliquer dansle dossier sahraoui.

    L'Express du 16/05/2005ChronologieDe la Marche verte l'chec de Baker

    1884. Le Sahara occidental devient colonie espagnole.

    1973. Cration du Front populaire pour la libration du Saguia el-Hamra et du Rio de Oro (Front Polisario) qui rclamel'indpendance du territoire.

    1975. Aprs la mort de Franco, l'Espagne vacue le Sahara. Tandis que les derniers soldats espagnols plient bagage,quelque 350 000 Marocains investissent le territoire l'appel du roi Hassan II. C'est la Marche verte. Le FrontPolisario entre en guerre.

    1976. Le prsident algrien Houari Boumediene dcide d'appuyer le Polisario, qui proclame la Rpublique arabesahraouie dmocratique (RASD).

    1979. La Mauritanie signe un accord de paix avec le Polisario.

    1980. Le Maroc annexe la partie mauritanienne du territoire.

    1981. Le roi Hassan II donne son accord de principe pour l'organisation d'un rfrendum.

    1983. Achvement par l'arme marocaine du premier mur.

    1988. Le Maroc et le Polisario acceptent le plan de paix de l'ONU, qui prvoit l'organisation d'un rfrendum donnantaux Sahraouis le choix entre l'intgration au Maroc et l'indpendance. Le corps lectoral sera constitu sur la base

    du recensement espagnol de 1974.

    1987. Le dernier mur est achev. Une fortification de 2 000 kilomtres hrisse de radars et truffe de mines protgele Sahara utile - villes et mines de phosphates - contrl par le Maroc.

    1991. Cessez-le-feu et cration de la Minurso (Mission des Nations unies pour l'organisation d'un rfrendum auSahara occidental). Elle est charge de surveiller la trve et d'inscrire les futurs lecteurs qui participeront aurfrendum.

    1993. Dbut des oprations de recensement des lecteurs.

    1997. James Baker est nomm envoy spcial du secrtaire gnral des Nations unies au Sahara occidental et chargde relancer le processus de paix.

    1999. Emeutes de Laayoune rprimes avec violence. Recevant Madeleine Albright, alors secrtaire d'Etat, puis JamesBaker, le roi Mohammed VI laisse entendre qu'il n'est pas oppos une troisime voie, qui garantirait la souverainetmarocaine en change d'une large autonomie.

    2001. Prsentation par James Baker d'un accord-cadre. Accept par le royaume chrifien comme une base valable dengociations, il est rejet par le Polisario.

    2003. Le 25 mai, James Baker remet Kofi Annan un nouveau plan de paix. Un rgime d'autonomie - plus large quedans le plan prcdent, puisqu'il impliquerait le retrait des forces de scurit marocaines - serait suivi d'un rfrendumd'autodtermination auquel participeraient tous les lecteurs enregistrs par la Minurso ainsi que toutes les personnesrsidant dans le territoire depuis 1999. Alger et le Polisario apportent leur appui au projet que dnonce Rabat. Le 31

    juillet, le Conseil de scurit de l'ONU adopte la rsolution 1495 qui appuie le plan, tout en appelant les deux parties travailler en vue de son acceptation et de son application.

    2004. Dmission, le 11 juin, de James Baker.

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    L'Express du 08/11/2004Alger-Rabat: crise diplomatique

    par Dominique Lagarde

    La question du Sahara occidental ravive la tension entre le Maroc et l'Algrie. Cette fois, l'tincelle est venue d'Afriquedu Sud

    Guerre des mots et guerre des nerfs. Le ton ne cesse de monter, depuis quelques semaines, entre Alger et Rabat. Etc'est, une fois de plus, le conflit du Sahara occidental qui est l'origine de cette nouvelle crise diplomatique entre lesdeux pays frres. De part et d'autre, les ditorialistes s'enflamment. Certains d'entre eux ont mme cru percevoir desmouvements de troupes la frontire. Des bruits de bottes heureusement vite dmentis Mais c'est peu de dire que leclimat est excrable.

    L'tincelle est venue de Pretoria. A la mi-septembre, le prsident sud-africain, Thabo Mbeki, annonce qu'il a dcidd'tablir des relations diplomatiques avec la Rpublique arabe sahraouie dmocratique (RASD) - c'est--dire avec leFront Polisario, un mouvement qui milite pour l'indpendance du Sahara occidental. Le chef de l'Etat sud-africain justifiesa dcision en voquant le refus du Maroc de se soumettre au dernier plan onusien, ce qui tend sans quivoque priver le peuple du Sahara occidental de son droit l'autodtermination. Les Marocains avaient en effet rejet, en mai2003, la dernire mouture du plan Baker, qui prvoyait un rgime provisoire d'autonomie, suivi d'un rfrendum. Ilsavaient ensuite obtenu, grce l'appui de la France, que ce plan ne soit pas explicitement entrin par le Conseil descurit. Rabat esprait depuis lors que le dossier, loin d'tre une priorit dans les chancelleries occidentales, seraitdurablement mis entre parenthses. La dcision de Pretoria a t ressentie au Maroc comme un camoufletdiplomatique. D'autant que l'Algrie s'est empresse de souffler sur les braises... Quelques jours plus tard, en effet, l'ONU, le prsident Abdelaziz Bouteflika qualifiait le royaume de pays colonisateur. Le ministre des Affaires

    trangres marocain rpliquait aussitt, dans un mmorandum, en accusant l'Algrie d'tre le tuteur du Polisario etde vouloir s'approprier le Sahara.

    Tout en prorogeant le mandat de la Minurso - la Mission des Nations unies charge de surveiller le cessez-le-feu auSahara - le Conseil de scurit a adopt, le 31 octobre, une nouvelle rsolution raffirmant son attachement unrglement juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l'autodtermination du peuple du Sahara occidental.Les deux pays ont approuv la rsolution, sans en faire la mme lecture. Depuis, il s s'accusent mutuellement d'avoirmal interprt le texte onusien Soucieux d'apaiser les choses, Washington, Paris et Madrid s'efforcent de jouer lesbons offices.

    L'Express du 18/10/2001SaharaLe conflit ensabl

    par Dominique Lagarde, Mohamed Larhdaf Eddah, Baya Gacemi

    Vingt-six ans aprs la marche verte des Marocains pour librer les provinces sahariennes, l'ONU s'est fixjusqu'au 30 novembre prochain pour tenter de jeter les bases d'une solution ngocie entre Rabat et AlgerA perte de vue, un dsert de caillasse ocre. Un remblai de plusieurs mtres de hauteur, hriss de points d'appuimilitaires, qui serpente l'infini. Puis un autre, parallle au premier, et un troisime encore, dans lesquels ont tcreuses des tranches, amnages des chambres. Le poste d'observation de Fririnet est situ une quarantaine dekilomtres de la ville de Smara, tout prs de la frontire mauritanienne. Quelques dizaines de militaires marocains yscrutent en permanence le dsert. Au total, ils sont des milliers ainsi posts tout le long de la grande muraillesaharienne. Depuis prs de vingt ans. Commence en 1983 et acheve en 1987, cette fortification du dsert, doublede barbels et truffe de mines, s'tend sur quelque 2 000 kilomtres, de l'extrme nord du Sahara occidental, l'ouestde la ville algrienne de Tindouf, jusqu' Guerguerat, au bord de l'ocan Atlantique, prs de la frontire mauritanienne.

    Depuis 1991, la guerre des sables est gele et l'ONU surveille le cessez-le-feu. Le conflit, pour autant, n'est pasrgl. Le Maroc, qui revendique le territoire, contrle toute la rgion situe entre sa ligne de dfense et l'ocan: 80% dela superficie totale, toutes les agglomrations, et les phosphates de Bou Craa. Il y amnage les villes, y construit desports et des routes, y installe de nouvelles populations. De l'autre ct, les combattants du Front Polisario, qui rclamel'indpendance, campent toujours dans le dsert. Tandis qu' Tindouf quelque 160 000 rfugis, largement dpendantsd'une aide internationale qui se fait de plus en plus chiche, attendent depuis un quart de sicle. Poul Nielson,commissaire europen la Politique de dveloppement et d'aide humanitaire, soulignait le mois dernier que l'Unioneuropenne tait, avec une contribution de 15 millions d'euros pour 2001, l'un des rares donateurs de l'une des crisesles plus oublies.

    Si l'on excepte quelques microterritoires, le Sahara occidental est, depuis qu'un accord a t sign sur la Nouvelle-Caldonie, le dernier dossier encore inscrit sur les tablettes de la Commission de dcolonisation de l'ONU. En juindernier, le Conseil de scurit a dcid de mettre en veilleuse l'organisation d'un rfrendum, sans cesse repouss, etd'encourager des ngociations visant doter le territoire d'un statut d'autonomie. Le reprsentant spcial du secrtairegnral des Nations unies, James Baker, qui aura d'ici l rencontr plusieurs reprises toutes les parties, doit dcideravant le 30 novembre si les chances d'aboutir sont suffisamment srieuses pour continuer explorer cette voie, ou s'il

    jette l'ponge.

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    Novembre 1975: tandis que les derniers soldats espagnols plient bagage, quelque 350 000 Marocains, arms du Coranet brandissant le portrait de leur roi, envahissent ce qui est encore le Rio de Oro. Objectif de cette marche verte:forger l'union sacre autour de la libration des provinces sahariennes. C'est un coup de matre. Hassan II obtient leralliement de la gauche marocaine - l'exception du groupuscule marxiste d'Abraham Serfaty. Quatre ans aprsl'attentat de Skirat, le ciment nationaliste va lui permettre de stabiliser durablement son trne. Sa lgitimit ne sera plusconteste. D'autant que l'arme a dsormais une raison d'tre... et de quoi s'occuper.

    L'Algrie, elle, ne peut accepter de voir son voisin et rival agrandir ainsi, du jour au lendemain, sa superficie. Leprsident algrien de l'poque, Houari Boumediene, est en outre persuad d'incarner une nouvelle lgitimit, tiers-mondiste et rvolutionnaire. Il offre donc son aide au Front Polisario, cr deux ans plus tt. Celui-ci tablit son quartiergnral Tindouf. Surfant sur la vague du conflit Est-Ouest, il proclame en 1976 la Rpublique arabe dmocratiquesahraouie (RASD), qui sera reconnue par plus de 70 Etats. Mais aucune puissance occidentale ne suit le mouvement.Pendant ce temps, le Maroc, qui a donn du bout des lvres, en 1981, son accord de principe pour l'organisation d'unrfrendum, occupe le terrain et construit sa grande muraille.

    Aprs les accords de cessez-le-feu de 1991, la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un rfrendum auSahara occidental (Minurso) installe son quartier gnral Layoune. Son mandat: surveiller la trve et inscrire lesfuturs lecteurs qui participeront au rfrendum.

    Il n'a pas chang depuis dix ans. Les Nations unies ont, sans broncher, chaque fois reconduit une mission qui cotefinalement assez peu cher - 50 millions de dollars par an, dix fois moins que les oprations en Sierra Leone ou Timor.La Minurso compte au total un peu plus de 400 personnes, dont 250 militaires chargs de l'observation du cessez-le-feu. Une dizaine de postes d'observation rpartis sur l'ensemble du territoire servent de point de dpart aux patrouilles,presque quotidiennes, des Brets bleus. De grosses tentes modulaires qui abritent chambres et bureaux, desconteneurs pour l'eau, un groupe lectrogne, une flotte de vhicules tout-terrain: dans ce poste du secteur nord, prsde Smara, ils sont une quarantaine camper dans le dsert. Et le parcourir: 22 000 kilomtres par mois, prcisel'officier russe qui commande le poste en second. Il s'agit surtout de vrifier que les units militaires des deux parties,postes de part et d'autre de la ligne de cessez-le-feu, respectent les accords. Car il n'y a pas eu, depuis 1991, un seulchange de coups de feu.

    L'autre tche qui avait t assigne la Minurso - tablir la liste des lecteurs autoriss voter lors du rfrendumprvu dans les accords de 1991 - va se rvler bien plus difficile. Trs vite, il apparat que ni le Maroc ni le Polisarion'accepteront un rfrendum qu'ils risqueraient de perdre. Et que la composition du corps lectoral sera dterminante.Certaines tribus sont favorables au Maroc, d'autres au Polisario. Le recensement espagnol de 1974, cens servir debase au processus d'identification, dnombrait 74 000 Sahraouis. Or, il y avait parmi eux une majorit de Reguebat,une tribu traditionnellement rebelle dont la plupart des chioukh ont rejoint le Polisario. Inacceptable pour le Maroc, quitente de faire admettre des familles qui avaient quitt le territoire avant le recensement espagnol, puis les membresd'autres tribus installes dans le sud du royaume. La Minurso, qui finit par boucler sa liste la fin de 1999, ne retient

    qu'un peu plus de 86 400 lecteurs. Rabat, qui estime leur nombre quelque 220 000, encourage les candidatsmalheureux dposer un recours. Plus de 130 000 appels seront enregistrs. Mais, depuis l'an dernier, tout est bloqu,car le Maroc et le Polisario ne sont pas d'accord sur la faon de traiter ces recours. Alors, en attendant, dans lesanciennes salles de classe qui leur servent du bureau, les quelque 80 employs de la Commission d'identificationconsacrent l'essentiel de leur temps des tches d'archivage informatique.

    Le problme de fond est videmment politique: les Marocains ont le sentiment - partag par les spcialistes - que lecorps lectoral retenu par l'ONU favorise plutt les indpendantistes. Ou, en tout cas, qu'il ne leur garantit pas lavictoire escompte. L'exemple de Timor- Oriental, o les Nations unies ont organis un rfrendum qui a dbouch surl'indpendance de cette ancienne colonie portugaise en dpit des prtentions de l'Indonsie, attise les craintes.

    Et pas seulement au Maroc. Depuis quelques annes dj, Paris comme Washington - les deux capitales quisuivent de prs le dossier - on s'interroge sur les risques d'instabilit au lendemain d'un rfrendum dont le perdantcontesterait aussitt le rsultat. Une inquitude renforce par des estimations qui permettent de penser que lerfrendum pourrait tre dfavorable au Maroc. D'o l'ide d'encourager, plutt, une solution ngocie, accepte parles deux parties. Nomm en 1996 par le secrtaire gnral de l'ONU pour redonner une impulsion au processus de paixenlis dans les sables du Sahara, l'ancien secrtaire d'Etat amricain James Baker va trs vite se faire l'avocat de cettesolution.

    Le Polisario a sans doute pris avec un train de retard le mouvement de la dcolonisation: si le droit des peuples

    disposer d'eux-mmes reste inscrit au fronton des Nations unies, les grandes puissances cherchent plutt aujourd'hui dcourager la multiplication d'Etats pas forcment viables, ou stables. Et, de toute vidence, ni Washington ni Parisn'ont envie de favoriser au Sahara occidental la naissance d'un Etat sahraoui trop faible pour se passer de la tutellealgrienne et de l'aide internationale.

    James Baker annonce la couleur - un Sahara autonome sous souverainet marocaine - ds sa premire rencontre

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    avec le roi Hassan II, en 1997. Ce dernier n'avait-il pas lui-mme affirm, quelques annes plus tt, que tout taitngociable hors le timbre et le drapeau? Mais le souverain chrifien lui oppose une fin de non-recevoir. Il veut unrfrendum confirmatif permettant au Maroc d'intgrer ses provinces sahariennes. Et il reste convaincu que l'ONUfinira par accepter d'largir le corps lectoral. Les autorits marocaines - notamment Driss Basri, alors tout-puissantministre de l'Intrieur - mettent aussi en avant, pour justifier leur refus, les risques de voir d'autres rgions - le Rif,notamment - s'engouffrer dans la brche.

    Mohammed VI va, d'entre de jeu, se montrer plus rceptif. Ds ses premiers entretiens, fin 1999, avec MadeleineAlbright, alors secrtaire d'Etat, puis avec James Baker, comme avec les Franais, il laisse entendre qu'il n'est pas

    oppos la recherche, au Sahara occidental, d'une troisime voie qui impliquerait que le territoire soit dot, dans lecadre de la souverainet marocaine, d'un statut spcial. Il veut cependant prendre son temps, notamment pourprparer une classe politique qui, dans le pass, s'est souvent montre, sur ce dossier, plus jusqu'au-boutiste que lamonarchie. Une fois Driss Basri cart, le jeune roi met en place son propre dispositif pour l'aider grer un dossierdont il fait son domaine rserv: Rabat, les secrtaires d'Etat l'Intrieur, Fouad Ali el-Himma, et aux Affairestrangres, Taieb Fassi Fihri; New York, le reprsentant marocain aux Nations unies, Mohamed Bennouna, qui luirend personnellement compte de l'tat d'avancement des ngociations; sur place Layoune, un nouveau wali (prfet),en la personne d'Abdelatif Guerraoui, un ancien responsable de l'Office chrifien des phosphates, puis un nouveaucoordinateur auprs de la Minurso, Hamid Chabar, un universitaire proche du secrtaire d'Etat l'Intrieur.

    En juin 2001, le Maroc approuve officiellement dans son principe l'accord-cadre adopt par le Conseil de scurit partir des propositions labores par James Baker. Dans un pays o le ministre de l'Intrieur exerce depuis toujoursun contrle absolu, travers les gouverneurs, sur la gestion des provinces, c'est une vritable rvolution culturelle,commente un observateur. D'autant que l'on prte au roi le projet, ou l'envie, de faire du Sahara le laboratoire d'unevraie politique de rgionalisation.

    Le texte organise la fois l'autonomie du territoire et la souverainet marocaine. Il donne au Maroc une comptenceexclusive sur les relations extrieures, la scurit nationale, la dfense et la prservation de l'intgrit territoriale,ainsi que sur la monnaie, les douanes, les postes et tlcommunications, le reste relevant des autorits locales lues.Une fois mis en place, le systme sera ratifi par rfrendum dans les cinq ans. Le dispositif Baker est parfaitement

    verrouill en ce qui concerne la souverainet marocaine: l'assemble locale sera lue par les habitants du territoire quiy rsident depuis octobre 1998 - donc une majorit de Marocains - et tous ceux qui auront un an au moins de rsidencepourront par la suite participer au rfrendum. En revanche, le Polisario devrait avoir un rle prdominant dans lagestion de l'autonomie: le premier excutif du territoire sera, en effet, lu par les 86 400 lecteurs actuellement retenuspar la Minurso, ce qui devrait en principe profiter aux indpendantistes. A supposer videmment qu'ils acceptent ceschma.

    Or on en est loin. Et, lorsque Mohammed VI affirme (Le Figaro du 4 septembre) avoir rgl la question du Sahara, ilva un peu vite en besogne. Pour l'heure, ni l'Algrie ni le Polisario n'ont approuv le plan Baker. Pour le Polisario, lerfrendum d'autodtermination reste la seule solution acceptable. L'Algrie, elle, ne refuse pas de discuter d'unesolution politique, mais rcuse le projet propos.

    La ngociation qui s'amorce peut-elle aboutir un accord entre Rabat et Alger - que le Polisario, en perte de vitessediplomatique depuis la fin de la guerre froide, n'aurait alors gure les moyens de refuser? Quelles seraient dans ce casles contreparties exiges par l'Algrie, sachant que l'on voit mal les dirigeants de ce pays accepter une paix quiavantagerait manifestement le Maroc? Telles sont les questions que l'on se pose aujourd'hui dans les chancelleries. Vud'Algrie, cependant, le rejet est sans appel. D'autant que dans ce pays le dossier du Sahara occidental relve dudomaine rserv de la haute hirarchie militaire, peu encline au compromis. Le prsident Mohamed Boudiaf, arriv la tte de l'Etat algrien en 1992 aprs une vingtaine d'annes d'exil au Maroc, l'avait appris ses dpens lorsqu'il avaitvoulu amorcer une ngociation directe avec Hassan II. Abdelaziz Bouteflika n'a pas commis la mme imprudence.

    A Layoune, tout le monde ou presque souhaite voir le problme enfin rgl. Les avis sont cependant partags sur lasolution Baker. Non seulement l'autonomie est possible, mais elle est ncessaire, insiste Nema Mayara, le jeunevice- prsident de la rgion de Layoune et Boujdour. C'est, ajoute cet lu sahraoui, la meilleure solution, parce qu'elleest sans vainqueur ni vaincu et qu'ainsi personne ne perdra la face. Un point de vue que dfend aussi Ahmed Kheir.Cet ancien membre du Polisario est un ralli, revenu Layoune en 1995 - quelque 6 000 familles sont dans ce cas -aprs vingt ans d'exil dans les camps de Tindouf. L'indpendance, affirme-t-il, ce serait l'hgmonie algrienne. Lasolution Baker est la meilleure pour tout le monde. Elle donne une chance aux rfugis de Tindouf de pouvoir rentrer etelle prend en compte la ralit marocaine.

    Les militants du Forum pour la vrit et la justice sont loin de partager cet enthousiasme. Cela fait un an que cetteassociation, qui plaide pour le devoir de mmoire, a ouvert une section Layoune, en dpit des rticencesmanifestes par les autorits locales. Au mur, des photos de disparus et de prisonniers morts en dtention, ainsi quecelles, plus rcentes, de jeunes protestataires arrts lors des meutes de septembre 1999. Aujourd'hui, les dtenusdes annes de plomb ont pour la plupart t librs et indemniss. Seul reste Mohamed Daddach, un militant duPolisario arrt en 1979. Plus une vingtaine de manifestants de 1999. Mais le dossier des disparus demeure entier. Ilssont plusieurs dizaines avoir t enlevs entre le milieu des annes 1980 et le dbut des annes 1990, dont on nesait toujours rien, sans qu'aucune explication officielle n'ait jamais t fournie. Nous avons une liste de 85 noms. Ellen'est pas exhaustive. Il s'agit uniquement de ceux pour lesquels nous connaissons la date et les conditions del'enlvement, prcise le prsident de la section, Houssine Moutik. Ici, ajoute-t-il, beaucoup de familles ont un

    prisonnier, ou un disparu, parmi leurs membres. Cette politique de terreur a dress la population contre le Maroc.Quand les gens peuvent s'exprimer, ils se disent pour l'indpendance. C'est pourquoi le Maroc refuse le rfrendum,affirme un autre militant, qui assiste l'entretien. Il faut que le peuple sahraoui puisse exercer son droit l'autodtermination. Une opinion partage par un tudiant qui avait pris il y a deux ans une part active dans lesmanifestations: Il faut que la population soit consulte. L'ONU nous a dus, car elle n'a pas tenu ses promesses. Elleaurait d imposer le rfrendum. L'autonomie ne rglera pas le problme. Ce discours contestataire ne l'empchecependant pas de revendiquer, sa matrise de sociologie en poche, et comme tous les chmeurs diplms duroyaume, son droit l'emploi... dans la fonction publique.

    Incontestablement, les autorits marocaines paient une conception trop policire de la gestion du territoire. LeMaroc a cherch rcuprer le territoire, mais pas les tres humains. Sa gestion n'a t que scuritaire, dplore unmilitant de l'OADP (Organisation arabe dmocratique et populaire), un petit parti de gauche dont la section localerassemble la fois des Marocains du Nord installs Layoune et des Sahraouis. Pour autant, l'insatisfaction nedbouche pas systmatiquement sur une revendication indpendantiste.

    Le malaise qui s'est exprim travers les meutes de 1999 tait d'abord social. C'tait une rvolte la fois contre lesnotables locaux, chouchouts par Rabat, le systme qui privilgie les gens du Nord, les autorits, analyse le mmemilitant de l'OADP. L'tincelle qui avait mis le feu aux poudres tait une revendication estudiantine concernant lagratuit des transports. Nous allons pratiquer davantage le dialogue et la concertation, promet aujourd'hui HamidChabar, le tout nouveau gouverneur marocain charg de la coordination avec la Minurso.

    Outre la rpression policire, l'afflux de Marocains venus des diffrentes rgions du royaume a suscit, chez beaucoupde Sahraouis, rancur et jalousie. Certes, le territoire a connu un dveloppement spectaculaire. Layoune grignote ledsert, d'anne en anne, au fur et mesure que se construisent de nouvelles cits. Prs de 30% du budget marocainde l'habitat sont aujourd'hui encore consacrs aux provinces sahariennes. Sans parler des btiments officiels et des

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    infrastructures: une usine de retraitement de l'eau de mer qui couvre aujourd'hui 40% des besoins, des routes, un portdevenu le premier port sardinier du Maroc. Cependant, la plupart des emplois ainsi crs vont des non-Sahraouis,qu'il s'agisse de la construction, de la pche, des activits portuaires ou des petites industries. Il en va de mme desartisans et commerants, fortement incits venir s'installer ici grce des conditions fiscales favorables. Les autoritslocales rpondent que c'est invitable, car il s'agit d'un personnel plus qualifi. Mais, aujourd'hui, au Sahara, lesSahraouis sont devenus minoritaires.

    En cas de rglement, le territoire devrait cependant accueillir les rfugis de Tindouf. Et le Maroc s'y prpare. Peinteentirement en rose, la toute dernire cit construite Layoune leur est destine: 2 000 appartements de plain-pied,

    avec eau courante et lectricit, donnant chacun sur une courette. Pour l'heure, une cit fantme o l'on ne croise quequelques chiens. Tandis qu' Tindouf, las d'attendre, ils sont de plus en plus nombreux quitter leur camp de toile pourla Mauritanie ou les les Canaries. Tout en gardant l'espoir de pouvoir, un jour, rentrer sans perdre la face.

    L'Express du 03/01/2005

    Maroc

    En direct des annes de plomb

    de notre envoye spciale Dominique Lagarde

    Les victimes de la rpression so us le rgne de Hassan II racontent, lors d'auditio ns retransmises latlvision

    J'tais un officier de l'arme de l'air. Ainsi commence le rcit d'Abdallah Agaou. Condamn trois ans deprison, en novembre 1972, pour son implication dans la tentative de coup d'Etat du mois d'aot de la mmeanne contre le roi Hassan II, il a t enlev, quelques mois plus tard, de la prison centrale de Kenitra pourtre enferm dans le bagne de Tazmamart. Il y est rest dix-huit ans. Nos cellules taient des tombeaux.Nous tions en permanence dans l'obscurit. Nous n'avions qu'une dalle de ciment en guise de lit, un troucreus dans le sol pour faire nos besoins, un seau d'eau. Abdallah Agaou raconte l'enfermement, leshumiliations, la nourriture que mme les chiens du directeur refusaient. Il se souvient d'un prisonnier l'agonie dont la peau collait au ciment et dont le corps sentait si mauvais que les gardiens avaient donnl'ordre ses codtenus de le badigeonner de DTT. Il n'a pas oubli non plus ce camarade de cellule qui s'estun jour pendu au bout d'une corde pour en finir. Avant lui, d'autres rescaps de Tazmamart ont racont leurenfer, tmoign dans la presse. L'un d'eux, Ahmed Marzouki, a mme crit un livre. Mais, en ce 22 dcembre2004, Abdallah Agaou s'adresse en direct la tlvision nationale du royaume. Il parle devant un parterre depersonnalits et de militants associatifs, du haut d'une tribune flanque d'un portrait officiel du roi MohammedVI et d'un drapeau marocain.

    Nos cellules taient des tombeaux. Nous tions en permanence dansl'obscurit

    L'ex-bagnard de Tazmamart est l'une des douze victimes tmoins retenues pour cette premire sanced'auditions publiques par l'Instance quit et rconciliation (IER) - une commission cre par un dcret royal,en janvier 2004, pour faire la lumire sur les exactions commises dans le royaume depuis l'indpendance.Douze hommes et femmes qui, tour tour, vont faire revivre aux tlspectateurs la guerre du Rif, la traque desopposants de gauche la fin des annes 1960, les tortures, la rpression des grandes grves et des meutesde la faim Marrakech ou Casablanca, les tentatives de coup d'Etat, les mouroirs ou taient embastills lesSahraouis, la chasse aux islamistes dans les annes 1980... Membre de l'Union nationale des forcespopulaires (UNPF), Salah Saad Abdallah se revoit encore suspendu la tte en bas, tandis que ses bourreauxlui infligeaient des dcharges lectriques dans les mains. Il voque les diffrents supplices: l'eau, les ficelles,le chiffon, les bouteilles. Mre d'un militant d'extrme gauche dtenu pendant des annes, Fatima At-Ettajerse souvient des nuits passes devant la prison, des sit-in dans les mosques ou devant le Parlement, et de lamaison ouverte toutes les autres familles de prisonniers. Pendant trois mois, quelque 200 Marocains,victimes de violations des droits de l'homme sous le rgne de Hassan II, vont ainsi dfiler devant les camraspour dire, avec leurs mots, ce qu'ils ont vcu. Ils disposeront chacun d'environ vingt minutes et leursinterventions seront retransmises par la tlvision et la radio nationales. Outre les tmoignages individuels, desdiffusions thmatiques sont prvues, qui seront parfois accompagnes de dbats.

    Cette dmarche, qui s'inspire d'expriences latino-amricaines ou africaines, est une premire au Maroc et,au-del, dans le monde arabo-musulman. C'est la premire fois aussi que cette justice transitionnelle,comme disent les spcialistes, est mise en uvre sans qu'il y ait eu, auparavant, un changement de rgime.En Argentine, au Prou, au Chili, en Sierra Leone, Timor ou ailleurs, les commissions Vrit ont t misessur pied aprs la chute d'une dictature, ou au lendemain d'une guerre civile. C'est sans doute l'une des raisonsqui expliquent qu'au Maroc les tmoins aient d s'engager ne pas citer nommment leurs tortionnaires. Unpacte d'honneur contest par certains opposants, et notamment par l'Association marocaine des droitshumains (AMDH), la plus jusqu'au-boutiste des associations de dfense des droits de l'homme, ou encore parAbraham Serfaty, l'un des plus clbres prisonniers de Hassan II. Les commissaires de l'IER - 15 hommes etune femme, militants des droits de l'homme ou anciens prisonniers politiques, l'image de Driss Benzekri, leurprsident, qui a pass dix-huit ans dans les geles de l'ancien roi du Maroc - assument sans tats d'me cetteobligation, tout en soulignant que leur dmarche ne remet pas en question le droit des victimes engager parailleurs des poursuites.

    C'est une faon de leur restituer leur citoyennet, de les rtablir dansleur dignit de citoyens

    Il s'agit, explique Mustapha Iznasni, l'un des 16 commissaires, de permettre aux victimes de librer leur parole partir d'une tribune officielle, ce qui sous-entend une volont de l'Etat de dpasser ce passif. C'est une faonde leur restituer leur citoyennet, de les rtablir dans leur dignit de citoyens. C'est aussi, pour chacun denous, une occasion personnelle de rflchir sur ce pass et sur la ncessit de protger les droits de l'homme.Un tribunal pnal juge des personnes, au cas pas cas. Nous, notre tche consiste analyser en profondeur les

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    raisons qui ont conduit ces violations, afin de nous prmunir contre leur rptition. Nous travaillons sur lepass avec un regard sur l'avenir. Un avis partag par Driss el-Yazami, historien,galement membre de l'IER.Ce ne sont pas quelques dizaines ou centaines de personnes qui sont l'origine de ce qui s'est pass, dit-il. Ily a un faisceau de raisons, politiques, juridiques, historiques que nous devons essayer de diagnostiquer etd'analyser pour dboucher sur des propositions.

    En un an, l'IER a recueilli et archiv dans une banque de donnes plus de 22 000 tmoignages - dans cesconfessions qui ne sont pas destines tre rendues publiques, les noms des tortionnaires ou desresponsables des arrestations peuvent tre mentionns, mais il ne peut y avoir ni vrification ni poursuites. Vis-

    -vis des victimes - quelque 16 000 d'entre elles ont t identifies - une politique de rparation a t labore,qui ne se limite plus une indemnisation financire, comme c'tait le cas dans les premires annes du rgnede Mohammed VI, mais tente de mieux coller aux besoins exprims: rgularisation de situationsadministratives, dlivrance de certificats de dcs aux familles des disparus, aide mdicale ou soutienpsychologique. L'IER, dont le mandat se terminera au mois d'avril par la publication d'un rapport final, s'estaussi efforce de sensibiliser les milieux universitaires et la classe politique qui aura mettre en musique lesrformes proposes. Plusieurs colloques ont ainsi t organiss au cours de l'anne 2004 sur la littraturecarcrale, la violence d'Etat, la vrit.

    Certains, notamment parmi les proches de l'ancien souverain, ont du mal comprendre une dmarche quirelve leurs yeux du dballage. Tel ancien collaborateur de Hassan II confie ainsi, en priv, sa crainte quesoit porte atteinte lahiba,un terme qui, au Maroc, dsigne la fois le prestige du monarque et la peurqu'il suscite (le politologue Mohammed Tozy le traduit par rvrence craintive). D'autres font valoir que lesvictimes avaient, elles aussi, parfois du sang sur les mains - la tentative d'attentat de Skhirat en 1972 a fait plusde 240 morts - et s'inquitent d'une rcriture sens unique de l'Histoire. Notre approche est forcmenthistorique, convient Driss el-Yazami. Nous allons apporter une lecture, ou des lectures, de notre histoire. Iln'existe pratiquement aucune recherche universitaire au Maroc sur le mouvement national et la lutte pour lepouvoir qui l'a oppos la monarchie dans les annes qui ont suivi l'indpendance, ni aucun tmoignage direct

    des acteurs politiques de l'poque. Avec le temps, ce tabou-l devrait, lui aussi, tomber. Militant d'extrmegauche la fin des annes 1960, Ahmed Harzenni n'a pas hsit, lors des auditions publiques du 22dcembre, affirmer, aprs avoir racont ses douze annes passes dans les geles de Hassan II, qu'il n'taitpas un ange. Ma culture, a-t-il expliqu, n'tait pas une culture dmocratique, elle n'excluait pas le recours la violence.

    L'Express du 04/10/2004Peintures rupestresDes Vikings dans le Sud marocain?

    De notre envoye spciale Christine Holzbauer

    Avant l'islamisation du Maroc, des hommes d'Europe du Nord seraient venus, par la mer, dans le sud du pays larecherche du cuivre dont ils avaient besoin pour forger leurs armes. Une thse que la dcouverte rcente demgalithes funraires et de peintures rupestres semble accrditer

    C'tait en juillet 2001. Fatimatou Malika bent Benata avait plant sa khama, la tente dcore qu'affectionnent lesnomades du Sahara, aux abords du puits d'Aouinet Azguer. Arrive au plus troit de la valle, l o les gazelleslaissent la trace de leurs pattes dans le sable, elle s'tait mise chercher un abri: le soleil cognait fort et elle craignaitque son plus jeune fils ne prenne un coup de chaud. Elle avait fini par se glisser, avec l'enfant, sous l'une de ces tablesrocheuses qui dcoupent la falaise comme autant de tranches de cake. Quelle ne fut pas alors sa surprise d'apercevoir,peints sur le plafond, des dessins dans un tat de conservation parfait. Il y avait des hommes nus, arms d'un arc,dansant autour d'un buf - azguer, en berbre, signifie buf - et toutes sortes d'animaux sauvages: antilopes,bouquetins, chevreuils, flins, lphants, autruches. Qui tait l'artiste qui avait ralis de si jolis dessins ocre rougedans un endroit aussi peu propice l'habitation et quand tout cela pouvait-il bien remonter? Fatimatou tait perplexe.Son premier rflexe avait t d'effacer ces peintures avec de l'eau. Elle n'avait pas russi les diluer. Elle avait alorssenti confusment que les scnes qui se succdaient au fur et mesure qu'elle se glissait sous la roche renvoyaient des rites remontant la nuit des temps.

    L o il y avait des gravures, on pouvait tre sr qu'il y avait une mine

    De retour au village de M'seied, elle s'empresse d'alerter le khalifa Babouzaid el-Mghafri, qui, son tour, prvient lecad, lequel informe le gouverneur de la province de Tan-Tan. Une fois les autorits de Rabat averties, les photosque la nomade Fatimatou a dcouvertes par hasard au plafond de son abri-sous-roche commencent susciter desconvoitises. Le khalifa de M'seied, un sympathique quinquagnaire qui devint plus tard dcouvreur d'art

    prhistorique, informe un journaliste auteur de plusieurs guides spcialiss sur les pistes du Maroc, Jacques Gandini,de l'existence des peintures rupestres. Ce dernier, qui est en train de boucler l'un de ses ouvrages sur cette rgion,dcide de monter une expdition. Il invite se joindre lui un archologue franais install depuis prs de soixante ansau Maroc, Robert Letan. En plus des peintures, exceptionnelles pour la rgion - jusqu' prsent, ce sontessentiellement des gravures qui ont t trouves dans cette partie occidentale du Sahara, contrairement au Tassilialgrien ou au Tibesti tchadien - ils vont dcouvrir, dans la partie suprieure de l'oued de Chebeika, une quarantaine deconstructions et de structures mgalithiques en forme de croissants de grande dimension. La prsence de ces tumulusgoglyphes - assez semblables ceux inventoris par Thodore Monod en 1948, que l'on retrouve dans tout leSahara marocain et mauritanien - est une autre trouvaille majeure. Ces dcouvertes relancent les craintes de pillages.Sauf interdire l'accs des sites aux chercheurs, le Centre national du patrimoine rupestre, Marrakech, qui dpenddu ministre de la Culture et de la Communication, n'a en effet pas les moyens de contrler la zone. Jacques Gandiniest critiqu pour avoir publi les coordonnes GPS des peintures d'Azguer et Robert Letan pour les avoir commentesdans le quotidien Aujourd'hui le Maroc... Ils se dfendent, par presse interpose. La promotion de la rgion, estimeJacques Gandini, prvaut sur des considrations archologiques. Il affirme avoir reu l'aval du ministre du Tourismeet le soutien des gouverneurs de rgion pour dire tout le bien qu'il pense des quelque 350 sites prhistoriques recenssau Maroc.

    A 82 ans, Robert Letan garde bon pied, bon oeil quand il s'agit de crapahuter sur des sites archologiques. Le regarddroit, la narine pince et la casquette solidement rive sur la tte ds qu'il sort de chez lui, ce soldat de l'artilleriecoloniale, ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, a pass sa vie fouiller les dserts caillouteux de l'Atlas

    et de l'Anti-Atlas. A l'poque, nous n'avions ni le confort d'un 4 x 4 climatis ni la scurit du GPS, se souvient-t-il.Pour ce natif de Lorraine, qui appartient une gnration d'autodidactes contrainte de quitter les bancs de l'cole pourapprendre tuer!, l'Afrique, et plus particulirement le Maroc, o il est arriv en 1944, a rveill une soif inextinguible:celle d'une qute des origines que son travail dans les mines a encore aiguis. Connatre l'histoire de l'humanit nousrassure, nous ouvre des voies, parce qu'elle relativise les paniques venir, nous montre que la fin du monde n'est pas

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    pour demain. En dfinitive, l'ingnieur gagne toujours sur le marchand! insistait-il, lors d'une confrence visant expliquer ses collgues l'art rupestre trop longtemps sous-estim en Afrique, alors qu'il fait partie, selon lui, desprmices de l'criture. Son but? Aider les autorits marocaines dvelopper un tourisme intelligent, qui permette deprserver les sites archologiques tout en autorisant les populations profiter des retombes de dcouvertes dont ellessont souvent spolies ou bien les dernires tre informes. Sans mes crits, jamais on n'aurait attribu la trouvailledes peintures de Tan-Tan une nomade! dit-il firement. Mme s'il est le premier dnoncer le vandalisme qui meten danger ces trsors de l'humanit et qui a oblig, par exemple, les dcouvreurs de la grotte de Lascaut crer unegrotte artificielle pour satisfaire le public: toucher les peintures avec ses doigts; essayer de renforcer leur couleur en lesmouillant; marquer leur pourtour avec un crayon feutre ou mme papier; sans parler des vols, notamment dans les

    tombes. Autant d'hrsies qui me font frmir quand on sait combien le Sahara et particulirement le Maroc ont t peuexplors jusqu' prsent! s'indigne-t-il.

    Prserver les sites archologiquesPour conjurer une histoire personnelle tourmente dont cet ancien communiste qui participa aux combats syndicaux de1936 s'est libr dans ses deux premiers romans (Le Pied-Noir et Sofia, l'insoumise, dits compte d'auteur et envente Casablanca), tout en menant de front des recherches historiques de longue haleine sur son pays d'adoption,Monsieur Robert a consacr un ouvrage entier la protohistoire du Sud marocain. Actuellement en cours derdition afin d'y inclure les dcouvertes de Tan-Tan, il ritre la thse d'une influence scandinave sur la mtallurgie ducuivre dans les montagnes de l'Anti-Atlas l'ge du bronze. Car, en plus d'tre crivain, historien et archologue,Robert Letan est aussi mtallurgiste. Sa principale dcouverte, il la doit une affectation Irhem, dans les monts del'Anti-Atlas, qui regorgent de mines de cuivre dans lesquelles il a mis au jour une grande profusion de peinturesrupestres. A tel point que, l o il y avait des gravures, on pouvait tre sr qu'il y avait une mine. Pour lui, lecommerce du cuivre s'est produit avant et pendant l'ge du bronze. Les hommes rouges venus du cur de la mer,dont parlent les anciens manuscrits hbreux du haut Draa, taient probablement les anctres des Vikings, les Dan's,qui sont venus chercher jusque dans le Sud marocain la matire premire dont ils avaient besoin pour forger leursarmes. L'usage du cuivre s'est dvelopp vers 3000 avant Jsus-Christ autour du bassin mditerranen, contribuantainsi l'ide qu'une extension de la civilisation s'est effectue depuis le Moyen-Orient vers l'ouest. Mais, avecl'puisement des gisements, les peuples scandinaves sont venus se ravitailler toujours plus au sud, d'abord sur le sited'Almeria, en Espagne, avant de remonter le fleuve Draa (entre 500 avant Jsus-Christ et 500 aprs), jusqu' Zagora,

    o convergeaient les lingots de cuivre et l'ambre. L'incursion des Vikings dans la valle du Draa ne s'est faite qu'aprsleur conversion au christianisme, probablement en mme temps que leurs raids sur le sud de l'Espagne et le nord duMaroc. Ce qui permet aussi de dater cette mystrieuse Seita, reine chrtienne, dont parlent les manuscrits hbreux, quipourrait tre l'anctre des Touaregs.

    Peuple mystrieux aux yeux des conqurants arabes et des explorateurs occidentaux, les Touaregs puisent leursorigines dans la civilisation berbre saharienne. Le mythe d'Amamellen, concepteur d'une criture propre, anctre dutifinagh, renvoie une criture cuniforme non sans similitude avec celle qui est expose au Muse national, Copenhague. Quant au mythe fondateur des femmes, il dit que la reine Ti-n-Hinan (Celle des tentes) et sa servanteTakama, venues du Tafilalet (Maroc) sur leur mhari blanc, auraient trouv leur arrive dans l'Ahaggar un peupleprimitif, les Isebaten, avec lequel elles auraient eu des filles. Ainsi, les tribus nobles du Hoggar descendraient des troisfilles de Ti-n-Hinan, alors que celles de Takama seraient les mres des tribus vassales. Selon cette lgende, Ti-n-Hinanaurait t enterre au Ve sicle, bien avant l'arrive de l'islam dans le Sahara. D'elle, les Touaregs auraient hrit leurlangue en plus d'une socit matriarcale organise selon un mode tribal. La recherche de la berbrit, LahoucineFaouzi, 32 ans, en a fait la clef de son succs. Pour cet explorateur originaire d'Agadir, grand amoureux du dsert et dela vie nomade, le jackpot est arriv avec la diffusion en 2001 la tlvision marocaine, pour la premire fois en langueamazigh, d'un long-mtrage que sa maison de production, Faouzi Vision, a produit et ralis. Quand j'ai propos unesrie de 24 documentaires dans le cadre d'une nouvelle mission consacre au voyage, Amouddou, la RTM (Radio-Tlvision marocaine) a sign tout de suite, raconte-t-il. Le premier pisode, Mmoire de Tagmoute, qui racontel'histoire d'un village prhistorique, vritable lgende vivante cause de la prsence de pierres rupestres, de greniers

    anciens et du tombeau du prophte Daniel, a reu le prix du meilleur ralisateur au Festival du Caire en juillet 2002.Grand amateur de splologie, Lahoucine Faouzi a fond en 1996 avec quelques amis une association regroupant unetrentaine de membres, ce qui lui a permis d'explorer un grand nombre de grottes. Il tait normal que nous nousintressions aux peintures rupestres, explique Aziz Iguiss, prsident de l'association et fonctionnaire au ministre desFinances. Passionn de prhistoire, il a pouss pour qu'une mission d'Amouddou soit consacre aux peinturesd'Azguer, qu'il considre comme un patrimoine unique pour l'archologie marocaine. Avec la complicit de RobertLetan, Faouzi Vision a mont une nouvelle expdition Tan-Tan, en novembre 2003. L'initiative de ces jeunes gensest la bienvenue parce qu'elle va susciter des vocations. On manque de volontaires au Maroc pour entreprendre desfouilles, commente l'intress.

    Des liens troits entre la berbrit et la ngritudeL'expdition s'est mise en route avec la bndiction du khalifa de M'seied, trs fier de montrer une inscription en tifinaghvoquant des temps rcents o les lphants vivaient encore Tazzout Ouarkziz. Une fois sur place, elle s'est glissesous les abris en plein dsert, rampant du mieux qu'elle le pouvait. La diffusion de la lumire, l'exigut du passage, lararfaction de l'air, tout cela formait comme un halo magique autour des fragiles pictogrammes millnaires. RobertLetan semblait avoir retrouv la dextrit de ses 20 ans. Il tait intarissable. Sous le charme, on franchissaitallgrement les sicles. On s'tonnait des formes statopyges - le dveloppement d'une masse graisseuse dans largion du sacrum et des fesses - des personnages reprsents, la plupart nus, avec un tui pnien, dansant autourd'animaux. S'agissait-il de Bochimans en provenance d'Afrique mridionale, voire de Hottentots ou de Bantous?L'existence de barrires naturelles difficilement franchissables rendait cette hypothse peu probable. Mme si les

    danseurs d'Azguer confirment que, l'instar de ceux dont on a dcouvert les traces dans des gisements nolithiquesdu Sud tunisien, algrien ou marocain, des pasteurs ngrodes auraient pu s'tablir dans la valle du Draa, reste trsfertile aprs l'asschement intervenu au IIIe millnaire avant Jsus-Christ.

    Plus important pour Robert Letan, la prsence de chars peints, qui, contrairement ceux qui ont t retrouvs dans leSahara central, ne sont pas attels. Ce type de char traction humaine renforce selon lui l'hypothse selon laquelleles peintures d'Azguer seraient plus rcentes qu'il n'y parat - une date proche du bronze final europen. Si ces charssont essentiellement destins au transport du cuivre, comme il l'affirme, il est alors possible de penser que cespopulations (noires) ont t en contact avec des constructeurs de mgalithes de surface (les Vikings) venus du nord del'Europe. Dans son ouvrage consacr aux Premiers Berbres. Entre Mditerrane, Tassili et Nil, l'Algrienne MalikaHachid, directrice du Parc national du Tassili des Ajjer, affirme qu'il existe des liens bien plus troits qu'on ne l'auraitpens entre la berbrit et la ngritude. Selon elle, les Libyens et les Ethiopiens d'hier seraient les Touaregs et lesIzzegaren-Harratine d'aujourd'hui. Les peintures d'Azguer viennent rajouter la mosaque humaine complexe duSahara les juifs ymnites et les populations nordiques christianises qui, l'poque des mtallurgistes ayant prcdl'islamisation, auraient pu contribuer au chanon manquant de la berbrit.

    Post-scriptumPour mieux dfendre les gravures rupestres contre les pilleurs, l'Institut national des sciences de l'archologie et dupatrimoine, Rabat, a cr un parc naturel. De son ct, l'Unesco tudie un projet destin dvelopper un tourisme

    durable au Sahara occidental.

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    Reportage

    Les survivants de l'enfer sahraouiLE MONDE | 10.10.05 | 14h23 Mis jour le 10.10.05 | 14h28

    uit mille quatre cents jours de captivit. Assis dans ce sordide caf de Casablanca o il estarriv en boitant, le regard sombre fix dans le vide, Abdellah Lamani, 52 ans, en a gros sur

    le cur. Il aimerait tant que son pays, que la terre entire sache enfin de quel enfer il est

    revenu, lui, le petit employ d'une fabrique d'allumettes emport par le courant de l'histoire

    dans une des guerres les plus mconnues, celle du Sahara occidental. Un conflit qui oppose

    depuis 1975, et malgr le cessez-le-feu de 1991, le Maroc et les indpendantistes de

    l'ancienne colonie espagnole soutenus par l'Algrie.

    Les anciens dtenus se rjouissent, certes, que le Front Polisario, le mouvement nationaliste

    sahraoui, ait libr au mois d'aot 404 prisonniers de guerre marocains les derniers sur

    presque un millier, selon les comptes officiels. Mais tous savent que l'euphorie sera courte.

    Car commencer une nouvelle vie dans une socit qu'ils ne reconnaissent plus et qui ne les

    reconnat pas est une preuve supplmentaire laquelle ils ne s'taient pas prpars.

    "Nous souffrons du complexe du vtran, explique Driss El-Yazami, 52 ans, pilote de

    Mirage F1, libr en fvrier 2004 aprs vingt-trois ans de dtention.En revenant au pays,

    on s'imagine que tout le monde est au courant de ce que l'on a fait, on voudrait tre

    considrs comme des hros."Houcine Tarrada, 57 ans, ne comprend toujours pas, lui,

    pourquoi leur pays ne les a pas encore dcors. "Je suis toujours soldat de deuxime classe

    depuis 1981, anne de mon enlvement. Les amis qui se sont engags en mme temps que

    moi sont aujourd'hui adjudants ou adjudants-chefs, c'est injuste."

    C'est pour les civils que le retour est le plus cruel. "Mon travail, ma maison, mes terres...

    J'ai tout perdu, confie Abdellah, locataire d'une chambre de 25 m2, prs du stade

    Mohammed-V Casablanca.Je n'ai plus de famille. Mes parents sont dcds pendant ma

    captivit, il ne me reste que ma sur. Je n'ai pas de pension, je loue pour 2 500 dirhams

    par mois [227 euros] une licence de taxi. Cela ne suffit pas pour que je puisse vivre avec

    ma femme. J'ai l'impression d'avoir commis un crime. Le suicide, oui... Depuis mon retour,

    j'y ai pens. Mais je suis dj revenu de si loin..." Du centre de dtention de Rabouni, 25

    km de Tindouf, au sud-ouest de l'Algrie, prcisment.

    "Charger et dcharger des camions de munitions, creuser des tranches, courir avec des

    briques sur le dos... On travaillait jour et nuit, raconte Abdellah.La premire anne, je me

    souviens de ne pas avoir dormi pendant soixante jours. Je ne savais pas si je rvais ou si

    j'tais mort." Houcine, Jama, Mohammed et Hamid, ses compagnons de torture,

    l'coutent attentivement autour d'un th berbre. Tous ont la mme histoire raconter.

    Des annes dans le mme treillis, des semaines sans se laver, sans se raser, avec des poux

    jusque dans la bouche. Un quotidien rythm par les coups, les humiliations et la faim."Nous avions droit matin et soir une ration de riz, tmoigne Houcine Tarrada.Il

    s'agissait souvent du riz tomb des sacs, que les gardes ramassaient au sol avec toutes les

    salets, du sable ou des bouts de verre."

    Hamid Lbne, 49 ans, hoche sa tte de gamin indisciplin. Il se souviendra toujours de ce

    18 juillet 1981. "Avec deux autres prisonniers, nous tions tellement affams que nous

    avons essay de voler un peu de nourriture. La punition fut terrible. Nous devions courir

    en pleine chaleur et il faisait au moins 50 C l'ombre. Des gardes nous poursuivaient en

    nous donnant des coups avec des fouets fabriqus avec des cbles mtalliques, jusqu' ce

    que nous tombions. Ils nous ont ensuite attach les pieds et les mains et frapp avec une

    lame de ressort de camion, raconte-t-il en tendant deux moignons, vestiges de doigts laisss

    sous les svices.A 15 heures, mes deux camarades sont morts."D'un geste sec et nerveux, il

    enlve son pantalon pour montrer les cicatrices couvrant ses jambes, souvenirs cuisants descbles.

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    Hamid, le rebelle au sourire dent, est devenu une icne de la rsistance. Son nom circule

    avec respect parmi les prisonniers, comme celui d'Ali Najab. Le capitaine de 62 ans, pilote

    de F-5, est rest vingt-cinq ans aux mains du Front Polisario, qu'il surnomme avec insolence

    "Front Algesirario". Pour avoir refus d'insulter Hassan II, s'tre interpos entre un garde

    et un prisonnier, et avoir tent de s'vader, le brillant officier form dans les coles

    militaires franaises a subi la torture et les mmes humiliations que ses soldats. "Toutes les

    constructions au sud de Tindouf ont t faites par des prisonniers, coups de fouet,dnonce-t-il.Les hommes taient traits comme des animaux, pitiner la boue pour faire

    des briques. Les mieux portants devaient donner leur sang pour les hpitaux. Certains

    devenaient de vritables vaches sang."A l'instar d'Hamid et d'Houcine, pomps jusqu'

    dix fois par mois.

    "Pendant six ans, nous avons vcu dans une fosse rectangulaire creuse au milieu de la

    cour Rabouni, poursuit le capitaine d'un ton dur.Entasss parfois jusqu' quarante, sans

    toit, exposs t comme hiver la chaleur, au froid, la pluie. Nous tions des moins que

    rien, touchs dans notre dignit. On nous faisait ramper en slip devant nos soldats. Nous

    n'avions pas non plus de toilettes. Nous allions dans la nature. Une punition rcurrente

    consistait d'ailleurs ramasser les excrments main nue."

    Accus de tentative d'vasion, le lieutenant Mohammed Adri, 50 ans, pilote de Mirage F1, a

    connu un tout autre genre de punition. "Je suis rest enferm trente-trois jours dans un

    conteneur, avec un bidon d'eau, du pain, des lentilles ou du riz, relate-t-il.Et, la nuit, un

    garde m'empchait de dormir en frappant rgulirement sur le conteneur. Pour tenir, je

    pensais ma femme et ma fille de dix mois. Mais, le plus dur, c'tait d'entendre les

    autres prisonniers gmir toute la nuit."

    Car les pires souvenirs des prisonniers ne sont pas lis leur histoire, la plus grande torture

    n'tant pas celle qu'ils subissaient mais celle inflige leurs camarades. "J'ai vu un garde

    mettre en marche une btonneuse alors qu'un prisonnier avait la tte dedans, tmoigne Ali

    Najab.Et un autre rouler sur un dtenu qui s'tait couch sous un camion pour se reposer."

    Abdellah ne compte plus les excutions auxquelles il tait oblig d'assister. "Je ne sais pas

    combien j'ai vu de soldats attachs un arbre, la tte en bas, frapps coups de manchede pioche, de barre de fer, de pied... jusqu' ce que mort s'ensuive."

    Chaque matin, Mohammed Allali priait Dieu pour que la journe se passe sans plus de 40

    coups de cble, la moyenne quotidienne. "Je prfrais la faim aux coups", avoue-t-il en

    montrant l'paisse cicatrice qui traverse son crne ras, marque indlbile d'une crosse de

    kalachnikov. "Moi aussi, ajoute Hamid.Mme lorsque les gardes du Polisario nous

    jetaient des bouts de pain pendant la prire."

    Plus qu' leur endurance physique, les dtenus qui s'en sont sortis sans devenir fous doivent

    leur survie un mental d'acier, entretenu par le souvenir de leurs proches. "On vivait

    presque en famille, se rappelle l'adjudant chef Driss El-Yazami. Quand nous recevions des

    photos ou des lettres de nos familles, nous les regardions ensemble. Au fil des ans, on

    voyait grandir les enfants. Nous ftions mme leurs anniversaires. Quand j'ai appris lamort de ma mre, Ahmed, mon ami, a pleur plus que moi..."

    L'arrive du CICR (Comit international de la Croix-Rouge) dans les camps, en 1994, a

    amlior les conditions de dtention. C'est ainsi que les prisonniers ont pu recevoir des

    lettres et des colis."Il fallait tenir pour nos familles, souligne Ali Najab.Nous n'avions pas

    le droit de les priver de notre retour."

    Latifa Johari n'a jamais cru en la mort de son mari, Ahmed Ben Boubker, le premier pilote

    captur, le 21 novembre 1976. "Son avion abattu, il fut port disparu. On m'envoya un

    certificat de dcs et les condolances du roi, mais je ne pouvais me rsigner sa mort,

    jure-t-elle, les larmes aux yeux.Deux mois plus tard, en allumant la radio, j'ai reconnu sa

    voix. Il dclinait son identit dans une mission... Mais le plus beau jour de ma vie est

    certainement celui o j'ai reu le coup de fil m'annonant sa libration."

    Pour conjurer l'attente interminable, Atika, la femme d'Ali Najab, professeure retraite

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    d'histoire-gographie, a repris ses tudes et publi un livre, 25 ans dans la vie d'une femme

    de prisonnier, recueil de tous les pomes rdigs son poux absent. "Tous les moyens

    taient bons pour entrer en contact avec lui, souligne-t-elle.Je demandais aux journalistes

    qui me sollicitaient de lui porter mes lettres. Je suis mme alle jusqu' Paris pour

    rcuprer des photos de lui."

    Une photo, c'est tout ce qu'il restait Siham Laghrassi pour se construire sans son pre,

    Mohammed, un mcanicien enlev alors qu'il rentrait du travail dans la rgion de Tan-Tan

    et libr en 2002, aprs vingt-quatre ans de dtention. Une photo et le souvenir de ses

    mains. "Parce qu'il m'emmenait souvent sur sa moto, et je ne voyais que le guidon,raconte

    la jeune femme de 29 ans en riant.Nous sommes rests sans nouvelles pendant dix ans

    jusqu' ce que ma mre reoive une de ses lettres. Pour nous lever, elle a enchan des

    petits boulots. Je me dis que cela a d tre trs dur. Elle n'y voit quasiment plus

    aujourd'hui. Sans doute d'avoir trop pleur."

    A leurs yeux, l'homme qu'elles aimaient est rest le mme. Les traits plus creuss, bien sr.

    Les cheveux plus gris, sans doute. Le bilan mdical est moins romantique. Diabtiques,

    rongs par l'arthrose, les mains tremblantes et les dents gtes, les jeunes hommes dans la

    force de l'ge sont devenus des quinquagnaires amaigris, la sant prcaire.

    Jama Ayyoub, 56 ans, regarde avec tristesse sa jambe gauche, plus courte de 8 centimtres.

    Le vigoureux soldat qui participa la guerre du Kippour entre Isral et la Syrie, en 1973,

    n'existe plus. Le presque vieillard dplace difficilement ses 60 kilos l'aide d'une bquille,

    impuissant face aux gamins qui l'imitent dans la rue. S'ils savaient. "Je suis tomb sur le

    champ de bataille, une balle dans le genou, explique-t-il.Aprs six jours dans le dsert,

    me nourrir de broussailles, j'ai perdu connaissance. Quand le Front Polisario m'a

    retrouv, ils ont essay de soigner l'infection en me pltrant jusqu'au cou. Je suis diminu

    physiquement, admet-il, mais je souffre surtout moralement. Sans calmants, je n'arrive

    pas dormir."

    Les cauchemars et les rves d'vasion contraris n'pargnent aucun ex-dtenu. Ils se savent

    plus irritables, plus impatients, et culpabilisent d'imposer cela leurs proches."Avec mafille, on essaie de cohabiter, mais nous avons des problmes de communication,confesse

    Mohammed Adri.Les psychologues de la Croix-Rouge nous avaient prvenus que la

    rinsertion serait difficile, que nous n'tions plus comme les autres." Entre un stage

    Internet la base militaire de Sidi Slimane et les activits la ferme qu'il loue avec son ami

    Driss El-Yazami, le pilote tente de renouer avec cette socit qui a avanc sans lui.

    Abdellah Lamani, de son ct, a entrepris de rassembler les victimes civiles pour rclamer

    des indemnits et la libration de la poigne de prisonniers qui, selon lui, n'auraient pas t

    recenss par le CICR et resteraient dtenus. Dans le mme esprit, Ali Najab monte une

    association de prisonniers de guerre. Des clibataires se sont maris et certains ont dj un

    enfant. Une faon de rattraper le temps perdu, de tourner la page vers un futur qu'ils voient

    se dessiner avec incertitude. Et, quelque part, de pardonner.

    "Au mois de mars, j'ai rencontr un des soldats qui m'avaient enlev et tortur, raconte

    Abdellah d'un air serein.Nous nous sommes reconnus. Il avait l'air tellement gn.

    Finalement, nous nous sommes embrasss et nous avons ri. Oui, j'ai dj pardonn mes

    tortionnaires. Mais c'est aux familles des victimes qu'il faut demander cela. Car ce sont les

    morts qui doivent pardonner. Pas les survivants."

    Mlanie Matarese

    Article paru dans l'dition du 11.10.05